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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 1 mars 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 783) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« L'administration communale de Reeth prie la chambre d'adopter le projet de loi relatif à la concession d'un chemiu de fer de Lierre à Turnhout. »

« Même demande des membres du conseil communal de Waerloos et d'Arendonck et des habitants de Lierre. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Les sieurs Denis, Van der Elst, Wiilame et Carlier transmettent copie des documents qu'ils ont adressés à M. le ministre des travaux publics à l'appui de leur deminde eu concession d'un chemin de for de Braine-le-Comte à Grammont par Rebecq et Enghien. »

M. Ansiau. - Je demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Tubize aux Acren par Enghien.

- Cette proposition est adoptée.


« Les maîtres de carrières à Lessines présentent des observations contre la demande de concession faite par la société Zaman d'un chemin de fer de Tubize aux Acren par Enghien, et prient la chambre d'accorder la préférence au tracé de chemin de fer projeté par le sieur Tarte. »

M. Ansiau. - Je demande également le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession.


« Le sieur Tarte demande la concession d'un chemin de fer de Brainc-le-Comte à Courtrai par Enghien, les Acren, St-Martin et Renaix avec embranchement sur Deynze par Audenarde. »

M. Allard. - Je demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif au chemin de fer de Tubize aux Acren par Enghien. »

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Bouquié-Lefebvre demande la concession d'un chemin de fer de Hal à Ath et d'une ligne de Tournai vers un point de la frontière dans la direction de Lille. »

M. Allard. - Je demande le même renvoi.

- Cette proposition est adoptée.


« Des électeurs à Oostnieukerke demandent la révision de la loi électorale. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.


« Des électeurs à Heppen demandent que les districts électoraux pour la nomination aux chambres soient composés de 40,000 âmes, que l'élection se fasse dans la commune ou par section de district, et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi. »


« Des électeurs à Sulsique demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu de canton, et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

« Même demande des électeurs à Nukerke. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Hauwaert demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu de canton, et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Landenne-sur-Meuse demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune ou au chef-lieu du canton et que chaque circonscription de 40,000 âmes nomme un représentant. »

- Même renvoi.


- MM. le Bailly de Tieleghem, Matthieu et Boulez, demandent des congés pour cause d'indisposition.

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l’intérieur

Rapport de la section centrale

M. Rousselle. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi portant demande d'un crédit de 85,400 fr. pour le département de l'intérieur, afin de payer la part de l'Etat dans les frais de confection des tables de l'état civil.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à la suite de l'ordre du jour.

M. Vanden Branden de Reeth. - Je demande la parole. Messieurs, une circonstance ne m'a pas permis de me rendre à la séance d'hier, je l'ai regretté vivement, à cause de la discussion qui a occupé la chambre. Je tiens à déclarer que si j'avais été présent j'aurais voté contre la prise en considération de la proposition de M. de Perceval.

Projet de loi supprimant certains droits et prohibitions de sortie

Discussion générale

M. le président. - Plusieurs amendements viennent d'être déposés.

(M. le président donne lecture de ces amendements.)

M. Visart. - Messieurs, je fus de ceux qui admettent la part dévolue aux progrès du temps, je suis de ceux qui pensent qu'autant que cela se puisse sans niaiserie, sans duperie, il faut aujourd'hui affranchir ou alléger peu à peu nos tarifs des droits qu'ils font exiger à l'entrée et à la sortie. C'est l’esprit du projet de loi qui nous est soumis ; je lui serai donc, en général, favorable. Il y a cependant des industries en présence desquelles on ne peut pas entrer trop brusquement ou trop largement dans le système du libre échange, surtout quand on n'y rencontre point de réciprocité ; ce sont les industries qui subissent, au-delà des frontières, une vive concurrence, et dont la vitalité dépend, par conséquent, d'une juste pondération de nos tarifs avec ceux de nos voisins. Le gouvernement applique cette exception aux déchets de toile en faveur des fabriques de papiers.

Il fait bien, selon moi, mais en est-il de même de sa proposition d'enlever cette garantie aux chiffons de laine ? Ceux-ci ne sont-ils pas également nécessaires à d'importantes industries, qui, pour des draps communs, des tapis de peu de valeur et autres fabricats, emploient les chiffons et déchets de laine, choisis parmi les meilleurs ? La laine artificielle qui en provient acquiert ainsi une valeur fort ascendante. Il y a de ces établissements à Anvers, à Malines, à Charleroi à Beaumont et ailleurs ; leurs administrations, pour la plupart, ont adressé à la chambre des pétitions, déposées sur le bureau, qui prouvent qu'à aussi bon droit que la papeterie ces fabriques doivent conserver le bénéfice de la prohibition, aussi longtemps que cette même prohibition existera en France, dans les Paye-Bas, et que le Zollverein ne réduira pas son droit énorme de sortie, qui est de 250 francs pour mille kilogrammes. Une pétition, soutenant le même intérêt, nous est aussi adressés par une fabrique de papiers.

Messieurs, l'agriculture aussi emploie avec avantage les chiffons de laine ; cependant, restant dans son habitude, un peu trop moutonnière d'abnégation elle n'a point pétitionné ; il semble que cet intérêt, trop confiant en son droit, parce qu'il est partout, ne soit nulle part pour se défendre ; ce n'est certes pas une raison pour le sacrifier : l'agriculture se contente des véritables rebuts, ce sont, pour ainsi dire les déchets des déchets ; ils lui sont très utiles dans certaines catégories de terres, comme la Campinc, et à cause de leur légèreté ils ont accès dans des assolements où les engrais pondéraux seraient très difficilement transportés.

D'une autre part, cette légèreté permettrait, soit par eau, soit par voiture, d'en exporter facilement pour une grande valeur ; il est vrai, du reste, comme le dit l'exposé des motifs, qu'il y a moins de danger, sous ce rapport, pour les fumiers communs des fermes ; à l'occasion de ces derniers et des tourteaux, les mêmes explications du gouvernement insistent sur ce fait, jusqu'à un certain degré erroné, selon mon expérience, que le guano peut suppléer à l'exportation de ces matières, destinées, jusqu'ici à entretenir la richesse de nos sillons.

Mais, messieurs, le guano, qui nous vient de l'étranger, occasionne une exportation considérable de capitaux ; il agit d'ailleurs plutôt comme excitant, comme condiment, si je puis m'exprimer ainsi, que par les humus, les parties fertilisantes qu'il offre aux plantes : le guano est bien souvent falsifié, il est d'ailleurs très cher, il coûte de 24 à 26 fr. pour cent kilogrammes ; c'est une valeur supérieure à celle que l'on obtient, en ce moment, du blé de la meilleure qualité qui ne coûte que vingt francs pour soixante et dix-huit kilogrammes ; une règle de proportion met donc à l'instant en évidence la vérité de mon assertion ; aussi, messieurs, suis-je persuadé, et il est bon d'en avertir l'inexpérience, je suis persuadé que l'agriculteur qui ferait abus du guano courrait à une ruine certaine.

Je me résume donc en proposant d'effacer, au 1° de l'article 2, ces mots : « les chiffons de laine exceptés », d'après la lecture qu'en a faite à l'instant notre honorable président, c'est l'amendement proposé par l'honorable M. Osy ; je m'y rallie donc.

J'ai lieu de croire, qu'à raison des réclamations qui ont surgi, M. le ministre des finances adoptera cette proposition ; j'attendrai qu'il veuille bien s'en expliquer.

M. le président. - Deux amendements viennent d'être déposés ; ils sont ainsi conçus :

« J'ai l'honneur de proposer de substituer au paragraphe 4 de l'article 2, le chiffie de 50 fr. à celui de 25.

« (Signé) Verhaegen. »

« Les soussignés ont l'honneur de proposer d'ajouter au projet de loi (sur l'abolition des droits et des prohibitions de sortie) la disposition suivante :

« Les droits actuellement établis sur les vidanges ou autres engrais à (page 784) la sortie des villes seront abolis dans le délai à fixer par le gouvernement.

« (Signés) de Naeyer, L. Thienpont, Pierre, Magherman, Vander Donckt, Clep, de Ruddere, de Pormtemont, Moxhon, de Liedekerke, Coomans. »

M. Mascart. - Messieurs, le projet de loi en discussion maintient la prohibition de sortie sur les chiffon de lin et de coton servant à la fabricuion des papiers de toute sorte ; mais il autorise la libre sortie des chiffons de laine qui ne peuvent être employés au même usage.

L'extension donnée à la fabrication des papiers blancs à écrire et d'impression a fait augmenter le prix des chiffons de lin et de coton purs dans une telle proportion, que les fabricants de papiers d'emballage ne peuvent plus en faire usage. Il leur reste les chiffons mi-laine.

Il n'y a pas de doute que la libre exportation des chiffons de laine permettra d'exporter une partie de chiffons de lin et de coton ; car, par quels moyens la douane s'assurera-t-elle que les colis n'en contiennent pas ? Chaque morceau, grand comme le pouce, sera-t-il examiné à la loupe pour empêcher la fraude ? Croit-on qu'on examinera chiffon par chiffon pour s'assurer de l'exactitude de la déclaration de sortie ?

Mais j'admets un instant qu'on fasse subir à ces matières rebutantes un examen minutieux, comme on le pratique dans les laboratoires des papeteries, la constatation de la nature des tissus n'en sera pas moins difficile, si pas impossible, parce que, par les progrès de l'industrie, on donne aux matières premières qui sont employées à la confection de nos vêtements des formes d'emprunt qui n'appartiennent qu'à d'autres matières.

Il est évident que les dispositions de la loi, en ce qui concerne les drilles donneront lieu à de grandes difficultés d'exécution.

Ainsi, je demanderai à l'honorable ministre des finances, dans quelle catégorie seront rangés les chiffons de lin ou de coton, faisant corps, sous forme de doublure ou de poche, avec ceux dont la sortie est autorisée. Et pour les tissus métis, qui servent à la fabrication des papiers d'emballage, dans quelle proportion la laine devra-t-elle dominer pour que la sortie en soit permise ou défendue ?

En présence du régime douanier des peuples voisins, régime qui empêche nos papeteries de s'approvisionner de chiffons ailleurs qu'en Belgique, on aurait, je pense, bien fait de maintenir la prohibition sur cet objet ; car si les chiffons demi-laine, et ceux même qui n'en contiennent qu'une faible partie, étaient assimilés à ceux de laine pure, un grand nombre de nos papeteries, celles qui ne fabriquent que des papiers d'emballage seraient sérieusement menacées. J'y verrais un motif suffisant pour voter contre la loi, si l'amendement proposé par l'honorable M. Osy n'était pas adopté.

M. Vander Donckt. - Je viens me joindre aux honorables préopinants pour réclamer également le maintien du droit de sortie sur les chiffons de laine et du léger droit dont les lins bruts sont frappés à la sortie. Je reconnais que ce dernier droit n'est, pour ainsi dire, qu'un droit de balance ; c'est un droit très léger. Cependant il est de quelque importance pour le petit cultivateur dans les districts liniers. C'est, en quelque sorte, le dernier encouragement qu'on leur accorde pour lutter avec les étrangers, avec les mécaniques dans la vente de leurs toiles. Je demande donc que ce droit, quelque léger qu'il soit, soit maintenu.

J'ai en outre une observation à faire sur le passage de l'exposé des motifs où il est dit que l'emploi du guano peut en quelque sorte remplacer comme engrais les tourteaux qui servent en même temps à la nourriture du bétail. « On répondra (porte l'exposé des motifs) que le foin, la paille, les pommes de terre, le son servent ou peuvent servir au même usage, qu'ils sont libres à la sortie, et qu'il y aurait anomalie à ne pas ètendre ce régime aux tourteaux. » Si vous tienez ce raisonnement devant un cultivateur, il ne pourrait s'empêcher de vous rire au nez ; car les pommes de terre, le foin, la paille ne peuvent réellement pas être comparés, pour l'engrais, et surtout pour l'engraissement du bétail, avec les tourteaux.

Lorsque le cultivateur fait usage des tourteaux, ce n'est pas seulement comme nourriture du bétail ; mais après qu'il en a nourri son bétail son engrais est infiniment meilleur. S'il achète du guano, il ne peut s'en servir pour nourrir le bétail, il ne peut l'employer que comme engrais qui ne convient pas même à tous les terrains ni à toutes les cultures.

Il y a un autre inconvénient, c'est la cherté du guano, en comparaison des tourteaux.

Les tourteaux sont employés comme nourriture du bétail (ce qui est un immense avantage pour ie cultivateur), et l'engrais produit par le bétail nourri ainsi est infiniment supérieur à l'engrais ordinaire.

Voilà pourquoi j'insiste pour que le droit établi à la sortie des tourteaux soit également maintenu dans l'intérêt de l'agriculture.

Je ne saurais pas dire à quelle occasion le gouvernement a présenté ce projet de loi. Dans un moment où l'on est à la veille de négocier un traité avec la France, mieux valait ne pas s'engager, quant à présent, dans cette voie, et attendre que le traité fût fait. On aurait pu ainsi faire des concessions qu'on ne pourra plus faire si l'on supprime ces droits.

Il y a un autre motif concluant, c'est celui-ci : si l'on voulait entrer dans le système de la suppression de tous les droits et de toutes les prohibiions de sortie, il y aurait un motif plausible. Mais on doit encore faire des exceptions. Ne vaut-il pas mieux alors maintenir tous les droits et les prohibitions de sortie existants ?

On semble constamment vouloir favoriser tout ce qui est relatif à l'agriculture, et ce sont les articles qui concernent l'agriculture qu'on semble vouloir atteindre avant tous les autres.

Par le projet de loi qui vous est soumis, c'est précisément tout ce qu'il y a de contraire à l'agriculture qu'on propose ; les dispositions relatives aux droits sur les lins et celle qui est relative aux tourteaux en sont la preuve. Ce sont les seuls avantages qui ont été jusqu'ici laissés à l'agriculture que l'on prétend supprimer par le projet de loi.

Je propose donc à la chambre d'ajourner la discussion de ce projet jusqu'après la conclusion d'un traité avec la France.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, c'est à l'occasion du lin que l'honorable député d'Audenarde demande l'ajournement du projet de loi jusqu'après la conclusion d'un traité avec la France. Cette motion d'ordre n'est pas soutenable, messieurs, car les seuls objets qui puissent raisonnablement entrer dans un traité avec les pays voisins, ce sont ceux qui ont été réservés par le gouvernement. Pour vous démontrer, messieurs, combien l'orateur a mal choisi son terrain, je vous demanderai de quel œil serait vu un diplomate qui viendrait apporter dans la balance des négociations avec un peuple voisin, la question de savoir si l'on supprimera pour l'exportation des lins bruts le droit de 64 centimes par 100 kil. qui existe encore. Mais évidemment ce diplomate ferait sourire de pitié la nation voisine, lorsqu'il ferait une pareille proposition.

Si l'honorable député faisait une motion tendant à quintupler, à décupler le droit pour forcer ainsi, en supposant que la France ait quelque intérêt à voir exporter nos lins bruts, nos voisins à acheter la démolition de cet édifice au moyen de quelques sacrifices, on comprendrait cette proposition. Mais ce n'est pas là ce que demande l'honorable orateur ; il ne demande que le maintien de ce qui est.

Poser la question, c'est la résoudre. Les 64 centimes qui existent sur l'exportation du lin brut ne constituent qu'un droit de balance. Vous savez tous ce qu'ils produisent. Quand on a établi le droit de 64 c. sur le lin, on a espéré qu'en présence du faible intérêt qu'aurait l'exportateur à frauder, il ferait des déclarations sincères et que notre statistique constaterait exactement la valeur de l'exportation de nos produits. Eh bien, l'expérience a prouvé le contraire. Quelque faible que soit le gain de ces 64 centimes, on trahit encore la vérité et on ne déclare pas les exportations exactes ; de telle sorte que, pour revenir à la vérité, nous sommes obligés de mettre en parallèle nos exportations et les importations dans les pays voisins.

En faisant disparaître ce faible droit de balance, en enlevant à l'exportateur tout intérêt de déguiser la vérité, nous sommes bien certains, et déjà l'expérience l'a prouvé l'année dernière, que nous connaîtrons exactement le chiffre des exporlations, parce qu'il y a des peines sévères contre ceux qui trompent et que l'on n'aura rien à gagner en fraudant.

Je pense donc qu'une demande d'ajournement n'est pas fondée. Si l'ajournement n'est pas adopté, je demanderai à répondre quelques mots à l'honorable député de Nivelles.

- La proposition d'ajournement faite par M. Vander Donckt est mise aux voix, elle n'est pas adoptée.

La discussion générale continue.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, les amendements vont se croiser, et je ne m'en étonne pas, car du moment que l'on touche, même de la manière la plus insignifiante, à des intérêts privés, on est toujours certain de rencontrer l'opposilion des industriels qui jouissent d'une protection quelconque ; au milieu donc de cette espèce d'avalanche d'amendements, permettez-moi de déblayer tout de suite le terrain de l'intérêt de la papeterie dans la question des chiffons de laine.

L'honorable député de Nivelles appuie le maintien de la prohibition des chiffons de laine à leur exportation en se fondant sur cette considération,que si l'on n'en défend pas l'exportation on ne pourra pas constater si les chiffons de laine ou les chiffons de lin et de coton ne seront pas exportés au détriment de notre papeterie.

Eh bien, messieurs, si ce motif était fondé, l'honorable orateur devrait au contraire se rallier à la proposition du gouvernement, et demander que la prohibition à la sortie ne fût pas inscrite dans la loi pour les chiffons de laine. En effet, il avouera avec moi, que lorsque la loi emploie les termes : « Drilles et chiffons, » les drilles et chiffons triturés y sont compris, car s'il suffisait de les triturer, c'est alors que la papeterie verrait exporter cette matière première dont elle a besoin.

Prenons donc pour constant que lorsque la loi dit que les chiffons sont prohibés à la sortie, cela comprend les chiffons triturés comme les chiffons non triturés. Eh bien, messieurs, si les chiffons de laine triturés seuls pouvaient s'exporter, il est évident que la vérification à la douane deviendrait impossible, car une fois qu'ils sont déchiquetés, il n'y a plus d'homme au monde qui puisse constater que dans cette prétendue laine artificielle il n'y a ni lin ni coton, tandis que cette constatation est plus facile quand les chiffons sont entiers.

(page 785) Je prétends donc que la papeterie est plus intéressée à la libre exportation des chiffons de laine qu'à leur exportation après avoir été réduits en laine.

Du reste, messieurs, quant aux chiffons de laine pure, je ne pense pas que quelqu'un soutienne ici que l'industrie de la papeterie est intéressée à leur prohibition à la sortie. J'ai pris des renseignements ; j'ai reçu des réclamations nombreuses d'industriels, à l'époque où, pour la première fois, on demandait la libre exportation des laines artificielles ; ils ajoutaient à leur demande des certificats de fabricants de papier constatant que quant à la laine pure il n'y a aucun motif de la retenir dans le pays.

Ainsi, messieurs, la papeterie est complètement désintéressée dans la question.

M. Vermeire. - Messieurs, j'avais cru ne point prendre part à cette discussion, parce que je suis d'accord avec le gouvernement et la section centrale sur le principe du projet de loi. Je crois qu'il est avantageux de faciliter et de multiplier les échanges utiles entre la Belgique et l'étranger. Mais quand j'examine de plus près le projet de loi, qui n'est que la deuxième partie de la loi de 1850, je regrette que le gouvernement n'ait pas cru devoir aller plus loin, car la libre sortie des matières premières (et je comprends ici sous cette dénomination les produits du sol qui n'ont encore reçu aucune préparation mécanique ou manuelle), cette libre sortie, en présence des droits d'entrée, qui frappe encore la matière première tirée de l'étranger, peut être, pour l'industrie du pays, plutôt nuisible qu'utile. Je crois donc que le gouvernement aurait dû combler la lacune que je signale, en présentant en même temps un projet de loi qui fasse disparaître cette anomalie.

Le gouvernement a fort bien senti la logique de celle observation ; car il a prévenu l'objection dans son exposé de motifs. Et, en effet, il nous dit que, sous ce rapport, il y aura quelque chose à faire ; qu'aussitôt que la question sera élucidée, il nous présentera un projet de loi qui conciliera tous les intérêts.

Messieurs, en général, les droits d'entrée sur les matières premières ne sont pas très élevés ; mais j'y vois un motif de plus pour les supprimer ; car en certains cas, le droit vient, non pas frapper la consommation, mais faire obstacle au transit des marchandises par le pays.

Ainsi, messieurs, je voudrais qu'on fît disparaître complètement le droit qui pèse encore sur l'entrée des graines oléagineuses. La statistique nous démontre que la production agricole de cette graine n'est pas à beaucoup près suffisante pour alimenter nos nombreuses fabriques.

En effet, nous importons annuellement 600,000 à 700,000 hectolitres de grains contre 25,000 à 30,000 hectolitres que nous exportons. L'insuffisance est donc ici démontrée d'une manière évidente.

J'ai dit tout à l'heure que le maintien du léger droit dont sont frappées les matières premières pouvait mettre obstacle au transit. Voici comment j'explique ce fait.

Pour transiter, on a besoin de mettre les marchandises dans un entrepôt public. Or, tout le monde sait que les frais d'entreposage, dans les entrepôts publics, sont plus considérabks que les frais de magasin chez les particuliers. Si donc les frais d'emmagasinage, joints au droit, viennent compenser les frais de l'entreposage public, il en résulte que le consignataire préfère avoir les marchandises chez lui pour pouvoir les soigner plus convenablement ; et comme, pour le transit, on a surtout besoin de la modicité des prix, il en résulte que nous perdons des affaires considérables date nos principaux ports de mer.

Ce que je viens de dire pour les graines oléagineuses s'applique à d'autres matières et principalement au lin et au chanvre. Aujourd'hui les filateurs et tous ceux qui emploient ces matières sont en grande partie tributaires de la Hollande et de l'Angleterre. Si les droits d'entrée étaient abolis, un grand marché de lin et de chanvre s'établirait à Anvers, et nos nombreux fabricants ne devraient pas aller s'approvisionner à l'étranger.

Avant de terminer, je dirai quelques mots en réponse à l’observation qui a été faite par l'honorable M. Vander Donckt ; cet honorable membre demande, dans l'intérêt des tisserands, le maintien du dnoit de sortie sur le lin, qui est encore de 64 c. les 100 kilogrammes.

Je crois que les tisserands sont fort peu intéressés au maintien de ce droit, et j'ajouterai même que si ce droit était de 30 francs par 100 kil. au lieu de 64 centimes, ceux-ci s'en ressentiraient encore fort peu. Vous vous rappellerez, messieurs, qu'il y a quelques années, on a fait une enquête sur l'industrie linière et qu'alors aussi on demandait un droit de sortie sur les lins bruts dans l'intérêt de l'industrie linière. Un négociant en toile, consulté sur la question, a établi, par des chiffres incontestables, que si les droits étaient de 15 p. c, ce qui équivaut à 30 francs par 100 kilog., le prix d'une aune de toile ne pourrait augmenter que de 5 centimes environ.

Voici comment il établit son calcul (il fait observer d'abord que ce droit serait écrasant pour l'agriculture et que la commission n'a demandé qu'un droit de 10 p. c). Une pièce de toile de 51 mètres de longueur. 1 mètre 22 cent, dé largeur, du prix de 1 fr. 80, vaut 108 fr. ; la matière première y entre pour un tiers, soit pour 36 fr. ; un droit de 15 p. c. augmenterait le prix de 8 centimes par mètre. Il établit que les marchands souvent diffèrent d'autant et même quelquefois de plus dans leurs évaluations, Car plus la toile devient fine, plus la différence diminue, Je crois donc que nous ne devons pai excepter les lins pour lesquels M. Vander Donckt a demandé ie maintien du droit dans l'intérêt de la fabrication de la toile.

M. Rodenbach. - Messieurs, je pourrais dire à M. le ministre qui s'est occupe des 64 centimes de droit à la sortie des lins, qu'effectivement ce droit est très peu de chose, mais n'en rapporte pas moins à l’Etat approximativement 66,000 fr. par an ; et comme vient de le dire l’honorable préopinant, il est très vrai que c’est presque sans influence sur le prix de la toile ; mais je demanderai pù était la pressante nécessité de réduire les ressources du trésor de 180 mille francs, car le projet de loi qu'on nous propose doit, en effet diminuer le revenu de la Belgique de 180,000 fr. par an. il est vrai que nos revenus, notamment les impôts indirects, ont présenté, en 1852, une augmentation de 4,202,413 fr., la douane seule entrant dans cette somme pour près de 1,800,000 fr. Mais avec les déficits que présentent nos caisses, ces 4 millions 200 mille francs viendront fort à propos.

Je crois que si on ne crée pas de nouvelles contributions, le moment serait fort mal choisi poour le faire. Il faudra finir par contracter un nouvel emprunt, puisqu'il y a réellement déficit dans notre situation financière. La suppression des droits de sortie est proposée pour un grand nombre d'articles ; mais en présence d'un déficit, était-ce bien le moment d'abolir le droit de sortie sur 130 articles, et de diminuer ainsi nos ressources d'environ 180 mille francs ?

On aurait dû conserver cette somme. Je ne vois pas qu'il y avait si grande urgence de présenter ce projet de loi.

On a parlé de la sortie des chiffons de laine ; un honorable député de Tournai, agronome distingué, a dit que c'était un excellent engras ; j'ajouterai qu'on les emploie également dans l'industrie lainicre pour des sommes considérables ; on en file une laine artificielle. Vous avez reçu, d'ailleurs, une douzaine de pétitions dans lesquelles on vous disait qu'avec ces chiffons ainsi filés on était parvenu à fabriquer des tapis et des étoffes, à la vérité communs et grossiers, pour la consommation de la classe pauvre. Puisqu'on fait usage de ces chiffons dans l'industrie, je ne vois pas pourquoi nous nous priverions de cette matière première.

J'ai remarqué aussi, parmi les articles dont il s'agit, les peaux de chevreau. On annonce que, pour ces peaux, on demande que le droit prohibitif ne soit maintenu que jusqu'au ler janvier 1858. Si maintenant nous devons encore faire venir de l'étranger les trois quarts des peaux dont nos fabriques de gants ont besoin, je ne vois pas pourquoi on doit tant se presser de laisser sortir les peaux de chevreau que nous avons dans le pays.

On admet la prohibition de la sortie des matières premières nécessaires aux fabriques de papier ; nous avons de nouvelles fabriques de gants qui se créent, elles donnent bcauoup de main-d'œuvre aux ouvriers et aux ouvrières, et il est prouvé que la matière première nous manque. Je ne comprends donc pas, je le répète, qu'on veuille laisser sortir celle que nous avons. Au reste, quand nous en serons aux articles, j'entendrai avec plaisir les raisons qu'on peut donner en faveur de ces propositions.

Il y a un autre article sur lequel j'appellerai l'attention de la chambre, c'est celui qui concerne les os. Les fabriques de sucre ont besoin de noir animal, pour la clarification du sucre ; mais les raisons présentées pour réduire le droit sont assez plausibles, l'exportation se fait en très grande partie par la fraude ; ce sont des quasi-mendiants qui lorsqu'ils ont réuni pour quelques cents d'os vont les vendre de l'autre côté de la frontière.

Les employés ne peuvent pas se montrer rigoureux envers ces malheureux. Quand le droit sera réduit de 50 à 25 fr., les colporteurs demeurant sur la frontière de France frauderont moins et l'on pourrait peut-être soutenir qu'avec cette réduction de droits, il restera plus d'os dans le pays pour la fabrication du noir animal et pour l'engrais.

Cette mesure que l'on propose, je la crois donc bonne.

Je me bornerai pour le moment à ces observations, me réservant de reprendre la parole quand on discutera les articles.

M. Verhaegen. - Le projet de loi qui nous est soumis a, d'après moi, une teinte de libre échange théorique, que je voudrais lui voir enlever par l'adoption des divers amendements qui ont été présentés

Messieurs, depuis mon entrée dans cette enceinte, je n'ai pas varié un seul instant d'apinion, quant à ce qu'on appelle le libre-échange Je veux bien du libre échange pratique dans la véritable acception du mot. Mais je ne veux pas du libre-échange théorique, qui ne sert en définitive qu'à faire des dupes.

Je veux bien échanger avec mes voisins, c'est-à-dire que je veux bien leur accorder certains avantages lorsqu'ils m'en accordent eux-mêmes.

Mais je ne veux pas leur jeter des avantages sans équivalent. Ce n'est pas la du libre échange pratique ; c'est du libre échange théorique c'est-à-dire de la duperie, et je n'en veux pas.

Messieurs, je m'exprimais déjà ainsi en 1837, car le premier discours que j’ai eu l'honneur de prononcer dans cette chambre avait précisément cela pour objet : on voulait, en 1837, diminuer les droits sur les draps français, alors que nos draps étaient prohibés en France. J'ai combattu ce système, et je continuerai de le combattre.

Pour en agir ainsi, messieurs, je n'en reste pas moins dans les idées libérales. Il n'y a rien de contraire aux idées libérales à ne pas vouloir être dupe vis-à-vis de nos voisins ne faisant pas pour nous ce qu'ils demandent qu'on fasse pour eux.

(page 786) Cela doit surtout s'appliquer lorsqu'il s'agit de matières premières ; car j'ai toujours pensé que c'est un principe incontestable, incontesté, à savoir que l'exportation des produits fabriqués fait la richesse du pays qui possède les matières premières, propres à ses manufactures ; car pour ce pays tout est bénéfice, tandis que l'étranger paye un tribut complet.

Dans l'occurrence, ce principe reçoit son application et à l'appui des amendements qui ont été présentés.

Ainsi, j'ai présenté un amendement pour les os. Je demande pour les os le statu quo. Je demande que les os restent frappés, comme ils le sont aujourd'hui, d'un droit de 50 fr. par mille kilog., et j'ai le droit de le demander, lorsqu'il existe des droits bien plus forts chez nos voisins. Ainsi le droit de sortie est en France de 200 fr. par mille kilog. Or, c’est surtout en France que va le plus grand nombre de nos os. Ce serait donc une grande duperie d’abaiser le droit à 25 fr., soit au huitième des droits existants en France.

Il s'établit à l'extrême frontière des dépôts ; et c'est ce qui occasionne la fraude. Mais il y a moyen d'y parer.

Voyons comment cette disposition du projet de loi a été présentée : en juillet 1850, un grand nombre de raffineurs et autres industriels intéressés à ce que les os fussent prohibés à la sortie, avaient demandé cette mesure à la chambre par une requête très bien motivée. Leur pétition fut renvoyée à la commission d'industrie qui fut défavorable à la pétition et en proposa le renvoi à M. le ministre des finances, pour qu'il examinât si, au lieu de prohiber la sortie, il n'y avait pas lieu de diminuer les droits de sortie existants.

C'est ainsi que le gouvernement propose de réduire les droits de 50 à 25 fr. Quelle industrie a demandé cette réduction ? Quel intérêt privé a pu la demander ? Aucune industrie, aucun intérêt privé. Tout au contraire, diverses industries, divers intérêts paraissent désirer la prohibition qui avait été demandée en juillet 1850. Mais je crois avoir plus de chances de succès en demandant le maintien du statu quo.

Je trouve, dans l'exposé des motifs,des raisons qui appuient l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer.

En effet, j'y lis :

« Drilles. La France et la Néerlande prohibent encore la sortie de ces déchets, et le Zollrerein les soumet à un droit de 22 fr. 50 c. les 100 kilog. Aussi longtemps que ces tarifs seront en vigueur, nous devrons maintenir le nôtre. En effet, si nos fabricants de papier ne pouvaient pas s'approvisionner chez nous, ils seraient forcés d'aller acheter les drilles dans des contrées éloignées et de les y payer beaucoup plus cher. A cause de la concurrence fort vive que notre papeterie rencontre au-dehors, la levée de la prohibition compromettrait l'existence d'une industrie considérable, dont la prospérité réclame encore le maintien de la seule mesure de l'espèce que renferme le projet de loi. »

S'il en est ainsi pour les drilles dans l'intérêt des papeteries, à plus forte raison doit-il en être ainsi pour les os. On maintient un droit en quelque sorte prohibitif à la sortie des drilles, dans l'intérêt d'une seule industrie, la papeterie, et pour les os, il y a quatre industries intéressées au maintien de ce qui existe, ou à l'abaissement des droits. Ce sont :

1° Les fabriques de colle.

2° Les fabriques de tabletterie.

3° Les fabriques de noir animal et toutes les fabriques de sucre qui consomment le noir animal.

4° L'agriculture.

A propos de l'agriculture, je dirai un mot des chiffons de laine. On excepte les chiffons de laine, précisément ceux qui constituent un engrais ; on fait une exception, alors qu'il s'agit d'intéresser deux industries pour une.

Car, comme il a été déclaré tantôt, dans les développements de l'amendement de l'honorable M. Mascart, il y aussi certaines papeteries qui sont intéressées pour les drilles de laine ; et à cet intérêt vient s'en joindre un autre, l'intérêt de l'agriculture.

Maintenant, je me demande donc pourquoi il faut placer les déchets qui font l'objet de mon amendement dans une autre catégorie que les déchets que le gouvernement favorise dans son projet.

Les drilles intéressent une seule industrie, et c'est pour cette seule industrie qu'on fait une exception, alors que les os intéressent quatre industries très importantes.

Je ne demande pas la prohibition, comme l'avaient demandée les pétitionnaires en 1850 ; je demande simplement le statu quo, c'est-à-dire le maintien du droit de 50 fr. ; je demande un acte de justice distributive.

Mais, dira-t-on, il est impossible d'empêcher la fraude, et en réduisant le droit de 50 fr. à 25, elle sera d'autant diminuée, que ce sont les pauvres qui transportent en France les os qu'ils vont ramasser dans les environs.

Ce serait une erreur bien grande, messieurs. S'il ne s'agissait que des os que l'on va ramasser dans les environs, ce serait fort peu de chose. Mais on établit des dépôts à l'extrême frontière, et c'est dans ces dépôts qu'on va prendre les os pour les exporter en fraude en France. Si donc le gouvernement prenait une mesure pour défendre les dépôts d'os dans le rayon de la douane, la fraude ne serait plus à craindre, car elle n’est pas à craindre du côté de la mer.

S'agit-il de l'intérêt des pauvres, comme le disait l'honorable M. Rodenbach ? Non, messieurs. Lorsque des os ont une certaine valeur, ce ne sont plus les pauvres qui les ramassent, ce sont nos domestiques qui en font commerce. Ce fait est aujourd'hui de notoriété ; les pauvres n'ont donc aucun intérêt dans la question.

En prenant donc la mesure que j'indique, la fraude ne serait plus à craindre et on ferait un acte de justice en faisant pour les os ce que l'on fait pour les autres déchets.

Messieurs, on nous a distribué une brochure dam laquelle se trouve rapporté, à la page 4, ce qui a été dit, le 16 février 1843, par le ministre d'alors, M. le baron Nothomb. Il s'expriniait ainsi :

« Cependant il est d'un haut intérêt pour l'agriculture et l'industrie de conserver au pays ce précieux déchet (les os) dont la production est forcément limitée : pour l'agriculture, à laquelle il fournit un excellent engrais, qu'elle ne peut employer si l'exportation considérable en élève trop le prix ; pour l'industrie, à qui ce déchet sert de matière première dans la production du noir, et dans la fabrication de la coutellerie, de la tabletterie, etc., tlc. Sous le rapport industriel, il intéresse encore les raflfneurs de sucre auxquels il importe d'avoir le noir animal à bon marché.

« La sortie des drilles et chiffons est prohibée par le tarif, parce que c'est aussi un déchet précieux pour l'industrie et que la production en est pareillement limitée.

« Il en est de même des engrais dans l'intérêt de l'agriculture.

« Or, les os intéressent à la fois l'agriculture et l'industrie. Sous ce double rapport, la prohibition à la sortie leur serait donc logiquement applicable. »

Or, je ne demande pas même la prohibition ; je ne demande que le statu quo du droit de sortie.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, l'honorable député qui vient de se rasseoir a débuté en énonçant que le projet de loi qui vous est soumis porte une teinte de libre échange. Bien que le système du libre échange puisse s'avouer dans cette enceinte, je sais cependant que cette idée serait de nature à jeter dans certains esprits quelque défaveur sur le projet de loi, et je tiens à répondre immédiatement.

Que l'honorable député de Bruxelles se rassure, la projet de loi n'a rien de commun avec ce qu'on appelle le libre échange. Le libre échange suppose, en présence l'un de l'autre, un industriel belge et un importateur étranger. Partant de là, le protectionniste dit : La loi belge doit sa protection à l'industrie belge et ne doit rien à l'industrie étrangère ; par conséquent, nous devons imposer les produits étrangers pour qu'ils ne puissent pas venir faire concurrence aux produits de notre pays. Voilà la base de la protection poussée quelques-uns jusqu'à la prohibition.

Mais, dans la loi actuelle, vous n'êtes placés qu'en présence de deux citoyens belges qui ont également droit à votre protection. Ici vous ne dites pas à l'étranger : Je vous défends d'importer. Vous dites au Belge : Je vous défends de vous défaire de votre bien. Vous dites à l'un : Tâchez de produire et de vendre votre marchandise aux meilleures conditions possibles, et vous dites à son voisin, placé à côté de lui : Je vous défends de vendre votre marchandise, le produit de votre travail, le produit de votre labeur. Et à l'autre : Je vous ordonne de le vendre à votre voisin, afin que celui-ci puisse en profiter à votre détriment.

Voilà la question de la libre sortie et rien de plus. Messieurs, s'il en fallait une preuve, interrogez vos souvenirs. Depuis 1830, je ne sache pas qu'il y ait eu un libre-échangiste pratique aux affaires, et cependant qu'avons-nous vu sous tous les ministères qui se sont succédé ? C'est que, depuis 1850, les hommes les plus portés à la protection, à la prohibition, ont constamment, dans tous les rapports qui ont été faits ici, poussé le gouvernement à faciliter la sortie des produits nationaux, de tous sans exception.

En effet, sur les 500 et quelques articles dont se compose le tarif, depuis 1830, c'est à peine s'il en reste une quinzaine sur lesquels il existe encore des droits élevés. On a successivement, par des lois spéciales qui n'étaient pas coordonnées entre elles, abaissé les droits de sortie pour faciliter l'exportation des produits du sol et des produits de nos manufactures.

Il y a à peine un an que vous avez fait le dernier pas. Voyant que ces lois disséminées dans notre législation n'avaient entre elles aucune harmonie, qu'il régnait entre elles le plus grand désaccord, alors que les mêmes principes devaient leur servir de base, qu'avez-vous fait ? Vous avez dit au gouvernement : Nous vous donnons carte blanche, nous vous permettons de rendre libre, par simple arrêté, la sortie de tous les objets sans exception qui figurent dans notre tarif des douanes.

Si, messieurs, je n'ai pas procédé par simple arrêté, et si j'ai porté l'affaire directement devant la chambre, c'est parce que je comprends qu'à côté de ce principe général, il y a quelques exceptions salutaires a maintenir.

Maintenant quels sont les principes qui ont guidé le gouvernement dans l'adoption des exceptions inscrites dans le projet ? Ces principes, les, voici.

Peu m'importe à moi qu'une marchandise s'appelle produit du sol, produit de manufacture ou déchet. Pour celui qui l'a faite, qui la recueille, qui la produit, c'est la même chose. C'est son bien ; c'est le produit de son travail ; c'est le produit de son labeur.

La liberté de sortie doit donc exister même pour les déchets ; mais lorsque ces déchets sont limités, par leur quantité, comme les drilles et chiffons, qu'ils soit une matière première indispensable à une industrie beaucoup plus importante pour le pays, alors on fait un petit mal à ses concitoyens pour procurer un plus grand bien à l’ensemble du pays.

(page 787) C'est le cas où se trouvent les drilles et chiffons. Ils sont d'une production limitée ; nos voisins n'en permettent pas la sortie et la papeterie en a besoin.

En permettre la sortie chez nous, ce serait donc la destruction de toutes nos papeteries, en supposant, toutefois, qu'on les exportât, ce qui est douteux pour moi ; mais cette industrie a trop de racines dans le pays pour qu'on puisse s'exposer à lui porter préjudice. Il convenait, dès lors, d'inscrire une exception dans la loi en faveur de ces matières.

Mais, messieurs, la même chose se présente-t-elle pour les os, dont a parlé l'honorable préopinant ? En aucune façon. La question des os n .concerne que l'industrie du sucre, et chose étonnante, elle est déjà jugée précisément quant à cette industrie et cela probablement par l'honorable préopinant lui-même. En effet, la loi du 26 février 1850, qui a été adoptée à l'unanimité dans les deux chambres, dit que le noir animal est libre à la sortie. Ainsi l'industrie sucrière a un besoin indispensable du noir animal, et cependant on a autorisé la libre sortie du noir animal.

Dans tous les cas, messieurs, peut-on dire des os ce que le gouvernement dit des drilles et chiffons ? Nos voisins ont-ils tous fermé leur porte ? Ne pouvons-nous pas nous approvisionner ailleurs ? Ce serait une erreur profonde de le croire : la Hollande n'impose les os, à la sortie, que de 1 fr. les 100 kil., le Zollverein de 3 fr.

Eh bien ! pour qui connaît les deux pays, n'y eût-il que la Hollande, la Belgique ne devrait nullement craindre de manquer d'os. Supposons un instant que la crainte de l'honorable orateur se réalise, c'est-à-dire qu'une partie de ces déchets passe en France, ils payeraient, d'après le projet du gouvernement, 25 fr. les 1,000 kil., c'est-à-dire plus du double de ce que payent les os pour venir de Hollande en Belgique.

De sorte qu'en supposant le projet du gouvernement adopté, non seulement il n'y aurait rien à redouter, mais il y aurait un commerce fructueux à faire, ce serait d'importer des os de Hollande en Belgique pour les exporter en France.

Messieurs, il y a quelque chose de plus : je vous prédis qu'avant quelques années d'ici, l'industrie sucrière n'emploiera plus la moitié des os produits en Belgique. Il vient de s'introduire dans notre pays et en France, à nos portes, un nouveau système, le système Rousseau.

Lorsque le premier établissement s'est organisé, j'ai envoyé quelqu'un dans le département du Nord pour faire des études. Eh bien, messieurs, ce système Rousseau produit du jus sucré dune telle pureté, d'une telle clarté qu'il ne reste presque plus rien à clarifier au moyen du noir animal.

Au lieu d'employer le noir animai une fois, on l'emploie jusqu'à quatre fois, ce qui revient à dire que pour l'industrie du sucre le noir animal existant est quadruplé en quantité. Le fait est vérifié, il est certain, il est incontestable. Comme le système Rousseau offre d'autres avantages encore, il est constant que toutes les sucreries qui veulent réussir dans leurs opérations ne manqueront pas de l'adopter. Qu'en résultera-t-il ? C'est que les os qu'on craint de voir manquer, deviendront surabondants.

Mais ce système ne parvînt-il pas à se vulgariser, je soutiens qu'il n'y a aucune crainte à avoir pour l'industrie du sucre.

J'ai interrogé beaucoup d'industriels, et il n'y a qu'une seule localité pour laquelle on puisse craindre une certaine pénurie, c'est l'industrie sucrière de Péruwelz, et cela tient à une double circonstance : c'est d'abord parce que c'est près de la frontière, et en second lieu, mais surtout, parce que les sucreries s'y sont agglomérées.

Or, messieurs, comme les os se recueillent généralement dans le voisinage, pour les avoir à bon marché, ces industriels ont quelquefois regretté l'absence de la quantité qui leur est nécessaire.

Mais, messieurs, ce mal n'est point permanent ; il disparaît : il est reconnu que toutes les fabriques de sucre de betteraves qui s'établissent en trop grande quantité sur un même point, doivent se disperser, sous peine de dépérir.

Cela se remarque en France et, déjà, à l'heure qu'il est, des industriels de Péruwelz doivent chômer. La betterave, qui épuise la terre plus qu’aucune autre plante, ne pouvant se récolter que sur un nombre d’hectares limité, parce que tout le monde ne donne pas son terrain pour une telle culture, il est évident que la betterave dépérit, qu’elle perd sa qualité saccharine et que, sous peine de ne plus pouvoir soutenir la concurrence, les industriels ne peuvent pas se maintenir en si grand nombre sur un même point.

Maintenant, messieurs, quel est le remède que présente l’honorable membre ? Il voudrait que l'on défendît les dépôts d'os, dans le territoire réservé, sur l'extrême frontière. Je demanderai à l'honorable membre ce qu'il entend par dépôts ? Car d'après tous les rapports de la douane, que je possède, c'est par petites quantités que les mendiants de ces localités recueillent les os chez les ménagères, chez les cuisinières ; puis quand ils en ont quelque vingt livres ils vont faire leur promenade en France et les débitent en petite quantité.

M. Verhaegen. - Ils sortent par waggon.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Permettez-moi d'en douter, la douane de ce côté est très bien gardée, et tous les rapports constatent que c'est par les mendiants de profession que se fait ce petit trafic.

Eh bien, quel recours avez-vous contre cette espèce de délinquants ? Ce n'est pas l'amende, puisqu'elle est irrécouvrable ; ce n'est pas la continuation d'une matière dont vous ne sauriez que faire ; ce n'est pas la prison, puisque le législateur depuis 1850 a eu le bon esprit de supprime la prison contre ceux qui vont à l'étranger vendre les produits de notre sol, et je ne pense pas qu'il puisse entrer dans l'esprit de quelqu'un de la rétablir.

Je bornerai ici mes observations, parce que, encore une fois, ces discussions vont se renouveler lorsque nous en serons à l'article 2.

M. le président. - La parole est à M. de La Coste.

M. de La Coste. - M. le président, il a été proposé des amendements qui n'ont pas encore été développés. Je préférerais ne parler qu'après que la chambre aurait entendu les développements de ces amendements ; je dois combattre celui qui a été présenté par l'honorable M. Orban.

M. le président. - Je suivrai la liste des orateurs ; vous pourrez parler quand elle sera épuisée. La parole est à M. Osy.

M. Osy. - Messieurs, lorsque sir Robert Peel a introduit son système douanier, il s'est bien gardé d'abolir tous les droits d'entrée sur les marchandises étrangères. Il est très dangereux pour un pays de prendre pour principe général le libre échange.

Comme l'a très bien dit l'honorable M. Verhaegen, c'est une duperie d'adopter ce principe d'une manière générale.

Mon principe à moi est celui-ci : quand mes voisins sont libéraux à mon égard, je suis libéral pour eux ; quand je vois des prohibitions chez mes voisins, je me garde bien de leur vendre mes matières premières pour qu'ils en fassent des fabricats et m'empêchent d'en faire.

Messieurs, j'ai présenté un amendement portant sur un objet qui an premier abord paraît une bagatelle ; mais d'après une pétition qui est déposée sur le bureau, c'est un objet beaucoup plus considérable qu'on ne pourrait le penser.

Le gouvernement propose avec raison de maintenir le droit de sortie sur les chiffons de lin et de coton, parce que nos papeteries ont besoin de ces chiffons ; mais il propose en même temps de décréter la libre sortie des chiffons de laine. Or, je ne conçois pas que le gouvernement qui appuie par de si bonnes raisons le droit de sortie sur les chiffons de lin et de coton, ne le maintienne pas également pour les chiffons de laine.

En Hollande et en France, il y a prohibition pour les chiffons de laine ; le Zollverein n'a pas de prohibition, mais elle a un droit de sortie de fr. 22-50 pour une marchandise qui en vaut 24. Ainsi, ce droit équivaut à la prohibition.

Nous avons dans les environs d'Anvers une dizaine de fabriques, et six autres, je pense, dans le reste du pays, qui manipulent 8 millions de kil. de chiffons de laine.

Ces 8 millions, achetés chez les chiffonniers, valent environ 1,400,000 francs ; eh bien, lorsque nous avons la laine artificielle, c'est un objet qui vaut 4 millios» ; en défalquant de cette somme l'intérêt de la fabrique même, il reste au moins 2 millions de main-d'œuvre.

Maintenant, qui travaille ces chiffons ? C'est la classe la plus base de la société, ce sont de pauvres femmes, des vieillards, qui sont charmés de pouvoir trouver encore ce travail à défaut d’autre besogne. Eh bien, le gouvernement aujourd’hui veut faire décréter la libre sortie d’une matière première qui produit dans le pays une main-d’œuvre d’au moins deux millions.

Le gouvernement dit, dans son exposé des motifs, que nos voisins prohibent cette matière première. Eh bien, ne pouvant pas acheter chez les étrangers ces chiffons de laine, je veux en maintenir chez nous cette matière première.

Que faisons-nous, messieurs, de cette laine artificielle ? Les fabriques de draps communs, celles des tapis de pied qu'on fait beaucoup dans les ateliers de charité, ont besoin de cette laine artificielle ; beaucoup d'autres industries s'en servent, et même nous exportons en Angleterre cette laine artificielle que vous filez. J'aime beaucoup mieux vendre aux Anglais cette laine filée qui nous a procuré une main-d'œuvre que de vendre ces chiffons qui ne rapportent presque rien.

Outre l'intérêt commercial et industriel qui se rattache à cette matière première, c'est le meilleur engrais que nous puissions avoir dans les terres légères, comme l'a dit l’honorable M. Visart. Pourquoi donc exporter celle matière, alors que nous importons même d'Amérique des chiffons de laine ? C'est une véritable duperie d'exporter ces chiffons, et j'espère bien que le gouvernement se ralliera à ma proposition.

Messieurs, je dirai quelques mots sur l'objet dont vous a parlé l'honorable M. Vermeire. Le gouvernement propose d'abolir le droit de sortie de 64 c. sur le lin. La sortie des lins produisait 64,000 fr. ; c'est à peu près le tiers de la perte totale que nous ferons.

Je ne suis pas contraire à l'abolition du droit de sortie sur le lin ; mais je demande une comparaison. Nous vendons à l'Angleterre nos lins que nous ne pouvons pas tous employer ; mais nos filatures à la mécanique ont besoin de lin plus ordinaire, de lin de Russie ; il est donc juste que nous puissions également importer ce lin sans droit ; le droit d'entrée est également de 64 c.

Je sais que le projet de loi que nous discutons en ce moment ne s'occupe pas des droits d'entrée ; mais je prierai M. le ministre des finances de vouloir bien, lorsqu'il présentera la réforme douanière, examiner la question de savoir si en effet il ne serait pas convenable d'abolir le droit d'entrée sur les lins étrangers dans l'intérêt de nos industriels.

(page 788) M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, je ne crois pas que le projet de loi en discussion ait été dicté par les théories du libre échange : il a été conçu dans la pensée de favoriser l'exportation des produits indigènes à l'étranger.

Il est évident que, à ce point de vue, il ne s'agissait pas de proclamer aveuglément un principe ; il fallait voir quelle serait la portée matérielle de son application.

Le gouvernement lui-même a reconnu cette nécessité, car au lieu de proclamer d'une manière absolue le régime de la libre sortie, il a admis plusieurs exceptions impérieusement réclamées par de grandes industries du pays. Mais dans le choix de ces exceptions il y a des anomalies que je m'explique difficilement.

Ainsi les drilles sont prohibées, parce que c'est un déchet précieux pour l'industrie et que la production en est limitée ; les chiffons de laine, au contraire, peuvent sortir librement. Je ne pense pas que dans aucun tarif jusqu'à présent on ait établi ces deux catégories.

Les droits sont maintenus pour les charbons utiles à la forgerie, pour les écorces dont les tanneurs ont besoin, tandis que pour les os qui intéressent à la fois l'agriculture et l'industrie, le droit se trouve abaisse de 50 à 25 fr. les 1,000 kilog.

Je crois, messieurs, qu'il y a un principe qui domine cette matière et dont on ne tient pas assez compte, c'est que la production des déchets en général n'est jamais réglée par la demande ; en d'autres termes, on ne peut pas en obtenir autant qu'on veut, et certaines industries ne sauraient s'en passer.

J'appelle l'attention de la chambre sur cette considération qui justifie les entraves que l'on met, dans la plupart des pays, à la sortie des déchets.

A ce point de vue, j'appuierai les amendements qui ont été présentés par les honorables M. Osy et Verhaegen.

La question des os, comme je le disais tout à l'heure, intéresse à la fois l'agriculture et l'industrie. La législature l'a reconnu à toutes les époques.

Tout à l'heure l'honorable M. Verhaegen rappelait l'opinion émise à cet égard en 1843 par M. Nothomb ; j'ajouterai qu'en 1850 l'honorable ministre, M. Frère, répondant à des observations faites par la section centrale, déclara qu'il convenait de maintenir le statu quo. La loi du 30 mars 1843, dit-il, en fixant à 50 francs par 1,000 kil. le droit de sortie sur les os, a voulu donner aux fabricants de noir animal la faculté de se procurer des os dans le pays.

Je demanderai s'il y a quelque chose de changé depuis 1850. Je ne le pense pas. L'agriculture, à mesure qu'elle se perfectionne, à mesure que l'élève du bétail augmente, a besoin de plus d'engrais phosphatés. La terre veut qu'on lui rende les substances minérales qu'on lui a enlevées. Nos bruyères sont loin d'être défrichées. Or, il n'y a pas d'engrais plus actif que les os pulvérisés et le noir animal. L'Angleterre l'a si bien compris qu'elle enlève les os dans tous les pays où il lui est possible de s'en procurer, afin d'améliorer les terrains qui, sans cela, resteraient improductifs.

C'est avec le résidu des raffineries hollandaises que les landes aux environs de Nantes ont été fécondées. La consommation, par l'industrie indigente toute la masse du déchet dont je m'occupe tournerait en fin de compte au profit de l'agriculture, à qui elle conserverait un engrais précieux.

Or, comme M. le ministre des finances l'a fait observer tout à l'heure, la sortie du noir animal est libre ; à mon avis, c'est un motif de plus pour maintenir le statu quo, en ce qui concerne les os.

L'intérêt industriel qui se trouve engagé dans la question n'est pas moins important. L'honorable ministre des finances vous disait tantôt qu'il s'agissait uniquement des sucreries. Il faut y ajouter, messieurs, les fabriques de noir animal, de colle, d'ammoniaque, de phosphore, la coutellerie et la tabletterie.

Ces industries, on doit le reconnaître, tiennent une place assez important, dans les intérêts du pays et emploient un nombre assez considérable de bras pour que l'on se montre équitable à leur égard. Qu'est-ce que ces industries vous demandent ? Que vous mainteniez la protection qui leur a été assurée à une autre époque, comme vous la maintenez pour la papeterie ; que vous ne les placiez pas dans une position trop défavorable vis-à-vis de l'industrie française.

En France, on l'a déjà fait remarquer, le droit n'est pas de 25 ni de 50 fr., mais de 200 francs par mille kilog.

Je pense qu'aussi longtemps que de pareils droits existeront chez nos voisins, il y aurait imprudence à abaisser encore les nôtres. N'entrons pas les premiers dans une voie nouvelle et peut-être aventurée.

On a fait intervenir dans le débat la classe des chiffonniers. Mon habitude n'est pas de prendre la défense des puissants contre les faibles, mais les chiffonniers me semblent ici complètement désintéressés. L'industrie indigène s'est assez développée pour admettre qu'en supposant que la sortie des os soit entièrement entravée, ce qui n'est pas, les prix ne seraient jamais avilis.

En effet, en 1843, on vendait les os à 5 et 6 fr. les 100 kil. Depuis que le tarif a été modifié, les prix se sont élevés à 9 et à 10 fr. La rémunération des chiffonniers est donc plus élevée qu'elle ne l'était autrefois. J'ajouterai qu'il vaut mieux avoir des acheteurs réguliers dans le pays que d'être à la merci des spéculateurs étrangers. Si l'exportation reste stationnaire, nous ne nous exposerons pas à voir diminuer le travail national et les avantages qui y sont attachés.

Je donnerai mon adhésion au projet de loi, s'il est modifié dans le sens des observations que je viens de présenter.

M. Delehaye. - Je ne dirai pas qne le projet de loi soit contraire au système du libre-échange, ou favorable au système protecteur.

Ce projet de loi porte ce caractère de bigarrure qui distingue toutes nos lois industrielles et commerciales ; on y voit tantôt des dispositions protectionnistes, tantôt des dispositions libre-échangistes, sans qu'on puisse dire que l'ensemble du projet ait un caractère libre-échangiste ou protectionniste.

Je n'aurai pas besoin d'entrer dans de longs développements pour justifier mon opinion à cet égard. Car dans les discours de plusieurs de mes honorables collègues que vous venez d'entendre, se trouvent les motifs de l'opinion que je vais émettre.

Un principe que, d'après moi, l'honorable M. Verhaegen aurait dû invoquer et qui lui a échappé, c'est que la production des os est essentiellement limitée. On conçoit dès lors que le gouvernement cherche à en entraver la sortie dans l'intérêt de l'industrie.

Ces entraves ne sont pas moins nécessaires dans l'intérêt des fabriques de sucre ; car s'il est vrai, comme l'a dit M. le ministre des finances, que le procédé Rousseau, inventé en France et tout récemment importé en Belgique permet d'employer une quantité moindre de noir animal, il est vrai aussi que l'inventeur, breveté en Belgique, met à son invention un prix élevé qui sera un obstacle à ce qu'elle se répande vite et sur une large échelle.

Comme on vous l'a dit, cette mesure est réclamée par l'agriculture. Je ne crois pas avoir besoin d'insister sur ce point.

Je ne m'étendrai pas non plus sur la proposition de MM. Thienpont et consorts. Je suis étonné que l'on veuille rattacher au projet de loi une question avec laquelle il n'a aucune connexité. En effet, il ne s'agit pas là de tarif, mais de dispositions locales, de droits dont les matières fécales sont frappées dans quelques grandes villes.

Est-il vrai que cela porte atteinte à l'agriculture. J'y ai bien réfléchi, et j'ai reconnu que cela n'y porte pas la moindre atteinte. J'appartiens à une de ces localités qui, récemment, ont admis ce système. Nous avons longuement délibéré sur le point de savoir si l'agriculture pouvait en souffrir, et nous avons reconnu que non.

Remarquez qu'à une époque déterminée, l'on doit se débarrasser des matières fécales des grande viles. C'est donc le producteur qui est à la merci de l'acheteur, qui impose ses conditions au vendeur. C'est ce qui s'est passé à Gand. Le droit étant élevé, cela se vend autant de moins. Le producteur en souffre un peu ; mais il faut bien que ceux qui habitent les grandes villes en supportent les charges ; nous avons trouvé ce moyen de les atteindre, et il nous paraît bon.

Mais rassurez-vous, l'agriculture ne souffrira en rien de cette mesure.

M. Faignart. - Après tout ce qui a été dit dans la discussion, je n'aurai que très peu d'observations à présenter à la chambre, notamment sur le paragraphe relatif aux chiffons de laine.

Je demanderai d'abord à l'honorable ministre des finances pourquoi il fait une distinction entre deux industries ; car d'un côté on laisse subsister un droit de sortie au profit des fabricants de papier et, d'autre part, l'on supprime le droit de sortie sur les chiffons de laine qui, comme on l'a dit, sont extrêmement utiles à l'agriculture. Je vois une anomalie dans ce paragraphe. Je ne reviendrai pas sur tous les motifs qui ont été allégués. Je pense qu'il est essentiel de maintenir le droit existant.

L'honorable ministre des finances nous a parlé tantôt d'un nouveau système pour la fabrication du sucre, connu sous le nom de système Rousseau, d'après lequel il ne faudrait plus employer d'os. Je crois pouvoir dire que c'est une erreur. En France même, l'on n'est pas d'accord sur le résultat de ce système. J'ai vu des fabricants qui l'ont essayé, et qui l'ont abandonné ; puis d'autres qui l'ont continué. Dans ce système le noir animal ne sera pas entièrement supprimé.

Dans notre pays ce système est à l'état d'essai depuis quinze jours seulement...

M. le ministre des finances (M. Liedts). - M. votre frère me l'a dit lui-même.

M. Faignart. - Il peut avoir dit qu'il faudra moins de noir animal ; il ne peut avoir avancé qu'il n'en faudrait plus du tout.

M. Rodenbach. - M. le ministre ne l'a pas dit.

M. Faignart. - Le gouvernement n'a voulu consentir à l'essai de cette nouvelle méthode que moyennant une augmentation de droit. Sous ce rapport, il a commis une erreur ; car s'il y a amélioration dans la fabrication du sucre, le gouvernement devrait l'encourager.

Messieurs, à ce sujet, je puis vous rappeler un précédent. Il y a quelques années, un savant chimiste a préconisé un système. Le gouvernement était très heureux de voir cette découverte. Qu'a-t-il fait pour ceux qui ont voulu la mettre en usage ? il a exigé un droit plus élevé. Dans le doute, personne n'a voulu courir la chance ; on n'a pas continué ces essais.

Messieurs, l'honorable ministre des finances nous a dit aussi qu'il n'y avait guère que les sucreries établies dans les environs de Péruwelz qui eussent intérêt au maintien de la loi qui impose les os d'un droit de 50 fr. par 1,000 kilog. Je conçois que ces fabriques aient nécessairement un intérêt plus grand dans la question, parce qu'elles sont plus rapprochées de la frontière ; mais il est incontestable que toutes (page 789) les fabriques de la Belgique ont anssi intérêt au maintien de la législation actuelle.

Au reste, je pense que cette question a été déjà assez approfondie dans la chambre, et je bornerai là mes observations. Cependant je dois déclarer que si les amendements qui ont été proposés n'étaient pas adoptés, je voterais contre la loi.

M. Dumortier. - Messieurs, la loi qui vous est présentée offre un grand nombre de modifications à notre tarif. Parmi ces modifications, il en est qui sont heureuses ; il en est d'autres qui ne le sont guère.

Je citerai, en particulier, deux articles sur lesquels plusieurs membres ont déjà pris la parole. Je veux parler des os et des chiffons de laine. Ces objets, à mon avis, doivent rester dans la situation où ils se trouvent, parce qu'il a toujours été admis en principe, en matière de législation douanière, que toute matière dont la production était restreinte, et n'était pas aussi grande que les besoins pouvaient l'exiger, devait être l'objet, en faveur de l'industrie à laquelle il se rapporte, de moyens conservateurs pour le pays.

Eh bien, les os et les chiffons de laine nous sont indispensables au même degré.

Les os sont devenus une matière première de la plus haute importance pour tous les établissements qui ont besoin de la clarification. En second lieu, les os sont aussi employés avec un immense succès en agriculture.

Je sais bien qu'en Belgique ils ne sont pas encore beaucoup employés pour ce dernier usage. Mais ils peuvent l'être avec le temps, et quand on voit les progrès que l'agriculture anglaise a faits au moyen de l'emploi des os pulvérisés et concassés, il faut bien reconnaire qn'en Belgique nous aurions le plus grand intérêt à en user de même.

Mais un objet dont on n'a pas assez parlé, à mon avis, c'est la question des chiffons de laine. Déjà mes honorables collègues, MM. Osy et Visart en ont dit un mot. Je prendrai la confiance de vous présenter aussi quelques observations sur ce point.

En répondant à mes honorables collègues, M. le ministre des finances a fait remarquer que la fabrication du papier n'était nullement intéressée à la sortie des chiffons de laine. Je le reconnais très volontiers. Mais îl y a une industrie beaucoup plus importante que la fabrication du papier qui est extrêmement intéressée à la conservation des chiffons de laine. Je veux parler de l'agriculture.

Il est démontré aujourd'hui que de tous les engrais, le plus riche, celui qui donne la plus grande fertilité à la terre, c'est le chiffon de laine. Cette découverte n'est que récente ; il n'y a que très peu d'années que ce fait a été reconnu. Mais aujourd'hui le fait a été sanctionné par l'expérience, et ce serait une faute énorme, au point de vue de l'agriculture, que de permettre la sortie des chiffons de laine.

Messieurs, j'ai été moi-même dans la position de pouvoir apprécier l'immense fertilité que le chiffon de laine donne à la terre, et je puis vous dire qu'il n'existe aucun engrais comparable à celui-là. Le chiffon de laine offre tous les avantages du guano et en offre un très considérable que ce dernier engrais ne présente pas, c'est que la vertu fertilisante du guano dure à peine une saison, tandis que le chiffon de laine féconde la terre pendant deux ou trois ans.

La science a démontré que rien n'était plus favorable à la fécondation de la terre que les matières qui produisent le plus d'ammoniaque. Or, de toutes les matières animales on végétales, celle qui fournit le plus d'ammoniaque, c'est précisément le chiffon de laine ou la corne ; car la laine n'est que la corne à l'état d'excessive ténuité. C'est là ce qui offre le plus de particules favorables à la végétation.

Messieurs, en Belgique l'agriculture commence à se servir des chiffons de laine et elle en retire des avantages immenses. Ces chiffons de laine remplacent le guano que nous sommes obligés d'aller acheter en Angleterre et pour lequel nous sommes tributaires de l'étranger. Cet engrais servira surtout dans les Ardennes, dans les contrées voisines des. fabriques de laine. Mais si précisément au moment où l'agriculture commence a s'en servir, vous allez, en en facilitant l'exploitation, en élever le prix, il est évident que vous aurez porté un préjudice considérable à notre agriculture.

On parle toujours de l'agriculture ; mais laissez-lui les petits avantage» dont elle peut profiter. Au lieu de l'obliger à aller chercher à grands frais, en Angleterre, du guano, qui est presque toujours falsifié, conservez pour votre agriculture les chiffons de laine dont l'importance est si grande. Je le répète, l'expérience a démontré que de toutes les substances, le chiffon de laine était la plus favorable de toutes à la fécondation, que c'était elle qui rendait, surtout dans les terres légères, dans les terres arides, les plus grands services à l'agriculture.

Eh bien, je dis qu'il est de l'intérêt bien entendu du pays de conserver pour l'agriculture une matière aussi précieuse, qui ne se produit pas à volonté, que l'on ne crée pas à volonté, que l'on doit conserver au lien, d'en faciliter l'envoi à l'étranger.

Je ne parlerai pas aujourd'hui des autres articles ; je pourrai y revenir plus tard. Mais j'ai voulu attirer surtout votre attention sur ces deux points excessivement sérieux. Lorsqu'une matière ne se produit pas à volonté et qu'elle est indispensable à de grandes industries, loin de chercher à l'exporter au profit de l'étranger, il importe de la conserver pour les industries qui en ont besoin. En semblable matière la charité bien entendue commence par soigner ses propres intérêts.

M. le président. - La parole est à M. Prévinaire.

M. Prévinaire. - Mon intention est de combattre les amendements qui ont été présentés. Comme j'ai à répondre à plusieurs orateurs, j'aurai besoin de quelque temps et l'heure est assez avancée. Je demande la remise à demain.

Pièces adressées à la chambre

M. le ministre de la justice (M. Faider). - J'ai l'honneur de déposer, conformément à l'article 9 de la loi da 3 avril 1848, le rapport sur les écoles de réforme pour l'année 1852 ; et aux termes de l'article 24 de la loi de 1850, le rapport général sur la situation des établissements d'aliénés du royaume.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces rapports ; la chambre en ordonne l'impression et la distribution.

- La séance est levée à quatre heures et demie.