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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 23 novembre 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 37) M. Maertens fait l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur de Schuyffeteer demande que des poursuites soient dirigées contre les huissiers attachés aux tribunaux qui, pour la fixation du coût de leurs actes, ne se conforment pas aux décrets sur la matière. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Coencn père, prie la chambre d'autoriser le gouvernement à faire l’échange de ses récépissés supplémentaires de l'exercice de 1848. »

- Même renvoi.


« Quelques habitants des quartiers nord et ouest de la ville de Liège prient la chambre d'accorder au sieur Stevens la concession d'un chemin de fer de Liège et de Herstal à Tongres, Bilsen, Hasselt et Diest. »

- Même renvoi.


« Des habitants d'Arlon demandent la libre entrée du bétail par la frontière du grand-duché de Luxembourg, »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux denrées alimentaires.


« Le sieur Arnold-Paul Derryx, sergent au dépôt du premier régiment de ligne, né à Nimègue (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.

« M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre trois exemplaires du texte français du 9ème volume de la seconde série de la bibliothèque rurale. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. Van Cromphaut, obligé de s'absenter par suite de la mort d'une de ses tantes, demande un congé d'un jour. »

- Ce congé est accordé.

Projet de loi relatif aux denrées alimentaires

Discussion générale

M. Moreau, rapporteur. - Messieurs, quelques fautes d'impression se sont glissées dans le rapport de la section centrale. Au bas de la première page, l'honorable M. Osy a été omis comme rapporteur de la troisième section. A la page suivante, sous la rubrique examen des sections, deuxième alinéa, il faut lire : « les première, troisième, quatrième et sixième sections » au de « les première, deuxième, etc. sections. »

Dans le projet de loi amendé par la section centrale, au paragraphe 2 de l'article premier il faut substituer les mots « sont libres à l’entrée » à ceux-ci : « seront libres à l'entrée » ; au paragraphe 2 de l'article 2 il faut dire : « les pommes de terre et leur fécule » au lieu de : « les pommes de terre, la fécule ».

M. Osy. - Je dois aussi signaler quelques erreurs qui se sont glissées dans les tableaux déposés par le gouvernement, et qui pourraient peut-être induire en erreur les honorables membres qui prendront part à la discussion. A la page 68, on a mis « exportations » pour « importations ». A la page 69, on dit que les grains, importés dans le courant des années 1851-1852, n'ont rapporté en moyenne que 840,000 fr., tandis qu'ils ont rapporté 1,234,000 fr.

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Oui, M. le président. Cependant je désire ajouter quelques explications pour faire connaître à la chambre les motifs qui ont retardé jusqu'à présent l'opinion que le gouvernement vient d'exprimer, relativement à la libre entrée du riz et du bétail.

En ce qui concerne le riz, cette denrée avait été signalée au gouvernement comme pouvant entrer aussi dans la catégorie des denrées soumises à la libre entrée. Si le gouvernement s'est abstenu de prendre immédiatement à cet égard une mesure analogue à celle qui protège la libre entrée des grains, c'est parce qu'il lui a paru qu'au mois d'août la crise n'était pas assez grave, pour déterminer la mesure concernant le riz, et ce avec d'autant plus de raison qu'indépendamment de ce qui peut faciliter l'approvisionnement, il y avait à se préoccuper des intérêts du trésor.

Or, la chambre sait que le riz rapporte au trésor annuellement en moyenne une somme de 400,000 fr. au moins. Depuis le mois d'août, la crise a marché, et vers la fin d'octobre, par exemple, lorsque les instances sont devenues plus vives, le gouvernement aurait pu se décider à comprendre le riz au nombre des denrées protégées par la libre entrée ; mais l'époque de l'ouverture de la session était très prochaine et le gouvernement a pensé qu'il n'y avait pas de motifs assez urgents pour devancer sous ce rapport l'opinion de la chambre.

Relativement à l'entrée du bétail, le gouvernement avait pensé que les avantages à recueillir de cette mesure n'étaient pas assez considérables pour balancer la perte que le trésor va faire sur cette denrée.

Néanmoins en présence de l'opinion qui semble se montrer généralement favorable dans cette chambre à la libre entrée du bétail, le gouvernement n’hésite pas non plus à s'y rallier, tout eu faisant entrevoir à la chambre les conséquences financières qui doivent résulter de l'adoption de la mesure.

Voilà, messieurs, pour le moment, les explications que je désirais donner à l'appui de l'opinion que je viens d'exprimer, à savoir que le gouvernement se rallie à toutes les propositions de la section centrale.

M. le président. - M. Dumortier cède son tour de parole à M. Vermeire.

M. Vermeire. - Messieurs, la question des céréales se présentant pour le moment dans une situation exceptionnelle, je me bornerai à l'examiner sous le point de vue de son actualité. Je dirai, toutefois, en passant, messieurs, que les prix des subsistances, combiné avec le taux des salaires, règlent les destinées économiques des nations.

Si donc cet équilibre est rompu, il importe de le rétablir au plus tôt ou, du moins, de rapprocher, autant que possible, les distances qui séparent les deux limites.

Nous nous trouvons encore une fois dans une de ces fâcheuses positions où la cherté excessive des subsistances n'est plus en rapport avec le taux des salaires, où la situation du consommateur devient très pénible.

J'ai la conviction profonde, et je la partage avec les honorables membres de la section centrale qu'il importe de procurer, pendant la crise actuelle, les subsistances au meilleur marché et dans la plus grande abondance possible.

C'est assez vous dire, messieurs, que j'approuverai toutes les mesures par lesquelles on croira pouvoir atteindre ce but si désirable. J’irai même plus loin. Comme dans d'autres pays, également atteints par la crise, je donnerai mon assentiment à la prohibition à la sortie des subsistances, puisque, dans ma manière de voir, cette mesure que le simple bon sens indique, doit être très efficace pour amener une diminution dans les prix des céréales.

Mais pour que la prohibition à la sortie puisse se justifier, je crois devoir démontrer que, dans l'état des prix des céréales en Belgique dans leur rapport avec ceux de l'étranger, nous n'en importerons point ou fort peu ; et comme conséquence de cette situation, il est très probable que, si nous maintenons la libre sortie, nous exporterons les grains de notre récolte, au fur et à mesure qu'ils deviendront disponibles.

D'après les renseignements qui nous sont fournis par la chambre de commerce d'Anvers, confirmés par des renseignements particuliers puisés à des sources très respectables de notre métropole commerciale, la hausse survenue dans le fret, ainsi que dans le prix des céréales, par suite des besoins de la France, de l'Angleterre et l’Italie, rendent les froments américains plus chers à Anvers que les froments belges.

Le froment d'Odessa, d'après le compte simulé, transcrit à la p. 71 des annexes du projet de loi, coûte, rendu à Anvers, fr. 27-34.

Mais le fret n'est calculé qu'à raison dc 120 sch. par T suif, tandis qu'il a été poussé depuis jusqu'à 195 sch., ce qui ferait une différence de fr. 4-50.

Ajoutez-y maintenant l'assurance extraordinaire pour risques de guerre et l'importation de la mer Noire devient impossible. Indépendamment, de la crise politique qui restreint les transactions, si tant est qu'elle ne les rend nulles, il y a, par continuation, manque de navires dans les principaux ports américains et européens et, surtout, dans ceux de la mer Noire.

« La Belgique, dit la chambre de commerce d'Anvers, dépend, pour son découvert, des ressources des Etats-Unis plus que de la mer Noire ; car l’Italie, la France et la Suisse (par Marseille) lui enlèvent les renforts de là ; or il faut constater que les frets haussent considérablement aux Etats-Unis et que la saison avancée tend à les renchérir encore.

« Dans les provinces Rhénanes le froment est aussi cher qu'ici, et le seigle y vaut 10 p. c. de plus. » Voici mes renseignements particuliers :

« La Baltique n'a que peu de provisions, elle attend encore quelques renforts des pays qui environnent la mer, mais depuis Memel jusqu'à Hambourg ces renforts ne peuvent guère consister en plus de 10 à 12 mille lasts.

« Les prix de revient sont fl. 18 1/4 à fl 19, fr. 34 à fr. 35-50 par 80 kil. pour les qualités les plus ordinaires. Le Danemark peut donner quelques renforts, mais à des prix beaucoup plus élevés que ceux que l'on paye ici. »

En présence de cette situation, je pense qu'il est bien prouvé que, pour le moment, nous ne pouvons pas continuer à importer avantageusement. Aussi, la chambre de commerce d'Anvers s'alarme de notre position. Ce corps si bien placé pour juger des faits qui se produisent, conclut avec la plus grande impartialité et le plus noble désintéressement, dans les termes suivants :

« Le résumé de tout ce qui précède est que la production intérieure doit venir franchement en aide pour que les mois d'hiver passent sans nouvelle aggravation des prix, la hausse proportionnelle survenue dans les blés d'été laisse le champ de vente trop libre au froment et au seigle. On peut aisément remarquer que le défaut de renforts de la Turquie, de la Valachie, de la Moldavie, de l'Egypte, de la Russie du Nord, de la haute Baltique, tient notre approvisionnement en grains étrangers bien bas, et que l’on doit souhaiter, avant tout, que d'autres pays voisins ne viennent fréquenter nos marchés. Le manque des navires et la cherté du fret, (page 38) la politique chancelante, la hausse de l'escompte paralysent l'esprit d'opérations à un très fort degré. »

Si je n'avais pour moi que la seule autorité d'un corps aussi respectable, qui, certes, doit souhaiter le plus grand développement possible du commerce, d'une corporation qui, malgré tous les avantages que doit procurer à cette ville le commerce d'exportation, aussi bien que le commerce d'importation, et qui vient vous dire : « En Belgique on laisse le champ devenir trop libre au froment et au seigle. Il est à désirer pour la Belgique que d'autres pays voisins ne viennent fréquenter ses marchés, » je vous avoue, messieurs, que je croirais ma proposition parfaitement justifiée.

Mais je crois pouvoir encore l'appuyer sur d'autres considérations :

Personne ne contestera que la récolte de 1846 ne fût bien moins abondante que la récolte de 1853. Pour le froment il n'y aurait, d'après la statistique pour cette dernière année, qu'une insuffisance de 1/6 environ, et pour le seigle de 10,000,000 de kilogrammes seulement ou 2 1/2 p.c.

Eh bien, pendant les mois correspondants de 1846, avec la prohibition des grains à la sortie, les prix étaient inférieurs à ceux de cette année. (Suit un tableau comparatif, non repris dans la présente version ; numérisée).

D'où provient ce fait ? Précisément de ce que les récoltes faisant défaut dans plusieurs pays, et les prix y étant plus élevés, nous y envoyons nos céréales.

C'est ainsi que les seigles, dont la récolte approche d'une récolte ordinaire, se vendent à des prix relativement plus élevés que les froments, et que ces prix s'élèvent au fur et à mesure que nos exportations approchent de nos importations ou les dépassent.

Du 1er au 5 octobre, nos importations de seigle dépassent nos exportations, les prix sont à 19 fr. 99 c.

Du 6 au 10, le contraire arrive, en cote, 21 fr. 10 c.

Du 11 au 15, les exportations sont plus fortes, les prix renchérissent, 21 fr. 55 c.

Du 16 au 20, il y a à peu près balance, les prix restent les mêmes.

Du 21 au 25, même situation, mêmes prix.

Du 1er au 5 novembre, les exportations l'emportent, les prix sont toujours plus élevés, 22 fr. 39 c.

Du 6 au 10 novembre, toujours plus d'exportations, toujours des prix de plus en plus élevés, 23 fr. 10 c.

Ainsi avec la prohibition en 1846 et une récolte moins abondante que la récolte de cette année, les prix en 1846 étaient inférieurs aux prix actuels de 25 p. c. sur le froment et de 3 p. c. sur le seigle. Je crois que ce sont là des faits irrécusables.

Messieurs, si la prohibition à la sortie des pommes de terre, de leurs fécules, des lentilles et des fèves (haricots) trouve sa justification dans le fait que des demandes considérables de pommes de terre étaient faites pour l'étranger, que ces achats étaient de nature à inquiéter les populations qui comptent sur cette denrée pour subvenir à leurs subsistances pendant le cours de l'hiver prochain, les mêmes raisons n'existent-elles pas pour le seigle, la nourriture principale du peuple, et surtout de la population flamande ? de cette denrée dont les exportations dépassent les importations et dont les prix sont élevés outre mesure ? N'existent-elles pas pour les froments, autre denrée de première nécessité dont les exportations augmentent et deviennent plus importantes de jour en jour, et partant, plus inquiétantes ?

Et si nos prix restent en dessous des prix de la France et de l'Angleterre, ne devons-nous pas craindre qu'au moment des grands battages, nos grains ne soient enlevés à mesure qu'ils arriveront au marché et qu'ainsi nous ne nous trouvions devant de graves embarras durant les mois rigoureux de l’hiver ?

Qu'on ne croie pas, messieurs, que la prohibition à la sortie, avec la liberté du transit qu'il n'est venu à l'idée de personne de vouloir restreindre, puisse porter atteinte au commerce des grains. N'avons-nous pas vu, en 1847, pendant les mois d'avril, de mai et de juin, des centaines de navires affluer vers nos ports pour y importer des céréales ? En France, où la prohibition à la sortie existe, les arrivages de céréales sont si nombreux qu'à Marseille, il y a quelques jours, les moyens de transport faisaient défaut pour écouler les céréales à l'intérieur du pays. Non, messieurs, si nos prix haussent encore, malgré la prohibition à la sortie, nous nous trouverons dans la même situation que les autres pays pour faire nos approvisionnements ; si, au contraire, en conservant ce que nous possédons, nous pouvons maintenir ou faire diminuer les prix actuels, nous aurons rendu de véritables, de grands services aux nombreuses classes laborieuses qui souffrent si cruellement de la cherté des subsistances.

Je produirai un troisième fait en faveur du système que je défends, non pas au point de vue des principes, mais au point de vue de notre situation actuelle.

En France la prohibition à la sortie existe depuis plusieurs mois. Voici ce que nous lisons dans l'Echo agricole du 20 novembre. « Les arrivages de blés étrangers commencent à faire sentir leur influence sur nos marchés intérieurs, surtout, au moment où ceux-ci vont recevoir des apports de grains plus considérables et plus suivis, comme cela arrive toujours à cette époque de l'année. Samedi dernier, nous avons laissé les affaires calmes, et mercredi à la halle une petite baisse de 1 franc s'est fait sentir sur les farines de première classe et de 2 francs sur les sortes secondaires par sac de 157 kilogrammes. «

Voici maintenant l'avis officiel arrêté par les courtiers à Liverpool, de vendredi dernier 18 novembre. « Il y avait de nouveau une forte demande pour les froments et les farines durant toute la semaine. On a payé 1 à 2 d. de plus par 70 liv. et 1 fr. de plus par baril de farines. Pour le seigle des Indes, il se manifeste beaucoup de demandes tant pour compte des marchands que pour celui des spéculateurs ; les prix sont en hausse d'un sch. par quarter. »

La France qui défend l'exportation de ses grains voit réduire les prix des céréales ! L'Angleterre qui proclame la liberté du commerce, constate des hausses continuelles dans les prix des denrées alimentaires !

Qu'il me soit permis, messieurs, de faire une simple comparaison : que diriez-vous du père de famille qui, ayant fait ses approvisionnements de subsistances, les vend, au moment qu'il en a besoin, à des prix inférieurs à ceux auxquels il peut les remplacer ; sous prétexte que, plus tard, dans 5 à 6 mois de là, il pourrait, éventuellement, se les procurer à des prix plus avantageux ? Mais vous n'hésiteriez pas à dire, messieurs, que l'opération de ce père de famille est très imprudente, et qu'en attendant la réalisation problématique de sa spéculation, il pourrait bien crever de faim.

Eh bien, messieurs, c'est le rôle de cet imprudent père de famille qu'on fait jouer à la Belgique. Elle manque de denrées, elle ne peut actuellement remplacer ce qu'elle possède qu'à des prix plus élevés que ceux auxquels elle les vend.

Et, aussi sous prétexte qu'au printemps prochain elle pourra, éventuellement, faire venir, à des prix plus avantageux, des grains de la mer Noire, elle vend à l'étranger ceux qu'elle possède. En attendant elle ne sait comment elle passera les mois rigoureux de l'hiver.

L'opinion, messieurs, que je défends ici n'est pas nouvelle chez moi. Déjà en 1850, j'avais proposé un amendement ;; je proposais d'autoriser le gouvernement à user de ce moyen quand la nécessité en aurait été démontrée.

Cette nécessité, messieurs, existe ; elle est là. Il ne s'agit pas ici du principe de liberté ou de prohibition ; il s'agit d'examiner les faits dans leur ensemble et d'adopter les mesures les plus efficaces pour rétablir l'équilibre qui est rompu, et venir en aide par tous les moyens qui sont en notre pouvoir, dussent-ils être taxés d'arbitraires, aux nombreuses classes de la population qui souffrent tant de la cherté des vivres.

J'ai dit.

Proposition de loi modifiant la loi sur les pensions des veuves et des orphelins

Rapport de la section centrale

M. Vander Donckt. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale sur la proposition de feu notre honorable collègue, M. Destriveaux, concernant les modifications à apportera la loi sur les pensions des veuves et des orphelins.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion générale

M. Osy. - Messieurs, le gouvernement s'étant rallié aux propositions de la section centrale relatives à l'entrée du riz, de la viande et du bétail, je pense qu'il n'y aura pas de discussion sur ces objets, d'autant plus que la section centrale a été unanime pour les admettre.

Ce qui est plus important, d'après moi, dans cette discussion, c'est la proposition déposée hier par l'honorable M. Dumortier et appuyée aujourd'hui par M. Vermeire, pour prohiber la sortie des céréales. Ce n'est pas en principe que je viens combattre cette proposition, mais parce que je crois que c'est la mesure la plus dangereuse que l'on puisse prendre dans les circonstances actuelles.

Je demande la permission de développer en peu de mots cette opinion.

Pour que le commerce des céréales puisse se faire avec utilité pour le pays, il faut trois conditions : 1° que le gouvernement ne se mêle pas d'achats et d'affaires quelconques en céréales ; le gouvernement, il est vrai, ne s'en mêle pas et son intention est de ne pas s'en mêler ; récemment le gouvernement français, dans une note insérée au Moniteur, a exposé les raisons du danger qu'il y aurait à ce que le gouvernement s'occupât d'affaires semblables.

En second lieu, il faut qu'il y ait grande tranquillité dans le pays pour que le commerce des céréales puisse se faire librement ; sous ce rapport, je pense que le gouvernement a l'intention et toute la force nécessaire pour maintenir la tranquillité dans le pays.

Nos institutions et les dispositions du gouvernement peuvent donner toute sécurité sous ce rapport et permettent au commerce de continuer ses opérations.

La troisième condition est de ne pas faire de loi qui puisse inquiéter le (page 39) commerce. Or à mon avis la proposition faite par M. Dumortier et appuyée par M. Vermeirc est de nature à jeter l’inquiétude et la perturbation dans le pays. Il est certain que quand vous défendrez la sortie des céréales on croira le mal plus grand qu'il n'est réellement, les populations auront plus d'inquiétude et le commerce ne pourra plus se faire d'une manière aussi tranquille que maintenant. Je dis donc que cette mesure jetterait la perturbation dans tous les esprits.

Eh bien, dans ce cas soyez persuadés que si vous défendez la sortie, vos négociants en grains ou ralentiront leurs affaires ou même les cesseront complètement. Nous savons que le commerce des grains excite toujours certaines préventions dans le public ; les grands négociants doivent avoir la certitude qu'ils resteront libres dans leurs allures, qu’ils pourront vendre, importer ou exporter tranquillement les marchandises qu'ils font venir de l'étranger.

Messieurs, je connais de gros négociants qui, depuis cinq ou six ans que nous avons eu à déplorer souvent des prix très élevés dans les céréales, ont mis la plus grande activité, la plus grande intelligence, à approvisionner le pays, et qui, si vous défendez la sortie, cesseront immédiatement toute affaire en céréales. Plusieurs de ces négociants attendent des chargements.

Adoptez la proposition de l'honorable M. Dumortier, et ces négociants, au lieu de faire venir ces chargements en Belgique, les vendront sous voile à nos voisins les Anglais, les Hollandais et les Français, et il vous manquera du grain. Laissez au contraire, la sortie libre, et soyez persuadés que nous donnerons la confiance à nos populations, et que le commerce continuera à faire des affaires importantes pour fournir à la consommation publique.

Voyons, messieurs, quels ont été les chiffres des importations et des exportations de cette année, et si, en présence de ces chiffres, la mesure proposée par nos honorables collègues est nécessaire.

Je ne vous citerai pas les chiffres que nous trouvons dans les tableaux du gouvernement, et qui sont ceux de la douane. J'ai réduit ces chiffres en hectolitres ; j'ai calculé l'hectolitre de froment à 80 kilog., et l'hectolitre de seigle à 70 kilog.

Eh bien, dans le courant de cette année jusqu'au 1er novembre, nous avons importé 1,135,000 hectolitres de froment. Depuis le mois d'août seulement, depuis que le gouvernement a supprimé tout droit d'exportation, nous avons importé 535,000 hectolitres et non 350,000 hectolitres, comme on nous l'a dit dans une autre occasion.

M. Dumortier. - J'avais déduit les exportations.

M. Osy. - En seigle nous avons importé dans le courant de l'année 700,000 hectolitres, dont, depuis le mois d'août, 200,000 hectolitres.

Voyons quelles ont été les exportations.

Les exportations en froment de toute l'année ont été de 100,000 hectolitres, ce qui fait le onzième de nos importations. En seigle nous avons exporté 110,000 hectolitres, ce qui fait le septième de nos importations.

Mais ne perdez pas de vue, et l'honorable ministre des finances pourra certainement appuyer ce que je dis ici, que depuis le mois d'août tous les grains qui arrivent dans le pays ne sont plus mis en entrepôt, mais qu'ils entrent en consommation, parée que le négociant trouve plus avantageux d'avoir ses grains dans ses propres magasins que de les mettre dans ceux du gouvernement, où les frais de magasinage sont plus élevés. Or, dans ces 100,000 hectolitres de froment et ces 110,000 hectolitres de seigle, il y a plus de moitié de grains étrangers qui seraient entrés en transit s'il eût encore existé des droits.

Je puis dire que nous n'avons pas exporté en grains du pays plus de 50,000 hectolitres de froment et de 50,000 hectolitres de seigle.

Vous voyez, messieurs, que si les choses continuent sur le même pied, nous ne devons pas craindre qu'il y ait déficit dans les céréales nécessaires à la consommation. Il est possible que les prix restent élevés, parce que les grains étant, dans tous les pays de production, extrêmement chers et le fret étant très élevé, la marchandise revient nécessairement à un haut prix. Mais il n'est pas à craindre que nous ayons disette, que nous n'ayons pas de nourriture pour nos populations.

Il est vrai que les événements politiques ont rendu les affaires plus difficiles. Mais nous avons vu, il y a peu de jours, qu'au mois de septembre, il se trouvait à Odessa 400 navires sur le point d'être chargés de céréales. Or, dans ces 400 navires, il y en a sans doute un certain nombre pour la Méditerranée, pour le Midi de la France et pour l'Italie ; mais il y en a aussi beaucoup pour le commerce anglais ; et nous savons que le commerce anglais, étant entièrement libre, vend beaucoup de chargements sous voiles.

Il y a peu de jours encore, des chargements, arrivés pour compte anglais, ont été achetés pour compte belge et seront importés à Anvers. Mais défendez la sortie, et soyez persuadés que tous ces chargements seront revendus à l'étranger.

Messieurs, nos exportations ont surtout consisté en beau froment et en beau seigle du pays ; elles se sont faites surtout dans les pays limitrophes, particulièrement en France ; il n'a été fait par mer que des exportations insignifiantes. Je vous ai dit, il y a quelques jours, ce qui se passe dans le Hainaut et notamment à Tournai : on vend le beau froment belge à l'étranger, et on le remplace par des blés étrangers qu'on achète à Anvers, et sous ce rapport je trouve que les opérations faites à Tournai et à Courtrai sont très avantageuses pour nos populations, car elles permettent de leur donner le pain à meilleur compte.

Si l'on devait faire dans le Hainaut le pain avec le grain du pays, le pain y serait aussi cher que dans la capitale, c'est-à-dire, à 51 centimes, tandis que, grâce au grain étranger, je suis persuadé que le pain ne se vend à Tournai qu'à 44 ou 45 centimes. Car, tandis que vous vendez votre grain à la France à 36 fr., vous le remplacez par du grain étranger qui coûte 32 fr. Ces deux prix sont ceux des marchés de Tournai et d'Anvers.

Vous voyez donc qu'il y a dans cette opération double avantage, premièrement pour vos fermiers qui vendent plus cher leurs produits et secondement pour vos populations qui ont le pain à meilleur marché.

Messieurs, je crois donc qu'en examinant bien nos importations et nos exportations de l'année vous n'admettrez pas la proposition de l'honorable M. Dumortier et vous rendrez la confiance au commerce du pays qui n'a jamais manqué d'activité et d'intelligence et qui continuera à faire des efforts tels, que vous pourrez traverser facilement la crise momentanée dans laquelle nous nous trouvons. Cette crise pourra sans doute durer jusqu'à la récolte prochaine, mais nous pouvons être persuadés que nous aurons des importations suffisantes pour combler le déficit que laisse la récolte.

Je suis disposé à croire que les statistiques que nous trouvons dans les tableaux du gouvernement sont un peu exagérées. Je crois que lorsque le gouvernment dit que le déficit sera dans le courant de l'année de 1,300,000 hectolitres, il atténue un peu ce déficit ; que le pays aura des besoins plus grands.

La preuve en est qu'on a déjà importé 1,100,000 hect., tandis qu'on n'a exporté que 100,000 hect., de manière qu'il ne faut plus qu'une importation de 300,000 hect. pour arriver au chiffre indiqué par le gouvernement.

Le meilleur moyen d'obtenir que ce chiffre soit bientôt atteint, c'est de ne donner au commerce pleine sécurité et pleine liberté, et j'espère conséquemment, que la chambre n'adoptera pas la proposition de notre honorable collègue. Alors le commerce continuera ses opérations et nous n'aurons pas à craindre la disette.

Messieurs, je me rallie également à la proposition de la section centrale en cequi concerne les viandes ; et permettez-moi de vous dire quelques mots à ce sujet.

On a proposé de rendre l'importation des viandes libre jusqu'au 31 juillet ; mais, messieurs, les viandes salées viennent presque toutes de la Plata ; autrefois on n'y abattait que pour avoir les peaux ; ce n'est que depuis quelques années que les Anglais, grâce à la libre entrée, font saler les viandes dans ces contrées et en importent considérablement ; eh bien, messieurs, pour faire arriver des ordres à la Plala, il faut plus de 3 mois ; il faut 3 autres mois et plus pour que les navires puissent arriver ici ; si donc la libre importation des viandes n'était permise que jusqu'au 31 juillet, la mesure serait tout à fait illusoire.

Je proposerai donc, en ce qui concerne les viandes, de substituer à la date du 31 juillet, celle du 31 décembre, et, à cette occasion, j'engagerai le gouvernement à examiner s'il ne conviendrait pas, dans le nouveau projet de tarif, de permettre définitivement la libre entrée des viandes dont il s'agit.

C'est une nourriture extrêmement saine que les populations obtiendront à bon compte, et il pourra même en résulter une diminution dans le prix des viandes dépecées en Belgique. Il est entendu que je ne parle pas des jambons, qui forment un article séparé du tarif ; c'est là un objet de luxe, et je veux bien qu'il continue à payer 15 francs ; le trésor ne reçoit, à la vérité, jusqu'ici que 2,000 francs de ce chef, mais quelque faible que soit ce revenu, je ne veux pas en priver l'Etat. Je propose donc, messieurs, de supprimer dans l'article premier les mots : « Le lard et les viandes de toute espèce, » et d'ajouter à cet article un paragraphe 3 ainsi conçu :

« Sont également libres à rentrée, jusqu'au 31 décembre 1854, le lard et les viandes de toute espèce dénommées au tarif. »

M. T'Kint de Naeyer. - Comme j'ai l'intention de parler dans le même sens que l'honorable M. Osy, je céderai volontiers la parole à un orateur favorable à l'amendement de M. Dumortier.

M. de Steenhault. - Je renonce à la parole pour le moment.

M. Van Renynghe. - Messieurs, je crois que le gouvernement, en ce qui touche la question soumise actuellement à vos délibérations, a procédé avec trop de circonspection, pour ne pas dire avec de l'imprévoyance.

D'après moi, la sage mesure prise par la France, concernant ses grains indigènes, aurait dû être appliquée aux nôtres dans le plus bref délai possible. L'objet valait bien la peine, il me semble, que la chambre, convoquée extraordinairement, en eût été immédiatement saisie.

Au moment où cette mesure a été prise par le gouvernement français, notre pays possédait encore une grande quantité de grains des récoltes des années précédentes qui, à défaut, d emoyens efficaces, provoqués par notre gouvernement, se sont rapidement écoulés vers l’étranger.

Je sais que l'on dit qu'il n'y a pas péril en la demeure ; que la chambre, étant actuellement réunie, pourra prohiber nos grains à la sortie, si le besoin pressant s'en fait sentir. Mais cette mesure serait tardive, alors que nos populations nous réclameraient du pain que nous ne pourrions plus leur procurer.

On objecte que cette prohibition entraverait les importations des céréales. Cette objection n'est pas sérieuse, car, par la mise en entrepôt, le commerce éviterait l'inconvénient qui résulterait de la prohibition à la sortie. D'ailleurs la prohibition à la sortie des grains en France, (page 40) empêche-t-elle qu'on n'y en importe journellement des quantités considérables ?

On objecte encore que, vu que les importations sont infiniment plus considérables que les exportations, il n'y aura pas pénurie. Mais ne se pourrait-il pas que les importations diminuent et que les exportations audmentent ;? Comment dès lors établir un aperçu avec quelque exactitude ? Quant à moi, messieurs, je crois qu'un tiens vaut mieux que deux tu l'auras et que par conséquent mieux vaudrait pour notre pays conserver ce qu'il a en denrées alimentaires que de les laisser exporter, peut-être, sans compensation aucune.

Je soutiens en outre que, si l'on ne prohibe par les grains à la sortie, il est impossible d’obtenir des données certaines sur les besoins de l'alimentation du peuple, car ou ne peut savoir quelle est la quantité de grains qui sera exportée.

On me dira que je suis en contradiction avec les principes que j'ai professées concernant la protection agricole. Je répondrai qu'il n'y a pas de règles sans exception et qu'à de grands maux il faut de grands remèdes. D'ailleurs l'agriculture ne demande pas des prix aussi élevés. Pour sa propre sécurité elle ne demande qu'un prix rémunérateur.

En somme, dans les circonstances malheureuses où nous nous trouvons, n'ayant pas d'approvisionnements assurés, nous devons avoir pour but l'alimentation de la population et non pas l'intérêt de l'agriculture, ni celui du commerce qui n'a pas d'entrailles.

Je n'entrerai à ce sujet dans aucuns renseignements statistiques qui ne peuvent être appliqués à l'avenir, dans cette circonstance exceptionnelle, que très problématiquement, car je préfère, surtout dans notre position actuelle, le certain à l'incertain.

J'appuie donc de toutes mes forces la proposition faite par l'honorable M. Dumortier pour empêcher la sortie de nos céréales et, par conséquent, pour prévenir, autant que possible, le manque de subsistances, le plus grand de tous les maux dont un pays puisse être atteint.

M. T'Kint de Naeyer. - J'aurai peu de chose à ajouter aux arguments très péremptoires que l'honorable M. Osy vient de faire valoir contre la prohibition des grains à la sortie. Je m'attacherai principalement à vous soumettre quelques considérations sur la question des subsistances dans son ensemble.

Un point sur lequel on ne saurait assez insister, c'est que le prix du blé s'établit en dehors des principes généralement admis.

S'il y avait une diminution dans la production du sucre, du drap ou de la toile, les prix hausseraient en proportion de la diminution de la production, mais pas au-delà ! Il n'en est pas ainsi du blé à beaucoup près. On a reconnu, depuis longtemps, qu'un léger déficit dans la récolte détermine souvent une hausse excessive. Un déficit d'un dixième n'amène pas une hausse de 10 p. c. mais de 100 p. c.

En présence de ce phénomène économique le premier devoir du gouvernement, dès que le renchérissement paraît probable, est évidemment de ramener la confiance en facilitant les importations par tous les moyens en son pouvoir, c'est ce que le gouvernement s'est empressé de faire.

Pour que la mesure soit complète, il s'agit maintenant d'encourager la consommation de substances alimentaires qui jusqu'à un certain point peuvent amener une diminution dans la consommation du blé. Cela n'est pas non plus sans importance.

Les conditions alimentaires se sont heureusement modifiées depuis un siècle.

Nous disposons aujourd'hui de substances qui étaient pour ainsi dire inconnues autrefois ; je citerai d'abord les pommes de terre, le maïs, le riz, dont les fluctuations ne coïncident pas avec celles du blé et qui entrent aujourd'hui pour une part très notable dans la consommation.

Avant le XVIème siècle, chaque individu consommait 6 hectolitres de pain ; au XVIIIème siècle, cela se réduit à 4 1/2 hectolitres, et enfin de nos jours, je pense qu'on peut évaluer la consommation à 3 hectolitres.

Plus la proportion diminuera, moins nous aurons à redouter les perturbations que l'inconstance des saisons amène.

La viande contribuerait plus efficacement que les autres denrées à diminuer le déficit dont le pays souffre si l'élévation des prix qui ne date pas d'aujourd'hui, hâtons-nous de le dire, ne la mettons pas en quelque sorte hors de la portée des classes ouvrières.

Je voterai avec empressement la suppression des droits d'entrée sur le bétail, mais je ne puis me faire illusion sur l'influence que cette mesure pourra exercer sur le prix de la viande.

Il y a une chose qui reste pour moi un problème, c'est l'énorme différence qui existe entre le prix du bétail sur pied et le prix de la viande abattue : on a évalué cette différence jusqu'à 50 p. c.

J'ai déjà eu occasion dans plusieurs circonstances d'appeler l'attention du gouvernement sur ce point, et je persiste à croire qu'il serait utile d'ouvrir une enquête sur une question qui intéresse au plus haut degré l'alimentation du peuple. On sait en effet qu'un kilog. de viande à une valeur nutritive égale à trois kilog. de pain.

Dans d'autres pays, on s'est également préoccupé des faits que je signale. C'est ainsi qu'à Paris on a cru devoir recourir aux ventes à la criée. Ces ventes semblent avoir produit de bons résultats. On y a vu un moyen d'établir le prix réel de la viande et de rapprocher le producteur et le consommateur.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est une mesure locale.

M. T'Kint de Naeyer. - Je le sais ; mais comme nous traitons en ce moment la question générale des subsistances, je crois utile d'indiquer les améliorations qui ont été réalisées dans d'autres pays.

En Angleterre, on a cherché à réaliser des économies sur le transport et sur les pertes de vovages du bétail, il y a peu de charges en effet qui concourent davantage à l'enchérissment du prix de la viande. Ou m'a assuré que pour un voyage de 50 lieues la déperdition du poids d'un bœuf n'est guère moindre de 40 à 50 kilogrammes.

On comprend donc que dans les contrées voisines des chemins de fer, on ait sougé à établir des abattoirs à commission ; là les éleveurs font abattre le bétail en quelque sorte sous leurs yeux ; les viandes de deuxième et de troisième qualité, divisées en lots, sont dirigées sur les grands centres industriels, où, par leurs bas prix, elles sont mises à la portée des populations ouvrières, tandis que les viandes de choix sont envoyées là où les exigences de la consommation les réclament plus particulièrement.

On est arrivé à un résultat tel, que déjà sur le marché de Newgate à Londres, ou a exposé en vente plus de 100 millions de kilos de viande abattue venant du dehors. Bien que j'aie peu d'espoir de voir ces innovations s'introduire en Belgique d'ici à longtemps, je crois qu'il est utile de les signaler à l'attention du gouvernement et des administrations communales.

Pour le moment, je crois que ce que nous avons de mieux à faire, c'est de nous hâter de demander à l'Amérique des ressources extraordinaires en viande, sous forme de salaisons et de conserves.

L'honorable M. Osy vous a proposé un amendement que j'appuie de toutes mes forces. Je suis d'accord avec lui que pour faire venir des viandes salées et des conserves de La Plala, il faudra un temps assez long. Mais je crois que nous pourrons aussi recevoir des viandes salées et des conserves des Etats-Unis ; quelques semaines suffiront pour cela.

La salaison est devenue une grande industrie dans les vallées de l'Ohio et du Mississipi.

En 1849, l'Angleterre a tiré principalement des Etats-Unis 45,450,000 kilogrammes de viandes salées ou conservées ; cela représente 183,000 bœufs ou une ration de 40 kilogrammes pour 1,136,000 personnes.

Vous voyez qu'en vous proposant de décréter la libre entrée des viandes salées ou conservées, nous avons fait chose sérieuse, et que le pays pourra trouver là des ressources inattendues ; malheureusement l'importation de ces viandes dans notre pays a été insignifiante jusqu'ici ; nos populations ne les connaissent guère.

J'engagerai le gouvernement à examiner s'il ne pourrait pas donner un exemple utile, en introduisant la viande salée ou conservée dans le régime alimentaire des prisons et des dépôts de mendicité.

Ce sera une prime offerte au commerce, prime qui cette fois se traduira en économie pour le trésor.

Dans la situation où nous nous trouvons, il importe de ne rien négliger pour combler le déficit de nos approvisionnements en céréales ; mais je n'hésite pas à le dire, le moyen sur lequel je compte le plus, c'est l'appel que nous adressons au commerce libre, à tous ceux qui ont intérêt à produire, et de mettre à la portée des consommateurs le plus de choses propres à satisfaire leurs besoins.

La suppression de toute entrave, non seulement en ce qui concerne le commerce extérieur, mais aussi dans les transactions à l'intérieur empêchera mieux un mouvement désordonné des prix que les mesures réglementaires les plus ingénieusement combinées. L'histoire de toutes les disettes eu fait foi.

On a conservé dans quelques localités des règlements sur les marchés qui pouvaient être utiles autrefois lorsque les communications étaient difficiles, ou les accaparements possibles, mais qui ne me paraissent guère justifiables aujourd'hui.

Je voudrais qu'acheteurs et vendeurs pussent traiter leurs affaires comme ils veulent, où ils veulent, et quand ils veulent.

Je ne demanderais l'intervention de l'administration que sur deux points : surveiller la qualité des choses vendues et l'exactitude des poids et mesures.

Je saisirai cette occasion pour engager M. le ministre de l'intérieur à nous soumettre un projet de loi qui établisse enfin l'uniformité des poids et mesures sur tous les marchés de la Belgique.

Il est urgent de faire cesser un état de choses qui donne lieu à de graves abus.

D'après les principes que je viens d'exposer, je considérerai, comme funeste l'adoption de la proposition de l'honorable M. Dumortier. Car dans ma conviction, à mesure que le commerce jouira d'un plus haut degré de sécurité, il se décidera à faire des opérations sur un plus grand nombre de marchés et notamment dans les pays lointains.

On veut empêcher l'exportation ; mais c'est à peine si elle existe. Le commerce n'a-t-il pas pendant les dix premiers mois de cette année importé l'énorme quantité de 1,350,000 hectolitres ? A combien se sont élevées les exportations ? A un onzième à peine. De quoi vous plaignez-vous.

Il a été introduit dans le pays une quantité considérable de blé. Ce résultat aurait-il été obtenu si l'exportation avait été interdite ? Voilà ce qu'il faut se demander.

Le commerce en somme a donc amélioré la situation puisqu'il a maintenu les prix à un taux qui permet encore que l'exportation ait lieu dans une certaine mesure. Le jour où le commerce vous fera défaut, le (page 41) renchérissement sera tel que vous n'aurez plus besoin d'une loi pour prohiber la sortie.

Il ne faut pas perdre de vue qu'un certain équilibre s'établit entre les différents marchés de l'Europe. Malgré la prohibition à la sortie, en supposant même que nous ayons un approvisionnement suffisant, ce qui n'est pas le cas, vous n'obtiendriez pas de baisse notable, si les pris se maintenaient en Hollande, en Angleterre et en France.

Cela est dans la nature des choses. Il est impossible que vous ayez la prétention de faire de la Belgique un marché régulateur.

N'exagérons pas les exportations qui se font, en général, dans des conditions exceptionnelles.

Y a-t-il grand mal, par exemple, à ce que le fermier flamand ait vendu quelques parties de froment de premier choix à 33 ou 34 fr. sur le marché de Lille quand le prix du blé exotique était à 30 fr. à Anvers ? Il y a là avantage pour l'agriculteur, puisqu'il fait un bénéfice ; il y a avantage pour le consommateur, puisque vous mettiez à sa portée du pain à prix réduit. Comment, dans de pareilles circonstances, justifierez-vous, aux yeux de l'agriculture, une véritable expropriation sans indemnité ?

L'honorable M. Vermeire redoute des exportations désordonnées lorsque la nouvelle récolte arrivera sur le marché. Le battage n'est pas encore terminé. Nous savons tous que les fermiers, |obligés de payer leurs fermages, devront se défaire d'une partie de leur blé.

Il est possible que les prix s'en ressentent momentanément, qu'il y ait baisse. Mais précisément à la même époque le nouveau blé arrivera aussi sur les marchés français et anglais. Le même effet ne manquera pas de se produire.

M. Vermeire. - Les besoins sont plus grands en Angleterre qu'en Belgique.

M. T'Kint de Naeyer. - Je regrette de ne pas avoir sous les yeux le discours de l'honorable membre. Mais il me semble qu'il est tombé tantôt dans une contradiction évidente ; d'une part il a dit que la prohibition de la sortie avait été favorable au marché français. Je ne sais en quel sens, car les prix y sont plus élevés qu'en Belgique.

M. Dumortier. - Ils sont de deux francs plus bas qu'en Belgique.

M. T'Kint de Naeyer. - C'est une erreur. En Angleterre, au contraire, disait l'honorable membre, où la sortie est libre, il y a eu baisse. Il en résulterait incontestablement, à mon avis, que la prohibition a amené un effet inverse à celui auquel on s'attendait en France.

M. de Haerne. - Ce n'est pas contradictoire, c'est très possible.

M. T'Kint de Naeyer. - Je regrette de ne pas être d'accord avec l'honorable interrupteur.

L'honorable M. Vermeire prévoit l'interruption de la navigation.

Mais si la navigation est interrompue, elle ne le sera pas seulement pour les importations, elle le sera aussi pour les exportations. Vous serez réduits à exporter par terre. Or, on n'exporte pas toute une récolte en un clin d'œil.

Des calculs assez curieux ont été faits à ce sujet. Pour transporter deux millions d'hectolitres qui représentent la consommation de la France pendant une semaine, il faudrait 100 mille chariots à un cheval, ou 500 navires de 300 tonneaux !

En supposant que la navigation ne soit pas interrompue, ce n'est pas en Belgique que la marine étrangère viendra chercher des grains. Elle nous en apportera, au contraire, des grands pays de production, de la mer Noire, des Etats-Unis. C'est vers ces parages que tous les moyens de transport ont été dirigés ; d'après le rapport de la chambre de commerce ils seront insuffisants pour charger les énormes quantités de céréales offertes à l'exportation.

Il y en a à Odessa seulement pour une valeur de 168 millions. Aux Etats-Unis l'encombrement n'est pas moins grand. De vieux navires y ont été vendus à 300 fr. par tonneau, prix équivalent à celui auquel les chantiers d'Europe peuvent fournir des navires neufs. Que faut-il faire dans cette situation ? Tâcher d'attirer chez nous le plus d'arrivages possible ; le commerce donnera toujours la préférence au marché où la liberté de ses mouvements est complètement assurée, où rien ne vient gêner ses combinaisons, d'où il peut retirer ses marchandises si bon lui semble pour les envoyer ailleurs.

Que dans un pays où la production dépasse de beaucoup la consommation, on ait recours à la prohibition dans des circonstances exceptionnelles, cela se comprendrait peut-être ; mais dans notre pays où il y a insuffisance, même dans les années ordinaires, ce serait une mesure aussi dangereuse qu'impolitique.

Vous voulez que l'étranger nous fournisse une partie de nos approvisionnements, et vous lui défendez de paraître sur le marché belge !

Avez-vous prévu les conséquences des représailles que d'autres pays pourraient exercer ? Que deviendraient nos brasseries, pour ne citer qu'un exemple, s'il leur était interdit de demander de l'orge à nos voisins ?

Mais que deviendrait la Belgique, si tous les pays suivaient les conseils que vous lui donnez ? Une partie de la population serait condamnée, à mourir de faim ! Que devient la civilisation si nous n'avons du blé qu'à condition que l'Angleterre en manque ; ou si la Russie en regorge à condition que nous en manquions ?

Ce n'est pas à la Belgique qu'il peut convenir de proclamer une politique de guerre et d'antagonisme en pareille matière. Ses instincts la porteraient plutôt à invoquer les lois d'une généreuse solidarité entre tous les peuples.

La Providence a voulu que les disettes ne soient jamais universelles. Plus le commerce pourra se mouvoir librement, plus il lui sera facile de combler l'insuffisance d'une part par l'excédant de l'autre.

C'est le seul moyen de conjurer les variations des saisons et d'assurer régulièrement l'alimentation des populations.

M. Dumortier. - En me levant pour prendre la parole sur la question des denrées alimentaires, je dois d'abord protester de toutes mes forces contre l'interprétation donnée par un journal, « l’Indépendance », aux paroles que j'ai prononcées sur le même sujet dans la discussion de l'adresse. J'ai fait à cet égard une rectification qui a été insérée dans ce journal, mais à la suite de cette rectification où j'avais mis les textes en présence, la persistance qu'on a mise à prétendre que j'avais soutenu dans cette enceinte la nécessité de prohiber les grains à l'entrée, fait que je suis obligé de protester devant le pays et devant l'étranger contre de pareilles imputations. Si cela se passait en Angleterre, on interdirait à un pareil journal l'entrée de la tribune des journalistes.

Maintenant, messieurs, j'aborderai la question qui nous est soumise ; je développerai l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau, qui est le résultat des observations que je vous ai présentées dans la discussion de l'adresse et qui a pour but de prohiber les céréales et leurs farines à la sortie.

Y-a-t-il lieu, oui ou non, de prendre cette mesure ? Voilà la grande question de la session actuelle ; celle qui nous occupe en ce moment.

Pour moi, je n'hésite pas à déclarer que cette mesure est indispensable et que si nous ne la prenons pas, nous assumons sur nous une responsabilité très grande, une responsabilité excessive.

Messieurs, on peut varier considérablement sur le manquement de la récolte dernière, et cela parce que le manquement de cette récolte varie de province à province, de village à village, de partie de terre à partie de terre. Ainsi, dans tous les pays élevés, dans la province de Luxembourg, dans la province de Namur, les récoltes sont satisfaisantes.

Mais, veuillez-le remarquer, ces provinces se nourrissent elles-mêmes et ne fournissent pas ou ne fournissent guère de grains à la consommation des provinces populeuses, c'est-à-dire, du Brabant, des Flandres, du Hainaut, etc. Dans les autres provinces, le manquement, messieurs, il ne faut pas se faire illusion, est considérable, très considérable. Quel est ce manquement ? Je ne vous le dirai pas ; vous le savez tous.

Ce manquement, chaque cultivateur le sait, chaque spéculateur en grain le sait ; le commerce, toute la Belgique lésait. Il est donc inutile d'estimer ce manquement ; mais ce qui demeure constant, ce que les chiffres du gouvernement accusent, c'est qu'il manque à la Belgique, pour parfaire sa consommation de l'année, pour plusieurs mois de céréales et les chiffres du gouvernement, quelque erronés qu'ils soient quant à la hauteur du déficit, ne laissent, sous ce rapport, aucun doute. Vous savez, d'ailleurs, d'après les statistiques du gouvernement lui-même, qu'indépendamment du déficit de la dernière récolte dans les années ordinaires, même dans les bonnes années, il manque en Belgique environ un demi-million d'hectolitres de céréales pour satisfaire à sa consommation. Les documents du gouvernement, publiés par l'honorable M. Rogier, le disent dans les termes les plus exprès. Il manque annuellement à la Belgique 500,000 moins quelques mille hectolitres ; ainsi, chiffre rond, un demi-million d'hectolitres. Or, à ce manquement normal annuel, il faut ajouter le déficit de l'année. Voilà la position dans laquelle nous nous trouvons.

A côté de cela vient une autre position qu'il ne faut pas perdre de vue. Dans les années ordinaires, la récolte commence à s'employer à l'époque des avents. Dans les années ordinaires, le grain de la récolte qui a précédé sert à la consommation du pays en août, septembre, octobre et novembre ; or, messieurs, la récolte de 1852 a été mauvaise, très mauvaise, elle n'a pas suffi aux besoins, en sorte que vous le savez tous, depuis peut-être au-delà de deux mois, le pays consomme déjà la récolte dernière ; le pays vit donc depuis deux mois sur cette récolte en présence du manquement normal d'un demi-million d'hectolitres, et du manquement bien plus considérable dans la moisson dernière.

Nous avons donc en présence et le manquement de l'année dernière et le manquement de l'année actuelle ; et c'est en présence de ce double déficit que l'on hésiterait un instant à prohiber la sortie des grains que le pays a fournis et qu'il doit d'abord à ses enfants !

Le chiffre du manquement, comme je vous le disais, chacun le sait, chacun l'apprécie. Cependant il est impossible de le donner d'une manière rigoureusement exacte, et personne ne croira aux chiffres donnés par le gouvernement. Mais il est, selon moi, un moyen d'apprécier ce manquement et de le mettre à la portée de toutes les intelligences : c'est le prix actuel des céréales qui est toujours la boussole, et le résultat de la récolle.

Dans les années communes, dans les années normales, quel est le prix du froment en octobre et en novembre ? 18 fr. l'hectolitre. Cette année, à la même époque, à l'époque comparative, quel est le prix du froment ? 35 à 36 fr.

Nous sommes donc arrivés aujourd'hui au double du prix normal des grains à la même époque. En octobre et novembre, à une époque où certes le grain doit être le meilleur marché de toute l'année, nous sommes arrivés à un chiffre double de celui de l'état normal ; et le pain se (page 42) vend aux ouvriers dans la capitale à 45 centimes le kil. Ce taux vous indique, bien plus que toutes les statistiques, le résultat réel de la récolte.

Messieurs, il importe dans une situation aussi grave de s'éclairer des lumières du passé pour apprécier ce qui peut nous attendre. Pour éclairer l'avenir par le passé, je me suis livré à de grandes recherches que je me vois à regret, mais en acquit d'un devoir, obligé de vous communiquer.

J'ai voulu savoir quels avaient été les prix des grains dans les années de disette depuis le commencement de ce siècle. Je ne vous citerai que deux de ces disettes : l'une qui est bien près de nous, celle de 1846 et de 1847, et la fameuse disette ou plutôt la famine de 1816 et 1817.

Quelle a éié, messieurs, la marche du prix des grains en 1846 et 1847 ? J'ai puisé mes chiffres dans les archives de la ville de Tournai, où il y a, vous le savez, un marché considérable de grains. Je n'ai pu les puiser ailleurs, parce que les documents me manquaient. Ils présentent peut-être avec les prix de tout le pays de petites fractions de différence ; mais c'est peu important.

Au mois d'août 1846, à l'époque de la récolte, le froment était à 21 francs l'hectolitre.

En septembre à 22 francs.

En octobre à 23 fr. 50 c.

En novembre à 25 francs.

Eu décembre à 27 fr. 50 c.

En janvier 1847 à 28 francs.

En février à 32 fr. 50 c.

En mars à 38 fr. 50 c. (Voilà la hausse qui se prononce.)

En avril à 39 francs.

En mai à 45 francs.

Le 8 mai, la mercuriale arrive à 50 fr. l'hectolitre.

Et le 8 mai le froment s'est vendu 50 fr. sur le marché de Tournai. Le mois de mai, remarquez-le bien, est toujours, j'ai eu l'honneur de vous le dire, le mois de la plus grande cherté dans les années de disette. Quelquefois c'est avril et mai ; d'autres fois c'est mai ou juin ; mais le mois de mai est le point central de la plus grande élévation des prix.

Le grain s'est donc vendu,le 8 mai 1847, à 50 fr. l'hectolitre.

Or, quel était alors le prix de ce même grain à l'époque comparative actuelle ?

En novembre 1846, le prix du froment était de 25 fr. l'hectolitre, et, en novembre 1853, nous sommes maintenant à 35 ou 36 fr. Si donc le grain en 1846 arrive en mai à 50 fr. l'hect. en partant du chiffre de 25 fr. en novembre, je vous laisse à tirer la conclusion sur ce qui peut arriver, si nous ne prenons pas des mesures efficaces, alors que nous partons à la même époque du prix de 35 à 36 francs.

Maintenant comment les choses se sont-elles passées en 1816 ?

Vous savez, messieurs, que lors de la fameuse disette de 1816, le froment est arrivé jusqu'au-delà de 80 fr. l'hectolitre.

J'ai acheté, moi-même, en 1817 sur le marché de Tournai, du froment à 82 et à 84 fr. l'hectolitre, car à cette époque, où tout le grain était germé, quiconque voulait obtenir du grain mangeable devait aller l’acheter lui-même au marché. Eh bien, messieurs, dans cette année, qu'on ne se rappelle qu'avec terreur, voici quelle a été la progression des prix du froment :

Janvier 20 francs l'hectolitre.

Février 23

Mars 23

Avril 27

Mai 26

Juin 28

Juillet 29 50

Août 30

Septembre 41

En octobre, époque du battage, le prix retombr à 37 fr., ce qui est à peu près le prix actuel.

Novembre 38 francs.

Décembre 38

Janvier 40

Février 42

Mars 41

Avril 47, et à la fin du mois 52 fr.

Mai, 54 fr. ; le 31 mai 56 fr.

Juin 58 et le 14 juin 59 fr. l'hectolitre.

Mais remarquez, messieurs, que les grains dont je viens de faire connaître la cote, étaient ceux de la dernière qualité, c'étaient des grains germés, dont encore l'administration forçait la mercuriale en perte. Quant au grain mangeable, je le répète, il se vendait 82 et 84 francs.

Eh bien, messieurs, dans cette année désastreuse, à l'époque qui correspond à celle où nous sommes, au mois de novembre 1816, les prix étaient, à 1 fr. ou 2 près, ce qu'ils sont aujourd'hui. Faut-il, messieurs, en présence d'une pareille calamité, suivre la maxime : laissez faire, laissez passer ? En présence de la situation actuelle, ne rien faire serait un crime.

Je prends les documents fournis par le gouvernement lui-même et je prouve à la dernière évidence que des mesures énergiques, promptes efficaces sont indispensables.

L'honorable M. Vermeire a déjà donné lecture, tout à l'heure, d'une pièce que je voulais citer, c'est la lettre de la chambre de commerce d'Anvers imprimés dans les documents fournis par le gouvernement.

Cette lettre, messieurs, qu'on ne saurait jamais assez relire, dit dans les termes les plus clairs, sans toutefois prononcer le mot, que la prohibition des grains à la sortie est une nécessité publique. Cette lettre porte la date du 20 octobre dernier, et permettez-moi de vous en citer quelques passages, car on ne saurait trop y réfléchir. La chambre de commerce vous dit :

« Le résumé de tout ce qui précède est que la production intérieure (veuillez-le remarquer, messieurs, la production intérieure, et c'est la chambre de commerce d'Anvers qui parle) doit franchement venir en aide. (Il faut donc que ce soient les grains du pays et non pas les grains étrangers.) On doit souhaiter avant tout, ajoute la chambre de commerce, que d'autres pays ne viennent pas fréquenter nos marchés. »

Eh bien, messieurs, que signifient ces paroles ? C'est évidemment qu'il ne faut pas laisser les grains sortir du pays pour aller à l'étranger. Ce passage tranche la question de savoir si la mesure que je propose peut, oui ou non, nuire au commerce. La chambre de commerce de notre métropole, mue par un haut sentiment de patriotisme auquel je m'empresse de rendre hommage, vous dit qu'il faut empêcher l'étranger de venir enlever les grains sur nos marchés, que c'est le seul moyen d'empêcher la disette pendant l'hiver. Et remarquez-le bien, messieurs, c'est pendant l'hiver que nous devons surtout craindre la disette : en hiver les ports du Nord sont fermés par les glaces et alors quelle réserve aurez-vous ? Quel moyen d'y faire face ? Mais si, dans une pareille situation, vous laissez sortir les grains du pays, vous exposez vos populations à toutes les misères possibles, et la paix publique aux plus terribles vicissitudes.

On me dit : Mais laissez-nous exporter les grains du pays, nous vous en donnerons d'autres à meilleur marché. Je concevrais, messieurs, cet argument si nous avions assez de grains pour notre consommation, si nous étions dans l'abondance, si nous étions certains de recevoir ensuite autant de céréales que nécessitent les besoins du pays ; mais le déficit est évident, il est constaté par le gouvernement lui-même ; nous manquons de grains pour plusieurs mois ; dans une pareille situation, je demande s'il est possible d'appauvrir ainsi les faibles quantités que nous possédons, de se préoccuper du sort des exportateurs au détriment des consommateurs ? Ce qui doit nous préoccuper, c'est le sort de nos populations ; ce que nous devons avoir à cœur avant tout, c'est d'empêcher que la faim publique ije vienne exercer ses ravages dans le pays.

Que m'importe, à moi, la perturbation que la prohibition des grains à la sortie peut porter dans les opérations d'exportation de tel ou tel spéculateur, lorsque je vois la perturbation effrayante pour tout le pays, qui serait le résultat du rejet de la mesure que je propose ?

L'honorable préopinant me dit : « Que craignez-vous ? Il y a toujours une sorte d'équilibre qui s'établit. » Je le sais, messieurs, c'est là toute la théorie du libre échange. La théorie du libre échange, savez-vous ce que c'est ? C'est l'application aux hommes de cette loi physique que l'eau prend toujours son équilibre. Eh bien, messieurs, si cela est incontestable en physique, cela est complètement faux quand on l'applique à l'humanité. Allez donc dire à nos ouvriers : « L'eau prend toujours son équilibre, par conséquent vous allez être pendant un mois sans pain, nous l'exporterons à l'étranger ; mais vous aurez deux fois plus de pain le mois suivant. » Eh bien, messieurs, voilà la théorie du libre échange. Voilà l'équilibre dont parle l'honorable M. T'Kint de Naeyer.

M. T'Kint de Naeyer. - Je n'ai rien dit de semblable. J'ai dit qu'il est impossible d'avoir des prix peu élevés en Belgique quand vous avez des prix élevés dans les pays voisins.

M. Dumortier. - Je réponds à l'équilibre dont vous avez parlé. Je dis que cet équilibre est vrai en physique, mais qu'il est impossible de dire à nos ouvriers : Vous serez sans pain pendant un mois, mais vous aurez deux fois plus de pain le mois suivant.

L'honorable M. Osy a dit que, depuis le mois d'août, il avait été importé en Belgique 550,000 hectolitres de grains. Je ne suis nullement d'accord sur ce point avec l'honorable membre. Je tiens en mains le tableau qui a été remis à la commission d'adresse par M. le ministre de l'intérieur et qui est inséré à la page 66 des annexes du projet de loi en discussion.

Ce tableau présente des chiffres qui au premier abord peuvent fasciner les yeux ; on y lit que depuis le 1er janvier jusqu'à la fin d'octobre, il est entré en Belgique 84 millions de kilogrammes de froment, 33 millions de kilogrammes de seigle, etc.

Ces chiffres en apparence très élevés, des millions, cela fascine, mais n'est qu'une fascination ; ainsi, quand on vous parle d'une importation de 84 millions de kilogrammes de froment, cela fait simplement un million d'hectolitres. Le chiffre éblouit, mais quand on va au fond des choses, il ne reste rien.

Mais dans ces chiffres élevés, faut-il tenir compte de tous leurs éléments ? Messieurs, cela est impossible. Quand, à propos de la disette de la dernière récolte, M. le ministre de l'intérieur vient dire qu'il est entré 5 millions de kilogrammes de froment en janvier, 4 millions en février, 5 millions en mars, 7 millions en avril, 9 millions en mai, qu'est-ce que cela fait pour les besoins de la consommation actuelle ? Mais ce qui est entré en Belgique dans les premiers mois de l'année, est consommé depuis longtemps ; il a été consommé pour faire face au déficit de l'année précédente ; évidemment vous ne pouvez pas en tenir (page 73) compte pour combler le manquement de l'année actuelle ; pour arriver à ce point, il faut prendre ce qui est entré en Belgique depuis le 1er août dernier, c'est-à-dire depuis la récolte de cette année, et ce qui en est sorti depuis la même époque. Voilà la seule manière d'argumenter logiquement. Eh bien ! examinons les chiffres des entrées et des sorties depuis la fin de juillet.

Je trouve qu'il est entré en Belgique, pendant les mois d'août, de septembre et d'octobre 35,921,493 kilog. de froment, et 10,193,863 kilog. de seigle ; ce qui fait 46,115,356 kilog. ; mais durant la même période il est sorti de la Belgique quelque chose dont l'honorable M. Osy n'a pas parlé : il est sorti en froment, 5,294,486 kilog., et en seigle, 5,374,660 kilog. ; ce qui fait un total de 10,669,149 kilog., de manière que les entrées, défalcation faite des sorties, forment un total de 35,444,210 kil.

Maintenant divisons les grains par catégories. Ce qui est resté dans le pays, en froment, est 30,627,007 kilog. ; et en seigle, 4,819,203 kil.

Réduisant en hectolitres, à raison de 80 kilog. par hectolitre pour le froment et de 75 pour le seigle, les quantités de froment et de seigle restées en Belgique, je trouve pour le froment resté dans le pays un chiffre de 382,837 hectolitres, et pour le seigle, celui de 64,256 hectolitres ; total, tant en froment qu'en seigle 447,193 hectolitres.

Voilà le chiffre réel de nos importations d'après les tableaux fournis par le gouvernement lui-même.

Mais il est un point sur lequel j'appelle toute votre attention ; c'est qu'on n'a pas compté le sarrasin qui est la nourriture des provinces les plus pauvres ; eh bien, il est entré 119,775 kilog. de sarrasin et il en est sorti 1,186,045 kilog.

Je ne connais pas exactement le poids d'un hectolitre de sarrasin ; le sarrasin pèse moins que le froment...

- Des membres. - Soixante-trois kilogrammes.

- D’autres membres. - Cinquante-cinq.

M. Dumortier. - On varie sur le poids ; quoi qu'il en soit, il y a là environ 15,000 hectolitres qui sont sortis du pays au-delà de la quantité qui y est entrée.

En définitive, nous avons 430,000 hectolitres qui sont restés en Belgique, et c'est avec cet excédant qu'on veut faire face aux besoins de la consommation actuelle !

Voilà ce que le commerce a produit, il n'a pas produit davantage. Qu'est-ce donc que 430,000 hectolitres ? La statistique vous apprend, et l'honorable M. T'Kint de Naeyer vient encore de le rappeler, que l'on consomme annuellement en Belgique 3 hectolitres de grain par individu.

La population de la Belgique est de 4,400,000 habitants, cela fait 13 millions d'hectolitres de grain qu'il faut à votre consommation. Il vous faut donc onze cent mille hectolitres par mois ; eh bien, qu'est-ce que 430,000 hectolitres ? C'est un peu plus que le tiers de onze cent mille hectolitres ou de la consommation d'un mois.

Je le répète, c'est là tout ce que le commerce a produit depuis le mois de juillet ; le commerce auquel vous voulez sacrifier la nourriture du peuple, le commerce a importé du grain pour la nourriture de douze jours ! Et voilà sur quel résultat il faudrait se fier pour préserver le pays des maux de la famine, alors que le manquement de la dernière récolte équivaut à plusieurs mois de nourriture.

On nous dit que si nous prohibons la sortie des grains, il ne nous en arrivera plus de l'étranger ; le commerce, ne se fera plus. Oh ! messieurs, soyez sans inquiétude à cet égard ; le bénéfice est trop beau pour que le commerce renonce à importer du grain ; le commerce se fera toujours, parce qu'il y trouve bénéfice ; il fera toujours bien ses affaires, mais nous ne voulons pas qu'il les fasse aux dépens des enfants du pays.

Ne croyez pas, au surplus, que la prohibition des grains à la sortie soit de nature à élever les prix, comme on nous le donne à entendre. Mon honorable ami, M. Vermeire, l'a dit tout à l'heure, la sortie des grains est prohibée en France ; et les grains sont à deux francs meilleur marché en France qu'en Belgique. Et pourquoi donc ? C'est que dans le cas où nous nous trouvons, quand la disette est imminente, quand le manquement est considérable dans la récolte, si vous permettez la libre sortie des céréales, chaque fermier se fait spéculateur et vous amenez la hausse au lieu du bon marché pour vos enfants.

Je sais que l'on va me dire que si les grains sont à plus bas prix en France qu'en Belgique, c'est un motif pour ne pas prohiber le grain à la sortie. Mais si le grain est aujourd'hui 2 fr. plus cher en Belgique qu'en France, il y a un mois il était trois francs moins cher chez nous que dans ce pays ; alors les exportations ont été considérables.

Qui vous dit que demain pareille chose ne se représentera pas, que demain le grain sera de 3 francs meilleur marché qu'en France ? On profitera de ce moment pour exporter tous les grains de la frontière et vos populations seront livrées aux chances de la spéculation. Je ne conçois pas qu'un corps législatif envoyé ici par le peuple pour assurer sa prospérité, puisse abandonner la population du pays à toutes les chances, à tous les hasards de la spéculation.

J'ai entendu dire encore que la prohibition à la sortie pourrait nuire au commerce. En quoi donc l'amendement que j'ai proposé pourrait-il nuirea u commerce ?

Peut-il avoir pour effet d'entraver le commerce avec l'étranger ? Ignorez-vous donc que le commerce a toujours l'entrepôt d'Anvers et l'entrepôt fictif qui n'entraînent aucun embarras et lui permettent d'exporter tout ce qu'il a introduit ? Qu'il a encore les chemins de fer et toutes les portes ouvertes pour le transit ? Ici je regrette de ne pas être d'accord avec l'honorable M. Osy, en ce que je ne permets pas au commerce de spéculer sur les grains du pays.

Je ne puis permettre qu'on puisse enlever nos grains en un moment ; la nourriture du peuple deviendrait bientôt de plus en plus rare et les malheurs seraient de plus en plus près de nous.

Messieurs, je prends acte ici des aveux de nos honorables adversaires. Que vous a dit l'honorable M. T'Kint ? Les moyens de transport font défaut ; l'élévation du fret est uu embarras. Comment ! quand vous reconnaissez que les moyens de transport font défaut, que l'élévation du fret est un obstacle aux arrivages, vous ne vous occupez que des intérêts du commerce d'exportation des grains et vous ne songez pas à ce pauvre peuple qui doit payer son pain 45 centimes le kilogramme ! Que me fait à moi le commerce d'exportation de nos grains en pareille circonstance ? C'est l'intérêt du peuple qu'il faut voir ! « Salus populi suprema lex esto ! »

Messieurs, je propose donc à la chambre de prohiber à la sortie les grains déclarés en consommation. En décrétant cette mesure, vous remplirez le vœu de tous vos mandataires, vous ferez ce que tout le peuple belge demande de vous. Vous ne nuirez en rien au commerce ; ne pouvant pas spéculer sur le grain de l'intérieur, il se livrera exclusivement et avec plus d'activité à la spéculation sur le grain étranger.

En prohibant la sortie de vos grains vous empêcherez l'agiotage à l'intérieur, et l'étranger de vivre aux dépens de notre pays ; vous rendrez un grand service à la chose publique. Mais tout ne sera pas fait encore : il y a encore des mesures imminentes à prendre : il ne m'est pas démontré que le commerce suffit pour assurer nos approvisionnements ; mais ces mesures c'est au gouvernement à les provoquer. Je ne veux pas anticiper sur lui.

Messieurs, nous avons un grand devoir à remplir ; le pays entier le réclame à grands cris : la prohibition de sortie des céréales et le pays a raison. Dans ces graves circonstances il y a quelqu'un qui a toujours plus de raison que chacun de nous et ce quelqu'un c'est tout le monde.

Or, tout le monde réclame la prohibition de sortie des grains, j'espère que la chambre ne fera pas défaut à l'amendement que j'ai proposé à cet effet.

M. T'Kint de Naeyer. - Je demande la parole pour un fait personnel.

Je crois devoir rectifier certaines paroles échappées sans doute à l'honorable préopinant dans la chaleur de l'improvisation.

Il m'a représenté comme voulant imposer au peuple des privations plus grandes encore que celles dont il souffre aujourd'hui.

Mes discours dans la discussion de la loi libérale de 1850 sur les denrées alimentaires, tous mes votes depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinle me mettent à l'abri de pareilles accusations.

L'honorable moindre a cité très inexactement d'autres passages de mon discours. Je m'en expliquerai lorsque j'aurai de nouveau la parole.

M. Dumortier. - De toutes les personnes qui m'ont entendu, aucune n'a pu tirer de mes paroles la conclusion que vient d'énoncer l'honorable M. T'Kint. L'honorable membre a posé un axiome de l'équilibre. J'ai répondu à cet axiome, mais il a été bien loin de ma pensée de prétendre qu'on pourrait appliquer à cet honorable membre non plus qu'à personne la portée qu'il vient de donner à mes paroles. Je dois donc protester contre une pareille portée en tant que, contre ma pensée, quelqu'un aurait pu leur donner. J'ai parlé de nivellement au point de vue physique et économique, rien de plus.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot) commence un discours que l'heure avancée l'oblige d'interrompre. (Nous publierons le discours tout entier dans le compte rendu de la séance du 24.)

(page 53) >M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). Messieurs, le projet de loi que nous avons eu l'honneur de vous soumettre n'a pas d'adversaires dans ses dispositions principales, du moins jusqu'à présent. Nous n'avons à rencontrer, comme élément de discussion, qu'un amendement déposé par l'honorable M. Dumortier relatif à la prohibition de la sortie des grains. Cet amendement, le gouvernement vient le combattre.

Personne ici ne veut affamer le peuple, comme on vient de le dire avec si peu de raison. Personne n'a l'intention de diminuer les ressources que le pays offre à la population par ses propres produits.

Tous, quels que soient les dissentiments d'opinion, nous n'avons qu'un but : augmenter nos approvisionnements ; influer, si possible, sur le prix des grains afin de faciliter au peuple son alimentation. S'il y a opposition de vues, c'est uniquemeut sur les moyens d'obtenir ce grand résultat que le gouvernement est le premier à poursuivre par tous les moyens qu'il a à sa disposition.

Mais en recherchant avec vérité les moyens de combattre la crise, il faut procéder avec calme, et il faut surtout se déterminer par une saine appréciation des faits.

Le système de liberté commerciale inauguré en 1850 a produit des résultats qui le rendent rccommandable, et c'est parce qu'il a maintenant pour lui l'autorité des faits que nous espérons qu'il triomphera de nouveau devant vous.

Nous croyons que l'amendement qui propose la prohibition de la sortie des céréales compromettrait gravement les avantages que le pays retire de la libre entrée. C'est là son principal défaut.

Un fait capital domine toute cette discussion : c'est la nécessité de procurer au pays un approvisionnement suffisant.

Un second fait auquel je prie la chambre et surtout les partisans de l'amendement de l'honorable M. Dumortier, de vouloir bien être attentifs, c'est que la Belgique, par sa production, se trouve toujours en présence d'un déficit normal de 500,000 hectolitres environ. Ce déficit s'accroît en 1853 du manquant extraordinaire que la récolte de cette année nous a fait éprouver ; et ce double déficit s'élève à 1,600,000 hectolitres environ que nous devons nous procurer. C'est un fait qui ne peut être méconnu, et qui doit nous éclairer dans l'emploi des moyens à la recherche desquels nous sommes en ce moment.

Quels sont ces moyens ? Le gouvernement n'en connaît qu'un seul, c'est de demander au commerce ce qui manque au pays dans ses approvisionnements.

Ici commence le dissentiment. Les uns disent : Conservons d'abord ce que nous avons ; n'en permettons pas la sortie, et nous demanderons le reste au commerce. C'est la pensée qui a inspiré l'amendement de l'honorable M. Dumortier. Les autres disent : Laissez entrer, mais aussi laissez sortir, parce que la libre sortie est la condition d'une entrée plus abondante.

Le système consistant à conserver pour nous-mêmes, sans permettre qu'on vienne l'acheter chez nous, une partie de la récolte, serait bon pour un pays qui pourrait suffire à ses besoins.

Si la Belgique possédait de quoi suffire à sa consommation, je comprendrais ce système. Mais en présence de cette nécessité d'approvisionnements que nous impose le déficit normal de notre récolte, déficit auquel le commerce peut seul pourvoir, il faut bien reconnaître que ce système ne peut être employé isolément, qu'il doit être combiné avec les arrivages que nous attendons de l'étranger.

A quelles conditions le commerce nous les procurera-t-il ? A des conditions de liberté et de protection qui lui permettent de placer avantageusement ses produits en Belgique.

C'est évident. Sous ce rapport, la Belgique est obligée de regarder autour d'elle, de demander ce que font les nations voisines, par exemple l'Angleterre ; et comme, en Angleterre, on jouit d'une liberté illimitée sous le rapport de l'entrée comme de la sortie, il est évident que si la Belgique n'offre pas des conditions égales, les arrivages s'adresseront exclusivement à l'Angleterre, et seront nuls dans les ports de Belgique.

Le commerce veut une liberté absolue, et les faits confirment que cette liberté produit des avantages certains. Voyez en effet ce qui s'est passé, pendant que le commerce est entièrement libre. L'honorable M. Dumortier a dit qu'il ne fallait pas prendre pour règle, en fait d'importation, tout ce qui avait été importé en 1853. Je l'avoue jusqu'à un certain point. Mais il reconnaîtra qu'il faut faire état de l'accroissement considérable des importations depuis que le commerce des grains a été affranchi de toute entrave par le gouvernement. Eh bien, les tableaux officiels attestent que, depuis cette époque, les importations ont été beaucoup plus abondantes.

Les mois de septembre et d'octobre réunis accusent un excédant d'importation de plus de 26 millions de kilog. en froment seulement.

M. Dumortier. - Vous ne contestez pas mes chiffres.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je ne conteste point. Je cherche à établir les faits.

Voyez l'effet de la libre entrée des grains pour le mois de novembre. Les importations du mois de novembre jusqu'au 15 se sont élevées à près de 7 millions de kilogrammes. Les exportations à 2,500,000 kilog. N'y-a-t-il pas là encore un boni considérable au profit de l'importation ?

Voilà ce que produit le régime de la liberté absolue du commerce des grains. Au point de vue de l'approvisionnement du pays, aucun autre ne produit des résultats aussi complets.

Examinons maintenant les conséquences de l'amendement que nous discutons, en ce qui concerne l'approvisionnement du pays, et n'oublions pas que nous devons nous procurer, à l'aide du commerce, au moins 1,600,000 hectolitres.

Quel est le but de ceux qui demandent la prohibition à la sortie des grains indigènes ?

C'est évidemment de favoriser l'approvisionnement du pays.

Ils espèrent aussi une baisse dans le prix.

Cet espoir, je le crois chimérique, car, en présence d'un déficit dans la récolte, les prix tendent toujours à s'élever et surtout à ne pas descendre au-dessous de ceux des marchés voisins.

Mais enfin je suppose qu'à l'aide d'une prohibition, ils provoquent pendant quelque temps une baisse que j'appellerai factice. Auront-ils, fait quelque chose pour combler le déficit ?

Nullement ; car le commerce qui peut placer ailleurs ses produits à un prix plus élevé, ne viendra pas nous les offrir à un taux réduit, quelque légère que soit la différence. Il ne viendra pas, surtout si l'on considère que la seule crainte d'une baisse produite par la défense d'exportation, suffit pour faire naître les appréhensions du commerce.

Et le déficit ne se comblera pas. Nous n'obtiendrons pas les 1,000,000 hectolitres qui nous manquent.

Le but principal de la prohibition sera donc manqué, jusqu'au moment où les prix de Belgique se nivelant avec ceux des marchés où le commerce est entièrement libre, les importations reprendront leur cours normal.

Ce n'est donc pas la peine de prohiber, et vous devez reconnaître que la mesure qui consiste à défendre la sortie des grains ne convient qu'à un pays qui produit assez pour ses besoins, et nullement à celui qui est obligé de dépendre du commerce pour s'approvisionner en partie au-dehors.

Le prix général des marchés qui nous entourent est donc la règle à consulter, et la baisse artificielle résultant d'une prohibition, en supposant qu'elle se vérifie, est impuissante à produire les résultats que vous en attendez.

M. Dumortier. - La conséquence est que les prix doivent encore hausser.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je n'en sais rien; mais il me paraît évident que dans la situation où se trouvent les principaux marchés de l'Europe, il n'est pas possible d'obtenir en Belgique des prix qui diffèrent sensiblement de ceux que le commerce rencontre au-dehors.

Quoi que vous fassiez, aussi longtemps que vous aurez un déficit à combler, vous n'obtiendrez pas de baisse un peu sensible dans le prix des grains en Belgique, comparé à celui des autres pays ; mais vous aurez éloigné le commerce par le seul effet de la crainte d'une baisse momentanée et artificielle, comme aussi par la perspective des entraves dont la défense d'exporter est accompagnée pour ceux qui veulent, à la faveur de l'entrepôt, se ménager la faculté de sortir.

Et quelle sera votre situation quand vous auroz prohibé la sortie ; lorsque d'une part vous aurez rendu les approvisionnements plus difficiles, et que d'autre part, vous n aurez pas même obtenu une baisse notable dans les prix, ce qui est aussi le but essentiel de vos efforts ?

Vous n'aurez rien fait de véritablement utile sous ce dernier rapport, et vous aurez un déficit à combler dans les approvisionnements. C'est-à-dire que, le déficit subsistant, vous arriverez à une époque où nos grains indigènes considérablement diminués ou épuisés, nous aurons une disette au lieu d'une cherté. C'est un résultat inévitable puisque les arrivages de l'étranger auront fait défaut. C'est alors qu'on aurait des motifs pour dire que la législation qui produit de semblables conséquences n'est bonne qu'à affamer le peuple.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il n'y a là dedans rien de personnel. Je présente des appréciations que tout le monde peut accepter, parce qu'elles sont inspirées par l'examen des faits.

M. Dumortier. - Je n'ai pas dit que vous affamiez le peuple ; mais maintenant je vous le prouverai.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'espère que vous ne le prouverez pas, d'autant plus que nous ne sommes pas en présence d'une disette qui nous exposera à affamer le peuple. Mais je répète que par l'impossibilité où, avec votre système, vous auriez placé le pays de trouver des approvisionnements suffisants, vous seriez en présence d'une disette.

Messieurs, ces réflexions m'amènent à dire un mot de la comparaison qu'on a fatle tantôt entre les événements de 1816 et de 1847, et ceux de l'époque actuelle. On a dit : A ces époques les grains sont arrivés à des prix fabuleux, ils sont arrivés à 50, à 80 fr. l'hectolitre dans quelques localités. Ces prix sont peut-êlte des prix empruntés à une localité ; mais ils ne sont pas ceux que les documents officiels accusent. Mais n'importe ; les prix étaient excessivement élevés en 1816.

En 1847, les prix sont également arrivés à un taux exorbitant, à 41 fr. l'hectolitre en moyenne. Nous ne sommes pas encore là heureusement, et j'espère bien qu'on n'y arrivera pas. Ce qui se passe sur les principaux marchés de l'Europe tend à faire croire à un abaissement des prix.

(page 54) Eh bien ! qu'est-il arrivé à ces époques de calamité de 1816 et de 1847 ? Quelle législation aviez-vous à cette époque ? Vous aviez une législation prohibitive.

M. Rodenbach. - Pas en 1816.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Pardonnez-moi, et en 1847, vous ne pouvez le nier, vous viviez sous une législation prohibitive. Or, les grains sont arrivés à des prix au-delà du taux actuel. Nous pourrions donc dire, avec assez de fondement à ceux qui prétendent qu'une législation libérale tend à créer une disette : C'est à la législation prohibitive de 1816 et de 1817 qu'il faut bien plutôt attribuer ces résultats.

Il suit de là d'abord que la prohibition à la sortie des grains est une mesure essentiellement contraire aux intérêts de l'approvisionnement du pays; et je défie que l'on conteste ce fait en présence des intérêts du commerce, qui fuit les pays de prohibition, et qui, quoi que vous fassiez, se portera toujours vers les pays où les prix sont les plus favorables, li suit en second lieu de cette observation, que l’abaissement des prix que l'on veut obtenir sur les grains par l'emploi de la mesure de la prohibition, est une véritable chimère, et serait, si même il se réalisait momentanément, en opposition avec les chances d'arrivages de grains étrangers.

Mainenant, messieurs, que reste-t-il à faire ? Il ne reste autre chose à faire que de se rallier aux mesures qui ont produit jusqu'ici de bons résultats. Il reste à attirer les grains étrangers par tous les moyens possibles, au lieu de les éloigner par des entraves. Il reste ensuite à attendre que la situation générale des marchés étrangers s'améliore ; et il y a des indices favorables, qui permettent d'espérer un abaissement prochain dans les prix des grains : sur la plupart des marchés français il vient de se déclarer une baisse assez sensible.

Une chose qu'on ne peut pas méconnaître, messieurs, c'est que sous le régime de la liberté absolue du commerce des grains vous n'avez pas à craindre pour l'approvisionnement du pays ; mais ce serait une véritable erreur que d'espérer des conditions meilleures que celles des nations qui nous entourent. Cela n'est pas possible ; et si l'on veut y réfléchir de bonne foi, avec calme surtout, on le reconnaîtra sans peine.

(page 43) >M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, je tiens à réfuter une seule assertion : j'ai entendu alléguer dans la discussion, par ceux, qui soutiennent l'amendement de M. Dumortier, que les grains sont moins chers en France et plus chers en Angleterre que chez nous ; eh bien, messieurs, c'est tout l’inverse : je tiens en mains les mercuriales du mois de novembre, et les prix sont, dans les trois pays, en raison de la stabilité de la liberté du commerce, c'est à dire qu'ils sont le moins élevés à Londres, le plus élevés en France et que nous tenons le milieu entre ces deux pays.

M. Rogier. - Je demande que M. le ministre des finances veuille bien nous fournir, à l’ouverture de la séance de demain, les chiffres qu'il possède à cet égard.

- Un membre. - Il pourrait les faire imprimer.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je les donnerai au Moniteur.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.