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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 10 mai 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal

(page 1317) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et 1/2.

- Plusieurs membres. - Nous ne sommes pas en nombre, il faut lever la séance !

- Il est procédé au réappel.

M. le président. - Cinquante-sept membres ont répondu à l'appel nominal et sont présents en ce moment, la chambre est donc en nombre. Certes, si quelques honorables membres qui ont répondu à cet appel venaient à quitter la séance, leur sortie amènerait une autre situation. J'ose donc espérer que tous nos honorables collègues resteront à leur poste jusqu'à la fin de la séance.

Je profite de cette occasion pour annoncer qu'à l'avenir l'appel nominal se fera un quart d'heure après l'heure fixée, que le réappel sera fait immédiatement après et que le bureau tiendra à la stricte exécution du règlement.

Lecture du procès-verbal

M. de Perceval lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le conseil communal de Voormezeele demande l'exécution du chemin de fer de Courtray à Ypres et Poperinghe par Menin et Wervicq. »

« Même demande de l'administration communale et des habitants de Zantvoorde, Bas-Warneton et Brielen. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les administrateurs et directeurs gérants de compagnies charbonnières qui convertissent leurs charbons en coke, demandent une loi déterminant le droit sur la fabrication du coke. »

- Même renvoi.


« Le président et le secrétaire de la société agricole et horticole de Nivelles demandent une loi garantissant aux locataires sortants le remboursement des avances faites en fumures et amendements. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs propriétaires et locataires à Anvers demanient une loi qui déclare non imposables les engrais et autres matières fertilisantes. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Passchendaele demandent que la compagnie concessionnaire du chemin de fer de la Flandre occidentale soit autorisée à construire un chemin de fer de Deynze à Ypres par Thielt et Roulers en remplacement de la ligne de Courtray à Ypres par Menin et Wervicq. »

« Même demande du conseil communal d'Aerseele. »

- Même renvoi.

Projet de loi sur les successions

Discussion générale

M. Jacques. - Messieurs, depuis que j'ai repris place dans cette enceinte, en 1848, après 15 années d'absence, je n'ai pas cessé de combattre les idées que le cabinet a émises sur la nécessité d'augmenter les impôts existants. Dans les discussions publiques, dans les délibérations des sections, dans les conversations parliculières, j'ai saisi toutes les occasions qui se sont présentées pour soutenir invariablement l'opinion que les ressources actuellement existantes suffisent pour couvrir toutes les dépenses annuelles de l'Etat.

En prenant aujourd'hui la parole pour soutenir la même thèse, je tâcherai de ne tomber dans aucune exagération et de me renfermer uniquement dans l'appréciation de la question financière, telle qu'elle a été exposée par M. le ministre des finances, de la question de savoir si les ressources actuelles suffisent pour couvrir les dépenses de chaque année, en tenant compte non seulement des besoins ordinaires du sercice, mais aussi des besoins extraordinaires, qui se produisent constamment, ainsi que M. le ministre des finances vient de le faire remarquer tout à l'heure.

Permettez-moi, messieurs, de rappeler ce que je disais dans deux séances précédentes.

Dans la séance du 17 janvier 1850, dans la discussion du budget de la guerre, j'ai prononcé ces paroles :

« M. le ministre des finances déclarait naguère que, malgré toutes les économies que nous pourrions faire, nous serions forcés de voter de nouveaux impôts ; je pense et je soutiendrai le contraire.

«. Le cabinet actuel est incontestablement appuyé par une grande majorité dans cette chambre, et je n'hésite, pas à me ranger dans cette majorité. Mais si le cabinet ne savait pas pourvoir à tous les besoins du pays avec des ressources annuelles qui s'élèvent à 115 millions ; s'il persistait à vouloir dépenser davantage, soit en proposant de nouveaux impôts, soit en accumulant les déficits, alors je ne craindrais pas de me tromper en lui prédisant que la chambre ne le suivrait pas dans cette voie, et, qu'au besoin, le pays saurait bientôt trouver d'autres organes qui sachent reconnaître sa volonté et la faire prévaloir. »

Dans la séance du 16 janvier dernier (je tiens à prouver que je n'ai pas changé de langage d'une année à l'autre ; j'ai des raisons personnelles pour donner cette preuve ;, dans la séance du 16 janvier dernier, voict ce que je disais :

« Ce n'est pas que je prétende que la situation du pays soit mauvaise ou dangereuse ; au contraire, je suis dans la conviction pleine et entière que nous pouvons très bien continuer à marcher avec les ressources existantes et sans augmenter la dette d'une centime. Mais nous pensions en 1830 qu'avec un budget de 40 millions de florins, ce qui fait moins de 85 millions de francs, on pourrait subvenir à tous les besoins de l'Etat, tandis que maintenant le cabinet prétend ne pas pouvoir marcher avec 116 millions.

« (…) Quant à moi, je ne puis pas admettre qu'un budget de 116 millions soit insuffisant pour couvrir tous les vrais besoins de l'Etat ; je pense, au contraire, qu'un pareil budget met déjà trop de fonds à la disposition des ministres, et qu'il n'y a pas un seul département ministériel où l'on ne peut faire de notables diminutions de dépenses, sans la moindre perte pour la prospérité du pays. »

Pour justifier l'opinion que j'ai soutenue dans les deux séances que je viens de citer, il me reste donc, messieurs, à tâcher de vous faire comprendre que, loin que les recettes annuelles de l'Etat n'aient pas suffi, jusqu'ici pour couvrir toutes les dépenses, il y a, au contraire, un excédant.

Il me reste à prouver aussi que les recettes qui existent maintenant couvrent les dépenses ordinaires et extraordinaires de chaque année.

J'établirai cette preuve en me servant uniquement de la situation générale du trésor public au 1er septembre 1850, sauf à en tirer d'autresr conclusions que celles que M. le minisire des finances en a fait ressortir.

Pour prouver que les recettes annuelles de l'Etat ont suffi à couvrir toutes les dépenses ordinaires et extraordinaires, toates les dépenses courantes et permanentes de l'Etat, voici, messieurs, de quelle manière je procéderai : j'établirai d'abord quel est le montant de la dette que la Belgique à contractée. Je m'appuierai ensuite sur la situation du trésor publiée par M. le ministre des finances, pour comparer la dette qui existe réellement avec celle qui existerait, si les recettes annuelles de l'Etat n'en avaient pas déjà couvert une partie.

Une dette de 100,800,000 fr. a été contractée en 1831 et en 1832 pour la conquête de l'indépendance du pays, pour les armements extraordinaires que le pays a dû maintenir, afin de se tenir en garde contre la Hollande.

(page 1318) La dépense de ces armements a été beaucoup plus considerable ; ainsi que l'établissait dans la séance d'hier l'honorable M. Mercier, elle s'est élevée à environ 200 millions ; mais je ne tiendrai compte ici que de l'emprunt qui a été voté par les chambres pour cette destination et qui s'élève à 100,800,000 fr.

Ltors du traité définitif avec la Hollande, nous avons dû prendre à notre charge, d'abord un capital de 220,105,631 fr. 74 c. en dette 2 1/2 p. c, de plus un autre capital de 169,312,000 francs, également en 2 1/2 p. c ; mais d'après les stipulations du traité, cette dernière somme a été réduite à celle de 84,656,000 fr. par l'émission d'un nouvel emprunt à 4 1/2 p. c.

En réunissant ces trois sommes de 100,800,000 fr., de 220,100,000 fr. et de 84,600,000 fr., sommes rondes, nous avons, pour la dette imposée à la Belgique par les besoins de son émancipation politique et pour celle qui résulte de son ancienne liaison avec la Hollande, nous avons pour les trois sommes que je viens d'énumérer, un capital de 405,500,000 francs.

Depuis lors, messieurs, nous avons construit les chemins de fer et des canaux, dont il faut tenir compte, et dont la dépense vient nécessairement prendre place dans la dette que supporte la Belgique. Le chemin de fer, d'après l'état de situation publié par M. le ministre des finances, a absorbé en numéraire un capital de 169 millions. Pour le chemin de fer rhénan, la Belgique a dépensé 3,300,000 fr. Pour les canaux, qui constituent aussi maintenant une source de revenus, voici le détal des sommes dépensées :

Sambre 6,900,000 fr., Charleroy 7,000,000 fr., Campine 4,400,000 fr., Turnhout 1,400,000 fr., Liège 7,700,000 fr., Deynze 2,300,000 fr., Zelzaete 3,900,000 fr. Total 33,600,000 fr.

Maintenant j'ajoute aux dépenses faites pour le chemin de fer et pour les canaux, celles qui ont été faites pour l'entrepôt d'Anvers. Cet entrepôt était grevé d'une dette de 1,500,000 fr., que l'Etat a prise à sa charge, et nous avons emprunté, en outre, pour l'achever 2,000,000. Ensemble 3,500,000 fr.

A ces sommes de 169,000,000 fr., de 33,600,000., de 3,300,000 fr. et de 3,500,000 fr., soit 209,400,000 fr., dépensées en numéraire pour les chemins de fer de l'Etat, pour les canaux, pour le chemin de fer rhénan et pour l'entrepôt d'Anvers, il faut ajouter les pertes que l'Etat a dû subir sur la négociation des emprunts qui y ont été consacrés.

Ces pertes s'élèvent à 21,900,000 fr., somme ronde.

En ajoutant ces différentes sommes, la dette de la Belgique à l'heure actuelle devrait s'élever à 405,500,000 fr. plus 209,400,000 fr. plus 21,900,000 fr., soit 636,800,000 fr.

Voyons maintenant, d'après la situation présentée par M. le ministre des finances lui-même, quelle est réellement cette dette.

Dans le tableau, page 80, l'on voit qu'a la date du ler mai 1850, il reste 612,000,000 de francs de dette inscrite, y compris l'emprunt forcé de 1848.

Mais, depuis lors, la Belgique a conservé ou réservé à l'amortissement les sommes suivantes : deuxième semestre de 1850 2,300,000 fr., année 1851 4,800,000 fr. réserve ancienne 5,800,000 fr., soit 12,900,000 fr.

En déduisant cette dernière somme des 612 millions, chiffre de la dette au 1er mai 1850, il ne devra rester, au 1er janvier 1852, que 599,100,000 francs.

A cette dernière somme de dette inscrite, il faut ajouter la dette flottante ou le découvert. D'après la situation du 1er septembre 1850, ce découvert était au 1er janvier 1850 de 37,100,000.

En y ajoutant 3 millions de découvert nouveau, à résulter de la gestion de 1851, on aurait un total de 40,100,000 fr..

Mais il faut déduire les valeurs qui ont été réalisées par la vente de quelques titres et dont le montant s'élève à 16,400,000 fr., de manière que le découvert au 1er janvier prochain ne sera que de 23,700,00 fr.

Ainsi, au 1er janvier prochain, la Belgique ne sera plus réellement chargée que des dettes suivantes :

Dette inscrite : fr. 599,100,000.

Dette flottante : fr. 23,700,000.

Total : fr. 622,800,000.

Mais si, au lieu d'une dette contractée de 636.800,000 fr,, comme je l'ai établi, la Belgique n'a plus, au 1er janvier 1852, qu'une dette de 622,800,000 fr., y compris l'emprunt forcé de 1848 et toute la dette flottante, il en résulte évidemment, d'une manière bien plus incontestable que le résultat annoncé par M. le ministre des finances, que la Belgique a déjà remboursé sur ses différentes dettes une somme de 14 millions au moyen de l'excédant de ses recettes annuelles sur ses dépenses annuelles.

Ce remboursement de 14 millions n'est pas d'ailleurs le seul excédant que les recettes annuelles de 1830 à 1851 ont laissé sur les dépenses courantes.

Si l'on veut apprécier exactement la situation, il faut ne pas perdre de vue que, dans les dépenses, on a compris beaucoup de dépenses extraordinaires qu'on pourrait ajouter à la dette publique ; mais c'est ce que je ne fais pas, parce qu'il est préférable de ne pas présenter une situation trop belle. Cependant permettez-moi d'indiquer quelques-unes de ces dépenses, et vous verrez qu'on pourrait, sans être taxé d'exagération, les ajouter au capital de la dette qui devrait peser sur la Belgique. Vous avez, par exemple :

Allocations extraordinaires de 1836, 1838 et 1842 pour construction de routes, 10,000,000 fr.

Allocations des budgets ordinaires pour le même objet, au-delà de 15,000,000 fr.

Réendiguements des polders de Lillo, etc., 3,500,000 fr.

Achat ou construction d'édifices pour le sénat, pour les ministères et pour les gouverneurs de Liège et d'Arlon, 2,200,000 fr.

Achat de la British-Queen et des paquebots, 3,000,000 fr.

Mesures extraordinaires pour la crise des subsistances, 4,500,000 fr.

Idem pour le maintien du travail, 3,00,000 fr.

Idem pour les événements de 1848, 6,500,000 fr.

On arrive ainsi à un total de dépenses extraordinaires de 47,500,000 fr., dont je n'ai pas tenu compte tout à l'heure lorsque j'ai établi que la Belgique avait cependant trouvé, dans ses ressources extraordinaires, de 1830 à 1851, un excédant de 14,000,000 qui est venu en dégrèvement de sa dette.

Après avoir parlé du taux auquel la dette de la Belgique s'élèverait, s'il n'avait pas été fait d'amortissement par l'excédant des recettes annuelles sur les dépenses annuelles, il me reste à confirmer ces calculs, en prenant qudques-uns des derniers budgets, et en montrant que les recettes annuelles sont plutôt supérieures qu'inférieures aux dépenses annuelles.

D'après la situation du trésor au 1er juillet 1850, l'exercice de 1849 se solde par un excédant de 112,902 francs 55 centimes.

L'exercice 1850, au contraire, présente un déficit de 3,120,553 francs 94 centimes. Mais savez-vous d'où résulte ce déficit ? De ce qu'on a reporté dans les dépenses de cet exercice une somme de 3,706,386 fr. 88 c., provenant des crédits qui sont restés ouverts pour services spéciaux sur les exercices 1847, 1848 et 1849. (Voir page VII de la situation publiée.) Evidemment les crédits spéciaux qui sont restés ouverts sur ces trois exercices ne doivent pas être considérés comme une charge de l'exercice 1850, si on veut établir la balance entre les recettes de 1850. et les dépenses réelles, tant ordinaires qu'extraordinaires du même exercice.

Quant à l'exercice 1851, M. le ministre des finances reconnaît lui-même que les recettes dépasseront 117,000,000, et comme les budgets des dépenses ne s'élèvent qu'à 115 millions, l'on a un excédant de deux millions, qui suffirait amplement pour les crédits supplémentaires ou complémentaires, si l'on n'y ajoutait pas de nombreuses régularisations pour des exercices très arriérés, régularisations dont j'ai, du reste, tenu compte dans la première partie de mon discours pour établir le montant de la dette au 1er janvier 1852.

(L'orateur s’est arrêté ici dans la séance du 9 : il continue aujourd'hui en ces termes :)

Messieurs, j'ai constaté, dans la séance d'hier, que la dette contractée par la Belgique pour la conquête de son indépendance, pour la liquidation avec la Hollande, pour ses chemins de fer de l'Etat, pour le chemin de fer rhénan, pour l'entrepôt d'Anvers, et pour les canaux de la Sambre, de Charleroy, de Deynze, de Zelzaete, de Liège, de la Campine et de Turnhout, s’éleve à la somme totale de 363,800,000 fr.

J'ai constaté également que la Belgique n'aura plus à sa charge, à la fin de l'année courante, en y comprenant l'emprunt forcé de 1848, et la dette flottante ou le découvert de 23 millions qui existera au 1er janvier 1852, qu'une dette totale de 622,800,000 fr.

J'ai constaté ainsi que les recettes annuelles, pendant les 21 années et un quart qui se seront écoulées depuis le 1er octobre 1850 jusqu'au ler janvier 1852, auront non seulement couvert toutes les dépenses ordinaires et extraordinaires de l'Etat, y compris tous les crédits supplémentaires (page 1319) et complémentaires, et tous les fonds spéciaux, mais qu'elles auront fourni, en outre, un excédant de 14 millions, puitqua la dette nationale aura été réduite de pareille somme.

J'ai constaté enfin que dans les dépenses extraordinaires qui auront été acquittées sur les recettes annuelles, il y en a puur 47,500,000 fr. que l'on aurait pu ajouter à la dette nationale sans manquer aux règles d'une bonne administration et qui consistent en constructions de routes, en achat ou construction d'édifices pour le sénat, pour les ministères, pour les administrations provinciales, pour les corps judiciaires et pour les prisons, en achat de paquebots et en mesures extraordinaires pour traverser les crises alimentaire, industrielle et politique de 1845 à 1848.

14 millions de réduction de dette, et 47 1/2 millions de non-création de dette forment ensemble un total de 61 1/2 millions ; c'est là le montant réel de l'excédant que les recettes annuelles ont laissé de 1830 à 1851 inclusivement sur le service régulier des dépenses de l'Etat.

J'ai terminé dans la séance d'hier par quelques détails sur la balance financière des exercices 1849, 1850 et 1851, et j'ai constaté qu'en dégageant ces exercices des nombreuses régularisations de dépenses arriérées, il y a balance entre les recettes et les dépenses. Cet équilibre est dû, je le reconnais bien volontiers, aux économies réelles et importantes qui ont été introduites dans les dépenses de l'Etat à partir de 1849.

Voyons maintenant si les impôts, tels qu'ils existent actuellement, ne suffisent pas pour aborder l'exercice 1852, sans avoir à craindre aucun déficit nouveau.

D'après la note préliminaire qui se trouve à la première page du projet de budget des voies et moyens pour 1852, ce budget présente sur le total des 9 budgets de dépenses, un excédant de 1,834,131 francs 5 centimes.

Les voies et moyens n'étant évalués pour 1852 qu'à la somme de 117,310,250 fr., somme qui, de l'aveu de M. le ministre des finances, sera déjà atteinte en 1835, l'on ne doit pas craindre que les recettes de 1852 restent en dessous des évaluations.

Quant aux budgets de dépenses, il est bon de faire observer que l'on continue à y porter des dépenses extraordinaires très considérables, dont quelques-unes ne sont pas de nature à se reproduire perpétuellement ; telle est d'abord la somme de 5 millions qui est comprise dans les diverses allocations du budget de la dette publique pour servir au remboursement d'une partie de la dette ; telle est l'allocation portée au budget de la justice pour construction de prisons ; telle est encore l'allocation portée au budget des travaux publics pour construction de nouvelles routes. Je ne soutiens pas que, pour établir la balance financière, il faudrait distraire ces allocations des budgets de dépenses ; mais l'on doit me concéder qu'en admettant ces allocations parmi les dépenses courantes, l'on peut, à juste titre, porter aussi parmi les recettes courantes, le fonds d'un million à provenir d'une vente de domaines.

L'excédant des recettes sur les dépenses s'élèvera ainsi à 2,834,000 fr. et cette somme est certainement au-delà de ce que la prudence commande de tenir en réserve, en réglant les budgets d'un exercice, pour subvenir aux crédits supplémentaires dont la nécessité pourra être reconnue pendant le cours de l'exercice.

Je pense d'ailleurs, messieurs, que des économies peuvent encore être faites sur le budget de 16 millions présenté pour les travaux publics, et sur celui de 26,787,000 fr. présente pour la guerre. Je ne tiendrai pas compte de ces économies maintenant ; je raisonnerai sur les budgets tels qu'ils sont présentés, avec un excédant de 2,854,000 fr.

Voyons si cette somme de 2,854,000 francs ne représente pas la moyenne de tous les crédits supplémentaires et complémentaires qui viennent annuellement s'ajouter aux budgets des dépenses.

D'après la situation du trésor au 1er septembre dernier, je vois que de 1830 à 1850, les crédits supplémentaires et complémentaires qui ont été votés s'élèvent ensemble a 95,602,000 francs, mais il faut faire attention que ces crédits ne sont, pour une somme très considérable que la contre-partie de crédits qui avaient été alloués et non dépensés dans les budgets antérieurs.

Cette somme pour le même espace de temps s'élève à 53 milliuns 98 mille fr. de manière que la différence entre les crédits supplémentaires qui ont été accordés, et les fonds qui étaient restes disponibles sur les crédits primitifs des budgets n'est que du 42 millions pour 20 ans. La moyenne n'est donc que de deux millions cent mille francs par an.

Comme je l'ai fait remarquer tout à l'heure, l'exercice de 1852 se présente avec un excédant de recettes de 2,800,000 fr. ; et des lors nous ne devons avoir aucune crainte sur le maintien de l'équilibre financier pendant l'année prochaine.

M. Delfosse. - Un million huit cent mille francs.

M. Jacques. - Deux millions huit cent mille francs... J'ajoute le million provenant de la vente de domaines parce qu'il y a dans les budgets des dépenses extraordinaires puur une somme beaucoup plus forte. D'ailleurs il ne faut pas perdre de vue que dans les derniers exercices que nous venons de traverser et dans l'exercice courant, le cabinet s'est attaché à régulariser toutes les dépenses arriérées. Nous pouvons donc espérer que nous ne serons plus assiégés à l'avenir par des demandes aussi multipliées de crédits supplémentaires et complémentaires.

C'est une raison de plus pour soutenir que le budget des voies et moyens, tel qu'il est présenté pour 1852, doit suffire amplement et qu'on ne doit avoir aucune crainte de rester en courteresse l'année prochaine.

Outre cette situation avantageuse qui se présente pour 1852, il est à remarquer, pour l'avenir, que les recettes pourront encore s’améliorer et les dépenses diminuer. Ainsi que je l'ai fait remarquer, la somme de cinq millions appliquée à l’amortissement de la dette n’est pas de nature à se perpétuer toujours. Si on veut se reporter en arrière et faire attention à l’économie que l’on a obtenu en 1844 par la conversion d'une partie du fonds 5 p. c. en 4 1/2 p. c, l'on reconnaîtra que d'ici à un an ou deux, quand le cours des fonds publics le permettra, on pourra obtenir une économie de 900,000 fr. sur le budget de la dette publique, par la simple conversion des 147 millions de dette à 5 p. c. en nouveaux titres à 4 1/2 p. c.

Quant aux recettes, messieurs, il y a une amélioration importante qui pourra être introduite bientôt. Notre traité avec la France expirera au mois d'août prochain. J'espère bien que lorsqu'on renouvellera le traité avec cette puissance, si tant est qu'on y parvienne, on ne consentira plus à renoncer à la perception d'un quart de l'accise sur les vins. Cette renonciation a fait perdre à peu près 800,000 fr. par an à la Belgique, et elle n'a produit aucun avantage à la France.

On n'a pas consommé plus de vin en Belgique depuis cette réduction qu'on n'en consommait auparavant. Les états de situation du mouvement commercial nous le prouvent. Tout ce qui en est résulté, c'est que les consommateurs de vin, les personnes qui ont le mieux le moyen de contribuer à l'impôt, ont payé moins que précédemment.

J'espère donc, ainsi que je le dirais tout à l'heure, que, dans les négociations avec la France, on aura soin de réserver à la Belgique cette augmentation de 800,000 fr. que doit produire l'accise sur les vins.

Messieurs, comme j'ai déjà entretenu la chambre assez longtemps hier, que je viens encore de présenter d'assez longues observations, je m'arrêterai ici, sauf à reprendre ultérieurement la parole si la suite de la discussion m'en démontre la nécessité.

Ordre des travaux de la chambre

M. Roussel (pour une motion d’ordre). - Messieurs, comme plusieurs de nos honorables collègues de Liège désirent exercer leurs droits civiques dans l'élection qui doit avoir lieu lundi, et que plusieurs d'entre eux se sont fait inscrire pour prendre la parole dans cette discussion ; comme d'un autre côté quelques autres collègues seront empêchés par d'autres motifs, j'ai l'honneur de proposer à la chambre de décider que l'on travaillera lundi en section, et que la prochaine séance publique aura lieu mardi. Très probablement lundi on ne serait pas en nombre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il n'y a pas de motifs pour ne pas avoir séance lundi.

M. Roussel. - Il me semble que MM. les ministres qui se refusent à une demande aussi juste devraient commencer par se trouver avec plus d'exactitude à leur banc. Je me permets cette observation, parce que je les vois repousser une demande légitime et qui me paraît de nature à assurer la considération de la chambre, en garantissant à notre prochaine séance la présence d'un nombre suffisant de nos honorables collègues.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne pense pas que l'absence de trois ou quatre députés suffise pour motiver une vacance d'un jour.

Je ne sais pas s'il y a d'autres motifs d'absence pour d'autres représentants ; mais il me semble qu'il n'y a pas de raisons suffisantes pour ne pas avoir de séance lundi.

En ce qui concerne la non-présence des ministres à leur banc, je ferai observer que les ministres, quand ils ne sont pas à la chambre, sont dans le voisinage de la chambre à la disposition du bureau, de manière que jamais leur absence ne fera manquer une séance ; ils sont toujours à leur poste, soit dans la chambre, soit au ministère. Quand ils ne sont pas ici, on peut toujours les faire appeler.

Je ne vois pas, je le répète, qu'il y ait lieu de s'abstenir de siéger lundi. Nos séances sont toujours très courtes. Elles durent à peine deux heures.

M. Delfosse. - Les représentants de Liège désirent assister à l'élection de lundi, ce n'est pas une raison pour qu'il n'y ait pas de séance. Mais j'apprends qu'un grand nombre de représentants des Flandres n'assisteront pas à la séance de lundi. Tout porte à croire que l'on ne serait pas en nombre. Mieux, dans ce cas, vaut de n'avoir de séance publique que mardi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - La chambre est entièrer ment maîtresse de son temps. J'ai fait une observation ; l'assemblée décidera.

- La proposition de M. Roussel est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - La séance publique sera donc renvoyée à mardi à une heure.

Il est bien entendu, je le répète, et le Moniteur servira d'avertissement, qu'a une heure et quart sera fait l'appel nominal et immédiatement après le reappel. Le règlement sera exécuté dans toute sa rigueur.

Projet de loi sur les successions

Discussion générale

M. Cools. - Messieurs, il a été décidé au commencement de cette discussion, que la question financière serait envisagée sous toutes ses faces. Il était, en effet, impossible de suivre une autre marche. Nous ne sommes guère avancés en connaissant l’un des chapitres du budget extraodinaire de voies et moyens que nous sommes appelés à voter, si nous ne connaissons pas l’importance des chapitres qui suivront. Il y a (page 1320) nécessité réelle d'améliorer la situation financière ; mais, messieurs, on arrive à des résultats tout différents selon que l'on se propose un des trois buts suivants : Etablir une balance rigoureuse entre les recettes et les dépenszs ; obtenir un excédant, indispensable pour prévoir les éventualités ; entreprendre de nouveaux travaux d'utilité publique.

M. le ministre des finances nous a dit : II faut créer pour 2 millions et 1/2 à 3 millions de ressources nouvelles. Ce chiffre, messieurs, comme vous l'aurez remarqué, diffère beaucoup de celui que M. le ministre a indiqué à une autre époque et qui était de 6 à 8 millions. Mais il n'y a ici qu'une contradiction apparente : je crois que l'opinion de M. le ministre est encore qu'il faut, pour certaines éventualités, augmenter nos ressources de 6 à 8 millions. M. le ministre des finances ne nous a fait connaître qu'une moitié de son secret ; les chiffres, quand il s'agit de nouveaux impôts, ont une grande analogie avec les devis de certains ingénieurs, qui sont d'abord très modiques, mais qui s'élèvent ensuite jusqu'au double au moment où l'on a mis la main à l'œuvre.

Ce que nous devons connaître, c'est le solde final du budget qui va nous être soumis ; nous devons savoir quel est, abstraction faite de ces deux millions et demi à trois millions, destinés à établir une balance rigoureuse entre nos recettes et nos dépenses, quel est le total des produits nouveaux que nous, à notre point de vue, dans l'intérêt du pays, nous ne pouvons nous refuser de voter. Messieurs, c'est là l'objet principal du débat et c'est là aussi la question que je me propose d'examiner. Du reste, messieurs, j'ai à peine besoin de le déclarer, j'examinerai le système du gouvernement avec bienveillance ; je me placerai au point de vue d'un membre de la majorité qui certainement ne peut pas se constituer l'apologiste de toutes les mesures qu'on lui soumet, mais qui est du moins prêt à aider, en cette circonstance et autant que ses moyens le lui permettent, le gouvernement dans la tâche ingrate qu'ils'est imposée, celle de placer nos finances dans une bonne situation.

Messieurs, cette déclaration vous indique déjà que mon appréciation différera du tout au tout de celle que nous a fait connaître un honorable représentant d'Ypres, dans la séance d'avant-hier.

A entendre l'honorable M. Malou, notre situation est bonne ; le déficit est insignifiant, et s'il faut créer quelques impôts nouveaux, à peine en faut-il pour quelques centaines de mille francs.

Cet optimisme a quelque lieu de surprendre de la part d'un ancien ministre des finances, optimisme que ne partage pas, du moins au même degré, bien s'en faut, un autre membre, l'honorable M. Mercier, qui a également dirigé le département des finances pendant quelques années.

Mais comment l'honorable M. Malou est-il arrivé à cette conclusion ? C'est en cherchant à renverser complètement la situation que nous a soumise M. le ministre des finances. A entendre l'honorable M. Malou, les bonnes situations sont celles qui sont faites de la manière dont lui les présentait quand il était au pouvoir. Mais, l'honorable M. Frère l'a déjà fait remarquer, vous savez de quelle manière on s'y prenait : on faisait entrer dans la situation 21 millions de bons du trésor, qu'on voulait faire considérer comme des valeurs réelles. Cependant l'honorable M. Malou admet qu'on fasse quelques corrections à ses chiffres ; seulement il prétend que les corrections de M. Frère ne sont pas bonnes, qu'il a omis des valeurs importantes qui doivent être attribuées à l'administration précédente.

Je ne vous détaillerai pas les chiffres qui ont été produits ; la liste en est beaucoup trop longue ; mais quelques-unes de ces prétendues allocations méritent cependant d'être signalées. Ainsi, l'honorable membre désire qu'on fasse entrer en ligne de compte la forêt de Soignes, une place publique, des collections d'objets d'art que nous avons obtenues de la ville de Bruxelles. En s'y prenant de cette manière, messieurs, en accumulant de la sorte les unes sur les autres des valeurs aussi solides, rien n'est plus facile que de se créer une situation florissante. Mais il faut être juste : l'honorable membre ne garde pas tout ce trésor pour lui, il en abandonne quelque chose à ses successeurs ; il leur cède les jouissances morales. Ainsi, par exemple, l'honorable M. Malou dit que, pendant la crise des subsistances le gouvernement a dû demander quelques crédits extraordinaires, mais il ajoute aussitôt : C'est vous qui en avez fait la distribution, et certes cela vaut quelque chose. Mais, messieurs, parlons sérieusement.

Je trouve sans doute très naturel qu'un adversaire politique, un membre de l'opposition, alors surtout qu'il est doué d'un talent tel que celui que possède l'honorable M. Malou, se flatte de lutter avec avantage contre tout cabinet qu'il a devant lui, dans des questions controversables ; mais ce que je ne comprends pas, c'est qu'il espère faire considérer ccmroe imaginaires des faits dont l'évidence a frappé tout le monde ; c'est qu'il espère faire accepter comme factices des nécessités qui sont maintenant entrées dans l'opinion publique au rang d'axiomes. Voilà cependant l'illusion que l'honorable M. Malou s'est faite.

Du reste, l'honorable M. Malou aura beau grouper les chiffres de manière à les rendre incompréhensibles aux plus clairvoyants, il ne parviendra pas à détruire ce fait, maintenant de notoriéte publique, qu'il existe dans nos finances un déficit notable et que ce déficit a été produit, je ne dirai pas pour le tout, car il faut tenir compte des événements extraordinaires qui se sont passés depuis deux ou trois ans, mais produit, au moins pour la majeure partie, par l'administration ancienne.

Si j'avais encore besoin d'en faire la démonstration, je soumettrais à l'honorable membre cette simple observation : En 1847, en quittant le pouvoir, vous avez présenté votre bilan ; à coup sûr vous vous êtes bien gardé d'oublier soit les recettes ordinaires, soit des recettes extraordinaires ; et vous êtes arrivé à ce résultat : un boni de 3 millions sur l'ordinaire, et sur l'extraordinaire un mali de 29 millions ; somme compensée : 26 millions.

L'honorable M. Frère a dû demander des crédits nouveaux pour des dépenses qui avaient été renvoyées à l'avenir et qui grevaient les budgets futurs ; et le déficit à la fin de 1847, était, non plus de 26 millions, mais de 43 millions.

Je sais bien que l'honorable M. Malou a plaisanté sur ce chiffre qui allait toujours en grossissant ; mais des plaisanteries n'ont jamais passé pour des arguments très solides.

Ce qu'il fallait prouver, c'était qu'il y a des dépenses comprises dans le chiffre de 43 millions, qui n'auraient pas dû y être comprises : c'est ce que l'on n'a pas fait.

Ce chiffre de 43 millions subsiste, il est réel. Entre ce chiffre de 43 millions et celui de 26 millions qui a été indiqué précédemment par l'honorable M. Malou, il y a toujours une difference de 17 millions.

17 millions, cela fait toujours une insuffisance d'environ un million par an. Voilà un premier deficit qui appartient incontestablement à l'administration précédente. (Interruption.)

Je sais bien que l'honorable M. Malou n'a pas demandé ces crédits, mais comme ces crédits étaient la conséquence d'engagements pris par la politique ancienne, c'est à la politique ancienne seule que je puis m'adresser. Il y a toujours 17 millions de francs ; ce qui fut un déficit d'environ un million par an. De quoi vient ce million ? Evidemment de l'administration ancienne.

Et quelles ressources avez-vous laissées pour combler ce déficit ? Aucune, à moins que vous ne prétendiez battre monnaie avec le sable et les pavés de la place publique que l'Etat a acquise de la ville de Bruxelles, et que vous regrettiez de ne pas voir figurer sur la liste de nos nouvelles richesses. Et pour dire un mot de cette place publique et d'autres recettes extraordinaires de cette catégorie dont il a été question dans le discours de l'honorable M. Malou, je dirai qu'en ce qui concerne les négociations faites, avec la ville de Bruxelles et avec la banque, il faudrait les laisser prudemment dans l'ombre, lorsqu'on parle au nom de la politique ancienne qui les a conclues, car ce ne sont pas des opérations dont il y ait beaucoup lieu de se louer.

Mais l'existence de ce déficit ancien se trouve établie par d'autres faits que le solde de compte de 1847 et notamment par la situation qui a été constaté à la fin de 1850.

L'honorable M. Malou a beaucoup parlé de l'arithmétique ancienne et de l'arithmétique nouvelle ; il nous a donné un échantillon de ce qu'était l'arthmétique ancienne. L'exemple est si bien choisi, son calcul est si curieux, que je ne m'étonne pas que l'honorable M. Frère n'ait pas pu en sonder d'abord toute la profondeur.

Voici comment l'honorable M. Malou s'est exprimé : « Prenons maintenant à un autre point de vue, la situation du trésor publiée à la date du 1er septembre 1850 ; j'y trouve que depuis l'avènement du cabinet actuel, le découvert du trésor s'est augmenté de 11 millions ; ajoutant à cette somme l'application partielle de l'emprunt de 37 millions, soit 21 millions, je trouve qu'il est établi par les documents mêmes que M. le ministre des finances a produits, que la situation générale de nos finances, depuis l'exercice 1847, s'est aggravée de 32 millions. » Et comme à cette partie de son discours des rires ont éclaté, l'honorable membre a repris aussitôt. « Ces chiffres me paraissent extrêmement sérieux ; ils sont puisés dans la situation du trésor que M. le ministre des finances a publiée. »

Mais, messieurs, si je sais additionner, ces 21 millions qui auraient été prétendument dépensés au moyen des produits de l'emprunt, ont contribué, en partie, à produire le déficit de 11 millions de francs. Or après avoir fait état de ce déficit, vous ne pouvez y ajouter les 11 millions qui sont allés s'y perdre. Il y a là un double emploi qui doit sauter aux jeux de tout le monde. Mais il y a plus. D'après M. Malou, les 21 millions sont des dépenses réelles, positives. Or, ils comprennent les neuf millions qui ont été alloués au département de la guerre, et dans les documents qui nous ont été distribués, je trouve à la page 72 du dernier état de situation du trésor, que sur cette allocation on a fait une économie de 2 millions 500 mille francs.

Voilà donc deux millions et demi à réduire des dépenses qu'on assure avoir été faites pendant l'administration du cabinet actuel. Et si, en effet, il y a quelque chose à imputer à ce cabinet du chef des dépenses qu'il a faites, par nécessité ou librement, la justice exigerait, me semblerait-il, qu'on tînt compte aussi de l'accroissement de produits qu'il a obtenu par le changement introduit dans la loi des céréales, par le changement introduit dans la loi des sucres, au moyen des économies qu'il a réalisées dans l'administration, et qui s'élèvent, d'après les calculs de M. Frère, à plusieurs millions.

Du chef de toutes ces sommes réunies, il y aurait, indépendamment du double emploi, une nouvelle réduction de 7 à 8 millions à faire sur la prétendue carte à payer du ministère nouveau. Mais laissons là des calculs qui manquent de base. Le déficit nouveau dont le ministère actuel est responsable peut être établi d'une manière plus simple et surtout plus logique. Oui, il y a déficit du chef de l'administration actuelle, c'est incontestable. D'ailleurs, les circonstances extraordinaires qui se sont présentées l'expliquent suffisamment. Il n'est pas de 32 millions, mais de 17 millions et demi ; le calcul est facile.

A la fin de 1843, d'après les bases adoptées par M. Frère, il y avait un déficit de 43 millions. On a éteint, au moyen de l'emprunt, des (page 1321) valeurs cédées aux banques, et des ressources de l’amortissement 37,760,000 francs ; donc la dette flottante devait être réduite à 6,240,000 francs. Cependant en faisant les calculs d'après les mêmes bases qui ont servi à établir le chiffre de 43 millions pour l'année 1843, la dette actuelle est de 20 millions, somme ronde. Ce résultat s'accorde, si je ne me trompe, avec celui qui a été indiqué par l'honorable M. Osy. ll y aurait une différence de 13,800,000 francs. Mais il y a une rectification très importante à faire pour l'année 1849,

On a introduit un nouveau mode de comptabilité.

La dette a été réduite d'une manière assez notable, mais seulement d'une manière apparente. Voici en quoi cela a consisté. Pour le payement de la rente, on avait l'habitude d'imputer à l'exercice de l'année à laquelle le service des intérêts se rapportait.

Maintenant, on impute à l'exercice dans lequel se fait le payement. Ainsi pour la rente à payer le 1er février prochain, on l'imputait sur l'année où nous nous trouvons ; M. le ministre a cru devoir en faire décharger le budget actuel et porter cela à l'année prochaine.

On ne diminue pas d'un centime la somme à payer ; à moins de vous trouver dans l'impossibilité de payer votre dette, il faut vous procurer une somme d'autant plus grande que précédemment, afin d'acquitter l'échéance. Il faut donc clore les budgets avec un excédant plus grand, égal à la somme que vous avez distraite pour acquitter les échéances du 1er février, sans cela il y aurait déficit. La somme à ajouter d'après des rectifications faites en 1849, par l'honorable M. Mercier, est de 3 millions 700 mille francs. Vous arriverez ainsi à un déficit de 17 1/2 millions appartenant à l'administration actuelle.

D'où provient ce déficit, où en est la cause ? Vous avez eu la mauvaise année de 1848, il y a eu une diminution de produits. Je crois qu'on exagère l'effet de cette cause. On veut attribuer tout aux événements, on prétend qu'il y a eu de ce chef seul une diminution de recettes de 10 à 12 millions. Sur quoi repose ce calcul ? Sur les prévisions ; ce n'est pas une raison ; les prévisions, on les fait comme on veut. C'est sur les recettes réelles qu'il faut faire les comparaisons ; en agissant ainsi, vous trouvez une diminution, non de 12 millions, mais de 6 à 7 millions.

Prenez l'état de situation, vous trouvez qu'en 1847 les recettes ont été de 112 millions et en 1848 de 108 millions ; suivez la progression, me dit M. le ministre ; mais vous n'arriverez jamais à 12 millions ; du reste je ne m'arrête pas à ce détail, j'accepte votre chiffre ; en supposant la diminution des recettes de 12 millions, il reste encore 6 à 7 millions de déficit.

On peut demander d'où provient ce déficit qui n'est pas applicablc aux événements. Est-ce que les dépenses courantes ont été augmentées ? Loin de là, on a introduit des économies partout. Est-ce qu'on a fait des travaux publics pour une somme plus considérable que précédemment ? Loin de la encore, car à aucune époque ou n'a fait moins de travaux publics que pendant ces trois dernières années. Sont-ce des diminutions de produits qui se sont révélées par suite des changements apportes aux péages du canal de Charleroy, par suite de l'abolition du timbre des journaux, par suite de la réforme postale ? Mais ces diminutions de recettes sont compensées et au-delà par les augmentations de produits obtenues au moyen des lois sur les sucres, sur les céréales, etc. ? Serait-ce parce que les dépenses extraordinaires de 1848, autres que celles occasionnées par des travaux publics, ont été plus considérables qu'en temps ordinaire ? Non, encore, parce que la plupart d'entre elles ont été imputées sur les emprunts.

Il y a donc des causes étrangères qui, pendant ces trois dernières années, ont produit ce déficit de 6 à 7 millions. Ces causes ne sont autres que celles qui résultent de la situation telle qu'elle se trouvait établie à l'avénement du ministère actuel.

Lorsqu'on se livre à une discussion aussi importante que celle qui nous occupe en ce moment, il me semble qu'on devrait laisser de côté toute considération personnelle, toute préoccupation de partis ; et ne s'attacher, après avoir constaté la situation réelle sans aucune préoccupation, qu'à chercher les moyens de parvenir à la meilleure solution possible. Or, l'honorable M. Malou a reconnu lui-même, dans la séance du 2 mars 1847, qu'il fallait créer des produits nouveaux. Depuis lors, une foule de dépenses nouvelles ont dû être faites ; notre dette s'est accrue de plus d'un million, par suite des événements de 1848 ; toutes ces causes réunies font qu'il y a aujourd'hui une nécessite beaucoup plus grande encore qu'en 1847, de créer des produits nouveaux. Voyons, car c'est là le point important, à quelle somme ces produits devront s'élever ?

M. le ministre évalue le déficit de 2 1/2 à 3 millions, et il fait connaître la base qu'il a adoptée pour arriver a ce résultat. Il a constaté le déficit général, se répartissant sur les vingt exercices précédents, et il en a déduit une moyenne. Etait-ce la meilleure méthode à suivre ? Je ne le crois pas. M. le ministre me pardonnera de lui faire cette observation ; il est intéressé à accueillir toutes les rectifications raisonnables, alors surtout qu'elles doivent avoir pour résultat de renforcer la thèse qu’il est appelé à défendre. Du reste, M. le ministre a promis lui-même de nous livrer un travail établi sur une base différente. Je dis que la méthode que M. le ministre a suivie n'est pas bonne ; et voici mes raisons : Qu'avons-nous intérêt à connaître ? Ce n'est pas le déficit du passé, se rapportant à une époque plus ou moins éloignée, mais le déficit probable de la période dans laquelle nous allons entrer, si nous n'apportons pas des changements dans notre situation. Je reconnais que, pour arriver à la connaissance du déficit qui nous menace dans l'avenir, il faut nécessairement commencer par opérer sur le pssé, mais en ayant soin de s'attacher bien plus à la situation que nous venons seulement de quitter qu'à une situation déjà plus ou moins ancienne.

Je viens de vous rappeler comment M. le ministre a opéré.

La période qu’il a choisie est trop longue, elle aurait, dans tous les cas, dû être réduite de moitié ; il aurait fallu ne prendre que dix année, par la raison qu’en 1830 notre situation financière a été profondément altérée, par suite du traité conclu avec la Hollande. En effet, nous avons pu diminuer notablement les dépenses de notre armée ; et, d'un autre côté, nous avons perdu les ressources de deux demies de nos provinces. Mais même en ne remontant pas au-delà de dix ans, nous ne devons pas perdre de vue que les domaines vendus et les capitaux remboursés qui ont continué de figurer dans nos budgets comme recettes ordinaires, ont toujours été en diminuant ; et que, par contre, la dette, par suite de la construction de travaux d'utilité générale, a été sans cesse en augmentant, sans que cet accroissement de dépenses ait été compensé par un accroissement équivalent de recettes.

Il est constant que notre situation a été constamment en s'empirant ; ce qui le prouve, c’est que les années 1830 à 1840 se sont en général soldées par un boni ; tandis que les dernières se sont balancées par un mali.

J'en conclus que si M. le ministre avait opéré sur une période beaucoup moins longue, le résultat de ses calculs aurait été sensiblement changé.

Je crois qu'il aurait fallu suivre ce système-ci : opérer sur une période de 4 à 5 ans ; rectifier ensuite les résultats anormaux produits par des circonstances exceptionnelles, appliquer ce premier résultat obtenu à une période égale, applicable à l'avenir ; puis tenir compte des dépenses et recettes nouvelles qu'il est permis de prévoir et alors seulement établir une moyenne.

Je soumets cette idée à l'honorable M. Frère ; puisqu'il s'est engagé à faire un travail nouveau, je crois qu'il fera bien de suivre la méthode que je viens d'indiquer. Si je dois en croire quelques calculs auxquels je me suis livré, il arriverait ainsi à constater que le déficit réel sera non pas de 2 à 2 1/2 millions, mais de 3 à 3 1/2 millions ; il y aura donc une différence d'environ un demi-million.

Ainsi, d'après moi, il faudrait un accroissement de ressources de 3 à 3 1/2 millions pour combler rigoureusement le déficit ; mais alors remarquez-le bien, vous n'aurez aucun excédant ; vous n'aurez absolument rien pour opérer graduellement l'extinction de notre dette flottante ; vous n'aurez rien pour parer aux événements imprévus qui se présenteront sans doute encore.

L'honorable M. Frère nous disait, dans une autre circonstance, qu'un budget qui se clôt sans un excédant notable est un budget en déficit ; et il ajoutait qu'il fallait un excédant de trois millions.

D'après l'honorable M. Osy, il suffirait d'un excédant de 2 millions. Je crois que nous pourrions accepter cette dernière évaluation.

Je ne sais pas si l'honorable membre peut être classé au rang des adversaires du ministère actuel, mais personne ne songera sans doute, après avoir entendu les discours qu'il a prononcés depuis quelque temps, a le regarder comme un de ses chauds partisans. Son calcul ne saurait donc être tenu pour suspect, on peut en toute confiance adopter son appréciation.

Il faudrait ainsi ajouter 2 millions au chiffre minimum de 3 millions, cela ferait 5 millions.

Eh bien, je ne crois pas que pour combler le déficit, pour avoir un excédant raisonnable, suffisant, il faille aller jusqu'à 5 millions. Il suffit, selon moi, d'aller jusqu'à 4 millions. Etablissez nos budgets de manière à avoir des ressources nouvelles à concurrence de 4 millions, et vous aurez pourvu à toutes les éventualités, vous aurez même quelque chose de plus pour achever la série des travaux en voie d'exécution, pour persévérer modérément dans la voie où vous êtes entrés.

Il importe de le remarquer, messieurs, il faut tenir compte de l'accroissement continuel de nos ressources, des produits du pays : le pays s'enrichit continuellement, le produit des impôts augmente, et cet accroissement de richesse suffit pour faire la différence entre le chiffre que j'indique et celui qui résulte des calculs de l'honorable M. Osy.

Ces 4 millions, je ne veux pas les trouver dans des impôts nouveaux.

Je veux prendre quelque chose, un million au moins sur les péages du chemin de fer en ce qui concerne le transport des marchandises, de même que nous venons d'en obtenir 300,000 à 400,000 fr. sur le tarif des voyageurs. Mais il a été convenu que le choix des moyens serait réservé.

il faudrait donc 4 millions nouveaux. Mais le gouvernemmt ne se contente pas de ce chiffre. Soyez-en bien assurés, dans quelques jours on vous dira : Il faut des ressources beaucoup plus grandes, parce que nous ne pouvons pas différer d'entreprendre certains travaux publics. Nous ne pouvons nous refuser à décréter des travaux qui ont été promis depuis longtemps aux populations.

Pour pouvoir apprécier la situation financière qu'on veut nous préparer dans son ensemble, on est ainsi amené forcément à dire quelques mots des travaux en projet.

Messieurs, il y a une justice à rendre à l'administration que nous avons devant nous : à aucune époque on n'a mis plus de circonspection à décréter de grands travaux d'utilité publique. Je croyais pouvoir en adresser mes félicitations au gouvernement, parce que je crois qu'il a pris réellement la position qu'il doit adopter. Il est temps de ralentir notre marche ; la série de travaux que nous avons exécutes est déjà assez belle, la jeune Belgique peut l'étaler avec orgueil aux yeux de l'étranger ; vous en avez la liste sous les yeux. Pour ne citer que les plus importants, pendant un espace de 20 ans nous avons couvert le pays d'un vaste réseau de chemins de fer. Indépendamment de toutes les routes que nous avons établies au moyen de l'excédant du produit des barrières, nous avons consacré à la construction de routes nouvelles un capital de 8 millions.

Comme on croyait alors qu'il était impossible de faire pénétrer le chemin de fer dans le Luxembourg, on a voulu accorder une compensation à cette province déshéritée et l'on a accordé 2 millions extraordinaires spécialement au Luxembourg pour y construire des routes.

On a relié l'Escaut à la Meuse au moyen d'un canal traversant deux de nos provinces et destiné à fertiliser une grande partie de nos landes stériles. On a fait un embranchement qui prolonge ce canal jusqu'au centre de l'arrondissement de Turnhout.

On a acquis deux voies fluviales très importantes, la Sambre canalisée et le canal de Charleroy.

On a pourvu au déversement des eaux des Flandres au moyen d'un canal qui s'étendra depuis Gand jusqu'à la mer du Nord, le canal de Zelzaete.

On a pourvu au déversement des eaux du haut Escaut au moyen de la construction du canal de Deynze à Schipdonck.

On a achevé la construction de l'entrepôt de notre métropole commerciale, de l'entrepôt d'Anvers.

Messieurs, quand on a fait toutes ces choses dans l'espace de vingt années, je vous le demande, le moment est-il bien choisi pour vous lancer dans de nouvelles entreprises, pour commencer une nouvelle série de travaux vastes et chanceux ?

Messieurs, je regrette que le ministère veuille changer de position. Celle qu'il avait choisie était décidément la meilleure. Je croyais qu'instruit par les événements de 1848 il s'était fait ce raisonnement-ci : La marche des travaux publics doit être ralentie ; on a été trop vite ; on a, non pas construit trop de travaux publics, mais on les a achevés dans un espace trop court, arrêtons-nous un peu. Il faut maintenant songer aux travaux de moindre importance, notamment à la voirie vicinale.

Il faut développer le défrichement de nos landes par le système des irrigations. Il faut assainir les quartiers populeux de nos villes.

Voilà des travaux très modestes, mais qui n'en sont pas moins d'une utilité réelle, et au moins aussi grande que celle de grands travaux, car ils profitent essentiellement aux classes souffrantes de la société ; ils profitent aux travailleurs agricoles et aux travailleurs des villes, tandis que les grands travaux de communication, quoique utiles à tout le monde, profitent cependant surtout au commerce et à l'industrie. Ne pouvant faire tout à la fois, occupons-nous maintenant des classes de la société qui ont obtenu le moins jusqu'à présent. Plus tard, nous penserons de nouveau aux autres.

Cette position que le ministère avait prise était la bonne, et cependant ce n'est pas celle qu'il veut conserver ; il veut opérer un changement de front complet. Quel est le motif qui peut le guider pour passer ainsi d'une sagesse méritoire à une grande témérité ? Ce motif, je crois le deviner. Il y a d'abord dans la conduite du ministère un peu de tactique. Il a besoin d'impôts nouveaux ; il croit que s'il n'offre pas quelques compensations, quelques améliorations à droite et à gauche, il n'obtiendra pas ses impôts. Il faut donc bien présenter le pour et le contre ; les travaux seront le passeport du budget des voies et moyens.

Voilà le raisonnement que s'est fait l'honorable M. Frère. Je crois qu'il se trompe quant à l'effet qu'il en attend ; mais enfin je pense que c'est là son calcul.

Mais indépendamment de cette raison, il y en a une deuxième et il l'a indiquée lui-même ; c'est qu'il faut travailler en vue des éventualités de 1852.

Voilà ce que nous a fait entendre l'honorable ministre des finances, dans une des dernières séances.

« Nous sommes en présence des éventualités de 1852 ; préparons sur tout le pays des éléments de travail. »

Messieurs, si un pareil raisonnement pouvait être admis, il n'y a pas d'époque où on ne pût invoquer une circonstance ou l'autre pour aider de la sorte au développement du travail national.

Bien certainement jamais nous ne nous sommes trouvés dans une situation plus calme, plus normale que dans ce moment.

Ce n'est pas, me dit l'honorable ministre, ce qui est ; c'est ce qui doit se présenter l'année prochaine, qu'il faut envisager.

Messieurs, qu'a-t-on dit dans d'autres temps ? En 1846 il y avait une crise agricole, il fallait maintenir le travail. De ce chef on nous a fait voter 500,000 fr.

En 1847, il fallait penser à la misère des Flandres ; les Flandres étaient souffrantes ; il y avait d'ailleurs encore crise commerciale, crise agricole ; nous avons voté 1,300,000 fr., toujours en vue du travail national.

En 1848, vous savez quelles raisons existaient alors. Cette fois, je ne le conteste pas, il existait bien certainement des circonstances exceptionnelles, nous avons voté des crédits très considérables et nous avons bien fait.

En 1849, il fallait, disait-on, maintenir le travail parce qu'il y avait continuation de crise. Nous avons encore voté un million à répartir sur deux années.

Voici 1851 ; ce n'est pas la continuation de la crise qu'il faut examiner ; c'est la perspective d'une crise nouvelle.

Vous voyez bien, messieurs, que de cette manière les raisons abonderont toujours.

Est-ce bien, messieurs, la crise de 1852 qu'on pent invoquer pour nous déterminer à nous lancer dans de nouvelles entreprises, à nous mettre dans la nécessité de dépenser annuellement des sommes d'une grande importance ? Messieurs, le fantôme de 1852, je ne l'invoquerai pas devant vous ; je craindrais de le présenter sous un aspect trop repoussant ; cependant chacun doit reconnaître que cette date jette une grande inquiétude dans tous les esprits ; tout le monde se demande ; Qu'arrivera-t-il en 1852 ?

Quelle est, messieurs, la leçon que nous devons en tirer ? C'est qu'il est de la plus grand importance de nous mettre dans une bonne situation financière, de garder les écus en caisse, de ne nous lancer dans aucune dépense qui puisse enchaîner l'avenir. Et cependant c'est le raisonnement tout opposé qu'on veut nous faire accepter ; c'est parce que l'année prochaine nous aurons peut-être des dépenses imprévues considérables qu'on veut déjà nous faire décréter dès à présent des dépenses extraordinaires.

Rappelez-vous, messieurs, ce qui s'est passé en 1848 : en 1848, la tempête a passé à côté de nous, nous avons à peine été atteints, et cependant nous avons dû décréter deux emprunts forcés de l'énorme somme de 37 millions. Ce sont 37 millions que nous avons dû demander à la nation, et vous savez quelles difficultés ils ont coûté. Cependant à quoi ont servi ces 37 millions ? A sauver d'abord la nation du déshonneur, en pourvoyant au remboursement de ses bons du trésor, puis à faire quelques dépenses extraordinaires, mais modestes, que les circonstances commandaient. Après cela, il ne nous est plus rien resté pour l'imprévu.

Que serait-il arrivé, messieurs, si le danger avait augmenté, si l'orage était venu éclater également sur nous ? Aurions-nous pu demander une troisième fois un emprunt forcé ? C'eût été impossible. De ces 37 millions, il en est 16, c'esl-à-dire, près de la moitié qui ont été appliqués à l'extinction de la dette flottante. Cette dette flottante, d'où provenait-elle ? Elle provenait, en très grande partie, je le reconnais très volontiers, de ce que nous avions exécuté des travaux publics, travaux que nous avions faits trop rapidement sans avoir les ressources nécessaires pour couvrir la dépense, mais enfin, il ne faut pas craindre de le dire, elle provenait en grande partie des travaux publics exécutés pendant les vingt années précédentes. Or, la dette créée par ces travaux et qui était restée suspendue sur la tête de la nation, a été un des plus grands dangers de 1848.

En France que s'est-il passé ? En France il n'y a pas eu seulement une crise politique, mais il y a eu aussi et il y a encore une crise financière. Cette crise provient sans doute en partie des événements de 1848, mais elle provient peut-être plus encore de la situation du trésor à la veille de 1848. A cette époque, en France comme chez nous, la dette flottante était déjà fortement engagée dans les travaux publics ; alors déjà on avait disposé sur les budgets de 4 ou 5 exercices pour les travaux décrétés. Eh bien, la France a dû faire une espèce de banqueroute, elle n'a pas pu rembourser les dépôts faits à la caisse d'épargne.

Messieurs, la marche qu'on a suivie avant 1848 était mauvaise, vous l'avez dit avec raison ; on était dans une mauvaise voie : la dette flottante, provenant de travaux publics décrétés continuellement sans qu'on eût les ressources nécessaires pour couvrir la dépense, la dette flottante était beaucoup trop considérable. Eh bien, on veut nous placer dans la même voie, on veut de nouveau commencer certains travaux publics, qui nous placeraient encore dans la même situation ou nous étions en 1848 !

Mais, messieurs, ne vous y trompez pas, la situation serait bien plus dangereuse. La dette flottante était de 28 millions à la veille de février 1848, mais elle aurait été beaucoup plus forte si on n'avait pas eu à sa disposition des capitaux qu'on n'aurait plus à l'avenir.

L'accroissement de la dette flottante serait donc beaucoup plus considérable. Nous ne marcherions pas seulement vers le gouffre, nous y serions précipités.

Je parlais, messieurs, de l'espèce de tactique que j'attribuais à M. le ministre. Son calcul part d'un bon principe ; mais je crois qu'il doit aboutir à une illusion. Il désire exécuter quelques nouveaux travaux, mais il veut, avant tout, maintenir le trésor dans une bonne situation. Eh bien, il ne le pourrait pas ; du moment que les travaux publics seraient décrétés, vous verriez de toutes parts presser le gouvernement de les achever. On lui dirait : Il ne suffit pas de commencer les travaux ; il faut les terminer le plus tôt possible, afin qu'ils puissent produire l'utilité en vue de laquelle on les a décrétés. Vous avez entendu dans une dernière séance, à propos des inondations du haut Escaut, vous avez entendu un honorable représentant vous dire que tout cela provenait de ce que le canal de Schipdonck n'est pas achevé.

M. T’Kint de Naeyer. - C'est évident.

M. Cools. - Que cela provenait uniquement du non-achèvement du canal.

M. T’Kint de Naeyer. - Pas uniquement, mais en grande partie.

M. Cools. - Ainsi, messieurs, rien n'est obtenu pour le haut Escaut ; les inondations subsistent parce que le canal de Sehipdonek n'est pas achevé ; et cependant on a déjà dépensé près de trois millions pour les travaux de ce canal. La conclusion à tirer de tout cela, c'est que le gouvernement n'aurait pas marché assez vite. Quant à moi, je crois que l'honorable membre aurait dû se borner à constater la réalité des inondations, parce qu'il est impossible d'affirmer qu'elles cesseront quand le canal sera achevé : il s'agit de la dérivation d'un de nos cours d'eau, et vous savez que rien n'est plus chanceux que des entreprises de cette (page 1323) nature ; que ces réclamations fussent fondéesou non, elles démontrent toujours ceci, c'est que du moment que des travaux ont été commencés, on ne cesse pas d'exercer une pression pour les faire achever.

Du reste, messieurs, si le gouvernement n'est pas disposé à se lancer dans une voie identique à celle qui a été suivie avant 1848, il faut qu'il calme nos inquiétudes. Ce que je désire, c'est qu'avant de voter des impôts nouveaux, nous sachions bien positivement que le produit de ces impôts servira à améliorer la situition financière, a maintenir le trésor dans une bonne voie et que les travaux qui seront décrétés plus tard ne pourront jamais apporter aucun préjudice à l'état financier que nous aurons créé.

Voilà pourquoi, messieurs, avant que la discussion n'arrive à son terme, je prierai M. le ministre de répondre aux deux questions que je vais lui poser. Je ne lui demande pas d'y répondre immédiatement, mais j'espère qu'il voudra bien le faire dans le cours de la discussion.

Les réponses que j'obtiendrai me serviront de règle de conduite. Je veux être assuré qu'on ne sacrifiera pas le connu à l'inconnu. Si les réponses qu'on me donnera ne sont pas rassurantes à tous égards, je ne refuserai pas pour cela de voter quelques produits nouveaux, parce que je mets tout ministère quelconque au défi d'entreprendre des travaux sur une échelle un peu étendue, aussi longtemps que notre situation ne sera pas sensiblement améliorée ; mais bien certainement je n'irai pas jusqu'au chiffre que je regarde comme nécessaire pour nous faire une situation pleinement rassurante, car si je contribuais à créer cette situation, avant d'être rassuré sur la marche qu'on se propose de suivre au sujet des projets qu'on a en vue, je craindrais devoir cette situation disparaître le lendemain du jour où elle aurait été établie.

Voici les questions que je pose au ministère :

Admettez-vous que pour rétablir l'équilibre dans nos finances, pour avoir en outre un léger excédant dans la perspective de circonstances imprévues et dans le but de continuer modérément les travaux publics en voie d'exécution, il soit nécessaire de se créer pour 4 millions de ressources nouvelles ?

Vous engagez-vous à ne pas présenter ou du moins à ne pas laisser discuter des projets de travaux nouveaux avant que ce chiffre ne soit atteint ?

(page 1325) M. Delfosse. - Messieurs, l'honorable ministre des finances, tout en nous annonçant que le gouvernement poursuivra, dans le cours de cette session, un double but : le rétablissement de l'équilibre financier et l'exécution de grands travaux d'utilité publique, ne réclame en ce moment qu'une partie des ressources dont il croit avoir besoin pour atteindre le premier but ; il ne nous demande rien, absolument rien pour l'exécution de travaux publics. L'honorable M. Malou, M. le ministre des finances l'a fait remarquer avec raison, aurait donc pu se dispenser de nous entretenir, et de la dérivation de la Meuse et du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost ; l'honorable M. Cools aurait pu, par le même motif, ajourner la dernière partie de son discours. Chaque chose doit venir à son temps ; c'est pourquoi j'attendrai, pour répondre sur ce point à l'honorable M. Malou et à l'honorable M. Cools, que les projets de loi qu'ils ont combattus par anticipation, et sans les connaître, soient soumis à notre examen.

Je ne m'occuperai aujourd'hui que de la situation financière, et je serai très court : après les discours si lucides, si nourris de M. le ministre dés finances, il reste peu de chose à dire.

Quel est, messieurs, le meilleur gouvernement, en matière de finances ? C'est celui qui ne fait que des dépenses nécessaires ou utiles, et qui, pour y faire face, trouve des ressources suffisantes, en froissant le moins possible les contribuables. Le gouvernement le plus détestable, au contraire, est celui qui fait des dépenses improductives, stériles, et qui ne sait pas même les couvrir. Ce dernier gouvernement, nous l'avons eu jusqu'au mois d'août 1847.

Oui, messieurs, l'ancienne politique que l'honorable M. Malou glorifie constamment dans cette enceinte, alors qu'il devrait demander pardon du mal qu'elle a fait et de la part qu'il y a prise, l'ancienne politique a créé et laissé subsister des dépenses improductives et stériles, et elle n'a pas su les couvrir.

Qu'elle ait fait des dépenses de cette nature, c'est ce qu'il est facile de prouver ; c'est ce qui résulte à l'évidence des économies annuelles et permanentes que le ministère actuel a opérées sur les dépenses ordinaires du budget.

Je me rappelle que je disais un jour dans cette enceinte, l'honorable M. Malou était alors ministre des finances, qu'on pourrait, sans inconvénient, réduire le budget des finances de plusieurs centaines de mille francs ; l'honorable M. Malou qui réclamait, au contraire, une augmentation, se contenta de hausser les épaules. Eh bien, ce même budget auquel l'honorable M. Malou refusait de toucher, a été, à la suite d'une enquête administrative, faite avec le plus grand soin, jugé par le gouvernement et les chambres, susceptible de fortes réductions, de réductions allant au-delà de celles que j'avais indiquées.

Les autres budgets ont aussi été réduits, pas autant que je l'aurais voulu, mais enfin ils l'ont été notablement. Les réductions annuelles et permanentes, opérées par le ministère actuel, avec le concours des chambres sur les dépenses ordinaires, se sont élevées (je prends le chiffre de M. le ministre des finances) à 3,360,000 fr.

Si l'ancienne administration, au lieu d'augmenter constamment les dépenses permanentes, était entrée aussi résolument que l'honorable M. Frère dans la voie des économies, que de millions épargnés en 20 années ! Au lieu d'un déficit considérable, nous aurions très probablement un boni.

Quel est le déficit ? D'après les comptes de l'Etat, réglés par la loi pour la période de 1830 à 1843, et à soumettre aux chambres pour la période de 1844 à 1847, le déficit est à peu près de 43 millions de francs.

Ajoutez à cela que les exercices 1848 à 1850 sont grevés de crédits extraordinaires, dérivant de faits posés par l'ancienne administration, et d'autres crédits extraordinaires, transférés des exercices antérieurs, sans recette correspondante pour y faire face. Ces crédits extraordinaires, imputables à l'ancienne administration, sont à peu près de 14 millions et demi.

Il est en outre certain que l'exercice 1851 sera aussi grevé de crédits extraordinaires imputables à l'ancienne administration. C'est ainsi qu'on est venu dernièrement nous demander un crédit supplémentaire de 467,000 fr. pour régularisation des avances faites en 1839 à la Banque de l'Industrie à Anvers. Il y aura encore d'autres crédits de ce genre, j'en suis convaincu.

Alors même que l'on restituerait à la période de 1830 à 1847, comme le demande l'honorable M. Malou, les 10 millions qu'on a retirés du 4 et du 2 1/2 p. c, le déficit réel, laissé par l'ancienne administration, serait encore au moins tel qu'il est indiqué par les comptes, c'est-à-dire de 43 millions.

Et remarquez bien que la vente du 4 et du 2 1/2 p. c, dont l'honorable M. Malou a parlé comme d'un avantage transféré à l'administration actuelle par l'ancienne administration, n'a changé en rien l'état de nos finances. Si nous avons, par suite de cette vente, touché le capital, nous avons perdu, d'un autre côté, les intérêts qui figuraient, comme ressource, au budget des voies et moyens.

Cette opération a été très utile, en ce qu'elle a diminué les embarras de la dette flottante, mais un emprunt nous aurait rendu absolument le même service ; c'est dans ce sens qu'on a dit avec raison en 1847, en réponse à m. Malou, que les valeurs 4 p. c. n'étaient que des chiffons de papier ; négocier ces valeurs ou contracter un emprunt, c'était en effet la même chose.

En 1847, M. Malou prétendait que le déficit de 1830 à 1847, qui s'élève aujourd'hui à 43 millions, n'était que de 22 millions ; encore le réduisait-il à 9 millions en tenant compte de l'emploi des valeurs 4 p. c. M. Malou appuyait ses calculs sur l'exposé de la situation du trésor présenté par M. Veydt, peu de jours après son entrée aux affaires.

Je fis remarquer qu'il y avait dans ce document une lacune importante, et je soutins que le déficit serait, non de 22, mais au moins de 35 millims. Les événements, messieurs, m'ont donné complètement raison.

Le déficit dépasse non seulement l'évaluation de M. Malou, mais aussi la mienne. Les événements ont prouvé que j'avais même été trop indulgent dans l'appréciation de la gestion financière de M. Malou et de ses amis politiques.

Ce résultat est d'autant plus fâcheux pour l'ancienne administration qu'elle a pu disposer de valeurs considérables provenant du traité de paix avec la Hollande et qu'elle a obtenu en quelques années, soit par suite de l'accroissement des affaires et des bases imposables, soit par la création de charges nouvelles, une augmentation de recettes de plus de 26 millions.

M. Malou parle des parties d'emprunt amorties sous l'ancienne administration ; mais l'ancienne administration a constamment emprunté plus qu'elle n'a amorti.

Je n'ai cessé, dès mon entrée dans cette chambre, d'avertir les anciens ministres de leur imprévoyance, des dangers qu'ils préparaient au pays ; je les ai conjurés souvent de réduire, comme l'honorable M. Frère l'a fait depuis, les dépenses improductives, stériles ; mais mes efforts ontété vains, mes paroles n'ont pas été écoutées ; non seulement M. Malou résistait aux conseils, aux avertissements qui lui étaient donnés ; non seulement il ne cherchait pas à consolider la dette flottante, il aggravait au contraire les dangers de la situation par une imprudence, par une faute qui devait créer plus tard au gouvernement de sérieuses difficultés ; l'honorable M. Malou déclarait que les bons du trésor seraient acceptés dans les caisses publiques en payement des impôts. Il privait ainsi l'Etat du bénéfice du terme et l'exposait à recevoir, dans les temps de crise, du papier sans valeur au lieu d'argent. Cette mesure a failli, messieurs, nous être fatale.

Quand on a commis de telles fautes, quand on est tombé dans de telles erreurs, un peu plus de modestie ne siérait pas mal. On devrait surtout être plus indulgent pour le successeur auquel on a légué tous ces embarras. On devrait l'aider à en sortir.

Car, enfin, si vous aviez réduit les dépenses permanentes, si vous n'aviez pas laissé de découvert, M. le ministre des finances ne serait pas dans la dure nécessité de demander des millions dans l'unique but de rétablir l'équilibre financier ; il n'aurait à en demander et dans ce cas il les obtiendrait plus facilement, que pour l'exécution de travaux publics qui contribueraient puissamment à la prospérité du pays.

Ces millions qu'on nous demande pour rétablir l'équilibre financier, les accorderons-nous ?

Messieurs, le déficit est un grand mal. Tout le monde en convient, tout le monde le redoute, et je ne connais que deux moyens de le faire cesser : ou des réductions de dépenses ou de nouveaux impôts.

Le minisière actuel a réduit notablement les dépenses permanentes ; j'aurais voulu que les réductions fussent encore poussées plus loin ; j'ai fait des efforts, j'ai soumis à la chambre des propositions dans ce but ; j'ai quelquefois réussi, plus souvent échoué ; mais ce que je n'ai pu obtenir en 1848 et 1849, à des époques où il y avait une forte tendance aux économies, me serait à plus forte raison refusé aujourd'hui. A part le budget de la guerre, qui est une question réservée, et sur lequel le minisière a opère cette année une réduction de 400,000 francs et soutenu courageusement une lutte dont je lui sais gré, les budgets ne paraissent plus, dans l'opinion de la chambre, susceptibles de réductions quelque peu considérables.

Nous sommes donc dans la position ou de devoir voter des ressources nouvelles ou de laisser subsister un déficit qui, d'après l'expérience du passé, irait toujours croissant. Nous n'avons de choix qu'entre deux maux : un mal actuel ou un mal moins prochain, mais plus menaçant.

Si nous sommes réduits à une alternative aussi fâcheuse, la responsabilité, messieurs, n'en est pas à l'administration actuelle, elle a fait, il faut en convenir, beaucoup pour atténuer le déficit ; c'est une raison pour que nous examinions avec bienveillance les projets que M. le ministre des finances nous présente, alors surtout qu'il rencontre pour adversaires ceux dont il travaille à réparer les fautes.

Inutile de dire que notre bienveidance ne sera jamais servile. Nous n'avons rien à demander au gouvernement, rien à en attendre, nos votes comme nos paroles ne seront dictés que par les inspirations de notre conscience.

(page 1323) M. Malou (pour une motion d’ordre). - Je demanderai à M. le ministre des finances de vouloir bien produire, pour la prochaine séance, le détail des 14 millions de crédits qui seraient imputables sur 1848 et 1849 et se rapporteraient à l'ancienne administration. (Interruption.) Je vais préciser le fait.

« Pour acquitter les engagements contractés, disait M. le ministre des finances, en expliquant le deficit postérieur à 1848 (p. 1311 des annales parlementaires), il a fallu voter des crédits pour environ 14 millions, somme qui peut figurer très légitimement au passif de l'ancienne administration, car il n'y avait pas de recettes correspondantes pour y faire face. »

Je demande les éléments de ce chiffre de 14 millions que l'honorable M. Delfosse vient encore de rappeler tout à l'heure ; je ne les ai trouvés nulle part.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous aurez ces éléments.

M. David. - Messieurs, j'admets avec M. le ministre des finances que pendant les dernières années les dépenses ordinaires et extraordinaires ont dépassé nos voies et moyens de 2 1/2 à 3 millions ; je veux bien même prendre le chiffre le plus élevé, celui de 3 millions, comme l'évaluation du déficit normal de nos budgets.

Sans examiner si ces déficits ont eu pour cause des dépenses indispensables, je m'efforcerai de rechercher les moyens de les couvrir sans recourir à de nouveaux impôts ; la tâche ne me paraît pas impossible.

Deux moyens de niveler ces déficits existent ils sont de nature différente, mais peuvent et doivent être employés simultanément. Réaliser des économies et améliorer les sources des revenus actuels sont des remèdes efficaces et très réalisables qu'il est du devoir du gouvernement d'appliquer avant de penser à charger le pays de contributions nouvelles.

Je m'occuperai d'abord du chapitre des économies ; car faire des économies dans ses dépenses est, d'après moi, le mode le plus rationnel de ramener celles-ci au niveau de ses revenus, c'est le mode que le pays nous convie d'adopter avant tout autre.

Dans mon travail, messieurs, je n'indiquerai que des économies contre lesquelles MM. les ministres ne pourront récriminer ; elles seront restreintes et n'atteindront pas le chiffre auquel je crois néanmoins possible, nécessaire même de les porter dans un avenir prochain.

Le département de la justice a préparé, par des lois diverses, la voie aux économies réalisables avec l'organisation actuelle ; plusieurs d'entre elles sont accomplies, voici celles qui seront la conséquence de ces mêmes lois ; elles concernent le personnel en disponibilité :

Administration centrale, n° 2. Fonctionnaires, employés et gens de service (extraordinaire), fr. 12,400.

Ordre judiciaire. Personnel. Cour de cassation, fr. 5,500.

Cour d’appel, fr. 69,000.

Tribunaux de première instance et de commerce : fr. 13,040.

Justices de paix, fr. 3,349.

Cour militaire, fr. 6,100.

Auditeurs militaires, fr. 212.

Exécuteurs des hautes-œuvres, fr. 22,815.

Total : fr. 162,416.

Cette somme, messieurs, est destinée à disparaître entièrement du budget dans un avenir assez rapproché.

Le département de la justice mérite des éloges pour les résultats favorables à nos finances, qu'il a su courageusement poursuivre et atteindre. La colonne des dépenses extraordinaires et temporaires de ce budget porte encore un chiffre de 900,000 fr., dont une partie ne se représentera peut-être plus dans l'avenir.

Le budget des affaires étrangères, arrêté au chiffre de 2,108,738 fr. 54 c, est un budget à peu près normal, on ne saurait faire que peu de réductions sur l'allocalion de 364,000 fr. pour la diplomatie. Bientôt cependant viendra à disparaître la somme de 20,000 fr. pour primes de construction de navires. M. le ministre a fait de louables efforts pour réduire le budget de son département.

Plusieurs réductions ont eu lieu sur le budget des finances. M. le ministre a commencé une tâche que j'espère lui voir continuer et dont je lui fais compliment. Le personnel inférieur de son département a été diminué ; il étudie, j'espère, la question de savoir s'il pourra en être de même du personnel supérieur.

Sous peu les traitements des disponibilité résultant de la dernière réorganisation auront complètement disparu ; c'est une somme de 115,000 francs qui ne sera plus reproduite dans nos budget.

Un chiffre qui, d'après moi, messieurs, pourrait être réduit très prochainement est celui de l'allocation de 4,003,550 pour solder la douane. Un quart de cette somme, soit un million, pourrait avant deux années être biffée du budget ; le moyen est simple, c'est le système commercial du gouvernement lui-même qui nous l'indique.

Quelques rares marchandises trop fortement imposées à l'entrée du pays, telles que tricots et tissus de coton, nappages, toiles, fils, soieries, fournissent les seuls éléments de la fraude actuelle ; tous les colis enlevés aux fraudeurs contiennent presque exclusivement de ces étoffes ; pour le reste, le commerce étranger paye des droits moindres au fisc belge que la prime de contrebande et il acquitte les droits. C'est pour entraver l'introduction de ces quelques produits que nous devons entretenir une armée de préposés sur trois lignes à notre frontière ; que M. le ministre des finances, commençant à exécuter son plan d'économie commerciale, vienne dans cette session encore nous proposer de fortes réductions sur notre tarif des douanes, le fisc et les fabricants indigènes y trouveront leur compte ; les masses de marchandises qui échappent aujourd'hui complètement aux droits d'entrée, seront déclarées et acquittées à nos bureaux frontières, elles feront une concurrence moins redoutable à l'industrie du pays et le nombre des douaniers pourra être considérablement réduit.

Lorsque les soieries payaient des droits exagérés, 99 pièces sur 100 étaient introduites en fraude ; mais aussitôt le tarif diminué, elles ont commencé à donner quelques produits au trésor.

Un second moyen de réduire le personnel de la douane, au moins le long de la frontière prussienne, c'est de ne plus s'engager, lorsque la convention douanière de 1846 avec la Prusse sera renouvelée, à surveiller la frontière prussienne en même temps que la nôtre. Nos préposés, messieurs, font si parfaitement le service pour nos voisins, que la Prusse a complètement dégarni de douaniers sa frontière vers notre pays.

En simplifiant les rouages administratifs, comme l'a très bien démontré M. Jacques, et en augmentant la compétence des commissaires d'arrondissement et des députations permanentes, des économies très notables pourraient être réalisées sur le budget de l'intérieur ; je n'en fixerai pas le chiffre, messieurs, et me bornerai à dire qu'une somme de fr. 200,000 serait facilement soustraites des allocations pour le haras de l’Etat et l’école vétérinaire. En supprimant cette école, vous auriez en outre une belle somme à encaisser par le produit de la vente de l’établissement de Cureghem.

Le budget des travaux publics absorbe une forte part des ressources du trésor ; à plusieurs reprises on s'est plaint dans cette enceinte de l'exubérance de personnel de cette administration ; que M. le minisire examine de nouveau la question d'une réorganisation générale, économique, et qu'il s'efforce de réduire le nombre des fonctionnaires de son département, qu'il les stimule pur une forte prime à l'aider à rechercher tous les moyens d'arriver à ce but.

En suivant cette marche, messieurs, il est évident qu'une organisation plus économique se fera jour ; et peu d’années d’extinction, de mises à la retraite, eyx., suffiront pour amener de notables réductions du chef du personnel sans entraver les services.

La dépense pour le personnel est évaluée au budget de 1852 à 7,669,792 fr. 81, qui sans nuite à aucun service serait facilement réduite, je pense, de 5 p. c. par suppression successives d’emplois, soit une somme de 353,489 fr. 65 c.

(page 1324) Le luxe extraordinaire et inutile déployé dans tous les travaux d'art de nos routes, canaux et chemins de fer par le département des travaux publics, entraîne chaque année, messieurs, un surcroît de dépense, qui peut et doit être évité à l'avenir ; la solidité et une élégance simple suffisent à la construction de voies de communication, exclusivement destinées au développement de l'agriculture, de l'industrie et du commerce ; toute dépense de luxe, que doivent payer ers branches de la richesse nationale, sous forme d'augmentation de frais de transport, constitue une véritable entrave, une perte réelle pour elles.

En temps ordinaires, messieurs, alors que de très grands travaux publics ne sont point en voie d'exécution, ce n'est pas exagérer, je pense, que d'estimer l'économie à faire annuellement à fr. 200,000.

Le ministère actuel nous a promis de réduire en trois années le budget de la guerre de 2 millions de francs. Quoique cette réduction ne me paraisse pas assez large, encore suffit-elle aujourd'hui à ma démonstration ; c'est une somme annuelle de 670,000 à défalquer immédiatement des trois budgets qui vont se suivre, jusqu'à ce que, dès la quatrième année, l'économie totale vienne parfaire les deux tiers de l'insuffisance accusée par M. le ministre des finances.

D'après ce qui précède, messieurs, les divers budgets présentent les réductions immédiates suivantes :

La justice, 102,410

Affaires étrangères, 20,00 0

Finances, 115,000

Intérieur, 200,000

Travaux publics, 553,489 60

Guerre, 670,000

Total 1,720,905 60.

En déduisant cette somme de l'insuffisance actuelle de 3 millions, il restera à combler une différence de 1,280,000 fr., qu'il est facile de faire sortir et au-delà des impôts existants et de quelques améliorations à introduire dans certaines branches de nos institutions.

La contribution personnelle doit donner, d'après le budget des voies et moyens pour 1852, 9,240,000 fr ; par des mesures administratives, il est possible de faire rendre à est impôt 2 p. c. de plus, soit une somme annuelle de 184,800 fr.

Un tarif de transport des marchandises par chemin de fer, qui abaissera considérablement la tarification des petites marchandises, qui diminuera le transport des autres et stipulera des conditions de régularité, de promptitude et de précision pour les transports et délivrance des objets donnera une augmentation de recette d'au moins 1,000,000 fr.

Que le transit du sel brut soit autorisé par chemin de fer, et vous verrez augmenter les recettes du pilotage, tonnage, entreposage, etc, de la douane et des chemins de fer dans une forte proportion, que j'estime bien bas en l'évaluant à 300,000 fr.

Que l'on réduise les droits d'entrée sur les tabacs en feuilles d'un quart, immédiatement la fabrication, la consommation et l'exportation augmenteront de manière à procurer de nouvelles ressources au trésor, fixées bien bas en disant 50,000 fr.

Ces seuls moyens, messieurs, donnent déjà une augmentation certaine de recette de 1,434,800 fr., somme supérieure à la différence de 1,280,000 fr., signalée plus haut.

De notables abaissements de tarifs sur les étoffes que j'ai citées plus haut, donneraient lieu à la perception de droits d'entrée qui aujourd'hui échappent complètement, entièrement au fisc, par la fraude et notre armée douanière, forte de 4,549 hommes de tous grades, à partir du préposé jusqu'au lieutenant, coûtant 4,003,550 francs, pourrait être réduit du quart.

Les forêts de l’Etat peuvent être hardiment évaluées à 80 millions de francs.

Leur produit, d'après le budget des voies et moyens, est de 1,100,000 francs recette brute.

En déduisant 30,000 fr. pour les frais de l'administration centrale, 10,000 fr. pour les avocats et les tribunaux. 241,900 fr. pour les traitements des agents forestiers. 3,000 fr. pour la cotisation aux rôles des chemins vicinaux. 3,000 fr. pour les arpentages. 43,000 fr. pour la culture, les routes et améliorations, 10,000 fr. pour le matériel ; ensemble 340,900 francs, il vous restera 759,100 francs.

La contribution foncière que devraient acquitter les forêts et qui est classée dans les non-valeurs, par conséquent, perdue pour le trésor public, équivaut à 12 centimes à peu près, ce qui fait sur 1,100,000 francs une nouvelle somme de 132,000 francs, à déduire, de manière qu'il ne reste que 627,100 francs de revenu net.

Si ces forêts étaient vendues, immédiatement la contribution foncière en rentrerait dans les caisses de l'Etat, les droits de mutation, de succession, etc., augmenteraient fortement les ressources du trésor, et une administration qui coûte 340,910 francs, disparaîtrait par le jeu naturel des extinctions, mises à la retraite ou par l'occupation d'autres fonctions.

Au moyen du produit de ces ventes, une partie de la dette flottante serait amortie, 15 millions, par exemple, et le reste servirait à l'exécution de travaux publics.

Si le gouvernement ne peut réussir à trouver acheteur aux estimations actuelles des forêts, qu'il les réduise, qu'il vende par plus petites parcelles, au lieu de procéder par lots de grande valeur, hors de portée avec les moyens financiers du plus grand nombre.

Si on ne peut vendre, même à ces dernières conditions, le moyen vous paraîtra original, qu'on donne, sous certaines conditions d'aménagement, les forêts aux mille plus vieux célibataires des deux sexes de la Belgique ; les droits de succession, de mutation et les contributions vous donneront plus du double du revenu actuel.

Le relevé des produits indirects, présenté au Moniteur du 17 avril dernier, pour le premier trimestre de 1851, nous indique une augmentation de recette de 1,361,614 fr. 33 c. sur les trois mois correspondants de 1850, ce qui nous promet une augmentation totale pour l'année courante de 5,446,459 fr. 72 c. Cette amélioration des ressources indirectes ne peut que se maintenir d'après la marche naturelle de l'augmentation de population et du développement de l'industrie, du commerce et de l'agriculture. Chaque année, cette branche de revenus publics augmentera ainsi les ressources de l'Etat.

J'ai prouvé, je pense, messieurs, que de nouveaux impôts ne sont point nécessaires pour équilibrer nos budgets des dépenses et des recettes ; j'ai prouvé aussi que le découvert général de 25,000,000 peut être comblé sans recourir à l'établissement de nouvelles charges, et je n'en voterai donc point.

En ce qui concerne les travaux publics projetés, je ne les approuverai que dans le cas où les dépenses à en résulter seraient couvertes par l'emprunt ou le papier-monnaie ; et dans celui où le gouverncment, pour ceux d'entre eux productifs de revenus, se borne à garantir un minimum d'intérêt. Ce n'est point par l'impôt, rentrant lentement par petites portions, que l'on peut exécuter des travaux publics ; ils nécessitent de fortes avances à certains moments donnés que l'impôt ne peut fournir. D'un autre côté, les travaux achevés, les impôts restent inscrits dans la législation et donnent au gouvernement de nouveaux moyens d'augmenter toujours les dépenses publiques.

Depuis que j'ai l'honneur de siéger parmi vous, messieurs, toujours j'ai combattu les dépenses qui me paraissaient exagérées ou d'une utilité contestable, je puis donc aujourd'hui m'opposer aux augmentations d'impôts.

- La séance est levée à 3 heures trois quarts.