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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 16 décembre 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 347) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Des habitants de Lokeren prient la chambre d'adopter la proposition de loi relative à l'exemption de droits en faveur des actes touchant à l'expulsion de certains locataires. »

- Renvoi à la commission chargée d'examiner la proposition de loi.


« Des habitants de Louvain prient la chambre d'adopter la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen de la proposition de loi.


« Des habitants de Villeroux demandent que ce hameau, dépendant de la commune de Chastre-Villeroux-Blanmont, soit érigé en commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Molte-Schieris présente des observations relativement à la convention provisoire conclue avec la France. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la convention.


« La veuve du sieur Havard, ancien receveur des contributions, prie la chambre d'adopter la proposition de loi qui modifie les lois sur les pensions. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


« Le conseil communal de Jusseret prie la chambre d'adopter la convention conclue, le 22 août, avec la France. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Jean-Baptiste Dubois, domicilié à Péruwelz, né à Marfaux (France), demande la naturalisation ordinaire.»

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le conseil communal de Pâturages demande l'exécution immédiate d'un chemin de fer de Mons à Maubeugc et prie la chambre d'accorder au baron de Rothschild et à la Société Générale la concession qu'ils ont sollicitée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer du Centre à la Sambre vers Erquelinnes.

Projet de loi accordant un crédit provisoire de 7 millions de francs au budget du département de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Thiéfry dépose le rapport de la section centralesur la demande d'un crédit provisoire de 7 millions à valoir sur le budget de la guerre pour l'exercice 1853.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met la discussion du projet à l'ordre du jour à la suite du buiget de l'intérieur et du crédit demandé pour le département des finances.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1853

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XVI. Instruction publique. Enseignement moyen

Article 77

« Art. 77. Dotation des écoles moyennes (art. 25, paragraphe premier de la même loi) : fr. 200,000. »

- Adopté.

Article 77bis (nouveau)

M. le président. - Une proposition vient d'être déposée par M. le ministre de l'intérieur. Le gouvernement demande l'introduction d'un article nouveau (77bis) de 15,000 francs, bourses à accorder aux élèves des écoles moyennes. Ces 15,000 francs seraient transférés de l'article 83.

M. de Muelenaere. - Je désirerais que M. le ministre de l'intérieur nous donnât quelques explications sur cette proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, il existe à l'article 83 un fonds global sur lequel on prenait les bourses destinées à l'encouragement de l'enseignement primaire supérieur ; nous proposons de transférer de cet article une somme de 15,000 francs qui serait consacrée à accorder des bourses aux élèves des écoles moyennes.

M. Dumortier. - Je ne sais pas si ma mémoire est fidèle ; comme cet article vient au milieu de la discussion, il est possible que je fasse une erreur, mais il me semble que ce transfert soulève une question beaucoup plus sérieuse qu'on ne pourrait le croire au premier abord. Il résulte de ce transfert, si je ne me trompe, une disposition qui modifierait un des grands principes de la loi sur l'enseignement primaire, principe qui n'est point conservé dans la loi sur l'enseignement moyen : d'après la loi sur l'instruction primaire, les élèves qui obtenaient des bourses pouvaient aller étudier où ils voulaient ; d'après la loi sur l'enseignement moyen, il n'en est pas de même.

Je désire avoir une exception sur ce point ; car si nous devions par ce vote dénaturer une disposition prise en faveur de la liberté, mon intention serait de la combattre ; cependant, je ne parlerai sur la question qu'autant que l'observation que je viens de présenter serait fondée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je pense que l'honorable M. Dumortier sera satisfait de l'explication que je vais avoir l'honneur de lui donner. Les bourses dont il s'agit étaient destinées à favoriser les élèves qui entraient dans les écoles primaires supérieures du gouvernement. Ces écoles primaires supérieures du gouvernement ont été transformées, par la loi du 1er juin 1850, en écoles moyennes du gouvernement ; l'influence n'est pas le moins du monde changée. Or, je demande uniquement que ce que la législature avait officié à l'enseignement primaire supérieur du gouvernement soit transférée à la catégorie des établissements du gouvernement qui remplacent les écoles primaires supérieures ; rien ne compromet donc le principe de liberté.

M. Dumortier. - Messieurs, je m'en réfère pour le moment à ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur ; au surplus, d'ici au second vote, nous aurons le temps d'examiner. Je fais donc toutes mes réserves.

J'aurais encore quelques observations à présenter relativement à l'athénée de Tournay.

M. le président. - C'est fini ; l'article concernant les athénées royaux a été voté hier.

M. Dumortier. - Il m'aurait été facile de démontrer...

M. le président. - C'est fini.

M. Dumortier. - M. le président, puisque vous trouvez que c'est fini, je n'insisterai pas ; je m'en référerai à votre jugement.

- Le transfert de 15,000 fr. demandé par M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté.

Article 78

« Art. 78. Subsides à des établissements communaux ou provinciaux d'instruction moyenne : fr. 107,000. »

- Adopté.

Article 79

« Art. 79. Frais du concours général entre les établissements d'instruction moyenne : fr. 10,000. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je demande la parole uniquement pour faire observer à la chambre que ce crédit ne sera pas suffisant (page 348) pour l'année 1853 ; les athénées seuls ont concouru en 1852, et le crédit de 10,000 francs a été absorbé à peu de chose près. En 1853, les écoles moyennes prendront également part au concours ; dès lors un crédit supplémentaire sera nécessaire.

- L'article 79 est mis aux voix et adopté.

Article 80

« Art. 80. Indemnités aux professeurs démissionnes des athénées et collèges.

« Charges ordinaires : fr. 5,000.

« Charges extraordinaires : fr. 15,000. »

M. Osy. - C'est en 1833 qu'on a porté pour la première fois au budget un crédit pour les professeurs démissionnes des collèges. Il avait été entendu, à cette époque, que cette indemnité ne devait servir qu'aux professeurs démissionnés par suite des événements de 1830 et qui ne seraient pas replacés ; depuis, cette somme aurait dû diminuer, parce que depuis vingt ans cela est certainement nécessaire. Mais le gouvernement a trouvé convenable de demander la somme et de la dépenser, en y faisant passer de nouveaux professeurs qui, par l'une ou par l'autre cause, n'ont pas été placés depuis les événements de 1830. En section centrale, je me suis fait rendre compte du tableau des personnes qui touchent sur cette somme de cinq mille francs, et j'y vois qu'on donne un subside à un ex-prêtre, vous savez ce que cela veut dire, qui, depuis plusieurs années, n'est plus à l'athénée de Bruges, et auquel le gouvernement a continué à donner une indemnité. J'ai voulu me rendre compte des faits et savoir quelles étaient les personnes à qui l'on donnait des subsides, et j'ai été très étonné de voir que c'étaient des personnes qui écrivent dans des journaux, tels que la justice doit s'en mêler ; ce sont effectivement des pesonnes qui sont attraites devant la justice parce qu'elles écrivent dans des journaux contraires à la morale, à la famille ; elles écrivent en langue flamande tout ce qui est de pis, de plus regrettable, et je ne conçois pas que le gouvernement donne des subsides à de pareilles personnes. Je me suis rendu à la cour des comptes et j'ai vu qu'elle avait refusé au ministre de l'intérieur de liquider cette somme pour un professeur de Bruges ainsi que pour un professeur de Hasselt.

M. le ministre de l'intérieur, dans une correspondance du mois d'août de cette année, a fortement insisté pour la liquidation de cette somme que je trouve très mal donnée et j'engage M. le ministre de l’intérieur à vouloir bien considérer que cette somme de cinq mille francs ne doit servir qu'aux professeurs qui, après les événements de 1830, n'ont pu être placés.

Si le gouvernement veut faire des largesses et donner à d'autres personnes, qu'il nous demande des crédits. Mais dans la correspondance que j'ai parcourue et dont j'ai parlé tout à l'heure, je vois que la cour des comptes a fini par céder parce que M. le ministre de l'intérieur a dit que lorsqu'on demandera des crédits supplémentaires à la chambre on s'en expliquera.

On nous demande une somme de cinq mille francs pour des professeurs et d'autres personnes sans emploi d'après la loi de 1850. C'est une somme déjà assez considérable qu'il faut ajouter à toutes celles dont nous avons parlé ces jours-ci.

Mais je vois également, dans le tableau qui nous a été distribué, qu on a supprimé dix professeurs à Namur.

L'honorable. M. Devaux nous disait hier qu'aucune nomination ne se faisait qu'après que le bureau administratif des communes avait été consulté. Je suis très étonné que la ville de Naurur, qui a administré si longtemps son athénée, propose de démissionner ou de mettre à la demi-solde des professeurs qui ont été employés très longtemps ; de manière que je crois que les bureaux administratifs n'ont pas été consultés, car ces professeurs qui ont bien rempli leurs devoirs ne seraient pas tout à coup mis au traitement d'attente.

Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur quelques renseignements à ce sujet, et si ces six professeurs mis au traitement d'attente sont effectivement incapables, s'il faut continuer à leur payer ce traitement d'attente.

Je demande à M. le ministre de vouloir bien les replacer si c'est possible, car nous payons pour les professeurs en exercice et en même temps des traitements d'attente. Je prie M. le ministre de nous donner à cet égard des renseignements.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, sur l'article j'ai peu de chose à dire, car il va de soi qu'il faut un fonds pour venir en aide aux professeurs mis à la retraite, ou qui, par suite de la nouvelle organisation de l'enseignement mojen, ont dû céder leur place à d'autres.

Le chiffre de 20 mille francs, du reste, est assez modéré pour qu’on ne puiss epas supposer que de grands abis aient lieu dans les indemnités accordées aux professeurs dont le tableau a été déposé. Voici comment les choses se passent quand il s’agit de mettre des professeurs à la retraite.

D'abord les bureaux administratifs sont consultés ; ils donnent leur avis, et le gouvernement décide. Je ne prétends pas que l'avis des bureaux est toujours suivi. Le gouvernement, qui doit rester libre, apprécie les circonstances et prononce.

Au surplus, j'ai toujours vu que quand les bureaux émettent l'avis qu'un professeur doit être remplacé, c'est avec raison ; et leur avis est gcénéralement adopté.

M. Dumortier. - A Tournay on avait émis l'opinion inverse,

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - S'il faut encore revenir sur M. Wilbaux, je préviens l'honorable membre que j'ai des pièces en mains, j'ai la preuve officielle de ce que j'ai annoncé. Si on insistait je serais forcé de communiquer à la chambre des témoignages peu flatteurs pour lui.

M. Dumortier. - On ne peut produire que des témoignages flatteurs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je ne parle pas de son caractère, je ne m'occupe de l'homme qu'au point de vue de la science.

M. Dumortier. - Moi je parle de son talent aussi bien que de son caractère.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je demande à la chambre s'il lui convient de revenir sur cette question.

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Eh bien, nous parlons des professeurs mis à la pension. Quel intérêt le gouvernement peut-il avoir dans cette question, si ce n'est de faire donner un bon enseignement par des hommes capables ?

Le gouvernement en réorganisant l’enseignement a rencontré en fonctions quelques professeurs qui sous certains rapports étaient insuffisants.

Cela s'est vu dans un grand nombre de localités ; les uns avaient acquis des droits au repos par le bénéfice de l'âge ; d'autres étaient insuffisants, parce que l'enseignement devant être plus étendu que dans les établissements où ils avaient fonctionné, ces professeurs auraient exposé quelques branches de l'instruction à péricliter entre leurs mains.

Les mises à la retraite n'ont donc eu d'autre but que l'intérêt de la science, de l'instruction en général. Voilà ce qui a dirigé le gouvernement dans sa conduite, et il n'a du reste autorisé aucune mise hors cadre sans avoir au préalable fait constater de la manière la plus scrupuleuse l'état du professeur qu'il s'agissait d'atteindre.

Le gouvernement, en outre, a observé les règles de la plus stricte économie.

Remarquez que pour les indemnités accordées, ce n'est pas seulement l'Etat qui fait les fonds ; le gouvernement s'est entendu avec les villes pour qu'elles fissent une part du sacrifice nécessaire pour donner aux professeurs démissionnes une retraite supportable, et c'est parce que les choses se passent de commun accord entre le gouvernement et les villes que l'allocation portée au budget n'est que de vingt mille francs.

Ce chiffre par sa modicité répond beaucoup mieux que toutes les observations que je pourrais faire aux critiques que vous venez d'entendre. Je viens maintenant au fait dont a parlé l'honorable M. Osy. Ce fait, je puis parfaitement l'expliquer, et mon honorable prédécesseur l'expliquera tout aussi facilement que moi.

Mais je tiens à le faire, parce que je possède les documents propres à l'éclaircir. Il s'agit tout simplement d'un acte d'humanité.

L'ancien prêtre dont il est question, vivait à Bruges avant les événements de 1830 ; il avait été à la tête du collège de Bruges ; et en même temps il était l'un des professeurs.

M. Dumortier. - Je demande la parole. C'est trop fort !

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - C'est trop fort, soit ! Mais ce n'en est pas moins vrai, et ce qui n'est pas trop fort, c'est que, par un sentiment de charité, on accorde un secours à une personne qui en a besoin. Ce pauvre prêtre est M. Beeckman.

M. Dumortier. - C'est un renégat !

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il est tout ce que vous voudrez. Mais il est homme avant tout ; c'est un pauvre ex-prêtre. Quand on parle au nom de l'humanité, on a le droit d'être écouté.

Ce pauvre prêtre était donc, en 1830, à la lête du collège de Bruges ; il a conservé ses fonctions jusqu'en 1831. S'est-il retiré spontanément ? A-t-il dû se retirer ? Je n'en sais rien. Pendant assez longtemps, il a vécu de ses propres ressources, a publié des ouvrages dont je ne connais pas les titres, des journaux dont je ne connais pas non plus les titres ; il a vécu de ses ressources personnelles, autant qu'il a pu ; il a travaillé ; il a essayé de faire oublier, dans la retraite, des souvenirs de sa vie ecclésiastique qui n'étaient peut-être pas excellents ; cela ne me regarde pas.

Cet ancien professeur, homme de mérite d'ailleurs, se passa de secours tant qu'il put ; mais il se trouva tout à coup dans le plus complet dénuement. Il y a deux ou trois ans, il s'adressa au gouvernement pour obtenir un secours ; c'est une question d'humanité. Parce que cet homme avait eu le malheur de quitter la carrière ecclésiastique, était-ce une raison pour qu'il mourût de faim ? Etait-ce une raison pour que le gouvernement, qui ne pouvait oublier les services qu'il avait rendus autrefois à l'instruction publique, où il s'était fait connaître par des ouvrages estimés, restât sourd au cri de la misère, et ne lui accordât pas un secours de 200 fr. ? En d'autres termes fallait-il refuser un morceau de pain à un malheureux vieillard ?

Je ne sais pas si la chambre blâmera un acte de bienfaisance aussi modique.

Je pense que personne ici ne serait disposé à appuyer une proposition en ce sens. Il eût été plus prudent de n'en point parler.

M. Dumortier. - Je suis vraiment surpris, je dirai plus ; je suis renversé de la révélalion qui vient d'être faite.

Comment ! en Belgique, un homme a consacré vingt ans de sa vie à combattre la révolution et nos institutions, à publier des journaux que je ne qualifierai pas ; c'est à cet homme qu'on vient donner une pension ! C'est inconcevable. Comment ! cet homme est allé si loin que (page 349) si ma mémoire est fidèle, en 1834, la chambre a rejeté du budget une somme qui lui était allouée. Quand, en 1838, il fallut défendre le pays contre la conférence, il se mit à la tête des écrivains qui se liguaient contre la Belgique, pour faire en sorte qu'elle cédât. Voilà l'homme qu'on récompense l On vous dit : Un pauvre prêtre ! Un homme qui, depuis vingt ans, est en désunion avec son église ; une espèce de renégat !

Messieurs, je ne puis concevoir une pareille chose, et je déclare que je demande la radiation du chiffre qui s'y rapporte. Soyons nationaux, soyons patriotes, mais ne venons pas récompenser aux frais de la Belgique ceux qui se sont fait une carrière à écrire contre notre pays, contre nos institutions, contre notre nationalité.

J'attendrai au surplus les révélations qui nous seront faites.

M. Rogier. - Messieurs, encore une fois, je demande pardon à la chambre, si je prends de nouveau la parole. Il y a une sorte de monotonie à entendre toujours les mêmes orateurs ; je ne me dissimule pas l'inconvénient de ma position. Je demande l'indulgence de la chambre.

L'honorable M. Dumortier vient d'annoncer une proposition ; je ne sais pas s'il y donnera suite, j'en doute.

L'honorable M. Osy, de son côté, a reproché, en termes très vifs (à ce que l'on me dit, car je causais avec l'honorable M. de Brouckere quand l'accusation a eu lieu), ii a reproché au précédent ministère d'avoir subsidié une presse immorale, d'avoir accordé des subsides au rédacteur d'un journal socialiste.

Si, messieurs, l'on porte la discussion sur les subsides accordés aux écrivains de la presse, je ne demande pas mieux, pour mon compte, que d'échanger des explications dans cette enceinte avec ceux que la chose concerne. Cependant si l'on ne me provoque pas, je serai très sobre, très réservé dans mes observations. Mais si l'on veut mettre en scène les écrivains de la presse qui ont reçu des subsides, je veux bien suivre mes adversaires sur ce terrain.

De quoi s'agit-il ici, messieurs ? Il s'agit d'un vieux prêtre qui a reçu pendant plusieurs années, je pense, sous l'honorable M. de Theux comme plus tard, un subside en sa qualité d'ancien professeur démissionné après 1830.

Quels étaient les professeurs qui ont été démissionnes en 1830 ? Précisément ceux qui avaient donné des gages de sympathie, des gages d'attachement à l'ancien gouvernement. Cela n'a pas empêché la révolution, qui a été généreuse, d'accorder à ces hommes, non pas des pensions, mais des subsides qui ont figuré chaque année au budget.

Dans ce nombre, en effet, se trouve ce prêtre qu'on a traité ici avec une grande sévérité. Je ne le connais pas ; je n'examine pas s'il mérite les reproches qui lui ont été adressés.

. Ce prêtre a donc reçu un subside pendant plusieurs années.

M. Orban. - C'est inexact.

M. Rogier. - Je répondrai à l'honorable M. Orban que c'est exact. S'il est vrai, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, qu'il avait été rayé par la chambre en 1834...

M. Orban. - Il s'est trompé.

M. Rogier. - Alors il fallait relever l'inexactitude de votre collègue avant de relever la mienne. Ensuite je prie l'honorable M. Orban de ne pas m'interrompre chaque fois que je prends la parole ; cela agace les nerfs.

Messieurs, cet ancien professeur est un prêtre, c'est vrai, il est renseigné sur la liste comme âgé de 61 ans. Il m'a été représenté, car je ne le connais en aucune manière, comme très malheureux, comme étant dans un état misérable. Il y avait sans doute là pour le ministère une immense conquête à faire ! Il paraît que ce prêtre rédige un journal socialiste.

M. Dumortier. - Non ! non !

M. Rogier. - Un journal antinalional, un journal immoral, a-t-on dit. Il y avait là une immense conquête à faire ; il importait au gouvernement d'exercer une haute influence sur ce journal.

Ii a donc corrompu cet écrivain, il lui a accordé un secours de 200 fr., et c'est, messieurs, pour cette misérable somme de'200 fr. que l'on fait comparaître ici et le gouvernement et un ecclésiastique. Je déclare que si j'avais continué à gérer les affaires du département de l'intérieur, j'aurais continué, sans penser commettre une mauvaise action, le secours de 200 fr. à cet ecclésiastique. Que M. Dumortier fasse la proposition de rayer ces 200 fr., libre à lui, mais je ne pense pas que la chambre s'y associe.

Voilà donc, messieurs, la grande révélation qui a été faite ! Le gouvernement fournit chaque année la liste des secours qu'il accorde à d'anciens professeurs, et le nom de ce prêtre figure sur la liste. Voilà comment la découverte a été faite.

Le gouvernement a inscrit le nom de l'ancien professeur démissionné sur la liste qu'il fournit chaque année à la section centrale !

Il y aurait beaucoup de choses à dire, messieurs, sur les subsides accordés à la presse ; c'est un terrain qu'il pourrait être dangereux de parcourir. Quant à moi je ne m'en effraye en aucune manière.

On dit, messieurs, que dans la dernière organisation, le gouvernement a mis à la retraite un grand nombre de professeurs, sans consulter les bureaux administratifs. Cette dernière assertion est complètement inexacte. Je pense d'ailleurs que le gouvernement a fait preuve, dans cette organisation, de la plus grande modération, de la plus grande sobriété en ce qui concerne les mises à la retraite de professeurs ; on en a cité 15, eh bien, parmi ces 15, il en est plusieurs qui ont déjà été replacés, depuis que la liste a été fournie.

Je vois entre autres M... de Liège, M... de Mons, M...et M. . de Bruges. En voilà déjà quatre qui me reviennent à la mémoire et qui ont été replacés. Il en est d'autres qui, par leur âge, avaient droit à la retraite. Je citerai, entre autres, celui qui est à la tête de la liste, c'est un ancien professeur à l'athénée d'Anvers ; M. Osy doit le connaître.

Ainsi, messieurs, il reste dix professeurs au plus, qui jusqu'ici n'ont pas été replacés. Il est impossible d'entrer dans les motifs qui ont engagé le gouvernement à ne pas replacer immédiatement ces professeurs, nous entretions dans des questions de personnes, mais je dis que le gouvernement a fait preuve d’un grand esprit de modération et d’un grand désir de ménager le budget en se bornant à un si petit nombre d'éliminations.

Les nominations nouvelles, ainsi que les nominations anciennes qui ont été confirmées, ont été faites, ainsi que l'a dit hier un honorable membre, avec le plus grand soin. On a pris toute espèce de précautions, toute espèce de renseignements, aussi bien sur le mérite scientifique que sur la moralité de ceux qu'il fallait nommer.

Est-ce à dire que, dans le grand nombre, le gouvernement n'ait pu commettre quelques erreurs ? Je n'en sais rien ; mais toutes les précautions ont été prises pour que les nominations ne laissassent rien à désirer tant sous le rapport scientifique que sous le rapport moral. Vous aurez beau faire, je suis convaincu que vous trouverez très peu à y reprendre. Qu'il me soit permis à ce propos de faire une observation.

D'après ce qui se passe, les établissements d'instruction de l'Etat se trouvent dans une position inégale vis-à-vis des établissements fondés par la liberté, c'csl-à-dirc fondés par le clergé ; car ii est manifeste que la liberté ne fonde pas jusqu'ici d'établissements en Belgique : c'est le clergé d'une part, c'est le gouvernement et les communes de l'autre.

Eh bien, messieurs, qu'arrive-t-il ? La presse, la tribune discutent et contrôlent tout ce qui concerne les établissements de l'Etat ; on attaque les professeurs, on les dénonce, fussent-ils même des pères de famille très respectables.

On dénonce leurs opinions, on les désigne à la sévérité du gouvernement, on les signale comme des hommes immoraux, on trouve que dans les établissements de l'Etat l'enseignement est immoral, incomplet, mal donné, mal surveillé. Voilà comment certains représentants de la nation traitent les établissements fondés et soutenus avec les deniers de la nation. Quant aux établissements qui font concurrence à ceux de l'Etat, ce dont je ne me plains pas, car la concurrence est un bien, ils sont dans une position tout autre ; ceux-là, on n'en dit jamais un mot que pour les louer, personne ne les contrôle, personne ne les critique.

Comment voudrait-on dès lors que les établissements de l'Etat soumis à ce système d'attaques journalières, comment voudrait-on, s'ils n'avaient pas en eux une grande vitalité, qu'ils pussent résister à ces attaques partant du premier corps de la nation ? Cela les place dans une position d'infériorité très marquée, et il faut toute leur bonne constitution pour y résister. On nous cite souvent, messieurs, le régime fondé dans un pays voisin ; mais là les établissements fonids par le clergé sont soumis à la surveillance de l'Etat. Récemment encore un de ces établissements a été visité et examiné trés à fond.

Nous ne pouvons pas, nous, exercer, en quelque sorte, ces représailles. Les établissements de l'Etat sont en butte à toutes les attaques ; on met en cause leur personnel, leur méthode et on n'use pas de réciprocité vis-à vis des établissements concurrents. C'est faire à ceux-ci la position très belle, et il ne serait pas étonnant, je le répète, qu'ils parvinssent à faire un certain tort aux établissements de l'Etat. Puis après avoir ainsi travaillé à leur démolition, l'on viendrait reprocher au gouvernement la désertion de ces établissements !

Rentrant dans la discussion de l'article, je persiste à croire qu'il n'y a pas eu la moindre exagération dans le nombre des professeurs qui n'ont pas trouvé place, dès l'abord, dans la nouvelle organisation. J'en ai cité déjà plusieurs qui ont pu être replacés ; il en reste encore d'autres dont on trouvera moyen, je n'en doute pas, d'utiliser les services. La liste, déjà fort restreinte, diminuera d'année en année et finira par disparaître.

Les soins qui ont été donnés pour le choix du personnel du corps enseignant, ont été également pris pour la nomination de ceux qui sont appelés à diriger et à inspecter cet enseignement. L'on est venu hier traîner à la barre de la chambre un de ces honorables fonctionnaires ; c'est encore là, me semble-t-il, une manière de procéder peu convenable. Il est très difficile de traiter dans cette enceinte des questions de personne. Est-ce trop exiger de la part des adversaires ces établissemenls de l’Etat qu'une certaine retenue dans ces sortes d'attaques ?

Les inspecteurs qui ont été nommés se recommandaient par une longue expérience, par un enseignement qui avait eu beaucoup de succès ; le gouvernement n'a procédé à ces nominations qu'après s'être entouré de toute espèce de renseignements. Il en est un que l'honorable M. Dumortier doit parfaitement connaître.

M. le président. - Je prie M. Rogier de ne pas parler en ce moment des inspecteurs ; il ne s'agit, à l'article 80, que des indemnités aux professeurs démissionnés des athénées et collèges J'ai arrêté tout à l'heure M. Dumortier quand il a voulu parler de l'affaire Wiibaux ; si M. Rogier continue, l'affaire Wiibaux va revenir ; nous n'en finirons pas.

M. Rogier. - M. le président, je me soumets ; je n'en dirai pas davantage.

M. Orban. - (page 350) Messieurs, il ne s'agit pas ici simplement des indemnités à accorder à d'anciens professeurs ; et si nous nous sommes émus de l'emploi qui a été fait de ce crédit, c'est que nous savons qu'un fonds qui avait eu une destination spéciale et respectable, servait à soudoyer la presse et la plus mauvaise presse. Il me suffira, pour justifier mon allégation, de citer le nom de l'ex-abbé Beeckman auquel le subside a été accordé et de dire que cet abbé Beeckman est le rédacteur du journal appeléé « le Franc de Bruges » ; ces deux noms en disent assez pour ceux qui connaissent ce personnage et ce journal.

Maintenant je dis que le subside de 200 fr. accordé à cet individu a été accordé au rédacteur et non pas à l'ancien professeur.

Pour établir ce fait, je dois en rectifier un autre qui a été avancé par l'honorable M. Dumortier et ensuite par l'honorable M. Rogier : c'est que l'individu en question aurait obtenu pendant plusieurs années des subsides du gouvernement avant l'allocation qui lui a été faite en 1852 ; ce fait est complètement inexact, et j'en trouve la preuve dans une lettre écrite par ce même abbé Beeckman, pour se justifier des inculpations dont il avait été l'objet de ce chef. L'ex-abbé Beeckman reconnaît que depuis 21 ans il n'a obtenu aucun secours du gouvernement, et qu'il a fallu que l'honorable M. Rogier arrivât aux affaires pour lui rendre justice en 1852.

Ainsi c'est un principal d'athénee, démissionné à l'époque des événements de 1830, et qui alors n'avait point été jugé digne de prendre une part du fonds spécial porté à cette époque au budget de l'Etat pour indemniser les professeurs sans emploi ; c'est un homme qui depuis lors a ajouté des titres de toute espèce à son indignité, en publiant des écrits dirigés contre son évèque, en rédigeant un journal de l'esprit le plus déplorable à Bruges ; c'est cet homme que l'honorable M. Rogier juge digne en 1852 d'obtenir un subside.

L'honorable M. Rogier vient de dire qu'il ne connaissait pas l'ex-abbé Beeckman ; il a manqué de mémoire ; je puis produire une correspondance qui a eu lieu entre M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, et la cour des comptes, qui prouve que l'ex-abbé Beeckman lui était parfaitement connu. Il faut savoir que la cour des comptes trouvant étrange ce subside tardif de 200 francs donné en 1852 à un professeur dont les titres remontaient à une époque antérieure à 1830, s'est refusée à liquider ce subside par des motifs que vous trouveriez excellents, si je les mettais sous vos yeux ; l'honorable M. Rogier insista et déclara que l'ex-abbé Beeckman avait des titres à sa bienveillance. Ainsi donc l'honorable M. Rogier connaissait le M. Beeckman, et les titres de cet ex-abbé, je viens de les faire connaître à la chambre.

Puisque j'ai la parole et comme j'ai été en quelque sorte provoqué sur le terrain de la presse, je vais faire connaître comment on parvient à subventionner la presse avec les fonds destinés à l'enseignement.

Il existe dans mon arrondissement un journal appelé « l’Agriculteur » ; le rédacteur de ce journal, qui est un artiste vétérinaire du gouvernement, défendait depuis longtemps la thèse qu'il fallait établir un professeur d'agriculture auprès de l'école primaire supérieure de la localité.

L'honorable M. Rogier, qui vraisemblablement ne lisait pas ce journal, mais qui probablement aussi était saisi de réclamations dans le même sens, n'avait pas jugé à propos, et je l'en loue beaucoup, de se rendre à cette invitation : la chaire d'agriculture ne fut pas établie auprès de l'école primaire supérieure de Marche, et le rédacteur du journal ne devint pas professeur d'agriculture.

Mais survint une élection dans le susdit arrondissement ; parmi les candidats, il s'en trouvait un que patronnait le gouvernement et un autre auquel il se montrait très hostile ; vous le croirez sans peine, lorsque je vous dirai que j'étais ce second candidat. Le journal en question, quoique très libéral, se tint neutre entre ma candidature et celle du protégé de M. Rogier. Le motif de cette neutralité, tout le monde la devina. Ce motif n'était autre que le refus du gouvernement de créer la susdite chaire d'agriculture et de nommer le rédacteur du journal titulaire de cette chaire ; huit jours avant les élections, au milieu de l'année scolaire, au mois de juin, le gouvernement nomma l'artiste vétérinaire, rédacteur du journal « l'Agriculteur », aux fonctions de professeur d'agriculture à l'école primaire supérieure de Marche. Le journal combattit le lendemain alors celui des deux candidats que le gouvernement ne patronnait pas et acquitta ainsi la dette qu'il venait de contracter.

Voilà des faits articulés d'une manière bien nette, je pense ; on ne dira pas qu'il y a ici des réticences. Comment est-il possible de justifier l'établissement d'une chaire d'agriculture auprès d'une seule de nos écoles primaires supérieures, au milieu d'une année scolaire, à la veille d'une élection, et comment concevoir qu'on aille nommer à cette chaire d'agriculture, au traitement de 1,200 fr., un artiste vétérinaire du gouvernement, c'est-à-dire un homme qui, par la nature de ses fonctions, est obligé de s'absenter tous les jours, de s'éloigner du siège de l'école ? Voilà les questions que je me permets de poser à l'honorable M. Rogier et auxquelles je serais heureux qu'il répondît d'une manière satisfaisante.

M. le président. - C'est de la discussion générale.

M. Orban. - M. le président, il s'agit de l'emploi des fonds destinés à l'enseignement, et j'ai voulu prouver comment ils étaient employés à soudoyer la presse et à venir en aide au précédent ministère dans les élections.

M. le président. - Il ne s'agit que de l'article 80, « Indemnités aux professeurs des athénées et des collèges. »

M. Rogier. - L'honorable M. Orban vient de soutenir que, bien que j'aie dit, que je ne conuaissais pas le sieur B., je le connaissais ; qu'il en avait la preuve. Je répète que je ne le connais pas, je ne l'ai jamais vu. Je connais son nom par correspondance, on m'a écrit à son sujet ; mais je ne sais pas même si le sieur B. m'a écrit ; il m'a été écrit pour demander un secours pour lui, ce secours lui a été accordé, et la demande a été transmise à la cour des comptes. Voilà tout ce que je connais de cette affaire.

L'honorable M. Orban a ajouté que j'ai disposé des fonds de l'instruction pour encourager un journaliste dans une autre localité de son arrondissement.

Depuis longtemps l'on demandait à l'école de Marche l'adjonction de cours d'agriculture. L'artiste vétérinaire que l'on a cité est un homme capable, je crois ; je ne le connais pas non plus ; il m'avait été recommandé plusieurs fois comme homme capable. La création d'un cours d'agriculture avait été demandée et promise pour l'école de Marche et ce n'était pas une exception. Il existe plusieurs écoles moyennes auxquelles on a promis un cours d'agriculture, et la loi d'enseignement moyen y autorise.

Je ne sache pas que Marche soit si fertile en professeurs d'agriculture qu'il y aurait eu une faveur particulière pour le vétérinaire de cette localité, s'il avait été revêtu de cette fonction, alors qu'il remplissait les conditions voulues.

Il y avait même un moyen de pure économie à utiliser dans la localité même un individu qui, se trouvant sur les lieux, aurait exigé un traitement moins élevé qu'un professeur qu'on aurait fait venir d'une autre localité.

J'ignore au surplus si la nomination dont il s'agit a eu lieu à l'époque qu'on a signalée, je n'en ai pas le moindre souvenir. Mais voici ce que je me rappelle parfaitement. Je me rappelle que les partisans de M. Orban allaient répandant le bruit que le cours d'agriculture qui était promis depuis longtemps à la ville de Marche, ne serait pas fondé ; et les partisans de M. Orban en faisaient un grief au gouvernement. Voilà, pour autant que mes souvenirs soient exacts, ce qui a été dit alors. On invoquait l'absence de ce cours d'agriculture en faveur de la candidature de l'honorable M. Orban contre le ministère.

Je le répète, je ne me souviens pas si la nomination a été faite ; je ne le crois pas ; je le vérifierai. Mais qu'il ait été dit à la ville de Mirche que le cours promis serait créé, c'est possible.

Voilà ce que je puis dire en ce moment sur ce fait particulier. Je persiste à déclarer à la chambre que si l'on veut une discussion complète sur l'intervention du gouvernement dans la presse et sur les subsides qui ont été accordés à des écrivains-journalistes, je suis prêt à accepter la discussion dans toutes ses conséquences.

M. de Mérode. - Je demande la parole.

M. le président. - Vous avez la parole sur l'article 80 seulement.

M. de Mérode. - Je voudrais répondre à ce que M. Rogier vient de dire.

M. le président. - M. Orban est sorti quelque peu de l'article en discussion ; M. Rogier a bien dû lui répondre ; rentrons maintenant et restons dans la discussion de l'article.

M. de Mérode. - Lorsqu'on émet certains principes, il faudrait avoir le droit de s'expliquer sur ces principes. Au reste, je n'ai qu'un mot à dire.

M. le président. - Vous avez la parole sur l'article 80. Mais je ne puis laisser continuer une discussion générale. J'ai dû donner la parole à M. Rogier pour répondre à M. Orban ; on doit en rester là et ne plus s'occuper que de l'article en discussion.

M. Rogier. - Je demande à ajouter un mot. Je déclare à la chambre que le gouvernement n'a subsidié que des journaux s'occupant d'agriculture, et à la condition expresse, formelle qu'ils ne se mêlassent pas de politique, ni pour ni contre le gouvernement.

Voilà un fait positif, et un de ces journaux qui recevait un subside s'étant occupé de politique, le subside lui a été retiré.

M. Orban. - Le journal « l'Agriculteur » n'est pas un journal d'agriculture : c'est un journal politique qui s'appelle « l'Agriculteur ». Le subside qui lui est accordé par le gouvernement consiste en une rente de douze cents francs, inscrite au budget en faveur de son rédacteur.

M. Dumortier. - J'ai pris la parole tantôt à l'occasion d'un fait excessivement grave ; j'ai fait connaître à la chambre quel était l'homme auquel ce subside a été accordé sur le budget en faveur d'anciens professeurs. Mon honorable ami, M. Orban, est entré dans de nouveaux détails à ce sujet, et j'ai appris que la cour des comptes avait refusé le payement de la somme demandée ; cela me suffit.

M. Osy. - Elle a fini par y consentir.

M. Dumortier. - Elle prendra en considération ce que nous disons et il est hors de doute que la flétrissure de cette discussion suffira pour qu'on ne fasse plus de pareils abus à l'avenir, pour que l'on ne porte plus de subsides au budget de l'Etat en faveur d'hommes qui ont écrit contre tout ce qu'il y a de plus sacré en Belgique. Nous avons un devoir à remplir, j'aime mieux en laisser l'initiative au gouvernement.

Il s'agit d'une faveur envers un homme qui n'en est pas digne et je pense, que par suite de cette déclaration notre devoir est rempli. Si un pareil abus se reproduisait, nous ne manquerions pas à un devoir. J'attends de la chambre, de son patriotisme, qu'elle supprime le crédit accordé à des gens qui ont écrit contre la nationalité.

(page 351) M. Rogier. - Je proteste contre une pareille accusation. On m'a représenté comme ayant subsidié la presse, parce que j'aurais accordé une simple somme de deux cents francs à un vieillard !

La chambre décidera ce qu'elle voudra l'année prochaine ; quant à la cour des comptes, elle n'a rien à voir dans cette question, ce professeur est dans la même position que les autres professeurs démissionnés. De ce qu'il n'a pas fait valoir ses droits plus tôt, ce n'est pas une raison pour qu'à l'âge de 61 ans on ne le place pas sur la même ligne que les autres.

En définitive on lui a fait une aumône de 200 fr., et c'est pour une aumône de 200 fr. qu'on m'accuse de corruption envers la presse.

Ce vieillard ne m'a rien promis, tandis que j'ai entre les mains des offres, des promesses de concours. Si l'on approfondit cette question, je répondrai, je prouverai que tandis que ce vieillard ne m'a rien promis, des subsides ont été donnés à des hommes qui ont promis leur concours et ont signé en qualité de journalistes.

- La discussion est close.

L'article 80 est mis aux voix et adopté.

Article 80bis (nouveau)

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur propose de distraire de l'article 83 une somme de 8 mille francs, pour encouragement et achat de livres destinés à l'enseignement moyen.

L'article 80bis serait ainsi libellé :

« Art. 80bis. Souscription à des ouvrages classiques : fr. 8,000. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - L'explication de cette proposition est fort simple : l'enseignement moyen a besoin d'ouvrages spéciaux, et il faut en encourager la publication. Le conseil de perfectionnement a exprimé le désir qu'on encourageât ces publications, la bonté des études dépendant des livres mis dans les mains de la jeunesse. Pour répondre à ce désir, je propose d'emprunter à un article général de l'enseignement primaire une somme de 8,000 fr. pour une destination spéciale.

La demande est d'autant plus juste que l'enseignement moyen n'ayant aucune allocation sur laquelle on puisse imputer des encouragements pour la publication d'ouvrages classiques, il y a lieu de répartir la somme affectée à l'enseignement primaire entre les deux enseignements. Cette division est toute naturelle. Cela diminuera d'autant le chiffre de l'enseignement primaire.

M. de Mérode. - J'ai une observation à faire sur les livres nouveaux. On abandonne les livres anciens pour des livres nouveaux. Je vois des grammaires compliquées qui ont retourné toutes les nomenclatures des anciennes grammaires ; on prétend qu'elles sont meilleures, cependant on n'écrit pas mieux aujourd'hui qu'il y a trente ou quarante ans.

Parmi ces livres prétendument perfectionnés, il y en a beaucoup qui ne cherchent qu'à rendre l'instruction plus difficile. Je recommande cetle observation à M. le ministre de l'intérieur pour en faire l'usage qu'il jugera à propos.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'en prends note.

- L'article 80bis est mis aux voix et adopté.

Chapitre XVII. Enseignement primaire

Discussion générale

M. Matthieu. - Messieurs, si je prends la parole à l'occasion du crédit proposé pour l'instruction primaire, ce n'est pas dans l'intention d’en combattre le chiffre ; mon but est de soumettre à l’appréciation sérieuse de la chambre certains faits posés dans l’exécution de la loi organique du 23 septembre 1842, faits qui, sous prétexte d’interprétation, faissent la lettre et l’esprit de la loi et en détruisent l’économie, faits qui portent une atteinte grave aux prérogatives communales et provinciales.

Je vais avoir l'honneur de vous exposer brièvement ces faits.

Au commencement de cette année, 73 communes de la province de Hainaut, dont quatre : Enghien, Lessines, Soignies et Braine-le-Comte font partie de l'arrondissement que j'ai l'honneur de représenter dans cette chambre, 73 communes, dis-je, malgré leur résistance légitime, fondée sur le texte formel de la loi, malgré la résistance non moins énergique de la députation permanente du conseil provincial, ont dû subir, par inscription d'office à leur budget, une aggravation considérable de charge pour les dépenses de l'instruction primaire.

Cette mesure a été exécutée en vertu d'un arrêté royal du 24 janvier 1852, elle a eu pour effet immédiat la perturbation dans l'état financier de ces communes et de leur créer pour l'avenir une situation anormale en dehors de la loi.

Pour ne pas sortir de l'ordre des faits qui sont à ma connaissance personnelle comme conseiller communal, je me réserve de spécifier tout à l'heure les faits particuliers qui concernent Enghien, et je ne m'appliquerai, quant à présent, qu'à combattre les moyens de l'interprétation

Qu'il me soit permis, avant tout, de vous donner lecture de l'arrêté du 24 janvier :

« Léopold, etc.

« Vu l'article 20 et les paragraphes 2 et 3 de l'article 23 de la loi du 23 septembre 1842 [Bulletin officiel, n°83), ainsi conçus :

« Art. 20. Les frais de l'instruction primaire sont à la charge des communes. La somme nécessaire à cet objet sera portée annuellement au budget communal parmi les dépenses obligatoires dont il est parlé à l'article 131 de la loi communale.

« Art. 23, § 1er. A défaut de fondations, donations ou legs qui assurent un local et un traitement à l'instituteur, le conseil communal y pourvoira, au moyen d'une allocation sur son budget.

« § 2. L'intervention de la province, à l'aide de subsides, n'est obligatoire que lorsqu'il est constaté que l'allocation de la commune en faveur de l'instruction primaire égale le produit de 2 centimes additionnels au principal des contributions directes, sans toutefois que cette allocation puisse être inférieure au crédit voté pour cet objet au budget communal de 1842.

« § 3. L'intervention de l'Etat, à l'aide de subsides, n'est obligatoire que lorsqu'il est constaté que la commune a satisfait à la condition précédente, et que l'allocation provinciale en faveur de l'enseignement primaire égale le produit de 2 centimes additionnels au principal des contributions directes, sans toutefois que ladite allocation puisse être inférieure an crédit voté pour cet objet au budget provincial de 1842. »

Considérant qu'aux termes de l'article 90 prérappelé, les frais de l'instruction primaire constituent une charge essentiellement communale, et que l'article 23, dont les deuxième et troisième paragraphes établissent des règles à suivre dans un cas exceptionnel, celui où les ressources locales seraient insuffisantes pour subvenir aux dépenses, doit être entendu en ce sens que les communes pauvres, seules, sont libérées de leurs obligations et peuvent réclamer des subsides de la province ou de l'Etat, après qu'elles ont voté une somme au moins égale au produit de 2 centimes additionnels au principal des contributions directes sans être inférieure aux crédits de 1842.

Considérant que, deux fois, à l'occasion du budget du département de l'intérieur, la chambre des représentants a été appelée à se prononcer sur cette interprétation, et qu'elle l'a approuvée, du moins implicitement, en ne votant que les sommes strictement nécessaires pour suppléer, conjointement avec les provinces, à l'insuffisance des ressources locales applicables à l'instruction primaire ;

Considérant que le vote de la chambre des représentants a été ratifié par les deux autres branches du pouvoir législatif ;

Considérant que, pour l'exercice 1851, un certain nombre de communes de la province de Hainaut ont affecté aux besoins du service ordinaire des écoles primaires, des sommes insuffisantes et nullement en rapport avec leurs ressources financières ;

Vu l'article 133 de la loi du 30 mars 1836 (Bulletin officiel, n°136), ainsi conçu :

« Art. 133. Dans tous les cas où les conseils communaux chercheraient à éluder le payement des dépenses obligatoires que la loi met à leur charge, en refusant leur allocation, en tout ou en partie, la députation permanente du conseil provincial, après avoir entendu le conseil communal, portera d'office la dépense au budget dans la proporiion du besoin.

« Le conseil pourra réclamer auprès du Roi, s'il se croit lésé.

« Si le conseil communal alloue la dépense et que la députalion permanente la rejette ou la réduise, ou si la députalion, d'accord avec le conseil commmunal, se refuse à l'allocation ou n'alloue qu'une somme insuffisante, il y sera statué par un arrêté royal. »

Considérant que la députalion permanente du conseil provincial du Hainaut, d'accord avec les communes, a refusé d'augmenter d'office, et dans une juste proporiion, les allocations communales en faveur de l'instruction primaire.

Vu les pourvois formés par le gouverneur de la même province, à l'effet de faire augmenter par Nous les allocations de soixante et treize communes ;

Faisant application du dernier paragraphe de l'article 133 précité de la loi du 30 mars 1836, et sur la proposition de notre ministre de l'intérieur,

Nous avons arrêté et arrêtons :

Art. 1er. Les allocations que les soixante et treize communes de la province de Hainaut, désignées dans la troisième colonne du tableau ci-annexé, ont affectées au service ordinaire de l'instruction primaire, pour 1851, sont augmentées et portées aux chiffres indiqués dans la quatrième colonne du même tableau.

Art. 2. Notre ministre rie l'iutérieur est chargé de l'exécution du présent arrêté.

Je vais m "attacher à prouver que l'interprétation qu'on veut faire prévaloir n'est fondée ni en fait, ni en droit.

Le point culminant de tout le système interprétatif repose, sur la déclaration inscrite dans l'article 20 que les frais relatifs à l'instruction primaire sont une charge communale. D'où l'on tire la conséquence que les communes pauvres ont seules le droit de réclamer des subsides à la province et à l'Etat, après qu'elles ont rempli l'obligation légale, et qu’il est constaté que les ressources financières de la commune sont insuffisantes pour couvrir le reste de la dépense.

Cette conséquence pourrait être logique si les dispositions de l'article 23 n'existaient pas, s'il n'y avait pas entre les articles 20 et 23 une corrélation directe, intime, qui les fait le complément obligé l'un de l’auvre et qui résume tout le système des obligations financières résultant de la loi ; mais en présence des dispositions si positives de l'article 23, cette conséquence est un contresens, puisque l'article 23 délermine d'une manière claire la part d'intervention qu'il entend imposer à la commune. Cette part d'intervention, il la fixe au produit de 2 c. additionnels aux (page 352) contributions directes, il fait une exception pour les communes qui, antérieurement à l'introduction de la loi, avaient, à leur budget de 1842, des sommes supérieures à celles que la loi aurait exigées d'elles.

Ces termes sont clairs, précis, absolus ; je vous prie de le remarquer, messieurs, cet article ne contient aucune réserve ; il n'établit aucune distinction de catégories entre les communes pauvres et les communes riches ; il ne subordonne les subsides de la province et de l'Etat à aucune condition, puisée dans l'état financier de la commune, plus ou moins satisfaisant, plus ou moins précaire.

Il est donc évident qu'aprè's que la commune a rempli l'une ou l'autre des conditions imposées par la loi selon la position particulière qui lui est faite, elle est libérée de toute charge ultérieure ; ce qui le prouve c'est que dès lors la loi prescrit l'intervention non pas facultative mais obligatoire de la province.

Admettre toute autre interprétation ce serait réduire l'article 23 à un non-sens. Ce serait livrer l'exécution de la loi à un arbitraire indéfini.

Du reste, ce n'est pas la première fois que cette question est soulevée dans cette enceinte. Une discussion s'est produite sur le même sujet, notamment à la séance du 5 décembre 1850, à l'occasion, je pense, d'une pétition de la ville de Malines, qui, elle aussi, venait réclamer contre une surtaxe qui lui avait été imposée dans les frais de l'instruction primaire.

L'honorable M. Van den Branden de Reeth, dans un discours remarquable, a fait ressortir le vrai sens de la loi, et particulièrement de l'article 23 ; il l'a fait avec d'autant plus de conviction qu'il est venu citer des explications et des exemples donnés par l'honorable auteur de la loi, en réponse à des interpellations que d'honorables membres de cette chambre lui adressaient pour fixer la portée et l'application de ce même article 23.

L'honorable M. Lelièvre, avec l'énergie de sa logique et l'autorité d'un jurisconsulte distingué, est venu également combattre l'interprétation du gouvernement et prouver l'inanité des motifs sur lesquels elle s'étayait.

L'honorable M. Rogier, dans sa réponse, s'est particulièrement préoccupé de deux choses : la première, de défendre envers et contre la loi, son interprétation ; la seconde, d'éveiller les craintes de cette honorable assemblée sur les conséquences à résulter pour l'Etat, si cette interprétation ne prévalait pas.

Toutefois l'honorable M. Rogier a reconnu qu'il peut y avoir des doutes, que cette question peut donner matière à discussion. Mais il engage fortement la chambre à comprendre la loi dans un sens raisonnable, et ce sens raisonnable, c'est l'interprétation qu'il veut faire prévaloir.

L'honorable Rogier conclut de cette manière : si cette interprétation n'était pas admise par la chambre, le crédit de l'instruction primaire devrait être augmenté de 500,000 fr.

Mais, messieurs, ce n'était qu'un épouvantait et il me sera facile d'en donner la preuve. J'ai sous les yeux le tableau joint à l'arrêté royal qui a été exécuté pour 73 communes du liainaut, et la somme des aggravations de charge pour ces 73 communes s'élève à 6,700 fr. Cependant la plupart de ces localités figurent parmi les communes rurales les plus considérables de la province ; il s'y trouve, en outre, cinq villes de troisième et de quatrième rang.

Etait-il donc bien nécessaire de déployer ce luxe de rigueur contre ces communes, et de froisser profondément le sentiment des prérogatives communales, pour une économie mesquine en comparaison des prodigalites dont le tableau nous a été naguère déroulé, et qui ont été faites souvent pour des causes assez futiles ?

Messieurs, la discussion incidentel qui a eu lieu n'a pas été suivie d'un vote, et il ne pouvait en sortir d'une discussion où la chambre n'était saisie d'aucune proposition.

Toutefois l'honorable M. Rogier ne s'en est moins prévalu de cette discussion, ainsi que l'établit un des considérants que j'ai eu l'honneur de lire à la chambre, comme d'une adhésion au moins implicite, et cette adhésion implicite a été le signal d'une campagne interprétative contre la province de Hainaut. Je sais qu'en certaines circonstances il est proverbial de dire que le silence équivaut à une adhésion. Mais je ne comprendrais pas qu'il en fût ainsi dans une circonstance aussi importante, lorsqu'il s'agit de substituer une loi d'application à celle que vous avez votée.

Je crois avoir prouvé, messieurs, que l'interprétation qui a prévalu, dans la pratique, est en opposition directe avec le texte de la loi. Je vais maintenant prouver que le fait posé est lui-même en opposition avec les bases de l'interprétation, au moins en ce qui concerne la ville d'Enghien.

La ville d'Enghien, messieurs, avait organisé l'enseignement primaire plus de trente ans avant l'introduction de la loi. Elle l'avait fait dans des temps plus prospères et elle y avait consacré des sacrifices assez notables. En 1842, la somme supportée par cette ville pour l'instruction primaire s'élevait à 1,757 fr. et des centimes. En outre, le bureau de bienfaisance payait un subside de 300 fr.

La somme de 1,757 fr. représente à très peu de chose près le produit de 8 centimes additionnels. La part d'intervention de la commune était donc quatre fois plus forte que celle des communes qui sont demeurées dans le droit commun de la loi.

En vertu de l'arrêté du 24 janvier, on a inscrit d'office au budget de la ville d'Enghien, pour 1851, une somme de 200 francs, et pour 1852, de 209 fr. La somme payée par le bureau de bienfaisance a aussi été augmentée de 100 fr., pour le bon plaisir de qui ? Je n'en sais rien ; mais je suis certain que ce n'est pas pour celui du bureau de bienfaisance. Car pour peu que ce cadre s'élargisse, on verra les pauvres supporter une forte part de l'instruction gratuite ; on verra échanger le pain matériel contre le pain intellectuel.

Messieurs, vous avez entendu qu'au nombre des considérants, il en est un qui s'exprime en ces termes :

« Considérant que, pour l'exercice 1851, un certain nombre de communes de la province de Hainaut ont affecté aux besoins du service ordinaire des écoles primaires des sommes insuffisantes et nullement en rapport avec leurs ressources financières. »

Je vous avouerai, messieurs, que je ne comprends guère ce qu'on entend par somme « insuffisante » en pareil cas ; à mon avis toute somme est suffisante lorsqu'elle remplit l'obligation de la loi.

Mais, surtout à cause de la position exceptionnelle qui a été faite à la ville d'Enghien, par le maintien obligé de son allocation de 1842, une somme qui représente 8 centimes additionnels devait être considérée comme bien suffisante. Mais, dira-t-on, elle n'était pas en rapport avec les ressources financières eic la commune. Sans douie que l'honorable M. Rogier se sera assuré des ressources de la commune d'Enghien ; probablement que ses renseignements étaient bien inexacts ; je vais, messieurs, rétablir les faits.

La ville d'Enghien a des ressources tellement précaires qu'à l'heure qu'il est, elle est en instance auprès du département de l'intérieur pour obtenir l'autorisation d'imposer aux habitants une nouvelle contribution de cinq centimes additionnels, tant sur la contribution foncière que sur la contribution personnelle. Le conseil communal a été forcé à cette dure nécessité, d'une part à cause de l'aggravation de charges relatives à l'instruction primaire qui lui a été imposée par l'arrêté du 24 janvier, et d'autre part par la décadence successive de quelques branches aléatoires des revenus communaux.

Ces faits, messieurs, sont consignés dans une pétition de l'administration communale d'Enghien dont la chambre a été saisie et sur laquelle un rapport vous a été fait, dans une des dernières séances, au nom de la commission des pétitions. Vous avez ordonné, messieurs, que cette pétition serait déposée sur le bureau pendant la discussion du budget dont nous nous occupons en ce moment, et qu'elle serait ensuite renvoyée à M. le ministre de l'intérieur.

Je demande pardon à la chambre des détails minutieux dans lesquels j'ai dû entrer pour établir mon argumentation, mais je la prie de remarquer ejue la question de chiffres s'efface complètement devant la question de principe ; car il s'agit ici de l'interprétation d'une loi d'une immense portée.

L'honorable M. Rogier a reconnu lui-même qu'il pouvait y avoir des doutes et matière à discussion. N’est-il pas du devoir du gouvernement de saisir la chambre d’une proposition d’interprétation ; afin que sa marche fût régulièrement tracée dans la position faite par l’interprétation de la loi ? Il n’y a plus de limite légale, il n’y a plus d’arbitraire.

Mon intention avait été d'abord de déposer une proposition formelle afin de provoquer un vote de la chambre sur l'interprétation que j'ai combattue. Mais la composition actuelle du ministère me rassure complètement ; je me contenterai de faire appel à la justice éclairée de M. le ministre de l’intérieur et je le ferai avec d’autant plus de confiance qu’il s’est toujours montré le défenseur énergique des prérogatives communales.

M. Orban. - M. le ministre de l'intérieur, dans un remarquable discours qu'il a prononcé il y a quelques jours, a proclame bien haut que le principe de l'instruction religieuse à donner dans les écoles primaires serait respecté par lui, et il a donné aussi une consécration nouvelle à la loi de 1842.

Nous devons donc désormais considérer ce grand principe comme étant hors de discussion. Malheureusement, en fait une grande partie de nos écoles primaires se trouvent, en ce moment, privées de toute instruction religieuse.

Ce fait, messieurs, cslune conséquence de la loi de 1850 et de l'application qui en a été faite, qui a penuis de verser dans les écoles moyennes une grande partie de la population des écoles primaires.

Vous savez, en effet, messieurs, qu'une disposition de cette loi permet d'annexer aux écoles moyennes une section préparatoire où l'on donne l'enseignement primaire. Je me permettrai de vous donner communication d'une lettre qui m'est adressée sur ce fait si grave et qui se présente avec tant d'opportunité dans cette discussion ; elle est d'un respectable ecclésiastique inspecteur des écoles ; voici comment elle est conçue :

« Monsieur,

« L'importance de la discussion qui vient de s'ouvrir à la chambre des représentants m'engage à vous signaler un fait qui est de nature à rendre plus saillants les vices de la loi du 1er juin 1850.

« L'article 27 stipule que là où le besoin s'en fera sentir, il pourra être annexé à l'école moyenne une section préparatoire dans laquelle seront enseignées les matières attribuées aux écoles primaires.

« Or, voici, monsieur, comment cet article esl exécuté : Nous avions ici une excellente école primaire de garçons, tenue par un instituteur jouissant de la confiance générale et remplissant ses devoirs avec autant de zèle que de succès.

« Malgré cela, une section préparatoire a été annexée à l'école moyenne (page 353) de cette ville, et l'on y a fait entrer, bon gré malgré, tous les élèves payants de l'école communale, depuis l'âge de six ans, en sorte qu'il n'est resté d'école primaire que pour les enfants pauvres qui y sont admis gratuitement.

« Vous comprendrez facilement, monsieur, les conséquences funestes d'une pareille mesure. Elle a eu pour résultat de soustraire au régime de la loi de 1842 l'école primaire payante des garçons, laquelle fait partie désormais de l'école moyenne, et de priver totalement d'instruction religieuse de malheureux enfants de six ans, dès que leurs parents sont assez à l'aise pour payer la rétribution d'un franc par mois.

« J'ignore, monsieur, si la même chose a eu lieu ailleurs, et si le même esprit a présidé partout à l'exécution de la loi. Mais si l'adjonction des sections préparatoires est destinée à soustraire à l'influence religieuse des enfants de six à dix ans, comme cela a lieu dans cette localité, le fait vous paraîtra peut-être assez grave pour être signalé à l'attention de la législature. »

Il me semble, messieurs, que ce fait est d'une très haute gravité : soustraire à toute espèce d'instruction religieuse des enfants de six ans, créer pour cette classe d'élèves une école où le prêtre ne paraît jamais, c'est là sans doute un fait de la plus haute importance et qui mérite d'appeler toute votre sollicitude et celle de M. le ministre de l'intérieur.

Comment porter remède à cet état de choses ? Je l'ignore, car le vice est en grande partie dans la loi du 1er juin 1850 ; cette loi qui a déjà servi en grande partie à modifier la loi sur l'instruction primaire et à la mettre en harmonie avec la loi sur l'instruction moyenne, en ce qui concerne l'absence d'éducation religieuse.

Je le répète, j'ignore comment il pourra être porté remède à cet état de choses ; je m'en rapporte à cet égard à la sollicitude de M. le ministre de l'intérieur, à ses bonnes intentions auxquelles je rends hommage. Je lui indiquerai, cependant, plusieurs moyens qui pourraient peut-être être employés.

En premier lieu, il faudrait se montrer plus circonspect qu'on ne l'a été, pour adjoindre des sections préparatoires aux écoles moyennes dans les localités où existaient des écoles primaires remplissant les conditions voulues. En second lieu, il y aurait là pour M. le ministre de l'intérieur un motif de plus pour se hâter de traiter avec les chefs du clergé, afin d'introduire dans ces écoles l'instruction religieuse. Peut-être même serait-il possible d'entamer une négociation spéciale, en ce qui concerne celle catégorie d'écoles, et je ne doute nullement qu'eu égard à la gravité de la question, une pareille négociation n'aboutit a un prompt résultat : aucune considération ne peut en effet arrêter, quand il s'agit de remédier à un état de choses aussi déplorable et à soustraire des jeunes gens sortant à peine de l'enfance aux dangers d'une instruction complètement séparée de l'enseignement religieux.

M. de Brouckere. - Messieurs, en réponse à une observation faite par l'honorable préopinant, je ferai remarquer simplement que, quant à moi, je ne trouve pas la loi de 1850 inconciliable avec la loi de 1842.

En ce qui concerne l'objet spécial en discussion, je dirai que ce n'est pas la première fois qu'on est venu établir devant la chambre que la loi de 1842, dans les dispositions des articles 20 et 23, n'était pas exécutée.

Il n'y a pas ici lieu à interprétation : il y a des textes tellement clairs qu'ils ne sont pas susceptibles d'interprétation.

La chambre a compris depuis bien des années que la loi sur l'instruction primaire, telle qu'elle était, n'était pas exécutable ; mais la chambre s'est trouvée en proie à des préoccupations étrangères à l'objet des articles 20 et 23.

On craignait que si on touchait à une partie de la loi, on en prendrait prétexte pour toucher à une autre partie de la loi. Aujourd'hui, on peut être à l'abri de cette préoccupation.

Je déclare sincèrement que si l'on voulait toucher aux articles 6 et suivants de la loi, je me séparerais du ministère qui ferait une pareille proposition.

Il faut donc nécessairement changer le texte des articles 20 et 23 et les mettre en rapport l'un avec l'autre.

L'article 20 est fort sagement conçu. Faire de l'instruction primaire une charge presque exclusivement communale, c'est le principe, on l'a appliqué ; mais malheureusement en l'appliquant, on a toujours fait abstraction de l'article 23.

Le ministre qui a été l'auteur de cette loi n'était pas calculateur : il s'est trompé, il faut dire les choses comme elles sont, il a cru qu'en mettant 2 p. c, à la charge des communes et éventuellement autant à la charge des provinces, l'Etat aurait très peu de chose à supporter, cette préoccupation était fausse.

Dans le principe, on a appliqué la loi d'après le texte même, et qu'est-il arrivé ? C'est que les communes les mieux avisées, les plus pressées à organiser leur instruction primaire, ont tout de suite couru aux subsides ; elles ont même fait plus : elles ont augmenté les appointements de leurs instituteurs, dans la prévision qu'elles obtiendraient un subside. En augmentant ces dépenses elles se disaient : « Qu'est-ce que cela vous importe ? L'Etat et la province vont payer. » Je pourrais citer des exemples. Eh bien ! l’Etat et la province ont payé.

Quant aux communes qui s'étaient moins pressées, qui n'avaient pas encore tout organisé, elles sont venues trop tard, on leur a répondu : « Nous donnons déjà une somme de.....pour l'instruction primaire ; nous ne pouvons pas donner davantage. »

J'en demande pardon à l'honorable M. Matthieu, mais ce n'est pas avee deux cent mille francs et même avec un million que l'Etat parviendrait à parfaire son contingent dans les dépenses de l'instruction primaire.

Remarquez que si le texte de la loi doit rester tel qu'il est et s'il devient obligatoire pour le gouvernement, les communes, n'ayant jamais que 2 p. c. à payer, n'ont plus aucun intérêt à introduire l'économie dans les dépenses de l'instruction primaire, il aurait fallu consacrer le principe contraire et dire : « La province payera telle somme, l'Etat payera telle somme, et les communes feront le reste. »

Je le répète, les sacrifices nouveaux que l'Etat aurait à s'imposer seraient considérables ; ainsi, la seule commune de Bruxelles aurait droit, aux termes de la loi, à un subside de 40,000 francs sur les fonds de l'Etat.

Il y a contradiction flagrante entre l'article 20 et l'art. 23. Le ministre qui succéda immédiatement à M. Nothomb a forcé le texte de la loi, il l'a dénaturé complètement ; je sais que l'esprit vivifie et que la lettre tue. Mais ici la lettre est tellement claire, qu'il n'y a pas matière à interprétation. Je dis que vouloir interpréter ici la loi, c'est la tourner. Or, il ne faut pas donner au gouvernement le pouvoir de violer, de tourner une loi : ce serait ouvrir la porte à ious les abus.

Je prie, en conséquence, M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien examiner les deux articles 20 et 23 de la loi sur l'instruction primaire, et de soumettre à la chambre un projet de loi pour mettre ces deux articles en concordance. S'il n'en était pas ainsi, le gouvernement serait toujours forcé, il faut bien en convenir, de violer la loi ; or, un gouvernement qui peut violer une loi, peut les violer toutes. J'ai dit.

M. Le Hon. - Messieurs, la question qui vient d'être soulevéee est en effet très grave, comme l'a fait remarquer l'honorable préopinant ; car elle donne lieu à un conflit sérieux entre soixante et treize communes du Hainaut soutenues par la députation permanente, d'une part ; et le gouvernement, d'autre part : et pourtant, je dois le dire, le doute ne me semble pas possible ni sur le sens, ni sur l'esprit de la loi de 1842, quant à la mesure des charges imposées à la commune pour l'instruction primaire.

Si l'on prétend que l'article 20 met les frais de cette instruction à charge des communes, celles-ci répondent que l'article 23 assigne à cette obligation des proportions et des limites combinées avec le concours successif de la province et de l'Etat.

Que porte, en effet, l'article 23 ? Il institue le concours de la commune, de la province et de l'Etat.

Le conseil conmunal pourvoit à ce service au moyen d'une allocation sur son budget, aussi longtemps que cette allocation n'est pas égale au produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, ou au crédit voté pour l'instruction primaire en 1842, si le chiffre en était supérieur à ce produit, la commune seule est obligée. L'intervention de la province, à l'aide de subsides, devient obligatoire lorsque l'égalité entre l’allocation communale et le produit des deux centimes additionnels est constatée.

A son tour, l'Etal est tenu d'intervenir à l'aide de subsides, lorsqu'il est prouvé que de même que l'allocation de la commune, celle de la province égale le produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes ou le crédit porté au budget de 1844, s'il était supérieur.

Cette combinaison d'engagements subordonnés est parfaitement claire, précise, sans aucune ambiguïté possible. L'article 23 explique l'article 20 en ce sens que le sacrifice de la commune ne doit pas excéder celui qu'elle faisait en 1842, ou, au minimum, le produit des deux centimes additionnels : puis vient un contingent proportionnel de la province ; puis, après justification des deux précédents, arrivent les subsides obligatoires de l'Etat pour combler le déficit.

Bien évidemment, il y a là des limites formellement posées à l'intervention de la commune, comme à celle de la province, dans les frais de l'instruction primaire.

Je vais plus loin : l'arrêté royal du 24 janvier dernier, qui frappe soixante et treize communes dans leurs ressources, au-delà de la seule contribution obligatoire qui résulte pour elles de la loi de 1842 ; cet arrêté aurait des conséquences plus étendues et plus graves que le gouvernement ne l'a prévu : car, si l'Etat peut refuser tout subside jusqu'à ce que la commune ait affecté à l'enseignement primaire toute la partie de ses ressources qui n'est pas absorbée par ses dépenses obligatoires, la province, de son côté, peut, en ce qui la concerne, opposer le même refus.

Il en résulterait la destruction complète de l'économie de l'article 23, et un état de choses dans lequel, au mépris de la disposition la plus précise d'une loi, des communes pourraient supporter seules les frais de leur enseignement primaire.

Or ici, je ne partage pas complètement l'avis de l'honorable préopinant : je pense, que si l'instruction publique est un de ces intérêts généraux de la société belge qui dominent et absorbent les intérêts de localité, l'enseignement primaire offre plus qu'aucun autre cet intérêt éminemment social et, c'est là, selon moi, que le législateur a puisé le principe de l'intervention combinée de la commune, de la province et de l'Etat. Refléchissez d'ailleurs que l'école primaire est la seule que fréquente la grande majorité des enfants des familles pauvres et qu’ils y reçoivent le seul enseignement qui puisse leur former le sentiment moral et religieux.

(page 354) Il y a là quelque chose qui dépasse les devoirs et l'intérêt exclusif de la commune : c'est de l'intérêt général dans son acception politique et sociale le plus élevée.

A ce point de vue, le seul vrai, selon moi, le nouvel enseignement primaire, organisé par la loi de 1842, pour répondre aux besoins plus étendus de la société moderne, impose à l'Etat une intervention nécessaire dans les charges, comme il lui attribue des droits de haute surveillance et d'inspection constante sur toutes les parties de cette institution.

Mes observations portent, du reste, sur ce point que le mode adopté par le gouvernement pour échapper aux conséquences de l'application de la loi, est d'une souveraine injustice. Un gouvernement ne peut pas plus qu'un simple citoyen alléguer qu'il ne remplit pas un engagement incontestable parce que cela lui coûterait trop cher. Il doit recourir au législateur, s'il trouve que la loi doive être réformée : c'est dans le but d'obliger le pouvoir à proposer une modification juste et raisonnable, que la chambre doit tenir à l'exécution fidèle de la loi de 1842 et de son article 23, aussi longtemps qu'elle n'aura pas reçu de modifications régulières et législatives.

Je ne comprends pas qu'on laisse subsister la loi telle qu'elle est et qu'on la viole sciemment dans la crainte de ses conséquences financières. J'appelle donc sur cette question et sur les considérations que je viens de vous soumettre, la plus sérieuse attention de la chambre et du gouvernement.

M. A. Vandenpeereboom. - Je viens appuyer les observations présentées par les honorables préopinants ; comme eux, je crois que le texte des articles 20 et 23 de la loi du 23 seplembre 1842 est clair, que les discussions qui ont eu lieu à l'occasion de l'adoption de ces articles en rendent le sens beaucoup plus clair encore.

Je crois enfin qu'il est très clair aussi que la loi a été violée de la manière la plus flagrante. On vous a donné lecture du texte des articles 20 et 23, et les honorables orateurs qui m'ont précédé vous ont fait comprendre que le texte de ces dispositions législatives ne permet aucun doute pour faire saisir quelle a été l'intention de l'auteur de la loi.

Je vous demanderai, messieurs, la permission de vous dire quelques extraits du discours qui a été prononcé par l'honorable M. Nothomb lors de la discussion des articles 20 et 23 de la loi.

Après avoir discuté les principes, l'honorable ministre de l'intérieur de cette époque, afin de ne laisser aucun doute sur ses intentions, afin de faire mieux saisir la portée de la loi, a cité quelques exemples.

Voici ce que disait l'honorable ministre de l'intérieur :

« Le Hainaut reçoit un subside de 37,000 fr. et porte à son budget 49,000 fr. pour l'instruction, le produit de 2 c. additionnels produirait 84,458 fr. ; ce n'est pas une raison pour demander de porter au Hainaut immédiatement les sacrifices que cette province fait pour l'instruction à 84,000 francs. Mais, dans cette situation, je dis que le Hainaut n'a pas le droit d'exiger l'intervention de l'Etat. Néanmoins cette intervention sera continuée facultativement par l’Etat. »

Et il ajoutait :

« Trois provinces sont dès à présent dans les termes de la disposition qui vous est soumise ; le Limbourg, le Luxembourg et Namur. Les sacrifices que chacune de ces trois provinces fait pour l'instruction primaire égalent ou à peu près, et même dans le Luxembourg, surpassent le produit de deux centimes additionnels aux contributions directes. Eh bien, pour être équitable, il faut reconnaître que ces provinces ont le droit de dire : Les sacrifices que je fais égalent le produit de deux centimes additionnels au principal des contributions directes, et dès lors je réclame l'intervention de l'Etat. »

Enfin pour rendre son opinion plus claire encore, M. Nothomb ajoutait : « La province de Liège reçoit 65,000$ fr., elle porte à son budget 38,000 fr., le produit de deux centimes additionnels donnerait 49,000 francs. Liége n'a pas encore le droit de dire à l'Etat : « Une intervention pécuniaire de votre part est un droit pour moi ; néanmoins elle approche de cette situation. »

Les exemples cités prouvent qu'il est clair, évident que l'intention de l'auteur de la loi a été d'accorder aux provinces d'abord et aux communes ensuite le droit de réclamer des subsides sur le budget de l'Etat lorsqu'elles auront porté à leurs budgets une somme égale au produit de deux centimes additionnels sur les impôts directs, sous cette seule réserve que ce crédit ne serait pas inférieur à celui alloué pour l'instruction primaire au budget de 1842. Là est toute la question.

Je ne dirai pas, comme d'honorables orateurs, que le cabinet précédent seul a mal appliqué la loi, car les cabinets précédents ont admis la même interprétation, et l'honorable auteur de la loi, M. Nothomb lui-même, avant de quitter le pouvoir, a été effrayé des conséquences financières de sa loi, et lui a donné une interprétation erronée, qui a été maintenue, qui est celle que nous combattons aujourd'hui et que nous trouvons contraire à la lettre et à l'esprit de la loi.

Que prétend-on en effet aujourd'hui ? On prétend qu'aux termes des articles 20 et 23 de la loi de septembre 1842, les communes, pour être en droit de reclamer des subsides de l'Etat, doivent affecter non seulement le montant de deux centimes additionnels pour le service de l'instruction primaire, mais justifier en outre de l'impossibilité de pourvoir à tous les besoins de ce service au moyen des ressources locales et prouver enfin qu'aucune dépense facultative ne figure à leur budget.

Ainsi, à certaines communes on a refusé des subsides pour l'instruction primaire en disant : « Vous portez à votre budget une allocation pour une académie de dessin, pour la restauration de vos monuments, ces dépenses sont facultatives ; supprimez-les ; car aussi longtemps que vous ferez une dépense non obligatoire, aux termes de la loi vous n'aurez pas de subside sur le budget de l'Etat pour l'instruction primaire. » Il est facile de comprendre que pareille interprétation est en pratique inadmissible.

Depuis que la loi a été ainsi interprétée, elle a donné lieu à des réclamations presque générales. Si nous réclamons aujourd'hui à tort, nous avons des complices et de nombreux complices, non seulement dans le pays mais encore dans le ministère actuel ; presque toutes les administrations communales de la Belgique, les bourgmestres éclairés de nos grandes villes, les bourgmestres d'Anvers, de Bruxelles et spécialement le bourgmestre de Liège aujourd'hui ministre de l'intérieur, ont interprété la loi comme nous.

Presque tous les gouverneurs de province, et en première ligne je crois pouvoir citer le gouverneur du Brabant provisoirement chargé aujourd'hui du département des finances, ont vivement insisté pour que les articles 20 et 23 fussent exécutés dans leur vrai sens.

Un autre membre du cabinet, M. le ministre des travaux publics, dans une discussion qui eut lieu en 1849, s'est prononcé de la manière la plus formelle dans le sens que j'indique.

Enfin un autre membre du cabinet, M. le ministre des affaires étrangères, partage notre opinion. L'honorable M. de Brouckere, qui a présenté le rapport du budget de l'intérieur en 1847, a prédit alors les difficultés qui ont surgi depuis, il a donné des motifs excellents pour interpréter les articles 20 et 23 de la loi comme nous le faisons nous-mêmes. M. de Brouckere a prévu en outre les résultats fâcheux et arbitraires de cette interprétation iliibérale. Voici comment M. Henri de Brouckere s'exprimait alors.

« Si l'on donne à cette législation (article 20 et 23 de la loi du 23 septembre) comme on l'a fait dans la pratique, une interprétation que ne comporte pas son sens grammatical, une interprétation qui permette au gouvernement d'exiger à son gré des communes plus de 2 centimes de leurs contributions, alors on entre dans un système d'arbitraire et d'injustice. »

Ce que l'honorable ministre, alors rapporteur, prévoyait est arrivé jusqu'à un certain point. Car parfois, dans l'allocation des subbides, on a été guidé pat des considérations autres que celles tirées des besoins de l'instruction primaire elle-même. Je pourrais citer des exemples, mais cela, messieurs, me mènerait trop loin.

L'interprétation dont nous nous plaignons a jeté dans les administrations communales de grandes défiances contre le gouvernement. On a dit : Le gouvernement propose une loi ; cette loi est claire, et quand elle est adoptée et appliquée pendant quelques années, le gouvernement l'interprète contrairement à son texte, quelle confiance voulez-vous que l'Etat nous inspire désormais ?

C'est ainsi que diverses communes, quand on leur a fait des offres de subsides pour les engager à créer des écoles gardiennes, à former des établissements d'enseignement moyen, ont refusé en disant : Vous interprétez aujourd'hui la loi de telle façon, vous nous promettez des subsides ; mais quand nous aurons construit des écoles, quand toutes les dépenses seront faites, quand nous aurons établi des écoles sur un grand pied, vous nous direz peut-être : Je me suis trompé, je relire mes subsides.

Encore un mot. Quand on a changé d'avis sur le sens de la loi de 1842, on devait du moins maintenir les subsides qui avaient été antérieurement accordés, car voici ce qui s'est passé avant 1842 : l'instruction primaire laissait beaucoup à désirer, on a dit alors aux communes : Construisez des écoles, améliorez votre instruction primaire, prenez de nouveaux professeurs ; s'il y a quelques dépenses de plus à faire, l'Etat interviendra. On traitait avec les communes, on leur disait : Payez au-delà de la contribution légale de 2 centimes, le gouvernement fera le reste.

Les communes consentaient, et puis, quand les bâtiments ont été construits, quand des positions ont été créées, des droits acquis, on est venu dire : Nous interprétons aujourd'hui la loi dans un autre sens. Vos subsides seront retirés, telle est l'opinion nouvelle du gouvernement.

Je sais, messieurs, qu'on m'objectera qu'avec notre système, l'instruction pourrait coûter beaucoup plus qu'actuellement ; ce n'est pas là une objection pour moi, car je partage l'opinion de l'honorable M. Le Hon, et je dis avec lui que dans l'enseignement primaire, qui est l'enseignement populaire, l'Etat doit intervenir largement parce que c'est là une question sociale. Quant à moi, je voterai toujours avec empressement toutes les sommes qui seront demandées pour l'instruction primaire, je ne croirai jamais donner trop d'argent pour un objet aussi utile, aussi indispensable. Du reste, messieurs, le gouvernement peut empêcher les communes d'aller trop loin et de spéculer en quelque sorte sur l'intervention de l'Etat.

Le moyen est tout simple, puisque le gouvernement, par l'intermédiaire de la députation qui approuve les budgets des communes, peut rayer de ces budgets toutes les dépenses qui lui sembleraient exagérées à cet égard.

Je termine, messieurs, en demandant que le gouvernement exécute ou propose de modifier les articles 20 et 23 de la loi de 1842 ; mais les articles 20 et 23 seulement, car moi aussi, je m'oppose à ce qu'on modifie cette loi au point de vue des principes ; je pense, en effet, que sagement et libéralement appliquée, cette loi peut fonctionner d'une manière très convenable ; si donc on ne croit pas pouvoir appliquer ces articles 20 et 23, je demande qu'on les modifie pour que le gouvernement lui-même ne (page 355) donne plus ce scandale de la violation d'une loi en s'appuyant sur une argutie qui ne peut supporter une discussion sérieuse. J'espère que M. le ministre de l'intérieur voudra bien nous donner des explications de nature à rassurer les communes et nous dire quelle est l'opinion du cabinet sur cette importante question.

M. Rogier. - La question soulevée est grave et difficile ; je ne pense pas qu'on veuille y mêler les passions politiques, il faut la traiter adminislralivement. M. le ministre pourra vous en dire la portée. Autre chose est l'opinion du chef d'une commune et celle du chef du département de l'intérieur. Je suis d'avis que tous les bourgmestres condamneront l'interprétation du ministre de l'intérieur, mais aussi que tous les ministres de l'intérieur condamneront l'interprétation des bourgmestres. La question est grave ; les conséquences financières pour le budget de l'Etat sont incalculables ; ce n'est pas cependant une raison pour admettre l'interprétation administrative, je me borne à dire que lorsque j'ai interprété la sanction tacite donnée par la chambre à l'interprétation du gouvernement, je ne l'ai pas fait sans motifs.

Déjà, dans les deux sessions précédentes, à l'occasion du budget, j'avais fait connaître ma manière d'interpréter l'article 23, qui était celle de mon prédécesseur ; j'avais dit que si la chambre admettait une autre interprétation, un membre devait prendre l'initiative d'une proposition, mais qu'alors on devait augmenter l'allocation.

Personne n'a pris l'initiative : on s'est borné à une discussion vague ; on n’a rien formulé. Le chiffre ayant été mainteu, le gouvernement s'est cru en droit de dire que la chambre avait tacitement adhéré à son système.

Je maintiens mon interprétation. Mais si vous voulez que la vôtre soit admise par le gouvernement, il sera nécessaire, indispensable que vous ajoutiez l'allocation nécessaire. Sinon, vous auriez un défaut très considérable ; car il ne faut pas croire qu'il s'agisse seulement des 75 communes du Hainaut ; toutes les communes du royaume sont ici intéressées, excepté celles qui, avant 1842, avaient porté une allocation suffisante à leur budget.

Demain je donnerai quelques renseignements en faveur de l'interprétation qui est admise aujourd'hui.

- La discussion est continuée à demain.

La séance est levée à 4 heures trois quarts.