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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 23 novembre 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 107) M. Maertens fait l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Dumon lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Plusieurs blessés de septembre prient la Chambre d'augmenter en leur faveur l'allocation portée au budget de l'intérieur, à titre de subside, au fonds spécial des blessés de septembre. »

- Sur la proposition de M. Rodenbach, renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget de l'intérieur.


« Les sieurs Bourdier et Desforge demandent la canalisation directe de Turnhout à Anvers par Saint-Job et l'abolition de l'impôt communal sur les vidanges. »

-Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vereecken, cabaretier à Grimbergen, demande un secours pour l'aider à supporter les frais d'entretien d'un enfant placé chez lui et dont la mère est partie pour l'Amérique. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Tamise prie la Chambre d'adopter le projet de loi sur les denrées alimentaires et d'étendre au seigle, au froment et aux alcools la prohibition à la sortie des pommes de terre et de leur fécule. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion des projets de loi relatifs aux denrées alimentaires et aux eaux-de-vie.


« Plusieurs habitants de Rumbeke demandent la prohibition à la sortie des céréales et des autres denrées alimentaires. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif aux denrées alimentaires.


« Le conseil communal de Zele prie la Chambre de décréter la libre entrée du bétail, des grains, des farines et de toute autre substance alimentaire, d'en prohiber la sortie, de maintenir dans le pays tous les objets de consommation ménagère, d'interdire la distillation des céréales et de toute substance farineuse et défendr .la sortie des produits de cette distillation. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Tirlemont demandent la prohibition à la sortie des céréales, des farines, des fécules de pommes de terre et du bétail, et une loi portant que le marché des céréales doit avoir lieu partout le même jour et à la même heure. »

- Même décision.


« Par deux pétitions, plusieurs habitants de Molenbeek prient la Chambre de décréter la libre entrée à perpétuité des denrées alimentaires énumérées dans le projet de loi du gouvernement en y comprenant le riz ; de supprimer toute décharge à l'exportation des eaux-de-vie indigènes et d'examiner s'il n'y a pas lieu de prendre des mesures pour prohiber temporairement la sortie des grains, soit en nature, soit distillés. »

« Même demande d'un grand nombre d'habitants d'Anderlecht. »

« Même demande d'un grand nombre d'habitants de Bruxelles, signataires de vingt-sept pétitions. »

« Même demande de plusieurs habitants d'Uccle. »

« Même demande d'un grand nombre d'habitants de Saint-Gilles-lez-Bruxelles, signataires de deux pétitions. »

- Même décision.


« Par dépêche du 21 novembre, M. le ministre de la justice transmet à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, une demande de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Par dépêche du 11 novembre, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre deux exemplaires des livraisons 7 à 9 du tome II des Annales de la commission royale de Pomologie. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« Par dépêche du 21 novembre, la cour des comptes adresse à la Chambre un cahier d'observations relatif au compte définitif de 1851 et à la situation provisoire de 1852. »

- Ce document sera imprimé et distribué.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 3

M. le président. - La discussion continue sur le paragraphe 3.

La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, j'ai à répondre aux deux honorables membres qui hier ont pris la parole en dernier lieu et qui ont adressé plusieurs questions au gouvernement. Cependant pour ne pas prolonger inutilement le débat, je me permettrai de demander à l'honorable M. Verhaegen qui lui-même a annoncé l'intention de poser des faits et d'adresser des interpellations, s'il ne serait pas d'avis de le faire dès à présent, afin que je n'aie à répondre qu'une fois.

M. Verhaegen. - Je n'ai pas d'interpellations à faire. M. le ministre nous a dit qu'il allait renverser d'un seul souffle toutes les accusations, je l'attends et je me suis fait inscrire pour lui répondre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, dans votre séance d'hier, la convention d'Anvers a été l'objet d'observations présentées à un point de vue général. On l'a examinée dans ses rapports avec la Constitution et avec la loi organique du 1er juin 1850.

Nous avons aujourd'hui, messieurs, à l'examiner dans ses rapports avec l'exécution que la convention a reçue relativement aux divers établissements d'instruction publique. C'est ici que nous avons à rencontrer les griefs articulés à la charge du gouvernement et qui ont porté un honorable représentant à déclarer publiquement qu'il avait été trompé par le ministère.

Mais auparavant un seul mot pour répondre à l'honorable M. Orts, à l'impartialité duquel je me plais à rendre un hommage mérité. L'honorable membre, avant de présenter des observations sur des faits particuliers qui intéressent le bureau administratif de l'athénée de Bruxelles, a expliqué la signification qu'il entendait donner au vote du 14 février. J'ai déjà, messieurs, répondant à un autre orateur, fait allusion moi-même à la manière dont ce vote me semblait devoir être compris. Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. Orts que ce n'est pas une approbation explicite donnée au règlement d'Anvers que le vote du 14 février comporte, mais que c'est une approbation de la marche suivie par le gouvernement dans ses négociations avec le clergé.

Messieurs, à mes yeux il est parfaitement indifférent que cette approbation ait été donnée en une forme explicite ou qu'elle résulte de l'assentiment général que la conduite du gouvernement a rencontré dans cette Chambre.

Nous sommes donc d'accord sur le sens qu'il faut attribuer au vote. Je pense que la Chambre ne consentira pas à en laisser amoindrir les effets ; ce qui ne veut pas dire que nous reculions le moins du monde, ainsi que je l'ai déjà fait entendre, devant les explications qui nous seront demandées.

Maintenant voyons la convention d'Anvers mise en pratique. Les explications à donner seront utiles au dehors de cette enceinte pour détruire beaucoup de préventions, pour dissiper les nuages qu'on semble avoir pris plaisir à accumuler sur les actes d'exécution que le gouvernement a posés, afin de détourner les conseils communaux de donner leur assentiment à la marche indiquée par le gouvernement.

On demande d'abord, messieurs, pourquoi le clergé n'intervient pas dans tous les établissements, puisque l'accord s'était établi au mois de février dernier entre lui et le gouvernement ? Il doit y avoir, dit-on, à son abstention des motifs secrets sur lesquels le gouvernement n'a pas jugé à propos de s'expliquer au mois de février dernier.

Messieurs, je rappellerai à la Chambre que les arrangements proposés au clergé et acceptés par lui sont fondés sur les principes d'une liberté réciproque absolue, c'est-à-dire qu'alors même que les bases de l'arrangement et de l'intervention du clergé ont été réglées de commun accord, le gouvernement comme le clergé se trouvent encore libres, l'un pour réclamer le concours, l'autre pour le donner.

Le clergé est parfaitement libre de dire : Ici j'interviens ; là je ne crois pas pouvoir intervenir.

Il n'est donc pas nécessaire de recourir à la supposition gratuite dt conditions secrètes qui n'ont jamais existé, et qui n'existeront jamais, parce que, entre le gouvernement et le clergé, comme entre le gouververnement et la Chambre, il ne peut y avoir que des rapports officiels et clairement définis.

Mais, messieurs, indépendamment de cette considération qui repose sur le principe même de l'arrangement, et qui répugne à l'idée de conditions secrètes, voyons les faits ; c'est toujours la meilleure manière de résoudre les doutes.

Eh bien, le clergé a-t-il montré, dans l'exécution à laquelle le gouvernement a procédé, des prétentions exorbitantes ? A-t-il montré des répugnances pour tel ou tel établissement ? A-t-il surtout posé des conditions en, dehors de celles qui doivent servir de règle pour déterminer le concours du clergé ?

Voyons, messieurs, ce qui s'est passé.

Prenons Anvers pour exemple.

L'athénée d'Anvers est un établissement dans lequel il existe des professeurs appartenant à des cultes divers, il y a des protestants, il y a des Israélites, il y a des catholiques. Eh bien, pensez-vous que le clergé a fait la moindre résistance à la demande de concours qui lui a été adressée pour intervenir à l'athénée d'Anvers ? Pas le moins du monde : (page 108) le cardinal-archevêque, invité par le gouvernement à déclarer s'il intervenait ou s'il n'intervenait pas dans l'athénée d'Anvers, a répondu sur-le-champ : qu'il consentait à donner l'enseignement religieux à l'athénée ; premier fait qui prouve qu'il n'existe pas de ces prétentions exorbitantes en dehors des conditions officielles, prétentions qui affecteraient le personnel de nos établissements.

Je prends un autre exemple qui est caractéristique sous d'autres rapports.

Liège est une ville où les idées libérales sont vives et générales ; le corps professoral de l'athénée de Liège vit dans une atmosphère où sans doute on n'a pas l'habitude de fléchir le genou devant les prétentions exorbitantes du clergé. Liège peut donc être considéré comme la pierre de touche de la répugnance que le clergé pourrait éprouver à entrer dans un établissement au point de vue de telle ou telle situation du personnel.

Eh bien, le clergé est invité à donner son concours à l'athénée de Liège, et à l'instant même le chef du diocèse répond qu'il est prêt à l'accorder.

Namur, Arlon, possèdent aussi des athénées. Le concours est demandé au chef du diocèse pour ces deux athénées, et le chef du diocèse répond qu'il consent à y donner l'enseignement religieux.

Apercevez-vous dans cette conduite l'indice de conditions secrètes, de prétentions exorbitantes ? Maintenant j'arrive à un athénée qui a été l'occasion d'une émotion très vive ; je dois une réponse aux observations qui ont déjà été présentées et qui le seront probablement encore aujourd'hui.

C'est à Bruxelles, dit-on, que s'est révélé d'une manière incontestable cet esprit d'envahissement du clergé, d'influence occulte ; c'est ici que s'est révélé ce fait, soupçonné depuis longtemps, qu'il existait, en dehors des conditions officielles portées à la connaissance de la Chambre, des conditions secrètes qui pouvaient, dans un cas déterminé, amener une rupture entre le gouvernement et le clergé.

Le règlement relatif à l’enseignement religieux a été porté à la connaissance du bureau administratif de l'Athénée de Bruxelles ; le bureau l'a discuté, et dans le cours de la discussion, ce collège s'est demandé ce qui arriverait de l'enseignement des élèves non catholiques et quelles mesures il y avait à prendre pour leur donner les mêmes garanties qu'aux élèves catholiques ; il s'est demandé en second lieu comment seraient respectés les droits du père de famille qui voudrait dispenser son fils de la fréquentation du cours religieux. Le bureau se disposait à introduire dans son règlement des garanties pour ces deux objets ; le gouvernement en a eu connaissance ; il a exposé au bureau que les mesures dont il s'agissait avaient été l'objet de dispositions arrêtées par l'autorité supérieure en dehors du règlement ; que ces garanties existaient en vertu d'actes spéciaux qui avaient le même caractère officiel et la même valeur que le règlement.

Il a ajouté que dès l'origine de la négociation avec le clergé, il avait été reconnu que le règlement auquel le clergé devait donner son approbation, ne pouvait pas stipuler à la fois pour les élèves catholiques, et pour les élèves d'autres religions ; que c'était là le motif pour lequel on avait eu recours à une disposition particulière en faveur de l'enseignement à donner aux élèves des cultes dissidents, et que ces mesures ayant un caractère aussi officiel, ayant la même valeur que le règlement, étaient, dans l'opinion du gouvernement, suffisantes pour protéger tous les intérêts ; que, d'un autre côté, il y avait un obstacle réel à l'insertion de ces dispositions spéciales dans le règlement, parce que cette insertion avail eté indiquée, dès le principe, comme la difficulté principale, en ce qu'elle équivalait à l'établissement d'écoles mixtes, et que le caractère mixte d'une école était un empêchement absolu pour le clergé de donner son concours.

Qu'a fait le bureau ? Frappé des observations qui lui avaient été présentées et qui, en définitive, n'établissaient entre lui et le gouvernement qu'une difficulté de forme, le bureau déclare dans son procès-verbal que les mesures proposées par le gouvernement, offrant la même garantie que le règlement lui-même, il consentait à retrancher de ce règlement les dispositions dont il s'agit.

C'est ici le lieu de répondre à des observations présentées par l'honorable M. Orts.

Après avoir fixé le sens de l'ordre du jour du 14 février, l'honorable membre a déclaré qu'il voterait encore cet ordre du jour, si les explications données le 14 février étaient demeurées intactes. Il a ajouté qu'il soupçonnait, d'après ce qui s'est passé au bureau administratif de Bruxelles, que des complications nouvelles sont survenues depuis le mois de février ; et il suppose que la difficulté signalée par le ministre de l'intérieur au bureau administratif de l'athénée de Bruxelles est un obstacle suscité par le clergé pour refuser son concours à l'athénée de Bruxelles. Messieurs, c'esl une erreur.

La difficulté se rattache à l'existence des écoles mixtes. Elle a été signalée, sous l'ancien cabinet comme sous le cabinet actuel, comme un obstacle absolu à l'intervention du clergé. Pour le clergé, intervenir là où il existe plusieurs enseignements religieux ou donner son approbation à un règlement qui les garantit simultanément, c'est la même chose.

En présence de cet obstacle le gouvernement a dû chercher, en dehors du règlement un moyen officiel de garantir les intérêts divers engagés dans la question de l'enseignement religieux, et il l'a fait par un acte séparé qui a été publié avec les autres documents fournis à la Chambre.

Cet acte garantit à la fois l’enseignement des élèves non catholiques et les droits des pères de familles à l'égard de la dispense de fréquentation des cours de religion par leurs enfants.

Rien n'a été tenu secret à cet égard, et le gouvernement a déclaré, tant dans la séance du 14 février, que dans ses explications postérieures de quelques jours au Sénat et dans son rapport au Roi, accompagnant le règlement officiel soumis à l'approbation de Sa Majesté, que telle serait la marche suivie par le gouvernement, à savoir : que le règlement sur l'enseignement religieux des catholiques ne s'occuperait que des catholiques, mais qu'en dehors de ce règlement, le gouvernement prendrait des mesures pour assurer aux élèves non catholiques l'enseignement religieux auquel ils ont droit, et pour garantir aux parents le droit de dispenser leurs enfants de suivre le cours de religion.

Permettez-moi une citation empruntée à la séance du 14 février, à la page 642 des Annales parlementaires : Répondant à l'observation relative aux élèves non catholiques, je disais que :

« Ce règlement avait pour but d'écarter les difficultés relatives aux écoles mixtes. Il n'y a plus d'écoles mixtes possibles, dès l'instant que l'on adopte comme règle que l'enseignement religieux donné dans l'établissement sera celui de la religion professée par la majorité des élèves. »

El plus loin à la page 728, le gouvernement explique nettement la manière dont il a procédé.

Je répondais en ces termes à un honorable membre qui m'interpellait sur les garanties dont je viens de parler et qui demandait si le clergé avait été averti de l'existence de ce règlement : « Le gouvernement n'a qu'une règle de conduite : c'est la loi et la franchise en toutes choses ; il a voulu que de l'absence de ces garanties formelles dans le règlement il ne pût y avoir prétexte de doute pour personne sur la manière dont le règlement serait exécuté. »

Quels étaient les moyens d'exécution que le gouvernement se réservait d'appliquer, le cas échéant ? C’était l'enseignement religieux pour les élèves non catholiques, en dehors de l'établissement, et le respect des droits du père de famille réclamant la dispense de l'enseignement religieux pour son fils.

Voilà ce qui a été dit dans la séance du 14 février.

Maintenant voulez-vous savoir en quels termes la même question a été résolue dans la séance du 8 mars ?

Au Sénat, un honorable sénateur qui était membre du bureau administratif de l'athénée de Bruxelles demandait au ministre de l'intérieur pourquoi ces deux mesures n'étaient pas indiquées dans le règlement, et le ministre a répondu qu'elles n'ont pas été indiquées dans le règlement parce que ce règlement ne s'occupe que des élèves de la majorité, c'est-à-dire de ceux qui professent le culte catholique, et qu'il est inutile qu'un pareil règlement stipule pour les élèves d'autres cultes. Ceux-ci ont leurs droits garantis par des stipulations spéciales également obligatoires et officielles.

Enfin dans le rapport au Roi qui a précédé l'approbation du règlement d'Anvers, le gouvernement s'exprimait en ces termes sur cette question : « Par les explications auxquelles je viens de faire allusion, et qui ont été publiées dans les documents parlementaires, il a été établi que, bien que le règlement ne s'occupe pas des élèves non catholiques, ceux-ci recevront, s'il y a lieu, l'enseignement religieux par les ministres de leur culte respectif. Des mesures seront prises par le gouvernement pour que cet enseignement leur soit donné en dehors de l'établissement.

« Il a été également entendu que l'article premier du règlement de l'athénée, et l'artocle 6 du règlement de l'école moyenne seront exécutés de manière à ne porter aucune atteinte à l'article 15 de la Constitution. »

Ces explications prouvent que les souvenirs de l'honorable membre ne sont pas exacts lorsqu'il énonce que le gouvernement n'a pas expliqué la position des élèves non catholiques, lors du vote du 14 février, de la même manière qu'il l'a fait depuis.

En présence des explications données au bureau administratif, ce collège est revenu sur sa première résolution, et il a admis une disposition qui supprimait dans le règlement la double garantie dont il s'agit, sauf à la reporter dans un acte spécial qui aura la même force que le règlement.

L'honorable M. Orts, dans ses observations d'hier, ajoutait aux réflexions qu'il avait d'abord soumises à la Chambre ce qui suit : « Ce n'est pas tout. Le bureau consent, plus soucieux des choses que des mots, à diviser son règlement en deux volumes, au lieu de n'en avoir qu'un. Conciliant jusqu'à l'extrême limite, il n'exige l'approbation du clergé que sur l'un des volumes, et ne réclame qu'un droit, celui de les publier simultanément. Le clergé recule. »

Messieurs, le moyen indiqué par le bureau administratif ne souffre, dans l’exécution, aucune difficulté. Ce n'est autre chose que le moyen adopté par le gouvernement et stipulant la garantie des droits que j'ai indiqués. Ce n'est autre chute que l'exécution des propositions qui avaient été faites par le gouvernement au bureau administratif lui-même.

Ainsi sous ce rapport, l'esprit de conciliation du bureau a complètement atteint son but.

Mais, dit l'honorable membre auquel je réponds, le clergé recule. Messieurs, ce n'est pas, je le répète, sur ce point que le clergé recule ; (page 109) il n'y a pas de difficultés possibles avec le clergé sur ce point, parce que les deux mesures prises par le gouvernement ne regardent pas le clergé. Cela lui est complètement étranger et il l'a reconnu formellement. Mais, demande-t-on, pourquoi donc la négociation avec le bureau administratif de Bruxelles a-t-elle avorté ? Messieurs, ceux qui me font cette question, et la Chambre en général, je pense, savent fort bien de quelle nature sont les motifs qui ont empêché le concours du clergé à l'athénée de Bruxelles.

Je ne serais pas entré, messieurs, dans les détails auxquels je vais me livrer, parce qu'ils ont un caractère personnel, si je n'étais pas condamné par la position qu'on a faite au gouvernement tant en dehors de cette enceinte que dans ces débals mêmes, à le justifier des reproches qui lui ont été adressés.

Au surplus, l'incident dont il s'agit a fait beaucoup de bruit, il a été pendant quatre mois entiers le thème sur lequel on s'est étendu pour représenter le gouvernement comme un esclave soumis à toutes les exigences du clergé. Il est temps que l'on en finisse avec toutes ces déclamations et que la vérité se fasse jour. Vous m'excuserez d'autant mieux d'entrer dans ces explications, que le gouvernement, que l'on attaque, ne peut pas se défendre par les journaux. Il ne doit compte de sa conduite qu'aux représentants de la nation. Je vais donc m'expliquer devant vous avec une entière franchise.

L'incident auquel on a fait allusion concerne un professeur de l'athénée de Bruxelles. On a parlé du déplacement de ce professeur et de la pression que le gouvernement avait exercée sur sa personne à cette occasion.

Messieurs, vous allez voir que si ce professeur doit être un jour déplacé, l'initiative de son déplacement n'appartiendra ni au clergé ni au gouvernement.

Je commence par constater un fait : c'est que le cours dont ce professeur est chargé à l'athénée ne touche ni de loin ni de près aux doctrines du clergé. Il enseigne tout modestement le droit commercial. Je constate ce fait, pour démontrer qu'il n'est pas présumable que le clergé ait eu à se préoccuper le moins du monde de la manière dont cet enseignement du droit commercial était donné à l'athénée de Bruxelles. Mais, messieurs, ce professeur, qui est un savant très distingué, a livré au public, dans des temps antérieurs, des ouvrages philosophiques qui ont eu un certain retentissement. Ces ouvrages ont encouru la disgrâce de la censure romaine.

J'avoue que cela importe fort peu au gouvernement, mais cette situation explique la difficulté de faire donner l'enseignement religieux à l'alhénée de Bruxelles aussi longtemps que ce professeur ferait partie de son personnel. Il est notoire pour tout le monde qu'il en résulte une impossibilité réelle.

Or, ce professeur qui est en même temps attaché à l'université de Bruxelles, a pensé, depuis un certain temps, que ses intérêts réclamaient un changement de position, et il a fait des démarches pour entrer dans l'enseignement supérieur de l'Etat.

On conçoit sans peine que l'avenir de ce professeur et celui de sa famille sont intéressés à ce qu'il arrive à une chaire dans l'une des universités de l'Etat. Personne ne peut blâmer un désir aussi légitime, et la distinction de l'homme dont il s'agit justifie d'ailleurs la démarche qu'il a faite tant sous l'ancien cabinet que sous le ministère actuel ; mais il a été impossible jusqu'à présent d'y avoir égard.

Survint alors la question de l'enseignement religieux à introduire à l'athénée de Bruxclles, en exécution de l'arrangement fait avec le clergé.

Connaissant l'obstacle, le gouvernement crut qu'il était de son devoir de chercher à l'écarter par des moyens honorables et sans porter aucune atteinte aux intérêts de l'homme qu'il s'agissait de déplacer.

En conséquence, il lui fit offrir une position provisoire dans l'enseignement qui se donne au Musée, en attendant qu'il pût être placé dans l'instruction supérieure.

Le gouvernement fit choix pour intermédiaire d'un homme qui a beaucoup de bienveillance pour le professeur et dont le caractère est à l'abri de toute espèce de suspicion ; le choix du gouvernement se porta sur l'honorable bourgmestre de la capitale qui est président du bureau administratif et, comme tel, initié à tous les besoins de l'athénée, et qui a aussi, comme je viens de le dire, accordé un bienveillant patronage au professeur dont il s'agit.

L'honorable bourgmestre de Bruxelles fit part au professeur de l'intention où était le gouvernement, de lui confier, au Musée, une chaire dans laquelle ses vastes connaissances pourraient se déployer sur un plus grand théâtre ; il eut soin d'ajouter que cette offre lui était faite en dehors de toute espèce de contrainte, qu'il était parfaitement libre de l'accepter ou de la refuser ; qu'elle avait pour but à la fois d'écarter un obstacle qu'il savait, lui, exister à l'introduction de l'enseignement religieux à l'athénée de Bruxelles, et de répondre à la demande qui avait été adressée par ce professeur au gouvernement.

L'honorable professeur se montra d'abord disposé à entrer dans une voie qu'il semblait lui-même avoir ouverte ; mais après avoir pris l'avis de quelques-uns de ses amis, sur le conseil même que lui donna l'honorable bourgmestre, il refusa l'offre qui lui était faite, et le gouvernement l'a laissé à sa place.

Messieurs, voilà ce qui s'est passé à l'athénée de Bruxelles. Est-ce là de la pression exercée sur un professeur ? Est-ce là se jeter aux pieds du clergé pour lui faciliter son concours à l'athénée de Bruxelles ? Je déclare que le clergé n'a pas eu à s'occuper de l'enseignement de ce professeur, car il est étranger aux doctrines du clergé ; mais la cause de son abstention en présence du professeur dont il s'agit tient à des motifs que j'ai ci-dessus signalés. Quoi qu'il en soit, le gouvernement croit avoir rempli dans cette circonstance un devoir rigoureux, en ce sens qu'il a cherché par des voies honorables à exécuter une loi de l'Etat.

Messieurs, j'arrive à d'autres griefs qui ont donné lieu à des interpellations dans la séance d'hier. Ainsi, par exemple, l'honorable M. Prévinaire, après avoir rappelé les observations qui avaient été présentées par l'honorable M. Orts, pose des questions à son tour ; il dit notamment que le gouvernement a exercé une pression sur les conseils communaux, qu'il n'a pas respecté en cela la liberté dont il avait fait profession vis-à-vis d'eux, dans la séance du 14 février ; l'honorable M. Prévinaire cite l'exemple de ce qui s'est passé à Liège ; le conseil communal de Liège n'aurait pas été libre dans ses délibérations.

Messieurs, le conseil communal de Liège n'a pas eu à s'occuper du règlement relatif à l'enseignement religieux, par la meilleure de toutes les raisons, c'est qu'il ne devait pas lui être soumis dans l'état d'instruction où cette affaire se présentait. Avant de soumettre un règlement au conseil communal, il fallait être certain du concours du clergé : c'est la marche tracée par les documents qui ont constitué l'arrangement dit d'Anvers. Or, à la suite des modifications essentielles que le bureau administratif de l'athénée de Liège avait introduites dans le projet de règlement, le concours du clergé, du moins pour le moment, devenait impossible et le chef du diocèse n'a pas tardé à le faire connaître au gouvernement. Le gouvernement devait-il alors permettre que le conseil communal de Liège se saisît à son tour d'un règlement qui ne pouvait plus sortir aucun effet ? Comment faire un grief au gouvernement d'avoir empêché une démarche qu'on aurait qualifiée justement d'inutile, tant pour le gouvernement que pour le conseil communal ? En effet, il faut avoir oublié la teneur des actes qui composent l'arrangement avec le clergé pour faire d'une observation de cette nature la matière d'un grief au gouvernement.

L'honorable M. Prévinaire pose d'autres questions :

« Le concours du clergé, dit-il, serait-il acquis à la généralité des établissements d'enseignement moyen de l'Etat, si le règlement d'Anvers, tel qu'il a été interprété, expliqué par le bureau administratif et complété par un échange d'explications entre le gouvernement et l'épiscopat, en vue de garantir l'un des principes constitutionnels, pouvait recevoir une application générale, par le fait de la libre appréciation des conseils communaux ? »

Eh bien, cette question démontre l'oubli le plus complet de la marche de la négociation ; la négociation repose sur ce principe que l'application de l'article 8 de la loi aux établissements d'instruction est partielle ; on procède par établissement. Un autre principe, également admis, c'est qu'à l'égard de chacun des établissements, le clergé, quoiqu'il ait adopté les bases principales de la négociation, est parfaitement libre de dire : j'interviens ou je n'interviens pas.

Le gouvernement ne peut donc pas s'engager à appliquer d'une manière générale le concours du clergé à tous les établissements, alors même que le clergé aurait obtenu l'assurance que le règlement dont il s'agit serait approuvé. C'est encore à son libre arbitre qu'on est obligé de s'adresser, et cela par l'excellente raison que vous savez tous, c'est que le clergé dans notre pays est parfaitement libre de donner ou de ne pas donner l’enseignement religieux.

« Les réponses du cabinet, dit encore l'honorable M. Prévinaire, démontreront si la situation n'a pas en réalité changé depuis le 14 février. »

Je viens de faire connaître qu'elle n'avait pas changé d'une ligne, puisque, d'une part, le clergé intervenait là où il croyait pouvoir donner son concours, et que, d'autre part, aucune condition nouvelle, en dehors de celles qui étaient posées dans l'arrangement primitif, n'avait été mise en avant par le clergé. Je dois à cet égard me borner à répéter qu'il n'y a pas de conditions occultes ; qu'il n'existe aucune espèce d'engagements pris par le gouvernement en dehors de ceux qui ont été portés à la connaissance officielle de la Chambre et du Sénat.

Autre grief, messieurs, les bureaux administratifs n'ont pas été renouvelés à l'époque fixée par la loi. Le ministre de l'intérieur se joue, dit-on, de la loi, il se joue des explications données dans cette Chambre et desquelles résultait que dans aucun cas les principes de la loi ne seraient méconnus... J'ai déjà eu l'honneur de dire dans une autre enceinte pourquoi les bureaux administratifs n'ont pas été renouvelés le 1er janvier. A cette époque, nous étions en voie d'arrangement avec le clergé ; une des conditions de l'arrangement était qu'un membre du clergé serait porté sur la liste de candidats, à présenter au gouvernement par le conseil communal pour la formation du bureau administratif. Est-ce que le gouvernement pouvait se fermer la voie à l'exécution de l'arrangement qu'il avait fait avec le clergé ?

Mais il n'y aurait pas eu assez de blâme à lui infliger s'il avait compromis ainsi d'une part l'exécution de l'article 8 de la loi, et d'autre part, l'arrangement qu'il venait de conclure.

Voilà, messieurs, à quoi se réduisent les faits articulés dans cette enceinte contre la conduite du gouvernement. Je ne parle pas de ces faits généraux qui sont, par leur généralité même, insaisissables, de ces critiques qui se bornent à représenter la conduite du gouvernement comme étant en opposition formelle avec les textes de la loi et de la Constitution, en opposition avec tous ses devoirs.

(page 110) Des généralités de ce genre ne se discutent pas, je me borne à les livrer à l'appréciation de la Chambre.

En résumé, messieurs, la convention d'Anvers, appliquée conformément à son esprit, respecte d'une manière absolue la liberté et l'indépendance des conseils communaux ; je défie de citer un seul fait qui prouverait que dans quelques circonstances que ce soit, le gouvernement ait porté la moindre atteinte à l'indépendance des communes au sujet de la convention d'Anvers.

La liberté des communes est absolue ; les communes peuvent, jusqu'au dernier moment, ne pas accepter, si tel est leur bon plaisir, les bases que le gouvernement leur a proposées pour la formation du bureau administratif.

J'ai entendu demander si lorsque le bureau administratif aurait adopté un règlement, lorsque le conseil communal lui-même se serait montré favorable aux principes du règlement, si le conseil communal serait encore libre de ne pas comprendre un ecclésiastique parmi les candidats qu'il doit présenter au gouvernement. Cette question m'a été faite ici et j'y réponds que jusqu'au dernier moment les conseils communaux demeurent libres de faire ce qu'ils jugent convenable dans l'intérêt de l'enseignement. Peu importe qu'ils aient ou qu'ils n'aient pas admis préalablement la convention d'Anvers.

M. Manilius. - Mais si l'on est fatigué de la convention, comment pourra-t-on la faire cesser ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il n'y a rien de plus simple ; la loi a prévu le cas : les bureaux doivent être renouvelés au bout de trois ans ; eh bien, à chaque époque triennale, les conseils communaux seront parfaitement libres de ne plus comprendre l'ecclésiastique parmi les candidats à proposer au gouvernement. Voilà comment finit la convention. (Interruption.)

On nous dit : Il faut le garder trois ans. Je ne pense pas que cette réflexion soit sérieuse, car, enfin, les conseils communaux savent fort bien qu'il ne s'agit pas ici d'un jeu, qu'il s'agit de l'enseignement religieux, que la loi rend obligatoire, ainsi que de la prospérité de nos établissements d'instruction publique, et quand un conseil communal, après mûre délibération, aura décidé qu'il faut faire entrer un membre du clergé dans le bureau administratif, il est vraisemblable que ce corps administratif aura voulu poser un acte sérieux et utile, et qu'il ne s'en repentirait pas avant trois ans. (Interruption.) L'établissement ne sera pas ruiné parce que l’ecclésiastique, lui onzième membre du bureau, ne serait pas d'accord avec ses collègues. (Nouvelle interruption.)

On dit qu'il peut y avoir des conflits ; sans doute, cela peut arriver partout, mais de deux choses l'une, ou ces conflits ne portent que sur des points secondaires, et alors il sera facile de les faire cesser ; ou bien le conflit sera de telle nature, que le clergé croira ne pas pouvoir continuer à accorder son concours ; et dans ce cas le clergé est parfaitement libre ; il se retire. Mais on craint pour l’établissement les conséquences de cette retraite du clergé. Eh bien, si le smotifs pour lesquels le clergé se retire sont des motifs avouables, le conseil communal se gardera bien de les laisser subsister. Si au contraire ces motifs ne sont pas fondés, alors les pères de famille prononceront en dernier ressort entre le clergé et le conseil communal. Sous ce rapport il n’y a donc aucune espèce de crainte à concevoir pour l’établissement en présence de toutes les garanties dont je viens de parler.

Messieurs, vous venez d'entendre rappeler la série des griefs reprochés au gouvernement, ainsi que les observations que j'ai eu l'honneur de présenter pour les détruire. N'est-il pas démontré, messieurs, que ces griefs ne résistent pas à une discussion sérieuse ? Ne sommes-nous pas autorisés à dire que l'on fait au gouvernement un véritable procès de tendance ?

C'est bien moins ce qu'il a fait que ce qu'on lui reproche de pouvoir faire un jour qui fait l'objet des récriminations. Des faits précis, je le répète, il n'y en a pas ; des preuves, il y en a moins encore.

Au fond, qu'est-ce qu'on a fait depuis quatre mois ? Quel a été le but de toutes ces attaques ? Messieurs, il doit m'être permis de le dire, c'est de l'agitation qu'on a voulu faire. On a voulu détruire l'accord établi entre le gouvernement et le clergé sur une question capitale pour le pays. On a voulu empêcher les conseils communaux de suivre l'exemple du conseil communal d'Anvers. On a voulu, par des excitations de tous les instants, épouvanter les conseils communaux sur des dangers qui menaceraient leur indépendance, l'indépendance de leurs professeurs. On pense y être parvenu pour quelques-uns ; mais le temps et la réflexion feront justice de tout cet épouvantail. Ce qu'on a voulu, c'est de faire disparaître la convention d'Anvers ; d'amener la Chambre à se déjuger. Mais toutes ces tentatives faites au-dehors doivent venir échouer dans cette enceinte. Ici, messieurs, il ne faut ni déclamations, ni généralités ; ici il faut des faits, des faits appuyés de preuves, et si les preuves n'existent pas, si l'on ne peut rien articuler de sérieux contre la conduite du gouvernement, vous maintiendrez sans doute, messieurs, la décision que vous avez prise.

Messieurs, un seul mot encore pour ceux qui se disent avoir été trompés par le ministère, à l'occasion du vote du 14 février. A ceux-là, messieurs, nous pourrions nous borner à dire que nous n'avons rien à leur repondre et que nous livrons leur conduite à l'appréciation de la Chambre et de tous les hommes impartiaux ; mais nous croyons avoir le droit de leur déclarer que si dans cette affaire de la convention d'Anvers tant remuée, il y a eu quelque part des trompeurs, ce n'est pas dans nos rangs qu'il fant aller les chercher ; et quant à ceux qui prétendent avoir été trompés, ils feraient beaucoup mieux de convenir qu'ils ont été des dupes volontaires, des instruments d'une intrigue qui tendait à renverser le gouvernement et à rendre impossible l'accord entre le gouvernement et le clergé.

- M. Vilain XIIH remplace M. Delfosse au fauteuil.

M. Verhaegen. - Messieurs, depuis la séance d'hier la discussion a fait un grand pas. Il me sera permis aujourd'hui de discuter contradictoirement ce que l'on est convenu d'appeler la convention d'Anvers, d'examiner les actes que le ministère a posés à cet égard, en d'autres termes d'examiner si le ministère a tenu toutes ses promesses, a rempli tous ses engagements.

Je suis d'accord avec M. le ministre de l'intérieur, qu'il ne faut pas, dans l'occurrence, se borner à des généralités ; qu'il faut examiner les faits en détail et entrer dans le cœur de la question. C'est la tâche que je m'impose.

Il n'est pas vrai que le vote du 14 février soit une approbation de la convention d'Anvers et que les membres qui donnèrent à cette occasion leur adhésion à la conduite du ministère soient tenus de voter aujourd'hui en faveur du paragraphe de l'adresse relatif à cet objet.

C'est un premier point qu'il faut mettre hors de doute.

La véritable signification du vote du 14 février résultait déjà suffisamment de la discussion telle qu'elle est rapportée dans les Annales parlementaires. Elle résulte encore et surabondamment des explications si nettes et si précises que mon honorable ami M. Orts a données dans la séance d'hier.

Personne n'était plus à même de fournir ces explications que l'honorable M. Orts, lui qui a donné vie à l'ordre du jour de l'honorable M. Osy en l'amendant et en l'entourant de commentaires qui en fixaient nettement le sens.

M. Orts, dans la séance d'hier, nous a dit, et je tiens à bien constater ses paroles, qu'en émettant son vote dans la séance du 14 février, il n'avait entendu, ni explicitement ni implicitement, approuver la convention d'Anvers, et que c'était par ce motif qu'il n'avait pas voulu adhérer à la proposition telle qu'elle avait été présentée par l'honorable M. Osy. Il ajoute que s'il avait été appelé à donner son avis sur une convention quelconque, concernant l'enseignement religieux à donner dans les athénées et écoles moyennes de l'Etat, cet avis n'eût été favorable que pour autant que l'on eût admis les mesures de précaution proposées par le bureau administratif de Bruxelles.

L'honorable ministre des affaires étrangères faisait des signes d'adhésion pendant le discours de mon honorable ami, et admettait ainsi que le vote du 14 février ne comporte pas d'approbation explicite ou implicite de la convention d'Anvers. Mais M. le ministre de l'intérieur n'a pas partagé cette opinion, il a prétendu qu'on ne pouvait pas diminuer l'importance du vote du 14 février, que s'il ne comportait pas une approbation formelle de la convention, il comportait du moins une approbation morale ou explicite.

On le voit, l'honorable ministre de l'intérieur est loin d'être d'accord avec son collègue des affaires étrangères, et celui-ci seul est dans le vrai.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je m'expliquerai, et vous verrez que le ministre de l'intérieur et moi nous sommes d'accord.

M. Verhaegen. - D'ailleurs, à quoi bon insister encore sur ce qu'on pourrait appeler une fin de non-recevoir, puisque M. le ministre de l'intérieur nous a dit qu'il voulait traiter la question ex-professo, aller au-devant de toutes les objections et faire en sorte que tout le monde sortît d'ici, non pas avec demi-conviction, mais avec une conviction pleine et entière. Il a même ajouté qu'il lui suffirait d'un souffle pour renverser cet échafaudage d'injures et de calomnies que la presse libérale avatt élevé contre lui depuis plus de quatre mois.

Jusqu'à présent ce souffle se fait attendre...

M. le ministre se plaint de la presse libérale, qu'il dise de la presse libérale tout entière, car aucun de ses organes n'a fait défaut. Il se plaint de cette presse parce qu'elle a éventé sa mine et qu'elle n'a pas permis à M. le ministre de consommer dans l'ombre son œuvre de destruction de la loi de 1850, et je puis ajouter de la Constitution.

Moi, messieurs, qui aime qu'en toutes choses la lumière se fasse et que l'opinion publique s'éclaire, je trouve que la presse libérale, loin de mériter des reproches, a rendu un immense service au pays. Aussi suis-je heureux de pouvoir saisir l'occasion qui m'est offerte de la remercier, au nom de l'opinion que je représente, des efforts courageux et incessants qu'elle a faits et de l'immense résultais qu'elle a obtenu.

D'ailleurs, M. le ministre de l'intérieur peut se consoler. S'il n'a pas pour lui la presse libérale, il a à sa disposition une autre presse qui tous les jours lui donne des preuves de son dévouement et de sa reconnaissance. Qu'il se résigne donc comme nous-mêmes nous savons nous résigner, habitués que nous sommes aux attaques de la presse cléricale tout entière. C'est là une des nécessités du gouvernement représentatif-

Il nous est donc permis d'examiner de nouveau, et cette fois contradictoirement, ce qu'on est convenu d'appeler la convention d'Anvers.

Cette convention se compose de deux parties distinctes.

(page 111) La première se rapporte aux arrangements particuliers à conclure pour chaque établissement d'enseignement moyen. Ces arrangements sont abandonnés à l'appréciation des communes et consistent d'abord dans l'adoption du règlement d'Anvers ou d'un règlement équivalent en ce qui concerne l'instruction religieuse ; ensuite dans l'inscription d'un ecclésiastique désigné par l'évêque sur les listes des candidats pour la composition du bureau administratif des établissements que le conseil communal propose, d'après la loi, au gouvernement.

La deuxième partie se rapporteà l'hypothèse d'un arrangement général ; elle appartient exclusivement au gouvernement. Par les projets d'arrêtés royaux que le ministère a publiés dans le Moniteur, il s'est engagé vis -à-vis l'épiscopat à nommer un inspecteur ecclésiastique de l'enseignement moyen payé par le trésor, et à conférer à un ecclésiastique le titre de membre du conseil de perfectionnement, le jour où le clergé accorderait son concours à la plupart des athénées et des écoles moyennes.

Le règlement d'Anvers en lui-même ne revêt un caractère politique qu'à un seul point de vue. Des explications ont été demandées au ministère, le 14 février, sur deux questions de principes constitutionnels que soulevaient des dispositions incomplètes ou trop vagues de ce règlement.

- La Chambre aura à s'enquérir si la conduite tenue par le gouvernement a été conforme aux explications qu'il a données, aux engagements qu'il a pris.

Les trois autres mesures, celles qui embrassent l'entrée de droit d'un ecclésiastique dans les bureaux administratifs et le conseil de perfectionnement et l'organisation d'une inspection ecclésiastique de l'enseignement moyen, intéressent le parlement d'une manière directe et immédiate.

En ce qui me concerne personnellement, je suis parfaitement à mon aise. J'ai, dès le principe, soutenu l'inconstitutionnalité et l'illégalité de l'ensemble des mesures constituant la convention d'Anvers. J'ai démontré que les ministres de tous les cultes n'étant pas mis sur la même ligne, et qu'un privilège étant accordé aux ministres du culte catholique, privilège tendant à faire de la religion catholique la religion de l'Etat, il y avait violation de l'article 14 de la Constitution et de l'article 8 de la loi de 1850, car cet article 8, auquel on voudrait bien aujourd'hui donner un autre sens, parle des ministres de tous les cultes sans exception et les met aussi sans exception sur la même ligne.

Mais il est un autre point qui domine aujourd'hui la discussion.

Le conseil communal d'une de nos petites villes, celui de Nivelles, exposant les motifs qui le déterminaient à repousser la convention d'Anvers, déclarait qu'il ne voulait pas, qu'il ne pouvait pas violer la loi communale, et que cette violation était une conséquence inévitable de la convention. La décision du 14 octobre 1854 est ainsi conçue :

« Le conseil,

« Considérant que cette convention porte que l'ecclésiastique appelé à faire partie du bureau doit être nommé par l'ordonnance diocésaine, tandis que l'article 84 de la loi du 30 mars 1836 réserve au conseil communal la nomination des membres de toutes les commissions qui concernent l'administration de la commune, et que l'article 12 de la loi du 1er juin 1850 confirme surtout cette disposition, quant aux membres du bureau administratif du collège,

« Ajourne la décision à prendre sur cette question jusqu'à ce qu'une disposition législative ait modifié les lois précitées. »

C'était là une rude leçon pour le gouvernement et pour l'opinion cléricale.

Les élections pour la commune étaient alors prochaines ; on voulut saisir cette occasion pour renverser les conseillers communaux, auteurs de la délibération du 14 octobre ; c'était surtout l'honorable bourgmestre qui fut le point de mire des attaques du clergé ; mais son nom et celui de tous ses collègues sortirent victorieux de l'urne, et ainsi les électeurs de Nivelles approuvèrent d'une manière solennelle l'acte que leurs magistrats venaient de poser.

M. Delehaye. - Et à Gand.

M. Verhaegen. - Que dirai-je de Gand ?

Il ne s'est agi là que d'une question de vidanges et de police de cabaret.

La désignation par l'évêque d'un membre du bureau administratif est d'après le conseil communal de Nivelles, et il a raison, une véritable délégation faite par la commune à des tiers de droits, de prérogatives qui lui sont attribués par la loi communale et dont la législation de 1850 lui a fait alternativement et solennellement défense de se dessaisir au profit de qui que ce soit.

Quoi ! le législateur déclare que le bureau sera nommé par le gouvernement sur une liste double de candidats présentés par le conseil, et le conseil s'engagera par convention, pour obtenir le concours, à attribuer à l'évêque le choix d'un candidat ! ce qui, inséré dans la loi, aurait constitué un privilège comme tendant à faire de la religion la religion de l'Etat, deviendra tel en vertu d'un contrat.

Si la commune peut céder à l'évêque le choix d'un candidat, il peut lui abandonner le choix de tous, il peut lui abandonner la nomination des professeurs.

S'il peut abdiquer une de ses attributions, il peut les abdiquer toutes !...

Nous rentrons ainsi dans les principes de la fameuse convention de Tournai, moins mauvaise, moins grave que celle que le gouvernement s'efforce de faire subir aux communes.

Quelle opposition néanmoins n'a pas surgi contre la convention de Tournai ! quelle indignation ne souleva-t-elle pas dans le pays !

M. Malou et Dechamps furent obligés de la condamner avec le chef du cabinet d'alors, l'honorable M. Van de Weyer.

M. de Theux, à son tour, pressé par l'opinion publique, fut obligé de la repousser en défendant aux conseils communaux, par son projet de loi de 1846, de « déléguer » leurs attributions à des tiers.

C'est ce qui a été confirmé par l'article 7 de la loi du 1er juin 1850. Les droits qui appartiennent aux corps constitués ne peuvent être aliénés. Ils sont, comme l'a dit un de mes honorables amis dans une brochure remarquable « l'essence et la raison d'être de ces corps, et dans l'espèce si ces droits constituent ce que l'on nomme les libertés communales, il est clair que la liberté ne va pas jusqu'à renoncer à la liberté elle-même. »

Si la commune ne peut, sans violer la loi communale, abandonner au clergé le droit de désigner un candidat pour le bureau administratif, le ministère peut-il prendre vis-à-vis du clergé l'engagement de nommer ce candidat sans violer la loi de 1850 ? Peut-il, sans commettre la même illégalité, s'engager à nommer un ecclésiastique membre du conseil de perfectionnement ? Peut-il, en d'autres termes, comme condition du concours de l'épiscopat, accepter l'obligation de nommer des ecclésiastiques membres du bureau administratif et du conseil de perfectionnement ?

Evidemment non : l'esprit de la loi de 1850, exprimé dans les discussions des deux Chambres, est évidemment hostile à ces concessions.

Il résulte de ces discussions, que le législateur de 1850 n'exclut pas plus les ministres des cultes que toutes les autres catégories de citoyens de la composition des bureaux administratifs et du conseil de perfectionnement, mais qu'il ne les y admet qu'au titre seul de simples citoyens, non à titre d'autorité.

Et puisque je viens de prononcer ces mots « à titre d'autorité », expliquons-nous une bonne fois à l'égard de l'intervention du clergé « à titre d'autorité » dans l'enseignement.

Il y a deux modes d'intervention du clergé dans l'instruction : dans le premier, le clergé se borne à donner l'instruction religieuse aux élèves du culte qu'il représente ; il conserve toute son indépendance, toute sa liberté ; mais le gouvernement, à qui appartient la direction de l'enseignement de l'Etat, conserve aussi toute son indépendance et sa liberté. Dans ce système, la loi ne confère au clergé aucun droit d'intervention, soit en ce qui concerne la nomination des professeurs, soit en ce qui concerne la direction de l'enseignement scientifique ou littéraire. Ce système est le seul qui soit conciliable avec la liberté constitutionnelle des cultes, parce que, seul, il peut empêcher un culte de dominer sur les autres dans l’enseignement. C'est celui de la loi de 1850.

Le second mode d'intervention est connu ; il est formulé dans la loi de 1842 sur l'instruction primaire et surtout dans la convention d'Anvers. Le clergé participe comme clergé à la direction de l'enseignement, à la nomination des professeurs et maîtres, au choix des livres, au contrôle des doctrines enseignées, à la direction de tout l’enseignement ; le gouvernement lui cède une partie de ses droits, il se dépouille en sa faveur d'une partie de son autorité. Le clergé entre dans l'école avec la même autorité que le gouvernement, lui à qui la Constitution ne reconnaît aucun caractère public, aucun pouvoir politique.

C'est ce que veulent nos adversaires, c'est ce qu'a toujours voulu l'épiscopat, témoin les exigences formulées en termes énergiques et minatoires par feu l'évêque de Liège.

C'est cependant ce que nos adversaires n'ont jamais pu obtenir jusqu'à présent, mais c'est ce qu'ils vont obtenir si la convention d'Anvers reçoit une sanction de la législature.

L'entrée forcé d'un ecclésiastique dans les bureaux administratifs et dans le conseil de perfectionnement est beaucoup plus importante qu'on ne pourrait se l'imaginer.

Aux termes de l'article 11 de l'arrêté du 7 juillet 1851, organique de la loi de 1850, « un membre du bureau administratif peut toujours, en tout temps, visiter les classes, assister aux leçons, aux examens, aux interrogatoires des professeurs ; il peut prendre connaissance des cahiers et du travail des élèves ; il a le droit absolu, eu un mot, d'inspecter tous les cours. »

Et cependant on ne veut pas que l'enseignement tout entier soi soumis à l'inspection ecclésiastique, on veut qu'il y ait une différence entre les écoles de l'Etat et celles du clergé.

Le ministre vous a donné sa parole qu'il en sera ainsi.

« Dans l'enseignement moyen, s'écrie-t-il, l'instruction religieuse est l'objet d'un cours spécial, et par suite l'inspection de cet enseignement ne dépasse pas les limites de ce cours. Le clergé, ajoule-t-il, n'a pas fait de prétention plus élevée que celle-là. »

Ces paroles sont bien claires, bien nettes ; elles n'admettent aucune exception si ce n'est celle de l'article 11 de l'arrêté organique de 1851, qui attribue au délégué de l'épiscopat, l'inspection de tous les cours scientifiques et littéraires, et par suite le fait participer à la direction de l'enseignement comprenant le contrôle des doctrines et même de la conduite des professeurs.

Est-ce clair ?

Nos adversaires n'ont jamais pu espérer d'obtenir ce que le gouvernement leur offre aujourd'hui, car il leur offre même plus que ce que leur donne pour l'instruction primaire la loi de 1842.

Lorsque mon honorable ami, le président de cette Chambre, et moi (page 112) nous insistions à diverses reprises sur le retrait de la loi de 1842, on se bornait à nous répondre que la loi de 1842 fonctionnait depuis plusieurs années, qu'elle fonctionnait bien, mais que les principes qui lui servaient de base ne seraient jamais invoqués quand il s'agirait de l'enseignement moyen. On nous donnait l'assurance que ce ne serait pas un précédent.

Lors de la discussion de la loi de 1850, quelques membres de la droite ne tinrent aucun compte de ces protestations et mirent au grand jour leur prétention de faire adopter pour l'enseignement moyen les principes qu'on avait admis en 1842, pour l'enseignement primaire, et qu'on avait déclaré vouloir restreindre à cet enseignement. Mais cette prétention fut rejetée par la législature.

Il est utile, d'après moi, de jeter un coup d'œil sur la discussion de 1850.

D'abord, le rapport de la section centrale repousse l'intervention forcée du clergé dans les bureaux administratifs et le conseil de perfectionnement comme contraire à la Constitution et à la loi.

Cette doctrine prévalut.

Notre honorable président M. Delfosse a défini nettement les motifs de son opposition. Il disait :

« Quelques-uns des opposants demandent qu'on fasse entrer en vertu d'un droit, de par la loi, un ou plusieurs délégués des évêques dans les bureaux administratifs et dans le conseil de perfectionnement.

« Je dois aussi repousser cette proposition comme constituant un privilège incompatible avec les principes de notre Constitution, comme tendant à faire de la religion catholique la religion de l'Etat. »

En vertu d'un droit, de par la loi. - N'est ce pas la même chose en vertu d'un droit, de par une convention par laquelle la commune abdique sa liberté ?

La Chambre se rendit aux observations développées par M. Delfosse et repoussa un amendement de l'honorable M. Dumortier, conçu dans le sens des prétentions rejetées en section centrale.

Il ne sera pas déplacé ici de faire remarquer que plus tard (quatre ans après) l'honorable M. Devaux comprit de nouveau tous les dangers de l'intervention du clergé comme clergé dans l'enseignement.

« Il y a, disait-il, un point qui est très important et sur lequel je désire savoir les intentions du gouvernement. Messieurs, si l'on peut introduire dans le bureau administratif un membre du clergé qui soit en même temps l'ecclésiastique chargé de l'enseignement religieux dans l'établissement, ou bien l'inspecteur chargé d'inspecter cet enseignement, on donne une telle prépondérance à cette personne qu'on peut dire que la direction de l'établissement cesse d'être laïque. »

M. Devaux. - Vous vous trompez sur la date.

M. Verhaegen. - Pardon, je cite la date exacte. Vous me répondrez plus tard.

M. Devaux. - Voulez-vous permettre ?

M. Verhaegen. - Non, je dis que dans la séance du 14 février, l'honorable M. Devaux a tenu ce langage.

Sur l'article 33, une vive discussion eut lieu sur deux amendements présentés, l'un par M. Le Hon, l'autre par l'honorable M. Osy. Le premier voulait faire entrer dans le conseil de perfectionnement certaines catégories de citoyens ; le second demandait d'y faire entrer des délégués de l'épiscopat. Un représentant de la droite, l'honorable M. Dechamps, tout en approuvant la pensée qui avait dicté l'amendement, crut devoir le combattre par des scrupules constitutionnels ; le droit qu'il s'agissait d'inscrire dans la loi ne pouvait, d'après lui, être restreint aux ministres du culte catholique seul.

L'amendement de l'honorable M. Osy fut rejeté.

L'honorable M. Rogier, alors ministre de l'intérieur, avant le rejet de l'amendement, avait bien établi que le projet de loi ne voulait accorder au clergé qu'un droit illimité d'observation et non un droit d'intervention, et il proposa ensuite à l'article 8 un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« Les ministres des cultes seront aussi invités à communiquer au conseil de perfectionnement leurs observations concernant l'enseignement religieux. »

Les honorables M. de Theux et ses amis se contentèrent de ce paragraphe qui fut adopté par la presque unanimité de la Chambre.

Les mêmes observations furent faites relativement à l'inspection ecclésiastique ; les mêmes prétentions surgirent, mais furent rejetées à une énorme majorité.

Le Sénat adopta le système qu'avait adopté la Chambre des représentants, et le projet de loi de 1850 reçut l'assentiment des trois branches du pouvoir législatif.

Cette loi repousse à tout jamais les prétentions que certains membres de la droite avaient élevées lors de la discussion, et ce sont cependant ces prétentions que le gouvernement a fait revivre dans les offres spontanées qu'il a adressées au clergé. Ce que le clergé ne peut pas obtenir en vertu de la loi, il l'obtient par le fait du gouvernement, c'est le fait qui est substitué au droit.

Il nous reste maintenant, messieurs, à examiner si la conduite que le ministère a tenue depuis le vote du 14 février est conforme aux explications qu'il a données, aux engagements qu'il a pris.

Le ministre de l'intérieur en exposant la marche qu'il avait suivie dans ses négociations avec l'épiscopat et celle qu'il comptait suivre dans l'application de la convention d'Anvers, insista particulièrement dans la séance du 14 février sur les résultats qu'il attendait de l'arrangement partiel dont il entretenait la Chambre au point de vue d'un arrangement général s'étendant à l'ensemble des établissements d'instruction secondaire de l'Etat.

Dans la séance du 8 février, M. le ministre prévenant l'objection d'après laquelle des arrangements partiels devant avoir pour conséquence une sorte d'interdit jeté par le clergé sur les établissements où celui-ci n'interviendrait pas, s'exprimait en ces termes :

« En conséquence de ces informations, de nouvelles conférences s'ouvrirent à Bruxelles, des nouvelles tentatives furent faites pour un arrangement général... Le gouvernement fit entendre à M. le cardinal que ce règlement pourrait successivement s'appliquer aux établissements d'instruction moyenne et faciliter ainsi l'intervention du clergé dans tous les athénées et écoles moyennes. »

Il ajoutait :

« Un arrangement général est en germe dans les mesures proposées et agréées. Si les conseils communaux trouvent convenable de remplir les conditions indiquées par le gouvernement.

« C'est enfin, disait encore M. le ministre de l'intérieur, le commencement d'un acte qui doit nous conduire à l'exécution de la loi du 1er juin 1850. »

En vertu de ces déclarations réitérées, quelle marche devait être suivie ? Le ministre promettait de consulter les conseils communaux, afin d'arriver à un arrangement général.

Les a-t-il consultés ? A-t-il appelé tous les conseils communaux des villes, possédant un athénée ou une école moyenne, à manifester leur opinion sur la convention d'Anvers, comme il en avait pris l'engagement vis-à-vis de la Chambre ?

Il y a un moyen bien simple de s'en assurer, il suffît de réclamer la liste des conseils communaux auxquels la question a été soumise.

M. le ministre n'a consulté que les conseils communaux de quelques localités secondaires. Dans les grands centres il s'est abstenu :

Ni le conseil communal de Liège, ni celui de Gand, ni celui de Bruxelles, ni celui de Mons, ni celui de Tournai, ni ceux des autres villes de cette classe n'ont reçu aucune invitation.

Pourquoi ? Parce qu'il était convaincu de rencontrer une vive opposition, de subir un échec.

En second lieu, il était entendu que le clergé n'aurait pas eu à s'occuper des cours scientifiques et littéraires, que tous ses droits, toute son action devaient se renfermer directement dans le cours de religion.

L'honorable M. Devaux avait formellement demandé au ministère si l'action du professeur de religion s'exercerait sur les autres classes. Le ministère avait répondu négativement. L'honorable M. Frère, insistant sur ce point, s'adressait au ministre de l'intérieur, en disant : « Pas dans les autres classes ? », et M. le ministre des affaires étrangères avait immédiatement répliqué : « Pas dans les autres classes ».

Et cependant qu'est-il arrivé ? Le bureau administratif de Bruxelles n'avait pas encore examiné les règlements, que la position d'un professeur de l'athénée fut mise en question. On voit donc bien qu'il s'agit pour le clergé de s'occuper d'autres classes que de celle de religion.

L'honorable ministre de l'intérieur, dans le discours qu'il vient de prononcer, nous a appris beaucoup plus que nous ne savions jusqu'à présent, et nous le remercions de sa naïveté. Il a avoué que c'est lui, de son propre mouvement, sans que le clergé eût pris à cet égard la moindre initiative, qui a fait faire des démarches pour que M. Altmeyer, professeur de droit commercial, donnât sa démission et fît ainsi disparaître l'obstacle à l'entrée du clergé dans l'athénée de Bruxelles, obstacle qui était inévitable, d'après lui, quoique l'épiscopat ne s'en fût pas encore expliqué, non pas en raison du cours même dont l'honorable M. Altmeyer était chargé, mais parce que plusieurs de ses ouvrages avaient été mis à l'index par la cour de Rome.

M. le ministre a ajouté qu'aucune pression n'avait été exercée sur le savant professeur, qu'on lui avait promis, il est vrai, une chaire de professeur dans une des universités de l'Etat, et en attendant une vacature, une chaire d'histoire au Musée de Bruxelles, que le caractère honorable de l'homme qui avait été chargé de la négociation était une garantie de bons procédés de la part du ministre et qu'enfin M. Altmeyer, auquel toute liberté avait été laissée, avait usé de cette liberté et refusé les offres qui lui avaient été faites.

Je n'hésite pas à reconnaître qu'on n'a usé que de bons procédés à l'égard du professeur qu'on cherchait à déplacer, et certes, le caractère honorable de la personne qui a servi d'intermédiaire m'en donne l'assurance ; mais je me hâte à enregistrer dans nos Annales parlementaires l'aveu fait par le gouvernement, et qui sera de nature à édifier le pays.

Quoi ! le gouvernement est venu à diverses reprises nous donner l'assurance que le clergé ne peut et ne doit s'occuper que du cours de religion ; que l'entrée des autres classes lui est interdite, et voilà que ce même gouvernement connaît si bien les intentions de l'épiscopat que, sans même qu'il ait reçu d'observations à cet égard, il est convaincu que le clergé n'entrera pas dans l'athénée de Bruxelles, aussi longtemps que le professeur de droit commercial y donnera son cours, par cela seul que plusieurs des ouvrages de ce professeur ont été mis à l'index, et c'est pour aplanir la difficulté qu'il prévoit, pour déblayer le terrain, ainsi qu'il nous l'a dit, qu'il va au-devant des désirs de l'épiscopat en (page 113) offrant à l'honorable M. Altmeyer une brillante position pour l'engager à abandonner la position secondaire qu'il occupe à l'athénée !

Par cet aveu, il n'y a plus de doute sur les tendances du ministère, il est aux genoux de l’épiscopat. Si un professeur, dans son opinion, doit être éloigné d'un athénée, parce que quelques-uns de ses ouvrages ont été mis à l'index, à quelles exigences donc ne devra-t-il pas céder ? Les écrivains les plus orthodoxes n'ont-ils pas eu, comme M. Altmeyer, les honneurs de la désapprobation du saint-office ?

D'après ce qui vient de se passer, et surtout d'après l'initiative qu'il a prise, le ministère oserait-il refuser à l'épiscopat l'éloignement d'un professeur dont les doctrines seraient signalées en histoire, par exemple, comme trop libérales ? On sait ce que cela signifie dans le langage du clergé ? Oserait-il refuser l'éloignement d'un professeur membre de certaines sociétés condamnées par la cour de Rome ? Oserait-il refuser l'éloignement d'un professeur qui ne remplirait pas ses devoirs religieux ?

Chose remarquable, dans le système du gouvernement, ce professeur, dont il ne pourrait pas refuser l'éloignemcnt, serait considéré comme immoral et dangereux dans un cours d'athénée, mais il ne serait pas considéré comme tel dans un cours d'université ou dans un cours au Musée de Bruxelles.

Certes, le ministère n'a pas pu manquer d'une manière plus formelle aux engagements qu'il avait pris le 14 février.

Mais il y a manqué sous un troisième point de vue :

La Chambre avait abandonné la question de l’enseignement religieux à la libre appréciation des communes. M. le ministre de l'intérieur et son collègue des affaires étrangères avaient déclaré à plusieurs reprises que la liberté des communes était la base de la convention d'Anvers.

Or, il est constant aujourd'hui que tandis que le ministère s'empressait de provoquer un prompt examen de la part des conseils communaux dont les dispositions lui paraissaient favorables, il employait les mesures les plus arbitraires pour empêcher la manifestation des conseils communaux hostiles à la convention.

Que d'efforts n'a-t-il pas fallu au conseil communal de Liège pour pouvoir, et encore d'une manière indirecte, arriver à manifester sa désapprobation au sujet de la convention ?

Il en a été de même pour le conseil communal de Bruxelles.

Voilà comment le gouvernement a entendu laisser aux communes leur liberté.

Enfin, le ministère a manqué à ses engagements à un quatrième point de vue, et ce n'est pas le moins important.

Le ministère, dans la séance du 14 février, nous avait donné l'assurance qu'il était d'accord avec le clergé sur les garanties qui avaient été exigées, notamment quant au droit du père de famille de demander pour ses enfants la dispense du cours d'instruction religieuse, et quant à l'assurance que les élèves des cultes dissidents recevraient, de même que les élèves catholiques, l'instruction religieuse que la loi leur doit.

J'avais témoigné des doutes sérieux à cet égard, et le ministère, à la suite de plusieurs interpellations que je lui avais adressées, avait persisté dans ses allégations d'un accord parfait avec le clergé.

Or, qu'est-il arrivé ? C'esl un honorable sénateur, membre du bureau administratif de l'athénée de Bruxelles, qui nous l'a appris.

Je lis dans le discours de mon honorable ami Van Schoor au Sénat, que le bureau administratif avait pris à une grande majorité une résolution tendant à faire insérer dans le règlement, d'abord la disposition qui reconnaît au père de famille le droit de demander pour ses enfants la dispense du cours d'instruction religieuse et ensuite celle qui assure l'instruction religieuse des élèves appartenant à des cultes dissidents.

J'y lis encore que, « dans l'intervalle d'une séance à l'autre, M. le ministre de l'intérieur, qui avait eu connaissance des résolutions adoptées, fit connaître, par l’intermédiaire du président de ce bureau, que si l'on persistait dans la résolution prise, en tant que cette résolution tendait à faire insérer dans le règlement les dispositions dont il s'agissait, il était inutile d'aller plus loin, puisque à ces conditions le clergé ne pouvait pas intervenir. »

J'y lis enfin que « la majorité du bureau administratif, voulant pousser jusqu'au bout l'esprit de conciliation et de modération qui l'animait et se rendre aux observations qui lui avaient été faites par M. le ministre de l'intérieur, revint sur ses résolutions, et décida que ces deux dispositions feraient partie d'un règlement supplémentaire ; règlement qui devait avoir la même force et la même valeur et devait avoir aussi la même publicité que ledit règlement. A défaut de quoi le bureau administratif n'entendait pas donner un vote approbatif à ce qu'on appelle la convention d'Anvers. »

Depuis que cet acte a été posé par le bureau administratif de l'athénée de Bruxelles, aucune suite n'a été donnée à l'objet dont on l'avait saisi. Il y a plus : M. le ministre vient de nous apprendre que la négociation avec le clergé pour l'instruction religieuse à donner à l'athénée de Bruxelles avait avorté.

Et pourquoi donc a-t-elle avorté ?

Ce ne peut pas être à raison de la présence de l'honorable M. Altmeyer chargé du cours de droit commercial, car l'honorable ministre de l’intérieur nous a donné l'assurance que le clergé, loin d'avoir à cet égard manifesté des exigences, n'avait même fait aucune observation. Ce n'était, nous a-t-il dit, qu'une gracieuseté de sa part allant au-devant des désirs de l'épiscopat.

Il y avait donc un autre motif et ce motif était et ne pouvait être que la résolution prise par le bureau administratif quant aux garanties à insérer, ne fût-ce que dans un règlement accessoire, mais qui aurait la même force et la même valeur et qui serait public comme le règlement principal.

Le clergé n'a jamais pu admettre les garanties exigées. Ses principes s'y opposaient. Je l'avais dit au ministère dans mes interpellations ; mais il m'avait donné l'assurance du contraire. Si le clergé avait pu admettre ces garanties, il eût certes consenti à ce qu'elles fussent consignées dans un acte quelconque ; car si une partie est engagée par des stipulations, elle a droit à ce que les conditions apposées à ces stipulations et consenties par l'autre partie soient constatées de la même manière que les stipulations qui l'engagent.

Je ne comprends rien à cette distinction entre la forme et le fond, car ici la forme emporte bien certainement le fond, c'est une question de bonne foi.

De deux choses l'une : ou le clergé peut admettre et admet réellement les garanties exigées, ou il ne peut pas les admettre. Dans le premier cas, il peut s'engager aussi bien par une stipulation écrite que par une stipulation verbale ; dans le second cas, il refuse, et c'est ce qu'il a fait dans l'occurrence, car encore une fois, s'il n'a pas exigé l'éloignement de M. Altmeyer, pourquoi refuse-t-il d'entrer dans l'athénée de Bruxelles ?

Ainsi, comme je le disais il n'y a qu'un instant, le gouvernement, en assurant dans la séance du 14 février que le clergé était d'accord sur les deux dispositions, s'est donc trompé et a, sans doute involontairement, trompé la Chambre.

Ici se termine la tâche que je me suis imposée. J'ai voulu éclairer la Chambre et le pays ; tel était mon but, et je n'en avais pas d'autre.

M. Orts. - L'honorable M. Verhaegen, en attachant une importance beaucoup trop grande, selon moi, à ce que j'ai dit hier, a donné à ma pensée une traduction que je ne puis pas admettre comme exacte. Je n'approuve pas et je n'ai jamais entendu approuver la convention d'Anvers, mais j'aurais approuvé, si on nous l'avait soumise, une convention comme celle qui a été formulée par le bureau administratif de l'athénée de Bruxelles.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - L'honorable M. Verhaegen dans cette séance, et l'honorable M. Orts, dans la séance d'hier, se sont très longuement étendus sur le sens qu'il convient de donner à l'ordre du jour du 14 février. L'honorable M. Verhaegen a essayé à ce propos, tentative qu'il renouvelle très souvent, vous le savez, de démontrer à la Chambre que sur ce point l'honorable M. Piercot et moi nous n'étions pas d'accord. Je vais expliquer, messieurs, comment j'entends, moi, le vote du 14 février, et je n'hésite pas à dire que M. le ministre de l'intérieur et moi nous l'entendons de la même manière.

Non, sans doute, le vote du 14 février n'est point l'approbation explicite de ce que l'on appelle la convention d'Anvers. Il est très vrai que le premier ordre du jour qui avait été présenté et rédigé par l'honorable M. Osy, impliquait cette approbation. Ce premier ordre du jour portait que la Chambre approuvait la convention d'Anvers, j'en appelle aux souvenirs de l'honorable M. Osy lui-même, qui siège habituellement derrière moi ; il dira s'il n'est pas vrai que je lui ai fait immédiatement remarquer qu'il n'était pas dans les attributions de la Chambre d'approuver ou d'improuver explicitement une pareille convention.

M. Osy. - C'est très exact.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - J'en appelle encore à l'honorable membre pour qu'il déclare s'il n'est pas vrai que j'ai dit que la Chambre, en prononçant une pareille approbation, empiéterait sur les attributions d'autres autorités constituées.

Ainsi, messieurs, de prime abord, j'ai parfaitement reconnu qu'il n'appartenait pas à la Chambre d'approuver explicitement la convention, d'Anvers ; jusqu'à présent nous sommes parfaitement d'accord, l'honorable M. Verhaegen, l'honorable M. Orts et moi.

Mais l’honorable M. Verhaegen va plus loin : il prétend que de votre vote ne résulte pas l'approbation implicite de la convention, et ici nous, ne sommes plus d'accord. Comment ! messieurs, par un ordre du jour solennel vous avez déclaré que vous approuviez la conduite tenue par le gouvernement et les explications fournies par lui relativement à la convention d'Anvers, et il n'en résulterait pas que vous trouviez que la convention d'Anvers méritait d'être « louée », pour ne pas me servir du mot « approuvée » !

Mais si elle ne méritait pas d'être louée, on savait à coup sûr à quoi s'en tenir, car elle avait été bien défendue ; si elle ne méritait pas d'être louée, c'est qu'elle n'était pas bonne, et si elle n'était pas bonne, vous auriez voté un ordre du jour pour approuver la conduite que nous avions tenue à l'effet d'arriver à la conclusion d'une convention qui était mauvaise !

Rien que présenter cet argument vous démontre, messieurs, jusqu'à quel point il est vrai que la Chambre, en approuvant la conduite du gouvernement dans les négociations qui ont précédé la convention d'Anvers, a implicitement dit qu'elle avait vu cette convention avec satisfaction. Cela est pour moi de toute évidence ou je ne sais plus ce que c'est que la logique.

En résulte-t-il que les membres de la Chambre qui ont vote l’ordre du jour soient liés par ce vote et qu'ils ne puissent pas venir aujourd'hui se prononcer contre la convention d'Anvers ? Nullement, je regarde aujourd'hui la Chambre comme étant aussi libre qu'elle l'était au (page 114) 14 février. Des faits nouveaux sont survenus ; des actes ont été posés par le gouvernement : vous êtes les juges de ces actes.

Si vous trouvez que le gouvernement, comme on l’a proclamé, n'a pas été fidèle à ses promesses, à ses engagements, si vous estimez que la ligne de conduite qu'il a suivie depuis le 14 février n'est pas conforme à celle qu'il avait suivie jusqu'à cette date et qui avait obtenu votre approbation, chacun de vous est parfaitement libre d'exprimer son opinion à cet égard, de dire que s'il a approuvé la conduite du gouvernement jusqu'au 14 février, il n'approuve pas la conduite tenue par lui depuis le 14 février.

La Chambre ne peut pas par un vote approuver explicitement ou improuver explicitement la convention d'Anvers, mais, je le répète, chacun de vous est parfaitement libre de trouver que la convention d'Anvers est mauvaise, de blâmer la conduite que le gouvernement a tenu, depuis le 14 février. Je pense que je pose bien la question.

Avant d'arriver à la conduite du gouvernement depuis le 14 février, je suis obligé de dire deux mots sur la convention en elle-même, parce que l'honorable M. Verhaegen s'est livre contre cette convention à des attaques que je croyais être complètement sans fondement.

Selon lui, d'abord, rien ne démontre mieux combien la convention d'Anvers est peu en harmonie avec la loi du 1er juin 1850 que les réclamations qui ont surgi à différentes reprises, dans cette Chambre, contre la loi de 1850, à l'effet de demander qu'elle fût revisée. (Interruption.)

L'honorable M. Verhaegen a posé cet argument. « Ce qui prouve qu'il était impossible que l'enseignement religieux fût donné dans les collèges en présence de la loi de 1850, c'est que différents membres qui tenaient beaucoup à ce que cet enseignement religieux fût donné, ont demandé eux-mêmes que la loi fût changée ; or, comme on donne maintenant l’enseignement religieux en laissant la loi telle qu'elle est, c'est qu'on a violé la loi ». Voilà l'argument de l'honorable M. Verhaegen dans toute sa sincérité.

Il est très vrai que les négociations qui ont été suivies avec le clergé pendant trois ans et par l'ancien cabinet et par le cabinet actuel, pour arriver à un arrangement, avaient échoué. Nous avons échoué précisément au même titre qu'avaient échoué nos prédécesseurs, et je n'hésite pas à dire que si nous avions continué la négociation sur le même pied, c'est-à-dire si nous avions toujours cherché à conclure un arrangement général, nous serions aujourd'hui encore sans résultat.

C'est précisément parce que nous avons reconnu l'impossibilité contre laquelle nous nous heurtons, comme s'y étaient heurtés nos prédécesseurs, que nous avons changé la base de la négociation et que nous avons cherché à arriver à des arrangements partiels

Vous voyez donc, messieurs, que le non-succès des démarches qui avaient eu lieu jusqu'au moment où l'on est arrivé à la convention d'Anvers, ne démontre absolument rien quant à l'impossibilité que présentait la loi de 1850 d'avoir l'enseignement religieux dans les collèges. Le motif était tout simple : on avait pris pour négocier une base sur laquelle on ne parvenait pas à s'entendre ; on a pris une autre base, et l'on s'est entendu.

Pour démontrer que la convention d'Anvers est réellement en opposition avec la législation qui nous régit, avec les idées qui sont celles d'un très grand nombre de membres de cette Chambre, on a dit : « Vous aviez soutenu que, par la convention d'Anvers, vous ne donniez au clergé que l’enseignement religieux ; que, du reste, il n'aurait aucune prise sur les autres cours ; vous aviez déclaré formellement que vous ne consentiriez jamais à lui donner l'inspection que lui donne pour l'enseignement primaire la loi du 23 septembre 1842 ; et cependant, de bonne foi, je l'admets, peut-être sans vous en être aperçus, mais, en fait, vous avez donné au clergé, par votre convention d'Anvers, l’inspection de tous les cours, sans autorité directe sur tous les cours ; et pourquoi ? parce qu'en vertu de votre convention, il entrera un ecclésiastique dans le bureau d'administration et qu'en vertu des règlements, cet ecclésiastique aura le droit d'entrer dans toutes les classes »

Je vais lire l'article du règlement ; je n'ai pas l'habitude d'affaiblir les arguments de mes adversaires ; je les présente bien nettement, et je présenterai encore bien franchement celui qu'a fait valoir l'honorable M. Verhaegen relativement au point dont nous nous occupons.

Voici la disposition à laquelle il a fait allusion, et qui est contenue dans l'article 11 de l'arrêté royal, déterminant les attributions des bureaux d'administration :

« Art. 11. Les membres du bureau peuvent, en tout temps, visiter les classes et les salles d'études ; assister aux examens, aux leçons et aux interrogations faites par les professeurs et le préfet des études ; prendre connaissance du travail et des cahiers des élèves ; en un mot, surveiller partout l'exécution des règlements.

« Autant que possible, ils se feront accompagner dans leurs visites par le préfet des études. Ils pourront désigner les élèves à interroger ainsi que les matières sur lesquelles ces derniers devront répondre. »

Il est de fait que cet article donne à l'ecclésiastique qui aura été introduit dans le bureau d'administration, qui y aura été introduit avec le consentement de ce bureau, avec le consentement du conseil communal, lui donne le droit d'entrer dans les classes, d'assister aux cours, le droit de dire au professeur : Interrogez tel élève sur telle matière, le droit de dire au professeur : Montrez-moi le cahier de tel élève et celui de tel autre élève. Voilà les droits que l'article 11 donne au membre du clergé comme aux dix autres membres du bureau administratif. D'ailleurs, des actes d'autorité il n'en peut exercer aucun à lui seul.

Pourquoi peut-il entrer lui onzième comme les autres membres du bureau administratif dans toutes les classes ? L'article 12 va vous le dire :

« Les faits recueillis par les membres du bureau pendant leurs visites à l'athénée seront soumis, s'il y a lieu, aux délibérations du bureau. »

C'est-à-dire en d'autres termes que les onze membres du bureau, y compris le membre ecclésiastique quand il en fait partie, peuvent journellement aller voir ce qui se passe dans l'athénée pour en rendre compte au conseil d'administration.

Voudriez-vous, quand dix membres du bureau administratif peuvent et doivent s'assurer de ce qui se passe dans l'intérieur des classes, que le onzième ne le dût pas, ne le pût pas ? Le membre ecclésiastique du bureau d'administration est mis sur le même rang que les autres membres de ce bureau ; comme membre isolé, il n'a aucune espèce d'autorité, il n'a aucune juridiction ; il examine ce qui se passe, il en rend compte au bureau d'administration. Soutenir que c'est là livrer l'enseignement au clergé, c'est être bien près de s'entendre avec cette assertion contenue dans une brochure qui a fait grand bruit ; cette assertion explique l'opposition que la convention d'Anvers a rencontrée, non pas dans cette Chambre, mais au dehors, chez certaines personnes.

« Le prêtre qui vient à l'école met le pied dans le camp ennemi. Le prêtre à l'école, c'est le moyen-âge et le XIXème siècle en présence ; c'est la lutte entre l'élément religieux stationnaire et l'élément politique progressif. Le prêtre doit rester dans l'église »

C'est-à-dire que si l'on prétend qu'il y a dans le fait signalé par l'honorable M. Verhaegen et qui résulte de l'exécution de l'article 11 du règlement dont je viens de parler, s'il y a, dis-je, violation de la loi de 1850, il faut être conséquent et déclarer qu'il ne faut pas d'enseignement religieux dans nos établissements d'enseignement secondaire.

Messieurs, je ne blâme pas ceux qui viennent soutenir que l'enseignement secondaire peut bien se donner dans que le clergé intervienne pour l'enseignement religieux.

Permettez-moi de vous le dire ; j'ai fait, comme externe, mes premières classes au Lycée de Bruxelles, je n'y ai jamais vu un ecclésiastique, cependant je crois avoir été élevé, autant que qui que ce soit, dans les principes de la religion. On peut donc soutenir que pour les externes, l'entrée d'un ecclésiastique dans les établissements d'enseignement moyen, pour donner l'instruction religieuse, n'est pas une chose indispensable. Mais les ministres, le gouvernement ne peuvent plus se placer à ce point de vue, parce que la loi de 1850 a déclaré que l'enseignement religieux est obligatoire.

En présence de l'article 8 de celle loi qui déclare l'enseignement religieux obligatoire, quel était le devoir du gouvernement, des hommes qui en tiennent les rênes ? Celait de chercher à arriver à l'exécution de l'article 8 qui déclare l'enseignement religieux obligatoire.

M. Frère-Orban. - Je demande la parole.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - M. Frère demande la parole, je l'entendrai avec plaisir ; mais lui et ses collègues quand ils étaient au pouvoir ont fait ce qu'ils ont pu pour arriver à l'exécution de l'article 8, parce que cet article était impérieux pour les ministres qui nous ont précédés comme pour nous.

Pouvions-nous rester les bras croisés en présence de l'obligation qui nous était imposée ? Non ; nous aurions manqué à notre devoir et nous aurions encouru les reproches de toutes les parties de la Chambre.

Les arguments qu'on a fait valoir pour démontrer, non l'inconstitutionnalité, on ne l'a pas essayé, mais l'illégalité de la convention d'Anvers, ces arguments ne résistent pas à l'examen.

J'arrive à la conduite que le gouvernement a tenue depuis le 14 février.

Messieurs, selon l'honorable préopinant, nous avons d'abord manqué aux engagements que nous avions pris, parce que nous avions annoncé que nous consulterions tous les conseils communaux, et que nous n'en avons consulté qu'un certain nombre.

Il est évident, messieurs, qu'en disant que nous consulterions les conseils communaux, cela signifie que la convention d'Anvers ne serait introduite dans aucun établissemenl quelconque, sans que l'on eût préalablement pris l'avis des conseils communaux ; mais, fallait-il, après le vote de la Chambre et tout d'abord, adresser une circulaire à tous les conseils communaux, et leur dire : Supposez toutes les difficultés levées et toutes les personnes chargées d'appliquer la convention d'Anvers, donnant leur assentiment, consentiriez-vous aussi à l'admettre ?

Ils auraient pu nous répondre : Montrez-nous que les autres personnes qui doivent consentir et concourir à l'application de cette convention y consentent, et alors nous répondrons. A quoi bon répondre que nous consentirons à admettre un règlement, dans l'ignorance où nous sommes si ceux qui doivent concourir à son application y consentent de leur côté.

Nous avons demandé pour tel ou tel athénée, soit au clergé, soit au bureau administratif : Entendez-vous accepter la convention d'Anvers ? Entendez-vous l'appliquer, mutatis mutandis ? Quand le clergé a répondu non pour un établissement, nous n'avons pas eu besoin de consulter le conseil communal. Je pourrais citer telle ville où cela s'est passé de la sorte.

Je le répète, nul ne songe à introduire dans un établissement la (page 115) convention d'Anvers sans avoir pris l'avis du conseil communal. Mais ce n'est pas à dire pour cela qu'on doive demander l'avis de tous les conseils communaux simultanément. L'article 8 de la loi doit recevoir une application générale ; mais cette application peut se faire successivement et dans toutes les localités où il s'établira un accord entre le clergé, l'administration et le conseil communal.

L'honorable M. Verhaegen peut donc être parfaitement tranquille ; je le répète, lorsque le moment sera venu, chacun des conseils communaux sera consulté ; bien entendu lorsque nous serons à même d'arriver à un résultat.

Cependant l'honorable M. Verhaegen insiste beaucoup sur ce point qu'il regarde comme capital. Il nous dit qu'en agissant de la sorte, nous avons manqué de respect pour les libertés communales. Il va plus loin ; il dit que nous les avons anéanties. Qu'un de vous veuille bien citer un acte, un seul acte, d'où il résulte, non pas que nous avons anéanti les libertés communales, mais que sur un point quelconque, si insignifiant qu'il soit, nous avons menacé ces libertés, et nous passons condamnation.

Ou vous a dit qu'une petite ville avait répondu d'une manière écrasante pour le ministère.

Elle avait déclaré que cette convention d'Anvers n'était pas une chose acceptable, n'était pas même une chose présentable. Je puis vous assurer que si cette déclaration existe, elle nous a laissés parfaitement indifférents. Nous voulons que les conseils communaux soient libres, que tout le monde soit libre. Nous ne voulons imposer la convention d'Anvers à aucune localité, à personne. Il y a plus, si les conseils communaux qui ont accepté la convention d'Anvers, à une époque déterminée, au renouvellement des conseils d'administration par exemple, ne veulent plus s'y soumettre, ils seront dégagés. La liberté n'existe pas seulement aujourd'hui tout entière et pour tout le monde ; elle continuera à exister pour le clergé, comme pour les administrations communales.

Nous voici arrivés à un grief bien plus sérieux. Pour celui-ci, on l'a proclamé absolument irrémissible. Nous avons cherché à éloigner un honorable professeur de l'athénée de Bruxelles, et pourquoi ? Pour plaire au clergé. Voyez jusqu'à quel point nous sommes faibles, jusqu'à quel point nous courbons la tète devant le clergé !

M. Verhaegen. - C'est M. le ministre de l'intérieur qui l'a déclaré.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Mais c'est vous qui avez déclaré que c'était un grief. M. le ministre de l'intérieur a expliqué la chose de la manière la plus simple. Je vais la répéter brièvement de la même manière, car je dois le dire, M. Verhaegen a parlé comme s'il n'avait pas entendu les observations de M. le ministre de l'intérieur.

Ainsi nous avons courbé la tête devant le clergé pour lui plaire, nous avons osé proposer à un professeur de l'athénée de Bruxelles une autre place ! Permettez-moi de réduire ce fait à sa plus simple expression. Nous savions, et ce n'était un secret pour personne, qu'il y ayait à l'athénée de Bruxelles un professeur qui devait faire obstacle à ce que le clergé introduisit dans cet établissement un ecclésiastique pour faire le cours de religion. Cela était connu.

Qu'a fait le ministre de l'intérieur ? Il s'est adressé au président du bureau administratif et du conseil communal de Bruxelles, et il lui a dit : Nous sommes en présence de la convention d'Anvers ; convient-elle au clergé, au bureau administratif et au conseil communal, je l'ignore, mais ce que je sais, c'est que pour le clergé il y aura un obstacle. Il y a un professeur qui sera cet obstacle. Evidemment notre devoir était de faciliter l'établissement du cours de religion obligatoire par des moyens loyaux, honnêtes. Le ministre de l'intérieur a donc dit au bourgmestre : Ce professeur est un homme distingué, destiné à occuper plus tard une position supérieure à celle qu'il occupe et qu'il ambitionne lui-même. En attendant que nous puissions la lui donner, voulez-vous lui offrir une position intermédiaire, celle de professeur au Musée ? Mais dites-lui bien que c'est une offre bienveillante ; que s'il accepte, ce sera bien ; que s'il refuse, ce sera bien aussi. Le gouvernement ne lui aura aucune espèce de rancune de son refus. On s'est adressé au professeur en ne lui cachant rien. Il a répondu : Je préfère conserver la place que j'ai. On lui a dit alors : Eh bien, conservez votre place, remplissez votre devoir comme vous l'avez fait jusqu'à présent. On a fait connaître la chose au clergé, et l'instruction religieuse ne se donne pas à l'athénée de Bruxelles. Voilà tous les faits. (Interruption.)

Personne ne les conteste ?

M. Verhaegen. - Assurément non.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Personne ne conteste les faits, pas même l'honorable M. Verhaegen que j'ai toujours reconnu comme un homme très loyal.

M. Verhaegen. - C'est sur ces faits que j'ai raisonné.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est un grand point d'être d'accord sur les faits, il ne s'agit plus maintenant que de les apprécier.

Eh bien, je vais jusqu'à dire, non pas seulement que le gouvernement n'a point mal fait, mais que s'il avait agi autrement il aurait manqué à son devoir parce que l'enseignement religieux est obligatoire et que le gouvernement doit faire ce qu'il peut pour que la loi s'exécute.

Quand il y a un obstacle faut-il qu'il dise : Il y a un obstacle ; ainsi soit-il ; nous ne ferons rien pour le lever. Est-ce la position que doit prendre le gouvernement ? Non ; s'il agissait ainsi il serait blâmable ; sa conduite ne saurait être excusée. Il s'est conduit au contraire avec une loyauté irréprochable.

Il n'a pas cherché à leurrer, à tromper le professeur. L'intermédiaire auquel le ministre a eu recours probablement le déclarera. Car quoi qu'il me tienne de très près, je déclare sur l'honneur que je ne lui avais jamais parlé de la convention d'Anvers, ni de l'application de la convention d'Anvers avant la délibération du bureau administratif de l'athénée de Bruxelles. Et nous sommes des intrigants, des gens voulant par tous les moyens, « per fas et nefas », arriver à ce but épouvantable de faire adopter la convention d'Anvers par les athénées !

Je dis, messieurs, que la manière dont nous nous sommes conduits relativement à la convention d'Anvers doit nous valoir l'approbation de tout le monde. Car nous n'avons blessé aucun intérêt, nous n'avons fait de tort à personne ; nous n'avons montré aucune faiblesse, nous n'avons rien caché, nous avons agi ouvertement, loyalement, honnêtement.

Où est le grief ?

J'attendrai que l'on vienne avec de nouvelles raisons pour me le prouver. Mais je dois déclarer que jusqu'à ce que cette preuve me soit fournie, j'ai la conscience parfaitement tranquille, je suis convaincu que le gouvernement a rempli ses devoirs et qu'il n'a aucun reproche à e faire.

J'arrive, messieurs, au dernier grief.

Nous avons eu le 14 février, selon l'honorable M. Verhaegen, l'extrême témérité d'annoncer que le clergé avait consenti à ce que le voeu des pères de famille fût rejeté en ce qui concerne l'enseignement religieux. En d'autres termes, nous avons eu la témérité d'annoncer que le clergé avait consenti à ce que les élèves, dont les parents en témoigneraient le désir, fussent dispensés de suivre le cours d'enseignement religieux. Cependant l'événement est venu prouver, non pas que nous avions trompé la Chambre, mais que nous nous étions trompés, que nous avions été induits en erreur. Car évidemment aujourd'hui le clergé ne consent pas à ce que le vœu des pères de famille soit respecté.

Messieurs, le clergé y avait consenti avant le 14 février, et le clergé y consent aujourd'hui, juste dans les mêmes termes. Nous sommes sur ce point vis-à-vis du clergé, le 25 novembre comme nous étions le 14 février ; rien n'est changé.

La promesse faite par le clergé à cet égard existe aujourd'hui comme elle existait alors. Je dis plus ; elle est remplie aujourd'hui comme nous entendions qu'elle serait remplie, et elle continuera à l'être.

D'où l'honorable M. Verhaegen tire-t-il qu'il y a eu un changement à cet égard ? Le voici :

Il a été entendu, dès avant le 14 février, que les bureaux administratifs seraient invités à faire deux règlements séparés, l'un pour lequel il faut l'adhésion du clergé, c'est celui qui renferme tout ce qui concerne l'enseignement à donner par le clergé ; un autre renfermant certaines dispositions conformes à la loi, conformes à nos promesses et à nos engagements, réglant la manière dont se donnerait l'enseignement aux protestants, aux Israélites, aux élèves appartenant à tous les cultes dissidents.

Il avait été entendu, avant le 14 février, que nous inviterions les bureaux administratifs à faire deux règlements. Pourquoi ? Par une raison toute simple ; qu'est-ce que le clergé catholique a à approuver dans un règlement qui concerne l'enseignement à donner par des ministres de la religion protestante, par des ministres de la religion juive ? Mais le consentement du clergé catholique sur ce point n'est pas du tout nécessaire. Le clergé a consenti, et consent d'une manière expresse, d'une manière formelle, consentement qu'il reconnaît et qu'il renouvelle encore aujourd'hui, à ce que l'enseignement religieux soit donné à tous les cultes dissidents.

Mais il n'était nullement nécessaire, il ne devait pas lui être agréable non plus que le règlement à intervenir à son égard fût soumis à son approbation.

Pourquoi faut-il que l'évêque d'un diocèse signe des dispositions par lesquelles on indique comment on donnera l'enseignement aux protestants, aux Israélites ? Cela n'est pas plus nécessaire qu'il n'est nécessaire que le consistoire protestant ou le grand rabbin de Belgique vienne signer le règlement concernant l'enseignement à donner aux catholiques.

M. Frère-Orban. - L'évêque ne signe pas de règlement.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - L'honorable M. Frère me fait une observation qui matériellement est très juste. Il n'y a pas de signature à donner. Lorsque j'ai parlé de signature, j'ai voulu dire approbation.

M. Frère-Orban. - Il n'y a pas approbation.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Pardonnez-moi. Si le règlement ne convient pas à l'évêque, il ne donne pas d'ecclésiastique.

M. Frère-Orban. - Des actes du conseil communal ne sont pas soumis à l'approbation de l'évêque.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - J'accepte l'interruption. L'honorable M. Frère dit que les actes de l'administration communale ne sont pas soumis à l'approbation du clergé. Mais il y a un contrat avec le clergé.

Le clergé est complètement indépendant du pouvoir civil. Nous ne pouvons pas le forcer ; nous devons traiter avec lui. Quand je dis nous, je parle du pouvoir civil en général. Le pouvoir civil traité avec lui, et c'est au contraire la convention faite avec le clergé qu'on soumet au conseil communal. Ce n'est pas l'acte du conseil communal qu'on soumet au clergé ; c'est l'acte du clergé qu'on soumet au conseil communal. Tout cela est parfaitement régulier.

J'en reviens, messieurs, au point que je traitais. Il n'est pas plus nécessaire que le règlement qui établit comment l'enseignement catholique sera donné aux catholiques soit soumis au grand rabbin, ou au consistoire israélite, qu'il n'est nécessaire que le règlement concernant l'enseignement à donner aux protestants ou aux Israélites soit soumis à l'évéque. Ainsi au lieu d'un règlement on en fait deux. Tous les deux sont soumis au conseil communal, tous les deux ont été auparavant approuvés par le bureau administratif.

Y a-t-il là un grief ? Encore une fois j'attends qu'on me le démontre Mais jusqu'ici je déclare que je ne vois pas qu'il y ait le moindre mal à ce qu'il y ait deux règlements au lieu d'un, du moment où il est bien entendu, et il faut que personne n'ait de doutes à cet égard, cela se fait au grand jour.

Ah ! si nous faisions un règlement pour soumettre au clergé, et puis que dans l'ombre, en nous cachant, nous fissions un autre règlement qui ne dût pas voir le grand jour et dans lequel on établît comment se donnera l'enseignement religieux aux dissidents, je conçois qu'alors il y aurait grief contre nous. On pourrait dire ici ce qui se dit au-dehors : on joue un jeu où les deux joueurs se trompent. Mais ici nous ne trompons personne et personne ne nous trompe, parce que tout se fait au grand jour. Les deux règlements sont discutés de la même manière, sont votés de la même manière, sont soumis à l'approbation des mêmes autorités civiles.

La seule différence, c'est qu'on ne demande pas au clergé si le règlement qui concerne l'enseignement religieux à donner aux dissidents lui convient, pas plus qu'on ne demande au grand rabbin ou au consistoire protestant, si le règlement qui concerne l'enseignement religieux catholique lui convient.

Messieurs, j'ai successivement examiné, sans en dissimuler, sans en affaiblir aucun, les arguments présentés par l'honorable M. Verhaegen, et contre la convention d'Anvers et contre la conduite que le gouvernement a tenue depuis le 14 février.

Je maintiens que la convention d'Anvers est parfaitement constitutionnelle, je maintiens qu'elle est parfaitement conforme à la loi de 1850, et qu'elle ne blesse aucune des dispositions de cette loi. Je maintiens que la convention d'Anvers, loin de compromettre la liberté communale, loin de compromettre aucune liberté quelconque, ne fait que donner une nouvelle sanction à la liberté dont tout le monde jouit en Belgique, particulièrement en matière de culte.

Je maintiens que le gouvernement, en aidant à la conclusion de la convention d'Anvers, n'a pas seulement été irréprochable, mais qu'il a rempli un impérieux devoir, parce qu'il n'a fait autre chose que chercher le moyen d'arriver à l'application nette, correcte, utile de la loi de 1850. Je maintiens que si le gouvernement était resté les bras croisés, s'il n'avait pas cherché à conclure cet arrangement, il aurait mérité le blâme de la législature.

Maintenant, qu'il me soit permis d'ajouter un dernier mot. Chaque fois que le clergé, qu'un bureau administratif qu'un conseil communal se prononce, soit contre la convention d'Anvers, soit contre l'application de cette convention à un établissement quelconque, nos adversaires jettent de hauts cris et disent, en entonnant un chant de triomphe : « Encore un échec pour le ministère ! » Eh bien, messieurs, je vous le déclare franchement et sincèrement, le refus d'accepter la convention d'Anvers pour telle ou telle localité, tout cela ne constitue pour le ministère ni échec ni triomphe. Le gouvernement a négocié le type d'une convention, cette convention il ne l'impose à personne, il ne cherche pas même, par des moyens détournés, par des moyens d'influence, à la faire accepter par qui que ce soit.

Ce qui serait un échec pour nous, messieurs, je vais vous le dire, ce serait d'être convaincus d'avoir compromis la liberté de quelqu'un ; mais tant qu'on ne me démontrera pas que le gouvernement, directement ou indirectement, par des moyens avoués ou par des moyens détournés, que le gouvernement a compromis une liberté quelconque, je resterai parfaitement en sécurité avec moi-même et j'appellerai sans crainte le jugement de tous les hommes justes et impartiaux.

- M. Sinave, admis comme membre de la Chambre dans une séance précédente, prête serment.

La séance est suspendue à quatre heures trois quarts.

A huit heures et quart la séance est reprise.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de loi de la section centrale ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Au nom du gouvernement, M. le ministre de l'intérieur a déclaré que, quant au seigle, en présence des faits nouveaux qui se sont produits, il admet la prohibition, mais que pour le froment, les circonstances ne lui paraissent pas telles qu'il faille étendre la prohibition à cette denrée.

M. le président. - La discussion s'ouvre donc sur le projet du gouvernement.

(page 123) >M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, en présence de l'excessive cherté des céréales, le gouvernement, après avoir pris l'avis des autorités provinciales, des chambres de commerce et des commissions d'agriculture, a eu l'honneur de vous présenter un projet de loi qui prohibe l'exportation des pommes de terre, qui déclare libre l'entrée des céréales de toute nature et qui, en un mot, à peu d'exceptions près, reproduit la loi du 31 décembre 1853. Cette loi, messieurs, comme vous le savez, a répondu parfaitement à l'attente du législateur. Malgré l'insuffisance de la récolte, cette loi a eu pour effet de procurer à la Belgique le grain à meilleur marché qu'il n'est en Angleterre et à Amsterdam.

La moyenne du prix du froment, pendant tout le temps qui s'est écoulé du 1er janvier dernier au 1er septembre, a été en Belgique de fr. 32 09 et en Angleterre de 32 96.

Toutefois, messieurs, depuis la présentation de ce projet de loi, des faits nouveaux se sont produits ; la chambre de commerce qui, par l'importance des intérêts qu'elle représente, était à la tête de celles qui engageaient le gouvernement à ne pas prohiber la sortie des céréales, la chambre de commerce d'Anvers a changé d'opinion et a sollicité du gouvernement que, quant au seigle, il consentît à la prohibition de sortie, laissant à la sagesse de la législature à prendre telles mesures qui lui sembleraient convenables pour ce qui concerne le froment.

Aujourd'hui, messieurs, une autre chambre de commerce, celle de Gand, vient également de revenir sur sa première décision. Je cite ce fait, bien qu'il ne soit pas officiellement à votre connaissance, parce que je ne veux pas que vous ignoriez une seule des circonstances qui se rapportent à ce grave débat.

En présence de cette situation, messieurs, en présence des faits qui viennent d'être posés en France,et surtout des décrets dont l'un défend la distillation des grains et l'autre interdit la sortie des céréales de I'Algérie vers d'autres destinations que la France, en présence de ces faits, dis-je, qui semblent avoir alarmé la Belgique et la France, le gouverment a compris les perplexités de plusieurs membres de cette Chambre qui, l'année dernière, étaient les principaux partisans du système de libre échange appliqué au commerce des grains.

Toutefois, après avoir soumis cette question à un nouvel examen, le gouvernement n'a pu se décider à se rallier à l'opinion de ceux qui voulaient dès aujourd'hui étendre la prohibition, même au froment.

S'il n'y avait ici en question qu'un principe d’économie politique, le gouvernement en ferait volontiers le sacrifice ; il l'a prouvé en défendant l'exportation des pommes de terre, en vous proposant de prohiber celle du seigle. Mais, messieurs, l'affaire a une autre portée, et il s'est demandé si au lieu d'amener la baisse, comme on l'espère, la prohibition n'aura pas pour effet de déterminer une hausse, sinon immédiatement, au moins dans un avenir prochain.

Il est permis aussi de se demander si la prohibition à la sortie ne sera pas un fatal exemple donné aux puissances qui nous avoisinent, et si notamment le Zollverein et la Hollande, qui ont les yeux fixés sur nous, ne seront pas tentés d'imiter notre exemple et d'user de représailles.

Il est permis de se demander encore si en supposant momentanément une baisse légère du prix des céréales, elle ne sera pas suivie d'une hausse beaucoup plus forte au printemps prochain, de telle sorte que le bienfait immédiat qu'on pourrait obtenir serait acheté par un tort beaucoup plus grand dans l'avenir.

Enfin, il est permis de se demander si, en supposant que la prohibition du froment finisse par être décrétée, le moment est venu de prendre cette mesure.

Voilà toutes questions sur lesquelles le gouvernement a des doutes, et il croit qu'il est de son devoir de vous les soumettre.

Je tâcherai d'être bref, aussi bref que le comporte l'importance de la matière ; je tâcherai surtout de ne pas passionner le débat, et je prie les orateurs qui me suivront, d'imiter autant que possible mon exemple. Nous sommes tous des amis du bien public ; nous pouvons différer d'opinion selon les convictions qui nous animent ; mais je rends à mes adversaires cette justice, et je demande qu'à leur tour ils me la rendent, que tous ils veulent que le peuple obtienne le pain au plus bas prix possible.

Messieurs, chez les nations qui n'ont pas vécu longtemps sous le régime du libre commerce des grains, chaque fois qu'il survient une cherté que les masses ne peuvent pas s'expliquer, à défaut de pouvoir s'en prendre à Dieu, elles s'en prennent aux hommes. Dans les temps anciens, au moyen âge, les disettes étaient attribuées à des sorciers, et l'on prétendait que nuitamment ils extrayaient les grains des épis et amenaient ainsi la rareté, et la hausse du prix des grains. Aujourd'hui qu'on ne croit plus aux sorciers, certains hommes, et je regrette de voir parmi eux des personnes qui, par leur éducation et leur instruction, devraient être au-dessus de ce préjugé ; certains hommes, dis-je, n'attribuent plus les disettes à des sorciers, mais aux accapareurs, et, en seconde ligne, aux institutions qui nous gouvernent ; eh bien, je crois que cette double erreur n'est pas plus justifiable que celle des temps anciens.

L'accaparement pour amener une hausse peut se comprendre, messieurs, s'il exerce son action dans une localité peu importante ; mais soutenir qu'il faut attribuer à des accapareurs la cherté qui existe aujourd'hui dans tous les pays de l'Europe occidentale, depuis Madrid jusqu'à Vienne, depuis Rome jusqu'à Paris, c'est, à mon avis pousser l'hyperbole beaucoup trop loin.

L'intérêt du commerçant en grains, c'est de renouveler le plus souvent possible ses opérations, parce qu'il est infiniment plus facile de gagner peu sur un grand nombre d'opérations que de gagner beaucoup sur une seule. Comment peut-on croire d'ailleurs qu'un accapareur irait faire la hausse à son avantage ? Ne devrait-il pas, le lendemain de la vente qu'il aurait faite, acheter à son tour, à ce prix surélevé par ses propres manoeuvres ?

Un troisième motif s'oppose à l'accaparement : c'est qu'il faudrait des capitaux énormes, dont aucun négociant ne peut disposer. Qu'on veuille bien se rappeler, en effet, que la masse de grains nécessaire pour l'alimentation d'un seul million d'habitants représente aujourd'hui une somme de 75 millions de francs, et l'on comprendra l'impossibilité de faire la hausse ou la baisse dans toute l'Europe, de telle sorte que la vente ou l'achat soit toujours favorable à de prétendus accapareurs.

Et puis, comment établir l'entente entre tous ceux qui font le commerce des grains ? N'est-il pas évident que, tous opérant dans des temps différents et avec leurs capitaux particuliers, le résultat que l'un voudrait obtenir, un autre le neutraliserait ? L'un vend aujourd'hui, l'autre vend demain ; la vente de l'un contrarierait le désir qu'aurait l'autre de ne pas vendre. Ajoutez à cela l'espèce de solidarité qui se manifeste dans le commerce des grains : il suffit qu'une hausse se déclare sur un marché, pour qu'elle se produise sur les marchés voisins ; il suffit qu'une hausse se constate à Londres, pour qu'elle se reproduise sur le continent, et réciproquement.

Ce qui n'est pas moins absurde que la crainte d'accaparement, c'est d'attribuer au gouvernement un pouvoir omnipotent sur le prix des grains en Belgique. Que le peuple soit dans cette erreur, cela s'explique ; mais que cette erreur soit partagée par des personnes instruites, voilà ce que je ne conçois pas. On ferait une chose très sage, si au lieu de caresser ces préjugés populaires, on faisait comprendre aux masses qu'il n'est pas plus au pouvoir du gouvernement et des Chambres de faire hausser ou baisser le prix des grains que de faire la pluie ou le beau temps ; on agirait sagement si on leur disait : On vous trompe, quand on vous dit que le gouvernement a ce pouvoir. Jetez les yeux autour de vous et demandez qu'on vous cite un seul pays en Europe qui en ce moment jouisse du bienfait du bon marché.

Oui ! On vous trompe ; si vous en voulez une preuve, jetez les yeux sur la France, où il y a ordinairement un excédant de 120 millions de kilogrammes de grains ; où il y a un chef omnipotent qui veut faire oublier les sacrifices qu'il doit exiger de ses concitoyens pour la guerre d'Orient et qui ne néglige aucune mesure pouvant aider à la baisse des prix ; qui empêche la distillation des grains, et décrète que les céréales de l'Algérie ne pourront être exportées qu'en France ; qui s'ingénie à trouver des moyens pour déterminer le bas prix du pain ; voyez à quel résultat il est arrivé. Jetez les yeux sur les dernières mercuriales du département du Nord, le seul qu'on puisse prendre pour point de comparaison, parce que cette partie de la France est la seule qui'soit comparable à la Belgique dont elle est en quelque sorte la continuation ; prenez pour point de comparaison cette Flandre française qui a les mêmes mœurs, les mêmes nécessités, la même activité que nous. Que voyez-vous ? A Lille, pendant la troisième semaine de novembre le prix du froment dépasse de quelques centimes le prix moyen de la Belgique !

Si l'on disait au peuple : On vous trompe ; jetez les yeux sur l'Angleterre, ce grand grenier d'abondance de toute l'Europe ; eh bien, dans la première semaine de novembre, le prix du grain était chez nous de 29 fr. 70, et en Angleterre de 29 fr. 20, c'est-à-dire que sur le marché anglais le prix était inférieur de 50 centimes à ce qu'il était en Belgique, c'est-à-dire que la différence était égale à la moitié du droit que nous allons abolir. Voyez le prix du froment à Amsterdam ; là aussi il est plus élevé que chez nous. Si l'on tenait au peuple un pareil langage on lui rendrait un grand service, car on lui apprendrait la vérité.

Quelles sont donc, dira-t-on, les causes de la persistance de la cherté des grains après une récolte aussi abondante que celle de cette année ? Parmi ces causes, il en est de temporaires, mais il en est d'autres d'une nature permanente, et qui font appréhender que la cherté durera plus d'une année encore. Les causes temporaires, je m'y arrêterai peu ; vous savez que la guerre d'Orient, outre qu'elle restreint les capitaux disponibles, augmente l'intérêt de l'argent et le prix des vivres. Cette guerre formidable arrête les spéculations à long terme, inquiète le commerce, le rend craintif et paralyse son énergie ; cette guerre a encore pour résultat de nous priver des grains que nous tirions de ports russes et des autres ports de la mer Noire. A ces causes, il faut ajouter que la cherté est non moins grande aux Etats-Unis qu'en Europe. Si c'étaient là les seules causes du haut prix des grains, elles seraient difficilement conciliables avec les faits, car, si nous ne pouvons plus compter sur des arrivages de la Russie et de l'Amérique, les besoins de l'Europe occidentale sont infiniment moindres que ceux des années précédentes ; d'autre part, ona exagéré l'importance qu'ont pour l'Angleterre les produits russes et américains qui ne pourront concourir à l'approvisionnement de l'Europe, car l'Angleterre n'a reçu de l'Amérique et de la Russie que le tiers des grains qu'elle a importés, et un peu moins de la moitié des farines.

(page 124) Pour créer ses grands approvisionnements l'Angleterre a puisé, non pas dans deux pays seulement, mais dans cinquante-trois pays disséminés sur le globe.

Ainsi, d'une, part, si nous nous trouvons privés d'un tiers de nos moyens d'importation, veuillez ne pas oublier que les récoltes abondantes de l'Europe occidentale ne nécessitent pas d'aussi fortes importations que les années précédentes.

La guerre d'Orient et la fermeture des ports russes n'expliquent donc pas suffisamment la cherté des céréales dont nous souffrons. Outre ces causes il en est d'autres qui sont destinées à durer plusieurs années. L'année dernière j'en ai indiqué une, l'élévation des frets ; permettez-moi de rappeler quelques lignes du discours que j'ai prononcé alors.

« Messieurs, si l'infériorité de la récolte de cette année est une cause passagère qui élève les prix outre mesure, il y en a une autre qui, je le crains bien, persévérera plusieurs années encore ; c'est l'élévation du fret.

« Depuis peu d'années, le domaine de la navigation s'est étendu considérablement. Vous savez comme moi que les Anglais se sont fait ouvrir plusieurs ports de la Chine ; vous savez comme moi que le commerce s'y porte chaque jour davantage. D'autre part, l'usage du guano qui se répand de plus en plus, emploie des centaines, des milliers de navires toute l'année. L'Angleterre, en faisant sa dernière réforme, a ouvert ses colonies aux navires de toutes les nations. De là encore des navigations plus lointaines pour la marine marchande de toute l'Europe qu'autrefois.

« Ajoutez à cela que l'accroissement industriel n'existe pas seulement en Belgique ; cet accroissement se présente dans toute l'Europe occidentale ; et de là résultent des échanges internationaux et des transports maritimes décuples de ce qu'ils étaient autrefois,

« Les mines aurifères de la Californie et de l'Australie perdent à chaque voyage l'équipage qu'on y envoie.

« La conséquence de cet ensemble de circonstances, et il n'y a pas un homme qui s'occupe de cette spécialité dans les ports maritimes qui ne le sache pas, c'est que, terme moyen, les navires qui autrefois faisaient trois courses par année, n'en font plus qu'une, tant leur navigation est devenue lointaine.

« Ce qui revient à dire que pour l'utilité que peut en retirer le commerce des céréales, le nombre des navires est diminué des deux tiers.

« « Voici le prix du fret :

« D'Odessa à Anvers, pour le seigle, il était en 1850 de 50 fr. par tonneau, il est aujourd'hui de 105 fr. ; ce qui faits 3 fr. 66 par hectolitre ; en 1851, le froment, pour le transport, coûtait 55 fr. par tonneau ; il est aujourd'hui de 115 fr. 50 : cequi fait par hectolitre près de 4 francs d'augmentation.

« En novembre dernier, le fret d'Odessa à Anvers s'est élevé à 10 fr. par hectolitre de grain.

« Le remède à ces maux, c'est de construire des navires, dira-t-on ! Eh bien, ce remède est inefficace. On peut construire des coques, mais on ne construit pas des marins ; il faut qu'ils naissent, qu'ils s'élèvent ; il y a deux genres d'ouvriers, deux genres de subalternes qu'on ne peut pas trouver à volonté : ce sont les marins et les ouvriers mineurs. Les uns et les autres doivent naître en quelque sorte ; il faut qu'on les élève et qu'on leur fasse faire leur éducation.

« Je dis donc qu'il est permis de craindre que cette élévation du fret ne s'arrête pas de sitôt et qu'elle ne dure plusieurs années peut-être. »

Une autre cause permanente de la cherté, c'est le déclassement de nos populations. A mesure que la population des campagnes afflue, soit vers les villes, soit vers les centres industriels, soit vers les grands travaux d'utilité publique, la consommation augmente considérablement et le déficit annuel que présente notre récolte augmente dans la même proportion, La consommation augmente non seulement parce que le salaire s'élève, mais aussi parce que la déperdition de forces, le dépérissement de la santé de l'ouvrier dans les ateliers et dans les villes, exigent une nourriture plus substantielle. Vous en avez un exemple dans les soldats. Il est reconnu par tout le monde que mille soldats dans les casernes ont besoin d'une nourriture beaucoup plus forte, beaucoup plus abondante, que ce même millier d'hommes répartis entre leurs foyers domestiques.

Ce déclassement, messieurs, est, aujourd'hui tel, qu'on trouve avec peine des ouvriers à la campagne et que, pour les travaux industriels mêmes, les bras manquent.

Enfin une troisième cause permanente de renchérissement, c'est la dépréciation du signe monétaire, dépréciation qui tient à la prodigieuse rapidité avec laquelle l'or et l'argent se répandent des nouvelles mines aurifères dans toute l'Europe.

Nous assistons en ce moment à un spectacle analogue à celui qu'ont vu les générations contemporaines de la découverte de l'Amérique et de la première exploitation des mines du Pérou et du Mexique, sauf que les bouleversements dans le prix de toutes choses seront bien plus prompts qu'à cette époque. Le grand historien Hume, qui écrivait en. 1750, estime que toute chose payée à cette époque avait quadruplé de valeur depuis la découverte de l'Amérique.

Naguère encore, messieurs, on estimait que l'exploitation de toutes les mines d'or et d'argent du monde entier ne dépassait pas 280 millions par an, et d'après les plus justes évaluations, un quart venait en Europe, de telle sorte que chaque année la quantité de numéraire en Europe s'augmentait d'environ 70 millions de francs. Eh bien, messieurs, cette somme comparativement si modique de 70 millions, ajoutée annuellement au stock numéraire qui existait en Europe, suffisait pour qu 'en moins d'un siècle toutes les choses fussent doublées, presque triplées de valeur.

Aujourd'hui ce n'est plus 280 millions d'or et d'argent qu'on extrait des mines, c'est plus d'un milliard ; et en supposant que le quart seulement vienne en Europe augmenter la masse du numéraire, on arrive à une somme de près de 300 millions de francs dont la masse en circulation s'augmente annuellement. Aussi, messieurs, croyons-nous sincèrement qu'un auteur, M. Gustave de Puysol, qui a fait sur les monnaies un excellent traité, est déjà distancé par les faits, se trouve déjà arriéré depuis qu'il écrivait en 1851 sur l'accroissement annuel de la réserve métallique. Depuis lors, l'extraction de l'or et de l'argent a progressé avec une rapidité beaucoup plus grande encore pendant que les années où écrivait cet auteur.

Que résulte-t-il de là ? C'est qu'en admettant même que le doublement et par conséquent la dépréciation de moitié du capital monétaire, ne pût se faire alors qu'en 30 ans, aujourd'hui nous nous trouvons en Europe, non pas en présence d'un terme de 30 ans, mais en présence d'un terme de 6 ans, et je vous demande s'il n'est pas inévitable, s'il n'est pas logique, s'il n'est pas nécessaire que cette masse de numéraire, ajoutée à la masse métallique déjà existante, déprécie la valeur monétaire et augmente dans la même proportion la valeur de louteï chose.

Du reste, abandonnons un instant les chiffres. Il y a un point sur lequel nous serons, je pense, tous d'accord, parce que chacun de nous pourra consulter sa mémoire et son expérience personnelle. 1| y a un thermomètre qui ne trompe jamais : lorsque la cherté du blé dérive d'une insuffisance, le blé seul augmente de prix, et toutes les autres choses, surtout tout ce que produit la main de l'homme, diminue de valeur. C'est tellement vrai qu'en 1845, par exemple, la main-d'œuvre était descendue si bas que rien que pour être nourri san sautre rémunération que celle-là, on venait offrir son travail.

Lorsque au contraire ce ne sont pas les céréales seules qui augmentent de valeur, mais qu'à côté de la cherté des céréales se trouve la cherté de toutes choses, vous pouvez être persuadés qu'alors c'est en grande partie la dépréciation du signe monétaire qui en est cause.

Eh bien ! je vous le demande, à l'heure où nous sommes, sont-ce les céréales seules dont la cherté vous frappe ? Non sans doute. Tout le monde me répondra qu'à côté de la cherté des céréales se trouve en ce moment la cherté de toutes choses. Si l'on n'admettait pas cette vérité, messieurs, je défie qu'on m'explique comment il se fait que, dans un pays voisin, où, de notoriété publique, il y a surabondance de grains, d'où certes on ne dira pas qu'il s'en exporte pour les besoins étrangers, dans un pays où l'on ne néglige aucun moyen de faire diminuer les prix, je défie qu'où m'explique comment il se fait qu'en France il existe la même cherté que chez nous. (Interruption.)

J'entends dire par l'honorable comte de Mérodc, qu'on distillait les grains.

Eh bien, là comme ici, le décret sur la distillation des grains est une de ces mesures que l'empereur a prise pour satisfaire à l'opinion publique, et il est trop éclairé pour ne pas savoir que cela ne peut faire baisser le prix d'un centime.

En effet, messieurs, la France produit 108 milliards de kilogrammes de céréales. Et savez-vous la quantité qu'employaient, que consommaient toutes les usines des grains pour la distillation ? Elles employaient une quantité qui ne fait pas la millième partie de la production. Et vous croyez qu'en enlevant un millième de l'approvisionnement d'un pays, on puisse faire hausser aussi fortement les prix ? Cela n'est pas raisonnable, cela n'est pas sérieux.

Maintenant, messieurs, que je crois vous avoir indiqué les causes de la cherté, quels sont les remèdes ? Pour ma part je n'en connais qu'un qui soit efficace ; c'est l'augmentation du prix de la main-d'œuvre, afin que l'ouvrier puisse trouver dans son salaire de quoi satisfaire à ses besoins. Voilà le seul moyen efficace, le seul moyen qui puisse porter des fruits salutaires.

Heureusement ce remède existe, il est employé dans plusieurs de nos provinces.

A l'heure où je vous parle, tous ceux qui appartiennent au Hainaut, aux provinces de Namur et de Liège, vous diront que la journée de l'ouvrier se trouve déjà augmentée dans la proportion de la cherté des vivres.

Malheureusement, j'en conviens, il n'en est pas tout à fait ainsi dans quelques parties des Flandres. Dans d'autres contrées agricoles, l'ouvrier n'est pas autant à plaindre, parce que l'on y est payé en nature, mais dans beaucoup de nos campagnes, surtout dans les Flandres, ils sont payés en argent et d'une manière tout à fait insuffisante.

Est-ce à dire qu'il n'y a rien à faire ? Messieurs, nous pouvons sans doute employer quelques lénitifs ; nous pouvons essayer quelques remèdes pour soulager le mal. Mais ces moyens ne sont rien à côté de celui que j'ai eu l'honneur de vous indiquer.

Le gouvernement vous propose l'abolition de tout droit d'entrée sur les céréales. Le gouvernement anglais, malgré la cherté, maintient un droit d'entrée de 42 centimes, et comme je l'ai fait ressortir par la (page 125) comparaison des derniers prix courants, la différence entre le marché de Londres et le marché belge est de 50 centimes. Je suis donc porté à croire, comme je l'ai déjà dit l'année dernière, que l'abolition du droit d'un franc profitera pour moitié au commerce et pour moitié au consommateur ; de telle sorte que les prix se nivelleront entre l'Angleterre et la Belgique.

Une autre mesure que vous a proposée le gouvernement, c'est la défense d'exporter le seigle et les pommes de tere. Pour les pommes de terre, il n'est pas nécessaire de vous en expliquer le motif. J'ai besoin seulement d'ajouter quelques mots pour justifier la défense d'exporter le seigle.

Vous savez tous qu'en France le gouvernement a défendu la distillation des grains. Nous avons de fortes raisons de croire que, pour soulager cette industrie, au premier jour paraîtra l'autorisation de distiller le seigle étranger sous le régime d'entrepôt, comme nous le proposons nous-mêmes. Or, il est évident, d'une part, si la France défend la distillation de son propre seigle et, d'autre part, si elle permet la distillation du seigle étranger sous le régime d'entrepôt, qu'il est impossible qu'il n'y ait pas une très grande exportation de seigles de Belgique pour être distillé en France.

Ce n'est pas tout, messieurs ; la chambre de commerce d'Anvers, après avoir été la première à s'opposer à la prohibition du seigle, revient sur sa première opinion et sollicite maintenant de la législature la défense d'exportation.

Messieurs, j'ai mûrement examiné les faits. Je me suis convaincu que, cette année, sur une exportation de 27 millions de kilog de seigle, il y a 21 millions arrivés par Anvers, de telle sorte qu'on peut dire que la presque totalité du seigle s'importe par cette voie. Et lorsque le commerce anversois déclare que, quant au seigle, il ne pourrait pas répondre de compléter notre approvisionnement, lui qui, seul jusqu'ici, nous l'a fourni, je vous avoue que, devant une pareille déclaration, j'ai dû me résigner à proposer la défense d'exportation.

La liberté du commerce des grains, messieurs, est une espèce de pacte entre l'autorité publique et le commerce. L'autorité publique dit : Je vous laisse la libre disposition des grains qui sont dans le pays ; mais je compte sur vos efforts pour l'approvisionner et pour faire arriver de toutes parts les grains qui lui sont indispensables. Or, lorsqu'une des parties vient dire : Cet engagement, je ne puis le tenir ; cette promesse de fournir le grain qui vous manque, je ne puis l'exécuter ; quand on tient au gouvernement un pareil langage, il faut bien qu'à son tour il soit libre de retirer l'engagement de laisser au commerce la libre disposition des grains indigènes.

Voilà ce qui a eu lieu pour le seigle et ce qui justifie le changement d'opinion qui s'est manifesté depuis la présentation du projet de loi.

J'espère qu'après ces considérations, l'honorable M. de Perceval n'accusera plus le gouvernement de ne pas avoir d'opinion sur la question des seigles.

Un troisième motif explique le parti que nous avons pris, c'est que pour le seigle, depuis peu de temps, les exportations dépassent les importations. Ce fait ne s'étant produit que depuis une huitaine de jours, je n'y attache pas une très haute signification ; mais enfin c'est la première fois depuis bien longtemps qu'il nous est signalé.

Enfin, messieurs, un point que l'on ne doit pas oublier, lorsqu'il s'agit de la nourriture du peuple, c'est que ceux qui consomment le seigle n'ont pas les mêmes facilités que ceux qui s'alimentent de froment. Les premiers, à défaut de seigle, ne peuvent se rejeter sur le froment, lundis que les seconds, si le froment fait défaut, peuvent se rejeter sur le seigle ; en effet, l'homme qui se nourrit habituellement de seigle n'a pas l'aisance nécessaire pour se nourrir de froment : il y a donc encore de ce chef un devoir à remplir pour le gouvernement.

Maintenant, messieurs, que le seigle n'est plus en question, on se demande si les mêmes motifs qui ont engagé le gouvernement à en prohiber la sortie existent pour le froment. Ici, messieurs, la chambre de commerce d'Anvers termine son rapport par quelques doutes. Mais quand on y réfléchit bien, dans la question du froment, la chambre de commerce d'Anvers n'est pas la seule compétente. Elle ne peut pas être le principal juge dans cette affaire.

D'après des lettres écrites par des négociants en grains à des membres très honorables de cette chambre, on dira que le commerce d'Anvers déclare qu'il se croisera les bras cette année. Mais, messieurs, en supposant qu'il tienne cette fatale promesse, le commerce du froment n'est pas tout entier dans la ville d'Anvers et dans le port d'Anvers. Sur 95,547,013 kilog. de froment importes cette année, il nous en est arrivé 39,690,000 par terre et par rivière.

Ce fait constate, messieurs, que, sous le rapport de l'importation, nous avons en Belgique deux sortes de provinces : les unes reçoivent surtout leur supplément d'alimentation par Anvers, et les autres, les provinces de l'Est, tirent leurs principaux approvisionnements du Limbourg cédé, du Luxembourg cédé, du Zollverein et de la Hollande ; et pour toute cette partie de notre pays la Chambre de commerce d'Anvers n'est pas très compétente. Si l'on privait les provinces de l’Est de leurs moyens habituels d'approvisionnement, elles pourraient très bien avoir à subir des prix de famine, tandis que dans le reste du pays il y aurait sans doute des prix élevés, mais la cherté ne serait pas assez grande pour qu'on pût craindre que la paix publique fût compromise.

D'ailleurs, y a-t-il jusqu'ici absence d'importations de froment ? Nos exportations dépassent-elles nos importations comme cela se présente pour le seigle ? Non ! depuis le commencement de l'année jusqu'à ce jour et sahns discontinuer, l’étranger nous a envoyé mensuellement plus de froment que nous n'en avons exporté. Mais, dit la section centrale, si le mal n'est pas présent, il esta craindre ?

Eh bien, messieurs, quand les premiers symptômes se manifesteront, je concevrai qu'on s'alarme ; mais je ne le comprendrai pas, aussi longtemps que l'étranger nous enverra plus de froment qu'il ne nous en enlève.

Craignez-vous, peut être, qu'en jetant trop de grains sur le marché, on ne fasse baisser les prix ? Car, en définitive, je ne connais pas d'autre loi qui règle les prix que celle de l'offre et de la demande, et il est évident que plus il y a de grains sur le marché, moins le prix est élevé.

La France prohibe, dit la section centrale ; c'est une erreur : la France ne prohibe pas, la France a une échelle mobile.

M. de Mérode. - C'est la même chose.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je vais prouver, M. le comte, que ce n'est pas la même chose. Je n'invoque pas des théories, depuis que j'ai pris la parole je cite des faits.

La France a une échelle mobile, elle a partagé son pays en 4 zones ; pour la première zone, qui comprend Marseille, Toulouse et Lyon, quand le prix excède 24 fr. par hectolitre et ne dépasse pas 25 fr., on peut exporter au droit de 25 centimes.

Il en est de même :

Pour la seconde zone, qui comprend Bordeaux, lorsque le prix excède 22 fr. sans dépasser 23 fr. ;

Pour la troisième zone, qui comprend Strasbourg, Mulhouse, Bergues, Arras, Paris, Rouen, Nantes, etc., lorsque le prix excède 20 fr., sans dépasser 21 fr. ; et

Pour la quatrième zone, qui comprend Metz, Charleville, Soissons, Saint-Lô, Quimper, etc., lorsque le prix excède 18 fr., sans dépasser 19 francs.

Or, la France prohibe si peu l'exportation des céréales, que pendant les neuf premiers mois de 1854, il nous en est arrivé en froment 1,373,000 kilog., 729,800 kilog. en seigle et 98,200 kilog. en farine ; en tout 2,201,000 kil.

Vous voyez donc bien, messieurs, que la France ne prohibe pas l'exportation des céréales. Mais je vais plus loin, je prétends qu'à l'heure même on peut importer avec avantage des grains de France en Belgique, et voici comment le fait s'explique :

J'ai déjà dit que je ne trouve nulle part, qu'en France on mange le pain à meilleur marché que chez nous, puisqu'il n'y a que le département du Nord qui puisse être comparé à la Belgique. Mais à Bordeaux, qui se trouve dans la deuxième zone, je crois qu'à l'heure qu'il est la sortie est permise au droit de 25 c.

Mais, dit-on, là il y a peu de blé et vous n'en trouveriez pas à exporter.

Un instant, messieurs ; voici comment on élude l'échelle mobile ; on prend, par exemple, du froment à Nantes, où l'exportation est interdite par un droit élevé, et on y prend un acquit-à-caution de cabotage, non pas pour exporter en Belgique, mais pour aller à Bordeaux, où le droit n'est que de 25 centimes ; on se rend avec son navire à Bordeaux, et là on fait décharger son acquit-à-caution et on y prend un acquit de sortie pour exporter en Belgique ; on paye ainsi 25 centimes par hectolitre. Voilà comment on étude tous les jours l'échelle mobile en France ; voilà ce que vaut la prohibition en France.

La Pologne, dit la section centiale, ne sait plus approvisionner l'Allemagne. Messieurs, j'ai beaucoup lu sur cette matière, mais je n'ai jamais vu que la Pologne approvisionnât l'Allemagne. L'Allemagne possède habituellement un excédant, sauf pendant les années désastreuses comme 1846, et elle n'a nullement besoin de s'approvisionner en Pologne. En général, la Pologne exporte et l'Allemagne aussi.

Mais la Turquie et l'Egypte ? Encore une fois, la section centrale tombe ici dans une erreur de fait. Je suis très attentivement le mouvement commercial en Europe, et je n'ai pas vu que la Turquie ou l'Egypte exportât des quantités notables de céréales.

L'Italie, Gênes ? Gênes manque de grains, elle n'en a que pour deux mois. Eh bien, l'honorable rapporteur de la section centrale devrait savoir que, même dans les meilleures années jamais Gênes ne produit ce qu'elle consomme et qu'elle a besoin d'importer tous les ans, à peu près comme nous.

L'Italie du reste, si j'en excepte Gênes, et peut-être la Toscane, l'Italie récolte plus qu'elle ne consomme, et je suis persuadé que Naples peut faire des exportations importantes.

Mais, dit-on, ne voyez-vous pas qu'on va exporter notre froment si nous n'y mettons ordre ?

Je vous avoue, messieurs, que je trouve là une contradiction entre cette partie du rapport et une autre.

On se plaint du prix élevé des grains, mais alors il ne faut pas craindre que des pays, où les grains sont chers, on les exporte vers un pays où ils sont moins chers. Je ne sache pas que le commerce fasse des achats pour y perdre.

D'ailleurs, messieurs, où exporterait-on ? Est-ce en Hollande ? Je ne vous citerai pas ce que la Hollande nous fournissait avant la dernière récolte, parce qu’on pourrait dire que les circonstances ont changé depuis le 1er août dernier ; mais à commencer du 1er août dernier jusqu’à ce jour la Hollande nous a importé 8,517,000 kilogrammes de grains et (page 126) elle a seulement reçu de la Belgique 614,000 kilogrammes... c'est-à-dire quelque chose comme la quatorzième partie de ce qu'elle nous a vendu.

Quant au Zollvercin, il nous a importé depuis le 1er août dernier 5,905,000 kilog. et il a exporté... Combien ? 192,000 kilog.

Sera-ce la France, par hasard, qui viendra prendre nos froments ? Mais, je le répète, prenez le premier ouvrage de statistique venu, je ne parle pas de statistique officielle, mais prenez les statistiques agricoles, consultez tous ceux qui ont écrit sur la statistique en France, et ils vous diront que dans les années ordinaires, ce pays a un grand excédant. « L'Echo agricole » indique qu'il est de 120 millions de kilog. en sus des besoins de la France.

Sera-ce l'Angleterre ? Mais, messieurs, quand on jette un regard sur le tableau des 53 pays où l'Angleterre s'approvisionne, on voit que le contingent de la Belgique n'est qu'une goutte d'eau pour le Royaume-Uni. Je crois que c'est 200,000 hectolitres que pendant toute l'année 1854, la Belgique a envoyés en Angleterre, et nous en avons retiré plus de la moitié.

Messieurs, est-on bien sûr, du reste, que la prohibition n'appellera pas la prohibition. Le pays modèle à vos yeux, c'est la France ; il faut l'imiter, mais si vous trouvez bon de suivre son exemple, pourriez-vous blâmer vos voisins de l'Est et du Nord, si, à leur tour, ils imitaient l'exemple que vous leur donnez ? Ne serait-ce pas user de justes représailles ?

Singulière mesure, il faut en convenir ; ceux qui la proposent, ceux qui la désirent n'osent la proclamer qu'à condition qu'aucune autre nation ne l'adopte pas à son tour. Il me semble pourtant qu'un pays aussi avancé dans la civilisation que la Belgique ne devrait décréter que des mesures de nature à être adoptées par les autres nations, sans lui nuire à elle-même.

Direz-vous qu'en cette circonstance le Zollverein et la Hollande ne nous imiteront pas ? Si ces deux nations raisonnent bien, elles ne suivront pas notre exemple ; mais si elles sont sous l'influence de la peur, il est à présumer qu'elles feront ce que, je le crains bien, vous allez faire vous-mêmes.

D'ailleurs, ces représailles sont-elles sans exemple ? En 1804 la Saxe Royale a défendu l'exportation de ses grains vers le duché de Saxe-Altenbourg, et à l'instant le duché de Saxe-Altenbourg, a décrète la prohibition vers la Saxe Royale. En 1847, l'Autriche défend l'exportation vers le Palatinat et la Franconie, la Bavière répond par la prohibition vers le Tyrol et Vorarlberg. En 1846 la Hesse électorale et la Prusse prohibent vers le Hanovre et le Hanovre répond par la prohibition

La section centrale a prévu cette objection ; elle dit : en supposant qu'aucune nation ne nous envoie plus rien, il y a de quoi nourrir la Belgique jusqu'à la récolte prochaine, grâce, à un excédant de 1,700,000 hectolitres.

Messieurs, il n'y a qu'une petite erreur dans ce calcul. Voici comment raisonne l'honorable membre qui a remis cette note à la section centrale : il suppute tout ce qu'a produit la Belgique pendant la récolte de 1853 ; il y ajoute toute l'importation du dehors, et il arrive à une quantité de 11,477,250 hect. Voilà donc tout ce que la population, en Belgique, a obtenu pour sa nourriture pendant 1853 ; et puisqu'elle a pu subsister avec 11,477,230 hect, maintenant qu'il y a 13,191,000 hect., il y a un excédant de 1,700,000 hectolitres.

L'erreur principale de ce calcul, la voici : Pour la première fois, depuis un temps immémorial, nous sommes arrivés à une récolte sans avoir un reste de la récolte précédente. D'après l'observation faite par les agronomes de tous les pays, après une bonne récolte, la réserve de l'année précédente suffit pour nourrir la nation pendant quatre-vingt-dix jours. Voilà le stock de chaque année ; eh bien, c'est ce que néglige l'honorable membre de la section centrale ; il oublie qu'outre les 11,477,230 hectolitres qu'avait la population pour son usage en 1853, elle avait en outre un stock de 1852 qui s'élevait à 3,028,140 hectolitres, c'est-à-dire que la population a eu pour son usage non pas 2 hectol. 54 lit., mais 2 hectol. 70 lit. par tête. et appliquant le même calcul à l'année 1854, en tenant compte, d'une part, de l'augmentation de la population qui est de 40,000 habitants par année ; en tenant compte, d'une autre part, d'une erreur de calcul dans le déficit des pommes de terre que l'honorable membre estime à 4,818,000 hectolitres, tandis que ce déficit est de 5,510,000 hectolitres ; en prenant égard aussi à cette circonstance que la distillation des alcools avait été considérablement ralentie en vue de la baisse du prix du seigle, qu'aujourd'hui l'approvisionnement en eaux-dc-vie est épuisé et que par cela même on a dû se livrer à une distillation en quelque sorte forcée pour les besoins de la consommation intérieure, et employer une plus grande quantité de grains ; en tenant compte de toutes ces circonstances on arrive à cette conclusion que ce n'est pas un excédant de 1,700,000 hectolitres que présente la récolte actuelle, mais comme le dit l’exposé des motifs, c'est un déficit d'au moins 750,000 hect.

Maintenant ce fait étant acquis, je demande s'il est permis d'avoir cette quiétude que semblaient nourrir les membres de la section centrale.

Que résulte-t-il de tous ces faits ? Une chose qui pour moi a toute la valeur d'un axiome : c'est que, quoi qu'on fasse, quelles que soient les mesures que l'on prenne, le pays ayant besoin d'un supplément de nourriture que doit fournir l’étranger, il n'est donné à aucune puissance humaine d'empêcher que le prix des grains en Belgique ne s'élève à la haufeur où il se trouve sur les marchés étrangers qui devront combler notre déficit.

N'oublions pas, messieurs, depuis peu de jours les mesures prises en France ont jeté dans les prix en Belgique une véritable perturbation. Il est certain que le prix du seigle aux derniers marchés a été porté à un taux exorbitant qui n'est plus normal ; on veut jouir de son reste ; on sait que dans quelques jours on va interdire l'exportation des,alcools, on veut s'empresser de distiller, afin de pouvoir exporter le plus possible avant que la loi soit promulguée. Voilà pourquoi le prix du seigle est arrivé à un taux aussi exagéré.

Je suis le premier à reconnaître que, du moment où la loi sera votée, le prix descendra au taux normal ; n'en concluez pas, cependant, que l'axiome que je citais tout à l'heure sera démenti ; je vous attends d'ici à deux mois avec ceux qui ont promis au peuple monls et merveilles. (Interruption.)

Mes paroles, M. de Mérode, ne s'adressent pas aux membres de la Chambre, mais quand je vois arriver des pétitions où l'on dit : Si vous voulez qu'on ait le pain à bon marché, il faut autre chose que ce que le gouvernement propose, il faut prohiber le grain à la sortie, je suis en droit de dire à ces hommes égarés : On vous trompe !

Messieurs, les pays d'Europe peuvent être divisés en deux parts, je pourrais dire qu'il en est ainsi de l'univers entier, la règle est générale. Parmi ces pays, les uns produisent au-delà de leurs besoins et peuvent exporter ; les autres produisent moins et ont besoin d'importer.

On raisonne toujours dans cette question comme si la Belgique était le seul pays qui eût besoin de l'étranger. Sans sortir de l'Europe, je vous en citerai beaucoup d'autres qui sont dans le même cas ; vous avez l'Angleterre, la Suède, la Norwége, la Hollande, Gênes, la Tôscane, la Saxe royale, la Grèce, voilà tous pays qui ont besoin d'un complement plus ou moins élevé pour assurer leur subsistance. Je prie qu'on m'indique un seul pays dans une situation identique à la nôtre qui, se trouvant dans la position où nous sommes, prohibe la sortie du froment. Quant à moi, je n'en connais pas.

M. Dumortier. - Et la France ?

M. le ministre des finances (M. Liedts). - La France n'est pas dans la même situation que nous.

M. Vilain XIIII. - Tous les dix ans, la France a besoin d'importer des grains étrangers.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Notre population est tellement serrée que nous n'avons qu'un tiers d'hectare de terre cultivée par habitant ; les parties cultivées en France s'élèvent au-delà d'un hectare par habitant ; c'est-à-dire que la Belgique est trois fois plus peuplée que la France.

Ce n'est pas tout : la France ne se nourrit pas seulement de céréales ; dans certaines contrées on se nourrit de maïs, de châtaignes, de marrons ou d'autres choses.

Un fait que vous ne devez pas oublier, c'est que plus une population est méridionale, moins le climat exige de nourriture, de telle sorte qu'un million d'habitants du Midi ne consomment pas autant qu'un million d'habitants du Nord.

Voyez « Royer. La statistique agricole de la France », et les statistiques officielles ; vous y trouverez la preuve que, sauf quelques années très exceptionnelles, la France produit au-delà de ses besoins. En 1851 et 1852, tandis que l'Angleterre tirait des millions d'hectolitres de froment du dehors, la France en exportait un million vers l'Angleterre et vers la Belgique.

Je pourrais encore m'étendre beaucoup plus sur une question de cette nature, car elle est presque inépuisable ; mais je comprends que, dans un moment comme celui-ci il faut plus agir que parler ; je restreindrai donc ce que j'avais à dire.

Si la Chambre se prononce pour la prohibition, ce n'est pas à dire que le pays doive périr ; vous aurez satisfait l'opinion publique, c'est sans doute un beau résultat, mais je me demande si, dans quelques mois, cette situation ne pourra pas changer.

Maintenant que vous connaissez le pour et le contre, c'est à vous de décider.

M. Delehaye. - M. le ministre ne s'est pas expliqué sur la libre entrée des riz.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - On me demande qu'elle est l'intention du gouvernement en ce qui concerne les riz.

On ne comprendrait pas que quand on prend des mesures pour tâcher de rendre la vie à bon marché, on conservât un droit d'entrée sur un aliment qui de jour en jour entre davantage dans la consommation des classes laborieuses.

Autrefois, en moyenne, on n'importait en Belgique que 2 millions de kilogrammes de riz ; ces dernières années la consommation a été de cinq à six millions, et maintenant en peut l'estimer à 14 ou 15 millions. Ce n'est pas qu'il n'y ait dans le pays de quoi fournir aux besoins de cette consommation, car depuis le premier janvier il a été importé plus de 37 millions de kilog. de riz, c'est-à-dire la consommation de deux grandes années.

L'année dernière je disais : La moitié de l'approvisionnement ne sera pas consommé, et ce ne sera pas du revenu d'une année que vous privez le trésor, en décrétant la libre entrée, mais du revenu de trois années. En effet, on s'est empressé d'introduire une quantité suffisante, non pour une année, mais pour trois. Si vous voulez ouvrir encore vos portes, ce sera pendant quatre années que le trésor ne percevra rien sur rentrée des riz.

(page 127) - Un membre. - Il sera à meilleur marché, tant mieux.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Je dirais aussi tant mieux, mais le gouvernement se verra forcé de suppléer au déficit qui résultera de la perte de cette ressource. On veut l'exécution de grands travaux ; partout on veut de l'activité, partout on veut qu'aucun service ne reste en souffrance ; et quand, pour ne pas laisser mourir de misère nos douaniers obligés déjà de mettre leurs effets en gage, il faut sacrifier un million, quand on propose quelques moyens d'améliorer la situation du trésor, on repousse de son vote les propositions du gouvernement.

Messieurs, s'il le faut je ferai encore un sacrifice ; mais j'espère que la Chambre m'en tiendra compte si plus tard je suis obligé de venir demander de nouvelles ressources.

(page 116) M. Vilain XIIII. - Messieurs, dans toutes les grandes circonstances qui intéressent la nationalité, la royauté, la Constitution, un homme politique doit rester fidèle à son drapeau ; mais les principes qui président au gouvernement, à l'administration de l'Etat n'exigent pas toujours la même fixité, la même roideur, le même dévouement ; on n'est quelque peu homme d'Etat qu'à la condition de savoir apprécier les circonstances et de transiger, sans abandonner au fond ses convictions. Personne ne croit plus fermement que moi que la liberté du commerce des grains, sauf un léger droit fiscal, est le régime le plus avantageux à la Belgique, toujours, partout, dans toutes les circonstances, par tous les temps ; je parle du régime considéré en lui-même et dans ses rapports avec l'agriculteur, avec le consommateur, le commerçant, l'industriel, en un mot avec la nation ; mais cette conviction, messieurs, je me sens prêt à la faire fléchir devant un intérêt plus puissant, plus impérieux, devant les préjugés respectables des ouvriers des villes et des campagnes, et je pourrai peut-être me résoudre à voter l'interdiction de la sortie des grains.

J'ai dit préjugés, car je suis certain, de la certitude la plus absolue, que l'interdiction de la sortie des grains produira, en moyenne, pendant le cours de l'année, une hausse de prix ; mais en même temps j'ai dit préjugés respectables, parce qu'il est impossible à l'ouvrier de comprendre pourquoi le grain peut coûter si cher, à la suite d'une récolte abondante et comment le chariot qu'il voit sortir de son village, pliant sous le poids des sacs de blé qu'on exporte, est la cause de l'entrée à Anvers d'un navire chargé de grains étrangers. Je conçois que cet ouvrier honnête et laborieux, qui travaille toute la journée pour nourrir sa famille, qui a admiré cet été l'abondance de la moisson, qui est forcé de payer très cher le pain qu'il avait cru pouvoir acheter à bon marché, attribue la cherté à l'exportation et reproche ses souffrances au gouvernement ; ce sont, je le répète, des préjugés très respectables et je crois qu'il est bon, qu'il est utile, qu'il est même humain de s'incliner devant eux et de céder.

Cependant avant d'accepter cette extrémité, je voudrais que le gouvernement s'adressât aux populations. Qu'il leur parle, qu'il leur explique simplement et tâche de leur faire comprendre la situation. Les gouvernements ne parlent jamais directement au peuple et c'est, à mon avis, un grand tort : pensez-vous qu'il existe en Belgique un seul ouvrier qui lise le Moniteur avec ses statistiques d'entrée et de sortie ? Pas un, pas même ceux qui l'impriment. Combien d'ouvriers lisent des journaux ? Pas vingt mille certainement. Combien de femmes d'ouvriers, et ce sont les femmes qui ont la parole lorsqu'il s'agit du prix du pain, qui lisent les journaux ? Pas dix. Les populations ouvrières ne savent donc rien des questions qui nous émeuvent si profondément, elles ignorent l'intérêt que nous leur portons, elles souffrent, et habituées à tourner instinctivement les yeux vers ceux qui ont la force en main, elles disent : Si le pain est si cher, c'est la faute du gouvernement.

L'empereur des Français a merveilleusement compris la puissance des communications directes entre le pouvoir et le peuple. On ne peut se faire une idée, lorsqu'on n'a pas parcouru la France ou visité Paris depuis deux ans, du calme moral, de la tranquillité d'esprit de ce peuple si inflammable, depuis qu'à toutes les grandes nouvelles, à toutes les mesures un peu importantes, au point de vue national ou à celui des intérêts populaires, on affiche au coin des rues et dans toutes les communes de grands placards, qui disent les choses en peu de mots et clairement. Ils lisent, ils comprennent, ils approuvent ou désapprouvent, et s'en vont contents.

Je voudrais que le gouvernement belge employât ce moyen pour éclairer les populations et leur faire comprendre pourquoi le blé est cher cette année. Loin de moi l'idée de leur donner une leçon d'économie politique ! Je voudrais, sous forme de proclamation, signée par tous les ministres, une simple exposition de quelques faits qui se déduiraient facilement et dont le bon sens de nos populations tirerait des conséquences pratiques.

La rédaction d'une proclamation claire, courte, à la portée de tous, n'est certes pas chose facile ; je ne la crois cependant pas impossible. La Chambre veut-elle me permettre de lui lire une ébauche informe, qui pourrait peut-être servir de canevas à un acte qui, à mon avis, aurait dans le pays une influence morale immense ?

- De toute part. - Oui, oui.

M. Vilain XIIII. - La voici :

Le Roi, les Chambres et le gouvernement sont vivement émus des souffrances que le peuple belge endure par suite de la cherté des subsistances. Il n'est malheureusement pas en leur pouvoir d'en faire baisser le prix. La cherté du grain, malgré la belle récolte de cette année, provient de trois causes :

Une cause générale, et qui se représente tous les ans ;

Deux causes particulières à l'année 1854.

1° Cause générale. La Belgique et l'Angleterre ne produisent jamais suffisamment de grain pour la nourriture des habitants de ces deux pays, pendant une année.

(page 117) Bon an mal an, on récolte en Belgique 11,000,000 d'hectare de froment et de seigle ; on en consomme, en y comprenant la fabrication de la bière et du genièvre, environ 11,500,000 hectolitres. C'est donc 500,000 hectolitres qu'il faut faire venir de l'étranger. Les négociants belges achètent ces grains principalement en Russie et en Amérique, deux grands pays qui produisent plus de blé qu'ils n'en consomment.

Ces achats sont ordinairement faciles, mais il n'en est pas de même cette année. La France, l'Angleterre et la Russie sont en état de guerre et on ne peut rien acheter en Russie. C'est donc à l'Amérique, presque seule, que nous pouvons demander ce qui nous manque. L'Amérique a du grain et elle nous livrera tout celui dont nous avons besoin, mais, comme elle est seule à vendre, et que l'Angleterre en demande comme nous, nous sommes forcés de le payer très cher. Ainsi la guerre de la Russie est une circonstance particulière à cette année qui a fait hausser le prix des céréales.

Il y a encore un autre fait qui augmente nos embarras. Vous savez que la récolte de 1855 a été mauvaise et que les prix de l'année dernière étaient encore plus élevés que ceux de cette année. Il en est résulté qu'au commencement de la moisson il n'y avait plus de vieux grain nulle part, ni chez les cultivateurs, ni chez les marchands, ni chez les boulangers. Pour avoir du pain, il a fallu, avant même que la moisson fût rentrée, battre en grange, faire sécher le grain au soleil ou au four et le consommer tout de suite.

Vous savez cependant qu'ordinairement on ne commence à battre en grange qu'après les semailles et que le pain ne se cuit, avec du grain nouveau, qu'au commencement du mois de novembre. Cette année on a commencé au mois d'août ; il faut donc que la moisson de cette année satisfasse à la consommation de trois mois de plus qu'à l'ordinaire, c'est-à-dire qu'au lieu d'acheter à l'Amérique et à la Russie comme tous les ans 500,000 hectolitres, il faudra en acheter à l'Amérique seule peut-être un million. Nous les aurons, il n'y a rien à craindre, mais il faut les payer cher.

Ce sont toutes ces causes réunies qui, malgré une très belle récolte, produisent le haut prix des céréales.

Le gouvernement fera tout ce qui est en son pouvoir pour alléger vos souffrances. Le grain étranger peut entrer en Belgique, sans payer aucun droit et, si l'on en exportait plus qu'il n'en entre dans le pays, nous sommes décidés à en défendre l'exportation.

Voilà, messieurs, quelques-unes des vérités que je voudrais faire parvenir au peuple. Quand le Belge souffre, quand il ignore la cause de ses souffrances ou qu'il croit pouvoir en faire remonter l'origine au pouvoir, il est mutin ; mais lorsqu'il est convaincu qu'aucune puissance humaine ne peut l'aider, rien de plus admirable que sa sublime résignation entre les mains de la Providence. Rappelez-vous l'attitude dés Flamands en 1846 et 1847.

En résumé je voterai, tout en regrettant qu'on ne puisse avoir en Belgique, comme en Angleterre et en Hollande, une loi sur les céréales qui ne change pas tous les ans, je voterai la libre entrée des céréales, et je donnerai au ministère les pouvoirs nécessaires pour en prohiber l'exportation, dans le cas où, pendant deux périodes de dix jours, l'exportation serait supérieure à l'importation. Dans ce cas je me résignerai à considérer le pays comme une ville assiégée, où, pour conserver ses provisions, tous les moyens sont bons et légitimes.

M. Dumortier. - Messieurs, la question qui s'agite en ce moment est, avant tout, une question d'humanité. Il importe que le peuple obtienne et conserve la faculté d'avoir les approvisionnements que le pays lui a produits.

C'est, en second lieu, une question très sérieuse à mes yeux ; car elle prouve fatalement l'inanité des doctrines du libre échange, et la nécessité de revenir à un système plus durable, celui qui régit la France.

C'est donc avant tout une question d'humanité, car quoi qu'en ait dit M. le ministre des finances l'expérience de l'an dernier a prouvé de la manière la plus évidente pour tout esprit non prévenu par un système, combien le libre échange des céréales est chose nuisible dans ce pays.

En effet, si vous avez suivi le cours des grains en Belgique, où le libre échange a été implanté, et en France qui se trouve sous le régime de l'échelle mobile, il est facile d'acquérir la certitude que pendant tout le cours de l'année que nous venons de traverser, en prenant pour termes de comparaison des éléments analogues, le prix des grains, quoique élevé, a été moins élevé en France qu'en Belgique.

Le gouvernement a publié sur cette comparaison des tableaux dont je révoque l'exactitude en doute, et qui sont d'une complète inexactitude. Il est manifeste à mes yeux que la seule et unique signification de ces tableaux c'est de faire dire aux faits le contraire de la vérité. Ils n'ont pas d'autre signification que celle-là ; car les éléments pris par le gouvernemeut pour termes de comparaison hurlent de se trouver ensemble. Ainsi, que fait le gouvernement dans ses tableaux ? Il compare les prix d'Anvers avec ceux de Lille, les prix du point de la Belgique où les grains sont au meilleur marché du pays avec les prix du point de toute la France, où les grains sont le plus chers.

Ce n'est pas ainsi qu'on procède. Si vous voulez faire des comparaisons sérieuses, il faut faire des comparaisons de pays à pays. Ou bien si vous voulez comparer des points spéciaux, il faut qu'il y ait quelque analogie entre les termes de comparaison. Si par exemple vous voulez comparer le Havre avec Anvers, port de mer avec port de mer, vous verrez que pendant toute l'année qui vieut de se passer, le prix des grains a été, sans aucune interruption, de 2 à 4 francs meilleur marché au Havre où la sortie est prohibée qu'à Anvers où elfe est libre Cela prouve bien que le système du libre échange est désastreux pour notre pays. Il est évident par là que la libre sortie ne peut servir à faire baisser le prix des grains et que vous aurez avec lui déficit sur déficit, tandis que les approvisionnements n'ont pas manqué en France malgré la prohibition de sortie ou plutôt à cause de la prohibition de sortie.

En effet pour qui examine sainement la question, quelle correlation y a-t-il entre la faculté d'exporter et la faculté d'importer des grains dans le pays ? Aucune.

D'où reçoit-on les grains qui sont importés dans le pays ? M. le ministre des finances l'a dit tout à l'heure : de la Baltique, des Etats-Unis, de la mer Noire. Est-ce que par hasard vous voudriez exporter vos grains vers la Baltique, les Etats-Unis, la mer Noire ? C'est donc bien gratuitement que vous exportez vos grains en supposant entre l'exportation et l'importation une corrélation qui n'existe pas. Que failes-vous par votre liberté de sortie ? Vous diminuez vos approvisionnements, lorque, vous les proclamez en déficit. Le ministre a beau dire que les pétitionnaires sont des ignorants ; ces ignorants pétitionnaires ont un bon sens qui vous a manqué dans l'espèce. Celui de comprendre que les grains exportés ne sont plus dans la consommation. Je prends la défense des pétitionnaires, car le droit de pétition est sacré ; je ne souffrirai pas qu'on attaque les hommes qui viennent demander du pain à la Chambre des représentants.

Voyons quelle est la situation actuelle, les résultats des deux systèmes, et comparons encore les prix en France où règne l'échelle mobile, où le grain èn fait est prohibé à la sortie, avec les prix du grain en Belgique où il peut sortir.

Je tiens en main un journal agricole français, le « Courrier du Pas-de-Calais » qui va me donner la comparaison des prix entre un pays qui vit sous le libre échange et un pays qui vit sous l'échelle mobile, sous la prohibition de sortie. Ce journal porte la date du 16 novembre, c'est-à-dire de la semaine dernière.

Marché belge de Saint-Nicolas. Prix du froment par hectolitre 33.10.

Marché belge de Louvain. Prix du froment par hectolitre : 33.75.

Marché belge de Malines. Prix du froment par hectolitre : 32.83.

Marché français d’Arras (dans le Nord). Prix du froment par hectolitre : 25 à 29. Prix moyen : 27.

Marché français de Bergues (dans le Nord). Prix du froment par hectolitre : 25 à 29. Prix moyen : 27.

Marché français de Cambrai (dans le Nord). Prix du froment par hectolitre : 18 à 29. Prix moyen : 23.50.

Marché français de Montreuil (dans le Nord). Prix du froment par hectolitre : 19 à 22.50 Prix moyen : 21.

Ainsi, tandis que le froment se vend en Belgique plus de 33 fr. sous le régime de la libre sortie des céréales, il se vend en France 25 fr. en moyenne, c'est-à-dire 8 fr. de moins.

La comparaison est bien plus frappante encore si vous la faites porter sur le prix des seigles. Dans une séance précédente, j'ai réclamé la statistique du prix des seigles en France, qui fait défaut dans les tableaux statistiques qui ont été présentés.

On a répondu qu'il n'y avait pas de mercuriale en France. On pourrait s'en rapporter aux journaux agricoles et l'on aurait bientôt connu ces prix si l'on y avait eu intérêt pour la thèse que l'on défend.

Voici d'après un journal agricole le prix du seigle en Belgique et en France à la date du 16 novembre, c'est-à-dire la semaine dernière.

Marché belge de Saint-Nicolas. Prix du seigle par hectolitre 22.

Marché belge de Louvain. Prix du seigle par hectolitre : 25.50 à 26. Prix moyen : 25.75

Marché belge de Malines. Prix du seigle par hectolitre : 25.

Marché français d’Arras (dans le Nord). Prix du seigle par hectolitre : 11 à 14.75. Prix moyen : 12.50

Marché français de Cambrai (dans le Nord). Prix du seigle par hectolitre : 10 à 13. Prix moyen : 11.

Marché français de Montreuil (dans le Nord). Prix du seigle par hectolitre : 10.50 à 12.50 Prix moyen : 12.

Ce qui signifie qu'au moyen du libre échange, le peuple a le bonheur de payer le seigle à peu près le double de ce qu'il se vend en France, sous l'échelle mobile. Tous les arguments, tous les discours possibles ne peuvent rien en présence d'une démonstration semblable, et je conçois fort bien pourquoi les amateurs de libre échange n'ont pas voulu nous donner la comparaison du prix du seigle en Belgique et en France.

Mais dit-on, le marché de Lille ! quoi ! vous prenez pour comparaison précisément le marché de France où le grain est le plus cher ! (Interruption.) Je regrette que cela excite le rire de l'honorable M. David,, mais cela n'est pas moins vrai. Quand, pour montrer l'excellence du libre échange, vous prenez pour comparaison d'une part les prix du marché de Lille où les prix sont les plus élevés de toute la France ; d'autre part pour terme de comparaison en Belgique les prix d'Anvers où les grains sont à meilleur marché que sur tout autre point du pays, vous arrivez à des résultats fautifs, fallacieux, qui ne sont bons, passez-moi l'expression, qu'à jeter de la poudre aux yeux des sots.

Si vous voulez une comparaison sérieuse, prenez des éléments réels de comparaison. Qu'est-ce donc que ces prix d'Anvers qui servent de bases de comparaison au ministre ? C'est un mensonge. En effet il n'y a pas de marché à Anvers. Comment se fait la cote d'Anvers ? Au moyen des ventes faites par le commerce. Or veuillez-le remarquer, le grain qui se (page 118) vend à Anvers est presque entièrement de basse qualité. Il se vend à Anvers du froment à un prix moins élevé que le seigle.

M. Osy. - Du froment avarié.

M. Dumortier. - Non avarié, M. le baron.

Je tiens en main la Revue maritime et commerciale d'Anvers. Vous y verrez, si vous voulez le lire, que le froment d'Egypte a une valeur moins grande que le seigle ; que le bancas, que le polish-Odessa se vendent à peine plus chers que le seigle. (Interruption.) Puisque l'on conteste, je vais lire les chiffres.

Voici un prix courant. J'y trouve que le seigle indigène est coté de 11 fl. à 11 fl. 10 par 70 kil., et le froment d'Egypte à 11 fl. et 1/4 mais par 80 kilog. (Interruption.) Il est possible que cela vous paraisse plaisant, mais je crois que vos rires prouvent simplement que mes arguments ne vont pas à votre thèse. Voilà du froment coté au même prix que le seigle, mais pour 80 kilog., tandis que pour le seigle il y a 70 kilogrammes. Le froment est donc ici d'un septième meilleur marché que le seigle.

Voilà ce qui entre dans la cote pour fixer le prix d'Anvers. C'est d'après une cote pareille que l'on dit que les grains sont à meilleur marché à Anvers qu'à Lille.

Voici un autre prix courant. Le seigle indigène y est coté de 12 à 13 florins ; le froment de la Baltique à 18 fl. ; mais le froment cubanca et le polish-Odessa sont cotés à 16 fl., prix intermédiaire entre le prix du froment et celui du seigle, et c'est sur ces bases qu'on se fonde pour dire que le grain est à meilleur marché à Anvers qu'à Lille.

Je le crois bien ; si l'on vend à Anvers des grains de qualité inférieure, il est facile de démontrer que le grain est à meilleur marché là qu'en France. Mais qu'avez-vous en pareil cas ? Le rebut des grains de dernière qualité ; des grains qui ne sont propres qu'à l'amidonnage, qui ne sont pas propres à la nourriture de l'homme.

Parmi ces grains étrangers, il y a des grains étrangers avariés dont il est arrivé en Belgique des quantités considérables. Et qu'en a-t-on fait ? On les a transformés en farine et on les a fait manger au peuple en échange de bon grain qu'on a transporté en Angleterre.

Et voilà votre système de libre échange. Il consiste à échanger le bon grain du pays contre le mauvais grain de l'étranger.

Allez maintenant prêcher vos théories au peuple, allez lui dire de se contenter du grain étranger ; il sait fort bien ce que c'est.

Vous ne le savez pas, parce que vous n'en mangez pas, mais lui qui doit s'en nourrir, il sait fort bien l'apprécier ; il sait combien le pain du libre échange est loin de celui du pays.

M. le ministre des finances accepte la prohibition du seigle, parce que la chambre de commerce d'Anvers la demande ; mais il n'ose pas se prononcer sur le froment, parce que cette chambre de commerce ne s'est pas prononcée, et puis, il dit que M. de Perceval a grand tort de se plaindre de ce que le gouvernement n'a pas d'opinion fixe sur cette importante matière !

Je vois que l'opinion fixe du gouvernement est l'opinion de la chambre de commerce d'Anvers. Hier elle voulait le libre échange, il le voulait ; aujourd'hui, elle demande la prohibition du seigle, il la veut ; elle hésite sur la prohibition des froments, il hésite.

Le gouvernement a-t-il une opinion fixe sur le riz ?

Son opinion fixe consiste à dire : Faites ce que vous voulez. Voilà, messieurs, les convictions du pouvoir sur une question aussi importante que celle de l'alimentation du peuple.

D'après ces convictions, messieurs, vous pouvez augurer ce que sont les prédictions que l'on vous fait. On vous dit : Il y aura un manquement et il faudra des importations pour le combler. Mais s'il doit y avoir un manquement, que dit le sens commun ? La première chose qu'il indique c'est de ne pas vous dessaisir de ce que vous avez.

S'il doit y avoir un manquement, commencez par garder ce que vous avez, c'est ce que dit le pays entier. La Belgique, en effet, n'est pas en position de pouvoir alimenter sa population et en même temps le marché anglais.

Un savant français, M. Michel Chevalier, a publié, il y a peu de jours, un travail des plus importants sur la consommation de l'Angleterre, et il a démontré qu'il manque annuellement à l'Angleterre 25 millions d'heetoliires de céréales dont 15 millions en bléei seigle. Or, messieurs, où l'Angleterre peut-elle aller plus commodément chercher son grain qu'en Belgique ?

Nulle part. Il est évident que lorsqu'il manque 25 millions d'hectolitres à l'Angleterre et cela au moment où les ports de la Baltique lui sont fermés, où les ports de la mer Noire lui sont fermés, où les récolles de l'Amérique, présentent un déficit considérable, il est évident qu'avant tout l’Angleterre se jettera sur la Belgique pour trouver les approvisionnements qui lui manquent. Ce qui est évident au premier coup d'oeil, c'est en fait ce qui se réalise en ce moment sous vos yeux. Voici, messieurs, ce que portait ces jours derniers « l’Impartial de Bruges ».

« Nous tenons de la meilleure source que déjà des ordres d'achat presque illimités ont été donnés dans notre ville. Nous nous servons du mot illimités parce qu'il ne s'agit ni plus ni moins que d'une centaine de mille hectolitres. »

Ainsi, messieurs, voilà l’Angleterre qui donne ordre d'acheter une centaine de mille hectolitres et vous vous étonnez que le peuple ne voie pas cela avec indifférence et vous croyez le nourrir avec des phrases sur le libre échange ! Mais ce n'est pas avec des phrases qu'il se nourrit, c'est avec du pain.

Au surplus, ce n'est pas seulement à Bruges que des commandes sont faites. Que disait, en effet, « le Précurseur d'Anvers », il y a quelques jours ? « Le froment est recherché pour l'Angleterre. »

Ainsi, dans les deux villes de la Belgique qui sont en rapport avec l'Angleterre, à Bruges et à Anvers, les ordres les plus considérables sont arrivés pour emporter une notable partie de notre récolte afin d'aller nourrir les Anglais aux dépens des enfants du pays.

Le même journal « le Précurseur » disait encore ces jours derniers :

« Des avis venus de Gand portent, d'un autre côté, que des demandes actives existent pour l'exportation et que, par suite, ce grain est augmenté de 2 francs par hectolitre. »

Remarquez-le, la hausse a lieu par suite des demandes pour l'exportation. Et on vient vous dire, messieurs, que la prohibition de l'exportation ne produira aucun effet.

Ce journal ajoutait :

« On nous écrit d'Eecloo : Les céréales ont été achetées en hausse sur le dernier marché d'Eecloo et immédiatement expédiées sur Aeltre et Breskens pour être de là expédiées en Angleterre. »

Ainsi partout l'Angleterre qui cherche à nous enlever nos grains, et vous vous étonnez que l'opinion publique s'émeuve, et vous voulez la calmer par des discours. Vous voulez l'éclairer par des phrases en faveur de votre système ! Vous direz aussi que nous jetons les hauts cris ; mais commencez par donner du pain au peuple, par assurer au pays les grains que la Providence nous donne et bientôt les cris n'existeront plus.

Pendant que nous voyons ainsi la libre sortie des céréales produire cette hausse proclamée par les organes du libre échange, que voyons-nous dans un pays où le libre échange n'existe pas ? On écrit de Paris, dit le journal libre échangiste :

« Les déclarations des facteurs à la halle sont beaucoup plus fortes aujourd'hui qu'hier ; néanmoins la baisse de 2 fr., dont nous avons parlé hier s'est maintenue sur les farines disponibles. »

Ainsi les grains haussent en Belgique sous l'empire du libre échange, et en France, où règne l'échelle mobile, où l'exportation est prohibée, les prix baissent. Voilà les résultats des deux systèmes, proclamés par les organes du libre échange eux-mêmes.

Je sais fort bien que si, en fin de compte, notre récolte n'a pas été suffisante pour notre consommation, il peut arriver un moment, à la fin de l'exercice, où le grain se trouvera en hausse ; mais comme mon honorable ami M. Malou le disait l'an dernier, ne vaut-il pas mieux payer le grain un peu plus cher pendant un mois que de le payer plus cher pendant douze mois ?

Au surplus, messieurs, le cabotage entre Anvers et Londres nous fournira toujours du grain, quoiqu'il arrive, lorsque nous en aurons besoin.

Messieurs, il est une vérité constante et qu'il est impossible de méconnaître, c'est que le taux des salaires n'est plus en harmonie avec le prix des denrées alimentaires.

L'honorable ministre des finances en trouve la cause dans le développement de l'importation des métaux précieux, c'est là une complète erreur.

La preuve la plus évidente que ni l'or de la Californie ni celui de la Nouvelle-Hollande ne sont pour rien dans cette affaire, c'est que l'or n'a baissé qu'insensiblement de valeur, et que l'intérêt de l'argent n'a nullement baissé, ce qui n'eut pas fait faute dans cette hypothèse.

Une pièce de 20 francs vaut encore 20 francs, et l'intérêt de l'argent est aujourd'hui au taux où il était autrefois. Si la hausse des grains avait pour cause la dépréciation des capitaux par suite de l'importation d'une plus grande quantité de métaux précieux, le premier résultat en serait la baisse de l'intérêt ; car le jour où nous aurions des accumulations de capitaux, une dépréciation des valeurs, de nature à amener une hausse du prix des céréales, ces capitaux commenceraient par opérer sur eux-mêmes, c'est-à-dire sur l'intérêt de l'argent ; or, l'intérêt de l'argent a-t-il baissé ? Nullement. Donc, cet argument de M. le ministre des finances n'a absolument aucune valeur.

El en effet, ne comptez vous pour rien les exportations considérables d'or et d'argent qui doivent se faire dans les pays lointains ? Ne comptez-vous pour rien la masse d'or que nous avons envoyée en Russie, pour acheter les grains que nous a fournis ce pays ? Ne comptez-vous pour rien le développement énorme de la richesse en Europe, le nombre beaucoup plus grands des personnes qui ont de l'or dans leurs poches ? Sans doute, un jour viendra où l'accumulation des capitaux opérera l'effet que vous signalez ; mais ce jour n'est pas venu ; aujourd'hui donc, l'accumulation des capitaux n'est ni directement, ni indirectement, la cause de la hausse du prix des céréales.

Messieurs, cette cause est due avant tout à la guerre d'Orient ; elle est due en second lieu à l'agiotage ; et ici je trouve que l'opinion publique a grandement raison quand elle s'émeut de l'agiotage. Le ministre le nie. Comment ! tous les villages sont remplis de facteurs en grains qui y vont semaine par semaine, jour par jour, pour agiotersur le grain, et vous niez l'agiotage ! Vous n'êtes donc pas instruit de ce qui se passe dans le pays !

J'ai dit, messieurs, que les denrées alimentaires ne sont pas en rapport avec le prix des salaires. Permettez-moi d'entrer à cet égard dans quelques détails.

(page 119) Examinons comparativement quels étaient les prix des denrées de l'ouvrier il y a deux ou trois ans, et quels ils sont aujourd'hui, et vous serez effrayés de la situation qui lui est faite.

Le pain de l'ouvrier, le pain du peuple, est augmenté de 50 p. c., les œufs sont augmentés de 400 p. c, et cela pourquoi ? Parce que tout s'exporte en Angleterre ; les pommes de terre, qui sont la principale nourriture du peuple, ont quadruplé de valeur, depuis que la maladie les a attaqués : elles valaient 4 à 5 francs, elles valent aujourd'hui 15 à 16. Les chandelles qui servent à l'éclairage du peuple, ont doublé de valeur... (Interruption.)

C'est une indignité de rire des misères du peuple !

M. le président. - M. Dumortier, personne dans la Chambre ne rit des misères du peuple ; je vous prie de retirer cette expression.

M. Dumortier. - M. le président, je signale ici les misères du peuple, et je trouve souverainement déplacé qu'on accueille mes paroles par des rires.

M. le président. - Vous ne pouvez pas supposer que des membres de cette Chambre rient des misères du peuple ; je vous prie de retirer votre expression.

M. Dumortier. - Je la retirerai aussitôt que ceux qui ont ri retireront leurs rires.

M. le président. - Je serai obligé de vous rappeler à l'ordre.

M. Dumortier. - Vous ferez ce que vous voudrez ; quand on lretirera les rires, je retirerai mon expression.

M. le président. - Je vous rappelle à l'ordre.

M. Dumortier. - M. le président, je ne veux pas vous désobliger ; je retire mon expression.

M. le président. - Puisque M. Dumortier a retiré son expression, je retire le rappel à l'ordre.

M. Dumortier. - Messieurs, pour en revenir à l'objet dont je m'occupais avant l'interruption, l'amidon qui se vendait 27 centimes, se vend aujourd'hui à 48 centimes ; la viande de porc est doublée de valeur ; elle se vendait 50 centimes, elle se vend maintenant à un franc. Et vous voulez que le peuple vive à de pareilles conditions ! C'est absolument impossible. Les salaires ne sont plus en harmonie avec le prix des subsistances.

J'entends M. le ministre des finances dire qu'il faut arriver à une augmentation des salaires ; mais je voudrais que le gouvernement nous indiquât le moyen d'arriver à une augmentation des salaires. Et puis, quand vous serez arrivés à cette augmentation, vous finirez par arriver à un résultat bien pire encore : vous arriverez à la suppression des salaires ; car l'industrie nationale ne peut lutter avec l'industrie étrangère que grâce à la modicité des salaires ; et si les salaires viennent à être augmentés, l'industrie nationale ne pourra plus lutter avec l'industrie étrangère et devra cesser ses travaux ; il résultera de là que les ouvriers seront réduits à une plus grande détresse. Voilà où vous marchez en voulant résoudre la question par l'élévation des salaires et en refusant de la résoudre par l'abaissement des subsistances.

Ce n'est donc point par une augmentation des salaires qu'il faut opérer, mais en cherchant à amener un abaissement dans le prix des denrées alimentaires et surtout en conservant dans le pays celles que nous possédons. Nous avons pour nous l'expérience acquise en France ; sous le régime de la prohibition qui y est établi, les denrées alimentaires y sont à des prix infiniment moins élevés que chez nous. Prohibons donc, comme l'a fait la France, la sortie des céréales. Si, aujourd'hui, les prix sont si exorbitants chez nous, c'est que sous le régime de la libre sortie, la spéculation s'exerce sur une grande échelle ; mais le jour où vous décréterez la prohibition, la spéculation ne pourra plus subsister.

Messieurs, il ne suffit pas d'arrêter l'exportation des seigles, il faut aussi arrêter l'exportation du froment, de l'orge et des diverses denrées alimentaires ; il y a peut-être une autre exportation qu'il faudrait encore prohiber, c'est l'exportation du houblon...

M. Coomans. - Et le charbon.

M. Dumortier. - Soit. Vous ne produisez pas tant de houblon que vous voulez ; la valeur du houblon a quadruplé ; tout va en Angleterre. Au surplus, je ne fais qu'indiquer ce point.

Il faut nécessairement arriver à la prohibition de toutes les denrées alimentaires, j'entends parler, non seulement du froment ou du seigle, mais aussi de l'orge et du sarrasin qui est également la nourriture du peuple, et c'est dans ce sens que j'aurai l'honneur de déposer un amendement.

Le gouvernement ne propose que la défense de l'exportation du seigle ; la section centrale y adjoint la défense de l'exportation, du froment ; elle ne parle pas de l'exportation du sarrasin, de l'orge et de l'avoine ; eh bien, dans les années de calamités et de disette, dans les années où l'on prévoit des difficultés pour la nourriture du peuple, toutes ces substances entrent dans l'alimentation publique, et il importe de les conserver dans le pays si vous voulez que la subsistance du peuple soit assurée pendant cette année. Ne vous faites pas illusion : nous ne sommes qu'au début de la guerre ; malheureusement la guerre se prolongera ; les ports de la Baltique et de la mer Noire seront fermés pour tous les pays qui en tirent une partie de leur subsistance.

Si vous livrez votre marché aux étrangers, la hausse qui s'est développée d'une manière effrayante depuis quelques jours ne pourra que continuer jusqu'à ce que vous vous soyez complètement appauvris, jusqu'à ce qu'il ne reste plus d'approvisionnements pour vous, et alors quand vous n'aurez plus d'approvisionnements, il sera trop tard d'y penser. Je crains même qu'il ne soit bien tard.

Voici la proposition que j'ai l'honneur de faire :

« Les céréales et leurs farines, les pommes de terre et leurs fécules sont prohibées à la sortie. »

M. Rodenbach. - Messieurs, je ne partage pas l'opinion de l'honorable préopinant, qui demande la libre sortie de nos céréales ; mon opinion est tout à fait opposée à celle que vient d'exprimer l'honorable comte Vilain XIIII. Je demande avec la plus vive instance prohibition à la sortie, jusqu'au 31 décembre 1855, du froment, du seigle et de leurs farines, des pommes de terre et de leur fécule, et de toutes espèces de denrées alimentaires ; je demande en outre la libre entrée, jusqu'à la même époque, des grains, du riz et du bétail. Mes principaux motifs sont que, si nous ne prohibons pas à la sortie, sans le moindre délai, toutes les substances alimentaires, et notamment les céréales, sous peu une grande partie de nos grains et de nos bestiaux seront exportés à l'étranger. La hausse continue d'une manière effrayante, il s'ensuit que, malgré une assez bonne récolte en céréales, le grain, le pain et la viande restent aussi chers que dans une année de disette ; il est urgent de prendre des mesures avant que le mal soit irréparable, car déjà des achats se font pour compte anglais et hollandais ; les seigles et les grains étrangers manquent à l'entrepôt d'Anvers, et l'on remarque qu'en Angleterre, en Hollande et en Belgique, pays de liberté commerciale, les prix sont constamment à la hausse, tandis que dans le centre de la France, pays de prohibition, les prix tendent à la baisse.

De quel pays, messieurs, recevrez-vous des céréales pour remplacer celles que vous exporterez ? Vous ne devez pas vous attendre à en recevoir du Nord et vous n'en recevrez que très peu de l'Amérique, puisque tout récemment le commerce anglais en a eu la certitude.

Je le répète, nous avons une assez bonne récolte cette année, puisque terme moyen dans les deux Flandres nous avons récolté 25 hectolitres de céréales par hectare ; il en résulte que si nous voulons être prudents nous devons conserver dans le pays notre grain et nous remémorer le vieil adage : un tiens vaux mieux que deux tu l'auras. Je ne crois pas, messieurs, que la prohibition des grains à la sortie soit une panacée universelle ; mais je suis convaincu que cela fera baisser les grains et diminuer la spéculation et l'agiotage qui, aujourd'hui, se pratiquent sur une grande échelle aussi bien en substances alimentaires qu'en fonds publics à la bourse ; le démon de l'intérêt est de nos jours dans l'ordre moral, comme la machine à vapeur dans l'ordre physique. Le gouvernement a consulté les chambres de commerce et d'agriculture.

Il nous a fait connaître leur opinion. Mais pourquoi ne nous a-t-il pas fait connaître les avis des administrations des villes et des communes qui sont également à même d'éclairer le gouvernement et la Chambre ?

Pour terminer, je vous dirai messieurs, que c'est un insigne malheur de voir que dans notre pays la main-d'œuvre n'est pas en harmonie avec le prix des subsistances, le grain reste à un prix de disette malgré une bonne récolte.

Je pense, messieurs, que c'est à nous législateurs, d'employer tous nos efforts pour chercher à diminuer l'excessive cherté des vivres. Tentons la prohibition à la sortie et l'entrée libre de toute espèce de substances alimentaires, c'est le vœu exprimé par plusieurs centaines de pétitions adressées à la Chambre, et j'oserai même ajouter que c'est le vœu du pays.

- La séance est levée à 10 1/2 heures.