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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 8 décembre 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 181) M. Maertens procède à rappel nominal à 1 heure et un quart.

M. Ansiau lit le procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Des cultivateurs d'Hever et d'Hofstade demandent une loi qui permette aux établissements publics d'affermer leurs biens ruraux pour 18 années et au-dessous, et qui assure au fermier sortant une indemnité du chef des engrais et amendements laissés par lui dans la terre qu'il est forcé d'abandonner. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« M. Verhaegen, retenu chez lui par une indisposition, demande un congé de trois jours. »


« M. Van Remoortere, retenu chez lui, pour le même motif, demande un congé de 8 jours. »


« M. de Breyne, empêché aussi par la même cause, demande un congé jusqu'à ce que sa santé soit rétablie. »

- Ces congés sont accordés.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1854

Rapport de la section centrale

M. Dumon. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le budget de la guerre pour 1854.

- Ce rapport sera imprimé et distribué ; le jour de la discussion sera ultérieurement fixé.

Rapport sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, les bateliers des bassins de la Sambre et de la Meuse demandent une diminution des droits de péage et la réduction du droit de leur patente au taux uniforme de la deuxième classe.

Les pétitionnaires soutiennent que l’établissement des chemins de fer de Namur à Liège et à Bruxelles leur cause un préjudice incalculable, et a fait baisser les prix de transport tandis que leurs charges restent les mêmes.

Votre commission, considérant que la question de savoir : si un chemin de fer peut soutenir une concurrence sérieuse contre le transport par voie navigable, est encore fort problématique et quoique les plaintes des pétitionnaires lui aieut paru peu fondées, voulant d'autre part que justice leur soit faite pleine et entière, a l'honneur de vous proposer le dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics et le renvoi à MM. les ministres des finances et de la justice.

M. Lelièvre. - Je considère la demande des pétitionnaires comme parfaitement fondée. C'est pour ce motif que j'appuie les conclusions de la commission qui sont parfaitement justifiées.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, des négociants, fabricants et industriels de Ruppelmonde, de Tamise et de Boom, demandent que les péages du canal de Charleroi et de la Sambre soient mis en harmonie avec ceux des autres voies navigables, et qu'en attendant la mise à grande section du canal de Charleroi à Bruxelles et l'approfondissement de la Sambre au même tirant d'eau que le canal de Charleroi, ils soient réduits sur le canal à petite section de Charleroi à Bruxelles, à 40 centimes pour tout le parcours, et sur la Sambre canalisée à deux centimes par tonne-lieue pour toute destination.

Les pétitionnaires font valoir à l'appui de leur demande plusieurs considérations et s'attachent surtout à rencontrer et à combattre les observations contraires de leurs concurrents, les exploitants de mines du couchant de Mons.

Votre commission, considérant que la discussion de ce rapport serait en ce moment pour la Chambre une perte de temps réelle ; considérant que la discussion du budget des travaux publics est portée à son ordre du jour actuel et que cette discussion trouverait mieux sa place à l'article 14, Canal de Charleroi à Bruxelles, de ce budget, a l'honneur de vous proposer le dépôt sur le bureau pendant cette discussion ainsi que le renvoi de ces pétitions à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi sur les brevets d’invention

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il aux amendements proposés par la section centrale ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je ferai connaître dans le cours de la discussion les dispositions auxquelles le gouvernement peut se rallier.

M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, la Chambre sait que ce projet est à l'étude depuis assez longtemps, et qu'il a été renvoyé de la dernière session à la session actuelle, afin de laisser au gouvernement le temps d'examiner jusqu'à quel point il serait possible de simplifier la discussion et de se mettre d'accord avec la section centrale.

Le temps accordé par la Chambre à la discussion de ce projet n'a pas été inutile, et a été, au contraire, employé de telle manière, qu'aujourd'hui les dissentiments qui pourraient encore exister sont renfermés dans un cercle fort étroit, et que sur la plupart des cas le gouvernement et la section centrale sont parfaitement d'accord.

Cela n'empêche que dans une matière aussi importante et j'ajouterai aussi spéciale il paraît utile d'exposer, dès le début, dans la discussion générale, les principes qui ont guidé le gouvernement dans les propositions soumises à la Chambre, ainsi que dans les modifications récentes qu'il a cru devoir apporter au projet primitf.

Il y a, messieurs, dans ce projet de loi deux grands intérêts à protéger : c'est d'abord l'intérêt des inventeurs qui ont droit à jouir du produit de leur invention ; en second lieu l'intérêt du travail national, qui se confond avec l'intérêt de la société, à faire usage des découvertes publiées.

C'est, messieurs, à la conciliation de ce double intérêt social et privé que doit s'attacher le législateur.

Tout le monde est d'accord que l'inventeur a droit à une rémunération, à une protection efficace pour prix de la découverte qu'il offre à la société. Tout le monde convient aussi que la rémunération (je me sers du mot le plus général possible) doit être garantie par l'Etat à l'inventeur.

Mais en quoi consiste cette protection ? Jusqu'où s'étendra la rémunération qui doit être offerte à l'inventeur ? Cest là, messieurs, que pour quelques esprits le dissentiment a existé.

Les uns, mais ils sont très peu nombreux, assimilent la pensée, l'intelligence de celui qui invente à un domaine susceptible d'être possède matériellement, d'être possédé au même titre, par exemple, qu'une propriété ordinaire, qu'un champ, qu'un meuble. Les partisans de ce système de propriété réclament pour l'inventeur un droit de protection absolu, incommutable, à l’objet sur lequel porte son invention.

Les attires, au contraire, ne voient dans une invention utile à la société, qu'un accident heureux dont la société a le droit de jouir, lorsque la découverte passe dans le domaine des faits publiés, mais pour lequel aussi la société doit assurer à l'inventeur une protection et une rémunération équitables.

Les premiers, les partisans du droit de propriété absolu, ont inventé ce que vous connaissez sous le nom de « monautopole », c'est, en réalité, une sorte de confiscation au profit d'un seul homme, des dons de l'intelligence que Dieu a départis à tous et de l'instruction que la société a voulu répandre dans les masses ; non pas au profit d'un seul homme, mais au profit de tous.

Cette théorie du monautopole s'est produite sous le patronage du droit de propriété. C'est au nom du droit de propriété qu'on l'a introduite, et comme il n'est pas de droit plus respectable chez les nations civilisées, que le droit de propriété, cette théorie du monautopole a pu, je le reconnais, faire quelques instants illusion aux personnes qui ne s'occupent de cette matière que d'une manière superficielle.

Cependant, messieurs, hâtons-nous de reconnaître que cette théorie n'est pas parvenue à faire école. Les hommes les plus sérieux l'ont combattue, tant au point de vue philosophique et moral, qu'au point de vue de l'intérêt social. Ils ont démontré la fausseté du système du monautopole aussi bien en droit qu'en équité. Vous savez, comme moi, qu'aucune nation ne l'a admise.J e n'en parle donc ici, messieurs, qu'à titre de mention, et je crois devoir imiter sur ce point la sage réserve de la section centrale.

Mais en dehors des promoteurs du droit absolu à la propriété d'une invention, viennent, et, ceci est plus sérieux, les partisans d’une rémunération sociale. Ceux-ci, messieurs, accordent à l’inventeur une jouissance exclusive, mais limitée dans sa durée.

(page 182) Ce droit à un privilège exclusif et temporaire a été respecté chez toutes les nations. Il est depuis des siècles consacré par la législation de l'Angleterre. Il est consacré chez nous depuis à peu près un demi-siècle et chez la plupart des nations de l'Europe depuis le même temps.

Messieurs, ce droit à un privilège limité, temporaire, a été écrit pour nous dans la loi du 25 janvier 1817 ; et pour répondre à l'avance à ceux qui se plaindraient encore aujourd'hui de ce que la protection pour l'inventeur n'est pas suffisamment garantie, on peut répondre que le privilège inscrit dans cette loi, quoique limité, a produit d'excellentes résultats pour notre industrie nationale, et je ne veux d'autre preuve à l'appui de ma proposition que le nombre considérable et progressant chaque année, des brevets d'invention qui ont été accordés par le gouvernement.

Ainsi, par exemple, le nombre des brevets qui, à l'époque de la loi de 1817 étaient demandés dans une proportion infiniment petite (on a commencé par 12 brevets par an), a fini par atteindre au chiffre de 800 brevets que nous avons accordés en 1852 et en 1853 ; et par la progression observée depuis 10 ans au moins, il est démontré que notre industrie, que tous ceux qui s'occupent de la perfectionner par des inventions utiles, n'ont jamais été effrayés de cette prétendue insuffisance de protection qu'on a reprochée, selon moi, d'une manière très injuste, à la loi de 1817.

Cette loi a donc produit d'excellents résultats, malgré quelques imperfections :

Je dois ajouter, pour faire la part de l'administration, que les imperfections de la loi de 1817, successivement signalées par la pratique, ont été corrigées par le gouvernement, et qu'aujourd'hui nous avons, à peu d'exceptions près, en pratique obtenu dès à présent la plupart des améliorations que nous proposons d'inscrire d'une manière définitive dans la législation.

Le temps a paru arrivé de faire cesser les doutes qui existaient dans beaucoup d'esprits sur l'efficacité de quelques-unes des dispositions de la loi de 1817. Le projet en discussion est destiné à faire cesser ces doutes et à doter le travail national d'un véritable progrès législatif.

Ce projet repose sur deux principes.

Le premier, c'est le droit des inventeurs à profiter des produits de leur découverte. Le second principe, c'est le droit de la société à faire usage des inventions publiées. Quant aux inventeurs, le droit qui leur est attribué, personne ne le conteste. Ainsi que je l'ai déjà dit, l'étendue de ce droit a seule été mise en question.

Le projet ne reconnaît donc pas aux inventeurs des droits de propriété absolue, mais il leur accorde des droits exclusifs et temporaires. Il a pour lui l'autorité de l'expérience et l'exemple de tous les peuples qui s'occupent d'industrie et chez lesquels l'industrie prospère, à commencer par le peuple anglais.

Toutes les législations de l'Europe et de l'Amérique ont limité la durée du privilège. Est-il vraisemblable que toutes les nations se soient appliquées à consacrer ce qu'on n'a pas craint, dans un excès de zèle pour le droit de propriété intellectuelle, d'appeler une monstruosité, une spoliation exercée par la société au détriment d'un seul ? Vous ne le penserez pas, et vous direz probablement avec moi que cet accord de toutes les nations pour limiter la durée du privilège concédé à l'inventeur, est la preuve la plus certaine que la législation belge depuis 1817, et celle que vous allez mettre au jour, sont fondées sur les véritables principes du droit et de la morale.

Eu effet, la science et l'intelligence qui conduisent aux découvertes, ne sont en réalité la propriété exclusive de personne ; ce sont, comme je le disais tout à l'heure, des dons providentiels dont l'homme est admis à faire usage, mais qui ne lui appartiennent pas, comme une création personnelle, comme un héritage acquis à prix d'argent ou trouvé dans la succession paternelle.

Je n'en dirai pas davantage sur ce point. Ceux qui seront tentés d'approfondir le système du monautopole trouveront de longs développements à ce sujet dans un ouvrage très remarquable qui a été publié en France par M. Charles Renouard, conseiller à la cour de cassation et qui a eu deux éditions, et dans un travail non moins remarquable publié par la commission spéciale instituée par le gouvernement.

J'arrive directement aux droits que le projet assure à l'inventeur. La base de ces droits est dans la loi de 1817. On sait que la durée du privilège que cette loi institue ne dépasse pas le terme de quinze ans. Les brevets sont accordés pour cinq, dix et quinze années.

Quels sont les principaux griefs qu'on a reprochés à la loi de 1817 ? Il importe de bien les préciser, et d'indiquer les moyens à l'aide desquels le projet en fait justice.

D'abord sous le régime actuel, a-t-on dit, la concession des brevets est une chose facultative de la part du gouvernement.

Puisqu'elle est facultative, elle suppose un examen préalable. Au nom des inventeurs, on a réclamé l'octroi des brevets non plus comme une concession, mais comme un droit. Voilà un premier grief qu'on a reproché à la loi de 1817. Il fallait faire disparaître le caractère éphémère des concessions, et l'arbitraire qui pouvait se glisser dans l'appréciation de la matière soumise à l'octroi d'uu brevet.

Le projet rend la concession des brevets obligatoire ; c'est un premier pas dans la voie d une sage réforme. Désormais, le gouvernement n'aura plus à apprécier si la chose pour laquelle un brevet est demandé constitue réellement une invention, si c'est une nouveauté, si elle réunit tous les éléments nécessaires pour autoriser une concession. La concession est accordée ; mais si elle est accordée sans examen préalable, elle l'est aux risques et périls de celui qui demande le brevet. Il est évident que le gouvernement n'entend garantir en aucune façon soit la nouveauté, soit l'exactitude des descriptions, soit le mérite de l'invention, pour laquelle le brevet est demandé.

Ces observations rencontrent un amendement présenté par l'honorable M. Lesoinne, qui a pensé que la loi n'était pas assez explicite, parce qu'elle se borne à dire que les brevets seront accordés. Dans la pensée du gouvernement et de la commission, il résulte évidemment de la rédaction que l'absence d'examen préalable emporte avec lui l'idée que le gouvernement refuse toute responsabilité quant à l'invention.

Ainsi tout homme qui croira avoir fait une découverte, et qui demandera un brevet, sera désormais certain de l'obtenir. Il n'aura qu'à produire, conformément aux prescriptions de la loi, une demande claire contenant l ;énonciation de son invention.

En second lieu, on a reproché à la loi de 1817 de ne pas faire une part assez large aux inventeurs, quant à la durée du privilège. Un terme de 5, 10 ou 15 ans n'est pas assez long, dit-on, pour faire cesser l'espèce de spoliation qu'on peut reprocher à la loi. Le maximum actuel est de 15 ans, et en l'admettant, la loi de 1817 n'a consacré aucune injustice, puisqu'elle n'a fait que se conformer aux législations similaires dont elle a même admis le terme le plus long. Nulle part il n'est dépassé, excepté en Angleterre où le terme normal de 14 ans peut, dans des circonstances exceptionnelles, être porté à 21 ans par un bill du parlement. Le projet de loi fait droit au grief qui a été signalé en prolongeant la durée des brevets jusqu'à vingt ans.

On se plaignait en troisième lieu de l'énormité de la taxe imposée aux brevetés, et cela avec une apparence de raison ; car il n'arrive que trop souvent que les inventeurs ne sont pas riches. Ce n'est que par suite de leur invention, par un travail persévérant qu'ils espèrent arriver à la fortune.

La taxe exigée aujourd'hui varie de 217 francs à 1,580 francs ; le gouvernement a proposé un système qui non seulement a l'avantage de n'exiger qu'une taxe excessivement légère, mais qui, en outre, a celui de la proportionner anx avantages successifs que l'inventeur retire de l'objet de son brevet. Vous connaissez le mécanisme du projet ; je me borne à indiquer cette disposition.

En quatrième lieu on réclame des garanties plus complètes pour l'inventeur afin qu'il jouisse plus librement des avantages de sa découverte. Sous ce rapport le projet de loi consacre des améliorations importantes. La loi actuelle prononce la nullité du brevet quand l'objet breveté a été décrit ou indiqué dans un ouvrage antérieurement publié. Dans quelle proportion devait-on entendre que cet objet avait été décrit ou indiqué dans un ouvrage antérieurement publié ? Beaucoup de procès sont nés de l'insuffisance des termes de la loi de 1817.

On disait qu'il suffisait que l'objet breveté eût été indiqué d'une manière plus ou moins générale, pour que la déchéance du brevet fût prononcée.

La loi nouvelle sera plus précise, il faudra que la spécification complète et les dessins exacts de l'objet breveté aient été produits antérieurement à la date du dépôt dans un ouvrage ou recueil imprimé et publié, pour que l'auteur puisse être atteint par la déchéance. C'est donc une garantie précieuse que le projet donne à l'inventeur dans l'article 11.

Une autre amélioration consiste dans la faculté accordée à l'inventeur de faire saisir l'objet contrefait partout où il se trouvera.

En vertu de la loi de 1817, l'inventeur pouvait obtenir la confiscation de l'objet contrefait, mais il ne pouvait suivre cet objet chez un tiers qui, sans avoir commis la contrefaçon, était en possession de l'objet contrefait. Le projet permet à l'inventeur de suivre l'objet contrefait qui se trouve entre les mains d'un tiers, quoique étranger au fait de la contrefaçon.

Sous l'empire de la loi de 1817, la date de l'invention était celle de l'arrêté royal qui accorde le brevet.

On a fait remarquer que ce système peut donner lieu à des abus ; quand l'époque du dépôt de la demande et la date de l'arrêté sont séparées par un intervalle assez long, il peut arriver des cas où la priorité de l'invention serait usurpée par un individu qui, ayant déposé sa demande postérieurement, serait parvenu à obtenir une instruction plus ou moins rapide et la délivrance d'un arrêté royal avant celui qui a déposé le premier la demande du brevet.

Pour prévenir cet abus, le projet de loi reporte la date de l'invention au jour du dépôt officiel de la demande de brevet. Aucun doute n'est plus possible, aucune priorité ne peut plus être ravie à l'inventeur qui aura déposé sa demande au greffe du gouvernement provincial ou au commissariat d'arrondissement.

Une amélioration qui est encore d'un haut intérêt pour l'invention résulte du projet de loi.

Parmi les causes de déchéance prononcées par la loi de 1817 se (page 183) trouve le cas d'un inventeur breveté en Belgique qui irait se faire breveter à l'étranger. D'après la loi de 1817 cet inventeur perd à l'instant les droits qu'il avait conquis dans son pays par l'arrêté de concession du brevet.

Ce grief, il faut le reconnaître, était sérieux. Dans l'intérêt du travail national, il était désirable qu'on mît un terme à un abus aussi exorbitant. Ce grief devait être écarté. Il le sera par la nouvelle législation.

Les inventeurs trouveront dans la loi d'autres avantages. Ainsi leur découverte ne pourra plus être publiée que trois mois après l'octroi du brevet. Aujourd'hui les brevets sont soumis à l'inspection du public immédiatement après l'octroi.

Mais par une contradiction assez bizarre, quoique soumis à l'inspection du public, les brevets ne sont publiés que lorsqu'ils ont pris fin par l'expiration du temps pour lequel ils ont été accordés.

Messieurs, il est utile de tenir secret pendant quelque temps l'objet pour lequel un brevet est demandé, afin que l'auteur puisse aller à l'étranger, s'il trouve convenable de s'y faire breveter après qu'il l'aura été en Belgique.

Il pourra ainsi préparer à l'avance le succès de sa demande de brevet et il ne sera plus devancé par celui qui, par suite de la publicité qu'on aurait donnée au brevet, l'aurait gagné de vitesse, et se serait fait breveter au détriment du véritable inventeur.

Sous ce rapport c'est une amélioration extrêmement profitable à l'inventeur et recommandée à l'attention de la législature par les considérations de morale les plus déterminantes.

Il existe encore d'autres points qui constituent des améliorations dans la nouvelle législation.

Ainsi, la loi nouvelle simplifie les formalités préalables à l'obtention d'un brevet.

Aujourd'hui toutes les demandes de brevets doivent être déposées au greffe du gouvernement provincial. Nous avons cru qu'il fallait étendre les facilités accordées aux inventeurs ; ils pourront déposer leurs demandes aux commissariats d'arrondissement.

Enfin un avantage considérable pour ceux des inventeurs qui auront le malheur d'être engagés dans des procédures, résultera de la simplification des règles de procédure qui sont aujourd'hui observées. Les procès de genre exigent, comme vous le savez, une très prompte solution pour produire des résultats utiles à l'inventeur, sinon il est dépouillé par le fait avant que le juge prononce.

La loi nouvelle ordonne que toutes les causes dévolues aux tribunaux en cette matière seront instruites comme affaires urgentes ; c'est-à-dire qu'elles passeront avant toutes les autres.

Voilà quelles sont les améliorations principales que nous avons proposé d'introduire dans la loi au profit des inventeurs.

J'arrive aux changements qui sont introduits dans l'intérêt des tiers. Ils se résument plus spécialement dans les objets suivants.

Quant aux brevets d'importation : Un changement notable est proposé. Aujourd'hui, vous le savez, il n'y a pas de distinction entre les brevets d'invention et les brevets d'importation. Celui qui importe un objet breveté à l'étranger, est certain d'obtenir en Belgique un brevet d'importation. On ne se demande pas de qui est l'invention, qui est l'auteur de l'importation. Le fait d'introduire en Belgique une découverte brevetée à l'étranger suffit pour que le porteur de cette invention obtienne les honneurs et les avantages d'un brevet.

Messieurs, cette faculté d'assimiler les brevets d'importation aux brevets d'invention était contraire au principe sur lequel nous croyons que doivent reposer les privilèges en matière de brevets. D'abord il faut qu'il y ait nouveauté, invention réelle pour qu'on puisse avoir des titres à l'obtention d'un brevet d'invention ou d'importation. Or un objet pour lequel un brevet a été publié à l'étranger, mis en œuvre et exploité, est-ce un objet nouveau ? Avez-vous des motifs quelconques d'équité, d'intérêt du travail national, qui légitiment la concession d'un brevet d'importation, lorsque ce qu'il s'agit de faire breveter en Belgique est connu à l'étranger, y est exploité, lorsque enfin il n'y a pas possibilité de dire : C'est une invention que je vous apporte ?

Messieurs, le gouvernement a pensé, et c'était la pensée des honorables auteurs de la première proposition du gouvernement, qu'il y avait quelque chose à faire pour distinguer désormais les brevets d’importation des brevets d'invention, et qu'il ne fallait pas avilir en quelque sorte les honneurs et les avantage qu'on accorde à un brevet, en assimilant complètement à l'inventeur celui qui n'a rien inventé, qui n'a fait, en quelque sorte, usage que de ses jambes pour gagner de vitesse celui qui a mis réellement son génie à contribution et qui, à force de temps, à force d'intelligence et ds soins, a inventé quelque chose de nouveau.

Je dis donc que les auteurs de la première proposition de loi avaient compris cette nécessité, et que tout en admettant des brevets d'importation, ils avaient créé pour ces brevets un régime tout différent de celui qui était introduit pour les brevets d'invention. Les avantages étaient beaucoup moindres.

Mais depuis que le projet a été porté pour la première fois devant la Chambre, l'étude et l'exemple des législations étrangères ont porté le gouvernement, ainsi que la section centrale, à introduire dans ce projet des modifications essentielles.

Ainsi, par exemple, d'après les dernières dispositions, les brevets d'importation ne sont plus admis en Belgique que dans une seule circonstance, lorsque c'est l'inventeur étranger breveté chez lui qui lui-même vient demander en Belgique un brevet d'importation.

Nous restreignons à celui-là ou à ses représentants légitimes, la faculté d'obtenir un brevet ; et en cela nous sommes d'accord avec la législation anglaise qui a également introduit ce mode de brevets d'importation et qui l'a limité, comme je viens de dire que le projet le limite pour la Belgique.

Je pense que pour le moment il n'est pas nécessaire d'entrer dans plus de détails sur cette question des brevets d'importation.

Tout le monde sent à l'instant même quelle immense distance séparent les uns et les autres brevets. Lorsque nous arriverons aux articles qui concernent plus spécialement cette question, nous pourrons nous expliquer d'une manière plus complète, si cela est nécessaire.

Dans l'intérêt des tiers, un changement qui a aussi son importance est relatif aux cas de nullité pour défaut de payement de la taxe. Aujourd'hui ces cas de nullité, d'après la loi de 1817, n'existent pas de plein droit. Lorsqu'un tiers qui se trouve en conflit avec l'inventeur, lui oppose qu'il est déchu de son brevet parce qu'il n'a pas payé la laxe, il est obligé de porter l'affaire devant les tribunaux ; et en attendant les droits restent suspendus. D'après le projet de loi, la nullité, dans le cas de non-payement de la taxe, opérera de plein droit.

Cette disposition aura, en outre, l'avantage de faire cesser beaucoup d'incertitudes, soit sur le mode de payement, soit sur les facilités qu'on accorde aujourd'hui aux brevetés pour se libérer, facilités qui vont souvent même jusqu'à la remise partielle de la taxe ; quand des circonstances personnelles semblent le permettre.

Désormais, le fait du non-payement d'une seule annuité de la taxe entraînera avec lui la déchéance du brevet, et cela se peut sans rigueur et sans injustice, puisque la taxe est excessivement modérée.

Une modification qui est introduite dans l'intérêt des tiers est de la plus haute importance.

Aujourd'hui, l'obligation de la mise en œuvre du brevet est indiquée dans la loi, mais non pas d'une manière aussi nette qu'elle l'est dans le projet de loi.

Le projet dispose que l'inventeur breveté sera tenu d'exploiter d'une manière sérieuse dans le délai de deux ans. La loi de 1817 lui prescrivait seulement d'en faire usage. Rien n'est plus vague qu'une obligation ainsi définie. D'en faire usage ! Comment ? Sera-ce de telle manière que le fabricant qui aura recours à celui qui est breveté, pourra se faire délivrer les objets destinés à être produits à l'aide du brevet ? sera-ce de toute autre manière ? On ne le savait pas.

Nous demandons que l'exploitation du brevet ait lieu d'une manière sérieuse dans le délai de deux ans.

D'après le projet, le brevet doit être rendu public, dans un recueil officiel spécial, et trois mois après la concession du brevet. D'après la loi de 1817, la publication du brevet, des spécifications et des dessins n'avait lieu qu'après que le brevet avait pris fin, c'est-à-dire quand généralement le brevet n'a plus aucune valeur ; parce que depuis l'époque où il a été accordé, de nombreuses inventions ont pu se succéder et apporter à l'objet breveté des changements beaucoup plus avantageux au travail national.

Le brevet devra donc être rendu public trois mois après la concession. Cette publication aura l'avantage de stimuler l'esprit d'invention de manière à provoquer des perfectionnements nouveaux dont l’industrie nationale profitera naturellement.

Tels sont les changements généraux que le projet de loi a pour but de consacrer, dans l'intérêt des inventions et par conséquent du travail industriel. Je crois, par les développements dans lesquels je viens d'entrer, avoir fait apercevoir à la chambre quel est l'ensemble du système nouveau qui lui est soumis. J'attendrai maintenant la discussion des articles pour fournir des explications sur chacun des points qui peuvent faire l'objet d'un débat.

M. Lelièvre. - Le projet qui vous est actuellement soumis ne sera, de ma part, pour le moment, l'objet que de très brèves observations, qui feront connaître mon opinion sur les bases de la loi.

Les brevets accordés confèrent un droit exclusif, un droit de propriété qui sera reconnu par la loi. Je demande, messieurs, pourquoi la violation de ce droit n'a pas été considérée comme un véritable délit de ressort des tribunaux correctionnels, à l'instar de la contrefaçon réprimée par l'article 425 du Code pénal. Il est évident que le fait dont nous nous occupons a une relation intime avec les violations des règlements (page 184) relatifs aux manufactures, au commerce et aux arts dont s'occupent les articles 413 et suivants du Code pénal, et que l'individu qui porte atteinte au brevet en fabriquant ou introduisant sur le sol belge des objets contrefaits n'est pas moins répréhensible que celui qui contrefait des ouvrages, compositions, etc., au mépris de la propriété des auteurs.

La disposition qui me semble nécessaire à cet égard a du reste pour objet de sauvegarder plus efficacement les droits concédés par le brevet, la poursuite par voie correctionnelle est plus simple, plus rapide et moins dispendieuse. Celui qui jouit du brevet a un moyen plus facile d'obtenir immédiatement justice, tandis que l'action réservée aux tribunaux civils éprouve toujours des lenteurs résultant de l'encombrement des affaires qui entrave le cours de la justice civile, et nécessite des frais incompatibles avec la nature des droits qu'il s'agit de sauvegarder.

Le ministère public devrait d'ailleurs pouvoir poursuivre sur la plainte de la partie lésée.

D'un autre coté, la répression est plus efficace et elle n'est pas subordonnée, comme l'action civile, à la position de fortune et à la solvabilité du contrevenant. Le breveté, du reste, se trouverait souvent dans l'impossibilité de poursuivre lui-même l'exécution de son droit, dépense donc que l'on devrait considérer comme un véritable délit la violation des droits assurés par le brevet et comminer contre ce fait des peines analogues à celles prononcées contre la contrefaçon des productions du génie. Semblable disposition serait conforme aux principes de justice, car il existe dans l'acte illicite dont nous nous occupons une véritable appropriation d'une propriété appartenant à autrui, et sous ce rapport on conçoit l'intervention de la justice répressive.

Nous devons, messieurs, ne rien négliger pour assurer à la propriété, créée par la loi en discussion, une protection efficace, dans l'intérêt de l'industrie nationale. Sous ce rapport, j'estime qu'il convient de favoriser les transmissions de brevet par acte public, et à ce point de vue, la proposition de mon honorable ami M. T'Kint de Naeyer me semble répondre parfaitement aux vues du projet. On préviendra de cette manière des transmissions clandestines qui présentent de graves inconvénients. N'oublions pas, du reste, qu'une disposition analogue a été portée par la loi du 17 décembre 1851, eu ce qui concerne la livraison des machines, à l'égard desquelles on veut conserver le privilège établi en faveur du vendeur par la loi concernant le régime hypothécaire.

Du reste, si l'on veut réellement fonder quelque chose de solide en matière de brevets d'invention, il est essentiel, selon moi, que le projet ait pour base le principe déposé dans l'amendement de l'honorable M. Lesoinne. Il faut que les brevets soient délivrés sans examen préalable aux risques et périls des demandeurs. C'est la marche tracée par l'ancienne loi anglaise, et en France même le gouvernement en avait tellement reconnu les avantages que déjà, avant la révolution de 1848, il avait déclaré qu'il considérait le droit d'examen comme impraticable et dangereux. Si l'on veut obtenir des résultats féconds, il faut laisser le génie industriel se produire librement et sans entraves.

La liberté absolue en cette matière peut seule réaliser des progrès marqués et toute réflexion ne peut être que nuisible au développement de l'industrie. M. le ministre de l'intérieur nous a du reste appris que l'amendement de M. Lesoinne avait l'assentiment du gouvernement.

Je crois aussi devoir faire quelques observations sur les causes de déchéance du brevet énoncées à l'article 10 du projet. Lorsque cette disposition porte que la déchéance a lieu en cas de non-acquittement de la taxe, je présume qu'il est bien entendu que la déchéance ne peut être prononcée qu'après une mise en demeure constatant le refus ou le défaut de payement.

Il doit en être ainsi d'après la nature même des choses, et une conséquence aussi grave que celle d'une déchéance d'une propriété industrielle ne saurait résulter que d'un acte attestant la mise en demeure du breveté.

J'estime aussi qu'il n'existe pas de motif suffisant pour prononcer Faunulation du brevet, par cela seul qu'il n'est pas exploité dans les deux ans. Mais, messieurs, c'est le breveté qui est le premier intéressé à exploiter le brevet aussitôt qu'il le peut. Aussi, jamais en Angleterre n'a-t-on exigé semblable délai. J'admets qu'on soit tenu d'exploiter le brevet du moment que le gouvernement notifiera que l'invention s'exploite à l'étranger ; mais contraindre l'inventeur à exécuter ce qui souvent n'est pas possible, c'est, à mon avis, introduire dans la législation use disposition exorbitante ; et d'un autre côté il me semble dangereux de renforcer encore sous ce rapport les pouvoirs de l'administration centrale, qui en définitive disposera irrévocablement de toute la fortune de l’inventeur.

Telles sont les considérations que je crois devoir soumettre pour le moment, me réservant d'en déduire d'autres dans le cours de la discussion.

M. Roussel. - Messieurs, je ne puis laisser clore la discussion générale, san's exprimer mes regrets de ce que, traitant la question des brevets d'invention, nous ne puissions pas nous occuper en même temps d'autres questions concernant la propriété intellectuelle.

Nous allons donc nous occuper des brevets d'invention, c'est-à-dire de la propriété industrielle, en tant que résultat des produits du génie humain ; mais nous aurons un nombre considérable de produits de nature analogue qui resteront soumis à une législation complètement incertaine. Telle est, par exemple, la propriété littéraire et la propriété artistique ; telles sont les inventions et découvertes dans certaines sciences, dans certains arts, dans la science médicale, dans l'art pharmaceutique, etc., de sorte que nous procédons encore une fois par lambeaux législatifs.

Il aurait été désirable, lorsqu'on voulait s'occuper sérieusement d'une matière aussi importante, de créer un code complet, comprenant différents chapitres renfermant tous les objets que la loi devait traiter, c'est-à-dire, le sort de toutes les branches de la propriété intellectuelle.

Remarquez, messieurs, que l'analogie entre tous ces objets est extrêmement grande ; l'objet naturel, le résultat de la découverte ou de l'invention est seul différent ; mais les principes régulateurs, relativement à tous ces objets, sont pour ainsi dire identiques.

Ainsi, lorsque vous constatez la propriété des résultats industriels de l'intelligence par une concession de l'Etat faite à l'inventeur, vous pouvez aussi bien constater cette propriété, quant aux résultats littéraires ou artistiques.

J'avais eu la pensée de fournir une série d'amendements qui auraient complété le projet de loi, mais j'ai considéré que ces amendements ne seraient peut-être pas accueillis favorablement dans l'occurrence, parce que le travail préparatoire des sections ayant manqué, l'on pourrait objecter que la matière n'avait pas été suffisamment étudiée.

Je fais cependant ces observations, pour que si quelques honorables membres de cette chambre jugeaient convenable de proposer des amendements, propres à combler ces lacunes du projet de loi, nous puissions arriver à un résultat un peu plus considérable et un peu plus utile que celui auquel nous allons parvenir, en reformant les articles de la loi de 1817 sur les brevets d'invention.

- La discussion générale est close. On passe aux articles.

Discussion des articles

Articles 1 et 2

« Art. 1er. Il sera accordé des droits exclusifs et temporaires, sous le nom de brevets d'invention, de perfectionnement ou d'importation, pour toute découverte ou perfectionnement susceptible d'être exploité comme objet d'industrie ou de commerce. »

- Adopté.


« Art. 2. La concession des brevets se fera sans préjudice des droits acquis des tiers. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. La durée des brevets est fixée à vingt ans, sauf le cas prévu à l'article 5 ; elle prendra cours à dater de leur délivrance.

« Il sera payé, pour chaque brevet, une taxe annuelle et progressive ainsi qu'il suit :

« Première année, 10 francs.

« Deuxième année, 20 francs.

« Troisième année, 30 francs.

« et ainsi de suite jusqu'à la 20ème année pour laquelle la taxe sera de 200 fr. La taxe sera payée par anticipation et, dans aucun cas, ne sera remboursée.

« De plus, il sera acquitté, par celui qui demande un brevet d'importation, une taxe supplémentaire et unique de cinquante francs.

« Il ne sera point exigé de taxe pour les brevets de perfectionnement, lorsqu'ils sont délivrés au titulaire du brevet principal. »

- La section centrale propose la suppression du troisième paragraphe.

M. Vermeire, La section centrale a cru devoir supprimer le paragraphe 3 de l'article 3, parce que les brevets d'importation jouissant des mêmes avantages que les brevets d'invention, sauf la durée qui est limitée à celle du brevet pris à l'étranger, il serait inique de leur faire supporter d'autres frais que ceux auxquels on assujettit les brevets d'invention et de perfectionnement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je comprends les motifs qui ont déterminé la section centrale à proposer la suppression du paragraphe 3 de l'article 3. Je ne vois pas d'inconvénient à cette suppression.

- L'article 3 ainsi amendé est adopté.

Article 4

« Art. 4 (projet du gouvernement). Les brevets d'invention sont délivrés à ceux qui font une découverte dans le pays.

« Ils confèrent à leurs possesseurs ou ayants droit le droit exclusif :

« a. D'exploiter à leur profit l'objet breveté ou de le faire exploiter par ceux qu'ils y autoriseraient ;

« b. De poursuivre devant les tribunaux ceux qui porteraient atteinte au privilège qui leur est accordé, soit en fabriquant, soit en recelant, en vendant, en exposant en vente ou en introduisant sur le sol belge un ou plusieurs objets contrefaits ; et de procéder contre eux à l'effet d'obtenir :

« 1° La confiscation à leur profit des objets confectionnés en contravention du brevet et non encore vendus ;

« 2° Une somme égale au prix des objets qui seraient déjà vendus ;

« Et 3° des dommages-intérêts, s'il y a lieu.

« Les possesseurs des brevets, ou leurs ayants droit, pourront faire opérer la saisie de l'objet contrefait partout où il se trouvera, à moins qu'il ne soit à usage purement personnel.

« Les tribunaux connaîtront des affaires relatives aux brevets comme d'affaires sommaires et urgentes. »

(page 185) « Art. 4. (projet de la section centrale). - Les brevets sont accordés à ceux qui font une découverte. Ils confèrent à leurs possesseurs ou ayants droits :

« a. Le droit exclusif d'exploiter à leur profit l'objet breveté ou de le faire exploiter par ceux qu'ils y autoriseraient ;

« b. De poursuivre devant les tribunaux ceux qui porteraient atteinte au privilège qui leur est accordé, soit en fabriquant, soit en recelant, en vendant, en exposant en vente ou en introduisant sur le sol belge un ou plusieurs objets contrefaits ; et de procéder contre eux, à l'effet d'obtenir :

« 1° La confiscation à leur profit des objets confectionnés en contravention du brevet et non encore vendus ;

« 2° Une somme égale au prix des objets qui seraient déjà vendus ;

« Et 3° des dommages-intérêts, s'il y a lieu.

« Les possesseurs des brevets, ou leurs ayants droit, pourront faire opérer la saisie de l'objet contrefait partout où il se trouvera, à moins qu'il ne soit à usage purement personnel.

« Les tribunaux connaîtront des affaires relatives aux brevets comme d'affaires sommaires et urgentes. »

M. le président. - M. Lesoinne a déposé un amendement à cet article, mais il se propose d'en faire un article spécial.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je crois qu'il y aurait encore une amélioration de rédaction à apporter à l'article 4 : le premier paragraphe porte : Les brevets sont accordés à ceux qui font une découverte. C'est la reproduction du principe consacré par l'article premier, je proposerai de fondre les deux premiers paragraphes en un seul et de dire : Les brevets confèrent à leurs possesseurs ou ayants droit le droit exclusif, etc., on éviterait ainsi une vérité banale.

M. T’Kint de Naeyer. - Il est évident que la contrefaçon doit être réprimée, sans cela la loi sur les brevets d'invention ne serait qu'une lettre morte, mais il ne faut pas aller au-delà du but que l'on a l'intention d'atteindre.

Il y a, dans l'article que nous discutons en ce moment, une disposition qui pourrait prêter à l'arbitraire. Je cite le texte :

« Les possesseurs de brevets ou leurs ayants droit pourront faire opérer la saisie de l'objet contrefait partout où il se trouvera, à moins qu'il ne soit à usage purement personnel. »

Il doit être bien entendu que le droit de saisie pourra s'exercer dans les fabriques et dans les magasins, mais non dans les maisons particulières.

Les infiltrations individuelles des produits étrangers ont peu d'importance. Il dépendra, d'ailleurs, du breveté de les rendre tous les jours plus rares en faisant aussi bien ou mieux que l'étranger. Je ne sais s'il est nécessaire de modifier la rédaction de l'article. Mais il est bon dans tous les cas que la discussion ne laisse aucun doute sur sa véritable portée. Les maisons particulières doivent, dans mon opinion, rester en dehors du droit d'investigation. Nos mœurs admettent les circonstances de bonne foi qui peuvent se rencontrer, et nos lois n'ont jamais revêtu un caractère odieux ou vexatoire.

M. Van Overloop. - Je lis au n°2 que les brevetés pourront procéder contre les contrefacteurs, à l'effet d'obtenir une somme égale au prix des objets qui seraient déjà vendus. Quel est ce prix ? est-ce le prix de revient ou le prix de vente ? est-ce le prix de vente du breveté ou celui du contrefacteur ? La loi doit être assez claire pour que chacun comprenne ce qu'elle prescrit.

Il est un autre point sur lequel je dois appeler l'attention de M. le ministre de l'intérieur.

« Les possesseurs des brevets ou leurs ayants droit pourront faire opérer la saisie de l'objet contrefait partout où il se trouvera, à moins qu'il ne soit à usage purement personnel. »

Mais comment s'effectuera cette saisie ? Les inventeurs peuvent-ils de plein droit la faire opérer ? ne faut-il pas l'autorisation du président du tribunal civil ou du juge de paix du canton ? Cela me paraît indispensable ; sans cette formalité vous accorderiez au breveté un droit exorbitant en disant qu'il pourra faire opérer la saisie de l'objet contrefait partout où il se trouvera. Il me semble qu'il conviendrait d'ordonner que cette saisie fût précédée de l'autorisation du président du tribunal de l'arrondissement ou du juge de paix du canton qu'habite le contrefacteur.

J'ai une dernière observation à faire.

On peut saisir l'objet contrefait ; mais ne peut-on pas autoriser le breveté à saisir les instruments spéciaux destinés à confectionner les objets dont la fabrication est défendue par le brevet ?

Voici ce qui se passe très fréquemment :

Les procès en contrefaçon durent d'ordinaire fort longtemps ; un individu s'établit contrefacteur avec des instruments spéciaux. Le breveté découvre le contrefacteur ; il lui intente un procès. Pendant la durée du procès, le contrefacteur continue à fabriquer. Le breveté finit par obtenir contre lui un jugement qui le condamne à des dommages-intérêts, mais à quoi bon, s'il n'a aucun moyen de les recouvrer, si le contrefacteur est insolvable, et qu'au moment où il est condamné par corps, il disparaisse ?

Dans ce cas, le breveté n'a pas la jouissance de tous les avantages que devrait lui procurer son droit.

Il est à ma connaissance qu'un breveté avait obtenu contre un contrefacteur une condamnation à 50,000 fr. Pendant toute la durée du procès, le contrefacteur avait continué à contrefaire. Le jugement qui le condamnait n'a été d'aucune utilité à celui qui l'avait obtenu, parce que le contrefacteur a levé le pied.

Voilà pourquoi je ne sais si, dans certaines circonstances, on ne pourrait pas autoriser la saisie des instruments spéciaux destinés à contrefaire.

Je me permets de soumettre ces observations à l'appréciation des auteurs du projet de loi sur les brevets.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - On pose plusieurs questions au sujet de cet article. L'honorable M. Van Overloop demande dans quelle forme on procédera en cas de saisie ; évidemment dans la forme ordinaire. Personne ne se fait justice à soi-même ; on aura recours au juge, et l'on procédera conformément aux prescriptions de la loi. L'honorable membre demande quel prix sera adjugé pour les objets qui seront vendus. Il me semble que ce seront les prix qui auront été obtenus par le vendeur. Le projet le dit clairement.

Les dommages-intérêts seront peut-être, dit-on, irrécouvrables dans certaines circonstances. On aura affaire à des individus insolvables qui lèveront le pied immédiatement après leur condamnation ; de sorte que les brevetés ne pourront réaliser les dommages-intérêts qu'ils auront obtenus du tribunal. Ce sont des difficultés que l'on rencontre quand on poursuit la réparation d'un droit civil contre un tiers quelconque devenu insolvable.

Il en sera ici comme de tous les intérêts civils qu'on veut protéger. La loi a fait tout ce qu'il était possible de faire pour rendre l'existence de ces inconvénients très rares, puisqu'elle a simplifié les formalités, abrégé la procédure.

Ces affaires devront être traitées sommairement, toute affaire cessante. L'inconvénient qu'on a signalé ne pourra donc guère se produire pour les brevetés.

Sous ce rapport, je ne vois rien à ajouter à la loi.

Quant à la question de savoir quel sera le prix des objets vendus et attribuer au breveté, c'est un cas d'appréciation sur lequel il n'est pas nécessaire de s'expliquer par voie législative. Ce sera aux tribunaux à le régler. Cela dépendra évidemment des circonstances.

On a posé un autre cas : l'honorable M. T'Kint de Naeyer demande si le droit de saisir pourrait s'exercer jusque dans une maison particulière. C'est une de ces difficultés à l'égard de laquelle on ne peut insérer dans la loi des dispositions précises. Il n'y en a pas dans les législations étrangères.

Renouard pose la question et la résoud d'après les circonstances. Il cite un arrêt qui a proscrit le système des visites dans les maisons particulières. S'il s'agit d'un négociant, d'un fabricant, la saisie pourra être autorisée. Dans les autres cas, elle sera interdite.

Il me semble qu'en s'inspirant de ces considérations, la Chambre peut se borner à l'énoncé de ce principe dans la loi, et laisser à l'appréciation des tribunaux ce qu'il convient de faire en pareille circonstance.

M. T'Kint de Naeyer. - Il suffit que ce soit bien entendu.

M. Lelièvre. - Il y a quelque chose de vrai dans les observations que vous a soumises M. Van Overloop. En effet, il s'agit de savoir qui autorisera la saisie dont parle notre article ; or, la législation actuelle ne renferme aucune disposition à cet égard.

Examinons les choses en hommes pratiques ; eh bien, si nous devions faire opérer la saisie dont il s'agit, quel est le magistrat qui pourrait statuer ? Ce ne serait pas le président du tribunal civil, puisque ce droit ne lui est attribué par aucune disposition en vigueur. Ce ne serait pas le juge de paix, lui qui ne peut autoriser les saisies que contre les débiteurs forains ou contre les locataires et fermiers dans les limites de la loi du 25 mars 1841.

Ce ne serait pas non plus le président du tribunal de commerce, puisqu'il s'agit ici d'une affaire du ressort des tribunaux civils, et déférée à ceux-ci par la loi en discussion.

D'un autre côté la saisie ne peut être opérée d'autorité privée, l'intervention de la justice est indispensable.

En conséquence, il existe une lacune qui doit être comblée, et il est essentiel que la loi détermine l'autorité chargée de statuer pour l'exécution de l'article 4. Je propose, en conséquence, un amendement ayant pour objet de rédiger notre paragraphe en ces termes :

Je propose le juge de paix du canton, afin que l'on puisse faire opérer la saisie plus rapidement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Dans la loi française qui prévoit des cas semblables on s'en réfère à la juridiction ordinaire, et d'après l'article 47 de cette loi, c'est au président du tribunal qu'on s'adresse pour obtenir la permission de se transporter dans le lieu où est l'objet contrefait. Le président autorise par ordonnance, et fait accompagner le breveté par un huissier.

La chambre a la faculté de choisir entre les deux modes ; le recours au juge de paix est peut-être plus rapide que le recours au président du tribunal civil. Cependant dans le cas dont s'occupe la loi française, il est évident que le recours au président offre plus de garanties.

Je ne vois pas, du reste, le moindre inconvénient à ce que, pour une matière aussi importante, on s'en réfère à la magistrature ordinaire qui a l'habitude de ces sortes d'instruction et que l'on s'adresse, par conséquent, au président du tribunal civil. Je donnerais donc la préférence (page 186) au système qui renverrait la connaissance de cas semblables au président du tribunal de première instance.

Voici quels sont les termes de l'article 49 de la loi française : (M. le ministre donne lecture de cet article.)

Messieurs, il serait peut-être dangereux d'improviser une rédaction sur on objet qui a une grande importance ; et il me semble que l'on pourrait renvoyer le double moyen indiqué à la commission qui a examiné le projet.

M. Lelièvre. - J'appuie la proposition de renvoi à la commission, faite par M. le ministre de l'intérieur. Il s'agit d'une procédure entière à organiser et l'on comprend que pareil travail doit être médité en commission. On ne peut en séance publique traiter pareil objet. Du reste en ce qui me concerne j'accepte volontiers la disposition qui investirait le président du tribunal civil du pouvoir d'autoriser la saisie, et en outre, je pense qu'on doit s'occuper des autres formalités que pareil acte nécessite, ce qui démontre de plus en plus qu'il faut nécessairement renvoyer notre article à la commission.

M. Vermeire, rapporteur. - Diverses demandes nous ont été adressées par l'honorable M. Van Overloop. En ce qui regarde la saisie, je crois qu'elle devra être faite avec une autorisation du président du tribunal de première instance, puisque c'est ce tribunal qui doit connaître des contestations qui peuvent survenir entre le breveté et le contrefacteur. L'article 47 de la loi française veut aussi que ce soit en vertu d'une ordonnance du président du tribunal de première instance que les saisies soient opérées.

Lorsque la question a été examinée par la commission spéciale qui s'est occupée de l'objet, on avait, je crois, proposé l'intervention du juge de paix. L'article étant renvoyé à la commission, je n'insisterai pas davantage sur ce point.

Je répondrai plus particulièrement à la question de savoir quels sont les objets qui peuvent être saisis et si les instruments spéciaux qui ont servi à la contravention tels que moules, matrices, etc., ne devraient pas l'être aussi.

Généralement on obtient des brevets pour des inventions mécaniques. En ce cas l'objet contrefait est la mécanique qui, dès lors, devient saisissable comme tous les objets qui ont été obtenus par son emploi.

Posons un exemple : supposons qu'un industriel se fasse breveter pour une mécanique destinée à tricoter des bas identiques à ceux que l'on tricote à la main.

Il est évident que dans le cas qui est posé, ce ne seront pas tous les bas tricotés qui pourront être saisis, mais que ce sera d'abord la mécanique et ensuite les bas produits par cette méanique. Cela est tellement vrai que les objets produits par la mécanique ne sont assimilés qu'à la contrefaçon. C'est ainsi que l'explique l'article 83 de l'avant-projet :

« Toute fabrication d'objets, dit cet article, tout emploi de moyens ou procédés, toute application qui porte atteinte aux droits du breveté, est une contrefaçon. Sont assimilés à la contrefaçon le débit, l'exposition en vente, le recèlement et l'importation d'objets contrefaits. »

Je crois donc, messieurs, que quand on produit au moyen d'une mécanique pour laquelle un autre aura été breveté, cette mécanique pourra être saisie.

On demande aussi quel sera le prix qui devra être restitué. Selon moi ce sera le prix que l'on aura obtenu de la vente et ce prix, comme l'a fort bien dit M. le ministre de l'intérieur, devra être constaté par les moyens qui seront indiqués par le juge. Ainsi on pourra constater le prix de vente par les livres du négociant, et si ce moyen ne suffit pas on pourra recourir à d'autres preuves encore ; mais c'est là un cas qu'il faut laisser à l'appréciation du juge.

M. Roussel. - Je pense, messieurs, qu'il n'y a plus de doute sur la nécessité de l'intervention d'un magistrat pour autoriser la saisie. Il est clair que si la loi n'indique pas ce magistrat, tous ceux auxquels on pourrait s'adresser se déclareront incompétents, parce qu'aucune attribution ne leur aurait été faite.

La seule difficulté qui reste à résoudre est celle de savoir quel est le magistrat qui sera chargé d'autoriser la saisie.

On conçoit qu'il ne puisse être tenu de permetttre la mesure conservatoire quand il ne la jugera point convenable. Il devra donc prendre une connaissance préalable des prétentions de la partie qui veut opérer cette saisie. N'est-il pas naturel dès lors que vous confiiez la mission de donner l'autorisation au juge auquel sera attribuée ultérieurement la connaissance du fond des droits de la partie réclamante ? Ce magistrat, c'est le président du tribunal de première instance.

Il ne peut être, selon moi, question du juge de paix ; car le juge s'effacerait immédiatement après la saisie opérée, il ne serait là que pour permettre la mesure, puis il disparaîtrait pour faire place au tribunal de première instance. N'est-il pas plus conforme aux principes d'organisation judiciaire et de compétence que ce soit le président du tribunal de première instance auquel soit attribuée la faculté de donner ou de refuser l'autorisation de saisir, puisque ultérieurement la cause doit revenir devant ce tribunal pour y être statué sur la validité dé la mesure. Cette observation me paraît concluante.

Eu second lieu, il y a lieu de croire que la saisie devra ordinairement être pratiquée en d'autres lieux que dans les chefs-lieux de canton. Il est à présumer que des contrefaçons de brevets auront lieu, non dans des villages, mais dans de grands centres manufacturiers, dans des endroits où il y ait assez d'industrie pour qu'une pareille contrefaçon puisse avoir quelque succès.

Ce sera donc presque toujours au chef-lieu d'un tribunal de première instance que ces cas de contrefaçon se présenteront ; ce sera dans un de ces chefs-lieux que se trouveront les magasins où les objets contrefaits seront déposés ; ce sera donc là aussi que les saisies devront être pratiquées. Nouveau motif pour confier au président du tribunal de première instance la mission d'autoriser une mesure conservatrice de l'opportunité de laquelle les principes généraux de l'organisation judiciaire lui attribuent souvent la connaissance.

M. de Muelenaere. - J'avais demandé la parole pour appuyer les observations qui ont été présentées par M. le ministre de l'intérieur, mais je crois que cette discussion devient sans objet, puisque l'amendement déposé par l'honorable M. Lelièvre va être renvoyé à la commission.

Je suis toutefois d'avis avec l'honorable préopinant que c'est au président du tribunal de première instance et non au juge de paix que doit appartenir le droit d'autoriser la saisie des objets contrefaits.

M. Rogier. - Puisque l'article doit être renvoyé à la commission, je voudrais lui soumettre deux observations.

On dit d'abord que les possesseurs de brevets pourront faire opérer la saisie de l'objet contrefait partout où il se trouvera, à moins qu'il ne soit à usage purement personnel.

Qu'est-ce que l'usage purement personnel ? S'agit-il d'un objet servant à une seule personne ? Je suppose un maître de pension qui a introduit pour sa maison un système nouveau d'éclairage. Ne sera-ce pas un usage purement personnel ? Il faut éclaircir, ce me semble, la rédaction.

En second lieu, il faut que nous soyons éclairées sur la nature des objets à saisir. La saisie ne pourra-t elle s'appliquer qu'à l'objet contrefait ? ou bien doit-elle s'étendre aux produits mêmes de la machine contrefaite ? Je suppose une machine qui sert à faire des enveloppes. Si je l'introduis chez moi pour mon usage personnel, on ne pourra pas la saisir ; mais si les enveloppes sont distribuées, pourra-t-on les saisir dans les mains de tiers ? Je ne le pense pas non plus ; il faudrait qu'on s'en expliquât. Est-il entendu que la saisie ne peut être opérée que sur l'objet même contrefait ? En second lieu, est-il bien entendu que l'usage personnel est plus étendu que celui qu'en ferait une seule personne ?

M. Lelièvre. - Quant à moi, je ne vois aucun inconvénient de déférer au président du tribunal civil le droit d'autoriser la saisie, et sous ce rapport, je modifie volontiers mon amendement.

Du reste, relativement aux formalités à suivre à l'occasion de la saisie, je pense qu'on pourrait adopter la disposition de la loi française dont M. le ministre de l'intérieur a donné lecture. Cette disposition me semble satisfaire à toutes les exigences.

M. Vermeire, rapporteur. - Je crois pouvoir donner à l'instant l'explication que demande l'honorable M. Rogier. La section centrale s'est aussi demandé ce qu'on entendait par les mots « usage purement personnel ». Voici ce qu'elle dit à la page 3 de son nouveau rapport :

« Les mots « à usage personnel » ne peuvent point s'appliquer à des machines ou à des appareils de fabrication, mais seulement aux objets dont l'usage n'a point pour but une reproduction industrielle ou un acte mercantile. »

Ainsi, tout ce qui serait dans la maison d'un particulier, à l'usage de cette maison, n'étant pas destiné à une vente ultérieure, ne pourrait être saisi. Seulement la saisie peut être opérée sur la machine qui fait l'objet de contrefaçon et sur les objets qui ont été obtenus par ce moyen de production, du moment que ceux-ci peuvent donner lieu ultérieurement à une opération mercantile.

M. Orban. - Je commence par dire que je n'ai pas fait de ce projet une étude spéciale. Cependant j'ai été frappé, comme l'honorable M. Rogier, de la portée que peut avoir la faculté donnée à l'inventeur de poursuivre le détenteur d'un projet contrefait, autre que celui qui en a fait usage personnellement et d'en demander la confiscation. Qu'entend-on par objet contrefait, expression dont se sert le littera B de l'article 4 ? Si, comme on n'en peut douter, l'on entend par là les objets confectionnés au moyen d'un procédé, d'une machine brevetée, alors je devrais repousser cette faculté donnée à l'inventeur comme exorbitante et souverainement injuste et arbitraire.

Je concevrais cette disposition si les objets contrefaits constituaient toujours des productions nouvelles, d'un caractère spécial et n'ayant point de similaires, mais il n'en est point ainsi. Souvent, la plupart du temps, pourrais-je dire, le brevet n'est demandé que pour des procédés, des machines, ayant pour but de confectionner d'une façon plus avantageuse, plus économique des objets d'un usage journalier. Et alors, messieurs, je n'admets pas même que l'on puisse avoir la pensée de punir le détenteur de semblables objets, car rien ne peut lui indiquer que ces objets ont été fabriqués en contrefaçon à l'aide de machines ou de procédés brevetés.

Si, à la rigueur, l'acquéreur direct de ces produits contrefaits, c'est-à-dire celui qui les a acquis du contrefacteur, peut être considéré comme son complice, et à ce titre puni des mêmes peines que lui, il n'en est pas de même de celui dans la possession duquel ces mêmes produits sont passés en seconde ou en troisième main, de manière à perdre entièrement la trace de leur origine. Et cependant, messieurs, l'article punit indistinctement tous ces détenteurs, car il n'excepte que celui dans les mains desquels ces produits contrefaits se trouvent à usage personnel. Je ne saurais donner mon assentiment à une pareille (page 187) disposition, et je suis même porté à croire que l'auteur du projet n'en a pas calculé toute la portée.

- L'amendement de M. le ministre de l'intérieur, auquel M. Lelièvre s'est rallié, est renvoyé à la section centrale.

L'article 4 est tenu en réserve.

Article additionnel

M. le président. - Si l'amendement de M. Lesoinne était adopté, il pourrait s'intercaler dans l'article 2 ; cet article serait alors rédigé ainsi qu'il suit :

« La concession des brevets se fera sans examen préalable, aux risques et périls des demandeurs, et sans garantie, soit de la réalité, soit de la nouveauté ou du mérite de l'invention, soit de l'exactitude de la description, et sans préjudice des droits des tiers. »

Je mets en discussion l'amendement de M. Lesoinne.

M. Lesoinne. - Messieurs, j'ai proposé cet amendement dans le but de mieux définir la position des demandeurs de brevets. La loi que nous discutons doit avoir pour résultat d'assurer aux inventeurs la possession paisible de leurs brevets : je pense donc qu'il faut qu'ils connaissent clairement ce à quoi ils s'engagent.

M. le ministre de l'intérieur vient de dire que la loi serait exécutée dans le sens de mon amendement, que les brevets seraient délivrés aux risques et périls des inventeurs ; mais pour qu'ils connaissent la position qui leur est faite et pour qu'il n'y ait pas d'équivoque possible, je crois qu'il vaut mieux le mettre dans la loi, et je propose d'en faire l'objet de l'article 2 dont M. le président vient de donner lecture.

De cette manière, les inventeurs sauront à quoi s'en tenir.

- L'amendement de M. Lesoinne est appuyé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, c'est, comme on l'a déjà dit, parce que le gouvernement pense que l'article premier lui impose implicitement l'obligation d'accorder les brevets, sans examen, qu'on n'a pas inséré cette expression dans la loi même.

Je ne vois pas d'inconvénient à ce que tout le monde soit averti d'une manière explicite que le gouvernement n'accorde les brevets que sans aucune espèce de garantie.

Je demanderai à l'honorable auteur de l'amendement si c'est avec intention, qu'en présentant son amendement, qui est la reproduction d'un article de la loi française, il a omis les mots : « soit de la fidélité ou de l'exactitude », qui se trouvent dans le texte français, si c'est parce que, selon lui, les mots « soit de la fidélité ou de l'exactitude », avaient le même sens.

M. Lesoinne. - J'avais omis les mots « soit de la fidélité » parce que le défaut de fidélité de la description était une cause de déchéance inscrite dans la loi.

En effet, l'article 11 porte : « Lorsque le breveté dans la description jointe à sa demande aura avec intention omis de faire mention d'une partie de son secret ou l'aura indiqué d'une manière inexacte. »

Il suffit que cela soit prescrit au demandeur du brevet sous peine de déchéance sans qu'il soit besoin de répéter la même chose quand on déclare que le gouvernement ne garantit en rien le mérite de l'objet breveté.

Il y a encore un mot qu'on pourrait retrancher, c'est le mot « acquis ». On dirait : « sans préjudice du droit des tiers. »

M. de La Coste. - Je demanderai une explication soit à M. le rapporteur, soit à M. le ministre de l'intérieur. L'article porte : « Les brevets seront délivrés sans examen » ; mais alors comment le gouvernement agirait-il si l'invention pour laquelle on demande un brevet s'appliquait à un objet insignifiant, ridicule, contraire aux intérêts du pays ou qui répugnerait à la morale publique ? Le gouvernement serait-il obligé d'accorder le brevet ? N'est-il pas dans la nature des choses qu'une telle demande soit réputée non avenue ?

Il faut donc que le gouvernement se livre au moins à cet examen de savoir si c'est une demande raisonnable qui peut être accueillie. Rapprochons cette réflexion de la nécessité de donner de la publicité au brevet, il me semble que cela ne peut pas exister pour des demandes de brevet qui seraient ridicules ou même inconvenantes. Tout peut se supposer, nous en avons des preuves, même dans les demandes qui sont adressées à la chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - L'observation de l'honorable préopinant provient de ce que d'après les principes nouveaux le gouvernement ne fera plus d'examen préalable des inventions pour lesquelles on demandera un brevet. Mais l'idée d'absence d'examen préalable doit se rapprocher des termes de l'article premier qui dit qu'il sera accordé des brevets pour tout ce qui est susceptible d'être exploité comme objet d'industrie ou de commerce. On pourrait en induire que le gouvernement n'a aucun motif pour refuser de breveter tout ce qui est susceptible d'être exploité comme objet d'industrie ou de commerce. Dans cet ordre d'idées, le gouvernement sera-t-il obligé d'accorder un brevet pour un objet contraire aux lois, aux bonnes mœurs, à la sûreté du pays ? C'est impossible.

Tout ce qui est défendu par la loi ne peut être l'objet d'un brevet ; ce qui est contraire aux bonnes mœurs, à la sûreté de l'Etat, ne peut pas être objet de commerce, par conséquent ne peut pas être breveté.

Quoi qu'il arrive, cette nécessité d'accorder les brevets sans examen ne peut pas s'entendre d'une manière absolue ; on pourra toujours s'assurer si, dans la catégorie des objets pour lesquels on demandera des brevets, il s'en trouve dont la vente est illicite comme contraire aux lois, aux bonnes mœurs et à la sûreté de l'Etat. De pareils objets ne seront jamais brevetés. Les termes de l'article premier sont les plus précis qu'on ait pu trouver. Il faut bien laisser quelque chose à l'appréciation du gouvernement.

Si l'on craint qu'il n'en résulte des abus, l'inventeur a plus d'un moyen de se plaindre, y compris le recours à la législature.

Je crois avoir répondu à l'observation de l'honorable membre en disant que dans les cas qu'il a indiqué, le gouvernement ne serait pas obligé de délivrer le brevet.

M. de La Coste. - M. le ministre n'a pas répondu en ce qui concerne les demandes ridicules.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je crois que pour les demandes ridicules, il n'y a pas de réponse sérieuse à faire. Je ne pense pas qu'on s'adresse au gouvernement pour demander un brevet dont l'objet serait ridicule, car il faudra payer le droit. Mais si une demande est faite pour une découverte ridicule, le gouvernement donnera acte du brevet conformément à la loi, mais le public en fera bonne et prompte justice.

M. Lesoinne. - La loi française où la disposition est puisée fonctionne depuis assez longtemps et n'a jusqu'ici présenté aucun inconvénient. Si un brevet est demandé pour un objet ridicule, le breveté payera une amende en acquittant la taxe, mais je ne crois pas que le cas se présentera. Quant aux objets contraires aux bonnes mœurs, cela reste soumis aux lois existantes. La disposition sous ce rapport ne présente aucun danger.

M. T’Kint de Naeyer. - Le gouvernement ne doit aucunement discuter l'utilité du procédé ou sa nouveauté ; mais il ne faut pas pousser le système de non-examen préalable jusqu'à lui enlever l'appréciation facultative des demandes qui lui paraîtraient contraires aux lois, aux bonnes mœurs, à la sûreté publique. Pour faire droit aux observations de l'honorable M. de La Coste, il me semble qu'il n'y aurait pas grand inconvénient à supprimer les mots « sans examen préalable ». Ne suffit-il pas de dire : « Les brevets seront délivrés aux risques et périls des demandeurs et sans garantie du gouvernement ».

Je crois que la suppression de ces mots « sans examen » lèverait toute difficulté.

- Plusieurs voix. - Non, non !

M. Rogier. - Je pense que l'observation de l'honorable M. de La Coste ne peut être acceptée qu'avec une grande réserve. Il demande si le gouvernement, lorsqu'on réclamera de lui l'inscription d'une idée nouvellement créée (car voilà toute l'opération que fait le gouvernement ; il fait l'office d'officier de l'état civil ; il inscrit les nouveau-nés, et leur donne date), il examinera s'il s'agit d'une invention ridicule. Mais le gouvernement n'a pas cette mission-là. S'il plait à un individu de demander que l'on breveté une idée ridicule, il n'y a pas grand mal à cela, il sera puni d'une amende d'une somme à payer pour avoir fait la déclaration d'un enfant ridicule.

N'oublions pas que beaucoup d'inventions ont, à leur origine, été qualifiées de ridicules. La plupart des grandes découvertes ont été qualifiées ainsi ou repoussées, ou bien elles ont été l'objet de peines spirituelles et autres.

Laissons les choses comme elles sont ; bien que le gouvernement ait la faculté de refuser des brevets, en fait depuis plusieurs années on accordait tous les brevets qui étaient demandés. Il n'y a pas de grands inconvénients à cela.

Sous ce rapport, j'engage M. le ministre de l'intérieur à continuer la pratique de ce qui s'est fait depuis plusieurs années sans inconvénients, c'est à dire qu'on a inscrit toutes les déclarations de tous ceux qui à tort ou à droit se croyaient pères d'une idée nouvelle.

Il va de soi que pour les déclarations qui par elles-mêmes blesseraient ouvertement la morale publique, le gouvernement pourra à ses risques et périls en refuser l'inscription, sauf à l'inventeur à réclamer auprès de la législature s'il se croit lésé dans son droit.

Il ne faut pas engager le gouvernement à se montrer trop strict ; en principe il doit admettre sans examen toutes les déclarations de ceux qui se prétendent inventeurs d'une idée nouvelle.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il faut cependant s'entendre. Je ne crois pas que le gouvernement doive dans tous les cas accorder un brevet ; il ne le pourra pas lorsque l'exploitation ou la vente sera contraire à la loi. Ainsi il ne pourra breveter les objets qui tiennent à l'art de guérir, puisque la loi le défend. S'il s'agit d'objets contraires aux mœurs, évidemment le gouvernement ne les brevètera pas.

Si l'on objecte que ces refus peuvent entraîner des abus, le correctif sera le recours à la législature.

Dans tous les cas où soit la loi, soit la morale serait offensée, le gouvernement se refusera à accorder les brevets qui pourraient être demandés.

M. Van Overloop. - J'ai demandé la parole pour appuyer ce qu'a dit tantôt M. Rogier. Après les explications données par cet honorable membre, je ne me serais pas levé pour exprimer les mêmes idées. Mais les observations que vient de présenter M. le ministre de l'intérieur m'obligent à reproduire en partie ce qu'a dit M. Rogier.

La concession d'un brevet est une simple inscription. Si vous dites dans la loi que les brevets seront accordés sans examen préalable, le gouvernement n'aura pas le droit d'examen. Si vous voulez au contraire (page 188) qu’il ait ce droit, il faut supprimer les mots « sans examen préalable » ; car le gouvernement n'a que le pouvoir d'exécuter la loi. Si vous maintenez ces mots, le gouvernement n'aura pas le droit d'examiner les demandes de brevets, et quel inconvénient pourra en résulter ?

Dans la supposition qu'il ait accordé un brevet dont l'exploitation puisse donner lieu à des inconvénients, en vertu de son autorité de police supérieure, il pourra en empêcher l'exploitation. Autre chose est l'octroi, autre chose est l'exploitation d'un brevet.

On peut donc parfaitement, ce me semble, combiner la doctrine de l'amendement de M. Lesoinne avec les moyens de prévenir l'exploitation d'un brevet dont l'objet serait contraire à la morale, à l'hygiène, à la salubrité.

Pour ma part, je ne puis admettre les distinctions que veut introduire administrativement M. le ministre de l'intérieur.

Ce que vient de dire l'honorable M. Rogier est parfaitement exact ; les plus grandes découvertes ont été ridiculisées à leur origine. Vous vous rappelez qu'il en a été ainsi de l'application de la vapeur à la navigation. Fulton avait été traité de visionnaire sous l'empire et peu d'années après Napoléon, transporté sur le Bellérophon à Sainte-Hélène, croisa avec amertume le bateau à vapeur le Fulton. Rappelez-vous cette circonstance ; elle est caractéristique.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il ne s'agit pas de la moindre restriction dans la concession de brevets pour des choses sérieuses susceptibles d'être exploitées comme objets d'industrie on de commerce et par conséquent d'être brevetées aux termes de l'article premier. Mais le gouvernement pense qu'il ne peut breveter les objets contraires aux mœurs ; car ces choses, ne pouvant être mis en vente, ne doivent pas être considérés comme objets de commerce ou d'industrie.

On veut que le gouvernement accorde des brevets pour des objets contraires aux lois ou aux mœurs, et qu'il dénonce immédiatement au procureur du roi ceux qu'il a brevetés. Voilà une position bien digne qu'on fait au gouvernement. Cela n'est pas sérieux. Cela n'est pas tolérable !

Il doit être entendu que le gouvernement accordera sans examen des brevets pour lous les objets autres que ceux que des lois positives ne permettront pas de considérer comme des objets de commerce ou d'industrie. Il ne faut pas se créer des fantômes, il ne faut pas supposer que le gouvernement veuille étendre le cercle des restrictions et les appliquer à des objets qui, ridicules en apparence, deviendraient ensuite des objets d'une grande importance. Il faut se renfermer dans de sages limites. Il s'agit, je le répète, uniquement de matières qui ne peuvent devenir des objets de commerce ou d'industrie.

M. Vermeire, rapporteur. - Messieurs, la question que vient d'agiter l'honorable M. de La Coste avait également été soulevée par la 4ème section lorsqu'elle a examiné le projet primitif présenté par le gouvernement. La section centrale, à la page 6 de son rapport, y a répondu de la manière suivante :

« La loi sur les brevets n'abroge point les lois pénales, et si des délits sont commis contre l'ordre, la sécurité publique, les bonnes mœurs ou les lois, au moyen ou par l'usage d'objets brevetés, ils seront punissables de la même manière que s'ils avaient été commis avec des objets non brevetés.

« Les brevets sont accordés par le gouvernement sans garantie comme sans examen préalable de sa part et aux risques et périls des brevetés. Ceux-ci pas plus que les autres citoyens, ne peuvent se soustraire à l'obéissance et à la soumission dues aux lois du pays. »

La section centrale, et cela résulte de tout le système qu'elle a présenté, ne veut en aucune manière de l'examen préalable du gouvernement. Si le gouvernement devait faire cet examen préalable, il lui serait souvent difficile de reconnaître où commence le ridicule et où finit le sérieux, où commence l'immoralité. Je crois qu'il faut laisser ceux qui obtiennent des brevets d'invention punissables de par la loi, de la même manière que ceux qui ne sont pas brevetés.

M. Roussel. - Je dois m'opposer à la suppression des mois, « sans examen préalable, » car tout le résultat que nous voudrions atteindre, serait évidemment entravé par cette suppression. Mais il semble également inadmissible de confier au gouvernement en dernier ressort la décision de la question de savoir si une invention est ou ridicule ou immorale, et par conséquent, de le charger de décider si le brevet doit être accordé.

Dans la pratique, la difficulté ne sera pas aussi grande qu'on semble le croire ; voici ce qui arrivera : si une invention de la nature de celles que craint l'honorable M. de La Coste demandait à être brevetée, le gouvernement refuserait probablement. Le demandeur en brevet réclamerait devant les tribunaux et poursuivrait le ministre, prétendant qu'il a le droit d'obtenir le brevet.

Les tribunaux deviendraient alors juges de la question, et je suis persuadé qu'il n'y aurait pas en Belgique un tribunal qui forcerait le ministre à accorder un brevet pour une invention qui serait véritablement ridicule, immorale ou contraire aux lois du pays.

M. Orts. - Il y a du vrai dans les deux opinions qui se débattent sur la question posée devant rassemblée. Je crois qu'il serait très dangereux, que ce serait aller contre le but général de la loi, que de faire disparaître les mots dont on a demandé tout à l'heure la suppression. Mais je ne voudrais cependant pas que de la discussion de cette chambre on fût autorisé à conclure que le gouvernement n'a qu'un simple droit d'enregistrement, dans quelque circonstance que ce puisse être, à l'égard des inventions pour lesquelles on vient lui demander un brevet. Il peut se faire que l’on soumette au gouvernement des inventions je ne dirai pas ridicules, car une invention ridicule aux yeux de quelques-uns peut être de nature à changer la face de l'industrie, à changer la face du monde entier. Rappelons-nous que lorsque Christophe Colomb a parlé de la découverte du nouveau monde il a été traité de fou. Ainsi pour les inventions soi-disant ridicules, je n'admets pas que le gouvernement ait le pouvoir de refuser des brevets.

Mais il est incontestablement vrai, comme l'a dit M. le ministre de l’intérieur, qu'on ne peut condamner le gouvernement à enregistrer l'acte de naissance d'une invention contraire aux mœurs ou aux lois du pays. On ne peut forcer le gouvernement à publier dans le Moniteur des arrêtés royaux concernant des brevets, alors que la lecture seule de ces arrêtés serait une protestation contre les mœurs et l'ordre public. Je pourrais citer de nombreux exemples, mais je ne crois pas devoir le faire, je me bornerai à vous en indiquer un seul. Je suppose qu'on vienne demander à M. le ministre de l'intérieur un brevet pour l'invention d'un procédé qui permette de procurer facilement l'avortement. C'est là, malheureusement, une industrie qui a ses secrets, qui a ses procédés et qui existe.

Croyez-vous que M. le ministre pourrait, sans offenser la morale publique, insérer au Moniteur un arrêté qui accordât un brevet pour l'invention d'un semblable procédé ?

Il faut donc qu'en ce qui concerne les bonnes mœurs, le gouvernement ait un pouvoir discrétionnaire ; je ne demande pas qu'on le dise dans la loi, mais je demande qu'on ne soit pas autorisé à se prévaloir de nos discussions pour dénier au gouvernement le droit de refuser des brevets dans ces limites, extrêmement restreintes.

M. Roussel. - Permettez-moi, messieurs, une simple observation : lorsque j'ai parlé d'inventions ridicules, je n'ai nullement entendu faire allusion à des découvertes telles que celles de Christophe Colomb devinant l'Amérique, ou celle de Fulton inventant la vapeur maritime ; j'ai voulu parler d'un ridicule caractérisé qui ne puisse échappera personne. Lorsque j'ai prévu le cas d'immoralité, j'avais en vue des immoralités bien caractérisées et sur lesquelles tout le monde serait d'accord. En effet, les uns regardent parfois comme immoral ce que d'autres ne considèrent pas comme tel. Sous ce rapport l'immoralité est entachée du même vague que M. Orts reproche au ridicule.

Je ferai remarquer aussi que l'exemple cité par l'honorable M. Orts rentre dans le cadre des questions de propriété médicale que la nuit je regrettais de ne pas voir résolues par le projet de loi en discussion, mais non dans ce projet. A moins de supposer une machine industrielle destinée à procurer l'avortement, il serait difficile de trouver là mtière à une invention industrielle ou commerciale.

Je persiste donc à croire que les mots « sans examen préalable » doivent rester dans le projet et que le ministre à ses risques et périls pourra toujours refuser le brevet sauf aux tribunaux à statuer sur la difficulté. Lorsqu'on dit : saut examen préalable, cela ne veut pas dire : en aveugle ; cela signifie seulement qu'on n'examinera pas le mérite de la découverte en elle-même ; mais une telle expression laisse subsister le respect dû par tout le monde à l'ordre public et aux bonnes mœurs.

M. Deliége. - Je crois que ce que l'on voudrait voir inscrit dans le projet de loi s'y trouve inscrit de la manière la plus claire.

Il suffit de lire attentivement l'article premier et l'amendement de mon honorable ami M. Lesoinne pour en être convaincu. En effet l'article premier dit :

« Il sera accordé des droits exclusifs et temporaires sous le nom de brevet d'invention pour toute découverte ou perfectionnement susceptible d'être exploité comme objet d'industrie et de commerce. »

Ici le gouvernement aura un examen à faire ; il devra poser la question de savoir si la découverte ou le perfectionnement est susceptible d'être exploité comme objet d'industrie et de commerce.

Si la découverte ou le perfectionnement a pour but de produire des objets dont l'emploi serait contraire aux lois, à l'ordre public ou à la morale, la réponse devra être négative, car ce qui est contraire aux lois, à l'ordre public ne peut faire l'objet d'une convention et par conséquent ne peut être considéré comme objet d'industrie ou de commerce. Je fais avec vous une convention ayant pour but de produire un résultat contraire aux bonnes mœurs : nul doute que cette convention ne soit nulle, la loi civile la frappe de nullilé. Maintenant l'amendement de l'honorable M. Lesoinne dit :

« Les brevets seront délivrés sans examen préalable, aux risques et périls des demandeurs et sans garantie soit de la réalité, soit de la nouveauté ou du mérite de l'invention, soit de l'exactitude de la description. »

Sans examen préalable, cela ne vont pas dire que le gouvernement délivrera le brevet pour toute espèce de découverte, pour tout espèce de perfectionnement ;; son devoir est limité à cet égard par les derniers mots de l’article premier. Ce smots « sans examen préalable » sont expliqués par ce qui les suit ;: c’est-à-dire que le gouvernement n’examinera ni la réalité ni le mérite de l’invention. Il n’aura pas à examiner le degré d’utilité (page 189) des objets à produire, pourvu que légalement ces objets puissent être livrés au commerce.

Ainsi la découverte est-elle susceptible d'être exploitée comme objet d'industrie ou de commerce ?

Cette question devra être examinée et jugée par le gouvernement.

La découverte est-elle réelle, nouvelle ? a-t-elle un certain mérite ?

Cette dernière question ne pourra être posée par le gouvernement, il n'aura ni à l'examiner ni à la résoudre.

Voilà, je crois, ce qui est clairement inscrit dans les deux dispositions qui, en ce moment, font l'objet de la discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je crois que tout le monde sera d'accord pour maintenir les mots « sans examen préalable », je ne vois aucune nécessité de supprimer ces mots. C'est aussi la pensée du gouvernement. Il doit être bien entendu que, dans la pensée du gouvernement, ces mots « sans examen préalable » ne le condamnent pas à breveter quoi que ce soit.

M. Rogier. - Messieurs, j'ai raisonné dans les termes de l'article premier, lorsque j'ai parlé de découvertes quelconques pour lesquelles on viendrait demander un brevet au gouvernement, je n'ai pas entendu condamner le gouvernement à instruire toutes les demandes indistinctement qui lui seraient adressées ; je me suis, je le répète, tenu dans les termes de l'article premier ; il doit être entendu que l'objet auquel la demande s'applique doit être susceptible d'être exploité comme un objet d'industrie ou de commerce. S'il s'agit d'une demande qui serait contraire aux mœurs ou à nos lois, il est évident que cette demande ne devrait pas être instruite, parce que l'objet ne pourrait pas être considéré comme objet d'industrie ou de commerce.

Je n'ai pas entendu condamner le gouvernement à admettre toute espèce de demandes. Mais lorsque j'ai entendu un honorable orateur déconseiller au gouvernement d'instruire des demandes ridicules, j'ai pensé qu'on allait trop loin.

J'ai cru devoir faire mes réserves, quant à l'observation présentée par l'honorable M. de La Coste. J'ai demandé à M. le Ministre de l'intérieur de continuer d'appliquer la loi comme elle a été appliquée depuis plusieurs années.

- L'amendement de M. Lesoinne est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Par suite de cette adoption, l'article 2 est rédigé ainsi que nous l'avons indiqué plus haut.

La Chambre passe à l'article 5.

Article 5

« Art. 5. L'auteur d'une découverte déjà brevetée à l'étranger peut obtenir, par lui-même ou par ses ayants droit, un brevet d'importation en Belgique ; la durée de ce brevet ne peut excéder celle du brevet antérieurement concédé à l'étranger pour la même découverte.

« Les brevets d'importation confèrent les mêmes droits que ceux d'invention. »

- Adopté.

Article 6

« Art. 6. Les brevets d'invention ou d'importation pourront, en cas d'addition à l'objet de la découverte, donner lieu à des brevets de perfectionnement, qui prendront fin en même temps que ceux-ci.

« Ces brevets conféreront les mêmes droits que ceux qui sont énumérés à l'article 4 ou à l'article 5, suivant qu'ils seront d'invention ou d'importation. »

La section centrale propose de rédiger le second paragraphe comme suit ;:

« Ces brevets conféreront les droits énumérés à l'article premier. »

- L'article 6 ainsi amendé est adopté.

Article 7

« Art. 7. Quiconque voudra prendre un brevet sera tenu de déposer, sous cachet, en double, au greffe de l'une des provinces du royaume, ou au bureau d'un commissaire d'arrondissement, en suivant les formalités qui seront déterminées par un arrêté royal, la description claire et complète en langue française ou flamande, et le dessin exact et sur une échelle métrique de l'objet de l'invention.

« Aucun dépôt ne sera reçu que sur la production d'un récépissé constatant le versement de la première annuité de la taxe du brevet.

« Un procès-verbal, dressé sans frais par le greffier provincial ou par le commissaire d'arrondissement, sur un registre à ce destiné, et signé par le demandeur, constatera chaque dépôt, en énonçant le jour et l'heure de la remise des pièces.

« Les paquets déposés, soit au greffe dos gouvernements provinciaux, soit au bureau des commissariats d'arrondissement, seront transmis au département de l'intérieur, avec une copie du procès-verbal, dans les cinq jours qui suivront l'enregistrement de chaque dépôt. »

M. le président. - Dans le second paragraphe, la section centrale propose de substituer aux mots : « sur une échelle métrique », ceux-ci : « sur échelle ».

Elle propose ensuite de rédiger le quatrième paragraphe ainsi qu'il suit :

« Les paquets déposés seront transmis au département de l’intérieur, avec une copie du procès-verbal, dans les cinq jours qui suivront l’enregistrement de chaque dépôt. »

M. T'Kint de Naeyer. - Je regrette que la section centrale ait décidé qu'il n'y avait pas lieu d'exiger que les dessins accompagnant les demandes de brevets fussent établis d'après l'échelle métrique. Le gouvernement est obligé de punir ceux qui dans les actespublics ne font pas usage du système métrique, le seul légal. Or, la description des brevets accordés sera publiée dans un recueil dont le caractère officiel n'est pas contestable.

L'autorité donnera-t-elle l'exemple d'une dérogation à la loi ?

D'un autre côté la disposition ne présentera aucune difficulté dans la pratique ; car si vous exigez que la demande soit faite en français ou en flamand, vous pouvez tout aussi bien stipuler que le dessin sera établi sur l'échelle métrique.

Les étrangers reculeront-ils devant des conditions aussi faciles à remplir ? Je n'ai aucune inquiétude à cet égard.

Au point de vue national il importe de ne laisser échapper aucune occasion de propager le système légal, dont malheureusement l'usage n'est pas encore général. J'espère que la chambre maintiendra la rédaction du gouvernement.

M. Vermeire, rapporteur. - Messieurs, si on exige que les dessins soient faits sur échelle métrique, cela pourrait donner lieu à beaucoup d'inconvénients, surtout en ce qui concerne les brevets demandés par les étrangers ; car le système métrique n'est pas aussi généralement usité qu'on paraît le croire. Il n'est admis ni en Angleterre, ni en Prusse, ni dans bien d'autres pays ; les contrées où il est en usage font encore exception aujourd'hui. Si vous exigez que les dessins soient faits sur l'échelle métrique, cela pourrait, comme je l'ai déjà dit, donner lieu notamment à des renvois de demandes de brevets.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je demande le maintien des mots : « échelle métrique ». Il me semble que nous ne pouvons pas nous-mêmes provoquer une dérogation au système métrique dont la loi recommande l'usage dans toutes les circonstances où les particuliers sont en relation avec les autorités publiques. Ainsi par exemple, les plans relatifs aux demandes en concession de mines sont produits à l'échelle métrique. Il en est de même de plans des bâtiments dont la construction doit être approuvée soit par le gouvernement, soit par les autorités provinciales, soit par les autorités communales.

Partout la loi recommande l'usage de l'échelle métrique, et nous irions nous-mêmes donner législativement l'exemple du peu de respect pour un système universellement reconnu comme bon.

On parle des inconvénieuls que ce système présenterait au point de vue des étrangers. Ces inconvénients sont nuls. N'est-il pas évident que l'inventeur anglais, par exemple, peut très facilement faire réduire dans le pays les plans qu'il aurait envoyés avec une autre mesure, à les faire réduire d'après le système métrique usité en Belgique ? Comme l'inventeur étranger s'adresse à l'autorité belge, pour obtenir un brevet, il doit dès lors avoir un agent en Belgique, et il a toutes les facilités pour que la mesure usitée dans son pays soit traduite dans le système légal du pays où il réclame un avantage.

Je demande que la chambre maintienne la proposition du gouvernement.

M. Vermeire, rapporteur. - Je ne veux pas discuter ici les mérites du système métrique dont du reste j'ai toujours été partisan, mais mon amour pour ce système ne va pas jusqu'à vouloir l'imposer à d'autres pays où il n'est pas en usage.

Nous faisons une loi sur les brevets ; eh bien, en Angleterre, d'où il nous viendra sans doute des demandes de brevet, on n'ira pas renoncer à l'habitude que l'on a de se servir d'un autre système. Il n'y a pas d'inconvénient à permettre aux étrangers qui viennent demander un brevet, de se servir du système de mesures en usage dans leur pays. Je le répète, la loi que nous faisons n'est pas faite seulement pour les Belges, mais aussi pour les étrangers qui peuvent venir demander des brevets en Belgique.

M. de Mérode. - M. le ministre vient de dire que tout le monde doit respecter le système métrique, le système décimal. Je respecte ce système au point de vue légal, mais je ne le trouve pas toujours le plus commode ; la division par 2, par 4, etc., était plus commode que le système décimal. Il est plus commode de se servir du système ancien de division par 2, par 4, par 8 ; je ne vois pas pourquoi on obligerait les citoyens à se servir du système métrique.

Quand on doit diviser quelque chose en cinq c'est difficile ; en quatre c'est plus facile. Vous avez une ficelle, vous la pliez en deux ; puis vous pliez encore en deux et vous avez votre partage en quatre ; c'est bien autrement facile que le système décimal, qui est plus savant ; excellent pour l'astronomie qui, du reste, était connu avant le siècle dernier ; car on s'en servait autrefois pour l'arithmétique. Je ne vois pas pourquoi on obligerait les étrangers à se servir de ce système.

M. T'Kint de Naeyer. - L'honorable préopinant s'est plusieurs fois constitué le défenseur des anciennes mesures ; je crois inutile de faire, devant lui, l'apologie du système métrique, aussi n’ai-je demandé la parole que pour répondre quelques mots à l'honorable M. Vermeirc.

Les difficultés que l'honorable rapporteur redoute ne sont pas sérieuses. Nous eu avons fait l'expérience en Belgique depuis plusieurs années. En France, on exige également que les dessins présentés à l'appui des demandes de brevet, soient faits d'après l'échelle métrique ; jamais aucun inventeur étranger n'a songé à s'en plaindre ou à réclamer.

Il faut que chaque intéressé puisse, au besoin, facilement contester la nouveauté du procédé ; d'autre part, il convient d'éviter la confusion, les procès qui résulteraient de la diversité des mesures.

(page 190) Je persiste donc à combattre l'amendement de la section centrale.

M. de Haerne. - Il ne s'agit pas, à mon avis, d'examiner en ce moment si le système métrique est celui qui présente le plus d'avantages ; il suffit que ce soit le système légal pour qu'on doive le faire respecter. Au reste, je le crois utile non seulement au point de vue scientifique, mais au point de vue pratique, en ce qu'il tend à établir dans le pays l'unité de poids et mesures. On peut avoir de la prédilection pour un autre système, mais son admission présenterait toujours l'inconvénient d'offrir des bigarrures avec d'autres systèmes également usités dans d'autres pays.

Quant à l'application du système métrique à l'objet qui nous occupe, je crois qu'on en a exagéré les inconvénients. De deux choses l'une, ou l'étranger qui demandera un brevet connaîtra la langue française ou il ne la connaîtra pas ; s'il la possède il sera à même de traduire en mesure métrique la mesure de son pays et de l'appliquer à son invention ; s'il ne possède pas la langue française, il devra recourir à un traducteur qui, lui, connaîtra le système métrique et pourra faire la traduction des mesures aussi bien que de la demande de brevet et de la description de son objet.

Je crois que, par respect pour le système de mesure adopté dans le pays on ne peut pas s'écarter de la proposition du gouvernement.

M. Van Overloop. - L'article 7 porte que la demande de brevet devra contenir la description claire et complète en langue française ou flamande de l'objet de l'invention. Je propose d'ajouter « et allemande ». Aux termes de la constitution l'emploi des langues usitées dans le pays est facultatif. Or, l'allemand est en usage dans le pays, pourquoi donc ne pas mettre la langue allemande sur la même ligne que la langue française et la langue flamande ? Remarquez que je ne demande pas qu'on puisse se servir d'une langue étrangère. Je me renferme dans les termes de la Constitution.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Tout le monde parle français dans le Luxembourg. Il est inutile de multiplier les idiomes dans lesquels on pourra faire les demandes de brevet. On a admis l'emploi des deux langues, française et flamande, parce qu'elles représentent les deux grandes divisions du royaume.

Quant au système métrique, je n'en dirai rien ; car je ne crois pas qu'il soit nécessaire à notre époque de venir défendre le système métrique.

Si on n'exigeait pas qu'on employât le système métrique, je vous laisse à juger de la bigarrure qui existerait dans les demandes au ministère de l'intérieur. Quel moyen aurait-on de faire avec exactitude la réduction de toutes ces mesures au système métrique ?

Quelle garantie pouvez-vous avoir de l'exactitude de la description elle-même qui le plus souvent dépend des mesures. Ce sont des choses dont le gouvernement ne doit pas avoir la responsabilité. Ceux qui veulent obtenir un brevet peuvent bien prendre la peine d'en indiquer l'objet d'une manière claire et précise, suivant les usages et les lois du pays.

M. Orts. - Je voulais présenter une observation à propos de la proposition de M. Van Overloop. Comme lui, je demande l'adjonction des mots « langue allemande ». Je dis que vous n'avez pas le droit, au point de vue de la Constitution, de ne pas permettre l'usage de la langue allemande. L'article 27 de la Constitution porte : « L'emploi des langues usitées en Belgique est facultatif ». La loi autorise l'emploi de la langue française pour les matières judiciaires et pour les actes de l'autorité, c'est-à-dire que le gouvernement est autorisé à les faire publier exclusivement en français, si cela lui fait plaisir.

Il y a une minorité assez considérable dans le Luxembourg qui ne se sert que de la langue allemande, mais n'y eût-il qu'une seule personne dans ce cas, son droit constitutionnel est de se servir de sa langue maternelle quand il s'adresse au gouvernement, il faut lui maintenir ce droit. Quand on fait bon marché d'un droit inscrit dans la Constitution, on ne sait où cela peut conduire.

Appliquez une telle restriction à la liberté des cultes et vous verrez où elle vous conduira.

Je sais bien que les populations dont il s'agit appartiennent aux degrés les moins élevés de l'échelle sociale et qu'elles ne parlent qu'une seule langue, la langue allemande. Mais ce sont précisément ces classes de la société qui ont produit le plus grand nombre d'auteurs d'inventions utiles dans l'art mécanique. Les perfectionnements les plus importants sont dus à de simples ouvriers qui, assis près de leurs machines et les voyant fonctionner, ont aperçu souvent mieux que les inventeurs eux-mêmes le parti qu'on en pouvait tirer.

Je demande que les Luxembourgeois, s'ils n'ont pas pu jouir des bienfaits de l'instruction, puissent parler leur langue quand ils demanderont un brevet d'invention.

M. Orban. - Il n'y a, ce me semble, aucune objection à faire à l'amendement proposé, car l'adjonction de la langue allemande aux deux langues mentionnées dans l'article ne peut présenter aucune difficulté. En fait, j'ai une réponse à faire à M. le ministre de l'intérieur ; il n'est pas exact de dire que tout le monde parle français dans le Luxembourg.

Il y a en effet dans le Luxembourg deux cantons tout entiers, contenant une population de 40,000 habitants où l'on ne parle français qu'exceptionnellement et où un grand nombre d'habitants ne connaissent que la langue allemande.

Dans les autres affaires on peut recourir à une personne sachant la langue française ; mais en matière de brevets, où le secret est indispensable, il faut que l'on puisse rédiger soi-même sa demande. Il faut donc que l'on soit admis à la faire dans sa langue maternelle.

J'appuie donc l'amendement d'après lequel on ajouterait à l'article « la langue allemande ».

M. de Theux. - Les observations de l'honorable préopinant sont justes quant aux Belges qui parlent la langue allemande. Mais faut-il en étendre le bénéfice aux étrangers ? Remarquez que des Allemands en grand nombre demandent des brevets. Faudra-t-il qu'il y ait au département de l'intérieur des employés chargés de la traduction ? Je ne pense pas qu'il faille donner une telle extension à l'amendement de l'honorable M. Van Overloop ; il doit être limité aux Belges, eu petit nombre, qui parlent la langue allemande.

M. Roussel. - Si l'opinion de l'honorable préopinant devait prévaloir, il serait aussi juste de dire que les Flamands d'origine devront seuls écrire en flamand, et que les Wallons devront seuls écrire en français. Mais il n'y a pas à équivoquer. La Constitution déclare formellement que l'usage des langues est facultatif, sans faire de distinction quant à l'origine de ceux qui parlent telle ou telle langue.

Pour obéir à la Constitution, il est indispensable, comme l'a démontré M. Orts, d'adopter l'amendement qui est proposé.

M. de Haerne. - Je crois que l'inconvénient signalé par l'honorable M. de Theux n'est pas à craindre ; car si un Allemand-Belge demande un brevet, il faudra qu'il y ait au ministère un employé capable de traduire sa demande ; il pourra faire la même besogne pour les Allemands.

Je ne trouve donc pas d'inconvénient à adopter l'amendement proposé par MM. Van Overloop et Orts.

M. Orban. - J'avais demandé la parole pour répondre à l'observation de l'honorable M. de Theux. Il est évident que l'on doit accorder aux étrangers aussi bien qu'aux Belges le droit de faie des demandes de brevets dans l'une des langues en usage en Belgique. Sans quoi vous serez obligés de déterminer la langue dont les étrangers devront faire usage, et cette langue serait privilégiée comparativement aux autres ; ce qui serait contraire à l'esprit de l'article de la Constitution.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Nous nous occupons d'une difficulté qui n'en est pas une. Ainsi, je ne crois pas que jamais un Luxembourgeois fasse en allemand la demande d'un brevet. Dans la partie belge du Luxembourg tout le monde parle français.

Si vous ajoutez la langue allemande, pourquoi ne pas ajouter aussi la langue anglaise ? Ce serait tout aussi équitable ; car les Anglais sont plus inventeurs que les autres nations.

Pourquoi les exclure ? Je respecte la Constitution ; mais il ne faut pas tirer de ses principes des conséquences exorbitantes.

D'autres idiomes encore existent dans le pays et sont plus généralement usités que l'allemand dans le Luxembourg belge. Pourquoi les exclurait-on ? Il ne faut donc pas s'exagérer la difficulté que les habitants du Luxembourg pourraient avoir à obtenir un brevet. Il suffit que l'on puisse faire la description des inventions en français ou en flamand. On peut, je crois, se borner à ces deux langues.

M. A. Vandenpeereboom. - Dans cette discussion il ne s'agit pas de savoir s'il est utile ou non d'autoriser l'usage de la langue allemande. Il s'agit de savoir si nous pouvons priver une partie de nos concitoyens d'un droit que la Constitution leur garantit.

M. le ministre dit qu'il ne faut pas pousser à l'extrême les principes constitutionnels. Il me semble, au contraire, que les principes constitutionnels doivent complètement être observés.

Si aujourd'hui vous permettez qu'on empêche les Belges luxembourgeois de parler leur langue, demain on sera autorisé à interdire aux Flamands de parler la leur.

Je crois donc que nous ne pouvons pas priver nos concitoyens d'un droit qui leur est garanti par la Constitution.

M. de Mérode. - Alors qu'on dise qu'il n'y aura que les Belges qui pourront faire usage de la langue allemande ! Il n'y en aura presque jamais.

M. Rogier. - Je ne m'oppose pas à l'amendement ; je veux seulement faire une observation. Si nous admettons que les descriptions pourront être faites en français, en flamand ou en allemand, de fait, nous excluons la langue la plus industrielle du monde, la langue anglaise. Cela convient-il ? Ne pourrait-on pas faire droit à des scrupules non moins légitimes, en laissant à chacun le droit de faire usage de la langue qu'il jugera convenable ?

Il y a des artisans wallons qui feront des inventions ; pourront-ils les décrire en patois wallon ? D'après ce qui vient d'être dit, une telle description devrait également être admise.

Ne pourrait-on pas supprimer l'indication des langues, et retrancher les mots « en langue française ou flamande ? »

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je crois, en effet, que si l'on persistait à introduire la langue allemande à l'exclusion de la langue anglaise, il vaudrait mieux se rallier à l'opinion de l'honorable M. Rogier. On adressera au gouvernement une demande de brevet. Si la description est rédigée en une langue que le gouvernement ne comprend pas, il renverra la demande en priant de de l'accompagner d'un texte en usage dans le pays.

(page 191) Mais au moins on n'aura pas la bigarrure résultant d'une disposition qui autoriserait l'usage d'une langue étrangère à l'exclusion d'une autre plus usuelle pour tout ce qui tient à l'industrie.

Je préfère donc la proposition de l'honorable M. Rogier à l'introduction de la langue allemande.

M. Van Overloop. - Pour concilier toutes les opinions, il me semble que nous pourrions dire « dans une des langues usitées en Belgique. » C'est conforme à l'article 23 de la Constitution. Nous resterions donc fidèles au principe constitutionnel ; et nous ferions disparaître vis-à-vis des nations qui se trouvent exclues une prétendue inconvenance.

M. Orban. - Il y a cette différence entre la proposition de l'honorable M. Van Overloop et celle de M. le ministre de l'intérieur, que, dans le système de l'honorable M. Van Overloop, on devra, au ministère de l'intérieur, connaître les langues usitées dans le pays, tandis que dans le système de M. le ministre de l'intérieur on y devra connaître toutes les langues usitées dans le monde, y compris le chinois, car un homme qui s'est beaucoup occupé de la question a prétendu que les Chinois viendraient prendre des brevets d'invention en Belgique.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Ce n'est pas du tout cela que j'ai entendu dire : il est évident que quand on enverra au gouvernement une demande de brevet dans une langue qui n'est pas usitée en Belgique, le gouvernement sera libre de la renvoyer à son auteur en le priant de se conformer aux usages du pays ; il ne sera nullement nécessaire que le ministre connaisse les langues usitées à la Chine ou au Japon.

- La discussion est close.

L'amendement de M. Rogier est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. Van Overloop est adopté.

L'amendement de la section centrale, tendant à la suppression du mot : « métrique, » est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

Le changement de rédaction proposé par la section centrale, au dernier paragraphe, est adopté.

L'article 7 est adopté dans son ensemble.

- La séance est levée à 4 heures et demie.