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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 24 mars 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1851-1852)

(Présidence de M. Delehaye, vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 945) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Projet de loi relatif au mode de nomination du jury d’examen universitaire

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer un projet de loi ayant pour but de proroger les effets de l'article 40 de la loi du 15 juillet 1849 sur l'enseignement supérieur ; il s'agit de la nomination du jury d'examen.

M. Delehaye. - Il est donné acte à M. le ministre de l'intérieur de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué.

De quelle manière la chambre entend-elle en faire l'examen ?

M. Roussel. - Messieurs, je demande que le projet de loi soit renvoyé à l'examen d'une commission à nommer par le bureau. D'abord, il s'agit d'un objet spécial ; ensuite, l'affaire a un caractère d'urgence, attendu que la disposition de l'article 40 de la loi du 15 juillet 1849, relative au mode de nomination des jurys d'examen, expire avec la première session de 1852 des jurys.

M. David. - Messieurs, les sections n'étant pas surchargées de besogne, pourraient s'occuper immédiatement de ce projet. Il est bon que tous les membres de la chambre examinent dans les sections les divers projets de lois qui n'exigent pas, pour être appréciés, des connaissances spéciales et, par conséquent, des hommes particulièrement aptes à examiner des projets de loi d'une nature particulière,

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est indifférent que le projet de loi soit renvoyé aux sections ou à une commission, mais il importe que la chambre vote la loi avant sa séparation, il ne s’agit que de proroger de 18 mois les pouvoirs accordés au gouvernement pour trois ans.

- La proposition de M. A. Roussel est mise aux voix et adoptée.

En conséquence, le projet de loi est renvoyé à l'examen d'une commission spéciale qui sera nommée par le bureau.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère des travaux publics

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau un projet de loi ayant pour objet d'accorder au département des travaux publics un crédit extraordinaire de 300,000 fr. destiné à acquitter des créances résultant de condamnations prononcées à charge de l'Etat.

M. Delehaye. - Il est donné acte à M. le ministre des finances de la présentation de ce projet de loi qui sera imprimé et distribué.

De quelle manière la chambre entend-elle en faire l'examen ?

- Des membres. - En sections.

- La chambre consultée renvoie le projet de loi à l'examen des sections.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est à désirer que les sections examinent le projet de loi le plus promptement possible : les condamnations entraînent un payement d'intérêt à charge de l'Etat.

Projet de loi sur le mode de surveillance des fabriques de sucre de betterave

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dépose également un projet de loi, ayant pour objet de proroger les pouvoirs du gouvernement en ce qui touche les mesures de surveillance pour les fabriques de sucre de betterave.

- Ce projet de loi sera imprimé et distribué.

La chambre le renvoie à l'examen des sections.

Projets de loi portant les budgets des remboursements et non-valeurs et des dépenses pour ordre de l'exercice 1853

Rapport de la section centrale

M. T'Kint de Naeyer. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des remboursements et non-valeurs pour l'exercice 1853, ainsi qu'un rapport de la section centrale sur le budget des dépenses et recettes pour ordre, pour le même exercice.

- Ces rapports seront imprimés, distribués et mis à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1853

Rapport de la section centrale

M. Delehaye. - La section centrale n'a propose aucun changement au projet de loi.

Discussion générale

M. de Perceval. - Messieurs, je saisis le moment de la discussion du budget des finances pour prier le gouvernement de vouloir bien s'enquérir si l'administration de la Banque à laquelle la législature a donné le nom de nationale, afin d'en rappeler sans cesse le but, la raison d'être, la mission protectrice de l'intérêt général, je voudrais, dis-je, que le gouvernement se préoccupât de savoir :

En premier lieu, si le conseil d'administration de cet établissement financier se dispose à prendre des mesures d'exécution, afin de mettre à la portée de tous les habitants de la Belgique les services que la Banque leur doit.

Et en second lieu, si le taux de l'escompte, qui est encore de 4 p. c, ne sera pas bientôt abaissé dans une forte proportion, s'il ne sera pas mis en rapport avec les privilèges considérables, avec les avantages immenses, avec toutes les garanties de sécurité et de bénéfices dont la nation a doté les actionnaires de la Banque.

L'établissement de bonnes succursales, bien organisées, étendant avec ensemble leurs opérations d'escompte et de prêt aux contrées de nos neuf provinces, en même temps qu'une réduction notable, possible à la banque, du taux de l'escompte, sont deux mesures que le gouvernement est, selon moi, en doit d'exiger en toute équité ; et je ne doute pas non plus que leur réalisation serait accueillie avec une extrême satisfaction,, avec bonheur, dirai-je, par tous les producteurs et commerçants, petits et grands.

Non seulement ces deux mesures d'intérêt public exerceraient une influence décidée et générale sur l'activité du travail belge, sur sa position à l'intérieur et à l'extérieur, sur la multiplicité des transactions mercantiles, mais les bienfaits s'en étendraient tôt ou tard jusqu'à notre dette publique.

Messieurs, lorsqu'on examine attentivement les dispositions fondamentales de la loi du 5 mai 1850, il est impossible de ne pas être frappé des dispositions minutieuses qu'elle contient, non seulement pour empêcher les administrateurs, les gérants de la banque, de compromettre les capitaux des actionnaires par des spéculations hasardées, mais encore pour leur assurer de ces capitaux une rémunération certaine.

L'article 8 de la loi circonscrit avec soin les opérations permises aur gérants de la banque ; toutes celles qu'il autorise sont d'une nature peu chanceuse au point de vue des pertes éventuelles, des risques à courir, afin qu'en général chacune d'elles produise un bénéfice pour la banque.

Vient l'article 9, lequel non content de stipuler, en principe absolu,, l'interdiction de traiter d'autres affaires, entre encore à ce sujet dans une énumération de détails.

D'après la loi organique de la Banque :

Autorisation est donnée d'escompter ou d'acheter des lettres de change et des bons du trésor ;

Autorisation est donnée de faire le commerce des matières d'or et d'argent ;

Autorisation de faire des avances de fonds sur lingots ou des monnaies-d'or et d'argent ;

Autorisation de se charger du recouvrement d'effets qui lui seront remis par des particuliers on des établissements ;

Autorisation de recevoir des sommes en compte courant et en dépôt, des titres, des métaux précieux et des monnaies d'or et d'argent ; enfin

Autorisation de faire des avances en compte courant ou à court-terme sur dépôt d'effets publics nationaux ou d'autres valeuis gtranies-par l'Etat, sous l'approbation du ministre des finances ; etc.

Voilà quant aux opérations permises.

Ce sont les règles fixes, invariables, tracées, imposées aux délégués des actionnaires. En même temps :

Défense est faite d'emprunter au nom des actionnaires, de prêter sur hypothèque, sur actions industrielles, d'employer l'argent des actionnaires à commanditer des entreprises industrielles, d'acquérir d'autres propriétés immobilières que celles strictement nécessaires au service de l'établissement.

L'article 10 attribue à la Banque le service du caissier de l'Etat, et éventuellement celui de la caisse d'épargne ; la circulation des billets de la banque, remboursables en espèces seulement à Bruxelles, est néanmoins étendue à tout le royaume par leur admission dans les caisses des receveurs de l'impôt et des autres comptables de l'Etat.

Ce n'est pas tout. Les statuts organiques rédigés en exécution de l'article 23 de la loi et approuvés par arrêté royal du 4 septembre 1850, loin d'atténuer ces précautions, ces privilèges, ne font que les fortifier davantage.

Selon l'article 9 des statuts : ne peuvent être escomptés que les effets de commerce à ordre, timbrés, ayant une cause réelle, échéant au plus tard dans les 100 jours et garantis par trois signatures solvables.

L'admission à l'escompte d'un effet à deux signatures exige l'adhésion de 4 directeurs sur 6, plus encore le consentement du gouverneur. La troisième signature ne peut être remplacée que par un gage en warrants ou marchandises suffisant pour répondre de la totalité de la créance.

Les autres dispositions des statuts ne sont pas moins explicites au poinse de vue de la conservation du capital social.

Les prêts sur fonds publics même nationaux ou autres valeurs garanties par l'Etat belge, ne pourront être consentis qu'à des personnes solvables, pour un terme de quatre mois au plus, et ne seront pas admis en nantissement pour plus de 4/5 de la valeur du cours du jour.

(page 946) Quant à l’encaisse métallique, les statuts disposent qu'il se ré-peut réduire à 2/3 du montant des billets en circulation et des sommes déposées ; mais non content d'octroyer cette nouvelle faveur qui permet à la Banque d’utiliser à son profit exclusif, sans aucune indemnité à qui que ce soit, les 2/3 des sommes déposés en compte courant, l’article 13 des statuts, dis-je, ajoute aussitôt que l’encaisse pourra, avec le consentement du gouvernement, descendre de 1/3 à 1/4 du montant des billets émis et des sommes gratuitement déposés.

Enfin, pour qu'aucune garantie, aucun privilège ne fasse défaut aux actionnaires, l'article 21 de la loi et l'article 80 des statuts établissent prés de la Banque un commissaire spécial nommé par le gouvernement, chargé de prendre connaissance des affaires, de vérifier les écritures et la caisse, et d'empécher, le cas échéant, de la part des directeurs et actionnaires toute espèce de déviation de la loi ou des statuts organiques.

Ces avantages sont précis, et il ne faut pas être doué d'une bien profonde science financière pour comprendre qu'ils sont destinés à se traduire pour les actionnaires en résultats palpables au bilan des profits.

Un établissement qui travaille dans de pareilles conditions bénéficie, à coup sûr, sur chaque opération qu'il résout, sur chaque affaire qu'il traite ; jamais, dans aucun cas, son capital socal, ne fùt-il que d'un million de francs, ne saurait courir de risques sérieux.

Cette affirmation, facile à tirer des dispositions de la loi et des statuts organiques de la Banque Nationale, est confirmée dans toute son étendue par le compte rendu des opérations de la Banque et des résultats obtenus pendant la première année de son existence, la plus difficile à traverser sans aucun doute.

Il s'y trouve que sur un total de fr. 202,581,709 40 c. d'affaires en escomptes ou achats de billets à ordre, de prêts ou d'achats de fonds publics et de bons du trésor, etc. Les chances de pertes courues par le capital social de la Banque se sont élevées au chiffre de fr. 1,021-71, alors que le produit net de l'escompte du seul comptoir de Bruxelles s'est élevé à près de 600,000 francs.

« Vous apprendrez avec plaisir, dit M. le gouverneur dans son rapport aux actionnaires, que sur un chiffre d'affaires aussi considérable, la Banque n'a subi aucune perte. Quatre petits effets sont seuls restés en souffrance pour une valeur totale de 1,021 fr. 71 c, et nous avons l'espoir que les poursuites entamées contre les souscripteurs nous en feront recouvrer le montant. »

C'est-à-dire qu'en définitive la perte éventuelle se réduira à zéro, et que la Banque pendant sa première année aura réalisé des bénéfices sur toutes ses opérations indistinctement.

Pour quels motifs la législature, dont la principale mission est de sauvegarder les intérêts généraux du pays, de les défendre contre les tentatives d'envahissement de l'intérêt privé, pourquoi, dis-je, la législature et ensuite le pouvoir exécutif se sont-ils appliques d'une manière aussi saillante à protéger l'avoir des actionnaires de la Banque, à diminuer leurs chances de perte, à favoriser leurs chances de bénéfices ?

Serait-ce par oubli de leurs devoirs, dans l'unique but d'aliéner l'intérêt général au profit exclusif d'un intérêt privé ?

Non, sans aucun doute. Le droit donné à la Banque de faire l'immense majorité de ses opérations soit avec des billets au porteur, reçus comme argent dans les caisses de l'Etat dans toute l'étendue du royaume, soit avec les 2/3 ou les 3/4 des sommes déposées en compte courant sans intérêt, voire même avec une partie de l'encaisse du trésor public, tous ces grands avantages, cette véritable concession de la puissance du crédit national à l'usage des actionnaires n'ont pu leur être consentis, au nom du pays, du commerce, de l'industrie, de l'agriculture, qu'à la condition formelle, expresse, sine qua non, d'obtenir de la Banque, en retour, des avantages non moins réels, plus grands encore.

En votant la loi organique de cette institution de crédit, nous avions en vue une réciprocité de services du pays à la Banque, de la Banque au pays.

Nous l'avons favorisée d'une manière toute particulière, à la condition que, reconnaissante de ce que le pays faisait pour elle, elle favoriserait à son tour, d'une manière non moins significative et grande, les intérêts les plus positifs, les plus importants du travail commercial et industriel de la Belgique. Tel est le contrat synallagmatique, la pensée-mère qui constitue le fond des dispositions exceptionnelles de la loi organique de la Banque, qu'à cause de cela nous avons appelée Banque Nationale.

Mais si la législature et le pouvoir exécutif ont rempli fidèlement, loyalement les promesses consenties, les engagements contractés, les gérants des actionnaires, leurs représentants, les directeurs de la Banque, y ont-ils, de leur côté, répondu avec la même fidélité, la même spontanéité ?

Je regrette d'avoir à le dire, messieurs, mais sous ce rapport l'administration de la Banque est restée jusqu'ici énormément en arrière, elle n'a pas répondu du tout à ce que la nation, l'Etat, le commerce et l'industrie de nos neuf provinces sont en droit d'attendre d'elle.

Il m'est facile de le prouver en restant dans les termes de la double question indiquée tout à l'heure.

Vyjons d'abord quelle a été la conduite de la Banque en ce qui concerne l'établissement des comptoirs.

L'article 2 de la loi ordonne à la Banque d'établir des comptoirs dans les chefs-lieux de province, et, en outre, dans les localités où le besoin en sera constaté.

Comment a-t-elle répondu à cette prescription explicite de la loi, prescription pour l'exécution de laquelle aucun délai n'a été accordé, et qui aurait dû à la rigueur, en toute justice, recevoir sa sanction dans toutes les provinces du pays, le 1er janvier 1851, le jour même où ses actionnaires, ses propriétaires prenaient possession officielle de la riche dotation que la nation leur a faite ?

J'ouvre le compte rendu du 23 février 1852, présenté à l'assemblée générale des actionnaires possédant au moins dix actions, et j'y lis (page 20) : « L'article 2 de la loi du 8 mai 1850 porte que la Banque Nationale établira des comptoirs dans les chefs-lieux de province, et, en outre, dans les localités où le besoin en sera constaté.

« Le conseil d'administration s'est occupé, dès le principe de l'installation de la Banque, des moyens d'organiser ces comptoirs dans les villes, où ils pourraient être utiles au commerce et à l'industrie, ou au moins d'y établir des relations équivalentes avec quelques maisons de ces localités.

« C'est ce que nous sommes parvenus à réaliser à Anvers, Gand, Liège, Mons, Charleroy, Tournay et Arlon, sous des formes et des conditions différentes, en conciliant autant que possible, avec les intérêts de la Banque, les besoins et les convenances de chaque place. »

Pour celui qui prendrait ces explications au pied de la lettre, le dévouement de la Banque se serait montré, dès le début, à la hauteur de ses devoirs, de sis obligations envers les différentes parties du pays, et elle aurait pris, à cet effet, des mesures sérieuses, efficaces, tout à fait satisfaisantes.

Mais, pour qui veut examiner jusqu'à quel point cette allégation concorde avec le véritable état des choses, il apparaît bientôt clairement que, loin de marcher dans une voie de gratitude envers le pays, la Banque, en affirmant qu'elle s'est préoccupée, dès le principe de son installation, des moyens d'exécuter les stipulations de l'article 2 de la loi, et qu'elle y a satisfait, la Banque, dis-je, tend à faire prendre des, apparences, des ombres d'efforts, pour les réalités que les besoins des transactions commerciales et industrielles dans toutes les contrées de nos neuf provinces sont en droit d'exiger d'elle. En jouissance de sa position magnifique, elle voudrait, tout doucement et sans bruit, se débarrasser de ses engagements, de sa responsabilité, des conditions onéreuses de son contrat.

Il devient évident pour moi que ce qui comblerait tous les désirs de la Banque, ce serait se faire accepter la reconnaissance officielle d'un simple correspondant dans telle ou telle ville, d'une relation avouée avec une maison de banque dans une localité, pour l'équivalent de la fondation, de l'établissement dans cette ville d'un véritable comptoir dans le sens de la loi, c'est-à-dire « une succursale de la banque-mère se livrant, dans le rayon territorial qui lui est assigné, à toutes les opérations inscrites à l'article 8 de la loi. »

N'est-il point évident que nous n'avons pas voulu établir de privilège spécial en faveur du commerce et de l'industrie de telle ou telle province, de tel ou tel arrondissement même ; qu'au point de vue des services à recevoir, nous avons mis toutes les contrées du pays absolument sur la même ligne ?

Y a-t-il un seul membre de cette chambre qui aurait consenti à prêter, à livrer le crédit de la nation aux actionnaires d'une banque, s'il avait pu prévoir que, bien que fondée, en principe, pour faciliter et multiplier les transactions industrielles et commerciales dans toute l'étendue du territoire de ia Belgique, cette banque, néanmoins, selon ses convenances privées ou ses caprices, exclurait, en fait, abandonnerait totalement à leurs propres efforts les industriels et les commerçants de lel ou tel arrondissement ?

Dès lors, n'est-ce pas ce principe supérieur et national, et aucun autre, qui doit commander la conduite des délégués des actionnaires ?

« L'établissement des comptoirs ou succursales, disait M. le ministre des finances dans l'exposé des motifs de l'article 2 de la loi, contribuera au développement du crédit.

« C'est le moyen d'arriver à une distribution plus libérale des capitaux circulants ; toutes les localités importantes jouiront ainsi des bienfaits de l'institution.

« Le crédit sera accessible à un plus grand nombre de personnes.

« Chaque province aura d'abord son comptoir, et il pourra en être établi un plus grand nombre dès que le besoin en sera constaté.

« Est-ce que par hasard les 630,000 habitants de la province de la Flandre occidentale se croiseraient les bras, ne se livrant à aucun commerce, à aucune industrie ? On est porté à le croire d'après la conduite de la Banque, laquelle n'a établi ni succursale, ni même un simple correspondant officiel dans aucun des populeux arrondissements de cette laborieuse et importante contrée ; pas plus à Bruges, ville de plus de 50,000 âmes, qu’à Courtray, centre d'un arrondissement extrêmement actif qui ne compte pas moins de 140,000 habitants.

(page 947) J’en dirai autant des provinces de Limbourg et de Namur. Là aussi, sans doute, il n'y a ni habitants désireux d'emprunter sur fonds nationaux ou d'ouvrir des comptes courants, ni producteurs, ni négociants grands et petits ayant besoin de facilites d'escompte ou de crédit ! Où sont les services que reçoivent Malines, Verviers, Louvain. Termonde, etc.. ? Quoi qu'en dise le rapport du conseil d'administration, approuvé à l'unanimité par le comité des censeurs, Bruxelles et Anvers sont jusqu'à présent les seules villes du pays pourvues d'un comptoir dans le sens de la loi.

Nulle part ailleurs il n'existe de comptoir ou de succursale de la Banque centrale, pour me servir de l'expression de M. le ministre des finances. Dans six autres localités, dont trois appartiennent à la province de Hainaut, une à celle de Liège, une à la Flandre orientale et une au Luxembourg, dans ces six autres localités, dis-je, la Banque n'a que de simples correspondants, participant aux bénéfices réalisés et dont elle sous-escompte en partie les affaires faites toutefois sous leur responsabilité.

À Gand, elle partage le gâteau avec les actionnaires de la Banque de Flandre.

À Liège, elle a confié la gestion d'un simulacre de comptoir d'escompte à ses deux agents dans cette ville, qui travaillent pour le compte de la Banque avec ses capitaux ou billets, mais sous leur garantie solidaire.

A Mons, même condition qu'à Liège, de même qu'à Charleroy, à Arlon et à Tournay.

L'institution générale de crédit et de circulation que la législature a voulu fonder, est dégénérée en Banque de Bruxelles et d'Anvers ; je défie qui que ce soit d'y reconnaître une Banque Nationale ; elle n'est plus que la Banque des actionnaires !

En voulez-vous une nouvelle preuve irrécusable ?

Voyons la conduite de la Banque, quant à la fixation du taux de l'escompte.

Représentons-nous d'abord que le maximum légal de l'intérêt des capitaux est limité à 5 p. c, que tout intérêt supérieur à ce taux est réputé usure, puni comme tel par la loi.

Rappelons-nous aussi que récemment, dans le projet de loi sur l'organisation du crédit foncier, le maximum pour les emprunts de cette nature a été abaissé à 4 p. c.

Or, remarquez bien, messieurs, qu'il s'agit ici de prêts réels, faits en or et en argent monnayés, en espèces métalliques sonnantes appartenant pour la totalité aux prêteurs.

Qui oserait soutenir que tel est le genre d'opérations auxquelles se livre la Banque ? La position de ses actionnaires vis-à-vis du public, vis-à-vis du commerçant, de l'industriel, de l'Etat, peut-elle être comparée, avec quelque raison, à la position des particuliers prêteurs d'argent vis-à-vis de leurs emprunteurs ?

Pas le moins du monde. Vous savez tous, messieurs, qu'il y a entre ces deux positions une disproportion énorme.

Voyons, en effet, les moyens financiers dont la Banque se sert pour opérer, pour escompter, pour prêter, pour acheter.

Ils se composent :

1° De billets au porteur ayant cours dans toute l'étendue de la Belgique, à cause de la loi que nous avons faite, qui les a déclarés admissibles dans les caisses de l'Etat au même titre que la monnaie métallique légale du pays.

Voulez-vous savoir à quelle somme s'élevait au 31 décembre dernier le montant de billets au porteur mis en circulation par la Banque ? 50,346,210 francs, sans compter les 12 millions de billets au porteur non rentrés de la Banque de Belgique et de la Société Générale ;

2° Des 2/3 au moins des sommes versées en compte courant, sans intérêt ; ensemble, les sommes figurent au bilan du 31 décembre 1851, pour fr. 25,980,828 ;

3° Du capital versé par les actionnaires de la Banque, il est de 15 millions seulement.

Telles sont les trois sources différentes qui fournissent, comme vous le voyez, à la Banque Nationale ses moyens d'action. Elle ne travaille donc pas du tout, ainsi que les particuliers, avec du numéraire versé et appartenant aux actionnaires ; elle traite, au contraire, la majeure partie de ses opérations, plus des 3/4 de ses affaires, à l'aide des éléments financiers qui lui sont gratuitement fournis par la nation.

Voici comment s'exprimait à ce sujet M. le ministre des finances dans l'exposé des motifs de l'article 4 de la loi : « Quel est, en effet, nous devons le répéter, l'office d'une banque d'escompte et d'émission ? D'échanger ses billets au porteur contre des effets de commerce, tous fortement garantis. Son capital n'est autre chose qu'un cautionnement, un moyen de parer aux embarras dans les temps de crise. La rentrée régulière des effets escomptés forme sa principale ressource. Tous les hommes de quelque valeur, tous ceux qui ont fait une étude spéciale du mécanisme des banques commerciales, de leur organisation, sont d'accord sur ce point.» Et M. le ministre appuie ces considérations du témoignage d'une foule d'autorités.

Voilà la théorie.

Voici les résultats de sa mise en pratique.

À la date précitée du 31 décembre, la Banque était propriétaire de plus de 61 1/2 millions de créances. Comme le capital social fourni par les actionnaires n'est que de 15 millons de francs, il est clair que 46 1/2 millions de ces 61 1/2 millions de créances, solides et parfaitement garanties, avaient été achetées, partie avec l'argent déposé sans intérêt par les particuliers et le trésor public, et le surplus au moyen de billets au porteur qui ne lui ont, non plus, rien coûté. En d'autres termes, quand la Banque fait pour 200 millions d'affaires, son propre capital n'y intervient pas même pour 50 millions.

J'ai donc eu raison de dire qu'on ne peut, sans commettre une grave erreur, identifier la position des actionnaires de la Banque Nationale, qui ne fournissent que 1/4 tout au plus des valeurs qu'ils prêtent, avec la position des particuliers propriétaires pour les 4/4 des sommes qu'on leur emprunte.

La position de la Banque est à celle des particuliers prêteurs d'argent comme 4 est à 1, même en ne tenant pas compte des trois signatures de personnes solvables nécessaires aux billets qu'elle peut escompter et en laissant aussi de côté la surveillance permanente du commissaire nommé par le gouvernement.

Lorsqu'un capitaliste privé compte 4,000 fr. d'écus sonnants à un emprunteur, cette somme provient intégralement de la caisse personnelle du capitaliste, mais lorsqu'un négociant ou un industriel présente à l'escompte de la Banque Nationale un billet à ordre muni des trois signatures exigées, valant net 4,000 francs, les 4,000 francs de valeurs qu'il reçoit en retour se composent :

De 1,000 francs seulement fournis par les actionnaires de la Banque.

Et de 3,000 fr. provenant de l'émission des billets au porteur, soit des sommes déposées sans intérêt.

Si donc il est légitime, il est juste que le capitaliste précité prélève à son profit une indemnité de 4 p. c. sur les 4,000 francs dont il s'est effectivement dessaisi à l'avantage de son emprunteur, peut-on dire avec la même légitimité que les actionnaires de la Banque ont droit à la même indemnité de 4 p. c. sur 4,000 fr. ?

Je dis non, sans hésiter. Car, recevoir 4 p. c. sur 4,000 fr., pour 1,000 fr. seulement leur appartenant, c'est, si je ne me trompe, de la part de MM. les aclionnaires de la Banque, placer de l'argent à 16 p. c. par an, taux exorbitant, taux usuraire, que ne justifient en rien les chances éventuelles à courir par la partie de leur capital occupée à l'escompte.

Le résultat cité tout à l'heure des effets restés en souffrance sur les opérations de toute une année le démontre à la dernière évidence.

Si l'escompte de la Banque était réduit à 3 p. c., les actionnaires auraient encore 12 p. c. de leur argent ; à 2 1/2 p. c., ils toucheraient 10 p. c. d'intérêt du capital qu'ils ont fourni plutôt en guise de cautionnement, ainsi que le disait M. le ministre des finances, que comme fonds destiné aux opérations, d'ailleurs parfaitement sûres, qu'il lui est permis d'entreprendre.

« La Banque, disait encore M. le ministre des finances à propos des articles 8 et 9 de la loi, la Banque ne doit se livrer qu'à des opérations sûres. Elle doit pouvoir toujours satisfaire à ses engagements ; elle doit en quelque sorte être infaillible. Toute entreprise, tout genre de commerce de nature à porter atteinte à son crédit doit donc être soigneusement évité.

« Elle doit d'ailleurs être impartiale, escompter les effets qui réunissent les conditions requises ; il faut qu'elle se pose l'intermédiaire entre le capitaliste et le producteur pour distribuer les capitaux avec justice, avec libéralité, dans toutes les parties du corps social. »

Pensez-vous, messieurs, que 10 p. c. et même 8 p. c. ne soient déjà un fort bel intérêt pour un capital engagé dans de semblables opérations, qui ne l'exposent à aucun risque ? Mais, combien ne s'en trouve-t-il pas parmi les producteurs et commerçants des différentes conditions sociales auxquels la Banque ne sert que d'intermédiaire, d'agent pour faciliter leurs transactions, qui s'estimeraient très heureux de pouvoir trouver régulièrement, tout décompte fait, 8 p. c. de dividende du capital engagé pendant l'année ?

C'est donc à tort et par un véritable abus de pouvoir, par un oubli complet de sa mission protectrice de l'intérêt général, que la Banque (page 948) Nationale a fixé et tenu jusqu'à ce jour le taux de ses escomptes à 4 p. c., elle qui réalise plus des 3/4 de ses opérations avec des éléments financiers qui ne lui ont rien coûté, alors qu'elle ne pourrait escompter qu'à 5 p. c., si elle travaillait avec du numéraire, or et argent, fourni intégralement par ses actionnaires.

Je me résume et je dis :

La législature a fondé la Banque Nationale pour stimuler, pour faciliter par des comptoirs organisés conformément à la loi la production et l'échange des richesses dans toutes les contrées de la Belgique mises sur la même ligne.

La Banque n'a pas satisfait à cet esprit de son institution.

Les moyens financiers mis gratuitement à sa disposition l'ont été afin qu'elle réduisît proportionnellement le prix de chacun de ses services, pour qu'elle fîtl beaucoup d'affaires à un taux minime, et nullement pour qu'elle trouvât dans ses nombreux privilèges l'occasion de rendre beaucoup moins de services à un taux élevé.

La Banque, encore une fois, n'a pas répondu à cette pensée supérieure de la législature.

Partout où l'intérêt de la Banque et l'intérêt de la nation se sont trouvés en présence, la direction de cet établissement, au lieu de leur chercher tout au moins une commune satisfaction, ne s'est préoccupée que de l'intérêt immédiat et exclusif des actionnaires au mépris des intérêts du pays.

Je soumets ces considérations aux réflexions de la chambre et je les signale particulièrement à l'attention du gouvernement. Je ne lui demande pas de s'expliquer immédiatement ; la question est trop grave pour être tranchée en un instant. Qu'il examine et qu'il juge.

Mais, en vertu de l'article 24 de la loi organique de la Banque, le gouvernement a non seulement le droit d'en contrôler toutes les opérations, il a encore celui de s'opposer à toute mesure qui serait contraire soit à la loi, soit aux statuts, soit aux intérêts de l'Etat.

M. Osy. - Le principal grief que l'honorable M. de Perceval a fait valoir contre la Banque Nationale, c'est que la gestion en est entièrement dans l'intérêt des actionnaires et non pas dans celui du pays.

L'honorable préopinant raisonne comme si c'était une institution ancienne ; elle n'est établie que depuis un an, et vous savez, messieurs, que les commencements sont toujours difficiles.

Ce n'est pas assez de commencer et de faire beaucoup d'affaires, de faire croire au pays qu'il faut abaisser forcément le taux de l'intérêt ; il faut, en commençant un nouvel établissement, commencer par ce qu'on peut être sûr de soutenir.

Dans le courant de l'année, l'argent a été extrêmement abondant, et les valeurs de papier ont été très rares. Cette rareté de valeurs provient de ce que depuis les événements de 1848, dans tout le pays on a pris de grandes précautions en vue des événements futurs. On a créé le moins de papier possible ; tout le monde faisait, autant que possible, ses achats contre des écus.

Avant les événements de 1848, deux banques existaient, elles n'émettaient guère, en moyenne, plus de 20 à 25 millions de papier ; mais depuis que nous avons rendu le cours forcé aux billets de banque, le pays est tellement habitué au papier-monnaie, que nous voyons que la Banque Nationale a, tous les mois, une augmentation considérable. On a dû employer des fonds. Si, au lieu d'abaisser le taux à 3, on l'avait abaissé à 2, on n'eut pas trouvé dans le pays de valeurs qui pussent donner de la sûreté et être d'accord avec les statuts de la Banque.

Qu'a donc fait la Banque ? Elle a commencé par fixer un taux d'intérêt de 4 p. c. Mais en autorisant l'administration à baisser par mois pour les valeurs de toute sûreté, c'est-à-dire que la faveur de pouvoir abaisser n'est plus accordée à des établissements qui se sont créés ou qui ont pu se maintenir en concurrence avec la Banque Nationale. Vous avez la Banque de Flandre, ici les comptoirs n'ont pas abaissé le taux au-dessous de 4 p.c. pour des valeurs remises à ces établissements. Ces établissements ont pu abaisser le taux de l'intérêt de 5 p. c. à 4 p. c, et ont pu les donner à 3 1/2 et à 3 p. c. à la Banque.

Mais si la Banque abaissait très fortement le taux d'intérêt fixe, il est certain que s'il arrivait des événements et si on voulait l'augmenter on devrait faire beaucoup d'efforts. Il fallait donc prendre une mesure générale.

Les établissements que je viens de citer ont pu réescompter à un taux avantageux au-dessous de 4 p. c. La Banque qui a une émission considérable de 50 millions n'a pas trouvé des valeurs pour les employer dans le pays ; si elle s'était bornée à escompler les valeurs du pays, elle aurait restreint la circulation, les transactions en auraient souffert, aujourd'hui qu'il n'y a plus d'or. La banque a dû prendre des valeurs sur Paris, sur Londres, sur Hambourg à un taux assez bas.

Je dis que je crois que la Banque, dans la première année de son établissemeni, a élé très sage de ne pas commencer par escompter à un taux très bas.

Sans doute le but de l'établissement est de faire abaisser graduellement l'intérêt. Il est dangereux de fixer le taux de l'escompte à un chiffre trop bas quand on n'est pas certain de pouvoir s'y maintenir. Si les affaires avaient pris du développement, il se serait présenté plus de valeurs que la Banque ne pourrait prendre, et la Banque se serait vue forcée de relever le taux de l'escompte.

La Banque de France a toujours laissé invariable le taux de l’escompte à 4 p. c Ce n'est que depuis les événements du 2 décembre qu'elle l'a abaissé à 3 ; on l'a obligée, ce qui est très dangereux, car ses capitaux peuvent être immobilisés, on l'a obligée à prêter sur dépôts d'actions et d’obligations de chemins de fer. Comme les statuts la Banque Nationale lui défendent de prendre des valeurs qui peuvent immobiliser ses capitaux, il a fallu appliquer les fonds d'une manière certaine aux effets de commerce ; la Banque est obligée d'escompter à 4 p. c, mais son taux réel ne monte pas à trois plutôt qu'à quatre pour cent. La Banque a commencé d'une manière extrêmement sage en ne donnant pas de capitaux à trop bas intérêt.

Vous savez que la Société Générale est obligée de retirer de la circulation son papier-monnaie auquel nous avions donné cours forcé. La Société Générale peut, pour un capital primitivement de 20 millions qu'elle a réduit à 15 ou 12, obtenir des billets de Banque à 3 p. c. Or, quand elle donne à la Société Générale, qui est un établissement d'escompte, des fonds à 3 p. c, tous les établissements qui en dépendent obtiennent des fonds à un taux plus bas.

Je ne suis que censeur à la Banque Nationale ; tous les mois je suis appelé à dire mon opinion sur les opérations de la Banque ; toujours j'engage à être très prudent ; ce n'est pas dans l'intérêt des actionnaires, mais du pays, ce que j'en fais.

Nous voulons qu'il y ait le moins de secousses posssible, nous voulons que la Banque ne fasse que ce qu'elle est sûre de pouvoir continuer, pour ne pas donner des espérances qu'elle ne pourrait réaliser.

L'honorable M. de Perceval se plaint qu'elle n'ait pas créé assez de succursales. Cependant, dès la première année, elle en a établi huit : à Anvers, à Charleroy, à Arlon, à Mons, à Tournay, à Liège, en général dans toutes les villes qui peuvent donner toute garantie à la Banque, elle ne se refusera à l'établissement d'aucun comptoir. Jusqu'à présent pas une seule demande n'a été faite au-delà des comptoirs établis.

L'établissement des succursales rencontre beaucoup de difficultés, et exige des précautions.

On est obligé, pour la sûreté des capitaux, de s'entendre avec les banquiers de ces villes, à qui il faut donner une bonification qui, pour les affaires qu'elles font, est extrêmement faible. Mais enfin cela réduit le taux d'intérêt de la Banque.

Je crois que, pour critiquer un établissement de ce genre, il faut plus d'une année d'expérience. Il faut aller doucement, parce qu'il faut éviter d'immobiliser les capitaux. Les anciens établissements en avaient immobilisé beaucoup trop ; nous avons vu les malheurs qui en ont été la conséquence, en 1848. M. le ministre des finances a donc, je crois, fait chose sage, en interdisant d'immobiliser les capitaux, et en prenant sous ce rapport toutes les précautions.

Il y a plus : lorsqu'on émettait des billets de banque, il n'y avait autrefois aucune garantie qu'il y eût, pour sûreté, des écus en caisse. Aujourd'hui, d'après les statuts, on est obligé de garder en caisse une somme égale au tiers des billets en circulation et d'avoir en portefeuille des effets facilement réalisables ; et sous ce rapport, les commissaires de la Banque sont plus difficiles peut-être qu'il ne faudrait l'être. Mais, dans les circonstances où nous nous trouvons, je crois qu'on doit être plus prudent que dans les circonstances ordinaires.

M. de Perceval vous a dit : La Banque n'a perdu que 1,000 fr. C'est très heureux. Cela vous prouve que la Banque ne prend que de bonnes valeurs. On ne prend que des valeurs ayant au moins trois signatures. Vous avez des établissements qui peuvent donner des facilités : ainsi avec les signatures de la Société Générale et des Banques de Belgique, de Flandre, du comptoir d'escompte, on peut présenter des effets à la Banque Nationale. Il est certain que, pour la garantie qu'ils donnent, ces établissements doivent être rémunérés, de manière que la Banque Nationale réescompte à un taux plus bas que ces établissements.

Je persiste à croire que l'honorable M. de Perceval aurait dû attendre l'expérience de plusieurs années pour critiquer un établissement à qui les circonstances imposent la plus grande réserve.

M. Sinave. - L'article 2 de la loi portant institution de la Banque Nationale est positif : il prescrit l'établissement de comptoirs dans chaque chef-lieu de province. Or, jusqu'ici Anvers est le seul chef-lieu de province où la Banque ait établi un comptoir.

Dans les autres localités, ce sont des banquiers qui opèrent pour leur compte ; le papier qu'ils escomptent est à leurs risques et dépens.

L'honorable M. Osy a fait l'éloge de la gestion de la Banque ; je suis le premier à convenir qu'il y a peu de chose à dire à ce sujet. Cependant, il y a une objection fondée dont il n'a pas parlé. Je lui demanderai si c'est réellement une Banque Nationale que nous avons. Je dis que non, et je vais le prouver.

Les deux tiers des capitaux de la Banque sont employés, non à escompter du papier dans le pays, mais à prendre du papier à l'étranger. La Banque Nationale escompte le papier anglais et français à un taux plus bas que la Banque d'Angleterre et de France. Il en résulte que messieurs les Anglais envoient leur papier à l'escompte à Bruxelles ou à Anvers ; c'est très bien ; mais je dis qu'on ne peut appeler Banque Nationale une Banque qui escompte le papier français, le papier anglais à 1 1/2 à 2 p. c. et qui fait payer aux Belges 4 p. c. Si l'honorable M. Osy veut m'assurer le contraire, je rétracterai volontiers ce que je viens de dire.

Je prie M. le ministre des finances de faire exécuter la loi et de faire établir des bureaux d'escompte par la Banque elle-même, sans l'inter vention des banquiers.

Car, en contractant avec les banquiers on augmente le monopole. Le (page 949) banquier envoie son papier à Bruxelles, il peut s'en défaire, mais on doit passer par ses mains.

La Banque a été créée en vue d'établir la concurrence avec les banquiers, de les obliger, dans les villes de second rang comme ma localité, de porter leur escompte à un taux aussi bas que celui de la Banque.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'étonne des critiques acerbes qui ont été dirigées contre la Banque Nationale par l'honorable M. de Perceval. Il y a eu dans ces critiques des erreurs fort graves. Elles n'auraient pas été commises si on avait voulu se donner la peine d'examiner l'institution et les faits.

Je crois, messieurs, que cela tient aux opinions mêmes que professe l'honorable M. de Perceval. Il a sur le capital, sur les matières de banque et de finances, des idées qui sont tout à fait en opposition avec celles qui ont présidé à la loi du 5 mai 1850.

L'honorable M. de Perceval est convaincu que la législature peut à son gré régler le taux de l'intérêt de l'argent, qu'il suffit de décréter que le taux de l'intérêt sera 3 p. c, pour que réellement on ait un taux d'intérêt à 3. Il est convaincu que le papier monnaie est une excellente chose et que c'est probablement pour ne l'avoir pas appliqué à la Banque Nationale, qu'elle ne rend pas au pays tous les services que, selon l'honorable membre, on aurait le droit d'en exiger.

La chambre se souvient que l'honorable membre a en effet proposé, lors de la discussion de la loi du 3 mai 1850, de donner cours forcé aux billets de banque.

Donner cours forcé aux billets de banque, selon certaines théories, c'est réaliser tous les bienfaits imaginables ; c'est faire pleuvoir des biens sur un pays.

J'ai, pour ma part, une conviction tout à fait contraire. J'ai la conviction que c'est une cause de ruine. Je ne maudis pas le capital et je suis, pour les Banques, les principes avoués par des saines théories et consacrés par l'expérience. On conçoit donc parfaitement qu'ayant des idées aussi opposées, aussi différentes, nous devions l'un et l'autre apprécier aussi d'une manière entièrement différente le but que le législateur s'est proposé et les résultats qui ont été obtenus.

L'honorable membre nous dit que la Banque n'a pas répondu aux vues de la législature, qu'elle ne rend pas les services qu'on est en droit d'en exiger, que le taux de l'intérêt de l'argent n'a pas été abaissé suffisamment, que les comptoirs d'escompte qui devaient être établis ne l'ont pas été dans les conditions déterminées par la loi. Comme je viens de le dire, messieurs, on peut sans doute employer quelques moyens avec avantage pour amener un abaissement dans le taux de l'intérêt ; l'inslitution de la Banque avait ce but ; l'a-t-elle atteint ? Il est hors de doute que du jour même où la Banque Nationale a commencé ses opérations, il y a eu un assez notable abaissement dans le taux de l'intérêt.

Le taux de l'escompte qui, avant l'institution de la Banque, était à 5 est tombé officiellement à 4, et, comme l'a dit tout à l'heure l'honorable M. Osy, le taux officiel est bien loin d'être le taux réel ; le taux réel de l'escompte est inférieur et notablement inférieur à 4. Peut-être même aurait-on pu aller encore plus loin, peut-être aurait-on pu abaisser le taux officiel de l'escompte au-dessous de 4 p. c, et je m'en suis occupé : j'ai examiné attentivement ce point et, d'accord avec les hommes les plus compétents, nous avons reconnu qu'il y aurait de graves inconvénients à le faire, dans les circonstances où nous nous trouvons.

L'honorable membre auquel je réponds paraît supposer que par cela seul qu'il y a une réduction de l'intérêt de l'argent, non pas une réduction résultant naturellement de l'offre et de la demande, de l'abondance des capitaux, mais résultant d'une prescription officielle, il naît d'une telle mesure, un grand avantage pour le pays. C'est une erreur trop manifeste pour que je m'arrête à la démontrer. Mais, à part cette doctrine, il y a de sérieux inconvénients à abaisser le taux de l'escompte

Il faut être très prudent,en cette matière ; il ne faut pas qu'une institution de crédit, surtout une institution comme la Banque Nationale, surexcite les spéculations.

Je maintiens donc, pour ce premier grief, que la Banque Nationale a parfaitement rempli sa mission, qu'elle a répondu aux vues de la législature : elle a agi à la fois dans l'intérêt du pays et dans son propre intérêt, avec sagesse, avec circonspection.

La Banque n'a pas fait ce qu'elle devait faire quant aux comptoirs d'escompte ! Il n'existe pas de comptoirs si ce n'est à Anvers, nous dit l'honorable préopinant ! Mais qu'entend-il par comptoirs et quel but se propose-t-il ? Il veut que l'on établisse des comptoirs, la loi le décide, tout au moins dans les chefs-lieux des provinces et dans les autres localités où les besoins le commandent, et pourquoi ? C'est apparemment pour que les diverses parties du pays jouissent des avantages de l'institution même de la Banque.

C'est afin que le taux de l'intérêt de l'argent y soit abaissé.

Eh bien ! beaucoup de localités sont déjà dotées d'un comptoir comme la loi l'ordonne.

Que critique-t-il ? Le mode suivi par la Banque Nationale pour l'organisation de ces comptoirs ? Or, qu'a fait la Banque ? La Banque a organisé ces comptoirs, et, du reste, je constate que j'avais annoncé le mode qui a été adopté, lorsque j'ai proposé la loi, elle a organisé ces comptoirs de telle sorte qu'elle peut escompter au même taux sur les places les plus éloignées qu'au chef-lieu même, au centre de ses opérations, au siège de son établissement. L’escompte, sur les diverses places où elle a établi des comptoirs, des succursales, est au même taux qu’à Bruxelles.

Pourquoi peut-elle escompter sur ces diverses places au même taux ? C'est grâce aux mesures qu'elle a prises, c'est parce qu'à l'aide de la combinaison qu'elle a adoptée, elle a toute sécurité pour pouvoir ainsi traiter.

Que voudrait l'honorable membre ? Que la Banque escomptât directement, sans l'intervention de tiers intéressés ; qu'elle fut obligée de prendre le papier qu'elle ne connaît pas, et de donner en échange ses écus. C'est aussi l'avis de M. Sinave. (Interruption.)

Un comité d'escompte, me dit-on ; un comité d'escompte qui n'est pas intéressé aurait bientôt fait essuyer des pertes à la Banque ; et d'ailleurs la Banque ayant ainsi des risques beaucoup plus grands à courir, se ferait payer une prime plus forte pour couvrir ces risques.

Que fait la Banque ? Voici le mode qu'elle a adopté : elle institue dans une localité, un comptoir ; elle le fait diriger par une personne solvable qui lui offre des garanties ; elle autorise cette personne à prendre sur la place tout le papier qu'elle trouvera bon d'escompter ; le taux officiel de l'escompte est celui qui est réglé pour Bruxelles même ; et elle paye à ce tiers une bonification, à titre d'indemnité et pour la signature qu'il donne et pour les frais de gestion.

De cette manière, la place jouit de tous les avantages de l'abaissement de l'intérêt. Le particulier peut opérer pour des sommes fort considérables, sans avoir besoin de capitaux, car ce sont les capitaux de la Banque, c'est son crédit même qu'il emprunte ; la Banque réescompte immédiatement tous les effets couverts de la signature de ce tiers qui est son garant. Il est évident que ce mode, qui pourra être perfectionné et étendu, est pour le moment le meilleur de tous ceux qui pourraient être adoptés ; que c'est celui qui offre le plus de garantie et de sécurité, et qui permet à la Banque d'opérer avec le plus d'étendue et de la manière la plus économique.

Quoique la Banque ne soit instituée que depuis fort peu de temps, on a compris facilement sur diverses places du pays les avantages de ces opérations. Aussi en six mois, la Banque a constitué à Mons, à Tournay, à Gand, à Liège, à Charleroy, à Arlon, des comptoirs opérant sur ces bases ; on a trouvé dans ces diverses localités des personnes qui se sont empressées d'accepter les conditions que faisait la Banque.

Elle n'a pas encore organisé tous les comptoirs, cela est vrai ; Bruges n'en a pas, d'autres localités en manquent encore ; mais on a fait des tentatives pour établir dans ces localités des comptoirs d'escompte ; on n'y a pas réussi jusqu'à présent, j'espère qu'on réussira.

Mais assurément je ne donnerais pas à la Banque le conseil, et je le donnerais en vain, d'opérer sur des places éloignées par l'intermédiaire de tiers qui ne seraient nullement intéressés dans les opérations. La Banque serait exposée à courir de grands risques, et bientôt, peut-être, on serait amené, dans l'intérêt du crédit, à supprimer l'obligation pour la Banque d'avoir des comptoirs en province.

Il est vrai que les risques que court la Banque préoccupent fort peu l'honorable M. de Perceval : il fait presque un grief à la Banque de ce qu'ayant opéré pendant une année pour des sommes assez notables, la Banque n'ait subi que de très faibles pertes ; pour ma part, je souhaite que la Banque continue à subir longtemps encore le même reproche. Son crédit y gagnera beaucoup.

Il faut cependant bien qu'on se rende compte de l'instilution même. Si la Banque faisait des opérations chanceuses, si elle s'exposait à de grands pertes, elle ne nuirait pas seulement à elle-même, elle nuirait encore et surtout au pays ; ce serait l'intérêt public qui serait compromis ; un établissement de crédit, tel que la Banque Nationale ne peut être atteint sans que le crédit général en souffre ; il faut donc qu'on surveille avec le plus grand soin les opérations auxquelles l'établissement se livre, et c'est pourquoi les chambres ont pris les précautions les plus minutieuses pour qu'il ne compromît jamais les intérêts qui lui sont confiés.

L'honorable M. de Perceval a fait des calculs auxquels j'avoue ne rien comprendre. Il nous a raconté tout à l'heure que la Banque percevait 10 p. c. de son argent. Je ne comprends pas comment l'honorable membre a pu émettre une pareille assertion. Voici, si je l'ai bien saisi, comment il a opéré :

L'ensemble des capitaux mis à la disposition de la Banque, les billets qu'elle émet, ce que l'honorable membre appelle le crédit de la nation et ce que, pour être plus exact, il faudrait appeler le crédit de la Banque ; les capitaux que la Banque a en compte courant, soit pour le trésor, soit pour des tiers, et qui ne portent pas intérêt ; tout cela représente les trois quarts du capital dont elle a usé.

Or, puisqu'elle prête à 4 p. c, il est évident, selon l'honorable membre, qu'elle place à 10 p. c. l'argent versé par les actionnaires. Et pourtant les actionnaires n'ont reçu que 6 p. c. !

Je voudrais savoir qui a eu les 10 p. c. que vient de compter l'honorable membre ?

C'est peut-être l'honorable M. de Perceval. Mais assurément les actionnaires n'ont reçu que 6 p. c. non pas de ces capitaux dont je viens de parler, mais du capital réel qu'ils ont versé.

La Banque, quoique prêtant officiellement à 4 p. c, a dû escompter à un taux bien inférieur à 4 p. c. Il est impossible d'escompter sur la place d'Anvers à un taux qui est généralement de 2 p. c. EIle n'a pas même trouvé à ce taux l'emploi de tous ses capitaux dans le pays ; elle a dû affecter une partie de ses fonds en effets sur l'étranger : c'est ce que signalait l'honorable M. Sinave. (Interruption.)

(page 950) Les conditions ne sont pas les mêmes ; il faut tenir compte d'abord de la raison que j'ai donnée en commençant ; il importe de ne pas surexciter les affaires par un excès d'abaissement dans le taux de l'escompte : Il y a là un danger.

En second lieu, c'est que les papiers que la Banque achète sur l'étranger, outre que cela constitue toujours un avantage pour le pays, car il y a dans le pays des acheteurs et des vendeurs de ces sortes d'effets, lui offrent beaucoup de garantie, beaucoup de sécurité et constituent pour elle une sorte de réserve qui pourrait être utile en certains moments. On achète ces papiers à un taux peu élevé. Or, la Banque a peut-être de ce chef un bénéfice d'un et demi pour cent, peut-être moins.

C'est ce qui fait que sur l'ensemble de ces opérations, pour l'emploi de ses capitaux, le taux de l'escompte, quoique coté à 4 p. c, est en réalité à un taux beaucoup moindre, et peut-être n'arriverait-il pas à 3. C'est donc là un abaissement très notable du taux de l'intérêt, et, sous ce rapport, le pays a déjà ressenti les effets de l'institution que le gouvernement et les chambres ont créée.

Je crois que des critiques, des attaques inconsidérées contre des établissements de crédit présentent beaucoup d'inconvénients.

Je prie les honorables membres qui veulent s'occuper de ces matières, d'y mettre de la prudence ; il importe de ne pas jeter de discrédit sur des établissements de cette nature ; il faut les ménager avec beaucoup de soin ; le crédit est très délicat, très susceptible ; quand vous aurez porté atteinte aux institutions de crédit, vous n'aurez pas seulement causé du préjudice aux intérêts qu'ils représentent, mais vous aurez surtout causé un grand préjudice au pays.

M. de Perceval. - Je suis convaincu, comme l'honorable ministre des finances, qu'il faut une grande prudence lorsqu'on se permet d'attaquer la marche d'une institution de crédit. Mais c'est en acquit de mon devoir que j'ai présenté les considérations que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre.

La loi organique de la Banque Nationale contient à l'article 2 une clause formelle que j'ai votée et dont je ne fais que demander l'exécution.

Que porte cet article 2, qui concerne l'érection des comptoirs ?

« La Banque établira des comptoirs dans les chefs-lieux de provinces, et en outre dans les localités où le besoin en sera constaté. »

Y a-t-il un comptoir à Bruges, chef-lieu de la province de la Flandre occidentale ? Non.

Y en a-t-il un à Namur, chef-lieu de la province ? Non.,

Y en a-t-il un à Hasselt ? Non.

Donc la loi n'est pas exécutée.

A présent que trouvons-nous dans le Luxembourg ? A Arlon, un simple correspondant qui sous-escompte ses propres affaires à Bruxelles, et qui, en outre, encaisse, pour compte de la Banque, les effets qu'elle lui envoie.

A peu près la même situation se représente dans les cinq autres localités.

Si vous ne voulez pas établir un comptoir dans tous les chefs-lieux de province, pourquoi l'avez-vous inséré dans la loi ? Il aurait fallu dire, lors de la discussion de la loi organique, qu'il faudrait d'abord dix années d'existence à la Banque Nationale avant que de l'organisalion du comptoir d'Anvers on passât à celui de Bruges, et qu'il faudrait ensuite encore dix nouvelles années pour en organiser un à Namur, puis à Mons, puis à Liège, puis à Verviers, etc.

Aussi longtemps que l'article 2 n'aura pas reçu son exécution pleine et entière, ou que la législature ne l'aura pas rapporté, je continuerai mon opposition.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il faut prendre la loi avec les commentaires.

M. de Perceval. - L’honorable ministre de la justice dit qu’il faut prendre la loi avec les commentaires. Je vais lui donner lecture du commentaire qui a été donné par son collègue, M. le ministre des finances, à l’article 2. Voici comment il s’explique.

« L'article 2 concerne l'érection des comptoirs.

« L'établissement des comptoirs ou succursales contribuera au développement du crédit. C'est le moyen d'arriver à une distribution plus libérale des capitaux circulants. Toutes les localités importantes jouiront ainsi des bienfaits de l'institution. Le crédit sera rendu accessible à un plus grand nombre de personnes. ;

« Chaque province aura d'abord son comptoir ; il pourra en être établi un plus grand nombre dès que le besoin en sera constaté. » '

Je continue à signaler à l'attention du gouvernement les bienfaits qui doivent résulter de la création de comptoirs d'escompte mettant leurs services à la portée, à la disposition des producteurs et commerçants dans toutes les parties du pays,

L'honorable M. Osy m'a répondu que la Banque avait créé des comptoirs d'escompte à Anvers, à Gand, à Liège, à Mons, à Charleroy, à Arlon, à Tournay. Pour vous donner une idée de ce que sont ces comptoirs d'escompte, permettez-moi de vous renvoyer à ce sujet au rapport du gouverneur de la Banque lui-même, rapport dont j'ai donné un extrait dans mon discours.

Je demanderai seulement à l'honorable M. Osy, si les comptoirs établis à Arlon, à Gand, à Tournay, à Liège, à Mons, etc., se livrent aux mêmes opérations que le comptoir d'Anvers ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Certainement !

M. de Perceval. - Je vous demande pardon. Vous avez de simples encaisseurs et des banquiers qui viennent sous-escompter à la banque et sous leur responsabilité les affaires qu'ils ont faites. Or, la loi a voulu que la Banque Nationale se trouvât en contact direct avec les industriels, les commerçants, les producteurs. Il y a un intermédiaire maintenant, qui prélève ) son profit un intérêt, une prime indépendamment du taux d'escompte perçu par la Banque. Je demande que les producteurs des provinces jouissent des mêmes avantages qu'offre la Banque à Anvers et à Bruxelles.

Ainsi je maintiens comme établi que quand la Banque Nationale a pris possession de la riche dot que la législature lui a faite, elle devait sans retard établir des comptoirs dans tous les chefs-lieux de province.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si l'honorable préopinant s'était borné à dire que tous les chefs-lieux de province ne sont pas encore dotés d'un comptoir d'escompte, je me serais empressé de reconnaître que le fait était exact et j'aurais donné pour raison le peu de temps qui s'est écoulé depuis l'installation de la Banque. Il ne faut pas dix ans assurément pour établir tous les comptoirs d'escompte, mais il faut plus de dix mois ; il faut que la Banque ait pu organiser ses agences et s'assurer des moyens par lesquels elle peut l'opérer.

Si les besoins étaient aussi vifs que le suppose l'honorable membre, des plaintes se seraient élevées, et on aurait cherché à y faire droit. L'honorable membre exprime seul ces plaintes ; au dehors, elles ne se manifestent pas. A Bruges, on a demandé un comptoir, on a répondu : Voilà les bases sur lesquelles on peut l'établir ; si vous les acceptez, nous nous y prêterons, nous donnerons des facilités. Jusqu'ici, on n'a pas réussi à faire admettre les conditions demandées, mais on y parviendra.

L'honorable membre s'est non seulement plaint de ce que certaines localités n'ont pas encore de comptoir, mais de ce que les comptoirs établis ont une organisation essentiellement contraire à la loi. Ici je contredis ce que l'honorable membre affirme.

M. de Perceval. - Ce ne sont pas de véritables comptoirs d'escompte.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous attendrons votre définition d'un véritable comptoir d'escompte.

Les agents de la Banque escomptent en province au même taux qu'à Bruxelles. C'est comme un bureau de la Banque même à Bruxelles ; elle a pour représentant un tiers intéressé qu'elle paye d'une certaine façon,, qui dirige le comptoir et escompte au même taux que la Banque sans commission. Quand le taux de l'escompte est à 4 à Bruxelles, il est à 4 à Gand et à Liège.

M. Sinave. - Pas à Anvers.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est par suite de la position particulière d'Anvers ; on n'escompterait pas un centime à ce taux à Anvers. Il y a sur cette place une masse de capitaux flottants qui, en attendant l'emploi auquel on les destine, sont employés provisoirement dans l'escompte.

Il faut donc que les banquiers et les banques escomptent à Anvers à un taux moindre que sur les autres places du pays. A Bruges il n'est pas un particulier qui prendrait du papier de commerce à un taux moindre que 5 p. c. ; offrir l'escompte à 4 p. c., c'est offrir un grand avantage au commerce et à l'industrie.

J'ai fait connaître dans la discussion de la loi quel serait le mode d'organisation des comptoirs. L'honorable membre s'attache à la lettre de la loi, il n'en saisit pas l'esprit. La pensée de la loi n'a jamais été qu'on obligerait la Banque à laisser opérer par de simples commis l'escompte du papier dans les comptoirs ; cela n'aurait pas été admissible. On a annoncé quel serait probablement le mode d'organisation des comptoirs et c'est le mode indiqué qui a été suivi.

M. de Pereeval n'a pu démontrer que l'abaissement du taux de l'escompte doit être plus considérable que celui qui a eu lieu, ni justifier cette allégation singulière que la Banque aurait prêté à 16 p. c. ou placé son argent à 16 p. c.

Je pense donc que ces allégations sont abandonnées ; l'honorable membre les a implicitement retirées. Il est inutile de m'y arrêter davantage.

M. Sinave. - L'article de la loi est positif ; la Banque est obligée d'établir des comptoirs d'escompte dans chaque chef-lieu de province. Je crois qu'à cet égard il n'y a pas de distinction à faire. La Banque a adopté une autre interprétation ; mais ce n'est pas admissible. Si cela pouvait être admis, demain elle en adopterait une autre, et cela ne finirait pas.

Je crois que le gouvernement fera bien d'inviter la Banque à instituer, dans chaque chef-lieu de province, un comptoir réel. Ce qui est tout différent de charger un banquier de la représenter ; car c'est lui donner le monopole des affaires au détriment des autres banquiers. Aussi ce système a-t-il été repoussé par la ville et le commerce de Bruges, qui ont réclamé l'établissement d'un comptoir d'escompte réel.

Mais je persiste à penser que si l'on maintient, pour Anvers, le privilège d'escompter à 1 p. c, au-dessous du taux auquel escomptent Liège et Bruxelles, vous aurez beau établir des bureaux d'escompte, on ne pourra pas y faire d'affaires, parce qu'on ne pourra pas prendre du papier à un taux inférieur à 4 p. c, tandis qu'à Anvers on en prend à 2 p. c. Il en résulte un monopole pour le comptoir d'escompte de cette ville.

Il en résulte aussi qu'on prend du papier anglais. Je ne prétends pas qu'on ne doit jamais en escompter, puisque la Banque doit employer ses capitaux. Mais en en prenant constamment, on fausse l'esprit de l'institution ; on lui ôte le caractère national que la loi a voulu lui donner.

M. le ministre dit que l'abaissement du taux de l'escompte entraînera le commerce dans des opérations dangereuses.

(page 951) S'il n'en est pas ainsi pour les Anglais et les Français, pourquoi en serait-il ainsi pour nous, qui sommes plus prudents ?,Car nous n'avons des faillites que pour des chiffres insignifiants, tandis qu'en 1847 il y en a eu en Angleterre pour un milliard et demi.

Je ferai remarquer à M. le ministre qu'il est très facile de faire droit à ma demande en établissant dans chaque chef-lieu de province un comptoir d’escompte, car il suffît d'y placer un agent et d'y instituer un comité d escompte. Mais, dit-on, on n'aura pas de confiance dans les membres de ce comité, parce qu'ils ne seront pas intéresscs.C'est ce que je ne puis admettre.

Il doit être,facile de trouver dans une ville de 50 mille habitants cinq personnes capables de donner une bonne direction à un comptoir d'escompte.

Au reste, s'il en est ainsi, il suffira d'envoyer à la décision du bureau central le papier à escompter. Il en résultera pour le commerce un retard de quelques jours. Mais bientôt la confiance s'établira, et l'on s'en rapportera entièrement au comité d'escompte.

M. Mercier. - Messieurs, la discussion qui vient de s'élever a porté spécialement sur les comptoirs de la Banque Nationale et le taux de l'escompte. En ce qui concerne les comptoirs, personne n'en contestera l'utilité ; la loi veut qu'il en soit établi partout où les besoins du commerce et de l'industrie les réclament ; cependant, messieurs, nous devons prendre en considération que la Banque, instituée depuis peu de temps, a pu rencontrer des obstacles qui ont retardé la création de ces établissements dans quelques localités. D'un autre côté, on conçoit qu'il faut agir en cette matière avec beaucoup de circonspection, qu'il faut trouver des agents offrant des garanties aux intéressés et ayant intérêt à prévenir des pertes, si l'on veut éviter que les comptoirs deviennent une cause de prompte ruine pour la Banque que nous avons créée.

Quant à l'escompte, je puis admettre que, dans des circonstances extraordinaires, on ait pu escompter le papier étranger à un taux inférieur à celui qui est adopté pour le papier belge. Mais il serait contraire aux intérêts du pays de persister dans cette voie. L'industrie et le commerce du pays ont à lutter contre l'industrie et le commerce étranger ; il est évident que si nous contribuons à placer nos concurrents étrangers dans de meilleures conditions que nous, ce sera au détriment des grands intérêts que nous avons à défendre.

J'espère donc que le gouvernement, qui en vertu de la loi exerce un contrôle puissant sur la Banque Nationale, veillera à ce que cette mesure ne soit pas admise comme règle. Escompter le papier étranger d'une manière permanente à 1 1/2 et peut-être même au-dessous alors que le papier belge ne le serait en général qu'à 3 1/2 ou 4 p. c, ce serait agir contre nos intérêts. Quant au taux de l'escompte dans le pays, la Banque a été instituée pour l'abaisser, mais je reconnais qu'il est lui-même subordonné aux circonstances et que le réduire subitement dans une trop forte proportion, serait peut-être créer des embarras pour l'avenir ainsi que l'ont fait observer M. le ministre des finances et un honorable député d'Anvers.

M. de Perceval. - L'honorable ministre des finances m'a demandé une définition d'un comptoir d'escompte. Je vais la lui donner. J'entends par comptoir d'escompte une succursale de la Banque mère, se livrant, dans le rayon territorial qui lui est assigné, à toutes les opérations permises à la Banque Nationale. Vous n'en avez qu'un : c'est celui d'Anvers. Et je défie qui que ce soit de me prouver que le comptoir de Gand et ceux des six autres localités se livrent aux mêmes opérations que celui établi à Anvers.

J'ai voté l'article 2, lequel dit formellement qu'il sera établi un comptoir dans chaque chef-lieu de province. J'en demande l'exécution.

Quant au taux de l'escompte, je me réfère aux observations que j'ai présentées au début de la séance pour qu'il soit réduit d'une manière notable.

L'honorable ministre me reproche de n'avoir pas justifié les 16 p. c. d'intérêt dont j'ai parlé. Je conviens que, l'année dernière, les actionnaires n'ont pas touché 16 p. c, qu'ils n'ont reçu que 6 p. c. Mais si la situation de la Banque, comme tout porte à le croire, reste la même, je dis que les actionnaires percevront 16 p. c. en 1852. Je prends pour base de mes calculs un document que vous ne sauriez récuser : le bilan de la Banque au 31 décembre 1851.

Ainsi que je l'ai dit dans mon premier discours, l'année 1851 qui a donné plus de 6 p. c. aux actionnaires est la première année de l'existence de la Banque, c'est l'année de la mise en train des opérations qui se sont développées dans une forte progression de mois en mois, depuis le mois de janvier jusqu'au mois de décembre, sans aucune interruption. En voici le détail :

À la fin du mois de janvier 1851, les billets en circulation s'élèvent à 6,259,600 fr., en février à 11,487,500 fr., en mars à 18,251,700 fr., en avril à 24,308,300 fr., en mai à 28,017,600 fr., en juin à 31,735,750 fr., en juillet à 38,074,400 fr., en août à 40,649,100 fr., en septembre à 41,084,350 fr., en novembre à 47,184,600 fr., en décembre à 50,346,210 fr.

Ainsi, la somme des douze mois de 1851 donne un total de 381,272,800 fr., lequel, divisé par 12, ne donne, pour l'année 1851, qu'une circulation moyenne en billets de 31,772,738 fr. par mois. {Interruption.)

Laissez-moi acheter !

Avec une pareille circulation, la Banque a trouve moyen de donner plus de 6 p. c. à ses actionnaires,

A présent, que nous dit M. le gouverneur dans son rapport sur les probabilités de la circulation pendant l'année 1852 ?

Veuillez écouter, messieurs, c'est M. le gouverneur qui parle :

« Ainsi au 31 décembre 1851, notre circulation dépassait de près de vingt millions le chiffre des billets des deux Banques qui avaient été retirés, et comme il restait plus de douze millions non rentrés de billets à cours forcé qui devront êlre remplacés par ceux de la Banque Nationale il en résulte que notre circulation est destinée suivant toute probabilité, à atteindre, et peut-être même à dépasser le chiffre de 60 millions. »

Au 31 décembre 1851, toujours d'après le bilan de la Banque, elle possédait pour 61 1/2 millions de créances achetées avec un capital de 15 millions, la majeure partie à 4 p. c.

A cette époque, la circulation des billets n'était encore que de 50 millions. Quand la circulalion des billets aura atteint 60 millions, selon les prévisions du gouverneur, les créances possédées par la Banque atteindront de 68 à 70 millions.

Eh bien ! je déclare que si cette situation qui m'est fournie par le rapport du gouverneur se réalise, les actionnaires de la Banque Nationale toucheront 16 p. c. de dividende à la fin de l'année.

A moins qu'on ne me prouve que la situation de la Banque soit empirée depuis trois mois, je maintiens comme incontestable ma conclusion.

M. Osy. - J'avoue que je ne comprends pas les calculs de l'honorable M. de Perceval, en ce qui concerne les 16 p. c. qu'il promet aux actionnaires. J'espère et je crois qu'il y aura une augmentation de dividende, mais soyez persuadés que ce sera dans l'intérêt du pays, parce que ce sera une preuve certaine que les affaires du pays ont augmenté.

Pendant l'année 1851, les affaires ont été tellement restreintes qu'on a été obligé d'acheter des valeurs étrangères pour faire valoir les capitaux de la Banque.

L'honorable M. Sinave se plaint de ce qu'il n'y a pas de comptoir d'escompte dans tous les chefs-lieux de province. Je conviens avec M. Sinave qu'il n'y en a pas à Bruges, à Hasselt et à Namur.

Soyez persuadés que si des personnes honorables de ces trois localités font des propositions, on les acceptera. Mais il est impossible que la Banque traite de pareilles questions à la légère, qu'elle ne prenne pas toutes les garanties. Les villes de Mons, de Charleroy, de Liège et autre l'ont tellement senti que tous les banquiers et les négociants se sont entendus et ont fait des propositions.

Il me reste à dire quelques mots des valeurs étrangères que la Banque a prises. Au 1er janvier 1852, il y avait en circulation 42 millions de billets de Banque de la Société Générale et de la Banque de Belgique, Ces billets ont dû être échangés contre des billets de la Banque Nationale. Sans l'opération qu'a faite cette dernière, elle aurait dû laisser ses capitaux improductifs, où ne pas émettre de billets et payer tout le monde en pièces de 5 francs. Mais comme beaucoup de personnes désiraient avoir des billets, on a été obligé de prendre des valeurs sur l'étranger, valeurs qui représentent des écus et peuvent se réaliser tous les jours. Sans doute je ne crois pas avec l'honorable M. Mercier que ces opérations doivent continuer, mais elles ont, selon moi, été très utiles dans le courant de l'année dernière.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je répondrai un mot à l'honorable M. Mercier ; déjà l'honorable M. Osy vient dele faire.

Tout le monde est d'accord, et la Banque aussi, que l'opération dont il s'agit est une opération accessoire. Mais il faut bien, cependant,, que la Banque fasse emploi de ses capitaux. Que voulez-vous qu'elle en fasse ? Si l'escompte sur place ne se présente pas, si elle ne peut trouver dans le pays suffisamment d'escompte, il faut bien qu'elle place son argent ; elle a trouvé à l'employer, par l'achat du papier sur l'étranger, d'une manière à la fois utile pour le pays, et avantageuse pour elle, et avec pleine sécurité.

Lorsque l'escompte dans le pays s'est présenté plus abondant, la Banque a restreint ses opérations en papier sur l'étranger. Son portefeuille, sous ce rapport, est très notablement réduit. Elle vient même de prendre des arrangements pour faire en sorte d'établir ici un marché des métaux précieux qui remplacera dans une assez large mesure les opérations faites en papier étranger.

Ainsi, je crois que l'honorable M. Mercier, qui n'a fait ses observations que d'une manière générale, non pas spécialement pour l'année qui vient de s'écouler, reconnaîtra que la Banque a opéré convenablement, sagement, comme elle devait le faire.

M. Mercier. - M. le ministre des finances, en me répondant, convient qu’il n’approuce cette opération que comme exceptionnelle. Or, comme opération exceptionnelle, je ne l’avais pas moi-même critiquée, mais j’ai fait remarquer que si l’on adoptait cette manière d’agir comme règle, il en résulterait un véritable préjudice pour le commerce et l’industrie du pays ; M. le ministre des finances paraît d'accord avec mol sur ce point. Il annonce que déjà cette catégorie d'escompte a considérablement diminué et que la Banque a choisi d'autres moyens de faire usage (page 952) de fonds qui sont à sa disposition. Il me semble donc que M. le ministre ne m'a pas combattu ; qu'au contraire, il partagea cet égard ma manière de voir.

M. De Pouhon. - Je ne comprenls pas comment l'honorable M. Mercier voit un dommage pour le pays dans les escomptes que la Banque Nationale fait en papier sur l'étranger. L'argent qu'elle consacre à ces opérations resterait dans ses caisses où il serait improductif d'utilité. Placé en valeurs à terme sur Paris, Londres ou Amsterdam, il rapporte profit aux actionnaires qui représentent bien un intérêt national.

D'ailleurs, les placements sont utiles sous d'autres rapports. Ils facilitent et activent les affaires, ils sont une source d'avantages pour ceux qui vendent leur papier à la Banque ou qui lui en achètent. Lorsqu'ils lui donnent ou qu'ils lui prennent du Londres, c'est sans doute parce qu'ils y trouvent leurs convenances.

La Banque ne contraint personne autrement que par l'avantage qu'elle présente à traiter avec elle.

Les escomptes que cet établissement fait du papier sur l'étranger, on d'autant moins d'inconvénients que l'argent qu'elle y emploie peut rentrer en 48 heures dans ses caisses dès que les besoins du pays le réclament.

Ainsi, la Banque Nationale, d'un autre côté, lorsque les besoins du commerce l'exigeaient, a eu du papier sur Londres à vendre, ce qui était encore favorable au pays. Ce que la Banque a fait ne serait regrettable que si elle avait refusé d'escompter le papier belge, pour profiter davantage des opérations en valeurs sur l'étranger.

Jusqu'à présent il n'en a pas été ainsi ; l'opération qu'on reproche à la Banque n'a été que temporaire, et elle offre si peu d'inconvénient, qu'au premier besoin qui se révèle la Banque peut rentrer dans ses fonds en 48 heures de temps.

M. Vilain XIIII. - Messieurs, je demande la permission à la chambre de faire descendre ce débat des hauteurs où l'honorable M. de Perccval l'a placée à un détail très mince, relatif à la Banque Nationale, et qui, cependant, intéresse la province que j'habite. Dans la province de Limbourg, à l'exception de Hasselt et peut-être de la ville de Tongres, le billet de Banque est encore un être idéal : ni les receveurs du gouvernement, ni les notaires, ni les autres habitants, personne n'y voit de billets de banque.

Vous concevez, messieurs, combien cela rend les transactions difficiles : à la moindre acquisition que l'on fait c'est avec des brouettes qu'il faut transporter le numéraire. M. le ministre dira qu'il n'en peut rien, que c'est de notre faute. Cela est vrai, c'est pourquoi nous ne connaissons pas la valeur des billets de banque et que nous les refusons, quand nous allons vendre nos grains sur les marchés de Hasselt, par exemple.

Mais je crois que M. le ministre des finances pourrait nous apprendre à apprécier les billets de banque, et voici comment : ce n'est pas avec des paroles qu'on peut éclairer le cultivateur à cet égard ; il faut qu'il voie par expérience que les billets de banque sont aussi bons que des pièces de 5 francs ; la province de Limbourg est comprise pour moitié dans le rayon des douanes ; nous avons une armée de douaniers ; chaque douanier reçoit un peu plus de 60 francs par mois : si M. le ministre ordonnait de leur payer le tiers de leurs appointements en un billet de 20 francs, il circulerait tous les mois dans chaque commune 5 ou 6 billets de 20 francs ; si M. le ministre des finances ordonnait que les appointements des curés, qui reçoivent 200 francs par trimestre, seraient payés au moyen d'un billet de 50 francs et de 150 francs en espèces, si l'on veut, il circulerait dans chaque village un billet de 50 fr. tous les trimestres.

Au commencement ce serait très peu de chose, mais l'exemple instruirait les agriculteurs, et quand ils auraient vu pendant 6 mois ou un an, que les billets des douaniers et du curé valent autant que de l'argent, ils ne refuseraient plus d'en recevoir quand ils iraient au marché. Ce serait un grand avantage pour les populations, et en même temps un avantage pour la Banque Nationale qui verrait augmenter la circulation de son papier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je reconnais avec l'honorable M. Vilain XIIII, qu'il serait très désirable que l'usage des billets de Banque fût encore plus répandu qu'il ne l'est. Cependant, nous devons avouer qu'un très grand progrès s'est accompli sous ce rapport.

M. Vilain XIIII. - Dans le centre du pays.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas seulement dans le centre du pays ; il a rayonné.

Avant les événements de 1848, la circulation du papier n'excédait pas 16 à 20 millions de francs ; grâce au cours forcé, le public a été mis à l'école : il a compris qu'il pouvait très bien se servir du billet de banque dont l'usage est fort commode, et depuis lors, quoique le cours forcé ait été supprimé, la circulation s'est élevée à plus de 50 millions et elle dépassera bien certainement 60 millions, lorsque tous les billets des deux anciennes banques auront été retirés par la Banque Nationale.

Je ne puis pas facilement admettre le mode qu'indique l'honorable membre : répandre le papier d'une manière forcée par les agents de l'administration, ce serait très probablement exposer ceux-ci à subir des pertes ; puisque le public des localités dont on parle n'est pas familiarisé avec les billets de banque, qu'il n'y a pas une suffisante confiance, il faudrait assez de temps pour qu'il les acceptât sans imposer des sacrifices à ceux qui les présenteraient. Je recommanderai toutefois que l'on fasse en sorte que la circulation du papier reçoive de ce côté plus d'extension.

M. Dumortier. - J'entends beaucoup parler de la mise en circulation du papier, mais je voudrais bien, moi, qu'on mît en circulation l'or. Je demanderai à M. le ministre des finances s'il ne serait pas disposé à présenter à la chambre une loi révoquant celle qui a été votée il y a deux ans pour démonétiser les pièces de 20 fr. Je croîs qu'il est très désirable, dans l'intérêt du pays, qu'on puisse avoir dans la circulation, comme par le passé, des pièces de 20 francs françaises. Il n'y a plus aucune espèce de motif, comme je crois d'ailleurs qu'il n'y en a jamais eu, pour empêcher la circulation de cette monnaie. Il y a vraiment pénurie d'or en Belgique et il est très à désirer qu'on révoque la loi dont il s'agit.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mesieurs, il est vraiment singulier que dans ce moment et après ce qui s'est passé depuis le vote de la loi qui a démonétisé les pièces de 20 francs, l'on vienne demander le retrait de cette loi. Tous les faits sont venus attester que la législature a été très prudente, a posé un acte excellent quand elle a voté cette loi. En effet, ce que l'on pouvait encore contester et ce que l'on contestait à l'époque où elle a été mise en discussion, c'est l'exubérance de la production de l'or ; eh bien, quels sont les faits constatés ? C'est que précisément l'extraction de l'or s'est développée, c'est qu'il y a un avilissement manifeste et considérable dans le prix de l'or.

Sans les mesures qui ont été prises par le gouvernement et les chambres vous auriez eu une interversion complète dans la circulation ; l'or se serait substitué à l'argent ; l'argent aurait été remplacé par les pièces de 20 fr., émanant d'un gouvernement étranger qui pouvait d'un instant à l'autre les démonétiser, ce qui aurait causé un grand préjudice au pays. A l'époque où la loi a été rendue il n'y avait pas plus de circulation d'or dans le pays qu'aujourd'hui ; nous n'avions plus d'autre or que nos pièces de 25 fr. ; or ces pièces continuent à circuler.

Nous n'avions pas de pièces de 20 fr. parce que la mesure a été prise à une époque où l'or avait encore une faible prime, où il y avait, par conséquent, avantage à le conserver ; depuis, la France aurait eu avantage à nous l'envoyer en échange des pièces de 5 fr.

Les hommes les plus compétents attirent très sérieusement sur cette question l'attention des pays qui ont l'or pour monnaie, et certes, messieurs, ce n'est pas dans les circonstances où nous sommes qu'il peut y avoir lieu de revenir sur la loi votée il y a deux ans.

M. Cools. -Je puis être d'accord avec M. le ministre qu'il n'y a pas de motifs pour rendre le cours forcé à l'or français ; qu'on ait eu raison ou qu'on ait eu tort de voter la loi, il n'y a pas de motifs pour la retirer aujourd'hui. Il existait, selon moi, beaucoup de motifs pour ne pas voter cette loi ; mais une fois de semblables mesures prises, il ne faut les révoquer que pour des motifs très puissants, et ces motifs n'existent pas.

Mais ce qu'il m'est beaucoup moins facile d'admettre, ce sont les raisons que M. le ministre donne pour justifier la démonélisation de l'or, mesure qui a été prise sur sa proposition il y a deux ans. D'après M. le ministre, tout est venu confirmer que le gouvernement a eu parfaitement raison de démonétiser l'or français.

On peut faire des raisonnements à perte de vue sur la valeur relative des métaux, sur l'influence que l'extraction a sur le cours du change. Tout cela est sujet à contestation. Mais il y a un thermomètre qui indique la valeur que l'or a dans la circulation ; nous avons le cours de la bourse. Celui-là peut indiquer d'une manière certaine si on a eu tort our raison de s'effrayer si fort de la baisse accidentelle de l'or.

Voyons le taux auquel étaient cotés les guillaumes à l'époque à laquelle la mesure a été proposée par le gouvernement, à tort comme nous l'avons soutenu ; et voyons la valeur du guillaume à l'époque actuelle ; nous avons soutenu que, d'après toutes les probabilités, l'or avait subi la baisse la plus forte ; que très vraisemblablement, après un certain laps de temps, l'or remonterait successivement ; que dans une période beaucoup plus éloignée, il pourrait y avoir de nouveau baisse, mais que les chances prochaines étaient pour une élévation.

Eh bien, à quel taux étaient cotés les guillaumes, lorsque la mesure a été prise ? A 20 fr. 68 c ; depuis ce temps, les guillaumes ont continuellement augmenté, peu, je le reconnais, mais enfin il y a eu hausse ; aujourd'hui les guillaumes sont cotés à fr. 20.72 ; c'est le cours qui se maintient depuis déjà cinq ou six mois.

Je me borne à invoquer ce fait pour prouver combien la section centrale était fondée à soutenir que le gouvernement avait eu tort de proposer la démonétisation ; mais maintenant que c'est un fait accompli, je ne crois pas pouvoir appuyer la motion de l'honorable M. Dumortier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant est dans l'erreur lorsqu'il dit que depuis le temps où la démonétisation des pièces de 20 francs a été proposée par le gouvernement, il y a eu constamment une prime très notable sur l'or. Aujourd'hui l'or est au pair. Il y a une différence considérable entre la valeur de l'or à l'époque à laquelle fait allusion l'honorable préopinant, et sa valeur aujourd'hui. L'argument qu'il tire de la cote des pièces de 10 florins est insignifiant ; on se trouvait alors à une époque très rapprochée de la démonétisation de ces pièces ; elles étaient en grande quantité ; en outre, des circonstances particulières peuvent affecter la valeur de ces pièces momentanément. Mais ce qui est incontestable, c'est que le taux de l'or a notablement baissé ; aussi la meilleure preuve qu'on puisse en donner, c'est la fabrication énorme de pièces de 20 francs à la (page 953) monnaie de Paris, pendant l'année dernière. Autrefois la fabrication annuelle n'excédait pas 50 millions ; elle s'est élevée l'an passé, si je ne me trompe, à 250 millions.

Il y avait donc avantage à faire fabriquer ces pièces de vingt francs. Il est indubitable que si, par suite des découvertes faites en Californie, en Australie et dans d'autres pays, l'or est devenu plus abondant, sa valeur a dû naturellement baisser.

M. Dumortier. - Messieurs, dans la motion que j'ai eu l'honneur de faire, je n'ai nullement parlé de la question des guillaumes. Cette monnaie étant démonétisée dans le pays même où on l'a frappée, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de lui donner cours en Belgique, attendu que probablement d'ici à longtemps elle n'aurait pas son cours primitif, son cours légal.

J'ai parlé seulement des pièces de 20 francs.

Quant à celles-là, je déplore amèrement la mesure qui a été proposée par le gouvernement et adoptée par la chambre, à savoir la démonétisation des pièces de 20 francs.

Nous sommes arrivés à ce résultat, qu'il n'existe plus de monnaie d'or en circulation dans notre pays : cette monnaie n'y est en quelque sorte que phénoménale : on ne trouve en circulation qu'un très petit nombre de pièces de 25 francs.

M. le ministre des finances, pour répondre aux observations que j'ai eu l'honneur de présenter, a dit que, lors de la loi, on avait frappé une quantité considérable de pièces d'or à la monnaie de Paris.

Il y avait pour cela un motif très simple : à cette époque, il y avait concurremment deux choses qui faisaient affluer l'or à Paris ; d'abord le change si avantageux de l'Angleterre, qui faisait payer sur le continent en souverains ; puis la démonétisation des guillaumes qui étaient tombés à un taux très bas ; de manière qu'il y avait un immense avantage à fabriquer à Paris des pièces de 20 francs. Mais il est bien évident que cet avantage ne devait durer que momentanément.

On a dit alors que c'était là une situation temporaire et qu'elle ne tarderait pas à finir. Aussi, qu'avons-nous vu ? C'est que quelques mois après le vote de la loi, l'or est arrivé au pair, qu'il se vend aujourd'hui à une prime considérable...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai dit le contraire.

M. Dumortier. - Vous avez dit que l'or se vendait à prime.

L'or, comme monnaie, n'a jamais été en perte. Il y avait donc tout avantage pour la Belgique à pouvoir avoir en circulation de l'or français, et il n'y avait à cette circulation aucun désavantage.

Certains statisticiens se sont imaginé que la découverte de l'or dans la Californie et dans la Nouvelle-Hollande devait amener l'avilissement de l'or. Mais veuillez remarquer une chose : c'est que la plus grande extension de la richesse en Europe compense, et bien au-delà, l'arrivage de l'or des colonies.

D'un autre côté, il n'est pas de métal dont il se consomme en pure perte une plus grande quantité pour les dorures que celui avec lequel on fait les pièces de 20 francs.

Donc l'or doit nécessairement rester comme valeur primitive dans les échanges.

De deux choses l'une ; ou nous avons eu raison en Belgique de dire par une loi que la monnaie d'or est une chimère ; et dans ce cas, l'Angleterre et la France ont eu tort de conserver une monnaie d'or ; ou l'Angleterre et la France ont eu raison de conserver une monnaie d'or, et alors nous avons eu tort de la supprimer en Belgique.

Nous croyons nous plus sages que les grands financiers de la France et de l'Angleterre ? Chacun pourra comprendre combien il est regrettable pour la Belgique de n'avoir pas de monnaie d'or, et, lorsqu'on entreprend de longs voyages, de devoir enfouir au fond de sa valise des rouleaux de pièces de 5 francs.

Je pense donc que la loi dont il s'agit doit être abrogée ; les craintes qui en ont motivé la présentation et l'adoption ayant cessé d'exister. Il est à désirer que les effets de la mesure viennent aussi à cesser, et que la Belgique ne soit pas privée de la satisfaction d'avoir de la monnaie d'or pour les besoins du commerce et des particuliers.

M. Pirmez. - Je crois que nous devons nous féliciter delah loi monétaire que nous avons votée. Lors de la discussion de cette loi, il a été prouvé à satiété que les monnaies d'or et d'argent ne pouvaient exister simultanément dans un pays.

Il est inutile de recommencer à démontrer une vérité qui n'est plus contestée. On a cité alors plusieurs exemples. En Angleterre, la monnaie d'argent n'existe que comme appoint.

Eu France, tant que la quantité d'or dont se compose la pièce de vingt francs avait plus de valeur que la quantité d'argent dont se composent quatre pièces de 5 francs, la pièce de vingt francs disparaissait aussitôt qu'elle était frappée.

Chez nous, sous le régime hollandais, les pièces de trois et de un florins n'ont jamais pu rester dans la circulation, parce que la valeur de l'argent qu'elles contenaient était trop considérable relativement à la valeur de l'or contenu dans la pièce de dix florins. Aujourd'hui la pièce de vingt francs rentre dans la circulation en France, parce que la valeur de l'or a baissé, elle se substitue à la monnaie d'argent et doit dans un certain temps exclure celle-ci de la circulation. Nous devons être satisfaits des mesures que nous avons prises.

- La discussion générale est close, celle des articles est renvoyée à demain.


M. Delehaye. - Messieurs, au commencement de la séance vous avez chargé le bureau de nommer une commission à l'examen de laquelle on renverra le projet de loi qui a été déposé aujourd'hui par M. le ministre de l'intérieur. Le bureau a composé cette commission de MM. (erratum, page 961) Destriveaux, de Theux, Le Hon, A. Roussel, Devaux, de La Coste et Van Grootven.

- La séance est levée à 4 heures et demie.