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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 22 mars 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

(page 1113) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée ; il présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Les membres du conseil communal de Koekelberg présentent des observations contre la réunion de cette commune à la capitale. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi relatif à la réunion des faubourgs à la capitale.


« Des habitants de Tongerloo déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand du 25 décembre 1853. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi sur l’enseignement agricole, et renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Bucquoy prie la Chambre de statuer sur sa demande, tendant à obtenir un emploi. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le bureau de bienfaisance de la commune de Saint-Michel demande que les receveurs et les secrétaires des administrations de bienfaisance puissent, même dans les communes au-dessus de 1,000 habitants, être choisis dans une commune voisine. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif aux administrations de bienfaisance.


« M. le ministre de la justice renvoie, avec les renseignements y relatifs, les demandes de naturalisation formées par les sieurs G. Vanmierlo, J.-B. Biresborn et J.-A.-G. Thonissen. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


» Le directeur de la Banque de Belgique adresse à la Chambre 120 exemplaires du compte rendu des opérations de cet établissement pendant l'année 1853. »

- Distribution aux membres de la Chambre et dépôt à la bibliothèque.

Rapports sur des pétitions

M. Van Renynghe, rapporteur. - Messieurs, dans votre séance du 20 de ce mois, vous avez renvoyé à votre commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport, une requête, datée de Bruxelles, le 20 du même mois, par laquelle plusieurs blessés de septembre demandent qu'il soit nommé une commission, chargée de vérifier les titres qu'ils pourraient avoir à obtenir la décoration de la croix de Fer.

Les pétitionnaires disent qu'ils sont porteurs de certificats les plus recommandables et que, s'appuyaul sur le rapport fait à la Chambre par l’honorable M. Zoude, dans la séance du 12 novembre 1844, ils se permettent de recourir à votre équité, pour être relevés de la déchéance dont ils ont été frappés.

Ils ajoutent qu'il est à la connaissance de tous que, par oubli ou erreur, il y a des blessés de septembre et d'autres citoyens qui out fait preuve de dévouement dans les combats soutenus pour la cause de l'indépendance nationale, et qui n'ont pas été portés sur l'état des ayants droit à la décoration de la croix de Fer, quoique ayant, en temps opportun, procuré des titres très valides.

Ils allèguent en outre que le gouvernement n'a pas contesté leurs titres, attendu qu'il a accordé aux uns des subsides annuels et qu'il a témoigné aux autres le regret qu'il éprouvait de la dissolution de la commission, dite « des croix de Fer ».

Les pétitionnaires finissent en demandant que la Chambre veuille provoquer la nomination d'une commission qui, dans un délai donné, sera chargée de vérifier leurs titres, titres disent-ils, qui ne sont restés sans récompense que par suite de la dissolution prématurée de la commission dite des croix de Fer qui n'a pas eu le temps de terminer le travail dont elle était chargée.

Votre commission, sans rien préjuger, a l'honneur de vous proposer, messieurs, le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.

M. Rodenbach. - Messieurs, les pétitionnaires sont dignes de considération ; ils étaient aux avant-postes lorsque les distributions de croix se faisaient à Bruxelles. Vous le savez, les absents ont bien souvent tort. J'appuie les conclusions de la commission des pétitions qui propose le renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.


M. de Perceval, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée du mois de février dernier, un grand nombre d'habitants de Gand réclament l'intervention de la législature afin que le gouvernement engage l'administration communale de cette ville à prendre, pour l'année 1854, des mesures exceptionnelles dans le but de faire face à la crise alimentaire ; ils demandent aussi que les chambres votent une loi qui enlève aux communes le droit d'imposer le pain.

Les signataires exposent qu'aucune ville du pays ne renferme une population ouvrière aussi considérable que Gand ; que le pain y constitue la base de l'alimentation de la classe laborieuse, parce que la plupart des ouvriers sont forcés d'en faire en quelque sorte leur nourriture exclusive ; ils ajoutent qu'un pareil impôt n'est pas seulement inique, mais encore des plus funestes à l'industrie dont la prospérité est intimement liée à la santé de l'ouvrier ; ils se plaignent, enfin, de ce que le droit de mouture, supprimé en principe depuis l'an dernier, ait été maintenu pour l'année 1854.

Des citoyens appartenant à tous les éléments de l'activité sociale, industriels, commerçants, fabricants, etc., ont apposé leur signature au bas de cette requête. Les chefs de famille, les ouvriers l'ont également signée, et à côté du nom de chacun d'eux se trouve le chiffre qui indique le nombre de personnes composant leur famille.

La pétition dont nous venons de vous présenter l'analyse, parle, s'il nous est permis de nous servir de cette expression, au nom de 40,000 bouches à nourrir.

L'impôt-mouture dont le gouvernement hollandais avait modifié la perception, impôt contre lequel se sont élevées, avant 1830, des réclamations unanimes et des protestations si énergiques, fut aboli, à la révolution, d'abord par le gouvernement provisoire comme recette du trésor public de l'Etat, ensuite dans presque toutes les villes du royaume comme imposition communale. Quatre cités firent exception (Gand, Anvers, Malines et Termonde), et continuèrent à le percevoir. Mais, hâtons-nous de le dire, s'il existe encore dans ces quatre villes, c’est dans des proportions bien différentes.

A Gand, personne ne saurait le contester, il pèse de tout son poids sur la classe ouvrière ; là, principalement, il exerce dans une large mesure son action inhumaine.

Nous pouvons qualifier ainsi l'influence de cet impôt, puisqu'un honorable échevin de la ville dont il s'agit n'a pas hésité à le stigmatiser publiquement du titre « d'impôt progressif dirigé contre le pauvre. »

Traduction fidèle, appliquée à l'impôt mouture, de cette idée si juste que tout impôt de consommation est une réduction de salaire.

A Gand sur un budget de recettes d'environ 1 million de francs, l'impôt-mouture rapporte à lui seul 275,000 fr., le quart du total des recettes de la ville.

Et, messieurs, vous connaissez le dénombrement de la population gantoise. Sur les 109,913 âmes que cette ville renferme, l'élément ouvrier y entre pour une très large part.

L'impôt prélevé sur le pain a fixé, à différentes époques, l'attention des magistrats municipaux. Le 18 octobre 1851, le conseil adopta la résolution suivante :

« Le conseil émet dès à présent le vœu que des moyens efficaces et pratiques puissent être trouvés pour arriver au remplacement et à la suppression de l’impôt-mouture. »

Le 3 novembre 1853, le conseil prit une délibération portant :

« L'impôt-mouture est aboli : cette résolution recevra son exécution dès que l'autorité compétente aura sanctionné les moyens adoptés par le conseil pour remplacer le produit de cet impôt. »

Malheureusement un arrêté royal intervint le 15 décembre pour maintenir le règlement d'octroi en vigueur ; il frappa ainsi d'impuissance l'acte de justice que voulait poser l'administration communale au nom de la cité.

L'arrêté s'appuya, entre autres motifs, sur cette considération « que dans l'état actuel de l'instruction de cette affaire, le gouvernement n'était pas en mesure de se prononcer sur les propositions de la régence. »

Il est regrettable que le gouvernement ait cru devoir prendre une semblable décision. Cette décision ne concordait pas, du reste, avec les sollicitations si pressantes que dès le 28 septembre 1853, M. le ministre de l'intérieur adressait à ce même conseil communal afin de l'amener à abolir non seulement le droit sur le pain, ùais encore celui sur la viande.

C'est ce que fit remarquer avec fondement un honorable échevin, en séance du conseil le 17 décembre dernier.

Se basant sur un déficit de 60,000 fr. dans les ressources indiquées pour remplacer l'impôt-mouture, le gouvernement ne sanctionna point les voies et moyens proposés par le conseil, et c'est ainsi que cet impôt a été forcément maintenu.

Il est donc encore debout à Gand, malgré les plaintes qu'il ne cesse de soulever, surtout dans la classe ouvrière.

Doit-il disparaître, et l'initiative de cette disparition peut-elle venir du pouvoir législatif ?

Cette question mérite d'être examinée.

Dans un intérêt public et quand il s'agit surtout de la subsistance du peuple, il y a pour la législature opportunité à délibérer sur les moyens de satisfaire aux vœux des populations.

Pour ces motifs, votre commission a l'honneur de vous proposer, à l'unanimité, le renvoi de la requête à la section centrale qui est chargée d'examiner les propositions de loi dues à l'initiative parlementaire de nos honorables collègues MM. Coomans et Jacques, et relatives aux modifications à introduire dans les octrois.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, je n'ai rien à dire sur le fond de la proposition qui tend à faire renvoyer la pétition à la section centrale ; mais je ne puis pas laisser sans réponse une observation qui a été faite par l'honorable rapporteur et qui tend à rejeter sur le gouvernement la responsabilité de la non-abolition de l’impôt-mouture à Gand. Dans une séance précédente, j’ai déjà eu occasion (page 1114) de faire connaître à la Chambre les faits tels qu'ils se sont passés à Gaud. J'ai déclaré que le gouvernement n'avait pas frappé d'impuissance la résolution du conseil communal de cette ville, mais que le gouvernement, obligé de veiller à l'intérêt des communes, avait dû apprécier les moyens financiers que le conseil communal avait proposés en remplacement de l'impôt-mouture qui produit environ 300,000 fr. Et, quand le gouvernement a été saisi de propositions par le conseil communal de Gand, il a reconnu que les moyens indiqués ne pouvaient produire que 147,000 fr. environ.

Or, on ne remplace pas une recette actuelle par une recette insuffisante ; les observations que le gouvernement a cru dès lors devoir faire au conseil communal de Gand n'avaient pas d'autre but que de l'inviter à présenter des propositions plus complètes ; ajoutant qu'il verrait avec plaisir disparaître l'impôt-mouture, mais qu'il ne pouvait admettre comme sérieuses les propositions qu'on lui faisait pour remplacer cette taxe.

Je n'ai pas d'autres observations à présenter aujourd'hui. Si la section centrale et la Chambre jugent à propos d'examiner un jour le fond de la question, le gouvernement s'expliquera alors.

M. Rodenbach. - Messieurs, lorsqu'on a analysé la pétition sur laquelle porte le débat actuel, j'ai pris la parole, et j'ai témoigné mon étonnement de ce qu'il y avait encore en Belgique plusieurs villes qui conservaient l'infâme impôt-mouture. On ne peut trop flétrir cette imposition qui nous a été léguée par le duc d'Albe... (Interruption.) Oui, messieurs, c'est le duc d'Albe qui le premier a imposé cette taxe en Belgique. Le gouvernement hollandais, et c'était un des griefs que la Belgique avait à articuler contre ce gouvernement, le gouvernement hollandais, dis-je, suivit l’exemple du duc d'Albe ; niais déjà même avant que la révolution n'éclatât, le gouvernement précédent avait modifié l'exécrable impôt-mouture ; voilà bientôt un quart de siècle que notre régénération politique s'est accomplie, et depuis cette époque aussi la ville de Gand n a pas cessé de maintenir un impôt que nous devons tous flétrir.

Il y a deux ans, si je ne me trompe, on a proclamé partout à Gand qu'on allait supprimer cet impôt odieux : il était alors question d'élections communales.

Ils l’ont proclamé sur tous les tons ; mais ils n'en ont rien fait.

Il y a un an, le conseil de régence a voté le principe de l'abolition de l'impôt-mouture ; mais au lieu de voter les fonds nécessaires pour remplacer cet impôt odieux qui fournit plus du quart des recettes de la ville de Gand montant à un million, ils se sont bornés à voter une somme de 147,000 francs.

Puisque le conseil de régence persiste à ne pas vouloir remplacer les 250,000 ou 275,000 francs produits par l'impôt dont on se plaint, je ne vois pas d'autre moyen que de renvoyer cette requête à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi de MM. Coomans et Jacques sur les octrois.

Je me plais à croire que les honorables membres chargés de l'examen de la question des octrois, proposeront une loi tendant à empêcher les communes d'imposer le pain, car c'est le pain du peuple qu’on frappe par l'impôt-mouture ; j'aime à croire que nos honorables collègues prendront l’initiative de présenter ce projet de loi.

J'ajouterai que quand une ville consacre des centaines de mille francs à l'érection d'un théâtre (je crois qu'il a coûté 800 ou 900 mille fr.) quand on consacre des sommes aussi considérables pour les plaisirs du riche, quand on construit des palais... on a dépensé au-delà d'un million pour faire un palais de justice, je sais que l'Etat et la province ont contribué à cette dépense ; mais enfin quand on consacre tant d'argent, surtout à la construction d'un théâtre, ce n'est pas sur le pain du peuple qu'il faut le prendre.

Oui c'est sur le pain du peuple qu'on prend l'argent employé à ces dépenses, puisque cet impôt odieux fournit plus du quart des recettes totales de la ville de Gand.

J'espère qu'on le fera enfin disparaître ; quant à moi, je ne cesserai d'en demander la suppression tant que je siégerai dans cette enceinte.

M. Delehaye. - Comme membre du conseil communal de Gand et de la commission chargée de présenter de nouvelles ressources pour remplacer l'impôt-mouture, je dois prendre ma part des reproches qui viennent d'être adressés à l'administration communale de Gand.

La commission et le conseil communal continuent à chercher les moyens propres à remplacer cet impôt. Jusqu'ici je dois l'avouer, quoique nous avons trouvé plusieurs ressources nouvelles, il n'en est presque pas qui n'aient soulevé des réclamations.

Cela ne justifie pas l'impôt-mouture, mais cela prouve que tous les impôts rencontrent des individus qui les repoussent. Je répondrai maintenant un mot à l'honorable ministre de l'intérieur qui a dit que l'administration communale de Gand n'avait proposé de nouvelles ressources pour remplacer l'impôt-mouture qu'à concurrence de 147 mille fr. ; je dirai que le conseil communal au moment où il a eu connaissance de la décision du gouvernement, était appelé à statuer sur une proposition qui devait produire 60,000 fr.

Ce n'était donc pas 147 mille fr. mais plus de 200 mille fr. de ressources nouvelles que présentait le conseil. Du reste, le conseil se croit tenu de continuer ses recherches, d'arriver à l'abolition de l'impôt-mouture, il fait tous ses efforts pour le réaliser. Mais il s'étonne que M. Rodenbàch et ses collègues qui l'accusent de conserver un impôt odieux, ne prennent pas l'initiative de présenter un projet de loi, interdisant d'une manière absolue limpôt-mouture.

Remarquez bien, messieurs, que ce n'aurait pas été là une proposition insolite, car il existe une loi prise en 1816, si je ne me trompe, qui interdisait cet impôt. Comment se fait-il que les honorables députés qui accusent la ville de Gand de maintenir un impôt odieux n'aient pas proposé à la législature une loi qui défende d'appliquer cet impôt. C'est là ce qu'il fallait faire et non proclamer sans cesse que la ville de Gand maintient un impôt odieux. Qu'on soit persuadé d'une chose, c'est qu'aussitôt que nous aurons trouvé le moyen de remplacer l'impôt mouture, nous le saisirons avec empressement. Nous avons décidé très sincèrement la suppression de cet impôt. Nous l'avons fait dans la conviction intime que si l'on pouvait le remplacer par des impôts qui rencontrassent moins d'opposition, il fallait le faire.

Mais ce n'est pas nous seuls qui sommes en présence de la difficulté de remplacer cet impôt. La Chambre est saisie de propositions de deux de ses membres ; je ne sache pas que la section centrale chargée de l'examen de ces propositions ait jusqu'ici trouvé moyen de remplacer l'octroi, dont l'impôt-mouture forme encore dans quelques villes un des principaux revenus.

Vous ne devrez d'ailleurs pas vous arrêter à l'impôt-mouture ; après avoir aboli cet impôt, vous devrez abolir l'impôt sur la viande. Il n'y a pas plus de raison pour maintenir l'impôt sur la viande. On ira plus loin, on ira jusqu'à demander l'abolition de l'impôt sur le combustible. Comment ! dans une ville industrielle comme Gand, vous maintiendriez les droits sur le charbon, qui est un de ses principaux éléments de prospérité ? Mais évidemment cet impôt doive aussi disparaître.

Il y a plus ; croyez-vous qu'on doit maintenir l'impôt sur la bière ? Cet impôt est certainement lourd, et cependant il existe dans presque toutes les villes à octroi. Que la sollicitude de l'honorable M. Rodenbach s'étende donc aussi sur la bière ; car c'est bien la boisson de l'ouvrier, la boisson du petit bourgeois. Qu'on en propose donc l'abolition ! Jusque-là, cessez vos accusations.

Messieurs, je me résume. La ville de Gand a voté consciencieusement l'abolition de l'impôt-mouture ; et ce sera pour elle un jour de fête, quand on aura trouvé dans la Chambre une proposition pour remplacer l'impôt qu'on attaque, et nous adopterons cette proposition avec infiniment de plaisir.

Pour ma part, je consacrerai mes études et mes veilles à la recherche de moyens moins lourds que celui, non pas seulement de la mouture, mais celui de l'octroi tout entier.

M. H. de Baillet. - Messieurs, je tiens à déclarer que, comme membre de la commission des pétitions, j'ai voté les conclusions du rapport, mais que je ne me suis pas associé aux explications données par l'honorable rapporteur. Tout au contraire, j'ai été d'avis qu'une section centrale de la Chambre étant chargée d'examiner les questions relatives aux octrois, il fallait lui laisser l'appréciation de ces questions.

Je crois devoir faire connaître à la Chambre que je me suis borné à voter pour les conclusions du rapport, sans en adopter les explications.

M. Vander Donckt. - Comme membre de la commission des pétitions, je tiens également à déclarer que, quant aux considérations renfermées dans le rapport, elles sont toutes personnelles à l'honorable rapporteur. Les conclusions sont exactement celles qui ont été adoptées en commission, mais quant aux développements du rapport, il ne nous en a pas même été donné lecture. Il est très vrai que nous l'en avons dispensé et que nous avons dit que nous nous en rapportions à l'honorable rapporteur, que nous lui laisserions la responsabilité des motifs et des observations qu'il insérerait dans son travail.

Je tiens, aussi, messieurs, à constater ici que dans la discussion en commission, a été longuement agitée la question de savoir si l'on aurait proposé le renvoi à M. le ministre ou bien si l'on n'aurait pas adopté l'ordre du jour sur cette pétition, et en voici les motifs.

On a dit que les pétitionnaires s'étant d'abord adressés au conseil communal de Gand qui était leur première autorité, avaient obtenu déjà que le conseil communal adoptât en principe la suppression de l'impôt-mouture, et que le gouvernement étant saisi des propositions du conseil, ils devaient au moins attendre la solution qui serait donnée à cette question.

Lors de mon séjour à Gand je me suis convaincu, et soyez-en persuadés, on n'est pas dans cette ville le moins du monde empressé de voir supprimer cet impôt. On y est bien autrement gêné de trouver de nouveaux moyens pour le remplacer, et les nouvelles mesures qu'on propose soulèvent beaucoup plus de critiques, beaucoup plus de murmures à Gand que l’existence de l'impôt-mouture même.

Nous avons donc dit que puisque le gouvernement était saisi de la question, il eût convenu que les pétitionnaires attendissent qu'une solution fût donnée à la question.

A cet égard, le gouvernement a fait remarquer au conseil communal de Gand qu'il devait d'abord aviser aux moyens de pourvoir aux dépenses. Le gouvernement en cela a rencontré l'approbation et les sympathies de la commission des pétitions ; on a dit que le gouvernement avait bien fait.

Le conseil communal de Gand n'ayant pas pu satisfaire à la demande des pétitionnaires, ceux-ci se sont impatientés et ont adressé à là Chambre une pétition énorme, une pétition à l'anglaise dans laquelle, dit-on, sont représentés 40,000 bouches. Mais permettez-moi de (page 1115) faire observer que la pétition ne porte pas 40,000 signatures ; elle eu a à peine 6,000. Il y est dit que chaque pétitionnaire signait pour tout son ménage, mais dans ce nombrc.et je tiens à le constater, parmi ces 40,000 bouches, il en est qui ne mangent pas de pain, les enfants qui sont encore à la mamelle... (Interruption). C'est vous dire combien on a exagéré à ce sujet.

La question donc, messieurs, devait être considérée sous ce rapport : c'est qu'en s'adressant avec trop d'empressement à la législature, alors qu'ils savaient que le gouvernement était saisi de la question, c'était, de la part des pétitionnaires, une espèce d'inconvenance envers leurs autorités et envers le gouvernement auquel on voulait forcer la main. Et sous ce rapport j'aurais conclu à l'ordre du jour par les mêmes motifs qui ont dicté votre décision quant à la pétition des brasseurs de la ville de Bruxelles et à celle des débitants de vin de la ville de Gand, à savoir qu'en s'adressant d'emblée à la législature, ils avaient méconnu leurs autorités constituées. Je crois que les pétitionnaires, avant de s'adresser à la législature, auraient dû attendre la solution qui devait être donnée à la question par le gouvernement.

Et si le but des pétitionnaires a été de pousser le gouvernement à décréter la suppression de l'impôt-mouture et par conséquent à partager les embarras et la responsabilité de la ville de Gand en s'immisçant dans son ménage, leur requête ne méritait d'autre accueil que l'ordre du jour.

1M. T’Kint de Naeyer. - Messieurs, mon opinion sur la question dont nous sommes saisis en ce moment est ancienne. Je l'ai manifestée chaque fois que l'occasion s'en est présentée et notamment lors de la discussion de la loi sur les denrées alimentaires en 1850. Je désapprouve l'impôt-mouture, comme je désapprouve les lois céréales. Et qu'il me soit permis de le faire remarquer en passant, plusieurs des honorables membres qui aujourd'hui dirigent de si violentes attaques contre la ville de Gand ne se sont pas toujours montrés logiques.

- Un membre. - Pourquoi cela ?

M. T’Kint de Naeyer. - Les honorables préopinants qui ne trouvent pas d'expressions assez fortes pour qualifier l'impôt qui est encore perçu à Gand n'étaient-ils pas au nombre des partisans de l'échelle mobile ou de droits protecteurs à l'entrée sur les denrées alimentaires ?

Je suis donc parfaitement à l'aise dans cette discussion, et je crois que mes antécédents, comme je l'ai dit tantôt, me permettent d'être parfaitement logique.

L'impôt-mouture est un legs d'un autre siècle ; d'impérieuses nécessités financières pouvaient seules en excuser le maintien.

Je regrette vivement, pour ma part, la détermination qui a été prise par le gouvernement. Je pense que lorsque le conseil communal de Gand, à l'unanimité, a supprimé l'impôt-mouture, il a fait chose sérieuse. M. le ministre de l'intérieur nous a dit que les propositions budgétaires étaient hypothétiques, qu'elles n'étaient pas complètes.

Avant de proclamer l'abolition d'uu impôt séculaire, l'administration a dû se pénétrer du devoir qui lui incombait de créer des ressources nouvelles.

Le gouvernement devait-il, dans une ville comme Gand, craindre que l'on fût impuissant à rétablir l'équilibre du budget communal en supposant qu'il fût menacé ?

En terminant, messieurs, je fais des vœux pour que l'impôt-mouture puisse disparaître le plus tôt possible partout où il existe encore.

M. Dumortier. - Messieurs, et moi aussi, comme l'honorable préopinant, j'ai toujours soutenu, dans cette enceinte, qu'il était d'une importance extrême de supprimer un impôt odieux qui avait été une des causes principales de la chute du gouvernement hollandais, je veux parler de l'impôt-mouture. Si le pays a fait une révolution, c'est l’impôt-mouture qui l'a en grande partie provoquée, et il était à espérer dès lors que les populations qui avaient donné, à cette époque, tant de gages de patriotisme auraient vu supprimer partout cet impôt odieux.

Maintenant, l'impôt n'existe plus que dans quelques villes ; il existe malgré la cherté des céréales dans les circonstances actuelles. Faut-il donc être surpris qu'une pétition couverte de si nombreuses signatures nous ait été adressée de la ville de Gand pour obtenir la suppression de l'impôt-mouture, alors surtout que le conseil communal de cette ville en a décrété l'abolition à l'unanimité ?

Pour mon compte, quand je vois une pétition couverte de tant de signatures, et cela au sujet d'une matière qui préoccupe l'opinion du peuple avant tout, celle de sa propre alimentation, je dis qu'il existe là un malaise véritable et qu'il est du devoir tanl de la Chambre que du gouvernement d'y porter un prompt remède.

« Mais, dit mon honorable ami M. Vander Donckt, il n'y a que 6,000 signatures. » Mais n'est-ce rien que 6,000 signatures ? n'est-ce rien que 6,000 pères de famille ? Mais ces 6,000 pères de famille représentent, comme le disait mon honorable ami M. Rodenbach, une population de 40,000 habitants.

El ici je ne m'arrêterai pas à l'observation qu'a faite l'honorable M. Vander Donckt que parmi ces 40,000 habitants, il se trouve des enfants à la mamelle. Je répondrai qu'oui, mais que pour que les mamelles produisent du lait, il faut commencer par leur donner du pain.

Or il y a, quoi qu'en ait dit l’honorable M. Delehaye, une distinction à établir entre l'impôt sur le pain et l'impôt sur la viande. Il serait vivement à désirer pour notre pays que tous les ouvriers pussent se nourrir de viande ; mais malheureusement - et cela ne dépend pas de nous - malheureusement il n'en est pas ainsi.

Mais tous les ouvriers se nourrissent de pain, le pain est la nourriture première de l'ouvrier ; or, imposer cette nourriture première, c'est mettre évidemment un impôt sur le travail de l'ouvrier, sur ce qu'il va au monde de plus sacré, sur l'existence du pauvre.

Que m'importe maintenant par quels moyens la ville de Gand remplacera l'impôt-mouture ? C'est son affaire ; c'est à elle qu'incombe le soin de trouver d'autres ressources, pour tenir lieu d un impôt odieux, d un impôt à la charge du pauvre.

Je crois que M. le ministre de l'intérieur aurait fort bien fait et qu'il ferait encore bien aujourd'hui d'accepter purement et simplement la suppression de l'impôt-mouture à Gand, en laissant au conseil communal le soin de pourvoir à ses propres affaires. A chacun son métier. A nous de supprimer un impôt odieux, et à la ville de Gand, de rétablir l'équilibre dans ses finances par les moyens qu'elle croira utiles.

Et ici j'ai été assez surpris d'entendre l’honorable M. Delehaye dire : « Que la Chambre vote une autre base d'impôt et la ville de Gand ne demandera pas mieux que de l'adopter. »

Mais, messieurs, ce n'est pas à la Chambre de voter une base d impôt ; si la Chambre venait à voter une base d'impôt, c'est alors que vous seriez saisis de réclamations qui seraient bien fondées ; car alors nous porterions une atteinte violente à la liberté communale. Nous devons laisser chaque commune régler ses impôts, en raison de ses nécessités, de ses ressources, en raison même de sa situation typographique. Car tel impôt communal peut très bien être établi dans telle ville et ne pas du tout convenir dans telle autre ville. L'impôt communal doit varier de commune à commune ; mais il est des matières qui étant communes à toutes les localités, comme l'alimentation, ne doivent être taxées nulle part. Or je dis que le jour où l'impôt mouture sera supprimé là où il existe encore, ce sera un immense bienfait que nous aurons assuré à la classe inférieure.

J'ai entendu dire qu'il avait été question à Gand d'autres bases d'impôt, et que ces bases avaient été plus critiquées encore que l'impôt qu'il s'agit de supprimer. Je ne crois pas à ces critiques. C'est très simple. Je crois que l'ouvrier, n'ayant pas voix au chapitre, ne se plaint que lorsqu il se trouve dans une position aussi déplorable que celle où il est aujourd hui.

Je sais bien que les personnes fortunées qu’on veut imposer trouvent cela assez mauvais ; mais ce n'est pas un motif pour taxer l'ouvrier au profit des gens aisés.

D'ailleurs, la ville de Gand peut réaliser quelques économies sur son budget. Quand on fait des monuments aussi somptueux, il est évident qu'on a des excédants. Je dirai aux honorables administrateurs communaux de Gand, que Rome n'a pas été construite eu un jour et que la ville de Gaud peut ne pas être construite en un jour ; eh bien, que la ville de Gand fasse ses travaux en un plus grand nombre d’années et alors elle pourra supprimer l'impôt mouture, grâce aux économies qu'elle fera par ce moyen et sans établir les impôts odieux auxquels on a fait allusion.

Messieurs, quand je vois 6,000 pères de famille, appartenant a la seconde cité de la Belgique, venir nous adresser leurs doléances, je dis qu'il importe qu'on n'accueille pas ces plaintes par un dédaigneux ordre du jour, alors surtout que le conseil communal, à l'unanimité, a voté la suppression de l'impôt mouture. Or, j aime à croire qu’en votant cette suppression, le conseil communal a fait une chose sérieuse. Je ne pense pas que la ville de Gand ait voulu jouer la comédie vis-à-vis des ouvriers, qu'en un mot elle ait voulu mystifier la classe ouvrière.

Le conseil communal de Gand est composé d’hommes trop respectables, pour qu'ils aient voulu jouer un semblable rôle. Si la résolution du conseil communal n'était pas sérieuse, on ne pourrait pas critiquer assez le conseil ; mais je prends comme sérieuse la résolution qu'il a votée à l'unanimité ; pourquoi dès lors ne pas supprimer immédiatement l'impôt-mouture ?

Si l'on persistait à vouloir maintenir cet impôt, alors que les populations en réclament à grands cris la suppression, il ne resterait qu'une chose à faire : ce serait d'user de l'article 84 de la loi communale et de décréter que l'impôt-mouture sera supprimé partout ou il existe encore.

Si nous ne pouvons pas obtenir justice par la raison, nous le ferons par la majorité, et une immense majorité votera immédiatement la loi qui aura pour objet de supprimer cette base d'impôt.

L'honorable orateur qui m'a précédé, tout en soutenant la thèse que je viens de défendre, s'est donné la satisfaction de se regarder comme le seul député, marchant suivant les règles de la saine logique. (Interruption de M. T’Kint de Naeyer.)

Vous avez dit que plusieurs de ceux qui ont demandé la suppression de l'impôt-mouture ne se sont pas montrés aussi logiques que vous-même.

C'est cette expression que vous me permettrez de relever en quelques mots.

Vous avez dit que nous n'étions pas aussi logiques que vous, parce que nous avions demandé des droits élèves sur l’entrée des denrées alimentaires.

Je répondrai qu'il n'y a aucune espèce de similitude... (Interruption.)

Permettez, messieurs, je crois que les opinions sont libres ; vous pouvez vouloir d'un système que vous trouvez bon ; mais vius devez souffrir qu'on veuille d'un système contraire.

(page 1116) Je dis, messieurs, qu'il n'y a aucune espèce de similitude entre l'impôt-mouture et le système que vous nous reprochez d'avoir soutenu ; je dis que le système de l'échelle mobile est le seul raisonnable, le seul sensé. Ce système avait un double résultat, c'était de protéger l'agriculture lorsque les grains étaient à un prix tellement bas que le cultivateur n'obtenait pas la juste rémunération de son travail ; c'était, en second lieu, de protéger le consommateur lorsque les prix arrivaient à un taux trop élevé.

L'échelle mobile faisait ce qui, sous une autre forme, s'est fait chaque année par la municipalité de Paris. C'était une assurance mutuelle entre le consommateur et le producteur. Voilà ce qu'était l'échelle mobile et ce qu'elle sera encore ; car, messieurs, on y reviendra. (Interruption.)

Eh bien, expliquez-moi, vous qui m'interrompez, comment il se fait que depuis deux mois les céréales sont de deux francs meilleur marché au Havre qu'à Anvers. (Interruption.) La France est toujours sous le régime de l'échelle mobile, et c'est à ce régime qu'est dû le bas prix relatif des céréales en France.

Je dis donc qu'on y reviendra, parce que la force de la vérité y ramènera et parce que j'ai confiance dans la sagesse de la Chambre, la Chambre reconnaîtra qu'elle s'est trompée en adoptant le système du libre échange prôné par l'Angleterre pour mystifier la Belgique.

Voyez, messieurs, ce qui se passe au sujet de la révision du tarif douanier : l'industrie liégeoise elle-même vient réclamer la protection, et elle a parfaitement raison ; car il ne faut pas que les intérêts du pays soient compromis pour le seul plaisir d'appliquer des théories de professeur.

L'honorable membre a donc grand tort d'établir une comparaison entre l'impôt-mouture et le système que nous avons défendu, entre un système qui protège l'agriculteur, lorsque les prix sont trop bas, et qui protège le consommateur, lorsque les prix sont trop élevés ; entre ce système et celui qui consiste à frapper les grains à l'entrée d'une ville, aussi bien quand ils sont à cinquante francs que quand ils sont à dix francs.

Personne ne peut vouloir d'un semblable système, mais tous ceux qui veulent le bon marché des céréales doivent vouloir l'échelle mobile, grâce à laquelle les grains sont depuis deux mois à deux francs meilleur marché au Havre qu'à Anvers. C'est là une démonstration qui vaut mieux que les plus belles théories.

M. de Perceval. - Je dois un mot de réponse à l'honorable M. de Baillet et à l'honorable M. Vander Donckt. L'honorable député d'Anvers persiste à repousser le travail que j'ai eu l'honneur de communiquer à la Chambre. Je le regrette beaucoup, car l'approbation de l'honorable membre eût été très précieuse pour moi. Malheureusement, il m'a été impossible de convaincre M. de Baillet que mon rapport ne contenait rien de contraire à la décision prise par la commission, et que je m'étais renfermé dans le cercle des idées qui découlent naturellement de cette décision. Comme, après tout, le rapport devait être fait sur cette pétition, et que j'avais été chargé de cette mission à l'unanimité des membres présents, j'ai fait de nécessité vertu et je me suis passé de l'approbation de l'honorable membre.

Quant à l'honorable M. Vander Donckt, il aurait bien fait d'expliquer à la Chambre comment et pourquoi j'ai été chargé du mandat de rapporteur.

Vous savez, messieurs, que depuis six semaines environ, la pétition a été adressée à la Chambre ; l'honorable membre qui a été chargé de faire le rapport, s'est trouvé, il y a dix jours, pris d'une indisposition subite ; la pétition a été renvoyée au greffe avec prière de charger un autre membre de ce travail.

L'honorable M. Vander Donckt nous convoqua immédiatement, six membres assistèrent à la séance de la commission, et le dossier, M. Vander Donckt, qui était notre président, peut le confirmer, m'a été confié à l'unanimité moins une voix (la mienne). J'ai fait quelque difficulté à l'accepter parce que j'avais en ce moment des travaux tout aussi urgents auxquels je devais me livrer, et ce n'est que sur les instances des membres de la commission que j'ai consenti à m'en charger.

Je ne le cache pas, j'ai éprouvé quelque étonnement en voyant l’honorable M. de Baillet repousser avec tant d'acrimonie, un travail qui, après tout, ne mérite pas les honneurs de la colère du député d'Anvers.

En quoi s'écarte-t-il des conclusions de la commission ? Nous avons décidé qu'il était nécessaire d'examiner la question soulevée par les pétitionnaires, l'abolition de l'impôt-mouture, et que la proposition serait faite à la Chambre de renvoyer la pétition à la section centrale chargée de l'examen des deux propositions de loi relatives aux octrois.

Je défie l’honorable M. de Baillet de citer une seule phrase de mon rapport qui ne soit pas en harmonie avec ces conclusions.

Du reste, j'ai communiqué mon travail à mes collègues de la commission à tous individuellement ; et j'en assume toute la responsabilité, et je suis prêt à le défendre contre ceux de mes collègues qui croiraient devoir l'attaquer.

Je tenais à faire cette rectification.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je demande la parole pour constater deux faits : le premier qu'il ressort de la discussion qu'on ne peut pas reprocher au gouvernement d'être la cause de la non-abolition de l'impôt-mouture ; le second que, contrairement à l'opinion émise par l'honorable M. T'Kint de Naeyer, le gouvernement n'a pas eu à délibérer sur des propositions complètes du conseil communal de Gand. Ce conseil ne proposait le remplacement efficace de l'impôt-mouture qu'à concurrence de 147,000 fr., ce qui était démontré aussi par le rapport longuement motivé de la députation permanente.

M. H. de Baillet. - On m'accuse d'avoir montré de la violence et même de la colère ; je ne pense pas m'en être rendu coupable soit en commission, soit en séance ; lorsque le rapport a été produit dans la commission, quatre membres étaient présents ; deux se sont ralliés au rapport, deux ne l'ont pas fait ; on a renvoyé la discussion à une autre séance ; on a encore parlé, j'en appelle à MM. Moxhon et Vander Donckt, il n'y a pas eu plus de violence ou de véhémence de ma part an sein de la commission que dans cette enceinte.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Coomans. - J'aurais désiré présenter quelques observations ; la clôture étant demandée, je me bornerai à faire mes réserves au sujet des conclusions formulées à l'instant par M. le ministre de l'intérieur.

- La clôture est prononcée.

Les conclusions de la commission sont adoptées.

Projet de loi sur les distilleries

Rapport de la section centrale

M. Delehaye. - J'ai l’honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi relatif aux distilleries.

J'ai été chargé de faire connaître les conclusions de la section centrale sur les propositions qui lui ont été renvoyées.

Elle en propose le dépôt sur le bureau pendant la discussion.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis à l'ordre du jour après les conventions conclues avec la France.

Proposition de loi relative à la signature des articles de journaux

Développements

M. Orban. - En proposant à la législature d'introduire dans nos lois le principe de la signature obligatoire des articles de journaux, je n'obéis ni à une inspiration de parti, ni à une émotion passagère. C'est dans une conviction profonde, ancienne, et qui répond au sentiment public, c'est dans l'intérêt de nos institutions et de la presse elle-même, c'est dans les notions les plus vraies de la morale et du droit que j'ai puisé les motifs de ma détermination.

Le principe de la responsabilité domine tous les actes posés par l'homme dans l'ordre politique aussi bien que dans l'ordre moral. Pour ne parler que de l'ordre politique, tout citoyen comme tout dépositaire d'un pouvoir quelconque, depuis le ministre jusqu'au moindre de ses agents, est responsable de ses actes, et tenu d'en rendre compte à la société et, au besoin, à la justice.

Il n'est, messieurs, dans l'ordre politique, qu'une seule exception à cette règle, qu'un seul pouvoir irresponsable, et cette exception unique est motivée par le besoin d'assurer la perpétuité de nos institutions.

Mais à côté de cette exception consacrée par la Constitution, il en est une seconde consacrée par le fait et, il faut bien le dire, par le silence et l’imperfection de nos lois. Je veux parler de celle qui concerne l'écrivain politique qui seul a le privilège de poser des actes touchant aux intérêts les plus précieux de l'Etat et de la société, comme à l'honneur et à la fortune des citoyens, sans être tenu d'y attacher son nom et de donner aucune garantie de sa responsabilité.

Il suffit, messieurs, du rapprochement que nous venons d'établir entre un pouvoir auguste et irresponsable et la position faite par nos habitudes et le silence de nos lois à l'écrivain politique, pour en faire ressortir tout le vice.

Si le besoin d'assurer la perpétuité de nos institutions est, comme nous l'avons dit, la cause de l'irresponsabilité royale, sa justification se trouve dans l'action et la responsabilité ministérielle : en droit comme en fait, c'est le ministre qui agit et qui seul doit être responsable. Il ne peut en être de même de l'écrivain politique qui doit seul répondre des écrits dont il est le seul auteur, et en faveur duquel assurément ne milite aucune considération d'inviolabilité.

La responsabilité de l'écrivain politique assurée par la signature obligatoire des ses articles aura deux conséquences également heureuses et également certaines. Elle développera le bon côté de la presse, elle atténuera, si elle n'en fait pas disparaître, les vices et les effets malfaisants. En restituant à l'écrivain le mérite de son œuvre, vous l'encouragez à lui donner une moralité, une perfection qui lui assurent les suffrages et l'approbation publique.

En consacrant le principe de la responsabilité des écrits par leur signature, vous rendez impossibles les abus dont gémissent les vrais amis de la liberté de la presse. Il ne se trouvera aucun homme pour signer de son nom ces turpitudes, ces inepties, ces attaques dirigées contre la vie privée des citoyens, ces polémiques outrageantes et calomnieuses, ces nouvelles fausses et intéressées qui déshonorent trop souvent les colonnes des journaux.

La signature obligatoire des articles rendra à la mission de l'écrivain politique toute son importance et toute sa dignité. A la faveur du huis-clos qui constitue aujourd'hui le régime de la presse, la rédaction d'un journal ne peut être qu'un métier et une affaire d'argent. Elle deviendra une mission sociale et politique recherchée par tout homme qu'animeront l'amour du pays et le sentiment de sa valeur personnelle, du moment où l'individualité de l'écrivain dans les luttes de la presse lui sera restituée.

(page 1117) L'ambition de faire entendre du public une voix respectée, et dont l'autorité sera garantie par la moralité, par les antécédents de l'écrivain, par son patriotisme, par son talent, animera le citoyen à l'égal du sentiment qui le pousse avec tant d'ardeur à briguer le mandat législatif. La presse elle-même redeviendra une puissance et un guide pour l'opinion du moment où elle aura renoncé au voile de l'anonyme et jeté le masque qui, après avoir fait son prestige, causent aujourd'hui le discrédit profond où elle est tombée.

Si le droit, si la morale, si l'intérêt de la presse elle-même réclament la signature des articles, l'intérêt politique du pays et l'avenir de nos institutions ne la commandent pas moins impérieusement.

S'il est un principe dans nos lois constituantes dont l'application soit générale et constante, c'est celui qui subordonne à certaines garanties la participation aux actes de la vie politique à tous les degrés. L'on ne peut faire partie d'une administration communale, être admis dans un conseil provincial, siéger dans nos assemblées législatives sans remplir certaines conditions de moralité, d'âge, de fortune. Mais, messieurs, la condition qui domine toutes les autres, celle qui se trouve reproduite partout, c'est l'obligation d'être Belge. Les fondateurs de nos institutions ont admirablement compris en effet que le seul moyen d'amener la durée et de maintenir le caractère national de nos institutions, c'était de réserver aux Belges seuls la direction et l'action politique du pays.

Tenir la plume dans un journal, se constituer le guide et l'arbitre de l'opinion, l'adversaire ou le défenseur des pouvoirs de l'Etat, prononcer de ces mots qui, dans un moment donné, ont le pouvoir de faire éclater des émeutes ou des révolutions, n'est-ce point exercer en réalité le plus précieux et le plus redoutable de tous les droits politiques ? La presse, en un mot, ne constitue-t-elle pas un pouvoir politique rival en quelque sorte, par l'action et par l'influence, de la tribune législative elle-même ?

Or, messieurs, aucune de nos lois n'exige la qualité de Belge pour manier cette arme redoutable de la presse, pour jouir des droits, des privilèges que lui assurent nos lois politiques et financières. Tous, Belges ou étrangers, quels que soient leur moralité et leurs antécédents, ont le droit de tenir le sceptre de la presse, de s'abriter derrière cette forteresse mystérieuse, pour lancer chaque jour sur la société les inspirations bonnes ou mauvaises de leur pensée.

Et cependant, messieurs, je le dis avec une conviction profonde : si vous voulez rester Belges, si vous voulez conserver votre caractère national, l'esprit de vos institutions, il faut que la presse belge ne soit point dans les mains d'écrivains politiques étrangers. Il faut que la presse soit ou redevienne nationale, comme il faut que l'armée elle-même soit nationale. Je ne sais, messieurs, quel peut-être dans ce moment l'étendue du mal. La signature des articles pourra seule la faire connaître, comme elle pourra seule y porter remède.

Tout ce que je puis dire, c'est que les événements politiques de ces dernières années, qui ont amené fatalement sur notre sol et couvert de l'hospitalité belge une foule d'écrivains politiques étrangers, c'est que la communauté de langage qui existe entre nous et une puissante nation voisine, sont des causes qui doivent avoir aggravé le mal et rendu le remède urgent. Ce n'est point, vous l'avez compris, par la loi, ni par une interdiction expresse que nous voulons changer ce qui existe. Nous voulons y porter remède par la force de l'opinion et du sentiment national éclairés par la signature des articles.

En 1830, la presse était nationale ; le pays a conservé le souvenir fidèle et reconnaissant des écrivains belges qui rédigeaient nos journaux politiques. C'est à cette circonstance heureuse qu'est dû le caractère de modération patriotique, qui a fait la gloire et le succès de notre révolution.

A côté des grands intérêts que je viens d'invoquer, vient se placer la nécessité de garantir l'honneur et la réputation des citoyens.

Aucune considération ne peut militer en faveur d'attaques anonymes dirigées contre l'honneur et la vie privée des citoyens par la voie de la presse. Si une lettre injurieuse et anonyme est réprouvée par toules les lois de la morale, un écrit public, injurieux et anonyme, ne peut trouver grâce devant elles. L'immoralité du fait est la même, le mal causé est mille fois plus grand. Si l'absence de signature est le plus grand de tous les encouragements à ce genre d'attaques contre les personnes, qui ne voit qu'elle est en même temps un obstacle à toute poursuite et à toute répression efficace ?

Il ne peut être indifférent, en effet, à la personne calomniée, d'appeler la vindicte des lois sur le calomniateur lui-même, ou sur un homme chargé d'une responsabilité fictive et illusoire. Qui ne voit aussi, messieurs, que l'auteur inconnu de la calomnie, dont réparation est demandée à la justice, peut se trouver parmi les jurés mêmes chargés de prononcer sur la poursuite, et cela sans qu'un motif légal de récusation puisse être invoqué ? Voilà, messieurs, la conséquence monstrueuse, mais non impossible, de la législation qui nous régit.

L'on ne manquera pas d'objecter à ma proposition qu'elle est l'imitation, la reproduction, en quelque sorte, d'une législation récemment introduite dans un pays voisin. Je répondrai, je répéterai qu'elle est avant tout puisée dans les notions permanentes de la morale et du droit. Ce n'est point au surplus un mince avantage, quand on veut introduire une innovation dans les lois, d'avoir pour soi l'exemple et l'expérience d'autrui.

Or, messieurs, sans vouloir me livrer à une appréciation que ne comportent pas les développements de ma proposition, je dirai cependant sans hésiter que l'obligation de signer les articles a été pour ce pays le dernier refuge et la dernière sauvegarde de la presse. Les noms d'écrivains respectés ont souvent arrêté et contenu l'application arbitraire de la loi ; ces noms ont valu aux articles qu'ils signalaient à l'attention et à la confiance publique, une autorité qui souvent a suppléé aux avantages de la liberté. Enfin la signature obligatoire a surtout moralisé et nationalisé la presse, en prouvant à ce pays que parmi les écrivains qui prétendent à l'honneur de l'éclairer, il ne se trouve ni un étranger, ni un homme flétri par l'opinion ou par la justice.

Prise en considération

- La discussion est ouverte sur la prise en considération.

M. Lelièvre. - La proposition de l'honorable M. Orban ne peut, à mon avis, être prise en considération, et il m'est impossible de l'accueillir par les motifs que j'aurai l'honneur d'exposer.

D'abord la proposition n'est pas nécessaire dans les circonstances actuelles. Il y a vingt-trois ans que la Belgique vit tranquille et prospère sous le régime en vigueur, et l'opinion publique fait elle-même justice des abus de la presse.

D'un autre côté, jamais la justice du pays n'a fait défaut à ceux qui demandaient la réparation des excès dont ils avaient à se plaindre ; ce qu'il y a même de remarquable à cet égard, c'est que presque toutes les actions civiles exercées devant les juges ordinaires ont eu un succès complet.

Des mesures nouvelles ne sont donc pas réclamées par les besoins du moment, et, sous ce rapport, je ne puis consentir à ce qu'on introduise des dispositions restrictives d'une liberté qui, malgré ses abus, est essentielle dans un gouvernement représentatif.

Du reste, l'article 18 de la Constitution, en déclarant la presse libre, exclut très certainement, comme en matière d'enseignement, toute mesure préventive ; cette disposition est évidemment conçue dans le même sens que l'article 17. Or, forcer l'auteur d'un article à le signer, c'est bien établir une mesure préventive, tandis que la Constitution se borne à décréter la répression des délits commis par la voie de la presse. La nécessité de la signature est une entrave préalable et la Constitution n'autorise que des mesures réprimant les faits illégaux commis au moyen de la presse.

Si on astreignait celui qui veut ériger un établissement d'instruction à observer certaines formalités quelles qu'elles soient, ce serait certes violer le texte de l'article 17.

Eh bien, à mon avis, on porte atteinte à la liberté de la presse lorsqu'on astreint l'auteur d'un article inséré dans un journal à y apposer sa signature, puisque cette disposition est préventive et qu'elle atteint l'auteur de tout article, alors même que celui-ci ne présente aucun caractère de délit ; elle l'atteint du chef d'un article légitime et qui peut n'être que l'exercice d'un droit incontestable.

D'un autre côté, l'article 18 de la Constitution est exclusif de l'obligation de l'auteur de se faire connaître.

Il en est de même du décret du 20 juillet 1831.

Mais, messieurs, veuillez bien remarquer que la proposition a pour objet l'abrogation de l'article 283 du Code pénal et tend à aggraver ses dispositions restrictives. D'après le Code pénal en vigueur, toute publication doit seulement contenir renonciation vraie des noms, profession et demeure de l'auteur ou de l'imprimeur. L'une ou l'autre indication suffit d'après le Code qui certes n'était rien moins que libéral.

Eh bien, la Chambre pourrait-elle jamais consentir à renchérir en matière de presse sur la rigueur des lois de l'empire ?

D'un autre côté la proposition serait prématurée, puisqu'elle se rattache à la révision du Code pénal dont la Chambre aura à s'occuper de nouveau dans sa prochaine session.

Lorsqu'il s'agira de la révision de l'article 283, l'honorable M. Orban pourra reproduire, sous forme d'amendement, la proposition qu'il formule aujourd'hui.

Le moment est du reste mal choisi pour introduire des mesures restrictives qui ne sont pas indispensables.

La section centrale, en proposant, en 1852, d'adopter le projet concernant la répression des outrages envers les gouvernements étrangers, n'a pas hésité à proclamer que, sauf les dispositions nouvelles qui révisaient la loi de 1816, la législation actuelle sur la presse suffisait aux besoins du moment et qu'il ne pouvait être question d'y apporter des modifications.

Je partage cet avis, et je ne puis dès lors appuyer la prise en considération de la proposition qui vous est soumise.

Ne perdons pas de vue que la loi française décrétant une matière analogue n'a vu le jour qu'après les perturbations politiques qui ont amené les restrictions des libertés publiques. Quant à la Belgique qui a dignement usé de ses libertés et qui sert de modèle aux nations civilisées, aucun motif solide ne justifie la nécessité de la proposition que je considère du reste comme inopportune à tous égards. Des abus isolés, dont l'opinion sait faire justice chez nous et que les tribunaux répriment, ne doivent pas nous faire entrer dans une voie parsemée de périls et dont il serait impossible de prévoir l'issue.

M. Orban. - J'avais demandé la parole, mais j'attendrai pour répondre que d'autres orateurs aient été entendus.

M. Orts. - Je me proposais de répondre aux objections qu'aurait pu opposer M. Orban aux considérations présentées par M. Lelièvre.

(page 1118) Comme je ne pourrais que répéter qu'il a très bien dit, si M. Orban renonce à la parole, j'y renonce également.

M. Orban. - Messieurs, le reproche d'inconstitutionnalité peut si peu s'adresser à ma proposition que dans les développements que je viens d'avoir l'honneur de présenter à la Chambre, je n'ai pas songé à justifier ma proposition sous ce rapport.

En effet, quel est le principe consacré par la Constitution ? Celui de faire connaître sa pensée par la voie de la presse. Je demande en quoi ma proposition peut entraver l'exercice de cette liberté ?

Après comme avant l'adoption de cette proposition, il sera libre à tout écrivain, sans être soumis à une censure préalable, sans être soumis à l'obligation du cautionnement, comme la veut la Constitution, de publier sa pensée sur toutes les questions quelle que soit leu rnature. La liberté reste donc entière, complète, comme l'affranchissement de toute mesure restrictive est conservé.

Mais à côté de ce principe consacré par la Constitution, il en est un autre que la Constitution n'a jamais voulu méconnaître et que ma proposition a pour but de régulariser, c'est qu'à côté de la liberté il y ait la responsabilité ; à côté de l'absence de mesures préventives, il y ait des mesures répressives des délits qui peuvent être dirigés par la voie de la presse contre la société ou contre les personnes.

Ma proposition ne fait que développer ce principe qui est fondé sur la morale elle-même et sur la justice éternelle.

Antérieurement à la Constitution, le délit de presse était toujours un délit collectif qui entraînait des poursuites contre l'auteur, l'éditeur et l'imprimeur.

Quand un journal était poursuivi pour un délit de presse, la poursuite s'adressait à la fois aux personnes que je viens d'indiquer.

La Constitution a eu pour but d'affranchir l'imprimer et l'éditeur de cette responsabilité pour la faire retomber sur l'auteur ; elle a déclaré que toutes les fois que l'auteur serait connu, l'imprimeur et l'éditeur seraient mis hors de cause. Quel a été le motif, le but de cette disposition ? C'a été d'affranchir l'écrivain de la censure de l'éditeur. La Constitution avait aboli la censure publique exercée au nom du pouvoir, elle n'a pas voulu laisser subsister la censure de l'éditeur, elle ne pouvait permettre que l'éditeur se constituât le juge, le censeur de l'écrivain lui-même, afin de dégager sa propre responsabilité.

En d'autres termes, il était investi d'une censure que la Constitution voulait abolir. Dans ce but, elle a décidé que l'éditeur serait mis hors de cause, lorsque l'auteur serait conuu. Mais ce que la Constitution a voulu faire, elle ne l'a fait qu'incomplètement, c'est-à-dire qu'en décidant que l’éditeur serait mis hors de cause quand l'auteur serait connu, elle n'a pris aucune mesure pour faire connaître l'auteur ; de manière que, dans la plupart des cas l'éditeur reste soumis aux poursuites, et à la responsabilité des articles insérés dans le journal. Eh bien, la disposition constitutionnelle ne deviendra une vérité, l'éditeur ne sera affranchi de toute responsabilité que lorsqu'on aura pris des mesures pour que l'auteur soit connu dans tous les cas. C'est le but que nous avons voulu atteindre en exigeant que tout article de journal fût signé par son auteur. A l'avenir, l'auteur sera toujours connu ; l'éditeur sera toujours hors de cause. La censure que l'on a voulu abolir ne sera pas abolie exceptionnellement ; elle sera abolie d'une manière complète et absolue.

Nous nous croyons en cela les fidèles observateurs de l'esprit et de la lettre de la Constitution.

M. Orts. - L'honorable M. Lelièvre avait fait contre la proposition de l'honorable M. Orban des observations qui me paraissent importantes et que celui-ci s'est cependant abstenu de rencontrer. L'honorable M. Lelièvre a dit avec beaucoup de sagesse : Lorsqu'il s'agit de toucher à une matière aussi délicate, aussi précieuse que la liberté de la presse, car la liberté de la presse n'est qu'une des expressions de la liberté de la pensée, il faut avant tout dire où sont les abus que l'état actuel des choses a produits.

L'honorable M. Lelièvre n'a trouvé devant lui pour répondre à cette observation que l'honorable M. Orban et sa proposition. De manière que, sauf l'honorable M. Orban, après une expérience de 23 ans, tout le monde est satisfait de la législation actuelle sur la presse en Belgique.

Dans de pareilles circonstances faut-il accueillir, même par une simple prise en considération, la proposition nouvelle qui tous est faite ? Non, messieurs, devant les seuls scrupules constitutionnels que chacun de nous éprouve au sujet de cette proposition, il est de notre devoir de l'écarter en rejetant la prise en considération.

Tout le monde sait d'ailleurs que quand on touche à la législation sur la presse on entre dans une voie périlleuse, d'où l'on sort difficilement, où le premier pas engage plus avant que l'on ne voudrait aller. Sous ce rapport, je me permettrai de rappeler les craintes que j'ai exprimées, lorsque, pour combler une lacune sérieuse de la législation sur la presse on vous a proposé naguère une disposition nouvelle. Je veux-parler de la répression des offenses envers les souverains étrangers. J'ai dit alors que ce changement apporté à la législation serait le précurseur d'autres changements. Ce qui arrive aujourd'hui justifie mes appréhensions d'alors.

L'honorable M. Orban invoque à l'appui de sa proposition un seul précédent, une seule autorité. Ce que je demande à introduire dans la législation belge, c'est, dit-il, la dernière garantie qui a protégé la liberté de la presse dans un pays voisin. Il est impossible de se tromper d'une manière plus étrange sur le caractère de la loi française à laquelle on fait allusion. L'honorable M. Orban trouve dans la loi française de juillet 1850 qui est le seul exemple dans un pays civilisé quelconque d'une législation analogue à ce qu'il propose, la dernière garantie, la dernière protection de la liberté de la presse ! Mais il a oublié que c'est par cette loi que l'on a commencé à museler la presse pour arriver à museler bien autre chose ; il oublie que la loi de juillet 1850 a été le premier pas dans cette longue route de réaction parcourue pour aboutir au 2 décembre.

L'honorable M. Orban oublie que cette loi fut votée par l'assemblée française dans un moment d'entraînement et d'irréflexion ; à l'aide d'un amendement introduit en quelque sorte par surprise, sous l'impression des violences et des désordres qu'avait amenés dans la presse la révolution de 1848.

En rappelant cette loi, l'honorable M. Orban semble ignorer que dans une assemblée de 600 membres environ l'amendement Tinguy ne fut voté qu'à une majorité de 52 voix : 313 pour et 281 contre. L'unanimité de la commission parlementaire ne l’a-t elle pas repousé ? Au-dehors tous les hommes marquants de la presse, tous ceux qui avaient rendus les services les plus signalés à la cause sociale dans le journalisme parisien ne repoussèrent-ils pas aussi cette « dernière » garantie de la liberté de la presse ? Et qu'a-t-elle produit après le vote ? Qu'a-t-elle duré ? Quelques jours ; puis a disparu la liberté de la presse, et avec elle l'application de la loi, la loi est inutile, là où l'honnête homme qui pense autrement que le pouvoir n'a plus le droit d'écrire ce qu'il veut en mettant son nom au bas de la page.

Et dans ce court intervalle qu'a-t-on constaté ? Que l'application de la loi n'était pas praticable, que tout le monde écrivait désormais, non plus sous le voile de l'anonyme, mais sous le voile du pseudonyme, et qu'il était impossible de faire un procès sérieux, d'aboutir à une réparation sérieuse contre ceux qui employaient le nom d'autrui pour signer.

Quelle garantie y a-t-il dans un pareil système ? Mieux vaut l'anonyme qui au moins n'est pas un mensonge, qui n'est que le silence.

L'honorable M. Lelièvre l'a dit avec raison, il faut respecter l'esprit de la Constitution ; bien évidemment elle exclut toute espèce de mesures préventives. Or demander d'abord à quelqu'un, pour lui donner le droit d'écrire et de publier, quel est son nom, c'est imposer une mesure préventive, ou je ne comprends plus le français.

M. Orban. - Et le nom de l'imprimeur !

M. Orts. - Le nom de l'imprimeur est une garantie qui n'entrave pas la manifestation des opinions. D'ailleurs c'est une exception que la Constitulion a faite. Cela prouve qu'elle n'a pas voulu en faire d'autres ; elle n'a pas voulu détruire le principe auquel elle avait donné une première entaille.

Que l'article de la Constitulion soit contraire à toutes mesures préventives, c'est ce que démontre évidemment la discussion de l'article 18. Nous avons le bonheur de compter encore parmi nous plusieurs membres ayant siégé au Congrès. Je leur demanderai, si semblable proposition avait été faite en 1831, le Congrès tout entier ne se sérail pas levé pour la repousser. Comment ! la section centrale d'alors proposait une rédaction moins absolue que le texte voté et proposé par la commission, auteur du projet de Constitution ! Cette rédaction interdisait en termes formels toutes mesures préventives et parlait des mesures répressives en termes plus élastiques. Elle fut repoussée comme n'étant pas assez large ; et l'on vota le texte primitif comme une garantie plus complète, que les mesures préventives demeurant supprimées, les mesures répressives ne seraient pas trop énergiques, ne coustitueraient pas une entrave pour la manifestation des opinions ; l'assemblée a repris la première rédaction qui est la rédaction actuelle.

Sans doute, messieurs, il s'est glissé dans la presse belge, comme dans celle de tous les pays, quelques abus. Nous, plus que personne, à raison de notre position, à raison de notre entrée dans la vie politique, nous sommes appelés à le constater. Mais c'est là une nécessité ; cela doit être, parce que si cela était empêché, vous empêcheriez en même temps, et du même coup, tout ce que la presse peut rendre de services utiles ; vous l'empêcheriez de remplir son véritable but, sa véritable mission sociale.

Et disons après tout, messieurs, qu'en Belgique ses abus n'ont pas porté grand trouble dans la société. Où sont les grands exemples, où sont les méfaits considérables demeurés sans répression ? Nulle part, messieurs. Des exemples de cette espèce ne peuvent être invoqués à l'appui de la thèse de l'honorable M. Orban.

Aussi ai-je entendu avec regret qualifier la position de la presse belge dans les termes qu'a employés l'honorable membre. Il n'est pas exact, quelles que puissent avoir été les fautes de la presse dans ce pays comme ailleurs, que le journalisme en Belgique ne soit qu'un métier, qu'une affaire d'argent. Le journalisme en Belgique est une profession honorable et honorée dont quelques gens abusent comme on abuse de toutes les positions les plus honorables et les plus respectables dans tous les degrés de l'échelle sociale. J'ai fait longtemps partie de la presse ; je m'en honore et j'y ai formé des amitiés, des relations qui sont encore aujourd'hui pour moi un honneur que j'avoue hautement dans cette enceinte.

Messieurs, une dernière considération. L'honorable M. Orban ne fait avec sa proposition qu'une seule chose : c'est mettre les journaux hors la loi. L'honorable M. Orban défendra-t-il de publier un (page 119) livre sans nom de l'auteur ? Défendra-t il de faire une affiche sans nom d'auteur7 Défendra-t-il de faire imprimer une chanson sans que l'on mette le nom d'auteur au bas ? Evidemment il n'ira pas jusque-là. Or, avec un livre, avec une affiche, avec une chanson, voire même une caricature, on peut faire le même mal, si mal il y a, que celui que l'on peut faire avec un article de journal ; et si l'honorable M. Orban n'empêche pas ce que je viens de lui signaler, il ne fait qu'une chose : c'est de placer les journaux et les écrivains du journalisme dans une plus mauvaise position que tous les autres écrivains et tous les autres moyens de publication.

Je crois donc, messieurs, que nous ferons chose sage non pas d'ajourner cette disposition jusqu'à la révision du Code pénal qui peut très bien comprendre la loi sur la presse et la comprend dans son projet, si mes souvenirs sont fidèles, mais de mettre cette proposition une bonne fois hors du monde en repoussant la prise en considération au nom des véritables principes constitutionnels.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, le gouvernement a le plus grand respect pour l'initiative parlementaire et, dans des circonstances ordinaires, il s'abstiendrait de s'opposer à une prise en considération par respect même pour cette prérogative. Mais il y a certaines circonstances qui se rattachent au projet dont nous nous occupons en ce moment, et qui déterminent le gouvernement à demander à la Chambre de lui laisser la responsabilité de toute initiative sur ce point, s'il juge utile de prendre cette initiative.

Il y a, messieurs, des faits donl on n'a pas encore parlé et que je dois rappeler à la Chambre, qui nous déterminent à exprimer cette opinion. En 1851, plusieurs honorables citoyens de Bruxelles ont adressé à la Chambre une pétition qui avait pour but de réclamer une loi prescrivant la signature des articles. Cette pétition produisait même, avec certains développements, un projet de loi en sept articles. Elle a fait le sujet d'un rapport de votre commission des pétitions. A la séance du 30 avril 1851, l'honorable M. de Bailect disait dans son rapport : « Votre commission qui pense que la pétition dont il s'agit mérite de fixer l'attention de la Chambre et du gouvernement, propose de la déposer au bureau des renseignements et d'en envoyer une copie à M. le ministre de la justice. » Cet envoi, messieurs, a eu lieu. Il me semble que le renvoi au ministre de la justice est un avertissement pour le gouvernement de s'occuper de l'examen de la question et que c'est au gouvernement dès lors qu'appartient l'initiative, c'est-à-dire tout ce qui se rattache à l'exercice de cette initiative, savoir : l'examen de l'opportunité, l'examen de la nécessité, l'examen de la constitutionnalité de la mesure.

Eh bien ! nous réclamons cette responsabilité, cette initiative, et depuis que la pétition a été renvoyée au ministère de la justice, le gouvernement s'abstient ; il s'abstiendra aussi longtemps qu'il le croira utile, aussi longtemps que les abus de la presse ne lui paraîtront pas de nature à exiger une répression ou des précautions autres que celles qui existent en ce moment.

La proposition de l'honorable M. Orban se présente d'ailleurs dans des circonstances qui nous paraissent peu favorables ; à la fin d'une session, lorsque la Chambre est pressée de travaux urgents et importants, et à la veille d'un renouvellement partiel de la Chambre, l'honorable M. Orban ne peut pas, je pense, espérer de faire discuter sa proposition.

L'honorable membre se met donc dans cette position de confier à une législature qui peut être en partie renouvelée, le soin de se prononcer sur un projet dont la prise en considération aurait eu lieu par une législature différente. Or, je pense que cette position est anomale, et, à ce point de vue également, je crois devoir m'opposer à la prise en considération.

Messieurs, je n'entrerai pas dans l'examen approfondi de la proposition de loi ; cela me semble inopportun et inutile. Si la proposition est prise en considération, l'examen devra s'en faire en sections et aura lieu d'une manière sérieuse. Mais je dois déclarer que je ne partage pas dès à présent les scrupules constitutionnels qui ont été énoncés dans cette enceinte, c'est-à-dire que je ne considère pas la question de constitutionnalité comme suffisamment mûre pour pouvoir me prononcer sur cette fin de non-recevoir qui serait souveraine.

Je dois déclarer que si la proposition m'avait paru inconstitutionnelle, de prime abord, sans autre examen, je me serais borné à dire que la proposition de loi de l'honorable M. Orban est inconstitutionnelle et ne peut pas arrêter un instant la Chambre, et que par conséquent il n'y a pas lieu d'entrer dans d'autres considérations.

C'est précisément parce que cette question n'est pas assez mûrie et n'est pas assez nettement décidée dans cette enceinte, que j'ai cru devoir communiquer à la Chambre les réflexions que je viens de faire et qui justifient, me semble-t-il, d'une manière suffisante la résolution du gouvernement dans cette circonstance, c'est-à-dire son refus d'appuyer la prise en considération.

Je crois, messieurs, qu'à la rigueur, dans l'exercice de l'initiative, le gouvernement pourrait se dispenser de se prononcer sur une prise en considération. En effet, je vois d'abord que l'autorisation de lire un projet de loi à la Chambre émane des sections, sans aucune intervention du gouvernement. Je vois ensuite que la prise en considération est en quelque sorte, de la part de la Chambre, l'exercice collectif du droit d'initiative, quand l'exercice individuel de ce droit est mis en mouvement ; et, par conséquent, c'est à la Chambre à juger elle-même si son droit d'initiative doit être exercé d'une manière collective, oui ou non.

En effet, messieurs, prendre une proposition de loi en considération lorsqu'elle est due à l'initiative d'un membre de la Chambre, c'est en quelque sorte juger que l'exercice du droit d'initiative individuelle a eu lieu d'une manière opportune.

Le gouvernement n'aurait à se prononcer que sur le fond du projet lorsque le projet serait arrivé à maturité après l'accomplissement des formalités prescrites par le règlement. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas hésité à nous prononcer, et nous croyons avoir justifié les raisons qui nous ont déterminé à ne point nous associer à la démarche de l'honorable M. Orban. Il y a des antécédents à cet égard, que j'ai rappelés et qui expliquent pourquoi le gouvernement prend l'attitude que j'ai fait connaître.

M. Roussel. - Messieurs, si la proposition de l'honorable M. Orban n'est pas contraire à un texte précis de la Constitution, il n'en reste pas moins vrai que cette proposition n'est nullement en rapport avec la manière dont la Constitution a été entendue sur ce point, depuis qu'elle existe.

Il y a même plus, d'après moi le régime que l'honorable M. Orban veut faire à la presse est tout à fait différent du régime qui est fait aux autres actions humaines par la loi pénale. En effet, la loi pénale n'exige nulle part que l'homme qui pose un fait se fasse connaître ; seulement elle réprime le fait lorsqu'il a été posé, s'il est nuisible et dangereux. Elle recherche l'auteur du fait. Tout le livre de la police judiciaire, au Code d'instruction criminelle, repose sur cette liberté absolue des actions humaines.

La police judiciaire est chargée de rechercher les auteurs des infractions, mais ils ne sont pas obligés d'apposer, si je puis m'exprimer ainsi, d'avance leur signature à ces infractions.

Il y a, dans la mesure proposée, quelque chose de contraire à la liberté, en général. Qu'a voulu le Congrès en ce qui concerne la presse et l'enseignement ? Il a certes entendu que chacun fût libre de manifester son opinion, sans aucune espèce de condition, et le deuxième paragraphe de l'article qui dit : « lorsque l'auteur est connu, » indique bien clairement que, dans l'esprit des constituants, l'auteur pouvait être inconnu.

Si les constituants avaient pensé que les écrivains dussent à l'avance se faire connaître, ils ne se seraient pas exprimés ainsi. Tout au contraire la Constitution aurait fait une allusion quelconque à cette obligation. Il y a donc, messieurs, une légère antinomie entre la proposition de l'honorable M. Orban et l'esprit des dispositions constitutionnelles sur la presse et sur la liberté des actions humaines en général.

Maintenant, pour moi la liberté d'écrire comprend évidemment la liberté d'écrire sous le voile de l'anonyme ou du pseudonyme. De grands écrivains ont employé l'anonyme ou le pseudonyme ; ils pouvaient avoir de bonnes raisons pour le faire.

On peut avoir à communiquer à ses concitoyens des idées très utiles à son pays et ne pas désirer d'être connu par des raisons complètement indépendantes du mérite de ce qu'on écrit ou de la portée que l'écrit doit avoir au point de vue de la répression. Ainsi un homme de génie voudrait collaborer à un journal, faire des articles très bien raisonnés, sans aucune personnalité, mais il aurait un parent ou un ami à l'affection duquel il tient et qui verrait avec peine sa collaboration aux journaux ; voilà un homme que la proposition empêcherait de rendre peut-être des services signalés à la politique de notre pays.

L'anonyme, messieurs, n'est pas quelque chose de criminel en soi ; il ne le devient que lorsqu'on emploie cette forme dans un but coupable. Eh bien, quand il s'agit d'une liberté aussi précieuse que la liberté de la presse, il faut y regarder à deux fois avant de mettre une paille sur le chemin que les écrivains doivent parcourir.

Ce n'est pas tout, messieurs, les libertés se tiennent et s'enchaînent. De même que, suivant l'honorable M. Orts, dès qu'on met le pied dans la voie des restrictions à la liberté de la presse, on continue à marcher dans cette funeste voie, de même, dès qu'on a mis le pied dans la voie des restrictions à la liberté de manifester les opinions, on est entraîné sur une pente irrésistible.

Ne viendra-t-on pas dire plus tard que la liberté d'enseignement, cette faculté si précieuse et si glorieuse pour la Belgique, puisqu'elle n'existe que là, que cette liberté présente des inconvénients et qu'il faut exiger certaines conditions du professeur qui veut monter en chaire ? Certes, l'on ne voudrait pas soumettre la liberté de l’enseignement à une mesure préventive quelconque, et cependant qu'est l'enseignement ? C'est la communication vive d'homme à homme, c'est la communication de la pensée par la parole méthodique et quotidienne.

La sagesse du peuple belge a maintenu la liberté de l'enseignement qui, de l'aveu de tout le monde, n'a présenté aucun inconvénient, et nous devons garantir cette liberté dans les autres libertés analogues.

Si la liberté de la presse a donné lieu à quelques abus, elle a produit aussi beaucoup de bien. Soyons, messieurs, ce que nous avons été depuis 1830 ; restons fidèles au vieux principe de la liberté en tout et pour tous, qui a triomphé transactionnellement au Congrès. Ne touchons à aucune de nos libertés, lors même que la Constitution le permettrait. Restons dans la voie dans laquelle nous avons marché jusqu'ici. Cette voie est glorieuse ; je fais des vœux pour que mon pays y reste toujours.

(page 1120) Et si d'aventure la presse nous avait causé quelques blessures légères, que le bien fait par la presse soit le baume qui les guérisse.

J'ai dit.

M. de Mérode. - Messieurs, je croyais en 1830 que lorsque la presse serait complètement affranchie de toutes précautions, qu'elle ne subirait en quelque sorte aucun procès pour les excès les plus condamnables, je croyais que l'attrait de manger le fruit défendu n'existant plus, la bonne presse l'emporterait sur la mauvaise ; mais je comptais sans la corruption native de la nature de l'homme enclin au mal plus qu'au bien, et je me trompais gravement. Il n'y a qu'une chose pour laquelle l'homme complètement laissé à lui -même est plutôt porté au bien qu'au mal ; c'est pour l'éducation de ses enfants, parce que le vice de l'enfant ne procure au père aucune satisfaction, qu'il l'expose plutôt à de graves ennuis, et que l'amour paternel agit d'autre part en sens inverse des mauvaises tendances. Maintenant 24 ans s'étant écoulés depuis 1830 (près d'un quart de siècle), j'ai pu voir par expérience que la presse bride sur le cou, n'ayant presque nulle crainte des jugements par jury, constituant un danger public, plus une véritable oppression pour les particuliers, quelques-uns ont cherché à se soustraire à cette tyrannie odieuse par des demandes en dommages-intérêts adressées aux tribunaux, mais grâce à l'absence de tout cautionnement même très modéré imposé aux journaux, ces particuliers lésés subissent, à l'occasion de leurs poursuites, des frais considérables, et lorsqu'une somme à titre de dédommagement leur est allouée par la justice civile, non seulement ils ne reçoivent rien, mais le fisc prélève son tribut effectif sur l'indemnité pécuniaire à laquelle ils ont droit, tandis qu'en fait ils restent les mains vides.

C'est ainsi que l'indemnité qui fut attribuée à un membre de ma famille pour accusations des plus graves, sans fondement quelconque et plusieurs fois répétées dans un journal destiné à diffuser par spéculation, a coûté au prétendu dédommagé 1,200 francs qu'il a fallu payera l'Etat.

Et c'est ainsi que la civilisation constitutionnelle belge traite les diffamés auxquels elle donne comme fiche de consolation une amende à payer au trésor public lorsqu'ils ont recours aux tribunaux. Ce n'est donc pas sans motifs que plus d'une fois j'ai exprimé l'opinion qu'en Belgique la presse est à l'état sauvage, et ce sera dans notre avenir la cause de l'anéantissement des libertlés publiques qui me sont chères. Nous continuons à subsister malgré cet affreux désordre, je le sais ; mais il sera fatal tôt ou tard à nos institutions précieuses dans leur ensemble mais qui demandent à être préservées du ver rongeur de certains défauts non moins nuisibles qu'évidents.

Notre honorable collègue, M. Orban, a donc très bien fait de chercher quelque remède à un mal si dangereux, et loin de repousser cette tentative et de décourager l'auteur par un refus d'entendre sa proposition, il me semble qu'elle aurait dû obtenir l'attention favorable de toules les sections. La presse sans frein suffisant a déjà traîné dans le précipice bien des constitutions modernes. Le char qui porte la nôtre a enrayé par le caractère national, et l'ancien esprit religieux du pays est jusqu'à ce jour préservé de la culbute.

Mais l'enrayure est un instrument qui s'use par le frottement trop rude et prolongé et quand l'usure arrive à point, le premier soubresaut amène la fracture et la chute qui laisse ébahis ceux qui négligeaient de la prévoir. Pour faire vivre longtemps la liberté il faut beaucoup de moralité ; et la presse licencieuse, bien différente de la presse libre, ne répandra jamais que l'immoralité.

Le moyen de combattre l'influence délétère de la presse abusive est ici plus difficile à trouver qu'ailleurs ; parce qu'en 1830 on eut confiance exagérée dans l'opinion, que je partageais comme beaucoup d'autres, et que je reconnais, pour mon compte, avoir été trop aventureuse. Mais puisque certaines dispositions constitutionnelles empêchent les mesures les plus simples de garantie, telles que le cautionnement et la répression par justice correctionnelle, il faut avoir recours à d'autres remèdes, et celui que propose M. Orban a été admis en France sous le dernier régime républicain. Certes il n'est pas inconstitutionnel, puisqu'on ne lit nulle part que la liberté de la presse appartienne à des carrés de papier affublés d'un titre, mais bien à des personnes qui veulent publier des opinions.

Aussi, messieurs, la loi Tinguy n'a pas produit, en France, les résultats qu'on en attendait, mais ce n'est pas qu'elle fût inconstitutionnelle ou anti-libérale ; je la trouve, au contraire, très libérale, car il n'est pas libéral d'écrire contre quelqu'un sous le voile de l'anonyme. Je ne parle pas ici des articles politiques, des articles d'affaires, je parle des articles qui attaquent les personnes, et je dis qu'il n'y a rien de libéral à se livrer aux critiques d'autrui en ne se nommant pas soi-même. Les écrivains anonymes ou pseudonymes, dont a parlé l'honorable M. Roussel, et qui ont produit des œuvres utiles, n'ont mérité d'éloges que parce qu'ils ont publié de bonnes choses, ce qui ne ressemble pas à flétrir des réputations.

Je dis que la loi Tinguy n'avait rien d'anti-libéral ; aussi ne fut-elle point, comme on l'a prétendu, le préambule de la suppression ultérieure de la liberté de la presse. Les préalables de cette suppression se sont formés sous le règne du roi Louis-Philippe par les exagérations de liberté, par les combats et les assauts que se livraient les ambitions qui voulaieut saisir les portefeuilles sans souci des véritables intérêts nationaux.

Voilà quel a été le préambule de la suppression de la presse ailleurs qu'ici.

Maintenant, la proposition de l'honorable M. Orban ne me paraît encore suffisamment examinée, et si l'honorable membre consent à ce qu'on ajourne la prise en considération, je voterai l'ajournement. Du reste, je suis disposé, quant à moi, à accepter la prise en considération qui ne peut, en aucun cas, avoir d'inconvénients.

Si elle nous conduit à découvrir quelques autres moyens plus efficaces de réprimer les excès très graves de la presse qui existent, quoi qu'on en dise, ce sera un grand bonheur pour le pays.

M. Orban. - Messieurs, la déclaration que vient de faire M. ministre de la justice change entièrement ma position dans ce débat. Je ne me dissimule pas les inconvénients que peut avoir dans certains cas l'initiative parlementaire. Il est de ces propositions qui, par leur nature, leur importance et leur portée, doivent plus particulièremei émaner de l'initiative ministérielle.

Je dirai plus : c'esl qu'une proposition de loi, telle que celle que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, ne pourrait avoir de succès dans son application qu'autant qu'elle fût adoptée avec l'approbation du gouvernement ; car ce n'est que par l'exécution qu'elle peut produire des résultats utiles.

Or, messieurs, le ministre de la justice nous a appris tantôt que le gouvernement était saisi d'une pétition qui avait été adressée à la Chambre, en 1851, et qui avait le même but que ma proposition de loi ; il nous a appris aussi que le gouvernement ne s'était pas encore prononcé sur l'objet de la pétition renvoyée à son examen ; il nous a appris enfin que ma proposition n'était pas contraire à la Constitution, et je prends note de cette déclaration ; eh bien, il résulte des paroles de M. le ministire de la justice que le gouvernement n'a pas de parti pris contre la proposition, et qu'il attendra les renseignements dont il a besoin, pour agir s'il le juge convenable. Voilà comment j'ai compris la pensée du gouvernement.

Messieurs, en présence de cette déclaration de M. le ministre de justice, je retire ma proposition, car je suis convaincu que si le gouvernement consulte les vrais besoins du pays, il nous proposera lui-même un projet de loi pour atteindre le but que je me suis proposé.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, j'ai à donner quelques explications sur l'interprétation que l'honorable M. Orban vient de donner à mes paroles, paroles que j'ai prononcées au nom du gouvernement et qui doivent être bien comprises.

J'ai dit que le renvoi fait par la Chambre, en 1851, au gouvernement d'une pétition qui avait pour objet de demander la signature des articles de journaux ; que ce renvoi avait « averti » le gouvernement. Le gouvernement ne se considère pas comme saisi de la question, en ce sens qu'il soit obligé de formuler et de soumettre aux Chambres un projet de loi faisant droit à la pétition.

J'ai dit ensuite que le gouvernement désirait que toute liberté lui fût laissée, quant à l'appréciation de ce projet, quant à la question d'opportunité, délégative et de nécessité.

Si l'honorable M. Orban veut accepter ma déclaration dans ce sens et qu'il persiste à retirer sa proposition, nous sommes d'accord : le gouvernement reste entièrement libre d'apprécier les divers points que viens d'indiquer.

Je ne pense pas que mes paroles aient pu donner lieu à une autre d’interprétation.

M. Orts. - Je déclare que je reprends pour mon compte personnel la proposition de l'honorable M. Orban.

M. le président. - La proposition étant reprise, la discussion continue sur la prise en considération.

M. Dumortier. - M. Orts reprend la proposition : je demande qu'il la développe et la défende.

M. le président. - Si l'auteur d'une proposition qui est en discussion la retire, tout est fini, à moins qu'un autre membre ne la reprenne. M. Orts ayant déclaré reprendre la proposition de M. Orban, la discussion doit continuer.

M. Delehaye. - Messieurs, nous sommes en présence d'une proposition que je puis appeler négative. Sur différentes observations présentées à la Chambre, l'honorable M. Orban retire sa proposition, et je dois dire qu'un des discours, prononcés contre la proposition, qui ont produit sur moi le plus d'impression, c'est celui de l'honorable M. Orts. Or, l'honorable membre reprend maintenant pour son compte cette même proposition. Que va-t il arriver ? C'est qu'incontestablement tous les partisans de la proposition de l'honorable M. Orban vont maintenant voter contre, et l'honorable M. Orts votera également contre. (Interruption.)

On me dit que c'est là ce qu'on veut. Moi, je veux que lorsque la Chambre émet un vote, elle le fasse avec dignité et portée. Le vote négatif sera unanime ; mais ce vote aura t-il chez l’honorable M. Orts la même signification que chez l'honorable M. Orban ? Incontestablement non. Que signifiera donc ce vote ?

Je prie l'honorable M. Orts qui comprend si bien la dignité de Chambre, je le prie de nous dire quelle portée peut avoir le vote qu’il convie la Chambre à émettre.

Ce qu'il convient de faire après le retrait de la proposition de l'honorable M. Orban, c'est de nous abstenir.

M. David. - Quand j'ai demandé la parole tout à l'heure, je voulais reprendre la proposition de l'honorable M. Orban, afin qu'un vote (page 1121) intervînt et qu'une fois pour toutes la Chambre décidât qu'elle veut rester dans l'esprit de la Constitution de 1831.

M. Prévinaire. - Messieurs, l'honorable M. Delehaye a présenté tout à l'heure quelques considérations au nom de la dignité de la Chambre. Je ferai remarquer que la dignité d'un parlement, quand une question de cette nature est agitée devant lui, est engagée, à ce que la question soit résolue ; et sous ce rapport, je regrette vivement que le membre de la Chambre qui a soulevé la question, n'ait pas en le courage de la laisser suivre son cours. (Interruption.)

M. le président. - J'engage M. Prévinaire à s'abstenir de semblables expressions : M. Orban a usé de son droit, en retirant sa proposition.

M. Prévinaire. - Quand je parle ici de courage, il ne peut s'agir évidemment que du courage attaché aux actes qu'on pose en vertu de son droit d'initiative.

Je n'ai pas pu et n'ai pas voulu faire allusion à un autre courage. Une explication aussi franche, aussi loyale, car elle est dans ma pensée, ne peut que satisfaire l’honorable M. Orban. Ainsi, je n'ai pas entendu d'autre courage que celui que doit avoir chaque membre, auteur d'une proposition, de la laisser suivre son cours.

Eh bien, je dis que dans l'intérêt de la dignité du parlement, il convenait que la question soulevée reçût une solution et qu'il eût été préférable qu'elle fût écartée par un vote. C'est ainsi que j'entends la dignité du parlement.

M. Orts. - L'honorable M. Delehayc vient de faire un appel à la dignité de la Chambre que je puis accepter, car il l'a fait en termes extrêmement bienveillants pour moi. Mais aussi je dois lui dire que je ne vois cette dignité entamée en aucune façon par la proposition que j'ai eu l'honneur de faire ; je crois que la dignité de la Chambre recevrait une atteinte grave si, quand après 23 années une attaque étail dirigée contre la plus précieuse de nos libertés publiques, un vote n'intervenait pour repousser une tentative de ce genre.

Voilà comment, à mon sens, la dignité du parlement est engagée. Je demande qu'on sorte du vague dans lequel nous laisserait le retrait entouré de commentaires de l'auteur de la proposition, et les explications un peu confuses données par le gouvernement dans le premier discours de M. le ministre de la justice. Je veux, pour le gouvernement, aussi bien que pour le pays, que l'esprit de la Chambre soit mis en lumière.

Si le moyen auquel j'ai eu recours pour atteindre mon but suscitait des scrupules de forme, si la Chambre préférait se rallier à une autre formule rendant la même pensée, je serais disposé à faire le sacrifice de la forme pour atteindre mon but, à sacrifier la reprise que j'ai faite de la proposition de l'honorable M. Orban, par exemple, si la Chambre voulait adopter un ordre du jour motivé dans les termes suivants :

« Considérant que dans l'état des esprits aucune modification à la législation sur la presse n'est réclamée par le pays, la Chambre passe à l'ordre du jour. »

Je demande le vote de cet ordre du jour avant toute décision sur la proposition reprise par moi.

M. de Theux. - J'avais demandé la parole pour combattre la reprise de la proposition de l'honorable M. Orban par l'honorable M. Orts.

Messieurs, si mes souvenirs sont exacts, le cas n’est pas sans précédent : on a demandé à l'honorable membre qui reprenait la proposition retirée, si c'était sérieusement qu'il la faisait sienne, si son intention était de la faire triompher ; sur sa déclaration négative, on n'a pas permis que la proposition fût mise aux voix ; on a eu raison ; rien ne serait plus attentatoire à la dignité de la Chambre qu'une motion de cette nature.

Un honorable collègue a blâmé l'honorable M. Orban d'avoir retiré sa proposition ; pour moi je ne l'en blâme en aucune espèce de manière ; je ne trouve dans ce retrait aucun manque de courage ; l'honorable membre a suffisamment manifesté son opinion ; il se trouve sous ce rapport suffisamment engagé. Il n'a pas retiré sa proposition sur l'invitation de ses collègues. Quoique je ne sois pas fixé sur l'utilité de la proposition, comme je l'avais dit à son honorable auteur, avant qu'il la présentât, je n'aurais pas hésité à en voter la prise en considération. Je ne pense pas qu'il faille du courage pour demander à la Chambre d'examiner s'il y a un moyen constitutionnel efficace de porter remède à un abus universellement reconnu dans le pays. (Interruption.)

Il n'est pas un honnête homme qui ne trouve que la calomnie anonyme est une chose odieuse, antisociale, désastreuse ; je n'hésite pas à le proclamer devant la Chambre.

L'honorable membre vient de faire une motion, je ne sais si elle est bien à sa place maintenant qu'il n'y a plus de proposition. Si la Chambre pense autrement que moi à cet égard, je voterai contre, parce que je ne veux pas assumer aux yeux de la nation la responsabilité de déclarer qu'il n'y a pas lieu d'examiner s'il n'y a pas un moyen constitutionnel et légal de prévenir les abus scandaleux de la presse.

M. de Mérode. -— J'ai demandé la parole pour proposer un autre ordre du jour. Mieux vaudrait dire, selon moi :

» La Chambre, considérant que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, dans l'état de la presse en Belgique, passe à l'ordre du jour. »

M. le président. - Cela peut être très spirituel, mais votre proposition n'est pas sérieuse.

M. F. de Mérode. - Ma proposition n’est pas plus absurd que l’autre.

M. Devaux. - Messieurs, je voterai pour l'ordre du jour motivé, proposé pir M. Orts ! Je ne pense pas qu'une discussion de ce genre une fois soulevée doive finir sans que les intentions de la Chambre se manifestent par un vote.

Elle est par elle-même un fait assez grave pour que ceux qui l'ont soulevée ne puissent en la désertant nous empêcher d'exprimer notre opinion et de constater le genre d'accueil qu'elle a reçu.

La liberté de la presse dans notre pays est la clef de voûte de toutes les libertés constitutionnelles, car sans elle aucune autre n'est véritablement garantie, et si elle pouvait se garantir elle-même, elle suffirait presque à elle seule peut remplacer toutes les autres.

La législation qui la régit a donc toute l’importance d'une loi constitutionnelle. C'est assez dire qu'il ne faut y porter la main comme il ne faut porter la main sur nos plus importantes institutions, que lorsque des faits graves, d'urgentes raisons d'intérêt public, une espèce de nécessité nous contraignent à les modifier. Lorsque j'ai entendu l’honorable auteur de la proposition vous en donner lecture l'autre jour, je me suis demandé quels faits graves s'étaient passés et étaient venus révéler la subite nécessité d'un changement à la législation de la presse.

J'ai écouté attentivement les motifs qu'il vient de donner à l'appui de sa proposition et j'ai été bien surpris de voir que l'honorable membre n'appuyait sa proposition sur aucun fait nouveau, sur aucune raison urgente, sur aucune nécessité qui se fût récemment révélée.

Notre législation de la presse date de 23 ans. Depuis cette époque on n'y a apporté que de très faibles modifications. Ces modifications elles-mêmes n'y eut été introduites que dans des cas pour ainsi dire extrêmes et par les raisons les plus graves. La première fois en effet, ça été pour protéger l'inviolabilité de la couronne, la seconde et dernière fois c'a été dans l'intérêt de nos relations avec les puissances étrangères, dans l'intérêt de notre sécurité extérieure, de notre existence nationale.

Pourquoi avons-nous agi avec tant de circonspection ? Ce n'est pas que de tout temps la presse n'ait eu quelques abus, mais c'est que nous avons pensé qu'aux institutions les plus importantes il faut s'efforcer de conserver la stabilité, et nous avons eu raison d'en agir ainsi depuis 23 ans, et d'habituer le pays à la stabilité de ses institutions fondamentales. C'est parce que le pays s'est habitué à de telles idées qu'il a pu résister aux orages qui ont grondé tout autour de lui, et se préserver de la fièvre des bouleversements.

Je me demande vainement où sont aujourd'hui les faits graves, les raisons urgentes qui commandent la mesure qui nous est proposée. Je ne vois que des faits personnels à son auteur. (Interruption.)

Il paraît que l’honorable membre croit avoir eu à se plaindre de la presse ; la semaine dernière, il s'est adressé aux tribunaux ; ce n'était pas assez ; lui, censeur si acerbe dans cette enceinte, il supporte si impatiemment la censure du dehors qu'avant que le tribunal ait prononcé son jugement, il lui faut encore une législation nouvelle.

Il faut que nous fassions, pour son inviolabilité, ce que nous avons fait pour l’inviolabilité du Roi, que nous fassions pour sa puissance ce que nous avons fait pour les potentats de l'Europe.

Il est si vrai qu'une proposition qui devrait s'appuyer sur les motifs les plus graves manque de base et a été légèrement conçue, que son auteur voyant l'accueil qu'il reçoit, se hâte de saisir le prétexte de quelques paroles du ministre pour l'abandonner

Aucune voix, en effet, n'était venue appuyer le fond de la proposition. Pour moi, je ne l'examine pas au fond ; je ne veux pas lui faire cet honneur.

Quand vous me demandez un changement à la loi de la presse, avant que je consente à examiner vos propositions, il faut que vous me démontriez qu'il y a urgence à porter la main sur la législation existante.

Vous pourriez me démontrer que telle disposition de notre Constitution pourrait être améliorée, que je n'aurais égard à vos arguments tant que vous ne m'auriez pas fait voir les motifs impérieux qui doivent l'emporter sur le grand intérêt de la stabilité de nos institutions.

Si vous appartenez au parti conservateur, comme vous vous en vantez, respectez la stabilité de nos principales institutions, ne l’ébranlez pas. Faites ce que nous faisons depuis 23 ans, ayez un peu de patience, et conservez à la Belgique sa réputation de nation prudente, qui a de l'esprit de suite, qui aime ses lois et sait les maintenir.

M. Orban. - L'honorable membre est venu attribuer à des motifs personnels la proposition que je vous ai faite. Je lui conteste un pareil droit et j'en appelle à vous tous pour décider si, parmi les motifs que j'ai fait valoir, il en est un seul qui ne repose pas sur l'intérêt général ?

L'honorable membre a dit que je demandais le changement de la législation sur la presse, et que je n'avais pas signalé un seul abus. Etait-ce dans les développements d'une proposition de loi que je devais les signaler ? Et ces abus, l'honorable M. Devaux peut-il les mettre en doute, lorsqu'il a vu un membre de la famille de M. de Mérode poursuivi par des calomnies odieuses qui ont traîné pendant deux ans dans les journaux ? Quand il voit d'autre part l'honorable chef de cette famillle vous dire quelle espèce de réparation il avait obtenue, ne sont-ce pas là des abus de la presse ? Ne sont-ils pas connus ? Etait-il nécessaire de les signaler ?

Vous parlez de l'instabilité de nos institutions et vous oubliez les motifs que j'ai invoqués à l'appui de ma proposition. Personne n'a (page 1122) répondu à l’argument que j'ai fait valoir et qui consiste dans la nécessité de rendre à la presse le caractère belge, le caractère national qu'elle n'a plus aujourd'hui. Si l'on veut conserver le caractère de nos institutions, c'est là le but le plus essentiel de ma proposition, c'est que la presse belge soit entre les mains des Belges.

Qui de vous ignore que c'est à ce fait que nous devons le succès, la glire, l'honneur de notre révolution ? C'est qu'en 1830, les journaux belges étaient tous rédigés par des écrivains belges. Je n'imiterai pas l'honorable M. Devaux ; je ne l'attaquerai pas personnellement ; je saisirai, au contraire, cette occasion pour lui faire honneur de ce qu'il était, avant 1830, au nombre de ces écrivains dont le pays a conservé un souvenir fidèle et reconnaissant.

Mais dans l'état actuel des choses, la presse n'est plus belge ; les journaux sont rédigés par des étrangers ; c'est un fait qui mérite de fixer l’attention de la Chambre. La cause de ce fait n'échappe à personne. Nous avons (et c'est une gloire pour la Belgique) ouvert nos frontières à des écrivains qui ont trouvé un refuge parmi nous. Il résulte de là que nous devons abandonner la sauvegarde de nos institutions à ces hommes qui, forcés de vivre chez nous, sont obligés de chercher dans la presse un moyen d'existence.

La communauté de langage avec un pays voisin fait que la presse belge devient une ressource poar toutes les personnes venant de France.

Il y a là un véritable péril. En le signalant au pays, je crois avoir fait un acte de patriotisme qui défie la censure de l'honorable membre.

J'ai réussi à poser la question, à éveiller sur elle l'attention publique.

Pour le reste, le gouvernement est mis en demeure et je lui laisse la responsabilité.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - La responsabilité à laquelle fait allusion l'honorable M. Orban, nous l'acceptons parfaitement comme nous acceptons l'ordre du jour motivé proposé par l'honorable M. Orts. Dans l'état actuel des esprits, je suis d'accord avec lui qu'il ne peut être question de modifier la loi sur la presse, et les raisons données par l'honorable M. Devaux sont celles qui nous inspireront tons dans l'appréciation de cet ordre du jour.

On a fait allusion à deux changements qui ont été apportés au décret de 1831 : l'un, tendant à renforcer l'inviolabilité royale, a été voté en 1847 ; cette loi a été tellement efficace qu'elle n'a pas été appliquée uiie seule fois.

Plus récemment, une loi sur les offenses envers les souverains étrangers a été nécessitée par l'incertitude de ce qui existait dans notre législation sur cette matière importonle. La loi de 1852 n'est pas, je dois le dire, une loi nouvelle.

C'est une loi de régularisation d'une législation antérieure. C'est une loi fondée sur le droit public international et dont la formule se retrouve dans toutes les législations étrangères. Ce n'est donc pas, ainsi qu'a semblé le croire l'honorable M. Orts, une atteinte à la législation constitutionnelle de la presse.

On a dit, en parlant de la presse, qu'elle était, en Belgique, à l'état sauvage. Cela serait vrai, si l'opinion ratifiait ce qu'il y a de sauvage dans une certaine presse. Or l'opinion ne la ratifie pas.

Pour vous donner la conviction, si vous ne l'aviez pas, que la presse n'est pas aussi mauvaise, aussi dégradée qu'on paraît le croire, je vous prie de compter dans cette enceinte ceux qui ont commencé dans la presse, et qui sont arrivés où ils sont aujourd'hui. Vous avez là la preuve que la presse n'est pas arrivée à l'état d'abaissement que l'on a signalé.

L'honorable M. Orban vient de faire allusion aux étrangers qui sont dans la presse. Eh bien, la surveillance des étrangers qui abusenl de la presse est une affaire de police ; c'est nous qui nous en chargeons, c'est l'affaire du gouvernement, qui est armé des pouvoirs nécessaires pour réprimer les écarts qui seraient commis dans ce sens par les étrangers.

Mais, messieurs, les étrangers qui viennent honorablement et loyalement rédiger des journaux dans notre pays ont un droit à la protection qui est accordée à tous ceux qui se conduisent bien sur notre sol, et qui n'y viennent pas pour y jeter le désordre et y fomenter des troubles. Ainsi, messieurs, nous avons des garanties suffisantes, et je crois qu'il est juste de dire que dans l'état actuel des esprits des modifications à la législation sur la presse ne sont pas nécessaires. Le gouvernement, je le répète, est toujours prêt à faire, pour sauvegarder les intérêts généraux, ce que les circonstances et les nécessités reconnues commanderont.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Dumortier. - Je demande la parole pour proposer la question préalable,

- La clôture est demandée par plus de dix membres.

M. le président. - M. Dumortier a demandé à proposer la question préalable ; il a la parole.

M. Dumortier. - Messieurs, je propose la question préalable, Je crois que la Chambre doit à sa dignité de ne pas admettre d'avantage les deux propositions qui lui sont faites, qu'elle ne pouvait admettre la reprise par l’honorable M. Orts du projet de loi présenté par l'honorable M. Orban, reprise qui, si elle eût été acceptée, eût placé la Chambre dans une position tout à fait fausse, dans une position ridicule aux yeux du pays.

Quant à la proposition qui vous est soumise, elle est tellement inacceptable, que pour mon compte je suis forcé de voter la question préalable sur cette proposition et je la demande.

Messieurs, il y a deux éeueils dans lesquels nous ne devons pas verser ; c'est d'abord de déclarer que la presse est mauvaise en Belgique ; c'est, d'un autre côté, de déclarer qu'elle ne mérite aucune espèce de reproche. Or, cette seconde déclaration, c'est précisément ce que propose l'honorable M. Orts. Il n'est personne en Belgique qui ne déplore les abus de la presse relativement aux personnes, abus qui se renouvellent tous les jours.

L'honorable M. Devaux a parlé de la stabilité de nos institutions. Certainement, messieurs, il est bien de parler de la stabilité de nos institutions, mais il est mieux encore de maintenir la stabilité des positions. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - C'est le fond.

M. Dumortier. - Il doit m’être permis de développer ma motion ; du reste je termine.

M. Verhaegen. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. Dumortier. - Je maintiens ma proposition de question préalable.

M. Verhaegen. - J'ai demandé la parole pour un rappel au règlement. Le règlement ne permet pas, lorsque la clôture a été demandée par plus de dix membres, que la discussion s'ouvre de uouveau. Il s'agit de savoir si la discussion doit être close, oui ou non. Je demande qu'on mette la clôture aux voix. Ce que vient de dire l'honorable M. Dumortier ne se rattache d'ailleurs pas à la question préalable.

M. le président. - M. Dumortier avait, avant que dix membres se fussent levés pour demander la clôture, manifesté l'intention de proposer la question préalable ; c'est pourquoi je iui ai donné la parole. Mais M. Dumortier ne doit pas entrer dans la discussion du fond.

Quelqu'un demande-t-il la parole sur la clôture ?

M. Coomans. - Oui, M. le président, je voudrais adresser à l'honorable M. Orts une question : c'est s'il est bien entendu que le rétablissemeut du timbre des journaux est également proscrit par sa proposition ?

M. le président. - Ceci n'est pas la question de clôture. Si la Chambre veut que des explications soient données, que des discours soient encore prononcés, elle repoussera la clôture.

M. de Decker. - Avant que l'on ne réclamât la clôture, j'avais demandé la parole pour m'expliquer sur la motion d'ordre et sur l'ordre du jour motivé proposé par l'honorable M. Orts. Pour moi, cet ordre du jour motivé n'est pas suffisamment clair.

Je suis positivement, loyalement et sincèrement contraire à la proposition primitive telle qu'elle avait été faite par l'honorable M. Orban ; je croyais cette proposition et je la crois encore manifestement contraire à l'esprit et au texte de la Constitution.

Ainsi, pour moi, j'aurais voté contre la prise en considération de la proposition de l'honorable M. Orban.

Mais d'un autre côté, surtout quand je rapproche l'ordre du jour motivé de l'honorable M. Orts du discours qu'il a prononcé avant de le présenter, je dois croire que l'honorable membre ne veut reconnaître aucune espècee d'excès ou d'abus dans l'état actuel de la presse.

M. Orts. - J'ai dit le contraire.

M. de Decker. - Pour ma part, je ne puis donner mon assentiment à une telle manière de voir.

M. le président. - Si la Chambre veut vous entendre, elle se prononcera contre la clôture. Mais, je vous en prie, en ce moment ne parlez que sur la demande de clôture.

M. de Decker. - Comme on l'a fait observer, dans une question de cette gravité, il importe que chacun supporte la responsabilité, devant le pays, d'un vote sérieux et positif. Eh bien, je dis que quelle que soit ma manière de voir sur la proposition primitive que je repousse de toutes mes forces, je ne puis, sans une explication, émettre un vote sérieux et positif sur l'ordre du jour motivé, proposé par l'honorable M. Orts.

M. Orts. - Deux membres m'interpellent sur le sens de l'ordre du jour motivé que je propose. Je demande si je puis répondre par un oui ou par un non et à l'honorable M. Coomaus et à l'honorable M. de Decker. (Oui ! oui !)

M. le président. - La Chambre veut-elle entendre la réponse de M. Orts aux interpellations qui lui sout adressées ? (Oui ! oui.')

S'il n'y a pas d'opposition, la parole est à M. Orts.

M. Orts. - A l'interpellation de l'honorable M. Coomans qui demande si l'ordre du jour motivé préjuge la question du rétablissement du timbre des journaux, je réponds très franchement que non, quoique je sois adversaire déclarée du timbre des journaux. Par législation sur la presse, j'entends parler de la législation pénale répressive dans laquelle rentrait la proposition de l'honorable M. Orban.

Je répondrai à l'honorable M. de Decker que, par l'ordre du jour motivé, je ne demande pas pour la presse en Belgique un satisfecit. J'ai reconnu moi-même dans le discours que j'ai prononcé en répondant, à l'honorable M. Orban, que la presse avait commis des abus. Mais je ne crois pas que ces abus soient tels, qu'il faille modifier la législation répressive.

(page 1123) M. le président. - Je mets aux voix la proposition de M. Dumortier. Elle est ainsi conçue :

« Je demande la question préalable sur les deux propositions. »

Remarquez que M. Dumortier applique la question préalable à la proposition de M. Orts et à la proposition de M. de Mérode.

M. Loos. - Je demande la division.

M. le président. - La division est demandée ; elle est de droit.

M. Dumortier. - Le règlement dit que sur toute question complexe, la division est de droit. Mais il ne s'agit pas ici d'une question complexe, il s'agit d'une question unique, et la division n'est pas possible.

M. le président. - Votre proposition est complexe ; elle porte à la fois et sur la proposition de M. Orts et sur la proposition de M. de Mérode. On a donc le droit de demander la division. Ainsi, il va être procédé au vote par division sur la proposition de M. Dumortier. Nous commencerons par le vote sur cette proposition appliquée à l'ordre du jour motivé de M. Oris.

M. de Mérode. - Je retire ma proposition.

M. Devaux. - J'ai une observation à soumettre à M. le président. Il me paraît difficile qu'on élève une question préalable sur l'ordre du jour. La question préalable, c'est dire qu'il n'y a pas lieu à délibérer. L'ordre du jour c'est celle qui écarte l'objet de la délibération.

Le règlement, si je ne me trompe, fait passer l’ordre du jour avant toute autre proposition. Il est difficile d'élever la question de savoir s'il y a lieu à délibérer sur l'ordre du jour dont la signification est précisément qu'il n'y a pas lieu à délibérer.

M. le président. - Il n'y a pas seulement la question de savoir si on passera à l'ordre du jour ; il y a une proposition d'ordre du jour motivé, c'est à cette proposition que M. Dumortier applique la question préalable ; il est dans son droit.

M. Dumortier. - Chaque fois qu'une proposition est faite, tout le monde a le droit de demander la question préalable qui ne fut jamais mieux justifiée que dans la circonstance présente.

M. Orban. - Comme l'a dit l'honorable M. Dumorlier, jamais la question préalable ne fut mieux justifiée...

M. le président. Il ne s'agit pas de discuter le mérite de la question préalable ; il s'agit seulement de savoir si elle peut être posée.

Maintenant, M. de Mérode ayant retiré sa proposition, la question préalable ne s'applique plus qu'à la proposition de M. Orts.

M. Visart. - Je demande une nouvelle lecture de la proposition de M. Orts.

- M. le président donne de nouveau lecture de la proposition.

La question préalable est mise aux voix par appel nominal.

78 membres sont présents.

29 adoptent.

46 rejettent.

3 membres s'abstiennent.

En conséquence, la question préalable n'est pas adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. de Liedekerke, de Man d'Attenrode, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Portemont, de Ruddere, de Sécus, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumortier, Faignart, Jacques, Magherman, Malou, Mercier, Orban, Osy, Pirmez, Rodenbach, Thibaut, Vander Donckt, Vermeire, Boulez, Brixhe, Clep, Coomans et de Brouwer de Hogendorp.

Ont voté le rejet : MM. Delehaye, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, Dzquesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, Devaux, d'Hoffschmidt, Jouret, Lange, Lebeau, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, A. Roussel, Thiéfry, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Visart, Allard, Ansiau, Anspach, Closset, Coppieters, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Decker et Delfosse.

MM. Julliot, de Baillet (Hyacinthe) et de Haerne se sont abstenus.

M. Julliot. - Je me suis abstenu parce que je n'ai pas assisté à une partie de la discussion ; je n'ai pas entendu les principaux discours.

M. H. de Baillet. - Je me suis abstenu parce que, M. Orban ayant retiré sa proposition, il me semblait qu'il n'y avait plus lieu à donner ou à refuser un satisfecit à la presse.

M. de Haerne. - Il y a trois ans que le ministère est saisi d'une proposition, au fond la même que celle de l'honorable M. Orban ; il délibère sur le mérite et sur l'opportunité de cette proposition ; j'ai cru devoir partager ses doutes.

- Il est procédé au vote par appel nominal sur la proposition de M. Orts.

En voici le résultat :

73 membres sont présents.

46 répondent oui.

21 répondent non.

6 s'abstiennent.

En conséqneuce, l'ordre du jour motivé, proposé par M. Orts, est adopté.

Ont répondu oui : MM. Delehaye, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Steenhault, Devaux, d'Hoffschmidt, Jouret, Lange, Lebeau, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Malou, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, A. Roussel, Thiéfry, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Allard, Ansiau, Anspach, Closset, Coppieters, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bronckart et de Decker.

Ont répondu non : MM. de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Portemont, de Ruddere, de Sécus, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumortier, Faignart, Moncheur, Orban, Osy, Pirmez, Thibaut, Vander Donckt, Vermeire et Brixhe.

Se sont abstenus : MM. Jacques, Magherman, Visart, H. de Baillet, de Brouwer de Hogendorp et de Haerne.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Jacques. - J'ai voté la question préalable parce que je ne voyais pas la moindre utilité pour le pays à ce qu'il soit émis un vote favorable ou contraire à l'ordre du jour proposé par M. Orts.

M. Magherman. - Messieurs, je me suis abstenu, parce qu'il m'a semblé qu'en présence du retrait de la proposition de l'honorable M. Orban, il n'y avait plus lieu de la part de la Chambre d'émettre un vote.

M. Visart. - Je n'ai pas voté contre l'ordre du jour motivé, n'étant point favorable à la reprise du projet abandonné par l'honorable M. Orban ; d'une autre part, je n'ai pas accordé mon assentiment à la proposition de l'honorable M. Orts, parce qu'elle semble décider d'après l'opinion (non exprimée cependant) du pays, alors que nous avons, nous-mêmes, la mission de le représenter.

M. H. de Baillet. - Je me réfère aux motifs de ma première abstention.

M. de Brouwer de Hogendorp. - J'aurais voté contre la proposition de M. Orban que je ne saurais admettre à aucun titre. En présence du retrait de cette proposition, j'ai voté la question préalable et je me suis abstenu sur l'ordre du jour de l'honorable M. Orts, parce que je crois que la Chambre n'a pas besoin de protester de son attachement à nos libertés constitutionnelles en général, et à la liberté de la presse en particulier ; ce qui était le but de l'ordre du jour motivé de l'honorable membre.

M. de Haerne. - Je me suis abstenu pour les motifs que j'ai fait connaître tout à l'heure.

- La séance est levée à 5 heures et demie.