Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 25 mars 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1177) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Maertens lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Nicolas Schroeder, propriétaire-cultivateur à Post, né à Everlange (Grand-Duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Le conseil communal de Waltripont demande que la ligne de chemin de fer destinée à relier la Flandre au Borinage, soit concédée aux sieurs Hertogs et Cie. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Kuborn et Jeniot demandent que les statuts de l'Académie de médecine permettent d'adjoindre à cette assemblée plusieurs pharmarciens de la pratique civile, et qu'il y ait incompatibilité déclarée par la loi entre l'exercice de la médecine et celui de la pharmacie. »

- Même renvoi.


« Des pharmaciens, médecins et vétérinaires demandent que les statuts de l'Académie de médecine assurent aux pharmaciens, aux vétérinaires et aux médecins une représentation convenable dans cette assemblée et que l'exercice de la médecine et celui de la pharmacie ne puissent être cumulés que dans les localités où le médecin et le pharmacien ne pourraient vivre honorablement l'un à côté de l'autre. »

- Même renvoi.


« Des pharmaciens à Tournai déclarent adhérer à la pétition du cercle pharmaceutique du Hainaut relative à la représentation des pharmaciens dans l'Académie de médecine. »

« Même déclaration des pharmaciens à Gosselies et à Gouy-le-Piéton. »

« Même déclaration de plusieurs pharmaciens à Lessines, Enghien, Frasnes-lez-Buissenal. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dupont demande que la loi déclare l'exercice de la médecine incompatible avec l'exercice de la pharmacie. »

- Même renvoi.

« Le sieur Parent, éditeur à Bruxelles, présente des observations sur la convention littéraire conclue avec la France. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à la convention.

« Des typographes, relieurs et lithographes de la ville de Bruges déclarent adhérer à la pétition des membres du comité central des typographes, relative à la convention littéraire conclue avec la France. »

- Même décision.


« Les bourgmestre, échevins et membres du conssil communal de Couvin présentent des observations contre la convention commerciale conclue avec la France et demandent le maintien des droits de sortie sur les charbons de bois. »

M. de Baillet-Latour. - Je demande le renvoi de cette pétition à M. le ministre des affaires étrangères et le dépôt sur le bureau pendant la discussion du traité avec la France. Les pétitionnaires réclament avec raison contre l'abolition du droit de sortie sur les charbons de bois, abolition qui aura pour résultat la ruine de l'industrie sidérurgique des cantons de Couvin, Philippeville et Chimay, et notamment celle des établissements de Couvin qui appartiennent à l'Etat. Déjà malgré les droits de sortie, une partie des hauts fourneaux étaient obligés de chômer parce que les industriels français enlevaient presque tous les charbons de bois. Les industriels belges réclamaient l'augmentation du droit de sortie. Au lieu de leur accorder cette protection, si on supprime le droit on portera une grave atteinte aux intérêts de la métallurgie. Les observations des pétitionnaires méritent donc une sérieuse attention de la part du gouvernement et de la Chambre.

M. de Muelenaere. - A propos de cette pétition, je ferai remarquer que jusqu'à présent on ne nous a pas distribué le rapport sur les conventions conclues avec la France. Ces conventions sont à l'ordre du jour de mardi. Il serait très désirable que la distribution du rapport se fît le plus tôt possible.

M. le président. - Le rapport sera distribué ce soir.

- La proposition de M. de Baillet-Latour est adoptée.


« Des habitants de Saint-Josse-ten-Noode présentent des observations contre le projet de loi relatif à la réunion des faubourgs à la capitale. »

« Mêmes observations d'autres habitants de Saint-Josse-len-Noode. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet.


« Plusieurs signataires d'une pétition prient la Chambre de rejeter le projet de loi relatif à la réunion des faubourgs à la capitale et de décréter qu'à l'avenir toutes les publications administratives de la ville de Bruxelles seront faites dans les langues française et flamande et qu'il y aura, dans les écoles communales de cette ville, des sections spéciales où le premier enseignement sera donné en flamand. »

- Même renvoi.

M. de Baillet-Latourù (pour une motion d’ordre). - Messieurs, lorsque mon honorable collègue M. Julliot a présenté hier son rapport concernant les pétitions de l'arrondissement que je représente, au sujet de l'établissement d'un tribunal à Philippeville, je me trouvais occupé à la questure pour affaires de la Chambre. Permettez-moi de venir aujourd'hui dire que j'aurais appuyé le renvoi de ces pétitions à M. le ministre de la justice, et prié M. le ministre d'examiner attentivement les réclamations fondées qui émanent de toutes les communes d'un arrondissement important au point de vue industriel. Quant à la commission des pétitions, elle ne se prononce pas sur la nécessité de la création d'un tribunal à Philippeville, et ce n'est pas le cas de discuter cette réserve, mais elle se prononce, et je l'en remercie, sur l'obligation qu'il y a pour le gouvernement d'accorder de justes compensations à la ville de Philippeville qui a eu tant à souffrir de la démolition de ses fortifications.

C'est une considération que je prie M. le ministre de la justice de ne pas perdre de vue dans l'examen de cette affaire. Oui, certainement, il est juste que des compensations nous soient accordées pour les pertes que nous avons subies. Mais la question de la création d'un tribunal à Philippeville a une autre portée ; elle est réclamée, non par la ville seule, mais par tout l'arrondissement qui souffre dans ses intérêts, tant par le retard qu'éprouve l'expédition de ses affaires que par le déplacement prolongé et les voyages lointains auxquels les habitants sont condamnés, par la nécessité d'aller chercher la justice à Dinant. Je fais donc, comme mon honorable collègue de Dinant l'a fait hier, mes réserves à ce sujet, et je fournirai des preuves irrécusables de ce que j'avance lorsque viendra une discussion sur cet objet.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - L'honorable comte de Baillet est déjà venu m'entretenir plus d'une fois de la demande que font le conseil communal de Philippeville et les habitants des cantons voisins pour obtenir la création d'un tribunal dans cette ville. J'ai eu l'honneur de lui dire, en nous rappelant mutuellement les précédents qui se rattachent à cette affaire, que j'avais transmis la demande à l'avis des autorités judiciaires et provinciales et que j'attendais le complément de l'instruction sur cette affaire pour la soumettre à la commission d'organisation judiciaire que le Roi a instituée auprès de mon département. C'est évidemment une question qui rentre dans les attributions de cette commission dont l'appréciation sera très utile au gouvernement.

J'ai adopté pour la ville de Philippeville la marche que j'avais suivie pour la ville d'Ath qui a également demandé la création d'un tribunal et la formation d'un arrondissement judiciaire dont Ath serait le chef-lieu.

Je pense que ces affaires doivent être traitées concurremment et d'après les mêmes principes ; Ath et Philippeville sont à peu près dans les mêmes conditions.

Voilà, messieurs, la situation de l'affaire. Le gouvernement ne peut que promettre d'apporter une attention sérieuse dans l'appréciation des réclamations de ces villes.

M. de Muelenaere. - Messieurs, dans la séance d'hier sur la propositron de votre commission, vous avez ordonné le renvoi de la pétition de la ville de Philippeville à M. le ministre de la justice. Mais je vous prie de remarquer que ce renvoi a été fait purement et simplement, et sans rien préjuger. Si le renvoi avait été libellé d'une manière différente, j'aurais été le premier à le combattre ; c'est au gouvernement, sous sa responsabilité, à nous faire des propositions, s'il le trouve convenable, et puisque la question vient d'être soulevée de nouveau, je recommanderai à M. le ministre de la justice d'envisager cette demande exclusivement au point de vue de la bonne et régulière expédition des affaires et sans aucune autre considération. Si la ville de Philippeville a éprouvé quelque dommage, une loi a été votée par la Chambre pour lui accorder une juste indemnité, mais elle ne peut pas trouver cette indemnité dans l'établissement d'un tribunal, dont l'érection doit être subordonnée aux besoins des justiciables. M. le ministre de la justice voudra bien ne pas perdre de vue, que les petits tribunaux sont rarement favorables à la bonne administration de la justice.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Les courtes explications que j'ai eu l'honneur de donner à la Chambre n'ont pas une autre signification que celle que veut y attacher l’honorable comte de Muelenaere. En disant que l'affaire était déférée à l’avis des autorités judiciaires et provinciales et qu'elle serait soumise à l'appréciation de la commission d'organisation judiciaire, j'ai nécessairement entendu dire que le gouvernement se réservait toute liberté d'appréciation et n'aurait en vue que l'intérêt des justiciables qui réclament. Il est évident qu'on ne peut attacher une autre signification à mes paroles.

Projet de loi portant le budget du ministère des finances de l’exercice 1855

Discussion générale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la, discussion du budget des finances.

Jusqu'ici la discussion a porté sur l'ordre du jour motivé, proposé par M. de Perceval. C'est sur cet ordre du jour que la discussion continue. Il est entendu que lorsque la Chambre aura voté sur ce point, la discussion sera ouverte sur le budget lui-mème.

La parole est à M. Prévinaire.

(page 1078) M. Prévinaire - Je voudrais savoir s'il entre dans les convenances de la Chambre de continuer cette discussion. Si elle voulait clore, je renoncerais volontiers à la parole.

M. le président. - La clôture n'a pas été demandée. Vous avez la parole.

M. Prévinaire. - Messieurs, l'honorable M. Osy, dont vous avez pu apprécier la haute intelligence de ces questions et M. le ministre des finances ont si bien répondu hier aux griefs articulés par l'honorable M. de Perceval contre la Banque Nationale, que je pourrais me dispenser de les combattre à mon tour.

Si je prends la parole, c'est pour chercher à mettre en lumière quelques faits livrés déjà à la publicité et qui démontrent l'inanité des attaques de notre collègue. L'honorable M.de Perceval, qui nous a cité bon nombre d'extraits de documents parlementaires, a passé sous silence une circonstance importante qui se rattache à la création de cette institution de crédit ; il a oublié de rappeler que la Banque a hérité du privilège d'émettre des billets au porteur dont la Banque de Belgique et la Société Générale étaient en possession ; pour être juste il aurait dû comparer les résultats que ce privilège a produits pour le pays, depuis qu'il a été transmis à la Banque Nationale.

Si j'ouvre les comptes rendus des opérations des deux établissements que je viens de citer pendant l'année 1850, j'y vois que le montant des effets escomptés durant cet exercice s'est élevé à fr. 169,016,429 34 c.

Et qu'au 31 décembre 1850 le chiffre de leur portefeuille s'élevait à 20,301,819 74 c, j'y vois encore que le taux d'escompte était de 5 p. c.

Dès le début des opérations de la Banque Nationale le taux d'escompte est réduit à 4 p. c. pour toutes les valeurs de commerce, et bientôt il est abaissé à 3 p. c. pour les traites régulières.

Pendant la première année de son existence elle escompte pour fr. 188,534,526 94 c. de valeurs commerciales.

En 1852 le total des effets escomptés s'élève à fr. 291,020,007 79 c, et en 1853 il atteint le chiffre considérable de fr. 416,136,405 54 c, et pour donner la mesure de la manière d'opérer de la Banque il suffît de n ettre en regard de ce chiffre représenté par 135,382 effets, celui des effets refusés qui a été de 1,262 d'un montant total de fr. 949,684 57 c.

Ces chiffres, messieurs, parlent bien haut et suffiraient seuls pour établir les bienfaits de la Banque Nationale.

Mais continuons les rapprochements comparatifs ; ainsi que je l'ai dit les portefeuilles réunis des deux grands établissements financiers qui avant 1851 possédaient le privilège d'émettre des billets au porteur, ne s'élevaient qu'à fr. 20,300,000, celui de la Banque Nationale au 31 décembre 1853 s'élevait à fr. 75,967,951-68.

Y a-t-il, je le demande à tout esprit impartial, une preuve plus évidente que la Banque a offert au commerce des conditions qui lui étaient inconnues en Belgique ?

L'honorable M. de Perceval a critiqué les opérations que la Banque a faites en valeurs de change étrangères. S'il avait mieux compris la portée de ces opérations, il y eût applaudi.

Nous leur devons cette stabilité dont le commerce a joui depuis trois années en ce qui concerne le taux d'escompte.

Ces opérations ont offert une ressource que la Banque a pu mettre à la disposition du commerce belge, et pour la première fois la Belgique traverse une crise alimentaire et politique sans voir se resserrer le crédit commercial.

Un grand établissement de crédit comme la Banque Nationale n'est point un simple comptoir d'escompte ; il a des devoirs à remplir, une responsabilité à porter, et le pays, en entourant la Banque d'une confiance, qui grandit chaque jour, proclame d'une manière éclatante que cette institution marche dans une voie satisfaisante.

L'honorable membre a perdu de vue les obligations qui incombaient à ia Banque au début de ses opérations, en ce qui concernait les billets à cours forcé ; ces obligations devaient avoir un caractère transitoire, il est vrai, mais elles n'engageaient pas moins les ressources de la Banque dans une proportion très considérable ; les choses sont bien changées aujourd'hui. La confiance dont jouit la Banque est due à la publicité qui entoure toutes ses opérations.

Ses billets sont admis dans les caisses de l'Etat ; mais ils sont convertibles en beaux et bons écus à présentation, et la Banque offre à cet égard des facilités auxquelles ne l'oblige pas la loi.

Si la Banque a pu offrir au commerce des conditions d'escompte qui lui étaient inconnues, on le doit à la confiance que le pays a dans des opérations qu'il connaît et qui témoignent de la prudence et de la prévoyance de la Banque.

IL est douteux qu'il en eût été de même si la Banque avait cédé à des inspirations de la nature de celles de M. de Perceval.

L’honorable membre ne me paraît pas avoir été mieux inspiré dans la critique qu'il a faite de l'organisation des comptoirs de la Banque.

Les chefs-lieux de province sont tous dotés de comptoirs conformément, aux prescriptions de la loi, sauf Hasselt ; ainsi que l'a fait remarquer l'honorable M. Osy, il n'a pas dépendu de la Banque que cette lacune fût remplie. En créant à Tournai et à Charleroi deux comptoirs supplémentaires, la Banque a suffisamment donné la mesure de ses intentions. Mais, nous dit l'honorable M. de Perceval, les comptoirs ne font pont en province les opérations que fait la Banque à son siège principal ! La réponse est facile : aucune des opérations auxquelles l’honorable membre fait allusion n'a été refusée par les comptoirs, par l’excellente raison qu'aucune n'a été proposée.

Les comptoirs d'escompte sont gérés par des banquiers ! s'écrie l'honorable membre, et ils n'admettent à l'escompte que les effets qui ont passé sous leurs fourches Caudines ; c'est là une erreur ; les comptoirs d'escompte de la Banque ont pour agent principal l'agent de la Banque, c'est-à-dire le caissier qu'elle est tenue d'entretenir dans les 26 chefs-lieux d'arrondissement judiciaire pour assurer le service du caissier de l'Etat. Ils assument la responsabilité des escomptes qu'ils font, mais ils sont tenus d'escompter au taux officiel de la Banque. Ce taux est de 4 p. c. pour les effets de commerce non acceptés ; les traites acceptées sont escomptées à 3 p. c.

La Banque contrôle les opérations des comptoirs, et ce qui montre l'inanité des observations de l'honorable M. de Perceval, c'est l'absence de réclamations contre la prétendue rigueur et l'arbitraire des comptoirs.

Loin d'être un mal pour le commerce, l'intervention de banquiers dans l'organisation des comptoirs est un bien ; les comptoirs seraient d'une timidité excessive si cet élément, qui éclaire leurs opérations sur la solvabilité des demandeurs d'escompte, n'entrait pas dans la composition des comptoirs.

Pour les autres opérations qu'on pourrait réclamer de la Banque en province, elle a ses agents qui complètent l'organisation des comptoirs.

C'est ici la place d'expliquer ce que l'honorable membre vous a dit de l'escompte perçu à Arlon. Ce chef-lieu de province a été l'un des premiers qui aient été mis en relations avec la Banque ; il était impossible d'organiser immédiatement un comptoir régulier, et la Banque, pour faire droit aux vives instances qui lui étaient adressées, conclut un arrangement avec une maison de banque établie à Arlon ; celle-ci fut autorisée à escompter pour compte de la Banque à 4 1/2 p. c, taux bien favorable, si l'on remarque qu'à cette époque l'escompte régulier était de 6 p. c. dans le Luxembourg. La circulaire qu'a citée l'honorable M. de Perceval se rapportait à cette époque transitoire.

Aujourd'hui le taux d'escompte ne dépasse nulle part 4 p. c.

Depuis près de deux ans les choses sont changées, et un comptoir régulièrement organisé a doté le Luxembourg de l'avantage de l'escompte dont jouissent les autres localités du pays.

Ainsi que je vous l'ai fait remarquer, messieurs, l'institution de la Banque Nationale et la prudence qui a présidé à la direction ont permis au pays de traverser une crise grave et prolongée sans perturbation et sans rehaussement de l'escompte commercial ; la confiance dont le pays entoure la Banque et que celle-ci mérite, j'ose le dire, lui a fourni les moyens de maintenir un état de choses dont il y a lieu de se féliciter.

Disons aussi que la Banque Nationale a d'autres titres à la bienveillance du commerce et de l'industrie ; tandis que les grands établissements similaires de nos voisins n'admettent à l'escompte que les valeurs présentées par un petit nombre de clients privilégiés, notre établissement national escompte à bureau ouvert, chaque jour, tant à Bruxelles que dans neuf comptoirs en province, les effets présentés par la première personne venue, pourvu que les valeurs réunissent les conditions requises par les statuts.

Je vous ai donné en commençant les chiffres indiquant la progression des services rendus au commerce et à l'industrie ; voici la progression des opérations spéciales des comptoirs.

(Ce détail n’est pas repris dans la présente version numérisée).

Ainsi le total des effets escomptés par les comptoirs s'élevaient à fr. 64,716,552 40 en 1852, et à fr. 152,175,408 76 en 1853.

Ces chiffres en disent plus que de longs discours et vengent la Banque des attaques de l'honorable M. de Perceval.

L'honorable membre m'a paru manquer de logique, quand, nous représentant la Banque comme préoccupée avant tout du soin de ses intérêts, il nous a dit immédiatement après que la Banque, au lieu d'appliquer ses ressources à l'escompte de l’intérieur, où elles pouvaient obtenir 3 et 4 p. c, les appliquait à l'étranger à 1 1/2 et 2 p. c. Mais ce fait n'indique-t-il pas à l'évidence que la Banque cédait en opérant ainsi à une autre préoccupation que celle d'un intérêt purement matériel, et plus tard, lorsque la Banque réalisait ses placements en valeurs étrangères qui lui offraient un intérêt de 5 p. c. par suite de la hausse de l'escompte sur toutes les places, pour offrir les mêmes capitaux au commerce belge au taux de 3 p. c, cédait-elle, comme le dit l'honorable M. de Perceval, cédait-elle à l'amour du lucre, ou se montrait-elle digne (page 1079) de la position qui lui est assignée ? J'en appelle à mon honorable collègue lui-même.

Il se trompe dans l'appréciation qu'il fait d'une grande institution de crédit ; les banques de circulation ne doivent point servir à constituer l'Etat le commanditaire du travail, mais bien à faciliter la transmission, la mobilisation des valeurs commerciales créées ; l'honorable membre ne se rend pas compte des dangers qu'offre la surexcitation du crédit et des perturbations sérieuses qui peuvent en résulter.

Il oublie que cette dotation magnifique que la loi, dit-il, a faite à la Banque, n'est rien, absolument rien, si elle n'est pas consacrée par la confiance du public, et que pour la mériter les banques de circulation doivent assurer la sécurité de leurs opérations afnsi que l'a si bien démontré hier M. le ministre. Tant que la Banque se renfermera dans le cercle d'opérations et dans les conditions tracées par la loi du 5 mai 1850 et ses statuts, elle pourra envisager l'avenir avec confiance.

Il n'en serait pas de même si elle suivait la marche que l'honorable M. de Perceval voudrait lui voir imprimer par le gouvernement.

La Banque doit rester libre de se mouvoir dans le cercle qui lui a été tracé par sa charte, et l'intervention du gouvernement pour contraindre ses allures, nuirait inévitablement à son crédit et conduirait fatalement à un résultat inverse à celui que recherche l'honorable M. de Perceval.

Je dois le dire, et je suis convaincu que la Chambre confirmera cette opinion ; l'honorable membre n'a pas été plus heureux cette fois dans ses attaques qu'il ne le fut antérieurement. Il fait fausse route aujourd'hui comme précédemment parce qu'il obéit à des appréciations qui conduiraient à la négation du crédit en engageant d'une manière compromettante l'Etat dans une sphère d'action qui doit lui rester étrangère.

J'espère que la Chambre fera justice de l'ordre du jour déposé par Ihonorable membre, comme les faits font justice du réquisitoire qu'il a lancé imprudemment.

M. Dumortier. - Messieurs, je ne viens pas suivre l'honorable préopinant dans les observations qu'il vous a présentées au sujet des questions d'escompte qui se rattachent principalement à la motion de l'honorable M. de Perceval.

Je dois cependant reconnaître qu'il n'a pas été répondu à deux observations essentielles de l'honorable M. de Perceval.

Pourquoi cette préférence accordée au papier étranger ?

Quant à moi je n'en vois pas le motif. Si la Banque Nationale est assez riche pour accorder de pareilles réductions d'intérêt, évidemment c'est à la Belgique qu'elle doit les accorder et non à l'étranger.

En second lieu, pourquoi différence entre certains comptes courants de grande ville à grande ville ? En répondant sur ce point à l'honorable M. de Perceval, M. le ministre des finances nous a dit : Comment veut-on que la Banque établisse le taux de l'intérêt à Arlon ou à Namur comme à Anvers ? La réponse de M. le ministre des finances était de toute justesse en scindant la question. Mais s'il avait résolu la question en elle-même ce n'est pas ainsi qu'il y fût répondu. Il eût demandé : Pourquoi ne pas établir l'intérêt au même taux à Anvers, à Liège, à Gand, à Bruxelles ? Car certainement la solvabilité et les moyens d'affaires sont aussi grands à Bruxelles, Liège et Gand qu'à Anvers ; M. Osy dit : On ne négociera pas autrement. Mais si l'on n'y négocie pas autrement, c’est une preuve qu'Anvers n'a pas besoin de votre institution. Donnez alors cet avantage aux villes qui ne sont pas dans la même situation qu'Anvers.

Voilà des points que les réponses n’ont pas éclairés et auxquels il n'a pas été répondu.

Mais, je vous le disais en commençant, ce n'est pas sur ces questions d'escompte que j'ai demandé la parole.

Dans les circonstances actuelles, il est à mes yeux un point beaucoup plus grave, beaucoup plus sérieux pour le pays et c'est de ce point que je veux vous entretenir. J'entends porter de l'émission des billets de banque.

Je sais tout ce qu'une pareille question a de délicat. Je sais fort bien qu'il est des moments où il est impossible de parler de cette question. Mais je me félicite que la motion ait été faite dans les circonstances actuelles, alors que nous pouvons dire notre opinion sans crainte de nuire le moins du monde au crédit ni de la Banque ni de l'Etat.

Je me félicite que dans de pareilles circonstances une motion ait été faite, qui me permet de présenter des opinions que depuis longtemps je conserve à part moi, sur l'immense danger où se trouverait le pays dans certaines circonstances politiques, par suite de l'exubérance des billets de Banque dont le gouvernement a autorisé l'émission.

Il est, messieurs, des circonstances où c'est pour l'homme politique un devoir impérieux de ne pas se taire, et je regarde le moment actuel comme celui où je suis appelé à remplir ce devoir, qui me coûte, mais que je remplirai parce que je ne veux pas assumer la responsabilité d'un plus long silence.

Quand je consulte le rapport présenté le 27 février dernier aux actionnaires de la Banque Nationale, et qui nous a été remis conformément aux statuts, je vois que les billets de banque en émission à ce jour, s'élèvent à 90,360,000 fr. (Interruption.) Il y a pour 6 millions de billets en caisse, reste donc pour 84 millions de billets en circulation et la Banque est autorisée à en émettre pour 100 miliions.

Un pareil état de choses est-il possible dans un pays comme le nôtre, est-il possible surtout avec l'organisation qu'on a donnée à la Banque ? Oui certainement dans les moments heureux et tranquilles comme celui où nous sommes, mais mille fois non dans les moments de crise.

Messieurs, depuis notre existence politique nous avons vu deux fois la confiance financière manquer dans le pays, nous avons vu deux fois le public demander le remboursement des billets de banque et le demander d'une manière impérieuse et instantanée. En 1838, à la suite de la chute de la Banque de Belgique, le public se porta à la Société Générale pour demander le remboursement des billets de banque et des fonds déposés à la caisse d'épargne. Il y a eu alors une crise considérable dans le pays.

En 1848, lors des événements de la révolution française, la même chose arriva de nouveau et l'Etat dut donner cours forcé aux billets de banque.

D'abord, par la loi de mars 1848 on donna cours forcé à 24 millions à peu près de billets de banque, qui se répartissaienl de la manière suivante : 16 millions environ pour la Société Générale, 4 millions pour la Banque de Belgique et une somme à peu près égale pour les établissements de crédit situés dans les provinces. Plus tard, en mai 1848, une nouvelle autorisation fut donnée d'émettre 20 millions de billets pour le service de la caisse d'épargne, toujours à cours forcé ; ces billets ne furent pas émis intégralement. En troisième lieu on émit encore à cours forcé pour environ 10 millions pour le service du trésor.

Il y eut donc pour 54 millions environ de billets de banque à cours forcé. Je me souviens parfaitement combien cette émission de billets de banque à cours forcé, qui tous pourtant ne sont pas entrés dans la circulation, car une partie considérable des billets autorisés pour le service de la caisse d'épargne, ne fut point émise. Je me rappelle, dis-je, parfaitement combien en 1848, en 1849 et en 1850, tous dans cette Chambre, nous étions effrayés de cette émission de billets de banque à cours forcé ; combien nous voulions arriver à la fin de cette situation ; combien nous avons fait d'efforts ; combien le gouvernement lui-même a fait d'efforts pour faire cesser ce cours forcé des billets de banque en Belgique.

Ce qu'il faut faire avant tout, c'est d'éviter de retomber dans un pareil inconvénient. Or quelle est aujourdhui la situation ? A l'époque dont je viens de parler, les billets de banque circulant en Belgique, ne s'élevaient qu'à 25 millions ; maintenant vous avez 84 millions de billets de banque en circulation, et ces 84 millions peuvent s'élever à 100 millions, c'est-à-dire à quatre fois le chiffre des billets en circulation à l'époque de la révolution de 1848.

Maintenant qu'une crise arrive, entendez-vous donner cours forcé à ces 100 millions de papier ? Mais c'est une position effrayante que vous créez à la Belgique, car vous arriverez immédiatement à une dépréciation de papier, ce qui doublera la crise. Entendez-vous que le remboursement en numéraire ait lieu ? Mais alors quel capital a la Banque qui obtient cette émission de 100 millions ? Vous le savez, messieurs. Le capital de la Banque n'est que de 15 millions. (Interruption.) Il n'y a que 15 millions versés.

Et ces 15 millions, comment figurent-ils au compte ? Ils sont amortis ; la Banque ne peut rien en retirer, le jour de la crise ; car dans les comptes de la Société figurent, d'une part une somme de 8,700,000 francsen fonds publics, et d'autre part, des prêts sur fonds publics pour 5,800,000 francs ; enfin les immeubles figurent pour une somme de 600,000 fr. ; voilà les 15 millions immobilisés.

Or, le jour de la crise, vous le savez parfaitement, les fonds publics baissent dans une proportion effrayante ; on cherche alors par tous les moyens à ne pas jeter sur le marché des millions de fonds publics qui peuvent provoquer une baisse exagérée, et amener des pertes énormes pour la Banque elle-même.

Je sais que, dans les comptes de la Banque, il y a 5,800,000 fr. pour prêts sur fonds publics ; mais ils ne sont pas remboursables au jour le jour ; le remboursement des prêts ne se fait jamais que dans un délai déterminé, de trois mois, par exemple.

Il résulte de tout ceci que la possibilité d'émettre des billets de banque représente six fois le capital de la société ; que la société a son capital engagé, immobilisé, de manière à ne pas pouvoir en faire emploi au jour de la crise, à moins qu'elle ne veuille s'exposer à une vente précipitée des fonds publics qui sont entre ses mains, et à causer ainsi une dépréciation énorme des fonds de l'Etat et à faire elle-même des pertes considérables.

Mais, me dira-t-on, la Société à ses effets de commerce, ses comptes courants. C'est là que je vous attendais, c'est là qu'est le danger que je crains pour mon pays. Je dis qu'à cet égard le danger qui menace le pays n'est pas seulement effrayant, mais qu'il est épouvantable.

Comment ! le jour où la crise amènera les demandes de remboursement des billets de banque, comme cela aeu lieu deux fois depuis 1830, c'est au moyen des comptes courants et de la suppression de l'escompte que la Société fera face à ces demandes ! Mais vous n'y pensez pas ; que deviendra le crédit ? C'est la mort du crédit en Belgique ; le jour où vous aurez fait rembourser les effets en circulation, sans continuer l'escompte, ce jour-là, il n'y aura plus de négociation possible en Belgique puisque la grande source de la négociation sera tarie.

Le jour où vous aurez exigé ces remboursements en interrompant le service de l'escompte pour faire face au remboursement des billets de banque, savez-vous ce qui arrivera ? Il n'y aura plus d'argent en circulation, parce que l'argent se retire dans les moments de crise pour rentrer dans les caisses ; la Belgique se trouvera exposée à se trouver dans cette situation effrayante de n'avoir ni numéraire, ni escompte, ni négociation possible et par suite plus de crédit, par suite du privilège énorme disproportionné avec nos besoinsd isproportionnés avec nos ressources, dangereux dans les moments de crises, accordé à un établissement (page 1180) dans l’émission du papier. Et vous arriverez fatalement à un autre mal non moins terrible, le cours forcé de 100 millions de billets de banque.

Je vois bien dans le tableau de la situation de la Banque Nationale qu'elle a en caisse une somme de 45 millions, à savoir dans la caisse centrale de Bruxelles 14 millions, dans la caisse de la succursale 10 millions et chez les 27 agents du trésor de la Belgique 11 ùillions, de manière qu'il existe en espèces une somme de 45 millions dans les caisses de la Banque Nationale. Evidemment si cette somme, de 45 millions en espèces était la propriété de la Banque Nationale, je concevrais qu'il y aurait moyen de faire face à la moitié du remboursement qui peut être demandé d'un jour à l'autre en cas de crise. Mais ces fonds sont-ils sa propriété ?

D'abord il ne faut pas perdre de vue que l'établissement auquel on accorde cette énorme faveur qui peut compromettre à un si haut degré la situation de la Belgique dans un moment de crise, que cet établissement est en même temps le caissier de l'Etat.

Or, dans les fonds indiqués comme espèces en caisse figurent nécessairement les deniers de l’Etat. Maintenant ces deniers appartenant à l'Etat à quelle somme s'élèvent-ils ? Il y a d'abord le reste du produit du dernier emprunt qui est de 18 millions, de sorte que les 45 millions se réduisent à 27 millions ; reste ensuite l'encaisse de l'Etat proprement dit.

M. Prévinaire. - Les 18 millions de l'emprunt ne sont pas compris dans le chiffre des espèces en caisse.

M. Dumortier. - J'avais examiné les documents ; n'y trouvant rien concernant les 18 millions, j'en avais conclu qu'ils étaient compris dans l'encaisse. Je remercie l'honorable membre de son observation.

Reste donc à déduire l'encaisse de l'Etat. Cet encaisse est toujours de 5 à 10 millions de francs ; le reste représente les comptes courants, et par conséquent est loin d'être liquide.

Or tout cela ne vous donnera pas d'argent le jour où il faudra rembourser les billets de banque. Je dis que la position qui nous serait faite dans un pareil état de choses serait très effrayante ; la Banque serait bien loin de pouvoir venir, comme l'a dit M. le ministre des finances, en aide à l'Etat dans un moment de crise, car ses billets de circulation sont hors de proportion avec les besoins et les ressources du pays ; c'est tout ce qu'on peut imaginer de pire pour l'Etat qu'une pareille conception ; il n'est pas un seul financier qui ne trouve qu'elle peut amener les plus grandes catastrophes dans le pays.

Sans doute, cette situation n'offre pas de danger dans un temps normal, dans des jours de prospérité ; mais que des événements graves surviennent, comme ceux qui deux fois se sont produits depuis 1830 et que, la crise survienne, vous aurez à redouter des catastrophes épouvantables pour le pays et le crédit public.

Je dis que le nombre des billets que peut émettre un établissement favorisé ne doit pas être déterminé par un arrêté, mais par une loi ; c'est à une loi à fixer ce quantum, de manière à empêcher des émissions aussi exorbitantes, aussi disproportionnées avec les ressources du pays, aussi dangereuses pour le crédit public.

Car, encore une fois, le jour où la demande en remboursement viendra, lorsqu'on devra rembourser les 100 millions de billets de banque en circulation et les comptes courants, ce jour-là vous aurez tué le crédit en Belgique et vous aurez appelé le plus grand des désastres qui puisse s'imaginer.

Je dis donc qu'une pareille situation n'est pas seulement effrayante, mais que pour l'avenir elle est épouvantable, et quant à moi, je suis heureux d'avoir cette occasion de pouvoir dire à la Chambre toute ma pensée, afin que si un jour, malheureusement, une pareille catastrophe arrive, on ne puisse me reprocher de m'être tu, lorsqu'il m'était possible de parler.

M. Osy. - Messieurs, l'honorable M. Dumortier vous a principalement entretenus du chiffre d'émission des billets de banque. Il est reconnu dans tous les pays où il y a des établissements de crédit que lorsqu'une certaine somme reste en caisse pour satisfaire à la demande de remboursement d'une partie des billets de banque et des comptes courants, le public a toutes les garanties qu'il peut désirer. Or lorsque nous avons discuté la loi de 1851, nous avons tous demandé qu'on insérât dans la loi le minimum de la somme qui devait rester en écus dans les caisses de la Banque, proportionnellement à l'émission des billets de banque et aux comptes courants ; et dans aucun autre pays, en France, en Angleterre, où existent des établissements semblables au nôtre, on n'a pas été aussi loin que nous.

Nous avons décidé qu'il devrait toujours se trouver en écus en caisse le tiers de l'émission des billets de banque et des comptes courants. Or, aujourd’hui encore, dans la réunion mensuelle, les censeurs se sont, comme toujours, fait rendre compte de l'encaisse et du montant de l'émission des billets de banque et des comptes courants. Eh bien, je puis dire que la Banque Nationale met, dans les circonstances actuelles, tant de prudence dans ses opérations, qu'elle ne se contente pas d'avoir en écus le tiers de sa circulation, qu'elle va au-delà. Car, à l'heure qu'il est, l'encaisse dépasse de 4 millions ce que prescrit la loi.

Messieurs, avec le système de l’honorable M. Dumortier, on ne devrait avoir que des banques ayant dans leurs caisses une somme égale à l'émission de leur papier. Sans doute, une banque semblable serait excessivement solide ; mais je demande quels services elle pourrait rendre au pays.

Messieurs, lorsque nous avons discuté la loi, l'expérience nous a appris les conditions qu'il fallait imposer à la Banque. Or, tout le monde a été d'accord qu'en lui prescrivant d'avoir en caisse un tiers de l'émission de ses billets de banque et de ses comptes courants, on prenait des précautions suffisantes. Mais ce que nous avons surtout voulu, et c'est ce qui a lieu, c'est que le capital représentant l'émission des billets de banque et les comptes courants ne pût être immobilisé.

Aussi, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire hier, nous avons eu soin de prier M. le gouverneur de faire connaître dans son compte rendu, et c'est ce qui s'est fait cette année pour la première fois, la manière dont ces capitaux sont employés. On voit à la dernière page de ce compte rendu le chiffre du portefeuille.

Nous avons aussi voulu nous rendre compte des échéances pour savoir les sommes qui chaque jour devaient rentrer en caisse.

Messieurs, lorsque le public est bien persuadé que le capital des billets de banque et des comptes courants ne peut être immobilisé, le public est tranquille quant aux billets en circulation.

Une chose qui était nécessaire, sur laquelle nous avons fortement insisté et à laquelle l'honorable M. Frère a consenti, c'est une grande publicité, quant aux opérations de la Banque. L'honorable M. Frère croyait qu'une publicité trimestrielle suffisait ; nous avons insisté pour qu'elle fût mensuelle, et c'est là une grande garantie pour le public.

Messieurs, on vous l'a dit, nous avons eu, en 1858 et en 1848, des événements très fâcheux à déplorer ; mais rappelons-nous que nous n'avions pas imposé à la Société Générale des prescriptions aussi formelles que celles que nous avons établies pour la Banque Nationale.

Celle-ci ne peut immobiliser ses capitaux tandis que la Société Générale et la Banque de Belgique s'étaient mêlées d'affaires industrielles et que leurs capitaux étaient tout à fait immobilisés. C'est là, messieurs, la cause du mal que nous avons eu à déplorer en 1838 et en 1848 ; et c'est l'expérience que nous avons acquise par les événements de 1838 et de 1848 qui nous a engagés à établir des stipulations aussi formelles dans la loi de 1851.

Messieurs, il ne faut jamais exagérer le mal qui pourrait arriver. Je conçois que si aujourd'hui on demandait le remboursement des 84 millions de billets, la Banque n'aurait pas des écus pour ces 84 millions. Mais un pareil fait ne peut se prévoir. Aussi longtemps que l'on saura que les fonds de la Banque sont sagement et utilement employés, peu de personnes demanderont le remboursement de leurs billets ; on préférera un billet de 1,000 francs à un sac de 1,000 francs en argent ; car nous n'avons pas d'or.

A cet égard je me rappelle très bien ce qui s'est passé en 1830 à Anvers. Lors des événements de Bruxelles, nous ne pouvions plus avoir d'écus d'aucune partie du pays. Mais la Banque d'Anvers avait assez de valeurs pour rembourser ses billets. Eh bien ! il y a eu comme partout des demandes de remboursements. Ces demandes ont continué pendant deux jours. Mais lorsqu'on a vu que nous étions en mesure de rembourser, on n'est plus venu.

Je le repète, messieurs, avec la publicité ordonnée par la loi, avec la prescription de ne pas immobiliser les capitaux, le public a toute garantie ; et sous ce rapport il ne peut exister aucune crainte.

J'ai l'honneur, depuis l'établissement de la Banque, d'être un des censeurs et je puis donner l'assurance que dans nos réunions mensuelles la première chose que nous faisons, c'est de nous faire remettre l'état de l'encaisse comparé à l'état de l'émission des billets et des comptes courants, et jamais nous n'avons trouvé qu'on eût manqué aux prescriptions de la loi. C'est là la principale mission des censeurs, et soyez persuadés qu'aussi longtemps que je conserverai la position que j'occupe, cette formalité sera toujours remplie.

Messieurs, sans doute, une émission de billets de banque de 84 millions est très forte, surtout si l'on se rappelle qu'il y a quelques années, cette émission n'était que de 24 millions. Mais l'émission est devenue aussi considérable parce que la demande de papiers est incessante ; car la Banque ne fait aucun effort pour émettre ses billets. C'est cette demande de papiers qui a permis d'élever à un pareil chiffre les escomptes, qui a permis d'augmenter aussi considérablement le nombre des affaires, et c'est parce qu'on est persuadé de la solidité de ia Banque que l'émission va toujours croissant.

Messieurs, le gouvernement a auprès de la Banque Nationale un commissaire royal ; il ne se fait pas à cet établissement une opération dont il ne soit rendu compte à M. le ministre des finances. Soyez donc persuadés que toutes les prescriptions si sages que nous avons insérées dans la loi seront toujours remplies ; et dès lors le public peut être très rassuré en ce qui concerne les émissions de billets de banque et les comptes courants.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, j'ajouterai quelques mots à ce que vient de dire l'honorable député d'Anvers.

L'honorable M. Dumortier a touché une question qu’il appelle lui-même une question très délicate ; et, en effet, messieurs, le crédit public est une espèce de sensitive que le moindre souffle émeut ; la question est, en même temps, une question redoutable pour le gouvernement, qui doit assumer la responsabilité de la garantie qu'offre au public l'émission des billets de banque.

Une erreur capitale, messieurs, dans laquelle l'honorable orateur verse, c'est qu'il s'imagine que l’émission plus ou moins grande des billets de banque dépend de la volonté de la Banque et du gouvernement. Je dis que c'est une erreur capitale parce que le billet de banque n'est pas comme l'or et l'argent ; le billet de banque est une monnaie conventionnelle, toute de confiance, qui ne surabonde jamais dans un pays (page 1181) où l'acceptation n'en est point forcée, que l'on n'émet pas à volonté, qu'on ne fait pas accepter comme on veut.

Vous auriez beau vouloir, si, à l'heure qu'il est, la Banque Nationale voulait émettre au lieu de 84 millions, rien que 10 millions de plus, je l'en défie : dès demain l'on viendrait demander le remboursement des 10 millions surabondants. En voulez-vous la preuve ? Lorsque la Société Générale avait le droit, le privilège qu'a aujourd'hui la Banque Nationale quel est le montant des billets de banque qu'elle est parvenue à émettre ? 84 millions ? Non, messieurs, elle n'a jamais dépassé 25 millions ; non pas que cette société ne fût solide, et qu'elle n'eût des capitaux pour une somme bien supérieure, mais parce que le public était persuadé que ces capitaux n'étaient pas immédiatement réalisables et n'offraient pas la certitude d'un remboursement immédiat des billets de banque. Ces capitaux étaient, en d'autres termes, immobilisés.

Qu'est-ce qui fait, au contraire, que la Banque Nationale, à mesure qu'elle s'éloigne du moment de sa création, peut augmenter l'émission de ses billets ? C'est précisément qu'elle se trouve dans une position diamétralement opposée à celle où se trouvait la Société Générale, et je le répète encore une fois, je n'attaque nullement la solidité de la Société Générale, mais elle n'était pas une caisse d'escompte, elle était bien plutôt une société industrielle.

La Banque Nationale, donc, à mesure qu'elle a marché, a apporté tant de prudence dans ses actes, dans ses escomptes, que le commerce, l'industrie, tous les citoyens, en un mot, ont pu se convaincre que ses billets de banque étaient sérieusement représentés par des effets immédiatement réalisables et qui valaient des écus en caisse.

Voilà ce qui fait que la Banque Nationale a pu porter l'émission de ses billets au chiffre"où il est arrivé. Maintenant, je le répète, si elle voulait, à l'heure où nous sommes, forcer le cours naturel des choses et augmenter cette émission, je l'en défie : tout ce qu'elle émettrait au-delà de ce que la confiance publique autorise, de ce que les besoins du pays réclament, retournerait en peu de jours dans ses bureaux pour être remboursé en écus. Si j'avais besoin d'autres exemples que celui que j'ai invoqué, je citerais la Banque de Gand, qui, dans un cercle plus restreint, offre à son tour une solidité relative ; elle a voulu elle aussi émettre des billets ; qu'en est-il résulté ?

C'est qu'en peu de temps elle a vu que le public n'avait pas une confiance suffisante dans ces billets et qu'elle a dû cesser ses émissions ; qu'elle a mieux aimé emprunter en quelque sorte de la Banque Nationale pour un million de billets, en lui donnant une garantie en fonds publics et en autres valeurs. Je crois, messieurs, qu'à l'heure qu'il est, la banque liégeoise, à son tour, est sur le point de devoir renoncer à l'idée d'émettre des billets.

La plus ou moins grande émission de billets de banque est donc le véritable thermomètre de la confiance que l'établissement d'escompte inspire au public, ni plus ni moins, et il n'est au pouvoir ni du gouvernement ni de la Banque d'augmenter la quantité des billets en circulation. Maintenant, peut-on en diminuer la quantité ? C'est à cela que voudrait arriver l'honorable membre. Eh bien, sans qu'il s'en doute, du moment que l'émission des billets serait limitée au-dessous de ce que réclament les besoins du pays, la première chose qui en résulterait c'est qu'il faudrait élever le taux de l'escompte.

Pourquoi ? Parce que c'est précisément dans les billets que la confiance publique réclame, que la Banque trouve le moyen de faire ses escomptes à un taux peu élevé ; si on la forçait à restreindre ses émissions au-dessous du chiffre normal, elle devrait prendre des écus pour couvrir la différence et alors elle devrait, comme tous les banquiers du monde, augmenter le taux de l'escompte,car, en deux mots comme en mille, ce qui fait que la Banque peut escompter à un taux si bas, c'est précisément le privilège que la loi lui a accordé.

Maintenant cette somme de 84 millions est-elle exorbitante ? Je dirai d'abord à l'honorable député de Tournai, que je remercie de la modération qu'il a mise dans son discours, que cette somme est loin d'approcher du montant des billets qu'émet la banque d'Amsterdam, depuis des siècles.

A l'heure qu'il esl, l'émission des billets de la Banque d'Amsterdam s'élève à 90 millions de florins, c'est-à-dire à plus du double de l'émission de la Banque Nationale de Belgique. La loi, dit l'honorable membre, devrait fixer le maximum de l'émission. Messieurs, si je ne consultais que mon repos, je devrais désirer que la loi le fît et le plus tôt possible, car je ne me dissimule nullement la responsabilité qui pèse sur le ministre des finances, qui doit, en quelque sorte, donner au public la garantie morale qu'à jour fixe il sera fait honneur aux billets de banque ; mais le mauvais côté de la chose, c'est que si la loi restreignait l'émission des billets de banque au-dessous de ce qui est exigé par les besoins du pays l'escompte devrait immédiatement être restreint.

Ne voyez-vous pas, dit l'honorable membre, que ce qui est arrivé deux fois, en 1838 et en 1848, peut se renouveler ? C'est-à-dire que le pays s'est trouvé dans un état de crise affreuse, qu'on s'est vu dans la nécessité de recourir au cours forcé. Eh bien ! c'est précisément là la préoccupation du gouvernement et ce sera la préoccupation de tous ceux qui me suivront. Cela est bien autrement important que la question de savoir si l'on peut dans telle ou telle localité diminuer d'un demi p. c. le taux de l'escompte. Aussi aucune question n'a été examinée de plus près par le département des finances. Les premiers jours j'en étais effrayé, mais à mesure que j'ai étudié la position de là Banque, je me suis rassuré, et je crois que la crainte qu'a exprimée l'honorable membre doit se dissiper.

En effet, la cause que j'ai indiquée tout à l'heure et qui a été un obstacle à ce que la Société Générale augmentât l'émission des billets de banque au-delà de 25 millions, cette cause empêchera que la Belgique ne doive donner le cours forcé à ses billets ; quelle était en 1848 la position de la Société Générale ? Ses immenses capitaux étaient tous enfouis dans des industries, solides, si l'on veut, mais qui, dans un moment de crise, étaient d'une réalisation impossible ; eh bien, c'est à prévenir le retour de cette catastrophe que vous avez veillé dans la loi sur l'institution de la Banque Nationale ; vous avez défendu que les capitaux de la Banque Nationale fussent immobilisés d'une manière quelconque ; vous avez voulu que toute la somme des billets en circulation fût représentée par trois choses : d'abord par un encaisse dont j'ai indiqué tantôt la valeur ; en second lieu, par des effets de commerce d'une réalisation prompte et facile ; en troisième lieu, par le capital des actionnaires.

Ces garanties suffisent-elles pour donner toute assurance que les billets de banque, dans un moment de crise, seront remboursés ? Je le crois fermement.

Ainsi, à l'heure qu'il est, supposons qu'un cataclysme vienne à fondre sur le pays et que tout le monde veuille avoir le remboursement des billets de banque dont il est porteur ?

Il y a d'abord dans ce cataclysme, dont Dieu écarte l'heure !, une chose à remarquer : c'est que la confiance renaît à mesure qu'on voit l'exactitude et la constance du payement. Dans les premiers jours, riches et pauvres, tous ceux qui ont des billets se présentent ; ce que peut faire de mieux un établissement dans ce cas, c'est d'ouvrir non pas un bureau, mais 4, 5 bureaux, et de payer à tour de bras ; eh bien, la Banque Nationale peut faire ces premiers remboursements, provoqués par ces terreurs qu'inspire d'abord la crise : elle a dans ses coffres le tiers de tous les billets en circulation. J'ajouterai que plus prudent ou, si vous voulez, plus exigeant que la loi, j'ai été jusqu'à vouloir que la dernière émission des 10 millions fût représentée en caisse, non par le tiers, mais par la moitié du numéraire.

La Banque m'a fait des objections, en disant qu'il lui était difficile de souscrire à cette obligation.

Je me suis contenté de la parole donnée par tous les administrateurs qu'ils respecteront cette condition que j'avais imposée. Et cela s'exécute.

Je reprends l'hypothèse où je me plaçais tout à l'heure. La Banque fait donc face aux premiers remboursements qui lui sont demandés, au moyen de son encaisse. Ses effets en portefeuille se composent d'abord de deux éléments, l'élément étranger et l'élément intérieur. L'élément étranger, avec un escompte insignifiant, elle peut le réaliser immédiatement. Consultez tous les hommes d'affaires, et ils vous diront qu'il n'y a pas à la Banque un seul effet étranger qui ne soit immédiatement réalisable, et qu'il en a été de même dans le passé.

C'est, pour le dire en passant, grâce à cet escompte étranger, qu'on a attaqué hier, que la Banque, voyant la pénurie des pièces de 5 fr. dans le pays, a fait venir de Paris pour 9 millions en pièces de 5 fr. ; chose qui eût été très difficile, si elle n'avait pas eu du papier sur Paris dans son portefeuille.

Elle réalise donc immédiatement son portefeuille étranger. Joignez-y l'encaisse de 41 millions ; et tous ceux qui savent ce que c'est qu'un remboursement de billets de banque qui ne va jamais au-delà d'un million par jour doivent être persuadés que la Banque est en mesure de parer à une crise.

Ce n'est pas tout : quel est le portefeuille intérieur de la Banque ? Voyons l'annexe A de son rapport, le portefeuille intérieur était de 74 millions au mois de janvier ; dans les 10 premiers jours il y avait 9 millions qui rentraient ; les 10 jours suivants, 11 millions ; les 10 jours suivants, 11 millions ; les 10 jours suivants, 8 millions, etc. ; ainsi, de dix en dix jours, la Banque arrive à avoir un renfort de numéraire tel que, quelles que soient les circonstances, elle ne soit jamais en défaut de rembourser les billets de banque. Je suppose ici une chose qui est sans exemple dans l'histoire : c'est l'aggravation de la crise, car encore une fois lorsque le public s'aperçoit qu'il n'y a qu'à se présenter pour être payé, que les craintes sont sans fondement, que le premier comme le vingtième jour les porteurs des billets obtiennent des écus à bureau ouvert, alors la panique cesse, et le public ne vient plus demander le remboursement des billets.

C'est ce qui a fait dire, non sans quelque raison, que le tiers du numéraire en caisse, lorsque l'émission est petite, est bien plus insuffisant que le tiers du numéraire è"n caisse, lorsque rémission est beaucoup plus grande. Je vais me faire comprendre.

Supposons que l'émission des billets de banque se bornât pour tout le le pays à 10 millions ; le tiers de 10 millions étant 5 millions et une fraction, il est évident que l'encaisse ne garantit pas suffisamment le remboursement des 10 millions, parce que ces 10 millions sont une somme si petite que le remboursement peut en être effectué en peu de jours ; mais lorsque l'émission des billets et parlant l'encaisse est très considérable, on gagne du temps et on a la facilité de faire rentrer dans les caisses tous les effets à échéance courte, et ils le sont nécessairement de par la loi.

J'ai entendu dire que si, dans un moment de crise, on faisait rembourser les effets de commerce, ce serait tuer le crédit. Mais remarquez que, dans ce cas, la Banque n'aurait à faire aucun acte de contrainte envers le débiteur ; il s'agit uniquement pour la Banque de faire rentrer successivement les fonds à mesure que les échéances arrivent.

(page 1182) Messieurs, parmi les précautions que j'ai prises encore, je citerai celle qui consiste à exiger de la Banque Nationale qu'à l'avenir elle ne place plus une si grande partie de son capital en actions des emprunts. C'est encore moi qui ai insisté auprès de la Banque Nationale pour que cette espèce d'immobilisation, si on peut l'appeler de ce nom, fût le moins considérable possible.

On peut, il est vrai, soutenir que, lorsqu'une banque est si sagement administrée, lorsqu'elle se maintient si strictement dans les bornes de la mission qu'elle a reçue de la loi, lorsqu'elle se borne à être une banque d'escompte, une banque de circulation, rien de plus, quand elle ne se livre à aucune autre opération, le capital des actionnaires est une garantie en quelque sorte inutile ; attendu que, sagement administrée (et tous ceux qui ont écrit sur le système des banques en sont convenus), le capital des actionnaires peut, en quelque sorte, rester immobilisé ; mais, par un excès de précautions, j'ai exigé de la Banque Nationale qu'elle rendît disponible et convertît en argent une partie de son capital, qui était autrefois placée en actions d'emprunts belges.

Messieurs, l’honorable membre doit aussi, ce me semble, avoir quelque confiance dans l'opinion des censeurs de la Banque ; ces censeurs ne sont pas les hommes du gouvernement ; ce ne sont pas non plus les hommes de la Banque, en ce sens qu'ils exercent une mission purement gratuite, mission très ingrate, mission de responsabilité envers tous les actionnaires de la Banque et envers le pays. Parmi ces censeurs, nous comptons d'abord l'honorable M. Osy ; nous comptons ensuite l'honorable M. Cogels qui, par ses connaissances en cette matière, a laissé de si honorables souvenirs dans cette assemblée. Eh bien, que disent-ils dans leur rapport ? Permettez-moi de vous en lire quelques lignes :

« Cet accroissement a été lent et progressif ; les événements politiques n'y ont porté aucune atteinte ; il témoigne de la confiance toujours croissante du public dans un moyen de circulation commode et qui, par sa convertibilité immédiate en belles espèces, offre tous les avantages du numéraire, sans en présenter les embarras.

« Comme dans les circonstances où nous nous trouvons, il est bon toutefois, de calculer toutes les éventualités, d'aller au-devant de toutes, les difficultés qui pourraient naître, nous avons prié l'administration de dresser un tableau comprenant tout le portefeuille de la Banque avec indication de l'échéance des divers effets qui le composent, divisée par décades, et sans y comprendre les bons du trésor à moins de cent jours de terme, qui font partie également du portefeuille. Le tableau qui se trouve annexé au rapport sous la lettre L, vous fera voir, messieurs, que sur 74,784,039 fr. 65 c. dont se compose le chiffre des effets en portefeuille au 1er janvier, 31,734,115 fr., sont exigibles dès le premier mois et 26,244,485 fr. 59 c. dans le mois suivant.

« Or, le chiffre de la circulation des billets s'élevant à la même époque à fr. 83,000,000 » environ et celui de l'encaisse métallique à près de fr. 46,000,000 », il est évident que si un de ces événements graves qui dépassent toutes les prévisions humaines, venait à détruire pour un instant la confiance si bien établie du public, la Banque serait à même de faire face à toutes les demandes de remboursement sans le moindre délai ; qu'il lui suffirait pour cela de resserrer ses escomptes et, qu'en les supprimant tout à fait, en moins de deux mois, elle serait à même de faire rentrer jusqu'à son dernier billet.

« Encore n'avons-nous pas tenu compte des rentrées à opérer par les prêts sur fonds publics, dont le tableau ci-annexé (lettre M) indique les échéances par quinzaines.

« On sait d'ailleurs que lorsque, dans des moments de crise, une banque fait face à toutes les demandes, sans le moindre embarras, la confiance renaît bien vite, et que le meilleur moyen de faire disparaître les demandes de remboursement, c'est d'en presser l'offre.

« Nous pouvons donc contempler l'accroissement de notre circulation avec la plus grande assurance. Cet accroissement s'est produit sans que l'administration de la Banque ait rien fait pour le provoquer.

« On peut le considérer ainsi, tout à la fois comme le thermomètre de la confiance publique, de l'activité des affaires, et des besoins réels du pays. »

M. Dumortier. - Je me félicite d'avoir soulevé, dans cette circonstance, la question si délicate et, en même temps si grave, dont nous nous occupons en ce moment.

Je m'en félicite d'autant plus que cette discussion ne peut avoir qu'un résultat très utile à l'avenir du pays, en rendant le gouvernement de plus en plus attentif sur la question ; et je me hâte de remercier M. le ministre des finances pour les mesures sages qu'il a déjà prises précisément au point de vue qui m'avait fait prendre la parole, afin d'éviter à l'Etat les dangers qui peuvent l'entourer dans des moments de crise.

Je l'engage à continuer à faire de ce point l'objet de son plus sérieux examen.

Toutefois, je suis loin de partager la quiétude complète de mon honorable ami, M. Osy, et de M. le ministre des finances, sur ce qui peut arriver dans le pays, dans les circonstances funestes qui se sont produites déjà et qui peuvent survenir encore.

Ces honorables membres font reposer leur quiétude sur une seule chose : sur la confiance. Sans doute la Banque Nationale marche en toute confiance, par la sagesse de ses opérations, mais l'absence de confiance n'est pas la seule chose qui fait demander le remboursement des billets dans des moments de crise ; ce fait est dû à un autre motif indépendant du défaut de confiance : c'est le désir, la nécessité de se procurer du numéraire. Et ici je prie mon honorable collègue et ami M. Osy de ne pas confondre les populations de villes de commerce où le crédit doit être permanent, où la circulation du papier est le besoin primitif des habitants, et les populations qui ne se livrent pas au commerce et qui, plus craintives, précisément parce qu'elles ne sont pas industrielles, désirent avoir du numéraire au lieu de papier le jour de la crise arrivé. Combien ne connaissez-vous pas de propriétaires qui possèdent dans leurs caisses des billets de banque, et qui, si une crise sur venait, n'auraient rien de plus pressé que de se débarrasser de cesbillets et de les remplacer par du numéraire ?

Et, messieurs, c'est ce qui arrive constamment : on peut bien avoir confiance dans la Banque ; mais on a plus confiance encore dans les écus que l'on possède dans sa caisse, et c'est là précisément ce qui constitue l'erreur de mes honorables contradicteurs : ils n'envisagent la question qu'à un seul point de vue, la négociation des billets de banque en rapport avec l'industrie ; et ils perdent de vue le côté le plus important de la questiou, celui de la négociation des billets en rapport avec les personnes qui ne se livrent pas aux affaires commerciales.

Or, si vous alliez voir dans le fond de cette émission de billets, vous verriez que les deux tiers peut-être sont dans les caisses de personnes qui ne se livrent ni au commerce ni à l'industrie. Et pourquoi en est-il ainsi ? La raison en est bien simple : c'est à cause de la pénurie de numéraire dans le pays. Vous le savez, messieurs, sous le ministère précédent, on a présenté une loi pour supprimer la circulation de l'or, de telle sorte qu'aujourd'hui il n'y en a plus ou presque plus en Belgique. Quand on a trouvé que l'or devait disparaître de la circulation, on l'a remplacé par quoi ? Par des morceaux de papier.

Eh bien, survientne une crise, et tout le monde dira : J'aime mieux de l'or que du papier ; et ce jour-là, que l'on ait confiance ou que l'on n'ait pas confiance, on voudra voir dans sa caisse de l'or au lieu de papier. Or, où se trouve maintenant le numéraire en Belgique ? Il y a quelques mois encore, il a fallu faire arriver dans le pays pour cinq à six millions d'argent, tant la pénurie en était grande. Ainsi, manque total de monnaie d'or, pénurie de monnaie d'argent, exubérance de papier. Voilà la situation que la politique nouvelle a faite au pays.

Pourquoi l'absence de numéraire se fait-elle sentir en Belgique ? Parce qu'on a supprimé la circulation de l'or et que l'argent est très rare depuis que sa valeur est supérieure à ce qu'elle était autrefois. Une grande quantité de notre monnaie d'argent est exportée pour les pays qui produisent l'or.

Une autre considéralion que personne ne peut méconnaître, c'est que la grande circulation du papier chasse l'argent d'un pays. Je touche ici du doigt le motif pour lequel vous avez une circulation si exubérante de papier. Avant la création de la Banque Nationale, pourquoi la Société Générale n'a-t-elle jamais eu pour plus de 25 millions de billets en circulation ? C'est parce que le pays était nanti de monnaie d'or et d'argent ; le besoin de papier ne se faisait pas sentir.

Aujourd'hui la circulation des billets de banque dépasse 90 millions, l'argent est rare, l'or ne se trouvant plus dans le pays, on est obligé de le remplacer par du papier ; ce papier suffit dans les circonstances ordinaires ; mais dans les moments de crise le papier suffit-il ? Non, messieurs, chacun dit : J'ai plus de confiance dans l'or et dans l'argent que dans le papier. Et l'on demande le remboursementà la Banque qui a émis le papier. C'est ce qui a toujours lieu en cas de crise.

La question de confiance sur laquelle repose l'argumentation de nos contradicteurs n'est plus rien dans les jours de crise ; quelque confiance qu'on ait dans l'établissement qui a émis le papier, on a encore plus confiance dans le numéraire, parce qu'il est toujours plus solide que le papier.

Maintenant, messieurs, comment fera-t-on pour arriver à ce remboursement ? On prendra, dit-on, d'abord les valeurs en caisse, puis les effets étrangers dont la réalisation est très facile, mais bien entendu contre de la monnaie qui n'a pas cours dans ce pays, puis enfin à l'échéance on prendra les billets qui circulent dans le pays.

Ce n'est pas une rentrée forcée, dit M. le ministre des finances, puisque le remboursement a lieu aux échéances des effets ; mais, je le demande, avec quoi la Banque continuera-elle ses escomptes ?

Elle ne le pourra pas, car contre le papier qu'elle prendra elle devra donner du numéraire ; où le prendra-t-elle ? Si elle se fait rembourser les valeurs qu'elle a pour rembourser les billets de banque, elle n'aura pas de numéraire pour escompter les billets ; c'est donc le crédit qui définitivement se trouve attaqué dans sa base. Cela présente un danger effrayant, lorsqu'on se trouve en pleine crise ; et je maintien qu'une émission de 90 millions de billets est hors de proportion avec nos besoins et expose le pays au plus grand danger le jour de la crise.

J'appelle de tous mes vœux un projet de loi qui rétablisse la circulation d'une plus grande quantité de numéraire en Belgique. Il nous faut de la monnaie d'or. Il faut que la circulation du numéraire soit augmentée si on veut diminuer le besoin de papier qui n'est dû qu'à l'absence ou à la grande pénurie de numéraire dans le pays.

Je répondrai à une autre observation ; on nous dit : Vous n'avez que pour 84 millions de francs de billets de circulation et la Banque d'Amsterdam en a pour 90 millions de florins. C'est toujours la même chose, c'est ce qui se passe à Anvers ; la Banque d'Amsterdam n'opère que dans un peuple commerçant au milieu duquel la valeur du papier est d'autant plus grande que les commerçants ont toujours besoin de ces valeurs, tandis que votre Banque n'opère pas seulement avec les commerçants (page 1183) d'Anvers, mais encore avec le peuple propriétaire pour qui le papier remplace mal le numéraire.

C'est la pénurie de l'argent et l'absence de l'or qui occasionnent cet immense développement de papier. Le jour où vous aurez porté une loi autorisant de battre de la monnaie d'or, ce jour-là vous aurez rendu un grand service au pays en diminuant considérablement la circulation des billets de banque, car c'est là ce qui occasionne la circulation exubérante dont je m'effraye.

Messieurs, j'ai rempli un devoir de conscience en appelant l'attention du gouvernement sur cette question. Nous avons eu deux crises à traverser. Nous sommes à une époque où des crises semblables peuvent se représenter ; il est urgent de se mettre en mesure de conjurer des catastrophes dont on ne peut, dans la situation de l'Europe, prévoir l'issue.

M. Malou. - Je n'ai pas demandé la parole ponr rentrer dans ce débat. Je viens seulement rectifier un fait. M. le ministre des finances suppose qu'en 1848, le cours forcé des billets de banque a été nécessité par la situation de la Société Générale. J'ai été rapporteur de la première loi décrétant le cours forcé des billets ; je tiens à démontrer que telle n'en a pas été la cause.

Le cours forcé des billets de banque existera presque toujours en Belgique quand il existera en France, tant que nous aurons un système monétaire commun avec la France. En effet, en 1848 la Banque de France se trouvait dans les mêmes conditions, quant au capital et à la nature des opérations, que celles où se trouve la Banque Nationale ; cependant, immédiatement après 1848 le cours forcé a été décrété en France ; nous en avons immédiatement subi le contrecoup : et quand on a décrété le cours forcé en Belgique, la Société Générale, dont la circulation était de 16 millions, possédait en valeurs réalisables, non pas le tiers mais le double de sa circulation, car elle avait pour 24 à 30 millions de ressources liquides.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Et la caisse d'épargne !

M. Malou. - La question de la caisse d'épargne est venue plus tard pour d'autres causes que j'expliquerai tout à l'heure.

M. le ministre des finances prétend que c'est à raison de l'immobilisation des capitaux de la Société Générale que le cours forcé a été décrété en 1848, tandis que c'est à raison de l'intensité de la crise qui avait fait disparaître notre numéraire par suite de notre communauté monétaire avec la France, et qu'en France le cours forcé venait d'être décrété.

Maintenant, la Société Générale, à cette époque, avait ses effets en circulation ; mais elle avait en numéraire ou en valeurs immédiatement réalisables presque le double de sa circulation. Cependant le cours forcé est devenu nécessaire ; et s'il survenait encore en Belgique une crise comme celle de 1848, quelque bonne, quelque solide que soit la situation de la Banque Nationale, dans les mêmes circonstances, les mêmes causes produiraient les mêmes effets. Il ne faut pas se créer la moindre illusion à cet égard.

Je sais que le cours forcé des billets de banque est une espèce de fantôme ; on en a peur ; on croit que c'est le moyen le plus extrême et le plus dangereux. Eh bien, quand on l'a décrété ici, en 1848, il existait déjà dans d'autres pays et il y produisait d'excellents résultats. Ainsi, l'Angleterre a vécu sous ce régime pendant 15 à 20 ans, si j'ai bonne mémoire, et elle y a trouvé un moyen de soutenir cette lutte gigantesque qui a fondé sa puissance.

Le cours forcé en Belgique même a-t-il produit de mauvais résultats ; et d'après l'expérience qui en a été faite, y a-t-il lieu de s'en effrayer ? Sans doute le cours forcé aurait de graves dangers avec une création illimitée de billets de banque ; mais, avec une émission limitée, et lorsqu'il s'agit de suppléer à la disparition momentanée du numéraire, le cours forcé est une mesure qui peut avoir sa raison et, dans certaines circonstances, son utilité, voire même sa nécessité.

J'aborde maintenant une dernière objection de M. le ministre des finances. Mais, les caisses d'épargno, nous dit-on ! Messieurs, lorsque au mois de mai 1848, on a augmenté la quantité de billets qui avaient déjà cours forcé, ce n'est pas un principe que l’on a décrété : on a eu égard à un fait nouveau qui se produisait par suite de la durée et de l'intensité même de la crise : les demandes de remboursement des dépôts faits à la caisse d'épargne se sont multipliées d'une manière tout anomale ; et l'on a cru devoir donner au gouvernement et à la Société Générale une faculté, mais ils n'ont pas eu besoin d'en user. Voiià, en un mot, tout ce qui a eu lieu en 1848.

Je me résume, messieurs, et je dis quels circulation des billets à cours forcé, quand elle est fondée sur des transactions à l'intérieur, quand elle est le résultat du mouvement des affaires, ne peut pas être un danger pour le pays ; qu'au contraire c'est un bien, et que l'on aurait tort de s'en effrayer ; que si, avec notre système monétaire, un pays étranger venait à décréter le cours forcé, je n'hésite pas à le dire, quelle que fût notre situation, nous en éprouverions le contrecoup.

M. Prévinaire. - Je désire répondre très brièvement aux observations qu'a présentées l'honorable M. Dumortier. Cet honorable membre nous a dit que la circulation des billets chasse l'argent. C'est là un argument qui a été produit souveut et auquel on a souvent aussi attaché de l'importance. Cependant je pourrais y opposer l'exemple de la Hollande. Ainsi que le disait tout à l'heure M. le ministre des finances, la circulation de la Banque d'Amsterdam dépasse 90 millions de florins et cependant je ne sache pas que cette circulation ait eu pour effet de faire disparaître le numéraire de la Hollande.

Et, en effet, au point de vue du commerce de l'argent, la Hollande est un des pays les plus riches en métaux, et chacun sait combien, sous ce rapport, sont considérables les ressources de la Banque d'Amsterdam. Les billets de banque auraient pour effet de chasser le numéraire si la banque n'était pas tenu au remboursement de ces billets ; mais l'obligation qui lui est imposée de rembourser ses billets ne permet pas aux capitaux de refluer vers l'extérieur.

On oublie toujours, quand on parle de monnaie et d'argent, que l'argent, sous quelque forme qu'il soit, n'est autre chose qu'une marchandise et que lorsqu'une disproportion vient à se produire dans l'un ou l'autre sens tantôt en faveur de l'argent, tantôt en faveur de l'or, il en résulte des exportations d'or ou d'argent plus ou moins considérables, jusqu'à ce que la situation des changes ait équilibré les choses. Ainsi, il y a deux ou trois ans à peine, l'argent se trouvait comparativement à l'or dans un état d'infériorité très marqué ; aujourd'hui l'inverse se produit. Cela peut devenir une cause d'exportation du numéraire dans certaines circonstances données, car pour obtenir ce numéraire que l'on veut exporter, il faut obtenir une autre valeur en échange, et celle-ci se déprécie dans une proportion égale à la recherche dont la matière exportable est l'objet.

Avec le système de l'étalon argent, qui existe en Belgique (on ne peut pas tenir compte des 14 millions en or qui ont été battus), les valeurs belges exprimées en francs sont supérieures aux valeurs des pays où l'or est l'étalon monétaire. Car un franc, en Belgique, est un franc d'argent ; un franc, en France, est un franc d'or. Le franc d'or vaut moins que le franc d'argent ; par conséquent, toutes les valeurs qui se transmettent sous la dénomination de franc valent plus en Belgique qu'en France ; et si demain vous adoptiez l'étalon d'or, vous devriez nécessairement vous attendre à lui voir éprouver toutes les fluctuations que pourrait subir ce métal ; sinon vous occasionneriez une dépréciation réelle de toutes les valeurs belges, parce que celles-ci perdraient toute la différence qui existe entre le franc d'or et le franc d'argent.

Je sais que, quelque sérieux que soit cet argument, on peut chercher à le combattre ; mais il n'est possible de le faire qu'en se plaçant sur le terrain des atténuations successives ; vous aurez une expropriation successive ; l'usage la produira et elle sera pour ainsi dire insensible pour certains individus ; mais, en réalité, il y aura expropriation.

L'honorable M. Dumortier a oublié, dans son argumentation, une chose essentielle ; c'est de nous donner le secret d'un établissement de crédit qui puisse faire crédit alors qu'on lui retire celui dont il a besoin lui-même ; il suppose une banque qui puisse continuer à donner du crédit alors qu'elle serait obligée de rembourser ses billets. Or, il est à peine nécessaire de le dire, c'est là une chose absolument impossible : qu'un cataclysme survienne et que la banque doive rembourser ses billets, la conséquence inévitable c'est qu'il n'y aura plus d'escompte, parce que l'argent sera tellement recherché qu'il faudra bien que chacun se tire d'affaire comme il pourra.

L'honorable M. Dumortier nous a dit aussi : Il faut que le gouvernement prenne des mesures pour assurer la circulation de l'argent. Mais la mesure existe : chaque billet de mille francs est un sac de mille francs ; vous pouvez le prendre quand vous le voulez ; c'est à la Banque de veiller à ce que ce soit bien un sac de mille francs.

On a parlé du cours forcé qui a été décrété en France, en 1848 ; mais on aurait dû ajouter que la situation de la Banque de France, à cette époque, n'exigeait pas cette mesure. Le gouvernement révolutionnaire a eu deux raisons pour la prendre : il a d'abord voulu que la Banque continuât ses opérations ordinaires, ce qui était impossible dans la situation que les événements faisaient au crédit ; il a voulu ensuite que la Banque de France lui prêtât une somme considérable. Or, elle ne pouvait le faire qu'à la condition que l’on donnât cours forcé à ses billets.

Eh bien ! Si le gouvernement, en cas de crise, venait dire à la Banque Nationale : Il faut me prêter 20 millions, la Banque répnudrait : Je ne puis vous prêter ces 20 millions, sinon avec le cours forcé, parce que ma créance vis-à-vis de vous quelque solide quelle puisse être, ne m'offre pas le moyen de faire face au remboursement de mos billets.

Je me bornerai à ces deux observations.

M. David. - Messieurs, le discours que l'honorable M. de Perceval a prononcé hier est le produit de très longues et très consciencieuses recherches. Parmi les choses qu'il vous a dites, il en est sans contredit une quantité d'excellentes. Vous l'aurez tous remarqué, beaucoup de considérations, d'une parfaite exactitude et d'une haute portée, qu'il a fait valoir dans son discours n'ont nullement été touchées ni relevées par les divers orateurs qui ont tâché de lui répondre.

Pour approfondir toutes ces questions, pour les discuter complètement, il nous faudrait encore un temps très long que la Chambre peut-être ne voudrait pas consacrer à ce débat. Afin d'abréger la discussion et dans l'espoir que le gouvernement méditera ce discours et tâchera de faire exécuter convenablement la loi relative à l’institution de la Banque Nationale, je prierai mon honorable ami, M. de Perceval, de retirer son ordre du jour motivé.

M. de Perceval. - Messieurs, il m'a paru que mes honorables adversaires ont singulièrement usé de cette tactique, qui consiste à laisser de côté les principes qui constituent la base, le fond même du débat, pour se rabattre sur des questions très accessoires, si pas étrangères à la question.

C'est un moyen facile de réfuter son contradicteur en apparence, sans le contredire en rien.

Je vais, messieurs, rétablir les faits sous leur véritable jour.

(page 1184) J'ai examiné la question de la Banque Nationale sous un triple point de vue.

J'ai dit d'abord que la loi du 5 mai 1850 n'est pas exécutée ; que l'article 2 est une lettre morte tant pour le pays que pour la législature.

J'ai dit, en second lieu, que le taux de l'escompte n'avait pas été réduit proportionnellement aux privilèges insignes que nous avons accordés à cet établissement financier.

J'ai prouvé, en troisième lieu, que la Banque Nationale, m éconnaissant sa mission protectrice du travail belge, se rendait sur les marchés étrangers pour escompter au profit du travail étranger.

Que m'a-t-on répondu ? A-t-on nié les faits ? J'ai écouté attentivement l'honorable M. Osy qui m'a répondu dans la séance d'hier ; j'ai relu attentivement le discours prononcé hier par l'honorable ministre des finances ; j'ai suivi avec une scrupuleuse attention l'honorable M. Prévinaire qui, outre sa qualité de député, a une position officielle à la Banque Nationale. Eh bien, je me demande encore quels sont ceux de mes arguments qu'ils ont détruits.

En créant la Banque Nationale, et il m'est permis de parler ainsi, puisque j'ai eu l'honneur de voter cette institution, en créant la Banque nationale, qu'avons-nous voulu ? Nous avons voulu faire rendre dans les provinces les plus grands services possible au commerce et à l'industrie. Nous avons voulu amener un notable abaissement du taux de l'escompte. Nous avons voulu qu'un établissement financier considérable, ayant reçu des privilèges immenses, protégeât le travail national et non le travail étranger.

Peut-on contester que ce ne soient pas là les trois idées mères de la loi organique que nous avons votée en 1850 ?

Or, m'a-t-on prouvé, dans les trois discours qui ont été prononcés par mes honorables adversaires, que la Banque Nationale rend en province les mêmes services qu'à Bruxelles ? Non, on ne me l'a pas prouvé.

Pour soutenir mon opinion, j'ai pris la loi, j'ai analysé le texte de l'article 2 ; j'ai pris le commentaire donné par le gouvernement lors de la discussion ; j'ai pris le commentaire donné à ce même article 2 par l'honorable rapporteur de la section centrale ; j'ai pris le commentaire que lui avait donné l'honorable M. Osy, et j'ai prouvé, la loi et les comptes rendus de la Banque Nationale en mains, que la loi n'avait pas été exécutée en ce qui concerne les comptoirs des provinces.

A cette occasion je dois exprimer mon regret de ce que l'honorable ministre des finances, M. Liedts, qui est jurisconsulte, ait si complètement perdu de vue la jurisprudence consacrée par tous les tribunaux. Quand deux particuliers ont un procès sur l'interprétation d'un article de la loi, qu'est-ce qui se passe ordinairement ? Tout d'abord on cherche à connaître le commentaire donné par les autorités législatives de l'arlicle même dont on conteste le sens et la portée. Dès que ce commentaire est produit, le tribunal ne tarde pas à se prononcer en conséquence. Or, messieurs, le procès qui se plaide ici est entre la nation belge d'un côté et la Banque Nationale de l'autre.

Que fait le défenseur du commerce et de l'industrie belge ? Il prend le commentaire de la loi et il demande l'exécution de l'article 2. Que font les partisans des actes posés par la Banque Nationale ? Contestent-ils l'existence de ce commentaire ? Non, je ne rencontre dans les discours par lesquels on a essayé de me répondre aucun argument puisé dans la discussion de la loi pour renverser le sens et la portée de l'article 2, tel que je l'ai établi. L'exposé des motifs du gouvernement, le rapport de la section centrale, tous les débats auxquels a donné lieu l'article 2 plaident en faveur de ma cause contre les prétentions des actionnaires de la Banque. Et cependant il paraît que c'est en vain.

On m'a dit : Mais établir des comptoirs en province, à quoi bon ! Ils ne feront pas d'affaires.

M. Prévinaire. - Ils existent.

M. de Perceval. - Messieurs, d'abord je fais remarquer que l'article 2 de la loi organique est impératif ; il ne dit pas : Il y aura un comptoir à Bruxelles, siège de la Banque même, et un à Anvers, où il se fait beaucoup d'affaires ; quant aux autres chefs-lieux de province, les comptoirs n'y seront établis qu'à mesure qu'il y aura des affaires.

Messieurs, la loi ne fait pas de distinction ; elle déclare d'une manière nette et positive que dans les neuf chefs-lieux de province, la Banque établira des comptoirs, et que dans ces comptoirs on fera exactement les mêmes opérations qu'à Bruxelles, siège de la Banque même.

M. Prévinaire. - Cela existe.

M. de Perceval. - Cela n'est pas.

Je veux cependant répondre à un argument que l'on produit avec quelque emphase. On dit : Mais les comptoirs ne feraient pas d'affaires en province.

Messieurs, quand nous avons voulu fertiliser la Campine, quand nous avons voulu provoquer au défrichement des landes et des bruyères, nous ne nous sommes pas dit : Nous ne créerons des routes et des chemins vicinaux que quand les terrains seront devenus arables et que des populations nombreuses auront pris possession du sol.

Non, messieurs, nous avons commencé par créer des routes et des chemins vicinaux, pensant avec raison que quand les routes et les chemins vicinaux seraient faites la population s'établirait dans la Campine, y ferait naître l'activité agricole, le commerce et l'industrie.

Pour le Luxembourg n'avons-nous pas agi de la même manière ? Nous avons voté le chemin de fer du Luxembourg, bien que cette province n'eût pas l'activité industrielle et commerciale des Flandres, mais nous nous sommes dit : Si l'activité industrielle ne règne pas dans le Luxembourg, le chemin de fer l'y amènera, l'y développera infailliblement.

Messieurs, pour que le travail marche et se développe dans le pays, deux choses sont nécessaires : la première, c'est un système de circulation pour les produits, et dans ce but vous avez créé les voies ferrées, les routes, les canaux et les chemins vicinaux ; la deuxième, c'est un système de circulation pour les valeurs représentatives de ces produits ; or celui-ci nous l'avons voulu réaliser par la Banque Nationale et ses comptoirs.

L'honorable M. Osy m'a encore fait une objection dans la séance d'hier ; il m'a dit : Nous ne pouvons pas créer des comptoirs dans les provinces, parce que nous n'y rencontrons point le personnel nécessaire pour les diriger convenablement.

Mais, messieurs, n'est-ce pas à la Banque à y venir avec son personnel ? C'est elle qui a mission et responsabilité de former le personnel que réclament l'accomplissement de ses devoirs et la conservation de ses intérêts. La Banque est assez richement dotée pour aller installer dans le chef-lieu d'une province un comptoir, afin que les commerçants et les industriels viennent se mettre en relation avec lui par les facilités qu'ils y trouvent, et les services qu'ils peuvent en retirer pour leurs affaires.

Que dirait-on de la conduite du gouvernement si, voulant faire une route à travers une commune, il venait dire au bourgmestre de cette commune : Prouvez-moi que vous avez dans votre village un ingénieur capable, et je ferai immédiatement la route que vous réclamez. Le gouvernement n'agit pas de cette manière : il amène lui-même l'ingénieur pour faire les plans et diriger l'exécution. La Banque, messieurs, ne l'entend pas ainsi, elle veut intervertir les rôles.

Messieurs, vous connaissez les banques d'Ecosse ; elles rendent des services non seulement au commerce, mais aussi à l'agriculture, à l'industrie ; en Ecosse, sur une population de 2,900,000 âmes, il y a 380 comptoirs. Ce sont des banques libres. Toutes les communes se donnent la main, si je puis m'exprimer ainsi, en matière de crédit et d'escompte. Que la Banque Nationale belge imite les banques d'Ecosse, et je ne crains pas de le dire, il y aura, en peu d'années, une véritable régénération sociale. A cette occasion permettez-moi, messieurs, de vous donner une idée exacte du mécanisme des banques d'Ecosse, surtout de la manière dont elles s'y prennent pour fonder et répandre, et je dirai presque multiplier leurs comptoirs. Je tiens ici un ouvrage extrêmement remarquable sur le système d'organisation et le mode d'opérations des banques d'Europe et d'Amérique. L'auteur M. Courcelle Seneuil les passe en revue sous leurs différents aspects, il en discute les avantages, les inconvénients, les bienfaits, en un mot leur utilité ou leurs défauts. Voici son appréciation du système de banques qui a si prodigieusement développé l'industrie, le commerce et l'agriculture en Ecosse.

« On connaît la constitution économique de l'Ecosse. Quelques villes manufacturières ou commerçantes ; ailleurs, pas d'autre industrie que la pêche ou l'agriculture, aux prises avec toutes les difficultés naturelles, sur ce sol ingrat, si bien décrit par W. Scott : dans certaines contrées, la grande propriété ; dans d'autres, la petite ou la moyenne.

« Les Banques ont pris possession peu à peu de tous les points de ce territoire. Etablies d'abord dans les grandes villes, comme Edimbourg et Glascow, elles ont successivement porté jusque dans les villages, 382 comptoirs ou succursales. Elles se sont emparées de l'opinion au point que le dernier paysan préfère leurs billets à l'or et n'hésite pas à leur confier ses petites épargnes, à se mettre avec elles en compte courant ; de telle sorte qu'elles fournissent au pays toute sa monnaie et administrent la totalité de ses fonds disponibles.

« Certes de tels résultats n'ont été obtenus ni du premier coup, ni en peu de temps, ni sans efforts ; ils sont le prix d'une application intelligente et persévérante des véritables principes de l'art du banquier.

« Tant qu'elles ont restreint leurs opérations dans le commerce et dans les villes principales, ces banques ont été sujettes aux grandes oscillations de caisse, comme les banques établies en Angleterre et en France. Il existait, à côté d'elles, une population qui n'acceptait point la monnaie de papier et dont les échanges amenaient fréquemment de grands déplacements d'espèces. Par l'établissement des comptoirs ou succursales, les banques sont parvenues à répandre sur tout le pays, d'une manière uniforme, leur monnaie de papier, si bien qu'aujourd'hui leurs plus grandes oscillations de caisse sont médiocres.

« Chaque fois que leurs capitaux commençaient à surabonder, ces banques fondaient une succursale dans les proportions les plus modestes. Le directeur qu'elles envoyaient était un commis intelligent, actif, d'une probité et d'une capacité éprouvées, capable d'apprécier et de trouver les placements utiles. Il était ainsi conduit à reconnaître et à rechercher les aptitudes industrielles et agricoles, à en favoriser le développement par l'ouverture de crédits sur hypothèque ou sous caution. Le cultivateur, appuyé sur la Banque, améliorait sa terre et prospérait : ses voisins cherchaient à l'imiter, et bientôt une succursale, qui d'abord n'avait pas fait ses frais, donnait des bénéfices, trouvait des capitaux dans la contrée où elle était établie et y introduisait l'usage des comptes courants et des billets-monnaie. Le travail par lequel s'accomplissait un tel changement n'était pas l'exercice d'une aveugle routine, la mise en œuvre d'une sorte de mécanisme matériel ; c'était l'emploi d'un jugement éclairé dans les placements consentis, l'exercica de l'intelligence appliquée aux affaires.

(page 1185) « C'est sous la puissante influence de ces banques que l'Ecosse a changé d'aspect, presque de forme, et que la terre, pétrie et manufacturée en quelque sorte, est devenue l'une des plus fertiles et des mieux cultivées de l'univers ; que la population agricole de ce pays a pris cette confiance en elle-même et cette intrépidité industrielle qui, dans les enquêtes parlementaires, contrastent d'une manière si saillante avec l'attitude des agriculteurs anglais. »

Eh bien, messieurs, voilà un modèle de conduite que je soumets à l'appréciation de la Banque Nationale.

J'ai dit, messieurs, que la Banque Nationale est instituée pour rendre des services à tout le pays et que vous avez restreint son cercle d'action à 27 villes ; a-t-on nié le fait ?

Que fait-on pour les 57 autres villes et pour les 2,434 communes rurales ? Elles sont pour la Banque comme si elles n'existaient pas. N'y a-t-il point là aussi de l'activité ? N'y a-t-il point là aussi des commerçants, des industriels qui ont besoin d'escompter à un taux modéré ? Evidemment, la conduite de la Banque Nationale est blâmable à tous ces points de vue.

On m'a dit : Mais le commerce ne se plaint pas, et c'est un argument de M. le ministre des finances. Je demanderai à l'honorable M. Liedts si dans les conditions où se trouvent le commerce et l'industrie, le petit commerçant, le petit industriel peut se plaindre ?

Mais à qui voulez-vous qu'il s'adresse ? A la banque ? Mais immédiatement après sa réclamation il ne trouve plus de crédit, on n'escompte plus son papier. Aux banquiers ? Mais, messieurs, il est forcé de passer par les mains des banquiers ; quels que soient les procédés qu'il ait à subir de la part des banquiers, il ne peut pas se plaindre car le banquier peut, comme on le dit en langage vulgaire, lui jouer un mauvais tour.

La preuve que les commerçants et les industriels craignent de perdre leur crédit chez les banquiers quelque durs que soient les conditions qu'ils leur imposent, c'est que dans toutes les lettres que j'ai reçues et dont je vous ai lu quelques extraits, les auteurs me recommandent de ne pas les exposer aux réactions du banquier. Voilà pourquoi il n'y aura jamais de pétitionnement malgré l'existence du mal.

Messieurs, j'ai dit également que la Banque nationale, contrairement au but qui lui a été assigné par le législateur favorise le travail étranger, au détriment du travail national. A-t-on nié ce fait ? Non.

Je le répète, pas un des arguments capitaux que j'ai produits n'a été rencontré par ceux qui ont défendu la conduite de la Banque.

Messieurs, l'ordre du jour que j'ai eu l'honneur de déposer, a eu, j'aime à le croire, cette bonne portée d'avoir éveillé d'une manière spéciale l'attention des autorités compétentes, je veux parler de la chambre et du gouvernement.

J'aime à croire que le gouvernement tiendra en mémoire les pouvoirs que lui donne l'article 24 de la loi organique et j'aime à espérer que la Banque Nationale, fidèle à la mission qui lui a été assignée formellement par le législateur, étendra ses services et sa protection à tout le pays. Si, contrairement à mon attente, cet établissement, qui nous doit tout, persistait à méconnaître la loi organique du 5 mai 1850, laquelle lui trace des devoirs si positifs, je n'hésite pas à l'annoncer dès à présent à la Chambre, je reproduirai mon ordre du jour dans les mêmes termes dans une prochaine occasion. Je le retire donc momentanément sur les sollicitations de plusieurs de mes honorables collègues.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, si je prends une seconde fois la parole, c'est pour répondre deux mots à l'honorable M. Malou ; car je ne dois plus m'occuper davantage de l'ordre du jour motivé qui est retiré.

L'honorable M. Malou a dit qu'en 1848, avec un encaisse métallique, non pas du tiers, mais de plus du double de l'ensemble des billets en circulation, il a été nécessaire de déclarer le cours forcé de par la loi et que, par conséquent, la même chose peut encore se présenter aujourd'hui.

Si mes souvenirs sont fidèles, l'honorable membre se trompe complètement. Il est vrai que, quand la crise a commencé, il y avait, dans les caisses de la Société Générale, plus du double de la représentation des billets en circulation ; mais ce qui n'est pas moins vrai, c'est que tout cet encaisse fut bientôt épuisé par la caisse d'épargne, dont tous les porteurs de livrets demandèrent à être remboursés.

J'ajouterai que lorsque les premières propositions furent faites à la section centrale et au gouvernement pour obtenir le cours forcé des billets, on demanda à la Société Générale, représentée dans le sein du gouvernement et de la section centrale, quelles garanties la Société Générale pourrait offrir à l'Etat contre la perte éventuelle de ce cours forcé qu'on allait imposer aux citoyens belges, la Société Générale fut obligée de convenir qu'elle ne pouvait nous offrir d'autres garanties que certains établissements industriels, sa forêt de Couvin et la maison même où la Banque siège encore aujourd'hui. Voilà les immeubles qu'elle offrait à l'Etat pour garantir le cours forcé de ses billets ? Preuve évidente qu'il n'y avait pas dans son portefeuille des effets facilement et immédiatement réalisables.

C'est le retour de cet abus qui n'est plus possible. La loi empêche, et c'est une des préoccupations du gouvernement, la loi empêche que le capital de la Banque Nationale ne soit immobilisé ; dans un moment de crise, la Banque Nationale ne pourrait plus venir dire au gouvernement : « Je n'ai d'autre garantie à vous offrir pour le payement des billets que des immeubles. »

Elle n'a qu'à ouvrir son portefeuille, et réaliser immédiatement son portefeuille intérieur, remboursable de 10 en 10 jours par dizaine de millions ; et par conséquent, des effets aussi facilement réalisables en espèces équivalent, aux yeux des porteurs de billets, à de l'or en barres dans ses caisses.

Je n'aurais pas pris la parole pour relever ce que je considère comme un défaut de mémoire de la part de l'honorable M. Malou, s'il n'avait terminé son discours en disant que le cours forcé des billets, après tout, ne doit alarmer personne ; et que le cours forcé en Belgique n’a pas été suivi de grands malheurs.

Pour ma part, je dois protester de toutes mes forces contre une pareille doctrine.

A mes yeux, le cours forcé des billets est une violation flagrante du contrai entre le citoyen et la Banque qui lui donne un billet en payement. Lorsque je reçois un billet en payement, il intervient un contrat tacite entre la Banque et moi ; la Banque s'oblige à me donner des écus à présentation des billets ; c'est à cette condition seule que j'accepte le billet comme argent comptant. Lorsque plus tard la loi intervient et dit :

« La Banque n'est pas en mesure de rembourser, je vous force d'accepter les billets comme de l'argent comptant, » je dis que la loi viole un contrat ; et ce n'est que dans le cas d'une extrême nécessité que la législature se décide à une pareille violation, violation que l'on ne peut considérer autrement que comme un malheur public.

Je suppose que lors de la malheureuse époque qu'on a rappelée, la crise n'eût pas cessé, qu'eussiez-vous vu ? Le citoyen, porteur d'un billet de 1,000 francs, par exemple, qui se serait présenté dans une maison de commerce, pour y acheter des marchandises, eût d'abord été interpellé de la sorte : « En quelle valeur payerez-vous les marchandises ? Est-ce en écus sonnants ou en billets de banque ? » S'il avait répondu qu'il allait payer en écus sonnants, il eût peut-être dû ajouter la moitié et le tiers de la valeur. Ce malheur ne s'est pas réalisé ; mais il ne faut pas moins le prévoir, et je considérerai toujours comme mon premier devoir de prémunir le pays contre une semblable éventualité.

M. Malou. - Messieurs, je répondrai quelques mots à M. le ministre des finances.

D'abord, il ne faut pas confondre les deux lois qui ont été adoptées en 1848 ; la première loi est du mois de mars, et la seconde, du mois de mai.

La première loi a été motivée par l'intérêt du pays ; la seconde, par l'intérêt de la Société Générale.

La première a été motivée par la disparition du numéraire et l'établissement du cours forcé en France, la seconde a été motivée par l'intérêt de la Société Générale, lorsque les demandes en restitution de dépôts faits à la caisse d'épargne sont devenues très considérables.

Je dis qu'à cette époque la Banque de France avait aussi eu recours à l'établissement du cours forcé, et M. le ministre des finances n'a rien répondu à cette observation.

Maintenant me suis-je fait l'apologiste du cours forcé ? En aucune manière ; j'ai dit que c'était une mesure qu'on avait prise dans certaines circonstances et qui, lorsqu'elle répond à un besoin publie, est parfaitement légitime.

Je persiste à soutenir cette opinion. Il ne faut pas de gaieté de cœur décréter le cours forcé ; mais lorsque les circonstances sont impérieuses, et que vous n'avez que l'alternative d'une crise excessivement grave et du cours forcé, je dis que tout gouvernement intelligent adoptera le cours forcé.

Fais-je l'apologie du cours forcé des billets ? Fais-je l'apologie du ministère de 1848 ou de la législature de la même époque qui a adopté le cours forcé à l'unanimité, et qui a eu parfaitement raison de l'adopter, parce qu'elle a rendu impossible l'aggravation de la crise que le pays subissait ?

On dit : « C'est une violation du contrat qui est intervenu. »

Eh bien, voyens le fait comme il est réellement.

Lorsque l'Etat crée un billet de 5 francs, l'Elat donne une valeur palpable, échangeable ; lorsque l'Etat dit : Ce billet de 5 francs que je crée dans un moment de crise, je promets qu'il sera remboursé ; comment viole-t-on le contrat, lorsque le remboursement du billet doit nécessairement s'ensuivre.

Eh bien, c'est dans cette condition que le cours forcé a été décrété en 1848, et qu'il a rendu au pays un immense service.

J'ai fait ces observations, je le répète, non pas pour faire l'apologie du cours forcé, non pas même, j'ose le dire, pour faire l'apologie, parfaitement désintéressée de ma part, du ministère qui était aux affaires en 1848, mais pour prémunir les esprits, autant qu'il est en moi, contre les craintes exagérées qu'on concevrait à l'égard du cours forcé, lorsque les circonstances le rendent nécessaire. Eh bien, ne nous le dissimulons pas, ces circonstances ne sont malheureusement pas si éloignées de nous que vous croyez. Si la crise dans laquelle nous entrons s'aggravait, il se pourrait que vous fussiez amenés bon gré mal gré à prendre des mesures analogues à celles qui ont été prises en 1848, et c'est pourquoi j'ai cru devoir combattre des idées qui me paraissaient exagérées et prématurées.

M. Prévinaire. - La Chambre me permettra de dire encore quelques mots ; je m'étonne que M. de Perceval, à la bonne foi de qui je me plais à rendre hommage, ait persisté à soutenir que la Banque Nationale (page 1186) n'avait pas satisfait aux exigences de la loi ; c'est là une contre-vérité, sauf une seule exception. L'honorable M. de Perceval se fait une fausse idée de ce que doit être l'organisation d'un comptoir, il ne se préoccupe que d'un système donné d'organisation, il ne tient aucun compte de l'utilité.

Voici en quoi la loi a été satisfaite ; les comptoirs établis fonctionnent et sont en mesure de fonctionner de manière à accomplir toutes les attributions qui peuvent leur être dévolues aux termes de la loi. Il en existe dans tous les chefs-lieux de provinces, sauf un seul (Haseclt) ; au point de vue de l'escompte, il est satisfait à la loi.

Quelles sont les autres opérations auxquelles les comptoirs doivent pourvoir ? Les prêts sur fonds publics ? Les agents de la Banque sont autorisés à les faire. (Interruption.)

L'honorable membre a mal étudié cette question. Vous n'envisagez que les relations organisées pour faire fonctionner les comptoirs en ce qui concerne les escomptes, et c'est pourquoi vous nous parlez des conventions que la Banque a conclues pour assurer cette partie du service des comptoirs ; mais vous oubliez que dans vingt-six localités (les plus importantes du pays) la Banque a des agents parfaitement en mesure de faire toutes les opérations ; ils peuvent, le cas échéant, être autorisés à prêter sur les matières d'or et d'argent ; s'il s'agit de prêter sur des lingots d'or et d'argent, un seul homme suffit pour cela.

S'agit-il des comptes courants ? Quand on viendra en demander l'ouverture la Banque avisera comme elle avise, du reste, au siège principal, car tout le monde ne peut être admis à jouir d'un compte courant à la Banque, et les agents pourront recevoir, à cet effet, les autorisations nécessaires. Voulez-vous parler des recouvrements d'effets ? C'est une chose que les agents font tous les jours. Tous les jours les agents de la Banque font le recouvrement des effets.

M. de Perceval ne voit que comptoirs formés de la même manière, institués d'après un cadre unique et attendant les bras croisés que les affaires leur arrivent. Cela ne peut être, il a été pourvu au rôle important que les comptoirs ont à remplir (l'escompte) ; il peut être pourvu également aux autres opérations qui se présenteraient au moyen de l'organisation actuelle des agences.

Celles-ci sont parfaitement en mesure d'assurer le service en ce qui concerne les opérations autres que l'escompte.

L'accusation de non-accomplissement des prescriptions de la loi tombe devant le fait même.

Il me reste à exprimer un regret, c'est qu'après avoir soulevé une question intéressant le côté moral d'un établissement qui a rendu et continué à rendre des services au pays, l'honorable M. de Perceval n'ait pas eu la générosité de laisser sa proposition suivre son cours naturel, car le sort qui l'attendait eût été utile à la Banque, il eût donné la mesure de l'opinion de la Chambre sur les accusations dont elle avait été l'objet, et consolidé son crédit.

J'aurais donc désiré que l'honorable membre ne fît pas usage du droit de retirer sa proposition, bien que l'on doive considérer ce retrait comme l'abandon d'une partie de ses observations. Son devoir était, me paraît-il, de laisser la Chambre se prononcer sur la conduite d'un établissement qu'on avait mis sur la sellette d'une manière si injuste.

Messieurs, je veux, avant de m'asseoir, dire aussi un mot sur le cours forcé. Théoriquement en principe, le cours forcé est une mauvaise chose, un acte violent qui peut à peine se justifier par des considérations d'intérêt public ; je me refuse donc à envisager la probabilité qu'on doive recourir à cette extrémité, et sous ce rapport l'opinion qu'exprimait tout à l'heure M. le ministre des finances me paraît on ne peut plus fondée ; mais comme la fait remarquer l'honorable M. Malou, il ne s'ensuit que dans toutes les circonstances cette mesure doive être repoussée ; il est des circonstances fatales où nous pouvons être contraints d'encourir ; Dieu nous en garde ; dans cette voie, on sait comment on entre, on ne sait pas toujours comment on en sortira. Le cours a été longtemps maintenu en Autriche, toutes les valeurs s'en sont ressenties à tel point que le change sur Vienne avait subi une dépréciation énorme. Transitoirement c'est un mal qu'on supporte, appliqué en principe d'une manière permanente ce serait une infirmité.

M. de Perceval. - Je discuterais avec M. Prévinaire pendant toute une séance, depuis midi jusqu'à cinq heures, que nous ne parviendrions pas à nous entendre.

Je persiste à dire que les articles 2 et 8 des statuts organiques ne sont exécutés ni par le gouvernement, ni par la Banque Nationale ; et je le maintiens comme parfaitement exact. Je persiste à croire qu'aucun des arguments que j'ai produits n'a été détruit par les honorables membres qui ont jugé convenable de répondre.

M. Dumortier. - J'ai demandé la parole pour dire deux mots en réponse à l'honorable M. Prévinaire. Cet honorable membre conteste l'observation que j'avais faite que le motif de la surabondance si grande du papier qui circule aujourd'hui comparée à ce qui existait avant 1848, c'est-à-dire il y a six ans, gisait dans notre système monétaire. Il est venu reproduire la théorie que nous connaissions, que l'or et l'argei sont qu'une marchandise.

Oui, l'or en barre c'est de la marchandise, mais battu, c'est de la monnaie. Je pense que le moyen de remédier à l'exubérance de papier effrayante que nous avons, et de mettre la Belgique à l'abri de ces cours d'argent, est de revenir au système monétaire qui nous a régis et de (mot manquant$) une monnaie qui n'a pas cours en France.

Il est indispensable que nous ayons une monnaie propre, qui n'ai aucun rapport avec celle d'aucun de nos voisins, afin qu'en cas de crise européenne elle ne puisse sortir du pays et reste chez nous pour nos propres besoins.

Il y a vingt ans que j'ai demandé cela pour la première fois, et ce qui s'est passé depuis m'a donné la conviction que c'était devenu de plus en plus indispensable, si nous voulons prévenir des crises comme celles que nous avons eu à traverser.

Quant au cours forcé des billets de banque, je ne puis partagé l'opinion démon honorable ami ; je le considère comme un des plus grands malheurs qui puissent tomber sur le pays ; quand il y a nécessité absolue, il faut le voter malgré sa répugnance, mais il faut rechercher dans les temps ordinaires tous les moyens possibles d'échapper à cette nécessité si une crise survient.

Or, le meilleur moyen, à mon avis, c'est de ne pas étendre outre mesure et de restreindre autant que possible la circulation d'un papier n'est qu'une valeur fictive à laquelle on a confiance aujourd'hui, mais dans laquelle on n'aura plus confiance demain.

Ce n'est pas en développant démesurément la circulation du papier que l'on restreindra la possibilité du cours forcé ; et puisqu'on reconnaît que c'est une très mauvaise chose, le meilleur moyen de le prémunir, c'est de faire rentrer la circulation du papier dans les limites où elle était autrefois, et d'où elle n'aurait jamais dû sortir.

M. le président. - L'incident est clos. Nous commencerons lundi par une interpellation de M. Vander Donckt à M. le ministre des finances.

- La séance est levée à 4 heures.