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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 9 mars 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 844) M. Maertens procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« L'administration communale de Hekelgem prie la chambre de voter un secours en faveur des habitants de cette commune qui ont été victimes de l'ouragan du 17 juillet dernier. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Bruxelles prient la chambre d'adopter la proposition de loi concernant l'exemption de droits en faveur d'actes relatifs à l'expulsion des locataires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion de la proposition de loi.


« Des habitants de Soignies demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande des habitants de Mons. »

« Même demande des habitants de Magnée. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.


« Des habitants de Bruxelles demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande d'autres habitants de Bruxelles. »

« Troisième demande semblable d'habitants de Bruxelles. »

« Quatrième demande semblable d'habitants de Bruxelles. »

« Cinquième demande semblable d'habitants de Bruxelles. »

- Même disposition.


« Des électeurs à Hodister et Marcourt demandent que les élections aux chambres se fassent au ehef-lieu du canton. »

« Même demande des électeurs à Soy. »

« Même demande des électeurs à Rahier et à Chevron. »

« Même demande des électeurs à Poelcapelle. »

« Même demande des électeurs du canton de Wellin. »

« Même demande des habitants d'Enghien. »

- Même disposition.

« Des électeurs du canton de Messines demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune ou au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Même disposition.


« Des élections à Mopertingen demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

« Même demande des électeurs à Zwynaerde. »

« Même demande des électeurs à Grammont. »

- Même disposition. »

« Des électeurs à Ouckene demandent la révision de la loi électorale. »

- Même disposition.


« Des habitants d'Ardoye demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune et qu'une partie de la contribution foncière payée par le fermier lui compte pour former le cens électoral. »

- Même disposition.


« Des électeurs à Humbeek demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, que toute circonscription de 40,000 âmes nomme un représentant et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même disposition.


« Des électeurs à Weyer demandent que les districts électoraux pour les nominations aux chambres soient composés de 40,000 âmes, que l'élection se fasse dann la commune ou par section de district et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même disposition.


« Des électeurs à Diest demandent que les élections aux chambres se lassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même disposition.


« Des électeurs à Vleckem demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du cantou, qu'on soit libre de déposer son bulletin dans le chef-lieu d'un canton voisin, si la commune à laquelle on appartient en est plus rapprochée que du chef-lieu du canton dont elle fait partie et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Même disposition.


« Des électeurs à Comines demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, que les districts électoraux soient composés de 40,000 âmes et que la contribution foncière payée par le locataire lui compte prmr former le cens électoral. »

- Même disposition.


« Des électeurs à Bure et à Wavreille demandent que les élections se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même disposition.


« Plusieurs maîtres de forges et directeurs d'établissements métallurgiques demandent que la prohibition de sortie soit maintenue pour les minerais et qu'on fasse cesser les effets de l'arrêté royal qui autorise la libre sortie temporaire de cette matière première. »

« Même demande d'autres directeurs d'établissements métallurgiques. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi portant suppression de droits et de prohibitions de sortie.


i. Plusieurs membres de la garde civique de Liège présentent des observations contre les demandes qui ont pour objet des modifications à la loi sur la garde civique.

« Même demande d'autres membres de la garde civique de Liège. »


- Renvoi à la section centrale, chargée d'examiner la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique.

« L'administration communale de Tournai présente des observations à l'égard de l'article 8 du projet de loi sur les distilleries, relatif au droit d'octroi sur les eaux-de-vie et propose des modifications à cet article. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Roland prie la chambre d'élever autant que possible l'impôt sur les boissons spiritueuses. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur les distilleries.


« Des habitants de Montegnée prient la chambre de repousser la loi sur la milice ou du moins de rejeter tout projet de loi tendant à augmenter la durée du service militaire. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur le recrutement de l'armée.


« Le sieur Hintjens demande que le gouvernement négocie une convention avec les Pays-Bas, pour que des dépôts d'engrais belges puissent être faits dans certaines communes du Brabant septentrional »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Manche réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une pension. »

- Même disposition.


« Des habitants de Tournai présentent des observations contre la demande en concession d'un chemin de fer de Tournai à St-Ghislain, projeté par le sieur Maertens. »

- Même disposition.


« Le sieur Clermonl demande l'établissement d'un droit de sortie sur les houilles et sur les fontes en gueuses. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatifs à la suppression de droits et de prohibitions de sortie.


« Des habitants de Tournai demandent l'abolition des droits de consommation sur les liqueurs alcooliques et le tabac. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget des voies et moyens.


« Le sieur Duvivier adresse à la chambre 5 exemplaires d'un mémoire à l'appui d'une demande en concession de chemin de fer de Bruxelles à Lille en ligne directe par Enghien, Ath, Tournai, etc. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Plusieurs chefs d'établissements industriels, à Gand, demandent une loi qui règle les heures de travail des ouvriers. »

M. T'Kint de Naeyer. - J'appelle l'attention de la chambre sur la généreuse initiative que les industriels de Gand viennent de prendre, en demandant une loi qui règle les heures de travail des ouvriers dans les manufactures.

Je propose en conséquence le renvoi de la pétition à la commission des pétitions avec prière de faire un très prompt rapport.

Cette question est à l'étude depuis plusieurs années ; il est permis d'espérer que le gouvernement sera à même, dans le courant de cette session, de soumettre aux chambres des mesures législatives analogues à celles qui existent déjà dans des pays voisins.

M. Manilius. - J'appuie la demande d'un prompt rapport. Mais je réclame la parole pour dire à la chambre que je me suis fait inscrire pour faire une motion d'ordre, avant la reprise de la discussion sur l'objet à l'ordre du jour. Cette motion se rattache précisément à la demande des pétitionnaires.

M. Delehaye. - Messieurs, comme l'a très bien dit mon honorable ami, M. T'Kint, c'est une heureuse innovation dont la ville de Gand vient de prendre l'initiative. Je demande avec l'honorable membre qu'un prompt rapport soit fait ; mais, pour obtenir ce résultat, je proposerai le renvoi de la pétition à la commission permanente de l'industrie, dans les attributions de laquelle cette pétition rentre plus spécialement ; la commission d'industrie pourra plus utilement, plus activement s'occuper de cet objet. Je modifie donc la proposition de mon honorable ami, en ce sens que je demande le renvoi de la pétition à la commission permanente de l'industrie, avec prière de faire un prompt rapport.

M. Prévinaire. - Je voulais faire la même observation. La (page 845) commission de l'industrie est plus compétente que la commission des pétitions pour examiner cette question.

M. Manilius. - Messieurs, j'ai appuyé le renvoi de la pétition à la commission des pétitions, parce que je considère cette requête comme étant plus du ressort de ceux qui étudient les questions humanitaires que de ceux qui étudient les questions industrielles. Il va de soi que les industriels doivent donner des renseignements Mais je ne pense pas que la commission permanente de l'industrie doive traiter la question de la durée du travail des ouvriers dans les fabriques. Il en est de même de l'organisation de l'armée. Demandez aux officiers ce qu'il faut faire pour l'organisation de l'armée, et ils diront ce qu'il faut faire à leur point de vue. Demandez aux évêques ce qu'il faut faire pour leurs diocèses, ils le diront, mais toujours à leur point de vue. Or, c'est l'intérêt opposé qu'il faut examiner, et pour cela il faut être en dehors du cercle de ces intérêts. La question humanitaire ne doit pas être traitée par une commission permanente, nuis par une commission d'une durée temporaire, par une commission qui doit être rafraîchie tous les mois comme celle des pétitions, par une commission de nature à apprécier tous les intérêts quelconques engagés dans la question.

Je persiste donc à demander le renvoi à la commission des pétitions.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne puis pas appuyer le renvoi de la pétition à la commission des pétitions. La commission permanente de l'industrie n'est pas une commission formée seulement de fabricants ; elle est composée de représentants de l'agriculture, de représentants du commerce, de représentants d'industrie, en un mot de représentants à toutes les branches d'industrie quelconques. Or, dans une matière aussi spéciale que celle dont les fabricants de Gand ont pris la très honorable et très glorieuse initiative, et je les en félicite hautement, il est évident qu'il faut des hommes spéciaux pour l'examiner et que vous ne pouvez trouver ces hommes spéciaux que dans la commission permanente de l'industrie.

Ce n'est pas tout : il existe dans d'autres pays des lois qui règlent cette matière ; or, il n'est pas de commission qui soit plus compétente pour examiner ces lois que la commission permanente de l'industrie.

J'appuie donc le renvoi de la pétition à la commission permanente de l'industrie, et je suis sûr que si on la renvoyait à la commission des pétitions, celle-ci en proposerait elle-même le renvoi à la commission permanente de l'industrie.

M. Delehaye. - Je comprends les motifs qui ont déterminé M. Manilius à demander que cette pétition ne soit pas renvoyée à la commission d'industrie ; c'est par un scrupule de délicatesse qu'en sa qualité de membre de cette commission, qu'il préside d'une manière si remarquable, il demande que la question soit examinée par d'autres. Je crois avoir bien saisi sa pensée : c'est parce que la pétition soulève une question d'industrie et qu'industriel lui-même il a demandé de ne pas la renvoyer à la commission permanente d'industrie.

Mais la chambre a assez de confiance dans le caractère de tous les membres qui composent cette commission pour être convaincue qu'ils sauront apprécier des considérations d'humanité et concilier leurs devoirs industriels avec les devoirs de l'humanité. Que l'honorable membre en particulier soit persuadé que nous connaissons trop ses sentiments personnels pour n'être pas convaincus qu'il ne se laissera guider que par sa conscience et sa conviction.

Par ces motifs, je persiste dans ma proposition. Je ferai observer que la commission des pétitions est saisie de l'examen d'un grand nombre de questions, tandis que, si je suis bien informé, peu de questions sont renvoyées à la commission d'industrie ; de sorte qu'en lui renvoyant la pétition dont il s'agit, un rapport pourrait vous être présenté plus promptemeni.

M. T’Kint de Naeyer. - Je ne persiste pas dans ma proposition de renvoi à la commission des pétitions.

- Le renvoi à la commission d'industrie avec demande d'un prompt rapport est adopté.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de la guerre

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Le Roi m'a chargé, conjointement avec M. le ministre de la guerre, de présenter un projet de loi portant allocation d'un crédit provisoire de 5 millions de francs à valoir sur le budget de la guerre pour l'exercice 1853.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi qu'il vient de déposer ; ce projet et les motifs qui l'accompagnent seront imprimés, distribués et renvoyés à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'organisation de l'armée.

M. le président. - Les sections ont terminé l'examen du projet de loi relatif à l'organisation de l'armée ; je suppose que la chambre voudra attendre qu'elle se soit prononcée sur ce projet avant d'examiner en sections le budget de la guerre et le projet de loi de recrutement. (Adhésion.)

Motion d'ordre

Enquête sur la limitation des heures de travail des femmes et des enfants

M. Manilius (pour une motion d’ordre). - Messieurs, c'est la pétition des chefs de fabrique en faveur d'un règlement sur une raisonnable durée de travail pour les femmes et enfants, qui m'a suggéré l'idée de ma motion.

En ayant recours à la bibliothèque, j'y ai trouvé qu'une commission d'enquête a été nommée, le 7 septembre 1843, sur la condition des classes ouvrières et sur le travail des enfants.

Voici comment elle était composée :

M. de Sauvage, président de la cour de cassation,

M. Alvin, chef de division,

M. Ducpetiaux, inspecteur général des prisons, etc.,

M. Derole, chef de division,

M. Putzeys, chef de division.

M. Sauveur, secrétaire de l'Académie de médecine,

M. Visschers, directeur de l'administration des mines.

Vous voyez, messieurs, avec quelle sollicitude le gouvernement a procédé ; aussi un beau rapport a été fait au ministre de l'intérieur le 24 août 1848.

Ce rapport, messieurs, contient un projet de loi dont un article prescrit les heures du travail dans les usines.

Dans cette enquête qui remplit trois volumes de la grandeur de celui que je tiens en main, il se trouve des renseignements nombreux sur les effets déplorables pour l'humanité ; oui, messieurs, la prolongation outre mesure des heures de travail dans les usines y est signalée comme un véritable abus.

L'Angleterre, pays libre et industriel, a donné le premier exemple de prévoyance et d'humanité pour l'intéressante classe ouvrière. Déjà, en 1802, il a été fait un acte, une loi pour proléger la santé et la moralité des ouvriers employés dans les manufactures.

La France, aussi pays industriel, est également soucieuse du bien-être de la classe ouvrière, et une loi du 12 mars 1841 protège les enfants, les adolescents, les filles et les femmes, employés dans les manufactures, les fabriques, les mines, les chantiers, les ateliers.

Je demande donc, aujourd'hui que les chefs d'usines eux-mêmes viennent au-devant de cette nécessité en pétitionnant pour régler les heures de travail, je demande, dis-je, si M. le ministre de l'intérieur ne pourrait donner quelques renseignements sur l'état de cette question soulevée par les soins de ses prédécesseurs.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, ainsi qu'on vient de le dire, c'est à l'année 1843 que remonte l'initiative prise par le gouvernement de livrer à l'examen d'une commission la question de savoir s'il est possible d'apporter quelque soulagement dans l'existence des ouvriers de fabrique et d'usine.

Cette commission a'procédé avec une sage lenteur et avec toute la maturité qu'on doit apporter dans l'examen d'une question où tant d'intérêts sont engagés.

Si je reconnais volontiers que la pensée qui a inspiré les auteurs des pétitions dont il s'agit a sa source dans un sentiment louable d'humanité, il ne faut pas en exagérer la portée, sous peine de porter le trouble dans les affaires industrielles et une atteinte considérable à la liberté de travail dont tout le monde doit pouvoir jouir.

La commission instituée par l'arrêté de 1843 s'est entourée de tous les renseignements propres à éclairer sa marche et à indiquer les mesures à prendre.

L'Angleterre et la France ont été surtout l'objet des investigations auxquelles la tommissisu s'est livrée. C'est en 1848 que ce travail a put être terminé, il est très volumineux.

Un rapport a été adressé au gouvernement, et un projet de loi a été formulé par les soins de cette commission.

Au nombre des propositions qui nous ont été faites, il en est qui intéressent la prévoyance, l'instruction à donner aux enfants d'ouvriers et même aux adultes. Sous ce double rapport, le gouvernement est déjà parvenu, par plusieurs mesures spéciales, à donner satisfaction aux intérêts signalés à sa vigilance.

Ainsi, des institutions de prévoyance sous le nom d'associations de secours mutuels ont été fondées non seulement dans des établissements sur lesquels le gouvernement a une action indirecte sous le rapport des autorisations dont ils ont besoin ; mais il s'est formé des sociétés particulières pour venir en aide à la classe ouvrière, et avec l'appui du gouvernement qui leur accorde des subsides.

En ce qui concerne l'instruction qu'il importe de donner aux enfants des ouvriers et aux adultes, le gouvernement a fait tout ce qui était en son pouvoir pour répandre cette instruction par l'enseignement primaire.

Il ne s'est pas borné aux écoles ordinaires qui, en raison des heures auxquelles l'enseignement se donne, ne sont pas accessibles aux ouvriers ; il a fondé des écoles d'adultes du soir où les ouvriers se rendent pour recevoir l'instruction après les heures du travail.

Reste la question fondamentale : celle de savoir s'il est possible de limiter le travail des ouvriers. Ici il y a une remarque importante à faire, qui a été signalée à l'attention du gouvernement ; il faut distinguer entre le travail des enfants et des femmes et celui des adultes. Tout le monde est d'accord qu'il est désirable, quant aux premiers, de ne pas dépasser certaines limites dans les heures du travail exigé des enfants et des femmes. Mais tout le monde est d'accord aussi qu’il est extrêmement dangereux d’intervenir administrativement pour limiter le travail des adultes.

Il n'est pas besoin de beaucoup d'efforts pour démontrer que, dans d'autres pays, des tentatives malheureuses ont ete faites pour intervenir, sous ce rapport, en faveur des ouvriers.

En Angleterre même, les mesures législatives prises pour réglementer le travail n'ont pas été complètement observées. Preuve nouvelle qu'il est très difficile de limiter le travail, et d'imposer des lois au fabricant.

Mais je reconnais volontiers que l'ensemble du travail de la commission mérite un examen approfondi. Le gouvemement verra s'il est (page 846) possible de présenter à la législature des mesures qui concilient les droits de l'humanité avec le principe de la liberté du travail, auquel personne de vous ne veut porter atteinte ; car ce serais léser les interés que vous voulez sauvegarder.

Les chambres de commerce ont été consultées à leur tour, et quand tous les renseignements auront été recueillis, le gouvernement examinera s'il y a lieu de soumettre à la chambre des mesures législatives.

M. Manilius. - D'après la déclaration de M. le ministre, nous serons bientôt en possession d'un projet qui sera aussi modéré, aussi sage qu'il vient de le dire. Je m'empresse de reconnaître qu'il est très difficile de réglementer le travail dans les manufactures. Mais je dirai, avec M. le ministre, qu'il est très facile de prévoir la moralité et la salubrité, et que l'humanité le commande. Or, je suis satisfait de la réponse qu'il vient de nous faire, et qu'il a terminée par la déclaration que, pour les points qui peuvent faire l'objet de règlements et de lois, il s'adressera à la législature.

Proposition de loi exemptant de droits les actes relatifs à l’expulsion de certains locataires

Discussion générale

L'article unique de la proposition est ainsi conçu :

« Article unique. Lorsque la valeur des loyers ou fermages, pour toute la durée du bail, n'excède pas la somme de cent francs (fr. 100), les actes de l'instance concernant la demande en expulsion, soit pour cause d'expiration de bail, soit pour défaut de payement, sont exempts du timbre, de même que des droits de greffe et d'enregistrement. »

La commission spéciale, qui a examiné cette proposition, propose de renvoyer le projet présenté par M. Lelièvre et les pétitions qui l'ont appuyé à M. le ministre de la justice, qui pourra les prendre en considération, lorsqu'il fera élaborer le projet qu'il soumettra à la chambre pour la révision du Code de procédure civile, conformément à l'article 139 de la Constitution.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, le rapport de la commission qui a examiné la proposition de l'honorable M. Lelièvre vous fait connaître que j'ai eu l'honneur d'être admis au sein de cette commission et que j'y ai fait valoir plusieurs motifs contre l'adoption du projet de l'honorable membre. Le rapport résume avec beaucoup d'exactitude et de lucidité les principales considérations que j'ai fait valoir au sein de la commission, qui ont été appuyées par quelques-uns de ses membres et qui ont déterminé la majorité de cette commission à vous faire la proposition qui termine le rapport et qui consiste à renvoyer la proposition au département de la justice pour en tenir compte ou pour en faire fruit lors de la révision du Code de procédure civile.

Je ne pourrais, messieurs, dsns le moment actuel, que répéter ce qui a été parfaitement dit dans le rapport. J'attendrai les observations des honorables membres qui ne partageraient pas la manière de voir de la commission, pour y répondre s'il y a lieu.

M. de Muelenaere. - Par une loi du 5 octobre 1833, le juge de paix a été autorisé à connaître tant de la demande en résolution du bail que de celle en expulsion à son expiration, toutes les fois que la valeur des loyers ou fermages, pour toute la durée du bail, n'excédait pas les limites de sa compétence.

C'était là un grand pas vers la simplification de la procédure, pour les propriétés ne produisant qu'un revenu restreint.

La loi du 25 mars 1841, sur la compétence en matière civile a, par son article 5, sanctionné la modification que la loi du 8 octobre avait apportée à la législation antérieure.

D'après mon honorable ami, M. Lelièvre, l'expérience a démontré que cette nouvelle législation ne répond pas entièrement au but qu'on s'était proposé et qu'elle est loin de faite cesser tous les inconvénients sérieux qui résultent de l'état actuel des choses.

En consequence, l'honorable membre vous propose d'affranchir de timbre, de même que des frais de greffe et d’'enregistrement, tous les actes de l'instance, concernant la demande en expulsion, soit pour cause d'expiration de bail, soit pour défaut de payement, lorsque la valeur des loyers ou fermages, pour toute la durée du bail, ne s'élève pas à plus de cent francs.

Au premier abord, cette proposition avait fait naître dans mon esprit d'assez fortes préventions ; je m'étais fait la plupart des objections que la commission a consignées dans son rapport.

Mais en examinant la question de plus près et après des réflexions plus approfondies, je suis demeuré convaincu que le projet a un côté juste et avantageux et qu'au point de vue de la petite propriété, il y a quelque mesure à prendre.

Dans une société bien organisée, il ne faut pas qu'une propriété, quelque minime qu'elle soit, puisse, par le vice de la legislation, rester improductive dans les mains de celui qui la possède. Le dernier doit, sous la protection des lois, pouvoir en toute sécurité jouir des fruits de sa chose.

Dès lors, l'adoption d'une mesure analogue à celle de l'honorable M. Lelièvre n'est-elle pas commandée par un principe social ?

Est-il juste que le locataire dont le bail est expiré ou qui refuse de payer ce qu'il doit, puisse prolonger une occupation illégitime, au grand préjudice du propriétaire ? Est-il juste que la loi fournisse ) ce locataire, en raison même de son insolvabilité, des armes à l'aide desquelles il défie impunément l'action des tribunaux ?

Il est incontestable que, dans beaucoup de localités, un nombre assez considérable de petites propriétés, auxquelles s'appliquerait la proposition de M. Lelièvre, appartiennent à d'anciens serviteurs, à des artisans, à des ouvriers et des industriels, qui ont accumulé les économies de toute leur vie, pour faire ces acquisitions, dans l'espoir de se créer ainsi quelques ressources dans leurs vieux jours et de jouir d'un peu d'aisance à la fin d'une longue et laborieuse carrière.

N'est-ce pas pénible pour eux qu'un locataire de mauvaise foi dissipe souvent dans l'ivrognerie et la débauche l'argent qui devrait servir au payement du loyer, et que pour donner un libre cours à ses mauvaises passions, il spécule sur les frais et les lenteurs que la procédure impose au propriétaire pour obtenir le déguerpissement ?

N'arrive-t-il pas, comme l'affirme l'honorable M. Lelièvre, que non seulement le propriétaire est obligé de renoncer au recouvrement de sa légitime créance, mais qu'il est réduit, pour éviter les poursuites judiciaires, à acheter à prix d'argent le départ volontaire de son débiteur ?

Une législation qui amène de pareils résultats, me semble bien imparfaite. Je pense que, de l'aveu de tous, une révision de cette législation est désirable et même nécessaire. Cela blesse toutes les notions du juste et de l'injuste. C'est contraire à la morale.

Il y a, je le sais, des exceptions à ce que je viens d'avoir l'honneur de vous dire. Mais ces exceptions sont-elles assez nombreuses et assez importantes pour exercer une influence sur la décision du législateur ? Voilà, ce me semble, le nœud de la question.

Est-il vrai, comme le dit le rapport de notre commission, que parmi les propriétaires, que le projet de loi tend à favoriser, il y en a de très riches, qui retirent jusqu'à 12 p. c. de leurs capitaux et qui, lors des acquisitions qu'ils ont faites, ont compté sur ces non-valeurs qui forment maintenant l'objet de leurs doléances ?

Voilà des faits qui mériteraient d'être éclaircis et que le défaut de renseignements statistiques ne nous permet pas d'apprécier convenablement.

Il est généralement reconnu néanmoins que la procédure civile, telle qu'elle nous a été léguée par l'empire, laisse beaucoup à désirer, qu'elle soumet le plaideur à des frais exagérés et qu'elle prescrit une foule de formalités inutiles, dispendieuses et souvent vexatoires. Les auteurs de ce Code sont loin d'avoir apporté à leur travail cet esprit de sagesse et cette hauteur de vues, qui ont présidé à la rédaction du Code civil.

Quoi qu'il en soit, je ne me dissimule pas qu'en présente de l'opposition qu'elle rencontre, tant de la part du gouvernement que de votre commission, la proposition de l'honorable M. Lelièvre conserve peu de chances de succès dans le moment actuel.

La commission vous propose de renvoyer le projet de loi, avec les pétitions qui l'ont appuyé, à M. le ministre de la justice, qui pourra, dit-elle, les prendre en considération lorsqu'il fera élaborer le travail qu'il soumettra à la chambre pour la révision du Code de procédure civile, conformément à l'article 139 de la Constitution.

Il y a vingt deux ans que la Constitution a fait cette recommandation au gouvernement et aux législateurs à venir, et Dieu sait quand cette tâche sera accomplie !

Cela me paraît donc assez peu consolant pour les pétitionnaires.

Si la motion d'ajournement de notre commission doit prévaloir, je me permettrai de modifier cette motion, en ce sens que le projet de M. Lelièvre et les pièces à l'appui seront transmis à M. le ministre de la justice, avec invitation de nous soumettre soit une proposition de loi, soit un rapport sur la question, dans le cours de la prochaine session législative.

Je dis soit une proposition de loi, soit un rapport, parce que je veux que le gouvernement conserve toute sa liberté d'action et qu'il ne se trouve pas enchaîné par le vote de la chambre. M. le ministre de la justice pourra faire examiner la question sous toutes ses faces ; il recherchera avec soin s'il n'y aurait pas moyen de faire disparaître le reproche plus ou moins fondé que la commùsion adresse à la proposition de M. Lelièvre, à savoir qu'elle établit deux catégories de propriétaires dont les uns seraient soumis à l'impôt, dont les autres en seraient exempts.

M. le ministre recueillera aussi toutes les informations et les renseignements statistiques nécessaires pour établir d'une manière certaine l'influence que cette nouvelle législation pourrait exercer sur les ressources du trésor public, ainsi que la position de fortune des propriétaires qui seraient bénéficiés par la mesure quand celle-ci ne serait qu'exceptionnelle.

Si le gouvernement, lorsqu'il sera en possession de tous ces documents, croit qu'une proposition analogue à celle de l'honorable député de Namur est utile et équitable, il en saisira la chambre. Dans le cas contraire, il nous soumettra un rapport motivé, pour nous faire connaître les raisons de son abstention. Chacun de nous, et M. Lelièvre lui-même, pourra alors, s'il le trouve convenable, reproduire le projet, en vertu du droit d'initiative qui appartient à tous les membres de la chambre. Je pense que c'est le seul parti que nous puissions choisir dans l'état actuel du débat.

M. Lelièvre. - Messieurs, depuis longtemps des pétitions nombreuses ont appelé l'attention de la chambre sur les abus graves auxquels donne lieu la législation actuelle, relativement à l'expulsion de certains locataires.

Quoique la loi du 5 octobre 1833 et celle du 25 mars 1841 eussent apporté quelques modifications heureuses au système consacré par nos lois de procédure, il est certain que des inconvénients sérieux continuaient d’exister, surtout à l'égard des locations des petites propriétés.

(page 847) Aujourd'hui le propriétaire, pour obtenir l'expulsion des locataires en défaut de payement ou refusant de vider les lieux à l'expiration du bail, doit souvent dépenser une somme équivalente à plusieurs mois et même à une année du prix du bail.

Les locataires de mauvaise foi spéculent souvent sur cet état de choses, et le propriétaire, pour se débarrasser de détenteurs insolvables, est fréquemment obligé de leur remettre une partie de la somme des frais présumés nécessaires pour amaner l'expulsion.

Tels sont les motifs qui m'ont porté à déposer la proposition qui est en ce moment soumise à la chambre.

Elle a reçu de toutes parts l'accueil le plus favorable, et plus de quarante pétitions sont venues confirmer les motifs qui appuyaient le projet, et les plaintes générales que soulevait l'ordre de choses existant.

La commission de ia chambre ne croit pas toutefois devoir adhérer à la mesure proposée. A son avis, ma proposition et les pétitions qui l'appuient doivent être renvoyées à M. le ministre de la justice qui les prendra en considération lorsqu'il s'agira de la révision du Code de procédure.

Cet ajournement indéfini du projet équivaut à un rejet formel, et en ce qui concerne, je ne saurais y donner mon assentiment. Il n'est nullement question de réviser actuellement le Code de procédure, tandis qu'il est impossible de laisser subsister ultérieurement l'abus grave que j'ai signalé et dont de nombreux pétitionnaires réclament le redressement.

Au sein de la commission, j'ai déclaré que je n'attachais pas même de l'importance au moyen que je suggérais et que si l'on en trouvait un meilleur et plus propre à faire disparaître les inconvénients existants, j'étais prêt à l'adopter. Or, M. le ministre de la justice ni aucun membre de la commission n'ont pu indiquer aucune disposition de nature à faire cesser l'abus, autre que celle qui est énoncée au projet.

C'est une raison de plus pour maintenir énergiquement ce que j'ai proposé.

« Que m'oppose-t-on dans le rapport de la commission ? On dit que ce sera un privilège en matière d'impôt et qu'il ne faut pas entrer facilement dans cette voie. Mais cette assertion fût-elle même vraie, je prétends que l'impôt forcé dont on frappe en pareille occurrence la petite propriété présente un caractère inique qui répugne à toute justice. Comment ! pour reprendre la possession d'une propriété détenue illégalement par un locataire, je suis forcé de sacrifier six mois, une année même de revenu ! Cela est-il équitable ?

Et remarquez que le propriétaire n'est pas libre de s'abstenir de cette dépense : il est astreint à la faire, à moins qu'il ne veuille renoncer à jamais à reprendre la jouissance de l'immeuble qui lui appartient.

Nous ne nous trouvons pas, du reste, dans un cas ordinaire, commun à toutes les réclamations de peu d'importance. On conçoit que celui qui demande une somme d'argent doive calculer jusqu'à quel point il juge convenable de s'exposer aux frais nécessaires pour la recouvrer ; mais le propriétaire d'un immeuble, que le locataire refuse d'abandonner, ne peut se dispenser de faire les frais indispensables pour rentrer en possession de sa propriété.

Remarquez du reste, que c'est surtout dans des villes de second ordre où des appartements se louent au mois ou par trimestre que se présentent les inconvénients que je signale, et là, messieurs, l'on ne connaît pas des spéculations qui ont paru faire reculer votre commission. D'un autre côté, l'efficacité d'une mesure dépend de l'ensemble des avantages qu'elle procure ; or, les nombreuses pétitions qui vous sont parvenues attestent qu'il s'agit de faire disparaître un abus général qui appelle toute la sollicitude de la législature.

Mais, dit encore la commision d'accord avec M. le ministre de la justice, ma proposition ne produira pas les résultats qu'on en attend, elle ne réduira pas considérablement les frais. Je conteste formellement cette assertion.

D'après la mesure proposée, une expulsion ne coûtera pas plus de six francs dans la plupart des hypothèses.

Il n'y aura plus à solder que le salaire de l'huissier qui, dans les affaires soumises à la justice de paix, est très modique. Les frais de citation ne s'élèveront qu'à 1 fr. 58 centimes.

Je n'admets donc pas les assertions de M. le ministre de la justice sur ce point. En tout cas, il y aura une réduction notable des dépenses, et c'est là une amélioration qui ne doit pas être dédaignée dans une matière qui soulève d'unanimes réclamations.

La mesure que je propose sauvegarde uniquement les petites propriétés, car elle n'est relative qu'aux actes concernant les instances dans lesquellcs le juge de paix statue en dernier ressort. Il n'y a donc, en définitive, qu'une perte peu importante pour le trésor, tandis qu'il y aura un dégrèvement notable d'une charge onéreuse pesant injustement sur les petites propriétés.

Je dis injustement, parce qu'il est impossible que, tandis que la justice est une dette sacrée due à tous les citoyens, un propriétaire soit forcé de sacrifier une année de revenu pour jouir d'un immeuble qu'on se refuse avec mauvaise foi de lui restituer. Nous nous trouvons du reste dans des circonstances exceptionnelles qui nécessitent des dispositions spéciales, et sous ce rapport il est bien certain qu'elles ne sauraient tirer à conséquence.

Pour moi, je maintiens une proposition qui a obtenu les sympathies publiques. Jamais la législature ne se déclarera impuissante pour faire disparaître des abus tels que ceux qui ont motivé le projet en discussion. Ce serait cependant proclamer son impuissance que de consacrer la singulière résolution de votre commission.

Je dirai maintenant quelques mots sur la proposition de l'honorable M. de Muelenaere.

Cette proposition tend seulement à un ajournement à la prochaine session, et a uniquement pour objet d'arriver à une instruction plus complète.

Or, messieurs, je n'ai pas intérêt à étouffer une discussion que j'appelle au contraire de tous mes vœux. Du reste, le renvoi proposé laisse la question intacte, et sous ce rapport je ne crois pas devoir m'y opposer. Il y a plus, messieurs ; si le gouvernement trouve un meilleur moyen que celui énoncé au projet et qui aurait pour résultat de faire cesser les abus que j'ai signalés, je serais heureux de m'y rallier.

Mais il est impossible que les inconvénients existants actuellement soient maintenus ultérieurement ; de sorte qu'il faut nécessairement, ou que ma proposition soit adoptée et qu'on accueille une autre mesure destinée à empêcher qu'on ne commette des injustices au préjudice des légitimes propriétaires. Il est impossible que le trésor puisse songer seulement à profiter de la mauvaise foi de détenteurs précaires au détriment de la petite propriété.

J'espère donc que le gouvernement fera droit à de justes exigences qu'il est impossible de contester sérieusement ; la législature ne saurait également résister à des besoins qui sont appréciés généralement et auxquels l'opinion publique demande qu'on satisfasse sans délai.

M. le président. - Voici la proposition de M. de Muelenaere :

« Je propose de renvoyer le projet de loi et les pièces à l'appui à M. le ministre de la justice avec invitation de nous soumettre un projet de loi ou un rapport sur la question dans la prochaine session législative. »

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, je déclare me rallier très volontiers à la proposition de l'honorable comte de Muelenaere. Cette proposition a pour but de presser les études que le projet présenté par l'honorable M. Lelièvre rend nécessaires.

Je prends l'engagement de m'occuper de cet objet avec soin et de recueillir les renseignements qui ont été indiqués par l'honorable auteur de la proposition.

Les motifs, messieurs, pour lesquels le gouvernement s'est opposé à la proposition de l'honorable M. Lelièvre étaient tirés de l'incertitude des éléments d'appréciation quant aux intérêts dont l'honorable M. Lelièvre se constituait le défenseur, et du peu d'importance du bénéfice qui pouvait en revenir aux propriétaires que l'honorable M. Lelièvre voulait protéger.

J'avais dit, messieurs, d'accord en cela avec mon honorable collègue, M. le ministre des fiuances, d'accord avec le conseil d'administration de l'enregistrement et des domaines qui a émis sur le projet un avis motivé, que dans le fait, la proposition de l'honorable M. Lelièvre n'atteindrail réellement pas son but.

On avait fait allusion, et il est fait allusion dans les pétitions dont la chambre est saisie, à une somme de 50 à 60 francs qui grève prétendument le propriétaire obligé de poursuivre l'expulsion d'un petit locataire, et l'on s'imaginait que l'on pouvait sublever le propriétaire de cette charge dans la totalité.

Or, messieurs, il n'en est rien : la proposition de l'honorable M. Lelièvre a seulement trait aux droits de timbre et d'enregistrement, et d'après l'expérience, d'après les tableaux que je me suis fait présenter des procédures en expulsion et des articles qui se rapportent au timbre et à l'enregistrement, le dégrèvement ne pouvait atteindre qu'une somme de 15 à 18 fr. ; ce calcul, messieurs, a été fait également d'après des données spéciales par le conseil d'administration de l'enregistrement et des domaines, qui est arrivé à une somme de 15 à 16 fr.

Or, messieurs, il ne me paraissait pas que pour un résultat aussi peu important il fût opportun d'introduire dans l'ensemble de nos lois financières une exemption qui pouvait donner ouverture à d'autres réclamations, et c'est ce que la commission a reconnu en indiquant dans son rapport une certaine série de faits auxquels une exemption semblable pouvait s'appliquer.

Dans ces termes, je disais que la proposition n'atteignait pas son but, que le but que les pétitionnaires avaient en vue était d'être déchargés de tous les frais et dépens en matière d'expulsion, que cependant, on ne pouvait pas priver les huissiers, les greffiers, les recours et tous les individus qui interviennent dans l'exécution des jugements, du salaire que leurs devoirs leur ont mérité et auxquels ils ont un droit incommutable. De sorte, messieurs, que l'intérêt n'était pas assez grand pour que le gouvernement pût s'associer aux vues bienfaisantes et généreuses de l'honorable M. Lelièvre. C'est en cela que les éclaircissements ultérieurs indiqués par l'honorable M. de Muelenaere sont utiles.

D'autre part, messieurs, il n'est pas du tout démontré que les petits propriétaires auxquels on fait allusion méritent réellement la sollicitude que leur porte l'honorable auteur de la proposition. Le plus grand nombre des propriétaires qui possèdent de petites maisons louées à la semaine perçoivent des loyers très élevés ; ils fixent ces loyers en tenant compte des mauvaises chances que les mauvais locataires créent pour eux.

Voilà, messieurs, les véritables raisons qui justifient l'opposition du gouvernement, ci je puis dire que tous ceux qui ont examiné la proposition de l'honorable M. Lelièvre, mon honorable collègue des finances, moi-même, le conseil d'administration de l'enregistrement, la commission de cette chambre, se sont prononcés contre l'expédient indiqué.

(page 848) Il n'y a donc rien que de rationnel dans le moyen terme proposé par l'honorable comte de Muelenaere et je pense que la chambre n'hésitera pas à s'y associer.

M. Rodenbach. - Puisque M. le ministre adhère à l'amendement proposé par l'honorable M. de Muelenaere et si l'honorable M. Lelièvre déclare également qu'il s'y rallie... (Interruption.)

Eh bien, puisqu'on déclare que l'honorable M. Lelièvre se rallie à la motion de l'honorable M. de Muelenaere, je n'en dirai pas davantage. M. le ministre de la justice vient de faire connaître qu'il a l'intention réelle de proposer de diminuer les frais en faveur des petits propriétaires. J'appuie la proposition de l'honorable M. de Muelenaere.

M. Moncheur. - Messieurs, j'ai eu l'honneur de faire à la chambre, dans la session de 1851, un rapport sur des pétitions qui tendaient à provoquer de la part de la législature une mesure semblable à celle qu'a proposée l'honorable M. Lelièvre.

Les conclusions du rapport étaient qu'il y avait réellement quelque chose à faire pour simplifier et rendre moins coûteuses les formalités propres à obtenir l'expulsion des petits locataires de mauvaise foi, que l'attention de M. le ministre de la justice devait être attirée sur cette question, et que le renvoi des pétitions à ce ministre devait avoir lieu dans ce sens.

Je regrette que M. le ministre de la justice n'ait pas pris l'initiative dont a usé un membre de la chambre. Quoi qu'il en soit, je dois appuyer la proposition qui vous est faite, et je pense que, dans le rapport qui a été fait à la chambre, il se trouve la preuve évidente que la mesure que propose l'honorable M. Lelièvre est non seulement dans l'intérêt des petits propriétaires, mais encore, et je dirai même surtout, dans l'intérêt des petits locataires eux-mêmes.

En effet, messieurs, ainsi que vient de le dire M. le ministre de la justice, pourquoi les propriétaires aisés exigent-ils souvent un prix de loyer exagéré des petits locataires auxquels ils louent soit des appartements, soit des chambres dans de vastes maisons ? C'est parce qu'ils doivent faire la part des non-valeurs auxquelles ils sont exposés ; et quelles sont ces non-valeurs ? d'où proviennent-elles ? Elles proviennent précisément de la difficulté d'arriver à l'expulsion des petits locataires.

Ainsi toute loi qui simplifierait les formalités propres à arriver à l'expulsion des petits locataires, serait dans l'intérêt des petits locataires. Car alors les propriétaires n'auraient plus le motif actuel de surélever le prix de loyer, et ils seraient bien obligés de se contenter, pour ce genre de propriétés comme pour toutes les autres, de l'intérêt normal de 5 ou de 6 p. c. qu'on relire ordinairement de la location des maisons.

Ainsi, messieurs, il avait été reconnu, dans le sein de la commission des pétitions qui m'avait confié son rapport, que les formalités plus promptes, plus simples et moins coûteuses qu'on réclamait, devaient améliorer la position non seulement des petits propriétaires, mais aussi des petits locataires, et j'insiste pour que la législature comble cette lacune importante.

J'ai cru devoir présenter ces observations à la chambre, quoique, d'après la proposition de l'honorable M. de Muelenaere, il ne s'agisse plus guère de discuter aujourd'hui la question au fond.

Je me rallie à l'ajournement que cet honorable membre propose, et je pense que, lorsque la question reviendra à l'ordre du jour, on pourra facilement établir que le but auquel tend la proposition de l'honorable M. Lelièvre est légitime et qu'il faut y arriver, sinon par le moyen qu'il propose, au moins par des moyens équivalents.

M. Deliége, rapporteur. - Messieurs, en présence de l'adhésion que M. le ministre de la justice vient de donner à la proposition de l'honorable M. de Muelenaere, je crois pouvoir, dans l'intérêt de nos travaux, renoncer à la parole.

Je dirai cependant avec M. le ministre de la justice que la proposition de M. Lelièvre n'améliorera pas sensiblement la position du petit propriétaire, qui n'aura que 15 à 20 fr. à dépenser de moins pour expulser son locataire.

Quant à la condition des locataires, elle ne sera nullement améliorée par le résultat de cette proposition, car il esi évident que 15 à 20 francs de moins dans les frais d'expulsion ne peuvent pas influer sur le prix des loyers.

La commission a craint aussi que si on parvenait à expulser un malheureux locataire trop facilement, avec trop peu de frais, on ne donnât l'exemple qui a déjà été donné par des propriétaires de ces maisons qu'on appelle bataillons carrés, et qu'on ne vit un malheureux père de famille, avec une femme et six enfants, mis sur le carreau, pour le défaut de payement d'une somme minime.

Il ne faut pas seulement considérer cette mesure au point de vue de la petite propriété ; il est bien prouvé qu'une foule de ces petits propriétaires retirent un intérêt usuraire de leurs capitaux : il faut aussi envisager la mesure au point de vue du malheur, au point de vue des locataires qui ne peuvent pas payer.

L'honorable M. Lelièvre a dit que les nombreuses pétitions qui étaient arrivées à la chambre prouvaient que sa proposition répondait à un besoin universellement senti. J'ai ces pétitions sous les yeux, et je remarque qu'elles émanent à peu près toutes du même propriétaire.

Lue grande partie de ces pétitions ont été imprimées, dans la même ville, chez un même imprimeur.

M. Landeloos. - Messieurs, je me serais abstenu de prendre part à cette discussion, si les dernières paroles prononcées par l'honorable rapporteur de la commission ne m'y eussent forcé. Il paraîtrait résulter de ces paroles que si l'honorable M. Lelièvre a saisi la chambre de sa proposition, c'est pour soutenir en quelque sorte les usuriers.

Si. dit l'honorable député de Liège, on doit venir en aide à la petite propriété, il ne faut pas non plus que les secours qu'on lui donnait aient pour résultat que ces petits propriétaires emploient des moyens de rigueur pour se remettre en possession d'un bien qui leur appartient, et pour expulser les malheureux locataires de la propriété dont ils jouissent.

Certes, je suis le premier à reconnaître qu'un malheureux locataire a droit à la protection de la loi comme les propriétaires, lorsqu'il n'abuse pas de la propriété qui lui a été confiée ; mais j'ajoute que lorsqu'un locataire est mis en possession d'un bien, il faut qu'il en use conformément aux conventions qui sont advenues entre lui et le propriétaire, et si, au lieu d'exécuter les engagements qu'il a contractés envers son propriétaire, il abuse de sa possession pour priver ce dernier de la propriété que la loi lui reconnaît, alors je trouve que le pouvoir doit lui venir en aide, que la loi doit empêcher un détenteur de mauvaise foi d'abuser de sa position ; il ne faut pas qu'il puisse l'invoquer pour rester indûment en possession d'un bien qui ne lui appartient pas.

Cependant il résulte des paroles de l'honorable rapporteur que la loi devrait lui venir en aide pour perpétuer sa détention.

Voilà un principe contre lequel j'ai cru devoir protester. La proposition faite par l'honorable M. Lelièvre pourrait-elle atteindre le but qu'il s'est proposé. Pour le moment, je ne veux pas l'examiner en présence de l'amendement présenté par M. de Muelenaere. Cet amendement devait être adopté non seulement par le gouvernement, non seulement par la majorité de la chambre, mais même par le rapporteur de la commission.

Je le crois d'autant plus que le gouvernement, par suite de cet ajournement, pourra examiner la question sous toutes ses faces, et peut s'assurer si réellement au moyen de cette mesure on peut venir en aide à la petite propriété, aux petits locataires, car je n'hésite pas à le dire, je crois que cette proposition a un double but :

D'abord, comme on l'a fait remarquer, de diminuer les frais auxquels est exposé parfois un propriétaire pour rentrer dans la possession de sa propriété, et ensuite de faire en sorte qu'il pût louer à un prix moindre la propriété destinée à de petits locataires. Si ce propriétaire était certain de ne pas être exposé à tous les frais qu'entraîne aujourd'hui l'expulsion d'un locataire insolvable, il se pourrait que d'autres voulussent bâtir des maisons ou cités ouvrières, comme on les nomme, où les petits locataires pourraient trouver toutes les commodités qui sont nécessaires à ce genre d'habitations.

Dans ce double but, je pensais que la proposition de M. Lelièvre devait recevoir un accueil favorable de la chambre. Si le moment était venu d'examiner la question au point de vue de la commission, à savoir si réellement la proposition aurait pour résultat, comme elle l'a prétendu, d'accorder un privilège à certains contribuables, alors je pourrais invoquer d'autres lois qui ont été adoptées par la législature, par lesquelles on a accordé un dégrèvement à certains contribuables, sans que jamais on ait préteudu que cela constituât un privilège en matière d'impôts.

Je pourrais indiquer en premier lieu la loi sur le timbre, où nous voyons que les quittances pour une somme ne dépassant pas 10 francs, ne sont pas sujettes au droit de timbre.

Lorsque la loi sur les successions a été votée en 1817, nous voyons encore que les héritiers, à qui une part ne dépassant pas 300 florins des Pays-Bas est dévolue, ne sont pas assujettis au droit de succession. Et cependant il s'agit là même d'une libéralité, il s'agit de sommes reçues à titre gratuit.

Enfin, en 1851, on a statué que ceux qui hériteraient en ligne directe ne payeraient pas de droit de mutation quand la part leur revenant ne dépasserait pas mille francs, et cependant, lorsqu'on a discuté ce projet, pas un membre n'a prétendu que cette exemption constituait un privilège en matière d'impôt. Et maintenant quand il s'agit de dégrever les petits propriétaires pour les conserver dans la libre jouissance de leurs propriétés qu'ils n'ont d'ordinaire acquises qu'à la sueur de leur front, on prétend que c'est un privilège qu'on veut établir. En faisant valoir ces considérations, que je me réserve de développer ultérieurement, je n'ai pas entendu m'opposer à la proposition de M. de Muelenaere ; mais c'est uniquement pour mettre le gouvernement à même d'examiner la question, tant sous le rapport de sa constitutionnalité que sous celui de son utilité. Je voterai donc pour la proposition d'ajournement présentée par M. de Muelenaere.

M. Deliége. - Je demande la parole pour un fait personnel.

L'honorable député de Louvain vient de dire que nous aurions représenté, dans la commission, la proposition de M. Lelièvre comme venant, en aide aux usuriers, à des personnes qui ne mériteraient aucun égard. Notre intention n'a pas été celle qu'on nous attribue ; il est évident, que nous nous sommes bornés à envisager la question sous toutes ses faces ; nous n'avons inculpé les intentions de personne, nous n'avons voulu attaquer personne, l'honorable M. Lelièvre pas plus que les autres.

Après avoir envisagé la question au point de vue des petits propriétaires, nous avons cru que nous devions l'envisager aussi au point de vue des locataires malheureux ; nous avous pensé qu’on avait déjà fait beaucoup en 1833 et en 1841 dans l'intérêt des propriétaires, et que maintenant on pouvait bien examiner les questions au point de vue des locataires. C'est ce que nous avons fait.

(page 849) Je ne prolongerai pas davantage cette discussion, je sais d'ailleurs que je n'ai la parole que pour un fait personnel.

M. Manilius. - Je ne me serais pas permis de prendre part à cette discussion, si je n'avais pas entendu dire par M. le ministre de la justice, qu'il s'agissait exclusivement de grands propriétaires comme ceux qui possèdent des bataillons carres et autres agglomérations d'habitations semblables.

Messieurs, il ne s'agit pas de cela, ces constructions sont l'exception, elles ne se trouvent que dans quelques grandes villes, comme Bruxelles, Gand et les grands centres industriels ; mais il y a beaucoup de petites demeures dans les campagnes, ou plutôt il y en a eu, car elles disparaissent tous les jours, parce qu'on ne peut pas en tirer le fruit qu'on a droit d'en attendre ; il en résulte que le pauvre ne trouve plus où s'héberger, il doit se réfugier dans les villes. C'est la une calamité.

J'appuie la proposition d'ajournement de M. de Muelenaere, mais j'engage le département de la justice à s'enquérir des faits et à ne pas tenir compte de ce qui a été dit relativement aux non-valeurs de ces maisons bâties en bataillons carrés qui se trouvent couvertes par le prix de location perçu sur ceux qui payent.

C'est là une grande fatalité ; car, en comptant sur les non-valeurs, on doit surcharger les loyers des malheureux ouvriers honnêtes, qui sont obligés de venir chercher un asile dans les villes, parce qu'ils ne trouvent dans les campagnes ni habitations, ni moyens d'existence. Car chacun sait qu'avec la direction qu'a prise l'industrie, il n'y a plus de travail manufacturier dans les campagnes ; ce travail se concentre dans les villes. Si donc vous voulez procurer quelque bien-être à ces populations, il ne faut pas maintenir une législation telle, que le montant des non-valeurs de loyers est réparti sur las autres locataires qui peuvent payer.

Il faut mettre les propriétaires en mesure de maintenir les habitations pour les pauvres avec toute la faveur qu'il est possible de leur faire.

Je pense que ces considérations seront entendues, que, dans son prochain rapport, ou projet de loi, M. le ministre de la justice fera droit à ces réclamations, et qu'il ne se préoccupera pas seulement des intérêts des propriétaires, mais qu'il songera aussi aux intérêts de l'humanité, aux besoins de la classe malheureuse.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Lorsque j'ai eu l'honneur d'expliquer sommairement à la chambre que la proposition de l'honorable M. Lelièvre n'avait point toute la portée qu'il avait eu en vue, je n'ai rien dit qui impliquât le moindre argument défavorable aux petits locataires.

Je crois qu'il est désirable qu'on attire dans les campagnes la population surabondante des villes. C'est un but auquel on doit tendre ; c'est un résultat qu'on doit chercher à atteindre. Mais j'ai dit que le propriétaire qui avait à compter sur des non-valeurs se retrouvait sur l'ensemble de ces petites propriétés, et j'ai dit que le dégrèvement insuffisant qui résulterait de la proposition de l'honorable M. Lelièvre ne pouvait avoir aucune espèce d'effet sur la hauteur du loyer, et par conséquent sur le sort des petits locataires.

Je pose en fait que si la proposition de l'honorable M. Lelièvre était adoptée, on ne verrait aucun résultat appréciable au profit des petits locataires. Je die que les loyers ne seraient pas diminués d'une manière sensible, que par conséquent le résultat du projet de loi ne serait pas celui que vient d'indiquer l’honorable M. Manilius, dans des vues très louables que je partage. C'est cette appréciation que votre commission a adoptée, qui est un des principaux arguments contre la proposition de l'honorable M. Lelièvre.

Je reconnais d'ailleurs qu'il serait à désirer qu'on pût trouver un moyen législatif de diminuer les loyers des petits locataires sans préjudice pour la petite propriété ; j'ajoute qu'une mesure de ce genre est d'autant plus à désirer, qu'elle aurait pour effet d'attirer dans les campagnes la population surabondante des villes, et que la classe indigente des villes se trouverait à la campagne dans des conditions plus favorables, tant sous le rapport hygiénique que sous le rapport des moyens d'existence et sous celui de la moralisalion.

Dans ces termes, je crois que nous sommes parfaitement d'accord, l’honorable M. Manilius et moi, et que nous ne différons avec l'honorable M. Lelièvre que sur les moyens d'exécution.

Le gouvernement dont l'attention a été éveillée par cette discussion et par les pétitions s'attachera à rechercher une mesure qui concilie ces divers intérêts.

M. Lelièvre. - On dirait, à entendre l'honorable M. Deliége, que les pétitions qui vous sont parvenues ont la même origine et émanent de ceux qui spéculent sur la position de certains locataires. Eh bien, messieurs, cette assertion n'est pas sérieuse. Les pétitions sont émanées de citoyens des différentes villes du royaume, elles portent les signatures les plus honorables et des noms jouissant de l'estime publique. Je puis dire, d'un autre côté, que j'ai reçu plus de vingt lettres d'hommes distingués des différentes cités du royaume, et dans lesquelles on m'engage à persister dans ma proposition.

Quant à moi, messieurs, je suis convaincu de la justice du projet et je le maintiendrai bien certainement, si on ne propose d'autres mesures de nature à réaliser le même but.

Du reste, je ne suis nullement d'accord avec M. le ministre sur le résultat de ma proposition. Je démontrerai en temps et lieu qu"il en résultera un dégrèvement notable de l'impôt dont je demande la suppression dans une juste mesure.

J'engage le gouvernement à étudier la question, et je suis convaincu que M. le ministre reconnaîtra l'indispensable nécessité de soumettre à la législature de nouvelles dispositions à cet égard. Ou ne peut évidemment se dispenser d'apporter au système actuel les améliorations dont l'expérience a constaté l'urgence.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Vander Donckt. - Si j'ai demandé la parole, c'est pour répondre quelques mots à l'honorable ministre de la justice : il vient de nous dire qu'il fallait qu'on fît tout ce qu'il était possible de faire pour attirer les populations des villes dans les campagnes. Il y a là l'impossibilité la plus absolue. Cela n'est pas possible, mais ce qui rentrerait dans les idées de M. le ministre, ce serait de maintenir les populations des campagnes dans les campagnes.

L'abus consiste en ce que nos campagnards, ne trouvant pas de quoi pourvoir à leur existence, quittent les campagnes en grand nombre (ce sont des jeunes gens de 18 à 20 ans) pour venir s'établir à la ville, et une fois qu'ils sont à la ville, il n'y a pas moyen de les faire retourner. Ce qu'il y aurait à faire ce serait de faire tous les efforts possibles pour maintenir à la campagne les habitants dts campagnes.

Ne croyez pas que la proposition de l'honorable M. Lelièrre tende seulement à protéger les propriétaires des bataillons carrés et des maisons d'ouvriers dans les villes ; elle étendra aussi son effet dans les campagnes ; car dans les campagnes les propriétaires ne font qu'abattre les cabanes, et les petites maisons réunies aux fermes, parce qu'ils ne peuvent obtenir le payement des loyers.

Un propriétaire qui donne en location une ferme de quelque importance, et qui possède des maisons d'ouvriers dans le voisinage ou la dépendance de la ferme, les comprend dans le bail, et ne s'en inquiète pas s'ils payent. C'est donc le fermier ou locataire principal qui éprouve tout le dommage résultant de ce que les loyers ne sont pas payés. Ce n'est donc pas seulement dans l'intérêt des propriétaires des bataillons carrés des villes, c'est aussi dans l'intérêt des habitants des campagnes que la proposition a été faite. J'ose donc espérer que vous lui réservez ua accueil favorable.

- La discussion est close.

La proposition de M. de Muelenaere (voir plus haut) est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi supprimant certains des droits et prohibitions de sortie

Discussion générale

MpD. - La discussion générale continue. La parole est à M. Orban.

M. Orban. - En examinant ce projet, je me suis demandé si le gouvernement n'en avait pas méconnu l'importance et la portée. Ce doute, je l'ai conçu lorsque j'ai vu que les propositions qui vous sont faites vous étaient présentées comme le complément de l'arrêté du 28 septembre 1849 qui proclame la libre sortie de plus de 350 espèces de marchandises.

A mon avis, la loi qui est proposée dans plusieurs de ses dispositions a un caractère diamétralement opposé à celui de cet arrêté. Par l'arrêté du 28 septembre on proclamait la liberté en faveur des produits de l'industrie. C'était une mesure éminemment favorable à l'industrie, contre laquelle aucune réclamation ne pouvait être élevée, qu'au point de vue du trésor public.

Aujourd'hui, messieurs, il s'agit de proclamer libres à la sortie les matières premières nécessaires à plusieurs de nos industries. Cette mesure est de nature à affecter ces industries d'une manière aussi grave que pourrait le faire la libre importation de produits étrangers. Elle est de nature à apporter une grave perturbation dans la marche, dans l'existence même de ces industries.

C'est pour ces motifs, messieurs, que dans une circonstance précédente, j'ai exprimé mon étonnement que les chambres de commerce, que les intéressés n'eussent pas été consultés et admis à faire valoir leurs griefs. Quand il s'agit de modifications douanières à introduire par un traité avec un Etat voisin, je conçois que l'on s'abstienne de consulter l'industrie, de certaines industries, dont on est obligé de sacrifier l'intérêt particulier à l'intérêt général. Mais ici, messieurs, il s'agit de mesures douanières tout à fait volontaires de notre part, et rien me semble- t il, ne pouvait dispenser de consulter les intéressés.

L'article relatif à la sortie des chiffons de laine justifie d'une façon remarquable ce que je viens de dire. Je vais vous démontrer, en effet, qu'en vous proposant la libre sortie des chiffons de laine, le gouvernement a si peu pesé la portée et les conséquences de cette mesure, qu'il ne s'est pas même douté du genre d'industrie à laquelle cette matière première sert d'aliment, et à plus forte raison qu'il n'a pu se rendre compte des conséquences qu'une semblable mesure peut avoir pour l'industrie qu'elle concerne.

Que lisons-nous en effet dans l'exposé des motifs ?

Ainsi, messieurs, on vous propose la libre sortie des chiffons de laine parce que « il est démontré au gouvernement que ces déchets ne servent pas chez nous et ne peuvent servir à la fabrication du papier ».

Qui se douterait, messieurs, en présence de semblables considérants que le déchet dont il s'agit est la matière première indispensable à une industrie considérable, employant annuellement 7 millions de kilogrammes de chiffons ; que cette industrie, la fabrication de la laine artificielle, donne à.ces matières dont la valeur peut être portée à un million et demi, une valeur de 4 1/2 millions, c'est-à-dire une plus-value de trois millions.

(page 850) Qui se douterait que cette question intéresse une industrie déjà considérable, qui peut se développer à l'infini, qui non seulement utilise toutes les drilles que produit le pays, mais en demande à l'étranger ?

Et quel traitement vous propose-t-on de faire subir à cette industrie ? A quelle expérience veut-on la soumettra ? S'agit-il de réduire les droits qui grèvent ses matières premières à la sortie, de substituer un droit moindre à un droit plus élevé ? Non, messieurs, on se dispense à son égard de ces utiles tempéraments recommandés par les économistes les plus absolus, de ces abaissements de droits successifs, par lesquels on acclimate l'industrie à la liberté, et l'on vous propose tout simplement de remplacer la prohibition par la libre sortie, c'est-à-dire de substituer la liberté absolue à la protection la plus absolue.

L'effet d'une pareille mesure doit être de compromettre doublement l'industrie à laquelle elle s'applique, en permettant d'abord à l'industrie étrangère de lui disputer les matières premières qui l'alimentent et ensuite de dispenser l'étranger de lui acheter des produits que vous l'aurez mis en mesure de fabriquer lui-même.

P'est absolument, messieurs, comme si le gouvernement disait qu'il lui est indifférent que les trois millions de bénéfice et de main-d'œuvre, auxquels la laine artificielle donne lieu chez nous, soient réalisés par l'étranger ou par la Belgique.

Voila, messieurs, où l'on arrive avec l'application inconsidérée des principes de liberté commerciale. Je sais que M. le ministre des finances a contesté que le projet qui vous est soumis ait rien de commun avec la libre entrée des produits industriels et la libre sortie des matières premières. L'analogie, au contraire, est frappante, et il me suffirait de deux mots pour le démontrer.

Par la liberté appliquée à l'entrée des produits vous dites : Je veux procurer aux consommateurs belges les produits dont ils font usage au meilleur marché possible, et je m'inquiète peu qu'ils soient créés par l'industrie belge ou par l'industrie étrangère.

Par la libre sortie appliquée aux matières premières vous dites : Jeveux que les matières premières que produit mon sol, que recèle mon territoire soient vendues au plus haut prix possible, et peu m'inporte qu'elle servent à alimenter l'industrie étrangère ou l'industrie belge.

Dans les deux hypothèses vous faites abstraction du travail national, du bénéfice, de la main-d'oeuvre, de la richesse que produit l'iuduslrie.

Vous sacrifiez un grand intérêt à un petit, et pour vendre vos chiffons 100 mille fr. de plus, vous sacrifiez trois millions que produit votre industrie.

Au surplus, messieurs, il suffira des paroles prononcées par M. le ministre des finances dans une des dernières séances pour prouver qu'il est impossible d'admettre la disposition relative à la sortie des drilles de laine.

Voici en quels termes M. le ministre prouvait que l'on ne doit point permettre la sortie des chifons nécessaires aux papeteries : Mais lorsque ces déchets sont limités, lorsqu'ils constituent une matière première indispensable à une industrie beaucoup plus importante pour le pays, alors ont fait un petit mal à ses concitoyens pour procurer un plus grand bien à l'ensemble du pays. C'est le cas où se trouvent les drilles et les chiffons. Ils sont d'une production limitée, nos voisins n'en permettent pas la sortie et la papeterie en a besoin. En permettre la sortie de chez nous, es serait donc la destruction de nos papeteries. Il convenait dès lors d'inscrire une exception dans la loi en faveur de ces matières.

Or, messieurs, je vous le demande, y a-t-il une seule de ces considérations qui ne milite en faveur du maintien de la prohibition de sortie des drilles de laine, dans l'intérêt de la fabrication de la laine artificielle ?

M. Delehaye. - (page 851) Messieurs, notre opinion a été attaquée par deux honorables membres, partisans déclarés du libre échange. Quoique le projet actuellement en discussion ne comportât pas d'aussi vastes proportions, je ne puis pas laisser sans réponse les opinions qui ont été émises à cet égard.

L'honorable M. Prévinaire, avant d'énumérer lous les avantages du libre échange, n'a pas manqué d'adresser des reproches aux adversaires de ce système.

Nous demandons que le droit actuel sur la sortie des os soit maintenu, et l'honorable membre s'écrie que cette proposition constitue une véritable atteinte au droit de propriété.

Je croyais avoir mal compris et il a fallu que je visse les paroles de l'honorable membre dans le Moniteur pour me décider à y répondre. Si l'honorable membre voit, dans un droit de sortie sur les os, une atteinte au droit de propriété, je lui demanderai ce que doit être à ses yeux l'impôt de patente ?

Quoi ! un homme ne peut pas travailler pour lui et pour sa famille sans être frappé d'une taxe et vous direz que ce n'est point là une atteinte portée au droit de propriété !

Et l'impôt foncier, qu'est-il, si ce n'est, d'après vous, une atteinte à la propriété ?

Mais l'honorable membre va plus loin, il dit qu'il n'y a pas d'industrie prospère en Belgique, dont la prospérité ne soit due à la liberté commerciale. Eh bien, je demanderai à mon tour à l'honorable membre, qui occupe un poste si propre à lui faire connaître tout ce qui concerne les différentes branches d'industrie, je lui demanderai quelle est, d'après lui, la branche d'industrie ou de commerce qui soit prospère et qui ne doive pas sa prospérité à la protection dont elle a joui dans le principe.

L'honorable membre me fait l'effet d'un homme parvenu à la force de l'âge qui oublie qu'à une certaine époque, il a eu besoin que la main d'un autre l'aidât à marcher.

L'honorable membre nous a cité la prospérité industrielle de Gand ; a-t-il oublié que dans le temps on accusait cette même ville d'être stationnaire, de ne savoir entrer dans la voie des progrès, de ne connaître qu'une seule chose, la fabrication des tissus communs ? Ne reprochait-on pas à la ville de Gand de ne vivre que de protections ? Aujourd'hui l'honorable député de Bruxelles a bien voulu reconnaître que déjà la ville de Gand songeait à lutter avec l'Angleterre et qu'elle pouvait dès à présent le faire avec succès, quant aux deux industries principales, l'industrie cotonnière et l'industrie linière.

Eh bien, messieurs, si nous sommes arrivés à un pareil résultat, c'est précisément parce que nous avons toujours combattu le système du libre échange et parce que nous avons été assez heureux et assez forts pour l'empêcher de prévaloir. (Interruption.)

L'honorable membre, messieurs, vous a cité l'Angleterre, eh bien ! il reconnaîtra que la branche de l'industrie anglaise qui s'est le plus perfectionnée, est incontestablement la fabrication des machines. C'est à l'extrême perfection de ces machines que l'Angleterre doit sa supériorité dans toutes les industries ; eh bien, messieurs, à l'heure qu'il est, la fabrication des machines est encore protégée, en Angleterre, d'un droit de 10 p. c.

- Un membre. - De 12 p.c.

M. Delehaye. - Vous le voyez, messieurs, l'Angleterre maintient encore aujourd'hui ce système de protection que nous avons eu tant de peine, depuis un grand nombre d'années, à.maintenir en Belgique.

Faut-il vous parler, messieurs, de ce qui existe en France ? Prenons-y bien garde, un jour viendra où la France luttera avec nous pour l'industrie linière, et à quoi devra-t-elle la prospérité de cette industrie ? Ne sera-ce point au système protecteur ? Si la France nous avait ouvert ses frontières, et n'avait pas protégé son industrie, jamais elle n'aurait pris chez elle le développement qu'elle a acquis maintenant.

Aujourd'hui la France peut sans danger nous admettre sur ses marchés pour l'industrie linière. Elle a fait assez de progrès pour n'avoir à craindre d'autre lutte que celle de l'Angleterre.

Pour cette industrie comme pour d'autres la rivalité avec l'Angleterre est à craindre pour la France comme pour nous, pour nous surtout, et savez-vous, messieurs, pourquoi la Belgique, plus encore que d'autres pays, doit protéger ses industries naissantes ?

La Belgique peut soutenir la concurrence contre les autres nations et même entre l'Angleterre, mais voici l'avantage que l'Angleterre a sur nous : l'Angleterre a des marchés privilégiés, elle a sa puissante marine qui fait respecter son commerce, et lorsque son marché intérieur est encombré, lorsqu'elle a pourvu à tous les besoins de ses colonies, elle déverse son trop-plein sur tous les marché de l'Europe. Eile ne recule pour cela devant aucun sacrifice parce qu'elle ne veut pas desespérer ses classes ouvrières, mais qu'elle veut maintenir chez elles l'activité et l’esprit d’ordre.

Lorsqu'une nation, comme un négociant, a réalisé des bénéfices considérables, qu'elle a placé avantageusement la plus grande partie de ses produits elle peut faire un sacrifice sur le reste.

C'est l'avantage dont joui l'Angleterre et dont la Belgique ne jouit pas ; la Belgique doit aujourd'hui se contenter presque exclusivement de son propre marché. Plaise au ciel qu'un jour, grâce à la protection elle fasse connaître son industrie sur les marchés étrangers !

Je le répète, messieurs, si la Belgique peut aujourd'hui être fière de son industrie, elle le doit à la protection. Je demanderai à l'honorable député de Bruxelles quelle est l'industrie de la capitale qui n'ait pas joui d'une protection ? Sera-ce, par hasard, la carrosserie ? Sera-ce la fabrication des dentelles ? Sera-ce l'industrie des produits chimiques ?

Un autre honorable membre s'est également déclaré partisan du libre échange, mais celui-là se rapproche singulièrement de nous. L'honorable M. Julliot veut bien d'une protection de 10 p. c ; eh bien, messieurs, nous ne demandons pas davantage. Nous ne demandons que ce qui est nécessaire pour compenser les avantages dont jouissent nos concurrents. Cependant, on ne peut pas fixer un chiffre uniforme pour toutes les industries ; 10 p. c. ce peut être très bien, mais ce peut aussi être très mal.

Maintenant, messieurs. je ne veux pas non plus qu'on protège des industries qui ne peuvent jamais s'acclimater en Belgique, des industries qui disparaissent le jour même où la protection cesse. Je ne veux pas non plus de cette protection.

L'honorable M. Julliot est tombé dans une autre erreur ; il a dit : « Je veux une protection de 10 p. c. pour tous les produits similaires ; mais je veux une protection autrement grande pour tous les produits qui ne sont pas similaires. »

J'avoue que je ne comprends pas ce système. D'après son système, l'honorable M. Julliot veut favoriser l'industrie étrangère, quand elle lutte contre l'industrie belge ; mais lorsqu'il s'agit de protéger l'ouvrier belge, de protéger le travail national, l'honorable membre, dans ce cas, ne veut accorder qu'une faible protection. Je ne puis pas donner les mains à un pareil système.

Partant de ce que j'ai eu l'honneur de dire, je regrette que le projet de loi actuellement en discussion, comparé à ce que l'on nous demande, d'autre part, constitue une véritable anomalie. Hier, on nous a demandé un crédit de 75,000 francs pour fournir de la chaux à prix réduit à l'agriculture, notamment dans le Luxembourg. Messieurs, pour moi, j'aurais accordé très volontiers les 75,000 fr... (Interruption.)

On me dit : « C'est encore temps. » Permettez ! L'agriculture, a-t-on dit, a besoin de ce secours ; je suis disposé à l'accorder ; mais quand j'entends ensuite soutenir l'opinion qu'il faut 100 hectolitres de chaux pour un hectare de terre, je retire mon concours, car je ne veux pas donner une protection à des gens qui ne peuvent pas faire un usage sérieux de la chaux qui serait mise à leur déposition.

A qui fera-t on accroire, s'il n'est pas complètement étranger à la pratique agricole, qu'il faille cent hectolitres de chaux pour un hectare de terre ?

C’est incroyable ; on ferait bien, à mon avis, de consacrer une partie du crédit de 75,000 fr., non pas à fournir de la chaux, mais à apprendre aux intéressés combien il faut d'hectolitres de chaux pour chauler telle quantité de terre.

Il y a des propriétaires qui ont chaulé jusqu'à 4 hectares ; or, cela suppose une exploitation de 25 à 26 hectares ; je le demande, un homme qui possède 25 à 26 hectares de propriétés a t-il besoin que la chaux soit mise à sa disposition à prix réduit ?

Qu'on demande pour l'agriculture des avantages réels, une protection efficace, je serai le premier à y consentir ; mais quand on n'est pas encore en état de faire un usage utile des sommes qu'il s'agit de voter, je repousse la protection qu'on nous demande. (Interruption.)

La pratique ne peut pas faire qu'une erreur aussi palpable que celle-là soil une vérité. Je ne dis pas que quelques parties du territoire, tout à fait exceptionnelles, ne puissent exiger 25, jusqu'à 50 hectolitres de chaux ; mais dire en règle générale qu'il faut100 hectolitres de chaux par hectare, cela n'est pas sérieux.

Je disais, messieurs, que le projet de loi en discussion consacrait une anomalie frappante ; alors qu'hier on nous demandait un subside de 75,000 fr. en faveur ue l'agriculture, aujourd'hui on veut enlever à l'agriculture le produit le plus fécondant dont elle se sert, et on veut le lui enlever, en laissant un vide dans les caisses du trésor public.

Il résulte de tous les documents qui ont été recueillis en Angleterre lors de l'enquête sur la situation de l'agriculture, que les os étaient envisagés comme l'élément le plus productif qu'il y eût ; le seul point sur lequel l'agriculture anglaise l'emporte sur l'agriculture belge, c'est l'élève du bétail.

En Angleterre, un hectare fournit à l'agriculture, pour l'élève du bétail, une quantité de nourriture plus considérable et plus saine qu'en Belgique.

On a recherché la cause de ce fait ; cette cause, on l'a trouvée dans l'emploi des os réduits en poudre, voilà l'engrais si fertile qu'on vous demande à pouvoir exporter librement hors du pays !

Un intérêt agricole n'est pas seulement engagé dans cette question ; elle intéresse encore l'industrie. Les os sont nécessaires pour la fabrication du noir animal.

De quelle utilité sera l'exportation des os ? Ils seront exportés frauduleusement par petites quantités ; est-ce que les fraudeurs ont besoin de la protection des lois ? Est-ce dans l'intérêt des fraudeurs que vous prendriez de pareilles mesures ?

Je voterai donc pour le maintien du droit sur les os, comme je voterai pour le maintien du droit sur la sortis des chiffons de laine.

(page 852) L'honorable M. de Naeyer, en développant sa proposition, est revenu encore sur ce qui s'était passé à Gand. J'ai fait valoir un argument auquel il n'a pas répondu. J'ai dit que la vente était obligée ; l'honorable M. de Naeyer a répondu que l’achat était aussi obligé ; un point sur lequel nous serons d'accord avec l'honorable membre, c'est qu'en définitive, nous, consommateurs des villes, nous sommes bien tributaires des agriculteurs qui viennent enlever nos engrais.

Au reste, que l'honorable membre se rassure, si la mesure était de nature à porter atteinte à l'agriculture, il peut en être persuadé, il n'y a pas un seul conseiller communal à Gand qui ne s'empressât de voter l'abolition de cet impôt. Si nous l'avons voté, c'est parce que nous avions la conviction intime qu'il ne peut porter atteinte à l'agriculture.

(page 850) - Des membres. - A demain !

M. le président. - Demain, nous avons en premier lieu le vote définitif du projet de loi ayant pour objet d'allouer au département de l’intérieur un crédit de 75,000 francs pour le débit de la chaux à prix réduit.

M. Rogier. - Je demande que la chambre continue d'abord, dans la séance de demain, la discussion du projet de loi dont elle s'est occupée aujourd'hui...

- Des membres. - Pourquoi ?

M. Rogier. - Je ne voudrais pas invoquer un motif personnel à l'appui de ma proposition ; cependant je dirai que je ne puis pas assister à l'ouverture de la séance ; je serai peut-être obligé de prendre la parole sur la loi qui doit être soumise demain au second vote, voilà pourquoi je voudrais être présent quand on s'en occupera.

- La proposition de M. Rogier est adoptée.

La séance est levée à 4 1/2 heures.