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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 27 avril 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1535) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Le sieur Jean-Frédéric Carlier, employé à l'administration des chemins de fer de l'Etat, à Bruxelles, né à Blexen (Oldenbourg), demande la naturalisation ordinaire avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les membres de l'administration communale et plusieurs habitants de Baudour prient la Chambre d'accorder aux sieurs Moucheron et Delaveleye la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des pharmaciens à Cuesmes et à Antoing déclarent adhérer à la pétition du cercle pharmaceutique du Hainaut relative à la représentation des pharmaciens dans l'Académie de médecine. »

- Même renvoi.


« Des pharmaciens et médecins à Reaumont déclarent adhérer aux pétitions relatives au cumul de l'exercice de la médecine avec celui de la pharmacie et à la représentation des pharmaciens dans l'Académie de médecine. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Tournai prient la chambre d'accorder aux sieurs Hoyois et Hertogs la concession du chemin de fer dont ils ont présenté le projet et qui doit aboutir de Thuin à Leuze. »

« Même demande du conseil communal d'Anserœul. »

M. Visart. - Messieurs, la pétition qui vient d'être analysée vient à la suite d'un grand nombre d'autres qui ont le même but, celui de demander la construction d'un chemin de fer qui relie notre principal foyer de production de charbons avec les deux Flandres.

Je pense que le temps est venu où il faut prendre une détermination, Où il faut donner suite à l'esprit de ces pétitions.

M. le ministre des travaux publics a depuis longtemps nommé des commissions d'enquête à l'occasion des projets de chemins de fer qui doivent réunir le Borinage avec les provinces que je viens de désigner. Je ne doute pas que ces études soient à présent à l'état de maturité, et j'émets le vœu que M. le ministre veuille se faire autoriser par la législature pour octroyer une concession dans l'intervalle de la session qui va finir et de celle qui la suivra. Il est urgent de prendre une décision. Il y a, il est vrai, des concurrents, mais le gouvernement aura à choisir le projet qui desservira le plus avantageusement les intérêts généraux du pays.

Pour mon compte, je crois que c'est celui qui passerait par les villes de Péruwelz, de Leuze et de Renaix, agglomérations qui par leurs nombreuses industries offriraient des ressources autres que celles du transport des charbons, et alimenteraient par des intérêts suffisants les capitaux que l'on consacrerait à cette entreprise.

Je conclus donc à ce que M. le ministre veuille bien donner à la Chambre des explications à cette occasion.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je m'expliquerai après le rapport de la commission.

M. Visart. - En ce cas je demanderai un prompt rapport.

- Le renvoi à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport est ordonné.


« Plusieurs habitants de Tirlemont proposent de remplacer l'impôt de consommation sur les boissons alcooliques par une taxe de 22 à 25 centimes additionnels au principal de l'accise dont la fabrication des boissons distillées est frappée. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les distilleries.


« Le conseil communal de Thielt demande que la compagnie concessionnaire du chemin de fer de la Flandre occidentale soit mise dans l'obligation d'exécuter ses engagements et prie la Chambre de rejeter le projet de loi accordant un nouveau délai pour l'achèvement des travaux de la ligne de Deynze par Thielt à la section de Bruges à Courlrai.

M. de Muelenaere. - Messieurs, la pièce dont on vient de voir faire l'analyse est très importante et elle a un caractère prononcé d'urgence.

Cette pétition émane du conseil communal de la ville de Thielt et elle est revêlue de la signature de tous les membres de ce conseil. Les pétitionnaires vous exposent que dès 1845, sur la proposition de deux de nos honorables collègues, MM. Delehaye et d'Elhoungne, et par des considérations auxquelles le temps n'a fait qu’ajouter une nouvelle force, la Chambre a décrété le chemin de fer de Deynze par Thielt, et ce chemin de fer a été concédé à une compagnie anglaise.

Cette compagnie est restée en défaut de remplir ses engagements vis-à-vis de l'Etat par des motifs qu'il est inutile de discuter ici. Par une convention postérieure, celle du 1er juillet 1851, cette même compagnie a été déchargée en partie des obligations qu'elle avait antérieurement contractées et qui lui semblaient trop onéreuses En outre la législature lui a accorde un minimum d'intérêt pour les sections encore à exécuter.

Messieurs, vous le savez, une grande partie de cette route, jusqu'à concurrence de la moitié des travaux, devait être achevée le 1er mars dernier ; or, les pétitionnaires nous apprennent que jusqu'à présent ces travaux n'ont pas même reçu le moindre commencement d'exécution.

Cette pétition, messieurs, se rattache au projet de loi qui a été déposé hier par M. le ministre des travaux publics, et je demande qu'elle soit renvoyée à la commission, avec invitation expresse que celle-ci veuille présenter un rapport dans le plus bref délai possible.

M. Rodenbach. - J'appuie ce que vient de dire l'honorable M. de Muelenaere. Voilà déjà huit ou dix fois que nous faisons remarquer à M. le ministre des travaux publics que la compagnie de la Flandre occidentale ne remplit pas ses engagements. Il importe de mettre un terme à cet état de choses.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je ne veux pas, messieurs, entrer maintenant dans la discussion. Lorsque le moment en sera venu, nous justifierons, devant la Chambre, des motifs qui ont déterminé le gouvernement à demander une prorogation de délai en faveur de la compagnie ; quant à présent, je fais mes réserves formelles en ce qui concerne les allégations des honorables préopinants.

M. de Muelenaere. - Nous nous réservons aussi d'examiner les motifs dont vient de parler M. le ministre des travaux publics.

- La proposition de M. de Muelenaere est mise aux voix et adoptée.


« Plusieurs habitants d’Ixelles présentent des observations contre le projet de loi relatif à la réunion des faubourgs à la capitale. »

« Mêmes observations présentées dans deux pétitions par des habilants de Schaerbeek. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.


« Par huit pétitions, plusieurs propriétaires et habitants de Cureghem, Schaerbeek, Saint-Josse-ten-Noode, Etterbeek, Ixelles, Saint-Gilles et Molenbeek-Saint-Jean demandent l'annexion des faubourgs à la ville de Bruxelles. »

- Même décision.

Ordre des travaux de la chambre

M. Delehaye (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans la séance de mardi dernier, M. le ministre de la justice a déposé un projet de loi ayant pour objet d'accorder à son département (erratum, page 1556) divers crédits supplémentaires ; la Chambre a ordonné le renvoi de ce projet aux sections ; comme il se rattache intimement au budget de la justice, je proposerai de le distraire des sections et de le renvoyer à la section centrale du budget de la justice, qui n'a pas terminé ses travaux.

- Cette proposition est adoptée.

M. Pierre. - Un projet de loi d'une grande importance est dès maintenant, messieurs, en état d'être discuté, c'est celui de l'annexion des faubourgs à la capitale. Il préoccupe vivement l'opinion publique et tient en suspens les intérêts les plus nombreux, les plus divers.

Pour mettre fin, sans tarder, à toutes les incertitudes, j'ai l'honneur de proposer à la Chambre de porter ce projet à l'ordre du jour immédiatement après le budget des affaires étrangères.

M. Orts. - Je ne m'oppose nullement à la proposition de l'honorable M. Pierre ; mais je ferai observer que M. le ministre de l'intérieur, que la chose concerne spécialement, n'est pas présent.

- La Chambre se réserve de statuer sur la proposition de M. Pierre quand M. le ministre de l'intérieur sera présent.

Projet de loi sur les distilleries

Discussion des articles

Article 2

M. Rodenbach. - Messieurs, je n'ai demandé la parole que pour combattre d'une manière très laconique quelques chiffres qui ont été mis en avant par M. le ministre des finances. Je ne suis pas de l'avis de ce ministre, quand il dit que les chiffres mentionnés dans le rapport de l'honorable M. Delehaye, sont empreints d'exagération. Je tâcherai de faire comprendre à la Chambre qu'il est impossible que le genièvre indigène soutienne la concurrence contre le genièvre hollandais, si le projet de loi qui nous est soumis est adopté. Je serai très clair et il ne me faudra pas deux minutes poui le prouver

A quel prix peut-on obtenir le genièvre hollandais, livré sur les quais d'Anvers ? On peut l'obtenir à 50 centimes Je litre, et moins encore ; mris j'accepte le chiffre de 50 centimes. Quel est le droit qu'on doit payer actuellement sur le genièvre ? On paye 57 centimes. Il en résulte que le litre de genièvre hollandais, rendu à Anvers, ne coûte que l fr. 7 c.

A la vérité, on pourrait encore défalquer 5 centimes pour la futaille quand on la renvoie en Hollande.

(page 1536) Dans cette hypothèse loin d'ajouter 5 centimes au prix du genièvre pour la futaille, il faut, au contraire, déduire 5 centimes de ce prix ; donc le genièvre rendu à Anvers, devrait coûter que 1 fr. 2 cent. Ceci est de la vérité ; on ne peut pas le contester.

Maintenant mettons en parallèle le le prix du genièvre indigène. Le genièvre du pays se vend 95 centimes. Tout le monde peut s'en assurer, en allant, comme moi, aux informations, non pas, si l'on veut, chez les distillateurs intéressés dans l'affaire, mais chez les négociants en spiritueux ; il se vend donc 95 centimes le litre, tous droits compris ; ajoutons à ce prix le nouveau droit qui est de 8 centimes 1/2 proposé par le nouveau projet de loi ; 95 c. et 8 1/2 font fr. 1 3 1/2 centimes ; or, je vous ai montré tout à l’heure que vous avez à Anvers le genièvre hollandais à 1 fr. 2 cent.

Il est tout à fait impossible que les distilleries du pays soutiennent la concurrence avec la Hollande dans de semblables conditions ; ou ne boira en Belgique que du genièvre hollandais, au détriment du genièvre indigène. H existe d'ailleurs en Belgique, et même dans les colonies, un préjugé que le schiedam vaut 15 à 20 p. c. de plus que le genièvre belge ; c'est encore un préjudice pour l'industrie des spiritueux indigènes.

Ensuite, comme je l'ai dit et comme on l'a répété, nos distilleries sont des fabriques d'engrais et de bétail, pardon de l'expression, mais c'est la vérité ; cela doit contribuer à faire baisser le prix du pain, car il faut de l'engrais pour avoir des céréales et du résidu pour engraisser un grand nombre de bestiaux ; et. vous voulez, par l'élévation des droits, empêcher que nos usines prospèrent ; et vous n'accordez qu'un draw-back de 24 francs : ce qui réduira à néant l'exportation dans les colonies ; cela n'est pas national. On devrait sentir que pour quelques centaines de mille francs de recettes de plus, on ne peut pas mettre en danger l'existence d'une grande industrie et préjudicier à notre agriculture.

Je me bornerai à ce peu de mots ; ils feront réfléchir sérieusement, je pense, mes honorables collègues sur le vote qu'ils auront à émettre.

L'honorable rapporteur est inscrit et va prendre la parole ; je n'en dirai pas davantage ; mais si on conteste les chiffres que je viens d'énoncer, je demanderai de nouveau la parole.

M. Delehaye, rapporteur. - Messieurs, voilà la quatrième fois depuis moins de quatre ans qu'on vient modifier les conditions du travail dans les distilleries. Dans une industrie de cette nature, des changements si fréquents de régime ont pour conséquence, non seulement de diminuer le travail, mais encore de mettre obstacle à tout progrès. Le fâcheux effet de ces changements est de ne pas permettre aux industriels de remplir les engagements qu'ils ont contractés sous l'empire de la loi existante et de réaliser les progrès qu'ils avaient préparés.

Ces considérations seules auraient suffi pour justifier l'opposition que le projet du gouvernement a rencontrés dans les sections et dans la section centrale. Mais il y avait pour elles une autre raison de combattre ce projet, c'est que les motifs apportés à l'appui par le gouvernement n'étaient pas admissibles. Le gouvernement déclare que ce qui l'a engagé à présenter le projet de loi, c'est la cherté des denrées alimentaires. Mais le renchérissement des denrées alimentaires est un fait accidentel, temporaire, et la loi présentée a un caractère permanent.

D'autres considérations encore ont dirigé la section centrale. Elle s'est demandé : Comment le gouvernement, qui invoque à l'appui de son projet les besoins du trésor, a-t-il pu proposer, il y a quelque temps, des réductions de droit sur plusieurs objets de consommation d'origine étrangère, alors même que ces objets fout concurrence à la production nationale ?

Vous êtes saisis d'un projet de loi ayant pour objet la réduction de droits sur plusieurs objets étrangers qui payent aujourd'hui une large part dans les impôts indirects.

On s'est fait cette question : Comment se fait-il qu'invoquant les besoins du trésor pour augmenter l'impôt sur les distilleries, sur une industrie qui se rattache à toutes les branches de la prospérité publique, on renonce à des droits perçus sur des produits étrangers ?

Cette considération justifierait également l'opposition que rencontre le projet. Mais les sections et la section centrale ne se sont pas bornées à cette objection, elles se sont fait cette question : Le projet réalisera-t-il les espérances du gouvernement ?

La section centrale est allée plus loin, elle a dit : Le projet présenté par le gouvernement en réalisant ses espérances ne fera-t-il pas à nos distillateurs une position telle, qu'ils ne pourront plus soutenir la concurrence avec l'étranger, non pas seulement à l'étranger, mais même sur notre propre marché ?

Eh bien, pour résoudre toutes ces questions, qu'a fait la section centrale ? Elle s'est adressée au gouvernement pour obtenir de lui les éléments de sa conviction. Mais la section centrale a fait plus, elle n'a pas cité un seul chiffre (je parle des chiffres sur lesquels elle a basé son jugement) qui n'ait été au préalable communiqué au gouvernement.

Dès lors il m'étonne que M. le ministre des finances se soit attaché dans son discours à signaler à la Chambre quelques erreurs qu'avec un peu d'attention on pouvait facilement reconnaître.

Mais comme rapporteur je suis surtout en droit de me plaindre sous ce rapport, puisque M. le ministre des finances m'a lui-même prié de hâter le plus possible mon travail, afin que la Chambre pût examiner le projet avant sa séparation.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - C'est vrai.

M. Delehaye. - Il y avait donc un motif pour M. le ministre des finances d'excuser quelques erreurs, dont la principale consiste dans la suppression d'un double point, ce qui a changé pour M. le ministre des finances le sens d'une phrase. Mais je reviendrai là-dessus plus tard.

Nous avons, messieurs, pour examiner la première question, celle de savoir quelle est l'influence du droit sur la production nationale, demandé au gouvernement un tableau. C'est celui sur lequel nous avons établi nos calculs.

Nons avons dit : Dans la première période, celle de 1833, le droit était de 22 c, l'impôt est aujourd'hui de 1 fr. 50 c, il s'est donc élevé de 1 à 7, sauf une fraction, et il n'y a pas de raisonnement qui puisse détruire ce fait.

M. le ministre y a vu cependant une exagération ; mais voyons quelle est cette exagération ?

Le gouvernement vous dit : Sons l'empire de la loi de 1833 à 1851, les distillateurs travaillaient comme ils l'entendaient, c'est-à-dire qu'ils ne payaient qu'une seule fois l'impôt par jour.

Je me hâte de dire qui ! y avait là un abus, et je remercie le ministre de 1851 d'avoir corrigé cet abus.

Mais est-il bien exact de dire que sous l'empire de la loi de 1833, l'impôt de 22 c. était en réalité de 44 c ? Le distillateur va payer 44 c. alors qu'aux termes de la loi il ne doit payer que 22 c. Une assertion de cette nature mérite une attention sérieuse ; le gouvernement aurait dû nous produire des documents pour nous convaincre que ce fait était réel. Avons-nous eu quelque document à cet égard ? Pas le moindre.

M. le ministre, pour prouver que le droit de 22 centimes était réellement de 44 centimes, suppose que le distillateur, au lieu de travailler en 24 heures, travaillait en 48 heures.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - En 34 heures.

M. Delehaye. - Je me rappelle vos paroles ; je connais votre discours par cœur. J'ai pris note de vos chiffres ; vous avez dit que le distillateur travaillait en 48 heures. Mais passons là-dessus.

Sous l'empire de la loi de 1833, le gouvernement reconnaît que l'on ne produisait que 5 1/2 litres.

Eu admettant que le distillateur faisait ce que prétend M. le ministre, qu'il travaillait en 48 heures ou en 34 heures, qu'obtenait-il ? Il obtenait un produit supérieur d'un dixième. C'est le gouvernement qui le dit ; le gouvernement reconnaît qu'en travaillant en 48 heures, on peut obtenir 1/10 en plus, ainsi vous devez supposer que le distillateur, pour obtenir 1/10 de plus, devait sacrifier tous les droits. Mais était-ce le seul sacrifice qu'il devait faire ? Indépendamment du droit, il devait sacrifier 24 ou 16 heures de travail. Indépendamment de ce sacrifice qui est immense, il devait payer ses ouvriers, brûler du combustible.

Vous voyez donc que cette supposition ne résiste pas à l'examen. Eh quoi ! les distillateurs aujourd'hui ont la faculté, à l'aide de 21 centimes, si le droit proposé par le gouvernement passe, de travailler en 48 heures ; c'est-à-dire que vous leur donnez, moyennant 21 centimes, la faculté d'extraire, non pas 1/2 litre mais 70 centièmes de litre de plus. Eh bien, les distillateurs (je parle de ceux qui ne sont pas pour la fraude) protestent tous contre la faculté de travailler en 48, faculté dont ils auraient usé, d'après vous, en 1833, alors que le bénéfice était moindre.

Si, en 1833 et en 1834, le distillateur avait cette faculté sans la demander et s'il ne sacrifiait que 22 centimes, pouvez-vous admettre qu'il la rejette aujourd'hui ? Et s'il la rejette, êtes-vous admis à dire qu'il aurait fait un sacrifice beaucoup plus considérable pour obtenir un résultat moindre ?

Non, messieurs ; mais voici se qui se passait : Dans les distilleries, comme dans toutes les autres industries, le fabricant travaille dans son intérêt. Recherchez l'intérêt de l'industriel et vous aurez le mobile de ses actions. Quand le grain était cher, le distillateur cherchait à gagner sur le grain et sacrifiait le droit à payer au trésor ; quand le grain était à bon marché, il agissait en sens inverse. C'est la condition de cette industrie. On sacrifie le droit pour gagner sur le grain ; on sacrifie le grain pour gagner sur le droit. C'est là un fait incontestable. C'est le mobile qui anime toute industrie.

Mais M. le ministre des finances, dans sa singulière supposition, est allé plus loin. Arrivant à la troisième période, M. le ministre a dit, et alors il était dans le vrai : Dans la troisième période, le droit est d'un franc ; le grain était à bas prix ; le distillateur ne cherchait pas à économiser la matière, mais il cherchait à économiser sur le droit, et au lieu de renouveler en 24 heures, il renouvelait en 20 et 22 heures. Donc, a dit M. le ministre, le droit d'un franc n'était que de 92 centimes.

M. le ministre a raison ; mais où il n'a pas raison, c'est qu'il s'arrête là.

M. le ministre a vu le danger de son argumentation et qu'a-t-il dit ? La première période comparée à la troisième prouve que l'impôt s'est élevé de 44 à 92. Je m'empare de cette argumentation ; elle confirme singulièrement la doctrine de la section centrale. Car si, dans la troisième période, le droit au lieu d'être d'un franc, était de 92 centimes, qu'avez-vous fait ? Ce n'est pas une augmentation de 50 p. c. que vous avez introduite en 1851, mais une augmentation de 62 p. c. Car vous avez porté le droit de 92 centimes à 1 fr. 50 c. Or, 92 centimes payés sous l'empire de la loi antérieure à 1851, comparés au droit de 1 franc 50 cent., constituent bien une augmentation de 62 p. c. Eh bien, qu'a (page 1537) produit cette augmentation de droit de 62 p. c. ? Une augmentation de recette de 12 p. c.

Cependant M. le ministre des finances de 1851, quand il a présenté son projet de loi, vous le disait ; en demandant une augmentation de 50 p. c. il savait parfaitement bien que cette aggravation d'impôt aurait amené la fraude d'une part, une économie de travail d'autre part, et peut-être un partage de marché avec la Hollande et qu'au lieu de 1,800,000 fr. que devait rapporter l'augmentation, il n'obtiendrait qu'environ 1,500,000 fr., et M. le ministre des finances avait raison.

Ce n'était pas seulement 50 p. c. d'augmentation que demandait M. le ministre des finances. Mais il disait : Aujourd'hui vous renouvelez, plus d'une fois en 24 heures, il vous arrive de renouveler cinq ou six fois en trois ou quatre jours.

C'est ce que je vous ai expliqué et c'est ce qu'a négligé de dire M. le ministre des finances d'aujourd'hui. Pour atteindre la recette indiquée, M. Frère ne se basait pas seulement sur une augmentation d'impôt de. 50 p.c, mais encore sur la défense de renouveler les matières en moins de 24 heures sans être soumis à un impôt nouveau.

Qu'a produit cette double modification ?

Malgré cette double restitution, le trésor n'a pas reçu au-delà de 12 p. c. de recette.

Mais puisqu'on a relevé des erreurs, on me permettra de relever des erreurs du gouvernement ; toutefois je ne le fais que parce que ces erreurs sont de nature à nous faire mal apprécier l'état de choses ; car je n'ai aucun plaisir à relever les erreurs dont personne n'est exempt.

La section centrale n'a été animée que d'un désir, celui de connaître la vérité ; elle a écarté de ses débats tout ce qui était douteux ; jamais, au grand jamais, elle n'a admis pour base de ses délibérations des chiffres douteux. Je dis que le gouvernement a mis en avant des chiffres qui pouvaient nous induire en erreur.

Je les recueille dans son rapport. Le gouvernement a annoncé, pour l'année 1853, une recette de 4,065,946 fr., il déclare que les contenances employées ont été de 5,936,301 hectolitres. A raison de 1 fr. 50 c. le gouvernement devait bien percevoir, comme il l'a dit, 5,904,450 fr.

Le gouvernement répondant à la section centrale a déclaré que l'on avait exporté 40,180 hectolitres de genièvre, que ces 40,180 hectolitres de genièvre avaient joui d'un drawback à raison de 12 fr. 52 c. l'hectolitre de 502,250 francs. Elles ont obtenu aussi la restitution des droits. Or, la restitution a été de 1 fr. 50 c. par hectolitre de macération.

Un hectolitre de macération produisant 7 litres de genièvre, il y a eu de ce chef 861,000 fr. de moins perçus par le trésor. Si je réunis les 502,250 fr. aux 861,000 montant des droits restitués, plus la somme perçue de 4,065,946 fr. j'obtiens le chiffre de 5,429,196 fr.

Cette somme suppose 3,619,464 hectolitres mis en macération ; vous en accusez 3,936,301 hectolitres, que deviennent alors les 316,837 hectolitres restants ? Où sont-ils ?

Vous voyez que l'erreur est importante. Il ne s'agit pas de moins que de 316,837 hectolitres. Comment se fait-il que le gouvernement nous force à établir nos calculs sur des chiffres erronés ? Ou les recettes ne sont pas exactes, ou ce sont les quantités déclarées. Si ce sont les quantités déclarées qui sont exactes, j'ai le droit de dire que le travail est défectueux.

La conséquence inévitable de l'augmentation des droits est la diminution du travail. Pour prouver cette assertion, je ne communiquerai pas à la Chambre un seul docurnent qui ne soit pas digne de sa créance, qu'on puisse envisager comme suspect.

J'ai dit que forcément l'augmentation des droits devrait diminuer le travail. Je me suis fait remettre un relevé à l'abri de tout soupçon de l'octroi de la ville de Gand ; il est digne de toute confiance. Qu'arrive-l-il à Gand ? C'est que presque tous les genièvres qui s'exportent sont à 45 degrés.

Vous voyez donc que si la quantité consommée paraît rester la même, la quantité produite est singulièrement diminuée. Je crois avoir fait comprendre que le raisonnement de la section centrale qui dit qu'une augmentation d'un à sept n'a produit qu'une augmentation de recette de 1 à 2 1/2 est très admissible, et que ce raisonnement ne peut être critiqué puisqu'il est basé sur des chiffres incontestables.

Messieurs, la section centrale par l'examen qu'elle a fait de la question s'est bien convaincue que le gouvernement ne recevrait pas la somme qu'il a indiqué, celle qu’il espérait de l'augmentation du droit.

Elle a examiné ensuite une deuxième question, celle de savoir si la concurrence sera encore possible entre l'étranger et la Belgique. Quant à l'eau-de-vie de France, elle ne coûtait guère, avant la maladie de la vigne et elle ne coûtera guère, lorsque cette maladie aura cessé, que 30 c. ; là par conséquent toute concurrente est impossible en temps ordinaire. Voyons maintenant le prix du genièvre hollandais.

La Chambre a été saisie de deux pétitions émanées des deux localités les plus importantes du pays, sous le rapport de la question qui nous occupe, de la ville d'Anvers et de la ville de Gand. La pétition de Gand accusait le prix de 109 centimes ; la pétition d'Anvers accusait le prix de 103 1/2 centimes. Quant au prix du genièvre hollandais, je l'ai constaté à diverses époques. Il était le 13 décemlre 1853 fr 24 fl. 75, le 20 de 23 fl. 75 et le 27 de 24 fl. 75.

Le gouvernement nous a dit dans son rapport que le prix moyen du genièvre hollandais était de 60 à 62 francs. Eh bien, nous défions qui que ce soit de nous prouver que même depuis la cherté des grains, jamais le prix du genièvre hollandais ait dépassé 57 centimes. J'ai sous les yeux un tableau extrait des journaux hollandais et dont il résulte que depuis le 1er juin 1852 jusqu'au 1er août 1853, c'est-à-dire à une époque où la cherté des grains ne pouvait pas se faire sentir, le genièvre s'est vendu au maximum 20 fl. 75 cens et au minimum 16 fl. l'hectolitre. M. le ministre soutient que le prix s'est élevé de 60 à 62 fr. ; j'ai parcouru tous les documents et je n'en ai pas trouvé un seul qui indiquât un prix supérieur à 57 cent. Et remarquez que c'était pendant la cherté des grains.

On me demandera comment j'avais pu indiquer trois chiffres qui diffèrent tous entre eux.

Mais si la section centrale n'avait eu qu'un seul mobile, celui de faire triompher son opinion à tort ou à raison, elle n'aurait pas cité ces chiffres différents ; la section centrale a voulu que la Chambre eût une connaissance exacte de la question, et c'est pour cela qu'elle a cité ces chiffres qui ne diffèrent qu’en apparence. Il n'y a que le public qui se trompe sur ces prétendues différences, les négociants ne s'y trompent nullement, ils savent parfaitement quelles sont les conditions de chaque place, conditions dont la différence vient modifier l'importance des prix. C'est ce que la section centrale a voulu faire connaître à la Chambre.

On a parlé aussi du prix au détail, mais, messieurs, le prix au détail varie à l'infini ; le détail des grandes villes n'est pas le détail des campagnes ; le détail des cafés n'est pas le détail des cabarets. Dans certaines localités le prix au détail va à 200 francs tandis qu'ailleurs il ne va pas à 100 fr.

Précédemment, messieurs, j'ai prédit que nous aurions incessamment une baisse considérable ; cette baisse sera le résultat de la cessation momentanée de l'exportation. Qu'est-il arrivé ? C'est qu'en Belgique le prix du genièvre a fléchi. Mais où est-il tombé ? C'est chez les petits distillateurs ; les grands distillateurs ne baissent pas leurs prix, ils cessent leurs travaux et ils achètent du genièvre de ceux qui sont obligés de s'en défaire.

Mais comment se fait-il que la baisse qui s'est produite en Belgique ne se soit pas manifestée également en Hollande ? C'est parce qu'en Hollande la loi est permanente tandis qu'en Belgique, malheureusement on la change sans cesse. Le prix s'est maintenu en Hollande parce que la demande s'est soutenue.

Chaque fois, messieurs, qu'on a voulu élever le droit, quels sont ceux qui se sont opposés à l'augmentation ? Ce sont les petits distillateurs : les grands distillateurs trouvaient un avantage à l'augmentation des droits qui découragent les petits. C'est ce que nous avons vu également pour les raffineries ; les gros raffineurs ont des conditions d'existence bien autrement importantes que celles des petits ; lorsque l'augmentation des droits écrase ces derniers, elle favorise par cela même les autres ; les gros distillateurs ne payent le droit qu'au bout de 3, 6 ou 9 mois.

Le petit distillateur, au contraire, doit payer les droits au comptant, même avant le travail ; il a donc à supporter des frais immenses, eu égard à ses facultés ; le grand distillateur, au contraire, jouit de tous les avantages, il a 3, 6 ou 9 mois de crédit. Les conditions ne sont pas les mêmes, ce qui est favorable aux grands distillateurs peut être défavorable aux petits.

Mais aujourd'hui, messieurs, les conditions sont changées : grands et petits réclament à l'envi !

Ce n'est plus comme en 1851, je me rappelle ce que disait alors le ministre des finances de cette époque :' Prenez-y garde, me disait-il, prenez garde que les distillateurs ne vous induisent en erreur ; quelques-uns ne reculent pas devant une augmentation de droit. J'ai été aux informations ; il y avait en effet de grands distillateurs qui n'étaient pas contraires à l'augmentation du droit ; mais aujourd'hui, et je prie la Chambre de faire attention à cet argument, tous les distillateurs sans exception sont unanimement convaincus que si la loi passe telle qu'elle a été présentée par le gouvernement, elle aura pour conséquence inévitable d'appeler sur notre marché la concurrence hollandaise.

Et ici je fais déjà de l’histoire. J'ai vu annoncer dans les journaux qu'un monsieur Nolet, de Schiedam, forme un dépôt de genièvre à Bruxelles. Voilà le résultat que produit déjà la loi qui est soumise à.nos délibérations.

J'ajouterai une nouvelle considération : savez-vous bien que l'entrepôt d'Anvers possède déjà une très grande quantité de spiritueux hollandais ? Savez-vous que la plupart des navires qui partent du port d'Anvers et qui emportaient souvent du genièvre indigène, prennent maintenant du genièvre hollandais ? Depuis trois mois, plus de 100,000 litres de genièvre hollandais sont entrés à l'entrepôt d'Anvers.

M. le ministre des finances dira peut-être que les genièvres hollandais ne font que transiter par la Belgique. C'est vrai, mais n'est-il pas profondément déplorable pour la Belgique que son territoire serve à transiter des produits qu'elle fabrique elle-même ?

Il me reste à rencontrer une objection présentée par M. le ministre des finances. Rappelant l'intelligence, l'activité hors ligne et l'esprit d'économie qui distinguent nos distillateurs, l'honorable ministre disait : Pourquoi nos distillateurs ne travaillent-ils pas à aussi bon compte que les distillateurs hollandais ?

(page 1538) Chaque fois qu'on fera valoir ici l'intelligence et l'activité de la nation, ces paroles trouveront ici de l'écho ; mais voyons si les positions sont les mêmes. Savez-vous comment en Hollande on traite la fabrication de la levure, que M. le ministre des finances traite assez légèrement ? La loi accorde en Hollande une réduction de droit aux distillateurs qui font de la levure ; en Belgique, pour jouir de cet avantage, vous devez payer 10 p. c.

Le législateur belge impose de ce chef un nouveau fardeau aux distillateurs ; le législateur, en Hollande, au contraire, leur accorde une faveur.

Ce n'est pas tout : pour faire de la levure, il faut une matière qui ne soit pas trop pâteuse.

Or, pour produire 7 litres de genièvre à l'hectolitre de macération, il faut une forte charge, celle de 15 kil. de farine, cette charge est un obstacle à la fabrication de la levure qui n'admet que 8 à 9 kil. au maximum. De cette quantité le distillateur extrait 1 kil. de levure qui vaut 45 cents. Indépendamment de cet avantage, le distillateur hollandais obtient d'une charge minime une production relativement plus forte.

En effet, moins les quantités sur lesquelles on opère sont petites, plus elles rendent en proportion. Ainsi pour le distillateur hollandais, production en levure, et en même temps production plus grande d'alcool.

Voilà donc deux avantages immenses dont jouit le distillateur hollandais ; la levure d'abord et puis une extraction plus forte d'alcool ; et vous vous étonnez que le distillateur hollandais puisse fournir son genièvre à meilleur compte que le distillateur belge ; et qu'à l'heure qu'il est, le genièvre hollandais se vende à 24 florins et moins encore !

J'ai ici en main une lettre qui m'est adressée par un distillateur de Liège, que je ne connais pas ; il m'autorise à dire à la Chambre qu'on lui offre le genièvre à 52 degrés à 23 cents le litre. J'ai communiqué cette lettre à d'autres distillateurs, et ils m'ont dit que ces offres se faisaient de toutes parts. Cet industriel est un homme digne de toute votre confiance.

Je pense qu'en a eu tort de faire un reproche d'exagération au rapport de la section centrale. Si elle a fait ses propositions, c'est qu'elle était convaincue qu'elle avait pour elle la vérité et que ses propositions étaient dictées par l'intérêt du pays.

Ce n'est pas pour nous une question d'amour-propre ; si nous étions dans le faux, nous ne pourrions être vainqueurs qu'au détriment du trésor.

Les propositions du gouvernement sont basées sur des documents émanés de personnes que le gouvernement a envoyé étudier la question des distilleries en Hollande ; je veux croire que ces personnes étaient parfaitement compétentes pour remplir cette mission ; mais étaient-elles dans une position aussi indépendante que les membres de la section centrale ? Je m'explique.

Ces personnes n'ont-elles pas un intérêt à faire passer des projets dont le rejet froissera peut-être leur amour-propre ? La section centrale n'a rien à craindre de pareil. Pour elle, la vérité seule peut triompher à sa gloire.

Un jour viendra où nous serons obligés de voter de nouvelles dépenses, croyez-vous que nous hésiterons à mettre à la disposition du gouvernement douze à quinze cent mille francs de ressources nouvelles, si nous pensions que le projet pouvait le lui donner ? Si nous combattons le projet qui nous est en ce moment soumis, c'est que nous sommes convaincus que d'un côté il est de nature à porter un grand préjudice à une des plus importantes industries du pays et de l'autre qu'il aura pour effet de diminuer, au lieu d'augmenter les ressources du trésor.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot) (pour une motion d’ordre). - Messieurs, au commencement de la séance, on a demandé que le projet de loi relatif à la réunion des faubourgs à la capitale fût mis à l'ordre du jour. Le gouvernement est prêta aborder la discussion de ce projet, quand la Chambre le trouvera bon ; mais je crois devoir faire remarquer que plusieurs membres ont exprimé le désir que la discussion de ce projet ne commençât pas avant mardi.

Si on n'y trouve pas d'inconvénient, je proposerai donc de fixer cette discussion à mardi.

- Cette proposition est adoptée.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, comme je le disais dans une autre circonstance, en fait d'impôts il n'y a de bonnes lois que celles qui ne sont pas présentées. Il ne manque jamais de membres qui indiquent des matières pouvant produire des impôts nouveaux ; mais chaque fois que le gouvernement, s'emparant de l'une de ces idées, vient présenter un projet de loi, l'impôt nouveau qu'on trouvait si bon, si simple, si admissible, devient très mauvais, très lourd, détestable.

Il en a toujours été ainsi avant nous, il en sera de même après nous, il faut s'y résigner sous peine de n'avoir plus d'impôts nouveaux.

L'honorable rapporteur semble dire que ma sollicitude pour les nécessités du trésor ne se réveille que quand il s'agit des distilleries et que quand il s’est agi de remanier le tarif des douanes, quant aux matières premières, je n’ai aps reculé devant une perte que ce projet doit faire éprouver à nos finances.

Outre qu'il n'y a aucune analogie entre ces deux projets, je prierai l'honorable rapporteur de lire l'exposé des molifs du projet de loi relatif au tarif des douanes, il verra que les modifications introduite dans l'intérêt de l'industrie, à la demande des industriels, pour donner plus d'impulsion au travail national, ont pour correctif, dans ce même projet, une augmentation de quelques centimes additionnels sur tous les autres articles du tarif de douane, jusqu'à ce que l'ensemble du tarif puisse être revisé. Vous voyez que si, d'une part, ce projet présente une réduction de recettes, cette réduction doit être couverte par l'augmentation que le même projet fait porter sur d'autres articles.

L'honorable rapporteur pense que je me suis attaché à trouver des erreurs dans son rapport ; cependant, malgré toute ma bonne volonté à n'en pas rencontrer, j'en trouve bien d'autres que celles que j'ai signalées.

Je ne puis attribuer qu'à une erreur, la comparaison que l'honorable rapporteur fait entre le prix du 3/6 français et le prix du genièvre en Belgique. Il met en présence le plus bas prix auquel est tombé le 3/6 en France et le plus haut prix auquel le genièvre soit arrivé en Belgique, par suite de la cherté des céréales ; ce n'est pas là une comparaison sérieuse. Si je vais plus loin, à la page 37, je trouve que pour alarmer le pays sur les importations de genièvre hollandais, on avance que du 1er janvier au 15 mars elles se sont élevées à 5,904. Vous croyez que ce sont des hectolitres, non, ce sont des litres. Mettant en regard le chiffre de nos exportations on les porte à 40,000, mais ici ce ne sont plus des litres, ce sont des hectolitres ! Il s'agit de produits belges exportés.

Si on réduit tout à une même unité de mesure, on trouve 59 hectolitres importés contre 40,000 exportés. Si on avait voulu prendre le litre pour unité, il fallait porter l'exportation à 4 millions de litres. Je ne puis voir là qu'une erreur, ces chiffres ne peuvent pas avoir été pris à dessein pour éblouir le public.

Messieurs, lorsque j'ai pris la parole la première fois, je me suis attaché à faire voir que l'impôt, depuis 1835 jusqu'en 1850, n'avait pas progressé dans la proportion de 1 à 7, mais de 1 à 2 et une fraction ; pour preuve de ce que j'avançais, j'ai mis sous les yeux de la Chambre l'appât que la loi offrait aux distillateurs pour les engager à travailler de plus en plus vite.

Plus ils travaillaient vite, moins ils payaient d'impôt à l'Etat, de manière que l'impôt d'un franc, établi en 1842, revenait par suite de l'accélération du travail et du renouvellement des cuves à 92 c. et une fraction ; en 1833, alors que l'on sortait d'une législation qui permettait de travailler en 48 heures, le distillateur ne pouvant pas sur-le-champ réduire son travail de 48 heures à 24, il lui fallait 33, 37 et 38 heures, et le droit de 22 c. par jour correspondait à 34 c.

Voilà comment le droit s'élevait en réalité à 34 c. quand la loi n'imposait qu'à 22 ; on s'étonne que le distillateur ait ainsi consenli à payer plus que la loi ne semblait exiger. Mais rien n'est plus naturel. Il est au contraire étonnant que le distillateur ait pu immédiatement descendre à 37 heures, car habitué à travailler en 48 heures, il a dû faire de grands efforts pour parvenir à renouveler ses matières en aussi peu de temps.

Mais qu'est-ce qui prouve, dit-on, qu'à cette époque on travaillait en 37 heures, puis en 35 et plus tard en 24 heures ? Ce qui le prouve, ce sont, les données des employés des accises qui, par la nature de leurs attributions, sont obligés de surveiller le travail dans les usines et, chaque année, de faire connaître à l'administration ce qu'ils ont constaté sur la durée du travail.

Lorsque de tous les points du pays, sans que les employés des accises se soient concertes, non pas une fois, mais à toutes les époques, les mêmes données sont arrivées à l'administration, il faut bien reconnaître qu'elles indiquent le résultat général des travaux dans les usines.

Vous croyez, dit-on, faire un grand avantage aux distillateurs, eu leur accordant par la loi nouvelle de travailler en 48 heures ; eh bien ? tous les distillateurs repoussent cet avantage. Je ne m'en étonne pas, c'est toujours ainsi dans toutes les lois que l'on fait. On demande, avant que la loi soit présentée, comme un grand avantage ce qui n'existe pas. Une fois qu'on l'a obtenu, ce n'est plus rien de tout.

L'année dernière, en 1853, c'était sur ces 48 heures qu'on insistait surtout. Aujourd'hui que la loi nouvelle autorise à continuer les travaux, non pas en 24 heures, mais en 48 heures, ce n'est plus rien.

Mais vous faites payer, me dit-on, 1/10 en sus. Je l'ai déjà dit, il existe des pétitions où des distillateurs indiquent comme une perte d'un huitième sur le produit l'obligation de travailler en 24 heures. Au lieu de 1/8 je n'ajoute que 1/10.

Voulez-vous une autre preuve que je n'exagère pas, que je ne vais vais au-delà des justes bornes ? Lorsqu'il s'est agi de la diminution à pare en raison du chômage du dimanche, il avait été dit que l'on devait déduire 1/4 ; je me borne à prendra 1/10, et cependant on réclame.

Je commence à m'apercevoir que ces calculs, fort arides du reste, lassent l'assemblée. Je tâcherai donc d'être très court tout en rencontrant les principales objections que m'a faites l'honorable M. Delehaye. Il veut bien reconnaître qu'il ne faut pas trop se préoccuper de la concurrrence française ; mais la concurrence hollandaise serait terrible, désastreuse, ruineuse pour nos distilleries. Pour prouver encore une fois la vérité de cette assertion, on arrive avec des décomptes de tout genre. Le gouvernement pourrait les contester.

Maïs remarquez qu'il y a un fait plus fort, plus décisif que tous les décomptes imaginables ; c'est celui que j'ai présenté à la séance d'avant-hier : c'est que les distillateurs hollandais n'ont pas trouve un secret (page 1539) inconnu de nos distillateurs ; ils sont obligés d'employer les mêmes grains que les nôtres, de les payer aussi cher que les nôtres.

Si en revanche la loi nouvelle ne permettait pas à nos distillateurs de faire de la levure, cet avantage serait compensé par celui qu'ils trouvent dans le bon marché du combustible, de la main-d'œuvre et des ustensiles même. Mais il y a plus, c'est que le produit qu'ils retirent de la fabrication de la levure est loin de compenser la protection que nos distillateurs trouvent dans la différence des droits.

J'ai entendu dire à l'honorable membre qu'avec une charge de 13 kil. par hectolitre, il sera difficile de faire de la levure.

M. Delehaye. - Non pas difficile, mais impossible.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Impossible même ? Eh bien, je n'admets pas du tout cette impossibilité, car même avec la loi actuelle, des demandes ont été faites plusieurs fois de pouvoir fabriquer de la levure, et cela en 24 heures et sans rien changer à la loi existante. J'admets, messieurs que, devant travailler de cette façon, ils n'ont pas pu avoir de succès permanents ; ils n'ont pas pu continuer ce système ; mais aujourd'hui ce n'est plus en 24 heures qu'il faudrait la produire, c'est 48 heures qu'on leur donne et je persiste à dire que c'est un temps largement suffisant pour la production de la levure.

En Hollande, sauf des cas très rares, on ne met jamais plus de 48 heures pour achever tous les travaux, y compris la production de la levure.

D'ailleurs, messieurs, en supposant que dans les premiers temps on dût faire quelques tâtonnements, est-ce à dire pour cela qu'on ne parviendra pas à vaincre la difficulté ? Si, il y a quinze ans, on avait dit que l'on parviendrait à tirer 7 litres de genièvre d'un hectolitre de matière macérée, je crois qu'il n'y aurait eu qu'une voix pour repousser de pareilles allégations. Les distillateurs eux-mêmes n'y croyaient pas ; ils s'estimaient déjà fort heureux, il y a vingt ans, de produire 5 1/2 litres.

Messieurs, il n'en est pas moins vrai que successivement, par l'amélioration de leur système de distillation, ils sont parvenus à produire non pas 5, non pas 6, mais 7 et une fraction.

Et à cette occasion, messieurs, je relèverai un passage du rapport dont je n'ai pas fait mention la première fois. On répète que si l'on a trouvé 7 litres de produits par hectolitre de matière macérée, c'est parce que le gouvernement a employé un chimiste. Messieurs, je croyais que l'assemblée et surtout l'honorable rapporteur se seraient mieux rappelé ce que j'ai dit lors de la discussion de 1853 ; c'est-à-dire que lorsque le chimiste a voulu se mettre à l'œuvre, il n'a pas obtenu des résultats satisfaisants, tandis que les ouvriers de l'usine ont produit, sous les yeux de l'administration et contrôlés par tous les intéressés du pays, ceux des villes comme ceux des campagnes, grands et petits, ont produit 7 litres et au-delà.

Il y a plus, pour apaiser la conscience de l'administration, j'ai obtenu d'un grand distillateur du pays, sans qu'on connût dans quel dessein je le faisais, communication de ses registres de distillation où se trouvaient consignées les matières mises en macération pendant tous les jours d'une année, ainsi que la production en genièvre ; et lorsqu'on a combiné les chiffres, il en est résulté la preuve que ces distillateurs avaient obtenu 7.41 p. c.

Qu'on ne dise donc pas que ce n'est qu'exceptionnellement qu'on produit 7 litres par hectolitre de matière macérée ; c'esl au contraire la règle, et je prétends que ceux qui connaissent leur métier, produisent plus que 7.

Messieurs, l'honorable membre dit que depuis le 1er juin 1852 jusqu'au 1er août 1853, il défie de prouver que le prix du genièvre hollandais ait dépassé 20 florins 75 cents. L'honorable rapporteur n'a oublié qu'un point : c'est de dire qu'à la même époque, le prix d'un hectolitre de genièvre en Belgique n'était pas de 95, comme il l'est aujourd'hui, mais qu'il était de 68 et de 66 francs. (Interruption.)

J'ai sous les yeux le tableau des prix moyens aux époques que vous indiquez. Lorsque le genièvre en Hollande se vendait 20 florins et une fraction, le genièvre en Belgique se vendait de 66 à 72 francs ; la moyenne de toute l'année, est 68 francs 70 c.

Si vous menez en parallèle les prix de la Hollande de 1852 avant la cherté des grains, avec les prix de la Belgique, vous arrivez encore une fois à la même conclusion que celle que j'ai déduite avant-hier : c'est qu'il y a une protection plus que suffisante pour le producteur indigène.

L'honorable rapporteur, et l'honorable M. Rodenbach est tombé dans cette erreur, persiste à croire qu'il faut déduire le prix de la futaille dans les décomptes qu'il invoque ici. Eh bien ! il m'est impossible d'accepter cette version. Je me suis fait reproduire les journaux de Rotterdam qui chaque jour indiquent les prix et je trouve toujours la même indication : (Je traduis.) « Preuve d'Amsterdam, non compris la futaille et non compris les droits, 25 fl. et quelques cents. »

M. Delehaye, rapporteur. - Je n'ai pas contesté ce fait ; vous m'attribuez une pensée que je n'ai pas eue. Si vous le permettez, je rectifierai les faits ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Si j'insiste sur ce point, c'est que l'honorable membre, dans les divers décomptes qu'il présente à la page 12 et à la page 13, tantôt déduit la futaille et tantôt ne la déduit pas. Ainsi, à la page 13 il dit « prix de l’hectolitre, futaille comprise 23 fr. 75 valeur de la futaille à déduire, 2 florinse.

Je dis que lorsqu'on invoque un prix courant du genièvre hollandais, il faut, conformément aux habitudes du commerce, ne pas déduire la futaille. Il en est autrement du 3/6 de Bordeaux. Il est reconnu que dans les usages du commerce, le prix de la futaille du 3/6 de Bordeaux se déduit.

Puisque je suis à citer un chiffre de la page 13, que l'honorable rapporteur me permette de lui signaler avec quelle légèreté les décomptes qui lui ont été remis ont été faits. Ici il estime la valeur de la futaille à 2 fl. et plus loin il l'estime à 6 lr.

M. Delehaye. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, on a dit que si l'on voulait augmenter l'impôt sur les distilleries, il fallait aussi augmenter l'impôt qui pèse sur les eaux-de-vie étrangères à l'entrée dans le pays. Vous diminuez en réalité, dit-on, la protection que la loi existante accorde aux eaux-de-vie indigènes.

Messieurs, le droit que nous percevons sur l'eau de-vie étrangère n'est pas un droit de protection. Il serait déraisonnable de lui donner ce nom. Le droit que nous percevons à l'entrée se compose de deux parties bien distinctes : d'une partie qui est le droit de douane, et qui serait en réalité le droit protecteur ; c'est 7 fr. 54 c. par hectolitre, si ma mémoire est fidèle ; et d'autre part nous percevons sur les eaux-de-vie étrangères 1 fr. par hectolitre et par degré ; de telle sorte qu'un hectolitre d'eau-de-vie hollandaise arrive dans le pays chargé d'un droit de 57 fr. 5i c., de 50 fr. de droit d'accise et de 7 fr. 5i4c. de droit de douane.

Eh bien, je dis qu'il n'y a pas un décompte, quel qu'il soit, du moment où il est fait consciencieusement, qui détruise ce fait que le le distillateur belge jouit d'une protection beaucoup plus forte que celle qu'on peut demander à un droil de douane.

Messieurs, pour vous faire voir quel danger vous faites courir à l'industrie du pays si cet article est adopté, on dit que déjà un distillateur hollandais est occupé à entreposer à Bruxelles ; que déjà l'entrepôt d'Anvers a reçu des genièvres hollandais.

La même chose se trouve consignée dans le rapport de la section centrale.

Messieurs, l'honorable membre qui a émis cette assertion est un peu coutumier du fait. Lorsque la loi de 1851 fut présentée par l'honorable M. Frère, il disait absolument la même chose. Voici, entre autres, un petit extrait de ce qu'il disait, Annales parlementaires de 1851, p. 1790

« Hier un fait s'est passé à Anvers, on pourra le vérifier. Des distillateurs m'ont donné l'assurance que depuis hier des quantités considérables de genièvre hollandais ont été déposées à l'entrepôt libre de cette ville. »

Messieurs, j'ai fait vérifier les faits ; il en est résulté que dans tout le courant du mois de juillet, il n'avait été entreposé que 84 hectolitres et en consommation pour 1851, 500 hectolitres. Or, si l'on a égard à la somme que l'on entrepose annuellement, c'est moins que la moyenne.

Vous le voyez donc, messieurs, la prédiction d'alors était aussi sinistre que celle d'aujourd'hui et j'ai la conviction que celle d'aujourd'hui ne se réalisera pas plus que celle d'alors.

Les personnes, dit-on, qui ont remis au gouvernement les documents sur lesquels il s'appuie peuvent avoir un intérêt d'amour-propre pour soutenir le projet de loi auquel ils onl coopéré.

Messieurs, il y a cela de remarquable que depuis la discussion de la loi, je n'ai pas vu les honorables fonctionnaires auxquels on fait allusion. Ce ne sont donc pas eux qui m'inspirent les arguments que j'ai l'honneur de vous communiquer ici.

Quant aux prix que j'ai indiqués dans l'exposé des motifs et dans la discussion, je les trouve dans les dépêches officielles écrites par les trois directeurs de Gand, de Bruxelles et d'Anvers, et l'on ne peut supposer que ces trois chefs d'administration se soient concertés pour m'indiquer des prix erronés. Lorsque j'ai dit avant-hier qu'au mois de février, le prix courant était de 60 à 62 francs, ce même prix m'était indiqué simultanément et par le directeur de Bruxelles pour l'entrepôt de Bruxelles, et par le directeur d'Anvers pour l'entrepôt d'Anvers, et je répète qu'on ne peut admettre qu'il y eût concert entre ces fonctionnaires, alors qu'ils ne savaient pas même dans quel but ces renseignements étaient demandés.

Quant à ceux, au contraire, qui donnent des renseignements à l'honorable membre, je respecte leurs convictions, je suis persuadé qu'un grand nombre d'entre eux sont consciencieux, qu'ils s'alarment ; mais ; il en était de même quand la loi de 1851 a été mise en discussion ; alors aussi ils croyaient que l'industrie périclitait ; eh bien, aujourd'hui comme alors, ce sont des fantômes qu'ils se créent, la loi leur laisse une protection plus que suffisante et j'ai la conviction que si la loi est votée, pas une seule de ces industries ne mourra par suite de la loi.

M. Vermeire. - Messieurs, j'arrive un peu tard dans la discussion, je tâcherai d'être très bref.

Si la nécessité de créer de nouveaux impôts pour couvrir les dépenses permanentes et ordinaires n'était pas évidente, certainement je serais opposé au projet de loi, mais cette nécessité est reconnue et par la Chambre et par M. le ministre des finances.

L'augmentation de l'impôt proposée par le gouvernement produira-t-elle les résultats qu’il en attend ? Je pense, et tout ie momie est d'accord sur ce point, que l'augmentation de recettes ne sera pas proportionnelle à l'augmentation du taux du droit, mais cela tient principalement à ce que l'impôt est établi d'une manière peu rationnelle. Les distillateurs qui travaillent avec des appareils perfectionnés payent un droit moindre, par hectolitre de produit, que ceux qui travaillent avec des appareils moins perfectionnés ; il faudrait, pour asseoir équitablement le droit, pouvoir rétablir sur la quotité des produits obtenus.

(page 1540) En Hollande le droit s'applique, non pas à la matière mise en macération, mais an genièvre que l'on obtient par la distillation ; de cette manière tous les producteurs font l'avance d'uu droit égal et il n'y a pas de prime pour ceux qui perfectionnent leurs appareils. Un distillateur belge, au contraire qui obtient un rendement de 8 litres, ne paye le droit qu'à raison de 26 fr. 25 cent. l'hectolitre ; et un autre qui n'obtient que 6 1/2 litres acquitte de ce chef 32 fr. 30 cent. ; l'écart existant entre ces deux droits constitue en faveur du premier un avantage de près de 25 p. c ; c'est de là, messieurs, que provient l'antagonisme existant entre les petites et les grandes distilleries ; c'est à cause, de cette différence de droits qui frappe extraordinairement les usines de peu d'importance que celles-ci doivent succomber dans la lutte.

Aussi longtemps qu'on ne pourra pas asseoir l'impôt sur le produit obtenu, aussi longtemps nous aurons une mauvaise loi, on sera obligé de la changer à chaque progrès que fera cette industrie.

Mais, messieurs, ce n'est pas tout ; le gouvernement, en dépit des principes de liberté commerciale qu'il professe hautement, accorde ici une prime d'exportation qui est d'autant plus forte que le rendement est plus élevé et que sans exagération on peut calculer à fr. 4-50 au moins l'hectolitre ou 12 à 14 p. c. sur le droit. Pourquoi la distillerie doit-elle être mieux traitée que toute autre industrie ? Pourquoi les primes sont-elles maintenues ici, supprimées ailleurs ?

Maintenant, messieurs, je ne me rends pas bien compte du motif pour lequel le gouvernement refuse d'imposer le genièvre étranger au même droit que le genièvre indigène ; je ne vois pas pourquoi le genièvre hollandais ne payerait pas en Belgique un droit d'accise égal à celui dont on frappe le genièvre indigène.

Il résulte de ce fait que par une loi d'accise, vous changez une loi de douane, et qu'au lieu de laisser une certaine protection à l'industrie indigène, vous l'accordez à l'industrie étrangère, car déduction faite des droits d'entrée sur la différence de l'accise, il y a pour l'alcool étranger une faveur de 96 centimes l'hectolitre ; l'augmentation de l'accise s'élevant à 8 fr. 50 c, et le droit d'entrée, additionnels compris, n'étant que de 7 fr. 54 c.

Je conçois que quand on se proclame libre échangiste on dise à l'industrie indigène : Travaillez aux mêmes conditions que l'étranger. Mais mettre l'industrie nationale dans des conditions d'infériorité vis-à-vis de l'industrie étrangère, c'est franchir les limites de la liberté. Je ne pourrai, messieurs, accorder mon adhésion à la loi qu'à la condition que toutes les boissons alcooliques étrangères payent le même droit que les boissons distillées dans le pays. Je fais une exception en ce qui concerne la France, parce qu'une convention internationale s'oppose à ce que nous élevions le droit.

Une dernière observation. En maintenant la base actuelle de l’impôt je ne me rends pas bien compte de la raison pour laquelle on propose de fixer à 10 p. c. la réduction du droit qui était autrefois de 15 p. c. en faveur des distilleries agricoles.

La réduction de 15 p. c. est motivée, non parce qu'une distillerie est plus agricole que l'autre, mais parce que les petites distilleries ne peuvent pas produire, comparativement aux grandes, dans une proportion plus forte, que la différence de rendement a été constatée devoir être de 15 p. c.

Si M. le ministre des finances peut me démontrer par des faits irrécusables que les petites distilleries ont encore augmenté le rendement dans une proportion plus grande que les grandes distilleries, je concevrais la modification qui nous est proposée ; mais s'il ne peut pas nous faire cette démonstration, les 15 p. c. doivent être maintenus.

Ce ne sera sans doute pas la dernière fois qu'on changera la loi.

Aussi, j'espère qu'à la prochaine modification on trouvera le moyen d'appliquer le droit sur les produits obtenus.

En me parlant de la loi sur le distilleries, une personne me disait, il y a quelques jours, que la loi ne serait juste que lorsqu'on l’aurait appliquée de la manière que je viens de l'indiquer ; que l'on pourrait y parvenir au moyen d'un compteur qui indiquât la spirituosilé et la quantité à obtenir. Aujourd'hui en lisant les diverses pétitions qui nous ont été remises, je vois que déjà, en 1851, on avait fait une proposition semblable à M. le ministre des finances.

Je ne connais pas la personne qui est l'auteur de cette proposition ; mais il me semble que ce compteur, s'il était applicable, serait peut-être un moyen très efficace pour établir équitablement le droit. Je n'indique ce moyen qu'en passant. C'est une question à examiner que je recommande au gouvernement.

M. Loos. - Messieurs, je déplore avec tout le monde cette extrême mobilité qui existe dans nos lois fiscales. Ce n'est pas la première fois que je témoigne le regret de ces remaniements continuels de nos lois fiscales, du préjudice qu'elles ne manquent jamais de causer aux industries qui y sont intéressées.

J'ai donc le même regret à exprimer aujourd'hui, en ce qui concerne la loi sur les distilleries.

En quatre, ans, voilà trois lois au régime desquelles les distilleries sont successivement soumises.

Comment voulez-vous qu'une industrie se perfectionne, se développe, prenne quelque consistance dans le pays, si à chaque instant des lois nouvelles imposent de nouvelles obligations à son système de fabrication ?

Mais, dit-on, le trésor a besoin de ressources, et le genièvre est une matière éminemment imposable. J'en conviens volontiers. Le genièvre est d'autant plus une matière imposable à la consommation que sa consommation dans le pays produit des effets très fâcheux pour la moralité des individus.

Je n'aurais donc aucune objection à faire, s'il ne s'agissait que d'imposer la consommation du genièvre dans le pavs.

Mais si le genièvre est une matière éminemment imposable, on ne peut pas méconnaître non plus que sa fabrication est éminemment utile à l'agriculture ; il faut donc chercher à conserver dans le pays une fabrication aussi importante que possible.

D'un autre côté, si la fabrication du genièvre est utile à l'agriculture, l'exportation de ce spiritueux est aussi indispensable au commerce. Le genièvre forme en général le fond des cargaisons, et en l'absence du genièvre belge, qu'arriverait-il ? C'est que les armateurs du pays devraient prendre du genièvre hollandais ; et ce qui a lieu déjà quelques fois.

Messieurs, il me semble que préalablement au remaniement de la loi, il aurait fallu examiner ce qui constitue l'infériorité de nos distilleries comparées à celles de la Hollande. Nous ne pouvons pas méconnaître cette infériorité. Il résulte des tableaux qui nous ont été fournis et que M. le ministre des finances n'a pas contestés, que la Hollande exporte dix fois plus de genièvre que la Belgique ; il en résulte encore que la Hollande vient fournir à une partie, très faible, si l'on veut, mais, enfin à une partie de notre consommation. C'est là un point capital, et je crois que le législateur avant de modifier la loi devrait s'y arrêter et se demander quelles sont les raisons de cette infériorité.

M. le ministre des finances a dit avec beaucoup de raison que toutes les matières premières employées à la fabrication du genièvre se rencontrent sur le marché belge en plus grande abondance et à des conditions meilleures qu'en Hollande ; telles sont, par exemple, les céréales et le charbon qui forment les principaux éléments de la fabrication. Comment se fait-il donc que la Hollande puisse fabriquer à meilleur marché que nous ?

La réponse à toutes ces questions paraît devoir être celle-ci : c'est que l'industrie en Belgique se trouve dans des conditions d'infériorité qui résultent de la loi. Pour moi, cela est prouvé. Nos industriels, sont certes aussi habiles que les industriels hollandais, nous avons les matières premières et la main-d'œuvre à meilleur compte qu'en Hollande ; pourquoi dès lors ne produisons-nous pas à meilleur compte que les Hollandais ?

Il est donc incontestable que cette infériorité est le résultat de la loi, que la loi est mal combinée et que cette industrie se trouve restreinte dans son développement par les effets de la loi. Cela étant, en même temps que nous recherchons si cette industrie ne peut pas contribuer dans une part plus large aux besoins du trésor, nous devons nous efforcer avec le même soin de la placer dans une condition meilleure que celle où elle s'est trouvée jusqu'ici.

M. le ministre des finances a cru améliorer la situation de cette industrie, en la mettant dans le cas de pouvoir fabriquer de la levure.

Seulement il craint d'avoir fait une concession trop grande, et il ne fait pas jouir de cette faculté, dans toute sa plénitude, les industriels auxquels il l'accorde. Comme l’honorable M. Delehaye vous l'a dit, cette faveur est rachetée par un surcroît d'impôt. S’il eût été bien constaté que c'est la fabrication de la levure qui place les distilleries hollandaises dans des conditions meilleures, j'aurais voulu que, dans ce cas, la faculté de faire de la levure fût accordée à nos distillateurs d'une manière gratuite, c'est-à dire qu'ils ne fussent grevés de ce chef d'aucun surcroît d'impôt.

Mais j'aurais voulu en même temps que le trésor fût mis à l'abri des fraudes qui auraient pu se pratiquer, sous le prétexte de la fabrication de la levure.

Mais en même temps qu'on reconnaît que le fabricant a besoin 48 heures pour fabriquer de la levure dans des conditions favorables, pourquoi lui faire acheter cette faculté ? Je leur aurais dit : Mettez 50 ou 60 heures s'il le faut pour bien fabriquer ; on ne vous fera jamais paver que pour la quantité de genièvre que vous produisez ou que vous êtes censés produire. Et certainement quand j'ai entendu dire qu'il était question d'apporter quelques améliorations au régime des distilleries j'ai pensé qu'on allait dire à nos industriels : Mettez le temps qu'il faut pour fabriquer de bons genièvres à bon marché, vous payerez sur ce que vous produirez, vous ne payerez pas pour ce que vous ne produisez pas ; car notre intention n'est pas d'imposer la levure.

On pourra me dire : Comment contrôler le travail des industriels pour les empêcher de frauder ? J'ai une réponse toute prête qui résulte des lois que vous avez votées.

Vous avez réglé l'industrie des raffineries, pourquoi ne feriez-vous pas une loi qui donne les ménscs facilités aux distillateurs ? Si vous mettez le fabricant belge dans des conditions aussi favorables que le fabricant hollandais, si la législation n'y met pas obstacle, nous aurons avant peu conquis les marchés étrangers, et cette fabrication prendra dans notre pays un deéveloppement aussi utile pour le commerce que pour l'agriculture.

Je sais bien que la fabrication du genièvre en Hollande jouit d'une très grande réputation : nos industriels eurent toujours à lutter contre cette réputation ; mais s'ils peuvent produire à bon marché des genièvres d'une qualité à peu près égale, avec l'activité industrielle et commerciale qui nous distingue, comment ne parviendrions-nous pas à (page 1541) conquérir une place sur les marchés étrangers, dont les besoins sont très considérables ? Quant à la restitution à l'exportation, je ne m'opposerais pas à ce qu'on prît des mesures contre l'abus qu'on pourrait faire des primes. Je ne sais si le montant de l'impôt que l'on voudrait faire produire à cette industrie est fixé à cinq millions.

Si c'est là le chiffre que le gouvernement a arrêté, je ne le contesterai pas, car, comme je le disais en commençant, le genièvre est une matière très imposable ; il est de l'intérêt de la moralité de nos populations que la consommation n'en soit pas favorisée ; je ne chicanerai donc pas sous ce rapport. Si M. le ministre craint que la restitution du droit à l'exportation ne constitue une prime qui viendrait diminuer l'importance de l'accise sur les quantités livrées à la consommation, qu'il fasse pour les distilleries ce que vous avez cru devoir faire à l'égard des raffineries, qu'il détermine le chiffre de l'impôt que la distillerie doit au trésor ; si les industriels prétendent que la restitution qu'ils réclament ne dépasse pas les droits qu'ils ont payés, vous examinerez à la fin de l'exercice ce qui en est en réalité, si les prétentions des industriels sont allées trop loin ; ayant fixé le chiffre de l'impôt que doit produire cette industrie, si cet impôt n'est pas obtenu vous augmenterez le rendement, vous ferez ainsi restituer, par ceux qui ont causé le déficit, la partie des droits qu'ils auraient dû payer.

Je ne trouve pas dans la loi les garanties que j'aurais voulu y rencontrer.

Pour accepter ce nouveau remaniement de la loi, j'aurais voulu pouvoir me dire que c'était pour longtemps le dernier que l'industrie aurait à subir. Quand le gouvernement aurait fixé le produit qu'il attend de l'impôt, j'aurais voulu, pourvu que ce produit fût obtenu, que l'industrie fût mise dans les meilleures conditions pour concourir avec l'industrie étrangère ; c'est vous dire que je ne pourrai voter la loi dans les conditions où elle est présentée.

- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !

M. Verhaegen. - Je demanda la parole sur la clôture.

J'aurais voulu soumettre quelques observations à la Chambre sur la partie de l'article 2 qui concerne les mélasses ; on ne s'en est pas occupé ; si cette question est réservée...

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

M. Verhaegen. - Dans ce cas je ne m'oppose pas à la clôture.

M. Frère-Orban. - Je demande la permission d'adresser une question à M. le ministre des finances. La voici :

M. le ministre persiste-t-il dans la partie du projet de loi relative à la prime qui a coûté 500,000 fr. au trésor ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Oui, j'y persiste.

- La clôture est mis aux voix et prononcée.

M. le président. - Le gouvernement propose de fixer le droit à 2 fr. 10 c.

La section centrale propose de substituer à ce chiffre celui de 1 fr. 50 c.

Le chiffre le plus élevé est mis aux voix.

- Un grand nombre de membres demandent l'appel nominal.

Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

85 membres sont présents.

4 membres (MM. Boulez, de Mérode-Westerloo, de Theux et Lebeau) s'abstiennent.

79 membres prennent part au vote.

31 votent pour l'adoption.

48 votent contre.

La Chambre n'adopte pas.

Ont voté pour l'adoption : MM. Moreau, Orts, Pierre, Pirmez, Ch. Rousselle, Tesch, Thiéfry, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt. Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Vermeire, Vilain XIIII, Visart, Clep, Closset, de Brouwer de Hogendorp, de Haerne, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Royer, de T'Serclacs, Julliot, Lange, Laubry, Le Hon, Lejeune, Lesoinne, Magherman et Delfosse.

Ont voté contre : MM. Maertens, Manilius, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moxhon, Osy, Rodenbach, Rogier, Ad. Roussel, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Ansian, Brixhe, Coomans, Coppieters 't Wallant, Dautrebande, David, H. de Baillet, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, Delehaye, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Renesse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, de Steenhault, de Wouters, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Landeloos, Lelièvre et Loos.

M. le président invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur abstention.

M. Boulez. - J'ai fait connaître dans la discussion générale les motifs pour lesquels je n'ai pas voté pour le projet. Je n'ai pas voté contre à cause de la situation de nos finances.

M. de Mérode-Westerloo. - Je n'ai pas voté l'augmentation du taux de l'impôt, parce que je crains qu'elle n'entraîne la ruine des distilleries agricoles qui subsistent encore.

Je n'ai pas voté contre, parce que je ne suis pas opposé en principe à l'augmentation des droits sur les distilleries.

M. de Theux. -D'une part j'aurais désiré que les distilleries produisissent davantage comme en Hollande. D'autre part, je ne suis pas rassuré contre les conséquences pratiques de la loi, et j'ai craint qu'une révision prochaine ne fût encore nécessaire et n'apportât un nouveau trouble dans l'industrie des distilleries.

M. Lebeau. - J'ai constamment voté pour les augmentations successives qu'a subies l'accise sur les eaux-de vie, car j'y trouve une matière très imposable, et parce que l'état de nos finances appelle de nouvelles ressources. J'ai voté ainsi, même au risque de diminuer la consommation.

J'aurais voté l'augmentation demandée aujourd'hui, si je n'avais craint que par suite des conventions internationales qui nous lient, la loi n'eût favorisé l'entrée des eaux-de-vie étrangères aux dépens de l'industrie indigène, sans profit pour le trésor public. Cela devenait ainsi à mes yeux une inutile tracasserie.

Retrait du projet

M. le ministre des finances (M. Liedts). - L'article 2 n'ayant pas été adopté par la Chambre, je suis autorisé par le Roi à retirer le projet de loi et à y substituer le projet de loi suivant :

Projet de loi relatif à la distillation des mélasses et autres substances saccharines

Dépôt

« Article unique. Le terme fixé par l'article 10 de la loi du 9 juin 1853 (Moniteur, n°172) concernant la distillation des mélasses et autres substances saccharines est prorogé jusqu'à la fin de la session 1854-1855. »

- La Chambre donne acte à M. le ministre des finances du retrait du projet de loi et de la présentation de ce projet qu'elle renvoie à la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les distilleries.

- La séance est levée à 4 heures et demie.