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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 24 février 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 807) M. Maertens procède à l'appel nominal à une heure et quart.

M. de Mérode-Westerloo donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens fait connaître l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Ferd.-Guillaume Wenzig, marchand et fabricant de pelleteries, à Bruxelles, né à Cottem (Prusse), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


Le sieur Brunin-Labiniau, pharmacien à Bruxelles, demande que tous les produits pharmaceutiques venant de l'étranger soient frappés de prohibition ou soumis à un droit d'entrée très élevé. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi concernant le tarif des douanes.


« M. Thibaut, retenu par des affaires de famille, demande un congé. »

- Accordé.

Projet de loi accordant un crédit supplementaire au budget du ministère de l’intérieur

Rapport dela section centrale

M. Rousselle. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a été chargée d'examiner le projet de loi ouvrant un crédit de 80,000 fr. au département de l'intérieur pour la participation des producteurs belges à l'exposition de Paris.

- Ce rapport sera imprimé, distribué et mis en tête de l'ordre du jour de lundi.

Rapports sur des pétitions

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Hasselt le 9 février 1855, la députatiob permanente du conseil provincial du Limbourg demande un subside de 7,000 fr. pour aider la province à construire une caserne de gendarmerie à Bourg-Léopold, et prie la Chambre de faire de l'allocation de ce subside l'objet d'une loi spéciale s'il y a lieu.

J'ai eu l'honneur de vous présenter le rapport sur une demande émanant de la même autorité provinciale, et tendant aux mêmes fins, dans votre séance du 30 novembre 1854.

Les conclusions de votre commission tendaient au renvoi de la pétition à M. le ministre de la guerre, mais sur les observations des honorables membres MM. Julliot, de Reecsse et Vilain XIIII, qui prirent part à la discussion de ce rapport, les conclusions furent modifiées et la Chambre ordonna le renvoi de la pétition à MM. les ministres de la guerre et de l'intérieur avec demande d'explications.

Ces explications ont été fournies le 21 décembre 1854 par le département de la guerre et le 26 janvier 1855 par le département de l'intérieur.

Il résulte de ces explications qu'en strict droit l'on peut refuser ce subside en présence des termes impératifs de l'article 69 de la loi provinciale, mais qu'au point de vue de l'équité il y a lieu de l'accorder si les ressources de la province sont réellement bornées ; telle est l'opinion de M. le ministre de la guerre.

Daus l'opinion de M. le ministre de la justice, il est incontestable qu'aux termes de l'article 69, la dépense incombe à la province ; il ajoute : On doit néanmoins reconnaître que la gendarmerie de Bourg-Léopold est d'une grande utilité pour le camp de Beverloo, surtout à l'époque des grandes manœuvres.

Votre commission, messieurs, considérant qu'elle n'a pas mission de trancher la difficulté survenue entre la province de Limbourg et le gouvernement, considérant que la demande de la députation permanente tend à provoquer une loi spéciale s'il en est besoin, et que la Chambre ne sera pas disposée à prendre l'initiative en cette occurrence sans examen ultérieur du gouvernement, a cru pouvoir se borner à vous proposer le renvoi de cette pétition à MM. les ministres de la guerre et de l'intérieur.

M. Julliot. - Messieurs, la commission des pétitions reconnaît que la province de Limbourg est fondée en équité quand elle réclame le concours de l'Etat pour la construction d'une caserne de gendarmerie dans le voisinage du camp.

Mais je ferai un pas de plus, et je dis que la province est fondée en droit, et vous allez en juger.

Le gouvernement peut obliger les provinces à établir des casernes de gendarmerie dans les lieux et de la manière que le service normal l'exige.

Eh bien, si on reconnaît que la commune désignée doit avoir une brigade, soit, ce sera une caserne pour cinq hommes. Mais on ne l'entend pas ainsi, on demande une caserne de quinze hommes, et pourquoi ? Parce que le camp demande une station aussi forte.

Cette situation est exceptionnelle et il faut lui appliquer des remèdes exceptionnels ; la province ne doit pas supporter cette dépense, et elle aurait tort de la supporter, il doit y avoir justice pour tout le monde.

M. le ministre de la guerre en reconnaît l'équité, mais il ne propose rien. Si nous n'obtenons pas nos apaisements, nous ne cesserons pas nos justes réclamations. Je demande donc le renvoi de cette pétition à MM. les ministres de la guerre et des finances avec demande de nouvelles explications. Celles qui ont figuré au Moniteur ne me satisfont pas.

Je prierai au besoin l'honorable ministre de bien vouloir nous donner des explications par sa présence à la Chambre, on s'entendra mieux.

Un crédit spécial pour la guerre est proposé, je m'attendais à y voir figurer le subside, il n'en est rien. Si on ne nous rend pas justice, je proposerai par amendement une augmentation de 7,000 francs comme subside, et la Chambre comprendra tout ce qu'il y a de fondé dans cette proposition.

M. de Perceval. - Je ne pense pas que la Chambre puisse accepter les conclusions proposées par la commission des pétitions. La députation permanente du conseil provincial du Limbourg a adressé une requête à la Chambre ; la commission a fait un premier rapport et elle a conclu au renvoi aux ministres de l'intérieur et de la guerre avec demande d'explications. Ces explications ont été fournies par le gouvernement.

Une nouvelle requête a été adressée à la Chambre par la députation permanente ; il me semble qu'après les explications fournies, il y a lieu de déposer la nouvelle requête au bureau des renseignements. Les conclusions de la commission ne peuvent pas être adoptées.

Le gouvernement a fait connaître son opinion sur la réclamation de la députation permanente du Limbourg ; à quoi bon un nouveau renvoi ? Je propose le dépôt au bureau des renseignements.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Je prendrai la liberté de faire observer que les explications fournies par les honorables ministres de la guerre et de l'intérieur ont admis des circonstances atténuantes qui semblaient reconnaître que, selon l'équité, il y avait quelque chose à faire, peut-être des motifs pour accorder à la province ce qu'elle demande. Je dois ajouter qu'il y a plusieurs précédents sur cet objet : en 1839 la Chambre a rejeté la demande de subside de la ville de Bruxelles pour la construction d'une caserne ; plusieurs provinces ont demandé le concours du gouvernement pour la construction de casernes de gendarmerie ; on n'a fait d'exception que pour les villes de Hasselt etd'Arlon, pour le Limbourg et le Luxembourg, à cause de la séparation d'une partie de ces provinces ; le gouvernement a accédé à la demande ; il est venu en aide à ces provinces par un subside. Voilà les explications que je tenais à présenter à la Chambre. Je persiste donc dans les conclusions de la commission.

M. Julliot. - Si je propose de nouveau le renvoi de la pétition aux ministres, c'est que les explications données ne sont pas satisfaisantes. Si M. le ministre de la guerre s'était trouvé à la séance, on aurait pu discuter la question en sa présence et l'éclaircir. Il y a quelque chose d'insolite dans l'exigence qu'on montre envers la province de Limbourg.

Toutes les provinces doivent, d'une manière égale, une caserne de gendarmerie, là où il est reconnu qu'il en faut.

Mais quand, parce qu'il y a un camp, on dit qu'au lieu de 5 gendarmes il en faut 15 pour la partie qui dépasse les besoins ordinaires, exécutez-vous.

La province a affecté 21,000 fr. à cette dépense. Elle demande un subside de 7 mille francs. Cette demande me paraît rationnelle. Je persiste donc dans ma proposition de renvoi avec demande d'explications.

M. Rousselle. - Je viens appuyer la proposition faite par M. de Perceval, de déposer la pétition et les pièces de cette affaire au bureau des renseignements. C'est la seule fin que je trouve possible ; car il ne me paraît pas convenable, lorsque le gouvernement a donné les explications qu'il a jugées suffisantes, que la Chambre en demande d'autres, et renouvelle ainsi, indéfiniment, les renvois aux ministres.

Quelques membres ayant à défendre un intérêt de localité, trouvent que les explications ne les satisfont pas ; les pièces étant déposées au bureau des renseignements, il leur sera libre de les consulter, d'user de leur initiative, et de faire une proposition qui sera complètement examinée, élucidée, et sur laquelle la Chambre prononcera.

J'appuie donc fortement la proposition de dépôt au bureau des renseignements.

M. de Theux. - Je ne m'opposerais pas à cette proposition, si la Chambre voulait en même temps décider, sans rien préjuger quant au fond, que la pétition sera communiquée à la section centrale du budget de la guerre, qui pourra se mettre en rapport avec MM. les ministres de la guerre et de l'intérieur. Je ne demande pas de nouvelles explications. Je trouve aussi qu'on ne peut en demander de nouvelles, après celles qui ont été obtenues.

(page 808) La proposition que je fais ne préjuge rien. Mais il est certain que quand on examine les nouvelles considérations présentées par la députation du conseil provincial du Limbourg, on, reconnaît qu'il y a des motifs d'équité qui militent en faveur de sa réclamation. La Chambre verra si elle veut y faire droit. Je demande donc le renvoi à la section centrale du budget de 1856.

M. de Perceval. - Les honorables députés de Hasselt déclarent qu'ils ne sont pas satisfaits des explications qui ont été données par le gouvernement. Mais ils auront une très bonne occasion de se plaindre d'une manière un peu plus énergique, quand nous examinerons le budget de la guerre. Au chapitre « gendarmerie », ils pourront demander que le gouvernement intervienne d'une manière plus directe dans la construction d'une caserne.

Quant à moi, je persiste dans ma proposition ; car le gouvernement a déjà fourni les explications qu'on veut de nouveau lui demander.

- Les propositions de MM. de Perceval et de Theux sont successivement mises aux voix et adoptées. En conséquence, la Chambre ordonne le dépôt de la pétition au bureau des renseignements, et la renvoie à la section centrale du budget de la guerre pour l'exercice 1856.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Namur, le 20 décembre 1854, plusieurs électeurs à Namur prient la Chambre de décider si les électeurs d'une section intra-muros peuvent choisir pour conseiller communal un habitant extra-muros ou même d'un faubourg déjà représenté, et demandent qu'il y ait un recours en cassation contre les arrêts des députations permanentes en matière d'élections communales.

Ce qui a donné lieu à cette pétition, c'est un arrêté de la députation permanente de cette province, annulant l'élection d'un conseiller élu pour la section intra-muros par le motif qu'il était domicilié dans la section extra-muros de Salzinne.

Pour prouver que cette élection était valide, les pétitionnaires s'appuient sur le passage d'une circulaire da M. le comte de Theux, alors ministre de l'intérieur, qui dit : « En commençant par le petit nombre de conseillers à élire si au dernier scrutin les électeurs choisissent encore des conseillers parmi les habitants d'un hameau séparé, déjà représenté, ils le feront en parfaite connaissance de cause. »

La députation permanente au contraire a été guidée par la considération que si le législateur a voulu que toutes les sections fussent convenablement représentées au conseil, il l'a voulu pour la section principale comme pour les autres ; or, il se pourrait que, par l'entente de quelques sections, la section principale, qui n'est pas toujours la plus populeuse, ne fût pas représentée convenablement.

Quant au second membre de la pétition, la Chambre est saisie de plusieurs pétitions demandant que les décisions des députations permanentes soient sujettes à révision ou à cassation.

Votre commission, messieurs, a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de l'intérieur.

M. Wasseige. - Messieurs, cette pétition comprend deux objets bien distincts : elle demande d'abord qu'on puisse exercer le recours on cassation contre les décisions des députations permanentes en matière d'élections communales. Sous ce rapport je ne vois pas le moindre inconvénient au renvoi à M. le ministre de l'intérieur. Mais elle demande, en second lieu, qu'on déclare illégal l'arrêté de la députation permanente qui a annulé l'élection d'un conseiller communal, parce que ce conseiller était domicilié dans un faubourg, alors qu'il fallait élire un membre appartenant à la ville.

Je pense d'abord que la Chambre n'est pas compétente pour annuler un arrêté de la députation qui n'a pas été annulé par l'autorité compétente dans le délai fixé parla loi. Je pense d'autre part que cet arrêté n'est nullement illégal. En effet, messieurs, la députation permanente de la province de Namur, en vertu de l'article 5 de la loi communale, a attribué deux conseillers communaux à une section, celle des faubourgs et quinze conseillers à l'autre section, celle de la ville ; pas le moindre doute, en présence des termes formels de l'article 5, que la députation n'ait eu ce droit. Pour moi il est évident que les quinze conseillers attribués à la section de la ville devaient être pris parmi les personnes domiciliées dans la ville, tout aussi bien et pour les mêmes raisons que les conseillers attribués aux faubourgs doivent être pris parmi les personnes domiciliées dans les faubourgs. Il pourrait arriver sans cela que, par une entente préalable entre diverses sections, moins importantes chacune en particulier, mais plus fortes en masse que la section principale, cette dernière se trouvât privée de représentants, ce qui serait bien certainement contraire à ce qu'a voulu l'article 5 dans lequel la députation a puisé son droit. Or, messieurs, le conseiller dont l'élection a été annulée est domicilié dans la section des faubourgs.

Je pense donc, messieurs, que la députation permanente a fait une saine application de la loi, en annulant l'élection. Peut être aurait-il été plus convenable, quant à cette deuxième partie de la pétition, que la commission proposât purement et simplement l'ordre du jour. Cependant s'il est bien entendu que le renvoi à M. le ministre de l'intérieur ne préjuge rien, je ne m'opposerai pas, quant à moi, aux conclusions de la commission.

- Les conclusions de la commission sont mises aux voix et adoptées


M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par deux pétitions, datées de St-Gilles, le 9 et le 12 février 1855, le sieur Sacré demande qu'il soit pris des mesures efficaces pour empêcher la fraude qui a lieu par l'enlèvement temporaire des entrepôts des fils de lin pour être tissés, en toiles unies destinées à l'exportation.

Le pétitionnaire allègue qu'à la faveur de l'arrêté royal du 30 avril 1849 la fraude se fait sur une immense échelle, et nonobstant les précautions dont le gouvernement a entouré cette faculté ; que ces précautions, sont absolument inefficaces, et que ces fraudes portent le plus grand préjudice aux filatures nationales, parce qu'une partie notable de ces fils encombrent le marché intérieur.

Il rappelle une lettre adressée au gouvernement par les filateurs de lin du pays dans laquelle on a signalé les inconvénients et l'énorme préjudice qui résulte de ces fraudes qui menacent de ruiner nos filatures indigènes.

Il termine en demandant que, dans l'intérêt du travail national, il soit pris des mesures efficaces contre l'abus qu'il signale.

Votre commission, par les considérations qui précèdent et en présence des faits graves signalés par le pétitionnaire, a l'honneur de vous proposer le renvoi de sa requête à M. le ministre des finances.

M. Rodenbach. - Messieurs, je ne m'oppose pas au renvoi à M. le ministre des finances, mais je crois devoir combattre la pétition de toutes mes forces. Si je l'ai bien comprise, le pétitionnaire, qui est directeur d'une filature près de Bruxelles, prétend que les fabricants de toiles qui font venir du fil de l'étranger et qui le déposent en entrepôt avec charge d'exportation, commettent de grandes fraudes au préjudice des filatures. Messieurs, s'il y a réellement des fraudes, et j'en doute beaucoup, c'est à la douane de les réprimer. Le fait est que la faculté accordée aux fabricants, en vertu d'un arrêté du mois d'avril 1849, a fait presque doubler l'exportation des toiles belges, exportation dont nous avons grandement besoin pour faire vivre nos ouvriers, car dans la Flandre seulement il y a bien 100,000 personnes des deux sexes qui s'occupent du tissage, tandis que toutes les filatures de lin de la Belgique n'en emploient guère que 6,000.

Maintenant, s'il est vrai qu'il y ait eu deux ou trois procès-verbaux du chef de cette prétendue fraude, je ferai remarquer que ce serait une chose favorable aux fabricants qui se plaignent, puisqu'il s'agit de substituer du fil belge au fil étranger. Le pétitionnaire dit que la fraude dont il se plaint ruine les filatures. Eh bien, messieurs, il y a en Belgique des filatures qui ont gagné immensément d'argent ; on connaît les gros dividendes qui ont été distribués aux actionnaires. Ce n'est pas là un signe d'appauvrissement. D'ailleurs, messieurs, nos filatures doivent bien pouvoir soutenir la concurrence de l'Angleterre, car l'Angleterre fait venir la matière première, surtout les lins fins, de la Belgique, et nos principaux fabricants ont des machines qui viennent d'Angleterre ; ils peuvent faire entrer les machines perfectionnées sans payer les droits.

Ce qui prouve qu'ils sont à même de lutter contre les Anglais, c'est qu'on a établi dans ma localité trois nouvelles filatures. Certes, messieurs, ce n'est pas pour se ruiner qu'on a fondé ces établissements.

Messieurs, je consens volontiers à ce que la pétition soit renvoyée à M. le ministre pour qu'il l'examine, mais je dis qu'elle ne doit pas être prise en considération ; elle doit être écartée, car les assertions qu'elle contient sont tout à fait erronées.

M. de Haerne. - Messieurs, je regrette que, dans cette circonstance, M. le ministre des finances soit absent. Il pourrait, je pense, nous donner, sur la pétition dont il s'agit, des explications qui satisferaient tout le monde.

Je n'entrerais pas, messieurs, dans de longs détails sur cette question, si la pétition ou plutôt la pièce imprimée qui l'accompagne ne contenait pas une foule d'assertions erronées et en quelque sorte injurieuses pour certains industriels. J'espère que la Chambre me permettra, pour ce motif, d'entrer dans quelques développements, d'autant plus que je ne vois rien de fort pressant à l'ordre du jour.

Je crois, messieurs, devoir le faire parce que, pour moi, c'est une question d'avenir dont il s'agit. Il y a déjà quelque temps que cette question a surgi hors de cette enceinte, et je crois que le pétitionnaire a en vue d'introduire un système qui, selon moi, serait ruineux pour l'industrie linière.

De toutes les mesures, messieurs, qui ont été prises en faveur de cette industrie, je crois devoir dire que celle dont il s'agit est une des plus efficaces et j'en remercie l'ancien cabinet à qui en revient tout l'honneur. Pour vous faire voir, messieurs, combien peu sont fondées les assertions du pétitionnaire, je vous dirai que les filatures au nom desquelles on élève des plaintes qui semblent assez isolées, que ces filatures se sont élevées et développées dans le pays avec un droit d'un demi p. c.

Les filatures qui se plaignent dans cette enceinte reconnaissent elles-mêmes que les fils qui, selon le pétitionnaire, entrent en fraude, supportent des droits de 6 à 7 p. c. pour frais de transport et de commission. Or, si un 1/2 p. c. a suffi à leur prospérité, comment ne pourraient-elles pas se soutenir avec 7 p. c., du moins en admettant l'assertion du pétitionnaire, qui est erronée quant à l'introduction du fil anglais dans la consommation intérieure.

Mais, messieurs, les filatures souffrent dans tous les pays, à l'étranger bien plus qu'en Belgique. Permettez-moi d'entrer dans quelques détails à cet égard.

(page 809) Veut-on savoir ce qui se passe dans le pays classique de l’industrie linière à la mécanique, en Irlande ? Eh bien, dans le moment actuel, en Irlande et en Angleterre, on doit se concerter pour ne trabailler que 3 jours par semaine ; 10 ou 12 filateures ont suspendu leurs payements ; des faillites ont été déclarées, et il y a des établissements à vendre. En France, la situation est à peu près la même : on y est placé dans la nécessité d'opter entre le chômage et la ruine. En Prusse, il en est à peu près de même.

En Belgique, au contraire, quoiqu'une crise s'annonce, on peut dire que l'état actuel est satisfaisant. Comme l'a dit tout à l'heure mon honorable ami M. Rodenbach, les filatures se sont accrues en Belgique.

Je puis dire que depuis quelques années il y a une augmentation d'un tiers dans le nombre des broches. Des filatures ont augmenté de 14,000 le nombre de leurs broches ; d'autres de 10,000. Dans la filature établie à Roulers par MM. de Brouckere frères, il ne se trouve pas un paquet disponible, et l'on est engagé pour plusieurs semaines.

Je sais bien qu'ailleurs il y a des stocks ; mais qu'est-ce que cet encombrement, en comparaison de ce qui se passe dans d'autres pays ?

Je ne me dissimule pas la possibilité, la probabilité même d'une crise ; mais jusqu'ici il n'y a pas de raison de se plaindre, eu égard à la situation des filatures de pays étrangers, où le fil anglais ne jouit pas de l'avantage qu'on lui a concédé en Belgique.

Une preuve bien frappante de la prospérité croissante de nos filatures, c'est que depuis plusieurs années les importations de lin brut, et particulièrement du lin de Russie qui est d'un grand usage dans les filatures à la mécanique, se sont accrues presque dans la même proportion que l'exportation de nos propres lins.

Cela s'explique par la différence de qualité : nos lins sont de première qualité, et les lins du Nord sont d'une qualité inférieure, mais sont beaucoup employés dans les filatures à la mécanique, à cause du bon marché.

Je puis, messieurs, vous citer les chiffres de nos importations en lins étrangers. Les voici :

1847 : de Russie 533,000 kil., des Pays-Bas 472,000 kil., d'Angleterre 67,400 kil., d’autres pays 151,993 kil. Total 1,234,393 kil.

1851 : de Russie 1,692,000 kil., des Pays-Bas 1,383,000 kil., d'Angleterre 220,000 kil., d’autres pays 421,611 kil. Total 3,716,611 kil.

1853 : de Russie 1,860,000 kil., des Pays-Bas 1,200,000 kil., d'Angleterre 220,0000 kil., d’autres pays 1,904,000 kil. Total 5,124,420 kil.

Messieurs, pour vous démontrer le peu de fondement des plaintes qui vous sont adressées, je vous dirai qu'en 1853, ou a importé en Belgique du fil étranger, destiné à être converti en toile jusqu'à concurrence de 527,000 kil. Cela fait à peu près le 1/8 de la production indigène.

Or, vous savez que le fil indigène a une protection énorme par suite de l'adoption du tarif français ; alors même qu'on supposerait avec le pétitionnaire que le fil anglais reste dans le pays, chose que je conteste, cela ne fait qu'un 1/8. Or, la protection est d'environ 25 à 30 p. c. sur les principaux numéros ! La perte supposée ne ferait qu'une déduction minime de la protection générale, et c'est avec 1/2 p. c. qu'on s'est établi et développé.

Mais voici le grand reproche, c'est la question fondamentale. On dit que nous fraudons. Examinons cette question, voyons ce qu'il peut y avoir de vrai dans cette objection. La mesure dont il s'agit, j'ai besoin de le dire, est une espèce de drawback avec cette différence qu'au lieu de payer les droits à l'entrée on donne un cautionnement. Eh bien, le drawback existe en Angleterre, en France et ailleurs sur une foule d'articles : En Angleterre il est établi pour l'or, pour l'argent, pour le vin, pour la bière, pour le tabac, pour les sucres, etc. Croyez-vous que quand il s'agit de restitution sur ces articles la fraude ne soit pas possible ; notamment sur les vins qu'on fabrique en si grande quantité en Angleterre ? Cependant l'Angleterre paye le drawback. Comment peut-on se plaindre de la fraude quand les agents des douanes sont là pour la réprimer ?

Il en est de même en France : l'honorable M. David s'est plaint du drawback sur la laine filée qui souvent en France se convertit en prime. Cela se fait-il d'accord avec le gouvernement français ? En aucune manière.

Le fisc prend des mesures pour l'empêcher, mais je dis qu'en fait cette fraude se commet ; s'ensuil-il qu'il faille renoncer au système du drawback ? C'est la même question quant à l'enlèvement des fils, la fraude est possible ; mais la mesure n'en doit pas moins être maintenue. Seulement le gouvernement doit veiller à supprimer la fraude.

M. Sacré suppose que le fil anglais, converti par nous en toile, ne se place que chez nous et en France. C'est là une contre-vérité ; car par suite du tarif les toiles anglaises n'entrent ni en Belgique, ni en France, c'est à l'étranger qu'on est habitué à ces sortes de tissus, c'est donc là que nos industriels ont intérêt à exporter les toiles qu'ils confectionnent avec les fils anglais, puisque c'est sur les marchés étrangers qu'ils doivent entrer en lutte avec les produits anglais qui sont à bon marché. C'est une supposition absurde que fait M. Sacré.

Les Anglais fout de mauvaises toiles, dit-il, celles qu'on confectionne avec des fils mécaniques belges sont solides. Les Anglais font de mauvaises toiles ! sans doute, mais ils en font aussi de très bonnes ; la preuve c'est qu'ils enlèvent une masse de vos bons lins ; l'année dernière ils vous ont enlevé pour environ 15 millions de kilogrammes. Je demanderai ce qu'ils en font ; ils ne peuvent qu'en faire un usage semblable à celui que l'on en fait en Belgique. Le fait est qu'ils font tout à la fois des toiles apparentes et des toiles fortes ; ils font passer les unes à la faveur des autres dans la consommation, c'est ce que nous avons recommandé de faire aussi depuis longtemps J'ai toujours parlé dans ce sens.

D'après les goûts des divers consommateurs, il faut des toiles apparentes et des toiles fortes aussi bien en fil à la main qu'en fil mécanique. Les Anglais exportent pour plus de 100 millions de toile par an, preuve qu'ils ne font pas de si mauvaises marchandises, du moins quant à la demande, qui doit régler avant tout la production.

Mais, messieurs, on prétend encore que les toiles faites chez nous avec les fils anglais s'exportent en France. C'est fort singulier. Depuis l'arrêté du 30 avril 1849, relatif à l'enlèvement temporaire des fils de l'entrepôt, nos exportations en France diminuent, tandis qu'elles augmentent sur les autres marchés.

Ce fait est en contradiction avec les assertions de la pétition Sacré.

En 1847, notre exportation vers la France a été de 1,400,000 kilog. ; en 1853 elle n'a été que de 1,100,000 kilog., et en 1854, 816,000 kilog. Comment concilier ce fait avec la prétendue exportation en France de toiles faites chez nous avec du fil anglais ?

C'est évidemment sur les marchés autres que le marché français que nous les plaçons. Ce qui le démontre à l'évidence, c'est que nous gagnons du terrain sur ces marchés dans la proportion de l’importation des fils anglais.

D'abord, quelle a été l'exportation en toiles blanchies vers les marchés autres que celui de la France ? De 1844 à 1847 la moyenne de ces expéditions a été de 90,000 kilogrammes par an ; voulez vous savoir ce qu'elles sont devenues depuis que nous importons des fils anglais ? Je vais donner la statistique de l'exportation des toiles blanchies faites avec du fil anglais, en corrélation avec celle de l'importation des fils anglais ou plutôt irlandais

En 1851, nous importons 60 mille kilogrammes de fils anglais, l'exportation de nos toiles blanchies sur les marchés autres que celui de la France, au lieu d'être de 90 mille kilogrammes, monte à 221 mille. En 1852, nos importations en fils anglais s'élèvent à 254,000 kilogrammes ; l'exportation sur les marchés en question s'élèvent à 456 mille kilogrammes ; en 1853 l'importation des fils est de 527,700 kilogrammes, l'exportation des toiles de 557 mille kilogrammes. En 1854, l’importation des fils est de 566 mille kilogrammes, l'exportation des toiles blanchies de 580 mille.

Voilà pour les toiles blanchies et imprimées ; j'en dirai autant des toiles écrues, qui ont donné lieu à un mouvement à peu près semblable.

Mais c'est surtout pour les toiles blanchies que le progrès est remarquable, et c'est évidemment à la faveur des fils anglais que bous pouvons faire ces exportations.

Toiles écrues exportés vers les pays autres que la France : exportation moyenne de 1844 à 1847 340,000 kil., en 1851 516,000 kil., en 1852 728,000 kil, en 1853 811,000 kil.

Le chiffre est plus que doublé. On voit que l'une espèce de toile facilite le placement de l'autre. C'est en cela que la mesure a été utile, non seulement au lissage, mais même aux filatures, qui ont grand tort de s'en plaindre.

Je disais tout à l'heure que la pétition faisait des allusions peu flatteuses pour certains industriels.

Vous me permettrez de les relever. Ainsi, on dit dans cette pétition que des négociants font un trafic frauduleux de ces toiles, qu'ils joignent à leurs afifaires le dépôt de fils et qu'ils donnent 2 à 5 p.c. pour pouvoir exporter des toiles belges.

Je vais vous faire voir, messieurs, ce qui en est, et pour qu'on ne suppose pas que j'ai recours à de vaines paroles, je citerai le nom d'un de ces négociants.

M. Van Brabander, de Courtrai, fait ce trafic qu'on trouve si mauvais, si frauduleux : il fait venir les fils anglais, non seulement pour son propre usage, mais pour l'usage des fabricants répandus à la campagne, qui ne sont pas à la portée d'un bureau de douane. (page 810). Incontestablement, il doit retirer un certain profit de ces expéditions, puisque son capital y est engagé.

Puis, il fournit lui-même le cautionnement pour lequel il est responsable. Il charge donc de ce chef le prix des marchandises. Lorsque les toiles rentrent, il restitue cette surcharge qui peut être de 2 à 3 p. c. Voilà ce que l'on fait. Rien de plus naturel. Je suis autorisé par ce fabricant à déclarer que cela se pratique ainsi. Je suis porté à croire qu'il en est de même des autres fabricants auxquels on a fait allusion.

Je ne puis assez le dire : s'il était vrai, comme le prétend M. Sacré, que les fils restent dans le pays, ou s'exportent en France, il serait étrange que, dans les pays tels que la France et la Belgique où l'on ne connaît guère les toiles anglaises, on les préférât lorsqu'elles sont faites en Belgique, tandis que dans les pays où l’on ne connaît pour ainsi dire que les toiles anglaises, on ne voulût pas des toiles fabriquées par des Belges avec des fils anglais. La contradiction saute aux yeux, elle est frappante. Je ferai voir tout à l'heure que nous pouvons lutter quant aux prix.

Autre fait : il ne s'importe pas seulement en Belgique des fils anglais à charge de les réexporter après qu'on les a convertis en toiles. Mais il s'importe aussi des fils sur lesquels on paye les droits et qui restent évidemment en Belgique. En 1853, 33,800 kil. de fil anglais sont entrés dans la consommation indigène. Si la fraude dont on parle existait réellement, au lieu de payer les droits, les industriels dont il s'agit s'entendraient avec les fabricants que l'on signale comme faisant la fraude, et leur payeraient 1 ou 2 p. c. pour faire passer sous le nom de toiles en fil anglais des toiles belges à l'étranger. Ils échapperaient ainsi au droit de 25 à 30 p. c.

Mais pas du tout, ils payent ce droit, preuve que ce fait est entièrement controuvé, preuve que les fils sur lesquels on ne paye pas le droit ne restent pas dans le pays, mais vont à l'étranger, à l'exclusion de la France.

Nous importons des chaînes en même temps que des trames pour la réexportation, cela est un fait. La raison de tout cela, vous l'avez déjà comprise, messieurs, c'est l'extrême différence qui existe dans les prix.

Je vais plus loin : je dis, comme l'honorable M. Rodenbach, que s'il y a fraude, comme il y en a toujours en ces matières-là, ce que je suis bien loin d'approuver, elle est en faveur des filatures, en ce sens qu'elle consiste dans le mélange de la trame anglaise avec la chaîne belge, et que tout est à l'avantage de nos filateurs, puisque la chaîne a plus de poids et coûte plus cher que la trame. Dans le cas de mélange, le fil anglais qu'on remplace par du fil belge ne reste pas pour cela dans le pays.

Puisqu'il coûte beaucoup moins cher, il se combine aussi avec la chaîne belge dans le tissage, pour être exporté vers des marchés où nous luttons à conditions égales avec l'Angleterre ; mais il ne reste pas dans le pays où nous avons une très forte protection ; et il ne s'exporte pas non plus en France où nous jouissons encore d'une protection notable vis-à-vis de l'Angleterre. L'intérêt du fabricant commande d'en agir ainsi. Ainsi, alors même qu'on mêle le fil anglais au fil belge, le fil anglais est exporté en totalité. L'intérêt en décide.

En Allemagne, on préfère également la trame anglaise à la trame belge, pour le bon marché.

C’est un fait très significatif. Le pétitionnaire dit avec raison que nous exportons des fils en Allemagne ; mais il a l'air de dire que les Anglais n'en exportent pas dans ce pays.

Je vous citerai un fait frappant qui m'a été signalé par un Anglais. Un voyageur anglais, parcourant l'Allemagne pour l'article fils, s'y rencontra avec un voyageur belge qui se rendait dans le même pays pour placer des fils belges.

Ils s'entendirent entre eux, convinrent de voir les mêmes pratiques, reconnaissant que bien loin que leurs produits se fissent concurrence, la vente des uns facilitait le placement des autres. C'est une question de qualité et de prix. Cela se présente surtout lorsqu'on compare la trame à la chaîne.

Parmi les contre-vérités dont fourmille la pétition, il y en a une qui est saillante.

Tout en avouant que la douane fait la vérification par catégories, ce qui serait sans doute très désirable et n'offrirait pas d'inconvénients, on avance qu'on peut introduire 12 bundles du n°60, pour 6 bundles du n°40. Mais le n°40 ne pèse pas le double du n°60, mais bien le double du n°80 et les numéros 60 et 80 font partie de catégories différentes.

Pour pallier l'état peu progressif de nos filatures quant au bon marché, on s'attache à faire voir les avantages qu'offre le marché du lin qui s'est fixé en Angleterre. Mais on oublie que ce marché de lin est plus à la portée de nos filatures qu'à la portée de celles de Belfast et d'Aberdeen ; car il est plus facile d’exépdier du lin de Londres à Gand par exemple, qu’à Belfast ou à Aberdeen. Donc, le marché de Londres et à l’avantage de la Belgique.

En effet, depuis la mesure si salutaire qui a été autorisée sous le ministère de MM. Rogier et Frère quant à l'emploi du fil anglais, le lin d'Angleterre nous arrive en plus grande abondance.

Avant cette mesure, cela se bornait à 30 mille kilogrammes par an, tandis qu'aujourd'hui il vient d'Angleterre en Belgique 250,000 kilog. de lin par an.

De la Hollande il en vient, ainsi que de la Russie, une bien plus grande quantité. L'année dernière on a importé en Belgique au-delà de quatre millions de kilogrammes de lin étranger, et si les lins de Russie n'avaient pas fait défaut, le chiffre en eût été encore plus important, d'après les statistiques de l'année antérieure, qui a donné plus de 5 millions de kilogrammes. Lorsque le droit minime de 50 centimes les 100 kilogrammes aura disparu, comme la chose est proposée par le ministère, les lins étrangers arriveront encore plus facilement dans le pays.

On dit, messieurs, qu'il faut faire du solide ; sans doute, mais il ne faut pas négliger l'apparent. Autrefois, lorsque des personnes un peu exclusives en faveur de l'ancienne industrie linière insistaient sur la bonne qualité des produits de cette industrie on leur disait : Vous êtes des rétrogrades ; vous ne voulez pas le progrès ; il faut faire tout ce que font les Anglais, l'apparent comme le solide. Eh bien, c'est aux filatures que nous devons aujourd'hui tenir ce langage. Ce sont nos filatures qui, selon le pétitionnaire, voudraient arrêter le progrès.

Il y a plus, messieurs, c'est que, malgré tous les progrès, les prix de nos filatures sont supérieurs aux prix du fil à main.

Voici le tableau comparatif de ces prix : (non repris dans la présente version numérisée)

Si nos fils à la main étaient généralement numérotés on en ferait un très grand emploi pour les trames. Mais les trames anglaises sont encore à meilleur compte.

Pour ce qui regarde la comparaison entre le fil belge à la mécanique et le fil étranger, les numéros les plus courants se vendent, les 6 bundles :

Fil belg 39 fr., fil français 34 fr., fil anglais 30 fr.

Voilà, messieurs, la différence, jugez des résultats.

Et c'est en présence d'un pareil état de choses qu'on voudrait, pour ainsi dire, nous imposer le monopole et cela au nom de ce qu'on appelait autrefois le progrès de la mécanique ! C'est une dérision.

On invoque la réputation des anciennes toiles de Flandre en faveur du fil fait à la mécanique, puis on déclame contre la fraude ; mais l'usurpation de la réputation de l'ancienne industrie linière, c'est là une fraude manifeste.

Les anciennes toiles, dont parle la pétition, ne sont certes pas des toiles mécaniques. On veut donc tromper le consommateur par une fausse enseigne. Et l'on ose parler de fraude !

On devrait bien comprendre, messieurs, qu'un fil ne nuit pas à l'autre, mais que l'un doit, au contraire, faire prospérer l'autre, surtout par la nécessité de compléter les assortiments, chaque fois qu'il s'agit d'envois considérables, comme ceux qui se font vers les marchés transatlantiques.

On parle beaucoup de la main-d'œuvre dans la pétition. On avoue que la main-d'œuvre est un peu à meilleur compte dans les Flandres qu'en Irlande ; mais une chose qu'on oublie, c'est qu'en Flandre il y a trop de tisserands puisqu'ils se sont dirigés en masse vers la France, tandis qu'en Irlande il en manque en temps ordinaire.

J'ajouterai qu'il est reconnu par tout le monde que nous avons les premiers tisserands de l'Europe, et cela n'est pas inutile dans la question, tandis que nous sommes loin d'avoir des filatures qui répondent à tous les besoins. Nos filatures sont en progrès, j’en conviens, mais elles ont encore beaucoup de chemin à faire pour le bon marché. Je suis loin d'être hostile aux filatures, je les crois nécessaires, je veux les encourager, mais je ne puis pas soutenir des prétentions exorbitantes et qui tournent contre les filatures mêmes.

On exagère aussi les faux frais, qu'on porte à 6 ou 7 p. c. pour l'importation des fils anglais.

Voici, messieurs, un compte fourni par une des premières maisons de Belgique, une maison qui, en ce moment-ci, fait vivre encore plus de deux mille tisserands dans les Flandres. Vous comprenez fort bien que les frais de transport, de commission, etc., sont plus ou moins élevés selon l'importance de l'expédition ; lorsqu'on fait venir des masses, ces frais sont diminués. Les fortes maisons ont sous ce rapport un grand avantage. Voici le compte :

6 balles, valeur, fr. 12,250

De Belfast à Anvers, fr. 274 41

Acquit, pesage et plomb, fr. 7 70

Débarquement, veille et transport, fr. 12 65

Commission, port, timbre, etc., fr. 13 10

Total, fr. 308. Cela fait sur une somme de 12,000 fr. 2 1/2 p. c. au lieu de 6 ou 7 (page 811) p. c. comme le dit le pétitionnaire. Sur les petits envois les frais sont plus grands ; mais c'est la petite exception.

M. Sacré compare encore la main-d'œuvre du tissage à celle du filage mécanique, et il prétend que cette dernière est plus importante. Messieurs, il confond toutes choses. Ainsi, pour les filatures il comprend les frais d'établissement, les magasins, les machines, et pour le tissage il ne prend absolument que la main-d'œuvre du tisserand ; il faudrait, pour être conséquent, compter les ateliers, les métiers du tisserand et tout ce qui sert au tissage. Mais là n'est pas la comparaison à faire ; la comparaison réelle doit porter sur le nombre d'ouvriers et sur le salaire qu'ils reçoivent.

Eh bien, messieurs, sous ce rapport la différence est énorme en faveur du tissage ; toutes les filatures du pays, réunies, n'emploient pas plus de 6,000 ouvriers, tandis que les tisserands des Flandres s'élèvent à 50,000 et les ouvriers subsidiaires, y compris les femmes et enfants employés aux opérations accessoires du tissage, peuvent être portés à peu près au même nombre, de sorte que 100,000 personnes environ vivent du tissage. Toute la question d'humanité gît dans ces deux chiffres. C'est la grande question à mes yeux.

Je crois, messieurs, que le pétitionnaire n'est pas du tout au courant de ce qui se passe dans le tissage. Ainsi pour les pièces de 3,000 fils à la chaîne (c'est un de ses numéros) il donne le prix de 12 fr. 83 c., y compris le bobinage, etc. Or, tous les fabricants vous diront que ce travail revient à 20 fr. à peu près.

Pour le 3,400, le prix est de 24 fr., au lieu de 15 fr. 8 c. ; pour 3,700 le prix est de 27 fr, au lieu de 19 fr. 46 c. ; pour 4,200, le prix est de 32 fr., au lieu de 25 fr. 9 c.

Vous voyez, messieurs, que la requête fourmille d'inexactitudes.

On vante beaucoup l'exportation de nos fils mécaniques en Suisse,en Allemagne, etc. Je m'en félicite, messieurs.

Mais, comme je l'ai déjà dit, le pétitionnaire oublie une chose, c'est que les Anglais exportent beaucoup plus de fil que nous en Allemagne. Il va sans dire que comme nous sommes à proximité de l'Allemagne nous avons un avantage dans les facilités de transport. Nous avons un autre avantage dans certaines relations établies depuis longtemps. Du reste, ces fils sont en général des chaînes.

J'insiste sur cette circonstance capitale, pour faire voir qu'en matière de commerce et d'industrie, la variété est un des premiers éléments de succès, et que nos filateurs feraient très bien d'imiter, à cet égard, l'Angleterre, en nous donnant les produits apparents et à bon marché à côté du solide qui est naturellement plus cher.

Messieurs, permettez-moi de faire ici une observation qui est essentielle dans le débat. La mesure excellente que j'ai déjà prônée et que je ne cesserai de préconiser, la mesure qui concerne l'enlèvement temporaire des fils étrangers de l'entrepôt, a produit de grands avantages sous d'autres rapports, sous le rapport, par exemple, de l'érection de blanchisseries à l'instar de celles qui existent en Irlande ; c'est ce que le pétitionnaire semble ignorer. Il en parle comme un aveugle parlerait de couleurs. Il prétend que nous ne pouvons pas rivaliser avec l’Irlande. Je ne dis pas que nous sommes tout à fait à la hauteur de l'Irlande, mais nous sommes bien près d'y arriver.

Eh bien, messieurs, en vertu de l'article 40 de la loi de 1846 sur les entrepôts francs et de l'arrêté organique du 30 avril 1849, de nouvelles blanchisseries ont été établies.

M. Wood s'est développé à Anvers, M. Rey aîné a une magnifique blanchisserie à son usage ; à Courtrai, M. Vercruysse Carpentier et M. Auguste Benoît viennent de se monter sur uu pied qui bientôt ne laissera plus rien à désirer, sous le rapport de la perfection et du bon marché.

Remarquez, messieurs, que ces industriels sont unanimes pour vous dire qu'ils n'auraient qu'à fermer leurs établissements si la mesure dont il s'agit venait à être retirée.

Mais ils ont trop de confiance dans le gouvernement pour croire que cela soit possible. La protection qui existe sur la toile blanchie rend ces établissements spéciaux beaucoup moins utiles pour l'intérieur ; mais ils sont nécessaires pour l'étranger.

Messieurs, j'ai encore un mot à dire sur ce qu'on appelle toujours la fraude.

Cette fraude ne nuirait en définitive à personne, ni aux filateurs, ni au trésor, ni à la France.

Quant aux filateurs, j'ai fait voir qu'elles prospèrent dans le moment plus en Belgique que partout ailleurs. Puis elles ont une immense protection ; alors même qu'on admettrait les assertions du pétitionnaire, il y aurait toujours la protection du tarif français appliqué sur nos frontières Eh bien, je suppose que la prétendue fraude qui vient bouleverser l'imagination du pétitionnaire, je suppose qu'elle augmente, savez-vous ce qui en résulterait ?

C'est que l'exportation des fils belges augmenterait dans la même proportion. En effet, il faut décharger les passavants à caution, au moyen de fils belges, et par conséquent l’exportation de ceux-ci devrait s’accroître dans la même mesure.

Quant au trésor, messieurs, je vous ai déjà dit que les fils anglais qui s'introduisent dans la consommation et sur lesquels ou paye les droits, sont des fils de toute première qualité, des chaînes très fortes et très belles ; sur ces fils-là on paye les droits, mais on ne les paye pas sur d'autres fils qu'on déclare vouloir exporter après les avoir transformés en toiles. Ces derniers fils sont à très bon marché, et tels qu'on ne les fait pas encore en Belgique. En supposant, avec le pétitionnaire, que ces fils donnent lieu à une fraude sérieuse, je dis encore que le trésor n'y perd pas ; car si la mesure était retirée, si l'enlèvement de ces fils de l'entrepôt était défendu, il ne s'en importerait plus, et alors le trésor n'y gagnerait rien. Donc il ne pourrait y perdre aujourd'hui, si la fraude se pratiquait, comme on le prétend dans la pétition.

En ce qui concerne la France, j'ai une observation importante à faire ; c'est sous ce rapport que je blâme le pétitionnaire, car contre sa volonté, sans doute, sa démarche tend à nous brouiller avec la France. Je tiens surtout à prouver que son idée est mal fondée sous ce rapport. En premier lieu, messieurs, on ne peut pas admettre qu'il s'importe en France une quantité quelque peu importante de toiles faites avec du fil anglais, car enfin nos importations vers ce pays diminuent considérablement depuis la mesure prise concernant le tissage en entrepôt, du chiffre de 1,400,000 kil. qu'elles atteignaient en 1847, elles sont tombées aujourd'hui à 800,000 kil.

Mais il y a une raison spéciale pour ne pas importer cette espèce de toiles en France ; en général lorsqu'il y a des droits élevés à payer, on préfère les marchandises les plus fortes et les plus chères ; c'est ainsi que nous prenons les premiers vins de France parce que les droits sont les mêmes quelle que soit la qualité. Nous n'avons donc pas intérêt à introduire en France du fil anglais plutôt que du fil belge, puisque nous payons le même droit. D'ailleurs la France n'a pas ce goût-là ; elle n'est pas habituée aux toiles anglaises.

Il y a une troisième raison, dont j'ai déjà dit un mot tout à l'heure ét qui prouve que la France n'a pas à se plaindre de la Belgique sous ce rapport ; je veux parler du drawback que la France accorde sur les laines filées.

Vous savez, messieurs, que quand on augmente le poids, le drawback devient réellement une prime. C'est au gouvernement français à réprimer cette fraude ; mais la France ne peut pas nous en vouloir s'il se commettait quelque fraude de ce genre par l'introduction du fil anglais puisque le même régime existe chez elle pour ce qui regarde l'introduction en Belgique des laines filées. Nous pourrions lui faire le reproche qu'elle nous adresserait. Il suffit que les gouvernements de part et d'autres veillent à ce que la fraude n'ait pas lieu, et à cet égard la Belgique peut prouver sa bonne foi, en citant des contraventions qui ont eu lieu.

Messieurs, j'ai déjà dit que si la fraude existe elle se fait à l'avantage de la filature. Cependant j'ai ajouté qu'il faut réprimer la fraude quelle qu'elle soit et alors même qu'elle ne fait tort à personne, puisque la loi est positive à cet égard.

J'avoue qu'il y a eu des irrégularités plutôt que des actes frauduleux par le mélange des fils ; elles ont donné lieu à des amendes ; ces faits résultaient plutôt de certaines convenances de fabrication, de la nature des demandes faites par les consommateurs étrangers hors de France, et aussi un peu de l'inexpérience où les douaniers se trouvaient au commencement. Aujourd'hui ces irrégularités ne se commettent plus ; il n'en est plus question depuis que l'on sait à quoi s'en tenir à cet égard, et qu'on a connu, par suite des contraventions, quelle est la marche à suivre dans cette matière.

Mais après tout si à cet égard on veut faire une enquête, je n'y trouverai pas le moindre inconvénient. Mais je dois avertir le gouvernement que la question est grave à tous égards. Savez-vous ce qui résulterait du retrait de la mesure que demande M. Sacré ? Il en résulterait de deux choses l'une : ou bien quelques-uns de nos fabricants s'expatrieraient en France ou en Allemagne, tant ils attachent d'importance à la fabrication en entrepôt ; ou bien d'autres qui font à la fois l'article fil à la main et l'article fil mécanique belge, feraient venir des toiles d'Irlande en entrepôt belge et les expédieraient comme toiles belges pour compléter leurs assortiments ; ce qui se ferait non seulement au détriment du tissage belge, mais encore au détriment des filatures.

Je l'ai déjà dit, messieurs, cette réclamation a un caractère d'imprudence, car elle tend à exciter contre nous les fabricants français ; ceux-là s'en applaudiront ; il pourrait en résulter peut-être une rupture commerciale et une guerre de tarif avec la France, qui compromettrait non seulement notre commerce toilier, mais nos relations en général avec ce pays, et dont le premier résultat serait avant tout écrasant pour les filatures belges en temps normal. Je le dis avec une profonde conviction, la réclamation que je combats serait un suicide de la part de la filature belge, si nos filateurs étaient généralement de cet avis.

Je remarque que dans la pièce, telle qu'elle vous a été remise en dernier lieu, ne figurent plus les noms quon voyait dans la pétition telle qu'elle a été adressée au ministère.

Si je suis bien renseigné, les filateurs sont loin d'être d'accord sur cette question ; une foule d'entre eux partagent notre avis et soutiennent que la mesure est favorable à la filature.

Nos filateurs ont demandé dans le temps leur admission dans le pays sous forme de société anonyme ; le motif qu'ils alléguaient à l'appui de cette demande, c'était de venir en aide au tissage, de le développer. Aujourd'hui on attaque le tissage, on veut l'étouffer, l'étrangler.

Cela me rappelle la fable du porc-épic, qui demande à entrer dans le trou de la taupe aveugle ; s'y étant introduit, il développe ses dards et force la taupe à déguerpir ou à périr. Voilà comment on agit à l'égard (page 812) du tissage, avec cette différence toutefois que le porc-épic finirait par se tuer lui-même dans le trou où il s'est engagé, sons l'aiguillon de l'intérêt privé mal entendu.

Nous demandons, nous, qu'on maintienne l'arrêté ; nous voudrions que toutes les localités où se fait ce genre d'affaires soient traitées de la même manière, dans l'application de la mesure. On s'est plaint plusieurs fois de l'inégalité du traitement en usage. Nous voudrions que les procédés usités à Gand et à Bruxelles fussent appliqués aussi à Courtrai.

Je crois avoir démontré, messieurs, que cette mesure fait progresser les filatures.

Si on la supprimait, on découragerait le tissage, on découragerait les travailleurs des Flandres qui, heureusement, sont entrés aujourd'hui dans une voie de progrès.

En résumé, les filatures sont devenues plus prospères depuis l'adoption de la fabrication eu entrepôt, cela est incontestable ; en second lieu, la fraude quoique possible, comme partout où le drawback existe, est contraire à l’intérêt des fabricants, elle est démentie par les faits, par la statistique. En troisième lieu, la pétition est pleine d'inexactitudes et d'erreurs.

Puis le gouvernement et la France sont désintéressés dans la question. Je demande donc que le ministère maintienne d'une main ferme cette excellente mesure, et qu'il veille à la répression de la fraude qui est possible ici, comme dans toutes les matières semblables. J'ai dit.

M. Sinave. - Messieurs, on dit que la fraude n'est pas possible. Je crois, moi, qu'elle est très possible et très facile.

M. de Haerne. - Nous disons qu'on n'a pas intérêt à frauder.

M. Sinave. - Je répète que la fraude est très facile. C'est toujours une mesure très dangereuse de permettre l'entrée de marchandises quelconques à charge de réexportation. On introduit, par exemple, 600,000 kilog de fil à charge de les réexporter convertis en toiles. En tout état de choses, nous avons une exportation de toiles ; en admettant que le fil anglais augmente un peu la quantité, on peut dire qu'il s'exporte au moins 500,000 à 600,000 kilogrammes de toiles faites avec des fils à la main. Que doit-on inférer de là ? On exporte de la toile, c'est qu'on exporte, de la toile avec du fil fait à la main ; et le fil anglais qu'on a introduit de l'entrepôt, reste dans le pays sans payer aucun droit à l'entrée.

S'il n'y avait pas d'exportation de toiles faites avec du fil fait à la main, la fraude ne serait pas aussi facile, mais dans l'état actuel des choses, la fraude peut très bien se pratiquer, et il est très difficile de la réprimer. Pour chercher à atteindre ce but, il faudrait, lorsque le fil anglais est introduit, bien constater les numéros du fil, et lorsque les toiles s'exportent, exiger qu'on exporte des toiles faites avec le même numéro.

Quant à la perte pour le trésor, elle est aujourd'hui, quoi qu'on en dise, très réelle.

On exporte 5.000 à 6.000 kilog. de toiles faites avec du fil belge. Je ne pense pas que l'honorable préopinant ait répondu à cela. Si l'honorable M. de Haerne pense que la fraude n'est pas possible de cette manière, je serais bien aise qu'il s'en expliquât. Je ne suivrai pas l'honorable membre dans les considérations dans lesquelles il est entré, bien qu'il y ait des contradictions à relever. Autrefois nous n'avions aucune filature, aujourd'hui nous en avons plusieurs et elles prospèrent ; la fraude jusqu'ici ne leur a pas fait grand mal ; cependant ces filatures ont encore besoin de protection ; si le gouvernement prenait la mesure que je viens d'indiquer, quand on introduit du fil eu entrepôt, de constater lenuuméro et lors de l'exporiation d'exiger qu'elle se fasse de même numéro, les filaleurs n'auraient plus à se plaindre.

M. Vander Donckt, rapporteur. - Tout en rendant justice aux connaissances spéciales et au talent de mon honorable collègue, M. de Haerne, je dois cependant relever une inexactitude dans laquelle il est tombé. Il a dit que la pétition contenait des termes injurieux et inconvenants.

L'honorable membre est tombé dans l'erreur en confondant la lettre de l'association des filateurs, adressée au ministre des finances au mois de janvier dernier, qui n'est pas en discussion, avec la pétition sur laquelle j'ai eu l'honneur de présenter le rapport qui ne contient que des termes très convenables.

Si elle avait été conçue en termes inconvenants ou injurieux, la commission n'aurait pas manqué de les relever et de vous les signaler. Je bornerai là mes observations.

Les conclusions n'étant pas contestées, je n'ai rien de plus à ajouter.

M. Verhaegen. - J'ai demandé la parole pour répondre deux mots au long discours de l’honorable M. de Haerne. Ce discours avec quelques précautions oratoires n'est qu'un long plaidoyer en faveur de la fraude, et quiconque le lira attentivement au Moniteur en aura la conviction.

L'honorable M. de Haerne a dit dans la première partie de son discours qu'il pouvait résulter de l'état de choses actuel, quoique cela ne fût pas licite, des avantages au profit de la filature. C'est bien dire qu'en définitive il y a fraude, mais qu'elle peut être avantageuse à la filature ; moi je dirai à certains filateurs, mais pas à tous les filateurs. Il faut que toute l'industrie soit mise sur la même ligne.

Que disent les pétitionnaires ?

Je ne trouve rien d'extraordinaire à leur demande ; qu'on retire la mesure ou, si on veut la maintenir, qu'on empêche la fraude. Cela n'est-il pas raisonnable ? D'après les renseignements que j'ai obtenus, il n’y a rien d'inexact dans la pétition dont le rapport vous a été fait. Tous les faits peuvent être vérifiés.

Si le gouvernement juge à propos, comme il y a intérêt, de faire une enquête, ces faits seront constatés. - Juge-t-on à propos de permettre la libre entrée des fils anglais, qu'on le propose. On n'osera pas ; M. Osy en dit la raison, le traité avec la France.

La question est grave, la France a le droit de vous demander d'empêcher la fraude. Il n'y a rien qui puisse donner lieu à un blâme de ce chef.

Si cela se fait pour exécuter nos conventions avec la France, il faut avoir le courage d'empêcher la fraude ; il ne faut pas permettre indirectement ce qu'on ne peut pas permettre directement. Les fils anglais payent quelque chose comme 36 p. c. de droit ; c'est le même droit qu'en France. En vertu de la convention qui nous lie vis-à-vis de la France nous sommes obligés de maintenir ce droit.

Dans l'intérêt de la main-d'œuvre, en 1846 on a établi un système d'entrepôt et permis l'entrée de quantités déterminées de fils anglais pour faire de la toile ; il y a eu des arrêtés organiques de ces entrepôts, je crois qu'il y en a eu successivement dix ou onze et les faveurs accordées ont été étendues à tel point qu'aujourd'hui, d'après l'assertion des pétitionnaires, c'est comme si nous avions la libre entrée des fils anglais ; on les offre à des prix aussi réduits que s'il n'y avait pas de droits à l'entrée. C'est un fait considéré comme constant par tous les intéressés.

Ainsi ce droit de 36 p. c. que nous sommes obligés de maintenir pour exécuter notre convention avec la France se trouve réduit à zéro. M. de Haerne trouve cela très avantageux à la filature, quoique cela ne soit pas licite. N'est-ce pas préconiser la fraude ? n'est ce pas manquer à la foi donnée ? Qu'est-ce que je demande ? Je n'étais pas partisan de la convention avec la France, mais dès qu'elle existe il faut la respecter ; il y a une loi qui établit des droits sur les fils anglais, il faut la respecter ; il y a une loi de 1846 qui permet l'entreposage, il faut la respecter ; mais pour la respecter, il faut empêcher la fraude.

Voilà ce que demandent les pétitionnaires ; si nous sommes d'accord là-dessus, et je pense que M. de Haerne lui-même ne pourra pas ne pas l'être avec nous, il s'agit de vérifier le fait allégué ; comment le vérifier ? Par une enquête, il ne suffit pas de dire que les assertions sont contraires à la vérité, il faut indaguer. C'est pour cela qu'on conclut au renvoi au ministre. Je lui demande d'examiner la question attentivement, de s'entourer de toutes les lumières propres à l'éclairer, de tous les renseignements que les circonstances exigent. Je ne propose pas de retirer la loi de 1846, s'il y a possibilité d'empêcher la fraude ; dans le cas contraire, si cela est dans l'intérêt de la filature en général, non de quelques filateurs, de venir demander la libre entrée des fils anglais.

On dit que la fraude est impossible. Mais l'honorable M. Sinave vient de démontrer qu'elle est très possible, et qu'elle se fait sur une grande échelle.

Si les renseignements qui m'ont été donnés sont exacts, voici comment les choses se passent : on fait sortir de l'entrepôt une certaine quantité de fil anglais ; on en fait de la toile ; mais on n'emploie que la moitié du fil anglais, remplaçant par du fil belge l'autre moitié qui reste dans la consommation. Indépendamment de la fraude qui est toujours un fait fâcheux, il en résulte un discrédit pour la toile belge à la mécanique, qui se fait avec du mauvais fil anglais.

Si nous avions de la toile fabriquée avec de bon fil belge, nous aurions de bonne toile, pouvant lutter avec la toile faite avec du fil à la main. Mais le discrédit où ces toiles sont tombées vient de ce qu'on emploie de mauvais fil anglais. C'est un objet qui mérite de fixer l'attention du gouvernement. Au reste ma position en appuyant la pétition est très favorable. Je demande qu'on respecte la loi, le traité avec la France que j'ai combattu mais que je respecte parce qu'il y a eu vote de la législature. Je demande qu'on empêche la fraude.

M. Rodenbach. - C'est ce que nous demandons aussi.

M. Verhaegen. - Oui, mais il n'y a que des mots, et dans le fond on veut la fraude puisqu'on la trouve favorable à la filature, c'est-à-dire à certaines filatures. Je n'en dirai pas davantage.

J'appuie les conclusions de la commission. Je pense que le gouvernement jugera nécessaire d'ouvrir une enquête à ce sujet.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - J'ignorais complètement que la Chambre dût s'occuper aujourd'hui de l'objet sur lequel une discussion vient de s'élever. Je n'ai pas assisté au commencement de la discussion ; de manière que je n'entends nullement y prendre part. Je ferai remarquer au surplus que M. le ministre des finances, que la chose regarde plus directement que moi, n'est pas même présent à la séance.

Je me borne donc à prier la Chambre de n'accueillir qu'avec une certaine réserve les allégations qui viennent d'êtreémises relativement à une fraude qui se pratiquerait en grand. Je n'ai aucune raison de croire que ces faits soient entièrement exacts. Je m'engage, vis-à-vis de l'honorable préopinant et vis-à-vis de la Chambre, à faire, de commun accord avec M. le ministre des finances, un examen scrupuleux de la pétition dont on vient de s'occuper. Et je prends de plus, vis-à-vis de l'honorable orateur, l'engagement que, d'accord avec lui, nous ferons tout ce qui dépendra de nous pour (page 813) assurer la parfaite exécution de la loi, et du traité avec la France, et pour que cette fraude, si elle se pratique, n'ait plus lieu à l'avenir.

M. Verhaegen. - Je me déclare satisfait.

M. Rodenbach. - C'est tout ce qu'on peut demander.

- Les conclusions de la commission sont adoptées. En conséquence, la pétition est renvoyée à M. le ministre des finances.

Rapport sur une demande en naturalisation

La Chambre adopte les conclusions du rapport suivant de la commission des naturalisations.

« Le sieur Charles Possing est né à Echternach (Luxembourg cédé) le 11 septembre 1854. Il est donc encore mineur et sera libre de faire, l'année de sa majorité, la déclaration exigée par l'article premier de la loi du 4 juin 1839, pour conserver la qualité de Belge.

« On pourrait informer le pétitionnaire du délai qui lui est accordé par la loi pour faire sa déclaration.

« Votre commission vous propose de passer à l'ordre du jour attendu qu'il n'y a pas lieu à s'occuper de cette demande. »

Rapports sur des pétitions

M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition datée de Jaudrain, le 8 décembre 1854, l'administration communale de Jandrain-Jandrenouille réclame l'intervention de la Chambre pour qu'une pension soit accordée au sieur Richard, milicien de la classe de 1841, atteint d'ophthalmie militaire.

Les pétitionnaires exposent que le sieur Richard passe, depuis 1843, d'un hôpital militaire à l'autre, sans obtenir aucun succès des opérations auxquelles il est soumis, et que dans ce moment-ci il se trouve encore à l'hôpital militaire de Louvain où, d'après ce que disent les honorables magistrats pétitionnaires, il est réduit à la plus affreuse misère.

Tout en compatissant au malheur du sieur Richard, tout en rendant un juste hommage au zèle que déploie pour ses administrés l'administration communale de Jandrain-Jandrenouillc, votre commission, messieurs, trouve cette dernière assertion un peu hasardée. Elle ne peut admettre que dans nos hôpitaux militaires le soldat belge se trouve réduit à la plus affreuse misère.

Personnellement, messieurs, j'ai eu l'occasion de voir plusieurs de ces établissements et plus d'une fois j'ai visité celui de Louvain. Dans tous, j'ai constamment vu les malades traités avec le zèle le plus louable, avec les soins les plus minutieux et les mieux entendus. Partout j'ai vu régner l'ordre et la propreté et nulle part, je dois le dire, je n'ai pu remarquer qu'il manquât la moindre chose au malheureux soldat qui y était traité.

D'ailleurs le sieur Richard étant encore en traitement, la demande de pension n'est nullement motivée et votre commission, messieurs, vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition datée de Malines le 10 décembre 1854, le sieur Raes, ancien ouvrier de l’administration des chemins de fer de l'Etat, demande un secours.

Le pétitionnaire, messieurs, employé d'abord comme ouvrier à la station de Louvain, puis à la station de Malines, se fit renvoyer en 1850 pour absences non autorisées.

La demande d'un secours n'est donc rien moins que motivée et votre commission n'a pas hésité un moment à vous proposer l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition datée de Gand le 10 décembre 1854, le sieur Devylder, ancien soldat, demande que la pension provisoire dont il a joui lui soit continuée.

Pendant neuf années consécutives le pétitionnaire a joui d'une pension provisoire de 250 fr. La commission médicale, chargée de procéder à sa visite, ne l'a pas reconnu, cette année, hors d'état de pourvoir à sa subsistance, et la pension lui a été retirée.

Comme le département de la guerre l'a fait savoir au sieur Devjlder, cette condition étant de vigueur, aux termes de la loi du 24 mai 1838, pour obtenir une pension militaire du chef d'infirmités, votre commission, messieurs, ne peut que vous proposer l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition datée de Fouchez, le 16 mai 1854, le sieur Cravatte, ancien préposé des douanes, demande un secours annuel ou un emploi.

Une amblyopie ayant obligé le sieur Cravatte à quitter le service de la douane après y avoir passé seulement 7 mois et quelques jours, votre commission, messieurs, ne croit pas la demande du pétitionnaire motivée ; en conséquence, elle vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition datée de Gand, le 4 octobre 1854, le sieur Van Hecke, sergent, en congé illimité, prie la Chambre de le faire appeler au service ou de lui procurer un emploi.

Le pétitionnaire s'est déjà adressé, à cet effet, au ministre de la guerre ; mais les punitions disciplinaires qu'il avait antérieurement subies au service n'ont pas permis de prendre sa demande en considération.

Votre commission, messieurs, vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition datée de Bruxelles le 1er novembre 1854,le sieur Becker, ancien militaire, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension.

Votre commission, messieurs, n'ayant pas trouvé la demande du pétitionnaire suffisamment motivée, a l’honneur de vous proposer l'ordre du jour.

- Adoplé.


M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition, datée de Poperinghe, le 20 juillet 1854, le sieur Hautteman, ancien huissier porteur de contraintes, prie la Chambre de lui faire obtenir un secours.

Cette demande n'étant pas motivée votre commission, messieurs, vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Thienpont, rapporteur. - Par pétitions, datées de Gand, le 6 juillet et le 12 décembre 1854, le sieur Roche, ancien maréchal des logis au régiment des cuirassiers, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une pension ou un emploi.

Ces pétitions, où sont très longuement exposés les divers titres du pétitionnaire, sont en outre accompagnées de certificats constatant sa probité et sa moralité. Mais son congé, daté du 24 avril 1849, constatant qu'il a été congédié pour défauts corporels non contractés par le fait du service, votre commission, messieurs, vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Thienpont, rapporteur. - Par pétition datée de Berchem le 8 novembre 1854, le sieur Meulemans, ancien préposé des douanes, demande un secours. Aucun motif n'est allégué en faveur de la demande du pétitionnaire qui jouit d'une pension de fr. 175 et qui se contente de nous demander comment, avec des ressources aussi restreintes, il doit s'y prendre pour continuera vivre en honnête homme.

Votre commission, messieurs, vous propose l'ordre du jour.

- Adopté.


M. Thienpont, rapporteur. - « Par pétition datée d'Eccloo, le 10 décembre 1854, le sieur Walgraeve, facteur rural à Eecloo, demande une augmentation de traitement. »

Le pétitionnaire, messieurs, se plaint à bon droit du modique salaire qu'il reçoit pour le rude service auquel il est astreint depuis onze ans. Par toutes les saisons et par tous les temps, sur pied depuis 6 heures du matin jusqu'au soir, toute sa journée est consacrée au service de l'Etat et ce malheureux, qui a à nourrir une femme et plusieurs enfants, reçoit pour tout traitement la modique somme de 37 fr. par mois. C'est trop peu payer des services aussi importants, aussi péniblement rendus et qui exigent, de la part des facteurs ruraux, une attention toute particulière, la plus rigoureuse exactitude et la plus grande responsabilité La Chambre entière est animée du désir de voir améliorer la position, devenue insoutenable de ces malheureux. Votre commission, messieurs, partage ces sentiments ; elle désire que le gouvernement mette un terme à cet état de choses, et à cet effet, elle a l'honneur de vous proposer l'envoi de la pétition à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.

Projet de loi relatif aux jurys d’examen universitaires

Discussion générale

M. le président. - M. le ministre de l'intérieur est-il présent ?

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Non, M. le président. Mais je suis prêt à soutenir la discussion du projet.

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'article unique du projet. La section centrale reste saisie du projet de loi qui a été présenté par le gouvernement. Mais comme elle ne pense pas qu'il puisse être voté en temps utile, elle propose de proroger pour une année le système existant.

M. Devaux. - La section centrale propose de proroger la loi pendant une année. Elle suppose qu'il peut arriver que la loi ne soit pas adoptée pour la session prochaine du jury et pour la session qui suivra. Je n'ai pas d'objections à faire à cet égard.

J'espère et je suis persuadé que la section centrale ne mettra pas de retard à l'examen de la loi définitive ; mais comme les questions sont difficiles, comme on a mis en avant des idées nouvelles, il est possible que nous n'arrivions pas à un résultat dans notre session actuelle, et dans cette prévision je comprends que l'on proroge l'ancienne loi pour une année.

Je conçois aussi que la section centrale n'ait voulu soulever aucune discussion sur le projet qui nous est soumis dans ce moment, qu'elle ait ajourné l'examen de toutes les questions qui pouvaient être contestées. Cependant s'il y avait une amélioration qui ne pût donner lieu à aucune discussion urgente, en faveur de laquelle il y eût unanimité, je crois qu'on pourrait l'introduire immédiatement. Pour faire comprendre immédiatement ce que jr désire, je propose qu'on ajoute deux lignes au projet de loi, et qu'on dise : « Le gouvernement est autorisé à restreindre le programme de l'examen d'élevé universitaire. » Vous savez que cet examen a été introduit il y a peu d'années. Dans la rédaction du programme, on l'a surchargé. Les plaintes sont unanimes de ia part des professeurs, surtout des professeurs de rhétorique.

(page 814) Ils disent que les élèves, ayant à imprimer dans leur mémoire trop de détails sur certaines matières, sont obligés d'y consacrer une grande partie de l'année de rhétorique ; et les meilleures études de cette classe en souffrent extrêmement. Or, vous savez que la classe de rhétorique est la plus importante des études classiques. Les élèves qui font mal la classe de rhétorique font de mauvaises études.

Je demande donc que le gouvernement soit autorisé à diminuer ce programme. Si, comme le prévoit la section centrale, le projet définitif n'est pas discuté dans cette session, nous arriverons, l'année prochaine, à peu près à cette époque, avant de discuter la loi.

Les études moyennes seraient donc encore pendant deux années scolaires sous le régime du programme actuel d'examens et le gouvernement peut faire cesser dès aujourd'hui cet inconvénient. Les élèves pourraient profiter dès cette année d'un changement. Je ne crois pas qu'il puisse y avoir grande discussion à cet égard. Vous ne devez pas craindre que le gouvernement diminue trop les matières d'examen. Il agit d'après l'avis d'hommes compétents, de professeurs qui ne sont nullement d'avis de trop réduire les examens.

Je demande donc qu'on veuille bien ajouter au projet :

« Le gouvernement est autorisé à diminuer le programme de l'examen d'élève universitaire. »

M. Osy. - Je demande la parole pour une motion d'ordre.

Dans la discussion d'une question aussi grave, la présence de M. le ministre de l'intérieur me paraît nécessaire. M. le rapporteur est aussi absent.

M. le président. - J'ai fait l'observation que M. Osy vient de présenter. Mais M. le ministre de la justice a déclaré qu'il était prêt à remplacer M. le ministre de l'intérieur.

M. de Mérode. - Je conçois parfaitement la motion de l'honorable M. Osy. Mais rien n'empêche que l'honorable M. de Haerne ne prenne la parole. Ce qu'il dira sera inséré au Moniteur ; tout le monde pourra le lire et le méditer d'ici à lundi. On peut continuer la discussion sauf à ne pas voter aujourd'hui.

M. Frère-Orban. - Cela dépend. Il n'y a pas lieu, quant à présent, de s'arrêter à la motion de l'honorable M. Osy. Si l'on est d'accord, s'il n'y a pas contestation, si aucun débat important ne s'élève sur l'amendement de l'honorable M. Devaux, il n'y aura pas d'inconvénient à voter aujourd'hui.

Si l’on adopte l'amendement, il y aura un second vote et, par conséquent, le but de la motion d'ordre sera atteint.

M. le président. - M. Osy retire pour le moment sa motion.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Si l'amendement de l'honorable. M. Devaux a cette signification de donner un plein pouvoir d'appréciation au gouvernement, je m'y associe volontiers. Personnellement je suis partisan de la simplification des programmes d'examen et particulièrement de la simplification du programme d'examen d'élève universitaire.

Cependant, je ne puis prendre ici d'engagement au nom de M. le ministre de l'intérieur qui a l'instruction publique dans ses attributions et qui pourrait ne pas trouver opportun de se rallier à l'amendement de l'honorable M. Devaux.

Mais, je le répète, si c'est un plein pouvoir que l'on donne au gouvernement, d'apprécier ce qu'il convient de faire, je ne vois aucun inconvénient à l'adoption de l'amendement.

M. de Haerne. - Je suis loin de m'opposer, quant au fond, à l'amendement de l'honorable M. Devaux. Je pense cependant qu'il vaudrait mieux ajourner la discussion. Car, comme vient de le faire très bien observer M. le ministre de la justice, il est possible que M. le ministre de l'intérieur ait des observations à présenter à cet égard. Peut-être n'approuvera-t-il pas tout à fait la motion de l'honorable membre.

M. Frère-Orban. - Il reste libre.

M. de Haerne. - Oui, mais voici une observation ; un amendedement en produit souvent un autre, et quoique j'approuve au fond et en principe celui de l'honorable M. Devaux, il est possible qu'après réflexion je trouve à y apporter quelques modifications.

Je crois qu'il y a plusieurs observations à faire sur la composition même du jury. J'insiste donc sur l'utilité, sur la convenance de remettre la discussion à lundi.

Mais puisque l'honorable M. Devaux a dit un mot du programme des matières d'examen, permetiez-moi de m'y arrêter aussi un instant.

Je crois que le programme est surchargé, et à cet égard, nous sommes d'accord, l'honorable M. Devaux et moi avec presque tous les membres des jurys d'élève universitaire. Mais encore faut-il s'entendre sur ce point, et c'est sous ce rapport que je crois que des observations pourront être échangées entre le cabinet et la Chambre.

On demande la réduction du programme ; c'est fort bien, mais je crois qu'en certains points on va trop loin. Je citerai la géographie. Dans le projet qui nous a été présenté on a supprimé complètement la géographie. Je crois que le programme est surchargé, en ce qu'il exige des détails peu pratiques, en matière scientifique et particulièrement dans les mathématiques.

J'admets l'enseignement des mathématiques élémentaires, je désire qu'il soit donné dans ses parties essentielles depuis l'arithmétique jusqu'à la trigonométrie rectiligne inclusivement. Mais il y a un choix à faire. Il faut voir en quoi il faut restreindre les matières, et surtout ne pas faire passer pour élémentaires des auteurs qui ne le sont pas du tout.

Il y a un autre système d'après lequel on veut restreindre le programme. Ce système, d'après certaines observations et d'après le projet même du gouvernement, consisterait à donner au pouvoir exécutif la faculté de supprimer le discours latin. L'honorable M. Devaux vous disait tout à l'heure avec beaucoup de raison que la grande importance des études humanitaires était dans la rhétorique.

Or, déclarons-le franchement, si l'on supprime le discoure latin, c'est demander en pratique la suppression de la rhétorique. Il faudrait, au contraire, fortifier cette classe, en exigeant des explications littéraires.

Depuis l'institution du jury d'élève universitaire, les élèves se bornent, dès les premières classes, à étudier les branches sur lesquelles ils auront à répondre devant ce jury et ne s'appliquent guère aux branches qui ne figurent pas sur le programme.

Si vous supprimez le discours latin, la littérature sera considérablement négligée et l'on se bornera à l'étude philologique des auteurs anciens. Evidemment c'est amoindrir les études. C'est supprimer, je le répète, la rhétorique et, dans bien des cas, la seconde. Car je mets en fait que l'élève doué d'une forte mémoire pourra répondre, lorsqu'il aura fait sa troisième, sur les principales branches du programme. Ainsi, messieurs, je crois que, sous certains rapports, on retranche trop. Quant à la géographie, si elle disparaît du programme, elle disparaîtra aussi de l'enseignement moyen. La géographie, au moins la géographie élémentaire devrait être conservée. Car vous en conviendrez, la suppression de cette branche dans l'enseignement serait une véritable anomalie. Quiconque a mis les pieds dans un établissement d'enseignement moyen sait parfaitement que la géographie forme une partie essentielle de cet enseignement. La géographie est d'ailleurs corrélative à l'enseignement de l'histoire. Comment voulez-vous enseigner l'histoire avec quelque lucidité sans faire marcher parallèlement la géographie ?

Vous voyez donc, messieurs, que la réduction du programme, sur laquelle nous sommes d'accord en principe, peut donner lieu à des objections sérieuses dans l'application.

Je crois dès lors que la question mérite d'être élucidée et qu'il conviendrait de renvoyer la discussion à lundi.

- Adopté.

La séance est levée à 3 heures trois quarts.