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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 29 janvier 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 475) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 3 heures et un quart, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance dont la rédaction est adoptée, et communique l'analyse des pièces adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Les membres du conseil communal et plusieurs propriétaires à Thielt demandent la révision du cadastre de cette commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Rodenbach fait hommage à la chambre de son opuscule intitulé : Lettre sur les aveugles faisant suite à celle de Diderot. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Parent fait hommage à la chambre d'un exemplaire de l'ouvrage qu'il a publié sous le titre de : « Loi de révision du régime hypothécaire. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. le ministre des finances adresse à la chambre un exemplaire du tableau statistique du commerce des Pays-Bas pendant l'année 1850. »

- Dépôt à la bibliothèque.


M. A. Dumon, retenu chez lui par un événement douloureux de famille, demande un congé.

- Accordé.


(page 479) M. le président. - Messieurs, le bureau s'est réuni, et s'associant aux douleurs de la famille, il a pensé qu'il conviendrait d'envoyer une députation, dont les membres seraient désignés par la voie du sort, pour assister aux funérailles de feu le président du sénat. Nous en faisons la proposition à la chambre.

La députation serait composée de 8 membres, indépendamment de ceux qui voudraient se joindre à elle ; je me ferai un devoir de la présenter.

Les funérailles sont fixées à samedi. Un convoi spécial partira de Bruxelles à 8 heures du matin pour revenir le soir.

(page 480) - La proposition de M. le président est adoptée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si d'autres membres se joignaient à la deputation, il serait utile que le gouvernement en fût informé afin de pouvoir régler le convoi en conséquence.

M. le président. - Les membres qui sont d'intention de se joindre à la deputation voudront bien le faire connaître afin que le gouvernement puisse prendre les mesures nécessaires.

- Il est procédé au tirage au sort de la députation, qui se compose de MM. Vandenpeereboom (Ernest), Moreau, Julliot, de Theux, Visart, de Meester, de Chimay et Delehaye.

Motion d'ordre

Mise à charge des communes de l'entretien des sourds-muets et aveugles

(page 475) M. de Man d'Attenrode (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai une interpellation à adresser à M. le ministre de l'intérieur, à propos d'une pétition qui lui a été transmise par décision de la chambre avec demande d'explication.

Un dissentiment existe entre l'administration communale de Louvain et le bureau de bienfaisance de cette ville, au sujet de l'interprétation à donner à une disposition de la loi communale, relative à l'entretien des sourds-muets et aveugles : le paragraphe 17 de l'article 131. Le bureau de bienfaisance s'est adressé à la chambre plusieurs fois, afin d'obtenir une décision en ce qui touche l'interprétation de cette disposition, et de faire cesser ce conflit.

L'origine de ces réclamations est ancienne ; la première date de 1837 ; les réclamations ont été renouvelées en 1838 et en 1842 ; l'année dernière encore, le bureau de bienfaisance s'est adressé deux fois à la chambre, et chaque fois la pétition a été renvoyée à MM. les minisires de l'intérieur et de la justice, avec demande d'explications. Mais ces décisions n'ont abouti à aucune explication. Vous n'avez donc pas été mis à même de statuer sur ces réclamations. Ce silence compromet la dignité de la chambre, le droit de pétition et même le sort des indigents.

Dans la dernière réclamation qui a fait l'objet du rapport de la commission des pétitions, fait le 20 novembre dernier, le bureau de bienfaisance, en rappelant celles qu'il a faites inutilement dans le passé, fait valoir, pour établir l'urgence d'une décision quelconque, que ce conflit est cause que l'on n'admet plus de sourds-muets et aveugles dans les instituts qui leur sont destinés.

Je demande que le gouvernement transmette entin à la chambre les explications qu'elle lui a demandées.

Projet de loi prorogeant la loi du 22 septembre 1835 sur les étrangers

Dépôt

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi qui proroge, pour un terme de trois ans, la loi du 22 septembre 1835, relative aux étrangers.

- Le projet de loi sera imprimé et distribué. La chambre le renvoie à l'examen des sections.

Projet de loi exemptant des droits d’enregistrement et d’hypothèque certains actes intéressant la Banque de Belgique

Discussion générale

M. Coomans. - Messieurs, j'indiquerai en peu de mots les raisons de mon vote négatif.

Il résulte des discours que vous avez entendus hier, et notamment de celui de l'honorable ministre des finances, que la chambre est libre, moralement libre d'adopter ou de rejeter le projet de loi qui nous est soumis. Ce point grave domine tout le débat, ce me semble.

En vain arguera-t-on d'une promesse qui aurait élé faite en 1839, par le ministre des finances de l'époque. Cette promesse, dont il n'y a pas de trace écrite, semble n'être qu'une promesse en l'air, que le ministre par qui elle avait été faite, n’avait très probablement pas l’intention d’exécuter, attendu qu’il ne l’a pas exécutée. (Interruption.)

Si cetfe promesse devait être exécutée par quelqu’un, c’était par son auteir. Rien ne me paraît plus évident. (Interruption.) Du reste, comme on me le fait observer, la promesse ne portait pas sur l'exemption des frais d'hypothèque ; elle signifhit seulement que le ministre s'engageait à présenter un projet de loi aux fins de cette exemption. Je le répète, parce que cette assertion paraît rencontrer des contradicteurs, c'est le ministre, auteur de la promesse, qui aurait dû la réaliser ; or, il ne l'a pas exécutée, il n'a pas déposé le projet de loi qu'il avait promis, dit-on, et, comme me le fait observer M. Manilius, le temps ne lui a pas manqué.

Messieurs, il ne faut pas encourager les ministres à engager démesurément le fisc à nuire aux intérêts du trésor et à compromettre ainsi la plus précieuse de nos prérogatives qui est le vote des impôts. On n'a que trop avancé dans cette voie fatale au bout de laquelle se trouve le précipice des crédits supplémentaires, précipice toujours béant, on nous l'a encore prouvé avant-hier.

Maintenant, pourquoi cette prétendue promesse en l'air, je ne puis pas la qualifier autrement, n'a-t-elle pas été exécutée ? Elle ne l'a pas été parce qu'on ne l'a pas osé. L'Etat venait d'accorder un avantage énorme à la Banque de Belgique ; il eût paru par trop fort à cette époque d'y ajouter l'exemption d'un impôt.

On exige rigoureusement les frais hypothécaires de citoyens, d'établissements qui ont des raisons plus fortes que celles qu'allègue la Banque de Belgique pour en obtenir l'exemption. Ainsi, le frère qui secourt son frère, le père qui hypothèque son unique habitation pour racheter son enfant de la milice ne demandent pas d'exemption des frais hypothécaires, et s'ils en sollicitaient une, ils ne l'obtiendraient pas. Il faut être sobre de lois de faveur, de lois de privilèges ; celle-ci en est une, sous quelque explication qu'on le voile, ce privilège est manifeste, et je m'associe aux réflexions que l'honorable M. Lelièvre a émises hier à ce sujet.

On parle de bonne foi, et c'est au nom de la bonne foi qu'on nous demande un sacrifice de 129 mille francs environ. Si le trésor était plus riche il y aurait de quoi employer l'excédant mieux que dans la circonstance où on nous propose de le faire.

Les déposants à la caisse d'épargne établie auprès de la Banque de Belgique ont certainement été victimes d'un manque de bonne foi ; ils s'imaginaient qu'en déposant leur argent dans la caisse de la rue Neuve on le leur restituerait dès qu'ils en auraient besoin.

C'est ce qui n'a pas eu lieu.

Depuis la révolution de février, la caisse détient trois millions qui appartiennent à quinze cents familles dont la moitié a grand besoin de rentrer dans ses modestes capitaux. Or si j'en crois des financiers plus habiles que moi dans les combinaisons d'argent, la liquidation, le remboursement de ces trois millions pourrait se faire avec un subside de la part de l'Etat, n'excédant pas le don qu'on veut faire à la Banque de Belgique.

Je sais que la Banque de Belgique n'est pas liée étroitement, légalement envers la caisse d'épargne et ses créanciers ; mais on conviendra que l’Etat belge n'est pas lié non plus envers la Banque de Belgique, au point de devoir lui faire l'avantage dont il s'agit.

Or, j'ai dit un jour, avec d'honorables membres de cette assemblée, que cette suspension des payements de la caisse d'épargne établie par la Banque de Belgique était un scandale. Je suis moins disposé que jamais à me rétracter. La caisse remboursait régulièrement les déposants alors que les fonds publics étaient fort au-dessous du chiffre auquel ils sont aujourd'hui.

Aujourd'hui les fonds sont au pair, ils sont même au-dessus du pair. Lorsque les fonds publics étaient à 95, à 96, à 97, les remboursements continuaient régulièrement. Je demande à ce sujet des explications nouvelles. Je désire savoir jusques à quand on prétend frustrer (c'est le mot) les déposants à la caisse d'épargne du droit qu'ils ont d'être remboursés. Il faut que ce scandale ait une fin. La déception dure depuis quatre années. C'est beaucoup trop aux yeux de ceux qui, comme moi, redoutent la déconsidération dont l'injustice criante que je signale frappe en Belgique l'excellente institution des caisses d'épargne.

J'avoue que l'opposition que je fais au projet de loi m'est en partie dictée par l'extrême indifférence que les directeurs de la Banque de Belgique ont montrée pour les intérêts de l'établissement jadis populaire dont ils sont les patrons.

(page 479) M. Orban. - Ce qui distingue particulièrement notre époque, c'est la facilité avec laquelle nous oublions. On devrait cependant avoir assez de mémoire pour ne pas récompenser ceux qui ne méritent pas de l'être, et surtout pour ne pas accorder des faveurs et des privilèges à ceux qui n'ont mérité que le blâme et la désapprobation publique.

Qu'est-ce, en définitive, que la mesure qu'on vous propose aujourd'hui ? C'est le dernier mot, le dernier acte de la crise industrielle de 1838 et 1839. Or, rappelez-vous quelle avait été, à cette époque, la conduite, le rôle de la Banque de Belgique ? Personne plus que cet établissement finaucier, à peine créé, ne contribua à entretenir dans le pays cette fièvre d'actions industrielles (qui n'avait rien de commun avec la véritable industrie), qui, combinée avec la fièvre de l'agiotage, entraîna la ruine de tant de malheureux et d'imprudents qui avaient laissé surprendre leurs capitaux et leur confiance ; et certes on ne m'accusera pas d'exagération, lorsque je dirai que c'est contre la Banque de Belgique surtout que le sentiment public s'est soulevé à cette époque.

Ce n'étaient pas là précisément des titres à la reconnaissance publique.

Cependant, parvenue elle-même au bord de l'abîme où elle avait contribué à en précipiter tant d'autres, la Banque de Belgique trouva dans le gouvernement, qui, pour la première fois, dérogea en sa faveur au principe de ne point intervenir dans les affaires privées, un appui secourable qui l'empêcha d'y tomber elle-même.

Messieurs, si le prêt à cette Banque avait été une faveur, il eût été injustifiable ; je dirai plus, c'eût été une espèce d'insulte au sentiment public.

Aussi le gouvernement ne fut-il dirigé, quand il prit cette mesure, que par le désir d'empêcher de plus grands, de plus nombreux désastres particuliers. La meilleure preuve que la législature de cette époque n'avait l'intention d'accorder aucune espèce de faveur à la Banque, c'est que le gouvernement eut soin de stipuler un intérêt suffisant pour garantir le trésor de toute perte ? Il eut soin, de plus, de stipuler toutes les précautions, toutes les garanties qu'un particulier aurait pu exigée dans les mêmes circonstances.

Tandis qu'on agissait ainsi à l'égard de la Banque de Belgique dans la détresse, que fait-on aujourd'hui ? Aujourd'hui sans nécessité, sans droit, sans justice, on vient vous proposer à l'égard de cet établissement qui, grâce à l'appui du gouvernement, a reconquis une situation normale, sinon prospère, une mesure de faveur exceptionnelle qui doit être d'autant plus rare que la Constitution a eu soin de déclarer qu'elle ne serait accordée qu'en vertu d'une loi.

J'ai dit que la mesure avait été prise sans nécessité et sans droit. Et, en effet, s'il y a eu promesse, s'il y a eu promesse sérieuse, ce qui est extrêmement douteux, cette promesse est postérieure au contrat intervenu entre la Banque et le gouvernement, de façon qu'elle ne peut créer aucun droit en faveur de la Banque de Belgique. N'est-il pas reconnu que si pareille promesse a été faite, si un engagement a été pris, cette promesse, cet engagement ne peut avoir d'autre signification que l'engagement de présenter aux chambres une proposition dans ce sens.

Au surplus M. le ministre des finances a reconnu que tel était la position de la question, qu'elle se présentait devant la chambre dans des termes tels qu'elle avait une entière liberté pour la décider dans un sens ou dans l'autre.

J'ai démontré que la mesure était présentée sans nécessité, sans droit ; j'avais ajouté qu'elle l'était sans aucune justice, c'est à-dire que l'équité ne parle pas plus en sa faveur que la nécessité et l'obligation.

La Banque était-elle ou non obligée d'emprunter ? Personne ne le conteste, elle était placée entre l'emprunt et la ruine.

Elle devait donc emprunter, elle ne trouvait pas d'autre prêteur que le gouvernement ; si elle avait trouvé moyen d'emprunter à un particulier ou à un établissement, elle n'aurait pas obtenu des conditions plus avantageuses. Elle eût dû subir des conditions semblables à celles que lui a imposées le gouvernement : elle eût dû fournir aux particuliers ou aux établissements prêteurs les menus garanties qu'elle a fournies au gouvernement.

Eh bien, messieurs, si ces garanties avaient été exigées par un autre prêteur, si ces hypothèques avaient été fournies à un autre prêteur, l'idée ne serait venue à personne d'exempter la Banque de Belgique des droits d'hypothèque auxquels elles auraient donné lieu. Or, je vous le demande, est-ce parce que le gouvernement s'est montré plus généreux, plus confiant que les particuliers, qu'il doit perdre aujourd'hui les droits qui lui eussent été acquis, si la Banque de Belgique avait traité avec tout autre ? Evidemment non, messieurs.

Vous voyez quel cas il faut faire de ces reproches que l'on nous adresse, que l'on veut « rançonner la Banque de Belgique », qu'on veut profiter de la situation malheureuse où elle s'est trouvée pour percevoir un droit contre elle. Car, messieurs, je vous le demanderai, lorsque le gouvernement perçoit des droits de cette nature, n'est-ce pas toujours le résultat de la situation malheureuse où se trouvent ceux qui empruntent ? Quand on vend ses propriétés, quand on donne des hypothèques, quand on fournit des garanties et qu'on doit payer des droits, ce n'est pas en général parce qu'on se trouve dans une situation prospère, et je. n'ai jamais entendu dire que les particuliers aient invoqué avec succès la situation malheureuse où ils se trouvaient en vendant pour être exemptés du payement des droits auxquels ces actes donnent lieu.

Messieurs, le fisc a dans la société une mission rigoureuse à remplir. Mais cette mission ne peut-être honorable qu'à une condition, c'est d'être également rigoureuse pour tout le monde. Soyez-en bien convaincus, du moment où il ne remplirait plus cette condition, du moment surtout où il se départirait de cette rigueur envers les puissants et les riches (car quelle que soit la position des établissements dont vous parlez, il n'en est pas moins vrai que les actionnaires de ces établissements sont en général des hommes puissants et des hommes riches) ; du mo-ment, dis-je, où le fisc se départirait d'une manière aussi injuste de la rigueur, il deviendrait odieux et il mériterait de l'être.

(page 475) M. Moreau. - Messieurs, une somme de 129,406 fr. 96 cent, est due au trésor depuis treize ans par la Banque de Belgique ou les débiteurs pour droits d'enregistrement sur des actes authentiques et sur des jugements relatifs au prêt de 4 millions fait en vertu de la loi du 1er janvier 1839. Aujourd'hui, messieurs, vous êtes appelés à décider si vous voulez faire la remise de cette somme.

Telle est la question que vous avez à résoulre et à laquelle la section centrale a donné une solution négative.

Voici pourquoi, et je prie l'honorable M. Anspach de bien vouloir le croire, sans qu'un élément étranger soit intervenu dans les délibérations de la section centrale et ait exercé la moindre inflaence sur la résolution qu'elle a prise consciencieusement.

D'abord, messieurs, il est un principe général que l'on doit suivre et appliquer lorsqu'il s'agit de la perception des impôts, c'est celui qui est (page 476) consacré par l’article 112 de la Constitution qui porte qu’il ne peut être établi d eprivilège en matière d’impôts, principe juste et qui est écrit en termes très explicites dans l’article 59 de la loi du 22 frimaire an VII applicable à l’espèce.

Il est bon, je pense, de vous mettre sous le syeux le texte de cet article ; il est ainsi conçu :

« Aucune autorité publique, ni la régie, ni ses préposés ne peuvent accorder de remise ou de modération des droits établis par la présente et des peines encourues, ni en suspendre ou faire suspendre le recouvrement sans en devenir personnellement responsable. »

Que résulte-t-il de cette disposition si précise, si formelle ? C'est qu'aucune autorité, le ministre des finances de cette époque pas plus que tout autre fonctionnaire, n'avait le droit de suspendre ou de faire suspendre la rentrée des 129 mille francs dans les caisses de l'Etat, c'est que la promesse que le ministre des finances aurait faite, promesse sur laquelle on s'est tant appuyé, n'a pas une bien grande importance.

En effet, messieurs, sans nous inscrire en faux contre les déclarations du ministre des finances et des administrateurs de la Banque, nous admettons qu'une promesse a été faite, nous admettons que le ministre des finances en fonctions en 1839 ait pris des mesures pourque les droits dont il s'agit ne fussent une charge, ni pour la Banque, ni pour ses débiteurs.

Mais certes, il était bien permis à la section centrale d'examiner la nature de cette promesse et d'en rechercher la portée, de voir quand et comment elle avait été faite.

La section centrale s'est donc demandé si la promesse verbale que l'on invoque a été considérée, par les parties contractantes, comme étant une des conditions du contrat de prêt. Est-il certain, en un mot, comme le porte l'exposé des motifs, que la Banque n'a entendu souscrire à l'article 5 du contrat que sur la promesse qui lui avait été faite de ne pas supporter des droits d'enregistrement ?

S'il en était ainsi, messieurs, l'on concevrait qu'une promesse semblable, formant en quelque sorte une clause de la convention, devrait exercer une grande influence sur la décision de cette affaire.

Mais, messieurs, il résulte clairement, ce nous semble, des pièces qui ont été soumise, à la section centrale que, si M. le ministre des finances a donné l'ordre d'enregistrer en débet les actes constilutifs d'hypothèque, il n'avait rien promis à la Banque lorsque le prêt a été demandé par elle, lorsque les conditions en ont été réglées de commun accord. Cela est si vrai, que l'article 5 du contrat, par lequel la Banque offre à l'Etat des hypothèques a été rédigé par ses administrateurs, signé par eux sans observations et admis par le gouvernement.

Le rapport que M. le ministre des finances a fait à Sa Majesté peu de temps après le prêt prouve encore que c'est après que tout a été réglé que l'on a demandé au gouvernement de tenir en suspens le recouvrement des droits d'enregistrement.

C'est, dit M. le ministre dans ce rapport, « pour éviter la charge d'inscription hypothécaire que l'administration de la Banque a sollicité l'autorisation d'en porter les droits en débet » et déjà alors les droits d'enregistrement et autres s'élevaient à 11,380 fr.

Les sollicitations de la Banque ont donc eu lieu après que le prêt a été fait, après qu'elle a eu souscrit à l'article 5 des conditions qu'elle avait rédigées elle-même.

S'il en est ainsi, messieurs, la promesse dont il s'agit n'étant pas une des conditions du prêt, est évidemment sans valeur ; et certes vous pouvez, comme l'a reconnu M.le ministre des finances dans la dernière séance, la considérer comme nulle, comme non avenue, sans blesser les principes d'équité et de justice, car aux termes de l'article 59 de la loi de frimaire dont je vous ai tantôt donné lecture, elle ne pouvait consentir qu'à déclarer à la Banque qu'on tâcherait d'obtenir de la législature l'exemption de l'impôt.

Eh bien, messieurs, le gouvernement a tenu sa promesse en vous présentant le projet de loi en discussion, le prédécesseur de M. le ministre des finances avait seulement dit à la Banque après le prêt qu'il demanderait aux chambres la faveur de ne pas lui faire payer des droits d'enregistrement et c'est ce qu'il a fait en 1845, et l'on comprend que son successeur, trouvant dans les cartons de son département ce projet de loi, a dû de nouveau en saisir la chambre pour lui faire vider le différend.

Telle est, messieurs, la portée, la nature de la promesse faite à la Banque, promesse qui ne peut en aucune manière vous lier ; laissons-la donc de côté.

Toutefois, je sais que par une loi vous pouvez établir des exemptions ou des modérations d'impôts ; mais du moins pour que vous accordiez le privilège, pour que vous fassiez fléchir les principes généraux, il faut qu'il y ait des motifs puissants ; examinons donc quelles sont les considérations qu'on invoque pour obtenir la faveur dont il s'agit.

D'abord, messieurs, on a invoqué comme un précédent, en quelque sorte, comme un préjugé les lois des 20 mars et 22 mai 1848 qui exemptent des droits d'enregistrement et même de cette formalité les conventions ayant pour objet de déterminer les sûretés que devaient donner la Société Générale et la Banque de Belgique, lorsque les billets de ces sociétés garantis par l'Etat ont eu cours forcé.

Mais d'abord ici il y a une disposition expresse insérée dans la loi et qui ne se trouve pas dans la loi du 1er janvier 1839, une disposition qui exempte non seulement ces conventions du payement des droits d'enregistrement, mais encore les dispense d'être soumis à cette formalité.

D'un autre côté, quoi qu'on en dise, les cas prévus par ces lois sont loin d'être identiques avec ceux dont il s'agit dans l'espèce. En 1848, il n'y a pas eu, en réalité, de prêts faits aux banques ; au contraire, c'est l'Etat même qui a reçu d'elles de l'argent.

En 1848, le gouvernement donnait aux billets de banque émis ou à émettre une garantie en quelque sorte morale, et les hypothèques, s'il y en a eu, ne faisaient que garantir une éventualité, celle d'une dépréciation dans le papier-monnaie, et, d'ailleurs, cette garantie n'était pas donnée gratuitement, puisque, dans un cas, des intérêts étaient payés a l'Etat, et que, dans d'autres cas, les banques devaient supporter des droits de timbre, proportionnellement assez élevés.

Mais, messieurs, la principale différence est celle-ci, et j'appelle votre attention sur ce point : c'est qu'en 1848 les sûretés, les hypothèques données à l'Etat ne profitaient qu'à ce dernier, tandis qu'en 1839 elles profitaient en même temps à la Banque de Belgique vis-à-vis de ses débiteurs.

En effet, qu'à fait en 1839 la Banque de Belgique ? Elle s'est fait donner par ses débiteurs des cédules hypothécaires qu'elles a remises en neutissement à l'Etat, elle a donc converti en créances hypothécaires une quantité de créances chirographaires.

Je sais bien, messieurs, qu'on a objecté que c'est l'Etat plutôt que la Banque qui a exigé des hypothèques ; la Banque de Belgique, dit-on, n'avait aucun intérêt à en obtenir ; ses créances étaient assurées, il y aurait donc une criante injustice à faire payer à la Banque des droits pour des actes dont elle n'a retiré aucun avantage et qu'elle n'a consenti de donner que parce qu'elle y a été forcée par le gouvernement.

Quint à moi, messieurs, il me paraît que lorsque vous obtenez de votre débiteur des sûretés hypothécaires, vous avez cependant quelque chose qui assure mieux la rentrée de votre créance que lorsque vous êtes dépourvu de toute garantie.

Et M. le ministre des finances est ici de mon avis, je parle bien entendu du ministre des finances en fonctions en 1839, car dans le rapport que j'ai déjà cité se trouve le passage suivant :

« En effet les articles 14 et 16 des conditions du prêt ont prescrit à la Banque de ne rien exiger des établissements créés sous son patronage ni des débiteurs en compte courant, ce qui pourrait compromettre leur existence ou leur crédit ; c'est dans ce but qu'elle a demandé à l'assemblée générale des actionnaires tenue le 28 février dernier l'autorisation d'accorder des atermoiements aux sociétés et particuliers débiteurs en prenant des inscriptions hypothécaires que la prudence suggérait. »

Il croyait donc, ainsi que les actionnaires, que la prudence commandait d'exiger des sociétés débitrices des hypothèques pour garantir les sommes dues dont on ne demandait pas le payement immédiat.

Et veuillez remarquer, messieurs, que les droits dont on demande la remise sont dus non seulement sur des actes authentiques consentis volontairement, mais encore sur des jugements que la Banque a fait prononcer, contre des établissements débiteurs. Si celle-ci pouvait exercer certaine influence sur des conseils administratifs des sociétés, il n'est pas exact de prétendre qu'elle y avait toujours la majorité, puisqu'elle a dû recourir à l'emploi de moyens coercitifs.

Veuillez encore remarquer, messieurs, qu'il y avait des particuliers débiteurs qui ont donné des hypothèques, le rapport de M. le ministre des finances en fait foi, et certes pour ces débiteurs particuliers on ne prétendra certainement pas que la Banque n'avait nul intérêt à en exiger des hypothèques.

Il y a même plus, c'est que la Banque croyait tellement que des hypothèques lui donnaient plus de garanties, que l'article 13 du contrat stipulait qu'il serait donné des hypothèques pour assurer le recouvrement des avances modérées que la Banque était autorisée à faire aux établissements industriels qui en auraient ultérieurement un besoin indispensable.

D'ailleurs, messieurs, lorsqu'il s'est agi de prêter les 4 millions a la Banque, c'est elle qui a présenté au gouvernement les clauses et conditions du projet de contrat. Dans cet acte remis avant le vote de la loi au ministre, la Banque offre spontanément pour garantie les hypothèques que ses débiteurs lui donneront pour obtenir des atermoiements et naturellement elle était disposée à faire ces offres d'autant plus facilement qu'elle croyait qu'il était de son intérêt d'assurer les créances qu'on lui devait par des hypothèques. Aussi la Banque a-t-elle usé largement de ce moyen puisqu'il résulte de l'exposé des motifs que la valeur des cédules hypothécaires qui ont été données comme gage à l'Etat dépassaient la créance du trésor.

On ne peut donc prétendre que la Banque n'avait aucun intérêt a obtenir de ses débiteurs les actes et jugements dont il s'agit et que c'est en faveur de l'Etat seul que des frais ont été faits.

D'un autre côté serait-il vrai que les établissements débiteurs n'ont retiré aucun avantage des actes qu'ils ont passés sans être, dit-on, tenus d'y souscrire ?

Je ne sais, messieurs, si je me trompe, mais il me paraît que lorsqu'on se trouve dans une fâcheuse position, on doit faire certains sacrifices pour s'en tirer le mieux possible, et c'est ce que les établissements débiteurs avaient le plus grand intérêt à faire, alors qu'ils étaient menaces dans leurs existences, alors qu'ils ne pouvaient satisfaire à leurs engagements sans être entièrement anéantis.

Heureux sont, selon moi, les débiteurs qui obtiennent de leurs créanciers dans des temps difficiles des délais, moyennant le payement de certains droits d'enregistrement ou d'hypothèques !

(page 477) Heureux sont ceux qui à des conditions aussi avantageuses peuvent éviter leur ruine et attendre pour se libérer des temps meilleurs !

On a encore dit, messieurs, que le prêt de 4 millions avait imposé à la Banque des sacrifices considérables, qu'elle a dû payer chèrement des commissaires pour surveiller l’emploi de ces fonds, que même le traitement de ces commissaires devait êtreà charge de l’Etat.

Cependnat, messieurs, je ne vois pas en quoi cette convention aurait été si onéreuse pour la Banque, car si d’abord elle a donné un intérêt de 5 p. c. pendant 3 ans, veuillez-vous rappeler que pendant les six années suivantes elle n’a plus payé que 2 p. c., taux d’intérêt bien minime.

De ce chef donc le trésor public, lui qui alors empruntait sans doute à un taux plus élevé, a essuyé des pertes et c'est encore là une faveur que l'on a faite à la Banque et dont certes vous devez tenir compte.

Quant au traitement des commissaires, aucune des pièces qui ont été communiquées à la section centrale ne fait mention de leur montant, et ne dit qui doit le payer. Je ne puis donc vous donner aucun renseignement sur ce point ; je sais seulement que dans la séance du 8 décembre 1843, alors que l'on discutait sur la réduction de l'intérêt de 5 à 2 p c, un membre de la chambre disait que « le remboursement effectué comme il l'est maintenant, les fonctions rétribuées des commissaires venaient à cesser. » J'ignore pourquoi, dans l'état qui a été transmis à la section centrale, on voit que les traitements de ces commissaires ont été payés jusqu'en 1848.

On prétend encore qu'il serait peu juste, peu équitable, de faire supporter ces droits d'enregistrement soit par la Banque de Belgique, soit par les sociétés anonymes, parce que l'intérêt général commandait, dans ce moment de crise, de venir en aide aux établissements industriels qui étaient dans une position très critique et qu'il était urgent de procurer de l'ouvrage aux nombreux ouvriers qui étaient à la veille d'être mis sur le pavé, que si une disposition avait été insérée dans la loi de 1839 pour exempter les actes dont il s'agit des droits d'enregistrement, les chambres l'auraitnt votée.

Nous ne contestons en aucune manière, messieurs, la nécessité du prêt fait à la Banque, nous reconnaissons même qu'on a bien fait de la secourir ainsi que les établissements industriels qu'elle patronait, mais autre chose est, selon nous, de donner son approbation à la convention et d'approuver une nouvelle faveur, un nouveau privilège qu'on veut lui accorder.

Si des particuliers ou des sociétés sont, par suite de crise commerciale ou autres, dans le besoin, et qu'il soit de l'intérêt général qu'on les soutienne, nous voulons bien que le gouvernement leur vienne en aide, dans certaine mesure ; mais ce que nous ne voulons pas, c'est qu'il y ait inégalité dans la condition des débiteurs qui souffrent et qui doivent recourir à l'emprunt. Si vous accordez aujourd'hui la remise des droits d'enregistrement qu'on sollicite, n'y aurait-il pas en quelque sorte iniquité à exiger dorénavant ces mêmes droits de tout débiteur malheureux auquel des prêts seraient faits ? N'y aurait-il pas injustice à exiger des uns ce que l'on ne demande pas à d'autres placés dans des positions identiques ? Pourquoi deux poids et deux mesures ?

Le département de l'intérieur, si je ne me trompe, a aussi prêté des sommes sur hypothèque à certains industriels ; les a-t-il dispensés de payer des droits d'enregistrement et d'hypothèque ?

Je ne le pense pas. Eh bien, pour quels motifs M. le ministre des finances agirait-il autrement que son collègue de l'intérieur ?

En résumé, messieurs, je crois avoir établi que la promesse que l'on invoque n'a aucune valeur, et que dans le cas dont il s'agit il n'y aucun motif plausible pour s'écarter de la règle générale qui veut que tous payent les impôts. Ce n'est pas, ce nous semble, lorsque les valeurs mobilières échappent à tout impôt, lorsque à chaque instant on les exemple de toute participation aux charges publiques, qu'il convient de voter, en faveur de ceux qui les possèdent, des exemptions spéciales, des privilèges pour les dispenser de payer des droits dus légalement.

C'est donc à bon droit que la section centrale n'a pas admis le projet de loi, et ne vient pas vous proposer de faire, soit à la Banque, soit à certains débiteurs, un cadeau de 129,000 fr.

- Plusieurs membres. - Aux voix !

M. Malou. - Messieurs, je ne ferai pas un discours ; je tiens seulement à motiver mon vote.

Je voterai en faveur du projet de loi. Messieurs, dans le vote que la chambre est appelée à émettre, elle doit se reporter aux circonstances dans lesquelles a été posé l'acte dont il s'agit. Nous avons à juger si dans les circonstances qui se présentaient alors en Belgique, il existe des motifs pour accorder l'exemption qui vous est proposée.

Je me hâte de le dire, si le prêt de 4 millions avait été fait à la Banque de Belgique dans son seul intérêt, je serais le premier à dire qu'on ne doit pas, qu'on ne peut pas légitimement lui accorder l'exemption des droits d'hypothèque et de timbre. Mais s'il est démontré, au contraire, que le prêt a été fait principalement dans l'intérêt du pays, la solution doit être toute différente.

Or, c'est dans l'intérêt du pays que le prêt a été fait. Au mois de décembre 1838, le gouvernement belge se trouvait engagé dans les difficultés de la question extérieure.

On était dans la période de résistance, et la situation de la Banque de Belgique, à cette époque, affaiblissait le gouvernement pour obtenir une bonne solution de la question extérieure.

C'est pour éviter cette lésion au pays, bien plus que dans l'intérêt de la Banque de Belgique, que la chambre a autorisé le prêt de 4 millions, et c’est tellement évident que le vote en a eu lieu à la presque unanimité et qu’àil a été précédé d’un comité secret, dans lequel, on peut le dire aujourd’hui, les considérations politiques ont eu une influence décisive, considérations puisées principalement dans l’intérêt de l’Etat.

Il est donc évident, selon moi, que cet acte ne doit pas être apprécié d'après les faits et les circonstances où nous nous trouvons aujourd'hui, mais bien d'après les motifs qui ont déterminé la législature, en 1839, à accorder un prêt à la Banque de Belgique.

Une autre considération qui me paraît également puissante, c'est que les frais n'ont pas été causés directement par le prêt fait à la Banque de Belgique, mais par la stipulation qu'a faite le gouvernement que la Banque de Belgique prendrait, à l'égard des établissements qui lui sont subordonnés, des mesures dont elle se serait abstenue, si le gouvernement ne les avait pas exigées.

Ces deux considérations, messieurs, démontrent à toute évidence, selon moi, qu'il est équitable d'accorder à la Banque de Belgique la remise des droits et frais que le gouvernement a, en quelque sorte, provoqués dans l'intérêt du pays.

Il y a eu un engagement positif de la part du gouvernement. Tout le monde reconnaît que cet engagement ne lie pas la chambre. En effet, s'il liait la chambre, nous ne discuterions pis. Nous discutons pour savoir s'il y a lieu, par la chambre, de ratifier l'engagement que le gouvernement a cru devoir prendre.

Et déjà, messieurs, si les circonstances n'avaient pas été si impérieuses, est-ce légèrement que le gouvernement aurait pris un pareil engagement ? J'invoque ici non seulement ces considérations, mais j'invoque aussi le précédent de 1848.

En effet, messieurs, en 1848 on a inséré dans la loi l'exemption, dans des circonstances tout à fait analogues ; ce n'était pas non plus exclusivement pour la Société Générale et la Banque de Belgique qu'on votait les lois du mois de mars et du mois de mai, mais c'était aussi par des considérations d’ordr public. On a alors prononcé l’exemption des droits et même des formalités.

Demandons-nous donc, messieurs, si l'exemption avait été proposée dans la loi qui accordait le prêt de 4 millions, aurait-elle été accordée ou refusée ? Voilà quelle est pour moi la question. Eh bien, reportons-nous aux circonstances : il est évident quï l'exemption aurait été accordée d'une seule voix. Ce qui se serait fait alors, pour être juste, doit se faire aujourd'hui.

- Plusieurs membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Delfosse. - Je serai très court.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Delfosse. - Après les discours de MM. Orban et Moreau, je pourrais à la rigueur m'abstenir de prendre la parole, je tiens cependant à dire quelques mots pour expliquer mon vote.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

M. Delfosse. - En 1838 la Banque de Belgique fut obligée de suspendre ses payements. L'Etat lui vint en aide par une avance de fonds de 4 millions à l'intérêt de 5 p. c. qui par une faveur spéciale fut réduit plus tard à 2 p. c.

La convention passée à ce sujet entre le gouvernement et la Banque de Belgique porte entre autres conditions qu'il sera pris inscription hypothécaire sur les biens des établissements débiteurs. Il n'est pas dit un mot dans cette convention des frais d'enregistrement et d'hypothéqué. Ce silence prouve qu'à l'époque où la convention a été faite, le ministre des finances n'avait pas encore pris l'engagement dont on argumenté aujourd'hui.

S'il avait pris cet engagement, il est clair qu'on en aurait fait mention dans la convention ; on y aurait ajouté une clause portant : « Le ministre des finances s'engage à présenter aux chambres un projet de loi pour faire exempter la Banque des droits d'enregistrement et d'hypothèque. » C'est ainsi que les choses se passent ordinairement ; quand un engagement est pris et qu'on passe ensuite un acte, l'acte porte des traces de l'engagement. Je fais de l'histoire ; M. Anspach faisait hier du roman.

Je comprends que plus tard, lorsqu'il a fallu payer les droits d'enregistrement et. d'hypothèque, la Banque ait dit au ministre des finances qu'il lui serait agréable d'en être exemptée ; je comprends encore que le ministre ait promis de présenter un projet de loi et qu'en attendant il ait autorisé l'enregistrement en débet ; mais cette promesse, postérieure au contrat, qui n'a exercé aucune influence sur le contrat, n'a de valeur qu'autant qu'elle soit ratifiée par les chambres.

J'accepte entièrement la question telle qu'elle a été posée par M. le ministre des finances : nous devons examiner le projet de loi en lui-même, abstraction faite de tout engagement ; nous devons rechercher ce qu'il est équilable de faire, ce que la chambre aurait fait en 1839 si le projet de loi avait été présenté à cette époque. Eh bien, je n'hésite pas à dire que si le projet avait été présenté en 1839 il aurait été rejeté à une très forte majorité. On aurait dit alors dans les chambres : la Banque de Belgique s'est créé des embarras par sa faute ; elle a immobilisé imprudemment une trop grande partie de son capital ; néanmoins nous lui avons fait une avance de fonds, parce que nous avons voulu empêcher une crise à la fois financière et politique, parce qu'il fallait donner de l'ouvrage aux classes ouvrières.

L'intérêt général exigeait que cette mesure fût prise, mais l'intérê( (page 478) général n'exige pas qu'on exemple la Banque de Belgique ou le établissements places sous son patinage, des droits d'enregistrement et d'hypothèque.

D'autres industriels, d'autres établissements ont eu aussi des embarras, ont dû aussi contracter des emprunts et donner des garanties hypothécaires pour lesquelles ils ont payé et payé immédiatement des droits d'enregistrement considérables. Pourquoi aurait-on dit en 1839, pourquoi accorderions-nous à la Banque de Belgique ou aux établissements placés sous son patronage une faveur qui serait refusée à d'autres établissements ? Pourquoi créerions-nous un privilège qui ne serait justifié par aucune considération d'intérêt général ?

M. le ministre des finances de cette époque a eu, dit-on, une conversation officieuse avec la section centrale. Que nous importe à nous une conversation officieuse ? Il n'y a eu dans cette affaire que trop de choses officieuses et que trop d'officieux ; le rapport au Roi, qui devrait se trouver dans les archives du ministère des finances, se trouve dans les cartons de la Banque de Belgique ; le rapport fait pour la chambre et qui n'a pas été imprimé, se trouve dans les mêmes cartons.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est inexact.

M. Delfosse. - C'est par la Banque de Belgique que ces documents nous ont été fournis. Vous avez dit vous-même que le rapport au Roi devrait se trouver dans vos archives.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit cela. (Interruption.) Vous dites : « Les pièces reposaient dans les cartons de la Banque de Belgique. » Les faits ne sont pas ainsi :

Lorsque la section centrale qui s'est occupée du projet de loi a demandé des renseignements au gouvernement, je me suis moi-même adressé à la Banque de Belgique pour avoir les renseignements que je ne trouvais pas au département des finances, et la Banque s'est adressée à l'ancien rapporteur du projet de loi de 1845, l'honorable M. Zoude, qui avait tenu dans ses mains, et la minute du rapport soumis au Roi par M. Desmaisières, et le procès-verbal de la section centrale qui avait examiné le projet de 1845. C'est donc dans les mains du rapporteur de la section centrale de cette époque que les pièces se trouvaient, et non dans les cartons de la Banque de Belgique.

M. Delfosse. - J'accepte cette explication, il n'en est pas moins vrai que les pièces ne se trouvaient pas au département des finances et qu'elles nous ont été remises par la Banque de Belgique.

Le ministre des finances sentait si bien, en 1839, que les dispositions de la chambre étaient peu favorables, qu'il n'a pas osé présenter le projet de loi. Si l'on avait cru pouvoir en obtenir l'adoption, pourquoi aurait-on laissé passer cinq ou six ans sans le présenter ?

Le projet de loi n'a été présenté qu'en 1845 par l'honorable M. Mercier qui, probablement ne l'a présenté que parce qu'il se croyait lié par un précédent administratif.

Il est vrai que les sections ont fait un accueil favorable à ce projet de loi ; mais vous savez, messieurs, comment les choses se passent dans les sections ; quand il s'agit d'un projet de peu d'importance, d'un projet qui n'est pas d'intérêt général, beaucoup de membres s'abstiennent de s'y rendre ; ceux qui sont partisans du projet s'y trouvent facilement en majorité.

La preuve que la chambre de 1845 n'était pas non plus très favorable à la mesure, c'est qu'elle a laissé se terminer son existence sans s'en occuper ; la dissolution prononcée en 1848 a fait tomber le projet.

A part la promesse de M. le ministre des finanees, promesse qui n'a que peu de valeur, les arguments présentés en faveur du projet de loi sont extrêmement faibles.

On dit que la Banque de Belgique n'avait aucune espèce d'intérêt à ce que les inscriptions hypothécaires fussent prises ; on dit qu'en définitive les frais retomberont sur les établissements débiteurs. Messieurs, la Banque de Belgique n'est pas si désintéressée dans la question qu'on le prétend ; à l'heure qu'il est, alors que l'Etat est remboursé, la Banque maintient encore les inscriptions hypothécaires qu'elle a probablement fait renouveler.

D'un autre côté, la Banque a prêté des sommes considérables sur dépôt d'actions de sociétés ; plus ces actions ont de valeur, plus la Banque a de garanties pour recouvrer ses avances. (Aux voix !)

Je tiens compte de l'impationce de la chambre ; j'aurais encore plusieurs observations à lui soumettre, j'aurais notamment à faire ressortir les différences qu'il y a entre la loi de 1848 et celle de 1839, mais je m'arrête.

Vous ne pouvez pas, messieurs, adopter le projet de loi ; si vous l'adoptiez, on dirait que vous avez deux poids et deux mesures ; que vous accordez aux uns, ce que vous refusez aux autres ; on dirait malheureusement une fois de plus que les lois sont des toiles d'araignée qui laissent passer les grands et n'arrêtent que les petits. Je suis convaincu que M. le ministre des finances, qui a défendu avec tant d'énergie les droits de l'Etat contre la Société Générale, n'aurait pas présenté ce projet de loi, s'il ne s'était, comme M. Mercier, cru lié par un précédent administratif. (Aux voix ! aux voix !)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne veux pas prolonger la discussion, mais il est indispensable que je rectifie certains faits qui ont paru exercer de l'influence sur l'assemblée et qui sont inexacts.

On mêle à cette affaire des considérations qui lui sont complétement étrangères. Un honorable préopinaut parle à ce propos de la caisse d'épargne ; un autre, des fautes commises en 1839 par la Banque de Belgique. On fait à la Banque de Belgique un grief de cette fièvre d'actions industrielles qui s'était alors manifestée.

En ce qui concerne la caisse d'épargnes, il y a là un fait sans doute très regrettable ; mais il a été cent fois expliqué : on ne peut en faire un reproche ni à la Banque de Belgique, ni au gouvernement. C'est sous l'empire de conditions connues que les dépôts ont été faits à la caisse d'épargne. Aujourd'hui il est fort difficile de se tirer de cette affaire.

Quant aux établissements industriels créés en 1839, ce n'est pas à la Banque de Belgique seule qu'il faut imputer quelque chose de ce chef ; ce fut un peu la faute de tout le monde. A cette époque, non seulement la Banque de Belgique, mais la Société Générale ont créé un nombre considérable de sociétés anonymes, qui ont été autorisées par le gouvernement ; il faudrait surtout imputer à faute à ce dernier d'avoir autorisé ce grand nombre de sociétés anonymes qui ont fini par engager une quantité énorme de capitaux et entraîné beaucoup de pertes. Laissons donc de côté toutes ces considérations qui ne doivent pas influer sur la décision de la chambre.

Comme considération étrangère, on fait encore valoir que le prêt a été fait à la Banque de Belgique à 5 p. c., et que cet intérêt a été illégalement réduit plus tard à 2 p. c., pour une partie considérable du prêt.

On ne remarque pas qu'à l'époque où le prêt a été réduit à 2 p. c., les conditions n'étaient plus les mêmes ; lorsque le prêt était à 5 p. c., la Banque de Belgique avait une créance à terme ; lorsque au contraire le prêt est devenu à 2 p. c., ce n'était plus le prêt, résultant de la convention de 1839 ; il y avait eu novation ; l'Etat laissait dans les caisses de la Banque de Belgique une somme que celle-ci était obligée de tenir constamment à la disposition du trésor. Le trésor a disposé de cette manière par centaines de mille francs.

Je n'ai pas à dire ce que j'aurais fait en 1839 ; mais le fait est qu'il était impossible que le ministère actuel, sans s'exposer à la déconsidération, au reproche d'avoir manqué de foi, en méconnaissant les engagements contractés par ses prédécesseurs ; qu'il était impossible, dis-je, au ministère actuel, de ne pas présenter le projet de loi ; l'exposé des motifs, signé par l'honorable M. Mercier, constatait que des engagements avaient été pris ; or, si, dans un pareil état de choses, le gouvernement n'avait pas reproduit le projet de loi présenté à la chambre en 1845, il aurait été justement accusé, et la Banque de Belgique aurait peut-être même pu se fonder sur un refus de notre part, pour réclamer des dommages-intérêts à la charge du gouvernement.

C'est donc dans cette situation que nous nous trouvons ; le cabinet actuel n'a pris aucun engagement ; nous venons exécuter une promesse faite par nos prédécesseurs, et rien de plus.

Pour le fond, la question, comme je l'ai posée hier, paraît avoir été acceptée par les opposants eux-mêmes au projet de loi.

Il y a lieu d'examiner aujourd'hui ce qu'on aurait fait, si la proposition avait été soumise en 1838. L'honorable M. Delfosse affirme que si en 1839 on avait proposé d'exempter des droits d'enregistrement et de timbre les actes relatifs au prêt fait à la Banque de Belgique, il n'y aurait pas eu dans la chambre une majorité en faveur de la proposition ; eh bien, je suis fort enclin à penser qu'il y aurait eu alors une majorité en faveur du projet.

De grandes considérations d'intérêt public déterminaient seules les chambres et le gouvernement à agir à cette époque. Ce n'était pas parce que la Banque de Belgique avait à sauver les intérêts de ses actionnaires que l'Etat est intervenu ; il est intervenu uniquement à raison de l'intérêt public engagé dans la question. Il s'agissait alors des établissements qui donnaient de l'ouvrage à un grand nombre d'ouvriers. Or, pensait-on en ce moment à imposer des conditions onéreuses à des établissements ? Car il ne s'agit pas ici de la Banque de Belgique, mais de ces établissements, ses débiteurs. C'eut été évidemment aggraver leur condition, les obliger à fournir certaines sommes, à faire des avances de fonds. Il me semble évident que si la chambre avait eu à se prononcer alors, elle n'aurait rien fait qui pût aggraver la situation de ces établissements.

En 1848, des conditions absolument identiques se sont présentées lorsque l'on est intervenu en faveur de la Société Générale et de la Banque de Belgique. Lorsque l'on a demandé des garanties ces à établissements lorsqu'il a fallu des hypothèques, on les a dispensés également de payer les droits de timbre et d'enregistrement.

Or, donner cours forcé aux billets, ou donner des écus aux établissements, c'était une seule et même chose, l'avantage était le même. Les établissements se sont tirés d'affaire, les hypothèques ont servi de la même manière, les billets à cours forcé ont fait le même office que les écus.

L'avantage étant le même, on a cependant dispensé les établissements de payer le droit de timbre et d'enregistrement. Ce que l'on a fait alors, pourquoi ne pourrait-on pas le faire aujourd'hui. Personne n'a réclamé, en 1848.... (Interruption.) C'est exactement la même chose. Tirer des établissements d'affaire en créant des billets à cours forcé ou leur donner des écus, c'est une seule et même chose. Dans cette situation on, ne peut pas dire qu'il y aurait injustice à procéder aujourd'hui, comme on l'a fait en 1848 pour la Société Gén érale et pour la Banque de Belgique.

(page 479) - Plusieurs voix. - La clôture !

M. Cools. - Je demande la parole contre la clôture, afin de motiver mon vote et de présenter une observation qui doit être nécessairement présentée pour que la chambre se pénétre bien des conséquences d'un vote approbatif de la loi. Je demande à faire cette observation et je crois en avoir le droit, car j'étais inscrit quand M. le ministre des finances a pris mon tour de parole. Je m'engage, du reste, à me restreindre dans cette seule observation.

- La discussion est close.

Discussion des articles

Article premier

L'article premier est ainsi conçu :

« Art. 1er. Sont exempts des droits d'enregistrement et d'hypothèque, les actes et jugements qui ont eu pour objet de procurer à l'Etat les garanties exigées par lui pour le recouvrement des sommes prêtéesà la société anonyme dite Banque de Belgique, en exécution de la loi du 1er janvier 1839.

« Les droits qui ont été acquittés pour ces actes et jugements seront restitués, mais sous retenue des frais ordinaires de régie et de perception. »

- Plusieurs membres. - L'appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

En voici le résultat :

69 membres ont répondu à l'appel.

28 membres ont répondu oui.

41 membres ont répondu non.

En conséquence, l'article premier n'est pas adopté et le projet de loi tombe.

Ont répondu oui : MM. Osy, Prévinaire, Rogier, Tesch, T'Kint de Naeyer, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Cans, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Pitteurs, De Pouhon, Desoer, de Theux, Devaux, Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jacques, Lebeau, Lesoinne, Malou, Mascart, Mercier, Moncheur et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Peers, Pirmez, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Thiéfry, Tremouroux, Van Cleemputte, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Vermeire, Visart, Allard, Ansiau, Boulez, Bruneau, Clep, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Haerne, de La Coste, Delfosse, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode (Félix), de Perceval, de Renesse, Dumortier, Julliot, le Bailly de Tilleghem, Manilius, Moreau, Moxhon, Orban et Orts.

Motion d’ordre

Décès du président du sénat

M. le président. - J'ai reçu une lettre de M. de Renesse, vice-président du sénat, faisant part à la chambre de la mort de M. Dumon-Dumortier et annonçant que le sénat se rendra en corps aux obsèques de son président qui auront lieu samedi à Tournay.

La chambre a déjà nommé une députation qui sera présidée par son président pour assister à cette cérémonie. Le départ aura lieu samedi à 7 heures 3 quarts du matin de la station du Midi. Les membres qui voudront s'adjoindre à la députation sont priés de se faire inscrire la veille pour qu'on puisse prendre des mesures en conséquence.

- La chambre décide qu'elle n'aura pas de séance samedi. La séance est levée à 4 heures 3/4.