Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 5 février 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 655) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et demie.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Par trois pétitions, des fermiers-cultivateurs, engraîsseurs et marchands de bestiaux à Merckem, Zonnebeke, Cuerne, Lendelede, Heule, Winkel Saint-Eloi, Hulste, Bavichove et Harelbeke, demandent que les artistes vétérinaires non diplômés soient admis à continuer l'exercice de leurs fonctions. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Vander Cruyssen soumet à la Chambre un projet de télégraphe à établir sur les convois du chemin de fer. »

- Même disposition.


« Le sieur Plesserin, instituteur à Tourinne, demande une indemnité pour l'instruction gratuite qu'il donne aux indigents d'Omal. »

- Même disposition.


« Par trois pétitions, des habitants de Bruxelles demandent que l’enseignement agricole, dans les contrées flamandes, soit donnée en flamand. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'enseignement agricole.


« M. Ad. Lehardy de Beaulieu fait hommage à la Chambre d'un mémoire adressé par lui à M. le Ministre des travaux publics à l'appui d'un projet de chemin de fer destiné à relier et à réunir en un seul les deux grands systèmes des railways de l'Etat. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.

Rapports sur des pétitions

M. de Moor. - Messieurs, le conseil communal de Bure, par pétition en date du 25 décembre 1854 et les conseils communaux d'Arville et de Hatrival, par pétitions en date du 20 janvier 1855, réclament l'intervention de la Chambre pour que la société concessionnaire du chemin de fer du Luxembourg reprenne immédiatement les travaux qu'elle a suspendus ou qu'elle soit déchue de son entreprise.

La commission croit devoir rappeler quelques précédents de cette affaire.

La concession du chemin de fer de Bruxelles à Arlon avec ses embranchements a été accordée à la compagnie par arrêté royal du 18 juin 1846, pris en conformité de la loi du même jour.

Aux termes des articles 12 et 20 du cahier des charges annexé à cet arrêté, la compagnie était déchue de tous ses droits si les travaux n'étaient pas à moitié terminés à l'expiration de la troisième année (juin 1849), à dater de la promulgation de la loi de concession ; elle l'était également si les travaux n'étaient pas complètement achevés endéans les cinq années (juin 1851), et la ligne pourvue de tout le matériel nécessaire pour son exploitation par locomotives.

La loi du 25 mai 1847 ayant autorisé le gouvernement à proroger ces délais, une convention conclue le 29 du même mois avec la compagnie et approuvée par arrêté royal du 10 juin suivant, fixa respectivement les cas de déchéance à l'expiration de la sixième et de la dixième année (juin 1852 et 1856).

Ces faits, messieurs, ne sont rappelés par votre commission, que pour mémoire, car, à dater de 1851, surgit une situation toute nouvelle.

Le 30 juin 1851, intervint entre le gouvernement et la compagnie une convention provisoire accordant à celle-ci la garantie d'un minimum d'intérêt.

Les bases de cette convention ont été approuvées par la loi du 20 décembre suivant et, conformément à l'article premier de cette loi, la convention provisoire fui remplacée par une convention définitive en date du 15 janvier 1852 qui fut revêtue le 29 du même mois de la sanction royale.

Voici quelques-unes des dispositions de cette dernière convention.

« Art. 6. Les travaux entre Namur et Arlon seront commencés au printemps prochain au plus tard. Ceux de la ligne de Bruxelles à Namur seront repris pour la même époque.

« La moitié des travaux de la ligne de Bruxelles à Namur et la moitié de ceux de la ligne de Namur à Arlon seront terminés avant le 1er janvier 1855.

« Les deux lignes devront être entièrement achevées avant la fin de l'année 1856. »

« Art. 18. Les concessionnaires seront également déchus de tous leurs droits si les travaux n'étaient pas achevés à la fin de l'année 1856 ou bien s'ils n'étaient pas h moitié terminés sur les deux lignes de Bruxelles à Namur et de Namur à Arlon, avant le 1er janvier 1855. »

« Art. 19. Dans les cas de déchéance prévus par les deux articles précédents, il sera fait application de l'article 21 du cahier des charges. Il est bien entendu que les travaux exécutés sur l'une et l'autre ligne serviront de garantie pour l'exécution du réseau entier et seront compris dans la déchéance appliqué à la compagnie, ladite déchéance portant sur l'ensemble de la concession de Bruxelles à Arlon. »

Le délai fixé pour l'achèvement de la moitié des travaux est expiré, et il est de notoriété publique que sur la ligne de Namur à Arlon, les travaux, loin d'être terminés à moitié, sont fort peu avancés et sont poussés avec très peu d'activité.

Cet état de choses est d'autant plus déplorable que la misère des classes ouvrières est très grande, surtout dans les parties ardennaises du pays où la récolte des pommes de terre et du seigle a presque entièrement manqué, et où le travail fait complètement défaut.

En présence des textes cités plus haut, il semble évident que la compagnie est, dès à présent, dans le cas de déchéance prévu par l'article 18 et que, si elle veut rester en possession de sa concession, elle doit s'adresser au gouvernement et à la législature pour se faire relever de cette déchéance et obtenir une prolongation de délai.

Comme notre commission ignore si cette prorogation n'a pas été sollicitée ou n'est pas sollicitée, elle vous propose le renvoi des trois pétitions à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.

M. Tesch. - Messieurs, je viens appuyer les conclusions de la commission des pétitions qui tendent à renvoyer la pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.

Dans une séance précédente, un rapport sur une pétition identique a été fait par l'honorable M. Vander Donckt, et la discussion en a été renvoyée après le vote du projet de loi sur l'enseignement agricole ; je propose de renvoyer également cette dernière pétition à M. le ministre des travaux publics avec demande d'explications.

Je crois devoir saisir cette occasion pour appeler l'attention du gouvernement sur des faits graves qui ont été révélés dans une réunion des actionnaires du chemin de fer du Luxembourg, tenue à Londres dans le courant du mois de décembre dernier ; ces faits ne compromettent pas seulement les intérêts de la compagnie, ils compromettent les intérêts et, je puis dire, l'honneur de notre pays.

C'est ainsi qu'il a été dit et avoué dans une de ces assemblées que la compagnie du Luxembourg aurait formé en 1848 et ou 1849 un fonds de 10,000 actions libérées, destinés à être distribuées à la presse et à des personnes influentes en Belgique.

Messieurs, quoi qu’on ait mis le gouvernement et l’administration hors de cause, le fait n’en est pas moins grave ; d’abord, c’est une scandaleuse violation dses statuts ; cela n’a pas besoin d’être démontré. Je ne pense pas qu'il y ait dans les statuts un article qui permette de faire une semblable opération, de distribuer 10,000 actions dans le but de porter la corruption dans un pays. D'un autre côté, à quoi peut aboutir une semblable mesure ? Ou bien, les fonds sont véritablement distribués, et alors c'est une véritable atteinte à la moralité du pays et une entreprise contre ses intérêts ; ou bien ceux qui sont chargés de les distribuer conservent les fonds, se lotissent eux-mêmes et volent la compagnie. Dans l'un et l'autre cas, c'est une mesure odieuse qui exige que le gouvernement porte sur ce point ses investigations.

Je ne suis guère disposé à croire à cette largesse de 10,000 actions distribuées, soit à la presse, soit à des personnes influentes ; mais il n'en est pas moins vrai que l'articulation d'un semblable fait autorise toute espèce de soupçons, et il est important dès lors que le gouvernement et le pays sachent ce que valent de semblables accusations.

Je citerai encore un fait, et il y en a d'autres. Le président de la compagnie du chemin de fer du Luxembourg et, si je ne me trompe, l'ingénieur de la compagnie sont devenus concessionnaires d'une ligne appelée de la grande jonction. Evidemment pour obtenir cette concession, il n'en a pas coûté un centime aux concessionnaires ; ils ont eu peut-être des frais de plans à payer à leurs ingénieurs ; mais en dehors de ces frais, ils n'ont eu à faire aucune dépense ; or il a été constaté, à Londres, que les concessionnaires avaient apporté cette concession à la compagnie, et que, de ce chef, ils avaient touché 25,000 livres, soit 625,000 francs.

Et il a été dit que ces fonds étaient destinés à payer les frais d'ingénieurs et autres frais de même nature.

Or, il n'y a jamais eu de frais à payer aux ingénieurs de l'Etat, il ne peut pas non plus y avoir eu d'autres frais de même nature.

Je dis que ces faits sont graves, surtout parce qu'ils intéressent l’honneur du pays.

Assurément la Belgique est une des nations où le pouvoir et l'administration sont restées le plus à l'abri de toute corruption, de toute prévarication.

(page 656) Cependant, après des faits semblables l'étranger peut avoir une tout autre opinion. Cent mille livres pour distribuer à la presse, 25 mille livres pour une conception qui n'a rien coûté ; des faits semblables sont de nature à faire croire que nous sommes un pays de forbans. Et dans la réalité qu'en est-il ? Que jamais les intérêts de la compagnie du Luxembourg n'ont exigé, n'ont nécessité les moindres dépenses pour obtenir les avantages qui lui ont été accordés, que la grande jonction ne lui a rien coûté du tout et que le secret de cette affaire, c'est qu'il y a des gens qui s'enrichissent au détriment des actionnaires et de notre réputation. Ce sont là des choses qui ne peuvent pas être tolérées et contre lesquelles je dois protester. J'engage M. le ministre à faire son possible pour éclairer tous ces faits dans le passé et à faire en sorte qu'ils ne se reproduisent plus dans l'avenir.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je suis très heureux, pour mon compte personnel, des observations que vient de présenter l'honorable M. Tesch. Avec lui je suis convaincu qu'il importe au point de vue de la moralité de l'administration comme au point de vue de la dignité du pays lui-même, que les faits dénoncés dans le dernier meeting du mois de décembre dernier soient complètement éclaircis. Il est vrai que, lors des discussions qui ont eu lieu dans ce meeting, le gouvernement a été complètement mis hors de cause, c'est-à-dire que les directeurs actuellement encore en fonctions ont déclaré que, dans les fonds dont il est question, rien n'a été distrait en faveur d'aucun fonctionnaire ou agent de l'administration, quel que soit son grade ou son rang hiérarchique.

Je crois néanmoins qu'on ne peut pas se contenter de ces simples déclarations, et qu'il importe que le gouvernement surveille avec la plus sérieuse attention l'enquête ouverte à Londres. L'honorable M. Tesch sait que je n'ai pas perdu cette affaire de vue et que depuis le commencement de l'instruction, je me suis fait rendre compte avec le soin le plus minutieux de tous les faits qui ont été révélés.

Un nouveau meeting doit avoir lieu à Londres le 13 février prochain et une assemblée doit avoir lieu à Bruxelles le 24 février. Dans l'une comme dans l'autre de ces assemblées, il sera nécessairement question des faits qui ont été dénoncés et qui constitueraient, s'ils étaient vrais, de la part de leurs auteurs, des actes de la plus haute gravité.

En voyant ces faits, je serais tenté en quelque sorte de m'applaudîr des difficultés qui n'ont cessé d'exister entre la compagnie du Luxembourg et l'administration que je dirige.

Quand, il y a peu de temps, l'honorable M. de Moor m'a interpellé pour savoir la conduite que je tiendrais à l'égard de la compagnie du Luxembourg, j'ai déclaré que quand j'aurais à traiter avec elle je croirais devoir prendre vis-à vis la société exécutante des sûretés qui empêcheraient que les travaux concédés, promis à la province de Luxembourg, fussent désormais entravés ou compromis. Ce qui, il faut bien le dire, ce qui a empêché la surveillance en ce qui concerne cette compagnie d'être plus active, plus sévère et plus répressive, c'est que malheureusement dans les statuts de la société, il n'est pas, paraît-il, question de commissaires rétribués.

Actuellement la compagnie se trouve vis-à-vis du gouvernement dans une position nouvelle. A partir du 1er janvier, son contrat doit être partiellement renouvelé ; les délais d'exécution ont été dépassés, et il n'a pas été satisfait à l'obligation où se trouvait la société d'achever, quant à la ligne de Namur à Arlon, la moitié des travaux avant 1er janvier dernier. Si ultérieurement le gouvernement vient soumettre à la législature un projet de loi ayant pour objet de proroger les délais d'exécution, il aura soin de stipuler des garanties dont il sera le premier à reconnaître la nécessité et que la Chambre appréciera encore souverainement.

- Plusieurs membres. - Très bien !

M. Malou. - Messieurs, la question intéresse la Chambre et le pays à un autre point de vue. En effet, la loi de 1851 accorde la garantie de l'Etat pour le payement d'une partie des travaux que doit exécuter la compagnie.

Je demanderai donc à M. le ministre des travaux publies de bien vouloir déposer sur le bureau de la Chambre la traduction du compte-rendu du meeting qui a eu lieu au mois de décembre dernier.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Dès demain.

- Les conclusions de la commission et la proportion de M. Tesch sont adoptées.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs par deux pétitions respectivement datées de Bruxelles et d’Anvers, plusieurs négociants et autres habitants de ces villes prient la Chambie de s'occuper de la réorganisation de la télégraphe électrique, et demandent 1° la taxe uniforme d’un franc pour la transmission d'une dépêche de 25 mots, non compris les dates et les adresses ; 2° la piogression d'une demi-taxe pour 23 à 50 mots ; et 3° l'établissement d’un ou de plusieurs bureaux au centre même des villes.

Même demande de négociants et industriels de Verviers, Ensival, Dison et autres localités de l'arrondissement.

A l'appui de leur demande, ils appellent l'attention de la Chambre sur les grands services que cette merveilleuse invention est appelée à rendre à toutes les classes de la société, pourvu qu'elle soit organisée de manière à réunir deux conditions inhérentes à sa nature, l'économie de temps et de l'argent.

Ils disent que les bureaux sont trop éloignés du centre des populations, et, selon eux, le système des zones est incompréhensible, puisque en matière d'électricité,l es distances n'existent pas en quelque sorte, et la taxe de 2 fr. 50 est trop élevée pour l'usage journalier.

Ils citent l'exemple de l'Angleterre, où la dépêche de 25 mots, de Londres à Birmingham, ne coûte que 1 fr. 25 pour 36 lieues, sans compter les adresses et les dates.

Ils osent espérer que vous prendrez ces observations en sérieuse considération.

Votre commission, messieurs, n'a pas cru devoir entrer dans un examen approfondi de ce système de réforme aussi radical, et croit pouvoir se borner à vous proposer le renvoi de ces requêtes à M. le ministre des travaux publics.

M. Rodenbach. - Lorsque le commerce de Bruxelles, d'Anvers et de Verviers a adressé des requêtes à la Chambre des représentants, j'ai soutenu de toutes mes forces sa demande. Effectivement, messieurs, alors qu'en Angleterre, en Suisse, en Amérique on ne paye qu'un franc pour une dépêche télégraphique de vingt-cinq mots, ici on fait payer jusqu'à 2 fr. 50 c. Si l'on ne veut pas diminuer le taux de cette taxe, je me demande à quoi sert d'avoir établi ici une aussi admirable invention, et s'il n'est pas enfin temps d'imiter les pays où il en est fait usage par la plupart des classes de la société. Je l'ai déjà dit dans une autre séance, de Londres à Birmingham, distant de 36 lieues, on paye 1 fr. 25 c.

Je crois que M. le ministre doit prendre en considération les réclamations du commerce belge, d'autant plus que je suis persuadé que, si la taxe était réduite, on recevrait un revenu tout aussi considérable qu'aujourd'hui.

J'appuie les conclusions de la commission.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition dalée de Bruxelles le 30 novembre 1854, la dame Oesterboch, veuve du sieur de Bavay, décoré de la croix de fer, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir le subside que touchent les veuves de décorés de la croix de fer et demande qu'on lui accorde en attendant un secours équivalent à ce qu'elle a reçu, à ce titre, pendant deux années.

La dame Oesterboch fait valoir, à l'appui de sa demande, le manque de travail, la cherté des vivres, les sacrifices que lui impose sa position de mère de famille, ayant trois enfants parmi lesquels une jeune fille infirme, âgée de 15 ans et qui demande des soins constants et tout particuliers.

La pétitionnaire eût dû adresser sa demande directement à M. le ministre de l'intérieur. Votre commission, messieurs, reconnaît qu'elle a pris un chemin détourné pour arriver à son but.

Cependant elle a eu égard à la position malheureuse de cetle veuve, et elle a cru devoir prendre aussi en sérieuse considération les services rendus à la patrie par feu son mari, qui a donné des preuves de dévouement à la chose publique, qui a fait son devoir au jour du danger, qui a exposé sa vie et combattu avec courage pour notre émancipation nationale.

D'ailleurs, messieurs, l'augmentation d'une somme de 55,000 francs, votée l'année dernière et cette année-ci au chapitre X du budget de l'intérieur et destinée à augmenter la pension des décorés de la croix de fer et à accorder des subsides à leurs veuves, prouve à toute évidence, s'il en était besoin, la sympathie de la Chambre entière pour les courageux fondateurs de notre nationalité.

En conséquence votre commission a l'honneur de vous proposer l'envoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi approuvant la convention d'échange de terrains avec la ville de Mons

Rapport de la section centrale

M. Lange. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale, qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'appiouver la convention provisoire pour l’échange d'un terrain de l'Etat avec un terrain appartenant à la ville de Mons.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi ouvrant un crédit extraordinaire pour venir en aide aux employés inférieurs de l’Etat

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale est ouverte.

M. de Bronckart. - Messieurs, je ne viens pas combattre le projet de loi. Les objections critiques auxquelles il pourrait donner lieu ne rencontreraient pas d'écho dans les sentiments qui animent la Chambre, sentiments très louables sans contredit, s'ils ne sont pas de tous points conformes aux saines doctrines administratives.

Mais je supplierai te gouvernement de se mettre en mesure de ne pas renouveler dans la prochaine session, le triste spectacle que nous avons en ce moment sous les yeux. Si les employés inférieurs de l'Etat ne sont pas assez rétribués, il faut aviser aux moyens de les rétribuer mieux.

Il ne faut pas qu'il y ait plus longtemps en Belgique, des gens qui sacrifient à l'Etat leur intelligence, leur temps et leur labeur, et que l'Etat laisse en retour, dans une position si voisine de la misère, que, dans des temps un peu durs, le gouvernement se voit obligé dev enir demander aux Chambres le moyen de leur faire, il faut bien le dire, (page 657) une sorte d'aumône. Tout le monde, d'ailleurs, est d'accord qu'il y a quelque chose à faire, que cette situation cache un péril. Eh bien, je prie le gouvernement d'écarter ce péril en faisant quelque chose.

Messieurs, je regrette que M. le ministre de l'intérieur ne soit pas à son banc. J'aurais désiré lui demander, si, dans la dénomination d'employés inférieurs de l'Etat sont compris les employés inférieurs des administrations provinciales.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Oui.

M. de Bronckart. - Je m'attendais à celle réponse affirmative, dont je remercie le gouvernement. Je n'insisterai donc pas sur ce point.

Il est, messieurs, un autre point sur lequel j'aurais désiré avoir quelques éclaircissements de M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Nous vous les donnerons,

M. de Bronckart. - Je serai heureux de les recevoir de M. le ministre.

Ce point se rattache assez directement à la question qui nous occupe, car s'il est bien de venir en aide aux employés en détresse, il ne l'est certainement pas moins de leur payer ce qui leur est dû.

Messieurs, en 1849, quelques employés de l'administration provinciale de Liège furent chargés extraordinairement et en dehors des heures de bureau, de dresser d'immenses tableaux statistiques de la situation financière des villes et des communes de la province. Il leur fut promis une rémunération, et de ce chef il leur serait dû 850 francs.

Depuis six ans, messieurs, ces employés ont fait de nombreuses démarches pour obtenir le payement de cette somme. Ils se sont d'abord adressés à M. le gouverneur de la province qui les a renvoyés à M. le ministre de l'intérieur, lequel les a renvoyés à M. le gouverneur de la province. Fatigués de tourner dans ce cercle vicieux, et d'être renvoyés, pour ainsi dire, d'Hérode à Pilate, ces fonctionnaires, à ce qu'on m'assure, je ne sais si mes renseignements sont exacts, ces fonctionnaires, dans la crainte d'indisposer leurs supérieurs, se seraient décidés à ne plus tenter de réclamations.

Je prierai le gouvernement de nous dire ce qui en est ; je lui demande de nous dire ce qui s'est passé à cette occasion dans les autres provinces, et pourquoi ce qui s'est passé ailleurs ne s'est pas passé à Liège.

M. de Moor. - Messieurs, je remercie le ministère d'avoir saisi la Chambre d'un projet destiné avenir en aide aux employés inférieurs des diverses administrations. Seulement, je crains qu'en raison de la parcimonie qui perce parfois dans cette Chambre, surtout quand il s'agit des fonctionnaires publics, on ne se soit arrêté à un chiffre insuffisant pour que la mesure soit efficace : on comprend, en effet que, pour ne pas exposer leur 'propositions à un mauvais accueil, MM. les ministres aient restreint leur demande de crédit le plus possible.

Néanmoins, comme je n'ai aucun élément d'appréciation autre que ceux donnés à l'appui de la proposition, je m'en rapporte volontiers à ce qui a été fait. Mais qu'il me soit permis de saisir cetle occasion pour engager le ministère à examiner sérieusement la question de savoir s'il ne faut pas augmenter le traitement de ceux que j'appellerai les petits employés. Je crois qu'il y a là, comme le dit le rapport de la section centrale, une question d'humanité et d'intérêt public tout à la fois.

Depuis que la proposition qui nous est soumise a surgi, je me suis appliqué à approfondir divers renseignements que j'avais recueillis précédemment, dans différentes localités du pays, près de personnes très compétentes, habitant la frontière, qui se plaignent amèrement de l'insuffisance des traitements. Je veux parler de la douane, qui a des intérêts majeurs à sauvegarder.

Les employés du grade le moins élevé ont un traitement de 700 fr. ; mais il fait en déduire la retenue de 5 p. c. pour la caisse des veuves, et une autre beaucoup plus forte pour l’uniforme, l’armement et l'équipement. Le traitement a été fixé en 1823, époque où le prix des denrées alimentaires, des loyers, etc. était infiniment moins élevé qu'aujourd'hui.

Cependant, ainsi que M. le ministre des finances l'a parfaitement bien expliqué, selon moi, lors de la discussion sur les denrées alimentaires, il est à prévoir que les objets nécessaires à la vie ne diminueront guère de valeur.

Mais, quoi qu'il puisse arriver, et tout en admettant même que les prix redeviennent ce qu'ils étaient, il y a deux ou trois ans, le traitement brut de 700 francs, fixé, comme je viens de le dire, il y a plus de 30 ans, ne serait toujours plus en rapport avec les besoins de l'époque actuelle. Cela est palpable.

On reconnaîtra, dès lors, qu'il ne peut plus suffire à l'entretien d'un homme astreint à un service aussi dispendieux, aussi fatigant, je dirai aussi rude que l'est celui de la douane. On sait que ce service consiste à battre la campagne nuit et jour et par tous les temps, et à y séjourner 7, 8 et même 10 heures sans interruption.

Il m'a même été rapporté que, dans les moments où la fraude est imminente, la durée du service est de 15 à 16 heures sur 24. Comme l'a fait ressortir M. le ministre des finances par l'exposé des motifs du projet de loi que nous discutons, la première condition de la bonne extieution de ce service, c'est que ceux qui en sont chargés soient bien nourris ; la seconde, c'est qu'ils soient bien vêtus. Eh bien, encore une fois, est-il possible que ces deux conditions soient remplies au moyen du traitement de 700 francs ? Non assurément. Il y a encore une troisième condition essentielle, c'est que, pour avoir la liberté d'action indispensable, il faut non seulement que le douanier ne soit en aucune manière sous la dépendance de ceux qu'il doit surveiller, mais encore qu'il occupe parmi eux un rang convenable. Il faut aussi qu'il ait quelque instruction. Et cependant, vous le voyez, il reçoit tout au plus le salaire de l'ouvrier manoeuvre qui, lui, peut se vêtir et se loger comme bon lui semble.

Messieurs, les observations que je viens de présenter à la Chambre s'appliquent en grande partie aux employés des deux échelons immédiatement plus élevés, les sous-brigadiers et les brigadiers ; la position de ceux-ci présente même cette particularité que, depuis l'époque que j'ai prise pour point de départ, leur traitement a subi une réduction de 120 fr. pour les premiers et de 40 fr. pour les seconds,

Nos employés inférieurs des douanes sont en butte aux plus dures privations. Et cependant ils résistent à la corruption qui, il faut bien l'admettre, est tentée auprès d'eux parfois. Ils résistent, cela est reconnu de tous.

Mais une chose de laquelle leur probité ne peut les garantir, c'est le découragement que cause au plus grand nombre la douleur de voir leur famille dans le besoin quand ils s'astreignent ponctuellement, dans l'intérêt de l'industrie et du commerce, aux plus rudes fatigues, aux maladies, aux accidents et aux infirmités qui abrègent sensiblement leur existence. Pour nous qui ne reculons devant aucun sacrifice pour soutenir ces deux éléments de prospérité, il y a ici un devoir à remplir ; nous devons adoucir un peu la trop pénible position de ces sentinelles de la frontière, dont la vigilance pourrait se ralentir sous le poids des besoins les plus pressants.

Tout en partageant le vif intérêt que l'on porte aux facteurs ruraux des postes, je me permettrai de faire une comparaison entre leur service et celui des employés de la douane.

Le service des facteurs consiste dans une marche de 5 à 6 heures sur 24 et en plein jour, ce qui est certainement au-dessous du service véritablement écrasant des douaniers.

Les facteurs sont généralement placés dans la localité où ils sont nés, au milieu de leurs parents dont ils obtiennent assistance, et ils peuvent consacrer, soit à l'agriculture, soit au commerce, soit enfin à l'exercice d'une profession, le temps qu'ils ne doivent pas au service de l'Etat.

Ensuite ils ont encore de petits bénéfices qui arrondissent leur traitement.

Les employés des douanes, au contraire, ne peuvent exercer aucun commerce, aucune profession, ni par eux directement, ni même par leurs femmes et leurs enfants, ils n'ont donc que leur modeste traitement pour faire face à tout ; il y a même ceci de particulierqu'ils doivent être placés loin du lieu habité par leurs parents et par leurs beaux-parents, et que, ne pouvant séjourner longtemps à la même résidence, ils sont astreints assez fréquemment à des déplacements ruineux.

M. Anspach. - Messieurs, je me bornerai à parler de l'article en discussion.

M. le ministre des finances nous a proposé un crédit pour venir au secours des employés dont le traitement est de mille francs et au-dessous. La Chambre a fait à cette mesure l'accueil le plus sympathique et a prouvé toute sa sollicitude pour cette catégorie d'employés. Toutes les sections ont adopté le projet, et la section centrale a même été plus loin, car elle a témoigné le regret de voir que la somme ne fût pas plus considérable.

Messieurs, ceci est une question d'humanité et, je dirai plus, une question d'équité, car la position de ces employés est véritablement exceptionnelle ; la cherté des vivres les frappe beancoup plus que d'autres personnes et les expose à des privations beaucoup plus cruelles.

La raison en est bien simple, c'est qu'ils sont obligés d'avoir une tenue convenable, c'est qu'ils ont des dépenses forcées, auxquelles les autres citoyens peuvent se soustraire.

Messieurs, dans l'exposé des motifs, j'ai vu que sur environ 7,000 individus, il y en a seulement 4,000 qui seront compris dans les répartitions à faire en vertu de la loi. D'après les renseignements fournis par M. le ministre, la moyenne des traitements de ces employés est de 624 francs, et elle se réduit au-dessous de 600 francs par les retenues au profit de la caisse des pensions. Dès lors, je demande s'il est possible de retrancher quelque chose de la somme que nous voterons pour venir à leur secours ? C'est cependant ce qu'on veut faire, car enfin le crédit de 400,000 francs comprend 50,000 francs destinés à venir au secours des ouvriers journaliers.

A Dieu ne plaise que je veuille critiquer cette mesure ! Si la situation du trésor le permettait, je voudrais plutôt qu'on doublât, qu'on triplât cette somme de 50,000 fr. ; mais je vois avec chagrin que le crédit de 400,000 fr. destiné aux petits employés sera diminué d'autant. N'y auriait-il pas moyen d'allouer 50,000 fr. de plus ? Je crois que pas un membre de la Chambre ne regretterait une augmentation si légère. M. le ministre des finances seul fera peut-être des objections relatives à l'équilibre des budgets ; mais je le prierai de vouloir bien examiner si en fouillant tous les coins et recoins de ses caisses, il ne trouverait pas 50,000 fr. ? Dans la supposition qu'il lui fût impossible de les trouver, eh bien, qu'il réduise ou ajourne des dépenses qui peuvent être (page 658) utiles, mais qui n'ont pas le caractère d'urgence de celle dont il s'agit. Je demande donc qu'on porte à 450,000 francs le chiffre de 400,000 proposé par le gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, toutes les sections, de même que la section centrale, ont accueilli avec faveur le projet de loi que le gouvernement a eu l’honneur de vous soumettre. Si je demande la parole, c'est donc beaucoup moins pour soutenir le projet que pour répondre à quelques observations qui viennent d'être présentées par différents orateurs.

Messieurs, on regrette que le gouvernement se soit arrêté au chiffre de 400,000 francs pour venir en aide aux employés inférieurs de l'Etat ; nous partageons ce regret. Je dirai plus : le gouvernement n'aurait pas hésité à doubler la somme, si c'eût été le seul crédit de cette nature, dont la Chambre eût à connaître dans un bref délai.

Mais je dois annoncer à l'assemblée que sous peu de jours nous viendrons lui demander, non pas 400,000 fr., mais à peu près 1,600,000 fr. au même titre. Au département de la guerre, il y a insuffisance de crédits pour le pain, pour l'habillement, pour la remonte, pour les fourrages ; au département de la justice, il y a eu insuffisance de crédits du chef de l'entretien des condamnés ; d'autres crédits de ce genre, tous issus de la crise alimentaire, se présentent et élèveront le chiffre à près de 1,600,000 fr. Si nous joignons ce crédit à celui que vous êtes appelés à voter aujourd'hui, nous arrivons au chiffre de 2 millions. Eh bien, les budgets de 1855 ont été votés avec un excédant de recettes de 2 millions. Voilà donc cet excédant épuisé par le crédit supplémentaire que nécessite la cherté des vivres.

On me demandera peut-être : Si telle est la situation de l'exercice 1855, comment fera-t-on face à d'autres crédits supplémentaires qui inévitablement se présenteront dans le cours de l'exercice ? Je réponds franchement qu'il n'y a pour les couvrir que ces deux moyens ; nous avons d'abord l'espoir que, de même que les années précédentes, les recettes réelles dépasseront les recettes portées au budget des voies et moyens avec une excessive modération ; mais pour cela il faut que toutes les circonstances restent les mêmes et qu'aucune crise nouvelle ne vienne se joindre à celle que nous subissons.

Nous avons ensuite la perspective des économies que chaque ministre peut réaliser sur son budget dans le cours de l'exercice. En effet, les sommes que vous votez à chaque article des budgets des dépenses, ne sont que des maximum que les ministres ne peuvent pas dépasser, il n'est pas rare que des crédits ne doivent pas être entièrement dépensés de sorte qu'à la fin de l'exercice on trouve comme dépassant les prévisions des dépenses, comme acquis définitivement au trésor, une somme qui varie d'un à deux millions : eh bien, c'est par ces deux moyens, que nous sommes appelés à couvrir les crédits supplémentaires que l'exercice de 1855 pourrait rendre nécessaires.

Jusqu'ici, malgré la guerre d'Orient qui, dans une certaine proportion, atteint même la Belgique, malgré la crise alimentaire qui sévit depuis deux ans, nous avons été assez heureux pour traverser les deux derniers exercices sans déficit. L'exercice 1853 est définitivement clos en balance ; l'exercice 1854 sera clos en octobre, et je puis annoncer dès aujourd'hui qu'il sera clos avec un léger excédant de recette. Je dis que la prudence nous commande de continuer à marcher dans cette voie. Personne ne peut lire dans l'avenir ; il ne faut pas placer le pays dans une situation telle qu'il ne pourrait plus tard supporter toutes les dépenses que les circonstances pourraient rendre nécessaires. J'ajoute tout de suite que rien ne fait prévoir que de telles circonstances doivent se présenter.

On a demandé si le gouvernement comprendra les employés provinciaux dans la répartition de la somme de 400,000 fr. ; j'ai déjà eu l'honneur de répondre affiimalivement à l'honorable M. de Bronckart. Dans d'autres sections on a demandé si on y comprendrait la douane sédentaire, je réponds encore affiimativement.

Il eu est de même des employés inférieurs du pilotage et de la marine. En un mot, aucun fonctionnaire de l'Etat, quel qu'il soit, ne se trouve exclu du projet de loi, du moment que son traitement ne dépasse pas mille francs, et qu'il remplit les autres conditions prévues par le projet.

Messieurs, ce que nous faisons en ce moment, comme l'a très bien dit l'honorable M. de Bronckart, ne peut être considéré que comme un palliatif ; le temps n'est pas éloigné où il faudra faire d'une manière définitive ce que nous faisons aujourd'hui à titre provisoire. Il est évident que le renchérissement de la vie pèse cruellement sur les petits employés ; leur traitement reste invariablement le même, mais par ce renchérissement même, ce traitement diminue.

Cette cherté conlinuera-t-elle à subsister ? se maintiendra-t-elle après la guerre d'Orient et après la crise alimentaire ? J'ai déjà eu l'honneur de développer ici les motifs qui me portent à croire que cette cherté durera dans une forte mesure ; il sera alors indispensable que l'Etat accorde aux petits employés une rémunération qui soit plus en harmonie avec ce que la législature a voulu faire pour eux lorsque leurs traitements ont été primitivement fixés.

Il ne s'agira donc pas seulement des facteurs ruraux, de telle ou telle catégorie d'employés ; mais la mesure à prendre devra englober tous les fonctionnaires de l'Etat.

Et qu'on ne me dise pas, avec l'une des sections dont la section centrale a fait mention dans son rapport, que le gouvernement devra commencer par diminuer le nombre des hauts fonctionnaires de l'Etat. Je désire une bonne fois en finir avec cette exagération.

Le nombre des fonctionnaires de- l'Etat de tout grade est en Belgique de 18,774 ; ceux qui sont d'opinion que le nombre des hauts fonctionnaires doit être réduit ne cherchent pas, je suppose, ces budgétivores au-dessous du traitement de 5,000 francs ; 5,000 fr, voilà la limite où commence cette série de hauts fonctionnaires qui dévorent le budget ; eh bien, sur les 18,774 employés de l'Etat de tout grade que l'on compte en Belgique, combien en est-il qui touchent un traitement de 5,000 fr. ou un traitement supérieur à 5,000 fr. ? Il y en a 537.

Probablement vous ne comprendrez pas le greffier de la Chambre qu est votre élu, les membres de la cour des comptes qui sont vos élus, dont vous fixez le traitement ; vous ne comprendrez pas nos ministres à l'étranger dont le traitement est souvent tellement insuffisant qu'ils ne peuvent pas représenter dignement le pays ; vous ne comprendrez pas les membres de l'ordre judiciaire, car ils ont une existence honorable sans doute, mais qu'ils doivent beaucoup plus aux fonctions qu'ils exercent qu'au traitement qu'ils reçoivent de l'Etat.

Si vous défalquez tous ces fonctionnaires que je viens d'énumérer, il reste 337 hauts fonctionnaires comprenant les ministres et les gouverneurs de province.

Dans ces 337 hauts fonctionnaires se trouvent 167 receveurs soit de l'enregistrement, soit des contributions. Je ne pense pas qu'il entre dans les intentions d'aucun de mes successeurs de toucher au traitement des receveurs de l'enregistrement ou des hypothèques. Il faudrait changer toute la législation ; ces fonctionnaires sont astreints à une responsabilité financière telle, qu'un seul faux pas suffit pour ruiner leur famille. Là encore on laissera subsister ce qui existe. Défalquons encore ces fonctionnaires, nous trouvons, pour gouverner la Belgique sous toutes ses formes, 200 hauts fonctionnaires, y compris les ministres.

Si je voulais analyser chacune des catégories de fonctionnaires, vous verriez que mes successeurs, je les en défie, ne porteront pas la hache dans cette hiérarchie supérieure Ils décourageraient ceux qui peuvent y arriver et quels sont ceux qui y arrivent ? Des fonctionnaires qui ont blanchi sous le harnais administratif.

On a exprimé le regret qu'on ne puisse pas étendre la mesure bienfaitrice dont il s'agit à tous les petits employés quels qu'ils soient ; la réponse se trouve dans les premières considérations que j'ai développées devant la Chambre, c'est que pour la rendre un peu efficace il eût fallu doubler la somme ; vous savez pourquoi cela eût été impossible dans ce moment-ci.

La position des petits employés célibataires est celle de tous les citoyens ; mais ce qui est surtout pénible, c'est la position des petits fonctionnaires qui ont une famille ; c'est à cette catégorie que j'ai voulu venir en aide. Si on avait fait participer tous les célibataires, la part de chacun eût été de 44 fr., si vous acceptez la division par catégorie et en supposant que parmi les célibataires un cinquième ait charge de famille, ce qui les fera comprendre parmi les pères de famille, chacun aura 72 fr. C'est un soulagement, mais il est assez modeste pour que je ne veuille pas le diminuer en faisant participer les célibataires et veufs sans enfants,

M. Coomans, rapporteur. - Je regrette, avec d'honorables préopinants, que M. le ministre des finances ne croie pas pouvoir réaliser l'espérance qu'il nous avait laissé concevoir relativement à une augmentation du crédit que vous êtes appelés à voter. Les circonstances sont véritablement exceptionnelles ; il fallait d'autant plus y avoir égard, que, de l'aveu du gouvernement, les diverses catégories de fonctionnaires dont il s'agit ne sont pas suffisamment, justement rétribuées. Ces serviteurs de l'Etat ne devraient pas endurer la faim. Cependant je laisse au gouvernement la responsabilité des propositions à faire. Il connaît mieux que nous les ressources du budget. Je prends volontiers acte de la promesse faite par M. le ministre de réviser et d'augmenter le plus tôt possible les appointements de tous les fonctionnaires inférieurs de l'Etat.

Celte déclaration diminuera un peu le regret qu'éprouveront les fonctionnaires inférieurs de ne pas recevoir davantage cette année. Ils sont avertis que justice leur sera rendue, quelle que soit la situation du trésor.

La section centrale avait demandé deux choses sur lesquelles M. le ministre a omis de s'expliquer. D'abord elle désire qu il nous soit rendu un compte sommaire, mais clair, de l'emploi du subside, ce qui pourra éclairer la Chambre sur les besoins des fonctionnaires dont il s'agit ; en second lieu, la section centrale, s'associant au vœu émis par d'autres sections, a exprimé le désir que la distribution ail lieu en une fois et le plus tôt possible.

La somme est si faible qu'il serait inutile et peu digne de nous de la distribuer mensuellement.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - C'est comme cela que la chose se fera. Vous aurez aussi le compte rendu.

M. Coomans. - Je me contente de la déclaration de M. le ministre ; je n'en dirai pas davantage, car j'ai hâte de voir le projet transformé en loi.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Le tableau est prêt, de manière à pouvoir ordonnancer la distribution aux pères de famille, immédiatement après le vote du Sénat.

M. Vandenpeereboom. - Je ne viens pas appuyer le projet de loi ; cet appui serait superflu ; je désire seulement adresser une question à M. le ministre des travaux publics. Lors de la discussion du budget des travaux publics, l'intention de la Chambre était d'améliorer (page 659) d'une manière permanente la position des facteurs ruraux. M. le ministre a demandé alors que l'on retirât ou qu'on ajournât les amendements présentés dans ce but, attendu, disait-il, qu'il avait l'intention de proposer lui-même un projet de loi en ce sens. Je crois devoir faire remarquer, messieurs, que le projet de loi qui vous est soumis n'a qu'un but temporaire, tandis que l'intention de la Chambre était d'améliorer d'une manière permanente la position des facteurs ruraux.

M. le ministre des finances vient de nous faire connaître que le gouvernement se propose d'améliorer la position de tous les employés inférieurs de l'Etat. Mais cet examen peut durer fort longtemps, et comme la Chambre a donné des preuves de sympathie non équivoques aux facteurs ruraux, je demanderai au ministre s'il n'est pas dans ses intentions d'améliorer dans un bref délai la position des employés inférieurs de la poste aux lettres.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je dois rectifier un fait avancé par M. Vandenpeereboom, c'est que le rapport spécial de M. Coomans qui avait fait écarter la proposition concernant les facteurs ruraux faisait mention d'un projet de loi à soumettre aux Chambres, ayant pour objet de demander un crédit extraordinaire et temporaire pour venir en aide aux employés inférieurs de l'Etat, dans lesquels devaient être compris les facteurs ruraux ; mais le gouvernement n'a pas pris l’engagement de présenter un projet de loi consacrant d'une manière définitive l'amélioration de la position des facteurs ruraux.

Maintenant, en ce qui concerne les facteurs ruraux, je puis répondre à l'honorable M. Vandenpeereboom d'abord que pour le budget de 1855, une augmentation de 30,000 francs leur a été affectée, et que, sur le budget de 1856, je propose également un crédit nouveau de 67,000 francs, de manière qu'à partir de 1856 il n'y aura plus de facteurs ruraux dont le traitement sera inférieur à 600 fr.

En outre, je dois faire remarquer, en ce qui concerne ces agents subalternes dont il a été souvent question dans la discussion, que leur sort est considérablement amélioré, non seulement par l'augmentation des traitements, mais par la diminution des tournées. C'est ainsi que leur service est moins pénible, moins assujettissant qu'il n'était il y a quelques années.

La moyenne des communes qu'ils desservaient était autrefois de 3 et demie, tandis que la moyenne des communes qu'ils desservent aujourd'hui est de 2 et demie.

M. Coomans. - Mais ils distribuent beaucoup plus de dépêches.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Cela est vrai. C'est en raison de cela que leur position doit être améliorée.

L'honorable membre, qui m'interrompt, dit qu'ils distribuent plus de dépêches ; j'ajouterai qu'ils distribuent beaucoup plus de journaux et d'imprimés ; car le nombre des journaux distribués, qui était de 4 millions, est aujourd'hui de 16 millions. Le nombre des imprimés, qui était de 2 millions, s'élève aujourd'hui à près de 5 millions

Il est donc juste que le gouvernement leur tienne compte du service beaucoup plus pénible qu'ils font. Mais je viens de dire à la Chambre qu'à partir de 1856, leur position sera notablement améliorée.

- La dicussion générale est close.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

« Art. 1er. Un crédit de quatre cent mille francs (fr. 400,000) est ouvert pour venir en aide aux employés inférieurs de l'Etal dont le traitement annuel n'excède pas mille francs, ainsi qu'aux ouvriers-journaliers salariés par le gouvernement. »

- Adopté.


« Art. 2. La répartition de ce crédit aura lieu par arrêté royal entre les différents ministères ; les allocations qui leur seront assignées respectivement formeront l'objet d'articles spéciaux aux budgets de l'exercice 1855. »

- Adopté.


« Art. 3 La présente loi sera exécutoire le lendemain de sa publication. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi, qui est adopté à l'unanimité des 65 membres présents.

Ont voté : MM. Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Osy, Prévinaire, Rodenbach, Rousselle, Sinave, Tack, Tesch, Thienpont, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, Verhaegen, Vervoort, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Wasseige, Anspach, Closset, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bronckart, de Haerne, de La Coste, Dellafaille, F. de Mérode, de Moor, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, de Theux, de Wouters, Dumon, Dumortier, Frère-Orban, Goblet, Jacques, Jouret, Lambin, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lesoinne, Loos, Maertens et Delfosse.

- La Chambre fixe sa séance de demain à trois heures, les sections devant s'occuper demain du projet de loi relatif aux jurys d'examen. La réunion des sections est fixée à midi.

M. le président. - Je dois prévenir la Chambre que M. le ministre de l'intérieur a dû s'absenter. Il ne sera pas ici demain. On avait fixé à demain la discussion du projet de loi relatif à la police sanitaire des animaux domestiques amendé par le Sénat.

M. le ministre de l'intérieur demande que cette discussion soit fixée à après-demain. S'il n'y a pas d'opposition, il en sera ainsi. (Adhésion.)

Projet de loi réglant la réciprocité internationale en matière de sociétés anonymes

Discussion générale

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'ensemble du projet de loi auquel la section centrale se rallie.

M. Osy. - A l'occasion du traité fait l'année deynière avec la France, le gouvernement avait annoncé qu'on présenterait un projet de loi pour autoriser les sociétés étrangères à ester en justice comme les sociétés belges. Mais sur l'interpellation d'un honorable collègue il a été entendu que cela était en dehors du traité avec la France, et qu'on était libre de rejeter le projet de loi sans nuire au traité existant. De manière que je crois que nous pouvons, sous ce rapport, discuter librement le projet de loi et l'amender si nous le jugeons convenable.

Je vois dans l'article premier que le gouvernement demande à pouvoir autoriser les sociétés étrangères à ester en justice, pourvu qu'elles se conforment aux lois du pays.

Sous ce rapport, je demanderai un renseignement au gouvernement.

Je crois que les sociétés étrangères qui auront des agents ici ne sont que les compagnies d'assurances soit pour les incendies, soit pour les risques maritimes, soit sur la vie. Je ne connais guère d'autres sociétés qui puissent avoir des agents en Belgique.

Je demanderai à M. le ministre des affaires étrangères si les sociétés étrangères seront tenues de se conformer aux mêmes règles que nos sociétés belges. Je dois entrer à cet égard dans quelques explications.

Les actionnaires des sociétés d'assurance ne versent ordinairement que le cinquième, soit 20 p. c. du montant de leurs actions. Mais pour donner une garantie aux assurés, les compagnies belges sont tenues de rendre compte de leurs opérations au gouvernement, de se soumettre à l'inspection de commissaires, si le gouvernement le trouve convenable, et de déposer au tribunal de commerce la liste de leurs actionnaires ; pour qu'on sache si effectivement les personnes qui sont tenues de verser encore au besoin les 80 p. c. qui ne sont pas versés, présentent des garanties suffisantes.

Je voudrais également que les statuts des compagnies étrangères fussent déposés au tribunal de commerce du lieu où se trouve l'agent qui vient de l'étranger, et que tous les agents autorisés par les compagnies étrangères déposassent également au tribunal la procuration qui leur permet d'agir en Belgique au nom des sociétés étrangères.

Car il pourrait arriver, vous le comprenez, que des personnes vinssent se donner comme agents de compagnies étrangères d'assurance, et qu'après avoir reçu des primes, on ne les trouvât plus lorsqu'il y aurait des risques à payer.

Je crois que le gouvernement doit prendre ces garanties pour les Belges ; mais il y en a aussi à prendre pour le trésor.

Toutes nos compagnies, toutes les sociétés belges qui ont l'octroi du gouvernement sont tenues de payer une patente pour leur directeur. En outre, ces sociétés sont tenues de payer 1 2/3 p. c., non seulement de leur bénéfice, mais du capital roulant de la société, ce qui produit une très forte somme pour le trésor.

Je demande si le gouvernement compte faire payer cette patente extraordinaire aux sociétés étrangères pour les mettre sur la même ligne que les sociétés belges. Vous comprenez que si elles en étaient dispensées, elles pourraient assurer à meilleur marché, fixer à un taux plus bas la prime et faire des bénéfices considérables qui échapperaient à la Belgique.

Je crois, messieurs, que le gouvernement doit prendre des mesures pour que les sociétés étrangères soient de tout point sur la même ligne que les compagnies belges. Je demande quelques explications sur ce point ; car ces mots de l'article premier, « en se conformant aux lois du royaume », me paraissent assez vagues.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, je commencerai par faire remarquer à la Chambre que s'il est vrai qu'au moment où le gouvernement belge a négocié un traité de commerce avec la France, il a pris, vis-à-vis de cette dernière puissance, l'engagement de présenter le projet de loi qui vous est soumis, ce n'est pas qu'il ait accepté de ce chef une condition onéreuse pour la Belgique. Loin de là, je déclare au contraire formellement à la Chambre qu'alors même que le traité avec la France ne nous en eût pas fait une obligation, le gouvernement vous eût présenté le projet de loi sur lequel vous êtes appelés à vous prononcer aujourd'hui.

Ce projet de loi est dans l'intérêt de la Belgique, tout autant que dans l'intérêt des pays étrangers.

Le motif pour lequel cette clause se trouve dans le traité, le voici :

Autrefois la personnification civile des sociétés anonymes belges, qui est encore admise en France, avait pour réciprocité la personnification des sociétés anonymes françaises en Belgique. Deux arrêts de la cour de cassation de Belgique ont changé cet état de choses et ont refusé aux sociétés françaises le droit d'ester en Belgique comme personne civile.

Dès lors il n'y avait plus égalité entre la France et la Belgique et l'on comprend facilement que le gouvernement français, si l'on n'avait rétabli la réciprocité qui existait antérieurement, aurait bientôt refusé (page 660) aux sociétés belges la personnification civile que la Belgique refusait aux sociétés françaises.

Je le répète donc, indépendamment de l'engagement pris par le traité avec la France, le gouvernement était décidé à vous proposer le projet de loi qui vous est soumis, et ce projet est dans l'intérêt de la Belgique non moins que dans l'intérêt de la France ; je pourrais même, si j'entrais dans quelques développements, vous démontrer qu'il est beaucoup plus dans l'intérêt de la Belgique que dans l'intérêt de nos voisins.

L'honorable préopinant m'a demandé si, pour les sociétés d'assurances sur la vie ou sur les risques maritimes, nous prendrions vis-à-vis des sociétés étrangères certaines précautions que nous avons coutume de prendre vis-à-vis des sociétés belges.

Il suffît, messieurs, de lire le projet de loi pour reconnaître que nous n'entendons pas nous réserver le droit de modifier les statuts des sociétés étrangères, pas plus que nous n'admettons, remarquez-le bien, car tout est réciproque, le droit des gouvernements étrangers de modifier les statuts de nos sociétés.

Le gouvernement français prendra vis-à-vis des sociétés françaises les précautions qu'il jugera nécessaires, Nous le ferons vis-à-vis des sociétés belges.

Mais il est bien entendu qu'on ne peut pas plus modifier en France les statuts des sociétés belges qu'on ne peut en Belgique modifier les statuts des sociétés françaises, (Interruption.)

On me dit qu'il faudrait exiger le dépôt de certains documents, qu'il faudrait imposer aux compagnies étrangères certaines conditions, afin que les personnes qui traitent avec elles sachent à qui elles ont affaire. Je réponds, en conseillant à ces personues de ne point traiter avec des sociétés qu'elles ne connaissent pas : il est évident que chacun a soin de se renseigner sur les sociétés avec lesquelles il se propose de traiter. On fera en Belgique vis à-vis des sociétés françaises ce qu'on fait en France vis-à-vis des sociétés belges ; on s'enquerra de leur position financière, des garanties qu'elles présentent, avant de traiter avec elles.

En un mot, messieurs, d'après le projet de loi qui nous est soumis, la plus parfaite réciprocité est établie, et la loi ne fera que remettre les choses dans l'état où elles étaient avant que le revirement de jurisprudence de la cour de cassation eût refusé aux sociétés françaises la personnification civile dont elles jouissaient.

M. Prévinaire. - Messieurs, les explications que l'honorable M. Osy a demandées à M. le ministre des affaires étrangères sont plus importantes qu'on ne le pense, et l'honorable ministre n'y a pas répondu, suivant moi, d'une manière assez explicite pour qu'on puisse clore à cet égard, la discussion.

L'honorable M. Osy a demandé à M. le ministre si le gouvernement entend soumettre les compagnies étrangères et leurs agents en Belgique au même contrôle auquel sont soumises les compagnies belges, contrôle que j'approuve et qui consiste dans l'examen des statuts, dans la limitation très sévère des engagements qu'elles peuvent prendre, dans la surveillance de leurs opérations par le gouvernement, dans l'obligation de déposer au greffe du tribunal la liste des actionnaires, afin que le premier venu puisse contrôler la valeur de ces actionnaires.

M. le ministre se borne à dire : Le projet de loi n'a qu'un but, c'est de faire cesser les entraves qui existent aujourd'hui pour les compagnies étrangères, en ce sens qu'elles n'ont pas la personnification civile, c'est de rétablir l'équilibre, en ce qui concerne les compagnies françaises et les compagnies belges, c'est de permettre aux compagnies françaises d'ester en Belgique comme les compagnies belges peuvent le faire en France. Eh bien, messieurs, je crois que cela n'est pas suffisant.

M. le ministre dit : Celui qui voudra contracter examinera quelle est la valeur de la compagnie à laquelle il a à faire. Mais pourquoi donc le gouvernement se montre-t-il si sévère vis-à-vis des compagnies belges ? Il exige de ces compagnies des garanties que j'approuve beaucoup, mais qui sont considérables, et remarquez, messieurs, qu'on peut s'assurer de la valeur des compagnies belges avec plus de facilité qu'on ne peut s'assurer de la valeur des compagnies étrangères ; d'ailleurs M. le ministre admet le principe de la surveillance du gouvernement, même en ce qui concerne les compagnies étrangères, et dès lors il faut que cette surveillance soit sérieuse. Or, pour cela il faudrait aller un peu plus loin que le gouvernement ne se propose de le faire, d'après les explications de M. le ministre.

Il est certain, messieurs, que vous allez faire aux compagnies françaises une position que vous refusez aux compagnies belges. Les compagnies belges sont très sérieusement contrôlées ; on limite les engagements qu'elles peuvent prendre, on exige d'elles des garanties de toute espèce, et, je le répète, on a parfaitement raison, mais il faudrait mettre les compagnies étrangères dans la même position.

L'honorable M. Osy a demandé avec beaucoup de raison : Quelles garanties exigerez-vous des agents des compagnies étrangères ? N'exigerez-vous pas qu'ils constatent qu'ils sont bien et dûment les fondés de pouvoirs des compagnies au nom desquelles ils agissent, que les engagements qu'ils contractent seront ratifiés ? M. le ministre des affaires étrangères n'a rien répondu à cet égard. C'est cependant un point très important, car des agents pourraient s'établir en Belgique et y prendre au nom d'une compagnie considérée comme bonne, des engagements que cette compagnie n'exécuterait pas.

Un autre point sur lequel M. le ministre n'a pas répondu, c'est celui qui concerne la patente. Les sociétés anonymes belges payent une patente qui s'élève à 1 2/3 p. c. du montant de leurs intérêts et bénéfices.

Quant à moi, je suis loin de me plaindre de la concurrence des capitaux étrangers, je dis, au contraire, avec M. le ministre, que c'est une excellente chose de voir les capitaux étrangers venir assurer les propriétés en Belgique ; mais ce que je ne puis admettre, c'est l'absence de garanties pour les personnes qui contracteront avec les compagnies étrangères, alors que vous exigez les garanties les plus fortes des compagnies belges. (Interruption.) Je dis qu'il faut aller plus loin que le projet.

M. Coomans. - C'est impraticable.

M. Prévinaire. - Si vous admettez qu'on puisse dégager les compagnies étrangères de la surveillance da gouvernement, pourquoi ne dégagez-vous pas également les compagnies belges de cette surveillance ? (Interruption.) Je dis que vous exigiez des compagnies belges une patente égale à 1 2/3 p. c. du montant de leurs intérêts et bénéfices, je demande ce que vous exigerez des compagnies étrangères, qui viendront opérer ici sur une très large échelle ? Je vous demande, en second lieu, quel est votre moyen de contrôle sur ces compagnies ?

Vous me direz : Mais à l'étranger, on ne vous impose pas d'une manière spéciale et nous usons de réciprocité. Eh bien, vous allez créer ainsi aux Belges une concurrence privilégiée ; la justice veut que vous exigiez des compagnies étrangères l'abandon d'une fraction de leurs bénéfices. Au reste, ce principe existe dans la loi sur les patentes.

Un commis voyageur qui vient dans le pays vendre des marchandises pour compte de maisons étrangères paye une patente. Vous avez fait une convention avec le gouvernement prussien, en ce qui concerne les commis voyageurs. Je demande s'il n'y a pas quelque chose à faire pour les agents des compagnies d'assurances étrangères ?

M. Osy. - Messieurs, je conviens, avec M. le ministre des affaires étrangères, que le projet de loi qui tous est soumis est très libéral et que j'y donnerai mou assentiment, pourvu que j'aie toutes les garanties vis-à-vis des compagnies étrangères. Je demande que le gouvernement dise aux agents de ces sociétés : Vous aurez à vous conformer aux lois du pays ; ainsi, vous aurez à rendre annuellement vos comptes au gouvernement ; vous aurez à faire le dépôt de vos statuts au tribunal ; vous remettrez également au tribunal la liste des actionnaires, ainsi que la procuration qui constate que la compagnie dont vous vous dites le mandataire, vous a autorisés à venir traiter pour elle en Belgique. Si les compagnies étrangères ne veulent pas se soumettre à ces conditions, elles ne pourront pas ester en justice. En un mot, il faut que les agents des sociétés étrangères fassent en Belgique ce que nos propres compagnies sont tenues de faire.

Je demande de nouvelles explications à M. le ministre des affaires étrangères ; j'espère qu'elles seront plus satisfaisantes que celles que j'ai déjà obtenues et qui ne m'ont pas satisfait.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, je ne sais pas si les nouvelles explications que je vais donner à la Chambre satisferont l'honorable préopinant, mais il m'est impossible d'en fournir d'une autre nature ; elles me paraissent tellement simples, tellement nettes qu'il m'est difficile de comprendre comment on n'en saisit pas la portée.

De quoi s'agit-il ? Il s'agit de donner aux sociétés anonymes étrangères la personnification civile, personnification civile dont les sociétés belges jouissent à l'étranger. Voilà l'objet de la loi qui est soumise à la Chambre.

Maintenant que veut l'honorable préopinant ? Il veut que les sociétés étrangères n'aient la personnification civile en Belgique que moyennant qu'elles acceptent certaines conditions, en d'autres termes que moyennant que les sociétés étrangères obtiennent chacune en Belgique une nouvelle autorisation spéciale. Je dis, moi, qu'en adoptant un pareil système, d'une main vous feriez une loi et que de l'autre vous la déferiez.

Les sociétés belges jouissent de la personnification civile en France sans condition ; il faut établir la réciprocité, et par conséquent ne l'astreindre à aucune condition.

Vouloir mettre des conditions, je le répète, c'est exiger pour les sociétés étrangères une nouvelle autorisation en Belgique ; or, on ne demande pas une nouvelle autorisation en France pour les sociétés belges.

On me dit : Pourquoi donc prenez-vous des précautions vis-à-vis des sociétés belges et pourquoi n'en prenez-vous pas vis-à-vis des sociétés étrangères ? La raison en est bien simple ; lorsque quelques personnes demandent pouvoir se constituer en société anonyme, le gouvernement accorde le privilège de la société anonyme aux conditions qu'il juge convenables. Le gouvernement français fait la même chose pour les sociétés qui s'établissent en France. Mais du moment où le gouvernement français a donné la personnification civile à une société française, nous acceptons en Belgique cette personnification civile telle qu'elle a été donnée en France ; par contre, on accepte en France la personnification civile telle qu'elle a été donnée à des sociétés belges par le gouvernement belge.

On me dit encore qu'avec ce système les sociétés étrangères n'offriront pas aux Belges les mêmes garanties que les sociétés du pays. Je répondrai : Tant mieux ; de cette manière, il y a d'autant plus de chances qu'en Belgique on donnera la préférence aux sociétés belges qui offrent en effet plus de garanties. Voilà la seule réponse que je puisse faire.

En un mot, la loi établit la réciprocité la plus complète, et cette réciprocité, l'honorable M. Osy en convient avec ce sens si droit qu'il apporte dans toutes les affaires ; cette réciprocité, je n'hésite pas à le (page 661) dire, est beaucoup plus encore dans l'intérêt de la Belgique que dans celui des pays voisins.

Quant à ce qui concerne la partie financière, je cède la parole à mon honorable collègue du département des finances.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, on a interpellé le gouvernement sur le point de savoir ce qui se passerait au sujet du droit de patente des sociétés anonymes d'assurances de France ou d'autres pays. Avant de répondre à cette question, permettez-moi, messieurs, de faire connaître en deux mots la législation existante sur ce point.

En Belgique, une société anonyme paye d'abord, comme telle, une patente, et cette patente est de 1 2/3 sur le bénéfice net, tel qu'il résulte du bilan.

Il y a en second lieu une patente pour chacun des agents que cette société emploie dans l'intérieur du pays, elle est de 1.70, c'est la patente de simple agent d'affaire. Voilà donc les deux patentes auxquelles les sociétés d'assurance du pays sont soumises. Que se passera-t-il à l'égard des sociétés anonymes de France ?

Si l'on assimilait quant au droit de patente les sociétés d'assurance françaises aux sociétés d'assurance belges, il faudrait leur imposer cette double patente ; mais comme il est matériellement impossible de faire faire un bilan à une société qui a son siège et ses registres à l'étranger, voici comment la loi permet d'y suppléer.

Je viens de dire que les agents belges ne payent qu'une patente de 1.70 ; il n'en est pas de même des agents d'une société étrangère, ces agents d'une société qu'on ne peut pas imposer à raison de 1 2/3 de ses bénéfices sont imposés chacun comme assureur particulier et paient un droit de patente qui n'est plus de 1.70 mais de 20 à 215 fr. suivant les communes où il est établi. Vous savez qu'une société qui veut avoir une certaine clientèle dans le pays doit avoir un agent dans chaque province, sinon dans chaque arrondissement ; si vous leur faites payer une patente de 20 à 215 fr. vous arrivez à une somme plus qu'équivalente à celle qu'on perçoit sur les sociétés anonymes du pays.

Ainsi à Bruxelles, la moyenne des droits que payent les sociétés anonymes d'assurance varie de 500 à 3,000 fr. ; si une société d'assurance française veut étendre ses agents dans toute la Belgique, clncun de ces agents ne payera plus comme un simple agent d'affaire, mais comme assurant pour son propre compte, c'est-à-dire de 20 à 215 fr. Le fisc percevra une somme au moins équivalente à celle qu'il aurait eue de la société, si elle avait eu son siège dans le pays. Mais à côté des sociétés d'assurance, il y a des sociétés étrangères qu'on pourrait appeler des sociétés mixtes, qui sont propriétaires de charbonnages ou de hauts fourneaux à l'étranger et en Belgique.

Comme ces sociétés ont un double siège, on exige leur bilan et l'inspection de leurs registres, aux termes de la loi sur les patentes de 1850.

Il y a là moyen d'atteindre le bénéfice net des opérations faites en Belgique ; mais par contre les agents de ces sociétés ne payent plus que le droit de patente de 1 fr. 70 c.

Au point de vue de la justice, le trésor est indifférent.

Le malheur dans cettte discussion, c'est qu'on ne semble voir que les simples sociétés d'assurance, comme si la loi ne devait s'appliquer qu'à celles-là.

Cette loi intéresse beaucoup plus la Belgique que la France. Supposons qu'elle soit rejetée, vous ne pensez pas que la France reste tranquille spectatrice des sociétés anonymes belges, jouissant chez elle de la personnification civile, quand en Belgique on la refuserait aux sociétés françaises ; elle apporterait un changement à sa législation. Déjà des vœux très pressants ont été adressés dans ce sens au gouvernement français.

Qu'arriverait-il ? Une perturbation dont la Belgique serait la première victime.

Vous n'ignorez pas que la Belgique envoie en France pour plus de 40 millions de produits qu'elle n'en reçoit ; et ces exportations consistent en objets qui proviennent de sociétés anonymes. Ce sont les sociétés anonymes qui placent leurs produits en France. Ces sociétés, pour le nombre infini de grandes opérations qu'elles font en France, pourraient être obligées de payer un grand tribut sur les bénéfices qu'elle fait ; on pourrait les obliger à prendre patente, exiger leur bilan et leur dénier toute action en justice pour les opérations qu'elles font.

Bien plus, l’établissement au nom duquel parle M. Prévinaire pourrait être victime du rejet de la loi. En effet, si la Banquc de France refusait tous les billets qui auraient passé par la Banque Nationale, parce qu'elle ne pourrait pas en poursuivre le payement en justice, ne voyez-vous pas l'énorme perturbation qui en résulterait au préjudice de la Banque Nationale belge ? Cette loi intéresse infiniment plus la Belgique que la France ; c'est ne voir que le petit côté de la question que de ne voir que celui des compagnies d'assurances.

M. Verhaegen. - M. le ministre des affaires étrangères a cru que M. Osy n'avait pas compris la portée de la loi. Je crois que M. le ministre n'a pas compris la portée des observations de M. Osy que je trouve très juste.

La question est beaucoup plus importante d'après moi qu'on ne le croit au premier moment.

M. Osy demande si on admet comme régulier un acte de société anonyme approuve par un gouvernement étranger ; si cet acte ne devra pas être porté à la connaissance de tous les Belges par le dépôt au greffe du tribunal de commerce, comme l'exige le code de commerce.

Voilà ce que demande l'honorable M. Osy. L'honorable M. Osy avait raison de le demander, il a raison de l'exiger. Je vais plus loin. Le projet de loi fait droit à son observation, car il faut qu'on se conforme aux lois du royaume.

M. le ministre aurait dû répondre. Oui, il en sera ainsi puisque les lois du royaume l'exigent. C'est indispensable. Il est déjà assez extraordinaire, je m'en suis expliqué quand on a discuté en comité secret le traité avec la France, que les sociétés étrangères jouissent de la personnification civile dans notre pays.

On a exposé les dangers des jeux de Spa ; pour moi il y a beaucoup plus de danger à accorder la personnification civile aux sociétés anonymes étrangères en Belgique qu'à laisser fonctionner les jeux de Spa.

Nous nous rappelons ce qui a eu lieu naguères dans un pays voisin au sujet des sociétés anonymes, qui en définitive n'avaient aucun but sérieux, et qui ne spéculaient que sur la crédulité publique. Nous avons vu tous les inconvénients qui en résultaient, et nous avons vu plus d'une ruine qui en a été la conséquence.

Ne perdons pas de vue la différence qu'il y a entre les sociétés en nom collectif où les personnes responsables sont connues et les sociétés anonymes où personne n'est responsable, qui sont plutôt des associations de capitaux ; car on ne connaît pas ceux qui les gèrent.

Il importe à celui qui traite avec ces sociétés, de savoir dans quelles conditions elles sont formées. On ne peut les connaître régulièrement que par le dépôt au tribunal de commerce et par les affiches.

Cette question-là ne fait rien à l'objet principal du projet. Nous respectons l'autorisation qui sera donnée par le gouvernement étranger, parce que l'autorisation du gouvernement étranger tient lieu purement et simplement de l'autorisation qui serait donnée par notre gouvernement. Du moment qu'il y a réciprocité on peut passer là-dessus.

Il est bien entendu que si en France la cour de cassation changeait de système, comme la cour de cassation belge a changé de système, on devrait faire une loi pour mettre de côté cette jurisprudence. Sur ce point, il n'y a pas de divergence d'opinions.

Je dis donc qu'une société étrangère, autorisée par un gouvernement étranger, aura en Belgique les mêmes droits qu'une société belge autorisée par un gouvernement étranger. Mais lorsqu'en Belgique une société anonyme est constituée par acte public, en vertu du Code de commerce, lorsqu'elle est autorisée par le gouvernement, elle doit faire afficher ses statuts et les déposer au tribunal de commerce.

Voilà ce que dit l'honorable M. Osy. Je crois que cela n'a pas été réfuté, d'autant mieux que l'article 45 du Code de commerce exige ces formalités pour les sociétés existant chez nous, et qui ont l'autorisation du gouvernement. C'est une formalité qui n'est pas intrinsèque à l'acte, mais qui est extrinsèque. C'est une garantie qu'on donne au public pour qu'il sache que ce sont des sociétés de capitaux.

Je pense qu'il est fait droit à l'observation de l'honorable M. Osy, puisqu'il est dit dans la loi : « conformément aux lois du royaume ». Or les lois exigent l'affiche et le dépôt au tribunal de commerce. La discussion n'a eu lieu que parce que M. le ministre des affaires étrangères n'a pas fait cette réponse à l'observation de l'honorable M. Osy. Si l'on est d'accord sur ce point, la discussion cesse.

M. Orts. - L'honorable M. Verhaegen vient d'interpréter la loi qui vous est proposée de manière à ne lui rien faire dire. Si vous admettez, l'interprétation qu'il donne aux mots : « conformément aux lois du royaume, » la loi est morte ; la cour de cassation peut juger comme elle l'a fait avant la loi. En effet, la loi exige que les sociétés anonymes soient autorisées par le gouvernement. On pourra donc dire aux sociétés anonymes : Obtenez l'autorisation du gouvernement belge. Avec cela vous pourrez fonctionner comme les sociétés belges. Avec ce système, la cour de cassation jugera après la loi ce qu'elle a jugé avant. Or la loi a pour but de renverser la jurisprudence de la cour de cassation.

L'honorable M. Verhaegen vient de dire, comme l'honorable M. Osy, que les sociétés anonymes françaises doivent, comme les sociétés belges, déposer au greffe du tribunal de commerce un extrait de l'acte par lequel elles se sont constituées. Au premier abord cette égalité séduit. Mais si vous agissez ainsi seulement à l'égard des sociétés anonymes, vous ne faites que la moitié de la besogne. En effet, vous ne demandez pas ces formalités pour les sociétés en nom collectif. Vous ne le faites pas, parce que cela entraverait complètement les relations internationales de commerce entre les deux pays.

Si la disposition devait être appliquée en ce sens, je ne comprendrais pas trop le moyen de l'exécuter. Ou il faudrait avoir des formalités si compliquées, si nombreuses que la loi serait faite pour repousser les sociétés étrangères, au lieu d'être faite pour leur favoriser l'entrée du pays. En effet, où les sociétés étrangères devraient-elles déposer et afficher leurs statuts ? Les sociétés d'assurances françaises devraient remplir ces formalités partout ; car elles ont des agents dans tout le pays ; elles en ont dans les 33 arrondissements ; nous aurions donc 33 dépôts au tribunal de commerce et 33 publications de statuts, ce serait absurde. Vous feriez une loi qui chasserait du pays les sociétés étrangères et leurs capitaux, au lieu de les y attirer.

La situation d'une société belge est toute différente ; car celle-ci a son siège en Belgique. Mais les sociétés anonymes n'ont pas leur siège en Belgique ; elles y ont 33 agents. Où faudra-t-il publier les statuts ? Dans chaque arrondissement ? C'est inexécutable. Je crois que ce n'est pas nécessaire ; car le gouvernement étranger qui a pour les sociétés de son pays les mêmes devoirs que notre gouvernement pour les nôtres (page 662) exige la publication des statuts, et contrôle l’acte de société avant de donner son autorisation.

Mais, dit l'honorable M. Verhaegen, rappelez-vous les ruines qu'ont causées dans le pays les sociétés anonymes étrangères ! L'exemple est mal invoqué. Ce ne sont pas les sociétés anonymes étrangères qui ont produit des désatres dans notre pays, et n'ont pas tenu leurs engagements. Que l'honorable M. Verhaegen veuille bien se rappeler les faits ; il verra que ces sociétés auxquelles il a fait allusion étaient des sociétés d'assurances françaises, non constituées en sociétés anonymes, car les sociétés d'assurances ne sont pas des sociétés anonymes ; elles sont soumises non à l'autorisation du gouvernement, mais à une autorisation d'un tout autre genre. C'est une autorisation exigée par une loi spéciale française qui ne permet de former des tontines ou assurances mutuelles qu'avec une autorisation du gouvernement, mais autorisation qui est une faveur et qui n'est pas précédée d'une instruction aussi sévère que celle qu'exige le Code de commerce pour les sociétés anonymes.

C'est donc en prêtant aux sociétés anonymes des torts dont elles ne sont pas responsables qu'on en est arrivé à rappeler les précédents qui effrayent l'honorable M. Verhaegen.

Il faut, messieurs, maintenir à la loi son véritable caractère et dire que les précautions prises par les gouvernements étrangers vis-à-vis des sociétés étrangères seront considérées comme suffisantes en Belgique, dans tous les cas où la réciprocité existera pour les sociétés belges dans les pays étrangers.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, le projet de loi qui est actuellement soumis à la Chambre est en réalité déjà adopté par elle ; car, lorsqu'après les explications qui ont été échangées en comité secret entre l'honorable M. Verhaegen et le gouvernement, la Chambre s'est décidée à voter la déclaration qui accompagne le traité avec la France, elle a accepté d'avance le projet de loi actuel, qui ne fait, dans son article premier, que reproduire textuellement cette déclaration ; de sorte que nous nous sommes scrupuleusement conformés, après des explications réciproques, à ce que la Chambre a décidé.

Messieurs, le fondement du projet de loi comme de la déclaration, le fondement d'arrangements ultérieurs à faire avec d'autres gouvernements que le gouvernement français, c'est le « principe de confiance mutuelle » entre les gouvernements, c'est-à-dire la confiance que chaque gouvernement a dans la police des pays étrangers au sujet de ces grandes associations qui exigent un contrôle, qui exigent une publicité, publicité qui, par l'importance des sociétés et par la nature même des affaires qu'elles ont en vue, parvient, remarquez-le bien, à l'oreille de lous les intéressés.

Ainsi, messieurs, ce n'est pas en déposant dans un greffe de tribunal, ou si vous le voulez, dans trente-six greffes de tribunaux, les statuts des sociétés anonymes, que les intéressés qui habitent les 2,500 communes du royaume, auront une connaissance réelle de ces statuts. La publicité leur parviendra par les moyens de publication qui existent dans tous les pays, et qui parviennent dans toutes les communes du royaume ; ce sont des journaux, ce sont des prospectus, c'est la reproduction à des milliers d'exemplaires de tous les statuts avec l'approbation du gouvernement : Voilà ce qui constitue une véritable publicité !

Ensuite lorsque les agents de ces sociétés ainsi connues, viendront près des intéressés pour placer des assurances ou pour accomplir une négociation, ces agents seront les premiers intéressés à produire leurs pouvoirs, à faire connaître leur qualité et à invoquer, comme cela se fait toujours, la recommandation de monsieur un tel ou de monsieur un tel qui a déjà eu affaire avec lui, et qui peut rassurer les scrupules de ceux qui n'ont pas confiance en eux.

Voilà, messieurs, comment les affaires se pratiquent. Il faut entrer dans la réalité des choses, pour apprécier l'utilité et la portée d'une loi.

Pour ce qui concerne particulièrement la France, je dirai que, dans ce pays, les sociétés du genre de celles dont nous nous occupons, sont entourées de précautions très sérieuses. J'ai, dans l'exposé des motifs, indiqué un numéro du « Moniteur universel », où ces précautions sont indiquées. Je vais vous lire un court passage d'un discours de M. Heurtier, commissaire du gouvernement au corps législatif, où il est question des sociétés anonymes :

« M. le commissaire du gouvernement se résume en disant que toute demande d'autorisation pour une société anonyme est scrupuleusement examinée en conseil d'Etat, qu'elle est instruite d'abord dans le sein du comité spécial, puis ensuite portée en assemblée générale ; il n'y a donc pas à craindre de voir se fonder des sociétés de cette nature dans de mauvaises conditions, et les garanties dont l'autorisation est entourée doivent faire désirer qu'elles se développent de plus en plus, au grand avantage de la prospérité publique. »

Voilà les précautions qui précèdent l'autorisation du gouvernement. Ajoutez à cela celles que le Code de commerce exige, c'est-à-dire une large publicité dans le pays. Il y a par conséquent moyen de contrôler dans le pays étranger, si cela était nécessaire, la réalité de tout ce qui se publie dans notre pays au sujet des sociétés anonymes étrangères.

Je crois, messieurs, que ces considérations répondent d'une manière générale aux critiques de quelques orateurs et que les dispositions que j'ai indiquées constituent les seules garanties que vous puissiez exiger. Si vous avez confiance dans les gouvernements avec lesquels vous traitez, et si vous supposez de la part de ceux qui traiteront avec les sociétés ainsi organisées, le sens commun, la prudence ordinaire qui fait que l'on s'informe de la situation et du crédit de ceux avec lesquels on fait des affaires.

Ces considérations me dispensent, messieurs, d'entrer dans les détails des mesures indiquées par l'honoroble M. Osy, mesures qui, d'après moi, sont des précautions tout à fait illusoires en fait et qui sont de très légers accessoires en présence des grands intérêts que le projet de loi a en vue de satisfaire.

M. Verhaegen. - Mon honorable ami, M. Orts, trouve que je donne au projet de loi une portée qu'il n'a pas. Je viens demander alors au gouvernement ce que signifie le projet de loi. On voudra bien me dire quelle est la portée des termes : « conformément aux lois du royaume ». Cela signifie quelque chose ou ne signifie rien. Vous n'irez pas me dire que ces mots « conformément aux lois du royaume », sont en rapport avec les autres mots : « ester en justice ». Car ce serait trop bizarre. Il faut bien que quand on vient intenter une action en Belgique, on se conforme, aux lois de la Belgique.

Dans la première partie de l'article premier du projet, on tranche la question principale, à savoir que l'autorisation donnée par le gouvernement étranger est suffisante en Belgique. Cela met déjà de côté l'observation de l'honorable M. Orts. L'autorisation est suffisante ; c'est là une formalité intrinsèque de l'acte ; c'était le point qui était en contestation ; c'était l'objet principal, j'en conviens.

Ainsi l'autorisation du gouvernement étranger suffit ; il ne faut pas une autorisation du gouvernement belge ; mais une fois que cet acte est reconnu suffisant, restent les formalités extra-actes. Pourquoi feriez-vous moins pour cet acte reconnu valable émanant du gouvernement étranger, que vous ne faites pour un acte qui émane de nous-mêmes ? Pourquoi ne donneriez-vous pas au public la même connaissance de ces actes dans l'un comme dans l'autre cas ? Il y a des motifs très puissants pour qu'il en soit ainsi. Car enfin il s'agit d'une société, je le dis encore une fois, non pas de personnes qu'on peut connaître, qui peuvent, en raison de leur nom, inspirer de la confiance ; mais il s'agit d'une société anonyme ; personne n'est connu ; d'une société de capitaux, d'une société dans laquelle les statuts sont tout et sont seuls de nature à donner aux personnes qui contractent des garanties.

Je demande donc qu'on m'explique ce qu'on entend par ces mots : « conformément aux lois du royaume ».

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je suis bien persuadé que les explications très nettes et très catégoriques qui ont été données sur le sens du projet de loi ont suffi à la Chambre. Il me reste seulement un mot à répondre à l'honorable M. Verhaegen. Ce que signifient les mots : « conformément aux lois du royaume, je vais le lui dire ».

Il s'agit de donner à une société étrangère la personnification civile en Belgique. Eh bien, le projet de loi stipule que bien qu'il s'agisse d'une société étrangère pour tous les actes qui se poseront en Belgique, ce sera non pas les lois étrangères, mais les lois belges qu'il faudra observer.

- La discussion générale est close.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

« Art. 1er. Les sociétés anonymes et autres associations commerciales, industrielles ou financières, qui sont soumises à l'autorisation du gouvernement français et qui l'auront obtenue, pourront exercer tous leurs droits et ester en justice en Belgique, en se conformant aux lois du royaume, toutes les fois que les sociétés et associations de même nature, légalement établies en Belgique, jouiront des mêmes droits en France. »

- Adopté.


« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à étendre, par arrêté royal et moyennant réciprocité, le bénéfice de l'article premier aux sociétés et associations de même nature existant en tout autre pays. »

M. Orts. - Messieurs, je désire attirer l'attention de M. le ministre des afi'aires étrangères sur l'état de la question en ce qui concerne la Prusse. Les mêmes difficultés qui avaient surgi en France viennent de surgir dans les provinces rhénanes. Je prie M. le ministrc de vouloir bien s'occuper de cet objet.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je puis donner à l'honorable préopinant l'assurance que je me suis déjà occupé activement de la question dont il vient de parler. Tout récemment le gouvernement belge a fait une convention avec les Etats du Zollverein pour la patente des commis voyageurs. Je regarde cette convention comme fort utile, et j'ai lieu d'espérer que dans un temps très rapproché nous pourrons faire une convention analogue avec la Prusse en ce qui concerne les sociétés anonymes.

- L'article 2 est adopté.


« Art. 3. Cette réciprocité sera constatée soit par les traités soit par la production des lois ou actes propres à en établir l'existence. »

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet.

61 membres sont présents.

54 adoptent.

3 rejettent.

4 s'abstiennent.

En conséquence le projet de loi est adopté.

Ont voté l'adoption : MM. Malou, Matthieu, Mercier, Moreau, Orts, Rodenbach, Rousselle, Tack, Tesch, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom, Vander Donckt, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Overloop, (page 663) Vervoort, Veydt, Visart, Wasseige, Anspach, Closset, Coomans, Dautrebande, David, de Haerne, de La Coste, Dellafaille, F. de Mérode, de Mérode-Westerloo, de Moor, de Naeyer, de Portemont, de Renesse, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, de Theux, Devaux, de Wouters, Jacques, Jouret, Lambin, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lesoinne, Loos, Maertens et Delfosse.

Ont voté le rejet : MM. Prévinaire, Verhaegen et de Perceval.

Se sont abstenus : MM. Osy, Sinave, Dumon et Dumortier.

M. Osy. - Je n'ai pas voté contre la loi, parce que j'en approuve le le principe ; mais je n'ai pas trouvé, dans les explications du gouvernement, des garanties suffisantes pour les Belges qui traiteront avec les compagnies étrangères.

M. Sinave. - Je trouve que certaines dispositions de la loi étaient nécessaires ; mais je n'ai pas voté pour le projet, parce que les étrangers ne sont pas complètement assimilés aux Belges.

M. Dumon et M. Dumortier déclarent s'être abstenus pour les mêmes motifs que M. Osy.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.