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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 23 août 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 2037) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à midi et un quart.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Brisco réclame l'intervention de la chambre pour qu'il soit donné suite à sa demande tendant à passer une visite médicale pour statuer s'il y a lieu de le renvoyer du service militaire ou de l'admettte de nouveau à son corps. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le conseil communal de Flostoy déclare adhérer à la pétition des habitants de Ciney, qui demandent l'adoption du tracé du chemin de fer du Luxembourg proposé par la section centrale. »

« Mêmes adhésions des conseils communaux de Porcheresse, Maille, Hamois, Sovet, Braibant, Pessaux, Leignon, Havelange, Schaltin, Emptinne et Mohiville. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à l'exécution de travaux publics.

Projet de loi exonérant des droits d’enregistrement certaines opérations de la Banque de Belgique

Rapport de la section centrale

M. Moreau dépose le rapport de la section centrale sur le projet de loi portant exemption des droits d'enregistrement et d'hypothèque en faveur de certains actes concernant la Banque de Belgique.

M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distribué. Nous le mettrons à la suite des objets à l'ordre du jour.

M. Delfosse. - Cet objet peut donner lieu à une discussion assez longue et il n'a rien d'urgent. Je demanderai qu'on ne le discute qu'à la prochaine session.

- Cette proposition est adoptée.

Rapport sur des pétitions

M. Loos. - Messieurs, la section centrale du projet de loi de travaux publics m'a chargé de vous faire rapport sur diverses pétitions que vous lui avez renvoyées.

« Par diverses pétitions, le conseil communal de Dampremy et plusieurs habitants de cette localité, de Charleroy, et de Marchienne-au-Pont demandent que le canal de Charleroy soit élargi de la troisième écluse jusqu'à la Sambre, au lieu de faire opérer sur ce point le redressement projeté. »

Les pétitionnaires invoquent des droits acquis, les pertes considérables que la rectification leur ferait éprouver et finalement l'économie qu'il y aurait à élargir plutôt qu'à créer un lit nouveau.

Les plans concernant ces travaux n'étant pas définitivement adoptés, la section centrale vous propose, messieurs, le renvoi des diverses pétitions à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


« Le conseil communal d'Eecloo prie la chambre de comprendre dans le projet de loi de travaux publics, l'exécution, soit aux frais de l'Etat, soit par une compagnie concessionnaire, d'un embranchement du chemin de fer reliant la ville d'Eecloo et les communes de Waerschoot, Somergem, Sleydinge, Lovendegem et autres au réseau de l'Etat. »

La section centrale ne peut méconnaître que la ville d'Eecloo a droit d'être reliée aux chemins de fer au même titre que les autres chefs-lieux d'arrondissement.

Le conseil communal prétend que l'embranchement qu'il sollicite présente toutes les garanties d'une exploitation avantageuse, sous le rapport des produits.

S'il en est réellement ainsi, et l'on peut admettre cette allégation, puisqu'il paraît qu'en 1845, une demande en concession avait été produite, on ne peut douter qu'avec une garantie de minimum d'intérêt, il y aurait des chances de voir cet embranchement se construire par une compagnie et se réaliser ainsi un nouvel affluent, très important, aux chemins de fer de l'Etat.

La section centrale, eu égard à ces considérations, pense que cette demande mérite l'attention sérieuse du gouvernement, et, en conséquence, vous propose, indépendamment du dépôt sur le bureau pendant la discussion, le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


« Le sieur Van der Buecken, à Louvain, demande que les nouveaux concessionnaires qui reprendront les travaux commencés du chemin de fer de Louvain à la Sambre, soient tenus de l'indemniser des dégâts que les travaux exécutés ont occasionnés à sa propriété dite : Château de César. »

La section centrale pense, sans entrer dans l'appréciation des droits du sieur Van der Buecken, tout en réservant au réclamant son recours vers la législature, si la décision à intervenir pouvait blesser ses intérêts, qu'il y a lieu de renvoyer la réclamation à M. le ministre des travaux publics, pour y avoir tel égard que de droit.

- Adopté.


« Le conseil communal de Maeseyck expose l'état d'isolement dans lequel se trouve placée cette ville depuis le traité de paix avec les Pays-Bas et la perte qu'elle a éprouvée de toutes ses relations commerciales.

« Il demande que le chemin de fer aboutissant à Hasselt soit prolongé jusqu'à Maeseyck. »

La distance en ligne directe qui sépare ces deux localités, n'est pas moins de 40 kilomètres ; l'établissement du chemin de fer réclamé, exigerait donc une dépense d'environ 5 millions.

Il a paru à la section centrale qu'il serait impossible d'obtenir jamais un concessionnaire pour cette ligne, dont les produits seraient évidemment insuffisants.

Il n'y aurait moyen de relier Maeseyck au réseau des chemins de fer que si l'on venait à construire un jour la ligne internationale sur Dusseldorff. Alors un embranchement pourrait être établi sans trop de frais vers Maeseyck.

En attendant, il serait équitable cependant de chercher à faire quelque chose dans l'intérêt de Maeseyck. La section centrale appuierait, par exemple, avec empressement les propositions qui pourraient être faites pour relier Maesejck au canal de Bois-le-Duc, créer ainsi en faveur de cette localité des moyens de transport économiques vers la Campine et Anvers d'une part, vers Liége et les provinces de Namur et de Luxembourg.

La section centrale propose le dépôt de la pétition sur le bureau de la chambre et le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


« Le sieur Louis Borguet présente des observations ayant pour but de réfuter celles contenues dans le rapport du conseil des ponts et chaussées, en date du 19 juillet dernier, sur le projet présenté par son père M. H. Borguet, pour les travaux à exécuter à Liége. Il déclare que son père est prêt à prendre tel engagement que l'on voudra pour l'exécution des travaux aux prix de ses évaluations. »

Ces observations ajant fait l'objet d'une brochure distribuée à tous les membres de la chambre, il devient superflu d'en faire une analyse plus étendue.

La section se borne donc à proposer le dépôt sur le bureau pendant la discussion.

- Adopté.

Projet de loi relatif à l'exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion des articles

Paragraphe II. Travaux à exécuter par voie de concession, sans garantie, de la part de l'Etat, d'un minimum d'intérêt

Articles 5 et 6

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, dans la séance d'hier, j'ai admis que les recettes de la ligne de la Dendre s'élèveraient à 1,535,000 fr., que le produit pour la compagnie serait de 1,150,000 francs, et que la part de l'Etat serait de 383,000 fr. J'ai criliqué le mode d'après lequel M. le ministre a calculé la dépense d'exploitation de la ligne de la Dendre, et j'ai dit qu'en la fixant à 25,251 francs par lieue, il avait commis une très grave erreur. Ce chiffre serait admissible pour une ligne sur laquelle le mouvement serait peu considérable, mais il est impossible de l'admettre pour une ligne sur laquelle il y aura un très grand mouvement. Pour le chemin de fer de la Flandre occidentale, par exemple, un pareil chiffre peut-être admis, et en effet, c'est le chiffre auquel la lieue est exploitée sur cette ligne ; mais, messieurs, pour le chemin de fer de la Flandre occidentale il n'y a pas, comme il y aura sur la ligne de la Dendre, cinq convois par jour, dans les deux sens ; il y en a 3 pendant une partie de l'année et 4 pendant une autre partie de l'année ; sur cette ligne les convois ne parcourent pas 52,000 lieues, mais la moitié seulement ; il n'y a pas de convois de marchandises, qui sont les plus coûteux ; enfin si la lieue exploitée y coûte moins, c'est parce qu'il y a moins de trafic. Les dépenses n'augmentent pas avec le trafic dans la proportion de cette augmentation, mais elles augmentent dans une certaine proportion. Ainsi, qu'on établisse six convois au lieu de cinq, le coût de la lieue parcourue diminuera légèrement, mais le chiffre total de la dépense sera plus élevé.

J'ai dit, messieurs, que si la dépense ne s'élevait qu'à 25,251 fr par lieue exploitée, la convoi lieue ne coûterait que 6 fr. 91 c. ; tandis que sur le chemin de fer de l'Etat, la convoi lieue coûte 12 fr. 80 c. J'ai dit, messieurs, que la mesure d'après laquelle il faut compter le coût de la convoi-lieue sur le chemin de fer de la Dendre est le coût sur le chemin de fer de l'Etat, qu'il faut seulement déduire de ce coût tous les frais (page 2038) généraux que l'adminislration du chemin de fer fait actuellement, et qu'elle est obligée de faire soit que l'exploitation s'étende ou qu'elle reste ce qu'elle est aujourd'hui.

Dès lors, après déduction de ces frais généraux que j'estime à 622,000 francs, le coût de la convoi-lieue sur le chemin de fer de la Dendre sera de fr. 10-95. La différence entre mon prix et le prix indiqué par M. le ministre est de fr. 3-96. La différence est, vous le voyez, messieurs, assez considérable.

Mais, dit M. le ministre des travaux publics, j'ai pris pour base le compte officiel des dépenses effectuées sur d'autres voies. Je répondrai, moi, à M. le ministre : De deux choses l'une, ou bien vos calculs sont faux, et alors votre convention est fondée sur une bien mauvaise base ; ou bien avouez que l'administration actuelle du chemin de fer de l'Etat est beaucoup trop dispendieuse.

Comment ! vous exploiterez votre nouvelle ligne en faisant une dépense de fr. 6-97, et l'exploitation sur la ligne ancienne vous coûte fr. 12-80 !

Il ne s'agit pas ici de faire quelques dépenses accessoires supplémentaires, comme vous en faites sur l'ancienne ligne, lorsque le mouvement des voyageurs ou des marchandises y augmente ; ici vous devez créer un service de ligne tout à fait nouveau ; vous avez à organiser dans les stations nouvelles un service complet comme vous avez dans vos stations anciennes, vous avez à organiser un service d'entretien et de surveillance pour la route, un service de locomotion et de transport. Vous devez avoir pour cette ligne le même personnel et vous aurez les mêmes frais d'entretien, de réparation, de consommation que pour vos autres lignes. Ce que vous aurez de moins seulement ce sont certains frais généraux invariables.

La somme à déduire de ce chef du coût de la convoi-lieue ne s'élève pas à 2 francs, et cependant vous dites que la convoi-lieue ne vous coûtera que 6 fr. 91. Elle vous coûte actuellement 12 fr. 80 c. Eh bien, si vous n'avouez pas que votre chiffre est erroné, avouez alors que votre administration du chemin de fer est trop coûteuse ; je vous en laisse le soin, M. le ministre, mais j'espère qu'alors vous mettrez une bonne fois la main à la réforme.

Messieurs, j'en finis avec les chiffres et j'en suis heureux, car c'est une matière aride pour vous et pour moi. Mais avant, faisons le compte du chemin de fer de la Dendre.

Les dépenses d'exploitation s'élèveront à 566,500 francs ; à cette somme il faut ajouter l'intérêt du capital employé au matériel roulant, outils, etc. M. le ministre me fera sans doute cette concession, parce que lui-même, en évaluant le coût de la convoi-lieue seulement à 25,000 fr., ajoute les annuités pour l'intérêt du capital employé à l'achat du matériel.

Il faut donc ajouter aux dépenses les intérêts sur une somme de 2 millions ; 2 millions, c'est là la somme dont vous aurez indispensablement besoin. Mais, outre l'intérêt, il y a l'usure ; M. le ministre en tient également compte, je ne fais pas un calcul aussi élevé que le sien ; j'évalue l'usure à 2 1/2 p. c ; j'ai donc un total de 7 1/2 p. c. Sur 2 millions, cela fera donc une somme de 150,000 fr. Ainsi les dépenses s'élèveront à 716,500 fr.

Il y a encore quelque chose à ajouter : M. le ministre accuse une dépense de 40,000 fr. sur les anciennes lignes de l'Etat. J'accepte ce chiffre, je dirai pourquoi. La compagnie de la Dendre aura les 3/4 du produit des voyageurs et des marchandises ayant pour station de départ ou de destination une station de la ligne de la Dendre, quel que soit le parcours que ces voyageurs ou ces marchandises auront fait sur les lignes

Personne ne peut dire s'il y aura perte ou gain. Pour moi, la chose me semble ne pouvoir être assurée par personne. Telle marchandise expédiée de Liége à Grammont, par exemple, peut présenter certain bénéfice. Il est possible qu'en transportant un tonneau de marchandise de Liége à Grammont il y ait bénéfice au moyen des 11 centimes qui reviendront à l'Etat, il est possible que cette marchandise soit transportée par un waggon qui n'a pas sa charge entière ; mais s'il faut mettre un waggon exprés, ajouter une locomotive ou faire un convoi spécial, est-ce que dans ce cas il y aura encore bénéfice ?

Les dépenses pour l'Etat varieront d'après ces diverses circonstances. Tantôt il y aura bénéfice mais bénéfice minime, tantôt il y aura perte et il peut y avoir perte considérable. Comme je ne veux rien avancer dans cette question qui soit hasardé, je ne porte rien en compte de ce chef ; seulement puisque M. le ministre évalue lui-même l'augmentation de dépenses qui en résultera à 40,000 fr. j'accepte son chiffie et je dis 'que les dépenses du chemin de fer de Dendre-et-Waes s'élèveront à 756,500 fr.

Les recettes seraient, comme je l'ai dit tout à l'heure, de 385,000. Mais il y a quelque chose à déduire de cette somme. La station d'Audeghem produit 80 mille fr. pour départs et retours.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Le produit de la Station d'Audeghem n'est pas de 80,000 fr.

M. de Brouwer de Hogendorp. - La station d'Audeghem donne 41 mille fr. pour les départs ; je double pour les retours et je compte 80 mille fr. Ensuite dans le produit du chemin de fer de la Dendre, j'ai compris le produit de la station de Termonde vers Bruxelles.

Je viens de dire que pour Audeghem il faudra déduire 80,000 fr. ; je ne déduis que 20,000 fr. pour la station de Termonde, comme représentant le quart de la part revenant à l'Etat. J'ai donc un total de 100,000 fr., ce qui réduira le produit à percevoir par l'Etat à 283,000 fr. Les dépenses, comme je l'ai dit, s'élèveront à 756,500 fr. ; par conséquent, déficit 473,500 fr. J'arrive aux compensations.

Il y a des compensations, dit-on. Oui, je l'avoue, il y a en. La première compensation consiste en un accroissement de circulation entre l'Ouest et le Midi transitant par la ligne de la Dendre. Cette compensation est évaluée à 120,000 fr. par M. le ministre. Voyons si l'on peut accepter ce chiffre.

Dans les relations de l'Ouest avec le Midi, il ne faut pas compter sur un accroissement de voyageurs d'Ostende et de Bruges, parce que la distance par le chemin de fer de la Flandre occidentale et par le chemin de fer de Jurbise sera égale à la distance par la ligne directe, et par le chemin de fer de la Dendre. Par conséquent, là il n'y a pas d'augmentation à attendre ; mais depuis Atlre jusqu'à Wetteren il y a une réduction de distance assez considérable et, par conséquent, j'accepte qu'il y aura une augmentation du nombre de voyageurs. J'accepte qu'en raccourcissant la distance vous pouvez augmenter le nombre de voyageurs. Le raccourcissement sera de 33 kilomètres de Gand vers Mons. Mais si vous avez une augmentation de voyageurs de ce côté, et j'admets une augmentation de 25 p. c. sur le nombre de voyageurs de Gand et dans toute la ligne depuis Attre jusqu'à Wetteren, vous avez également une diminution dans vos recettes, parce que le nombre de kilomètres à parcourir par ces voyageurs est bien moindre.

Ainsi donc le nombre de voyageurs sera augmenté de 25 p. c., mais il y a également une diminution de 25 p. c. dans le nombre des voyageurs-kilomètres. (Interruption.) On évitera le parcours par la ligne de Jurbise, et de ce fait il y aura un bénéfice pour l'Etat ; je l'admets ; mais M. le ministre l'estime à 120 mille francs, il m'est impossible de l'estimer à ce chiffre. Je dirai d'ailleurs à quel chiffre j'estime cette augmentation. Je crois qu'elle sera tout au plus de 12 p. c. sur nos recettes actuelles.

Voici la deuxième compensation. Je prends les termes du rapport : « Les augmentations porteront sur les recettes supplémentaires résultant de ce que, pour un très grand nombre de transports, tels que ceux qui s'effectueront de Bruxelles vers Mouscron, Tournay, Roubaix, Lille, Calais et Dunkerque et réciproquement : ou bien ceux qui s'opèrent entre le Midi et l'Ouest ; ou bien encore ceux qui ont lieu d'Ath, de Leuze, de Tournay vers les lignes du Nord et de l'Est et réciproquement, que tous ces transports, disons-nous, cesseront désormais d'emprunter, pour une partie du trajet, certaines sections concédées, se servant, au lieu de celles-ci, des lignes du réseau national ; ce qui affranchirait l'Etat du tribut que, dans beaucoup de cas, il paye à des sociétés privées. »

L'honorable rapporteur parle du tribut que paye l'Etat à la compagnie du chemin de fer de Jurbise. Pour ma part, j'aime mieux payer ce tribut que d'en être affranchi au prix de la convention avec la société de la Dendre.

Mais examinons le profit qui en doit résulter pour l'Etat et que M. le ministre évalue, cette fois, avec plus de modération que celle qu'il a mise dans ses autres calculs, à 60,000 francs.

Les voyageurs les plus rapprochés de la station du nord, prendront pour se rendre à Lille, la ligne directe par Gand vers Lille ; une partie continuera à prendre, comme aujourd'hui, la ligne du Midi et passera par le chemin de fer de Jurbise.

La différence dans le parcours est trop petite pour espérer qu'ils prennent tous la voie dont le produit appartiendra exclusivement à l'Etat. Mais, quoi qu'il en soit, il y aura là un certain avantage pour l'Etat ; je fais volontiers cet aveu. Je parle des voyageurs se rendant de Bruxelles à Mouscron, Lille et au-delà. En ce qui concerne les voyageurs de Bruxelles à Ath, Leuze et Tournay, un certain nombre encore prendra la ligne de la Dendre ; j'en conviens encore, mais quel sera l'avantage qui en résultera pour l'Etat ? La section de Jurbise à Ath a une longueur de 16 kilomètres ; l'Etat ne perçoit les péages que dans la proportion d'un parcours de 8 kilomètres, l'autre moitié revient à la compagnie de Jurbise.

L'Etat gagnerait donc sur chaque voyageur en destination d'Ath, Leuze, Tournay, etc., des recettes égales à un parcours de 8 kilomètres, si la ligne par la voie de la Dendre était aussi longue que par l'autre voie. Or, il y a une différence de 2 kilomètres. L'affranchissement du tribut pour chaque voyageur que l'Etat transportera par la ligne de la Dendre au lieu de le transporter par la ligne du Midi, sera donc égale au produit de 6 kilomètres-voyageurs, soit à 30 centimes.

Pour obtenir 30,000 fr. de ce chef, l'Etat devrait transporter dans cette direction, malgré la ligne concurrente, non moins de 100,000 voyageurs. Cela esl-il probable ? Cela est-il possible ?

Vient maintenant la grande compensation : le chemin de fer direct de Bruxelles à Wetteren.

Si l'on devait considérer cette question au point de vue financier, au point de vue du chemin de fer existant, je répéterais un axiome en matière d'entreprises de cette espèce ; cet axiome est qu'il ne faut pas construire deux lignes là où une seule peut suffire.

On n'a pas toujouis mis en pratique cette règle si simple, et bien des compagnies se sont ruinées pour ne pas y avoir obéi. Deux chemins de fer ont été construits de Paris à Versailles. Paris est un centre de population bien important ; la distance de la rive droite à la rive gauche est considérable ; il fallait donc croire qu'en donnant plus de facilité aux habitants de chaque rive, chaque chemin de fer aurait sa clientèle, qu'il y avait place pour deux entreprises dont l'une n'enlèverait rien à l'autre.

(page 2039) Eh bien ! quel a été le résultat de la création de ces deux lignes, je ne dirai pas rivales, mais dirigées vers le même point ? C'est que les deux compagnies, celle de la rive droite, comme celle de la rive gauche, se sont ruinées toutes deux.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - La question n'est pas la même.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Vous vous fondez, M. le ministre, sur les calculs d'un ingénieur très distingué, d'un savant, d'un homme que j'estime beaucoup, M. Desart.

Eh bien ! M. Desart prétend que la solution de continuité à Bruxelles entre la ligne du nord et la ligne du midi, est égale à un nombre considérable de kilomètres. Le même chose existe par conséquent à Paris.

Autrefois une partie de la population, celle de la rive gauche, devait se rendre sur la ligne droite pour prendre le chemin de fer. C'était une grande perte de temps.

Construire une seconde ligne c'était réduire la distance ; cependant la construction de la seconde ligne n'a pas fait augmenter les voyageurs dans une proportion qui ait permis aux deux chemins de fer de vivre.

Quoi qu'il en soit, messieurs, on compte sur un accroissement considérable de voyageurs. On dit : il y a une réduction de 19 kilomètres dans le parcours, et par conséquent le nombre de voyageurs venant de l'ouest et se rendant vers l'ouest sera augmenté du triple de ce qu'il est actuellement.

Sur quoi cet espoir se fonde-t-il ? Sur une théorie. L'ingénieur dont je parlais tout à l'heure a dit que les causes fixes qui produisent un mouvement presque constant sont les populations de deux villes mises en rapport, et la distance qui les sépare. Voilà, messieurs, la théorie sur laquelle se base votre conviction. Rapprochez les distances, rapprochez les populations et vous aurez une augmentation considérable dans le nombre des voyageurs.

M. le ministre, je suis fâché que vous ne mettiez pas en pratique cette théorie. Si vous y croyez, mais votre intelligence, votre bon sens ne vous permettent pas d'y croire ; si vous y croyez, pourquoi ne doublez-vous pas la vitesse de la marche des convois ?

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il y a des causes qui s'y opposent.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Il n'y a pas de causes qui s'y opposent.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Les rails sont trop légers.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Remplacez les rails, faites cette dépense, et vous aurez rendu le plus grand service possible au pays ; car si la théorie est vrai, il n'y a pas de ressource plus grande que celle que vous avez entre les mains ; diminuez les distances en accélérant la marche des convois, le chemin de fer va produire de cette façon des recettes magnifiques. Que ne nous avez-vous fait cette proposition plus tôt ? Nous aurions pu nous épargner la dure nécessité de voter de nouveaux impôts. Oh ! si la théorie est vraie, combien M. Dumortier a eu raison de dire que le chemin de fer pouvait suffire à tout !

Doublez, ou plutôt ne doublez pas, mais augmentez dans une certaine proportion seulement la vitesse de vos convois, et vous obtiendrez le résultat que M. Desart vous indique. Pourquoi, par exemple, n'augmentez-vous pas la vitesse de vos convois vers Liége ? Pourquoi n'augmentez-vous pas la vitesse de vos convois vers Gand ? Gand, dites-vous, ne fournit pas assez de voyageurs, parce que la distance qui sépare Bruxelles de Gand est trop grande ; mais vous mettez tantôt 2 heures, tantôt 2 heures 25, tantôt 2 heures 30 pour aller à Gand ; qu'est-ce que vous gagnerez en faisant le chemin de fer direct ? Vous gagnerez une demi-heure. Ainsi, les convois qui font le parcours en 2 heures 30, le feront en 2 heures. Eh bien, rien ne vous empêche d'augmenter la vitesse ; pourquoi ne le faites-vous pas ?

On irait ainsi de Bruxelles à Gand, en 1 heure et demie. Cela peut être fait très facilement et vous n'aurez pas seulement alors le nombre de voyageurs que vous attendez de la ligne directe, mais vous aurez un nombre beaucoup plus considérable, car vous aurez réduit votre distance à 45 kilomètres. Vous ne le faites pas, parce que vous n'avez aucune foi dans la théorie.

L'honorable M. Bruneau invoquait des faits ; il disait : Mais rien n'est mieux prouvé par l'expérience que l'effet du raccourcissement des lignes sur le mouvement des voyageurs ; et il citait la station de Tournay qui donnait autrefois à Bruxelles 6,600 voyageurs et qui en donne, depuis l'établissement du chemin de fer de Jurbise, 11,600. Messieurs, je ne puis pas attribuer exclusivement au raccourcissement de cette ligne l'augmentation des voyageurs entre Tournay et Bruxelles.

La diminution de la distance est, je pense, pour moins dans ce résultat que la diminution du prix, et ce qui me fortifie dans cette pensée, c'est que pour certains convois la différence du parcours par la ligne de l'Ouest et la ligne du Midi n'est que de 20 minutes. Or 20 minutes, c'est-à-dire la différence de 4 heures 30 minutes à 4 heures 50 minutes n'ont pu produire un résultat sensible. La diminution du prix. Voilà la cause de l'augmentation avant tout. Diminuez les prix et vous aurez une augmentation du nombre des voyageurs. (Interruption.) Nous allons voir à quoi se ré luira votre diminution de distance.

Messieurs, la distance de Bruxelles à Gand est actuellement de 70 kilomètres ; dorénavant elle sera réduite à 57 kilomètres ; il y aura donc une diminution de 19 kilomètres. Il est évident que cette diminution amènera une augmentation du nombre des voyageurs, mais quelle sera cette augmentation ? Remarquez, messieurs que s'il s'agissait non seulement de réduire la distance de 19 kilomètres, mais de réduire également le prix dans la même proportion, le raccourcissement de la distance agirait avec beaucoup plus de puissance ; mais on ne paye pas, en ce moment, pour la distance entière ; on paye pour une distance réduite, la réduction de la dépense ne sera donc que dans la proportion de 9 kilomètres.

Je suis en aveu et vous pouvez en prendre acte, messieurs, que le raccourcissement de la distance et la réduction du prix doivent avoir une influence sur le nombre des voyageurs entre Bruxelles et Gand, et entre Bruxelles et toute la ligne de l'Ouest.

Remarquez cependant que la population gantoise n'est pas tout à fait dans la situation de la population de certaines autres villes moins industrielles : la population des fabriques se déplace, en général, beaucoup moins que les autres classes ouvrières ; ce phénomène a été observé dans tous les pays et se confirme par les faits en Belgique. Gand donne généralement, pour les deux premières classes de voitures, un nombre de voyageurs proportionné à sa population, tandis que les voyageurs de la troisième classe font presque toujours défaut.

Gand fournit aussi aux différentes localités beaucoup moins de voyageurs qu'il n'en devrait fournir d'après le chiffre de sa population. Ainsi à Malines (on ne fait pas de détour pour aller de Gand à Malines), à Malines, Gand donne 3,800 voyageurs au lieu de 5,800.

A Anvers, Gand donne 4,900 voyageurs au lieu de 9,100.

Gand donne à Louvain 1,400 voyageurs au lieu de 3,000, et voici un fait plus frappant.

Lokeren est situé à une petite distance de Gand ; Lokeren devrait donner à Gand 75 mille voyageurs et le mouvement entre Gand et Lokeren n'est, d'un côté que de 18 mille voyageurs et de 17 mille voyageurs de l'autre.

Vous voyez donc, messieurs, qu'il ne faut pas compter sur cette grande quantité de voyageurs qui seraient fournis par Gand à la station de Bruxelles.

C'est cependant sur ce principe de l'accroissement du nombre des voyageurs que se fonde la convention que nous discutons. D'après la pensée qui a dicté cette convention, le nombre des voyageurs serait si considérable si on réduit la distance entre les deux villes, qu'on peut se dispenser même de garder pour l'Etat les produits de la station d'Alost, la plus importante de toutes.

L'accroissement du nombre de voyageurs entre Bruxelles et l'Ouest et le faible produit que donneront les voyageurs de Ternath et de Lede, est une compensation suffisante. Il n'en faut pas davantage. Eh bien, à, combien peut-on évaluer le nombre de voyogeurs que nous amènera la ligne nouvelle de l'Ouest ? L'honorable ministre, en évaluant l'augmentation de produits à 300,000 fr., a compté sur une augmentation de près des trois quarts sur le nombre des voyageurs. J'admets, moi, une augmentation d'un tiers ; c'est sur le chiffre de 1847 (car je n'ai pas d'autre donnée) une augmentation de 46,066 voyageurs.

Je crois que c'est faire une concession bien large, que d'accorder que, par suite du raccourcissement de la ligne vers Gand et l'Ouest, le nombre des voyageurs entre les stations de Bruxelles et l'Ouest, augmentera dans la proportion d'un tiers.

Le mouvement actuel des voyageurs dans cette direction donne des recettes qui s'élèvent pour personnes et bagages à 627,700 francs. Remarquez que lorsque la ligne directe sera construite, le parcours sera moindre, et que par conséquent, le péage le sera également ; dès lors, les voyageurs actuels payeront dans la proportion de 9 kilomètres de moins. Leur produit ne sera plus que de 365,400 fr. ; et avec un accroissement d'un tiers dans le nombre des voyageurs, vous n'aurez une augmentation réelle que de 126,300 fr.

Ainsi, messieurs, si j'ajoute aux recettes futures un tiers et que je les compare aux recettes de 1847, j'aurais du chef de l'augmentation des voyageurs sur la ligne directe de Bruxelles à Gand, une somme de 126,300 fr., et non pas 300,000 fr., comme l'a dit M. le ministre des travaux publics.

Il faut ajouter à cela le produit de la station de Ternath, de celle de Lede, et le produit de ce que ces stations fourniront de voyageurs aux autres lignes de l'Etat. J'estime que de ce chef l'augmentation sera de 95,000 francs. Ainsi faisant l'addition des augmentations qui doivent résulter du passage par la ligne de la Dendre (40,000 fr.), du produit de la ligne directe (126.000 fr.), et du produit desstations deTernath, etc. (95,00 t fr.), je trouve qu'il y aura un accroissement de 261,000 francs de produit pour la ligne directe. J'ai à dire un mot des dépenses de la ligne directe. Je n'entrerai pas dans des calculs de chiffres ; j'adopte les chiffres établis par M. Desart, et je fixe à 292,000 fr. le chiffre des dépenses d'exploitation sur cette ligne.

Nous avons ainsi, messieurs, tous les éléments pour établir le bilan de l'entreprise.

Pour la ligne directe nous avons en dépense 292,000 fr., et nous avons un accroissement de recette de 261,000 fr. ; donc une perte de 31,000 fr. Pour la ligne de la Dendre, j'ai déjà évalué la perte à 473,000 fr. ; donc la perte totale sera de 504,200 fr. (Interruption.)

Je me trompe, messieurs, j'ai oublié un chiffre, celui de la deuxième compensation ; j'ai tenu compte de la première pour une somme de 40,000 fr, j'aurais dû encore tenir compte d'une somme de 20,000 fr., pour accroissement de recettes dues à ce que le pssage d'un certain nombre de vojageurs ne se fera plus par la ligne de Jurbise. Cela réduit la perte de 20,000 fr., (page 2040) mais d'un autre côté j'ai négligé, comme vous le savez, la perte que je n'ai pas pu établir résultant du transport des voyageurs et des marchandises à 1/4 du tarif.

L'honorable M. Bruneau se récrie contre ces chiffres ; mais dans les calculs de l'honorable M. Bruneau, je n'ai rien trouvé qui puisse détruire les chiffres que j'ai établis.

D'ailleurs je répète ce que j'ai dit hier : J'ai examiné la chose sérieusement, consciencieusement, sans chercher à être agréable à mes électeurs. Je déclare que je voterai pour l'établissement d'une ligne directe entre Bruxelles et Gand, si l'on veut me donner la garantie qu'il n'en résultera pas une perte pour l'Etat. L'honorable M. Bruneau parlait hier de donner une garantie à l'Etat pour la perte éventuelle que l'Etat pouvait faire sur la ligne de Namur : eh bien, que l'honorable membre garantisse ou qu'il trouve une compagnie qui garantisse à l'Etat ses recettes actuelles dans ses relations avec l'Ouest, et je serai le premier à voter pour la convention qu'on nous présentera. Mais il m'est impossible de voter pour celle dont il s'agit en ce moment.

Si la compagnie a une si grande confiance dans les chiffres qui lui ont été soumis, si elle pense que c'est une bonne affaire pour elle et pour l'Etat, eh bien, elle croira que c'est encore une meilleure affaire pour elle seule, Qu'elle en coure donc les chances ; qu'elle dise : « Je garantis à l'Etat les recettes actuelles de la station de Bruxelles dans ses relations avec l'Ouest. » Alors, je le répète, je suis prêt à voter pour la convention, je ne veux pas combattre le droit qu'a la ville d'Alost d'être reliée et même directement au chemin de fer ; mais je ne puis pas consentir à ce que cela se fasse au moyen d'un sacrifice aussi considérable pour l'Etat. J'ai dit.

M. le président. - Voici un amendement présenté par M. Malou :

« Le gouvernement est autorisé à concéder la ligne de chemin de fer d'Ath à Lokeren aux clauses et conditions établies pour la ligne de Jurbise à Tournay. »

La parole est à M. Malou pour développer son amendement.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je prie la chambre de remarquer que l'amendement de l'honorable M. Malou consacre un système nouveau, et qu'il est essentiel que la chambre juge la combinaison présentée par le gouvernement avant qu'elle puisse se prononcer, en connaissance de cause, sur les développements que l'honorable M. Malou veut donner à l'appui de sa proposition. Le gouvernement tient à faire connaître les motifs qui l'ont porté à se rallier à la convention dont il s'agit en ce moment.

M. Malou. - Un ministre a le droit de parler.

M. le président. - La parole est à M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, si je prends la parole en ce moment, c'est précisément parce que je suis convaincu que, pour l'intelligence de cette affaire, il est essentiel que la chambre se rende un compte très exact de la nature de la convention sur laquelle elle est appelée à se prononcer, et des résultats financiers qu'elle peut avoir, soit pour la compagnie, soit pour l'Etat.

Voici comment on peut résumer les propositions que la compagnie a faites au gouvernement.

Cette compagnie se propose d'exécuter deux lignes : l'une se dirigeant d'Ath sur Lokeren et l'autre de Bruxelles sur les Flandres. La dépense présumée s'élève à 21 millions de francs.

La compagnie dit au gouvernement : Je vous abandonne toutes les recettes entre Bruxelles et Gand et la ligne de l'Ouest et tous les accroissements de recettes qui seront la conséquence inévitable du raccourcissement de parcours ; je vous abandonne les recettes des stations intermédiaires de Ternath, Lede, la Halle, Schellebelle, réservez-moi seulement les 3/4 du produit des stations nouvelles au départ et à l'arrivée. Ces stations sont : Ninove, Lessines, Grammont, Denderleeuw, Alost, Zele et Lokeren.

Quant à la stalion de Termonde, le produit intégral tel qu'il résultera du mouvement de 1851 sera acquis à l'Etat et les 3/4 de l'accroissement des recettes seront acquis à la compagnie. Quant au transit, nous l'accordons à l'Etat d'une manière indéterminée pour tous les transports.

Nous demandons seulement que le gouvernement pour toutes les stations que nous créons nous abandonne le libre parcours sur son réseau, et les trois quarts des recettes dues à ces stations.

Voilà dans leur ensemble, en les résumant, les propositions qui étaient faites au gouvernement ; propositions qui remontent à une date ancienne, puisqu'elles lui ont été adressées le 29 janvier dernier.

Le gouvernement en fit l'objet d'un examen attentif et très consciencieux. Avant d'adopter ces propositions, le gouvernement avait à résoudre les questions que voici.

Qui m'en coûtera-t-il pour exploiter la ligne additionnelle dont il s'agit ? Ce point résolu, que me rapportera à moi, Etat, la part que me réserve la compagnie ? Quels accroissements de produits l'exécution de cette double ligne me procurera-t-elle ?

La dépense d'exploitation supplémentaire sera-t-elle au-dessus ou au-dessous de la part qui me reviendra ? Troisième question. La compagnie est-elle sérieuse ? Par les stipulations qu'elle se réserve, par les obligations auxquelles elle souscrit, met-elle le gouvernement en mesure d'espérer que cette ligne s'exécutera ? Fait-on disparaître toute crainte de fraude et de détournement ? Ces diverses questions résolues affirmativement, le gouvernement pouvait présenter en toute confiance le projet de loi à la chambre.

Messieurs, je vais à mon tour les examiner très brièvement, sauf à revenir plus tard sur les détails.

La première question est celle qui se rapporte aux frais d'exploitation et c'est celle qu'a traitée hier et aujourd'hui l'honorable préopinant.

Je n'hésite pas à dire que je le range au nombre des adversaires les plus consciencieux du projet de loi.

Il s'est livré à des recherches nombreuses et étendues. Malheureusement j'ai le regret de dire, que, dans mon opinion, l'honorable membre a fait complètement fausse route.

Une première erreur commise par l'honorable M. de Brouwer, c'est de considérer isolément la ligne d'Ath à Lokeren. Il me reproche d'établir une moyenne de 25,000 fr., c'est 30,000 d'abord ; mais j'admets 25,000 fr. par lieue exploitée. Je ferai remarquer sur ce point que si j'ai établi la moyenne de 30,000 ou 25,000 fr., c'est parce que j'ai pris la ligne dans son ensemble, non pas seulement celle de Dendre-et-Waes, mais aussi celle de Bruxelles à Wetteren sur laquelle il n'y aura presque pas d'autres dépenses que celles de l'entretien et de la police de la voie sur une longueur de 7 à 8 lieues.

La stalion de Bruxelles restera ce qu'elle est ; la stalion de Gand restera ce qu'elle est ; la station d'Alost se trouvera sur la ligne d'Ath à Lokeren. Quant à la station de Wetteren, elle existe également. Il n'y a là rien à changer. Si donc j'arrive à la dépense de 25 ou 36 mille francs par lieue, c'est que je prends l'ensemble de la concession, que je ne la scinde pas, comme vous l'avez fait.

Si d'une manière arbitraire, sans tenir compte des chiffres consignés dans les documents officiels, j'avais évalué à 770,000 francs la dépense supplémensaire d'exploitation, je concevrais que l'honorable membre le repoussât ; car je reconnais avec l'honorable membre que, pour apprécier les dépenses d'exploitation, rien n'est moins exact que de les calculer par lieue exploitée.

Je vais le prouver à la chambre par un exemple frappant. Il y a deux éléments dans les dépenses d'exploitation : un élément fixe et un élément variable.

Je suppose un chemin ayant un développement de cent lieues, et un trafic de 2 millions de tonnes, la dépense fixe 6 millions de francs et la dépense variable 4 millions.

Ce sont des chiffres arbitraires, mais la démonstration va en ressortir d'une manière évidente. Dans ces données, quel est le prix de revient d'une tonne-lieue ? Cinq francs, et le prix de la lieue exploitée 100 mille francs. Sur une autre ligne du même développement de cent lieues, la dépense fixe est de 6 millions également. Mais le trafic est double, et la dépense variable, double également, soit 8 millions, par conséquent la dépense totale est de 14 millions de francs ; quel est le prix de revient de la tonne dans ce nouveau cas ? 3 fr. 75 c.

L'exploitation est donc plus économique, les produits sont plus considérables ; et cependant que coûtera la lieue ? 140,000 francs. Ainsi je reconnais, j'avais déjà eu occasion de le dire, que pour apprécier les dépenses d'exploitation, rien n'est moins exact que de dire tant par lieue exploitée.

J'ai présenté le chiffre de 36 mille francs en divisant, par 21 lieues, la somme de 770 mille fr. à laquelle j'évaluais la dépense du chemin de fer dont il s'agit. C'est une moyenne, on l'accepte plus facilement ; l'esprit la saisit plus vite. Mais l'honorable M. de Brouwer pour arriver au montant des dépenses d'exploitation a recours à un mode de supputation que je dois repousser ; il ramène tout au coût du convoi-lieue, c'est-à-dire que les dépenses d'un convoi dans la pensée de l'honorable membre sont dans un rapport direct arithmétique avec le parcours que fait le convoi.

Si j'avais, par jour, en moyenne 4 convois et que j'en portasse le nombre à 6, il faudrait, pour suivre l'honorable membre dans sa manière de calculer les dépenses d'exploitation, ajouter 50 p. c. à la dépense effectuée. Or, évidemment rien ne serait plus erroné qu'une semblable conclusion.

L'honorable membre la repousserait peut-être lui-même. Non, en cette matière, on ne doit point le perdre de vue : la première lieue coûte plus que la seconde ; la seconde plus que la troisième et ainsi de suite.

Je suppose que le chemin de fer de Gand vers Bruxelles soit fait, que le chemin de fer d'Ath à Alost et à Denderleeuvv soit également achevé et livré à la circulation. Il y a une dislance d'Ath à Denderleeuw de huit lieues. Si j'ajoute quatre lieues à ce chemin de fer ; si je l'exécute jusqu'à Termonde, l'honorable membre conclura-t-il que les convois arrivant à Denderleeuw, il faudra, pour les pousser 4 lieues plus loin, 50 p. c. de dépenses de locomotion en plus ?

Evidemment non, et cependant c'est la conséquence d'un principe qui tend à ramener la dépense au coût du convoi-lieue.

Pour arriver à fixer d'une manière exacte la dépense d'exploitation qui résultera de l'adjonction des lignes nouvelles, voici dans quels termes la question doit être posée. Les frais généraux d'exploitation étant couverts, les ingénieurs existants payés par le budget, qu'en coûtera-t-il à l'Etat, quand on lui fera 21 lieues de chemin de fer et qu'il aura à les exploiter ?

Or, pour résoudre ce point, voici ce que le bon sens indique. La voie étant construite, il faudra l'entretenir, il faudra veiller à la police de la route et à l'entretien des ouvrages établis, il faudra nommer le personnel préposé au service du transport de chaque station nouvelle ; il faudra établir un service spécial entre Ath et Lokeren, il faudra un certain nombre de convois entre Bruxelles et Gand ; il faudra effectuer des réparations il faudra réserver aussi une certaine annuité pour couvrir le capital nécessaire au renouvellement du matériel. En un mot, il faut (page 2041) prendre isolément tous les éléments qui doivent concourir à former ce chiffre des dépenses d'exploitation, et si dans les chiffres que je vais produire à la chambre, l'honorable membre me prouve que je suis resté en dessous des dépenses réelles, que je n'ai pas pris mes éléments dans des relevés officiels, je passerai condamnation.

Je dis que la première dépense à couvrir, ce sera celle qui se rapporte à la police de la route et à l'entretien ordinaire de tous les ouvrages. J'ai évalué cette dépense à 170,100 francs. L'honorable membre contestera-t-il ce chiffre ? Je tiens à la main le relevé officiel délivré le 21 juillet 1851, par l'ingénieur en chef de la ligne de l'Ouest.

Cette ligne est établie à double voie. On peut ainsi la comparer aux lignes de Bruxelles vers Gand par Alost et d'Ath à Lokeren. On dépense maintenant par exercice :

1° Pour salaires des gardes-barrières, gardes-haltes, gardes-excentriques, pontonniers, piocheurs 81,322 fr.

2° Pour réparation et entretien des terrassements, ouvrages d'art, bâtiments, clôtures, etc., 9,400 fr.

Fr. 90,722 pour 56 kilomètres, ce qui revient à 8,100 fr. par lieue, donc pour 21 lieues 170,100 francs.

Du reste, je ferai remarquer à l'honorable membre que la note jointe à ce document porte : Les sommes ci-dessus prévues pour les travaux et fournitures nécessaires à l'entretien du railway pendant l'exercice 1851, ont dû être portées à ce taux par suite des mauvais temps et des inondations survenus à la fin de l'exercice 1850. Pour l'exercice 1852, ces sommes seront réduites ; vous voyez donc que, dans mon calcul, je tiens compte de toutes les éventualités, des circonstances les plus défavorables ; dès lors, voilà un premier chiffre qui bien certainement est inattaquable.

Je dis, en second lieu, qu'il faudra fournir les objets de consommation qui sont nécessaires pour la locomotion et pour l'entretien du matériel roulant. J'ai évalué le chiffre à 135,555 francs.

Je prie la chambre, puisque c'est encore là un des éléments essentiels de la question, de vouloir bien me suivre dans ces calculs, que j'abrégerai, du reste, autant que possible.

De Gand sur Bruxelles, le gouvernement établirait cinq convois dans chaque sens. Il y a, entre Bruxelles et Gand, une distance de 57 kilomètres ; de manière qu'il y aurait un parcours journalier de 570 kilomètres, Malines ne perdrait aucun des convois qui, aujourd'hui, vont sur Gand ; cette ville conserverait les cinq convois dans chaque sens qui circulent maintenant chaque jour entre Bruxelles et Gand.

C'est une distance de 56 kilomètres et un parcours journalier de 560 kilomètres, il y aurait donc de ce chef un parcours journalier de 1,150 kilomètres. Mais aujourd'hui les convois qui vont de Bruxelles à Gand et vice-versa, font le détour par Malines ; de sorte que les cinq convois qui circulent entre Bruxelles et Gand font aujourd'hui 76 kilomètres, c'est-à-dire un parcours journalier de 760 kilomètres ; par conséquent, la mise en exploitation de la ligne de Bruxelles à Gand par Alost ne comporterait journellement qu'un supplément de parcours de 370 kilomètres ou 74 lieues. C'est encore là un l'ait qui n'admet pas de réplique.

D'autre part, pour le service de la ligne d'Ath à Lokeren, l'administration tenant compte des exigences les plus rigoureuses, pourrait établir cinq convois par jour dans chaque sens.

D'Ath à Lokeren, il y a 71 kilomètres ; c'est donc 710 kilomètres à ajouter aux 370 de parcours supplémentaire, résultant du service direct entre Bruxelles et Gand ; ce qui fait un parcours journalier de 216 lieues.

Il s'agit donc de savoir ce qu'il en coûte pour faire 210 lieues de parcours journaliers, ou par exercice 78,840 convois-lieues, car 216 multiplié par 365 jours, donne 78.840 convois-lieues.

Ici je ferai remarquer à l'honorable M. de Brouwer, qu'il n'est pas très exact dans ses calculs.

Ici, même au point de vue restreint où je me place, il est plus exact de calculer le nombre de locomotives-lieues. En effet, sur dix convois il y en a, en moyenne, un qui est remorqué par deux locomotives. La composition moyenne d'un train, comportant 1 1/10 locomotive, le parcours des convois exigera un nombre total de 78,840 x 1,1 ou de 80,724 locomotives-lieues. Or, en 1850, qu'a coûté la locomotive-lieue ?

Frais de locomotion cl d'entretien du matériel roulant 2,045,700 fr. pour un parcours de 884,054 locomolives-lieues, donc 2 francs 31 par lieue de parcours de locomotive. Mais ce prix de 2 fr. 31 est le quotient d'une dépense totale par un mouvement effectué. Il ne constitue pas des frais qui varient en proportion exacte d'un accroissement ou d'une diminution de mouvement, et ce qui le prouve, c'est que, bien que les locomotives aient parcouru, en 1850, un nombre de 64,465 lieues de plus qu'en 1849, la dépense de locomotion et d'entretien du matériel roulant n'a pourtant dépassé, en 1850, que de 65,726 fr. la dépense faite du même chef en 1849. De sorte que, chaque lieue supplémentaire parcourue, en 1850, par les locomotives, n'a coûté que 1 fr. 02 et non pas 2 fr. 31.

Il y a donc dans ce chiffre 2 francs 31 un élément variable qui, en le supposant de deux tiers, réduirait la dépense à 1 franc 54 seulement, ainsi 86,724 locomotives-lieues x 1 fr. 54 = 133,555 fr.

Un troisième élément de dépense, c'est celui qui se rapporte au personnel dans les stations nouvelles. Je ferai remarquer à la chambre que, pour cet objet, j'ai puisé mes évaluations dans les faits existants, dans les dépenses afférentes au personnel dans des stations dont l'importance peut être comparée à celles qu'il s'agira d'établir sur la ligne nouvelle.

Personnel des bureaux et des stations pour la perception et le service des transports, fr. 91,458

a) Station d'Ailost. Chef de station (fr. 2,100). Un commis pour le service des voyageurs (fr. 1,080). id. pour les bagages et les petites marchandises (fr. 600). id. pour les grosses marchandises (fr. 600). - 1 portier faisant fonction d'adjoint de police (fr. 700). Salaire d'un veilleur (fr. 730). 12 ouvriers à 700 fr. en moyenne. — Camionnage (fr. 3,000) : fr. 17,290

b) Station de Lokeren. Comme c'est une station commune : fr. 13,380.

c) Station de Termonde. J'ajoute 2 ouvriers supplémentaires à 700 fr. et pour camionnage supplémentaire 800 fr. : fr. 2,200

d) Station de Ninove. Chef de station (fr. 1,500). 2 commis (fr. 1,680). Portier (fr. 730). Veilleur (fr.730). 10 ouvriers (fr. 7,000). Camionnage (fr. 1,500) : fr. 13,140.

e) Station de Grammont. Idem : fr. 13,140.

f) Station de Lessines. Idem : fr. 13,140

g) Station de Ternath, Denderleeuw, Lede et Zele. Ces stations peuvent être assimilées à celle de Wetteren, dont la dépense annuelle est de 4,012 fr., soit fr. 16,168.

h) Halle de Schellebelle et autres éventuelles : fr. 3,000.

Total., à fr. 91,458.

J'aborde maintenant d'autres articles de dépenses. Il s'agit d'abord du personnel supplémentaire à affecter à la marche des convois.

Aujourd'hui le nombre des machinistes est de 83, soit 7 pour 10 lieues.

Pour le service de la ligne d'Ath à Lokeren, il faudra : 6 machinistes à 2,000 fr. ci fr. 12,000, 6 chauffeurs à 1,400, ci fr. 8,400, 6 chefs gardes-convoi à 1,500, ci fr. 9,000, 30 gardes-convois, gardes-freins et guetteurs payés en moyenne à 1,000 francs, ci fr. 30,000. Total fr. 59,400.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Et pour la ligne de Gand.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Pour la ligne de Bruxelles à Gand, il n'y a pas de personnel supplémentaire. Les cinq convois qui partent aujourd'hui de Bruxelles pour Gand iront directement par Alost.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Vous avez dit que le nombre des convois par Malines resterait le même.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il y a aujourd’hui cinq convois parlant de Malines pour Gand ; il y en aura encore cinq après la création de la ligne nouvelle ; mais ce ne seront plus des convois venant de Bruxelles, ce seront des convois venant d'Anvers et de Louvain.

Autre dépense : Pour l'entretien et les réparations ordinaires du matériel roulant, il faudra dans les stations d'Ath et de Lokeren, ou plutôt dans les ateliers à y établir, un personnel que l'on peut répartir ainsi :

Station d'Ath. En sus du personnel qui se trouve actuellement attaché à la station d'Ath, il faudra 1 chef d'atelier à fr. 2,400, 1 contre-maître à fr. 1,000, 3 ajusteurs à fr. 800, 3 apprentis ajusteurs à fr. 272, 2 forgerons à fr. 1,000, 3 aides-forgerons à fr. 600, 1 chaudronnier à fr. 600, 2 tourneurs à fr. 600, 1 menuisier à fr. 700, 1 garde-magasin à fr. 800 et 4 ouvriers et manœuvre à fr. 550. Total, fr. 15,316.

Station de Lokeren. D'abord comme pour la station d'Ath. Fr. 15,316. En sus 10 ouvriers et manoeuvres à 550 fr., fr. 5,500. Total, fr. 20,816.

Ce qui ensemble forme une somme de fr. 36,132.

Grosses réparations à exécuter au matériel roulant par les ateliers de Malines, fr. 18,212.

En 1830. Somme des dépenses faites à Malines, de ce chef, fr. 372,058 14 c.

(page 2042) Or, nous avons 884,034 locomotives-lieues, donc 42 centimes par locomotive-lieue. Ce prix de revient renferme encore une fois un élément fixe qui est bien certainement la moitié du tout, puisque, depuis plusieurs années, malgré l'accroissement des transports, il est resté le même, soit donc 21 centimes ou 86,724 locomotives-lieues x 21 centimes = fr. 18,212.

Pour être extrêmement complet dans les calculs, il était essentiel aussi de porter dans le compte les intérêts du capital nécessaire à l'acquisition du matériel supplémentaire. ïl était important aussi de fixer une certaine annuité pour renouvellement du matériel et de celui de railvvay. Or voici comment ces calculs ont été établis :

Intérêts du capital nécessaire à l'achat du matériel roulant (30,000 fr.)

Pour la ligne d'Ath à Lokeren, seulement on devra faire l'acquisition d'un matériel spécial. Eh bien, soit : 8 locomotives avec tenders à 45,000 fr., ci fr. 360,000 ; 8 diligences, dernier modèle, 7,500 francs, ci. fr. 60,000 ; 16 chars à bancs, id.. 5,400 fr., ci fr. 86,400 ; 32 waggons à voyageurs, à 4,500 fr., ci fr. 144,000 ; 16 waggons à bagages et à petites marchandises, à 4,500, ci. fr. 72,000 ; 125 waggons à grosses marchandises, à 1,600 fr., ci fr. 200,000 ; 10 au transport de bétail et de chevaux, à 2,500 fr., ci fr. 25,000 ; 30 bâches, à 150 fr. ; ci fr. 12,000 ; paniers, brouettes, ustensiles, somme globale, ci fr. 40.600.

Ensemble, 1,000,000 de fr. L’intérêt de 5 p. c. représente une somme de 50,000 fr.

Annuité pour renouvellement du matériel et de celui du railway : fr. 150,000.

On suppose que nonobstant les petites et les grosses réparations, le matériel roulant doive être entièrement mis hors d'emploi au bout de 20 ans. On suppose également que le matériel du railway doive être complètement renouvelé au bout de 20 ans, et pourtant il est à remarquer, que, pour les lignes nouvelles, le railway sera construit avec des rails de 54 kilog. par mètre, que les billes seront en chêne, sinon remplacées par des plateaux en fer, et qu'enfin la route sur toute son étendue sera exécutée à double voie.

Or la valeur des matériaux, provenant des objets mis hors d'emploi représentera, au bout de 20 ans, un capital nouveau d'environ 5 millions de francs.

Or encore, d'après des calculs connus, 5 fr. d'annuité pendant 20 ans reproduisent un capital de 100 fr.

Donc l'annuité à porter en compte, pendant 20 ans, pour faire face à un capital, de 5,000,000 sera de 5,000,000 x 0,05 ou 150,000 fr.

Dépense supplémentaire d'exploitation sur les lignes anciennes : fr. 40,143

Nous la portons à ce chiffre pour arrondir les chiffres totaux. Il ne s'agit que d'un trafic additionnel.

Enfin pour la direction, la surveillance, l'administration générale et frais divers, il a été porté une somme de 21,000 fr. ainsi répartie :

Traitement d'un ingénieur, frais de bureau compris, fr. 4,500, et de trois surveillants, fr. 4,500. Registres, bulletins, correspondances, frais divers, fr. 12,000. Ensemble, fr. 21,000.

Le compte ainsi établi, à quelle dépense d'exploitation arrive-t-on ? A une moyenne de 36,000 fr. par lieue. Eh bien, je demande à la chambre, qui pourra prendre une connaissance plus exacte de ces faits, qui seront tous au Moniteur, je demande à la chambre si le gouvernement n'était pas autorisé à établir ainsi la dépense d'exploitation ? D'abord il y a un fait qui devait rassurer ici le gouvernement, c'est le résultat de l'exploitation de la ligne de Tournay à Jurbise.

Par suite de l'exécution du chemin de fer de Tournay à Jurbise et l'exécution du chemin de fer de Hasselt à Landen, le réseau de l'Etat s'est trouvé allongé de 14 lieues depuis 1847, et depuis 1847 la dépense d'exploitation au lieu de subir une augmentation a subi une diminution notable. L'honorable M. de Brouwer disait hier : « Mais chaque tonne-lieue coûte 41 c. »

Eh bien, messieurs, si on devait admettre les calculs de l'honorable membre, voici quel en serait le résultat : C'est que comme, en 1850, on a transporté trois millions de tonnes-lieues, nous aurions été obligés de demander un crédit supplémentaire de plusieurs centaines de mille francs ; or, on sait que si les dépenses d'exploitation ont été plus considérables en 1850 qu'en 1849, c'est à cause des inondations, des travaux extraordinaires qu'on a dû exécuter sur la Sambre.

Un autre fait, messieurs, c'est celui-ci : La compagnie de la Flandre nciientale, la compagnie de Saint-Nicolas, la compagnie de l'Entre-Sambre-et-Meuse, ces compagnies exploitent aujourd'hui à raison de 20,010 à 25,000 francs par lieue. Eh bien, le gouvernement, qui a ses frais généraux payés, qui a son personnel, le gouvernement n'était-il pas autorisé à évaluer les dépenses de la ligne dont il s'agit à 36,000 fr. par lieue au maximum ? Ce premier point me semble donc tout à fait inattaquable.

Maintenant il s'agit de savoir si la recette s'élèvera à plus de 770,000 fr. Si elle ne s'élevait qu'à 770,000 francs, si les calculs de l'honorable M. de Brouwer pouvaient être exacts il en résulterait que pour 300,000 fr., le gouvernement aurait doté un magnifique contrée de deux chemins de fer ; il en résulterait que moyennant un sacrifice de 300,000 francs de la part de l'Etat une compagnie dépenserait 21 millions dans le pays. Ce serait encore une excellente affaire.

Mais il m'est impossible d'être d'accord avec l'honorable membre sur les recettes.

Il dit que la convention répose sur une théorie.

Eh bien, pour rassurer à cet égard l'honorable membre, je l'invite à vouloir, avec la patience qui le distingue, compulser tous les mouvements de statistique et à établir que les faits qui résultent de ces mouvements de statistique donnent une seule fois tort à ce qu'il appelle une théorie.

D'abord, l'honorable membre admet l'influence du raccourcissement du parcours ; il admet également l'influence du prix et l'influence du temps.

Eh bien, l'honorable membre estime qu'en portant à 300,000 fr. l'augmentation de recettes résultant de la réduction du parcours entre l'Ouest et Bruxelles, j'ai dépassé la vérité. Messieurs, je vais citer à cet égard plusieurs faits. Le premier a été mentionné dans la discussion d'hier. La ligne de Bruxelles sur Tournay a fourni en 1850 11,595 voyageurs, et la recette s'est élevée à 65,880 fr. Avant l'ouverture de la ligne de Tournay à Jurbise le nombre des voyageurs s'élevait à 6,503 et la recette était de 45,771 fr. Il y a donc, en mouvement, une différence de 78 p. c, et en recette une différence de 44 p. c.

Quel temps, avant l'ouverture du chemin de fer entre Tournay et Jurbise, mettait-on pour aller de Tournay à Bruxelles ? 5 heures. Quel temps y met-on aujourd'hui ? 3 heures 3/4. Il y a donc, en temps, une différence en moins de 25 p. c.

Quels étaient les prix ? Les prix, quand on allait par Malines, étaient de 9 fr. pour la première classe, de 7 fr. pour la deuxième et de 4 fr. 50 c. pour la troisième ; les prix sont aujourd'hui de 7 fr. 75, 6 fr. et 4 fr. Il y a donc, pour les prix, une différence en moins de 13 p. c.

Ainsi, il y a depuis l'ouverture du chemin de fer de Jurbise à Tournay, il y a une différence en temps de 25 p. c, et une différence en prix de 15 p. c. Or, c'est là le résultat que nous allons obtenir par l'exécution directe du chemin de fer de Bruxelles à Gand. Il y a aujourd'hui 76 kilomètres, il n'y en aura plus que 57 par Alost, il y a donc une différence en temps de 25 p. c. ou 19 kilomètres. On paye aujourd'hui pour 66 kilomètres ; on payera désormais pour 57 kilomètres ; il y a donc une différence en prix de 13 p. c, et une différence en temps de 25 p. c. Pourquoi le résultat qui a été constaté pour le chemin de fer de Tournay à Jurbise ne se reproduirait-il pas pour la ligne directe de Bruxelles sur Gand ? Pourquoi n'aurait-on pas une augmentation de recette de 44 p. c. et une augmentation dans les mouvements de 78 p. c ?

Mais il y a une raison spéciale pour croire que la différence sera plus notable. C'est que l'influence de la réduction se fait sentir beaucoup plus vivement sur des distances moindres que sur des distances longues.

Quel était en 1847 le chiffre de la recette du chef des voyageurs entre Gand et Bruxelles ? 250,000 fr., c'est-à-dire que de ce chef seulement il y aurait déjà pour les seules relations entre Bruxelles et Gand une augmentation de 120,000 fr. (Interruption)

Il est évident que ce n'est là qu'une partie de la recette supplémentaire, parce que je n'examine ici que l'influence de ce raccourcissement au point de vue de deux villes, mais elle se fera sentir sur beaucoup d'autres villes.

Quant à la part qui reviendra à l'Etat, l'honorable membre est à peu près d'accord avec le gouvernement ; il estime que la compagnie qui exécutera le chemin de fer d'Ath à Lokeren et de Bruxelles à Gand par Alost ferait, du chef des stations nouvelles, une recette d'environ 1,500,000 1,600,000 fr. ; l'honorable M. de Brouwer évalue à 387,000 fr. la part qui reviendrait de ce chef à l'Etat.

J'ignore à l'aide de quels éléments l'honorable M. de Brouwer est parvenu à calculer le nombre de voyageurs, et surtout le nombre de voyageurs-kilomètres qui partiraient de ces stations nouvelles et qui viendraient à ces stations nouvelles. Mais, pour arriver au chiffre de 1,600,000 francs, le gouvernement s'est placé à un point de vue différent : le gouvernement s'est dit d'abord : Si la compagnie qui se propose d'exécuter ce chemin de fer est sérieuse, et elle l'est, comme je le démontrerai tout à l'heure, elle doit au moins compter sur un revenu de 5 à 6 p. c. du capital.

Or, ce capital est de 21 millions, ce qui représente, en intérêts et amortissement, une somme de 1,200,000 fr., ce qui suppose une recette de 1,600,000, puisque l'Etat a le quart.

Mais indépendamment de ce premier élément d'appréciation, il y en a (page 2043) un autre sur la portée des résultats financiers que cette concession offrirait à la compagnie.

L'honorable M. Malou disait dernièrement : Ce système, c'est l'inconnu ; on ne sait avec ce système où l'on va. On concède des lignes, et l'on ne concède pas des stations.

J'ignore ce qu'on veut dire par ce mot : On concède des lignes. Des compagnies qui demandent une concession quelconque, ne demandent pas à exécuter seulement les lignes ; elles n'apprécient l'importance des concessions qu'au point de vue des recettes. Et où prend-on les recetles ? C'est dans les stations au départ. Donc si l'on ne concède pas les stations, on concède tout au moins les recetles dues à ces stations.

Si le raisonnement de l'honorable M. Malou était exact, il en résulterait que plus les localités seraient distantes l'une de l'autre, plus la concession serait avantageuse.

« Mais, disait l'honorable M. Malou, c'est l'inconnu que vous concédez. »

Eh bien, c'est moins l'inconnu que dans le système du chemin de fer de Tournay à Jurbise. C’était là du véritable inconnu, et pourquoi ce système aboutissait-il à l'inconnu ? Parce que, pour calculer l'importance des stations, on n'avait que des éléments d'appréciations vagues, confus.

D'après le système du chemin de fer de Tournay à Jurbise qui est d'allouer à l'Etat 50 p.c. de la reeelte brute, la compagnie, pour établir l'importance de chaque station doit évaluer cette importance sur chacun des points du réseau général. Ainsi, pour calculer l'importance de Tournay, par exemple, la compagnie aurait été obligée de calculer l'importance que Tournay aurait sur chacune des 125 stations du réseau général.

Indépendamment de ce produit qui était l'inconnu à la plus haute puissance, il y en a un autre qui était l'inconnu de l'inconnu, c'était le transit.

Comment, dans le système vanté par l'honorable M. Malou, évalue-t-on le produit de ce transit sur la ligne ? Car la compagnie de Tournay profite du transit sur sa ligne ; elle prend une part quelconque de ce transit ; comment l'évaluer ? tandis que dans le système du gouvernement, nous sommes en présence d'un résultat probable au moins ; l'importance des stations peut être évaluée, on a des éléments de comparaison.

Ainsi, la station de Termonde est une station qui, comme importance financière, représente 300,000 francs ; la station d'Alost se trouvera, si le réseau est exécuté, dans une position beaucoup plus centrale ; elle est à 5 lieues de Gand, à 5 lieues de Bruxelles ; elle est à cheval sur la ligne de la Dendre ; sa population est double de celle de Termonde ; le mouvement industriel et commercial est au moins double ; on évalue l'importance de l'agriculture pour le pays d'Alost à 42 millions, et l'importance industrielle à 35 millions.

L'importance de la station d'Alost sera donc considérable, et ce n'est pas trop dire que d'évaluer la station d'Alost au départ et à l'arrivée, à 600,000 francs.

Maintenant, quelles sont les autres stations ? Grammont, Lessines, Ninove. Ces trois stations réunies ont en population, en industrie la même importance qu'Alost, elles se trouvent donc dans une position aussi favorable qu'Alost pour représenter la même recette. Le pays de Waes si riche, si industrieux, sera également relié au chemin de fer. Saint-Nicolas, Lokeren, Zele, Hamme, Waesmunster, toutes ces localités seront ou rattachées au réseau ou appelées a en retirer des avantages. L'intérêt de la compagnie est d'activer les transports sur ses lignes. On peut donc évaluer à 500,000 ou 6,000,000 francs les produits dus au prolongement de la ligne jusqu'à Lokeren.

L'honorable M. de Brouwer a critiqué aussi d'autres évaluations, celles notamment qui ont été faites en vue de l'accroissement entre le Midi et l'Ouest par la ligne de la Dendre et celles qui seront la conséquence de ce fait qu'on évitera, dans beaucoup de cas, les lignes concédées de Tournay à Jurbise.

Eh bien, je n'entre point dans la justification des chiffres que j'ai produits à cet égard ; je ne veux pas fatiguer la chambre par une démonstration qui serait longue. J'admettrai, si l'on veut, les réductions de l'honorable M. de Brouwer, qu'en résulterait-t-il ? C'est que la dépense serait encore en dessous de la recette. 770,000 fr. d'une part et 850,000 fr. d'autre part. L'affaire, dans ce cas encore, serait excellente pour l'Etat, puisque 21 millions de chemins seraient construits sans qu'il en coûte rien au trésor.

Un troisième point méritait de fixer l'attention du gouvernement et de la chambre. La compagnie est-elle sérieuse ? A-t-on pris toutes les précautions pour qu'elle le soit ?

Le gouvernement, dans les résultats éventuels de cette entreprise, n'a-t-il à redouter aucune crainte de fraude, aucune crainte de détournement ? D'abord, comme j'ai eu l'honneur de le dire à la chambre, la compagnie s'est adressée au gouvernement à la date du 29 janvier 1850.

Ses propositions firent de la part du gouvernement l'objet d'un examen très long et très attentif. Le gouvernement, avant de se prononcer sur les bases de ce système, avant de l'adopter définitivement, informa la compagnie qu'elle eût à faire des justifications, qu'avant de discuter les bases de la convention soumise, il fût justifie du caractère sérieux de la compagnie, et des ressources financières qu'elle pouvait avoir. Cette justification fut faite pour une partie notable du capital. Indépendamment de cette justification, il y a dans la combinaison, telle que le gouvernement l'adopte et la soumet à la chambre, il y a des garanties plus serieuses que celles qui ont été offertes au pays en 1845.

D*ab»rd, il y a une garantie réelle résultant du cautionnement de 2 millions, acquis à la compagnie, qui est déposé dans la caisse du trésor et qui restera comme garantie d'exécution de la ligne nouvelle.

Avant que l'arrêté de concession n'intervienne, il faudra que la compagnie verse le cautionnement supplémentaire d'un million ; de plus, la chambre aura pu se convaincre, par l'examen de cette convention, qu'elle contient une autre stipulation. L'article 22 de la convention porte :

« La compagnie aura la faculté de se constituer en société anonyme. Les statuts devront être approuvés par le Roi conformément aux lois sur la matière. Il y sera stipulé que les souscripteurs demeureront personnellement responsables pour eux et leurs cessionnaires, jusqu'à concurrence de 50 p. c. du montant des actions souscrites. »

Eh bien, en 1845, l'on opérait de la manière suivante : quelques fondateurs se réunissaient, faisaient un cautionnement, une convention provisoire intervenait entre le département des travaux publics et ces fondateurs.

Ces fondateurs, munis de cette convention provisoire d'où résultait la preuve qu'ils avaient fourni le premier cautionnement, émettaient des actions ou des promesses d'actions. Sur ces actions ou promesses, on faisait un premier versement ; les fondateurs se couvraient et au-delà du cautionnement, les actions s'émettaient avec prime et il n'était pas rare de voir des fondateurs dont la fortune personnelle était plus ou moins médiocre, souscrire pour un ou deux millions de francs d'actions.

L'arrêté intervenait, toutes les actions étaient souscrites, le cautionnement restait dans les caisses de l'Etat ; mais les travaux ne s'exécutaient pas.

Ici au lieu d'avoir une garantie illusoire, la garantie personnelle, qui ne pouvait jamais couvrir une souscription de deux millions, au lieu d'avoir des fondateurs personnellement responsables, on a des actionnaires responsables jusqu'à 30 p. c. Or quels sont les actionnaires qui verseront 30 p. c. si toutes les actions ne sont pas souscrites ?

Quand le gouvernement a la preuve que tout le capital est souscrit et que 30 p. c. sont versés, quand il a entre les mains 3 millions de cautionnement, il a toute espèce de garantie que la compagnie est sérieuse.

D'autre part, la chambre a pu se convaincre, par la nouvelle annoncée aujourd'hui dans un journal, que l'ancienne compagnie a ratifié la cession du cautionnement de 2 millions.

L'ancienne société n'aurait pas ratifié la cession du cautionnement si on ne lui avait pas à cet égard accordé satisfaction.

Messieurs, un autre point qui devait exciter la préoccupation du gouvernement et qui a appelé la sérieuse attention de la section centrale, c'est celui qui se rapporte à l'exécution loyale de l'acte de concession.

S'il n'avait existé à cet égard aucune stipulation dans la convention provisoire, on aurait encore pu se demander si la fraude était possible ; s'il était possible d'admettre des expéditions de marchandises faites en fraude des droits de l'Etat ; s'il n'avait existé, à cet égard, aucune disposition répressive, je dis qu'on pouvait encore se demander si cette fraude était praticable ; pour cela l'on doit supposer un concert frauduleux entre les expéditeurs, le conseil d'administration, les actionnaires et les employés du gouvernement. Or, cela est-il admissible ? Où, dans quelle caisse prélèverait-on, du reste, la prime qui serait le prix de la fraude ? Apparemment dans les caisses de la société. Mais toutes les dépenses, toutes les recettes doivent être exactement renseignées.

L'agent comptable est un fonctionnaire de l'Etat et les bilans doivent être communiqués au gouvernement. Au reste, la compagnie sur ce point a voulu aller au-devant du soupçon. Elle a consenti à laisser exiger d'elle les mesures répressives les plus rigoureuses ; et c'est dans cette pensée que la section centrale, d'accord avec le gouvernement, a proposé une rédaction qui renferme une sanction expresse ; c'est-à-dire que, par les détournements les plus insignifiants, la compagnie se trouve exposée à voir confisquer la recette de tout un mois.

Je demande si, en présence de cette pénalité, il entrera jamais dans la pensée des actionnaires de cette société de recommander au conseil d'administration de se prêter à une fraude, contre laquelle, du reste, ils protestent énergiquement.

Messieurs, je ne veux pas prolonger la discussion sur cette question par de nouveaux détails. Je pense qu'il résulte du résumé succinct que je viens de présenter à la chambre, qu'au point de vue des dépenses d'exploitation, les évaluations du gouvernement sont inattaquables ; qu'elles ne dépassent pas le chiffre de 770,000 francs ; qu'au point de vue des recettes, même en opérant les réductions qui résultent des dernières données fournies par l'honorable M. de Brouwer, ces recettes dépassent encore de 180,000 fr. la dépense supplémentaire d'exploitation qui résulterait de l'adjonction de ces deux lignes ; enfin qu'au point de vue du caractère sérieux de cette compagnie, et des précautions à prendre dans l'intérêt du trésor, toute satisfaction a été donnée au gouvernement.

Je ne pense pas qu'en présence de ces éléments de conviction il soit possible de contester sérieusement, soit la combinaison proposée par le gouvernement, soit les résultats financiers qu'elle doit présenter dans l'avenir.

M. Malou. - J'ai l'honneur de proposer à la chambre, ainsi que je l'ai annoncé dans la discussion générale, d'admettre, pour le chemin de fer de Dendre-et-Waes, la combinaison en vigueur pour le chemin de fer de Tournay à Jurbise. En faisant encore une proposition dans ce débat, (page 2044) je n'ai guère d'illusion ; mais s'il ne m'est pas possible de faire prévaloir en ce moment ce que je crois être juste, vrai et conforme aux intérêts généraux du pays, je ne trouve cependant pas dans cette impossibilité un motif de m'abstenir.

Il se peut en effet (je ne sais si c'est une illusion) que l'avenir, et un avenir assez rapproché prouve que des fautes ont été commises, que j'avais raison de combattre certaines parties du projet. C'est la compensation que j'ambitionne.

Je ne suis pas hostile à la construction du chemin de fer de Dendre-et-Waes ; je crois, au contraire, et toutes les personnes qui ont visité ces contrées, qui ont étudié les ressources qu'elles offrent, reconnaîtront que c'est peut-être la plus belle ligne intérieure qu'on puisse construire encore eu Belgique.

Mais je combats le système nouveau, le principe de la convention que le gouvernement a cru pouvoir soumettre à l'approbation de la législature.

L'honorable député d'Alost qui a ouvert ce débat définit ainsi la combinaison : c'est un prêt dont les intérêts et les remboursements se font par une participation aléatoire aux recettes de l'Etat. Eh bien, cette définition me suflit pour prouver que le système est radicalement mauvais ; qu'il est inacceptable par la chambre.

Est-ce que le chemin de fer ne figure pas dans notre budget des voies et moyens de 1852 pour une somme de 16 millions ? N'est-ce pas le septième de l'ensemble de notre budget ? N'est-ce pas la ressource la plus précieuse que nous possédions ? C'est un impôt qui se paye comme rémunération d'un service rendu ; qui, par cela même, n'a rien d'onéreux, d'impopulaire ; et nous irions, par une combinaison aléatoire, compromettre une partie de cette recette qui nous est si précieuse aujourd'hui !

- Un membre. - Les loteries sont défendues.

M. Malou. - Cela est parfaitement vrai ; et M. le ministre de la justice a même présenté récemment un projet de loi pour renforcer encore la législation qui prohibe les loteries. Eh bien, ici, c'est réellement le gouvernement, c'est l'Etat qui fait une combinaison aléatoire, qui prend des billets à une loterie.

Si c'était du moins une loterie dont les chances sont déterminées, connues, je comprendrais une telle combinaison ; mais ici c'est une loterie dont les chances sont inconnues, incertaines, imparfaitement calculées.

Dans tous les pays même où les loteries sont considérées comme morales, des loteries de cette nature ne seraient pas admises.

Voici, messieurs, comment je définis cette combinaison aléatoire : c'est l'aliénation déguisée, au profit d'un intérêt particulier, d'une portion du budget des voies et moyens ; c'est l'abandon d'une partie de la recette du chemin de fer au profit d'une société concessionnaire.

On dit que ce système est parfaitement connu ; que le système de la concession du chemin de fer de Jurbise l'est moins ; on dit qu'on concède des lignes mais non des produits. Je ne puis vraiment comprendre un tel argument, surtout de la part de M. le ministre des travaux publics ; car enfin, quand on concède des lignes, on donne aux concessionnaires le produit des péages perçus sur ces lignes. Ici, vous ne concédez pas ces péages, mais une partie importante des péages à raison du parcours sur tous les chemins de fer. C'est là qu'est la différence, c'est là qu'est l'énormité du système.

Si l'on voulait construire en Belgique un réseau de chemins de fer dont la longueur fût égale à celle des chemins de fer de l'Etat, la combinaison aléatoire serait juste. Mais ici la compagnie construit une ligne qui vient s'enchâsser dans un réseau dont elle ne formera que le huitième comme étendue. Eh bien, quelle est toute la combinaison aléatoire ? Il y a à calculer les chances respectives : pour l'un tous les produits sont multipliés par huit à son profit ; et pour l'autre on ne multiplie pas.

Vous couvrez de fleurs cette combinaison ; vous la cachez sous un voile épais ; vous dites qu'il s'agit d'un transit mutuel, d'une espèce de fraternité entre les chemins de fer. Mais, messieurs, comment, lorsque je donne à la compagnie l'exploitation du parcours sur 125 lieues d'étendue en retour d'un libre transit sur 15 à 20 lieues, comment pouvez-vous dire qu'il y a réciprocité, qu'il y a là un transit mutuel, une sorte d'association fraternelle entre deux exploitations ?

Appliquons votre système à des faits.

L'Etat a construit, exploité 125 lieues de chemin de fer. La compagnie va en construire, y compris le chemin de fer direct, 20 lieues. Tout ce que produira la ligne de Dendre-et-Waes sera pour les trois quarts au profit de la compagnie, quelle que soit la destination. Ainsi un colis part d'Alost pour Verviers, pour Ostende, pour toute extrémité de la ligne de l'Etat, les trois quarts du produit sont pour la compagnie ; et de même au retour.

Est-il vrai d'abord qu'en appliquant ce système aux faits actuels, l'Etat conserve tout ce qu'il a ? Est-il vrai que l'on construise la ligne directe pour rien ? En discutant les articles de la convention, j'espère établir au contraire que l'on prend beaucoup à l'Etat et qu'on ne lui accorde en réalité presque rien.

Je disais, messieurs, en commençant que je désirais l'exécution de la ligne de Dendre-et-Waes.Voyons si, d'après la convention, il existe pour cette partie du pays la moindre garantie de l'exécution de cette ligne ?

Lorsque je combine l'article premier et l'article 19 de cette convention, j'ai le regret de constater que la compagnie est en quelque sorte propriétaire de cette ligne pour le terme de cinq années ; qu'avant le terme de cinq années si elle n'exécute pas, on ne peut pas poursuivre contre elle la déchéance, et le pays tout entier est en quelque sorte en interdit pour elle pendant cinq années.

Voilà la première garantie d'exécution que vous avez.

En effet, on lui donne pour l'exécution de toute la ligne ce délai de cinq ans et nulle part on ne détermine quels seront les termes partiels pour l'exécution de chacune des parties du système ; de sorte que si la compagnie, après avoir fourni le cautionnement, fait des travaux illusoires, dépense quelques centaines de francs par année, la compagnie ne peut être déclarée déchue. Elle a, pendant cinq années, la propriété exclusive de toute cette partie du pays. On ne peut y faire les travaux que l'intérêt public réclame.

Voilà une première conséquence de la convention telle qu'elle est rédigée.

Mais dira-t-on que ces délais partiels seront déterminés par le cahier des charges ? Je répondrai que l'article 4 de la convention est conçu de telle manière que la compagnie y trouve, si elle le veut, une nouvelle clause résolutoire.

Il est dit en effet que le cahier des charges devra être arrêté par le gouvernement de commun accord avec la compagnie ; de sorte que si la compagnie ne veut pas exécuter, si elle est dans la situation que je définissais tout à l'heure, elle n'a qu'à refuser son assentiment à telle ou telle disposition du cahier des charges, et elle reste dans cette position de pouvoir empêcher le gouvernement de donner la concession à d'autres. Si ce sont là des garanties d'exécution, je n'y comprends plus rien.

J'arrive à la question la plus importante, les articles 8, 9, 10 et 11 de la convention.

Je fais remarquer d'abord que de la discussion même qui vient d'avoir lieu doit naître au moins un doute. En effet, messieurs, les choses qui sont claires, qui peuvent être bien établies, n'ont pas besoin d'autant de chiffres que M. le ministre des travaux publics vous en a apporté tout à l'heure.

Une telle multitude de chiffres peut bien servir à obscurcir une question qui est claire ; mais elle est inutile pour démontrer ce qui est simple, ce qui est compréhensible en soi.

Mais pour ne pas revenir sur ces détails de chiffres, je prends dans le rapport de la section centrale, dans les documents fournis par l'honorable ministre des travaux publics, ce chiffre de 5 1/2 p. c. que la compagnie obtiendra probablement (on est à peu près d'accord sur ce point) au moyen des trois quarts des recettes.

Messieurs, il y a une opération arithmétique très simple à faire. Si la compagnie obtient 5 1/2 p. c. au moyen des trois quarts de la recette, combien l'Etat recevra-t-il en ayant la totalité de la recette ? Dans cette hypothèse l'Etat recevra 7 1/3 p. c.

Si les trois quarts de la recette donnent 6 p. c, la totalité de la recette vous donnera 8 p. c. Messieurs, quelle conclusion tirer de ces chiffres ? C'est que de deux choses l'une : ou la ligne de Dendre-et-Waes est tellement bonne qu'elle peut par elle-même produire 7 ou 8 p. c. ; ou bien la différence est comblée au moyen d'un prélèvement sur les produits du chemin de fer pour les lignes qui sont déjà construites.

Soutiendra-t-on que la ligne de la Dendre peut à elle seule, dans des conditions normales, donner 7 et 8 p. c ? Mais pourquoi concéder une pareille ligne ? Vous avez en moyenne sur les lignes de l'Etat, dit l'honorable ministre, 4 13/100 p. c. ; et vous iriez bénévolement concéder, au risque de faire percevoir par d'autres 6 ou 7 p. c, une ligne comme celle de Dendre-et-Waes ! Mais de deux choses l'une : ou bien vos chiffres prouvent que vous avez tort de concéder, ou bien ces chiffres sont inexacts.

On aura à peu près 6 p. c. sur un capital de vingt et un millions, en prenant seulement le produit de quelques stations, qui sont situées sur la ligne de Dendre-et-Waes ; et on fait gratuitement, nous dit-on, la ligne directe de Bruxelles à Wetteren.

Mais, encore une fois que résulte-t-il de ce simple fait, sinon que ce n'est pas la ligne qui produit un pareil revenu, mais que c'est une participation parfaitement déguisée aux recettes que le trésor opère aujourd'hui sur le chemin de fer de l'Etat. Si ce n'est pas cela, qu'on me dise qui paye la différence ?

L'Etat, nous dit-on, conserve ce qu'il a. Messieurs, l'Etat possède aujourd'hui, par Audeghem et par Termonde, une très grande partie des transports que l'on vous propose d'abandonner à la compagnie. On doit reconnaître que la station d'Audeghem représente aujourd'hui Alost, S'il en était autrement, la station d'Audeghem ne pourrait être évaluée à 80,000 fr., en comprenant l'arrivée et le départ.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - C'est cependant exact : 80,000 fr., pas un centime de plus ni de moins.

M. Malou. - Je dis moi-même que cela est exact, que la station d'Audeghem vaut 80,000 fr., parce qu'elle représente Alost et que désormais la station d'Alost passe à la compagnie. Il est donc inexact de dire que l'Etat conserve tout ce qu'il a.

La compagnie est assez généreuse pour laisser à l'Etat le produit actuel de la slation de Termonde ; elle ne le garantit pas, comme M. Bruneau le disait hier, mais elle ne demande à partager le produit de cette station que lorsque le chiffre actuel sera dépassé.

M. Bruneau. - Elle le garantit.

M. Malou. - (page 2045) Je devrais avoir bien rail lu ; voici ce que porte la convention :

« Art. 11. Dans l'appréciation des recettes dues à la station de Termonde, on passera d'abord en déduction, au profit exclusif de l'Etat, une somme égale à celle des produits auxquels cette station aura donné lieu, tant au départ qu'à l'arrivée, pendant l'exercice 1851, de sorte qu'on ne tiendra compte à la compagnie que des trois quarts de l'accroissement éventuel que ladite somme de produits aura éprouvée. »

Si je sais lire, il résulte de là, que si le gouvernement obtient plus que la recette de 1851, la compagnie vient partager avec lui ; mais s'il reçoit moins, la compagnie ne vient pas compléter la somme. Elle ne garantit donc pas le produit de la station de Termonde.

Mais, messieurs, il y a plus ; la compagnie enlève à l'Etat une grande partie des recettes de la station de Termonde. En effet, la population du pays de Waes ne vient-elle pas prendre le chemin de fer de l'Etat à Termonde ? Il suffit devoir la situation des localités pour se convaincre qu'une très grande partie du mouvement de la station de Termonde est due aux populations environnantes qui, lorsque la ligne nouvelle sera construite, suivront cette ligne nouvelle.

Ainsi, messieurs, en vous donnant la garantie qu'on ne partagera que l'augmentation éventuelle, on ne vous donne rien puisqu'on vous enlève préalablement une grande partie des recetles actuelles.

L'article 10 du contrat est si artistement rédigé, qu'il faut le lire plusieurs fois avant de pouvoir en apprécier bien les conséquences. Je recommande ce point à l'attention toute spéciale de la chambre. Je disais tout à l'heure que l'on concédait toute cette partie du pays pour 5 années ; maintenant je voudrais vous rendre attentifs aux conséquences de l'article 10 de la convention, en ce qui concerne l'intérêt général, l'avenir, la liberté d'action du gouvernement et l'existence de nos chemins de fer. Voici quelques-unes de ces conséquences :

Nous avons 125 lieues de chemin de fer. Je suppose que, dans un temps donné, dans un temps double peut-être de celui que nous avons mis à construire ces 125 lieues ; nous en construisions 100 autres ; qui profitera de cet accroissement du réseau national? La compagnie.

L'arlicle est rédigé de telle manière que tout ce que l'Etat perçoit ou percevra sur un point quelconque dès que le départ ou l'arrivée a lieu dans une station de la ligne nouvelle, la compagnie en prélève les trois quarts. Ainsi chaque fois qu'on étendra le réseau national, on augmentera les revenus de la compagnie, et s'il m'est permis de me servir de cette expression, on peut dire de cette compagnie que « le bien lui viendra en dormant ».

Remarquez , messieurs, qu'il est très probable que l'exploitation par l'Etat viendra à s'étendre. Je suppose, par exemple, que quelques-unes des compagnies concessionnaires fassent , avec l'Etat, une transaction pour lui abandonner l'exploitation ; je dis que cela est probable, parce que cela est dans les tendances de l'administration du chemin de fer. Il y a certains inconvénients dans la diversité d'exploitation de lignes qui se raccordent, et on fait des efforts pour tâcher de ramener l'unité d'exploitation; eh bien, si l'exploitation par l'Etat se généralise, si on rachète certaines lignes, si, par exemple, la ligne du Luxembourg venait à être exploitée par l'Etat, qui en profiterait ? Là compagnie pour les trois quarts, à raison de tout ce qui proviendrait de la ligne qu'elle a construite ou de ce qui aboutirait à cette ligne.

Je ne veux pas pousser plus loin les hypothèses, mais vous voyez, messieurs, combien, sous cette forme d'une convention en quelque sorte locale, on a engagé sur tous les points la liberté d'action du gouvernement et l'avenir de nos chemins de fer.

Il y a, messieurs, en Belgique une concession où l'Etat prend la moitié de la recette brute. Je suppose un transport d'Alost à Tournay. Combien croyez-vous que l'Etat recevra ? Il recevra 1/4 pour le parcours d'Alost à Ath, mais d'Ath jusqu'à Tournay il ne recevra plus que le huitième et il reste chargé de la totalité des frais d'exploitation. Est-on bien recevable, lorsque de pareilles conditions sont stipulées, à faire valoir le bienfait de l'apport de nouvelles populations de nouveaux voyageurs ? Mais chaque voyageur qu'on apporte ne vaut que le quart d'un autre voyageur, puisque l'Etat ne peut pas recevoir plus de 25 p. c. sur cette catégorie de transports.

L'honorable M. Bruneau citait hier le mouvement fourni au chemin de fer de l'Etat par certaines lignes concédées, la lignes de Manage, par exemple, et le chemin de fer rhénan. La ligne de Manage rapporte à l'Etat 671,000 fr. le chemin de fer rhénan, 943,000; mais chacune de ces lignes laisse à l'Etat la totalité du péage sur la ligne nationale ; ici, au contraire, la compagnie suit en quelque sorte comme sa propriété, le voyageur et la marchandise partout où ils vont, aussi loin que l'Etat doit les transporter. Pour le dire en passant, lorsque vous aurez admis pareil système, si certaines lignes concédées périclitent, comment les recevrez-vous lorsqu'elles viendront vous demander de faire cesser la révoltante inégalité que vous aurez établie entre elles et la ligne dont il s'agit en ce moment et en faveur de laquelle on veut aliéner jusqu'à un certain point le réseau national ? Cet immense instrument nous pensions que l'Etat l'avait créé pour son propre avantage, mais nous voyons maintenant qu'il l'a créé aussi pour que d'autres l'exploitent.

On s'est livré à des calculs très minutieux pour démontrer que la ligne nouvelle n'occasionnera pas à l'Etat une augmentation de dépense.

Je crois qu'il y a un raisonnement très simple à faire : l'Etat, pour tout ce qu'il transporte sur ses lignes, a des frais d'exploitation, s'élevant ' aujourd'hui à 57 p. c; par conséquent, la recette nette pour l'Etat est de 43 p.c. du péage; et l'on nous propose de faire sur les lignes de l'Etat, des transports, pour le compte de la compagnie, au profit de la compagnie, en prélevant seulement 25 p. c. Voilà le résultat financier de l'opération qu'il s'agit de sanctionner.

Un quart du péage, dit-on, couvre les frais, parce qu'il s’agit d'un trafic supplémentaire. Mais sans entrer encore ici dans des détails qu'il est très difficile de saisir, je me demande comment il est possible qu'en règle générale un trafic supplémentaire puisse, dans toutes les hypothèses, être couvert au moyen du quart du péage.

Je pose, par exemple, cette hypothèse empruntée au chemin de fer de Manage. Il se développe naturellement, je parlerai tout à l'heure du développement artificiel, mais il se développe naturellement dans la vallée de la Dendre un mouvement considérable de marchandises pondéreuses. Je suppose que le couchant de Mons apporte à Alost ou à Ath annuellement, en charbons, par exemple, la quantité que le chemin de fer vers Manage apporte à l'Etat à la station de Manage, 200,000 tonnes de charbons. Cela n'a rien d'exagéré.

Lorsque vous devrez, pour ce trafic supplémentaire, organiser vos convois spéciaux, lorsque vous devrez les faire fonctionner pour ainsi dire sans interruption, direz-vous que le quart du péage vous indemnisera de vos frais, vous donnera même un bénéfice ? Oui, si la ligne de la Dendre ne doit vous donner que quelques voyageurs pour occuper les places vides dans vos convois, ne doit vous donner que quelques colis ; oui dans cette hypothèse seulement, le quart du péage peut vous indemniser de vos frais; mais si le mouvement des voyageurs et des marchandises est considérable, ce n'est pas 25, c'est 57 p. c. du péage qui vous indemnise de vos frais.

S'il en est ainsi, plus la compagnie augmentera son mouvement, plus elle aura de transports, plus vous serez constitués en perte; ses bénéfices seront en raison directe des pertes que vous ferez.

Messieurs, je vais au devant d'une objection. L'honorable M. Bruneau nous disait hier qu'il était à désirer que la compagnie fît de bonnes affaires, que cela encouragerait l'esprit d'association. Je désire aussi que la compagnie fasse de bonnes affaires, je désire que tous les placements industriels puissent donner un intérêt de 6, de 7 et même de 10 p. c.

Mais ce qu'on ne peut pas admettre, c'est que l'Etat accepte une combinaison telle, que cet intérêt puisse être fourni au moyen d'une partie du budget des voies et moyens. Il ne faut même pas, pour que l'Etat repousse une semblable combinaison, qu'il soit démontré que tel doit être le résultat de la combinaison; il faut seulement que, dans une hypothèse donnée, le budget soit exposé, au profit d'une société particulière, à parfaire un intérêt de 6 ou de 7 p. c. (Interruption.)

Je ferai tantôt la part des abus auxquels le système peut donner lieu; mais en supposant qu'il n'acquière aucun développement artificiel, je dis qu'un doute existe, qu'il est grave et que dans certaines hypothèses l'Etat perdra réellement. C'est une loterie dans laquelle nous prenons le mauvais numéro, en sachant qu'il est mauvais.

L'article 13, tel qu'il était d'abord rédigé (j'abrège ces considérations pour ne pas abuser des moments de la chambre), était une mine inépuisable de procès ; il était presque impossible de le comprendre; la section centrale y a substitué une rédaction meilleure.

Mais, voyez cependant combien ce système est vicieux ; la précaution que l'on prend, prouve quels sont les dangers du système dans lequel on entre : il faut insérer dans la convention une disposition qui donne au gouvernement un pouvoir très étendu pour déjouer la fraude. En effet, on place la compagnie dans une situation telle, à l'égard du chemin de fer de l'Etat qu'elle a intérêt à frauder, et qu'elle aura un profit d'autant plus grand qu'elle fraudera plus. On cherche en même temps à prouver que la fraude est impossible.

Eh bien, je ne suppose pas qu'on fraude, mais il y a telles combinaisons, tels contrats parfaitement légitimes et irréprochables entre la compagnie et d'autres compagnies, il y a telles opérations non interdites à la société, qui peuvent diminuer les recettes de l'Etat en augmentant les profits de la compagnie.

Je suppose, par exemple, que la Dendre étant améliorée, il se forme une société pour la navigation de la Dendre et du bas Escaut ; que cette société vienne transporter des charbons de Mons et d'autres produits pondéreux à Alost ou à une station intermédiaire, et que la compagnie s'engage à fournir, à tel ou tel prix, le charbon à une autre société, à Alost ou dans une autre station, il est évident que puisque le péage n'est que le quart de ce qu'il est pour d'autres, la compagnie a le profit des trois quarts, et qu'elle fait transporter à perte par l'Etat. Ce n'est qu'une hypothèse; en usant de son droit, sans frauder, la compagnie constitue l'Etat en perte autant qu'elle voudra.

Je ne m'arrête qu'un instant à l'article 15 de la convention ; il y a là une question de forme; on dit dans la convention : « Telles lois, tels arrêtés sont abrogés. » On aurait pu peut-être prendre les choses d'une manière moins cavalière.

L'article 16 soulève une question très grave sur laquelle j'appelle toute l'attention de la chambre.

Parmi les pièces annexées aux documents qui nous ont été distribués, se trouve un arrangement conclu entre les anciens concessionnaires de la Dendre et les fondateurs de la société nouvelle, pour la disposition du cautionnement de 2 millions. Je regrette vivement que cette pièce ne constate pas à quelles conditions la transmission de ces 2 millions se fait. Le gouvernement et la chambre ont droit de savoir à quelles (page 2046) conditions ces deux millions, qui se trouvent dans les caisses du trésor, en sortiront pour la compagnie nouvelle.

Voici d'où résulte cet intérêt : On assure que la transaction avec les anciens concessionnaires de la Dendre est faite de telle manière que les 2 millions seront remis par le trésor à la compagnie nouvelle, à la condition de payer, les uns disent 1 million, d'autres disent 1,200,000 fr. à la compagnie ancienne.

Si ce fait est exact, la chambre doit connaître quelle est la natre de l'arrangement qui est intervenu ; le gouvernement a ces deux millions en sa possession ; il peut en disposer ; mais il ne peut pas permette qu'une transaction se fasse entre particuliers, de telle manière que les propriétaires de ce cautionnement doivent en sacrifier une partie pour sauver le reste ; il ne peut pas le permettre, parce qu'on aurait le droit de dire, en Angleterre, que, lorsqu'une pareille concession se fait, à la connaissance du gouvernement, il prête les mains au rachat d'une partie de ce capital, il se prête à une transaction que le gouvernement ne peut pas honorablement autoriser.

Je demande donc positivement à quelles conditions le cautionnement a été transmis d'une compagnie à l'autre.

L'article 19 de la convention se réfère à un cahier des charges qui n'existe pas et ne peut exister qu'avec l'assentiment de la compagnie. Cet article contient un autre principe très grave, c'est qu'en cas d'inexécution, la déchéance n'est pas absolue : si la première adjudication a lieu et qu'un soumissionnaire nouveau se présente, la compagnie aurait droit au remboursement des travaux qu'elle aurait faits.

Si l'on veut avoir des garanties sérieuses d'exécution, il faut que la compagnie soit déchue complétement des travaux exécutés, quand elle ne continue pas, même après une première adjudication.

La disposition qui concerne le rachat est complètement illusoire ; les avantages fait à la compagnie sont tellement considérables que le gouvernement ne peut pas user de la faculté de rachat, car il faut la prévenir longtemps à l'avance et le rachat doit se faire sur la moyenne des cinq années les plus productives des sept dernières de l'exploitation, augmentée de 15 p. c. et payable par annuités.

La compagnie pourra augmenter artificiellement les produits.

Je suppose que le gouvernement ait annoncé l'intention d'user de la clause relative au rachat ; il doit l'annoncer au moins 4 ans à l'avance ; par conséquent la compagnie a devant elle quatre années pour faire une moyenne qui, devrait servir de base à l'annuité, qui sera payée pendant 50 ou 60 ans. Voilà ce qui résulte de l'article 20. Stipulez toutes les garanties que vous voudrez, la privation complète des recettes si vous voulez, la compagnie peut employer un moyen de fraude pour augmenter ses recettes. Que lui importerait d'être privée de recettes pendant 4 années, si elle se retrouve sur la moyenne, sur laquelle sera établie l'annuité de rachat ?

On a pensé à tout dans cette convention, on a même songe à accorder à la compagnie l'exemption de patente. Voyez jusqu'où les précautions sont prises pour qu'aucune partie des recettes ne soit détournée de ses caisses. Elle sera la seule en Belgique qui ne payera pas patente.

Les articles 22 et 25, disait M. le ministre, donnent des garanties complètes. Nous avons à traiter avec une compagnie sérieuse.

M. le ministre a prouvé que la compagnie était sérieuse au mois de janvier, mais si on lui demandait maintenant ce qu'elle a réuni du capital, quels actionnaires sont engagés, d'après certains faits que l'on connaît, la compagnie serait singulièrement embarrassée.

La combinaison est telle que le gouvernement ne tient rien, il ne tient que le cautionnement ; quant à la convention, elle peut être résiliée quand on voudra, je vais le démontrer en deux mots.

Il est bien dit que les fondateurs ont le droit de créer une société anonyme, et que les souscripteurs d'actions seront engagés pour 30 p. c ; mais on ne dit pas et l'on ne pouvait dire que les souscriptions seraient recueillies avant la formation de la société anonyme. Or, les fondateurs se dégagent de leurs obligations en ne souscrivant pas, et tout le monde a la même liberté que les fondateurs, c'est-à-dire la liberté de ne pas souscrire.

Vous n'avez donc pas le capital, vous n'avez rien. Il y a dans les articles 22, 23, 24 et 25 une absence complète de garantie d'exécution.

Ces considérations me paraissent de nature à démontrer que toute autre combinaison dont les données soient connues, qui n'engage pas l'avenir du chemin de fer, qui ne déprécie pas le chemin de fer, doit être préférée à celle qui fait l'objet du projet de loi que le gouvernement nous propose.

Si l'on veut se passer la fantaisie, cette dépense de luxe du chemin de fer direct, je suis prêt à la voler. Quant au chemin de fer de la Dendre, que le gouvernement le fasse construire aux frais de l'Etat, soit qu'il accorde une garantie d'intérêt, si c'est là un moyen de trouver des capitaux, je suis prêt à y souscrire.

Quant à l'adoption d'une combinaison déjà connue dont les résultats peuvent être appréciés, celle du chemin de Jurbise à Tournay, je ne comprends pas qu'on s'y refuse.

Je comprendrais encore moins qu'on adoptât une combinaison dont personne ne peut apprécier la portée ; ce serait une très grande imprudence.

Les majorités politiques peuvent être entraînées par le sentiment de leur puissance à faire beaucoup de choses qu'elles regrettent plus tard ; messieurs, prenez-y garde, les majorités sont responsables vis-à-vis de l'avenir, c'est une raison pour elles d'être aussi prudentes qu'elles sont fortes, c'est pour vous une raison de songer qu'elles ont aussi un juge.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je serai très court dans la réponse que je veux faire aux considérations présentées par l'honorable membre. L'honorable M. Malou a débute par regretter que le gouvernement se fût rallié à une convention qui est purement aléatoire. Nous sommes en pleine loterie, c'est l'expression dont il s'est servi. Nous sommes devant l'inconnu, et il finit par proposer, quoi ? Une combinaison plus aléatoire encore, celle qui consiste à abandonner 50 p. c. du produit brut. Je prierai l'honorable membre de me dire ce que l'application du système de la compagnie de Jurbise donnerait, non à la nouvelle compagnie qui n'existe pas, mais à la compagnie qui se présenterait. Je serais très désireux de connaître ce que produirait la ligne d'Ath à Lokeren, si on adoptait le système de Tournay à Jurbise. Je vais au-devant des calculs auxquels l'honorable membre pourrait se livrer.

La compagnie de Tournay à Jurbise fait aujourd'hui une recette de 380 mille fr., si je ne me trompe.

L'Etat a une somme égale ; or, quand on se livre au dépouillement de toutes les recettes qui sont effectuées tant au départ qu'à l'arrivée dans les stations de la compagnie de Tournay à Jurbise, et que l'on y ajoute le transit sur la ligne, on trouve que le chiffre total de ces recettes s'élève à près de 18 cent mille francs ; de manière que la recette même due au parcours effectué sur la ligne est du tiers de la recette totale.

En appliquant ces bases à la ligne d'Ath à Lokeren, et en supposant une recette de 1,800,000 fr., ce serait, indépendamment du transit, 300,000 fr. qui reviendraient à la compagnie.

Je demande s'il est possible d'admettre qu'une compagnie sérieuse se présente pour faire, dans de pareilles conditions, dix lieues de chemin de fer. Sous ce rapport, l'amendement de l'honorable Malou n'est pas seulement une loterie pour tous ceux qui ne se sont pas livrés à une étude spéciale, mais encore une amère déception pour les capitalistes qui se proposeraient l'exécution d'une pareille ligne. Il faudrait au surplus imposer à l'Etat l'obligation d'exécuter la ligne directe, ce qui constituerait une dépense de 6 à 7 millions.

Mais, dit l'honorable M. Malou, vous accordez le transit sur les 125 stations de notre réseau national. Mais, messieurs, quel transit ? Lè transit quant aux stations nouvelles que la compagnie créera sur ses fonds.

La combinaison que présente le gouvernement se réduit en définitive à ces termes : Une population de 60 mille habitants ne se trouve pas rattachée au réseau de l'Etat ; une compagnie se présente pour exécuter un chemin de fer d'Ath à Lokeren afin de rattacher les populations de Lessines, de Ninove, de Grammont, d'Alost et de Lokeren au réseau national. L'importance de ces populations est connue. Quelles seront les recettes dues à ces stations nouvelles ? C'est un chiffre qui peut sans doute varier, mais qui, dans tous le cas, est limité à l'importance des localités qu'il s'agit de desservir.

L'honorable M. Malou regrette que dans la convention il n'ait pas été parlé des termes d'exécution. On n'a pas déterminé, dit-il, le délai dans lequel les diverses sections devraient être exécutées. Mais, messieurs, il y a pour cela une excellente raison, c'est que le cahier des charges pour la ligne d'Ath à Lokeren n'était et ne pouvait pas être fait, c'est qu'avant qu'il puisse être dressé il faut faire toutes les opérations graphiques, toutes les levées de terrains, toutes les études préparatoires que ce travail nécessite.

Il y a plusieurs centaines de plans à faire ; ce ne sera que lorsqu'ils seront faits que le gouvernement pourra déterminer dans le cahier des charges les divers ouvrages à effectuer par la compagnie et en même temps régler l'ordre d'exécution de ces travaux ; c'est parce qu'on n'a pas suivi cet ordre logique ; c'est parce qu'on n'a pas eu la précaution de dresser le cahier des charges préalablement à la concession, qu'il y a eu des difficultés sérieuses entre le gouvernement et la compagnie de Tournay à Jurbise ; c'est parce que, en 1845, l'arrêté de concession est intervenu avant la rédaction du cahier des charges,que le gouvernement s'est trouvé désarmé en présence de la compagnie, et qu'il a dû se montrer très accommodant dans toutes les contestations, que le gouvernement ne donnera l'arrêté définitif de concession que quand le cahier des charges aura été arrêté avec la compagnie.

La station de Termonde, dit l'honorable membre, va perdre ; c'est la supposition qu'il doit admettre, puisque la clause de la convention ne lui paraît pas assez explicite. L'Etat prélèvera les 300,000 francs que Termonde procurera vraisemblablement pendant l'exercice 1851, et l'Etat n'a pas encore assez de garanties. C'est l'Etat qui exploite, qui administre, qui perçoit les recettes ; et cela ne suffit pas ! Mais la station de Termonde sera dans une position beaucoup plus favorable, parce qu'elle sera plus au centre du mouvement. Aujourd'hui, elle n'est en communication qu'avec un seul réseau ; elle sera désormais en communication avec toute la vallée de la Dendre, avec tout le pays de Waes.

D'autre part, l'honorable M. Malou, supposant des transports de produits pondéreux par Termonde, s'est mis en contradiction formelle avec ses premières allégations.

Quant aux dépenses d'exploitation, l'honorable membre n'a pas cru devoir suivre le gouvernement sur ce terrain, où la discussion devait naturellement s'établir. Le gouvernement avait pensé qu'en évaluant les dépenses d'exploitation d'après des éléments incontestables et que l'honorable membre n'a pas rencontrés, qu'en comptant article par article, dépense par dépense, ce que l'adjonction de ces nouvelles lignes exigerait, il se mettrait à l'abri de toute critique ; mais il n'en a rien été. L'honorable M. Malou a adopté un autre mode d'argumentation.

(page 2047) Il prétend que, puisque le gouvernement dépense aujourd’hui une somme d'environ 60 p. c. de la recette brute en frais d’exploitation, il dépensera tout autant sur la ligne directe de Gand et sur celle de Dendre-et-Waes ; mais c'est se placer en-dehors de tous les faits ; c'est se mettre à côté de toute vraisemblance.

Il est impossible d'admettre que quand il s'agit d'une dépense d'exploitation supplémentaire, il puisse y avoir d'autres dépenses que celles qui sont renseignées dans les évaluations que j'ai fait passer sous les yeux de la chambre. Mais, dit-il, vous aurez un trafic additionnel qui coûtera énormément ; dans le quart que vous prélèverez ce trafic ne représentera pas le coût du prix de revient. En d'autres termes, pour chaque tonne de marchandise additionnelle il y aura perte, et la perte ira en grossissant avec le trafic effectué.

Mais, si l'honorable membre avait voulu seulement examiner le tableau officiel qui figure à la page 4 de l'exposé des motifs, il aurait vu que les frais de locomotion et d'entretien s'élèvent à 2,045.700 fr. pour 1850 et que la dépense par tonne et par lieue, résultant du trafic additionnel est quelque chose comme 4 ou 5 centimes ; de telle sorte que si l’on admettait le tarif actuel, le produit moyen d'une tonne de marchandise étant de 44 centimes, il est évident que la part de l'Etat, ressortissant à 11 centimes, dépasserait encore de 6 à 7 centimes la dépense effectuée par tonne.

L'honorable M. Malou a fait une observation qui n'est nullement fondée ; il a dit que l'Etat avait agi très cavalièrement en rédigeant la disposition qui fait l'objet de l'article 15 de la convention.

Mais je ferai remarquer que cette disposition n'est que la reproduction de l'article 3 du projet de loi, et que, si dans l'article 15 on a déclaré que les arrêtés seraient abrogés, c'est conformément à l'article 3 du projet, qui déclare la même chose.

Il n'y a donc, sous ce rapport encore, aucune critique à adresser à la marche suivie par le gouvernement.

Mais, dit l'honorable membre, nous devrions connaître les conditions auxquelles l'ancienne compagnie de la Dendre a cédé son cautionnement à la nouvelle.

D'abord, ce cautionnement, pour la moitié au moins, n'appartient plus à l'ancienne compagnie, mais bien à l'Etat, par suite de la déchéance encourue par cette compagnie ; il suffirait, en effet, d'un arrêté royal pour le confisquer au profit du trésor.

Mais, à part cette observation, je demanderai à l'honorable membre ce qu'il y a de commun entre les conditions auxquelles l'ancienne compagnie de la Dendre fait la cession du cautionnement de 2 millions, et la convention sur laquelle la chambre est appelée à statuer. L'important de l'affaire, c'est que cette cession soit faite régulièrement ; c'est que le cautionnement de 2 millions soit affecté en garantie de la concession nouvelle qui est sollicitée.

Quant aux conditions à intervenir entre l'ancienne compagnie et la nouvelle, c'est une affaire complètement étrangère à l'Etat.

Messieurs, je crois réellement que les observations présentées par l'honorable M. Malou touchent plutôt à des questions de détail, questions qui sont sans importance, qu'aux bases fondamentales de la convention même. Les bases fondamentales de la convention n'ont pas été rencontrées par l'honorable membre. L'honorable membre ne peut contester que les dépenses d'exploitation, telles qu'elles ont été établies, sont exactes, irréfutables. L'honorable membre, dans l'appréciation des recetlts nouvelles, se met à peu près d'accord avec nous. Il pense aussi que la compagnie pourra prélever un revenu de 5 1/2 p. c, et il demande pourquoi le gouvernement concède l'affaire, pourquoi il n'exécute pas par lui-même ?

Mais, messieurs, le gouvernement n'exécute pas lui-même, précisément parce que c'est une affaire qui peut offrir quelques avantages à une compagnie, et que depuis que des concessions uni été accordées en Belgique, ce sera peut-être d'un très heureux exemple qu'une compagnie puisse faire de bonnes affaires ; car depuis 1845, ce fait est excessivement rare.

Et puis une autre observation qui n'est pas sans importance, c'est que pour exécuter les deux lignes, il faudrait dépenser un capital de 21,000,000, et que ce capital l'Etat ne pourrait se le procurer sans payer un intérêt et un amortissement.

L'amendement de l'honorable M. Malou est réellement sans portée. D'abord aucune compagnie ne se présente pour exécuter dans les conditions qu'il indique. J'ai déjà fait connaître que dans mon opinion aucune compagnie ne pouvait se présenter. Il est probable que si en 1845, lors de la concession du chemin de fer de Tournay à Jurbise, on avait pu prévoir que la compagnie ne recevrait qu'un dividende de 3 à 3 1/2p.c, aucun capitaliste ne se serait présenté. Or je demande si dans de pareilles conditions on pourrait encore trouvor des capitalistes pour la ligne de Dendre-et-Waes ?

M. le président. - La parole est à M. Cumont.

M. Cumont. - Je cède mon tour de parole à mon collègue M. Bruneau.

M. Bruneau. - Messieurs, je ne tiendrai pas longtemps la chambre sur l'amendement de l'honorable M. Malou. Cependant je crois qu'il est nécessaire d'avoir une explication sur ce point. L'honorable M. Malou propose d'autoriser le gouvernement à concéder la ligne de Dendre-et-Waes ; mais il ne dit rien dans son amendemeut de la ligne directe de Bruxelles à Gand par Alost.

M. Malou. - Comblez la lacune.

M. Bruneau. - Il me semble que si vous voulez présenter un amendement, il faut au moins qu'il soit complet. L'affaire est assez importante pour ne pas jeter dans la discusison u amendement qui n’est pour ainsi dire qu'un dérivatif de la question principale. Il est inutile de venir proposer une concession dérisoire de la ligne de Dendre-et-Waes, lorsque la ligne directe de Bruxelles à Gand ne serait pas faite. Car le chemin de fer de Dendre-et-Waes ne peut être productif qu'a l'aide de la ligne directe.

Vous savez tous, on effet, que les relations de la vallée de la Dendre se font principalement avec Bruxelles. Or, il serait parfaitement inutile de concéder la ligne de Dendre-et-Waes dans ces conditions. L'arrondissement d'Alost considérerait cela comme un leurre complet. Les deux lignes sont inséparables l'une de l'autre ; pour faire l'une, vous devez exécuter l'autre. Nous ne pouvons avoir la ligne de la Dendre si la ligne directe de Bruxelles à Gand n'est pas décrétée.

Nous ne pouvons donc admettre l'amendement de l'honorable M. Malou ; mais comme l'arrondissement d'Alost tient avant tout à avoir ses chemins de fer, si l'Etat veut exécuter lui-même les deux lignes, nous n'avons pas d'objection à faire. Si l'honorable M. Malou veut présenter un amendement dans ce sens, nous serons peut-être disposés à nous rallier à lui. Mais tant qu'il ne nous présente qu'un leurre, nous devons le combattre.

Nous devons donc persister, messieurs, à maintenir la proposition telle qu'elle est faite par le gouvernement.

L'honorable M. Malou a beau dire que la définition telle que je l'ai donnée hier est précisément ce qui rend la chose inacceptable. Je ne puis concevoir autrement le système général des concessions. L'Etat doit faire les travaux publics ou par lui-même au moyen d'un emprunt ou par concession. S'il les fait au moyen d'un emprunt, il lève lui-même l'argent nécessaire et il en paye l'intérêt. S'il en donne la concession à des compagnies, les compagnies doivent faire les fonds nécessaires pour la construction, et après 90 ans les travaux appartiennent à l'Etat. C'est toujours un contrat aléatoire. Les compagnies se remboursent des intérêts et du capital par les annuités qu'elles reçoivent. Il est impossible de comprendre autrement les compagnies et les concessions de péages.

L'honorable M. Malou dit : S'il est vrai, comme vos calculs tendent à le prouver, que la compagnie recevra 5 1/2 p. c, et l'Etat 2 1/3 p. c, cela fait ensemble 7 à 8 p. c, que l'Etat exécute alors par lui-même et profite de cet avantage. Mais je répondrai à l'honorable M. Malou que si son raisonnement est exact pour les frais d'exploitation qu'il porte à 57 p. c, l'Etat au lieu d'avoir 8 p. c. n'aurait que 3 1/2 p. c, et ne ferait pas une bonne affaire puisque sur un emprunt de 21,000,000, il devrait payer 5 p. c. et resterait encore débiteur du capital, tandis qu'aujourd'hui la compagnie fournit les 21,000,000 nécessaires pour la construction des deux lignes, et que l'Etat entrera en possession de ses lignes après 95 ans sans rien payer.

La compagnie recevra 5 1/2 p. c., je le crois. Mais l'Etat dans cette hypothèse aura encore un immense avantage. Car s'il faisait un emprunt, il devrait en payer l'intérêt et l'amortissement qui monteraient à une somme supérieure ; mais l'Etat aurait de plus la chance de ne pas avoir 5 p.c.

Or, si la compagnie n'a que 4 p. c. au lieu de 5 1/2, l'Etat ne fait-il pas une bonne affaire en n'empruntant pas un capital de 21,000,000 sur lequel il devrait payer 5 p.c ?

Messieurs, la compagnie a sans doute la chance de recevoir plus de 5 p. c, et je crois qu'elle aura davantage. Mais l'honorable M. Malou prétend-il que l'Etat ne doit concéder qne les mauvaises entreprises, que celles qui sont reconnues ne pas pouvoir donner 5 p. c ?

Je persiste à croire, messieurs, qu'il serait dans l'intérêt du pays qu'une compagnie pût faire des bénéfices supérieurs à 5 p. c.

Je ne répondrai pas aux critiques de détail qu'a présentées l'honorable M. Malou. M. le ministre des travaux publics vient de le faire. Cependant je dirai quelques mots des produits de la station d'Audeghem. Les calculs de l'honorable membre à cet égard ne sont pas exacts.

La station d'Audeghem produit aujourd'hui 80,000 fr. Je reconnais que la ville d'Alost donne une bonne partie de ce produit, et que quand le chemin de fer direct sera fait, la station d'Audeghem ne rapportera que ce que produisent les autres stations de même importance, c'est-à-dire 25 à 30,000 fr. Mais par contre, l'Etat aura la recette de la station de Lede, commune de 4,000 âmes. Cette recette est estimée valoir plus de 60,000 fr. L'Etat aura de plus les produits de la station de Ternath, qui sont estimés à un chiffre aussi élevé.

L'honorable M. Malou a dit encore que, plus la compagnie transportera, plus la compagnie fera de bonnes affaires, plus l'Etat perdra. Cela est impossible avec le principe, admis par tout le monde, que les frais d'exploitation diminuent a mesure que le mouvement augmente. Tous les hommes spéciaux reconnaissent que la part attribuée à l'Etat suffira amplement à couvrir les frais supplémentaires de transport.

L'honorable M. Malou a critique également la clause relative au rachat stipulé par la compagnie. Il a trouvé extraordinaire que ce rachat doive être supporté sur le produit moyen de quatre années et signifié autant d'avance.

Pourtant, messieurs, rien de plus juste: si l'Etat ne devait prévenir la compagnie qu'une année d'avance, il pourrait profiter d'une année calamiteuse pour opérer le rachat, et alors le décompte se ferait sur les produits de cette année calamiteusc. Ce serait là, messieurs, une chose (page 2048) indigne et odieuse. En exigeant 4 années, il en résultera au contraire, que ni l'Etat ni la compagnie ne pourra employer aucun moyen pour diminuer ou augmenter les recettes qui serviront de base à l'établissement du prix du rachat.

M. Malou désire connaître à quelles conditions la compagnie nouvelle est substituée à la compagnie ancienne.

Je ne suis pas initié dans les affaire particulières de la nouvelle compagnie, je ne connais pas les conditions qu'elle peut avoir faites avec l'ancienne compagnie, mais je connais bien la situation de celle-ci en ce qui concerne ses cautionnements : le cautionnement du chemin de fer appartient à l'Etat et il suffirait d'un simple arrêté royal pour mettre l'Etat en possession de ce cautionnement ; mais je ne pense pas que l'honorable M. Malou veuille distraire cette partie du cautionnement des travaux à faire dans la vallée de la Dendre, travaux pour lesquels elle a été versée.

La deuxième partie du cautionnement est en litige, mais elle appartient à l'ancienne compagnie jusqu'à ce que les tribunaux en aient décidé autrement. C'est sur ce point qu'il y a eu transaction. J'ignore les termes de cette transaction ; mais il est certain que la compagnie de la Dendre était entièrement libre à cet égard. Du reste, l'Etat ne peut pas plus ici qu'ailleurs chercher à s'attribuer une part quelconque de ce deuxième cautionnement, qui doit, comme l'autre, rester affecté aux travaux de la vallée de la Dendre.

L'honorable M. Malou a donné la préférence au système de la ligne de Tournay à Jurbise, et il a demandé sur quels chiffres on se fondait pour apprécier les recettes éventuelles. A cet égard, je puis donner des renseignements positifs à la chambre. La ligne de Tournay à Jurbise, ainsi que M. le ministre des travaux publics l'a déjà dit, a donné une somme d'environ 600,000 fr. pour toutes les relations entre elle et les lignes de l'Etat.

En supputant la population de toutes les stations de la ligne de Tournay à Jurbise, on arrive à 23,910 âmes, tandis que les populations des stations des deux lignes de la vallée de la Dendre s'élèvent à 69,000 âmes, c'est-à-dire au triple de la population de la ligne de Jurbise.

Eh bien, il faut admettre que la recette sera dans la même proportion, et alors on arrive à ce résultat que les recettes des deux nouvelles lignes s'élèveront à 1,8000,000 fr. Il n'est pas possible d'avoir une probabilité plus grande que celle-là.

M. le président. - Voici un nouvel amendement qui tend à introduire plusieurs changements dans le cahier des charges. Il est de M. Dumorlier :

« Art. 10. Je propose le retranchement de toute recette sur les chemins de fer de l'Etat au profit de la société.

« Art. 11. La suppression.

« Art. 13. La suppression.

« Art. 21. La suppression. »

M. Dumortier. - Messieurs, j'ai examiné avec tout le soin dont je suis capable les diverses conventions qui nous sont proposées, mais je dois le dire, je n'en ai point vu qui fût enveloppée de plus de mystère que celle qui nous occupe en ce moment.

J'ignore, messieurs, si vous êtes plus heureux que moi, mais ce que je sais parfaitement c'est qu'il m'est impossible de me former une idée sur les résultats de cette convention, et, d'après ce que j'entends dire par la plupart de mes collègues, je crois que tout le monde est dans la même position, qu'il n'est personne ici qui y comprenne quelque chose. Quand je dis personne, je parle de la généralité, car il est ici des membres qui comprennent beaucoup mieux les faits que nous.

Je vois très bien que l'Etat se crée une servitude sur son propre chemin de fer, que l'Etat met son propre chemin de fer à la merci d'une société, qu'il aliène son domaine. Je vois fort bien que lorsqu'un voyageur prendra le chemin de fer de l'Etat sur un point quelconque du territoire pour se rendre à une station de la nouvelle ligne, et lorsqu'un voyageur partira d'une station de la nouvelle ligne pour se rendre n'importe à quelle destination, la compagnie prélèvera les trois quarts de toute la somme payée par ce voyageur.

Je vois, messieurs, que la station de Termonde se trouve immobilisée, qu'alors même que les recettes de la station de Termonde s'élèveraient de quelques centaines de mille francs au bout d'un certain nombre d'années, et chacun sait que les revenus du chemin de fer suivent un mouvement ascendant...

M. Vermeire. - La station de Termonde a rapporté autrefois 200,000 fr. ; elle n'en rapporte plus que 150,000.

M. Dumortier. - On l'immobilisera donc à 150,000 fr., et si les produits s'élèvent à 200,000 fr., sans que la compagnie ait même posé un rail ou remué une pelletée de terre, elle n'en prélèvera pas moins les trois quarts de l'augmentation.

Voilà donc que l'Etat abandonne sa propriété à une société particulière ; eh bien, je dois le dire, je n'ai jamais rien vu de semblable dans aucun pays. (Interruption.) Je suppose bien que ces rires sont approbatifs de mes paroles ; je le répète, je n'ai jamais rien vu de semblable dans aucun pays du monde ; quelqu'un d'entre vous a-t-il vu quelque chose de semblable, qu'il le dise. Je n'ai jamais vu un particulier immobiliser sa maison, et dire à un voisin : « Vous bâtirez une maison, mais vous aurez les trois quarts du revenu de la mienne. »

Ce n'est pas tout : quand je parcours cette convention, que j'ai étudiée avec soin, je vois que la société, et je demande pardon à la chambre de cette expression vulgaire, fait mettre les pouces au gouvernement. Ainsi, en vertu de l'article 13, le gouvernement s'engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour que les principes établis à l'article 10 reçoivent l'application la plus entière et la plus large. Ainsi voilà encore une fois le gouvernement qui vient se mettre à genoux devant la société et qui lui dit : S'il y a des contestations, je me déclare battu et condamné à l'avance. (Interruption.)

Je sais que la section centrale propose un changement, mais je prends la convention, telle qu'elle a éré présentée par le gouvernement ; le travail de la section centrale n'est qu'un rapport...

M. Delfosse. - On a déposé des amendements.

M. Dumortier. - D'accord, mais ces amendements ne sont pas adoptés ; usez de votre initiative, mon honorable collègue, mais vous ne constituez pas la chambre.

D'un côté, je vois un projet de convention qui est signé provisoirement par M. Van Hoorebeke et puis par tel et tel ; voilà un acte ; d'un autre côté, vous avez usé de votre initiative, certes, je ne vous en blâme pas ; mais permettez-moi de parler de l'acte et non de votre initiative.

Ce n'est pas tout encore : quand je vais plus loin, je vois à l'article 21 que le chemin de fer et ses dépendances étaient considérés comme formant une partie du réseau de l'Etat ne peuvent être imposés d'aucune contribution à charge de la compagnie, et que la part de celle-ci dans les recettes ne sera soumise à aucune taxe ni à aucun droit de patente quelconque.

Ainsi l'Etat, dans cette affaire, est lié de tous les côtés ; il y a ici une exception en faveur de la société sur tous les points ; elle sera exempte de toute espèce d'impôt ; de telle manière que si, dans un avenir quelconque, l'Etat était forcé d'établir un impôt sur les sociétés anonymes, comme cela s'est fait en France, il y aurait privilège pour cette société qui ne payerait rien, qui serait affranchie de toute taxe. Mais cela est contraire à la Constitution.

Aux termes de la Constitution, il ne peut pas être établi de privilège en matière d'impôt ; vous créez donc en faveur de cette compagnie un privilège inconstitutionnel ; donc, je le répète, si à l'exemple de ce qui s'est fait en France, vous jugiez bon d'établir un impôt sur les sociétés anonymes, la compagnie dont nous nous occupons échapperait à cet impôt.

Vous voyez donc, messieurs, que c'est là une faveur tout à fait exceptionnellt, tout à fait anormale, qui n'a son analogie dans aucun pays du monde, qui n'a jamais eu son analogie en Belgique.

Je suis toujours à me demander : pourquoi donner tous ces privilèges à une société ? Je le déclare, je cherche vainement la solution de cette question.

Messieurs, j'ai été dans le principe opposé à la construction du chemin de fer par l'Etat. Mon opinion, sous ce rapport, n'est pas changée ; il eût mieux valu faire faire tous les chemins de fer par voie de concession ; ! mais enfin, les chambres en ont décidé autrement ; et j'accepte les faits accomplis ; les chemins de fer ont été construits par l'Etat, soit : mais en acceptant les faits accomplis, je dis que la plus grande faute que l'Etat puisse faire, après avoir créé le chemin de fer à son profit, c'est d'abandonner à une société quelconque la création des embranchements qui se rendent sur la capitale et qui sont les plus fructueux. Si vous accordiez à une société la route directe de Louvain à Bruxelles ; à une deuxième société, la route directe de Gand à Bruxelles ; à une troisième société, la route directe de Namur à Bruxelles ; et à une quatrième société, la route directe de Lille à Bruxelles, que resterait-il au trésor public ?

Les routes qui convergent sur la capitale ont cet avantage de transporter non seulement les voyageurs des contrées que la route traverse, mais encore tous les voyageurs qui sont forcés d'y passer.

Si donc nous devons faire la route directe de Gand à Bruxelles, je désire sincèrement, dans l'intérêt du trésor public, qu'elle se fasse par l'Etat.

J'ai ouï dire souvent par plusieurs de mes collègues que sous l'administration du prédécesseur de M. le ministre des travaux publics, une proposition avait été faite au gouvernement par une compagnie qui s'offrait à construire le chemin de fer direct de Gand sur Bruxelles, en recevant en payement de la rente belge au pair...

- Un membre. - Il en est encore à présent.

M. Dumortier. - Si cela est, il importe que nous ayons une explication ; je préférerais qu'on construisît la ligne directe de Bruxelles sur Gand par ce moyen-là. Vous auriez une seule émission, et vous n'auriez pas besoin d'intermédiaires, de négociateurs. (Interruption.) Vous auriez des intérêts à payer ; mais vous auriez pour vous la plus-value ; et pour mon compte les villes de Bruxelles et de Gand, avec celle d'Alost à mi-chemin de chacune d'elles, sont tellement importantes que je demeure convaincu que ce serait une opération très bonne.

Je donnerais volontiers mon vote à cette combinaison ; elle produirait au moins un revenu pour l'Etat, et nous serions dispensés de sanctionner une convention qu'il nous est véritablement impossible d'adopter ; car personne ne peut se former une idée du résultat de cette convention au point de vue du trésor public ; l'Etat se trouve lié de tous les côtés ; la société triomphe sur tous les points ; elle met l'Etat à ses pieds ; la dignité du gouvernement s'oppose à l'adoption d'une pareille convention.

Et dût-on même perdre quelque chose en faisant faire cette construction par l'Etat, j'aimerais mieux voir l'Etat exposé à subir cette perte que de voir ce chemin de fer « inféodé », comme le disait si bien mon honorable ami M. Malou. »

(page 2049) Voyez, messieurs, les conséquences du système où l'on veut entrer ; pour mon compte, il m'est impossible d'établir des calculs, je tâcherai de vous présenter quelques arguments de sens commun qui vous rendront palpables les conséquences du système.

L'Etat perdra donc les trois quarts des revenus pour toutes les personnes qui se rendront sur la ligne ou partiront de la ligne. Mais nos chemins de fer transportent beaucoup de personnes, et les personnes qu'ils transportent ne partent pas seulement de l'un des points que la ligne dessert.

Nous avons fait, aux frais de l'Etat, des constructions reliant les grands centres de populations ; mais là se rendent des personnes appartenant à d'autres localités. Je suppose que toutes les routes que vous avez concédées l'aient été dans les conditions faites à la société de Dendre-et-Waes, les routes concédées comprendraient autant de lieues que les routes construites par l'Etat. Quelle serait la conséquence ? Que nos recettes seraient réduites de moitié.

Voilà où vous arriveriez, car toutes les personnes qui voyagent, venant d'un point plus éloigné que le chemin de l'Etat, il suffirait d'avoir emprunté une lieue d'un chemin concédé à une compagnie, pour que cette compagnie reçût les 3/4 de tout le parcours du voyageur sur le chemin de l'Etat. Si cela est vrai pour toutes les routes, combien cela ne sera-t-il pas plus vrai pour une concession qui occupe le centre de la Belgique, qui, par sa position centrale, envoie des personnes dans toutes les directions, dans toutes les localités.

L'honorable M. Bruneau croyait présenter un argument bien puissant en disant qu'il y aurait le double de voyageurs ; mais plus vous aurez de personnes desservies, plus vous aurez de perte. Je suppose qu'il y ait dans la concession une ville comme Bruxelles où tout le monde arrive, l'Etat ne percevrait plus rien.

Si au lieu de 20 lieues de la vallée de la Dendre, la concession comprenait 20 lieues autour de Bruxelles, la compagnie recevrait les 3/4 du péage de tous les voyageurs qui de toutes les directions arriveraient à Bruxelles. La convention ne peut donc être que très onéreuse. Comme il m'est impossible d'y voir clair, de me rendre compte de ses résultats, j'aimerais mieux voir faire la route par l'Etat que de voir le trésor exposé à des pertes inappréciables.

Pour Jurbise on savait que l'Etat prêterait son matériel et recevrait la moitié des recettes brutes. On voulait d'après le projet que l'Etat eût 40 p. c. et la société 60 ; c'est moi qui suis venu proposer que la société n'eût que 50 p. c.

Bien que député de Tournay et quand il s'agissait d'un chemin dont j'avais réclamé l'exécution, je me suis opposé à l'adoption de conditions léonines.

Je les ai fait réduire au profit de l'Etat. Si, quand il s'agissait de l'intérêt de Tournay, j'ai défendu le trésor contre ma localité, c'est que je suis fidèle à mes antécédents.

Depuis 20 ans que je siège dans cette enceinte, j'ai toujours défendu les intérêts du trésor.

C'est par la même raison que je déclare qu'il ne m'est pas possible de donner mon vote à la loi qui nous est soumise, en supposant qu'elle ne contînt que cette convention ; si elle était admise, il ne me resterait qu'à demander mention de mon vote au procès-verbal parce que je ne doute pas qu'on regrette plus tard de l'avoir adoptée.

Avouons, reconnaissons que nous ne savons pas ce que renferme cette convention.

Il vaut mieux faire faire le chemin par l'Etat que de voter une chose en aveugle sans savoir ce qu'on donne, ce à quoi on s'engage. Je pense qu'une proposition sera faite de faire le chemin aux frais de l'Etat ; si elle était faite, je lui donnerais mon vote, quoique en principe j'aie toujours été opposé à la construction des chemins de fer par l'Etat ; mais c'est qu'ici je ne puis croire que l'Etat soit exposé à une perte deux villes comme Bruxelles et Gand ajant pour intermédiaire une ville de 30,000 habitants comme Alost.

M. de Haerne. - Dix-sept mille.

M. Dumortier. - Quoi ! pour une ville de 17,000 habitants on veut grever le chemin de fer de l'Etat au point de lui imposer au profit de la compagnie qui construira cette ligne une contribution des trois quarts du produit des voyageurs parcourant toutes les lignes de la Belgique qui aboutiront à une des stations de cette ligne ou qui en partiront ; en vérité, c'est à ne pas y croire. C'est aliéner le produit de notre chemin de fer !

Alost est une ville que j'aime et que j'estime, je ne veux pas refuser de la relier au chemin de fer, mais je préfère que ce soit par une construction aux frais de l'Etat.

Alost est une ville de commerce et d'industrie à mi-chemin de Bruxelles et de Gand qui peut donner bon nombre de voyageurs allant d'Alost à Gand, d'Alost à Bruxelles, de Gand à Alost et de Bruxelles à Alost, dont le produit couvrira les intérêts de l'emprunt qu'il faudra faire pour le construire.

Quant à l'autre ligne, l'Etat peut se borner à faire les routes directes qui nuiraient à ses propres revenus sans qu'il soit nécessaire de faire les autres.

Quant à la ligne de la Dendre, l'Etat fera ce qu'il jugera convenable, je demanderai pour celui-là si la convention reste debout, si les signataires restent encore signataires. J'ai entendu dire que plusieurs avaient retiré leur signature.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Tant qu'ils n'ont pas retiré formellement leur signature, l'engagement subsiste, et ils ne l'ont pas retirée.

M. Dumortier. - J'aurais, en effet, été surpris qu'ils la retirassent. Quand une société vient prendre trois quarts du revenu du chemin de fer de l'Etat, il faut être bien dégoûté pour se retirer.

J'en reviens à ce que je disais, vous ne pouvez pas donner votre assentiment à une convention dont vous ne pouvez pas prévoir les conséquences. Pas un mot n'a été dit pour faire connaître les résultats. J'insiste pour que vous ne livriez pas le revenu du chemin de fer de l'Etat à une compagnie.

J'ai démontré que si toutes les lignes concédées l'étaient aux conditions qu'on vous propose pour celle-ci, le résultat serait une réduction de moitié sur vos recettes.

Quelque chose m'a beaucoup frappé dans ce qu'a dit M. de Brouwer, c'est que s'appuyant sur les chiffres de l'auteur du projet il arrive à cette conclusion que la concession amènerait un demi-million de perte chaque année pour le trésor. Je n'ai rien entendu de sérieux pour repousser cet argument. Quand M. Desart fournit les éléments d'un résultat pareil, je ne comprends pas qu'on puisse encore songer à livrer ce chemin à une compagnie.

Au moyen de ce chemin, j'irai plus vite et à meilleur marché de Bruxelles à Tournay ; soit, cela me sera très agréable ; mais je ne suis pas ici pour faire mes affaires ou celles de ma localité ; je suis avant tout représentant du pays, et ce sont les intérêts du pays que je défends.

Vous transiterez, vous éviterez vos anciennes lignes.

Quand vous aurez évité vos anciennes lignes, qu'aurez-vous fait ? Vous les aurez rendues impraticables ; à tel point que la route de Malines a Termonde, par exemple, ne servira plus qu'aux transports directs par la ligne de Cologne sur Ostende. Vous devrez néanmoins avoir le même nombre de convois, et il en résultera encore une augmentation de dépenses.

Pour ma part, je considère ce système comme extrêmement vicieux ; je considère comme excessivement dangereux d'abandonner ainsi à des sociétés concessionnaires, non seulement les lignes convergeant sur la capitale, mais encore un privilège sur les autres routes, privilège que vous ne pourriez pas même racheter plus tard si vous en aviez besoin.

Cette concession me paraît donc de nature à ne pouvoir pas être accueillie par la législature. Je demande si quelqu'un de nos honorables collègues ne peut pas nous donner des renseignements sur la société qui se propose de faire la route de Gand à Bruxelles par Alost. Qu'on nous donne des explications sur ce point, et nous verrons alors si nous ne pouvons pas adopter un système moins onéreux pour le trésor. Consacrer celui qu'on nous propose serait créer un précédent que plus tard on pourra invoquer ; on viendra demander d'autres concessions basées sur la même convention, et il est très possible même que vous en viendrez alors à réduire singulièrement vos recettes. Je soumets ces considérations à l'attention de la chambre.

- Plusieurs membres. - Aux voix ; la clôture !

M. de Perceval renonce à la parole.

M. Malou (pour une motion d’ordre) M. Malou. - Je demande à la chambre qu'elle remette à lundi la suite de la discussion et qu'elle invite le gouvernement à produire, dans l'intervalle, la transaction intervenue pour les deux millions de cautionnement.

La première partie de cette motion est motivée sur ce que déjà un grand nombre de nos collègues sont partis. Il s'agit ici de la partie la plus importante de la loi ; elle est même la plus importante, à mes yeux, comme question financière. Je demande donc qu'on ne passe pas maintenant au vote sur cette question.

La seconde partie... (Interruption.) Permettez-moi, messieurs, de justifier la seconde partie de ma proposition. J'ai indiqué la nécessité pour le gouvernement et pour la chambre de savoir quelle est la transaction qui est intervenue : et pour la démontrer, je n'ai qu'à invoquer la réponse même de M. le ministre : il nous a dit que le gouvernement pouvait disposer du cautionnement de deux millions ; je demande comment il en a disposé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous n'avons de convention avec qui que ce soit, relativement aux deux millions de cautionnement. Le gouvernement n'a traité, et n'a eu à traiter avec personne ; par conséquent, il n'y a pas de convention. Vous demandez que le gouvernement produise une convention qui lui est complètement étrangère et à laquelle il veut rester et restera étranger. Voici les faits :

Un cautionnement de deux millions a été fourni par la compagnie de la Dendre en exécution de la concession de 1845 ; de ces deux millions un million était particulièrement affecté à l'exécution d'un chemin de fer, l'autre à l'exécution d'un canal de Jemmapes à Alost. Le cautionnement pour le chemin de fer serait acquis à l'Etat, sauf les formalités à remplir, puisque la compagnie n'a pas exécuté ses engagements.

Cependant le gouvernement ne s'est pas approprié ce cautionnement. En ce qui touche le million applicable au canal, tout le monde sait que les concessionnaires n'ayant pas exécute ce canal, des poursuites ont été dirigées contre eux pour les amener à remplir leurs engagements. Il y a litige sur ce point, Une compagnie nouvelle s'est constituée pour (page 2050) entreprendre cette construction ; elle nous a dit : Je prends l'engagement de vous apporter le désistement de l'ancienne compagnie de la Dendre au cautionnement déposé par elle ; je me substitue complètement à elle quant à son cautionnement et quant à ses droits.

Le gouvernement n'avait rien à demander de plus ; il n'a pas eu à poser envers l'ancienne compagnie de la Dendre cet acte de rigueur, consistant s'emparer de son cautionnement ; et à supposer qu'il l'eût fait, tout se réduirait à ceci : le gouvernement entend-il donner ce même cautionnement pour l'exécution des mêmes travaux. Or, le cautionnement ne pourrait être affecté qu'à de nouveaux travaux ? Le gouvernement a stipule que, indépendamment des deux millions, il exigeait un million pour assurer l'exécution de nouveaux travaux. Voilà tout ce que je puis répondre à l'honorable M. Malou.

M. Malou. - Je retire la seconde partie de ma proposition, me réservant d'apprécier les explications qui viennent d'être données.

- La chambre renvoie à lundi la suite de la discussion.

Projet de loi prorogeant le délai accordé pour l'achèvement du chemin de fer de Marchienne à Erquelinnes

Dépôt

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - J'ai l'honneur de présenter un projet du loi, ayant pour objet de proroger le délai accordé pour l'achèvement du chemin de fer de Marchienne à Erquelinnes.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi. J'en propose le renvoi à la section centrale chargée de l'examen des projets de lois des travaux publics.

- Adopté.

Pièces adressées à la chambre

Rapport du gouvernement sur les travaux d’irrigation

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau un rapport sur les travaux d'irrigation.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre du dépôt de ce document.

Lundi, messieurs, il y aura comité secret à l'ouverture de la séance.

- La séance est levée à quatre heures et demie.