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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 30 janvier 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1855-1856)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 451) M. Maertens procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. Calmeyn donne lecture du procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la Chambre

M. Maertens présente l'analyse des pétitions adressées à la Chambre.

« Plusieurs habitants d'Avelghem prient la Chambre de n'accorder la concession d'un chemin de fer de Saint-Ghislain à Gand que sous la condition de construire un embranchement de Renaix à Courtrai par Avelghem et demandent un chemin de fer d'Avelghem à Bevere-lez-Audenarde. »

M. de Haerne. - Messieurs, je demande que cette pétition soit jointe à toutes celles du même genre, tendant à obtenir la concession du chemin de fer de jonction de la Flandre orientale et du Hainaut ; je demande en outre que la commission des pétitions soit priée de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« Des habitants de Corbais demandent qu'on leur donne des renseignements sur la contrée la plus avantageuse des Etats-Unis d'Amérique où ils ont formé le projet de s'établir et que des mesures de protection leur soient accordées.

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Devlies, cultivateur à Moorseele, réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir une indemnité du chef de la perte d'une vache qui a succombé à une maladie contagieuse. »

M. Boulez. - Messieurs, cette pétition émane d'un cultivateur de Moorseele qui demande une indemnité pour une vache morte de maladie contagieuse. Le pétitionnaire a fait en temps utile sa déclaration à l'administration communale, laquelle a ordonné la visite d'un médecin vétérinaire du gouvernement. Ce médecin ayaut différé de faire abattre la bête d'office, elle a succombé à sa maladie. La distance qui sépare le domicile du cultivateur de celui du vétérinaire l'a mis dans l'impossibilité de satisfaire aux exigences de la loi concernant l'abattage.

Je demande que cette pétition soit envoyée à la commission des pétitions avec prière de faire un prompt rapport.

- Adopté.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1856

Discussion générale

M. le président. - La parole est à M. de Theux.

M. de Theux. - Messieurs, dans la séance d'hier, des observations critiques ont été adressées à M. le ministre de l'intérieur relativement à la nomination du bourgmestre de la ville d'Ath, faite en dehors du conseil. D'honorables membres ont prétendu que M. le ministre de l'intérieur, ayant combattu, comme simple député, la disposition de loi qui donnait au gouvernement la faculté de nommer les bourgmestres en dehors du conseil, n'aurait pas dû user de cette faculté dans le cas actuel.

Certes à l'époque où cette proposition a été soumise à la Chambre, j'ai aussi manifesté des appréhensions sur l'abus qui pourrait en être fait, principalement à l'égard des communes rurales dont les plaintes ne pourraient jamais avoir un grand retentissement dans le parlement et dans le pays. Mais heureusement je ne connais aucune application abusive qui ait été faite de cette disposition législative. D'un autre côté, j'avoue très volontiers que mes appréhensions ont été, au moins jusqu'à présent, mal fondées.

Mais, messieurs, de ce qu'un membre du parlement a combattu une loi ou un article de loi, s'ensuit-il qu'il ne doive pas, étant devenu ministre, appliquer cette loi ?

Nullement, messieurs, je reconnais que la loi est facultative, mais pour le gouvernement une faculté engendre très souvent une obligation, à la différence des particuliers qui usent ou qui n'usent pas d'une faculté. Quand une loi a été votée, on doit admettre comme vrai, aussi longtemps qu'elle subsiste, qu'elle est portée au point de vue de l'intérêt général et qu'il ne dépend pas du caprice d'un ministre de l'appliquer ou de ne pas l'appliquer. Lorsque les faits sont tels qu'ils donnent lieu à l'application naturelle de la loi, le devoir strict du gouvernement est de l'appliquer.

Il ne reste donc qu'à examiner s'il a été fait un usage raisonnable de la loi.

Or, d'après les faits qui ont été exposés à la Chambre, je n'hésite pas à déclarer que le gouvernement eût manqué à sa propre dignité et qu'il eût méconnu les devoirs de la hiérarchie administrative, s'il n'avait pas tenu compte de l'avis unanime de la députation permanente du conseil provincial du Hainaut. Je crois donc que le gouvernement a dû faire l'application de la loi dans cette circonstance.

Un autre grief a été articulé contre M. le ministre de la justice ; on l'a blâmé de n'avoir pas encore pourvu au remplacement du juge de paix du canton d'Ath, Messieurs, je pense qu'on a été trop sévère à l'égard de M. le ministre de la justice.

En effet, vous vous rappelez tous que des fonctions bien autrement importantes sont restées vacantes pendant des années entières, des fonctions près de la cour de cassation, des fonctions de gouverneur ds province et d'autres fonctions encore.

Je pense que le gouvernement, éprouvant beaucoup de difficultés par l'ensemble de nos lois restrictives qui gênent et limitent ses choix, a des motifs suffisants pour laisser, pendant un temps quelconque, un emploi vacant, pour autant, toutefois qu'il y soit convenablemcnt pourvu par un intérimaire.

Je n'entrerai pas plus avant dans cette discussion. Je n'ai pris la parole que parce que je craignais que personne n'ayant contredit les opinions émises par deux honorables membres, on ne supposât qu'il y avait assentiment unanime dans cette Chambre aux opinions qu'ils ont énoncées.

M. David. - N'ayant pu compléter les renseignements dont j'avais besoin pour prendre la parole, je cède mon tour à l'honorable M. Lebeau.

M. Lebeau. - Messieurs, je me renfermerai strictement dans le cadre que vient de se tracer l'honorable M. de Theux, avec qui, je me hâte de le déclarer, je suis en conformité d'opinion sur la question de principe.

D'après les faits exposés par M. le ministre de l'intérieur, non contredits par les membres de cette Chambre, je crois que la nomination de l'ancien bourgmestre ne pouvait avoir lieu, quels que pussent être d'ailleurs ses titres à cette confirmation, sans que le gouvernement manquât à ses devoirs, à sa dignité.

Messieurs, je ne viens pas traiter devant vous des questions de personne ; j'y ai peu de goût, en général, ja n'ai pas habitué la Chambre à me les voir introduire dans ses débats.

La question de personne se dégage d'ailleurs du débat. Car dans la situation où était placé le ministre vis à-vis de l'ancien bourgmestre, qui subordonnait son adhésion à des conditions, je n'aurais pas non plus conseillé au Roi de remettre cet ancien fonctionnaire à la tête de l'administration municipale d'Ath.

Si j'ai pris un moment la parole, c'est pour rester fidèle au rôle, que j'ai toujours ambitionné, de conservateur libéral, qualification à laquelle j'attache du prix, quoiqu'elle m'ait fait parfois des adversaires dans deux camps opposés, et valu la terrible épithète de doctrinaire.

C'est pour rester fidèle à cette qualification de conservateur libéral que je viens soumettre à la Chambre et au gouvernement lui-même quelques réflexions sur la mesure dont nous nous occupons en ce moment.

S'il est, messieurs, une disposition nécessaire, à mes yeux, dans la loi communale, c'est celle dont le gouvernement a fait usage.

Alors que l'opinion publique a jusqu'ici refusé à la couronne le droit de dissolution des conseils communaux, montrant en cela plus de susceptibilité pour l'indépendance communale que pour l'indépendance de la législature, c'est celle dont s'est prévalu le gouvernement.

Je crois qu'il est extrêmement désirable, que cette disposition conservatrice, selon moi, nécessaire, selon moi, soit maintenue, pour assurer l'indépendance du pouvoir central en face des pouvoirs communaux.

Je désire qu'il n'en soit jamais fait qu'un usage tellement modéré qu'elle puisse rallier toutes les opinions.

Les destins sont changeants, les majorités sont passagères, si une disposition législative dont on a armé le pouvoir malgré la très vive opposition d'une partie de la Chambre, d'une opposition, à la tête de laquelle était le ministre actuel de l'intérieur, si une disposition de cette nature n'est pas appliquée avec une extrême réserve, et de manière à obtenir, autant que la chose est humainement possible, l'assentiment de toutes les opinions, je crains qu'au retour d'une majorité différente de celle qui approuverait aujourd'hui sans restriction la conduite de M. le ministre de l'intérieur, cette disposition n'aille rejoindre dans les limbes et l'ancienne loi du jury d'examen et l'ancienne loi du fractionnement électoral.

C'est donc parce que j'attache beaucoup d'importance à ce que la disposition qui permet au Roi de choisir exceptionnellement, en dehors du conseil, un bourgmestre, que j'ai eu le courage de prendre la parole dsns une discussion qui dégénérerait si facilement, si l'on n'était sur ses gardes, en une question de personne.

Commençons d'abord par constater qu'une fois la députation ayant décidé, selon moi, avec raison, qu'il y avait ici lieu de choisir en dehors du conseil, l'œuvre de la députation était épuisée.

(page 452) Si je ne m'abuse donc, la liberté du choix à proposer à S. M. était entière dans les mains de M. le ministte de l'intérieur. Le ministre a donc choisi librement en dehors du conseil qui il lui a plu, et de ce chef la députatïon n'a absolument, quant aux choix de la personne, aucune espèce de solidarité avec M. le ministre de l'intérieur. La responsabilité du choix revient tout entière à celui-ci.

Eh bien, je n'hésite pas à le dire, messieurs, sans avoir l'honneur de connaître le moins du monde le citoyen, que je veux croire parfaitement honorable, appelé aux fonctions de bourgmestre, il était difficile de faire un choix plus malheureux, et ici je parle d'après les principes, laissant complètement à l'écart les personnes que je ne connais pas et que je n'ai pas le droit d'attaquer.

Le choix de M. le ministre est entièrement libre. Qui va-t-il choisir ? Un homme très honorable d'ailleurs, je le veux bien, mais repoussé probablement parce que son opinion est en minorité dans la ville d'Ath ; un homme qui a été frappé trois ou quatre fois de l'ostracisme électoral, qui n'a jamais pu parvenir à pénétrer dans le conseil communal. C'est cet homme que M. le ministre de l'intérieur va choisir. Encore une fois, j'en parle d'autant plus à mon aise que je ne le connais pas.

La première conséquence d'un pareil choix, mais c'est évidemment de rendre l'administration extraordinairement difficile ; c'est évidemment s'exposer à organiser un antagonisme perpétuel dans une administration où le gouvernement et la commune ont également intéressés à faire régner l'union.

Il est évident qu'en choisissant l'homme qui a été repoussé presque systématiquement par les électeurs, par ces mêmes électeurs qui ont fait entrer tous les membres actuels du conseil dans la salle communale, il est évident, dis-je, que c'est à la fois blesser la majorité électorale et organiser l'antagonisme dans le conseil. Aussi, et sur ce point, M. le ministre de l'intérieur doit en savoir plus que moi, si mes renseignements sont exacts, il est impossible d'imaginer un conseil dans lequel on soit moins d'accord et dans lequel les affaires soient plus déplorablement sacrifiées à la politique.

M. le ministre de l'intérieur a donné d'excellents conseils, par l'intermédiaire de la députation, à l'homme qu'il a appelé à l'honneur de présider le conseil de la ville d'Ath. Il l'a engagé vivement à administrer libéralement. Je tiendrais à honneur, pour la forme et pour le fond, d'avoir signé la lettre de M. le ministre.

Mais il me semble, dût M. le ministre de l'intérieur me trouver un peu naïf, un peu simple, que le meilleur moyen pour gouverner libéralement, c'est de prendre un libéral. Cela me paraît trop naturel pour que M. le ministre ne comprenne pas cela aussi bien que moi.

Il est impossible que l'on ne reconnaisse pas que l'opinion libérale est en majorité dans le conseil, à tel poinl que l'élu de M. le ministre de l'intérieur n'a pu jusqu'ici y outrer, bien qu'il ait frappé deux ou trois fois à la porte. Eh bien, j'admets que cet honorable citoyen veuille administrer libéralement, Je pourra-t-il, le croira-t-on possible ? Cette expression aurait d'ailleurs besoin d'être expliquée. Car il semble y avoir énormément de manières de gouverner libéralement.

Je suis persuadé que M. le ministre de l'intérieur se croit appelé à gouverner plus libéralement que qui que ce soit d'entre nous. J’avoue que pour peu qu'il fasse des pas nouveaux dans la carrière où il s'est engagé dernièrement, je ne serais pas surpris que notre libéralisme ne fût dépassé par le sien. Je ne sais si ses honorables amis en sont aussi édifiés que moi ; mais j’incline volontiers mon libéralisme devant celui de M. le ministre de l'intérieur, repoussant la disposition qu'il a, selon moi, si malheureusement appliquée.

Ainsi, messieurs, choix évidemment fait dans la minorité, non du conseil, puisqu'on n'a pas choisi dans lueconseil, choix fait dans la minorité de l'opinion politique qui prévaut malheureusement tant on l'y a surexcitée, dans les élections communales comme partout dans la ville d'Ath, et par suite, tiraillements, antagonisme, anarchie dans le conseil.

Messieurs, je termine cette partie de la discussion comme je l'ai commencée, j'exprime mon appréhension qu'un tel usage du droit exceptionnel que la loi accorde à la Couronne, n'affaiblisse singulièrement dans l'opinion publique cette disposition qui a été si péniblement introduite et qui a été combattue par un homme aussi éclairé que l'honorable ministre de l'intérieur.

Avant de terminer, j'aurai à faire quelques réflexions sur l'attitude que M. le ministre de la justice a prise hier et où il a, ce me semble, agi envers la Chambre avec un peu plus de sans façon encore qu'envers la magistrature. M. le ministre de la justice, s'érigeant ici un peu en Louis XIV venant, le fouet de chasse à la main, donner une mercuriale à son parlement ; M. le ministre de l'intérieur...

- Un membre. - M. le ministre de la justice.

M. Lebeau. - M. le ministre de la justice, j'en demande pardon, l'erreur n'est pas possible ; M. le ministre de la justice a dit à peu près ceci : Je nommerai un juge de paix à Ath quand il me conviendra ; c'est une affaire de responsabilité.

Eh bien, M. le ministre, permettez-moi de vous le dire, vous entendez la responsabilité d'une étrange façon. Car si vous l'entendiez comme tous vos prédécesseurs sans exception, vous auriez compris que cette responsabilité vous imposait l'obligation, non pas de dire à la Chambre : Je n'ai rien à vous dire ; mais de lui donner des motifs avouables d'une si étrange détermination, celle de laisser infidéniment une telle place ouverte. Et d'abord, vous n'avez pas le droit, sans des motifs péremptoires à exposer, tête levée, dans cette Chambre ; vous n'avez pas le droit de priver pendant un temps indéterminé les justiciables du bénéfice de l'inamovibilité que la Constitution a donné aux juges de paix.

Aussi longtemps que vous les laissez devant un simple suppléant, dont les fonctions provisoires peuvent cesser d'un moment à autre, on pourra, à raison des circonstances et de l'époque où nous sommes, se livrera toute espèce de supposition.

En cela, permettez-moi de vous le dire, vous manquez à tous vos devoirs, à vos devoirs envers les justiciables, envers le gouvernement dont vous faites partie ; car vous l'exposez à laisser remonter jusqu'à lui des soupçons de marchés électoraux.

Je m'arrête ; car si je cédais au sentiment que j'éprouve et qui a saisi- la plupart des membres de la Chambre à vos paroles insolites, j'irais beaucoup plus loin que je ne désire aller.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je demande à répondre quelques mots au discours de l'honorable orateur qui vient de s'asseoir. Comme l'honorable membre et comme l'honorable comte de Theux, je circonscrirai la discussion dans la question de légalité.

L'honorable M. Lebeau reconnaît, comme il devait, du reste, le reconnaître, que le gouvernement a la faculté, dans certaines circonstances et avec la garantie de l'avis conforme de la députation permanente, de choisir un bourgmestre en dehors du conseil. Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable membre que les cas de nomination de cette espèce doivent rester tout à fait exceptionnels. Aussi, messieurs, en dépit des difficultés qui se présentent encore dans d'autres localités et où il pourrait être question de faire usage de la même faculté, n'ai-je pas consenti jusqu'à présent à faire usage de cette faculté.

Je l'ai fait pour la ville d'Ath, parce que, comme le reconnaît, du reste, avec une parfaite loyauté l'honorable préopinant, il y avait ici pour le gouvernement des motifs de dignité. Il ne pouvait pas subir la pression qu'on voulait exercer sur lui.

Ainsi, j'admets avec l'honorable membre qu'il faut mettre une extrême réserve dans l'usage qu'on fait de la faculté laissée au gouvernement de choisir en dehors du conseil. Il faut y mettre cette réserve, pour rester dans l'esprit de la loi. Il est évident que c'est là l'esprit de cette disposition de la loi, c'est que la nomination dans le conseil soit la règle, c'est que le gouvernement professe le plus grand respect pour les choix faits par les électeurs. Il faut encore y mettre une extrême réserve, parce que, comme l'a dit l'honorable membre (quoique ces calculs ne soient pas entrés dans ma pensée), il faut, en politique, se rappeler que, comme les flots, les destins sont changeants.

Le désaccord entre l'honorable membre et moi commence dans l'appréciation du choix que le gouvernement a fait.

Il était difficile, dit l'honorable orateur, et en cela il se rencontre avec l'observation laite hier par l'honorable M. Verhaegen, il était difficile de faire un choix plus malheureux.

Eh bien, messieurs, de mon côté, j'apprécie tout autrement le choix auquel le gouvernement s'est arrêté ; je crois qu'il était difficile de trouver dans la ville d'Ath un homme qui voulût et qui pût, à la satisfaction de la ville et du gouvernement, remplir une pareille mission de courage et de dévouement.

L'honorable membre a reconnu avec moi qu'il était impossible de subir la pression qu'on voulait faire peser sur le gouvernement.

Il fallait donc un choix en dehors du conseil communal. Je suis persuadé que si l'honorable membre avait consulté, comme je l'ai fait, M. le gouverneur de la province, il eût été comme moi convaincu qu'il était impossible de trouver, en dehors du candidat que nous avons choisi, un homme capable et convenable à tous égards. M. Lor est un homme parfaitement honorable, un homme instruit et qui a l'énergie nécessaire pour accepter une lutte comme celle à laquelle il devait naturellement s'attendre.

Pourquoi donc l'honorable membre trouve-t-il ce choix si particulièrement malheureux ? Parce que le bourgmestre actuel a été frappé plusieurs fois d'ostracisme électoral et qu'il n'est pas parvenu jusqu'à présent à entrer dans le conseil communal.

Messieurs, je n'admets pas que, par cela seul qu'on s'est posé candidat dans une élection et qu'on n'a pas réussi, ou soit flétri aux yeux de l'opinion publique.

- Des membres. - Non ! non !

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - On sait que, surtout dans les petites villes, les luttes électorales ont des chances diverses ; que, fort souvent, sur les deux listes opposées figurent les noms les plus honorables. Quelle signification peut donc avoir l'échec électoral de M. Lor ? Si l'honorable membre connaissait ce que j'appellerai l'histoire des mouvements électoraux de la ville d'Ath, il saurait qu'il n'y a pas de ville dans toute la Belgique qui donne de plus fréquents exemples de revirements politiques. On y a vu successivement réussir et échouer les hommes des partis les plus opposés.

On y a vu, à plusieurs mois d'intervalle, des hommes aux tendances politiques les plus contraires se succéder à la tête de l'administration communale. On y a vu un conseil communal nommé en même temps que M. Delescluse se séparer tout entier de lui au bout de quelques mois, adopter à l'unanimité une motion de défiance contre les membres du (page 453) collège des bourgmestre et échevins. Ces membres donnent leur démission ; ils sont tous réélus à une forte majorité. Ils rentrent au conseil ; on ne veut pas faire droit encore aux réclamations qu'ils avaient adressées au collège échevinal ; ils se fatiguent de cette lutte ; ils donnent derechef leur démission, déclarant qu'ils ne veulent plus être réélus. On les remplace par les membres du conseil communal actuel et qui se sont rattachés à la fortune politique de M. Delescluse.

Encore une fois, on peut dire qu'il n'y a pas de ville où les revirements dans l'opinion des électeurs soient plus fréquents et plus significatifs que dans la ville d'Ath. Et puis, bien des expériences ont été faites, bien des yeux se sont ouverts pendant ces dernières années.

Peut-on donc inférer de la nomination de M. Lor que cette nomination blesse profondément la majorité des électeurs ? Je m'en réfère aux faits que j'ai cités hier et qui prouvent quelles sont les dispositions actuelles des esprits dans la ville d'Ath. Je l'ai dit hier, le choix de M. Lor a été approuvé par l'immense majorité des habitants d'Ath. Toutes les familles les plus respectables, connues depuis de longues années pour leurs opinions libérales, adhèrent au choix de M. Lor, et toutes ont été heureuses de voir la ville d'Ath échapper au règne de ce qu'on appelait une coterie.

An dire de l'honorable préopinant, ce choix est encore malheureux, parce qu'il devait créer au gouvernement une foule de difficultés pour l'administration de la ville. Messieurs, il est vrai que le gouvernement devait s'attendre à voir le nouveau bourgmestre rencontrer des résistances de nature à rendre fort difficile la situation de la nouvelle administration. Mais le gouvernement a cru que, ne pouvant pas céder à une pression illégitime, il devait aller en avant. Les difficultés de la nouvelle administration sont grandes, sans doute, mais elles tendent à disparaître de jour en jour. Déjà, un membre du conseil communal a accepté les fonctions d'échevin.

Je suis convaincu que lorsque le nouveau bourgmestre aura pu donner des preuves de la sincérité de son désir de bien administrer la ville, tous ceux qui résistent encore se rallieront à lui.

Messieurs, je crois avoir défendu l'acte qui a été posé par le gouvernement sous sa responsabilité. Certes, le gouvernement s'est souvenu quel est l'esprit de la loi, que la loi ne doit être appliquée que dans des cas tout à fait exceptionnels, pour des motifs graves.

Je crois avoir prouvé que des motifs de ce genre existaient dans les circonstances actuelles. Je prends l'engagement devant la Chambre de tenir rigoureusement à ce que l'application de cette loi conserve son caractère exceptionnel. Car ainsi que je le disais hier, je suis convaincu aujourd'hui, comme je l'ai toujours été, de la nécessité de maintenir aussi intactes que possible nos institutions communales auxquelles se rattachent les plus beaux souvenirs du pays et qui ont su nous conserver notre cachet national à travers toutes les dominations étrangères.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, la Chambre comprendra que je ne puis pas rester sous le coup du reproche que l'honorable M. Lebeau a cru devoir m'adresser. Il m'a reproché d'avoir méconnu hier la dignité de la Chambre. Qu'ai-je donc fait, qu'aî-je donc dit qui ait pu me mériter cette grave accusation ? Jai maintenu la prérogative du pouvoir royal ; j'ai dit qu'en matière de collation d'emplois, le gouvernement est juge, sous sa responsabilité, du moment et de l'heure où il faut les conférer. C'est là, je pense, une doctrine constitutionnelle de la plus élémentaire vérité.

Esl-ce bien l'honorable M. Lebeau, blanchi dans les affaires, qui pendant 25 ans a pris une part si large à toutes les mesures qui ont constitué le pays, qui vient me reprocher aujourd'hui d'avoir soutenu cette doctrine ? Eh ! certes, si j'avais abandonné dans cette circonstance les droits du pouvoir exécutif, l'honorable M. Lebeau m'aurait, et avec araison, blâmé d'avoir compromis ces droits.

Il m'aurait dit : Dépositaire pusillanime du pouvoir royal, vous le désertez !

Qu'est-ce donc au fond que cette affaire, autour de laquelle on fait tant de bruit ? S'agit-il de l’une de ces hautes fonctions judiciaires que nous avons déjà vues rester vacantes pendant un, deux, trois ans ?

Nullement, messieurs, l'objet du débat est une modeste place de juge de paix vacante depuis trois mois à peine. Chacun connaît la situation exceptionnelle de la ville d'Ath. Il est donc naturel que le gouvernement ne pourvoie point à cette place sans avoir réuni tous les renseignements, sans s'être entouré de toutes les données qui pourront garantir un bon choix.

Je déclare, du reste, que le gouvernement n'a pas de parti pris ; qu'il ne voit pas quel inconvénient il y aurait à permettre à l'ancien titulaire, bourgmestre actuel d'Ath, de se mettre sur les rangs pour rentrer à une époque donnée dans ses anciennes fonctions. (Interruption.)

M. Verhaegen. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Je le répète, le gouvernement n'a pas de parti pris. Il reste libre de fixer le moment et d'arrêter le choix. Il ne lui incombe qu'un devoir, c'est d'assurer le service de la justice de paix dans le canton d'Ath ; or ce service est assuré par deux excellents suppléants.

C'est avec peine que j'ai entendu l'honorable M. Lebeau venir déverser la déconsidération sur la justice rendue par les juges suppléants. Les suppléants ne sont-ils donc pas magistrats, ne jouissent-ils pas de l'inamovibilité constitutionnelle ? Leur choix n'est-il pas entouré des mêmes garanties que celui des juges titulaires ?

Je proteste contre les paroles de l'honorable membre. (Interruption.)

La loi qui a institué les juges suppléants proteste avec moi, elle ne permet pas que la justice qu'ils rendent soir regardée avec défiance, soit considérée comme insuffisante.

Ces magistrats qui consentent à remplir gratuitement des fonctions difficiles et pénibles méritent qu'on les entoure de considérations.

L'honorable M. Lebeau, dont je reconnais l'expérience en matière politique et même en matière d'administration, a voulu me donner une leçon de convenance et de dignité. Je n'accepté pas d'être régenté par loi pour ce qui regardc l'observation des convenances ; je n'accepté pas non plus de leçon quand il s'agit de dignité personnelle.

Eii m'exprimant comme je l'ai fait, je ne me suis pas écarté du respect que je dois à la Chambre ; on ne manque pas de respect envers une assemblée parlementaire quand on remplit un devoir constitutionnel.

Ministre du Roi, j'ai rempli mon devoir en maintenant la prérogative du pouvoir exécutif ; et en remplissant ce devoir j'ai témoigné de mon respect pour le parlement, car il doit être jaloux de maintenir à tous les pouvoirs les prérogatives que la Constitution leur accorde ; la Chambre, gardienne de tous les droits, doit désirer que le pouvoir royal reste intact.

L'honorable M. Lebeau a hasardé une comparaison empruntée au grand siècle. Je suis étonné que son bon goût si connu lui ait cependant fait défaut en cette circonstance. Il a oublié que pour qu'une comparaison soit juste, il faut qu'elle soit appropriée aux circonstances. Je ne vois pas bien distinctement quel rapport il y a entre la justice de paix du canton d'Ath et le parlement de Paris, ni entre Louis XIV et moi ; je laisse donc à l'honorable M. Lebeau, toute la responsabilité de sa comparaison équivoque.

M. Verhaegen. - Je ne veux pas par des phrases répondre aux phrases que vous venez d'entendre, je veux ramener la question au point où elle était hier quand je me suis permis d'adresser des interpellations à MM. les ministres de l'intérieur et de la justice.

J'avais de très bonnes raisons pour demander aux ministres pourquoi la place de juge de paix du canton d'Ath restait vacante. M. le ministre a jugé à propos de ne pas rencontrer mon interpellation. On s'est mis parfaitement à l'aise en restant dans des équivoques. La discussion s'est peu à peu engagée ; force a été au ministre d'entrer un peu plus avant dans le débat ; enfin, poussé à bout par les arguments de M. Lebeau, il est venu avouer que le gouvernement avait jugé à propos de laisser la place ouverte jusqu'à ce que M. Lor, l'ancien titulaire, pût la reprendre.

Pour tous ceux qui out entendu les paroles du ministre,il est évident qu'il y a eu marché ; et aux yeux du pays comme aux yeux de la Chambre, je. constate le marché. (Interruption.)

Vous insistez, j'insiste aussi ; puisqu'on a parlé de loyauté, je fais un appel à la loyauté des ministres et je leur demande s'il n'est pas vrai que M. Lor n'a accepté les fonctions de bourgmestre de la ville d'Ath qu'à la condition qu'on laisserait la place de juge de paix ouverte, afin qu'il pût la reprendre quand des circonstances favorables le présenteraient.

Pour échapper à mon interpellation si pressante, on va répondre qu'on ne s'expliquera pas. Eh bien, si on ne s'explique pas, le silence sera pour moi la constatation de la promesse. (Interruption.)

Quels que soient vos murmures, je constate qu'il y a marché entre le gouvernement et le bourgmestre nommé à Ath en dehors du conseil.

M. de Theux. - Messieurs, j'ai demandé la parole quand j'ai entendu dire qu'il y avait un marché entre le gouvernement et M. Lor pour la conservation de la place de juge de paix. Ces paroles m'ont profondément indigné. (Interruption.)

En effet quelle est la signification naturelle du mot « marché » de la part d'un magistrat ? N'est-ce pas en quelque sorte, je ne dirai pas la vénalité du gouvernement, je suppose que tout gouvernement parlementaire est tellement au-dessus de la corruption qu'on ne peut pas supposer que pareille chose puisse se passer. Mais stipuler une récompense ? Quel serait ce marché ? M. Lor sacrifie une place facile, avantageuse, pour occuper temporairement les fonctions de bourgmestre de la ville d'Ath, fonctions éminemment difficiles. En les acceptant que fait-il ? Se procure-t-il un bénéfice ? Non. C'est un fonctionnaire dévoué, ami de son pays, qui consent à remplir les fonctions les plus difficiles. Voilà ce que je dis, et c'est cet acte que l'on viendrait qualifier dans cette enceinte du nom de marché !

Si M. Lor a exprimé le désir que la place de juge de paix restât vacante si le gouvernement trouvait un autre bourgmestre, se déclarant prêt dans ce cas à reprendre ses fonctions de juge de paix, y a-t-il là rien de déshonorant pour M. Lor ? Evidemment non. Il n'y a là aucun abus.

Je vais plus loin : je dis qu'il n'y a pas eu d'abus de la part du gouvernement, qu'il y a eu nécessite. En effet, le gouvernement devait l'ordre public et la paix à la ville d'Ath. Le seul moyen qui se présentât à lui de les assurer était de choisir comme bourgmestre M. Lor, juge de paix. Le gouvernement a rempli ce devoir.

En résultera-t-il que la place de juge de paix restera vacante pendant de longues années ? Je ne le crois pas.

J'aime à croire que les juges suppléants qui remplissent les fonctions (page 454) de juge de paix les remplissent de telle manière que les abus dont on a parlé ne sont nullement à craindre.

Je dis que le gouvernement aurait été très embarrassé pour donner à la ville d'Ath un autre bourgmestre. En appelant à ces fonctions, le gouvernement a dignement rempli son devoir. Loin de l'en blâmer, nous n'avons qu'à l'en féliciter.

M. Tesch. - Avant de prendre la parole, je désirerais savoir si le ministère répondra à l'interpellation que lui a adressée l'honorable M. Verhaegen d'une manière assez catégorique.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Certainement il répondra.

M. Tesch. - Alors, veuillez répondre maintenant.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je croyais qu'après le discours de mon honorable collègue M. le ministre de la justice, la Chambre connaissait ce qu'elle désirait savoir par l'interpellation de M. Verhaegcn.

Voici toute la vérité. Le gouvernement n'a pris aucun engagement à l'égard du nouveau bourgmestre de laisser vacante la place de juge de paix du canton d'Ath. Le gouvernement est parfaitement libre de nommer à cette place. Le nouveau bourgmestre a exprimé le désir que, lorsque sa mission administrative temporaire sera remplie, le gouvernelent euille le rendre à ses fonctions judiciaires.

Messieurs, je n'éprouve pas le moindre embarras à faire cette déclaration. Je n'y vois pas l'ombre d'un marché honteux pour qui que ce soit. Je considère M. Lor comme ayant rendu un incontestable service à la ville d'Ath et au gouvernement.

M. Frère-Orban. - La magistrature n'est pas instituée pour vendre de pareils services.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il n'en est pas moins vrai que M. Lor a consenti à remplir une mission de courage et de dévouement.

M. Frère-Orban. - Dans un intérêt de parti.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Au contraire, pour combattre une politique exclusive qui voudrait dominer dans la ville d'Ath, et pour sauvegarder les intérêts bien entendus de l'administration de cette ville.

Celte mission, difficile mais honorable, M. Lor l'a entreprise. Le gouvernement a accepté et a dû accepter avec reconnaissance le dévouement de ce citoyen.

Mais qu'y a-t-il donc de si insolite dans une pareille situation ?

Nous voyons tous les jours des hommes honorables remplir les fonctions de ministre, répondre à l'appel qui est fait à leur dévouement, mais sans entendre pour cela sacrifier une position à laquelle les attachent leurs études antérieures, leurs goûts, les habitudes de leur famille, et même leurs intérêts.

Je ne vois pas que jamais un ministre ait été accusé d'avoir fait un marché, parce qu'il aura consenti, par dévouement au pays, à remplir ces hautes fonctions, avec la réserve qu'en quittant le ministère il puisse reprendre les fonctions publiques qu'il occupait auparavant. C'est parfaitement dans l'ordre. Je ne sais pas ce qu'il y a là qui puisse porter atteinte au caractère et à la réputation de qui que ce soit.

Quant à moi, j'ai contribué à poser uu acte dont je revendique hautement la responsabilité, en face du pays, qui juge la moralité des actes du gouvernement.

M. Tesch. - Je ne dirai pas que ce qui s'est passé entre le cabinet et le juge de jaix d'Ath est un marché. Mais je dirai que c'est un tripotage... (Déclamations.)

Je maintiens que c'est un tripotage ; c'est la prostitution de la magistrature.

M. le président. - Ces expressions ne sont pas parlementaires.

- Plusieurs membres. - A l'ordre !

M. le président. - Je vous engage à retirer ces expressions qui ne sont pas parlementaires.

M. Frère-Orban. - Maintenez-les.

M. Tesch. - Je dis que c'est un tripotage.

M. le président. - M. Tesch, je vous engage à retirer l'expression.

M. Tesch. - Je la maintiens.

- Plusieurs membres. - A l'ordre !

M. le président. - Je vous rappelle à l'ordre.

M. Frère-Orban. - Que la Chambre statue.

M. Tesch. - Je demande que la Chambre statue.

M. le président. - Elle statuera.

M. Frère-Orban. - Je demande la parole sur le rappel à l'ordre.

M. le président. - Vous avez la parole.

M. Frère-Orban. - Messieurs, l'honorable M. Tesch vient de qualifier un acte du gouvernement. Il était parfaitement dans son droit. (Réclamations.) Oui, il était parfaitement dans son droit, il a dit : « Il y eu dans cette affaire un marché, ou il y a eu un tripotage. »

M. le président. - Ce n'est pas ce qu'il a dit.

M. Frère-Orban. - J’ai le droit de m'expliquer comme il me souvient, et M. le président n'a pas le droit de m'interrompre. (Interruption.)

L'honorable M. Tesch était dans son droit, lorsque, ayant à qualifier un acte du gouvernement, il l'a qualifié comme il l'a fait.

Un honorable membre avait dit : C'est un marché. Il y a eu un pacte avec le juge de paix de l'arrondissement d'Ath, avec un homme appartenant à la magistrature. C'est un marché, avait dit un de ces honorables membres. M. le président ne s'en est pas ému. L'honorable M. Tesch dit : Je ne le qualifierai pas de marché. Je dis que c'est un tripotage. C'est-à-dire que, dans la pensée de l'honorable membre, c'est quelque chose de moins qu'un marché, mais quelque chose qu'il a le droit de nommer de cette manière, un arrangement, quelque chose de peu honnête, en vue de déterminer un homme à servir les intérêts d'un parti.

Voilà ce que l'honorable M. Tesch a appelé un tripotage, ce qu'à mon tour j'appelle un tripolage que je qualifie de scandaleux.

C'est uniquement dans un intérêt de parti, par esprit de parti, et non dans un intérêt administratif que cet acte a été posé. (Interruption.) Je dis qu'il a été posé uniquement dans un intérêt de parti. En effet, il semble que dans toute la ville d'Ath, il n'y avait qu'un seul homme qui pût être appelé aux fonctions de bourgmestre.

M. de Liedekerke. - C'est le rappel à l'ordre qui est en discussion.

- Plusieurs membres. - A la question !

M. Frère-Orban. - J'entends parfaitement. Je justifie l'expression. Je tiens que c'est un tripotage, parce que c'est uniquement dans un intérêt de parti, dans un intérêt politique que vous avez agi comme ? vous l'avez fait. Voilà ce que l'on a qualifié de tripotage, et ce que je qualifie de tripolage scandaleux. Je répète l'expression.

M. Tesch. - Je demande qu'on me laisse continuer. J'ai dit que c'était un tripotage, et j'ai dit que c'était la prostitution de la magistrature et on ne peut contester qu'il en soit ainsi. Je trouve, moi, singulier que quelqu'un sente cela autrement que je ne le sens. Comment ! il y a un juge de paix dans une ville, un magistrat inamovible, un homme qui doit être entouré de la considération de tout le monde, et cet homme on le déplace, on le pousse dans la lutte ardente des partis, avec la pensée bien arrêtée, après qu'il aura été bourgmestre pendante un certain temps, après qu'il aura fait les affaires d'un parti, peut-être ; après qu'il aura fait les élections, de le replacer dans la position de juge inamovible où il était précédemment. Et l'on prétend que ce n'est pas là tripoter, que ce n'est pas là prostituer la magistrature !

Mais demandez à la magistrature de tous les pays du monde, si elle peut admettre qu'un des siens sorte de son inamovibilité judiciaire, pour aller faire les affaires d'un parti, pour aller administrer jusqu'à ce que les élections soient faites et pour rentrer ensuite dans sa position inamovible.

Comment ! messieurs, le juge doit être impartial ; il doit être en dehors des partis, et cet homme que vous aurez mêlé d'une manière aussi vive aux luttes des partis, vous irez le rétablir sur son siège de juge ! Mais quelle justice rendra-t-il donc ? Il n'aura plus que des ennemis et des amis, et c'est par l'homme que vous aurez mis dans une pareille position que vous ferez rendre la justice ! Et vous prétendez que cela est digne, que cela est convenable ! Mais, je le répète, c'est la prostitution de la justice, c'est la prostitution de la magistrature. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. de Liedekerke. - C'est la prostitution du gouvernement représentatif que de pareilles paroles...

M. Tesch. - Un magistrat doit se tenir complètement en dehors des luttes politiques ; il doit être impartial. Tous les magistrats en Belgique seront parfaitement de mon avis. Ils sentiront comme moi que leur place n'est pas au milieu des partis, qu'il ne convient pas qu'ils quittent leur siège inamovible ponr devenir administrateurs d'une ville que vous reconnaissez vous-mêmes être travaillée par les luttes les plus ardentes, parce qu'ils ne peuvent plus ensuite rentrer dans la position d impartialité que l'on doit occuper pour rendre la justice à tout le monde.

Je dis donc qu'en qualifiant comme je l'ai fait l'acte dont il s'agit, j'ai usé d'un droit que je maintiens et je déplore pour le gouvernement, je déplore pour la magistrature qu'un pareil acte ait pu être posé.

M. de Mérode. - Quant au rappel à l'ordre, je dirai simplement ceci : c'est que peu m'importe à moi que l'on qualifie tel acte de marché, de tripotage, de prostitution, d'abomination de la désolation. Les dénominations ne signifient rien ; ce sont les faits qui prouvent, et s'il y a eu un tripotage, je n'en connais d'autre que celui qui a été exercé pendant si longtemps dans la ville d'Ath. Voilà où il y a eu un affreux tripolage et contre celui-là, personne de vous ne dit mot ; pas plus l'honorable M. Tesch que l'honorable M. Verhaegen ou l'honorable M. Frère.

Eh bien, sachez donc trouver le tripolage où il est. Il était là ; il était dans le gaspillage des deniers publics de la ville d'Ath ; il était dans la confusion des ressources des pauvres et de ceux de la commune, puisque tous les intérêts étaient confondus. Aujourd'hui que les habitants de la ville d'Ath sont éclairés sur tous ces faits, aujourd'hui qu'ils ne sont plus sous la contrainte qu'on leur avait imposée par tous les moyens dont on pouvait user pour leur faire subir un pareil désordre, (page 455) ils sont heureux de voir arriver l'honorable M. Lor comme bourgmestre.

C'est ainsi que les faits doivent être jugés. Ils doivent être jugés largement, et non mesquinement, non en vue des petites considérations qu'on fait valoir ici.

Y avait-il un autre homme qui pouvait accepter convenablement les fonctions de bourgmestre, qui pouvait les remplir à la satisfaction des habitants ? Voilà la question. S'il n'était pas possible d'en nommer un autre, je dis qu'on a parfaitement bien fait.

Je suis aussi délicat que l'honorable M. Tesch, je reconnais comme lui la nécessité de l'impartialité de la justice. Mais je dis en âme et conscience qu'il n'y a rien dans cette circonstance à reprocher au gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb).- Je ne comprends pas que l'on l’on puisse qualifier comme vient de le faire l'honorable préopinant, un acte aussi simple que celui qui a été posé par le gouvernement. Tout à l'heure mon honorable collègue et ami M. de Decker vous expliquait dans quelles circonstances on a eu recours à M. Lor. C'est parce qu'il s'agissait de rendre un véritable service à la chose publique, c'est parce qu'il y avait dans la ville d'Ath une telle division, de telles inimitiés, une telle animosité, qu'il fallait choisir, en dehors du conseil, un homme qui planât au-dessus de ces tristes divisions. Où a-t-on trouvé cet homme ? On l'a trouvé dans un magistrat honorable, dans un magistrat éprouvé par un long exercice, qui inspirait à tous les justiciables, à toutes les autorités justiciaires et provinciales, la plus grande, la plus entière confiance. Etait-ce donc là poser un acte de tripotage ? Peut-on à ce point abuser de la valeur des mots ? Mais le tripotage, c'est quelque chose de honteux ! c'est quelque chose qu'on n'ose pas avouer, c'est quelque chose de vil.

Eh bien, il n'y a rien là de vil, et mon honorable collègue a eu raison de poser cet acte. Il a trouvé un homme prêt à s'associer avec lui pour remplir une mission de paix et de concorde, et il faut approuver ce magistrat d'avoir sacrifié sa vie tranquille et honorée pour accepter cette oeuvre difficile de pacification. Ce n'est pas un acte de tripotage, c'est un acte de bon citoyen ; j'en loue l'honorable M. Lor.

Mais on insiste et l’on va jusqu'à dire : C'est un acte de prostitution de la magistrature. J'ai passé dans le sein de la magistrature bien des années de ma vie et j'apprécie aussi bien que personne ce qui porterait atteinte à sa dignité. Si au bout de six mois, d'un an peut-être, M. Lor ayant accompli son œuvre à la satisfaction commune, désire rentrer dans la magistrature, celle-ci devrait-elle donc le repousser de ses rangs ?

Ne serait-ce pas pour elle un honneur que l'on ait été choisir dans son sein un homme pour ramener l'union et la concorde dans une localité livrée à tous les conflits ?

Mais cet homme, lorsqu'il remontera sur son siège, aura-t-il mérité une qualification flétrissante ?

Ne sera-t-il pas, au contraire, grandi par la reconnaissance publique qui s'attache à toute bonne action ?

L'honorable M. Tesch, faisant un procès de tendance à l'honorable M. Lor, nous disait : Vous irez donc replacer sur le siège du magistrat un homme qui se sera mis en hostilité avec tous les justiciables, qui cachera à peine sous sa toge les raucunes et les haines du magistrat communal blessé !

Pourquoi donc, messieurs, faut-il supposer dès aujourd'hui que M. Lor faillira à sa mission, que de magistrat honorable et honoré, il deviendra nécessairement cet homme que vous dépeignez sous des couleurs odieuses ?

Si M. Lor devenait ce que vous dites, s'il se menait en hostilité avec les justiciables, croyez-vous donc que le gouvernement consentirait à lui confier de nouveau des fonctions judiciaires ?

Si, après avoir accompli sa mission pacificatrice, M. Lor désirait rentrer dans la magistrature, je serais heureux de contresigner l'arrêté qui lui en rouvrirait l’accès. Mais si M. Lor, au lieu de rétablir la paix, avait accru les divisions, si méconnaissant ses devoirs il avait attisé les passions q’il est chargé d’éteindre, il ne remonterait plus sur son siège.

M. Orts. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire sur la singulière théorie que vient de défendre M. le ministre de la justice aux applaudissements d'une partie de l'assemblée. Je dirai à M. le ministre de la justice : Je comprends que ce soit un honneur pour la magistrature d'appeler un de ses membres à remplir une mission de conciliation, voire même une mission de conciliation politique ; ce sera un honneur pour la magistrature si le choix est fait dans les conditions que voici : si cet homme quitte son siège plein du calme et de l'impartialité qui caractérisent ses hautes fonctions ; s'il se livre à la mission qu'il a acceptée, sans arrière-pensée, sans autre préoccupation que de bien servir le pays.

Mais il faut que le premier acte de cet homme soit l'abandon sans esprit de retour, sans esprit de spéculation, de la carrière qu'il vient de quitter. Ainsi je considère comme un honneur pour la magistrature que, dans un intérêt de conciliation politique, on cherche dans ses rangs un ministre de la justice, comme on l'a fait pour l'honorable M. Nothomb ; mais- qu'a fait l'honnorable M. Nothomb ? Il a fait ce que n'a pas fait M. Lor et ce qu'il ne veut pas que M. Lor fasse, il a abandonné complètement, sans réserve, le siège de magistrat qu'il occupait.

- Un membre. - Il y en a d'autres.

M. Orts. - Je n'ai pas à m'o'ccuper d'autres, je parle de l'honorable M. Nothomb et de M. Lor. Si on veut provoquer un débat sur ce qui a été fait par d'autres, je suis prêt à y prendre part.

C'est tout ce que je voulais dire sur le non-remplacement de M. Lor. Mais il s'est passé un fait sur lequel je demande, aux termes du règlement, que l'assemblée se prononce. J'adhère complètement à la qualification qui a valu à l'honorable M. Tesch un rappel à l'ordre. La légitimité de ce rappel à l'ordre a été contestée, et, en pareil cas, l'article 31 du règlement veut que la Chambre se prononce.

Je demande que la question lui soit soumise.

M. Verhaegen. - Messieurs, il s'agit de savoir si la Chambre maintiendra le rappela l'ordre, etl a question est assez importante, dans un moment où nous venons signaler une atteinte à la liberté communale et où l'on nous répond par une atteinte à la liberté de la tribune. (Interruption.)

On veut porter atteinte à la liberté de la tribune, je le maintiens ; et nous verrons par le vote que la Chambre émettra, j'espère, par appel nominal, s'il sera dit que la majorité peut opprimer la minorité.

Messieurs, j'ai qualifié l'acte dont il s'agit, je l'ai qualifié plus sévèrement que mon honorable ami M. Tesch ; on ne m'a pas rappelé à l'ordre et, si on l'avait fait, j'aurais maintenu la qualification. Maintenant on rappelle à l'ordre l'honorable M. Tesch, parce que, obligé de qualifier un acte, il se sert de la seule expression qu'admette le dictionnaire. Je défie qui que ce soit de qualifier autrement le fait que ne l'a qualifié l'honorable M. Tesch en se servant du mot « tripotage ».

C'est un arrangement qui n'est pas avouable, c'est une chose qui n'est pas ce qu'elle devrait être, c'est une affaire qui est combinée dans un certain but, enfin c'est un tripotage ; il serait impossible de le qualifier autrement.

Messieurs, il y a quelques jours, l'honorable M. Dumortier, en attaquant violemment un des professeurs de l'université de Gand, le compara à Retsin, condamné par la justice et, soit dit en passant, il me donna, à moi, après plusieurs années, une petite satisfaction. Je pris une assez grande part à cette affaire et je crois qu'elle ne contribua pas médiocrement à la chute de M. d'Anethan ; on vient approuver aujourd'hui tout ce que j'ai dit à cette époque, alors cependant que sur les bancs de nos adversaires on a considéré autrefois mes observations comme très exagérées.

Mais enfin, messieurs, l'honorable M. Dumortier compara ce professeur, qui est nommé par le gouvernement, qui occupe une chaire d'une université de l'Etat, qui doit être entouré de considération, comme tous les fonctionnaires de l’Etat, il le compara à Retsin, condamné par la justice. Il est vrai que M. le président l'arrêta un moment, mais M. Dumorter répliqua qu'il était dans son droit et personne, même sur les bancs dont sont partis aujourd hui les cris de rappel à l'ordre, personne ne demanda le rappel à l'ordre de l'honorable M. Dumortier et M. le président ne crut pas devoir le prononcer.

Et aujourd'hui l'on voudrait rappeler à l'ordre mon honorable ami M. Tesch, parce qu'il s'est servi d'une expression qui qualifiait un fait comme il devait être qualifié. Il ne s'agit pas ici d'un individu absent, qui ne peut pas se défendre, il s'agit d'un acte du gouvernement.

Eh bien, messieurs, si le vote que vous allez émettre maintient le rappel à l'ordre, il prouvera au pays qu'il y a ici deux poids et deux mesures ; il prouvera au pays que la majorité peut opprimer la minorité, et le rappel'à l'ordre ne pourra que faire honneur à mon honorable ami.

- M. de Naeyer remplace M. Delehaye au fauteuil.

M. Delehaye. - La Chambre comprendra parfaitement que je ne suis pas descendu du bureau pour expliquer le rappel à l'ordre ; je désire seulement expliquer les faits.

Je n'ai rappelé M. Tesch à l'ordre qu'après lui avoir fait à plusieurs reprises des observations.

Il a maintenu ses paroles qui étaient celles-ci : « Je ne dirai pas comme M. Verhaegen que c'est un marché, j'irai plus loin, je dirai que c'est un tripotage. »

Or, la Chambre sait ce que c'est qu'un tripotage, cette expression n'est point parlementaire et je demanderai à l'honorable membre s'il permettrait a quelqu'un de dire qu'il a fait un tripotage ?

M. Tesch a été ministre ; eh bien, si dans sa carrière ministérielle, on eût qualifié de tripolage un des actes qu'il avait posés....

M. de Moor. - Il n'a jamais posé un semblable acte.

M. Delehaye. - Je lui demande s'il n'aurait pas considéré cette qualification comme déshonorante pour lui ; eh bien, c'est contre une qualification de ce genre que j'ai protesté tout à l'heure.

M. Tesch. - Messieurs, je maintiens l'expression dont je me suis servi ; mais il y a ici quelque chose de très surprenant, c'est qu'il paraît que M. le président n’a pas de notions très exactes de la valeur des termes. Je m'étonne que l'honorable M. Verhaegen, qui a commencé par déclarer que c'est un marché, n'ait pas été rappelé à l'ordre. Je n'ai pas dit, moi, que ce fût un marché ; j ai dit simplement que c'est un tripotage.

Or, un marché serait une chose beaucoup plus odieuse encore qu'un tripotage. Comment se fait-il dès lors, que M. le président ait laissé dire a l'honorable M. Verhaegen que c'était un marché ; et qu’il m’ait (page 456) rappelé à l'ordre, moi qui m'étais borné à dire que c'était un tripotage ?

M. Delehaye. - Messieurs, la Chambre sait bien que si, dans ma pensée, le marché eût eu la même signification que le mot « tripotage », je n'aurais pas agi autrement à l'égard de l'honorable M. Verhaegen que je n'ai agi à l'égard de M. Tesch. Mais, je le répète, à mon sens, l'expression « tripotage » implique une idée très défavorable pour le caractère du ministre qui a posé l'acte qu'on qualifie de cette manière.

M. Frère-Orban. - Messieurs, il s'agit du droit de la Chambre, on ne peut pas l'abandonner.

La Chambre a, si je ne me trompe, le droit de mettre en accusation les ministres ; elle a donc le droit d'articuler des griefs contre les ministres ; ayant à apprécier les actes posés par les ministres, elle a donc le droit de dire : Ce sont des délits, des actes honteux, scandaleux ; ce sont des tripotages, ce sont des crimes.

Tout membre a le droit de soumettre à la Chambre une proposition de mise en accusation, en qualifiant, comme il l'entendra, les faits qu'il alléguera à la charge des ministres ; eh bien, lorsque l'honorable M. Tesch a apprécié l'acte posé par le ministère, il a qualifié cet acte.

Sans doute, ce pouvoir incontestable n'implique pas le droit d'injurier, d'outrager ; mais lorsque le député se borne à apprécier un fait, lorsqu'il le qualifie de tripotage, comment peut-il être l'objet d'un rappel à l'ordre ? Dans quelles limites faudra-t-il circonscrire la discussion, si l'on ne peut plus se servir d'expressions de ce genre ?

On a admis constamment dans cette Chambre qu'on pouvait, repoussant un reproche ou une accusation, dire à un adversaire : « C'est une calomnie. » (Interruption.) Cola a été dit souvent sans rappel à l'ordre. On peut dire : « Le fait qui est allégué est une calomnie ». (Nouvelle interruption,) Cela a été dit cent fois dans cette Chambre, et cela peut se dire très légitimement.

M. de Theux. - Messieurs, on a droit d’accuser un ministre ; mais on n'a pas le droit de l'injurier. Le droit de l'accuser appartient à la Chambre de par la Constitution, mais le droit de l’injurier n'existe pas dans une Chambre, pas plus à l'égard des ministres qu'à l'égard des membres du parlement.

Où sont les garanties dans le droit d'accusation ? il faut que la proposition d'accusation soit déposée, que la lecture en soit autorisée et qu'elle reçoive les développements, et la Chambre est ensuite appelée à se prononcer sur l’accusation. Si elle rejette l'accusation, fait qui est déjà arrivé, l'accusation est mal fondée, et le ministre se trouve justifié. Mais si le droit d'injurier les ministres existait et que le règlement ne conférât pas au président le droit de rappeler à l'ordre ou aux convenances parlementaires, selon la gravité des cas, je dis que les fonctions de ministre devraient être rayées de la Constitution. Il est impossible que les ministres du Roi viennent s'asseoir sur vos bancs pour recevoir des injures sans qu'ils puissent être protégés contre les injures. Or, je dis que qualifier de tripotage un acte du gouvernement, c'est adresser une injure directe au gouvernement, et M. le président a bien fait de donner un avertissement à l'honorable membre. L'honorable membre a persisté ; M. le président a usé de son droit ; la Chambre prononcera.

L'honorable M. Verhaegen a rappelé une autre circonstance ; l'honorable membre n'a pas demandé le rappel à l’ordre ou aux convenances parlementaires ; l'honorable membre, dans d'autres occasions, s'est livré à des attaques de même nature, et il n'a pas été rappelé à l'ordre. Le fait posé par l'honorable M. Dumortier n'est pas sans précédents ; dans d'autres circonstances, des faits analogues ont été posés, sans avoir donné lieu à un rappel à l'ordre. Les personnes inculpées ont le droit de se défendre ; elles en usent ordinairement ; mais admettre qu'on puisse ici, dans une discussion loyale, parlementaire, injurier les membres du gouvernement, ce n’est pas admissible. Si on pouvait admettre cette manière de procéder, ce serait renoncer dans l'avenir au gouvernement parlementaire.

M. Delfosse. - Messieurs, personne n'a prétendu que le droit des membres de la Chambre va jusqu'à l’injure. Je recounais avec l'honorable M. de Theux, que les membres de la Chambre ne doivent pas injurier MM. les ministres ; c'est aussi ce qui a été reconnu par mon honorable ami, M. Frère. Mais les membres de la Chambre ont le droit de qualifier et de qualifier très sévèrement les actes de M.M. les ministres.

L'honorable M. Tesch, selon moi, n'a pas dépassé les limites de son droit en qualifiant un acte du gouvernement de tripotages ; il aurait pu le qualifier plus sévèrement, comme l'avait d'abord fait mon honorable ami, M. Verhaegen.,

Si mes souvenirs ne me trompent pas, un acte de M. de Theux a été qualifié de trahison, lors de la discussion du traité des 24 articles : je crois que cette accusation a été dirigée contre l'honorable M. de Theux par un de ses amis politiques.

Messieurs, si on ne permettait plus aux membres de la Chambre de qualifier en termes même très durs un acte du gouvernement, la tribune parlementaire ne serait plus libre ; ce serait une atteinte que vous porteriez au droit de discussion. Le ministre dont on a qualifié ainsi l'acte peut se défendre : c'est ce que M. le ministre de la justice a fait, mais à côté du droit de la défense est placé le droit de l'attaque. Je regrette, messieurs, de devoir le dire, M. le président a été trop loin, en rappelant l'honorable M. Tesch à l'ordre. Je crois qu'il a prononcé le rappel à l'ordre dans un moment de vivacité et qu'il ferait bien de le retirer. En le retirant il témoignerait de sa déférence pour la liberté de discussion qu'il doit sauvegarder pour toutes les parties de la Chambre.

Vous croyez, messieurs de la droite, être majorité. Souvenez-vous que vous avez été minorité et que vous pourriez le redevenir, ne posez pas un précédent à l'aide duquel on pourrait plus tard étouffer votre voix.

M. Delehaye. - Messieurs, j'ai déjà eu l'honneur de dire que dans ma pensée il y a une signification déshonorante dans la qualification de tripotage donnée à un acte du gouvernement, et que c'est ce motif qui m'a fait un devoir de rappeler à l'ordre le membre qui s'en était servi ;

Mais puisque dans la pensée de l'honorable M. Tesch, cette expression n'emporte rien de déshonorant, répondant à l'appel de mon honorable collègue et ami M. Delfosse, je puis retirer le rappel à l'ordre.

M. le président. - L'incident est clos. (Interruption.)

- Plusieurs membres demandent la parole.

M. Delfosse. - Je prie la Chambre de remarquer que je n'ai en rien atténué l'expression dont l'honorable M. Tesch s'est servi. Je ne veux pas qu'on me prête une pensée qui n'est pas la mienne ; j'ai seulement soutenu que cette expression doit être admise dans une libre discussion.

M. de Mérode. - L'ordre du jour ! Faisons les affaires du pays.

M. Thiéfry. - Il s'agit de la liberté de la tribune.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Nous venons d'entendre plusieurs orateurs déclarer que si les Chambres avaient le droit d'accusation, elles n'avaient pas le droit d'injurier les ministres.

L'honorable M. Delfosse dit que dans sa pensée le mot « tripotage » n'est pas une injure. Messieurs, je ne puis partager l'opinion de certains membres de cette Chambre, quant à la manière d'apprécier le mot « tripotage », car, comme particulier, je sens que je me trouverais flétri si on m'appelait tripoteur. Or, je tiens à ma considération comme à ma vie.

Comme particulier, et tout autant comme ministre, je tiens à conserver mon honneur intact devant le pays. Si donc la qualification dont on s'est servi à quelque chose de déshonorant pour mon caractère, je demande que la Chambre vote sur la question de savoir si elle la laissera passer sans protestation. Je demande que l'honorable membre s'explique et qu'il dise s'il a voulu ou non donner cette portée à l'expression dont il s'est servi.

M. Manilius. - Après la discussion qui vient d'avoir lieu, il me semble que M. le ministre comme M. le président doivent avoir une satisfaction pleine et entière, surtout après ce que vous a dit l'honorable M. Tesch ; il vous a dit qu'au point de vue de l’appréciation des explications sorties du banc des ministres il maintenait l'expression dont il s'était servi, mais qu'il n'avait nullement l'intention de l'appliquer à la personne des ministres ; l'intention d'attaque personnelle faisant défaut, il n'y a plus lieu de rappeler à l'ordre, sans cela, il deviendrait impossible de prendre la parole dans une discussion, surtout dans la discussion d'un budget, où la politique, joue le plus grand rôle, où les députés ont plus de facilité pour exercer leur droit de critiquer la conduite des ministres.

M. le ministre demande si dans la qualification qu'on a faite d'un acte de son administration on n'a pas voulu attaquer son caractère personnel ; mais tout le monde s'est expliqué très catégoriquement à cet égard, chacun des membres qui ont pris la parole a déclaré qu'il n'y avait rien de personnel dans l'appréciation faite, le débat sur l'incident doit cesser et la discussion générale reprendre son cours, sans cela il n'y a plus moyen d'avoir de discussion sans la voir à tout instant interrompue par un rappel à l'ordre à propos d'un mot déplaisant à la majorité ou à la minorité, car la minorité a aussi le droit de provoquer un rappel à l'ordre ; on n'en finirait plus si on usait de ce droit à chaque occasion quand on trouverait qu'un membre a lâché un mot trop gros, trop long ou trop large.

M. de Theux. - J'ai demandé la parole pour un fait personnel. L'honorable M. Delfosse a dit que lors de la discussion du traité des vingt-quatre articles on avait qualifié de trahison l'acceptation de ce traité. Je n'en ai pas souvenir. Au reste je dirai que le mot « trahison » peut n'avoir pas une signification déshonorante ; c'est une appréciation ; si l'on disait que le ministre qui a proposé l'acceptation du traité est un traître, ce serait une injure, car ce serait une qualification qui porterait atteinte à l'honneur de l'homme qui en serait l'objet. Mais nous comprenons qu'on ait pu dire que c'était une trahison de céder une partie du territoire ; cela ne m'a pas du tout ému, si le mot a été prononcé.

M. Verhaegen. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu l'honorable M. de Mérode s'écrier : « En voilà assez ! Faisons les affaires du pays ».

Nous pouvons faire les affaires du pays en défendant la liberté de la tribune qui est la première de nos libertés. Nous savons à quoi nous en tenir. Un fait a été qualifié par M. Tesch ; nous avons soutenu qu'il n'y avait rien à dire à cette qualification ; l'honorable membre a maintenu ce qu'il a dit ; il n'a pas cherché à adoucir la chose, il n'a pas demandé quartier, il a franchement et loyalement maintenu ce qu'il avait dit. C'est dans cet état de choses que la Chambre doit prononcer, les explications à donner par les différents membres qui ont pris la parole (page 457) ne changent rien à la qualification donnée par l'honorable M. Tesch ; si M. le président retire son rappel à l'ordre, il sera retiré purement et simplement sur la qualification de tripotage donnée à l'acte dont il s'agit, sans qu'il y ait de circonstances atténuantes.

L'honorable membre n'a pas parlé d'intentions, il a qualifié un fait C'est dans cet état que se présente la question, dégagée de toutes les explications dont on l'a entourée.

M. Delfosse. - Je ne me rappelle pas au juste les expressions dont on s'est servi contre M. de Theux lors de la discussion des 24 articles ; mais ce que je sais, c'est qu'on lui a dit des choses extrêmement dures, beaucoup plus dures que l'expression dont vient de se servir mon honorable ami, M. Tesch, et qu'elles n'ont pas provoqué de rappel à l'ordre.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je ne veux pas laisser tomber ce débat sur une équivoque. Je demande à l'honorable membre de déclarer par oui ou non, si le mot « tripotage » dont il s’est servi emporte quelque chose de déshonorant pour le caractère des ministres.

M. Tesch. - Je n'ai pas à m'expliquer sur cette question. Je déclare que je considère la nomination de M. Lor aux fonctions de bourgmestre avec la promesse de le replacer comme juge de paix, surtout dans les circonstances où cela s'est passé, surtout dans une ville comme Ath en proie aux passions des partis, que je regarde ce fait comme un tripotage, comme portant atteinte à la dignité de la magistrature.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Il s'agit d'apprécier la conduite du ministre.

M. Tesch. - Je n'ai pas accusé les ministres. J'ai qualifié un acte. Je ne puis me servir d'une autre expression que celle-là.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Tout le monde doit désirer que l’on s’explique.

Notre honorable président a dit qu'il reltrait le rappel à l'ordre, parce que, d'après les explications qui ont été données, on n'avait rien voulu dire de déshonorant pour les ministres.

M. Orts. - On est d'accord là-dessus.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Sommes-nous d'accord là-dessus ?

M. Lebeau. - Comment vous adressez-vous à la Chambre ?

M. Frère-Orban. - Vous ne pouvez interpeller la Chambre. Apprenez...

- Plusieurs membres. - L'ordre du jour !

M. Lelièvre. - Je pense que la Chambre ferait sagement de mettre fin à l’incident et de passer à l'ordre du jour. Il s'agit ici de la liberté de la tribune et certes cette liberté est trop précieuse pour que la Chambre ne la maintienne pas en toute occurrence.

L'honorable M. Tesch, examinant le mérite d'un acte ministériel, a cru devoir lui donner une qualification qui n'excède pas les droits d'un représentant.

Cette qualification ne porte aucune atteinte au caractère personnel de MM. les ministres. M. Tesch discute un acte et le qualifie. En cela il exerce un droit qu'on ne peut raisonnablement lui contester.

Mais, messieurs, discutant un acte ministériel, nous pouvons même dire qu'il constitue une concussion et lui donner ainsi une qualification autrement grave que celle dont s'est servi notre honorable collègue. La personne des ministres est complètement hors de cause. C'est l'acte qui a été critiquée sans plus.

Messieurs, bien souvent au barreau on qualifie certains actes bien plus sévèrement sans que jamais on ait soutenu qu'il y eût excès des droits de la défense.

Il en est de même dans l'espèce, un représentant incrimine de bonne foi un acte ministériel, il le qualifie comme il en a le droit.

On ne peut évidemment prononcer un rappel à ordre en semblable circonstance sans violer une liberté que majorité et minorité doivent maintenir intacte.

M. de Liedekerke. - Que M. Tesch tienne votre langage.

M. le président. - L'incident est vidé. Je crois qu'il y a lieu de passer à l'ordre du jour. (Adhésion générale.)

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion générale est close.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Articles 1 à 4

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.


« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 198,750. »

- Adopté,


« Art. 3. Fournitures de bureau, impressions, achats et réparation de meubles, éclairage, chauffage, menues dépenses et loyer d'une succursale de l'hôtel des bureaux. : fr. 45,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais de route et de séjour, courriers extraordinaires : fr. 4,300. »

- Adopté.

- M. Delehaye remplace M. de Naeyer au fauteuil.

M. de Bronckart. - Je demande que la séance soit suspendue pendant un quart d'heure. Sans quoi, les articles du budget vont passer inaperçus.

M. Coomans. - Je ne crois pas qu'il soit de la dignité de la Chambre de suspendre la séance. Si l'honorable M. de Bronckart est si ému qu'il ne puisse plus discuter convenablement le budget, je déclare que sur nos bancs nous n'éprouvons aucune émotion, et que nous sommes prêts à continuer la discussion.

M. Delfosse. - Ce qui a déterminé la proposition de l'honorable M. de Bronckart, c'est qu'il avait remarqué comme moi que deux ou trois articles venaient d'être votés sans que la Chambre y eût fait la moindre audition. Si l'on avait insisté, je ne crois pas que personne eût pu s'opposer à ce que la séance fût suspendue au moins pendant quelques minutes.

M. le président. - Les quatre premiers articles ont été votés.

M. Delfosse. - Au milieu de l'inattention générale.

M. le président. - Je vous prie, messieurs, de faire attention.

Chapitre II. Pensions et secours

Articles 5 à 7

« Art. 5. Pensions. Premier terme des pensions à accorder éventuellement : fr. 6,000. »

- Adopté.


« Art. 6. Secours à d'anciens employés belges aux Indes, ou à leurs veuves. Charge extraordinaire, : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 7. Secours à d'anciens fonctionnaires et employés ou à leurs veuves, qui, sans avoir droit à la pension, ont néanmoins des titres à l'obtention d'un secours, à raison de leur position malheureuse : fr. 7,000. »

- Adopté.

Chapitre III. Statistique générale

Articles 8 et 9

« Art. 8. Frais de la commission centrale de statistique et des commissions provinciales. Jetons de présence et frais de bureau : fr. 9,000. »

- Adopté.


« Art. 9. Frais de rédaction et de publication des travaux du bureau de statistique générale, de la commission centrale et des commissions provinciales : fr. 5,500. »

- Adopté.

Chapitre IV. Frais de l’administration dans les provinces

Discussion générale

M. le président. - La Chambre passe à la discussion sur l'ensemble du chapitre IV. Frais de l'administration dans les provinces.

M. de Steenhault. - Avant d'entrer dans la discussion, je voudrais savoir de M. le ministre de l'intérieur s'il admet la proposition que fait la section centrale d'accorder une allocation de 32,000 francs, et, dans le cas de l’affirmative, quelle base il compte admettre pour la répartition du crédit.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - (page 462) La section centrale a proposé d'améliorer la position des employés des gouvernements provinciaux. Elle a compris qu'il y avait nécessité de prendre une mesure à cet égard, parce que les traitements de ces employés datent d'une époque où la besogne des administrations provinciales n'avait pas la dixième partie de l'importance qu'elle a aujourd'hui. De plus, tout le monde sait que la vie animale est devenue beaucoup plus chère, de manière que la position des employés provinciaux n'est pas a beaucoup près telle que nos lois administratives voulaient la faire.

Déjà depuis un certain nombre d'années, la Chambre est saisie de demandes réitérées des administrations provinciales. MM. les gouverneurs s'intéressent aussi beaucoup à la position de leurs employés, parce que tous les jours, mieux que nous, ils sont témoins du zèle et de l'intelligence que ces employés déploient dans leur carrière administrative.

Il y a deux ans, messieurs, mon honorable prédécesseur M. Piercot, avait proposé une augmentation de 64,000 fr. sur le crédit des administrations provinciales. Depuis lors, le gouvernement a renvoyé l'examen de cette question à une commission spéciale. Cette commission spéciale avait fait un avant-projet de réorganisation des administrations provinciales.

Elle croyait en effet qu'il ne suffisait pas d'améliorer, sans base aucune de répartition, le sort des employés provinciaux, mais que tout en améliorant cette position, il fallait penser à organiser ; d'après un cadre uniforme, l'administration des diverses provinces. C'était aussi : le vœu exprimé par la plupart des gouverneurs de province.

La section centrale de cette année propose d'augmenter le crédit de la moitié de la somme demandée par mon honorable prédécesseur, c'est-à-dire de 32,000 fr. Mais la section centrale n'admet pas la permanence de cette augmentation. C'est donc une espèce de don une fois fait, pour la distribution duquel on ne propose aucune espèce de base de répartition.

Le gouvernement persiste à croire qu'il vaudrait mieux, dans l'intérêt même des fonctionnaires auxquels la section centrale s'intéresse à bon droit, que l'amélioration de leur position fût subordonnée à la réorganisation des administrations provinciales.

L'avant-projet, tel qu'il a été élaboré par la commission spéciale, a été envoyé à l'avis de MM. les gouverneurs, et en, général ils ont donné leur adhésion aux bases de cette réorganisation. Quelques-uns ont réclamé un nombre plus considérable de fonctionnaires que celui indiqué dans les cadres projetés ; d'autres ont demandé une rétribution plus forte pour certains employés, mais enfin on peut dire que tous les gouverneurs de province ont adhéré à ce projet de réorganisation.

Je pense, messieurs, que cette réorganisation devrait être discutée en dehors du budget. La question a une certaine importance. La Chambre décidera si, à propos du budget, il lui paraît convenable de s'engager dans la discussion de la réorganisation des administrations provinciales d'après l'avant-projet qui se trouve annexé au rapport de la section centrale.

Si la Chambre alloue, en faveur des employés provinciaux, les 32,000 fr. que propose la section centrale, il est évident que le gouvernement pourra en faire, dans les circonstances actuelles, un emploi très convenable. Car il est de fait que beaucoup d'employés provinciaux se trouvent dans une position très précaire, très peu en rapport avec l'importance des travaux qui leur sont imposés et avec l'intelligence dont ils doivent faire preuve.

Mais, je le répète, ce serait avec la pensée que le gouvernement soumettra à la Chambre un projet de réorganisation qui sera discuté par elle à propos de dispositions spéciales à prendre.

Il est vrai que sur le crédit de 800,000 fr. déjà voté par la Chambre, quelques-uns des employés provinciaux ont l'espoir de trouver quelque amélioralion de position. Mais, dans la situation actuelle, en présence des nécessités de la vie, les 32,000 fr. proposés trouveront une destination des plus utiles.

M. Maertens, rapporteur. - (page 457) J'ai demandé la parole pour justifier la proposition que vous fait la section centrale, je l'ai surtout demandée lorsque M. le ministre a dit que la section centrale n'avait jugé convenable que de faire aux employés provinciaux un don tout à fait temporaire qui n'ajoutait pas à la stabilité de leur position.

Cela est parfaitement exact ; votre section regrette vivement de ne pouvoir s'arrêter qu à une mesure temporaire. Elle avait voulu faire quelque chose de définitif, mais elle s'est trouvée dans l'impossibilité de le faire.

L'année derrière, lorsque M'honorable M. Piercot proposa une augmentation de 64,000 francs, la Chambre y opposa une fin de non-recevoir. Elle prétendit que la sommes était trop considérable pour en abandonner la répartition au gouvernement, qu’il fallait attendre un projet de réorganisation. Ce moyen dilatoire écarta de nouveau de légitimes réclamations qui datent de dix ans.

Aujourd'hui, messieurs, votre section, qui était unanime pour améliorer la position tout exceptionnelle de ces fonctionnaires, a cherché un moyen terme qui, sans engager l'avenir, pouvait cependant permettre à la Chambre de faire quelque chose dans l'ntérêt des réclamants, en attendant qu'on organisât définitivement le service des administrations piovinciales.

Partant de ce principe, quelle base fallait-il adopter pour fixer le chiffre ?

La commission centrale se trouvait en présence de deux propositions distinctes ; l'une était celle de l’honorable M. Piercot qui avait été (page 458) repoussée l'année dernière ; l'autre était celle résultant du projet de réorganisation que nous a soumis M. le ministre de l'intérieur.

Quant à ce projet, il a été impossible à la section centrale de savoir jusqu'à quel point il était acceptable ; car ayant été élaboré par une commission spéciale, sans que les gouverneurs eussent été consultés sur son mérite, il est difficile d'en apprécier la valeur ; ces fonctionnaires, en effet, sont le mieux à même de statuer sur les besoins de leurs bureaux.

La section centrale ne pouvant donc accepter le chiffre résultant de ce projet, parce qu'elle ne pouvait se former une idée exacte de la portée du travail, s'est arrêtée au projet de l'honorable M. Piercot qui maintient l'organisation actuelle. Mais, pour ne pas exagérer le chiffre et rester ainsi, par mesure temporaire, en dessous de la réalité des besoins, elle vous a proposé le chiffre de 32,000 fr.

Sans doute, lorsqu'il s'agira d'arrêter une organisation définitive, ce chiffre ne sera peut-être pas suffisant. Mais la Chambre aura prouvé qu'elle veut faire quelque chose en satisfaisant aux besoins les plus urgents.

M. Thibaut. - Les explications que vient de donner l'honorable rapporteur de la section centrale ne me paraissent pas concorder de tous points avec ce qui se trouve inséré dans le rapport.

L'honorable M. Maertens vient de le dire, il est convaincu que l'augmentation de 32,000 fr. proposée pour les administrations provinciales ne suffira pas pour satisfaire à tous les besoins en cas de réorganisation.

Cependant, messieurs, vous pouvez lire dans le rapport de la section centrale que le membre qui a proposé de n'allouer qu'un crédit supplémentaire de 32,000 fr. et de le porter dans la colonne des charges temporaires, s'est appuyé sur ce qu'il espérait qu'il y aurait des économies à faire lors d'une réorganisation ; lesquelles économies porteraient d'abord sur l'administration centrale pour descendre ensuite aux administrations provinciales. Dans l'opinion de cet honorable membre, il y aurait donc lieu prochainement plutôt à diminuer le crédit qu'à l'augmenter.

La section centrale a fait siennes ces observations. Donc, dans la pensée de la section centrale, l'augmentation de crédit ne peut être que momentanée et n'est motivée que sur l'état actuel des choses.

Que nous arrivions à une diminution de dépenses, messieurs, je crois que la chose est assez difficile, car, en général, les chefs des départements ministériels ne sont pas disposés à restreindre leur sphère d'aciion ni à diminuer le nombre d'employés qui se trouvent sous leurs ordres, non plus que les appointements qui ont été une fois portés au budget ; mais ne poussons pas au moins à de nouvelles dépenses et faisons attention que si nous ajoutons 32,000 fr. au crédit normal, ce supplément deviendra lui-même permanent et sera plutôt un encouragement vers une réorganisation qui, loin de réduire les écritures, et de simplifier les rouages administratifs, maintiendra l'état de choses dont on se plaint.

Je pense donc, messieurs, que, comme le proposait d'abord M. le ministre de l'intérieur, il conviendrait d'attendre le travail que le gouvernement doit arrêter sur les administrations provinciales, avant d'apporter quelque changement au chiffre ordinaire du budget.

Cependant M. le ministre, dans la deuxième partie de son discours, a insisté sur l'insuffisance de la rétribution d'une foule d'employés des gouvernements provinciaux et sur les besoins extraordinaires que ces employés éprouvent dans les circonstances que nous traversons.

Sous ce rapport, il n'échappera pas à l'attention de la Chambre que nous avons voté, il y a peu de temps, une loi qui accorde un crédit de 800,000 fr. pour venir en aide aux employés inférieurs de l'Etat. Je crois que les employés provinciaux ne doivent pas être écartés de la répartition de cette somme. Dans une pétition qu'ils nous ont adressée, les employés du gouvernement provincial de Liège expriment même l'espoir de voir attribuer à cette catégorie de fonctionnaires un huitième de ce crédit de 800,000 fr., soit 100,000 fr. Cela vaudrait beaucoup mieux pour eux que les 32,000 fr. proposés par la section centrale dans le même but, c'est-à-dire pour venir en aide à des besoins urgents et momentanés. Je pense donc qu'il n'est pas nécessaire d'augmenter cette année-ci le crédit destiné aux administrations provinciales.

Je bornerai là, messieurs, mes observations.

M. de Steenhault. - Je crois, messieurs, que l'honorable M. Thibaut et l'honorable ministre de l'intérieur se sont trompés tous deux sur les intentions de la section centrale. La section centrale avait démandé au gouvernement s'il adoptait le projet de règlement ; le gouvernement ne nous a jamais répondu d'une manière positive ; nous n'avons jamais pu savoir s'il admettait les bases posées dans ce règlement. S'il les faisait siennes dans cet état de choses et devant l'insuffisance constatée du crédit, il ne restait à la section centrale qu'à fixer un chiffre et quel chiffre pouvait-elle fixer ? Nous ne pouvions pas en choisir un qui fût trop élevé, par exemple celui de 60,000 fr. proposé par M. Piercot, parce qu'il pouvait se faire que ce chiffre excédât les besoins réels.

Nous devions donc nous renfermer dans les limites les plus étroites, et c'est pour cela que nous avons proposé la somme de 32,000 fr., que du reste nous savons parfaitement être insuffisante pour l'avenir.

Maintenant M. le ministre dit qu'il serait inopportun d'accorder ce crédit sans qu'il y ait un règlement. Eh bien, j'adhérerais à sa manière de voir s'il voulait s'engager virtuellement aujourd'hui à nous proposer d'ici à peu de temps un règlement.

Je crois qu'il doit être à même de le faire : il a reçu des renseignements de tous les gouverneurs et la question doit être parfaitement éclaircie. Je lui demanderai cependant de ne pas s'en rapporter à la commission, qui a fait un travail que, pour ma part, je ne puis admettre.

Si M. le ministre ne croyait pas pouvoir prendre cet engagement, je lui demanderais d'admettre les 32,000 francs et d'en faire la répartition au marc le franc des traitements actuels. On ferait ainsi, cette année, quelque chose pour les employés des gouvernements provinciaux, et rien ne serait préjugé pour l'avenir.

Je laisse à M. le ministre le choix entre les deux modes que je viens d'indiquer.

M. Vander Donckt. - Messieurs, je viens joindre ma voix à celle de la section centrale en ce qui concerne l'augmentation proposée. Jusqu'ici aucun des honorables membres qui ont pris la parole n'a fait valoir la nécessité d'augmenter le traitement des employés provinciaux.

M. de Steenhault. - Elle est prouvée depuis cinq ou six ans.

M. Vander Donckt. - Permettez ; il y a nécessité, il y a urgence à le faire, et peu de mots suffiront, messieurs, pour vous en convaincre.

Depuis peu d'années la législature a voté un grand nombre de lois qui ont augmenté les rouages de l'administration centrale qui a été convenablement organisée et rétribuée dans cette proportion, tandis que les administrations provinciales sont restées, sous le rapport du nombre et du traitement, dans un abandon complet et sans amélioration aucune dans leur position.

Or, messieurs, quand on augmente le travail au centre, évidemment il rayonne sur les administrations provinciales, sur les arrondissements et sur tout ce qui concerne l'administration, voire même l'administration des communes. Vous avez vu, messieurs, combien de pétitions vous ont été adressées par les secrétaires communaux, toujours basées sur l'augmentation graduelle et incessante du travail de ces fonctionnaires.

Messieurs, les administrations provinciales ne sont pas toutes les mêmes ; il y en a quelques-unes et je n'hésite pas à le dire, ce sont surtout celles du Brabant, du Hainaut, de la Flandre orientale et de Liège, ces quatre provinces, messieurs, ne sont pas administrées aujourd'hui, sous le rapport des fonctionnaires subalternes, conformément à la mesure des travaux et des besoins qui y existent.

C'est de là, comme l'a dit l'honorable rapporteur, que résultent les réclamations incessantes pour que les administrations provinciales soient mieux rétribuées et qu'on puisse conserver des hommes de quelque valeur et capables. En effet, messieurs, lorsqu'on rétribue d'une manière trop parcimonieuse les fonctionnaires et employés, les meilleurs abandonnent la carrière administrative, et en définitive, vous n'aurez plus de fonctionnaires de l'administration provinciale capables. Aucun jeune homme capable ne veut plus entrer dans cette carrière, oui il ne voit pas d'avenir, où il se voit condamné à végéter dans une position inférieure à celle qu'il pourrait obtenir dans le commerce ou dans toute autre branche d'administration. Voilà pourquoi j'appuie la proposition de la section centrale ; voilà pourquoi je demande qu'en attendant qu'on puisse faire mieux, on fasse au moins quelque chose.

(page 462) M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, on a insinué tout à l'heure que l’avant-projet élaboré par une commission spéciale est un travail qui doit inspirer peu de confiance à la Chambre. Cependant, cette commission était composée d'hommes parfaitement compétents, notamment de greffiers provinciaux et de fonctionnaires supérieurs du département de l'intérieur, qui s'occupent spécialement de ces sortes de questions.

La commission a dû se préoccuper, d'abord, des positions diverses dans lesquelles se trouvent actuellement les employés provinciaux. En effet, l'organisation des bureaux dans les gouvernements provinciaux, diffère d'une province à l'autre. La première question était donc de savoir s'il convenait de maintenir ces différences ou d'établir des cadres uniformes : et en supposant qu'on adoptât des cadres uniformes, il y avait lieu d'examiner combien il fallait relativement de titulaires pour chaque grade dans les différentes provinces. La commission'a débattu toutes ces questions dans un travail qui est déposé sur le bureau de la Chambre et qui a donné lieu à l'avant-projet annexé au rapport de la section centrale.

Le travail de cette commission peut n'être point parfait à tous égards ; il est sans doute susceptible d'améliorations que de nouvelles études pourraient provoquer ; mais, comme je le disais tout à l'heure, j'ai demandé, tout récemment encore, l'avis de MM. les gouverneurs sur ce projet de réorganisation, et ils ont cru pouvoir généralement y donner leur adhésion.

Dans cet état de choses, le gouvernement peut s'engager à présenter dans le cours de cette session ou au commencement de la session procaine, un projet d’organisation définitive. Dans l’intervalle, je pourrai (page 463) faire examiner de nouveau le travail par les administrations provinciales.

Tout le monde gagnera à une organisation définitive. Et d'abord, MM. les gouverneurs, pour qu'on ne les soupçonne pas de chercher à abuser de la liberté dont ils jouissent par rapport aux promotions et aux traitements de leurs employés.

Et puis, ces employés eux-mêmes, car il est bon que les cadres soient bien réglés et que les conditions d'avancement soient stipulées d'une manière précise, que les traitements soient équitablement fixés, afin que les employés trouvent des garanties suffisantes pour leur avenir.

En attendant la présentation de cette organisation définitive, le gouvernement prend volontiers l'engagement de distribuer le crédit de 32,000 fr. au mare le franc des crédits accordés à chaque province. C'est, à la première vue, le mode de distribution le plus équitable.

(page 458) M. Prévinaire. - Messieurs, après ce que vient de dire M. le ministre de l'intérieur, j'ai peu de chose à ajouter.

Il est évident que la somme que la Chambre est disposée à voter ne peut avoir que le caractère d'un crédit temporaire. Les éléments manquent à la Chambre pour faire quelque chose de définitif. L'opinion paraît être généralement admise qu'il y a quelque chose de sérieux à faire pour les employés des provinces. J'ai entendu avec beaucoup de plaisir M. le ministre de l'intérieur exprimer l'intention de décréter un règlement qui fixera d'une manière plus certaine l'avenir des employés provinciaux.

Je ne crois pas que l'honorable M. Thibaut insiste sur l'idée qu'il a émise tout à l'heure ; dans ce système, vous ne pourriez pas venir au secours des employés appartenant à une certaine catégorie.

Dans les provinces, tous les employés sont trop mal rétribués. Aujourd'hui que les exigences de la vie sont complètement modifiées, il y a quelque chose de plus sérieux à faire que ce que nous sommes dans l'intention de faire à présent.

M. le ministre de l'intérieur nous a entretenus d'un projet d'organisation. C'est son affaire. La Chambre n'a pas à s'immiscer dans l'examen de ce projet... Je vois des membres faire des signes de dénégation ; mais sans aucun doute il entre dans les attributions de M. le ministre de l'intérieur d'organiser les bureaux des gouvernements provinciaux, comme il l'entend, sauf à lui à justifier ses actes et a obtenir les credils nécessaires.

Messieurs, il y a, dans l'administration provinciale, des éléments très différents selon les provinces. Dans telles provinces, on s’occupe d'affaires auxquelles d'autres administrations provinciales sont étrangères ; je citerai notament les affaires de mines. J'engagerai M. le ministre de l'intérieur à ne pas admettre le même nombre de divisions dans chacune des administrations provinciales.

Je l'engagerai à augmenter le taux maximum, qui est indiqué pour le traitement de chef de division. Dans mon opinion, la qualité vaut (page 459) mieux que le nombre. Or, pour avoir la qualité, il faut payer convenablement. Un excellent chef de division ne recevrait certainement pas trop, si on lui donnait un traitement maximum de 5,000 fr.

Dans le projet d'organisation, inséré à la suite du rapport de la section centrale, je vois figurer des traitements qui peuvent varier de 400 à 1,600 fr. pour les expéditionnaires. C'est une dérision. Comment voulez-vous qu'un expéditionnaire âgé puisse se contenter d'un semblable traitement ?

Je reviens à ce que je disais ; mieux vaut diminuer le nombre des employés, augmenter le traitement de ceux qui restent et exiger d'eux plus de travail.

Il est donc bien entendu que ce que nous faisons aujourd'hui n'est qu'une manifestation de la part de la Chambre, manifestation qui a pour but d'encourager le gouvernement à persister dans la voie où il est entré, et à demander plus tard les crédits nécessaires pour élever les traitements des employés provinciaux à un taux convenable, en rapport avec le travail dont les employés seront chargés.

(page 463) - M. Wasseige. - Messieurs, l'intention de la section centrale en proposant d'accorder une augmentation de 32,000 francs pour les administrations provinciales, a été de faire dès cette année quelque chose en faveur de ces administrations et en même temps de stimuler le gouvernement pour qu'il arrête le plutôt possible une organisation définitive. La section centrale aurait désiré pouvoir arriver à ce résultat dès cette année, elle aurait voulu pouvoir se prononcer snr le projet d'organisation qui se trouve dans les annexes de son rapport, pour ne pas devoir revenir constamment sur des demandes d'augmentation ; mais elle n'a pas pensé pouvoir, à propos du chiffre d'une allocation, décider une question aussi importante et donner ainsi son approbation au projet d'organisation qui lui a été soumis par le gouvernement. C'est parce qu'elle n'a pas cru pouvoir décider incidemment une question aussi grave, qu'elle n'a pas voulu voter la somme suffisante pour le mettre à exécution. Mais elle a voulu mettre le gouvernement en demeure de présenter un projet complet en faisant droit aux plaintes qui se sont élevées de tous côtés à raison de l'insuffisance des traitements des employés provinciaux.

Je vois avec plaisir que le gouvernement entre dans cette voie et se propose de nous soumettre dès cette année un projet d'organisation définitive.

La section centrale a pensé qu'en allouant 32 mille francs, c'était assez pour engager le gouvernement à présenter cette organisation et pas assez pour mettre a exécution le projet incomplet qu'il nous a soumis ; elle a pensé que cette allocation était nécessaire parce que les traitements des employés provinciaux sont réellement insuffisants et que sans cela ils seraient encore restés tels pendant toute cette année. Elle a voulu leur venir en aide sans rien préjuger.

Quant à la répartition des 800 mille francs, cette répartition n'atteint qu'un petit nombre d'employés, et ce sont les traitements en général, ceux des employés supérieurs comme les autres, qui sont insuffisants, et c'est pour parer en partie et de suite à cette insuffisance que la section centrale a voté les 32 mille fr.

Un autre motif pour lequel elle n'a pas voulu se prononcer sur le projet d'organisation, c'est que selon elle on aurait dû le soumettre à l'avis des gouverneurs et des députations permanentes et en faire l'objet d'une étude sérieuse à laquelle on ne pouvait pas se livrer à propos du budget.

Sur le projet même d'organisation, j'aurais des observations très fondées à faire quant à la position qu'y occupe la province de Namur.

Vous voyez, messieurs, qu'elle y est placée sur la même ligne que les provinces morcelées de Limbourg et de Luxembourg. C'est là une position injustifiable pour la province de Namur qui, par son importance administrative, peut être comparée à toutes les autres ; pour le nombre des communes elle vient immédiatement après le Hainaut, elle en compte 346, le Hainaut seul en a davantage.

Enfin, quant à l'étendue du territoire, le nombre et l'importance des affaires soumises à l'administration provinciale, elle peut certes occuper le même rang que les provinces d'Anvers et de Liège.

La plupart des communes de la province de Namur sont riches en bois et en biens communaux, les questions de partage, de pâture, la distribution des affouages en nature, sont les plus compliquées et celles qui donnent le plus de besogne aux administrations provinciales ; les extractions de minerai s'y multiplient tous les jours encore, à tel point que la province de Namur fournit 71 p. c. de tout le minerai qui s'extrait en Belgique ; tous ces faits donnent à l'administration de cette province une importance que j'engage M. le ministre de l'intérieur à bien peser dans l'examen du projet d'organisation définitive.

Tels sont en résumé, messieurs, les motifs qui ont engagé la section centrale à allouer 32 mille fr. d'augmentation sans se prononcer sur un projet qu'elle n'était pas à même d'apprécier. Elle a voulu mettre le gouvernement en demeure de présenter le plus tôt possible ce projet et, en attendant, accorder dès cette année, aux employés provinciaux une amélioration de position à laquelle ils ont un droit si légitime.

(page 459) M. Magherman. - Je remarque une différence assez notable entre les allocations attribuées aux diverses provinces pour les employés et gens de service. L'allocation accordée à la province de Brabant est de 49,575 fr. ; c'est la province la plus importante du pays puisqu'elle est le siège de la capitale ; l'allocation pour la province de Flandre orientale est de 45,000 fr., c'est la province la plus populeuse du pays, par conséquent elle doit donner lieu au traitement d'un grand nombre d'affaires ; pour le Hainaut l'allocation est de 52,840 fr. La province de Hainaut est moins importante que les précédentes sous le rapport de la population ; peut-être y a-t-il un surcroît de travail à raison des nombreuses mines dont cette province est le siège.

Mon intention en prenant la parole était de demander si la différence que je signale entre les allocations affectées aux diverses provinces provenait de l'importance relative du travail que présentait l'administration de chacune d'elles, ou des systèmes différents qui ont présidé à leur organisation.

M. le ministre vient de dire que l'organisation n'était pas identique dans les différentes provinces ; c'est peut-être là ce qui explique ces différences.

Si l'identité n'existe pas dans l'organisation administrative des provinces, il convient de l'établir, lorsque la réorganisation aura lieu ; sans cela la différence d'organisation entraînera l'inégalité des allocations qui se traduit en un travail plus ou moins rétribué dans les différentes provinces et une inégalité de position pour les employés. Je comprends qu'il puisse y avoir une différence entre les allocations accordées aux provinces quand elle est motivée par un travail plus considérable qu'occasionnent l'industrie, les mines ou d'autres circonstances qtte le gouvernement aura à apprécier, mais toujours est-il qu'il faut adopter une base identique, uniforme pour l'organisation des bureaux, si l'on ne veut pas s'exposer à commettre des injustices.

M. Moncheur. - Il est temps de faire quelque chose pour améliorer la position des employés des administrations provinciales ; vous n'ignorez pas que le traitement de ces fonctionnaires est encore ce qu'il était en 1815, et que, cependant, depuis lors, leur travail est triplé. Nous devons donc nous hâter de les rétribuer un peu convenablement, et il est même trop tard, pour avoir été justes, de voter une somme qui vienne améliorer un peu le sort de ces employés. Il y a presque de l’inhumanité à exiger d'eux le travail auquel on les astreint et à les payer si misérablement. C'est plus qu'une injustice, dirai-je avec certain diplomate, c'est une faute au point de vue de l'administration, car les personnes qui, dans le commerce ou l'industrie, ont besoin d'employés, les payent en raison du travail qu'ils peuvent faire et des capacités qu'ils possèdent, et il arrive que les bons employés acceptent les places qu'ils trouvent dans les établissements particuliers, par la raison fort simple qu'on leur donne des traitements doubles de ceux que l'administration peut leur offrir.

Si des employés de valeur briguent des places dans l'administration, c'est parce qu'ils espèrent plus de stabilité dans cette position qu'ailleurs, c'est qu'ils comptent être à l'abri des caprices ou des revirements qui peuvent se produire dans des positions particulières. Sans cela, messieurs, au point de vue des émoluments, vous ne conserveriez pas de bons employés dans les administrations provinciales, et bientôt, si on n'y met ordre, la pénurie s'en fera sentir.

Quant aux bases de la classification des provinces, quant aux émoluments de leurs employés, je trouve qu'il ne peut y en avoir qu'une seule : c'est l'importance du travail. Ce n'est donc pas au chiffre de la population des provinces qu'on doit avoir égard, mais au travail que leur administration exige.

Ainsi, une province qui fourmille d'établissements industriels de tous genres, qui possède, par exemple, une grande quantité de minières, de charbonnages ou d'usines, où l'extraction des métaux a lieu sur une large échelle, une semblable province donne beaucoup plus d'ouvrage que celle qui est composée, en grande majorité, d'agriculteurs ou de tisserands, d'habitants en un mot qui appartiennent à des professions qui ne donnent pas lieu à ces graves, difficiles et nombreuses questions qui surgissent à chaque instant dans les provinces dont je viens de parler.

En outre, il est évident que dans les provinces où il existe un grand nombre de propriétés communales, il y a bien plus de difficultés à administrer les communes qui les possèdent, que dans celles qui, comme les provinces flamandes où celle d'Anvers, sont dépourvues de bien communaux.

Je dis donc que la base véritable, la seule base rationnelle du classement des provinces eu égard au nombre des employés et à leur salaire, c'est le travail.

Or, à ce point de vue, je dois le dire, le projet qui se trouve annexé au rapport de la section centrale a complètement méconnu cette base, car si elle avait été prise en considération d'une manière équitable, il est certain que la province de Namur ne s'y trouverait pas classée, comme elle l'a été, parmi les dernières.

En effet, il y a dans cette province une foule de ces industries que je viens d'énumérer, et, pour ne parler que des minières, vous le concevrez facilement, messieurs, lorsque vous saurez que la province de Namur contribue dans la proportion de plus de 71 p. c. à la production de toutes les mines métalliques qui sont consommées en Belgique.

Eh bien, croiriez-vous, messieurs, que dans cette province, au lieu d'augmenter le nombre des employés, ou du moins de le laisser intact, on l'a réduit, de sorte qu'au lieu de quatre chefs de division et de quatre chefs de bureau, on n'en propose plus que trois, et au lieu de les rétribuer convenablement on ne leur promet qu'un salaire insuffisant !

J'appelle donc l'attention la plus sérieuse de l'honorable ministre de l'intérieur sur ces considérations qui se résument en ceci : examiner très sérieusement et de bonne foi quelle est l'importance du travail administratif elle rétribuer comme il doit l'être.

Je voterai, en attendant mieux, pour la somme proposée par la section centrale.

M. de Bronckart. - Je n'insisterai pas sur la nécessité de venir en aide anx employés provinciaux. Cette nécessité me semble parfaitement reconnue par la Chambre, par la section centrale et par l'honorable ministre de l'intérieur lui-même. Je me borne donc à prendre acte de la déclaration de l'honorable ministre. Il a promis de présenter soit dans cette session, soit au commencement de la session prochaine, un arrêté organique, sans lequel toute allocation quelconque serait impuissante à réaliser l'amélioration que nous poursuivons tous.

Je prends acte de la déclaration de l'honorable ministre, et je le prie, lorsqu'il consultera les gouverneurs de province sur le mérite du règlement qu'il se propose de faire, de consulter les députations permanentes, qui étant continuellement en rapport avec les bureaux pourront donner les renseignements nécessaires.

Je ne demande pas davantage.

Je voterai les 32,000 francs, à la condition que le ministre prenne l'engagement de les répartir entre les employés au marc le franc des traitements actuels.

M. Rousselle. - Je suis tout à fait d'accord avec l'honorable M. Moncheur, que c'est le travail qu'il faut salarier, et que c'est selon l'importance du travail qu'il faut répartir les sommes mises à la disposition du gouvernement. Mais l'organisation actuelle, qui dure depuis nombre d'années, ne récompense pas le travail avec égalité. Le projet qu'avait rédigé l'honorable M. Piercot ne le récompense pas davantage, et celui qui est annexé au rapport de la section centrale serait sujet à beaucoup de critiques.

Je prie l'honorable ministre de l'intérieur de vouloir bien soumettre cette organisation à de nouvelles études.

Il a dit tout à l'heure qu'il avait institué une commission composée en général des greffiers provinciaux. Je ne le conteste pas.

Cependant, je ferai remarquer que la province de Hainaut, qui est celle qui a réclamé le plus instamment depuis un grand nombre d'années pour l'amélioration de la position des employés des administrations provinciales, n'a pas été représentée dans la commission par son greffier.

Je ne puis donc admettre la répartition, au marc le franc des traitements actuels, de la somme de 32,000 francs proposée par la section centrale, et j'engage l'honorable ministre de l'intérieur à faire la répartition d'après les besoins qu'il aura constatés par les études auxquels il va se liver.

Je voterai cette somme. J'espère que M. le ministre de l'intérieur pourra au budget de 1857 nous soumettre l'arrêté relatif à cette réorganisation ; car, d'après moi, cette matière doit être réglée non par une loi, mais par un arrêté royal, sauf à nous à voter les fonds nécessaires pour couvrir les dépenses résultant de cette réorganisation.

M. Thibaut. - Messieurs, je regrette de ne pas être d'accord avec les honorables préopinanls. Mais je dois bien insister.

Il me semble, messieurs, que la Chambre est dans ce moment d'une extrême générosité. J'en suis à regretter que la Chambre n'ait pas à s'occuper immédiatement de la proposition que j'ai eu l'honneur de faire avec plusieurs de mes collègues et qui tend à obtenir un crédit en faveur des populations ardennaises pour distribution de chaux à prix réduit. Je suis persuadé que la Chambre s'y montrerait complétement favorable en ce moment. Messieurs, la proposition que fait la section centrale, d'accorder aux employés des gouvernements provinciaux une allocation supplémentaire de 32,000 francs, ne fixe aucune règle de distribution. Certains employés provinciaux recevront une indemnité sur cette allocation et une autre indemnité sur le crédit de 800,000 francs voté par la législature. Je crois au moins que M. le ministre de (page 460) de l’intérieur n'est pas disposé à exclure de la répartition du crédit de 800,000 franés, les employés des administrations provinciales.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Les employés inférieurs, oui !

M. Thibaut. - Jusqu'au traitement de 1,500 fr. les employés sont considérés comme inférieurs et prendront part à la répartition du crédit de 800,000 fr. Ainsi des employés, jouissant d'un traitement de 1,500 fr. recevront deux indemnités, l'une sur le crédit de 800,000 fr. l'autre sur le crédit de 32,000 fr.

M. Moncheur. - Ils n'auront pas encore trop.

M. Thibaut. - Je ne dis pas qu'ils auront trop, mais quand on les indemnise deux fois, on les indemnise une fois de trop, puisque les deux indemnités sont données par le même motif, c'est-à-dire pour venir en aide aux employés chargés d'une famille nombreuse qui souffrent de la crise alimentaire,

M. Moncheur. - Non, l'allocation de 32,000 fr. est accordée à tous en attendant une augmentation normale.

M. Thibaut. - La section centrale propose de la porter à la colonne des dépenses extraordinaires et ne l'applique qu'aux employés dont les besoins sont urgents.

Quel est, en effet, l'intitulé de l'article ? « Supplément des crédits affectés au traitement des employés et gens de service, à répartir entre les provinces, suivant les besoins les plus urgents ». On s'est donc attaché aux besoins urgents. Eh bien, pour les besoins urgents nous avons voté 800,000 francs.

Ensuite on convient que ce complément de crédit devra devenir permanent ; j'avais eu l’honneur d'appeler l'attention de la Chambre sur cette considération. J'ai dit que les crédits une fois portés au budget deviennent presque toujours permanent, et j'ajoutais aussi que les explications de la section centrale, consignées dans son rapport, protestent contre cette prétention de rendre le crédit permanent, puisque la section centrale pense qu'il est possible de réduire les frais de l'administration centrale ainsi que les frais des administrations inférieures. Nous voilà, messieurs, bien loin des économies tant prônées en d'autres circonstances.

M. Manilius. - Messieurs, je viens à mon tour appuyer et je voterai l'augmentation de 32,000 fr. proposée pour les employés provinciaux. Mais ce n'est pas pour faire cette déclaration que j'ai surtout demande la parole.

La nécessité d'une organisation nouvelle, établie par une loi, est reconnue de tous. M. le ministre lui-même l'a reconnue. Mais si j'ai bien compris ce qu'il nous a dit, il ne soumettra un projet de loi à la Chambre que pour autant que celle-ci en témoigne le désir. Je ne crois pas que l'honorable ministre veuille à cet égard un vote de la Chambre, et je pense qu'il suffira du vœu manifesté par les précédents orateurs pour qu'on nous saisisse de ce projet, non pas dans un an ou deux, mais dans la session actuelle. Le désir de la Chambre me paraît parfaitement clair. Cependant si.M. le ministre en doutait, je proposerais à la Chambre de se prononcer par un vote.

Voilà tout ce que je voulais dire. Je voterai les 32,000 fr. Je ne réclame pas contre le double emploi qui résultera de la répartition de ce crédit en même temps que de celui de 800,000 fr., parce que, malgré le double emploi, les petits fonctionnaires n'auront rien de trop.

M. Lelièvre. - J'appuie les observations que vous a présentées mon honorable collègue M. Wasseige et je ferai observer que dans le projet d'arrêté organique des bureaux des administrations provinciales la province de Namur est entièrement sacrifiée. On la place sur la même ligne que les provinces morcelées de Limbourg et de Luxembourg. Mais on perd de vue que l'importance de province de Namur peut à juste titre être assimilée à celle d'Anvers, de Liège et même des deux Flandres. En effet la province de Namur, quoique ayant une population moindre que celle de ces dernières provinces, présenle des difficultés administratives qu'on ne rencontre pas ailleurs.

Si les détails sont les mêmes que partout, le développement qu'a pris chez nous depuis qutlques années l'industrie, le grand nombre de houillères, de carrières de marbre, de terres plastiques et les exploitations multipliées de minerais de fer, qui à elles seules donnent 71 p. c. des minerais consommés en Belgique ; les questions si compliquées que suscitent l'administration des biens communaux, les partages, les droits d'affouage, les 346 communes disséminées sur son territoire, l'application de la loi sur l'instruction primaire dans un si grand nombre de communes qui n'est dépassé que dans la province de Hainaut ; l'extension hors ligne des travaux de la voirie vicinale ont amené une augmentation de travail, un surcroît de besogne dont on ne voit d'exemple dans aucune autre province.

Un point important qui ne doit pas être perdu de vue, c'est le nombre des communes qui est de 346, tandis qu'il n'est que de 146 dans la province d'Anvers, de 334 dans celle de Brabant, de 247 dans la Flandre occidentale, de 294 dans la Flandre orientale, de 339 dans la province de Liège, de 201 dans le Limbourg, de 195 dans le Luxembourg. Le Hainaut seul surpasse la province de Namur, sous ce rapport ; le nombre est de 425.

A la vérité nos communes sont peu populeuses, mais ce serait une erreur de croire que l'administration y rencontre moins d'obstacles. Moins les habitants sont nombreux, moins il y a de chances d'y rencontrer des hommes ayant une instruction suffisante pour gérer convenablement les affaires administratives.

Or, de l'incapacité des administrateurs communaux résultent nécessairement des difficultés sans nombre pour l'instruction des affaires. On peut affirmer avec fondement qu'en fait une commune populeuse occasionne à l'administration provinciale moins de besogne qu'une petite commune, et on maintient à juste titre que relativement aux autres provinces celle de Namur se trouve, sous le rapport de l'allocation pour le personnel des employés, dans un état d'infériorité que rien ne justifie et qui ne pourrait être maintenu sans injustice.

En examinant la position faite aux employés par le projet d'arrêté organique, on voit que des provinces d'Anvers, de Flandre occidentale de Flandre orientale et de Liège, la première obtiendrait 51,800 fr., la seconde 55,550fr., la troisième 47,900 fr., et la quatriême 51,314 fr., tandis que Namur n'aurait que 39,030 fr. C'est là une inégalité qu'il est équitable de faire disparaître.

Lorsque le gouverneur de la province de Namur a été appelé à émettre une proposition relativement à la réorganisation de l'administration provinciale, son but était d'assurer tout à la fois la marche régulière du service et de sauvegarder les intérêts du trésor.

La somme de 5,980 francs qu'il demandait, bien inférieure à celle réclamée par les aulres gouverneurs ei notamment par celui de la province d'Anvers qui sollicitait 7,000 francs seulement et qui en obtiendra 10,800 francs, était basée sur les principes d'une stricte économie ; mais au lieu d'avoir égard à ses propositions, on réduit le personnel de la province de Namur à trois chefs de division, trois chefs de bureau, trois commis de première classe, et trois commis de deuxième classe,, et on lui alloue une augmentation de 3,030 francs seulemeut. Or, le personnel de l'administration provinciale se composant de vingt-sept employés, et cette augmentation ne protitant qu'à trois chefs de division et à pareil nombre de chefs de bureau, il ne resterait qu'une modique somme de 550 fr. à répartir entre 21 employés, dont les traitements, eu égard à la cherté de la vie, sont tout à fait insuffisants.

Pour prouver qu'on ne pourrait réduire le nombre des employés sans s'exposer à entraver le service, il suffira de faire remarquer que le chiffre de 15,000 à 16,000 affaires inscrites en 1830 à l'indicateur général, alors que les administrations de l'enregistrement et des contributions directes étaient réunies à l'administration provinciale, s'élèvent aujourd'hui en moyenne à 28,000, sans y comprendre les budgets et les comptes des communes et des bureaux de bienfaisance, les lettres de rappel et les demandes de certificats, etc.

La besogne est donc plus que doublée depuis cette époque, et les nécessités de la vie considérablement augmentées ; cependant les traitements des employés sont restés les mêmes.

Il est donc évident que le projet d'organisation place les employés de Namur dans une infériorité telle, qu'il serait impossible de le mettre à exécution.

A mon avis, la formation des bureaux devrait êlre faite de la manière suivante :

4 chefs de division, fr. 12,000.

4 chefs de bureau, fr. 9,600.

4 commis de première classe, fr. 6,400.

2 commis de deuxième classe, fr. 2,600.

3 commis de troisième classe, fr. 1,600.

12 expéditionnaires au traitement moyen de 600 francs, fr. 7,200.

Huissiers de salle, fr. 2,580.

Total : fr. 41,980.

Tel est l'état de choses sur lequel j'appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur qui, j'en suis convaincu, considérera les observations qui précèdent comme conformes à l'équité et à la justice administrative. Elles recevront bien certainement un accueil favorable.

M. de Steenhault. - Je répondrai seulement deux mots à ce qu'a dit l'honorable M. Thibaut qui trouve dans les 800,000 fr. un motif du rejet des 32,000 fr. Je crois que dans les administrations provinciales il y aura assez de petits employés qui n'ont que 300 à 400 fr. pour qu'on ne craigne pas de leur donner de deux côtés. Avec ce qu'ils recevront, ils n'auront encore qu'un traitement très insuflisant, et cela est si vrai que ces 32,000 fr. ne sont que la moitié de la somme qui devra être allouée plus tard.

Je ne suivrai pas les honorables membres qui viennent de parler des bases qu'il faut admettre pour l'organisation des bureaux des administrations provinciales. Je dirai seulement que je suis d'accord avec eux quand ils disent que le travail doit être la première des bases.

Mais je prendrai la liberté de faire observer à M. le ministre de l'intérieur que la commission qui a fait le travail que vous avez sous les yeux me paraît avoir très mal envisage la question à ce point de vue et quelle ne s'est pas rendu parfaitement compte des besoins de chaque province. Pour la province de Brabant, il y a des erreurs tellement flagrantes, que je ne comprends pas comment elles ont été commises.

Ainsi, par exemple, on n'accorde pas une obole pour les commis de troisième classe, et cependant il y en a onze. On les passe complètement sous silence. Ou accorde une augmentation pour les employés expéditionnaires, comme s'il n'y en avait que trois. Ce chiffre de trois est celui (page 461) qu'admet le projet de la sous-commission. Mais au lieu de trois, il y en a dix, dont six qui, aujourd'hui encore, ne reçoivent pas un sou. Ce sont des jeunes gens de bonne volonté que l'honorable M. Liedts a été obligé de recruter en ville et qui sont venus travailler sous la promesse d'obtenir un traitement dans un temps donné, et je crois qu'il y en a qui travaillent depuis 6 à 7 ans et qui n'ont encore rien reçu.

Il y a une troisième erreur : c'est que dans l'augmentation proposée, on calcule comme s'il n'y avait au gouvernement provincial que trois divisions. Effectivement par la simplification des rouages administratifs M. Liedts est parvenu à n'avoir que trois divisions, plus un chef de comptabilité. Mais ce chef de comptabilité n'a qu'un employé, et notez qu'il a dans ses attributions toute la comptabilité de la province. Or, la province de Brabant a un budget aussi élevé que la moitié du budget de l'intérieur, et je crois qu'au budget de l'intérieur le nombre des employés, pour la comptabilité, est de 8 ou 10.

Si l'honorable gouverneur du Brabant a diminué le nombre des chefs de division et des chefs de bureau, il serait injuste de rendre ses employés victimes de la mesure qu'il a prise et que d'autres feraient bien de prendre pour exemple. Si leur nombre est diminué, la besogne des autres est augmentée dans une notable proportion.

Je crois donc que les bases indiquées dans le projet communiqué à la section centrale ne sont pas celles qui doivent être adoptées pour avoir une organisation complète et juste. Selon moi, ce qu'on pourrait faire de mieux, ce serait de réunir MM. les gouverneurs eux-mêmes.

Il n'y aurait à cela aucun inconvénient, et ils sont les meilleurs appréciateurs des besoins de leur administration. De cette manière, vous auriez un projet qui satisferait d'abord MM. les gouverneurs et ce projet arriverait ici avec des données assez certaines pour oue nous pussions y trouver une garantie, sous le rapport administratif et sous le rapport financier.

M. Delfosse. - Je ne voterai pour le crédit proposé par la section centrale que parce qu'il est temporaire, et parce que M. le ministre de l'intérieur a pris l'engagement de le répartir au marc le franc des traitements actuels, d'abord entre les provinces et ensuite entre les employés de chaque province.

Quant au crédit qui devra être accordé d'une manière définitive, j'attendrai, comme mes honorables collègues, le projet de réorganisation qui nous est annoncé par le gouvernement. S'il entre dans les attributions du gouvernement d'arrêter ce projet, il entrera dans les nôtres de l'apprécier lorsque le gouvernement viendra nous demander des fonds pour le mettre à exécution.

J'adresse à M. le ministre de l'intérieur la recommandation qui lui a déjà été faite par mon honorable collègue et ami M. de Bronckart. Je lui demande de consulter sur le règlement qui nous sera soumis non seulement les gouverneurs, mais aussi les députations permanentes. Les députations permanentes se composent d'hommes versés dans l'administration ; quelques-uns même sont plus anciens dans l'administration que MM. les gouverneurs, ils pourront donner à M. le ministre de l'intérieur des renseignements très utiles.

Messieurs, il y a dans les administrations provinciales, telles qu'elles sont actuellement composées, des choses qui ne peuvent plus subsister pour l'honneur du gouvernement.

Il y a dans certaines administrations provinciales des employés qui ont annuellement 100 ou 200 francs, et ce sont d'anciens employés. Est-il de la dignité du gouvernement d'avoir des employés auxquels on ne donne pas même du pain ? J'espère que cet état de choses intolérable disparaîtra lors de la nouvelle organisation

Un point sur lequel j'appelle surtout l'attention de M. le ministre de l'intérieur, c'est la trop grande extension du personnel. Il y a deux manières d'améliorer le sort des employés, l'un consiste à en diminuer le nombre, l'autre à augmenter les crédits. Si ces employés qui reçoivent 100 fr., 200 fr., ne rendent pas de services, qu'on les renvoie ; mais s'ils sont réellement utiles, qu'on les rétribue convenablement ; il ne faut pas qu'on puisse reprocher au gouvernement que ses employés manquent de pain.

M. Osy. - J'ai toujours pensé que les employés provinciaux sont trop mal rétribués, surtout les petits. Je voterai donc le crédit, mais il est indispensable que le gouvernement nous soumette le plus tôt possible un règlement définitif.

Je profite de cette occasion pour demander que le gouvernement examine s'il ne serait pas possible de simplifier les rouages administratifs, d'avoir moins d'employés et des employés qui travaillent davantage

Il y a beaucoup de correspondances avec les administrations locales que tel ministère entretient directement avec ces administrations, tandis que tel autre les fait passer par l'intermédiaire des gouverneurs. Ainsi M. le ministre des finances correspond directement avec les chambres de commerce, et il reçoit ainsi leurs avis beaucoup plus vite que les départements de l'intérieur et des affaires étrangères qui emploient l'intermédiaire des gouvernements provinciaux.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je crois, messieurs, que le mode de répartition indiqué par l'honorable ministre de l'intérieur ne sera guère praticable. Si je ne me trompe, il compte répartir les 32,000 francs au marc le franc des traitements actuels. Je crois que ce système ne peut pas être admis, parce qu'il est positif que l’insuffisance des traitements n'est pas la même pour tous les employés.

Il y a aujourd'hui, dans les administrations provinciales des employés qui ont un traitement à peu près convenable, pour lesquels on n'élève pas de plaintes fondées ; il y en a d'autres qui sont beaucoup trop mal rétribués, qui n'ont presque rien et qui n'ont consenti à rester dans l'administration que par l'espoir qu'on leur a constamment donné d'obtenir une amélioration de position.

L'honorable M. Delfosse a cité des traitements de 200 francs et je crois que l'honorable M. de Steenhault a parlé d'employés qui travaillent gratuitement. Or, si on admet la répartition au marc le franc, ceux qui touchent zéro et ceux qui ne reçoivent qu'une rétribution en quelque sorte ridicule, n'obtiendront qu'une augmentation insignifiante, de manière que les injustices les plus criantes ne seront pas réparées.

Je comprendrais jusqu'à un certain point qu'on pût admettre ce mode pour la répartition à faire entre les provinces ; il est possible que le travail ne soit pas assez avancé pour qu'on puisse procéder d'une autre manière ; mais quand il s'agira de répartir entre les employés de chaque province, il faudra consulter avant tout les besoins des divers employés et je crois que, sous ce rapport, M. le ministre peut avoir une très grande confiance dans l'opinion de MM. les gouverneurs, appuyée, si on le veut, par les avis des députations permanentes. Ces fonctionnaires sont le mieux à même d'apprécier quels sont les employés qui doivent obtenir une augmentation de traitement, quels sont, ceux qui sont jusqu'ici le moins rétribués comparativement aux services qu'ils rendent, quels sont, en un mot, les vrais besoins des administrations qu'ils dirigent.

Je désire, messieurs, donner aussi quelques explications sur le caractère temporaire que la section centrale a donné au crédit. On a dit. Si je me trompe, que c'est parce qu'elle n'a pu se prononcer sur le règlemenl d'administration qui lui a été soumis par le gouvernement. Cela est vrai en partie, mais c'est aussi parce que nous avons cru que le gouvernement pourrait diminuer la cause du surcroît de travail qui existe aujourd'hui dans les administrations provinciales.

Nous nous sommes demandé pourquoi le crédit était devenu insuffisant et la réponse a été facile : c'est parce qu'on a étendu continuellement et outre mesure les attributions de l'administration centrale que les administrations provinciales se trouvent aujourd'hui surchargées de besogne.

Nous avons donné un caractère temporaire au crédit pour faire comprendre la nécessité de simplifier les rouages de l'administration supérieure en restreignant l'intervention du gouvernement dans le domaine de l'activité privée et ainsi nous avons cru entrer dans la pensée que le ministère a exprimée dans son programme.

Si vous simplifiez les rouages de l'administration centrale, il y aura, par cela même, diminution de travail dans les administrations provinciales, et dès lors l'augmentation de crédit proposée aujourd'hui pourra être supprimée.

Telle est la pensée, messieurs, qui a été exprimée au sein de la section centrale, et à laquelle elle s'est unanimement ralliée.

Quand il s'agira de répartir le crédit entre les différentes provinces, le gouvernement éprouvera probablement d'assez grandes difficultés. Déjà aujourd'hui nous avons vu comment chacun réclame pour sa province ; chacun est tenté de considérer sa province comme plus importante que toutes les autres. C'est assez naturel, c'est l'amour de la patrie provinciale qui dicte les considérations de cette nature.

Je m'abstiendrai de rencontrer tout ce qui a été dit à cet égard par mes honorables collègues ; je dirai cependant, que plusieurs d'entre eux ont fait trop bon marché du chiffre de la population, qui forme la base du travail si considérable concernant la milice et qui doit être pris aussi en considération pour apprécier l'importance des questions relatives à la bienfaisance publique et au domicile de secours.

Tout ce que je demande, c'est que M. le ministre ne se laisse pas trop influencer par toutes les réclamations qui ont pu surgir dans cette discussion, mais qu'il examine les faits tels qu'ils lui seront révélés par une instruction consciencieuse et impartiale.

Je voterai le crédit de 32,000 francs dans le sens des observations que je viens de présenter.

M. Delfosse. - Si je me suis associé à l'idée de M. le ministre de l'intérieur de répartir le crédit au marc le franc des traitements actuels, d'abord entre les provinces, puis entre les employés de chaque province, c'est qu'il serait dangereux, en l'absence d'un règlement d'organisation mûrement élaboré, de faire une répartition fondée sur des bases nouvelles, c'est qu'il serait très difficile de la mettre en rapport avec l'importance réelle des provinces.

J'ai encore applaudi à l'idée de M. le ministre de l'intérieur parce qu'elle aura pour résultat d'empêcher les actes de faveur. S'il n'y avait pas une restriction de ce genre dans la répartition du crédit, certains employés influents, remuants, pourraient prendre la plus forte part et laisser fort peu de chose à ces petits employés dont l'honorable M. de Naeyer vient de parler.

En m'associant à l'idée de M. le ministre de l'intérieur, je n’entends pas être un obstacle à ce que M. le ministre fasse quelque chose pour les employés qui travaillent sans rétribution. Il est certain que si on s'arrêtait rigoureusement à l'idée de répartir le crédit au marc le franc (page 462) les traitements actuels, ceux qui n'ont pas de traitement ne recevraient rien.

Telle n'est pas l'intention de M. le ministre de l'intérieur, telle n'est pas la mienne ; il faut que M. le ministre de l'intérieur puisse faire quelque chose pour les employés qui travaillent sans rétribution, et à ceux qui travaillent sans rétribution, j'assimile les employés qui n'ont qu'un traitement de 100 à 200 francs.

L'idée de M. le ministre de l'intérieur doit être entendue raisonnablement ; elle doit avoir pour résultat d'empêcher les actes de faveur et non de laisser en dehors de la répartition les employés qui n'ont pas de rétribution ou qui n'ont qu'une rétribution pour ainsi dire nulle.

M. Mascart. - Messieurs, on est d'accord ; le traitement des employés provinciaux est évidemment insuffisant ; aussi j'engage M. le ministre de l'intérieur à nous proposer une organisation définitive et à examiner en même temps s'il n'est pas possible de diminuer le travail de l'administration, ce qui équivaudrait à une augmentation d'allocation au budget de l'Etat, comme le disait l'honorable M. de Naeyer.

Je citerai comme pouvant être supprimée une partie du travail relatif à la statistique. Ainsi, depuis quelque temps, on s'est imaginé de faire la statistique des causes de décès. Ce sont les administrations communales qui fournissent les renseignements, sans l'intervention du corps médical, au moins dans les campagnes.

Chaque fois que l'officier de l'état civil reçoit un acte de décès, il s'enquiert auprès de celui qui fait la déclaration de la maladie qui a amené la mort.

On comprend, lorsque le défunt est tombé d'une tour ou qu'il a péri par une cause tout aussi peu obscure, que la déclaration ne doit pas manquer d'exactitude ; mais lorsqu'il s'agit de maladie, quelle créance peut-on ajouter à la déclaration ?

Sur dix personnes il y en a certainement huit qui ne connaissent même pas le nom des maladies les plus communes.

Demandez à un paysan de quoi son père est mort, et il vous répondra, qu'il a éprouvé des douleurs à la tête, dans l'estomac ou qu'il a eu la fièvre, et c'est sur ces données que l'employé le fait mourir du choléra, du typhus ou de toute autre maladie qu'il invente à sa volonté.

Mais comme tout se perfectionne en ce monde, beaucoup d'administrations ont trouvé plus commode de faire cette statistique en masse, à la fin de l'année, en même temps que celle du mouvement de la population. Alors, sans notes, sans indications on décide que Jean, mort le 15 janvier, a succombé à une inflammation cérébrale, tandis que Pierre, huit jours après, est mon d'une pleurésie. La seule chose à laquelle on s'attache, consiste à apporter un peu de variété dans les maladies. Evidemment, messieurs, cette statistique ne doit pas être beaucoup plus exacte que celle qu'on ferait de ceux qui sont morts sous le règne de Charles-Quint ou de Jean le Barbu : elle ne peut servir qu'à égarer les gens simples qui s'aviseraient de la consulter et aussi à rendre ridicule le gouvernement qui la prescrit. J'engage M. le ministre de l'intérieur à supprimer ce service ou à le réorganiser immédiatement.

- La discussion générale sur le chapitre IV est close.

La Chambre remet à demain la discussion des articles.

Projet de loi organisant les associations charitables

Motion d'ordre

M. Frère-Orban (pour une motion d’ordre). - M. le ministre de la justice a déposé hier un projet de loi sur les fondations charitables. J'ignore quels sont les documents qui y sont joints. Mais je désire qu'un renseignement soit communiqué à la Chambre et que M. le ministre le fasse imprimer, en forme de tableau, à la suite des pièces qui accompagnent probablement le projet de loi. Voici de quoi il s'agit.

On a soutenu qu'on pouvait faire et que l'on avait autorisé des fondations charitables avec des administrateurs spéciaux, soit en vertu de l'article68 du règlement des villes, soit en vertu de l'article 84 de la loi communale. Je demande que M. le ministre de la justice veuille bien joindre aux pièces un tableau indiquant les fondations avec administrateurs spéciaux, faites en vertu de ces deux articles, la date de leur institution et leur objet.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, j'ai pris note de la demande de l'honorable préopinant, et je fournirai le tableau demain.

- La séance est levée à 4 heures trois quarts.