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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 19 mars 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Vermeire (page 881) procède à l'appel nominal à 2 heures un quart.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal.

Pièces adressées à la chambre

M. Vermeire présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Crabbe prie la chambre de lui faire obtenir la pension accordée aux blessés de septembre. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Coq demande de pouvoir faire l'échange ou d'obtenir le remboursement avec les intérêts, d'un récépissé de l'emprunt forcé de 1848, qui s'est trouvé égaré. »

- Même renvoi.


M. Osy, obligé de se rendre à Anvers, demande un congé de deux jours.

- Le congé est accordé.

Projet de loi portant le budget des dotations de l’exercice 1853

Rapport de la section centrale

M. Rousselle. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale chargée d'examiner le budget des dotations pour 1853.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Rapports sur des pétitions

M. Allard, rapporteur. - La chambre a renvoyé à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, une pétition d'un grand nombre d'industriels, négociants et agriculteurs de Wavre, réclamant son intervention, pour que la société du chemin de fer du Luxembourg fasse passer par Wavre la ligne principale du chemin de fer direct de Bruxelles à Namur.

Les pétitionnaires exposent que la ville de Wavre, dont la population est de 6,000 âmes, est la ville la plus importante de l'arrondissement de Nivelles, sous le rapport industriel et commercial ; qu'il s'y fait un mouvement d'affaires de plus de dix millions de francs annuellement ; qu'elle est la plus considérable après Namur, sur la ligne de Bruxelles à Arlon ; que si le chemin de fer, tel qu'il est décrété, la traverse, son importance sera doublée et triplée d'ici à vingt ans ; que sa prospérité suivra cette gradation ; qu'au contraire, si elle se voit privée du chemin de fer qui devait la traverser, aux termes de la loi de concession et des conventions qui en ont été la suite complémentaire, elle se trouvera vouée et condamnée à une ruine totale à jamais déplorable.

Appréciant l'importance de la question pour les intérêts de la ville de Wavre, votre commission des pétitions vous propose, messieurs, le dépôt de cette pétition sur le bureau pendant la discussion qui doit avoir lieu dans la séance de ce jour sur les explications sur le tracé du chemin de fer de Bruxelles à Namur, et le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.


Discussion sur les explications du gouvernement relatives à une pétition concernant le tracé du chemin de fer de Bruxelles à Namur

M. Mercier. - Beaucoup de membres de cette chambre n'ont voté qu'avec hésitation la vaste série de travaux publics proposés par le gouvernement dans notre dernière session.

Ils étaient retenus par la crainte bien légitime d'augmenter trop fortement les charges du pays, non seulement à cause des crédits demandés et des minimums d'intérêts garantis, mais aussi de l'éventualité, par suite des mécomptes dont nous avons eu tant d'exemples en cette matière et de l'influence défavorable que l'exploitation de certaines lignes nouvelles peut exercer sur le revenu du chemin de fer de l'Etat, déjà bien faible relativement au capital employé à sa construction.

Mais une majorité paraissant acquise dans cette chambre à la plus grande partie de ces travaux, ils ont cru qu'il eût été injuste de priver certaines parties du pays d'avantages accordés à d'autres quand elles ont toutes les mêmes droits, puisqu'elles doivent subir les mêmes charges.

Il s'est donc fait une sorte de transaction au moyen de laquelle on est parvenu, sinon à équilibrer les intérêts des différentes localités,du moins à accorder certaines compensations aux moins favorisées.

La loyauté exige que les conditions de cette transaction soient fidèlement observées ; qu'il n'y ait de déception ni pour les uns ni pour les autres.

Les habitants de la ville de Wavre, d'après le texte et le rapport des différentes lois et conventions, d'après les déclarations faites par le gouvernement, ne pouvaient douter, pas plus que les représentants élus par l'arrondissement auquel appartient cette localité ne doutaient, que le territoire de cette ville fût traversé par le chemin de fer direct de Bruxelles à Gembloux et à Namur. Dans cette situation, cette localité profiterait des occasions fréquentes de départ et d'arrivée, de chargement et de déchargement qu'offrent les chemins de fer, lorsqu'ils ne sont pas de simples tronçons, qui sont loin de présenter le même degré d'utilité.

D'après un nouveau tracé qui est en ce moment soumis au gouvernement, cette ville est menacée d'être privée de la voie directe qui lui était promise et de n'obtenir qu'un embranchement qui la reliera au chemin de fer à plus d'une lieue de distance ; ce projet serait désastreux pour elle ; selon l'opinion générale, son exécution lui ferait perdreuon marché considérable qui, depuis de longues années, fait sa prospérité.

Dans de telles conditions, les habitants de Wavre, si heureux d'abord de la certitude d'obtenir la voie directe, loin de voir un bienfait dans l'établissement du chemin de fer, déclarent par l'organe de l'administration communale qu'ils n'y trouvent qu'une cause de ruine.

Aujourd'hui même, l'honorable M. Allard vient de nous faire un rapport sur une réclamation signée par un très grand nombre d'habitants de cette ville qui protestent contre l'interprétation que l'on semble vouloir donner à la loi et en signalent les conséquences déplorables.

Avant d'aborder l'examen des explications données par M. le ministre des travaux publics, posons d'abord un fait incontestable, c'est que les chemins de fer ne se font pas uniquement en vue des deux points extrêmes auxquels ils aboutissent.

Les points intermédiaires ont souvent une égale importance, quelquefois supérieure ; pour ne citer qu'un exemple, je suis persuadé que jamais le chemin de fer de l'Escaut au Rhin n'aurait été exécuté par l'Etat, si on ne l'avait fait passer à grands frais par Malines, Louvain, Liège et Verviers. Il en est de même de la plupart des autres voies.

M. le ministre nous dit dans son rapport que le tracé de la section de Bruxelles à Wavre n'est déterminé que par la seule condition d'atteindre Wavre.

Vous allez voir, messieurs, que c'est là une erreur évidente : Voici quel est le véritable état des choses :

La loi du 20 décembre 1851 porte à son article premier que « le gouvernement est autorisé à conclure avec la compagnie dite du Luxembourg une convention définitive basée sur les clauses et conditions mentionnées dans la convention provisoire du 30 juin 1851. »

Que dit la convention provisoire du 30 juin 1851 ?

Elle est conçue, en ce qui concerne l'objet dont nous nous occupons, dans les termes suivants :

« Art. 3. Le cahier des charges annexé à l'arrêté royal de concession en date du 18 juin 1846, et inséré au Moniteur belge du 10 du même mois, sera appliqué dans toutes ses parties à la concession des deux lignes susindiquées. »

Voyons donc quelles sont les clauses du cahier des charges du 20 février 1846 annexé à l'arrêté royal de concession du 18 juin suivant.

Les voici :

« Art. 1er. Le chemin de fer partira de Bruxelles, d'une station située au quartier Léopold, il se dirigera vers le chemin de Louvain à la Sambre qu'il atteindra à Wavre. »

« Art. 14. Les études de l’avant-projet serviront de base aux projets définitifs et complets que les concessionnaires devront soumettre à l'approbation du gouvernement. »

Or, quelles sont les études de l'avant-projet qui doivent servir de base aux projets définitifs et complets ?

Ce sont les études de l'avant-projet décrit dans l'exposé des motifs du projet de 1846, et qui d'après cet exposé ont été faites par les agents de la compagnie et vérifiées par les ingénieurs de l'Etat ; voici la partie de ce tracé qui concerne l'objet qui nous occupe :

« Au-delà de la ferme Planiaux, le tracé passe entre les villages de Bierges et Rosières, traverse à niveau la chaussée de Bruxelles à Wavre et laisse l'étang du château de la Bavette à 50 mètres sur la gauche. De là, après avoir traversé en remblai la vallée de la Dyle, il va se raccorder, par une courbe de 950 mètres de rayon, au chemin de fer de Louvain à la Sambre, dans la sation projetée à Wavre, à l'extrémité de la rue des Sablons. »

Ainsi, messieurs, l'article premier du cahier des charges du 20 février 1846 et l'aricle. 14 du même cahier des charges qui renvoie aux études de l'avant projet, sont parfaitement d'accord pour stipuler que le chemin de fer de Bruxelles à Namur sera dirigé directement sur Wavre et que c'est sur le territoire de cette ville qu'il atteindra le chemin de fer de Louvain à la Sambre.

Je ne comprends vraiment pas comment on peut trouver matière à une interprétation contraire en présence de textes aussi clairs, aussr précis. C'est vraiment fermer les yeux à la lumière.

Mais il y a plus, et M. le ministre ne le dissimule pas dans son rapport, le tracé de Wavre à Gembloux se trouve déterminé dans la convention passée le 22 janvier 1846 avec l'ancienne société du chemin de fer de Louvain à la Sambre ; or, l'article premier de la convention du 13 janvier 1852 porte textuellement « que la compagnie du Luxembourg s'engage à exécuter à ses frais la ligne de Bruxelles à Namur, y compris les sections de Wavre à Gembloux et de Gembloux à Namur qui primitivement faisaient partie de la concession octroyée à la societé dite du chemin de fer de Louvain à la Sambre. »

Il est donc bien entendu que la section de Wavre à Gembloux est celle qui avait été concédée à la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre et qu'elle devient la continuation de la section de chemin de fer qui la rencontre à Wavre et non ailleurs. Comment, d'ailleurs, concevoir une ligne de Wavre à Gembloux, quand la ville de Wavre ne (page 882) serait elle-même reliée au chemin de fer de Bruxelles à Gembloux que par un embranchement d'une lieue au moins ? Une semblable interprétation blesse le sens commun. On ne peut forcer à ce point le texte des conventions. Il est de la dernière évidence qu'admettre le nouveau projet de tracé serait violer la loi et porter atteinte à des droits acquis.

M. le ministre nous dit que le nouveau tracé ne donne lieu à aucune observation, si ce n'est qu'il diffère de celui qui est décrit dans la convention du 22 janvier 1846 ; c'est là une singulière allégation. Comment, ce serait pour un motif aussi futile qu'une ville entière serait dans les plus vives inquiétudes, que la moitié du conseil communal resterait en permanence dans la capitale depuis quinze jours ! Assurément si le nouveau tracé ne différait de l’ancien que d'une manière utile ou indifférente au commerce de la ville de Wavre, personne ne se plaindrait, mais si elle élève des réclamations, si elle pousse, en quelque sorte, un cri de détresse, c'est précisément parce que le nouveau tracé lui porte le plus grand préjudice, que de graves intérêts sont menacés. C'est pour cela, qu'à notre tour, nous demandons avec instance la fidèle exécution des conventions.

M. le ministre des travaux publics prétend que le nouvel emplacement de la station est préférable à celui qui éiait projeté ; M. le ministre voudra sans doute bien reconnaître que les habitants de cette ville sont meilleurs juges que lui de leurs propres intérêts ; et d'ailleurs quand même l'assertion serait vraie à cet égard, il est à remarquer que l'emplacement de la station n'est pas le principal objet qui soit en cause, tant s'en faut, l'intérêt véritable est la conservation du marché qui existe aujourd'hui à Wavre et le développement des affaires commerciales de cette ville.

Je ne suis pas compétent pour trancher des questions d'art ; mais les intéressés m'ont affirmé qu'ils savent de science certaine que la rampe sera moins forte par le tracé primitif que par celui qu'on veut établir et que le détour de la voie principale n'occasionnera qu'une perte de temps de quelques minutes.

On prétend, messieurs, que, quoiqu'il arrive, la ligne de raccordement aura lieu et qu'ainsi la ville de Wavre subira les mêmes inconvénients.

Messieurs, je doute beaucoup, quant à moi, que si le gouvernement tient la main à l'exécution de la ligne principale, telle qu'elle résulte des conventions et des explications qu'il a données dans l'exposé des motifs du projet de loi, la compagnie se décide à faire à grands frais la ligne de raccordement ; mais quelle que soit la détermination qu'elle prenne à cet égard, autre chose est pour la ville de Wavre d'être en possession d'un chemin de fer qui la traverse en la plaçant sur la voie directe de Bruxelles, du Hainaut et de Namur, ou de ne pouvoir arriver à ce chemin de fer qu'au moyen d'un tronçon qui l'exclut du mouvement général et ne lui donne que le nombre de convois rigoureusement indispensable.

Par ces considérations, j'adjure le gouvernement de ne pas sacrifier les intérêts d'une localité importante aux exigences des concessionnaires, et demande avec plusieurs de mes honorables collègues, que la pétition des habitants de Wavre soit de nouveau renvoyée à M. le ministre des travaux publics, avec prière de faire exécuter les sections du chemin de fer de Bruxelles à Wavre et de Wavre à Gembloux, selon la lettre et l'esprit des conventions, et d'après les indications données par le gouvernement dans son exposé des motifs.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, je tiens à faire une observation générale, avant d'aborder le fond même de la question, avant de démontrer à la chambre que la réclamation de la ville de Wavre n'est fondée ni en justice ni en équité, qu'elle n'est pas même favorable aux intérêts de l'arrondissement de Nivelles.

Dans la répartition des travaux, dont la chambre a autorisé la concession, il n'y a pas de localité qui soit mieux partagée, plus largement dotée que la ville de Wavre.

Lorsque les travaux auront été exécutés, lorsque les compagnies sérieuses avec lesquelles le gouvernement a déjà traité, auront accompli leurs obligations, la ville de Wavre se trouvera au centre de cinq directions, l'une vers Louvain, l'autre vers Bruxelles, la troisième vers Namur, la quatrième vers Manage, la cinquième vers Charleroy. Et cependant la ville de Wavre vient se plaindre, et de quoi ? De ce que les travaux ne seraient pas en voie d'exécution ? En aucune façon. Tout le monde sait que la compagnie du Luxembourg poursuit avec une louable activité les travaux de terrassements et de nivellement qui doivent amener l'exécution de la première section de Bruxelles.

Le gouvernement s'engage même à ne pas autoriser l'exploitation de la ligne de Bruxelles à Namur, avant la mise en exploitation de la section de Bruxelles à Wavre.

De quoi la ville de Wavre vient-elle se plaindre ? De ce que, par le tracé nouveau, on obligera les habitants de la ville de Wavre a parcourir une section plus longue ? Non encore : la section de Bruxelles à Wavre, par la route ordinaire, est d'environ 20 kilomèties, et quand le trace de la compagnie du Luxembourg sera adopté, la distance de Bruxelles à Wavre sera encore de 20 kilomètres.

Pa- quoi donc vient se plaindre la ville de Wavre ? Quand on va au fond du débat et qu'on le dépouille des subtilites dont on cherche à le surcharger inutilement, la ville de Wavre vient se plaindre d'un fait contre lequel le gouvernement ni les chambres ne peuvent rien, d'un fait qui résulte des conventions, conventions qui constituent pour la compagnie du Luxembourg un droit certain ; et ce fait, c'est le droit pour la compagnie du Luxembourg de faire une ligne directe de Bruxelles vers Namur. Ce droit résulte d'abord de la convention conclue en 1846 avec la compagnie du Luxembourg. Et il a été pleinement confirmé par la convention que la chambre a ratifiée et qui est intervenue entre la compagnie du Luxembourg et le. gouvernement dans le cours de l'année dernière.

Messieurs, il importe de ne pas perdre de vue la filiation des faits. Je vais les rétablir dans leur vérité. En 1846, une convention intervint entre la compagnie du Luxembourg et le gouvernement : que devait faire la compagnie du Luxembourg en 1846 ? L'article premier de la convention nous l'apprend :

« Art. 1er. Description générale du tracé. Le chemin de fer du Luxembourg partira de Bruxelles d'une station située au quartier Léopold ; il se dirigera vers le chemin de Louvain à la Sambre qu'il atteindra à Wavre et avec lequel il pourra, en outre, être relié au moyen d'un raccordement aboutissant à l'une des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux. »

Ainsi, aux termes de cet article de la convention de 1846, la compagnie du Luxembourg devait atteindre la ville de Wavre ; à Wavre, la compagnie devait faire sa jonction avec le chemin de fer de Louvain à Namur qui avait été concédé. Mais en même temps, la compagnie se faisait, par l'article premier de la convention, assurer le droit d'établir un raccordement entre un point intermédiaire de la section de Bruxelles à Wavre, et un point intermédiaire de la section de Wavre vers Gembloux.

Ainsi, la compagnie du Luxembourg s'assurait en 1846 de la manière la plus formelle et la plus irrévocable le droit d'exéculer une ligne directe de Bruxelles à Namur. C'est contre ce fait que la ville de Wavre vient aujourd'hui protester.

Si la convention était à faire, je comprendrais que la ville de Wavre vînt réclamer.

(erratum, page 905) Le tracé (car il ne s'agit pour le moment que du tracé de Bruxelles à Wavre), le tracé de Bruxelles sur Wavre, n'a donc pas été dans le cahier des charges autrement décrit que dans la situation que je viens de faire connaître à la chambre.

La compagnie du Luxembourg pourra établir un chemin qui devait atteindre Wavre.

M. de Perceval. - Non, non. Elle pouvait en outre établir un chemin de fer.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Pardon, M. de Pereeval, voici le passage : (M. le ministre donne lecture de ce passage.)

Rien n'est préjugé quant au tracé ; le premier tracé n'est pas indiqué, et cela est tellement vrai, que vous êtes obligés d'avoir recours à l'exposé des motifs de la loi de 1846 pour détailler le tracé de la section de Bruxelles à Wavre.

Aujourd'hui, je le répète, pour mettre en contestation le tracé proposé par la compagnie du Luxembourg, on est obligé d'invoquer le passage de l'exposé des motifs que je viens d'indiquer. C'est le seul argument que l'on oppose au tracé qui est proposé.

Or, si l'on devait adopter le tracé indiqué d'une manière vague, peu précise dans ce passage de l'exposé des motifs de 1846, on imposerait à la compagnie du Luxembourg très gratuitement, sans aucun intérêt pour Wavre, une dépense de près d'un million, puisqu'il est reconnu aujourd'hui que le tracé à faire dans les montagnes et les ravins indiqués dans l'exposé des motifs de 1846, constituerait une dépense de 60 p. c. de plus par kilomètre.

Je dois ajouter encore, quant au tracé de Bruxelles à Wavre, que c'est erronément que l'on a avancé dans l'exposé des motifs de 1846, que ce tracé avait été indique au gouvernement par les agents de la compagnie du Luxembourg. Les agents de la compagnie du Luxembourg n'ont jamais fait ce tracé.

Ce passage de l'exposé des motifs des conventions de 1846 repose donc sur une erreur matérielle.

Quant au tracé de Wavre à Namur, il a été indiqué dans la convention qui est également intervenue entre le gouvernement et la compagnie de Louvain à la Sambre. Mais aucun article, ni dans la convention de 1846, ni dans celle de 1851, pas plus que dans celle de 1852, n'a imposé à la compagnie du Luxembourg l'obligation de se soumettre à ce tracé qui faisait partie d'une concession à laquelle la compagnie du Luxembourg était étrangère.

Lorsque la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre a été frappée de déchéance, la compagnie du Luxembourg a prétendu que, puisque la condition sous l'empire de laquelle elle avait traité avec le gouvernement était venue à manquer, elle n'était plus tenue de remplir ses engagements primitifs.

Il s'ensuivit une contestation judiciaire. Toutefois les négociations qui amenèrent la convention de 1851 mirent complètement fin au contrat, et la compagnie du Luxembourg, dans l'intérêt de sa concession primitive, consentit à faire une ligne de Bruxelles à Namur, plus la section de Wavre à Gembloux et de Bruxelles à Wavre. Ces obligations devront être strictement exécutées. Mais dès lors que devient la réclamation de Wavre ?

Avant la présentation du projet de loi de travaux publics, la compagnie du Luxembourg, sur le plan quia été distribué à tous les membres de cette chambre, avait indiqué un tracé qui laissait Wavre à l'écart.

(page 883) Tous les membres qui assistaient à la séance peuvent le confirmer. J'ai sous les yeux le plan qui a été distribué ; le tracé qui s'y trouve indiqué laisse Wavre à une certaine distance de la ligne.

Des interpellations ont eu lieu au sein du conseil provincinl, et un des honorables membres qui est en même temps l'un des conseils de la compagnie fit observer qu'il devait y avoir erreur dans la confection de ce plan. Moi-même lors de la discussion du projet de loi de travaux publics, je fus interpellé par M. Tremouroux qui me demanda si le projet devait être exécuté suivant le plan que j'ai sous les yeux. J'ai fait observer que le tracé indiqué sur le plan était erroné, que je tiendrais la main à l'exécution des obligations contractées par la compagnie.

Or ces obligations consistent dans l'execution des sections de Bruxelles à Wavre, de Wavre à Gembloux et de Gembloux à Namur, avec raccordement facultatif pour elle sur un point intermédiaire entre Wavre et Gembloux, ce qui constitue bien la ligne directe que la ville de Wavre voudrait pouvoir empêcher et qui, à tort ou à raison, constitue, désormais, pour la compagnie un droit garanti par les traités. Ceci admis, je demande encore : quel intérêt la ville de Wavre peut-elle avoir à imposer un tracé qui se résout en dépenses frustratoires considérables et qui ne raccourcit point sensiblement la distance entre Bruxelles et Wavre ?

J'admets qu'il puisse résulter pour Wavre quelque davantage de la construction du railway direct sur Namur, mais les craintes qu'on a exprimées sont étrangement exagérées.

Si cette ville a l'importance que lui attribuent les pétitionnaires, s'il est vrai que cette ville de 5 mille âmes ait une importance considérable pour les produits qu'elle doit donner au chemin de fer, la compagnie établira des coïncidences sur la ville de Wavre.

La compagnie comprendra qu'il est de son intérêt de ne pas laisser en dehors une localité aussi intéressante que la ville de Wavre.

Ce n'est pas seulement au point de vue de l'interprétation des conventions intervenues entre les parties, que la réclamation de la ville de Wavre est inadmissible, elle l'est aussi au point de vue de l'intérêt de l'arrondissement de Nivelles.

Si la société du Luxembourg devait établir sa ligne directe par Wavre et qu'au mépris de tout droit, de toute justice, on lui interdît de faire le raccordement, les habitants de Nivelles, chef-lieu d'arrondissement, seraient obligés d'aller prendre le chemin du Luxembourg à Wavre, c'est-à-dire de s'accommoder d'un détour d'une demi-lieue, tandis qu'avec le tracé proposé ils pourront prendre le chemin du Luxembourg à l'une des stations intermédiaires du raccordement.

Si les habitants de la ville de Wavre avaient un intérêt réel, un intérêt sérieux à exiger que la compagnie du Luxembourg fasse le tracé qui a été indiqué d'une manière vague, incertaine, dans l'exposé des motifs, je comprendrais l'objet de la réclamation ; je le comprendrais encore si cette réclamation pouvait, en ce moment, aboutir à un résultat. Je suppose un instant que les conventions puissent être interprétées comme les interprètent les honorables députés de Nivelles, mais, qu'en résulterait-il ? C'est que la compagnie du Luxembourg déclarerait que, suivant elle, les conventions n'ont jamais eu cette portée ; elle plaiderait et les travaux seraient interrompus.

Et puis l'effet moral ! Bien souvent dans cette enceinte, on s'est élevé contre l'extension du principe de l'intervention de l'Etat dans les travaux publics ; on a convié les capitaux étrangers à l'exécution des lignes secondaires.

Eh bien, si vous voulez décourager les capitalistes étrangers, si vous voulez entrer dans une voie dangereuse, vous n'avez qu'à céder aux présentions des localités qui viendront se produire dans cette enceinte.

Je pense donc que, dans ces circonstances, la chambre ne peut que persister dans la résolution qu'elle a prise de renvoyer purement et simplement la pétition au ministre des travaux publics qui ne saurait donner à la réclamation d'autre portée que celle de pouvoir le convier à un nouvel examen de la question.

(page 905) M. Mascart. - Messieurs, le tracé du chemin de fer du Luxembourg, qui avait été arrêté, se rapprochait de la ligne directe, autant que les accidents de terrain le permettaient. En partant de Bruxelles, la compagnie avait Namur en vue, elle voulait y arriver proroptement, mais comme elle n'avait pas la concession de la ligne tout entière, qu'elle devait faire usage de la voie concédée de Louvain à la Sambre pour la partie comprise entre Wavre et Gembloux, elle avait adopté le trace qui était indiqué dans l'exposé des motifs qui accompagnait le projet de loi.

Wavre avait donc un chemin de fer vers Bruxelles et un autre vers Namur, distinct du premier, appartenant à une autre société. A cette ligne principale on veut substituer une ligne de raccordement qui part d'Ottignies et qui aboutit à Wavre. Du principal on fait l'accessoire.

On peut plus ou moins contester l'utilité du tracé indiqué dans l'acte de concession ou celui qu'on veut lui substituer, c'est une affaire d'opinion, et la question n'est pas là. La compagnie doit exécuter les engagements de la compagnie déchue pour la partie comprise entre Wavre et Gembloux.

La convention du 13 janvier ayant maintenu le tracé qui avait été arrêté en 1846, ce tracé reste obligatoire pour la compagnie concessionnaire aussi longtemps qu'une loi nouvelle ne l'a pas modifié.

Lorsqu'on a voté la loi décrétant l'exécution d'une série de travaux publics et les lois d'impôts qui permettaient de les exécuter, l’on avait certainement en vue les intérêts généraux du pays, qui, en résumé, se composent des intérêts particuliers de nos arrondissements respectifs. Il y aurait injustice à laisser ravir à l'un de ceux-ci les avantages qui lui avaient été accordés comme compensation des faveurs qu'on accordait aux autres et qu'on leur maintient. Mons a sa réduction de péages et Liège aura sa dérivation, soyez-en persuadés.

Il faut l'avouer, il y a ici, messieurs, deux intérêts en présence, l'intérêt belge et l'intérêt anglais-indien. Le premier conseille l'exécution du chemin de fer par Wavre, ville importante par le nombre d'affaires qui s'y traitent. En lui donnant cette direction, on se conforme à tout ce qu'on a fait jusqu'ici, en reliant sérieusement au chemin de fer toutes les localités populeuses et commerciales, en facilitant leurs relations avec le reste du pays.

L'intérêt anglais conseille la ligne directe de Bruxelles à Trieste sans égard à l'intérêt des populations que cette ligne traverse. Londres, d'un côté, l'Inde anglaise de l'autre, ont permis de croire à la compagnie que les relations nombreuses entre ces deux points extrêmes suffiraient à la prospérité de son chemin de fer. C'est au gouvernement, c'est aux chambres législatives à sauvegarder dans cette occurrence les intérêts belges.

(page 883) M. de La Coste. - Dès que les chambres n'ont pas reculé devant la dépense qui pourrait résulter des travaux décrétés, je dois déclarer qu'a mes yeux le chemin de fer du Luxembourg est l'un des objets, je dirai même est l'objet qui me paraît le plus digne d'intérêt. Je suis donc loin de vouloir, d'une façon quelconque, chercher quelque chicane, quelque moyen de retarder l'exécution des travaux. Au contraire, je désire dans l'intérêt du Luxembourg, dans l'intérêt général et à cause de l'intérêt bien légitime que j'ai plus spécialement à défendre, la réalisation de ces travaux, qui permettent d'espérer également l'exécution du chemin de fer de Louvain à Wavre et de Wavre à Manage.

Mais, messieurs, je pense, comme les orateurs qui m'ont précédé, qu'il convient que tous les intérêts qui ont été en quelque sorte équilibrés par la loi sur les travaux publics, demeurent maintenus dans la situation où nous les avons placés. Si. à cet égard, j'obtiens des garanties sérieuses, je serai satisfait ; je ne demande pas davantage.

Messieurs, je demanderai, en premier lieu, si M. le ministre des travaux publics verrait quelque inconvénient à nous faire connaître où en sont les négociations relatives à la concession du chemin de fer de Louvain à Wavre et de Wavre à Manage ; en second lieu, si le changement qui s'opère dans la direction primitive n'opposera pas quelque obstacle à ces concessions, à l'exécution des travaux.

Maintenant, messieurs, je dirai que la position de Wavre serait effectivement maintenue telle qu'elle devait l'être suivant la loi que nous avons votée, s'il était bien certain, s'il était bien positif que l'on exécutera non seulement la ligne directe de Bruxelles à Namur, mais aussi un chemin de fer direct de Wavre à Namur et à Bruxelles, outre, bien entendu, le chemin de fer vers Nivelles et le chemin de fer vers Louvain. Mais, messieurs, nous n avons à cet égard aucune garantie, et je crois que c'est une crainte légitime de la part de Wavre et des autres localités intéressées, que celle qu'une fois la ligne directe exécutée, des directions qui deviennent secondaires ne s'exécutent pas ou tardent longtemps ; et c'est en tout cas une interversion de position ; car d'abord le chemin de fer principal devait se diriger sur Wavre, et de Wavre sur Namur, avec un raccordement entre ces deux tronçons, tandis que maintenant la chose est renversée ; on exécute d'abord le chemin de fer sur Namur, et le reste viendra après.

Il y a à cela une grande différence pour Wavre. Car que serait-ce pour Wavre que d'être au bout d'une espèce d'impasse, d'un tronçon qui conduirait de la ligne principale à Wavre ? Ce serait pour Wavre bien moins que ce que cette ville a obtenu par la loi ; ce serait aussi une très grande différence pour Louvain, pour Hasselt, pour tout ce qui doit correspondre avec Namur au moyen du chemin de fer de Louvain à Namur, puisque au lieu de se diriger sur Wavre et de Wavre sur Namur, à moins que cette section de Wavre à Namur ne fût faite, on devrait arriver au chemin de fer au moyen d'une perpendiculaire qui tomberait de Wavre sur ce dernier et faire un détour d'à peu près une lieue.

Si ces intérêts étaient sauvegardés, je ne chercherais pas de motifs pour combattre ce que l'on veut faire. Mais je pense que s'il n'en était pas ainsi, s'il s'agissait de recourir à la loi et d'en interpréter le texte, non pas par des chicanes mais de la manière la plus exacte, qu'alors le procès serait décidé en faveur de ce que soutient la ville de Wavre.

En effet, messieurs, il me semble qu'il y a ici de la part de M. le ministre une faible suppression d'une particule, il y a un régime indirect qui est remplacé par le régime direct, ce qui peut faire pour Wavre un régime bien moins salutaire que celui de la loi. .

En effet, on ne dit pas que le chemin de fer « atteindra Wavre », mais qu'il « atteindra à Wavre » le chemin de la Sambre à Namur.

Que l'on modifie le tracé pour éviter certaines pentes, que l'on prenne un tracé meilleur, tant mieux pour tout le monde. Mais il s'agit toujours d'atteindre non pas Wavre, mais d'atteindre à Wavre le chemin de fer de Louvain à la Sambre, par conséquent d'atteindre à Wavre le lracé, ancien ou nouveau, du chemin de fer de Louvain à Wavre et de Wavre à Namur. Eh bien, si au lieu de cela on va directement de Bruxelles sur Wavre, le chemin de fer n'atteint pas à Wavre le chemin de fer de Louvain à la Sambre et la loi est violée.

Voilà, à ce qu'il me semble, une objection très forte en droit ; pour que ce ne fût pas pour le gouvernement un devoir de la faire prévaloir, il faudrait, selon moi, que tous les intérêts fussent également sauvegardés, et jusqu'à présent je n'en ai pas la conviction.

M. Anspach. - Messieurs, la ville de Wavre vous a adressé une pétition relativement à un changement de direction du chemin de fer qui devait la traverser et qui maintenant passe à 4,000 mètres de distance, et avec lequel elle n'est en communication que par un raccordement. Cette pétition a été renvoyée à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications, M. le ministre a donné ces explications, et c'est là-dessus que je vais discuter. Je ne partage pas l'opinion de M. le ministre, et j'en suis fâché, j'aurais préféré avoir à le soutenir plutôt qu'à le combattre, mais si je suis partisan des ministres, je suis encore plus partisan de la vérité.

Messieurs, autant je serai le défenseur des compagnies étrangères lorsqu'elles ont le droit et la justice pour elles, comme j'aurai à le montrer sous peu, lorsque la question de la plus courte distance viendra à la chambre, autant je serai leur adversaire, lorsque, dans un but de simple convenance, de simple économie, elles veulent priver une localité importante des avantages incontestables qui résultent du passage direct d'un chemin de fer ; c'est précisément la position de la ville de Wavre.

On ne doit pas mettre dans la même balance les intérêts de la compagnie et ceux de la ville de Wavre.

Veuillez remarquer, messieurs, la différence énorme qui existe entre la position de la première et celle de cette dernière. La compagnie s'établit dans des vues de bénéfices, elle est exposée aussi à des chances de perte, mais elle trouve que les chances heureuses sont plus grandes et elle s'institue ; c'est elle-même qui choisit cette position et qui s'y place. En est-il de même de la ville de Wavre ? Evidemment non. Un chemin de fer est décrété, qu'elle le veuille ou qu'elle ne le veuille pas ; ce chemin de fer, selon sa direction, est avantageux ou désavantageux pour elle, elle demande naturellement la direction qui lui est favorable, et parce que cela coûterait quelques centaines de mille francs à la compagnie (dans les prévisions de laquelle ces chances sont entrées), vous iriez de gaieté de cœur ruiner un certain nombre de vos compatriotes, et pourquoi ? Pour éviter quelques dépenses, qui ont dû être prévues, à une compagnie étrangère qui s'est formée pour faire des bénéfices. Ce'a n'est pas possible.

La ville de Wavre est une petite ville très commerçanic, environnée de beaucoup d'usines, d'établissements industriels ; elle a de plus un grand marché fournissant non seulement la capitale, mais encore faisant des envois de denrées à Louvain, à Anvers et jusqu'en Angleterre ; cette position est satisfaisante, mais elle deviendrait bien plus belle si (page 884) comme cela avait été décidé, le chemin de fer la traversait ; en très peu de temps, les affaires augmenteraient dans une immense proportion, Wavre devenant le centre de tout le pays environnant. C'est donc un brillant avenir pour cette ville.

Voyons maintenant ce que Wavre deviendrait si les projets de la compagnie pouvaient se réaliser. D'abord les affaires se déplaceraient et suivraient les marchés qui se porteraient vraisemblablement à Ottignies, parce qu'il y aurait là des facilités d'expédition qui n'existeraient plus à Wavre. Cette ville, reléguée dans une espèce d'impasse à l'écart, verrait donc ses marchés, son commerce, s'éloigner d'elle et sous ce rapport elle serait complètement annihilée et réduite aux seules affaires de sa consommation. Je vous demande, messieurs, si l'on peut dire que la ville de Wavre n'a aucun intérêt dans cette affaire. C'est pour elle, au contraire, une question de vie ou de mort.

M. de Royer. - Messieurs, je viens appuyer la réclamation du conseil communal de Wavre.

Lorsque nous avons décrété la construction des chemins de fer, nous avions pour but principal de satisfaire aux besoins des populations, de l'agriculture, du commerce et de l'industrie.

Si l'on établit la station dite de Wavre à Ottignies, soit même à Limal, vous privez la ville de Wavre des avantages du chemin de fer.

En effet, messieurs, ces deux points ne communiqueront entre eux que par un embranchement, mais toujours est-il que Wavre perdra tes ressources, qui sont immenses, d'une station dans sa localité. Les voyageurs perdront beancoup de temps pour aller chercher la station qni se trouvera à une lieue et demie de la ville. En définitive, le trajet fera aussi plus coûteux.

Veuillez remarquer, en outre, que la ville de Wavre renferme une population de six à sept mille habitants, tandis qu'Ottignies et Limal sont deux petits villages sans importance aucune.

Si donc les chemins de fer sont institués pour l'utilité publique, il n'est pas douteux un seul instant que la réclamation de la ville de Wavre doive être accueillie dens cette enceinte. La société concessionnaire n'y trouvera peut-être pas son compte, j'en suis fâché, mais la raison publique seule doit nous guider.

Si Wavre n'a pas la station, c'est une ville perdue ; car il ne faut pas perdre de vue que cette localité est un entrepôt de la ville de Bruxelles ; tous les commerçants et marchands de Wavre font des affaires avec la capitale ; si vous les privez d'une station chez eux, ils devront faire beaucoup plus de frais, perdront du temps par les chargements et déchargements, et les marchandises seront exposées à plus d'avaries.

Il est probable aussi que le service par un embranchement ne se fera pas avec les mêmes régularité et célérité ; car il est douteux qu'il y ait, tant pour les voyageurs que pour les marchandises, un service aussi fréquent sur l'embranchement que sur la ligne principale. Or, il y aura pour Wavre préjudice de tous les côtés, ce qui nuira évidemment aux affaires que ses habitants font non seulement avec Bruxelles, mais aussi avec les villes de Louvain, Tirlemont, Nivelles et Namur.

Je pense donc, messieurs, qu'en présence de ces considérations et de beaucoup d'autres que je n'énumère pas pour ne pas abuser des moments de la chambre, la pétition du conseil communal deWavre doit être mûrement examinée, et je prie M. le ministre des travaux publics de rétablir le tracé primitif en faisant passer la ligne de Bruxelles à Namur par la Hulpe, Wavre et Genmbloux.

J'appuie en outre la proposition de l'honorable M. Mercier.

M. Landeloos. - Messieurs, avant de prendre la parole, je désirerais que M. le ministre des travaux publics voulût répondre aux demandes qui lui ont été adressées par mon honorable collègue M. de La Coste. Cela abrégerait le débat.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, l'honorable M. de La Coste a demandé si le gouvernement avait déjà traité au sujet de la concession des chemins de fer de Louvain à Charleroy et de Manage à Wavre.

Je puis annoncer à la chambre que des conventions proposées par des compagnies sérieuses sont intervenues entre le gouvernement et ces compagnies, quant à l'exécution du chemin de fer de Louvain à Charleroy et quant à l'exécution du chemin de fer de Manage à Wavre. Je n'attends plus que l'accomplissement de certaines formalités prévues dans ces conventions pour présenter au Roi les arrêtés qui consacreront les conventions définitives.

M. Landeloos. - L'honorable ministre des travaux publics, pour démontrer à la chambre que la compagnie du Luxembourg ne ferait qu'exécuter les obligations qui lui étaient imposées par la loi de 1846 ainsi que par la convention de 1846, s'est principalement appuyé sur les termes de l'article premier de cette convention. C'est au sens littéral de cette disposition qu'il s'arrête pour faire voir que réellement la compagnie du Luxembourg serait en droit de changer son premier tracé.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il n'y en avait pas.

M. Landeloos. - Je démontrerai tout à l'heure à M. le ministre des travaux publics qu'il y avait un tracé qui avait été primitivement arrêté entre le gouvernement et la société de Louvain à la Sambre et que la compagnie du Luxembourg a élé mise aux lieu et place de cette société.

D'abord, messieurs, il est de principe que lorsqu'une stipulation est susceptible de deux sens, il faut plutôt examiner quelle a été l'intention commune des parties, que s'arrêter au sens littéral des termes.

Que dispose l'article premier ?

« Le chemin de fer du Luxembourg partira de Bruxelles, d'une station située au quartier Léopold ; il se dirigera vers le chemin de fer de Louvain à la Sambre qu'il atteindra à Wavre et avec lequel il pourra, en outre, être relié au moyen d'un raccordement aboutissant à l'une des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux. »

De ce mot « atteindre », M. le ministre déduit la conséquence nécessaire qu'il suffit que la société du Luxemboorg,au moyen d'un raccordement, atteigne la ville de Wavre, que la société du Luxembourg peut faire la ligne directe de Louvain à Gembloux, et ne faire qu'une ligne accessoire qui atteindrait la ville de Wavre.

Il est évident, messieurs, que M. le ministre confond ici deux choses distinctes ; il confond le principal avec l'accessoire ; il veut faire voir que du moment que la société du Luxembourg, au moyen d'un raccordement quelconque, a relié Wavre au chemin de fer de Bruxelles à Gembloux, alors elle a satisfait à ses obligations.

Mais, messieurs, si l'on devait s'en tenait rigoureusement au sens littéral de cet acte, alors je pourrais en déduire cette conséquence nécessaire que la société du Luxembourg n'est pas même en droit de faire une ligne qui irait aboutir directement à Gembloux. Tout ce que la société du Luxembourg devrait faire, ce serait de construire d'abord la ligne directe sur Wavre, et la ligne de Wavre à Gembloux, et qu'ensuite elle pourrait faire un raccordement qui se dirigerait sur une station intermédiaire entre celle de Gembloux et celle de Wavre. Or, que veut la société du Luxembourg ? Elle veut faire une ligne directe qui va aboutir à Gembloux.

Elle ne veut donc plus user de la faculté de construire une section aboutissant à une station intermédiaire entre la station de Gembloux et la station de Wavre ; mais elle veut atteindre directement la station de Gembloux. Cela démontre déjà que lorsqu'on s'en tient au sens littéral des termes, la société n'est pas en droit de changer son tracé.

Mais ne peut-on pas, avec plus de raison, soutenir, ainsi que la ville de Wavre l'a fort bien démontré dans la réclamation qu'elle a adressée à la chambre et dans sa réponse aux explications que M. le ministre des travaux publics nous a données, ne peut-on pas soutenir que la société du Luxembourg a été mise aux lieu et place de la société de Louvain à la Sambre ?

Evidemment oui, messieurs ; car qu'est-ce que le gouvernement a conclu avec la société du Luxembourg, au mois de janvier dernier ? Le gouvernement a voulu que la société du Luxembourg exécutât son chemin de fer de Bruxelles jusqu'à Arlon, ainsi que les autres embranchements ; mais, en outre, qu'elle exécutât les deux autres sections qui, auparavant, incombaient à la société de Louvain à la Sambre, c'est-à-dire la section de Wavre à Gembloux et la section de Gembloux à Namur.

En effet, messieurs, on voit qu'il est stipulé dans la convention du 22 janvier, que la compagnie devra exécuter la ligne de Bruxelles à Namur, y compris la section de Wavre à Gembloux et la section de Gembloux à Namur, qui primitivement faisaient partie de la concession octroyée à la société de Louvain à la Sambre. Mais, messieurs, lorsqu'on emploie ces termes, il est évident que l'on s'en rapporte à l'octroi tel qu'il a été accordé à cette société, c'est-à-dire avec toutes les conditions qu'il contient. Et que remarquons-nous dans la convention intervenue entre le gouvernement et la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre ? On y voit que la société devait exécuter un chemin de fer de Louvain à Wavre, de Wavre à Gembloux et de Gembloux à Namur.

A la suite de cette convention, messieurs, une subséquente est intervenue entre le gouvernement et la société du Luxembourg en 1846. Par cette convention, la société du Luxembourg s'engageait également à exécuter un chemin de fer de Bruxelles au Luxembourg, mais on y stipulait que la société du Luxembourg pourrait faire usage des deux sections de Wavre à Gembloux et de Gembloux à Namur, qui faisaient partie du chemin de fer de Louvain à la Sambre, et que ces deux sections seraient communes entre les deux sociétés.

La société du Luxembourg n'ayant pas pu exécuter ses obligations, un procès a été entamé entre elle et le gouvernement. La société a prétendu qu'elle n'était point tenue d'exécuter ces autres travaux, parce que la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre ne les avait point commencés ou, tout au moins, ne les avait point aehevés ; un jugement est intervenu et ce jugement a donné gain de cause au gouvernement.

Quelle était ensuite la condition de la société du Luxembourg ? La société du Luxembourg pouvail être déclarée déchue ; mais le gouvernement, plutôt que d'en venir à cette extrémité, a préféré, dans l'intérêt de la société et dans celui du pays, faire une nouvelle convention, afin que la grande artère du chemin de for du Luxembourg fût exécutée.

Il lui a accordé la garantie d'un minimum d'intérêt pour toute la ligne, qui devait commencer à Namur et se diriger sur Arlon, et pour ce qui concerne la ligne de Bruxelles à Namur il fut convenu que la société aurait à exécuter les deux sections de Wavre à Gembloux et de Gembloux à Namur, que la société déchue de Louvain à la Sambre aurait dû exécuter, que, pour ces deux sections, ainsi que pour celle de Wavre à Bruxelles, aucune garantie de minimum d'intérêt ne serait accordée.

Dès lors, messieurs, quelle a été l'intention des parties ? Evidemment l'intention des parties a été de mettre la société du Luxembourg aux lieu et place de la société du chemin de fer de Louvain à la Sambre.

(page 885) Mais, dit l'honorable ministre des travaux publics, on ne stipule point formellement que la société du Luxembourg devra exécuter toutes les conditions qui auraient été imposées à la société de Louvain à la Sambre.

Messieurs, si cela n'est pas stipulé en termes formels, cela est stipulé d'une manière indirecte, car cela résulte des termes de l'article premier où l'on se refère la concession « octroyée ».

Cela résulte encore de ce que la société du Luxembourg n'a point demandé qu'on apportât quelques modifications à la convention ; en ne les stipulant point, la société a voulu naturellement souscrire à la convention primitive.

M. le ministre des travaux publics dit encore : Si le gouvernement voulait faire exécuter cette convention, ainsi que l'entendent plusieurs membres de la chambre, il pourrait s'ensuivre un procès, et alors les travaux resteraient en suspens ; cependant le pays a le plus grand intérêt à ce que les travaux soient exécutés le plus tôt possible.

Je ne pense pas, messieurs, que ce soit là une considération qui doive arrêter la chambre ou le gouvernement ; car il est certain que la société, avant de recourir aux tribunaux, examinera si elle a quelque espoir d'obtenir gain de cause dans la demande dont elle saisirait la justice. Si elle est persuadée que le bon droit est contre elle et que réellement le gouvernement peut la contraindre à exécuter la convention telle que la chambre l'entend, croyez-vous que la société, de gaieté de cœur, aille soutenir un tel procès ?

Ensuite la société ne devrait-elle pas avoir quelque égard aux sacrifices que le pays a bien voulu faire en sa faveur ? Le gouvernement et les chambres pouvaient demander que la société fût déclarée déchue. On ne l'a point fait, on a au contraire accordé de nouveaux avantages à la compagnie, en lui garantissant un minimum d'intérêt. Cette considération devrait seule suffire pour engager la société à ne pas soutenir un semblable procès.

Si maintenant je me place pour un instant au point de vue des intérêts de la localité que je représente, voici, messieurs, quelle serait la conséquence pour Louvain si le nouveau tracé était suivi : on devrait faire un détour de plus d'une lieue pour arriver à Namur, le prix de transport des voyageurs et des marchandises serait augmenté en raison de ce surcroît de parcours.

D'après le tarif du transport des voyageurs que nous avons voté, et d'après le projet du tarif de transport des marchandises, on doit, lorsqu'il y a détour, payer la moitié de la différence ; on devra donc, pour la différence de cinq kilomètres qu'il y aura en plus de Louvain à Namur, subir une augmentation de prix pour le transport des marchandises et des voyageurs.

Je crois que cette considération est également de nature à engager le gouvernement à insister pour que la société du Luxembourg exécute la convention, telle qu'elle a été primitivement arrêtée.

M. Trémouroux. - Messieurs, après les divers orateurs qui viennent d'appuyer les réclamations de la ville de Wavre, je crois inutile de vous présenter des arguments qui ne seraient guère que la reproduction de ceux que vous avez entendus. Je me bornerai à dire que la ville de Wavre a le plus grand intérêt à ce que vous fassiez droit à ce qu'elle demande, en prononçant le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics, pour qu'il fasse exécuter la section de Bruxelles à Wavre et celle de Wavre à Namur, conformément aux conventions qui sont intervenues entre le gouvernement et les sociétés.

Cet intérêt de la ville de Wavre est des plus vivaces. L'honorable M. Anspach l'a dit avec beaucoup de raison : si le chemin de fer ne passe pas à Wavre, la ville de Wavre perdra les marchés dont s'enrichira Ottignies.

M. le minisire des travaux publics disait tout à l'heure que la ville de Wavre n'avait aucun intérêt à ce que le chemin de fer direct passât par cette ville ; je demanderai à mon tour quel intérêt a la société de passer à 5 kilometlres de la ville de Wavre, plutôt que de passer directement par la ville de Wavre. La dépense serait moins considérable pour la ligne par Wavre que pour la ligne droite.

Il y aurait un avantage pour la société du Luxembourg ; ce serait de raccourcir de trois minutes le trajet de Bruxelles à Namur ; et ce serait à cet imperceptible avantage qu'on irait sacrifier l'intérêt d'une ville de 6,000 habitants !

Je le répète, messieurs, c'est une question de vie ou de mort pour la ville de Wavre. J'espère que la chambre ne voudra pas laisser s'accomplir ce sacrifice ; j'aime à croire que M. le ministre des travaux publics lui-même fera exécuter les promesses qu'il nous a faites ; car. lorsque j'ai eu l'honneur de l'interpeller en 1851, M. le ministre n'a pas hésite à me promettre que les obligations seraient exécutées et qu'il userait de toute son influence pour assurer à la ville de Wavre l'avantage du chemin de fer direct de Bruxelles à Namur. Or, il est évident que si le plan de la société du Luxembourg était exécuté, ce ne serait plus le chemin de fer ; cela a éié démontré surabondamment.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, je viens seulement rectifier quelques erreurs dans lesquelles sont tombées les honorables préopinants. Je ne comprends pas l’insistance qu'ils apportent dans cette question. J'admets pour un instant que les conventions doivent être interprétées comme ils les interprètent. ; je suppose que le tracé qui avait été indiqué dans l'exposé des motifs de la loi de 1846 soit adopté par le gouvernement ; que je fasse abstraction de la convention récente, et que je dise à la compagnie : Vous ferez le chemin de fer de Bruxelles à Wavre par les montagnes et les ravins qui avaient été indiqués par l'exposé des motifs.

Eh bien, je demande à mes honorables contradicteurs si, quand la société du Luxembourg ferait ce qu'elle a droit de faire d'après la convention de 1846, quand elle aurait fait ce qu'on appelle erronément un raccordement et ce que j'appelle la ligne directe ; quand elle aurait fait une ligne partant d'un point intermédiaire de la section de Bruxelles sur Wavre et allant s'embrancher à la section de Wavre sur Gembloux à un autre point ; je demande si, dans ce cas, la situation de la ville de Wavre ne serait pas absolument la même que celle qui lui est faite par le tracé beaucoup plus économique qui est proposé aujourd'hui par la compagnie du Luxembourg ?

Cette situation ne sera-t-elle pas la même, surtout quand je déclare que l'exploitation du chemin de fer de Bruxelles à Namur ne sera pas autorisée, si la compagnie du Luxembourg ne s'est pas mise en mesure de faire simultanément l'exploitation de l'embranchement de Bruxelles à Wavre ? Est-ce que toutes les garanties ne sont pas dès lors assurées ?

Est ce que surtout nous ne sommes pas dans les termes de la convention intervenue entre le gouvernement et la compagnie du Luxembourg l'année dernière ?

C'est en effet cette convention qui fait la base du contrat et de l'interprétation. Or, que porte cette convention ? Elle porte que la compagnie du Luxembourg est obligée de faire une ligne de Bruxelles à Namur, et une section de Wavre à Gembloux et une autre section de Gembloux à Namur ; elle est donc obligée de faire ces deux sections, et elle les fera.

Mais doit-elle suivre le tracé qui avait été indiqué dans l'acte de la concession faite en 1846 en faveur de la compagnie de Louvain à la Sambre ?

Qu'on me cite une seule disposition de la convention de 1851 qui impose à la compagnie du Luxembourg l'obligation de suivre le tracé indiqué pour la compagnie de Louvain à la Sambre.

Il y a plus : si l'on interprète sainement la convention de 1851, on est amené à conclure que la compagnie ne doit pas suivre ce tracé.

Que porte cette convention ?

« Art. 3. Le cahier des charges, annexé à l'arrêté royal de concession, en date du 18 juin 1846 et inséré au Moniteur belge du 19 du même mois sera appliqué, dans toutes ses parties, à la concession des deux lignes susindiquées, sauf, bien entendu, en ce qui concerne les modifications résultant de la présente convention. »

N'est-il pas évident que si on avait voulu imposer à la compagnie le tracé tel qu'il ressorlait de la convention du 22 janvier 1846 conclue avec la compagnie de Louvain à la Sambre, on aurait stipulé que les deux concessions devaient être exécutées par la compagnie du Luxembourg ? Mais il a été formellement dit par la convention de l'année dernière que la compagnie du Luxembourg doit suivre dans toutes ses parties le cahier des charges du 18 juin 1846 et non celui du 22 janvier de la même année.

Voilà donc la question dans ses résultats juridiques, dans les applications intelligentes, loyales du cahier des charges. Je répète que s'il y avait un moyen légal, sérieux, d'avoir la ligne directe de Bruxelles passant par Wavre, si je puisais dans la convention le droit d'imposer à la compagnie du Luxembourg l'obligation de faire la ligne directe, j'essayerais encore des négociations ; mais je crains que si l'interprétation que les honorables préopinants donnent à la convention était adoptée par le gouvernement, il en résulterait un dommage réel, inévitable pour la compagnie du Luxembourg ; on peut évaluer ce dommage à au moins 1 million dépensé inutilement, parce qu'enfin la compagnie du Luxembourg restant maîtresse de faire la ligne directe sur Namur, elle priverait toujours Wavre, si elle devait faire inintelligemment l'exploitation, des coïncidences auxquelles la ligne de Wavre aura le droit.

Oo peut imposer à cette compagnie du Luxembourg l'obligation de n'exploiter la ligne que lorsque, la ligne à Wavre sera faite, et alors n'est-il pas de l'intérêt de la compagnie du Luxembourg d'établir des coïncidences ?

Quand les habitants de Wavre voudront arriver à Bruxelles, éprouveront-ils le moindre préjudice ? Nullement.

Ils prendront le convoi à la station de Wavre et à un emplacement plus favorable que celui qui avait été vaguement indiqué dans les avant-projets faits en 1846.

En effet, la station, d'après ces derniers plans, était placée à environ 25 mètres au-dessus du niveau de la ville, tandis que, d'après les nouveaux plans cette station sera à proximité de la ville et offrira plus de facilités aux habitants de Wavre.

M. Roussel. - Messieurs, je ne demanderais point la parole si j'étais convaincu que tout le monde partage mon opinion sur l'objet du débat.

Je ne veux pas prolonger les débats ; mais il n'est pas d'usage de clore une discussion après le discuurs d'un ministre.

Il y a, d'après moi, une question de principe engagée dans la difficulté qui nous occupe. Toutes les lois doivent être exécutées suivant leur esprit et leur teneur, mais il est des lois qui exigent plus de sévérité sous ce rapport : ce sont les lois qui ordonnent l'exécution de travaux publics, et surtout de travaux publics concédés à des compagnies. Il est évident qu'une partie des arguments présentés par l'honorable ministre des (page 886) travaux publics se déduisent de l'intérêt que la société du Luxembourg pourrait avoir à ne pas exécuter la loi dans le sens voulu. Ces arguments ne me touchent en aucune façon.

Mais ce qui doit nous toucher, c'est l’exécution sincère de la loi votée dans un esprit d'équité et de compensation, par la répartition des travaux entre les localités intéressées. Il s'ensuit que nous devons repousser tout argument qui ne dérive point de l'intérêt de l'Etat ou de celui des localités. Comme raisonnement tiré de l'intérêt de l'Etat, M. le ministre oppose aux prétentions de la ville de Wavre une objection qui me paraît faible.

En effet, qu'y a-t-il d’effrayant dans la menace d'un procès par la compagnie au gouvernement à raison de la juste interprétation que l'Etat donnerait à la loi ?

N'est ce pas la justification que pourrait donner à ses prétentions toute compagnie qui se refuserait à exécuter ses obligations ? Au cas de refus par l'Etat de se soumettre à des prétentions non fondées, toute compagnie ne peut-elle recourir à cet argument comminatoire ? Ce que M. le ministre paraît craindre, c'est que la poursuite devant les tribunaux n'amène une suspension des travaux.

Nous répondrons qu'une société pas plus qu'un particulier ne peut se faire justice à elle-même quand elle se trouve en contact de procédure avec l'Etat. Il est certain qu'en attendant la décision des tribunaux les dommages-intérêts résultant de l'inexécution des engagements par la compagnie resteraient à sa charge. D'ailleurs, qu'alléguerait la compagnie pour forcer les tribunaux à sanctionner ses prétentions ? M. le ministre interprète les diverses conventions en ce sens que le texte ne renfermerait pas une obligation stricte d'exécuter le chemin de fer dans le tracé réclamé par la ville de Wavre, mais jamais la compagnie ne pourrait trouver dans le texte un moyen de nous faire condamner et de faire déclarer qu'un autre tracé doit être suivi, trace dont il n'est pas même question dans la loi ni dans les conventions.

L'Etat aurait donc gain de cause, parce que les concessionnaires devraient démontrer non seulement qu'ils ne sont pas obligés par le texte à exécuter tel tracé, mais surtout qu'ils ont la faculté d'en suivre tel autre. Les concessionnaires seraient donc tenus, en l'absence d'autre tracé, de suivre le seul véritable, le seul indiqué par les conventions, les cahiers de charge et la loi combinés.

Quant à l'objection tirée par M. le ministre de l'absence de tout intérêt pour la ville de Wavre dans ses réclamations, une réflexion toute simple la fait disparaître. Le véritable juge de l'intérêt est l'intéressé lui-même.

En vain, M. le ministre offrira des compensations telles que des conditions d'exploitation imposées à la compagnie ; ces compensations ne remplaceront point l'exécution stricte de la loi telle qu'elle a été votée.

Messieurs, nous venons de réfuter succinctement les arguments tirés de l'intérêt de la compagnie, du danger de l'interruption des travaux et du péril d'un procès à soutenir ; nous avons démontré que l'intérêt de la ville de Wavre est bien dans le tracé qu'elle réclame par la seule raison qu'elle le réclame. Je pense dès lors qu'il n'y a plus rien à dire et qu'il ne reste plus qu'à voter la proposition de M. Mercier. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois devoir appeler l'attention de la chambre sur l'importance d'une pareille résolution. De quoi s'agit-il ? De l'interprétation d'un contrat.

M. Roussel. - Non !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comment non ! mais c'est précisément de cela qu'il s'agit.

M. Roussel. - Nous demandons que la loi soit exécutée dans son esprit véritable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable interrupteur prouve la vérité de ce que j'ai l'bonneur de dire ; il s'agit de l'interprétation de conventions sanctionnées par une loi.

On vous propose de décider quoi ? Le renvoi de la pétition pour que le ministre exécute le contrat suivant sa lettre et son esprit. Mais le ministre vous dit : Pour moi, la lettre et l'esprit de la loi et des conventions sont telles ; pour l'honorable interrupteur c'est tout autre chose.

M. Mercier. - C'est évident !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas évident puisque le ministre déclare que la proposition adoptée, il n'en continuera pas moins à suivre la lettre et l'esprit des conventions dans le sens qu'il a indiqué.

Donc la proposition porte sur un point très grave, l'interprétation des conventions ; c'est une question de compétence et si vous formuliez la proposition d'une manière claire, précise, la chambre se déclarerait sans doute incompétente.

M. de Mérode. - Je ne reviendrai pas sur toutes les observations qui ont été faites.Voici ce qui est certain pour les habitants de Wavre : si le tracé arrêté est maintenu, la compagnie ne fera pas un raccordement extrêmement long qui coûterait plus que le million dont on parle.

Il est à peu près certain que si la compagnie consentait à faire cette ligne directe dont il a été question, la ville de Wavre ne gagnerait pas grand-chose. Mais qu'on examine les traces, et l'on verra que c'est un double emploi que le raccordement si on suit la ligne primitivement indiquée. Voilà une considération sur laquelle je dois insister.

Quant à la dernière observation que vient de faire M. le ministre des finance», je pense qu'il est inutile dès lors d'adresser des réclamations à la chambre, quand on se crotl lésé par un projet du gouvernement, car il suffira de dire que le gouvernement est d'accord avec une compagnie quelconque ; vous êtes incompétents.

M. Roussel. - Messieurs, je crois que la responsabilité des ministres est inscrite dans la Constituton et que les ministres ne peuvent pas suspendre l'exéculion des lois.

Quand des particuliers ou des corps constitués se plaignent de ce qu'on procède à l'exécution de la loi d'une manière contraire à sa teneur ou à son esprit, la chambre a le droit de demander des explications et de prier, et au besoin d'inviter, les ministres à exécuter cette loi dans l'esprit dans lequel le législateur l'a conçue.

Notre époque tend à diminuer l'influence parlementaire, mais cette diminution, si elle se produisait dans notre pays, ne pourrait empêcher le parlement d'intervenir pour mettre obstacle à une injustice et de déclarer d'avance au ministère qu'il se trompa sur le sens d'une loi à l'exécution de laquelle il va procéder.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est certain que le droit de pétition existe ; il est certain que la responsabilité ministérielle existe ; il est certain que la chambre a le droit d'interpeller les ministres. Tout cela est hors de contestation ; mais ce qui fait actuellement l'objet du débat, c'est ceci : Pouvez-vous interpréter les conventions ou la loi ? Vous venez de répondre affirmativement ; moi, je ne suis pas précisément de cet avis. Si la loi était susceptible d'interprétation, et que le cas d'interprétation fût constaté, il faudrait suivre, pour l'interprétation de cette loi, les formes déterminées. S'il s'agissait uniquement de l'application de la loi, de la discussion de l'une ou l'autre de ses dispositions pour en connaître le véritable sens, si cela donnait lieu à une contestation relative à des droits civils, ce serait aux tribunaux qu'il appartiendrait de prononcer. Sil y avait conflit entre les tribunaux, ce serait alors seulement aux chambres à statuer par voie d'interprétation. Voilà la vérité.

Que failes-vous par votre proposition ? Vous voulez faire décider une question sans la connaître. Si vous voulez atteindre votre but, voici ce qu'il faut faire : il faut proposer à la chambre de déclarer que tel tracé est celui qui doit être suivi.

M. Mercier. - C'est ce qui résulte très nettement de la proposition qui est soumise à la chambre et des développements qui lui ont été donnés.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Moins la franchise : la preuve, c'est que le gouvernement peut adopter votre proposition, en l'interprétant dans un autre sens que celui que vous y donnez.

M. Mercier. - C'est impossible, après les explications très nettes, très précises, très franches qui ont été données.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut une résolution de la chambre, si vous voulez atteindre votre but, puisque M. le ministre des travaux publics déclare que, pour lui, le texte, la lettre et l'esprit de la loi et des conventions sont tels, c'est-à-dire le contraire de ce que vous demandez.

Si vous voulez une décision, il faut la préciser ; il faut déclarer que tel tracé doit être suivi ; or, si vous soumettez cette question à la chambre, vous demanderez, par cela même, une interprétation de la loi et des conventions, c'est-à-dire que vous appellerez la chambre à décider une question sur laquelle elle se déclarerait immédiatement incompétente.

Il ne faut donc pas, au moyen d'une motion qui manque de netteté, faire résoudre implicitement une question qui, comme précédent, pourrait avoir les plus graves conséquences.

M. Mercier. - M. le ministre des finances reproche à ma proposition de manquer de franchise, mais il me semble impossible de la formuler dans des termes plus explicites, plus précis.

Ma proposition se réfère non seulement aux explications données par le gouvernement, mais encore à l'exposé des motifs du projet de loi de 1846.

Elle ne laisse donc aucun doute sur l'intention qui l'a dictée. Que demandons-nous ? Nous demandons la voie directe de Bruxelles par Wavre et la voie plus directe de Wavre à Gembloux.

- Un membre. - Vous discutez la question.

- Plusieurs membres. - Aux voîx !

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je tiens à rectifier une erreur dans laquelle est tombé l'honorable préopinant. Il invoque l'exposé des motifs de la loi de 1846 ; mais il ne s'agit pas d'interpréter la convention qui accompagnait cette loi, mais la convention qui est intervenue le 21 janvier 1852 entre la compagnie du Luxembourg et le gouvernement ; c'est sur cette convention, la seule qui lie les parties, que le débat peut porter ; c'est cette seule convention aussi qu'il peut être question d'interpréter.

Je dois répéter ici ce qu'a dit tantôt M. le ministre des finances, c'est que je ne comprendrais pas que la chambre fût compétente pour interpréter u'une façon ou de l'autre, moins encore a'uue manière détournée, en dehors des conditions prévues, la convention sur laquelle porte le débat.

L'interprétation est, pour parler en termes de palais, doctrinale ou authentique. Il ne peut s'agir ici de la première qui appartient aux tribunaux. Pour ce qui est de l'interprétation par voie d'autorité, elle appartient bien au pouvoir législatif, mais dans des cas déterminés, lorsqu'il y a conflit judiciaire. Elle appartient en toute hypothèse au pouvoir (page 887) législatif dans son ensemble, et dans aucun cas à l'une des branches de ce pouvoir à l'exclusion des autres.

M. de La Coste. - M. le ministre des finances a parfaitement démontré ce qui n'était pas en question et ce que personne ne conteste. Personne ne propose ici de rendre un jugement, ni de donner une interprétalion authentique à la loi. Ce que nous voulons est excessivement simple. D'après les explications qui ont été données, il semblerait qu'on inclinerait à supprimer le tronçon de Wavre à Gembloux, et par conséquent, à renoncer, non pas au bénéfice du Luxembourg ou de la province de Namur, car ces parties du pays y perdraient également, mais au seul bénéfice de la société, à une partie des obligations de celle-ci. Eh bien, nous, nous déclarons que telle n'est point notre opinion, que tel n'est point notre vœu ; nous demandons que la chambre émette un vœu en sens contraire, afin que le gouvernement s'y conforme dans la manière dont il traitera l'affaire. Si, après cela, il intervient un procès, les tribunaux en connaîtront, et si de ce procès il résulte des interprétations contradictoires, nous pourrons alors être appelés à donner une interprétation authentique de la loi ainsi qu'il est déterminé par la Constitution.

Mais, pour le moment, il n'est question pour la chambre, que de faire connaître son opinion sur une pétition ; et nous demandons que la chambre la renvoie à M. le ministre des travaux publics, en l'appuyant.

M. de Perceval. - M. le ministre des travaux publics nous dit : Je ne m'occupe pas de la convention de 1846, la seule que je connaisse, est celle que j'ai signée le 13 janvier de cette année. Eh bien, j'accepte les termes de cette convention, et je vais vous donner lecture de l'article premier, car il sanctionne à lui seul les réclamations fondées de la ville de Wavre :

« La Compagnie du Luxembourg s'engage, sous les conditions ci-après, à exécuter à ses frais, risques et periis, et exploiter, pendant toute la durée de la concession qui lui sera accordée à cet effet :

«1° La ligne de Bruxelles à Namur, y compris les sections de Wavre à Gembloux et de Gembloux à Namur qui, primitivement, faisaient partie de la concession octroyée à la société dite du chemin de fer de Louvain à la Sambre, laquelle société a été déclarée déchue de tous ses droits à cet égard. »

Ces termes, messieurs, sont-ils précis ? qui, « primitivement, faisaient partie de la concession octroyée à la société, etc. »

Vous le voyez donc, nous n'avons aucun intérêt à repousser cette convention. Loin de là, car j'y trouve, moi, la reconnaissance formelle et très explicite de nos réclamations. Mais poursuivons. Examinons maintenant d'après quelles bases la concession a été octroyée à la société dite du chemin de fer de Louvain à la Sambre, car cette nouvelle convention du 13 janvier 1852 les reconnaît d'une manière positive.

Eh bien, messieurs, nous les trouvons dans la convention et le cahier des charges signés sous les dates des 15 et 20 février 1846. Quoi que dise M. le ministre des travaux publics, nous devons donc bien nous reporter à la convention de 1846 pour comprendre et expliquer celle de 1852.

Cette convention et ledit cahier des charges se trouvent insérés au Moniteur, du 18 juin 1846.

L'article premier porte :

« Les concessionnaires, seconds soussignés, s'engagent :

« 1° A exécuter à leurs frais, risques et périls le chemin de fer du Luxembourg sur le pied du cahier des charges annexé aux présentes ;

« 2° A faire obtenir au gouvernement belge, elc. »

Et le cahier des charges porte en tête :

« Art. 1er. Le chemin de fer du Luxembourg partira de Bruxelles. D'une station située au quartier Léopold, il se dirigera vers le chemin de Louvain à la Sambre qu'il atteindra à Wavre et avec lequel il pourra, en outre, être relié au moyen d'un raccordement aboutissant à l'une des stations intermédiaires de la section de Wavre à Gembloux. »

Je dois maintenant signaler la confusion dans laquelle tombe l'honorable ministre des travaux publics ; il prend la question secondaire pour la question principale ; il établit, à l'aide d'un subterfuge, la ligne principale de ce chemin sur la ligne du raccordement. Mais c'est là verser dans une profonde erreur. D'abord le chemin de fer direct à diriger de Bruxelles sur Wavre, conformément au tracé primtif, indiqué par l'article premier du cahier des charges. Ensuite, ou pour me servir des termes mêmes de cet article premier, « en outre », le raccordement.

Voilà toute la question. Je ne demande que l'exécution des conventions de 1846 et de 1852 ; elles me satisfont pleinement ; je veux l'application de la loi, rien de plus, mais aussi rien de moins.

M. Delfosse. - Messieurs, je porte beaucoup d'intérêt à la ville de Wavre. Je suis donc prêt à appuyer le renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics en la recommandant de nouveau à son attention. Mais je crains que la chambre ne s'engage dans une voie dangereuse en adoptant la proposition qui lui est soumise par l'honorable M. Mercier. Si cette proposition était admise, le gouvernement serait en quelque sorte force de plaider contre la compagnie ; or le gouvernement est d'avis qu'il n'y a pas lieu de plaider. Vous seriez d'un avis contraire en adoptant cette proposition. Voilà un dissentiment entre deux branches du pouvoir législatif. Que devient le sénat,qui a pris part au vote de la loi ?

Le gouvernement doit-il entamer un procès, entraver peut-être la continuation des travaux sans consulter le sénat ? Telle est la question.

Je ne demande pas mieux que de voir faire droit à la réclamation de la ville de Wavre. Je porte, je le répète, le plus vif intérêt à cette ville. Mais il ne faut pas que la chambre s'engage dans une fausse voie.

Avant de résoudre une question de cette importance, avant eo faire naître un conflit entre les diverses branches du pouvoir législatif, il conviendrait tout au moins de se livrer en section à un examen sérieux. Vous ne pouvez décider une pareille question légèrement. Si l'on veut autre chose qu'un renvoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics, il faut que la question soit examinée très mùremcnt.

M. de Theux. - Je n'ai qu'une seule observation à présenter à la chambre Elie a du reste été déjà présentée par d'honorables préopinants.

Il est évident qu'il ne s'agit pas pour la chambre de juger un procès avec la compagnie.

Il n'existe pas même de procès. Mais la chambre a certainement le droit, personne ne peut le lui contester, d'émettre son opinion sur l'exécution d'une loi qu'elle a votée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est de l'anarchie parlementaire.

M. de Theux. - Permettez, laissez-moi achever. Messieurs les ministres pourront me répondre ; je les prie de ne pas m'interrompre.

Messieurs, lorsqu'une concession n'a été faite qu'en vertu' d'une loi contenant certaines conditions, je dis que les chambres qui ont pris part au vote de la loi ont bien le droit d'aviser sur les pétitions qui leur sont adressées ou même de prendre l'initiative relativement à l'exécution de cette loi.

Si vous admettiez une doctrine contraire, qu'en résulterait-il ? C'est que le gouvernement, laissant complètement de côté toutes les conditions d'une loi de concession, s'entendant avec une compagnie, il n'existerait pas de procès, il n'y aurait rien à décider par les tribunaux ; personne n'entamerait de procès. Car, évidemment, il n'y a que le gouvernement qui puisse entamer un procès contre une compagnie ; ce ne sont pas les habitants de la ville de Wavre qui pourraient attaquer la compagnie.

Or la chambre a cependant le droit, et ce droit personne ne peut lui en contester l'exercice, de faire connaître au gouvernement son opinion quant à l'exécution des clauses d'une loi.

On dit : Mais le sénat ? Messieurs, le sénat sera très probablement saisi de la même pétition ; il pourra émettre de son côté son opinion ; il peut même prendre l'initiative.

On dit : Qu'arrivera-t-il si le ministère est en opposition avec l'opinion émise par la chambre et par le sénat ? C'est ce qu'on verra ultérieurement ; nous n'avons pas à décider cela. Mais nous maintenons que la chambre a le droit d'émettre son opinion sur ce point, à savoir si les conditions de la loi de concession sont ou non observées.

- Plusieurs membres. - La clôture ! la clôture !

M. Devaux. - La question de forme, messieurs, est des plus importantes, et c'est pour la première fois qu'on veut la résoudre dans ce sens. Je demande qu'elle soit discutée. Si vous êtes fatigués, remettons le débat à demain.

Je vous fais remarquer que c'est pour la première dans cette enceinte, depuis vingt et un ans que j'y siége, qu'une pétition serait renvoyée au ministre avec injonction d'exécuter la loi dans tel ou tel sens, ou même avec une injonction quelconque. Une pareille proposition viole l'esprit et la lettre de la Constitution même. (Interruption.) Je vais vous le démontrer.

La Constitution dit que vous exercez vos fonctions conformément à votre règlement. Or, que dit votre règlement ? Votre règlement, en fait de pétitions, trace la voie. Vous pouvez passer à l'ordre du jour ; vous pouvez renvoyer purement et simplement les pétitions aux ministres ou les renvoyer aux minisires avec demande d'explicalions, ou les déposer au bureau des renseignements.

Voilà les seuls modes que vous offre le règlement ; mais il ne dit pas que vous pouvez renvoyer une pétition aux ministres avec quelque injonction que ce soit, et le règlement ne pouvait reconnaître à la chambre ce pouvoir, car si en matière d'exécution de lois, la chambre pouvait donner des ordres au pouvoir exécutif, ce serait elle qui deviendrait le pouvoir exécutif ; la limite qui sépare le pouvoir législatif du pouvoir executif serait effacée, ce serait l'anarchie introduite dans le pouvoir, car cette séparation est le point de départ de nos institutions.

La chambre donc renvoie les pétitions aux ministres avec ou sans demande d'explication,mais voilà tout.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Et elle inflige un blâme !

M. Devaux. - Maintenant, les explications données, si la chambre n'est pas satisfaite, que fait-elle ? Elle agit comme dans tout autre cas où elle n'est pas satisfaite.

Chacun de ses membres peut proposer un blâme, le rejet d'une allocation, le rejet du budget ou au besoin un projet de loi.

Vous voulez arriver à l'interprétation d'une loi par la chambre ? Eh bien déposez un projet d'interprétation, afin qu'il soit adopté régulièrement par les trois branches du pouvoir législatif, car vous ne pouvez interpréter la loi à vous tout seuls. Ce serait aller à rencontre de la Constitution ; ce serait de plus compromettre singulièrement votre autorité, les tribunaux ne seraient point obligés de la reconnaître, et remarquez dans quelle singulière position se trouveraient les tribunaux devant une interprétation de la loi rendue par une seule chambre sur laquelle le sénat se serait tu et que la troisième branche du pouvoir législatif aurait d'avance déclarée erronée.

Je dis donc que les explications de M. le ministre ayant été données et discutées, il ne reste plus autre chose à faire, si la discussion est épuisée,que (page 888) de clore, et chaque membre pourra déposer une proposition. La chambre examinera cette proposition, en observant les formes que prescrit son règlement ; car vous sentez dans tous les cas que nous n'allons pas interpréter une loi d'exécution sur une simple discussion improvisée, sans aucun rapport, ni examen préliminaire ; cela ne peut être. Nous renverserions tous les précédents de la chambre et nous entrerions dans la voie la plus dangereuse.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. Bruneau. - Je demande à présenter une seule observation.

L'honorable M. Devaux vient de vous prouver quels graves embarras soulèverait l'adoption de la proposition de l'honorable M. Mercier ; je veux vous prouver que ce serait sans résultat utile pour la ville de Wavre, et, sous ce point de vue, la question n'a pas encore été présentée à la chambre.

Tout le monde reconnaît que la compagnie du Luxembourg a le droit, indépendamment de toute question de tracé, de se raccorder directement à l'embranchement de Wavre à Gembloux, quelle que soit la direction de la ligne de Bruxelles à Wavre.

Quel est le but, messieurs, de cette stipulation ? C'est d'établir des convois qui iront directement de Bruxelles à Namur sans faire un détour et sans s'arrêter à Wavre. Voilà le but que poursuivait la compagnie du Luxembourg.

Maintenant, quel est le but que la ville de Wavre veut atteindre ? C'est de faire passer exclusivement la ligne par Wavre, afin que tous les convois y passent et s'y arrêtent. (Interruption.)

Voyons, messieurs, le fond des choses et n'épiloguons pas sur des textes.

Quel est le but de la société du Luxembourg ?

C'est d'établir certains convois qui se rendront à Namur sans s'arrêter a Wavre. Quel est le but de la ville de Wavre ? C'est de faire diriger le tracé de telle manière que tous les convois s'arrêtent nécessairement à Wavre.

Voilà, messieurs, les buts différents que poursuivent, d'un côté la ville de Wavre et, de l'autre côté, la compagnie du Luxembourg. Eh bien que se passera-t-il dans la pratique ? Dans la pratique, si la ville de Wavre présente des ressources suffisantes de trafic pour que tous les convois s'arrêtent dans cette ville, la compagnie y fera arrêter tous les convois, car tel sera son intérêt.

Je citerai un exemple qui a beaucoup d'analogie avec celui qui nous occupe, c'est la ville d'Amiens qui est relativement au chemin de fer du Nord, dans la même position où sera la ville de Wavre relativement au chemin de fer du Luxembourg. Le chemin de fer du Nord décrit un demi-cercle par lequel il passe à une lieue d'Amiens, et il y a une ligne de raccordement qui aboutit à cette ville ; une partie des convois passent directement sans s'arrêter à Amiens, d'autres s'y arrêtent.

La même chose aura lieu à Wavre, et, sous ce rapport, ses intérêts sont en parfaite harmonie avec ceux de la compagnie.

Elle peut donc être rassurée ; elle trouvera toutes les garanties d'une bonne exploitation dans l'activité de son industrie et dans les transports qu'elle fournira aux chemins de fer. Envisagée à ce point de vue, la question très grave qui nous occupe en ce moment se résout en une question secondaire de tracé qui ne ferait pas même atteindre le but principal qu'on poursuit, et dès lors, je crois que ce qu'il y a de mieux à faire, c'est de laisser à M. le ministre des travaux publics le soin de la résoudre en interprétant sainement les conventions et en cherchant à concilier tous les intérêts.

- Plusieurs membres. - A demain !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois, en effet, que la question est assez grave pour renvoyer la discussion à demain, mais je dois faire une observation.

L'honorable M. de Theux, pour soutenir l'opinion qu'il a défendue, s'est fondé sur ce que la chambre qui a fait la loi, a bien le droit de dire quel sens elle y attache ; je crois, messieurs, que c'est là une erreur très grave et qui pourrait avoir de grandes conséquences. Par exemple, la chambre a fait, il y a quelque temps, une loi sur les hypothèques, qui soulèvera nécessairement des difficultés dans l'application, dont le texte sera interprété, par les uns dans tel sens, par les autres dans tel sens ; je suppose qu'un particulier adresse une pétition à la chambre et lui demande de dire comment elle entend telle disposition de cette loi : est-ce que la chambre pourrait satisfaire à cette demande ? Mais la chambre pourrait ainsi compromettre sa considération de la manière la plus grave, car après qu'elle se serait prononcée dans tel sens, les tribunaux resteraient parfaitement libres de se prononcer dans un autre sens.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.