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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 12 mars 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 875) M. Maertens procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Hecq demande l'établissement d'une caisse de retraite en faveur des secrétaires communaux. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres de l'administration communale de Liedekerke prient la chambre d'augmenter le subside pour l'amelioratioo des chemins vicinaux. »

- Renvoi a la section centrale qui sera chargée d'examiner le budget dé l'intérieur.


« Le sieur Plissart prie la chambre de rejeter le projet de loi sur le recrutement de l'armée. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


« Les membres du conseil communal de Westmeerbeek prient la chambre d'adopter le projet de loi relatif au chemin de fer de Turnhout. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Les électeurs de Ressaix demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, que chaque agglomération de 40,000 âmes nomme un représentant, et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.


« Des électeurs à Jauche et à Jandrein demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu de canton. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Lichtervelde demandent la révision de la loi électorale. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Neerlinter demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton, et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Boulez demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune ou du moins au chef-lieu du canton. »

- Même renvoi.


« Par trois pétitions, des habitants de Bruxelles demandent qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande d'habitants de Watermael-Boitsfort. »

« Même demande d'habitants de Mons. »

« Même demanda od’habitants d'Houdeng-Aimeries. »

- Même renvoi.

Rapport sur une pétition

M. David, au nom de la commission permanente d'industrie, dépose un rapport de la commission d'industrie sur une pétition des fabricants de pianos de Bruxelles qui demandent la libre entrée des pianos ou au moins des droits d'entrée égaux pour la France et la Belgique.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et en met la discussion à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi accordant un crédit provisoire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Thiéfry, au nom da la section centrale du projet de loi sur l'organisation de l'armée qui a examiné, comme commission, le projet de loi de crédit provisoire de cinq millions de francs au département de la guerre, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met la discussion de ce projet de lpi à l'ordre du jour de lundi.

Proposition de loi sur la garde civique

Rapport de la section centrale

M. Coomans, au nom de la section centrale qui a examiné la proposition de loi de MM. Landeloos et consorts sur des modifications à introduire dans la loi sur la garde civique, dépose la rapport sur cette proposition de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met la discussion sur cette proposition de loi à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi relatif à la dotation de l’héritier présomptif du trône

Rapport de la section centrale

M. E. Vandenpeereboom, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la dotation de l'héritier présomptif du trône, dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met la discussion de ce projet de loi à l'ordre du jour après la discussion du crédit provisoire de cinq millions de francs au département de la guerre.

Projet de loi supprimant certains droits et prohibitions à la sortie

Discussion des articles

Article 2

M. le président. - La chambre a voté hier l'amendement de M. Anspasch ; il reste à voter sur le sous-amendement de M. Orban, ainsi conçu :

« Néanmoins le gouvernement pourra en autoriser la sortie par les bureaux de la frontière de la province de Luxembourg. »

M. David. - Je ne pense pas que la discussion ait été close sur ce sous-amendement. Personne ne s'attendait à ce que l'amendement de M. Anspach fût adopté.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Hier, lorsque M. le président donna lecture de l'amendement de l'honorable M. Orban, j'ajoutai :« Et du Zollverein, » et l'honorable auteur de l'amendement fit un signe affirmatif. D'où je conclus qu'il avait modifié son amendement en ce sens.

Je ne lui en fais point un reproche. Mais j'en fais l'observation, parce que, si la discussion est close, je proposerai au deuxième vote de dire, au lieu de : « la province de Luxembourg », « les provinces de Liège, de Limbourg et de Luxembourg. »

M. le président. - Il estcerlain que la discussion a été close hier sur la question du minerai de fer, et par conséquent sur les amendements de MM. Anspach et Orban. Il y a eu vote sur l'amendement de M. Anspaih. On allait voter sur l'amendement de M. Orban, lorsque plusieurs membres ont demandé la remise du vote au lendemain. La chambre peut, si elle le juge convenable, rouvrir la discussion. Mais on ferait mieux, comme le propose M. le ministre des finances, de remettre au second vote les observations que l'on aurait encore à présenter.

- Le sous-amendement de M. Orban est mis aux voix et adopîé.

M. Malou. - Avant qu'on ne passe à un autre article, je prierai M. le ministre des finances de déposer sur le bureau les avis des chambres de commerce qui ont été consultées en 1850 sur la libre sortie des fers. On nous a fait connaître l'avis de la chambre de commerce de Liège qui est favorable à cette mesure. D'après les renseignements que j'ai reçus, il y a des avis en sens contraire fortement motivés, je prie donc M. le ministre des finances de combler la lacune laissée dans les précédents de cette affaire.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - J'ai eu l'honneur de dire hier que les chambres de commerce de Charleroi et de Liège avaient éé consultées. Il est vrai que je n'ai donné lecture que de l'avis de la chambre de commerce de Liège, fortement motivé, favorable à la libre sortie du minerai. Si quelqu’un avait demandé l’avis de la chambre de commerce de Charleroi, je me serais fait un devoir d’en donner lecture. Je le déposerai sur le bureau, comme l’a demandé l’honorable préopinant.

- La discussion est ouverte sur l'amendement présenté par M. Osy, consistant à retrancher du n°1, les mots : « les chiffons de laine exceptés. »

(page 884) M. de Steenhault. - Messieurs, j'ai demandé la parole moins pour défendre les amendements des honorables MM. Verhaegen et Osy, qui ont déjà suffisamment été défendus, que pour motiver mon vote.

Je voterai contre le projet de loi si ces amendements n'étaient pas adoptés et voici pourquoi.

Je me pique très peu d'être classé parmi les libre-échangistes ou les protectionnistes. Mon système à moi, mon système unique, c'est de ne pas être dupe, et, pour me servir d'une expression employée dans cette discussion, c'est de ne pas être mystifié.

Or, parlant au point de vue de l'agriculture, c'est ce qui a eu lieu jusqu'à présent.

On l'a placée dans des conditions tout à fait exceptionnelles vis à-vis des autres industries, tout en niant pendant longtemps les griefs qu'elle faisait valoir.

Enfin, un jour en a dû les reconnaître, on a dit de fort belles choses, hier encore, mais jusqu'à présent tout cela n'a eu pour résultat que de fort belles pages au Moniteur.

Quelle croyance puis-je avoir dans un pareil système, quelle confiance puis-je lui donner quand jusqu'à présent les libre échangistes ne paraissent avoir été inventé ? et, permettez moi l'expression, messieurs car elle est vraie, ne paraissent avoir été inventés, dis-je, que pour berner l'industrie agricole.

Qu'on ait commencé par elle, je le conçois, et à mes yeux on a bien fait. Un grand, un immense intérêt y était attaché. Des prix normaux et peu élevés pour les denrées alimentaires, c'est pour moi ce que je veux avant tout, car, quoiqu'on en dise, l'industrie agricole aussi souffre moins quand les prix sont normaux que quand ils sont élevés.

Mais, entré dans cette voie, l'on devait continuer et ne pas s'exposer à être accusé avec raison de n'avoir débuté par l'agriculture que parce que l'on savait bien que, toujours moutonnière, elle se serait laissé tondre sans trop murmurer, quand les autres industries crient toujours à tue-tête au moindre coup de ciseau.

Dans le cas présent, l'exception que vous feriez, je dirai presque la seule exception que le gouvernement propose est encore une fois contraire aux intérêts agricoles.

Aussi, je le déclare franchement, voterai-je systématiquement contre toute mesure qui l'atteindrait, et tant que j'aurai l'honneur de siéger dans cette enceinte, jusqu'à ce que l'on ait mis les autres industries sur le même pied, ou qu'on lui ait accordé des compensations.

On nous a dit qu'entraver la sortie des os et des chiffons c'est l'histoire de prendre dans la poche d'un Belge pour donner à un autre.

Cet argument me touche peu, je dois le dire, car, pour qu'il fût vrai, pour qu'il eût quelque valeur, il faudrait que les prix allassent en s'avilissant, ou du moins qu'ils fussent peu élevés ; or c'est ce qui n'existe pas.

Ces prix augmentent tous les jours et sont arrivés au point d'être devenus presque inabordables pour l'agricullure ; ce n'est donc pas tout prendre dans la poche d'un Belge, puisque ce Belge vend bien, et que la demande de ces matières dépasse de beaucoup les quantités mises à la disposition de l'agriculture.

Si vous voulez être rigoristes extrêmes, soyez au moins conséquent : plus de droits de sortie du tout, plus de primes d'aucune nature, plus de droits d'entrée même ; car là aussi vous prenez dans la poche d'un Belge pour donner à un autre, et surtout dans la poche des agriculteurs, en leur vendant leurs cotons, leur fer et leur houille.

L'honorable M. Dumortier était dans l'erreur quaud il a dit que l'engrais au moyen de chiffons était une découverte récente, et n'était encore que peu connu.

Ce mode de fumure est employé depuis un temps immémorial dans une très grande partie de la province d'Anvers, dans le nord de Malines surtout, dans les parties sablonneuses, du Brabant ;on ne s'en procure aujourd'hui qu'à des prix fort élevés déjà ; je le répète, messieurs, favoriser l'exportation de cette matière première dont nous ne pouvons nous passer, dont nos voisins ont, eux, un si grand besoin qu'ils la frappent de droits prohibitifs, c'est être dupe, et, qui pis est, dupe pour un principe, pour un système, ce qui, à mes yeux, est l'être deux fois.

Quant aux os, messieurs, pour vous donner une idée de l'importance qu'on attache en Angleterre, que l'on cite toujours, à cet engrais, je vous dirai que, il y a peu d'années, il ne se trouvait que quatre ou cinq fabriques de superphosphate de chaux, et qu'aujourd'hui plus de 50 fabriques se trouvent érigées.

Quant à l'intérêt que nous avons à conserver nos os, j'ajouterai que ce que nous vendons 6 fr. aux Anglais nous revient réduit en superphosphate de chaux au prix de 18 ou 20 fr. ; ce qui est un prix excessif eu égard à la valeur réelle.

Nous avons le plus grand intérêt à introduire cette industrie en Belgique. Nous avons à Gand un établissement, mais qui tient les prix anglais ; favorisez encore l'exportation des os, vous rendrez l'établissement de nouvelles fabriques moins probable, vous empêcherez la concurrence, et nous resterons tributaires des Anglais ; c'est ce que je ne veux pas.

(page 874) >M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, pour simplifier la discussion, je déclare à la chambre qu'en présence du vote d'hier et du peu d'espoir que j'ai de voir triompher le projet du gouvernement sur la question des drilles ou des chiffons de laine, je ne m'oppose pas à l'adoption de l'amendement de l'honorable M. Osy, quoique je persiste à croire que si le projet du gouvernement avait été admis purement et simplement, aucune de nos fabriques de laine artificielle n'aurait chômé pour cela.

La loi aurait eu pour résultat d'abord d'améliorer la position des chiffonniers, de les exciter à recueillir une masse de chiffons de laine, qui aujourd'hui se perdent, parce qu'ils y auraient trouvé un salaire un peu plus élevé. Elle aurait eu pour résultat da faire s'établir dans le pays un commerce qui n'aurait pas été sans importance, la commerce des chiffons de laine, de tous les ports d'où l'exportation en Belgique peut se faire, de la Prusse, du Zollverein, de l'Amérique, et avec l'amendement ce commerce devient aujourd'hui impossible.

Je dis que les fabriques de laine artificielle n'en auraient pas moins continué à exister, parce que d'abord elles auraient eu la matière première à meilleur marché que les fabricants anglais, les seuls concurrents qu'elles paraissent craindre et qu'elles ont en outre la main-d'œuvre à meilleur marché. J'en conclus que les fabriques auraient continué à prospérer.

Cependant, je le répète, en présence du grand nombre d'orateurs qui appuient la proposition de l'honorable M. Osy, je déclare abandonner la disposition présentée par le gouvernement et me rallier à l'amendement de l’honorable M. Osy. Je crois cependant que pour éviter toute difficulté en douane, il serait utile de rédiger la disposition comme suit :

« La prohibition est maintenue pour les drilles et les chiffons. »

M. Osy. - Messieurs, en présence de la déclaration que vient de (page 875) faire M. le ministre des finances, je ne crois pas nécessaire de présenter de nouveaux développements à l’appui de mon amendement. Toutefois, je ne partage nullement l’opinion de l’honorable ministre de finances ; je crois que la question est très importante pour le pays, que l’on considère les chiffons de laine comme engrais ou qu’on les considère comme matière première pour le smanufactures. Sous ce rapport j’aurais pu présenter beaucoup d’observations ; mais si ma proposition n’est pas combattue, je crois inutile de le faire. Si cependant quelque orateur croyait devoir s’opposer à ma proposition, je demande à pouvoir lui répondre.

M. Moreau, rapporteur. - Messieurs, lorsque le projet de loi a été soumis à l'examen des sections et à celui de la section centrale, personne n'a demandé la prohibition à la sortie du minerai de fer, des chiffons de laine, ni le maintien des droits sur l'exportation des os.

La section centrale n'a donc pas eu à s'occuper de ces questions.

Alors on ne croyait pas sans doute, messieurs, qu'il y avait péril imminent, danger de ruine pour nos usines métallurgiques et pour d'autres établissements industriels, si la loi était adoptée telle qu'elle avait été présentée par le gouvernement.

Mais, messieurs, comme l'a très bien dit M. le ministre des finances, la fibre de l'intérêt privé est extrêmement sensible, et ce qui se passe aujourd'hui prouve une fois de plus combien il est difficile de toucher au tarif des douanes et d'y apporter des améliorations de quelque importance.

Ainsi, messieurs, quant aux chiffons de laine, dans une de vos dernières séances, j'ai eu l'honneur de vous présenter des observations en faveur de la disposition du projet de loi qui permet leur libre sortie, je ne les répéterai pas.

Toutefois, je dois constater que personne ne les a réfutées, et je m'étonne même qu'un honorable député du Luxembourg ait reproduit les chiffres évidemment erronés présentés par des pétitionnaires qui emploient les chiffins de laine.

Il n'est pas exact de soutenir que les 16 ou 20 fabriques qui travaillent les drilles de laine emploient 7 à 8 millions de ces déchets, que la main-d'œuvre s'élève à 2 millions, parce que s'il en était ainsi, chaque ouvrier ne triturerait, par jour, qu'environ 2 kilog. de chiffons pour produirai 1/2 kilog. de laine artificielle. Or, vous comprenez qu'à ce compte, il serait impossible à ces fabriques de se maintenir.

Ce qui est vrai, messieurs, si mes renseignements sont exacts, et j'ai tout lieu de le croire, c'est que seize fabriques emploient au plus 50 ouvriers par jour, qui manipulent 7,600 kilog. de chiffons produisant 7,200 kilog. de laine artificielle qui ont une valeur de 200,000 francs.

Peut-être l'hororable M. Osy, qui m'interrompt, a-t-il obtenu d'autres renseignements ; cependant les miens sont confirmés par les calculs que je vous ai préparés et dont on n'a pas contesté l'exactitude jusqu'à présent.

J'ai ajouté, messieurs, que, aussi longtemps que vous permettrez la libre sortie des laines artificielles, vous ne retiendriez pas dans le pays les drilles de laine ; cela me semble clair comme le jour.

Ainsi, quoi qu'en dise M. de Steenhault, l'agriculture est entièrement désintéressée dans la question, et il en est de même des fabricants d'étoffes qui font usage de la laine artificielle comme matière première.

Aussi, vous avez lu, il y a peu de jours, dans le Moniteur, que dans le traité conclu entre le Zollverein et l'Autriche on ne soumettait à un droit d'exportation que les chiffons de laine macérés, d'où je puis conclure que l'exportation de ces chiffons à l'état brut est librement permise, car aucune disposition ne les frappe d'un droit de sortie.

Si donc, messieurs, vous voulez être conséquents, si les principes que vous proclamez sont vrais, ayez le courage d'en adopter les conséquences logiques, et ne vous arrêtez pas à moitié chemin et proposez de prohiber non seulement la sortie des drilles de laine à l'état brut, mais étendez encore cette mesure restrictive à la laine artificielle.

M. Manilius. - Il me paraît tout à fait inutile de prolonger la discussion. Le gouvernement vient de se rallier à l'amendement de M. Osy qui s'en est longuement expliqué. Il me semble donc que la chambre peut aller aux voix. (Oui ! oui !)

M. Osy. - Je ne m'oppose pas à la clôture ; mais si on continue la discussion et qu'on combatte mon amendement, je me réserve de répondre.

- La discussion est close.

L’amendement de M. Osy, tel qu'il a été modifié dans la rédaction par M. le ministre des finances, est mis aux voix et adopté.


M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, la chambre a mis à l'ordre du jour de lundi le projet de loi relatif à la dotation du prince royal. Le rapport ne pouvant être distribué que dans la journée de lundi, je demande que cet objet soit mis à l'ordre du jour de mardi et vienne en premier lieu.


Article 2

M. le président. - La chambre en est arrivée au paragraphe 2 de l'article 2.

« i2 Sont maintenus le droit de 6 p. c. ad valorem, sur les charbons de bois, et le droit de 4 fr. 24 c. par 100 kilog. sur les étoupes de lin et de chanvre. »

- Adopté.

« 6° Le droit de 50 francs par 100 kilogrammes sur les peaux de chevreau brutes continuera à être perçu jusqu'au 1er janvier 1858. »

- Adopté.

« 4° Sont fixés à 6 p. c. ad valorem le droit sur les écorces à tan exportées par les frontières de terre, et à 25 fr. par mille kilog. le droit sur les os de toute espèce. »

Deux amendements ont été présentés à ce paragraphe.

(page 903) M. Orban. - L'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer a fort peu d'importance, et je ne dirai que le peu de mots nécessaires pour le justifier et en faire comprendre la portée. La disposition du projet tend à maintenir le droit de 6 p. c. à la sortie des écorces par frontière de terre. Elle maintient ce droit, parce qu'il peut devenir un moyen ultérieur de négociation avec les pays voisins.

Mais, messieurs, ce droit de 6 p. c. n'est pas seul perçu, à certains bureaux ce droit est plus élevé, il est de 1 fr. 24 c. par 100 kil., qui équivaut à la fermeture du bureau ; ce droit exceptionnel n' est plus perçu maintenant qu'à un seul bureau, celui de Cheneux, sur sur la frontière de Prusse, entre Stavelot et Malmédy, et il a été établi pour accorder une légère protection en faveur des tanneries de Stavelot à l'égard de celles de Malmédy, qui se trouvent ensemble en concurrence pour la vente de leurs produits sur les marchés de la Prusse et du Zollverein.

Or, messieurs, ce droit exceptionnel, ou cette fermeture du bureau de Cheneux, je la demande pour deux motifs. Le premier c'est que de cette manière vous atteignez plus complètement l'intention qu'a eue le gouvernement de se réserver un moyen de négociation avec le Zollverein.

Il est à remarquer, en effet, que l'ouverture du bureau de Francorchamps à la sortie des écorces vers la Prusse a fait l'objet d'un article du dernier traité de commerce avec la Prusse. Or, l'ouverture du bureaux de Cheneux intéresse bien plus encore le commerce de Malmédy et nul doute que pour l'obtenir le Zollverein ne nous fasse, en ce qui concerne la tannerie, d'assez importantes concessions.

Or, messieurs, ces concessions sont indispensables à la tannerie. Des droits exorbitants existent à l'entrée de nos cuirs en Allemagne. Ces droits seraient même prohibitifs, si la vente en Allemagne, pour notre tannerie privée de tout autre débouché extérieur, n'était une nécessité à laquelle bon gré malgré elle doit se soumettre.

Il ne s'agit pas d'apporter d'entraves sérieuses à la sortie des écorces. Les écorces sont un produit important du pays, et il faut permettre aux intéressés d'en tirer toute la valeur possible, sauf les égards qui sont dus a une industrie sans laquelle, en définitive, les écorces n'auraient aucune valeur, et dont la bonne ou mauvaise situation réagit sensiblement sur le prix des écorces. Aussi, messieurs, ces entraves sont en quelque sorte nulles en ce qui concerne la sortie des écorces. Je vous ai parlé d'un droit de 6 p. c. à la sortie par frontière de terre. Mais à côté de ce droit il y a la libre sortie par frontière maritime, et ce régime, je me hâte de l'ajouter, est la règle, tandis que l'application du droit minime de 6 p. c. est l'exception. Sur environ 14 millions de kilog. d'écorces à tan qui sortent annuellement du pays, environ 12 millions sortent libres de tout droit par la frontière maritime.

Deux à trois millions à peine acquittent le droit minime de 6 p. c. imposé à la sortie par la frontière de terre. Vous voyez donc, messieurs, que ce produit de notre sol n'a pas à se plaindre de la manière dont il est traité par notre législation douanière. Il n'en est pas de même de l'industrie qui le consomme, de la tannerie dont les produits sont repoussés à toutes les frontières qui nous environnent par des droits exhorbitants ou prohibitifs, et qui voit sa matière première principale, les cuirs venant d'Amérique, frappée dans son porpre pays par un droit de consommation absurde.

J'en ai dit assez pour justifier le léger avantage que mon amendement maintiendrait à notre tannerie ou plutôt au centre principal de cette industrie en Belgique, à la tannerie de Stavelot.

(page 876) M. Jacques. - Je ne puis admettre le raisonnement de l'orateur qui vient de se rasseoir, lorsqu'il compare l'industrie des tanneries à celle des propriétaires d'écorces à tan. Il prétend que l'industrie des tanneries n'est favorisée par aucune protection douanière et que les propriétaires d'écorces sont dans une meilleure position. Je n'ai besoin que de quelques mots pour prouver que c'est le contraire qui est vrai.

Les propriétaires d'écorces à tan ne sont pas protégés contre la concurrence des écorces étrangères. Les écorces étrangères peuvent entrer en Belgique moyennant un droit de balance, et cependant la Belgique produit beaucoup plus d'écorces à tan que les tanneries ne peuvent en employer ; et la preuve, c'est que chaque année on en exporte 13 millions de kilog.

L'honorable M. Orban veut faire considérer comme une protection la faculté pour les écorces de sortir par mer sans droits. Mais les écorces, pour arriver à la frontière maritime, ont de grands frais de transport à supporter.

Si elles pouvaient se placer sans droits à Malmédy, alors pour certaines parties de la Belgique et notamment pour les arrondissements de Marche et de Bastogne, la situation des propriétaires d'écorces serait infiniment meilleure. Dans ces deux arrondissements, la production des écorces est très grande ; elles doivent subir la concurrence des écorces du dehors qui entrent en franchise de droits, et pour pouvoir se placer sur le marché le plus à leur portée, elles doivent payer 6 p. c. à la valeur.

Mais il y a plus ; non seulement on leur impose ce droit de 6 p. c, mais on leur défend de se servir d'une bonne route qui se trouve entre Stavelot et Malmédy, et on les oblige de faire usage de chemins de traverse, ce qui augmente encore les frais de 4, 5 et 6 p. c. à la valeur.

Je conçois qu'il peut être utile, comme le gouvernement le fait remarquer dans l'exposé des motifs, de maintenir, comme moyen de négociation avec nos voisins, le droit de 6 p. c.

Mais je demande que la chambre maintienne le projet du gouvernement, et que l'on n'ajoute pas à ce droit de 6 p. c. une surtaxe, en forçant les exportateurs d'écorces de faire un détour par de mauvais chemins. Pour aller de l'arrondissement de Bastogne à Malmédy, on les oblige à passer par le bureau de Petit-Hier, tandis qu'il existe une bonne route construite aux frais de l'Etat, et qui, en conduisant à Malmédy par Vielsalm et Stavelot, est beaucoup plus facile et plus courte.

Je dois dire encore que si les tanneries belges de Stavelot sont dans la même position que Malmédy pour recevoir les cuirs bruts, il n'en est pas de même pour les écorces qui sont une matière première, non moins importante ; Malmédy doit payer le droit de 6 p. c. et des frais de transport beaucoup plus considérables que Stavelot.

D'ailleurs, si pour l'une des matières premières, pour les cuirs bruts, nos tanneries ne sont pas protégées par des droits de douane contre la concurrence des tanneries étrangères, elles sont du moins fortement protegees pour les produits fabriqués. En effet, les cuirs tannés sont protégés, en Belgique, contre la concurrence étrangère par un droit de 32 fr. par 100 kilog.

Si l'on voulait permettre aux consommateurs de se procurer des cuirs à un prix moins élevé dans la partie cédée du Luxembourg, je concevrais qu'on maintînt les entraves à la sortie des écorces. Mais aujourd'hui le droit d'entrée de 32 francs par 100 kilogrammes ne nous permet plus de nous procurer les cuirs de Clervaux qui se vendent à meilleur compte que les cuirs de Stavelot.

Je crois donc qu'il faut voter le projet tel qu'il nous a été présenté par le gouvernement. Les propriétaires d'écorces continueront à payer un droit de 6 p. c. pour aller les vendre à Malmédy. Mais ils ne devront pas supporter un second droit par une augmentation considérable des frais de transport ; ils ne seront plus obligés à faire le détour de deux lieues par le bureau de Petit-Hier, au lieu d'user d'une bonne route.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, aux termes de la loi de 1822, le gouvernement a la faculté d'ouvrir les bureaux d'exportation pour les écorces à tan, et en exécution de cette loi, il a fait usage de la faculté pour un très grand nombre de bureaux de notre pays, de telle sorte que la libre sortie est devenue la règle.

Il ne reste guère sur la frontière, du côté du Zollverein, que le bureau de Chenu, attenant à Stavelot, qui ne soit pas ouvert à l'exportation des écorces à tan.

Maintenant voici la position. Il y a, comme vous le savez probablement, de grands tanneurs à Malmédy comme il y en a à Stavelot ; ils se font entre eux une rude concurrence. Les écorces à tan proviennent (page 877) principalement du Luxembourg. Les intéressés de Stavelot ont obtenu du gouvernement que les écorces à tan ne pussent aller à Malmédy qu'en passant soit par le bureau de Francorchamps qui est à une lieue et demie de Stavelot, soit par le bureau de Petit-Hier qui est de l'autre côté de Stavelot à une lieue et demie ; de telle sorte que les écorces peuvent sortir pour aller à MalméJy, mais c'est à la condition de faire un détour de quelques lieues.

Comme il s'agit d'une matière première pondereuse, le détour est suffisant pour engager beaucoup de producteurs d'écorces à vendre leurs produits à Stavelot, plutôt que de les porter à Malmédy.

Toute la question se borne donc à ceci : continuera-t-on à forcer les propriétaires d'écorces à faire un détour pour aller à Malmédy, ou leur permettra-t-on d'aller en ligne droite vendre dans cette ville leurs produits ? J'avoue que l'amendement, tel que le présente l'honorable M. Orban, n'est pas très dangereux puisqu'il maintient au gouvernement la faculté d'ouvrir tous les bureaux, selon que les intérêts du pays le réclameront ; et certes, si l’ouverture du bureau de Chenu était réclamée, à moins qu’on ne fît valoir des motifs plus puissants que ceux qu’on a fait que ceux qu’on a fait valoir ici, je crois que le gouvernement serait disposé, en l’absence d’une loi, à ouvrir par arrêté royal le bureau de Chenu. La question n’a d’intéroet que pour les localités qui avoisinent Stavelot ; le reste du pays est désintéressé dans l’amendement de l’honorable M. Orban.

Je m'en rapporte à ce que décidera la chambre, car, encore une fois, l'honorable préopinant maintient au gouvernement la faculté d'ouvrir par arrêté royal les bureaux dont l'intérêt du pays réclamera l'ouverture.

M. Van Renynghe. - Je ne puis donner un vote approbatif à la partie de l'amendement de l'honorable M. Orban, relative au tan, parce que j'aurais désiré que la mesure libérale, proposée par M. le ministre des finances, eût été appliquée à cette marchandise ; même j'en aurais fait la proposition formelle, si le maintien ded roits de sortie sur cet objet n'intéressait des négociations qui se poursuivent en ce moment.

Je voterai cependant la nouvelle mesure qui est proposée par le gouvernement, dans l'espoir qu'il s'empressera de saisir la première occasion pour faire disparaître un droit qui pèse sur un objet très important de notre silviculture qui souffre considérablemeut, surtout à cause du bas prix des écorces à tan.

L'exportation des écorces mérite d'être prise en sérieuse considération, d'autant plus que les transactions commerciales, concernant cette marchandise, diminuent d'année en année.

Je dois faire observer en outre que, par suite de la dépréciation du tan, les bois d'essence de chêne ont depuis quelques années tellement diminué de valeur que la plupart des propriétaires de ces sortes de bois ont été obligés de les défricher.

Si cet état de choses continue, un temps viendra où cette marchandise sera extrêmement rare et, par conséquent, devra enchérir.

Je conclus de ce que je viens de dire, que cette branche de la silviculture devrait être encouragée par tous les moyens possibles, non seulement dans l'intérêt de cette culture, mais même dans celui des tanneries.

Il est donc fâcheux que, pour le moment, des négociations entamées avec des puissances étrangères s'opposent à ce que l'on touche à cette partie du tarif.

J'ai cru devoir soumettre ces observations à la chambre et à M. le ministre des finances, en recommandant d'une manière toute spéciale l'objet dont il s'agit.

- La discussion est close.

M. le président. - Je mettrai d'abord aux voix l'amendement de M. Orban. Il est ainsi conçu :

« Sont maintenus, les droits sur les écorces à tan exportées par les frontières de terre et fixés à 25 fr par 1,000 kilog., les droits sur les os de toute espèce. »

- Cet amendement est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'amendement de M. Verhaegen, qui consiste à substituer dans le n°4° le chiffre de 50 fr. à celui de 25 fr.

76 membres prennent part au vote.

41 adoptent.

35 rejettent.

En conséquence, l'amendement est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. de Renesse, de Royer, Desmaisières, de Steenhault, de Theux, Dumon, Faignart, Landeloos, Laubry, Le Hon, Maertens, Magherman, Malou, Manilius, Moncheur, Orban, Osy, Roussel (A.), Thienpont, T'Kint de Naeyer, Vauden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (A.), Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Verhaegen, Visart, Allard, Ansiau, Brixhe, Clep, Coomans, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Decker, de Haerne, Delehaye, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.) et de Muelenacre.

Ont voté le rejet : MM. de Ruddere, Devaux, d'Hoffschmidt, Jacques, Julliot, Lange, Lebeau, Lejeune, Lesoinne, Mascart. Moreau, Moxhon, Pierre, Prévinaire, Rogier, Rousselle (Ch.), Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom (E.), Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Anspach, Cans, Closset, Dautrebande, David, Bronckaert, de Chimay, Deliége, de Naeyer, de Perceval, Dequesne et Delfosse.

Article 3

« Art. 3. Les dispositions relatives aux exportations, et notamment celles qui sont prescrites par l'article 143 de la loi générale du 26 août 1822 (Journal officiel, n° 38), ainsi que les mesures de police concernant les armes et la poudre à tirer, continueront à sortir tous leurs effets. »

- Adopté.

Dispositions additionnelles

M. le président. - M. Manilius renonce-t-il à la disposition additionnelle qu'il avait proposée ?

M. Manilius. - Oui, M. le présiient.

M. le président. - Nous avons maintrnant la proposition de M. de Naeyer et autres, ainsi conçus :

« Les droits actuellement établis sur les vidanges ou autres engrais, à la sortie des villes, seront abolis dans un délai à fixer par le gouvernement. »

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, la proposition que nous avons eu l'honneur de faire à la chambre tend à abolir, dans un délai qui sera déterminé par le gouvernement, le droit qui se perçoit actuellement sur certains engrais à la sortie des villes. Ce que nous demandons, en définitive, c'est qu'on supprime tout impôt sur les engrais produits dans le pays, et qui sont des matières premières pour l'industrie agricole.

Cela est tellement simple, qu'on a lieu de s'étonner qu'il soit nécessaire d'en faire l'objet d'une proposition.

La proposition, messieurs, n'est nullement applicable aux engrais appartenant aux villes, et notamment aux substances fertilisantes que les administrations communales font récolter soit par le nettoiement des rues, soit par le curage des fossés ou des égoûts ; ces engrais sont la propriété des villes qui ont le droit d'en disposer de la manière la plus absolue, soit en vendant, soit autrement.

Notre proposition a uniquement et exclusivement pour objet les engrais qui appartiennent aux particuliers, qui sont récoltés par les particuliers et qu'on défend aux cultivateurs de venir chercher en ville, à moins de verser ûn impôt dans la caisse communale.

Ainsi, qu'on prenne toutes les mesures dictées dans l'intérêt da la salubrité publique, et destinées en même temps à empêcher la déperdition énorme de substances fertilisantes, qui a lieu dans les villes, nous sommes les premiers à les demander, et nous sommes même convaincus qu'en agissant de cette manière, les villes pourraient réaliser des revenus considérables et très légitimes, parce qu'ils seraient la rémunération d'un service immense rendu à l'agriculture, en même temps qu'à la santé de nos populations.

Messieurs, ce que nous ne voulons pas, ce que nous trouvons souverainement injuste, c'est qu'on se borne absolument à percevoir une taxe sur des engrais qui sont la propriété, non des villes, mais des particuliers. Cette taxe est un impôt, parce qu'elle n'est la rémunération d'aucun service, et cet impôt est souverainement injuste pour deux motifs : d'abord, parce qu'il tend à faire poser sur les campagnes les charges, les dépenses exclusivement communales des villes ; en second lieu, parce qu'il a pour résultat de créer pour l'industrie agricole une position tout à fait exceptionnelle, car aucune autre industrie quelconques n’est tenue de payer un impôt pour ses matières premières, produites dans le pays. Aucune autre industrie n’est tenue d'acquitter un doit de sortie sur les déchets ou résidus de tout genre exportés de nos villes pour être utilisés dans la production manufacturière.

J'ajouterai encore que cet impôt constitue la plus criants des anomalies avec l'ensemble de notre législation, et je m'en vais le démontrer.

Ainsi, le gouvernement ne percevra plus désormais aucun droit de sortie sur les engrais, sur les vidanges, que les cultivateurs étrangers viendront chercher librement en Belgique et ce que le gouvernenirnt s'interdit de faire à l'égard des cultivateurs étrangers, nos administrations communales seraient autorisées à le faire à l'égard des cultivateurs belges !

Ce n'est pas tout : lorsqu'il y a quelques années, on a proposé d'augmenter le droit d'entrée sur les grains étrangers, que n'a-t-on pas fait pour décrier cette proposition ? On l'a même qualifiée de loi de famine ; ce cri a surtout retentu dans la ville de Gand, j'en ai été témoin.

Comment faudrait-il donc qualifier une taxe imposée sur les engrais indispensables pour la production du grain dans le pays même ?

Dans certaines parties de la Belgique, le gouvernement a fait déjà et continuera de faire des sacrifices pécuniaires, pour réduire le pris normal de la chaux qui est un excellent engrais pour les terrains schisteux, et dans d'autres parties de la Belgique, on impose une taxe sur les substances fertilisantes qui sont tout à la fois un engrais et un amendement indispensable pour les terres sablonneuses.

Nos lois accordent l'exemption du droit de barrière et du droit de péage pour les transports de matières qui peuvent être employées à la fertilisation des terres, soit comme engrais, soit comme amendement, soit comme stimulant ; eh bien, on permet aux administrations communales de confisquer les bienfaits de cette disposition, en percevant au profit des villes une taxe sur ces mêmes substances, alfranchies de toute redevance au profit du trésor public. Oa a de la peine à concevoir comment des contradictions aussi palpables peuvent se subsister dans un même pays.

On dit, à la vérité, que l'agriculture n'est pas intéressée dans la question. Mais depuis longtemps on a pris l'habitude de frapper l'industrie agricole, tout en témoigiiant pour elle une sollicitude presque paternelle. Cette tactique a pu faire des dupes ; mis elle n'en fera plus aujourd'hui, au moins parmi les cultivateurs.

(page 878) L'industrie agricole n'est pas intéressée, dit-on ; eh bien, la taxe qu'on a établie à Gand s'élève à 10 centimes par hectolitre. Cela fait au moins 30 à 40 p. c. de la valeur de l'objet imposé, et l'industrie agricole n'est pas intéressée ! Dites alors qu'en élevant le droit d'entrée sur les grains étrangers, vous faites une chose indifférente pour les consommateurs indigènes, que cela ne frappe que le producteur ou l'agriculteur étranger !

Mais, dit-on, il y a ici nécessité de vendre. Mais cette nécessité est absolument la même aujourd'hui qu'autrefois. Il n'y a rien de changé sous ce rapport par l'établissement de votre taxe. La nécessité de vendre n'est donc aucunement augmentée, et la nécessité d'acheter de la part des cultivateurs est aussi la même, elle n'est pas diminuée.

Par conséquent, l'offre et la demande se trouvant dans les mêmes conditions qu'autrefois, personne n'admettra qu'il puisse y avoir un changement sensible dans le prix. Cela serait contraire non seulement aux principes d'économie politique, mais aux plus simples notions du bon sens. Sur qui donc frappera la taxe étabie nouvellement ? Mais, ainsi que cela a lieu toujours, pour la plus forte part, sur l'acheteur-consommateur, et pour une faible part aussi sur le vendeur-producteur. D'ailleurs, ainsi que je l'ai dit dans une séance précédente, ou bien les prix resteront les mêmes et alors votre impôt grève exclusivement le cultivateur, ou bien les prix seront diminués, et alors qu'arrivera-t-il ? C'est qu'on prendra moins de soin pour la récolte et la conservation des engrais, et encore une fois, vous frappez au coeur cette agriculture pour laquelle cependant vous avez des paroles de sympathie et de sollicitude.

Messieurs, pour justifier ce qui a été adopté à Gand, j'ai entendu citer l'exemple d'Anvers. Eh bien, cette justification est dénuée de fondement sous tous les rapports. Car le régime établi à Anvers est loin d'être en harmonie avec l'esprit de notre législation et de nos institutions ; ensuite ce qui se pratique là est toute autre chose que ce qu'on a introduit à Gand depuis quelques mois.

A Anvers, l'administration communale avait d'abord confisqué directement toutes les vidanges. Mais un procès eut lieu à cet sujet, et la cour de cassation jugea que nos lois défendent la confiscation, même de cette matière. Cette décision ne désarma pas la régence, elle eut recours à un moyen détourné et elle trouva des accommodements avec cette loi impitoyable qui lui défendait, vous savez quoi. En effet, elle établit un droit exorbitant de fr. 1-50 par hectolitre sur la sortie des vidanges en accordant l'exemption de cette taxe à l'entrepreneur de la ferme des boues de la ville. Comme la taxe de 1 fr. 50 c. par hectolitre, équivaut à peu près à deux ou trois fois la valeur de l'objet imposé, il en est résulté qu'aucun particulier ne se donne le malin plaisir de faire exporter à ces conditions-là, des vidanges, et par conséquent le fermier est resté maître absolu de tout.

La régence a donc été assez habile pour substituer à une confiscation directe, réprouvée par une décision judiciaire, une confiscation détournée produisant les mêmes effets, et qui a été tolérée jusqu'à ce jour. Je ne sais s'il y a là un respect bien édifiant pour l'esprit de la loi. Quoi qu'il en soit, à Anvers la taxe exorbitante de fr. 1-50 par hectolitre est purement nominale, tandis qu'à Gand, la taxe s'élevaut au moins à 30 ou 40 p. c. de la valeur de l'objet imposé est très réelle et payée en bons et beaux écus par les cultivateurs.

Autre différence : c'est qu'à Anvers il s'agit d'un usage qui est très ancien, qui existe même depuis trois siècles ; cette considération peut servir, jusqu'à un certain point, d'excuse.

A Gand, eu contraire, c'est une innovation ; il était réservé à l'an de grâce 1853 de voir cette belle chose ! Il n'est donc pas étonnant que la mesure ait été maudite par les cultivateurs, et même critiquée vivement en ville, surtout par la petite bourgeoisie.

En ce qui concerne le système pratiqué à Anvers qui est, comme je viens de le dire, une confiscation détournée, mais très reelle, on a prétendu qu'après tout, cela est favorable à l'agriculture, puisque les prix moyens des matières fécales sont inférieurs à Anvers (d'après ce qu'on dit) aux prix des villes où l'exploitation de ces engrais est abandonnée à l'industrie privée. Cette opinion se trouve notamment énoncée dans un rapport adressé au département de l'intérieur sous la date du 21 juillet 1851, par un savant professeur de l'université de Liège. Eh bien, c'est là une grande erreur ; en effet, je lis à la page 19 de ce rapport, qu'à Gand, où l'exploitation a toujours été libre jusqu'à la fin de 1852, l'engrais fécal coûte fr. 8-50 par mètre cube, non compris les frais d'extraction ; or, d'après les renseignements qui m'ont été donnés par les cultivaleurs des environs de Gand, le prix fixé dans ce rapport à fr. 8 50, ne s'élève pas même à 2 fr. par mètre cube, sans les frais d'extraction. On s'est donc trompé énormément, et dès lois il n'est pas étonnant qu'on soit arrivé à des conclusions complètement erronées.

J'ajouterai que, même à Melle, qui se trouve à une lieue et demie en aval de Gand, les vidanges de cette ville ne se vendent que 50 à 60 c. par hectolitre, soit 5 a 6 francs par mètre cube ; or, d'après les renseignements mêmes contenus dans le rapport dont je viens de parler, les prix d'Anvers sont plus élevés ; le moyen de la justification, tiré de la prétendue utilité en faveur de l'agriculture, est donc dénué de fondement. Mais, pour Anvers et à fortiori, cela ne saurait être soutenu. Pour Gand, il serait même ridicule de vouloir le faire.

Ainsi donc, sous aucun rapport, le système dont nous demandons l'abolition ne sautait être maintenu, il y a au moins lieu de le modifier profondément. Si la chambre était appelée diiectement à voter sur cette question, la taxe que nous combattons ne trouverait pas vingt partisans ici. Je le dis avec une entière conviction, et même en connaissance de cause, car j'ai sondé les intentions de mes honorables collègues, et certes la grande majorité se prononcerait contre cette charge injuste et exceptionnelle que quelques-unes de nos villes veulent faire peser sur l'agriculture.

Quelques-uns de nos honorables collègues, très favorables d'ailleurs à ma proposition, m'ont fait connaître que, dans leur manière de voir, elle ne se rattache pas assez directement au projet se loi que nous discutons et qu'il serait préférable d'en faire l'objet d'une discussion spéciale. Eh bien, par respect pour l'opinion de ces honorables collègues, je consens à détacher notre proposition du projet de loi actuel, d'autant plus qu’elle n'est pas urgente, puisque nous ne demandons pas une suppression immédiate qui serait de nature à bouleverser brusquement la situation financière de certaines villes et que nous voulons laisser au gouvernement une certaine latitude pour ménager une transition. En conséquence je me bornerai à demander au gouvernement de nous communiquer tous les renseignements nécessaires afin que nous puissions discuter la question dans notre prochaine session en pleine connaissance de cause. A ces fins, je demande que la chambre invite M. le ministre de l'intérieur à nous présenter un rapport, dans les trois premiers mois de la prochaine session, sur les taxes établies, à la sortie des villes, sur les engrais : deuxièmement de nous faire connaître l'opinion du gouvernement en ce qui concerne les meures qui pourraient être adoptées pour empêcher la perte des engrais de ville et garantir en même temps la salubrité publique.

M. Coomans. - Je ne m'étendrai pas sur ce sujet ; je craindrais de ne pas le traiter aussi proprement que l'a fait l'honorable M. de Naeyer. Je me bornerai à de courtes remarques.

On va veus demander 75,000 fr. pour des distributions de chaux à prix réduit dans les Ardennes. Je comprends que vous les votiez, mais à la condition que vous ne permettiez pas aux villes d'élever artificiellement la valeur vénale d'un autre engrais, plus précieux encore. Vous commettriez une inconséquence grave si, tout en faisant des sacrifices pour étendre l'emploi de la chaux, vous mainteniez une taxe sur les vidanges. Remarquez aussi que vous avez décrété la prohibition de la sortie des chiffons de laine dans l'intérêt de l'agriculture ; ce vote vous oblige encore à supprimer l'impôt établi sur certaines matières fertilisantes.

Comme les villes prennent goût à la chose, et que plusieurs s'apprêtent, me dit-on, à établir à leur tour ce sale et ridicule impôt, je désire que l'honorable ministre de l'intérieur me donne l'assurance, ou du moins l'espérance, qu'il ne donnera plus de pareilles autorisations et qu'il s'efforcera de faire disparaître bientôt la taxe dont quelques règlements d'octroi sont entachés. Tel est l'objet de ma demande d'explications.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Réduite aux proportions que l'honorable M. de Naeyer vient, en terminant, de donner à sa proposition, le gouvernement n'a aucune objection à y faire. Non seulement je ne m'y oppose nullement, mais j'ajoute que j'y applaudis. Il y a en effet, dans cette question, de graves intérêts engagés en ce qui concerne l'agriculture, pour laquelle, je prie l'honorable préopinaut de le croire, le gouvernement éprouve une sollicitude égale à la sienne.

Le gouvernement examinera donc avec le plus grand soin tous les intérêts qui se rattachent à la question des engrais. Je m’étais proposé, avant d'avoir entendu la dernière partie du discours de l'honorable membre, de vous démontrer qu'une question aussi grave ne pouvait être traitée incidemment dans un débat qui n'intéresse pas seulement l'agriculture, mais aussi les octrois des villes.

Or, il ne faut pas porter légèrement la perturbation dans la situation financière de nos grandes villes, et je m'étais proposé de vous demander de laisser au gouvernement le temps d'étudier la question.

Mais puisqu'on se borne à appeler l'attention du gouvernement sur l'étude qu'il s'agit de faire, j'adhère à la proposition ; dans le courant de la session prochaine, le gouvernement vous apportera un travail complet sur la question des engrais. Il s'expliquera sur le point de savoir s'il est possible, s'il est désirable de supprimer cet impôt que l'on attaque aujourd'hui.

J'ajouterai, pour donner satisfaction à tous les intérêts au nom desquels on réclame, qu'il est bien entendu que, dans l’intervalle, le gouvernement ne donnera pas d'autorisation nouvelle pour des droits de cette nature ; et pour faire un instant allusion à ce qui s'est passé à Gand, je dirai que c'est une taxe qui est établie à titre d'essai et qui est limitée de telle manière que le gouvernement sera toujours maître de la faire cesser lorsqu'il le trouvera nécessaire dans l'intérêt de l’agriculture.

- La clôture est demandée.

M. Coomans (contre la clôture). - Je désire ajouter un mot pour demander une dernière explication.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

La proposition de M. de Naeyer est mise aux voix et adoptée.

Le vote définitif du projet est fixe à lundi.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de l’intérieur

Second vote des articles

Article premier

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je comprends que ce débat a dû vous fatiguer un peu. Je ne serai pas long dans les dernières explications que je vous dois pour vous exposer quels seront (page 879) les résultats de la réduction, si vous la maintenez, du crédit à 40,000 fr.

Pour vous faire comprendre ces résultats, je dois revenir sur le système que le gouvernement a adopté en prenant pour base le crédit de 75.000 fr.

Trois zones avaient été établies pour accorder cette faveur aux populations ardennaises, et elles avaient été établies à raison da l'éloignement des localités des fours à chaux où se délivre cet engrais. Dans la première zone, la réduction ou la prime était portée à 11 centimes par hectolitre ; dans la seconde, la réduction s'élevait à 16 centimes, et enfin dans la troisième, maximum de la réduction, elle était de 22 centimes.

Vous voyez, messieurs, que cette prime élait déjà par elle-même assez faible. Car 22 centimes au maximum par hectolitre pour parcourir des distances de 10 à 12 lieues dans les Ardenncs surtout, c'était un appât très faible accordé à ceux à qui vous offriez cette prime comme un moyen d'encouragement. Or, il est résulté des rapports administratifs et qui sont tous faits avec le plus grand soin, que même avec cette prime de 22 centimes, un nombre assez considérable de cultivateurs n'ont pas pu en profiter à raison de l'éloignement.

Voici maintenant le résultat que vous obtiendrez si le gouvernement est obligé de se renfermer dans le crédit de 40,000 francs.

En supposant le maintien des zones telles que je viens de vous les faire connaître, il en résulterait que pour la première, la plus rapprochée des fours à chaux, la réduction devrait être de 6 centimes seulement par hectolitre.

Or, demandez-vous ce que peut être pour une charge complète, pour une voiture, par exemple, cette réduction. Un hectolitre pèse de 90 à 100 kilog. En supposant qu'on en charge 10, c'est un millier de kilog. environ qu'on transporte par voiture. Et bien, un millier de kilog., sur le pied de 6 centimes par hectolitre, c'est une réduction de 60 centimes par charge que vous offrez comme encouragement.

Demandez-vous si cet encouragement est tel que vous puissiez espérer le moindre bienfait d'une semblable mesure ?

Dans la seconde zone, placée à des distances plus considérables, la réduction pourrait être seulement de 9 centimes.

Jugez encore que ce serait une réduction de 9 centimes accordée, sur un hectolitre de chaux, à des cultivateurs qui ont à parcourir une distance de 4 à 5 lieues !

Enfin pour la troisième zone qui embrasse des localités distantes de 10 à 12 lieues des fours à chaux, il y aurait une réduction de 12 cent. ; c'est ce qu'on appelait, dans le pays, une dérision, une véritable inutilité offerte aux populations des provinces de Luxembourg, de Namur et de Liège.

Si la chambre veut faire quelque chose d'utile, quelque chose de digne (et il doit m'être permis de me servir de ce mot), il faut dire avec tous ceux qui ont été consultés, le gouverneur de la province en tête, que si la prime doit descendre à 6 centimes, c'est réellement le néant, c'est accorder aux populations une satisfaction illusoire.

Encore un mot. Des honorables membres de cette chambre ont accueilli avec incrédulité l'obiervation que j'ai présentée, qu'il fallait jusqu'à 100 hectolitres de chaux pour chauler les terrains les plus mauvais. Eh bien, quand j'ai avancé ce fait, messieurs, je me fondais encore sur un document administratif qu'on ne peut pas révoquer en doute, parce qu'il est émané des personnes les plus compétentes et qu'il démontre à l'évidence que si, pour les bonnes terres on peut se contenter de 25 à 30 hectolitres de chaux par hectare, il n'en est pas de même des terrains schisteux des Ardennes, où il faut jusqu'à 100 hectolitres.

Eh bien, messieurs, demandez-vous, en présence de ce fait, si vous devez abaisser le crédit demandé à titre purement transitoire !

Et à ce propos, messieurs, on a dit qu'il fallait abaisser le crédit graduellement jusqu'à complète abolition de la prime. Sans doute, il faut ménager la transition, mais il y a deux moyens de le faire : ou bien, par une réduction du crédit et mettre immédiatement le gouvernement dans l'impossibilité de ne rien faire, ou bien permettre au gouvernement d'abaisser graduellement la prime, comme il l'a fait jusqu'ici.

En effet, messieurs, l'année dernière la réduction accordée n'a plus été que de 20 à 25 p. c. Elle s'élevait d'abord à 30, 40, 50 p. c. Voilà comment nous ménageons la transition. Nous ne voulons pas supprimer cet encouragement d'un seul coup, nous voulons le supprimer graduellement ; mais nous désirons que ce qu'il nous sera permis d'accorder, ait encore un sens et ne soit pas, je le repète, une véritable illusion.

M. Rousselle. - Messieurs, je viens défendre le premier vote de la chambre, et j'espère qu'elle ne voudra pas se déjuger, non parce qu'il résulterait de ce vote une économie que l'on a qualifiée de mesquine, bien qu'il n'y ait aucune économie, quelque petite qu'elle soit, qu'il faille dédaigner lorsqu'elle est raisonnée ; mais dans l'intérêt même de la chose qui excite ici d'assez nombreuses sympathies.

Je n'invoque pas le principe théorique qui n'approuve point que le gouvernement se mêle de l'industrie privée, qu'il supplée par sa prévoyance à la prévoyance individuelle ; je ne suis pas non plus contraire à ce que le gouvernement intervienne, dans des circonstances exceptionnelles, pour guider les populations, pour exciter même leur intérêt privé et leur montrer comment elles doivent le faire valoir, pour elles d'abord, et ensuite, en vue du bien général, inséparable de leur avantage propre.

Mais quand l'intérêt privé a été suffisamment éveillé, quand les particuliers, comme c'est ici le cas et comme le prouve l'enquête administrative à toutes ses pages ont retiré des avantages immenses de l'intervention du gouvernement, le moment n'est-il pas venu non de retirer brusquement l'encouragement qu'il donnait, mais de le diminuer peu à peu, pour arriver par une douce transition à le faire cesser ?

Il n'est pas contestable que le but que le gouvernement s'est proposé, à savoir de généraliser l'emploi de la chaux dans la culture de l'Ardenne, est atteint : Or, M. le ministre de l'intérieur l'avait déclaré dans la séance du 7 mai 1851, il se proposait de restreindre le moyen de défrichement par la distribution de chaux à prix réduit, à mesure qu'il s'étendrait de lui-même dans l'agriculture.

Qu'il me suffise, pour démontrer que nous nous trouvons dans la circonstance prévue par M. le ministre pour diminuer les distributions de chaux, qu'il me suffise de rappeler ce fait déjà cité, dans la discussion précédente, par un des honorables députés de Nivelles, que la valeur des terres par l'emploi de la chaux, est arrivée de 50 fr. à 500 fr. l'hectare, à une valeur décuple, dans certaines parties des Ardennes (page 38 de l'enquête). Est-ce qu'un propriétaire peut raisonnablement venir puiser dans le trésor public, alimenté par les contributions de tous, pour procurer à sa propriété une pareille augmentation de valeur ? Et qu'on ne perde pas de vue que le subside dont on demande la conlinuation, étant compté au maximum de 40 p. c. de la dépense, calculée elte-même au taux exagéré de 100 hectolitres de chaux par hectare, ne dépasserait pas la somme de 20 fr. ? N'est-ce pas là un infiniment petit dont l'Etat n'a point à se préoccuper ?

On n'est pas d'accord sur la quantité de chaux à employer par hectare.

Les uns pensent que 20 à 25 hectolitres suffisent ; d'autres en demandent 80, et le gouvernement en a accordé jusqu'à 100 hectolitres. Mais un honorable député de Gand, aux connaissances agronomiques duquel nous rendons tous hommage, a établi, je crois, à la dernière évidence, dans un discours qu'il a prononcé dans la séance du 10, à l'occasion d'un autre projet de loi, que distribuer en règle générale 100 hectolitres de chaux par hectare, cela n'est pas sérieux, et il a ajouté qu'il y a des propriétaires qui, avec cette quantité, ont chaulé jusqu'à 4 hectares. Or, selon lui, cela suppose une exploitation de 25 à 20 hectares, et il s'est avec raison demandé si un homme qui possède 25 à 26 hectares de propriétés a besoin que la chaux soit mise à sa disposition à prix réduit.

S'il pouvait être nécessaire d'ajouter une autorité à celle de mon honorable ami, je citerais le petit traité sur l'emploi de la chaux en agriculture, publié dans la Bibliothèque rurale instituée par le gouvernement. On y voit : 1° (page 39) que dans certains districts des provinces de Namur et de Luxembourg, la quantité de chaux à employer peut être comptée à 20 hect. par hectare et par an ; 2° à la page 42, que si un fort chaulage convient pour imprimer un mouvement vigoureux dans les terrains compactes, dans les bois défrichés, dans les bruyères et, en général, dans toutes les terres qui n'ont pas encore été soumises à cette opération, une fois ce mouvement produit, les chaulages à petites doses et souvent renouvelées sont de rigueur, et 3°, à la page 44, que les doses les plus profitables sont pour les terrains légers ou sablonneux de 4 à 6, de 12 à 18 et de 24 à 36 hectolitres par hectare pour un chaulage d'une, de trois ou de six années.

Il est maintenant facile de voir qu'avec la somme de 40,000 fr., votée par la chambre, on peut faire beaucoup de bien, quoi qu'on en ait dit.

L'honorable ministre de l'intérieur, faisant tout à l'heure connaître comment les distributions ont lieu entre trois classes de participants, a déclaré que la diminution du crédit aurait pour conséquence de réduire à un taux dérisoire, inutile la prime à répartir. C'est la une erreur ; car il n'est pas question d'abaisser la prime graduée par zone, comme a dit l'honorable ministre, mais de diminuer le nombre d'hectolitres de chaux, de manière à ne faire participer à ce bienfait que les petits cultivateurs.

L'honorable M. d'Hoffschmidt demande que la prime soit maintenue aussi longtemps que le chemin de fer du Luxembourg ne sera pas terminé.

L'honorable membre peut être certain que cette voie de communicatiounue sera pas utilisée pour le transport de la chaux, lorsque la distance à parcourir ne sera quede 2, 4 et 6 lieues. Il faudrait supposer que le chemin de fer aboutissant à tous les fours rayonnât dans la direction des champs où la chaux doit être déposée. Pour éviter un chargement et un déchargement double et des frais de transport, les cultivateurs feront ce qu'ils font maintenant, ils iront directement aux chaufours avec leurs attelages.

Tout le monde est d'accord que la délivrance da chaux à prix réduit doit se restreindre aux petits cultivateurs ; je dis tout le monde dans cette chambre, car tel n'est pas l'avis de M. le président du comice agricole de Bastogne. Cet honorable agriculteur s'exprime ainsi dans son. rapport du 4 octobre 1852 (pages 24 et 25).

« Mais il faudrait généraliser davantage la réduction du prix de la chaux, et augmenter considérablement le maximum de la quantité à pouvoir obtenir à prix réduit ; car, en effet, quels sont ceux qui sont le plus à même d'activer le défrichement ? Ce sont les grands cultivateurs ; ceux-là peuvent opérer sur une grande échelle, puisqu'ils possèdent beaucoup de bruyères ; mais le maximum de la quantité de chaux à obtenir jusqu'à présent pour eux n'étant qu'une bagatelle, l'encouragement n'est point suffisant ; il faudrait, au lieu de 100 hectolitres, pouvoir porter la quantité à 500 hectolitres.

(page 880) « Une remarque que j'ai faite, c'est que les petits cultivateurs ne s'occupent pas beaucoup de défrichements ; ils emploient la chaux sur leurs champs pour obtenir des plantes fourragères, au lieu de défricher les bruyères ; ce qui prouve d'autant plus que les grands cultivateurs sont les plus capables d'opérer les défrichements, s'ils obtiennent des quantités plus considérables de chaux à prix réduit. »

Messieurs, rien ne me paraît plus concluant que cette citation en faveur du premier vote de la chambre.

En effet, il ne doit pas être distribué de chaux aux cultivateurs aisés ; les bénéfices que l'on obtient d'un défrichement judicieusement, prudemment opéré, sont assez considérables pour les engager à s'y livrer sans le secours de l'Etat.

Quant aux petits cultivateurs, il faut restreindre la distribution aux terres à défricher, auxquelles un mouvement vigoureux doit être imprimé et non l'étendre à celles qui sont mises en culture et sont entrées, 'dans un assolement régulier.

Il ne serait pas juste que l'Etat donnât une partie de l'engrais nécessaire à la culture dans une certaine contrée du pays, quand le reste en serait privé ; ce n'est pas seulement dans les provinces de Liège, de Luxembourg et de Namur, mais dans toutes les provinces du royaume, qu'il y a des petits cultivateurs qui profiteraient volontiers d'un pareil bienfait, et à qui il ne serait pas moins utile qu'aux petits cultivateurs de l'Ardenne.

Maintenant, messieurs, une dernière observation.

L'enquête établit que, pour obtenir du défrichement les avantages permanents que l'on recherche, il faut faire des composts, il faut mêler du fumier à la chaux ; faire enfin de ce dernier engrais un usage judicieux ; or les fumiers ordinaires sont-ils dans l'Ardenne proportionnés à la quantité de chaux que l'on pourrait distribuer dans ds justes limites avec la somme de 75,000 fr. ? Il m'est permis d'en douter ; et ce doute se fonde sur ces paroles de M. le président du comice agricole de Virlon, dont j'ai déjà invoqué l'opinion dans la première discussion. (Voir pages 31 et 32 de l'enquête.)

« Je ne puis admettre l'usage de la chaux de la manière inconsidérée qu'elle me paraît avoir lieu dans certaines parties de l'Ardenne.

« Il me semble que l'on fait un usage très arbitraire de la chaux ; qu'elle n'est pas appliques avec assez de discernement pour que l'effet à en retirer puisse durer longtemps.

« Je voudrais que l'on ne dépassât pas le principe qui devrait faire de tous les terrains, en quelques années, des terres à peu près normales sans se détériorer en deux ou trois années, comme on le verra probablement bientôt, qui puissent constamment au moyen de soins annuels, se maintenir dans un état productifs peu près égal.

« Or, il arrive que dans beaucoup d'endroits, les nombreuses racines de bruyères, genêts, etc., qui remplissent le sol, ne demandent pour se former en humus que de la chaux ; plus on en met, plus la décomposition est rapide ; mais c'est précisément contre cet abus que je réclame ; car je voudrais que l'on ne donnât à la terre que la chaux nécessaire à la formation de l'humus suffisant pour l'année ; les récoltes ne seront peut-être pas aussi élevées ; mais moins sujettes à verser, elles pourront se reproduire longtemps, tandis que si l'on enlève en une année ce qui pourrait être réservé pour dix, il arrivera que les terres seront de nouveau épuisées, et que l'on se retrouvera à peu près au point de départ en attendant les fumiers qui doivent parer à tout comme contenant les différents éléments nécessaires à la terre, mais dont l'insuffisance se fait toujours sentir dans les Ardennes. »

De là, messieurs, il est évident que si l'on force les distributions de chaux, on précipitera les défrichements sans mesure et sans aucune vue d'avenir ; on tirera deux ou trois bonnes récoltes des bruyères que l'on défrichera successivement, puis on les abandonnera, et elles retomberont dans leur ancienne stérilité. Cette crainte seule est, pour moi, assez puissante pour me déterminer à ne point me départir de mon premier vote. J'aime à espérer que la majorité de la chambre fera de même.,

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, dans la séance de lundi dernier, je me suis abstenu de prendre part à la discussion, parce que l'honorable M. Mascart avait soutenu parfaitement les principes que je professe concernant les distributions de chaux.

Je me suis abstenu d'y prendre part parce que la cause me paraissait entendue et que dès lors la chambre était à même d'émettre un vote en connaissance de cause.

L'honorable M. Rogier ne l'a pas entendu ainsi : peu satisfait de la décision que vous avez prise, et qui consiste à réduire le crédit de 75,000 à 40,000 fr., il a demandé et obtenu la remise du vote définitif à une autre séance ; il en est résulté que ce n'est qu'aujourd'hui que l'ordre du jour vous appelle à prononcer définitivement sur le crédit discuté dans la séance de lundi dernier.

L'honorable député d'Anvers a désiré la continuation du débat, j'en profite pour émettre aussi mon opinion sur la distribution de la chaux à prix réduit.

Messieurs, je suis l'adversaire du crédit demandé, et j'ai pour cela de très bons motifs. Je n'aime pas la distribution de la chaux à prix réduit, parce qu'elle a une origine illégitime, une origine illégale. J'en suis l'adversaire parce que, comme je le prouverai tout à l'heure, le gouvernement est encore nanti d'un crédit suffisant pour faire face aux besoins de ce service.

J'en suis l'adversaire parce que je soutiens que le gouvernement a manqué aux engagements qu'il a contractés lors de la discussion qui intervint au mois d'avril 1851 à propos d'un crédit de 500,000 fr. destiné aux irrigations, aux distributions de chaux, etc., etc.

Je n'en fais pas un grief à l'honorable M. Piercot, aujourd'hui ministre de l'intérieur, parce que j'ai lieu de supposer qu'il n'était pas au courant de ces engagements, quand il est venu faire cette proposition de crédit.

Je terminerai ce que j'ai à vous dire, messieurs, en adressant un mot de réponse à l'honorable M. d'Hoffschmidt.

C'est l'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, qui, en 1848, créa ce nouveau service ; il le fit sans crédit législatif destiné à cette nouvelle dépense, et ici, messieurs, il y a un rapprochement assez piquant à faire, c'est qu'au moment même où l'on introduisait ce service en Belgique, une proposition à peu près semblable fut faite à l'assemblée constituante de France, par le citoyen Flocon, ministre de l'agriculture, et cette proposition fut soutenue par le citoyen Louis Blanc.

Cette proposition, qui avait pour but de distribuer à prix réduit à raison des distances, la marne aux habitants de la Sologne pour féconder leurs terres, ne fut pas admise par l'assemblée constituante parce que cette assemblée, qui devait son origine au suffrage universel, jugea qu'il était injuste de prélever sur le produit du travail des uns de quoi féconder le travail des autres et, contraire à l'équité d'user de l'impôt pour créer une concurrence à ceux-là mêmes qui l'ont alimenté. En effet, le prélèvement de l'impôt n'est justifiable que pour des services qui intéressent la société tout entière.

Ici, il en a été tout autrement : nous avons vu le gouvernement d'une monarchie constitutionnelle introduire sans consulter la législature un service dont on n'avait pas voulu pendant les premiers mois d'existence de la république française.

Je disais, messieurs, que cette dépense a été introduite sans crédit législatif, il ne me sera pas difficile de le prouver.

L'honorable M. de Theux, ministre de l'intérieur, proposa à la chambre un crédit de 500,000 fr. qui fut voté en deux fois, en décembre 1846 et au mois de mars 1847. Ce crédit était destiné à faire l'application d'une loi d'expropriation. Il était destiné aux irrigations de la Campine, aux défrichements, à la colonisation.

Il était destiné à permettre au gouvernement d'exproprier les communes qui ne consentiraient pas à laisser défricher leurs terres incultes. Il était destiné à permettre au gouvernement de les mettre en culture, et le gouvernement devait ensuite les revendre lorsqu'elles seraient mises en culture.

D'après les promesses de l'administration, constatées par ses propositions et par les rapports de la section centrale, ce n'était qu'une avance, et de plus, on nous promettait un intérêt de 5 p. c. Les députés du Luxembourg firent une opposition violente à ce projet. Ils n'entendaient à aucun prix qu'il fût porté la moindre atteinte à leur système de biens communaux, qui constitue, en effet, un grand bienfait pour les populations peu moyennées de cette province.

L'honorable M. d'Hoffschmidt, pendant la discussion, demandait tout autre chose ; il demandait de larges distributions de chaux, il demandait le reboisement. Or, voici ce que lui répondit le gouvernement. Voici les paroles de l'honorable M. de Theux, ministre de l'intérieur :

« Les distributions de chaux sont l'affaire des particuliers. Il en est de même du reboisement. »

Il est évident que ce fut en partie en considération de cette déclaration que la majorité adopta le crédit de 500,000 fr.

Le nouveau cabinet arriva bientôt après ; il trouva cette somme de 500,000 fr. intacte ; j'ai lieu de le croire ; quel usage en fit-il ? Il en usa pour faire des dépenses contraires aux engagements contractés par l'administration. Il dépensa en distribution de chaux, en personnel, en achat de graines la somme de 135,030 fr. 51 c. Il en fit encore usage pour distribuer des instruments aratoires, comme si les instruments dont on se sert en Belgique n'étaient pas les plus perfectionnés du monde. Ils ne le cèdent peut-être qu'à ceux de l'Angleterre.

J'ai donc établi de la manière la plus ciaire que le service de la chaux a été introduit au moyen d'un crédit qui ne lui était pas destiné, et cela d'après l'intention formelle de la législature.

J'en viens maintenant au second point ; c'est-à-dire que le gouvernement n'a pas besoin du crédit demandé pour continuer le service de la chaux. Je n'aurai pas de peine à l'établir.

Au commencement de l'année 1851, le gouvernement présenta une nouvelle demande de crédit s'élevant à 500,000 fr. Ce crédit était destiné pour un ensemble de dépenses différentes, sans fractionnement en articles spéciaux, et avec la condition du roulement. Cette condition plaisait beaucoup au département de l'intérieur ; au moyen de ce système l'administration disposait non seulement du crédit comme elle l'entendait, mais elle disposait des rentrées des sommes avancées sous forme de prêt sans nouveau crédit législatif.

Je fis au sein de la section centrale, dont je faisais partie, une très vive opposition à la continuation de ce système de roulement. La section centrale ne se rendit pas à mes observations. Je les renouvelai en séance publique ; elles parurent faire impression sur le gouvernement, si bien que le ministre de l'intérieur, dans la séance suivante, renonça au système de roulement, mais à une condition, c'est qu'on voterait 100,000 fr. de plus ; il déclara en même temps que ce crédit durerait pendant 4 à 5 ans.

(page 881) Heureux d'avoir obtenu cette concession dans l'intérêt de nos finances, sur la foi de cette promesse, et malgré toute ma répugnance pour l'intervention du gouvernement dans les distributions de chaux, le reboisement, etc., je consentis à voter les 600 mille francs, et je fis trêve à toute opposition.

Ce n'est pas tout : Le gouvernement obtint plus de 600,000 francs par le vote qui est intervenu au mois d'avril 1851. Car voici ce que déclara l'honorable M. Rogier dans le cours de la discussion, et cette déclaration ne fut contestée par personne.

« Je dois faire observer à la chambre, disait-il, qu'avant l'extinction légale du crédit actuel (il voulait parler du crédit roulant accordé en 1847), il doit rentrer certaines sommes dont nous nous croyons autorisés à faire le réemploi ; l'autorisation d'après laquelle le réemploi des sommes rentrantes peut être fait, n'expirera que l'année prochaine. Je ferai donc le réemploi des sommes qui viendront à être remboursées avant l'année prochaine. »

Je pose en fait que le vote du mois d'avril 1851 a mis environ 800,000 fr. à la disposition de l'administration.

C'est ici le lieu d'établir que ce crédit considérable doit encore suffire aux distributions de chaux.

En effet, messieurs, quel est le caractère du crédit alloué au gouvernement ? Ce crédit a été accordé globalement sans spécialisation en articles. Il a été accordé sous cette forme, malgré les observations de la section centrale.

La loi de crédit qui est intervenu ensuite n'indique pas au gouvernement l'obligation de dépenser autant pour les irrigations, autant pour le drainage, autant pour la chaux. Il peut en faire tout ce qu'il veut. Il n'y a pas de crédit spécial pour la chaux.

M. le ministre eut bien soin de dire en se ralliant au fractionnement en littéras, que cette division ne liait pas le gouvernement, qu'il l'acceptait à titre d'indication. Donc, aussi longtemps que le crédit de 800,000 francs n'est pas épuisé, il peut être employé à distribuer de la chaux. Or, ce crédit n'est pas épuisé, le rapport de la section centrale l'atteste.

Pourquoi donc cette demande nouvelle de crédit pour le débit de la chaux à prix réduit ? Pourquoi ne tient-on pas un peu compte des observations de la section centrale de 1851 ? Que disait-elle ? Nous acceptons le crédit pour la chaux, afin de faire connaître cet amendement à l'agriculture ; du moment que cet amendement sera connu, nous n'en voulons plus.

Voilà six ans qu'on distribue la chaux à prix réduit ; il est donc positif que cet amendement est maintenant suffisamment connu dans le Luxembourg, et cependant on n'hésite pas à présenter un nouveau crédit de 75,000 fr. contrairement à tous les engagements contractés, malgré les observations de la section centrale.

Un mot encore maintenant en réponse au discours qui a été prononcé par l'honorable M. d'Hoffschmidt, député du Luxembourg, dans la séance de lundi.

L'honorable membre s'est répandu, comme de coutume, en lamentations sur la situation des Ardennes ; cependant cet honorable membre a appartenu au cabinet qui s'était engagé à sauver les Flandres, et je crois que l'honorable M. d'Hoffschmidt était bien décidé à sauver aussi le Luxembourg.

Aussi a-t-il assez bien profilé de son séjour aux affaires pour faire décréter et inscrire à notre budget une dépense probable de 7 a 800,000 francs, destinée à garantir le minimum d'intérêt nécessaire à la construction d'un chemin de fer dans le Luxembourg.

Et ce chemin de fer nous a été imposé, bien que l'on se fût engagé formellement à y renoncer en acceptant, à titre de compensation, les deux millions votés pour perfectionner le système de communications de cette province.

Ensuite, messieurs, avez-vous oublié cette motion de l'honorable M. Pierre faite l'année dernière, et qui tomba inopinément au milieu de nous comme un aérolithe ! Cette motion tendait à établir que la famine régnait dans les Ardennes.

Cette révélation nous surprit beaucoup. Mais il paraît, messieurs, que ce n'est pas nous qui avons été les plus étonnés. Ceux qui le furent le plus, ce sont ceux qui étaient prévenus de manque, de moyens de subsistance. Ces renseignements, je les tiens de personnes considérables, respectables, qui habitent le Luxembourg. Nous avons des collègues qui ont parcouru le Luxembourg six semaines après la motion dont je viens de parler, et nulle part ils n'ont trouvé de trace de la détresse dont on avait parlé dans cette chambre.

On a été très reconnaissant dans le Luxembourg de la motion de l'honorable M. Pierre, suivie de l'adoption d'un crédit de 150,000 fr., mais on en a beaucoup ri...

M. Pierre. - Ce n'est pas seulement une erreur, c'est un mensonge.

M. le président. - Je vous engage à retirer cette expression.

M. Pierre. - M. le président, je consens à la retirer, mais l’assertion de M. de Man n'en est pas moins inexacte.

M. de Man d'Attenrode. - Je n'entends en aucun façon mettre 'en question la bonne foi de M. Pierre ; je suis convaincu qu'il a agi de bonne foi, mais il nous est permis de dire qu'il a cédé à des préoccupations qui ont un peu grossi le mal à ses yeux.

L'honorable M. Pierre est pénétré de l'idée que l’Ardenne est malheureuse, parca qu'elle n'est pas riche. Le Luxembourg n'est pas un pays riche, c'est vrai, il ne possède pas les richesses que crée l'industrie ; mais il n'est pas éprouvé par le paupérisme, par la mendicité, que l'industrie traîne après elle.

L'Ardenne n'est pas riche, mais il y a dans cette contrée place au soleil pour tout le monde, de la terre pour tout le monde, du bois de chauffage pour tout le monde, de quoi nourrir du bétail pour chacun, des matériaux propres à construire des habitations pour chacun.

En est-il de même dans les Flandres et même dans le Brabant, je vous le demande, messieurs ? Si un petit cultivateur, un journalier s'avise de ramasser du bois, de l'herbe, il trouve quelqu'un qui lui dit : « Cela m'appartient, je te dresse procès-verbal ! » Cela n'arrive pas dans le Luxembourg.

Je soutiens donc et je suis fondé à soutenir que les classes laborieuses de l’Ardenne ne sont pas aussi à plaindre qu'on se plaît à le dire ici.

Je suis fondé à dire qu'il est injuste, qu'il est peu reconnaissant de prétendre que la Belgique a peu songé aux intérêts de cette contrée intéressante.

La Belgique, depuis la proclamation de son indépendance, a plus fait pour le Luxembourg en vingt ans, que tous les gouvernements qui l'ont précédée.

Ce qui reste à faire pour le Luxembourg, c'est de tâcher d'obtenir par le traité à intervenir avec la France plus de facilité pour l'exportation de son bétail.

Pour en revenir à la loi en discussion, je dis en terminant que les distributions de chaux doivent avoir un terme ; cet amendement est suffisamment connu, on le distribue depuis 6 ans.

Il est temps d'en finir de ces subsides, ils sont la cause de nombreux abus ; l'honorable. M. Mascart s'est étendu suffisamment à cet égard, il est inutile d'insister davantage sur ce point.

Il est temps d'arrêter le gouvernement, il est temps de faire cesser ces distributions ; si vous les continuez, elles revêtiront le caractère de faveurs, que j'ai le droit de revendiquer aussi pour des contrées dont les terres froides éprouvent autant de besoin de la chaux que celles da Luxembourg ; j'entends parler du Hageland, pays situé entre Tirlemont, Diest et Louvain.

Il est temps d'arrêter l’administration ; il est temps de lui faire comprendre qu'il faut qu'elle abandonne un système de subsides contraire aux principes qui doivent servir de guide à un gouvernement régulier.

Je suis donc décidé à ne pas admettre la proposition de crédit qui nous est faite.

(page 883) M. Rogier. - Messieurs, l'honorable préopinant reste fidèle à l'habitude qu'il a prise, et dont je ne me plains pas, de critiquer tous les actes posés par le précédent cabinet ; et alors même qu'ils ont été sanctionnés par cette chambre, et adoptés par nos successeurs, il ne leur fait pas grâce, par cela seul qu'ils sont imputables au cabinet du 12 août. Dans l'exercice de cette critique habituelle, il n'est pas toujours très heureux ; il est souvent injuste, presque toujours passionné.

Pour jeter de la défaveur sur l'origine de la mesure qu'il attaque, l'honorable préopinant a déclaré que le cabinet précédent ne s'est avisé de cette idée qu'après que l'exemple lui fut venu de la part d'un gouvernement voisin, de la part d'un ministre de la république française, de la part d'un socialiste. Il faut être possédé de la rage de trouver du socialisme partout.

M. de Man d'Attenrode. - Ja n'ai pas prononcé ce mot-là.

M. Rogier. - Ne niez pas le but de votre allusion, elle est claire pour tout le monde.

M. de Man d'Attenrode. - C'est un fait.

M. Rogier. - La proposition qui a été faite à la chambre de distribuer de l'engrais dans le Luxembourg n'est pas plus socialiste faite par nous (elle le serait, que ce ne serait pas un motif pour la rejeter si elle était bonne) qu'elle n'était socialiste, émanée de l'honorable M. de Theux. Si j'ai emprunté cette idée à quelqu'un, ce n'est pas à l'honorable M. Flocon ; c'est à l'honorable M. de Theux que je l'ai empruntée. J'en fais l'aveu très modeste.

L'honorable M. de Theux a proposé, quoi ? De distribuer de l'eau à prix réduit à la Campine, et même de la distribuer pour rien. C'est un mode d'engrais qui convient au terrain sablonneux de la Campine.

Le gouvernement propose de distribuer à prix réduit au Luxembourg de la chaux, engrais qui convient aux terrains schisteux de cette province.

Voilà ce que nous avons fait, et ce que notre honorable successeur demande à continuer à faire.

Pour être conséquent, si vous retirez au Luxembourg la faveur de la distribution de la chaux à prix réduit, il faudra priver la Campine de la distribution gratuite de l'eau.

Ce serait injuste pour la Campine ; ce serait plus injuste encore pour le Luxembourg ; car cette province intéressante, n'a pas été, quoi qu'on en dise, traitée aussi libéralement que d'autres parties du pays, et nous devons faire des sacrifices exceptionnels pour elle, aussi longtemps qu'elle ne jouira pas des voies de communication qui lui sont promises depuis longtemps.

Les sacrifices dont il s'agit maintenant valent-ils la peine d'occuper la chambre pendant deux séances ? Valent-ils les longs discours qu'on vient de prononcer pour obtenir une réduction de 25,000 francs sur les 75,000 demandés ?

Ici, du moins, il faut bien le constater : malgré le plaisir qu'on se donne à mordre à tous les actes qui ont été posés sous l'ancien cabinet, il n'y a pas eu moyen de contester sérieusement les heureux résultats qui ont été obtenus par l'intervention de l'Etat. On a bien dit, parce que c'est la phrase obligée, qu'il y a eu de grands abus. Quant à signaler en quoi ils consistent, c'est ce qu'on s'est abstenu de faire. Une enquête a eu lieu ; elle a été faite avec beaucoup de soin, non pas seulement auprès des gouverneurs et des commissaires d'arrondissement ; mais le conseil provincial, la commission d'agriculture, tous les comices agricoles ont été entendus.

L'honorable M. de Man et l'honorable M. C. Rousselle n'ont relevé, dans cette enquête, que quelques observations critiques. Pour être impartial, on aurait dû reconnaître que l'ensemble des faits constatés par cette enquête est de tout point satisfaisant et entièrement favorable au système suivi.

Permettez-moi de vous faire quelques citations.

« Le conseil provincial du Luxembourg déclare que, retirer le subside, ce serait arrêter au meilleur moment les progrès de la culture. Il charge la députalion de renouveler ses instances près du gouvernement et au besoin près des chambres à l'effet d'obtenir qu'on continue à faire délivrer la chaux à prix réduit. »

« Il nous serait impossible, dit la commission d'agriculture, d'énumérer tous les avantages que ce bienfait a produits. Le bruit qui s'est répandu que l'Etat pourrait bien abandonner désormais les cultivateurs à leurs propres ressources sous ce rapport a jeté l'alarme...

« Le voyageur qui autrefois a connu les Ardennes est étonné des progrès qui se font remarquer partout, grâce à la chaux cédée à prix réduit.

« Retrancher la subvention accordée, ce serait arrêter l'élan donné à l'agriculture. »

J'extrais au hasard des rapports des divers présidents des comices agricoles les observations suivantes :

« Cet amendement a fait faire des pas de géant au défrichement des Ardennes : si le gouvernement cessait de distribuer de la chaux à prix réduit, le résultat serait déplorable pour toutes les Ardennes. » (page 22 de l'enquête.)

« L'effet de la chaux en Ardenne est merveilleux. Ses avantages sont immenses. Il est indispensable que le gouvernement continue le sacrifice la remise sur la chaux. » (page 24.)

« Il est impossible de rendre compte de tous les résultats heureux et extraordinaires obtenus par l'emploi de la chaux. Cette mesure, qui avait d'abord rencontré d'ignorants contradicteurs, est aujourd'hui considérée comme un bienfait. » (page 25.)

« Retrancher la subvention accordés, ce serait arrêter l'élan de l'agriculture en Ardenne. » (idem)

« La mesure a produit d'admirables effets ; aucune n'a été aussi populaire et si favorablement accueillie. » (page 27.)

« Ce serait un mouvement rétrograde très préjudiciable que l'on aurait à craindre, si le gouvernement retirait l'allocation accordée pour obtenir la chaux à pris réduit, et il y a lieu d'espérer que, loin de faire cette économie, on donnera, au contraire, plus d'extension encore à une amélioration dont on ne connaît pas assez toute la portée et qui est aujourd'hui passés en force de chose jugée. » (page 32.)

Je ua voudrais pas multiplier les citations. A chaque page, presque à chaque ligne de l'enquête, nous trouvons préconisée dans les mêmes termes cette mesure dont on réclame le maintien comme indispensable, et qui rencontre ici une opposition qui, je l'espère, ne triomphera pas.

La mesure, dit-on, n'a profité qu'aux grands propriétaires. Les petits cultivateurs n'en ont retire aucun avantage. Consultons encore l'enquête sur ce point :

« La chaux mise à la portée d'une masse de petits cultivateurs, par la réduction du prix, a placé la petite culture dans la possiblité d'exploiter avec fruit le peu de biens qu'elle détient ; l'on voit par là, avec bonheur, une quantité de pauvres familles qui ne récoltaient pas une gerbe, rentrer aujourd'hui des voitures de seigle et d'avoine, chose inconnue pour eux avant la délivrance de la chaux à prix réduit. » (Commission provinciale d'agriculture, p. 16.)

« De malheureux prolétaires, qui jamais n'avaient pensé à l'emploi de la chaux, veulent tous à l'envi profiter du bienfaif accordé. » (page 27.)

« Le comice agricole du 10ème district de la province de Namur, réuni en séance générale, a l'honneur de vous exposer que la distribution de la chaux à prix réduit, accordée en faveur de l'agriculture de ce district, a produit les meilleurs effets ; grâce à la sollicitude du gouvernement, elle a contribué non seulement à réformer les assolements vicieux, à favoriser le défrichement et la mise en culture d'une forte étendue de terrains incultes, mais elle a provoqué un accroissement de ressources et de productions en céréales et en légumineux qui a soutenu la plupart des cultivateurs, la classe pauvre surtout, justement alarmée, contre les effets du fléau résultant de la maladie des pommes de terre.

« Ce sont les lumières et les connaissances agricoles qui ont fait défaut, c'est l'insuffisance dts ressources. Aujourd'hui que ces éléments prennent naissance, que l'émulation se propage, nous voyons ce sol produire au-delà de toutes les prévisions, et nous émettons le vœu le plus sincère pour que le gouvernement continue, dans ce moment opportun, le plus largement possible, son action aussi sage, aussi généreuse que prospère, afin de ne pas perdre le fruit qu'elle a produit. » (page 41.)

J'appelle l'attention de la chambre sur ces dernières observations qui sont empruntées à l'un des comices de la province de Namur ; le Luxembourg seul n'est pas en cause ici. Le gouvernement a étendu à toute l’Ardenne la distribution de la chaux, comme à la Campine la distribution de l’eau.

Est-ce qu'on a reproché au gouvernement ce qui a été fait dans la Campine ? Est-ce qu'on propose d'y supprimer son intervention ? Pourquoi lui reprocherait-on ce qu'il a fait dans l'Ardenne ? Pourquoi voudrait-on y paralyser son action ?

Quant à moi, je ne puis croire que la chambre puisse refuser de suivre le gouvernement dans la voie où il est entré.

On vient de dire que le ministère précédent avait manqué ici a ses engagements. Je réponds que lancer une telle accusation avec une telle légèreté, c'est manquer à la vérité.

Lorsque le crédit de 500,000 fr., porté ensuite à 600,003 fr, pour diverses mesures relatives au défrichement, a été voté par la chambre, j'ai dit que le crédit entier serait dépensé dans un espace de 4 à 5 ans, et qu'il en serait rendu compte annuellement, en ce qui concerne spécialement la distribution du la chaux ; j'ai dit, et mes paroles se trouvent reproduites dans le rapport même de votre section centrale, que, dans un an, je viendrais rendre compte des résultats obtenus par l'application de cette mesure transitoire, que si la chambre le trouvait utile, elle voterait les fonds nécessaires pour qu'elle fût continuée.

Voilà ce que j'avais promis et ce qu'a tenu mon honorable successeur. Il a rendu compte de l'emploi du crédit ; il a rendu compte les résultats obtenus.

Il soumet ce compte rendu à la chambre pour qu'elle décide si la mesure doit être continuée. En quoi donc ai-je manqué à mes engagements ? A quoi tend ce genre d'attaques ? Les multiplier sans mesure ni justice, c'est se nuire à soi-même, et s'exposer à perdre toute influence sur l'esprit de ses collègues.

M. de Man d'Attenrode. - Je demande la parole.

M. Rogier. - Ces attaques, je le répète, seraient plus efficaces si vous ne les renouveliez pas à chaque instant et si vous y mettiez un peu plus de justice et de mesure.

Lorsque nous avons dit que nous voulions aider l'agriculture d'une manière efficace, l'opposition ne nous a pas crus ; elle nous a sommés de produire nos moyens d'encouragements ; pour elle, hors de l échelle mobile, qui était la panacée universelle, il n'y avait pas de salut. Nous avons soutenu qu'il y avait d'autres moyens que l’échelle mobile pour encourager l'agriculture. En voici un entre autres dont l’efficacité ne peut être niée, qui a peu coûté au trésor, et qui en définitive ne sera que (page 884) transitoire. En présence de ces grands résultats, obtenus au moyen d'aussi faibles sacrifices, serait-on bien venu de proclamer à chaque instant sa sollicitude pour l'industrie agricole, et de se refuser à ce léger sacrifice qui est encore réclamé comme indispensable et par tout ce qui fait autorité en agriculture.

Je regrette d'occuper la chambre aussi longtemps pour une somme aussi faible. Mais il serait impossible de voter une somme qui produisît proportionnellement de pins grands résultats.

On dit que ce qu'il faut donner au Luxembourg, ce sont des routes ; soit, mais en attendant, faut-il lui refuser d'autres moyens de fertilisation ?

La voirie vicinale est en progrès dans le Luxembourg, mais ce qu'il lui faut à cette province, c'est le chemin de fer, il lui faut des travaux égaux en importance à ceux qui ont été exécutés dans d'autres provinces. Il faut s'efforcer de rattacher, par tous les liens possibles, le Luxembourg au reste du pays. Je crains que le rejet de la mesure proposée ne soit considéré comme un acte de mauvais vouloir, comme une injustice de la part de la chambre vis-à-vis de.cette province. Mais vous ne commettrez pas un pareil acte, vous continuerez à voter les sommes demandées pour conserver à cette province les bienfaits qui vous ont été signalés.

M. le ministre a annoncé que la prime serait réduite d'année en année ; la réduction a eu lieu déjà de mon temps. La mesure doit avoir un terme, nous sommes tous d'accord sur ce point. Accordez l'allocation : dans un ou deux ans, on vous tiendra compte des résultats obtenus, vous déciderez alors, en connaissance de cause, s'il y a lieu de supprimer définitivement cet encouragement à l'agriculture.

On se récrie que les fonds de l'Etat se distribuent en primes, presque tout le budget de l'intérieur n'est pas autre chose. Le mot « prime » n'a rien en soi qui m'effraye. La question est de savoir si l'argent dépensé sous cette forme produit un résultat utile.

Ici, quelque soit le mauvais vouloir, il est impossible de contester qu'on a obtenu de grands résultats. On dit : il y a des abus ! C'est possible, il y en a partout ; en fait on n'en a pas signalé. Mais ne rien faire de peur des abus, ce serait imiter la conduite de celui qui ne voudrait pas marcher de crainte d'user sa chaussure.

Il y a des inconvénients au régime parlementaire : faut-il le supprimer, parce que quelquefois on parle trop ?

C'est un abus sans doute, mais cela n'empêche pas que ce régime ne soit une excellente chose. La presse a des abus, faut-il l'abolir ? L'intervention de l'Etat en a aussi, faut-il la supprimer partout et toujours et fermer les yeux aux grands résultats obtenus en certaines circonstances par l’intervention de l'Etat ?

Je ne suis pas, comme d'autres, ennemi absolu, aveugle de toute intervention de la part de l'Etat, je suis partisan de son intervention dans une sage mesure pour toutes les choses utiles, je ne repousserai pas un subside parce qu'on lui aura donné la qualification de prime.

Je n'en dirai pas davantage aujourd'hui, j'espère que la chambre, revenant sur son premier vote, se ralliera à la proposition du gouvernement.

(page 881) M. Pierre (pour un fait personnel). - Je demande la parole pour un fait personnel. Messieurs, l'honorable M. de Man a l'habitude de chercher à faire des plaisanteries. Je l’ai trouvé quelquefois assez heureux dans ce genre de faire, mais je ne le féliciterai pas dans cette circonstance-ci.

Comment ! il s'agit de la situation profondément malheureuse d'une province entière, et M. de Man a le triste courage de venir plaisanter ! Il vient dire que ma proposition est tombée des nues comme un acanthe, et que la chambre en a été stupéfaite. Mais, là n'est pas la question.

M. de Man peut-il contester que la misère du Luxembourg, signalée par moi, l’an dernier dans cette enceinte, ait réellement existé ? je puis malheureusement lui en porter le défi. Je désirerais me tromper. Si la chambre...

M. le président. - M. Pierre, ne sortez pas du fait personnel.

M. Pierre. - Je pense que M. de Man a divagué beaucoup plus que je ne me permettrai de le faire en lui répondant. Il m'a reproché de m'ëtre appuyé sur un fait qui n'existait pas, pour provoquer la sollicitude de la chambre en faveur du Luxembourg, pour obtenir un crédit de 150 mille francs. L'accusation est assez grave, il doit m'être permis de me justifier.

Si l’année dernière la chambre n'était pas venue en aide au Luxembourg, comme elle l’a fait, ce dont je la remercie bien sincèrement, la misère serait aussi intense, cette année, qu'elle l’était l’année dernière. Si elle est moindre, car elle existe encore, ce changement doit être attribué à la plantation des pommes de terre, sur une plus grande échelle, au moyen des 50 mille francs qu'on a distribués aux plus nécessiteux.

Il m'arrive en ce moment,da tous les points de la province, les plaintes les plus amères sur la misère qui existe encore. Pour remédier, le plus possible, à cette situation malheureuse, il faudrait de l'ouvrage. On m'engage instamment, dans ce but, à convier le gouvernement de mettre un terme aux lenteurs infiniment regrettables apportées à la fixation du tracé du chemin de fer du Luxembourg.

J'engage M. le ministre des travaux publics, je l'adjure même à mettre fin à toutes ces temporisations qui portent un grave préjudice aux intérêts de la province, et non moins aux intérêts généraux du pays.

M. Faignart. - Messieurs, le subside demandé par M. le ministre de l'intérieur a rencontré un certain nombre d'adversaires, qui n'ont peut-être pas bien apprécié les besoins de certaines provinces si maltraitées par la nature, et dont les ressources sonl très restreintes.

Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit dans cette discussion, cependant, je dois quelques mots de réponse à l'honorable M. Delehaye, qui lui aussi paraît s'être occupé d'agriculture ; mais si je ne me. trompe, c'est seulement en Flandre.

(page 882) L'honorable député de Gand conteste qu'il faille 100 hectolitres de chaux pour défricher un hectare, cette proportion peut paraître exagérée, si l'on ne tient pas compte de la composition toute spéciale du sol ardennais.

Il ne s'agit pas, en effet, de défricher des terres ordinaires, plus ou moins calcaires, mais bien des terrains schisteux et froids, que la chaux seule peut rendre plus fertiles.

Vouloir assimiler les Ardennes aux autres contrées de la Belgique, c'est commettre une grave erreur, dans laquelle mon honorable contradicteur est tombé, et j'aime à croire que si l'honorable préopinant, connaissait cette partie de notre pays, il en aurait une toute autre opinion.

A tel sol pourrait suffire une quantité de chaux, relativement peu importante, qui ne produirait que peu ou point de résultat dans tel autre.

On ne doit pas oublier, du reste, que cet amendement n'est que rarement renouvelé, les 100 hectolitres par hectare étant employés pour un terme de 8 à 10 ans.

Mais je veux bien faire une concession à l'honorable membre, et admettre que cinquante hectolitres par hectare puissent suffire, mais c'est là le chiffre minimun auquel on doit s'arrêter si l'on veut défricher avec quelque avantage ; ainsi, deux hectares exigeront cent hectolitres, c'est-à-dire que le propriétaire de quarante hectares devra attendre vingt ans avant de pouvoir tirer parti de tout son champ. N'y a-t-il pas là de quoi décourager les plus résolus ?

Mais, me dira-t-on peul-être, la distribution de chaux, à prix réduit, ne doit pas profiter au propriétaire de quarante hectares ; je comprendrais, messieurs, la valeur de l'objection, si 40 hectares de bruyères réunis dans les mêmes mains, constituaient un état de fortune même médiocre.

Il n'en est rien ; ce propriétaire n'est riche qu'en apparence, car ce qui fait la richesse, ce n’est pas l’étendue des propriétés, mais le parti qu'il est permis d'en tirer.

Vous voyez donc, messieurs, que ce bienfait ne profitera pas seulement aux grands cultivateurs, comme on l'a dit.

Messieurs, le bienfait de cette distribution de chaux à prix réduit ne consiste pas seulement à diminuer la dépense de celui qui l'emploie ; c'est un encouragement, c'est un appât pour le cultivateur ardennais toujours ombrageux et craintif, comme bien d'autres, quand il s'agit d'innovation.

Il faut un certain temps pour que cette amélioration ait pris racine dans le pays, que ses bons effets soient reconnus de tous, et alors seulement vous pourrez supprimer ce crédit, après l'avoir successivement diminué, pour faire voir aux personnes timides qui ont différé de l'employer, que le temps est venu d'en faire l'application, s'ils veulent profiter de la faveur qu'on leur offie.

Je pose en fait, messieurs, que ce léger sacrifice imposé au trésor produira des résultats incalculables ; et en effet, si ce régime était continué quelque temps encore, les bruyères des Ardennes qui suffisent à peine pour que le bétail y puisse végéter, seraient transformées en champs labourables, produiraient non seulement des céréales, mais des plantes fourragères et des racines, qu'il est impossible de récolter sur des terrains qui n'ont pas été chaulés. Ce fait posé, messieurs, et je le tiens pour incontestable, ne serait-ce pas de la lésinerie que de refuser à trois provinces le seul moyen d'atteindre un but que nous devons tous désirer ?

J'appelle la plus sérieuse attention de la chambre sur cet objet, et je lui donne l'assurance formelle, que la chaux est au moins aussi indispensable pour le défrichement des bruyères, que l'eau est utile à la formation des prairies dans la Campine ; eh bien, messieurs, comparez les sacrifices que le pays s'est imposés pour l'une et l'autre de ces contrées, et vous n'hésiterez pas à reconnaître qu'il n'y a pas de comparaison.

Puisque j'ai avancé, messieurs, que la chaux, et la chaux seule, peut faire produire aux terres schisteuses des Ardennes des fourrages et des racines, je dois vous donner quelques détails sur les résultats heureux que doivent procurer ces récoltes.

D'abord, c'est un moyen puissant, infaillible, de se procurer des engrais, si rares dans ces contrées, en tenant à l'étable les bestiaux qui toute l'année sont obligés du matin au soir, et quel que soit le temps pourvu que le sol ne sott pas entièrement couvert de neige, de chercher leur nourriture où aucune bête de nos bonnes provinces ne pourrait-en trouver à son goût.

Un autre avantage, messieurs, non moins précieux, c'est que par une nourriture plus succulente, ces animaux acquerraient plus de développement ; la race chétive et presque sans valeur que vous voyez maintenant par troupeaux parcourant les vastes bruyères, acquerra, par une bonne nourriture à l'étable, des qualités qui la rendront plus propre au commerce ; la vente en sera plus facile et plus profitable, sans avoir coûté davantage au cultivateur ; ses sacrifices seront compensés par le produit du fumier, cet agent précieux qui est aujourd'hui disséminé en pur perte dans des plaines dont la mise en culture ne pourra avoir lieu que dans un temps bien reculé, si l'on n'emploie des moyens énergiques.

Vous n'ignorez pas, messsieurs, que la branche de commerce la plus importante des contrées dont nous nous occupons est sans contredit l'élève du bétail ; dés lors, puisque la chambre voie chaque année des subsides en faveur des diverses industries, n'est-il pas juste de dire que celle-là aussi à droit à votre sollicitude ? Cette modique somme que je demande surtout pour une province jusqu'ici privée de canaux et de chemins de fer, ne profitera pas seulement à des personnes aisées comme il arrive dans certains cas, elle sera répartie entre un grand nombre de malheureux, qui sont appelés à jouir indirectement des avantages procurés à l'agriculture, car lorsqu'elle est prospère tous les habitants en ressentent les bienfaits.

Si les Ardennes sont, comme je le crois, appelées à devenir une contrée agricole, c'est à l'emploi de la chaux qu'elle le devront. Pour arriver à ce résultat si désirable, vous pensez sans doute comme moi que la chambre ne doit pas se montrer avare de quelques milliers de francs, lorsqu'il s'agit de venir en aide à une province malheureuse, que la nature et la politique ont cruellement maltraitée, et que vous ne voudriez pas sans doute abandonner à sa détresse.

- La séance est levée à 4 heures.