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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 29 janvier 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 507) M. Maertens procède à l'appel nominal à midi et un quart.

La séance est ouverte.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les électeurs de Saint-Léonard demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes. »

« Même demande des électeurs de Ranst et d'Emblehem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« L'administration communale d'Everbecq demande une loi qui accorde aux communes le droit de réclamer eu tout temps leurs mendiants détenus aux dépôts de mendicité, pourvu qu'elles s'obligent à leur fournir du travail. »

- Même renvoi.


« Le comice agricole de Pullo prie la chambre d'adopter les mesures proposées par les distilleries agricoles dans le but de modifier la loi sur les distilleries. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Le conseil communal de Louvain prie la chambre d'accorder à la société Riche-Restiau la concession du chemin de fer dit de la Campine. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur de Mat prie la chambre d'autoriser le département des travaux publics à traiter avec lui pour l'exploitation d'un procédé tendant à diminuer les accidents sur les chemins de fer. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des distillateurs agricoles dans le Brabant prient la chambre d'adopter les propositions relatives aux distilleries auxquelles le comice agricole de Nivelles a donné son adhésion. »

- Renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport.


« Les membres du comice agricole du 8ème district du Limbourg et les membres du conseil provincial du canton, demandent la construction du chemin de fer de Hasselt à Maestricht, projeté par l’ingénieur Delaveleye. »

- Sur la proposition de M. Julliot, renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un rapport avant la discussion du budget des travaux publics.


« Les huissiers près le tribunal de première instance de l’arondissement d'Audenarde et de la justice de paix du canton d'Hoorebeke-Sainte-Marie demandent l'établissement d'une caisse de pensions en faveur des huissiers, la diminution du nombre des huissiers, la substitution d'une indemnité annuelle et fixe au salaire éventuel qu'ils reçoivent pour les exploits en matière de police et pour le service des audiences, et l'autorisation d'instrumenter dans les matières du ressort de la justice de paix. »

- Sur la proposition de >M. Vander Donckt, renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« M. Van Renynghe, obligé de s'absenter pour affaires, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi supprimant les droits de sortie dans le tarif des douanes

Rapport de la section centrale

M. Moreau, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la suppression de droits et de prohibitions de sortie, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met la discussion de ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.

Rapport sur une pétition

M. le président. - Hier, à lafin de la séance, M. Allard, rapporteur de la commission des pétitions, a conclu à l'ordre du jour sur une pétition du sieur Manfroid, instituteur à Gosselies. Pour se conformer à la décision de la commission, M. Allard a donné entièrement lecture de la pétition.

M. Dumortier a demandé que cette pétition ne fût pas insérée aux Annales parlementaires. La chambre n'étant plus en nombre, aucune décision n'a pu être prise.

Mais quelques orateurs ont émis le vœu qu'on suspendît l'insertion de la pétition dans les Annales parlementaires jusqu'à ce que la chambre eût prononcé.

Après avoir consulté les deux secrétaires, qui ont été du même avis que moi, j'ai cru devoir déférer à ce vœu. Il n'y avait pas paru en la demeure ; le retard d'un jour ne causait aucun dommage, et il donnait à la chambre la possibilité de se prononcer efficacement sur la proposition de M. Dumortier.

Si la pétition avait été insérée dans le compte rendu de la séance d'hier, la proposition de M. Dumortier se trouvait écartée par le fait ; la chambre aurait eu beau l'adopter, il n'y aurait pas eu moyen de la mettre à exécution. Le parti qui laissait tous les droits saufs, toutes les opinions intactes, m'a paru le meilleur.

Je dois toutefois déclarer que je n'ai rencontré aucune résistance de la part de l'honorable M. Allard, qui s'en est rapporté à ma décision.

J'ajouterai que si l'ajournement avait dû porter préjudice à quelqu'un, je n'aurais pas pris sur moi de l'ordonner eu i'absance d'une décision de la chambre.

M. Verhaegen. - Par les journaux du matin j'ai eu connaissance du débat qui a surgi à la fin de la séance d'hier. Ce débat présente, d'après moi, une question importante, qui ne peut pas passer inaperçue.

En fait, il est constant que l'instituteur dont il s'agit est un homme bien famé, contre lequel il ne s'est jamais élevé le moindre reproche ; et si mes renseignements sont exacts, il doit y avoir eu à cet égard une instruction dont les éléments reposent au ministère.

Messieurs, de quoi s'agit-il ? Il s'agit d'un interdit porté par M. le doyen et curé de Gosselies contre l'enseignement privé de M. Manfroid, et voici dans quels termes :

Les élèves du sexe féminin qui recevaient l'instruction dans un des établissements de M. Manfroid (car l'école des garçons et l'école des filles font deux établissements séparés), ces élèves, non seulement, n'ont pas été admises à la première communion, mais elles ont été exclues de l'instruction préparatoire à la première communion, instruction qui se donne à l'église. Voilà le fait dans toute sa simplicité.

Vous le voyez, messieurs, il ne s'agit plus seulement de l'interdit lancé naguère contre l'enseignement moyen de l'Etat ; nous en sommes arrivés, en ce moment, à l'interdit porté contre l’enseignement primaire laïque tout à fait indépendant de l'enseignement de l’Etat.

Une pétition est adressée à la chambre. La commission des pétitions, pensant que la chambre est incompétente, a cru devoir conclure à l'ordre du jour, et cependant elle a pensé que lecture devait être donnée de la pétition.

On a bien voulu accueillir sur certains bancs l'ordre du jour, mais (page 508) on n'a pas voulu que publicité fût donnée à la pétition, et c'est maintenant, je pense, sur ce terrain qu'est posé le débat.

Messieurs, si l'on voulait agir prudemment et ne donner lieu, pour me servir des expressions dont on s'est servi, à aucun scandale, voici ce qu'il faudrait faire avant toute décision ; on demanderait à M. le ministre de l'intérieur des renseignements sur ce qui s'est passé dans la commune de Gosselies, de la part du clergé, au sujet de l'établissement de M. Manfroid, on lui demanderait des renseignements sur la position de M. Manfroid, sur sa conduite, sur sa moralité ; car il doit y avoir à cet égard, je le répète, des éléments au ministère. Si tout le monde voulait être d'accord sur ce point, je n'insisterais pas pour le moment ; le débat resterait en suspens.

Si on ne le veut pas, je demanderai autre chose que ce qu'a demandé la commission des pétitions : c'est un fait, messieurs, qui doit être éclairci ; il est de l'intérêt de toutes les opinions qu'il le soit.

Messieurs, je ne sais pas si, en définitive, il n'y aura rien à faire : c'est ce que nous aurons à examiner dans la suite. Il ne s'agit ni plus ni moins, d'après les faits que je viens d'exposer, que d'une excommunication lancée contre les élèves qui suivent un établissement d'enseignement privé. Il ne s'agit pas seulement, notez bien ceci, car toute la question est là ; il ne s'agit pas seulement d'un refus d'admission à la première communion, mais bien d'un refus d'admettre dans l'église, à l'instruction religieuse les élèves qui suivent un établissement d'instruction primaire privé. (Dénégation.)

On me dit non ; moi, je dis oui ; je ne veux pas qu'on m'en croie sur parole ; mais vous me permettrez aussi de ne pas croire sur parole mes honorables contradicteurs ; vous pouvez être induits en erreur ; je n'entends pas que vous ajoutiez foi à mes assertions ; permettez-moi de rester dans le doute à l'égard des vôtres. D'un côté, on dit qu'il y a seulement refus d'admission à la première communion, mais de l'autre on prétend qu'il y a même refus d'admission au catéchisme, et on ajoute que pour être admis à l'instruction religieuse, il faut faire partie des élèves admis dans le couvent des sœurs de la Miséricorde, ce qui veut dire qu'il n'y a plus de liberté en matière d'enseignement.

Depuis la loi sur l'enseignement moyen, l'interdit était lancé contre l'enseignement moyen de l'Etat ; maintenant il n'y a plus d'enseignement primaire libre ; l'interdit est lancé contre les établissements d'instruction primaire privés.

- Un membre. - Libres !

M. Verhaegen. - Ils sont tous libres ; qu'on mette de côté l'enseignement de l'Etat ; restent alors les enseignements libres, l'enseignement du clergé comme l'enseignement laïque. Mais on ne veut plus que de l'enseignement du clergé.

Messieurs, si le fait qu'on nie était vrai, si le clergé refusait à des enfants catholiques l'entrée dans l'église pour y recevoir, d'après ses principes, l'instruction religieuse préparatoire à la première communion, je ne sais pas s'il n'y aurait pas quelque chose à faire ; c'est une question à examiner, car le clergé est rétribué pour remplir ses fonctions spirituelles ; mais je n'entends pas discuter cette question en ce moment.

Certes les cultes sont complètement libres et je ne veux pas toucher à cette liberté, mais les élections sont et doivent être aussi complètement libres.

Cependant que dirait-on si un jour le clergé frappait d'excommunication tous les électeurs catholiques qui ne voteraient pas exclusivement pour ses candidats ? N'y aurait-il rien à faire dans cette hypothèse ? On punit bien ceux qui par dons ou menaces parviennent à fausser la liberté électorale. Je n'entends pas non plus discuter cette question, elle pourra l'être un jour.

Eh bien, messieurs, la pétition qui vous est soumise signale à votre attention une de ces deux questions, mais auparavant il s'agit de se mettre d'accord sur les faits.

J'ai indiqué les faits dans toute leur simplicité ; on les dénie ; il s'agit donc d'en vérifier l'exactitude. Une instruction a été faite par le gouvernement, et il n'y a rien de plus juste que de nous communiquer les renseignements résultant de cette instruction. Si l'on voulait être d'accord sur ce point, sans donner au débat plus d'étendue qu'il ne comporte, ce qu'on devrait faire, ce serait de demander à M. le ministre de l'intérieur le dépôt de l'instruction sur le bureau.

Si on ne le voulait pas, je demanderais, contrairement aux conclusions de la commission, que la pétition fût renvoyée à M. le ministre de l'intérieur, avec demande d'explications. Et comme conséquence nécessaire, je demanderais que la pétition fût insérée aux Annales parlementaires. En faisant cette demande, il serait loin de ma pensée de critiquer la conduite du bureau. Le bureau a bien fait de laisser la question entière ; la chambre va la décider.

Mais il serait par trop extraordinaire que cette pétition ne pût pas être connue du public ; il serait par trop fort (dût-on supposer qu'une majorité pût se prononcer contre la demande de renseignements a fournir par M. le ministre de l'intérieur) que cette même majorité décidât que la pétition ne peut pas être connue du pays d'une manière officielle.

Messieurs, je me résume en deux mots. Si l'on veut laisser les choses en état, ne prendre aucune décision sur la pétition et attendre les explications de M. le ministre de l'inlérieur, je le veux bien.

Si l'on ne veut pas de cette proposition qui concilie tous les intérêts, je demande le renvoi à M. le ministre de intérieur avec demande d'explicalions et l'insertion de la pétition au Moniteur.

Il serait d'ailleurs inouï, je le dis en terminant, de décider que la pétition ne sera pas insérée au Moniteur, alors qu'elle a été lue en séance publique ; car on ne peut faire qu'une pièce lue en séance publique n'ait pas été lue ; MM. les sténographes ont dû recueillir cette lecture, et dès lors elle est acquise à la publicité.

M. le président. - Je prie M. Verhaegen de faire passer ses propositions par écrit au bureau pour qu'il n'y ait pas de méprise.

M. Dumortier. - Messieurs, quand j'ai entendu lire hier la pétition dont il est maintenant question, quand j'ai vu cet acte insolite, qui n'avait pas de précédent dans nos annales parlementaires depuis 22 ans, - jamais il n'est arrivé que la commission des pétitions donnât lecture d'une pétition sans que cette lecture fût demandée par la chambre. C'est la première fois que cela arrive ; jamais il n'est arrivé non plus que la commission vînt donner lecture d'une pélition sur laquelle est proposé l'ordre du jour.

Je reprends ma pensée : quand j'ai vu la manière dont on engageait cette discussion, quand j'ai vu pour la première fois lire une pétition sur laquelle on demandait l'ordre du jour et qui était de nature à soulever des débats excessivement irritants, j'ai tout de suite compris qu'on voulait du scandale, je l'ai dit hier et vous pouvez voir où nous en sommes aujourd'hui arrivés.

M. Lebeau. - Le scandale est dans les faits dénoncés.

M. Dumortier. - Le scandale est dans les injures auxquelles on a donné la publicité.

Si la pétition ne méritait que l'ordre du jour, elle ne méritait pas qu'on en donnât lecture, elie ne mérilait pas que le chambre lui donnât passe-port sous son couvert.L 'honorable M. Rogier lui-même a désavoué les expressions.

M. Rogier. - Laissons la forme de côté ; mais occupons-nous du fond, occupons-nous des faits.

M. Dumortier. - L'honorable M. Verhaegen vient de soutenir une thèse étrange, à savoir que le clergé, l'autorité religieuse, en ce qui concerne les exercices des cultes, serait soumis au contrôle de la législature. Je l'ai dit hier, je le répète aujourd'hui, c'est là une violation flagrante d'un des principes de notre Constitution, la liberté des cultes.

On dit qu'il y a un interdit lancé sur des écoles, sur une institution libre. Où s'est manifesté cet interdit ? Il y a un fait dont vous ne connaissez pas le motif ; vous n'êtes pas à même de connaître les motifs d'un fait auquel il vous plaît d'attribuer des motifs humains, des motifs mauvais, tandis qu'il est probable, certain pour moi, je puis donner l'assurance qu'il est certain que c'est le contraire qui est la vérité. Une dépêche télégraphique que j'ai reçue ce matin me l'atteste.

M. Verhaegen. - Examinons !

M. Dumortier. - Vous n'avez pas à examiner, vous n'en avez pas le droit. Comment ! je suppose que par la confession on ait fait connaître à un curé que des choses abominables se passent dans une école ; vous viendriez faire une scène de scandale à propos des mesures que le curé aurait jugé à propos de prendre en conséquence des faits qui lui auraient été dénoncés ? Ignorez-vous donc que les faits déclarés en confession ne peuvent pas être révélés même à la justice !

Et vous viendriez ici admettre l'accusation alors que la défense serait impossible ! Voyez où vous arrivez dans votre système. Examinons !

Il n'a point ici de question à examiner ; il y a usage de la liberté des cultes.

Mais si un rabbin refusait de circoncire un enfant de famille israélite et que le père de cet enfant s'en plaignît à la chambre, auriez -vous le droit d'accueillir sa réclamation ? Vous ne le feriez pas. Et c'est parce qu'il s'agit du clergé belge, de la religion du pays, que vous voulez prendre une décision !

Certes, rien n'est plus sacré que le droit de pétition ; mais, remarquez-le, le droit de pétition n'est pas le droit d'injurier, de calomnier ; et s'il arrive à la chambre une pétition portant ce caractère, nous ne pouvons admettre que, sous notre couvert, elle aille dénoncer à la postérité, au public, des faits calomnieux, qui constitueraient une atteinte à la dignité de cette assemblée. L'honorable préopinant a présidé la chambre pendant quatre ans ; pendant ce temps, il lui est arrivé très souvent d'écarter des pétitions inconvenantes qui n'ont pas même été analysées en séance publique.

S'il en était autrement, que seraient les Annales parlementaires ? Un honteux égotl où viendrait se déjeter toute espèce de turpitudes.

M. de Perceval. - Je demande la parole.

M. de Theux. - Je la demande aussi.

M. Dumortier. - La dignité de la chambre est intéressée à ce que l'on ne vienne pas, au moyen de pétitions, injurier des tiers. Le jour où la chambre l'oubliera, elle portera la plus grave atteinte à sa dignité.

Aujourd'hui, c'est un membre du clergé qu'on injurie. Mais que demain une pétition contienne des injures à l'adresse d'un membre de la chambre, ne serez-vous pas les premiers à repousser l'insertion de cette pétition dans les Annales parlementaires ? Le clergé est-il donc au ban de la Belgique ? Est-ce parce qu'il rend des services à la civilisation et au pays, qu’il doit être au ban du pays, qu'il doit être l'objet d'une mesure exceptionnelle ? Réfléchissez aux conséquences d'un pareil système.

Je le répète, l'honorable préopinant (et je lui en sais infiniment de (page 509) gré) a, pendant qu'il a présidé la chambre, supprimé l'insertion au Moniteur de toutes les pétitions inconvenantes qui pouvaient être un sujet de scandale. Ce que nous demandons aujourd'hui n'est autre chose que ce qu'il a fait lui-même dans des circonstances analogues.

Vous nous dites que nous voulons mettre la lumière sous le boisseau, empêcher la publicité. Eh mon Dieu, il ne s'agit de rien de semblable. Si le sieur Manfroid veut publier sa pétition il en est libre ; il a la presse pour lui ; il peut faire imprimer sa pétition à autant d'exemplaires qu'il veut. Mais ce qu'il ne faut pas, c'est qu'il se serve du couvert de la chambre pour répandre la calomnie et l'injure. Nous ne pourrions admettre une pétition de ce genre dans nos Annales sans porter la plus grave atteinte à la dignité du parlement.

M. de Perceval. - C'est bien malgré moi que j'interviens dans ce débat qui a surgi à la fin de la séance d'hier. Mais je dois relever les exagérations étranges dans lesquelles est tombé notre honorable collègue M. Dumortier, au sujet des faits qui occupent la chambre. Il nous dit que si nous décidons que la pétition sera insérée textuellement dans les Annales parlementaires, il y aura un véritable scandale pour le pays, et il ajoute que la dignité du parlement se trouvera fortement compromise.

Je ne suis pas de cet avis. Je viens de lire et de relire avec attention cette pétition, et j'en trouve, je dois le dire, les expressions assez convenables. Si l'insertion de cette pétition est ordonnée dans les Annales parlementaires, craignez les abus ! s'écrie M. Dumortier ; car chaque jour l'on pourra faire imprimer au Moniteur des requêtes inconvenantes pour la représentation nationale.

Mais l'honorable orateur perd de vue que, quand une pétition injurieuse est adressée à la chambre, le président a le droit de la faire disparaître, de lui refuser l'analyse en séance publique. C'est ce qui arrive même assez souvent pendant les sessions législatives.

Mais quand une pétition, adressée à la chambre, a subi le contrôle du président et qu'il en autorise l'analyse, alors elle a droit au respect du parlement. C'est ce respect que je demande pour la requête du sieur Manfroid.

Il y a scandale, dit l'honorable M. Dumortier. Mais de qui vient le scandale ? Est-ce de celui qui se plaint de faits qui ont un caractère que je ne veux pas qualifier, et dont le pétitionnaire est la victime depuis cinq ans, ou le scandale vient-il de celui qui a posé ces faits ? Dites-moi, quel est l'auteur du scandale ? Est-ce le sieur Manfroid ?

Je vais donner lecture, non pas de toute la pétition, mais de la partie qui résume l'accusation du sieur Manfroid, et vous verrez de quoi il s'agit :

«... Le réclamant n'a jamais su s'il a (le doyen) réellement le droit de refuser la première communion à ses élèves (du pétitionnaire), parce qu'elles ne fréquenteraient point les classes du couvent, motif pour lequel il les congédie publiquement du catéchisme de l'église avec menace de ne s'y plus représenter, taut qu'elles n'auront point quitté les classes du soussigné.... »

Dites-moi maintenant, messieurs, d'où vient le scandale, puisque scandale il y a, selon M. Dumortier ?

L'honorable M. Dumortier est d'avis que la pétition ne peut être insérée dans les Annales parlementaires. En émettant cette opinion, l'honorable membre me prouve qu'il n'en a pas pris connaissance.

M. Dumortier. - Je l'ai lue hier.

M. de Perceval. - Alors, vous ne l'avez pas lue attentivement ; car elle ne contient rien qui ressemble à une injure. Il faut une conclusion à ce débat.

Je demande le renvoi de la pétition à M. le ministre de l'intérieur pour qu'il nous donne des explications.

Si l'instituteur est dans son tort, M. le ministre de l'intérieur pourra porter les faits à la connaissance de la chambre, après avoir entendu le curé-doyen, si toutefois ce dernier veut s'aboucher avec M. le ministre pour donner des renseignements à ce sujet. (Interruption.)

Je demande, dans tous les cas, que l'honorable ministre de l'intérieur fournisse quelques explications au sujet de la pétition du sieur Manfroid.

M. de Theux. - Messieurs, ce qui nous étonne dans cette discussion, c'est que des libéraux viennent soutenir ce qui s'éloigne le plus des vrais principes de la liberté, c'est-à-dire le cumul, dans les mêmes mains, du pouvoir politique et du pouvoir religieux ; et, messieurs, ce qui m'étonne encore plus, c'est que la demande d'enquête et d'insertion au Moniteur soit formulée en présence d'une Constitution aussi formelle que la nôtre quant à l'indépendance absolue des cultes.

Je comprendrais la demande si la Belgique était un Etat protestant, dans lequel le chef de l'Etat, dans son conseil des ministres, décide, comme nous le voyons quelquefois ailleurs, des questions de foi, des questions de morale, où l'autorité religieuse relève du pouvoir politique comme les pouvoirs administratifs.

De quoi s'agit-il, messieurs ? Il s'agit uniquement de constituer la chambre ou le gouvernement en synode diocésain. (Interruption.) Ce n'est pas autre chose. Si quelqu'un, appartenant à la communion catholique, a à se plaindre d'un abus de pouvoir de la part d'un prêtre, à qui doit-il s'adresser ?A l'évêque, au synode, et ultérieurement au souverain pontife. Dans l'ordre hiérarchique religieux, je ne connais pas d'autre recours pour un catholique qui a à se plaindre d'un fait posé par un membre du clergé.

Ainsi, renvoyez la pétition à M. le ministre de l'intérieur, chargez-le de faire une enquête, quel sera le résultat de cette enquête ? Le résultat sera de constater l'impuissance du gouvernement, l'impuissance de la chambre, et, par conséquent, le ridicule de notre décision.

En effet, messieurs, pensez-vous que le curé de Gosselies sera à tel point oublieux de la dignité de son ministère, de l'indépendance de son ministère, que de répondre à une enquête qui serait faite par l'autorité administrative ? Je ne le crois pas, et je suis persuadé que si un curé poussait à tel point l'oubli de ses devoirs, l'oubli des principes fondamentaux de son culte, il serait à l'instant même destitué par son chef. Ainsi, la conséquence de cette enquête sera un refus de répondre de la part du curé de Gosselies, on bien il se séparera à l'instant même de la communauté de son évêque et l'évêque en instituera un autre et vous n'aurez aucun résultat.

Il s'agit, messieurs, de vous constituer juges entre deux parties : l'instituteur et le curé. Or je dis que vous n'avez pas même le droit de juger l'instituteur alors qu'il réclame votre jugement. Si l'instituteur était fonctionnaire de l'Etat, alors le ministre pourrait instituer une enquête à la demande de l'instituteur, parce que cette enquête pourrait avoir un résultat, quant à l'instituteur qui voudrait se justifier vis-à-vis du gouvernement ; mais ici il n'y a aucun résultat possible ; la chambre est radicalement, absolument incompétente ; le ministre est également, radicalement, absolument incompétent.

L'instituteur pourrait mépriser la décision du gouvernement et la décision de la chambre après l'avoir invoquée. Si nous donnions tort à l'instituteur, il déclinerait notre jugement. Mais dans aucun cas, soyez-en bien persuadé, le curé n'acceptera notre compétence, et il sera parfaitement dans son droit ; s'il agissait autrement, il manquerait à ses devoirs les plus essentiels.

D'ailleurs, messieurs, le simple bon sens nous dit que, dans cette affaire, une requête est impossible : ne peut-il pas arriver que, par le secret de la confession, le curé soit averti de quelque chose qui l'oblige à prendre la mesure qu'il a prise et dont il ne peut rendre compte en aucune manière, pas même à son chef, car le secret de la confession est inviolable.

Maintenant, messieurs, nous voyons que dans beaucoup de pays le régime parlementaire a perdu de son crédit ou est même venu à s'anéantir ; voulez-vous affaiblir la considération dont il a joui en Belgique ? Il y a une voie à suivre, c'est que le parlement belge se mêle de choses qui ne le regardent en aucune manière et qui compromettraient son autorité et sa dignité. Entrez dans cette voie et vous pouvez être persuadés que la considération du régime parlementaire en souffrira considérablement.

C'est donc, messieurs, dans l'intérêt du principe de la liberté, dans l'intérêt du respect de la Constitution, du respect de la dignité du gouvernement et du respect de la dignité des chambres, que je viens soutenir la proposition de l'honorable M. Dumortier et combattre la proposition de l'honorable M. Verhaegen. Je dis, messieurs, que si la chambre est incompétente, elle n'a pas à discuter ; elle n'a donc pas à prendre acte de la pétition en l'insérant dans ses Annales.

Ainsi j'appuie les conclusions de l'honorable M. Dumortier, contraires au fait posé par l'honorable rapporteur de la commission des pétitions.

M. le président. - Nous venons de recevoir deux lettres de M. Magherman et de M. Prévinaire, qui demandent un congé.

- Accordé.

M. le président. - La proposition de M. Dumortier est ainsi conçu : « Je propose que la pétition du sieur Manfroid ne soit pas insérée aux Annales parlementaires. »

Voici la proposition de M. Verhaegen :

« J'ai l'honneur de demander l'ajournement de la discussion jusqu'à ce que M. le ministre de l'intérieur ait fourni des renseignements sur les faits que soulève la pétition. »

« Si l'ajournement était écarté, j'ai l'honneur de proposer à la chambre :

« 1° De renvoyer la pétition à M. le ministre de l'intérieur avec demande d'explications.

« Subsidiairement d'en ordonner le dépôt au bureau des renseignements.

« 2° Dire que la pétition qui a été lue hier à la tribune, par M. le rapporteur de la commission des pétitions, ne sera pas retranchée du compte rendu de la séance. »

Cette dernière partie n'est pas une proposition ; c'est un vote négatif sur la proposition de M. Dumortier.

M. Verhaegen. - Si on l'entend ainsi, je consens au retranchement de cette partie de ma proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je crois que cette affaire peut se simplifier à l'aide des renseignements que le gouvernement peut vous donner ; et je pense n'avoir pas de peine à vous démontrer qu'il n'est besoin ni d'une enquête ultérieure, ni même d'un renvoi au ministre de l'intérieur avec demande d'explications, puisque les explications peuvent être fournies à l'instant même.

Depuis hier, j'ai parcouru rapidement le dossier qui concerne cette affaire. Elle remonte déjà à deux ans, et voici les faits tels qu'ils réapparaissent, après lecture de toutes les pièces.

Un sieur Manfroid est venu s'établir à Gosselies ; il a ouvert une (page 510) école pour les deux sexes. Les garçons et les filles étaient admis dans le même local. Indépendamment de cette écolo de garçons et de filles, il y avait une classe du soir, destinée probablement à cette partie de la population qui ne peut pas, à raison de son travail, recevoir de l'instruction pendant le jour ; cette école du soir était également fréquentée par des jeunes gens des deux sexes. La coexistence dans un même local d’élèves appartenant aux deux sexes a été, de la part du curé-doyen de la localité, l'objet d'une sollicitude assez grande.

Il a cru qu'il pouvait résulter, de la réunion des élèves des deux sexes dans un même local, des inconvénients graves au point de vue de la morale, et il a cru devoir faire à cet égard des observations à l'instituteur. On ne s'est pas entendu, et bientôt les plaintes du doyen ont pris un caractère de gravité tel, que tout rapprochement est devenu impossible.

Le curé ne s'est pas borné à des représentations. Il a pris envers l'école privée une mesure qui devait nuire considérablement aux intérêts de l'instituteur.

Il a interdit aux élèves du sexe qui fréquentaient cette école l'accès aux cérémonies et exercices religieux, notamment aux leçons du catéchisme.

L'instituteur, voyant que l'avenir de son école était menacé, s'est plaint à son tour des procédés du doyen, et il s'est adressé au gouvernement en le priant d'intervenir, prétendant qu'on violait, en sa personne, le principe de la liberté d'enseignement, et qu'on le froissait dans ses intérêts en cherchant à lui ravir la confiance des parents.

Le gouvernement dans un but de conciliation, et agissant plutôt officieusement qu'à titre d'autorité, a cru devoir examiner l'affaire ; comme il avait aperçu dans les faits dénoncés des mesures qui portaient une atteinte indirecte au droit du sieur Manfroid à tenir une école privée ; comme, d'autre part, le sieur Manfroid se plaignait amèrement du tort considérable que ces mesures lui causaient ; et qu'enfin le gouvernement n'avait reçu aucune plainte sur le caractère et la moralité du sieur Manfroid ; le gouvernement s'efforça d'obtenir que les mesures prises contre son école fussent retirées.

Mais les efforts du gouvernement ont été impuissants pour terminer ce conflit.

Par une coïncidence fâcheuse pour les intérêts du sieur Manfroid, il s'était établi à Gosselies un couvent où l'on donne l'instruction aux jeunes personnes du sexe. Ce couvent était placé sous le patronage de l'honorable doyen de la localité. On supposa que cet ecclésiastique devait naturellement préférer que les jeunes filles de la localité reçussent l'instruction dans ce dernier établissement.

Le sieur Manfroid s'en alarma vivement et vit dans cette préférence une nouvelle cause de désertion pour sa propre école ; de là, des plaintes réitérées et assez vives contre la conduite du doyen dans cette circonstance. Le gouvernement a été de nouveau saisi des réclamations de l'instituteur. Il se plaignait cette fois d'avoir été l'objet d'injures et de calomnies qui portaient atteinte à sa réputation et le lésaient dans ses intérêts, de telle façon qu'il ne pouvait pius soutenir son école.

Qu'a fait alors te gouvernement ? Il a d'abord examiné la question au point de vue de la réparation due au sieur Manfroid à raison des injures et des calomnies dont il prétendait avoir été la victime de la part de M. le curé-doyen ; sous ce rapport, cet examen a fait reconnaître qu'il n'y avait pas matière à calomnie dans la conduite de l'ecclésiastique, et que par conséquent il n'y avait pas lieu à exercer une action répressive contre le curé-doyen.

Au point de vue de la liberté d'enseignement, le gouvernement n'a pas cru qu'elle fût ouvertement violée ; et quant aux intérêts privés du sieur Manfroid, que celui-ci cherchait à faire protéger par l'intervention du gouvernement, on lui a fait comprendre que c'était une affaire qui échappait à la compétence de l'administration.-

Remarquez qu'il s'agit d'une école privée sur laquelle nous n'avons pas la moindre action à exercer, et que dès lors ses rapports avec le clergé doivent faire l'objet d'une libre négociation entre le chef de l'école et le clergé.

Voilà ce que le gouvernement a fait.

Son intervention n'a pas eu d'autre caractère. Il s'est abstenu de toute autre démarche, tout en regrettant profondément que les démarches officieuses qu'il avait faites, pour obtenir le retrait des mesures qui avaient frappé l'école, n'eussent pas abouti à un résultat plus conciliant.

Voilà dans quel état, à mon entrée au ministère de l'intérieur, j'ai trouvé l'instruction de cette affaire. Et comme le sieur Manfroid ne cessait pas ses réclamations, pour obtenir que l'interdit, mis sur son école, vînt à cesser, je me suis trouvé dans la nécessité de lui faire savoir, récemment encore, qu'il m'était impossible de prendre une décision, autre que celle qui avait été prise par mon honorable prédécesseur, et qu'il devait tâcher de trouver personnellement les moyens de faire cesser l'hostilité de M. le curé-doyen à l'égard de son école, puisque cela ne concernait pas le gouvernement.

Je crois, messieurs, cette décision conforme aux véritables principes ; et tout ce que vous pourriez produire, soit par l'ordre du jour, soit par le dépôt de la pétition au bureau des renseignements, doit inévitablement amener le même résultat. Voih pour le droit.

Au point de vue moral, tout le monde peut dire qu'il est regrettable que le clergé, par des motifs dont il est d'ailleurs seul juge, soit conduit à prendre vis-à-vis d'une école privée une position aussi hostile. Je ne rechercherai pas si les plaintes du clergé étaient fondées ; je dirai seulement qu'un des motifs de plainte était la réunion des garçons et des filles dans le même local ; quand le sieur Manfroid a su que le motif principal de la résistance de M. le curé-doyen était le fait de cette communauté de local, il en a loué un autre, dans lequel il a établi son école de filles. Mais le mal était fait.

Le conflit avait produit une certaine irritation et M. le curé-doyen, n'a pas cru que cette innovation fùt de nature à modifier les résolutions qu'il avait prises.Sous ce rapport, je dois ajouter que, dans sa conduite envers l'instituteur Manfroid, M. le doyen paraît avoir été soutenu par ses supérieurs ; il ne m'appartient pas d'apprécier les motifs qui ont dirigé ces derniers.

Messieurs, que faut-il faire maintenant pour terminer cet incident ? On nous demande trois choses ; on demande d'abord que la pétition ne soit pas insérée au Moniteur, il s'agit de déroger ici à un précédent qui paraît avoir été constamment suivi. C'est une affaire de règlement que je dois abandonner à l'appréciation de la chambre ; elle seule est juge de la manière dont le règlement doit être observé.

On propose en second lieu l'ordre du jour pur et simple. A mon avis, au point de vue légal, et rigoureusement parlant, l'ordre du jour peut se justifier, puisque le fait dénoncé échappe à la compétence de la chambre comme du gouvernement.

Enfin, on demande le dépôt au bureau des renseignements. Ceci est peut-être la mesure la plus sage à prendre sous le rapport des convenances et de l'équité ; car elle ne préjuge rien, et elle sera, de la part de la chambre, un témoignage de sollicitude pour des faits qui n'ont pas encore aujourd'hui beaucoup de gravité, mais qui pourraient, s'ils se généralisaient, devenir l'objet de très sérieuses complications.

Je n'en dirai pas davantage là-dessus. Je désire vivement prévenir le retour de semblables conflits, et je crois que l'intérêt que la chambre y prendrait serait de nature à produire ce résultat.

M. Rogier. - Je demande la parole pour adresser une simple question à M. le ministre.

M. de Perceval. - J'ai demandé la parole pour une motion d'ordre.

M. le président. - Vous avez demandé la parole pour faire une motion d'ordre, mais quand l'affaire de l'instituteur de Gosselies serait terminée.

M. Rogier. - Je pense, d'après mes souvenirs, que M. le ministre de l'intérieur a rappelé d'une manière exacte les faits tels qu'ils se sont passés.

Je lui demanderai si, indépendamment de la pétition de l'instituteur, il n'en a pas reçu de plusieurs pères de famille qui se plaignent qu'on refuse à leurs enfants l'accès aux leçons du catéchisme dans l'intérieur de l'église et la communion.

Je demanderai en outre s'il n'y a pas d'inconvénient à communiquer à la chambre le rapport fait sur cette affaire regrettable par l'inspecteur provincial qui a été envoyé sur les lieux.

Le sieur Manfroid s'est adressé au Roi, à la Reine, à la princesse Charlotte, au ministre de l'intérieur, au ministre de la justice ; enfin il est venu s'adresser à la chambre. Le gouvernement, ainsi que l'a dit M. le ministre de l'intérieur, le gouvernement a agi officieusement plutôt qu'officiellement.

Je pense cependant que l'inspecteur provincial qui, à la suite de la dernière pétition, a été envoyé sur les lieux, a fait un rapport qu'il serait intéressaut de communiquer à la chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je m'empresse de répondre à l'interpellation de l'honorable préopinant. Il est de fait que le pétitionnaire s'est adressé à toutes les autorités. Des pères de famille se sont adressés au gouvernement à leur tour.

M. Malou. - Trois ou quatre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Quatre pétitions ont été adressées au gouvernement, mais l'une d'elles portait plusieurs noms. On priait le gouvernement d'intervenir pour faire cesser ce conflit. La raison était que les jeunes personnes étaient repoussées non seulement du catéchisme mais de la première communion.

Vous comprenez quelle devait être la sollicitude des pères de famille ; ils ont prié le gouvernement d'intervenir par l'intermédiaire de l'ordinaire du diocèse pour obtenir que le curé-doyen de Gosselies renonçât à ces mesures violentes dont ils se sont plaints.

Le gouvernement a répondu qu'il avait fait des démarches officieuses, qu'il ne pouvait pas aller au-delà, que c'était à eux à s'arranger avec le curé-doyen.

M. Rogier a demandé en outre la communication du rapport de l'inspecteur ; je ne l'ai pas ici, je pourrais le faire chercher, si l'on insiste.

M. Rogier. - Il importe de constater la moralité de l'instituteur. Elle a été mise en doute. Voilà à quoi tend ma demande. Si le rapport était connu, il en résulterait que l'instituteur est à l'abri de tout reproche.

C'est si vrai qu'en dernier lieu un de ses élèves a obtenu un prix au concours de l'enseignement primaire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Cela n'est pas douteux.

M. Verhaegen. - Cela n'est pas douteux, dit M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - C'est-à-dire que la moralité du sieur Manfroid est à l'abri de tout reproche.

M. Verhaegen. - (page 511) Nous ne voulons pas constituer la chambre en synode ; beaucoup s'en faut. Nous avons dit, et nous le répétons, qu'il ne s'agit que de constater les faits et d'en laisser des traces dans nos archives pour qu'il soit possible à chacun de nous d'aviser plus tard.

Messieurs, j'ai indiqué les difficultés qui pourraient se présenter un jour, mais je n'ai pas voulu les discuter, beaucoup moins les résoudre aujourd'hui. Il ne peut donc pas être question d'incompétence.

Encore une fois, tout se borne à la constatation de certains faits, et je suis heureux que les renseignements fournis par M. le ministre de l'intérieur soient en tous points conformes à ceux qui m'ont été donnés et que j'ai eu l'honneur de vous communiquer.

Les faits sont excessivement simples. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'un établissement d'enseignement primaire laïque dirigé par un particulier contre lequel il ne s'est jamais élevé le moindre reproche, mais qui se trouve frappé d'interdit par le curé-doyen du lieu, uniquement parce qu'il fait concurrence aux sœurs de la Miséricorde.

Il ne s'agit pas seulement d'un refus d'admission à la première communion, alors que l'instruction religieuse aurait été donnée ailleurs, mais bien d'un refus d'admission de plusieurs enfants catholiques dans l'église pour y venir recevoir l'instruction préparatoire à la première communion.

Voilà, messieurs, la question, il n'y en a pas d'autre. La différence est du tout au tout. On pourrait bien, au point de vue du principe rigoureux que l'on invoque, soutenir qu'il n'y a pour l'autorité civile rien à voir dans la conduite des ecclésiastiques qui refusent d'admettre à la première communion les enfants qui n'ont pas reçu l'instruction religieuse dans l'église ou conformément aux principes du clergé ; mais il en est tout autrement lorsque le clergé, qui a une mission à remplir, et qui est même rémunéré, pour cette mission, sur les fonds du budget, se permet d'exclure, de chasser même de l'église des enfants catholiques qui viennent y solliciter l'instruction religieuse pour se préparer à la première communion. N'y a-t-il pas là le refus d'un service dû légalement ? Le salaire n'est-il pas payé pour des services rendus ou à rendre ?

Messieurs, il ne s'agit pas de rapports à établir entre un instituteur privé et le clergé ; ce n'est pas là la question. Je mets même l'instituteur de côté. Il s'agit de savoir (je ne décide pas la question, je ne fais que la poser), il s'agit de savoir si, sous de vains prétextes, le clergé peut refuser à des enfants catholiques l'instruction religieuse dans l'église.

En définitive, qu'avons-nous voulu faire ? Constater les faits. Maintenant les faits sont constatés par les explications, par les renseignements qui nous ont été fournis par M. le ministre de l'intérieur, et ils sont tels que je les avais rapportés.

Quelle sera la conséquence de cette constatation ? Le dépôt au bureau des renseignements pour que chacun de nous puisse aviser et se mettre en garde contre les nouvelles exigences qui pourraient surgir au sein de la législature de la part du clergé dont quelques membres se montrent si intotérants.

Viennent à cesser, d'après cela, ma demande d'ajournement et ma proposition de renvoi à M. le ministre de l'intérieur, et je me borne à demander le dépôt de la pétition au bureau des renseignements et l'insertion au Moniteur.

Toutefois, en ce qui me concerne je ne renonce à aucun des droits que je pourrais avoir par suite de ce dépôt ; j'aurai à examiner en temps et lieu si le refus d'admettre des enfants catholiques dans l'église pour y recevoir l'enseignement religieux ne peut pas entraîner certaines conséquences.

M. Coomans. - Je demande la parole.

- Un membre. - On nie le fait.

M. le président. - On ne nie pas le fait ; mais on demande la parole.

M. Verhaegen. - Le fait est constaté.

M. Coomans. - Je l'expliquerai.

M. Verhaegen. Il ne manque plus qu'une chose.

Vous rappelez-vous qu'à l'occasion de la loi sur l'enseignement moyen nous avons discuté avec beaucoup de chaleur sur l'intervention du clergé dans les écoles du gouvernement au sujet de l'instruction religieuse, et à quoi avez-vous abouti ? (Tout le monde a été d'accord là-dessus). A déclarer que si l'on ne pouvait pas obtenir le concours du clergé, que si on ne parvenait pas à s'entendre avec lui, il ne restait qu'un seul moyen, celui d'envoyer les enfants à l'église, pour y recevoir l'instruction religieuse ; c'est ce que disait entre autres l'honorable M. de Decker ; et quand les enfants se présentent à l'église on leur en interdit l'entrée sous le prétexte qu'ils suivent des écoles laïques.

Voilà le cercle vicieux où l'on tourne ; voilà la liberté d'enseignement ! dorénavant il n'y aura de liberté d'enseignement que pour les enfants catholiques admis à suivre, à l'église, le cours du catéchisme. Singulière liberté !

Pour mon compte, je le répète, je ne renonce pas à l'examen. Il y a quelque chose à faire. Je ne dis pas quoi, c'est ce que nous verrons plus tard.

Le dépôt de la pétition au bureau des renseignements est indispensable, d'après les explications données par le gouvernement, vous ne pouvez le refuser sans commettre une voie de fait.

Mais l'insertion au Moniteur, messieurs, ce serait vraiment inconcevable qu'après un débat solennel, la pétition qui en fait l'objet ne fût pas insérée au Moniteur.

C'est la suppression d'une partie du compte rendu de la séance d'hier, je dirai même la suppression d'une partie du discours de l'honorable M. Allard, qu'on vous demande par mesure exceptionnelle.

Je n'en dirai pas davantage sur cette question. Il est dans l'intérêt de toutes les opinions que la lumière paraisse dans tout son jour.

Je retranche donc les deux parties de ma proposition relatives à l'ajournement et au renvoi au ministre de l'intérieur. Je maintiens les deux autres : dépôt au bureau des renseignements et insertion au Moniteur.

M. de Mérode. - Messieurs, lorsqu'une réclamation se présente ici contre un membre du clergé que ses supérieurs estiment, il semblerait que si quelque présomption dût être admise c'est en faveur du prêtre dénoncé et non point de celui qui l'accuse. Peu d'entre vous probablement connaissent M. le doyen de Gosselies ; quant à moi, des rapports de voisinage très proche m'ont mis en relation avec lui depuis vingt ans, et je l'ai vu entouré de la considération de ses confrères etd e ses paroissiens du canton de Chimay, d'où il a passé à Gosselies ; cependant je ne déciderais pas sans examen préalable, si ma mission était de juger la conduile à l'égard de l'école de M. Manfroid que celui-ci a tort ; parce que toutes les fois qu'on est appelé à porter un jugement, il faut d'abord connaître les faits et les actes qu'on doit apprécier.

Comme représentant dans cette enceinte d'un certain pouvoir civil, je n'ai point de décision à rendre sur un débat d'ordre exclusivement religieux ; cependant comme catholique je ne pourrais que blâmer M. Manfroid précisément parce qu'il s'adresse à une autorité que tout bon catholique n'invoque point en pareille circonstance. Je suis donc fâché pour lui qu'il se soit adressé à la chambre dans l'occurrence, cette démarche de sa part n'indiquant pas une intelligence sérieuse au point de vue religieux ni même constitutionnel. Si les autorités ecclésiastiques n'approuvent pas la tenue de l'école de M. Manfroid, il n'a que deux choses à faire : se soumettre à leurs observations, ou continuer à suivre les méthodes qu'il a adoptées sans se soucier d'autre chose que de ses propres inspirations. Réclamer l'intervention des chambres dans une question qui concerne les sacrements, c'est provoquer le pouvoir parlementaire actuel à reprendre quelque chose des coutumes des vieux parlements de France, sous Louis XV, qui, par arrêts, forçaient les curés à administrer tel ou tel malade qui se refusait à accepter les décisions du saint-siége sur le jansénisme.

Bientôt après, les mêmes parlements étaient eux-mêmes renversés par une révolution brutale qui ne les respectait pas plus que l'Eglise.

A chacun suffit sa tâche ; la nôtre est déjà si compliquée pour les affaires qui nous concernent, que nous en laissons chaque année beaucoup en arrière.

Après la pétition de M. Manfroid, peuvent en arriver d'autres de nature analogue par l'encouragement que celle-ci aura reçu ; et nous passerons notre temps à discuter des faits qui ne sont point de notre compétence.

Il y a dans tout ordre politique certains inconvénients qu'il faut subir ; et, comme disait dernièrement dans une lettre à l'un de ses collègues Mgr l'archevêque (erratum, page 560) de Moulins, j'aime trop la liberté quand elle me sert, pour ne pas la supporter quand elle me gêne.

L'honorable M. de Theux s'est servi du mot « libéraux » pour désigner ceux qui appuyaient la pétition de M. Manfroid. Vous le savez, messieurs, je me suis constamment élevé contre cette dénomination appliquée d'une manière spéciale aux membres qui siègent habituellement a gauche parce que, siégeant à droite, je suis et crois être libéral, qualification qui me ferait refusée par ces confusions de langage qui engendrent inévitablement la confusion des idées.

Chacun doit savoir que tout ordre politique a ses inconvénients, que ces inconvénients sont inévitables, et j'insiste fortement sur cette pensée, parce qu'en la perdant de vue, on s'exposerait à des mécomptes bien plus graves. C'est pourquoi Mgr l'archevêque de Malines écrivait récemment à l'un de ses collègues dans l'épiscopat : « j’aime trop la liberté quand elle me sert pour ne pas la supporter quand elle mé gêne. » J'engage donc ceux qui se trouvent peu satisfaits de la conduite du doyen de Gosselies, et je conçois qu'elle ne leur soit pas agréable, je les engage à se résigner, comme je me résigne à beaucoup de choses que la Constitution autorise et qui sont loin de me réjouir.

M. de Haerne. - Après ce qui a été dit par plusieurs de mes honorables amis, il ne me sera pas nécessaire d'entrer dans de bien longs détails.

J'aurai cependant à répondre à quelques observations particulières, qui ont été faites dans un sens contraiie au nôtre.

Je commencerai par dire, avec l'honorable préopinant, que je regrette beaucoup cette discussion et surtout le caractère irritant qu'elle a pris.

A entendre certains orateurs, ne dirait-on pas que le clergé est en lutte avec l'enseignement libre, qu'il s'élève contre toutes les institutions privées ? Tout à l'heure, nous avons entendu un honorable membre qui, faisant allusion à une discussion précédente tout aussi regrettable que celle-ci, nous disait :

« Nous nous plaignons de ce que le clergé ne voulait pas consentir à donner l'enseignement religieux dans les établissements de l'Etat, et l'on nous disait : Conduisez les enfants à l'église ! Maintenant, on ne veut plus les admettre à l'église !» Je ne rentrerai pas dans la discussion à laquelle on a fait allusion ; mais, comme elle a une certaine (page 512) connexion avec le débat actuel, je dois, en réponse à ce qui a été dit à cet égard, faire une simple observation : à cette époque on a dénié au clergé l'autorité religieuse dans les établissements de l'Etat, on a soutenu qu'il ne pouvait pas se présenter dans les écoles officielles à titre d'autorité. On a entendu parler de l'autorité religieuse ; car sans cela on n'aurait rien dit du tout.

Eh bien, messieurs, ce principe est un principe schismatique que le clergé n'admettra jamais et qu'il ne peut pas admettre, sans s'anéantir et sans entraîner dans sa ruine, la foi, dont il est le gardien et le défenseur.

Ce principe, messieurs, qui a été soutenu devant vous, devait amener des conséquences, et ces conséquences sont précisément celles dont nous sommes témoins aujourd'hui, c'est-à-dire que tout tend à une intervention de l'Etat dans les affaires du culte. Puisqu'on a refusé l'autorité religieuse au clergé dans les écoles, il est naturel qu'on la prenne soi-même.

En effet, si le dépôt de la pétition au bureau des renseignements et la demande d'insertion au Moniteur ont une signification quelconque, il faut qu'il y ait, de la part des orateurs qui soutiennent les deux propositions, une intention d'intervenir dans les affaires du culte. Tel est au moins le sens évident de leurs paroles. Sans cela la demande d'enquête et les autres propositions de nos adversaires n'ont aucune signification, ce sont des non-sens. On nous disait tout à l'heure, à propos du prétendu abus de Gosselies, qu'après tout la Constitution nous défend de juger : « Voilà où nous marchons. »

Je dis moi : « Voilà où vous marchez par vos principes. » Vous avez soutenu que le clergé n'a pas d'autorité religieuse à exercer dans les écoles officielles et de là vous êtes arrivés à vouloir contrôler son autorité même et à la détruire dans son principe, dans son essence. Est-ce ainsi que vous préludez aux garanties que vous offrirez au clergé, pour obtenir son concours dans l'instruction moyenne, donnée par l'Etat ?

Vous parlez d'abus ! Qu'en savez-vous ? Je ferai remarquer qu'il y a une immense différence entre les explications de M. le ministre de l'intérieur et le sens qui avait été donné à la pétition ; je suis maintenant convaincu que les faits ont été exagérés dans la plainte du sieur Manfroid, et, pour n'en signaler qu'un seul, ne nous a-t-on pas dit tout à l'heure qu’on exigeait que els enfants de l’école libre passassent parle couvent, pour être admis à l’enseignement dans l’églide ?

Voilà ce qu'on a prétendu d'après la pétition, et M. le ministre de l'intérieur a dit tout simplement que le curé de Gosselies avait donné la préférence à l'enseignement du couvent. (Interruption.) C'est ainsi que j'ai compris les paroles de M. le ministre de l'intérieur.

Ce sont bien les expressions dont il s'est servi. D'un côté, on dit que le curé force ; de l'autre côté, on dit qu'il préfère. Voyez la différence ! Je n'entre pas dans le fond de la question soulevée par la pétition ; je crois, messieurs, que nous n'avons aucun droit à cet égard ; je constate seulement que les explications officielles que nos adversaires ont provoquées de la part du ministère, font tomber l'échafaudage de leurs attaques.

Messieurs, ces questions sont extrêmement délicates en ce qu'on n'entend qu'une partie et que l'autre partie peut avoir agi par des motifs qu'elle doit renfermer dans sa conscience.

Puis voyez les exagérations où l'on tombe ! On parle comme si le clergé se mettait en hostilité avec les institutions privées. Après tout s'il y avait un grand nombre de cas pareils à celui dont il s'agit, je concevrais jusqu'à un certain point les préjugés qui s'élèvent à cet égard, mais je ne pourrais admettre les prétentions qu'ils ont fait naître ! Voyons si ce ne sont pas des fantômes que l'on s'est créés ?

Il existe, dans le pays, une infinité d'écoles libres, et elles sont généralement en parfaite harmonie avec le clergé. Dans l'arrondissement dont je tiens mon mandat, il n'y a guère de commune où il n'existe des institutions laïque privées à côté d'institutions religieuses, à côté de couvents ; et cependant toutes ces écoles laïques sont dans une entente parfaite avec le clergé, et les enfants qui les fréquentent sont admis dans l'église à l’enseignement particulier qui sert de préparation à la première communion. M. le curé-doyen de Gosselies seul n'admet pas les enfants d'une certaine école au catéchisme de la première communion. Il est d'ailleurs approuvé par son évêque qui consent à ce que les élèves des autres écoles du diocèse soient admis à cette instruction spéciale. J'en conclus que le pasteur de Gosselies doit avoir eu pour agir ainsi des motifs graves que, comme législateur, je n'ai pas à examiner, mais que je dois respecter.

Et puisque je viens de parler de la première communion, que l'honorable M. Verhaegen me permette de relever une inexactitude dans laquelle il est tombé ; il a dit que le curé de Gosselies refusait l'admission des élèves de M. Manfroid dans l'église ; c'était là surtout le grief qu'il alléguait contre cet honorable ecclésiastique.

Mais, messieurs, je suis persuadé que les choses ne se passent pas ainsi, à moins que l'admission de l'école à l'église ne donnât lieu à des irrévérences, ce que je ne crois pas. Le curé ne peut pas avoir refusé l'entrée de l'église, mais ce qu'il aura probablement refusé, je le crois, sans en avoir la preuve, d'après tout ce qui se passe dans le clergé, c'est l'admission des élèves à l'instruction spéciale qui se donne dans l'église pour préparer les enfants à la première communion. Or, ceci est tout à fait différent. (Interruption.) Oui, c'est au curé qu'il appartient de juger de l’âge, des conditions morales et religieuses exigées pour être admis à la première communion.

Si ces conditions ne sont pas remplies, le curé n'admet pas les enfants à la première communion, ni par conséquent à l'instruction préparatoire. Voilà ce qui se passe partout.

Je le répète, messieurs, je ne connais ni M. le curé de Gosselies ni M. Manfroid, mais je soutiens avec plusieurs de mes honorables collègues que nous n'avons pas le droit d'intervenir dans cette question, que notre intervention serait des plus dangereuses, qu'elle tendrait à confisquer la liberté des cultes proclamée par la Constitution.

La violation de cette précieuse liberté serait évidente, comme je l'ai démontré.

C'est pour cela que je dois m'associcr à mes honorables amis qui repoussent la proposition d'insertion au Moniteur ainsi que toute proposition d'enquête et de dépôt au bureau des renseignements ; c'est pour cela que je voterai l'ordre du jour proposé par la commission des pétitions.

M. Rogier. - Messieurs, il ne faut pas exagérer la portée des propositions qui vous sont faites. Personne ne demande que la chambre se transforme en synode. Personne ne demande que la chambre prononce un jugement contre le curé de Gosselies. Nous nous bornons à demander la constatation de certains faits et, à titre de renseignements, le dépôt d'une pétition au bureau qui a cette destination. Nous ne jugeons pas. Nous n'intervenons pas d'autorité dans une affaire qui ne serait pas de la compétence de la chambre.

Notre intervention, dit-on, tend à confisquer la liberté religieuse. Messieurs, si nous voyons la liberté d'enseignement, la liberté religieuse menacées, si des citoyens, frappés dans l'une ou l'autre de leurs libertés s'adressent à la chambre, qui est la protectrice naturelle de toutes les libertés, et si la chambre écoute leurs plaintes, dira-t-on que la chambre confisque la liberté ?

Les représentants de la nation sont, messieurs, spécialement préposés à la protection des citoyens qui se trouvent blessés dans l'exercice de leur liberté.

Or, un citoyen se voit frappe dans l'exercice de sa liberté d'enseignement ; des pères de famille se voient frappés dans l'exercice de leur liberté religieuse ; ils adressent des réclamations ; ces réclamations trouvent de l'écho dans cette chambre, elles y trouvent des défenseurs : ce mode d'intervention de la chambre est parfaitement licite, parfaitement constitutionnel, il y aurait déni de justice à ne pas accueillir de pareilles plaintes.

Le fait messieurs, personne ne peut nier sa gravité ; il ne lui manque que d'être plus général pour exciter une réprobation universelle. C'est, messieurs, pour empêcher la propagation d'un tel mal, c'est pour que ceux à qui on reproche un pareil abus soient avertis, c'est pour éviter qu'un pareil exemple ne soit suivi, qu'il est bon que la publicité et le contrôle parlementaire s'exercent.

Il est bon que les faits soient officiellement constatés et reposent dans nos archives.

C'est dans ce sens que j'ai demandé le dépôt au bureau des renseignements. C'est aussi avec le commentaire qui y a été donné par M. le ministre de l'intérieur que je demande ce dépôt, et de plus c’est à titre d'avertissement et à titre de document pour l'avenir si l'abus venait à se généraliser.

Qu'il y ait abus, personne ne saurait le nier, qu'il y ait atteinte à la liberté religieuse, personne ne le contestera. Je ne connais pas l'ecclésiastique dont on se plaint ; je veux croire que c'est un ecclésiastique parfaitement honorable ; l'honorable comte de Mérode vient de nous donner des renseignements que j'admets entièrement.

Je fais ici abstraction complète des personnes, je ne connais pas l'ecclésiastique ; pas plus que je ne connais l'instituteur. Je m'occupe exclusivement d'un fait. Quel fait avons-nous devant les jeux ? Un curé refuse l'admission au catéchisme, l'admission à la communion d'un certain nombre d'enfants, à qui il reproche de suivre une certaine école.

Il les frappe d'excommunication pour ce seul fait, car il n'a pas d'autre grief contre eux.

Ainsi que l'a fait observer mon honorable ami M. Verhaegen, de quelle manière nos honorables adversaires, en défendant cet acte que nous attaquons, de quelle manière entendent-ils aujourd'hui la pratique de la liberté d'enseignement ? Pour l'enseignement donné aux frais de l'Etat, nous étions d'accord (et la proposition en avait même été faite par d'honorables membres siégeant sur les bancs opposés), nous étions d'accord que, dans le cas où le clergé refuserait son concours aux écoles, les élèves iraient recevoir l'enseignement religieux dans l'église. Cela paraissait admis par tout le monde. Personne, messieurs, ne paraissait supposer alors qu'il pourrait arriver un jour que le clergé refuserait son ministère, même dans l'église, à des enfants catholiques.

Voilà pourtant, messieurs, ce qui arrive aujourd'hui, et le fait de Gosselies n'est pas entièrement isolé : on assure qu'en plusieurs endroits les enfants qui fréquentent les écoles moyennes de l'Etat ne sont pas reçus dans l'église, pour les leçons de catéchisme, sur le même pied que les autres, qu'on leur suscite des entraves, qu'on ne les traite pas avec autant de bienveillance que les enfants des autres écoles. Ces faits ont déjà été signalés. De telle manière, messieurs, qu'avec le système que vous défendez, il serait établi qu'une catégorie tout entière de citoyens se trouve sous le coup d'une excommunication, que les pères de famille qui enverront leurs enfants, soit dans certaines écoles privées laïques, soit dans les écoles réglées par la loi, se voient exposés à la privation de toute espèce de concours religieux pour leurs enfants. J'en appelle à votre (page 513) bonne foi, à votre modération, à votre esprit constitutionnel, et je vous demande si vous pourriez admettre de pareils principes avec toutes leurs conséquences ?

Il nous est impossible, messieurs, de fermer les yeux sur de pareils faits. Ils sont infiniment regrettables, et il n'est pas moins regrettable que, lorsqu'ils sont signalés dans cette enceinte, ils y trouvent des défenseurs.

De pareils faits ne devraient être encouragés, ce me semble, par aucune opinion constitutionnelle ; car, messieurs, s'ils venaient à se propager et à se généraliser, voici quelle en serait la conséquence inévitable : ou il n'y aurait plus de liberté d'instruction, ou il n'y aurait plus de religion dans le pays. Il n'y aurait plus de liberté d'instruction si les pères de famille n'ont plus le choix des instituteurs auxquels ils confient leurs enfants, si, en faisant ce choix, ils s'exposent à voir leurs enfants frappés d'excommunication.

La liberté d'enseignement aurait beau être inscrite dans la Constitution, en fait tous les pères de famille, qui veulent pour leurs enfants les secours de l'église, qui veulent que leurs enfants soient élevés comme tous les autres enfants catholiques, qui veulent le catéchisme, qui veulent la première communion, tous ces pères de famille seront privés du choix des instituteurs, au mépris formel des garanties de la Constitution.

Avec le système que vous défendez, la liberté d'instruction, en fait, n'existe pas pour eux, ils doivent passer par toutes les conditions que le clergé voudra leur imposer.

Si, au contraire (et le fait paraît s'être passé ainsi à Gosselies), si les pères de famille passent outre à l'excommunication, si, malgré le refus de la communion, ils persistent à envoyer leurs enfants à l'école que le clergé a frappée d'interdit, les voilà hors de l'église, les voilà acceptant l'excommunication, les voilà méprisant le clergé et l'église. Trouvez-vous ce résultat désirable ? Cependant c'est là la deuxième conséquence du système dont vous vous posez les défenseurs. Ou la liberté d'instruction se trouve frappée, ou c'est la religion ; il me semble qu'il n'y a pas de milieu.

Je ne pense pas, messieurs, que le dépôt de la pétition au bureau des renseignements puisse alarmer aucune conscience.

C'est le parti le plus doux qui puisse être suivi dans cetie circonstance vis-à-vis de la personne inculpée.

J'en viens à la proposition de M. Dumortier, et j'en dirai peu de chose.

Vous ne pouvez pas faire que les faits signalés, officiellement constatés, ne soient maintenant acquis à la publicité.

Faut-il que la pétition figure au Monitmr ? Hier, j'ai eu l'honneur de dire que cette question me paraissait puérile. Je viens de relire la pétition : elle contient une ou deux expressions un peu vives, mais elle n'est pas écrite d'un style qui soit de nature à effaroucher beaucoup les esprits. C'est un instituteur lésé dans sa profession, dans sa fortune, qui a fatigué toutes les autorités de ses pétitions, qui après s'être soumis à toutes les conditions qui lui avaient été imposées pour obtenir, non le concours du clergé pour son école, mais le retrait de l'excommunication qui frappe ses élèves à l'église, continue cependant à subir les mêmes mesures qui l'atteignent.

Après plusieurs années de démarches inutiles, le pétitionnaire s'adresse à la chambre ; il le fait dans des termes que je ne défends pas, mais qui dans leur généralité n'ont rien d'exorbitant ; cette pièce a été lue hier ; je pourrais la lire encore aujourd'hui, si je ne craignais d'allonger la discussion ; vous verriez qu'elle n'a rien dans sa forme de si monstrueux qu'elle ne puisse voir le jour sans effrayer les geus.

Au reste, la chambre en décidera. Les faits sont constates ; ce à quoi je tiens, c'est au dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

M. Malou. - Messieurs, je tâcherai aussi de ne pas trop prolonger ce débat. Dans une circonstance récente, l'honorable M. Verhaegen nous disait, à propos de la réforme de la loi de l'enseignement primaire : « Je ne veux pas que, sous prétexte de catéchisme, le clergé vienne imprimer un cachet catholique à l'instruction tout entière. »

Aujourd'hui il se présente un fait isolé : le refus du concours de la part d'un ministre du culte, non pas dans un établissement d'enseignement fondé par l'Etat, mais dans une institution particulière, et on demande que la chambre intervienne de manière ou d'autre, pour forcer le cierge à intervenir dans l'industrie du sieur Manfroid, suivant l'expression dont vient de se servir l'honorable M. Rogier, pour que le clergé veuille bien, dans un intérêt privé, imprimer son cachet catholique à l'enseignement que donne le sieur Manfroid.

Ainsi, après avoir repoussé le principe de l'intervention générale du clergé dans l'enseignement primaire officiel, en vertu de la loi, on vient le blâmer ici d'avoir refusé son concours dans un cas particulier dont le clergé seul est juge.

Telle est la vérité sur cette question.

On dit que le parti le plus doux auquel, en tout cas, on puisse s'arrêter à l'égard de l'inculpé, c'est le dépôt de la pétition au bureau des renseignements ; on parle de l'inculpé ; mais de quel droit êtes-vous ses juges ? Car si vous étiez, si vous pouviez être ses juges, je vous rappellerais au premier principe qui est d'entendre l'accusé ; et ici vous faites le contraire ; vous entendez l'accusation et vous dites :

« Il y a un inculpé ; le parti le plus doux à suivre, c'est de prendre en considération l'accusation qui a été produite, sans que la défense ait pu se produire. »

C'est là ce qu'on demande, quand on vous propose le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

C'est aussi pour ce motif que je le combats ; que je demande l'ordre du jour ; il est de la dignité, de la justice de la chambre, il est conforme aux notions les plus simples de la morale que la chambre ne prenne pas en considération une accusation qui a été produite et qu'elle n'est pas à même d'apprécier, sans que la défense ait pu été entendue.

Les accusations fussent-elles mêmes fondées, vous n'êtes pas juges des motifs qui ont pu déterminer la conduite d'un membre du clergé dans ce cas particulier.

On dit : Ces faits méritent le blâme de toutes les opinions ; d'abord je ne reconnais pas que ce sont des faits ; je sais qu'il y a une accusation, mais je ne sais pas quels peuvent être les motifs de la résolution du doyen de Gosselies.

Ces faits méritent, dit-on, le blâme de toutes les opinions, parce qu'ils attaquant la liberté ou la religion ; eh bien, notre débat actuel attaque à la fois la liberté et la religion.

Ce débat attaque la liberté et la religion ; en effet, ou vous voulez seulement soulever un débat qui fasse quelque bruit dans le pays ; ou vous irez plus loin, beaucoup plus loin.

Implicitement vous voulez faire déclarer qu’il y a eu abus dans la conduite du curé-doyen de Gosselies. Je croyais que, sous l'empire de la Constitution, les appels comme d'abus avaient cessé ; mais en supposant que les appels comme d'abus existassent encore constitutionnelement, il y a là aussi des formes à observer, une juridiction à suivre ; il y a là pour l'inculpé moyen de se défendre.

Vous attaquez la liberté ; si vous voulez être logiques, vous irez beaucoup plus loin. Quand vous aurez décrété que le concours du clergé est dû, en tout cas, à l'enseignement privé, qu'il y a abus de la part du clergé à ne pas le donner, vous trouverez peut-être moyen de résoudre quelque jour la grande question du concours du clergé dans tous les établissements de l'Etat : vous décréterez quelque jour qu'il doit son concours à tous ces établissements. Que ne l'avez-vous fait, si le principe que vous soutenez est vrai ?

L'on ajoute : « Le sieur Manfroid est frappé dans le libre exercice de son industrie. ». Mais le clergé est-il forcément associé à cette industrie ? Où est la loi qui oblige le clergé à concourir à l'industrie du sieur Manfroid ?

S'il est lésé, s'il a une action en intérêts civils, qu'il la fasse valoir ; ce n'est pas a la chambre à venir prononcer en pareille matière. Tout ce débat porte sur une accusation gratuite sans preuve. Ainsi l'honorable M. de Perceval, lisant un passage de la pétition, dit que le curé refuse la communion aux jeunes personnes parce qu'elles ne se présentent pas au couvent.

Eh bien, je demande si ce « parce que » est justifié. C'est là toute lah question. Le curé peut avoir d'autres motifs. Il plaît au pétitionnaire de dire que c'est celui-là.

Je demande où est la preuve que c'est là le motif pour lequel le curé aurait refusé d'admettre les jeunes personnes à la première communion.

Il peut y avoir un grand nombre de motifs sur lesquels il serait peut-être de l'intérêt d'un plaignant qu'il n'y eût pas d'enquête. (Interruption.)

Je déclare que j'ignore complètement les faits, mais en posant une simple hypothèse qui n'est pas, à coup sûr, une accusation ; je veux faire apprécier par le fait même de cette discussion combien est mauvais pour nos institutions le terrain sur lequel on place la question. Vous n'avez pas produit de preuves à l'appui de l'accusation dont vous voulez que la chambre se fasse l'écho ; les faits, fussent-ils vrais matériellement parlant, peuvent s'expliquer d'une toute autre manière.

Le droit de pétition, quel en est le but, quelle en est sanction ? Le but est de réprimer les abus de la part des autorités. Ici je demande si, en supposant l'exactitude de tous les faits, si le curé-doyen de Gosselies est à ce titre justiciable de la chambre ; si en réalité, à part l'intérêt que vous pouvez avoir de raviver ces vieilles questions, vous avez le droit de les régler ; vous devrez arriver à une conclusion quelconque.

Je demande si vous n'êtes pas occupés à discuter pour décider entre deux particuliers lequel a tort et lequel a raison, car le curé de Gosselies n'est pas autre chose vis-à vis de vous qu'un simple particulier ayaat un différend avec un autre particulier. Il ne relève pas de vous comme autorité religieuse ; l'autre n'est pas fonctionnaire public. Vous prenez sous votre patronage les allégations d'un particulier contre un autre et vous condamnez le dernier sans avoir entendu l'autre.

Je demande donc que la chambre, conformément à tous ses précédents, quand elle est saisie d'un objet étranger à ses attributions, prononce l'ordre du jour. Nous ne craignons pas la lumière ; on publiera la pétition dans tous les journaux qui croiront avoir intérêt à relever des calomnies, ou, si vous voulez, des faits, des accusations non justifiées.

Si je persiste dans ma demande d'ordre du jour, c'est que je veux que la chanbre, se renfermant dans son droit et sa dignité, ne prenne pas sous son patronage une accusation que rien ne justifie.

M. Lebeau. - J'ai eu l'honneur, très grand, de contribuer à faire inscrire, dans la Constitution qui nous régit, la liberté des cultes, avec des proportions qui ne se rencontrent dans aucune des Constitutions de l'Europe. J'ai aussi, dans cette solennelle circonstance, poussé le respect pour le principe de la liberté des cultes au point de rejeter des restrictions (page 514) que des catholiques très fervents ont contribuée faire inscrire dans la Constitution.

Je me croirais aujourd'hui indigne de cet honneur, d'un des actes de ma vie politique dont je suis le plus fier, si je venais dire un mot qui pût porter atteinte à ce grand principe.

Si donc j'appuie de considérations très sommaires la demande du dépôt au bureau des renseignements de la pétition dont la chambre s'occupe, personne ne peut y voir l'intention préconçue d'apporter la moindre restriction à la liberté des cultes.

Mais, messieurs, si la liberté des cultes est un principe de notre Constitution, si ce principe est inviolable, s'ensuit-il qu'à la faveur du principe de la liberté des cultes, il ne puisse se produire certains abus que nous avons le droit d'examiner ?

Je lis dans la Constitution que la liberté des cultes, à l'égal de toutes les libertés, n'existe pas d'une manière absolue, car les abus qui peuvent en résulter tombent parfois sous l'action du pouvoir.

Lisons l'article 14 : « La liberté des cultes, celle de leur exercice public, ainsi que la liberté de manifester ses opinions en toute matière, sont garanties sauf la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. »

Maintenant que résulte-t-il de là ? Que dans certaines pratiques parfaitement légitimes du culte, des délits peuvent se commettre ; que la liberté de la chaire, par exemple, n'est pas illimitée, car la diffamation qui se produirait sous forme de sermon, serait du ressort de l'autorité. Cela est incontestable.

J'ai surtout insisté pour prendre la parole, quelque pénible que soit pour tout le monde la prolongation de ces débats, parce que l'honorable membre qui vient de parler m'a paru confondre perpétuellement deux choses absolument distinctes ; il s'est imaginé, et son discours a eu pour but de réfuter ceci : qu'on fait un reproche à l'honorable ecclésiastique (car je n'ai entendu parler de lui qu'en très bons termes, en dehors du débat qui nous occupe) d'avoir refusé son concours à l'établissement d'instruction dont parle la pétition. Il n'en est absolument rien. Si ce concours avait été demandé, le clergé aurait eu le droit de le refuser, comme je lui ai déjà reconnu le droit de refuser son concours dans les établissements de l'Etat. Mais là n'est pas la question. L'instituteur n'a pas réclamé le concours du clergé, il se plaint d'un fait constaté, si je ne me trompe, par l'enquête administrative, à savoir qu'il y a eu interdiction de l'enseignement religieux, à l'église, où tous les individus peuvent entrer, même les non-catholiques, interdiction pour ses élèves, pour des enfants de se présenter au catéchisme. C'est l'excommunication, avec cette circonstance aggravante qu'elle pèse sur des enfants, sur des enfants qui pourraient en faire plus tard des reproches à leurs pères et mères.

Voilà le fait dans toute sa sincérité, dans toute sa nudité.

Maintenant ces faits doivent-ils nous trouver parfaitement indifférents ? Si ces faits sont exacts, ils doivent nous préoccuper, sinon comme législateurs ayant le droit de statuer sur le débat actuel, du moins comme hommes, comme pères de famille.

Remarquez bien que si ce fait pouvait se généraliser, si l'interdiction à la participation de l'enseignement religieux, de l'enseignement du catéchisme, et par suite de la première communion, pouvait se reproduire impunément, sans éveiller la susceptibilité du législateur, du père de famille, on finirait par aller plus loin ; on ne se bornerait pas à interdire aux enfants le cours de catéchisme ; on finirait par leur fermer les portes de l'église, par les empêcher peut être d'assister au sermon, à la messe.

Je remarque, en effet, qu'il y a une effrayante progression dans la série des faits analogues : on commence par repousser du chœur d'une église, à l'occasion d'une cérémonie semi-politique, semi-religieuse, des fonctionnaires de l'Etat. Dans d'autres communes, dans la ville d'Anvers, on exclut, sous la forme collective d'établissement d'instruction, les élèves des écoles moyennes, qui se présentent pour recevoir l'instruction religieuse. C'est constaté. On vient de faire un pas de plus : on exclut les jeunes gens qui se présentent au cours de catéchisme, non plus sous une forme collective, mais individuellement, et par cela seul qu'ils appartiennent à une école libre, non placée sous la direction du clergé. On les exclut ainsi de la faculté de faire leur première communion ! De là à leur fermer absolument les portes de l'église, je le répète, il n'y a plus qu'un pas.

Maintenant, est-il vrai que nous ne pouvons nous préoccuper de pareils faits comme législateurs ? Non, certainement, cela n'est pas vrai. Je dis que nous devons le faire, que par cela même que ces faits nous sont révélés, nous devons les recueillir, les constater, les enregistrer, ne fût-ce qu'à titre de renseignements (sans nous prononcer olliciellement sur le caractère de ces faits), car ils peuvent avoir de l'influence sur les mesures législatives que nous pouvons être appelés à prendre.

Si, par exemple, nous avions encore à examiner la convenance d'insérer dans des lois sur l'enseignement l'intervention du clergé, qu'il s'agît de l'enseignement primaire ou de l'euseignement moyen, nous aurions à examiner si nous n'exposerions pas de ce chef la dignité du pouvoir civil à recevoir des humiliations.

On dit qu'il ne faut rien préjuger contre l'ecclésiastique dénoncé. Je l'admets. Mais il ne faut rien préjuger non plus contre l'auteur de la pétition. Si vous frappez le pétitionnaire d'un ordre du jour, motivé comme il l'est par certains discours, ne sera-ce pas un préjugé, un blâme contre lui ? Et serait-ce juste, alors que M. le ministre de l'intérieur est venu vous dire qu'avant de recourir à ce moyen extrême, le pétitionnaire, loin de vouloir faire du scandale, s'est adressé à son doyen, au supérieur du doyen, à l'inspecteur provincial (qui donne raison à l'instituteur et dont le témoignage ne peut être suspect, puisque, si je ne me trempe, il a été nommé par un homme qui inspire une grande confiance à une partie de cette chambre, par l'honorable M. No-thomb), à M. le gouverneur delà province. Ainsi tout le monde s'accorde à dire que cet homme a la confiance des pères de famille ; ceux-ci en témoignent eux-mêmes. Et vous pensez que vous pourriez vous montrer impartiaux et justes en accueillant par l'ordre du jour les calomnies, les diffamations qui paraissent avoir été dirigées contre la moralité de son établissement ! C est ce que vous feriez par l'ordre du jour ; c'est le sens de l'ordre du jour.

Le dépôt au bureau des renseignements, au contraire, ne décide rien ; il ne préjuge pas l'opinion delà chambre sur les faits. S'il était constaté ultérieurement que les faits sont calomnieux on renverrait la pétition au ministre de la justice, ou on laisserait à la partie intéressée le soin de se plaindre d'avoir été calomniée de la manière la plus solennelle, devant les représentants de la nation. Le dépôt au bureau des renseignements ne préjuge rien. L'ordre du jour, au contraire, c'est, quoi que vous en disiez, la condamnation du pétitionnaire.

Je crois donc émettre un vote de modération et d'impartialité en demandant le dépôt au bureau des renseignements et l'insertion de la pétition aux Annales parlementaires.

M. Coomans. - Je me demande depuis hier où l'on veut en venir, quelles sont les conclusions pratiques que l'on a en vue et à quoi tend tout ce débat.

M. Lebeau. - Nous verrons.

M. Coomans. - Je voudrais voir dès à présent, et ne pas procéder en aveugle.

Voulez-vous forcer le curé-doyen de Gosselies à confesser les gens malgré lui ? Avez-vous ce droit-là ? Si vous ne l'avez pas, quelle est l'intervention que vous réclamez ? Comme on l'a très bien dit, il y a deux parties en présence ; l'une d'elles ne se prête pas à l'industrie de l'autre, pour des motifs dont nous n'avons pas à demander compte,

Un prêtre refuse son concours aune école privée. Que cela soit bien ou mal, cela ne nous regarde pas. Nous n'avons pas à nous ingérer dans des luttes de ce genre. Chaque jour, sous le régime de la liberté, il se présente, en d'autres matières, des cas exactement semblables.

Dans la religion juive, si je suis bien informé, il y a certaines boucheries privilégiées. Il y a des boucheries mises à l'index, excommuniées par les rabbins comme impures. Si donc un boucher catholique, qui se verrait empêcher ainsi de vendre sa viande aux enfants de Jacob, venait, en vertu de la Constitution, réclamer auprès de nous le droit d'approvisionner leur cuisine, s'il nous adressait des pétitions, sous prétexte que la liberté de l'industrie serait menacée, que lui répondrions-nous ? Nous l'enverrions se.... plaindre ailleurs.

L'honorable M. Lebeau cite la Constitution à l’encontre des prétendus faits posés par le curé-doyen de Gosselies. D'après M. Lebeau, nous avons le droit de rechercher s'il y a eu délit dans l'exercice de la liberté des cultes. Soit. Je conçois qu'on puisse commettre des délits en usant de la liberté des cultes comme d'autres libertés ; mais un délit suppose toujours un acte : ainsi un prêtre n'est pas libre de prêcher tout ce qu'il veut, mais il est libre de s'abstenir, il est libre de ne pas prêcher quand il lui convient de se taire.

Or, tout ce qu'on a reproché au curé-doyen de Gosselies, c'est une abstention ; il ne peut jamais y avoir délit dans ce cas, et cette invocation malencontreuse de la Constitution dans l'espèce, me donne à penser avec d'honorables amis qu'on veut aller beaucoup plus loin qu'on ne le dit. On fait en ce moment une tentative pour intervenir malicieusement dans les églises et dans les sacrislies.

Messieurs, s'il était vrai, comme on l'a itérativement affirmé hier et aujourd'hui, que le curé-doyen de Gosselies fermât l'église à des élèves d'une école qui ne lui convient pas, nous pourrions, jusqu'à un certain point, nous préoccuper de ce fait, dans ses rapports avec l'ordre public ; cependant ce serait encore une question assez grave que de savoir jusqu'où nous avons à nous mêler du culte dans les églises.

Je dis que ce serait une question assez grave, car je me rappelle qu'il y a une dizaine d'années, étant entré dans une synagogue, où je n'avais pas commis la moindre inconvenance, je fus prié, au bout de dix minutes, d'en sortir, parce qu'on voulait faire les choses en famille.

Eh bien, messieurs, je ne me suis pas adressé à la chambre pour réclamer contre cette expulsion d'un temple subsidié par l'Etat.

Mais, messieurs, il est très inexact de dire que l'église de Gosselies ait été fermée aux élèves du sieur Manfroid.

On m'a affirmé ce matin que l'église est restée ouverte à tous les fidèles comme aux infidèles ; ce que le curé paraît avoir refusé, c'est d'admettre les élèves du sieur Manfroid à un enseignement spécial, préparatoire à la première communion. Or, je crois que là il est parfaitement dans son droit : vous ne pouvez pas le forcer à catéchiser les gens malgré lui ; qu'il ait tort ou raison, vous n'avez pas à vous mêler de ses affaires ; il s'agit d'un enseignement spécial auquel le curé admet les personnes qu'il juge suffisamment préparées ; veuillez remarquer que très souvent cet enseignement spécial se donne dans la sacristie ; je ne sais si c'est le cas dont on s'occupe aujourd'hui, mais si l'on donnait suite aux prétentions de MM. Rogier, Verhaegen et Lebeau, on pourrait finir par exiger que tout le monde fût admis à l'enseignement spécial (page 515) dont il s'agit, alors même qu'il se donnerait dans la sacristie, où certes notre inquisition serait très déplacée.

Ce qui me semble avoir préoccupé vivement les honorables MM. Verhaegen et Rogier, c'est la crainte de l'excommunication. Ils se sont beaucoup appesantis là-dessus. Voyez donc le danger ! se sont-ils écriés. Si l'on allait nous excommunier aussi, nous, l'instituteur Manfroid et ses élèves. Messieurs, je dis que le clergé a le droit constitutionnel de nous excommunier, vous et moi, quand bon lui semble ! Nous n'aurions pas même à nous occuper de cela dans la chambre. (Interruption.)

Vous dites que vous ne craignez pas l'excommunication ? Alors pourquoi insistez-vous tant sur cette éventualité de l'excommunication ? Si le clergé, si tous les clergés du monde ont, en Belgique, le droit d'excommunier qui bon leur semble, vous n'avez pas le droit de vous en plaindre comme législateurs. Vous pouvez vous en plaindre en d'autres qualités ; vous vous en plaindrez dans vos journaux, dans vos clubs, de la manière qui vous semblera convenable, mais la chambre n'aura jamais à intervenir. Si ces honorables membres, si MM. Verhaegen et Rogier (comme ils en ont le droit, assurément,) inventaient une religion progressive et libérale, s'ils s'en constituaient les apôtres, les grands prêtres, ils pourraient m'excommunier en toute liberté, je ne m'en plaindrais pas, je vous jure, et je ne croirais pas la Constitution en danger.

Une vaste société secrète, dont l'influence occulte s'étend partout, use largement de l'excommunication dont elle reproche au clergé catholique d'abuser. Elle a excommunié des succursales dissidentes, où figuraient plusieurs de nos collègues. Ceuxcei ont eu le bon esprit de ne pas réclamer auprès de la législature contre cet exercice de la liberté de penser, de professer, de catéchiser et de se tromper, qui est la première de nos libertés constitutionnelles.

Je profiterai ici de cette liberté en exprimant ma surprise de ce que ceux qui usent le moins de la communion catholique se scandalisent la plus de n'y pas voir admettre les autres. Les adversaires du clergé donnent des conseils au clergé ! Les ennemis de l’enseignement catholique réclament cet enseignement, non pour eux, mais pour autrui ! Ils affirment qu'ils parlent dans l'intérêt de la religion et du clergé, et il les attaquent sans cesse ! Ils ne font guère usage des sacrements, et ils prétendent les imposer de force. Tout cela m'est suspect, je l'avoue, et je les dispense de montrer tant de sollicitude pour les intérêts sacrés qu'ils ne nous apprennent pas à respecter.

Le sieur Manfroid exige que l'on confesse ses élèves. Savez-vous s'il se confesse lui-même ? Vous n'en savez rien, ni moi non plus. Abstenons-nous donc de nous poser juges entre lui et son curé.

On présente Manfroid comme une victime innocente du monopole clérical, du despotisme clérical, comme un martyr de la liberté. D'autres supposent que ce monsieur, voyant son entreprise péricliter, a tout simplement fait une réclame pour obtenir une place officielle. Ce genre de pétitionnement lui réussira-t-il ? Nous verrons.

Messieurs, la vérité est que nous nous enfonçons dans un gouffre de sophismes et de récriminations stériles. Il est urgent que nous sortions. Cette discussion n'aura aucun résultat pratique. Il importe que nous la terminions au plus tôt, sous peine de devenir ridicules et, ce qui pis est, sous peine de créer des dangers au pays.

M. Verhaegen a dit l'autre jour : « Chacun chez soi. » Eh bien, laissons le curé chez lui dans son église, M. Manfroid chez lui dans son école, et nous, restons chez nous, dans la Constitution.

M. Julliot. - Messieurs, vous savez que je ne prends la parole que dans l'intérêt de la liberté, que je me range toujours du côte opposé à celui de la restriction. Et à cette occasion je pourrais bien distancer l'honorable M. Malou lui-même, dont le discours par exception ne m'a pas complètement satisfait.

Nous avons proclamé les libertés les plus larges en 1830, mais nous en supportons tour à tour à regret les conséquences : tantôt c'est la liberté de la presse qu'on veut rogner, tantôt la liberté de l’enseignement doit être restreinte par grand nombre d'établissements officiels de l'Etat faisant concurrence à la liberté.

Puis vient la liberté des cultes, à laquelle on croit devoir mêler l'action du gouvernement et des chambres, et à propos de quoi ? Parce qu'un instituteur privé n'a pas la confiance du clergé, et que, de ce chef, le clergé refuse de catéchiser les élèves qui persistent à suivre cette école.

On raisonne, messieurs, comme si nous avions un concordat, car la proposition qu'a faite l'honorable M. Verhaegen n'a pas de but, s'il ne croit pouvoir un jour arriver à un appel comme d'abus.

L'honorable M. Verhaegen a dit deux choses qui m'ont frappé ; d'abord l'honorable député de Bruxelles ne comprend pas comment le curé refuserait d'instruire dans le catéchisme des enfants catholiques, mais qui donc leur donnera cette consécration de catholique si ce n'est le curé lui-même, car ce n'est pas un certificat de la maison commune qui constatera le catholicisme des enfants ? Ce certificat n'a pas cours dans l'espèce.

L'honorable membre a dit encore qu'il serait inouï qu'un curé refuserait de catéchiser à l'église les élèves d'une école moyenne de l'Etat ; mais cela n'est pas autrement, votre Constitution a place tous les croyants à la merci de leurs ministres en ce qui concerne la participation au culte. Si les auteurs de la Constitution ne l'ont pas entendu ainsi, il faut le leur pardonner, car ils n'ont pas su ce qu'ils ont fait.

Tout ce qui reste à faire dans des cas analogues se résume en ceci, les catholiques qui se croient blessés dans l'exercice de leur culte par leurs pasteurs ont leur recours aux supérieurs, aux évêques, et pas ailleurs.

Et ce qui est vrai pour les catholiques est vrai pour tous les cultes qui se pratiquent sous l'égi le de notre Constitution.

Mais, messieurs, veuillez donc réfléchir à ce qui se passe alors que le clergé refuse l'église à un défunt ; le gouvernement s'est-il jamais cru en droit de forcer le clergé à ouvrir son église et chanter le De profondis sur le cercueil ? mais évidemment, non, l’Etat n’a rien à y voir et il le sait ; car sous le cabinet du 12 août même, différentes fois ce cas s’est présenté, le gouvernement n’est intervenu dans un enterrement religieux quelconque.

Je pense donc que nous n'avons rien à voir dans la querelle entre le sieur Manfroid et un ministre d'une religion que pratique ledit instituteur ou qu'il ne pratique pas, ce qui encore doit nous être indifférent, puisque la liberté des cultes met cet instituteur à l'abri de nos recherches de ce chef, comme le doyen aussi se trouve derrière le même abri. Aucune suite à donner n'est donc possible, car le fait ne peut entraîner de décision de notre part. Je me crois donc très logique alors que je repousse et le dépôt sur le bureau et l'insertion aux Annales parlementaires.

M. Orts. - Je dirai peu de chose à la chambre au point où en est arrivé le débat. Je partage, à plus d'un égard, les opinions qui viennent d'être émises par l'honorable préopinant, quant à l'incompétence complète, absolue, radicale de l'autorité civile vis-à-vis des actes que l'autorité religieuse, dans l'accomplissement de sa mission, est appelée a poser. Toutefois, je ne puis pas, tout en partageant ses primipes, arriver aux mêmes conclusions que l'honorable membre.

Quelles sont, messieurs, les conclusions produites devant la chambre ? D'une part, vous avez la proposition de l'honorable M. Dumortier, qui ne veut pas qu'une pétition, lue hier à la tribune par un membre de la chambre, figure dans le compte rendu de la séance ; d'autre part nous avons devant nous uns proposition de dépôt de cette pétition au bureau des renseignements, proposition combattus par les partisans de l'ordre du jour pur et simple.

Quant à la proposition de l'honorable M. Dumortier, je regrette qu'elle ait pris jusqu'à présent, dans la discussion, une part si mince. On l'a considérée à un point de vue parfaitement secondaire et accessoire, ou bien l'on ne s'en est pas occupé du tout. Cependant pour moi c'est le point culminant du débat.

Si j'ai entendu beaucoup parler de la liberté des cultes, de la liberté d'enseignement, il est une liberté à l'exercice de laquelle se rapporte la proposition de M. Dumortier et dont je regrette de n'avoir pas entendu sonner mot, c'est la liberté de la tribune.

En effet, que demande l'honorable M. Dumortier ? Il demande que ce qui a été dit à la tribune par un membre de la chambre, dans l'accomplissement de son droit, j'irai plus loin, dans l'accomplissement d'une mission parlementaire que la commissiou des pétitions lui avait conférée, ne soit pas inséré dans le compte rendu de la séance.

C'est-à-dire que la chambre peut déclarer, en vertu de son autorité, qu'une partie du discours de l'un de ses membres ne sera pas livrée à la publicité. (Interruption.) C'est là la question, c'est la question véritable, la question grave du débat. Les autres questions sont des questions qui ne peuvent pas se discuter dans cette enceinte, ou, au moins qui ne peuvent pas s'y résoudre. Mais la question de la liberté de la tribune nous appartient, nous devons la décider.

M. Dumortier ne s'en est peut-être pas aperçu, et je suis persuadé que cette conséquence est contraire à ses intention ; mais il demande en realité, qu'une partie du discours prononcé, du rapport présenté au nom de la commission des pétitions par l'honorable M. Allard rapporteur de cette commission, ne figure pas dans les Annales parlementaires. Eh bien, cela est-il dans le droit de la chambre ? Je réponds sans hésiter : Non cela n'est pas dans le droit de la chambre. Quand un membre a parlé à cette tribune, en public, tout ce qu'il a dit doit être public et, partant, inséré aux Annales parlementaires. La chambre ne peut pas exercer la censure sur les discours de ses membres ; en agissant comme on le propose, elle l'exercerait. La chambre ne peut faite qu'une seule chose, une seule et unique chose, d'après la Constitution, d'après le règlement, ordonner le comité secret avant le discours prononcé.

Hors de là, M. le président pouvait faire de deux choses l'une, il n’en a fait aucune.

Il pouvait rappeler l'orateur à la question, s'il s'en écartait, il ne l'a pas fait ; le rappeler à l'ordre s'il prononçait quelque partie inconvenante, il ne l'a pas fait ; la chambre ne peut pas rappeler à la question ou à l'ordre : le président seul a le droit de police, et la chambre intervient alors seulement que l'exercice du pouvoir présidentiel soulève des réclamations.

.Maintenant que pouvait faire peut-être l'honorable M. Dumortier, à l'occasion de la pétition dont l'honorable M. Allard a donné lecture, en accomplissement de son droit et de son devoir ? Il pouvait se lever quand l’honorable M. Allard a dit : « La commission a décidé que -je lirais la pétition en proposant l'ordre du jour,. » L’honorable M. Dumortier, avant cette lecture, pouvait peut-être interrompre l'orateur pour un rappel au règlement, et attirer l'attention du président sur cette lecture. Mais on a laissé passer la lecture ; regrettable ou non, la lecture a été faite ; elle est acquise ; elle est acquise au compte rendu de la séance ; le compte rendu de la séance doit être vrai, sincère, exact ; s'il est regrettable, dangereux, il fallait prendre vos précautons d'avance.

(page 516) Voilà ce que j'avais à dire sur la proposition de l'honorable M. Dumortier. Non, la chambre ne permettra pas que le compte rendu de ses séances soit mutilé par voie d'autorité. Pas de censure, messieurs, surtout pour nous ; alors que nous serions les seuls dans le pays qui subirions cette contrainte dans la libre manifestation de nos opinions ; pas de censure pour nous qui avons plus que le droit, qui avons le devoir impérieux de dire à cette tribune tout ce que notre conscience nous dicte dans l'intérêt du pays.

J'arrive maintenant à la seconde question.

On demande le dépôt de la pétition au bureau des renseignements. Si ce dépôt au bureau des renseignements pouvait avoir, dans ma pensée, l'idée de justifier un contrôle quelconque de la chambre sur la légalité ou l'illégalité des actes qui lui ont été signalés, je ne le voterais pas. Je crois qu'il est dans le droit de tous les ministres d'un culte quelconque, comme de tous les croyants de ce culte, de faire en matière de conscience tout ce que leur conscience leur dicte, et que l'autorité civile ne peut intervenir qu'en un seul cas, au cas où il y aurait délit. Or, on ne signale pas de délit dans la circonstance actuelle. On a parlé de danger, on n'a point parlé de contravention à la loi.

Je suis d'opinion que la séparation des deux pouvoirs doit être complète, et je dirai franchement que, comme membre d'une législature constituante, j'irais, sous ce rapport, plus loin que les constituants de 1830.

Je crois donc que nous n'avons pas le droit d'intervenir comme autorité civile ; que nous n'aurions pas ce droit alors même que les faits de la nature de celui qui nous est signalé, viendraient à se généraliser. Le clergé refusât-il, à tort ou à raison, l'entrée de l'église, les sacrements, la sépulture, nous ne pourrions pas, à mon avis, intervenir par une voie d'autorité. Je crois que le clergé, peut-être est-ce un mal pour lui, je crois que le clergé a et doit avoir sous notre Constitution jusqu'à la liberté de se perdre par son intolérance. Je puis regretter cela comme chrétien, comme catholique, comme Belge ; je n'y puis rien, comme homme public.

Maintenant, pourquoi appuierai-je le dépôt de la pétition au bureau des renseignements ? Précisément parce que cette séparation radicale du pouvoir civil et du pouvoir religieux n'existe pas chez nous d'une manière complète, parce qu'à chaque instant on vient ici, au nom de l'autorité religieuse, demander sur les bancs de la droite des garanties religieuses dans nos lois civiles ; c'est parce qu'à chaque instant nous devons compter avec l'autorité religieuse ; c'est parce qu'en vertu de la loi faite nous devons faire participer le clergé, dans une certaine mesure, à l'accomplissement de notre tâche publique vis-à-vis du pays ; c'est parce que, pour déterminer cette part, nous avons surtout besoin de connaître la manière dont le clergé use de l'autorité sans contrôle qui lui appartient, afin de juger l'usage qu'il ferait de l'autorité contrôlée.

Voilà pourquoi j'appuie la proposition du dépôt de la pétition au bureau des renseignements ; c’est dans ce sens que l'honorable M. Lebeau l'a appuyée, et l'honorable membre était là dans le vrai. Le clergé a quelque chose à démêler avec l'autorité civile, d'après notre organisation constitutionnelle. Je voudrais qu'il en fût autrement : qu'il fût maître à l'église et l'Etat dans l'Etat, sans contact entre eux. De fait et de droit, il en est autrement.

Le dépôt de la pétition au bureau des renseignements peut nous éclairer, pour résoudre ces questions de partage et d'influence légale dans l'avenir ; je le vote. La mesure peut ne pas être utile pour le débat d'aujourd'hui, toit ; mais elle peut nous être utile pour les débats de demain.

M. Devaux. - Messieurs, à entendre certains orateurs, la chambre devrait passer à l'ordre du jour sur toutes pétitions qui n'auraient pas pour objet de lui signaler un abus dont elle put faire immédiatement justice.

Ce n'est et ce ne peut être là notre jurisprudence parlementaire en matière de pétitions.

Nous recevons, par exemple, en matière d'industrie, une foule de pétitions qui nous signalent des faits que nous n'avons nullement à redresser, mais dont nous utilisons la connaissance dans les lois que nous faisons.

J'appuie la proposition qui est faite, de déposer la pétition du sieur Manfroid au bureau des renseignements, non dans l'intention de faire intervenir la chambre pour empêcher le clergé de faire telle ou lelic chose ; mais à l'effet de recueillir des renseignements sur un fait très important. (Interruption.)

Oui, messieurs, c'est un fait extrêmement important que celui qui est dénoncé dans la pétition du sieur Manfroid.

C'est un fait tout nouveau et qui peut avoir une grande influence. Ce fait nous apprend que le clergé use d'une arme toute nouvelle contre certaines écoles.

J'ai eu tort de dire le clergé ; jusqu'ici, ce n'est qu'un membre du clergé, ou, s'il est approuvé par son supérieur, une fraction du clergé. Mais la mesure n'en est pas moins grave ; car ce n'est rien moins que l'exclusion de la communion, en d'autres termes l'excommunication lancée contre des enfants. Si dans le clergé on se sert de pareilles armes contre les établissements laïques soit de l'Etat soit privés, c'est là, je le répète, un fait tout nouveau et d'une importance extrême, un fait qui peut avoir la plus grande influence sur nous, législateurs, qui depuis quelque temps sommes appelés presque tous les ans à voter des mesures législatives en matière d'enseignement et qui aurons même à en prendre une cette année encore pour les grades universitaires.

Je vous le demande, messieurs, quelle influence ne pourraient exercer sur de tels débats des faits qui viendraient constater que le clergé aurait résolu d'excommunier tous ceux qui suivraient les écoles laïques aux divers degrés ? Cela ne changerait-il pas entièrement le terrain des lois de l'enseignement ?

M. de Mérode. - Le clergé ne le peut pas.

M. Devaux. - Le fait paraît certain pour une école ; ce qui se fait pour une peut s'étendre.

Je le demande, dans un tel état de choses, que deviendrait en fait la liberté d'enseignement ? que deviendrait la liberté de l'enseignement laïque si les catholiques ne pouvaient plus, sous peine d'exclusion de la communion, suivre d'autres écoles que celles que le clergé dirige ou protège ? Une circonstance aussi énorme ne devrait-elle pas exercer une grande influence sur toute la législation de l'enseignement et je pourrais dire sur toute notre politique intérieure ?

Quand des faits de cette nature nous sont dénoncés, notre devoir est de ne pas repousser les renseignements. Si l'ecclésiastique dont on vient de dire qu'il devrait être entendu veut nous fournir des renseignements à son tour, je ne m'opposerai pas à ce qu'on en fasse le même dépôt que je réclame pour la pétition ; car je veux constater la vérité des faits que, comme législateur, j'ai intérêt à connaître.

Messieurs, nous ne pouvons passer à l'ordre du jour sur une pétition pareille, alors surtout que les faits sont presque tous confirmés par les renseignements que vient de donner le gouvernement lui-même.

M. Dumortier. - Messieurs, l'honorable préopinant, dans tout son discours, n'a fait que mettre des suppositions en place des faits. Il y a pour lui des faits constatés. Je dis, au contraire, que rien n'est constaté ; il y a des accusations, des invectives, et voilà tout.

On parle des mobiles du doyen de Gosselies ; mais avez-vous été appelés à les connaître ? peut-être a-t-il des motifs intimes ; ce qu'il y a de certain, c'est qu'il a reçu l'approbation de ses supérieurs, et ce fait prouve qu'il n'a pas agi sans motifs.

Il n'y a donc pas de faits constatés, rien qui ressemble à des faits. Il y a des accusations, et uniquement des accusations.

Maintenant quel enseignement peut-on retirer d'un dépôt de la pétition au bureau des renseignements ? Mais il n'y a pas dans cette requête trace de renseignements. Vous avez l'accusation de l'accusateur, rien autre chose. Le dépôt de la pétition au bureau des renseignements ne peut donc avoir qu'un but : ce sera le commencement d'un blâme, et on y tient.. (Interruption.) Oui, messieurs, au blâme del!a discussion on veut ajouter le blâme d'une résolution de la chambre.

Que demandait la commission des pétitions ? Elle demandait l'ordre du jour. Et aujourd'hui que veut-on ? On veut le dépôt au bureau des renseignements, parce qu'on trouve que l'ordre du jour proposé par la commission et proposé, je crois, par l'unanimité de la commission, n'infligerait pas de blâme au clergé, tandis qu'on trouve que le dépôt au bureau des renseignements lui infligera un blâme.

Eh bien ! messieurs, en présence d'un pareil état de choses, je trouve que la chambie manquerait à sa dignité, manquerait à toutes les convenances, au respect qu'elle se doit à elle-même, si elle voulait infliger un blâme à une autorité pour un fait qui n'est pas de son domaine, pour un fait qui ne la concerne pas et dans lequel la Constitution n'a pas voulu qu'elle eût à voir.

Quant à la proposition que j'ai faite, est-il vrai que je sois venu demander de supprimer un discours, de porter atteinte à la liberté de la tribune ? Ah ! s'il s'agissait de la liberté de la tribune, je serais le premier à demander que toute latitude lui soit laissée. Toujours, dans toute ma longue carrière parlementaire, j'ai réclamé en faveur de la liberté de la tribune, et je n'ai pas attendu que l'honorable M. Orts fût arrivé dans cette enceinte pour élever cette réclamation.

Mais il ne s'agit pas de discours, je n'ai pas critiqué de discours. Quelqu'un de nous a-t-il demandé le retranchement d'un mot dans un discours ? Non ; mais ce que nous avons demandé, c'est qu'une lettre accusatrice, et jé dirai calomniatrice au fond, ne fût pas publiée sous le manteau de la chambre, c'est qu'elle ne devînt pas un acte parlementaire, lorsque en définitive de pareils actes n'ont jamais été insérés dans nos annales.

Vous parlez de la liberté de la tribune, des précédents de la chambre, mais si vous étiez plus ancien dans cette assemblée, mon honorable collègue, vous sauriez que très souvent la chambre a refusé l'insertion au Moniteur de pétitions qui étaient lues. Cela est arrivé très souvent ; j'en appelle aux souvenirs des membres qui siègent depuis longtemps dans cette enceinte. Mais n'allons pas aussi loin. La chambre, il y a huit jours, lors de la discussion du projet relatif aux officiers polonais, n'a-t-elle pas supprimé un appel nominal ?

M. Lebeau. - Il était nul.

M. Dumortier. - Peu importe ; la chambre l'a supprimé. Et si la chambre a eu le droit de supprimer un appel nominal, à plus forte raison a-t-elle le droit de supprimer une pièce que le premier orateur qui a pris la parole dans la séance d'hier pour la soutenir, a déclaré contenir des expressions très violentes, des expressions fort inconvenantes.

Messieurs, faire accueil à une pétition qu'on est obligé de qualifier de la sorte, encore une fois c'est vouloir donner un tort au clergé, c'est vouloir établir, dans cette chambre, la guerre contre l'Eglise, une guerre contre laquelle notre révolution s'est faite.

(page 517) L'honorable M. de Theux vous l'a dit tout à l'heure, la réponse ici n'est pas permise, parce qu'il y a des motifs intimes, des motifs de conscience de la part du ministre du culte que la pétition accuse.

Ce ministre ne peut, sous peine de forfaiture, faire connaître les motifs qui l'ont dirigé. L'accusation serait donc seule permise ! Il y aurait la publicité de vos débats, la plus grande publicité possible, celle du Moniteur, tandis que la réponse serait interdite, parce qu'elle n'est pas possible !

Il n'y aurait donc pas de justice distributive dans l'impression d'une pareille pétition : et c'est pour ces motifs, et afin que les annales de la chambre ne soient pas déshonorées par un document semblable, que j'ai demandé que la pétition ne fût pas imprimée.

M. de Theux. - Je demande à dire un mot en réponse à une observation de l'honorable M. Orts qui a posé la question sur un nouveau terrain. Il vous a dit qu'il s'agissait de supprimer un discours de l'honorable M. Allard. Non, messieurs, il ne s'agit aucunement de cela. Quant aux discours qui se prononcent dans cette chambre, on a toujours montré la plus grande tolérance ; jamais, depuis le Congres national jusqu'à présent, ou n'a demandé qu'un seul mot d'un discours quelconque fût retranché, et nous ne le demanderons jamais.

Mais de quoi s'agit-il ? Il s'agit de statuer sur les conclusions de votre commission des pétitions, et nous avons pleine liberté de statuer. Notre commission des pétitions a proposé deux conclusions, l'une l'ordre du jour, l'autre la lecture de la pétition à l'effet d'insertion au Moniteur.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Allard. - Je demande la parole.

M. de Theux. - C'est la conséquence de la lecture de la pétition ; cette lecture, sans l'insertion au Moniteur, n'aurait pas de but. Or, je dis qu'il n'appartient pas à une commission des pétitions de décider qu'une pétition sera insérée au Moniteur ; c'est la chambre seule qui statue sur ce point.

Et ici je ferai remarquer qu'il y a une contradiction flagrante dans les conclusions de la commission. D’un côté, elle propose l'ordre du jour. Pourquoi ? Soit parce que la chambre est incompétente pour statuer, soit parce que la pétition est inconvenante ; eh bien, je suis aussi de l'avis que l'ordre du jour doit être adopté. Mais, d'autre part, la commission veut l'insertion de la pétition au Moniteur, et je ne puis être de cet avis. Il est évident que nous avons le droit de refuser cette insertion, et j'ai démontré dans mon premier discours qu'il est de notre dignité, qu'il est de notre devoir en quelque sorte de le refuser.

Je persiste donc dans les conclusions de mon premier discours. Je ne répondrai plus aux arguments qu'on a fait valoir quant au fond ; la discussion me paraît épuisée.

M. Rogier. - Je serai très court ; je veux seulement expliquer la portée que je donne moi-même à ma proposition qui tend à déposer la pétition au bureau des renseignements. D'honorables opposants voient dans cette proposition un jugement rendu par la chambre, un blâme infligé par le parlement à un ecclésiastique.

Je prie mes honorables contradicteurs de ne pas rapetisser à ce point la question. Il serait peu digne de la chambre de s'occuper de décerner un blâme à un simple particulier ; telle n'est pas la portée de ma proposition, elle n'a pas davantage pour but de provoquer un jugement de la part de la chambre, sur une question qui ne la concernerait pas. Ma proposition ne préjuge rien.

L'ordre du jour au contraire a cette portée : il condamne la pétition : on a dit en effet que la pétition était un tissu de calomnies, alors même que les faits qui y sont énoncés viennent d'être confirmés par M. le ministre de l’intérieur ; et sur cette pétition accusée d'être calomnieuse on demande l'ordre du jour. Je dis qu'on propose par là à la chambre de porter un jugement contre le pétitionnaire.

Par la proposition que j'ai faite, par le dépôt au bureau des renseignements, on ne préjuge rien ni contre le pétitionnaire ni contre la personne dont il se plaint. Je prends simplement acte des faits signalés. Le dépôt au bureau des renseignements est une décision impartiale, c'est un acte de neutralité de la part de ceux qui ne veulent pas porter de jugement, c'est une décision qui ne prononce ni pour ni contre l'accusation, qui laisse les positions complètement intactes.

Voilà la portée de ma proposition. Je suis aussi ami que qui que ce soit de la liberté des cultes, je reconnais l'incompétence du pouvoir civil dans les matières religieuses, je ne conseillerai jamais à la chambre de se mêler d'affaires qui ne la concernent pas. Si l'on proposait à la chambre d'infliger un blâme à un ministre du culte à propos de la manière dont il croit devoir exercer son ministère, je m'opposerais à ce qu'on entraînât la chambre dans cette voie ; mais je demande que des faits qui peuvent avoir une grande influence sur des résolutions à prendre à l'avenir restent déposés au bureau des renseignements.

Si M. le ministre de l'intérieur n'avait pas donné les explications désirables, nous aurions demandé que la pétition lui fût renvoyée pour obtenir ces renseignements. Ses explications ayant été données, le renvoi devient inutile. Reste la mesure inoffensive et impartiale du dépôt au bureau des renseignements. S'opposer à ce dépôt, c'est, je le répète, un déni de justice vis-à-vis du pétitionnaire.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Roussel. - Je demande la parole contre la clôture. Je ferai remarquer que d'honorables membres s'attribuent le privilège de parler trois et quatre fois sur la même question. De mon côté, lorsque je demande à motiver mon vote en quatre mots, l'on ne peut me refuser l'exercice d'une espèce de droit.

M. Coomans. - Je veux faire observer qu'un même orateur a prononcé cinq discours sur la même question, deux hier et trois aujourd'hui.

- Quelques voix. - Qui ? qui ?

M. Coomans. - M. Rogier. Je désire que ceux qui n'ont pas en occasion de se faire entendre puissent le faire.

- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.

M. Roussel. - Messieurs, de toute cette discussion que j'ai religieusement écoulée, il est résulté pour moi une conviction, c'est que la chambre est parfaitement incompétente. Elle n'a absolument rien à faire sur la pétition qui lui a été adressée. Cette conviction ne me permet pas de voter le dépôt de cette pétition au bureau des renseignements, car je ne concevrais pas que je dusse conserver des renseignements sur une affaire sur laquelle je ne puis statuer. Le bon sens indique donc ce que nous avons à faire : passera l'ordre du jour.

L'ordre du jour n'est pas, comme l'a prétendu M. Rogier, une mesure désagréable à M. Manfroid, que je respecte en sa qualité d'instituteur sans avoir l'honneur de le connaître ; c'est une déclaration d'incompétence, justement ce que fait un tribunal quand un demandeur vient lui soumettre une affaire qui n'est pas de sa compétence ; il dit alors : « Attendu que l'objet ne rentre pas dans mes attributions, je me déclare incompétent, » c'est-à-dire en d'autres termes, « je passe à l'ordre du jour. » Voilà ce que signifie l'ordre du jour, et c'est dans ce sens que je le voterai.

Fidèle aux vrais principes du libéralisme, aux principes de la séparation de l'Etat et de l'Eglise vis-à-vis du culte catholique comme| des autres, je n'entends pas mettre mon doigt entre l'arbre et l'écorce parce que je suis convaincu que mon doigt serait écrasé.

J'arrive à la question de la publicité à donner à la pétition.

L'ordre du jour est dans mes convictions de vieux libéral... (Interruption.) Oui, messieurs, je suis un vieux libéral, et je m'étonne de vos rires quand j'énonce un fait aussi incontestable. Je suis plus vieux libéral que beaucoup d'entre vous qui vous qualifiez pourtant de vieux libéraux, et j'ai rendu plus de services au vrai libéralisme.

Du moment où je vote l'ordre du jour qui est dans mes convictions, je dois refuser également l'insertion de la pétition aux Annales parlementaires. Cette insertion n'aurait aucun objet ; il n'y a point nécessité de constituer la chambre en office de publicité et d'en faire l'intermédiaire entre les plaignants et l'opinion publique. Si M. Manfroid veut donner quelque publicité à sa pétition, il la distribuera aux journaux qui ne refuseront pas de l'insérer.

Mais il n'appartient pasà la chambre de faire autre chose que de prendre des résolutions ; servir d'instrument aux particuliers, n'est pas le rôle qu'uae chambre législative est appelée à remplir.

Voilà pourquoi je voterai pour l'ordre du jour et pour la non-insertion aux Annales parlementaires.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Deux propositions sont faites : l'ordre du jour et le dépôt au bureau des renseignements ; l'ordre du jour ayant la priorité, je le mets d'abord aux voix. Après viendra la proposition de M. Dumortier quant à la non-insertion de la pétition.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal ! l'apel nominal !

Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

Nombre des votants, 72.

37 votent pour l'ordre du jour.

35 votent contre.

En conséquence l'ordre du jour est prononcé.

Ont voté pour : MM. Magherman, Malou, Mercier, Moncheur, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Roussel (A.), Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Vermeire, Vilain XIIII, Boulez, Brixhe, Clep, Coomans, de Baillet (H.), Dechamps, de Decker, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Naeyer, de Ruddere, de Sécus, Desmaisièies, de Theux, Dumortier, Faignart, Jacques, Julliot et Landeloos.

Ont voté contre : MM. Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Rogier, Rousselle (Ch.), Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeerebom (E.), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Remoortere, Verhaegen, Veydt, Visart, Allard, Ansiau, Cans, Dautrebande, David, de Baillet-Lalour, Deliége, de Perceval, de Royer, Devaux, Jouret, Lange, Laubry et Delfosse.

M. Visart (sur la position de la question). - Je voudrais qu'il fût entendu que si l'insertion de la pétition dans les Annales parlementaires est ordonnée, c'est uniquement parce qu'elle a été lue en séance publique.

M. Orts (sur la position de la question). - Il me semble que les termes employés par l'honorable M. Dumortier ne posent pas la question. Je voudrais qu'il ajoutât à sa proposition ces mots « dans le compte-rendu de la séance d'hier ».

M. le président. - On ne peut modifier la proposition de M. Dumortier.

M. Coomans. - (page 518) La discussion a été close ; on ne peut plus discuter.

- La proposition de M. Dumortier, tendant à ce que la pétition du sieur Manfroid ne soit pas insérée dans les Annales parlementaires, est mise aux voix par appel nominal.

En voici le résultat :

72 membres prennent part au vote.

38 membres votent pour la proposition.

34 membres votent contre.

En conséquence la proposition de M. Dumortier est adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. Magherman, Malou, Mercier, Moncheur, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Roussel (A.), Rousselle (Ch.), Thienpont, Tremouroux, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Overloop, Vermeire, Vilain XIIII, Boulez, Brixhe, Clep, Coomans, Dechamps, de Decker, de Haerne, de La Coste, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Naeyer, de Ruddere, de Sécus, Desmaisières, de Theux, Dumortier, Faignart, Jacques, Julliot et Landeloos.

Ont voté le rejet : MM. Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Rogier, Tesch, Thiéfry, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Remoortere, Verhaegen, Veydt, Visart, Allard, Ansiau, Cans, Dautrebande, David, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, Deliége, de Perceval, de Royer, Devaux, Jouret, Lange, Laubry et Delfosse.

- La séance est levée à 3 heures et trois quarts.