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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 28 novembre 1856

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1856-1857)

(Présidence de M. Delehaye.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 154) M. Crombez procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez. présente l'analyse des pétitions qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Chavée, commis greffier près le tribunal de première instance à Hasselt, prie la Chambre d'augmenter le traitement des commis greffiers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.

M. Lelièvre. - J'appuie la pétition qui est fondée sur de juste motifs. J'en recommande l'examen à la commission et au gouvernement.


M. de Renesse, forcé de s'absenter pour deux jours, demande un congé.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1857

Motion d'ordre

M. Orts (pour une motion d’ordre). - Messieurs, la section centrale chargée d'examiner le budget de la guerre s'est réunie ce matin. Il a été constaté que chacun des rapporteurs nommés par les sections dans la section précédente avait été envoyé à la section centrale avec la mission spéciale de demander l'ajournement à la session actuelle de l'examen du budget. Toutes les sections se sont unanimement refusées à cette époque à procéder à un examen de détails. Aujourd'hui l'ajournement qu'on désirait l'année dernière s'est réalisé de fait ; mais les rapporteurs des sections se déclarent sans mandat. Ils m'ont chargé d'exposer cette situation à la Chambre, pour, qu'elle décide s'il y a lieu de renvoyer de nouveau le budget de la guerre à l'examen des sections dont plusieurs s'étaient réservé l'examen des détails, si la section centrale n'admettait pas l'ajournement. Telle est la situation. Nous avons cru devoir vous l'exposer au lieu de prendre nous-mêmes une décision qui pourrait contrarier l'opinion d'une partie de la Chambre.

M. le président. - La Chambre veut-elle renvoyer le budget de la guerre aux sections (Non !non !) ou charger la section centrale de l'examiner comme commission spéciale ? (Adhésion.)

- La Chambre décide que le budget sera examiné par la section centrale comme commission spéciale.

Projet d'adresse

Motion d'ordre (fait personnel)

M. Sinave. - Messieurs, hier à la fin de la séance, ayant été obligé de quitter la salle, un honorable collègue qui est assis à côté de moi a avancé un fait qui, tout en faisant allusion à un autre membre, me concerne.

Lorsque l'honorable M. Dumortier vous a dit que le clergé avait toujours eu en horreur l'inquisition, il m'a paru qu'il avait dit qu'il avait une certaine sympathie pour la dîme. J'ai pu me tromper ; mais c'est moi qui, au même instant, et quelques honorables membres assis auprès de moi l'ont entendu, ai dit : Vous êtes en possession de la dime. C'est à cela qu'un honorable membre a fait hier allusion.

En faisant cette interruption, j'ai voulu faire allusion au rapport ou procès-verbal annuel de l'association de Saint-Vincent... (Interruption.)

Je n'ai l'intention de froisser l'opinion de qui que ce soit. C'est un livre imprimé et j'ai pensé qu'il était entre les mains d'une partie de cette Chambre, car je ne suppose pas qu'il ait été imprimé pour moi seul. Voilà pourquoi je n'y attachais pas une grande importance. Ce livre est écrit dans le style le plus attrayant en vue de propager la charité ; ensuite il y est question des démarches que font les agents de la société pour obtenir les moyens pécuniaires indispensables au développement de son œuvre. A l'endroit de la commune de Swynaerde l'agent dit : « Depuis 3 ou 4 années nous avons introduit dans cette localité le rétablissement de la dime. Non- eulement le produit de cette dime est versé avec facilité, mais les contribuables ne croient pas du tout que par le rétablissement de cette dîme, la civilisation recule au moyen âge. »

Au bas de cette brochure se trouve une déclaration de MMgrs. les évêques, qui engage tous les agents à persévérer dans leurs efforts.

J'ajoute, messieurs, que si j'avais été présent hier à la fin de la séance, mon vote aurait été affirmatif sur l'amendement de M. Devaux.

Rapport sur une pétition

M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par pétition datée de Bruxelles le 20 novembre 1856, le sieur Porte, capitaine pensionné, réclame l'intervention de la Chambre pour qu'il lui soit fait application de la loi qui accorde dix années de service aux anciens officiers de volontaires.

Il allègue plusieurs faits et circonstances, pour prouver qu'il a pris part aux événements de 1830, et produit un certificat à l'appui d'une demande qu'il a adressée au département de la guerre.

Il avoue que, par sa lettre du 19 septembre dernier, M. le ministre de la guerre, tout en reconnaissant que les actes qu'il a posés lors de la révolution sont méritoires, ne rentrent cependant pas dans la catégorie de ceux que la loi a voulu récompenser.

Votre commission, considérant que l'application des lois rentre dans les attributions du pouvoir exécutif, a l'honneur de vous proposer, sans rien préjuger quant au fond, le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la guerre, avec demande d'explications.

- Ces conclusions sont mises aux voix et adoptées.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphes 7 à 9

M. le président. - La Chambre est arrivée au paragraphe 7.

« L'éclat que jettent les arts et le développement des sciences et des lettres contribuent à conserver au pays la place honorable qu'il occupe parmi les nations européennes. »

- Adopté.


« Tout ce qui peut aider aux progrès de l'agriculture et de l'industrie mérite l'examen de la Chambre, qui appréciera avec soin les projets de loi annoncés sur les cours d'eau et la propriété des modèles et dessins de fabrique. »

- Adopté.


« Le Roi nous apprend que, dans son ensemble, la situation commerciale est satisfaisante. Pour maintenir et améliorer cette situation, il faut que la prudence et la modération continuent à présider à la révision de notre tarif de douanes. »

- Adopté.

Paragraphe 10

« La convention de commerce et de navigation, signée avec S. M. le roi de Grèce, et celles que les négociations entamées avec d'autres Etats pourront faire conclure, seront l'objet de la sérieuse attention de la Chambre. »

M. Osy. - Messieurs, l'année dernière, nous avons voté une loi sur la réforme commerciale. Cette loi doit en totalité être mise en vigueur à la fin de l'année 1857. Pour pouvoir la mettre à exécution, il sera nécessaire que le traité de commerce avec la Hollande n'existe plus.

Je demanderai donc à M. le ministre des affaires étrangères si le traité avec les Pays-Bas a été dénoncé.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Messieurs, la cessation du traité de commerce entre la Belgique et les Pays-Bas est une conséquence nécessaire de la loi qui a aboli les droits différentiels ; c'est même en vue de cette cessation du traité, que la date de la mise à exécution de la loi a été prorogée jusqu'au 1er janvier 1858. En conséquence, avant le 1er janvier prochain, le traité sera dénoncé, et les cabinets de Bruxelles et de La Haye auront toute une année devant eux pour négocier une nouvelle convention de navigation, et au besoin un traité de commerce basé sur la loi du 19 juin 1856.

M. Sinave. - Messieurs, les traités avec les Pays-Bas qui sont encore en vigueur contiennent une cause contraire à la Constitution.

Il est accordé à quelques localités du pays le droit d'introduire dans le pays 8 à 9 millions de café à droit réduit. C'est placer une partie des Belges dans une position exceptionnelle.

Lors du renouvellement du traité, il y a 6 ans, j'ai fait ce qu'il m'était possible pour obtenir la suppression de cette clause, d'abord parce qu'elle est inconstitutionnelle, ensuite parce que c'est une faveur de cinq cent mille francs annuellement au détriment du trésor. Lors du premier traité il y avait peut-être quelques motif pour faire une concession à la Hollande pour laisser importer à un droit réduit une partie de denrées coloniales. En effet, on avait obtenu de la Hollande une diminution des droits d'exportation à Java sur les sucres.

On pouvait donc considérer comme juste d'accorder une diminution des droits sur les cafés venant de la Hollande.

Lors du renouvellement du traité, j'avais connaissance que la Hollande n'accorderait plus cette concession ; j'ai fait des démarches auprès de M. le ministre des affaires étrangères, à cette époque, et il m'avait été dit que cette clause concernant le café aurait été annulée, parce que la Hollande retirait la faveur qu'elle nous avait accordée sur l'exportation de Java.

Eh bien, messieurs, il n'en a rien été : nous avons perdu l'avantage que le gouvernement hollandais accordait pour les marchandises sortant de Java, et cependant, nous avons accordé, contrairement à nos intérêts, la continuation de l'importation du café à prix réduit.

Je prierai M. le ministre de vouloir bien prendre mon observation en sérieuse considération et de ne pas laisser reproduire cette disposition dans le nouveau traité. Je ne lui demande pas de réponse maintenant.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Vilain XIIII). - Je puis donner dès à présent une réponse qui calmera, je pense, les scrupules de l'honorable orateur ; c'est qu'il ne sera plus question du café dans le traité avec le royaume des Pays-Bas ; la loi qui abolit les droits différentiels fait tomber de fait toute disposition de cette nature ; mais pour l'année qui va s'écouler nous ne pouvons pas la faire disparaître de la convention avec la Hollande, sans manquer à la foi des traités. Le traité pour cesser ses effets doit être dénoncé un an à l'avance ; j'ai annoncé cette dénonciation, mais il faut que pendant un an encore la Hollande jouisse des faveurs qui lui ont été accordées, de même que la Belgique continuera de jouir de celles qui lui ont été assurées. Il va sans dire qu'il n'y aura plus de traitement particulier à accorder sur le café, puisque la loi qui abolit les droits différentiels s'y oppose.

- Le paragraphe 10 est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 11

« L'augmentation de plusieurs branches du revenu public, l’un des signes de la prospérité générale, est un fait heureux dont le pays a le droit de se féliciter. »

- Adopté.

Paragraphe 12

« Le projet de loi sur le droit de patents et celui relatif à la révision cadastrale, seront examinés avec tout l'intérêt qui s'attache aux mesures de cette importance. »

M. Lelièvre. - Lors de la discussion de la loi sur l'expropriation forcée, le gouvernement avait promis certaines mesures administratives ayant pour objet de déterminer, au moins provisoirement, le revenu cadastral de certaines propriétés. L'absence de ces mesures ayant déjà donné lieu à des difficultés sur l'exécution de la loi, je crois devoir appeler sur ce point l'attention du gouvernement.

- Le paragraphe 12 est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 13

« La pensée d'améliorer la position des employés inférieurs de l'Etat possède nos sympathies sincères. Nous avons l'espoir que cette amélioration, en permettant de simplifier les rouages administratifs, ne sera pas onéreuse pour le trésor public. »

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Dans le paragraphe dont il s’agit la commission suppose que des simplifications apportées aux rouages administratifs pourront couvrir les dépenses qui résulteront de l'amélioration apportée à la position des employés inférieurs de l'Etat. Je crois de mon devoir de déclarer qu'en effet le gouvernement espère pouvoir opérer quelques économies à cette occasion, mais je dois ajouter qu'elles seront insuffisantes pour compenser les dépenses résultant des augmentations de traitement qui seront accordées à des employés dignes de notre intérêt, quelque modiques que soient ces augmentations.

- Le paragraphe 13 est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 14

« La Chambre appréciera, avec toute l'attention qu'ils méritent, les projets de loi destinés à poursuivre la révision de notre législation criminelle, et les mesures propres à diminuer les charges communales pour l'entretien des reclus dans les dépôts de mendicité. »

M. Osy. - Le gouvernement a proposé un projet de loi de réforme judiciaire, mais je crains beaucoup qu’on ne puisse s'en occuper dans le courant de la session. Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il ne trouverait pas convenable de présenter un projet de loi spécial pour l'augmentation du personnel des tribunaux ; la justice, par suite de l'insuffisance de ce personnel, ne pouvant pas se rendre convenablement.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - Messieurs, je m'étais d'abord arrêté à l'idée de devoir présenter un projet de loi spécial concernant l'augmentation du personnel de quelques tribunaux, car je reconnais avec l'honorable membre qu'à la cour de Liège et dans quelques tribunaux, ce personnel est insuffisant ; mais j'ai pensé que la présentation de quelques mesures isolées de ce genre ne serait pas sans avoir certains inconvénients. Il est si évident que des prétentions de diverses natures surgiraient au moment de la discussion.

L'augmentation du personnel des tribunaux tient essentiellement à l'organisation judiciaire dont vous êtes saisis et à la solution même des principes que contient le projet. Dans cette situation, il me semble que ce qu'il y aurait de mieux à faire serait ceci : c'est que la Chambre qui a renvoyé le projet de loi d'organisation générale à l'examen des sections, ce qui entraînera un certain temps, voulût bien, dans sa sagesse, peser s'il ne convient pas plutôt de soumettre le travail que j'ai eu l'honneur de lui présenter à une commission spéciale, composée d'hommes qui se vouent principalement à l'étude du droit.

Je me ferais un devoir et un plaisir de me mettre en rapport avec cette commission ; je pourrais être l'intermédiaire naturellement désigné entre la commission de la Chambre et la commission des magistrats qui a élaboré le projet soumis à votre examen. De cette maniéré en marcherait, je l'espère, assez vite et l'on pourrait arriver en très peu de temps à la discussion de la loi et des questions qui s'y lient intimement.

M. le président. - Cette proposition a été faite à la Chambre par M. Lelièvre, cl la Chambre l'a repoussée.

M. le ministre de la justice (M. Nothomb). - J'ignorais la circonstance que M. le président veut bien rappeler. Mais si j'avais été à la séance lorsque l’honorable membre a présenté sa motion, je déclare que je l'aurais appuyée de toutes mes forces. Je la considère comme très utile pour nous faire arriver promptement à un résultat vivement désiré.

M. Lelièvre. - J'avais demandé qu'on attendît que vous fussiez présent, on n'a pas jugé convenable d'accueillir ma demande.

M. Thibaut. - La Chambre a effectivement décidé que le projet de loi sur l'organisation judiciaire serait examiné en sections. Cependant je pense que la Chambre pourrait revenir sur cette décision. Il y aurait pour cela un excellent motif, si M. le ministre de la justice voulait nous promettre ou du moins nous laisser espérer que, dans le cours de la session, il présentera un projet de loi complémentaire, c'est-à-dire un projet de loi pour augmenter le nombre des membres de certains tribunaux de première instance. La session sera probablement assez longue, et si le projet de loi sur l'organisation judiciaire pouvait être discuté au commencement de la session, M. le ministre de la justice n'éprouverait probablement pas de difficultés à nous saisir d'un second projet qui serait discuté à la fin de la session. J'engage M. le ministre de la justice à faire ses efforts pour arriver à ce résultat. J'appuierai donc, quant à moi, très fortement la proposition de renvoyer à une commission le projet de loi sur l'organisation judiciaire.

M. Lelièvre. - Le projet d'organisation judiciaire contenant environ six cents articles, exigera nécessairement un examen assez long. Or, il y a un projet urgent qui ne souffre aucun retard, c'est celui concernant l'augmentation du personnel de la cour de Liège et de certains tribunaux.

En effet, messieurs, il est incontestable que dans plusieurs localités la justice ne fonctionne plus régulièrement, les tribunaux sont désorganisés, ce qui donne lieu à de graves inconvénients. Cette observation s'applique à la cour de Liège dont le personnel est absolument insuffisant. Il résulte de cet état des choses que les intérêts des justiciables sont gravement compromis.

Messieurs, la justice est un des premiers besoins de la société.

C'est donc là un objet requérant une extrême urgence. Il importe que les citoyens obtiennent bonne et prompte justice. Je suis convaincu que le seul moyen de faire cesser les abus existants, c'est de faire pour la cour de Liège et certains tribunaux ce qui a été admis pour la cour de Bruxelles. Un projet d'augmentation provisoire est indispensable et j'appelle sur ce point important l'attention du gouvernement.

Quant au projet d'organisation judiciaire, je suis encore persuadé qu'il ne peut être utilement discuté que par une commission spéciale. C'est là du reste ce qui a été admis précédemment en semblable matière, notamment pour le Code pénal, le Code forestier, etc. Je ne puis donner mon assentiment à ce que vient de dire M. le ministre de la justice et je regretterais qu'on ne revînt pas à son opinion.

M. Tesch. - Je ferai une simple observation. Il me semble qu'il n'est pas convenable de discuter, au milieu de l'examen d'une adresse, la question de savoir si on renverra un projet de loi aux sections ou à une commission. Quand la discussion de l'adresse sera terminée, qu'on nous fasse une proposition, nous l'examinerons.

M. le président. - La Chambre s'est déjà prononcée deux fois sur ce point Nous reprenons l'ordre du jour, sauf, si d'honorables membres le jugent convenable, à faire une proposition plus tard.

- Le paragraphe 14 est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 15

« L'importance que le gouvernement de Voire Majesté attache au projet de loi sur les établissements de bienfaisance est partagée par la Chambre. Il ne dépendra pas d'elle qu'une prompte solution ne soit donnée à cette délicate question. »

M. Dechamps, rapporteur. - Je propose de dire : « L'importance que le gouvernement de Votre Majesté attache au projet de loi sur les établissements de bienfaisance est comprise par la Chambre. »

- Le paragraphe, ainsi modifié, est adopté.

Paragraphes 16 à 18

« La Chambre s'empresse de s'associer à la haute sollicitude du Roi pour la garde civique et pour l'armée, qui continuent, par leur dévouement et l'esprit qui les anime, à rester dignes de la confiance nationale. »

- Adopté.


« La Chambre répondra à l'appel que fut Votre Majesté à son patriotisme, pour chercher à concilier, dans l'élude des moyens qui seront proposés, les intérêts de la défense du pays avec ceux de notre métropole commerciale. »

- Adopté.


« Les grands travaux d'utilité publique qui se poursuivent et qui depuis longtemps ont reçu une active impulsion, ainsi que l'ouverture de nouvelles voies de communication, resserreront les liens qui unissent nos provinces et serviront puissamment au progrès industriel et commercial. »

- Adopté.

Paragraphe 19

« Sire, la Chambre des représentants comprend le devoir qu'elle saura remplir, d'unir son zèle à celui du gouvernement du Roi, pour donner aux travaux de cette session le caractère fécond que l'utilité générale et l'intérêt public exigent. Votre gouvernement peut compter, Sire, sur notre concours loyal et actif, pour atteindre ce but commun de nos persévérants efforts.

M. Rogier. - Messieurs, comme je ne puis donner mon adhésion au dernier paragraphe de l'adresse, je demande la permission d'établir mes motifs aussi brièvement que possible.

Mais je dois d'abord rectifier un fait qui a été plusieurs fois cité dans cette discussion, et qu'on a cru pouvoir indiquer comme un antécédent. (page 156) On a dit que sous mon administration un professeur de l'université de Gand avait été démissionné.

M. Coomans. - Disgracié.

M. Rogier. - Un professeur de Garni avait été frappé de destitution.

Ce professeur, messieurs, n'a pas été destitué, et j’affirme qu'il n'aurait pas été destitué par mon administration. Ce professeur a obtenu l'éméritat. Il était, il est vrai, un de ceux qui avaient le privilège, étendu depuis lors à d'autres professeurs, d'exciter les récriminations de certaine presse. Il n'était pas de jour où le ministre de l'intérieur d'alors ne reçut contre ce professeur des dénonciations. Il était accusé d'enseigner le socialisme, de propager les principes irréligieux, de pousser la jeunesse gantoise vers les idées françaises républicaines.

J'eus, messieurs, un entretien avec ce professeur, et il se justifia. Un fait politique, je dois le dire, de quelque gravité pesait sur lui. En 1848, il s'était, dans un premier moment d'élan, associé à une manifestation publique en faveur de la république triomphante à Paris.

Cette manifestation consistait en une souscription pour les blessés de février. L’honorable professeur qui, par ses principes religieux, appartient avec sa nuance à l'opinion catholique, voyant ses coreligionnaires français, voyant les prélats français et le clergé à leur suite, manifester leurs sympathies pour la grande révolution, comme on le disait alors, ne crut pas mal faire en suivant l'exemple que lui donnaient ses coreligionnaires et les prélats français en tête. Mais cet acte posé en Belgique par ce professeur, né Français, lui fut reproché et il fut qualifié d'imprudent.

A cela près, la conduite du professeur pas plus que son enseignement ne pouvait donner lieu à aucun reproche fondé. Il n'a donc pas été destitué ; il a demandé et obtenu l'éméritat.

Je dois ajouter au surplus que ce professeur ne se serait nullement montré disposé à renier les principes qu'il professait. Il les a soutenus fermement et consciencieusement Je lui en ai su gré ; il en a acquis ma sympathie. Ce professeur était, à mon avis, de la trempe d'un de ses collègues dont il a été beaucoup parlé ces jours passés, et qui me parut tout aussi peu disposé que lui à renier ses principes, en quoi il méritera l'estime des honnêtes gens.

J abandonnerai ce fait particulier et j'en viens au paragraphe de l’adresse.

Hier, M. le ministre nous a exposé dans la généralité son programme politique. C'est pour l'exécution de ce programme politique que le concours loyal de la Chambre est demandé.

Voyons en quoi consiste ce programme.

Je n'en fais pas un reproche à M. le ministre, mais son discours d'hier ne se trouve pas aux Annales parlementaires et je parle d'après les notes que j'ai recueillies pendant son discours.

M. le ministre poursuit la conciliation, l'extinction des partis. Il les ensevelit dans son imagination. Il voit sortir de la poudre de leurs tombeaux une Belgique calme et sereine.

Messieurs, ce but est très séduisant et j'y applaudis ; cette image est tout à fait consolante, et j'y donne ma pleine adhésion littéraire. Mais quant à mon adhésion politique et pratique, je dois la réserver. Car je ne veux pas promettre mon concours à la réalisation de ce qui ne serait qu'un pure vision.

Messieurs, ce programme fort beau dans sa généralité, c'est-à-dire la conciliation des partis, la pacification de la Belgique, ce programme ne peut pas rester à l'état de formule vague et vide, il faut y mettre quelque chose. Il faut que le, verbe s'incarne et marche. Il faut des actes à l'appui du programme et il faut des auxiliaires pour l'exécuter.

Car quelque fort que l'on soit de sa conscience, on ne l’est pas assez, je crois, pour supporter à soi tout seul le poids de cette grande politique de la transaction et de la pacification des partis.

Nous parlerons tout à l'heure des actes ; nous allons d'abord nous occuper des personnes. Avec qui M. le ministre de l'intérieur veut-il arriver à l’exécution de ce programme ? Avec les membres de. la gauche. Mais hier il nous a déclaré que ce n’était pas sur notre concours qu’il comptait ; qu’il n’avait pas droit et qu’il n’avait pas souci, je pense, d’en appeler à notre concours.

Il ne veut pas de notre concours, car ce concours ferait, si je l'ai bien compris, un piège à ses yeux et il ne veut pas tomber dans ce piège.

Reste alors, messieurs, le concours de l'autre partie de la chambre ; Je pourrais faire observer, messieurs, que dès les premiers pas, le programme conciliant de M. le ministre de l'intérieur reçoit une atteinte grave. Sa transaction, la réconciliation générale des partis doit donc s'opérer sans le concours d’une grande fraction de la chambre ? Ce concours serait un piège. Est-ce là de la conciliation et de la transaction ?

On invoque donc le concours d'une seule partie de la Chambre. Mais encore, pour que ce concours soit efficace, pour qu'il y ail harmonie, il faut que tous les instruments soient parfaitement d’accord. Cet accord existe-t-il dans la droite ? Nous y avons entendu, ce semble, beaucoup de dissonances, et les premiers instruments, quoi qu’on en dise,, ne se sont pas tous fait entendre ; quelques-uns sont restés muets ; et je voudrais bleu savoir si ce silence est en parfaite harmonie avec le discours de l’honorable ministre de l’intérieur. Quant à moi, je ne remarque pas dans les dispositions du côté sur lequel M. le ministre compte s'appuyer, je ne remarque pas cet accord, cette harmonie indispensable pour que le concours soit efficace.

M. le ministre a dit qu'il ne s'appuyait pas seulement sur un côté de la Chambre ; étendant son horizon au-delà, il croit que l'adhésion à son programme lui viendra du pays tout entier. En termes très éloquents, d'un ton très convaincu, M. le ministre nous a dit qu'il sentait le cœur du pays et le sien battre à l'unisson. De quel pays l'honorable ministre entend-il parler ? Est-ce du pays libéral, est-ce du pays catholique ? Si c'est le cœur du pays libéral, je le reconnais, messieurs, il y a dans cette Chambre, sur ces bancs, comme il y a au dehors, des cœurs qui battent comme celui de M. le ministre de l'intérieur lorsque, courageusement, il vient ici déclarer la guerre à l'intolérance ou au crétinisme ; oui le compatriote et libéral du pays lui répond alors. Mais il y a un pays catholique et je demanderai à M. le ministre de l'intérieur si les battements de ces cœurs-là, à l'heure où je parle, répondent aux battements du sien.

Hier encore, messieurs, que lisions-nous dans un organe qui parle d'autorité ?

« Nous défendons, nous, les principes catholiques avec le clergé, avec tous les fidèles contre M. Dedecker, et c'est M. Dedecker qui proteste contre nous, c'est-à-dire contre tout le Clergé, contre tous les catholiques, au nom des principes catholiques. Cela est sonore ; mais cela n'est pas sérieux. » (Patrie de Bruges.)

Et ce n'est pas, messieurs, un seul journal qui tient ce langage ; presque toutes les trompettes de la publicité catholique sonnent le même air avec ou sans sourdine, ou plutôt presque toutes sonnent la même charge contre M. le ministre de l'intérieur.

On le voit donc, messieurs, l'honorable ministre est bien loin de trouver ici l'accord parfait. Il semble, au contraire, qu'à chaque pas qu'il fait en avant pour atteindre son but il le voit de plus en plus échapper à ses mains. Avec quels auxiliaires M. le ministre va-t-il donc exécuter son programme ? Je l'ignore, mais je dois le reconnaître, sa position est bien difficile.

Elle est digne d'intérêt et nous ne cherchons pas, quant à nous, à l'aggraver. Nous irions même loin dans nos éloges, si nous n'avions à craindre que ces éloges mêmes n'aggravassent sa position aux yeux de son parti,car au nombre des griefs qu'on lui impute à l'extérieur figurent les éloges qu'il a mérités de la part de l'opinion libérale.

M. le ministre ne peut pas demander notre concours ; il y verrait un piège. Eh bien, messieurs, nous ne voulons pas entraîner M. le ministre dans un piège, mais nous ne voulons pas non plus y être entraînés nous-mêmes.

Que renferme, en fait d'actes, le programme que l'on nous a formulé hier sous le titre de pacification générait des partis ? Jusqu'à présent nous en apercevons : 1° un acte qui a préoccupé beaucoup la Chambre, c'est-à-dire la destitution éventuelle qui menaçait un professeur d'université à raison de ses publications. Pouvons-nous, messieurs, donner d'avance la promesse de notre adhésion à l'acte que M. le ministre de l'intérieur serait amené à poser vis-à-vis de ce professeur ? Cela n'est pas possible.

J'espère, au surplus, que M. le ministre de l'intérieur y réfléchira longtemps avant de poser un acte de rigueur ; je crois que s'il venait à le poser il le regretterait, et, en tous cas je soutiens qu'un pareil acte, posé par M. le ministre, serait en opposition formelle avec l'esprit et le but du programme qu'il nous a développé.

Ne pense-t-il pas, en effet, que, dans les circonstances qui se présentent, la destitution de ce professeur, loin de calmer les partis,serait le signal d'une forte et vive réaction ; que les opinions s'animeraient de plus en plus ; qu'à la sympathie dont ce professeur est l'objet de la part d'une opinion, succéderait bientôt, ce qui est plus fort, le prosélytisme ?

Il ne s'agit ici que d'un acte éventuel, et je nourris l'espoir que M. le ministre de l'intérieur, écoutant ses instincts généreux, et se maintenant à un point de vue élevé, ne traitera pas ce professeur avec la rigueur que les fougueux de son parti réclameraient de lui.

Mais il y a autre chose qu'une simple éventualité dans un second acte mis en rapport avec le programme.

Une loi transactionnelle en matière de bienfaisance avait été déposée par le cabinet précédent. Cette loi, à mon sens, n'était pas nécessaire ; mais enfin elle avait pour but et pouvait avoir la prétention d'être considérée comme une loi de transaction entre les partis : cette loi a été retirée par le cabinet actuel.

Elle a été remplacée par un autre projet qui doit avoir pour effet d'ajouter au nombre déjà considérable des couvents libres une nouvelle catégorie non moins nombreuse de couvents privilégiés.

Je demande à M. le ministre de l'intérieur, si en âme et en conscience, il considère la présentation, la discussion et l'exécution d'une pareille loi comme étant de nature à amener dans le pays la pacification des esprits ; je lui demande si, au contraire, cette loi ne sera pas le signal de divisions plus vives que jamais entre les partis, si elle ne doit pas jeter dans le pays des germes d'une profonde irritation, si elle ne renferme pas pour l'avenir du pays les plus graves dangers.

Ah ! si M. le ministre de l'intérieur veut sortir des formules vagues, veut de bonne foi, comme je n'en doute pas, atteindre ce but de pacification, il n'a qu'une chose à faire ; ce serait de supprimer ce brandon (page 157) de discorde, de retirer ce projet de loi qui, je le lui prédis, sera la source intarissable d'une irritation dont le pays n'aura pas encore été témoin depuis 1830.

Et bien, dans cette position, il m'est impossible de promettre mon concours à M. le ministre de l'intérieur ; je devrais dire au cabinet, mais dans cette discussion, M. le ministre de l'intérieur a résumé à lui seul le cabinet tout entier qui s'est montré systématiquement silencieux.

Si donc M. le ministre de l'intérieur n'a pour atteindre son but que des faits semblables à celui que je viens de mentionner en dernier lieu, il n'arrivera pas à la pacification des partis ; il devra tout au moins renoncer à se concilier le parti que nous représentons ; il lui restera à se mettre d'accord avec son propre parti ; là, je le reconnais, la tâche sera encore difficile, mais il n'est peut-être pas impossible d'arriver à son accomplissement. C'est ce que je souhaite à M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Messieurs, une chose aura dû frapper la Chambre dans le langage qu'elle vient d'entendre.

C'est la profonde différence entre ce langage et le langage que vous tenait, il y a deux ou trois jours, un des amis politiques de l'honorable préopinant, dont l'opinion exerce tant d'autorité sur la Chambre.

 entendre le langage que tenait, il y a deux ou trois jours, l'honorable M. Devaux, il y avait dans la situation actuelle des esprits et des choses tous les éléments nécessaires pour la constitution d'un grand parti conservateur, d'un grand parti modéré, s'appuyant sur la nation tout entière, en dehors de l'action des partis.

A entendre le langage que tient aujourd'hui l'honorable M. Rogier, il n'y a d'autre politique possible que celle des deux partis alternant dans l'administration du pays.

Messieurs, il y a longtemps que j'ai défendu devant les Chambres le programme que j'ai exposé encore en quelques mots dans la séance d'hier.

Il y a longtemps que j'ai une foi pleine et entière dans les résultats définitifs des efforts qui sont faits, et que je fais personnellement, pour amener la réalisation de ce programme.

Aujourd'hui, comme autrefois, on le traite de rêve, de vision. J'ai la conviction, quant à moi, que ce rêve se réalisera.

La réalisation de ce rêve me paraît même si nécessaire que j’y attache, moi, la consolidation de l'indépendance nationale.

Mais ce rêve n'est-il pas devenu une réalité depuis dix-huit mois que j'ai l'honneur d'être aux affaires ? Depuis dix-huit mois, le pays tout entier, et j'en ai eu plus d'une preuve, n'a-t-il pas sympathiquement applaudi aux résultats obtenus par notre politique modérée qui avait amené cette situation calme et pacifique, momentanément troublée aujourd'hui ?

On se trompe, messieurs, on s'est toujours trompé quand on a cru que mon intention était de nier les partis ou de vouloir leur extinction. Dans tout pays de libre discussion, surtout dans un pays jeune et plein de sève comme l'est le nôtre, en présence des grandes questions d'organisation intérieure, on aura nécessairement, j'allais dire heureusement même, des luttes intestines. Ce que j'ai toujours contesté, c'est que le pouvoir dût épouser les passions des partis, se traîner à la remorque des partis, au lieu de s'imposer à tous les partis et d'en faire converger les forces vers la poursuite d'un but national.

Voilà comment j'ai toujours entendu le gouvernement normal de la Belgique. Je ne veux pas plus d'une politique libérale que d'une politique catholique ; je veux, sans me préoccuper des partis, faire triompher une politique nationale.

Mais, demande l'honorable M. Rogier, avec qui voulez-vous amener le triomphe de cette politique ?

Moi, messieurs, je ne suis pas comme d'autres l'ont été à d'autres époques ; je ne fais pas de l'exclusion ; je n'adresse pas un appel uniquement à des amis, et je ne condamne pas mes adversaires à rester fatalement dans l'opposition systématique.

Je ne compte pas sur le concours de mes adversaires politiques ; mais je ne le répudie pas.

Aujourd'hui en présence de la question dont il s'agit, le parti libéral n'étant d'accord avec moi, ni dans la discussion ni sur le vote à émettre, ne pouvait pas m'accorder son appui ; et c'est dans ce sens que j'ai dit que je n'avais pas le droit d'y compter.

Quant au piège dont j'ai parlé, mes paroles s'appliquaient aux éloges perfides qui m'étaient adressés par une partie de la presse libérale et dont j'ai compris la malice.

Je n'ai pas voulu un instant paraître assez naïf pour me laisser influencer par ces éloges. J'ai voulu, sans m'inquiéter de l'approbation des uns ou de la désapprobation des autres, poursuivre la route droite que je me suis tracée par conviction.

D'ailleurs, il y a dans la gauche des éléments également modérés ; et si certaine fraction de la gauche ne m'accorde pas, dans un vote sur l'adresse, sa confiance et ses sympathies, il n'en est pas moins certain à mes yeux que sur un grand nombre de questions de politique intérieure, je rencontrerai l'appui de la plupart des membres qui la composent.

- Plusieurs voix. - Oui ! oui !

M. le ministre de l'intérieur (M. de Decker). - Je distingue donc entre une confiance votée solennellement et une confiance accordée sur des questions qui peuvent s'agiter dans cette enceinte.

Est-ce avec la droite, poursuit l'honorable M. Rogier, que vous réaliserez votre système de conciliation ? J'ai été amené hier, bien malgré moi (car on ne prend une position comme celle que j'ai prise qu'avec une profonde conviction et en acquit d'un devoir), j'ai été amené à constater, en dehors des grands principes catholiques et constitutionnels sur lesquels nous sommes d'accord, quelques points sur lesquels nous sommes en désaccord, surtout en dehors de cette Chambre. Qu'y a-t-il d'étonnant ? Où trouvez-vous un parti dans lequel tout le monde pense de même, où toutes les pensées des hommes qui le composent soient en quelque sorte jetées dans le même moule l De même que je ne veux imposer mes opinions à personne, on ne peut pas prétendre que j'accepte la responsabilité de toutes celles qui peuvent se produire dans mon parti.

Je l'ai dit hier, il y avait pour moi, dans mes relations avec mes honorables amis de la droite, une situation que je tenais à éclaircir. D'un côté, on semblait disposé à donner un vote favorable au gouvernement ; on le faisait loyalement, j'en suis convaincu ; d'un autre côté, j'étais frappé de l'opposition qui m'est faite par une fraction de la presse catholique, qui m'attaque systématiquement avec une violence dont vous êtes chaque jour les témoins.

Je me demandai quel est ce mystère. Cette presse elle-même répète à satiété qu'il faut éclaircir ce mystère.

Eh bien, messieurs, j'ai provoqué cet éclaircissement. Je me suis demandé si la politique de conciliation et de modération que j'ai essayé de pratiquer depuis que je suis aux affaires, je me suis demandé si cette politique va à toutes les fractions de mon opinion en dehors de cette Chambre. Il m'a semblé, d'après le langage de certains organes de l'opinion catholique, que ce système n'a pas du tout l'appui sympathique de toutes les fractions de cette opinion.

Mais ce n'est pas un motif pour ne pas persévérer dans ce système. Je suis convaincu que l'immense majorité de l'opinion catholique pense comme moi.

Du reste, je ne veux pas faire de la politique catholique ; et c'est là l'erreur principale de mes coreligionnaires, qui pensent qu'un ministre catholique doit faire de la politique catholique. D'après moi, un ministre n'a pas le pouvoir en mains pour faire les affaires d'un parti : catholique ou libéral, il doit être ministre constitutionnel appliquant les lois avec impartialité, donnant une satisfaction équitable à tous les intérêts légitimes ; par quelque parti que ces intérêts se trouvent patronnés.

Après tout si, comme le constate l'honorable M. Rogier, tous les cœurs semblent ne pas, dans le camp catholique, battre à l'unisson avec le mien, je suis convaincu que tout le monde rend hommage à la sincérité de mes convictions, comme je suis heureux de rendre témoignage à la loyauté de mes coreligionnaires politiques.

Messieurs, je reprends donc, avec une profonde conviction, l'application de ces principes modérés qui m'ont dirigé dans les questions de politique intérieure. Quelle que soit la conduite des partis à mon égard, je conserve une foi entière dans l'application de ce système. Si le présent ne lui est pas encore acquis, l'avenir lui appartient.

Notre existence nationale date de 25 ans, qu'est-ce que 25 ans dans l'existence d'un peuple destiné à vivre dans l'histoire ? Ce n'est pas en 25 ans qu'une jeune nation peut arriver à se créer un système de politique intérieure qui soit stable et définitif. Qui oserait prétendre que le dernier mot est dit sur l’organisation de ce système ? pour moi, je compte à bon droit sur le progrès incessant de l’éducation publique du pays.

Je suis convaincu que plus la lumière se fera sur les intentions des. hommes et le jeu des institutions, mieux on comprendra la nécessité d'être modéré et de transiger sans cesse.

Je n'admets donc pas du tout que l'honorable M. Rogier soit autorisé à croire que cette politique de parti qui lui paraît être en ce moment la politique nécessaire au pays, soit la politique de l'avenir.

Ne préjugeons pas ainsi l'avenir ; n'anticipons pas sur l'avenir.

Laissons aux générations qui viendront après nous le soin de décider quelle sera la véritable politique du pays. Toutefois j'ai la conviction profonde que l'avenir amènera le triomphe de cette politique modérée et rationnelle qui reposera sur la base des transactions constitutionnelles, ou bien, je le répète, la Belgique courra le risque de périr, affaiblie et épuisée par ses discussions intestines, dans des tourmentes que la politique extérieure peut provoquer un jour.

L'honorable M. Rogier est descendu ensuite à l'examen de deux ou trois faits posés par le. cabinet et auxquels il est fait allusion dans le projet d'adresse.

Il a parlé d'abord de la destitution d'un professeur. Je répéterai ce que j'ai dit dans les séances précédentes. Je me réserve pour les publications à venir la plus grande liberté d'examen. Je ferai sous ce rapport ce que je croirai devoir faire, et la Chambre appréciera les actes que j'aurai posés.

Quant à la loi sur la charité, qui se trouvait avant nous à l'ordre du jour de la Chambre, si l'on veut s'affranchir de toutes préoccupations et ne vor* dans la loi que ce qui y est, j'ai la conviction qu'on peut se mettre d’accord.

Nous sommes tous convaincus que, surtout dans les circonstances pénibles où se trouvent les nations, la charité a à remplir, un rôle (page 158) social d'une grande importance. Nous savons tous qu'on ne peut lui ouvrir trop de sources auxquelles puissent s'abreuver les populations qui souffrent.

Pourquoi donc ne pas seconder le développement des bienfait 'et des influences de la charité ? Pourquoi ne ferions-nous pas pour cette partie de l'administration publique ce que nous avons fait pour d'autres parties ? Pourquoi, à côté de la charité officielle, que personne ne veut ni froisser ni affaiblir, n'y aurait-il pas la charité privée, la charité libre ? Pourquoi ne pas trouver pour les fondations de charité un système compatible avec la garantie des intérêts sociaux en rapport avec elle ?

Pourquoi ne pas circonscrire l'administration de ces fondations, et en contrôler l'action, de telle façon qu'elle ne puisse prêter aux abus qui ont été signalés quelquefois dans le passé et dont autant que vous je veux prévenir le retour ?

Attendons les débats que cette loi ne manquera pas de provoquer.

Je suis convaincu que l'irritation que l'on entrevoit ne sera pas aussi redoutable qu'on le croit lorsqu'une discussion sérieuse aura éclairé le pays sur les vrais résultats de cette loi.

M. de Mérode. - Messieurs, ce qui était propre à jeter la discorde et qui était par conséquent éminemment contraire à la pacification, c'était la destitution en masse d'une vingtaine de fonctionnaires qui n'avaient démérité en rien du pays, par la manière dont ils remplissaient leurs fonctions, tels que MM. d'Huart, Mercier, Vanden Brande de Reeth, de Kerkhove, Leroy, gouverneurs de provinces ou commissaires d'arrondissement, dépossédés de leurs places parce qu'ils n'avaient pas an fond du cœur une béate admiration pour la politique dite nouvelle, laquelle a fini par lasser un grand nombre de ceux mêmes qui l'avaient suivie d'abord, tant elle était absolutiste.

Mais voici que pour nous empêcher de discuter un projet de loi à l'ordre du jour, dont l'intérêt des déshérités de la fortune nous oblige à nous occuper, après de longues remises, le préopinant nous menace de la plus grande, de la plus terrible irritation, si l'on se permet de l'aborder.

Jamais dans aucune circonstance, je n'ai craint pour mon compte, messieurs, la discussion d'une loi reconnue nécessaire. Je n'ai jamais mis en avant des épouvantails comme ceux qu'il plaît au préopinant de dresser sous nos yeux.

Quand le rapport de la loi sur la charité nous aura été soumis, nous verrons s'il est libéral ou tyrannique, s'il est bon ou mauvais et nous le saurons surtout par la discussion. Nous verrons si les qualifications suffisent pour tuer les arguments bien fondés. En attendant nous vivons sous un régime en fait de charité plus restrictif que celui de la France et de la Hollande avec lesquelles nous avons été successivement réunis.

On veut jeter l'éteignoir sur la question pour l'écarter commodément, et puisqu'on parle tant de lumière, il ne faut pas commencer par l'éteindre.

Quant aux journaux, je ne sais pas pourquoi on les met en cause. On dirait que nous avons avec eux une conversation sans fin. Ils ne sont pas cependant ici pour s'expliquer. C'est donc une conversation fort peu régulière du dedans avec le dehors.

Il y a, dit-on, de l'exagération dans certains journaux catholiques. Mais il y en a certes aussi dans les journaux de votre parti. En faites-vous la critique ? Pas du tout. Vous n'en dites jamais un mot. Laissons donc les journaux à ceux qui les font et à ceux qui les lisent, et faisons la besogne qui nous concerne. Nous sommes assez de monde sans aller chercher des interlocuteurs qui ne peuvent nous répliquer.

M. Devaux. - Je ne comptais pas rentrer dans la discussion. J'ai demandé la parole, parce qu'il m'a semblé que mes intentions n'étaient pas très bien interprétées par M. le ministre de l'intérieur.

J'avais dit qu'à mon avis le ministère aurait fait une chose utile au pays s'il était parvenu à constituer un parti centre droit.

J'ai ajouté aussitôt (et il me semblait que cela évitait toute incertitude sur la portée de mes paroles) qu'en aucun cas je ne ferais partie de ce centre droit. Je n'ai jamais pensé que tous les partis dussent se fondre en un seul. Mais j'ai cru et je crois encore qu'il faut désirer pour le pays l'existence de deux grands partis également et sincèrement constitutionnels, nationaux et modérés et pouvant, chacun dans son sens, conduire les affaires avec sagesse.

Mon opinion n'est pas que le ministère ne doit appartenir à aucun parti, mais qu'il doit être le modérateur du sien.

Je ne suis donc pas tout à fait d'accord avec M. le ministre de l'intérieur. Ce qui prouve du reste que dans la pratique, M. le ministre lui-même, quel que soit son désir de modération, ne confond pas tous les partis en un seul, c'est qu'il ne lui est pas indifférent d'être appuyé par un de ces partis ou par l'autre, et qu'il en est un dont les éloges, vous a-t-il dit, lui paraissent des pièges.

Cette considération que l'appui de mon parti pourrait être compromettant pour le ministère, me permettra de refuser avec d'autant moins de scrupule le vote de confiance que réclame le discours du trône.

I| y a un vote que, s'il était dans les usages parlementaires, je ne refuserais pas à ceux des ministres qui dirigent la politique du cabinet ; c'est un vote d'estime. On peut accorder son estime même à ses adversaires politiques, mais le concours politique ne se promet d'avance qu'à ceux dont on partage les opinions.

Nous n'en sommes d'ailleurs plus à ne juger le gouvernement que par ses intentions. Il y a d'autres actes encore que le paragraphe de l'adresse, qui constituent un dissentiment entre lui et nous. La présentation d'une nouvelle loi sur les fondations charitables est un de ces actes.

M. le ministre vient de parler de ce projet de loi comme s'il n'avait aucun caractère à lui, comme si c'était une simple occasion offerte à toutes les opinions de se produire et de se concilier. S'il en est ainsi, je demanderai pourquoi le gouvernement a retiré le projet de ses prédécesseurs, qui pouvait atteindre ce but, comme celui du ministère actuel, et d'autant mieux qu'en lui-même il était plus conciliant.

Enfin, messieurs, s'il est une partie des ministres qui représentent très honorablement l'opinion à laquelle ils appartiennent et sont tout à fait à leur place dans un cabinet, je ne puis oublier qu'il en est d'autres qui n'y représentent absolument qu'eux-mêmes et qui, croyant avoir à faire preuve de sympathies envers une opinion à laquelle leurs antécédents ne donnent pas assez de gages, sont dans leurs actes administratifs, et principalement dans leurs nominations, guidés par une partialité extrême et par des motifs contre lesquels on ne saurait trop s'élever.

Telles sont, messieurs, les raisons de mon vote négatif, et je ne pense pas que ce vote puisse étonner le ministère, ni même, vu les circonstances, qu'il le mécontente beaucoup.

M. Dumortier. - Messieurs, l'honorable préopinant vient de répéter le vœu qu'il a émis dans une séance précédente, de voir la droite se fractionner et former ce qu'il appelle un parti tory. L'honorable membre peut être assuré qu'il n'aura pas cette satisfaction. La droite a ses habitudes. Quand les questions ne sont pas importantes, chacun de nous a des opinions qu'il émet à son gré, sans pour cela qu'elle soit divisée. Quand les questions sont importantes, sans pression, sans effort, sans agir sur la conscience de personne, la droite ne se divise pas, parce que dans ces circonstances ses convictions sont les mêmes.

Je conçois fort bien qu'il conviendrait à l'honorable membre que la droite se divisât. C'est une vieille maxime : divide et impera. Mais je dois répéter qu'il n'obtiendra pas cette satisfaction, et que l'on nous considère comme on veut quand on parle de la droite, soit comme des ennemis de nos institutions, soit comme des crétins, nous voterons tous le dernier paragraphe de l'adresse, accordant notre confiance au gouvernement, prouvant ainsi que nous ne voulons pas de division parmi nous et qu'il n'y a ni extrême droite ni droite modérée.

M. de Baillet-Latour. - J'ai demandé la parole pour motiver en quelques mots mon vote sur l'ensemble de l'adresse.

Je suis partisan de toutes les libertés, mais en même temps, je désapprouve tous les abus. Si je blâme, d'un côté, très sévèrement le haut clergé d'avoir abusé de son droit de critique pour déconsidérer les universités de l'Etat par des dénonciations abusives dans leur généralité et peut-être intéressées dans leur but, d'un autre côté je ne puis absoudre les professeurs, quel que soit leur mérite scientifique, qui ont oublié dans leur enseignement la réserve et l'esprit de convenance dont ils ne devraient jamais se départir vis-à-vis des croyances de leurs élèves.

J'aurais accepté les déclarations du gouvernement, si le gouvernement s'était borné à des déclarations. Mais il a cru devoir faire intervenir la Chambre, par l'intermédiaire du discours du trône, dans une question que je regarde, à l'exemple de l'honorable M. Devaux, comme exclusivement administrative et relevant exclusivement de la responsabilité ministérielle. En outre, il a tracé, dans le discours, des limites, des règles, dont la stipulation, en quelque sorte législative, tend à diminuer cette responsabilité, en diminuant l'action indépendante de d'administration.

Une pareille manière de procéder appelait nécessairement une réponse de la Chambre. Cette réponse pouvait rétablir les vrais principes. Mais confiée à une commission formée presque exclusivement de membres de la nouvelle majorité dont je ne fais pas partie, elle a pris par la rédaction du projet une couleur restrictive quant au but, vague, énigmatique, quant à l'expression.

Cette réponse a été acceptée en ce sens par le gouvernement. L'adresse est donc empreinte, du moins dans le paragraphe relatif à l'enseignement, de l'esprit d'un parti qui n'est pas le mien. Cette circonstance, jointe aux raisons que je viens de déduire, ne me permet pas de lui donner mon voie approbatif.

- Le paragraphe est mis aux voix et adopté.

Vote sur l’ensemble du projet

Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble de l'adresse.

95 membres prennent part au vote.

58 votent pour l'adresse.

37 votent contre.

En conséquence, l'adresse est adoptée.

Ont voté l'adoption : MM. Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Cromphaut, Vanden Branden de Reeth, Vander Donckt, Van Goethem, Van Overloop, Van Renyughe, Van Tieghem, Vermeire, Vilain XIIII, Wasseige, Wautelet, Boulez, Brixhe, Coomans, Crombez, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker, de Haerne, de Kerchove, de La Coste, de Liedekerke, F. de Mérode, de Naeyer, de Pitteurs-Hoegaerts, de Portemont, de Rasse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon, Dumortier, Faignart, Jacques, Janssens, Julliot, Lambin, Landeloos, Le Bailly de Tilleghem, Licot, (page 159) Maertens, Magherman, Malou, Mercier, Moncheur, Osy, Rodenbach, Rousselle, Tack, Thibaut et Delehaye.

Ont voté le rejet : MM. Thiéfry, Tremouroux,Vandenpeereboom, Van Iseghem, Verhaegen, Vervoort, Veydt, Allard, Ansiau, Coppieters, t Wallant, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Breyne, de Bronckart, Delexhy, Deliége, de Moor, de Paul, de Perceval, de Steenhault, Devaux, Frère-Orban, Goblet, Grosfils, Lange, Laubry, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Mascart, Matthieu, Moreau, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, Sinave et Tesch.

- Il est procédé au tirage au sort de la commission chargée de présenter l'adresse à Sa Majesté. Elle se compose de M. le président et de MM. de Naeyer, Veydt, Laubry, Vander Donckt, de Liedekerke, de Kerchove, Crombez, Delexhy, Van Iseghem, de Haerne et Ruisselle.

Projet de loi sur l’organisation judiciaire

Motion d’ordre

M. Lelièvre. - La Chambre a décidé qu'elle s'occupera, après l'adresse, de ma proposition ayant pour objet de renvoyer à une commission spéciale l'examen du projet de loi concernant l'organisation judiciaire. Je renouvelle cette proposition que je crois éminemment utile. En conséquence, je prie la Chambre de l'accueillir.

- La proposition de M. Lelièvre est adoptée.

M. Rousselle. -Je demande que la commission qui sera chargée d'examiner ce projet soit composée de neuf membres, un par province. Il s'agit de classer les tribunaux.

M. Thibaut. - Je puis accepter la première partie de la proposition de l'honorable M. Rousselle, c'est-à-dire que je suis aussi d'avis que la commission peut être composée de neuf membres. Mais je crois qu'il convient de laisser au bureau le choix de ses membres sans l'astreindre à en prendre un dans chaque province.

C'est le moyen d'avoir une commission composée de la manière la plus convenable.

- La Chambre décide que la commission sera composée de neuf membres et nommée par le bureau.

Ordre des travaux de la chambre

M. Orts (pour une motion d’ordre). - Messieurs, j'ai remarqué que l'un des premiers objets qui figurent à l'ordre du jour est le projet de loi concernant l'enseignement supérieur. Je ne crois pas que la Chambre soit préparée à aborder cet objet immédiatement ; je demanderai qu'on y substitue le budget de la justice.

M. le président. - M. le ministre de la justice vient de demander que ce budget fût mis à l'ordre du jour de mardi prochain.

- Cette proposition est mise aux voix et adoptée.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère des travaux publics

Motion d'ordre

M. Frère-Orban. - Messieurs, il y a à l'ordre du jour un projet de loi allouant un crédit au département des travaux publics. Ce projet avait été détaché du grand projet présenté par le gouvernement dans le cours de la dernière session ; on en avait détaché quelques articles à raison de l'urgence, la session étant sur le point d'être close. Aujourd'hui, messieurs, la même raison n'existe plus, et il importe que le projet soit examiné dans son ensemble.

Il se rattache à une question fort importante, à la question de la situation financière, et je pense que le gouvernement reconnaîtra qu'il convient de suivre la marche que je viens d'indiquer.

M. le ministre des travaux publics (M. Dumon). - Je dois reconnaître avec l'honorable membre qu'il serait à désirer que le projet de loi relatif aux ressources nécessaires pour mettre le chemin de fer dans un état parfait d'exploitation pût être examiné comme question d'ensemble. Cela serait plus favorable qu'une discussion du projet en plusieurs crédits spéciaux ; un examen d'ensemble ferait apprécier avec bien plus de justesse et d'exactitude les besoins du chemin de fer et les sacrifices que l'Etat doit s'imposer pour pouvoir retirer de ce grand instrument de la fortune publique tout le parti possible. Il faudrait pour cela qu'on pût donner à la discussion toute l'importance qu'elle mérite, et cette discussion devrait embrasser toutes les parties de l'administration.

Mais comme l'a dit l'honorable M. Frère-Orban, la question se complique de la situation financière. Il y a 21 millions à prendre sur les ressources extraordinaires et non pas sur les revenus ordinaires de nos budgets, qui ne sont destinés qu'à faire face aux besoins ordinaires. Ce sont 21 millions qui doivent nécessairement être prélevés sur l'emprunt. Aussi dans l'intention première du gouvernement, le projet de loi relatif aux 21 millions destinés à achever le chemin de fer se liait intimement au projet d'emprunt.

A la fin de la session dernière la Chambre n'a pas cru avoir devant elle un temps suffisant pour examiner le projet d'emprunt, mais elle a pensé qu'il était indispensable de mettre le département des travaux publics à même de faire face aux besoins les plus urgents, les plus indispensables d'une bonne exploitation. Je demande en quoi cette situation s'est modifiée depuis le mois de mai dernier ? Si nous avions l'espoir de pouvoir négocier dans un bref délai et à des conditions avantageuses un emprunt, je comprendrais la motion de l'honorable M. Frère, mais je ne pense pas que ce projet puisse se réaliser très prochainement.

D'un autre côté, messieurs, si la situation financière présente un déficit, il ne faut pas, cependant, perdre de vue que cette circonstance n'implique pas l'absence de ressources ; les sommes votées ne sont pas toujours dépensées immédiatement et le trésor a toujours un encaisse d'une certaine importance.

Dans cet état de choses, je ne vois pas ce qu'il y aurait à gagner à différer de nouveau l'examen de cette question et pourquoi la Chambre ne pourrait pas allouer dès à présent les sommes les plus indispensables pour faire face aux besoins du service.

Veuillez remarquer, messieurs, qu'il ne s'agit pas de fonds à dépenser immédiatement, car les fournitures, la réception et par conséquent le payement suivent toujours à une très grande distance les commandes.

Je pense donc que la Chambre pourrait examiner le projet sans déroger au principe posé par l'honorable M. Frère, principe d'une très grande justesse, et qu'elle pourrait accorder au département des travaux publics les crédits nécessaires pour faire les commandes les plus urgents.

M. Moncheur. - Je pense, messieurs, que nous serons tous d'accord sur la marche à suivre en cette occasion. Un projet de loi a été présenté par le gouvernement, et examiné dans les sections.

La section centrale a fait son rapport ; par conséquent la Chambre est saisie de ce projet. Seulement dans la dernière séance de la session précédente, le gouvernement a présenté un amendement à son propre projet ; d'autres amendements ont été déposés, dont l'un, je pense, par l'honorable M. Osy. On a été aux voix sur cet amendement, et la Chambre ne s'est pas trouvée en nombre.

Aujourd'hui le projet reparaît devant la Chambre dans les mêmes termes où il se trouvait auparavant ; car je pense qu'il y aura lieu de rouvrir la discussion sur l'ensemble, vu les nouveaux membres que les élections ont amenés dans la Chambre.

Je crois, messieurs, que nous pouvons être tous d'accord sur cette question qui est de pure forme : à savoir que le projet doit être mis en discussion tel qu'il a été proposé primitivement et avec les amendements qui ont été déposés ou qui le seront encore par divers membres de la Chambre ou même par le gouvernement.

M. Osy. - Messieurs, je pense que nous n'aurons qu'à voter sur l'amendement qui a déjà été mis aux voix à la fin de la session dernière et qui a été adopté à l'unanimité, sauf qu'il manquait cinq membres, pour que nous fussions en nombre. Ces cinq membres se trouvaient dans l'antichambre et ils n'ont pas voulu entrer dans la salle ; je ne veux pas examiner les motifs pour lesquels ces messieurs ont refusé de venir voter, c'est leur affaire ; je constate seulement que si la Chambre s'était trouvée en nombre le projet était adopté à la presque unanimité.

Comme le disait fort bien M. le ministre des travaux publics, les fonds qu'il s'agit de voter ne se dépenseront pas en 1857, mais il est indispensable que le gouvernement puisse faire les commandes en temps utile. La diminution de recettes que nous remarquons provient principalement de l'insuffisance du matériel.

On est préoccupé de la situation financière, mais cette situation est la même que l'année dernière. Il s'agissait de 21 millions qui devaient être demandés à l'emprunt, nous avons ajourné le projet d'emprunt et nous avons proposé 5 millions, au lieu de 21 millions pour le matériel du chemin de fer.

Il s'agit de donner au gouvernement la faculté de faire des commandes en temps utile ; il est certes très fâcheux que le gouvernement n'ait pas pu en faire depuis le mois de mai dernier. Nous pourrions donc très bien nous occuper de l'amendement qui allouait 5 millions. L'amendement a été examiné ; la discussion a été même close ; il ne s'agirait donc plus que d'un simple vote.

M. Vander Donckt. - Un honorable membre vient de proposer d'ajouter la discussion du projet de loi sur les jurys d'examen.

Vous aurez tous vu dans le rapport qui vous est soumis que la section centrale n'est pas d'accord sur la rédaction de plusieurs articles. Ne serait-il pas bon, et j'en fais la proposition formelle, de renvoyer le rapport à la section centrale afin qu'elle se réunisse et se mette d'accord ? Ce serait le moyen d'abréger la discussion publique. Si l'on présente un rapport sur lequel il y a désaccord en partie, le débat ne pourra que difficilement aboutir.

M. le président. - Il ne s'agit pas de cela en ce moment ; on discute la question de savoir si l'on mettra à l'ordre du jour de demain un crédit de 5 millions pour le chemin de fer.

M. Lelièvre. - La partie du projet qui a été soumise au vote de la Chambre et qui aurait été adoptée, si celle-ci s'était trouvée en nombre, concerne des objets urgents dont nous pouvons nous occuper immédiatement. Cette partie du projet n'avait, dans la dernière session, donné lieu à aucun débat sérieux et on était assez généralement d'accord sur son adoption.

Il me semble, messieurs, que rien n'empêche de voter de suite les fonds relativement aux travaux en question dont l'utilité ne peut être méconnue.

M. Frère-Orban. - Messieurs, l'opinion que vient d'émettre l'honorable M. Lelièvre, n'est pas admissible. Au dernier jour et à la dernière heure de la dernière séance de votre dernière session, on a essayé d'obtenir sans discussion le vote de 5 millions de francs. Je suis un de ceux qui se sont refusés à s'associer à une pareille manière de procéder ; j'ai dit que la discussion étant impossible, je ne pouvais pas voter les 5 millions sans m'être éclairé. Aujourd'hui on dit qu'il suffit de voter ; ainsi on ne discutera même pas, la Chambre n'a pas besoin d'être éclairée : il y a eu des élections qui ont amené de nouveaux (page 160) membres dans cette Chambre ; qu'importe, ils voterait sans examen les 5 millions qu'on leur demande. Qu'est-ce que je désire, au contraire ? Je désire simplement qu'on discute le projet du gouvernement ; je demande qu'on ne s'occupe plus d'un amendement de circonstances puisque les motifs pour lesquels on l'avait proposé, à la dernière session, n'existent plus aujourd'hui. Le gouvernement a proposé un crédit non pas de 5 millions, mais de 21 millions ; je demande que ce dernier projet soit mis à l'ordre du jour, il est de la plus haute importance que nous examinions ce projet d'une manière sérieuse et approfondie pour notre propre responsabilité vis-à-vis du pays ; mais il est encore extrêmement essentiel que nous l'examinions dans ses rapports avec la situation financière.

Le gouvernement a fait une autre proposition ; je suis encore prêt à l'examiner ; il est très vraisemblable que ces propositions seront votées ; mais pouvez-vous les voter sans les examiner et les discuter ?

M. Osy. - Je conviens qu'eu égard aux circonstances où nous nous trouvions à la fin de la dernière session, nous ne devons pas tenir à l'exécution rigoureuse du règlement ; je conviens avec- l’honorable M. Frère que l'intérêt du pays doit primer le règlement ; aussi, je ne m'oppose pas à ce qu'on remette en discussion l'amendement relatif aux cinq millions, quoique la discussion ait été close dans la séance du 22 mai dernier.

Je n'ai pas critiqué le départ de cinq de nos collègues au moment du vote ; j'ai seulement rappelé le fait ; ces honorables membres ont eu sans doute des motifs pour agir ainsi ; pour moi, je le regrette dans l'intérêt du pays.

Il est absolument nécessaire que nous augmentions le matériel du chemin de fer. Cette nécessité ressort des travaux des commissions qu'on a nommées près du département des travaux publics, ainsi que des discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte. Je vous prédis que si vous ne contrebalancez pas les avantages que vous avez faits aux sociétés concessionnaires, les recettes du chemin de fer, qui sont déjà diminuées, iront en décroissant de plus en plus.

Je propose à la Chambre de remettre demain en discussion les cinq millions pour les chemins de fer.

M. le ministre des finances (M. Mercier). - Messieurs, il est un point sur lequel nous sommes tous d'accord : c'est que le débat qui a commencé, à la fin de la session dernière, sera continué dans la séance de demain ; on ne se bornera pas à un simple vote.

En ce qui concerne le rapport de cette dépense avec la situation financière, je ferai remarquer que si les circonstances ne se prêtaient pas à la conclusion d'un emprunt à des conditions favorables dans un délai plus ou moins rapproché, les dépenses seraient modérées par le gouvernement alors même que la Chambre voterait le crédit de 21,000,000 de fr. ; les travaux seraient proportionnés aux ressources que le gouvernement pourrait consacrer à cet objet. Je fais seulement observer qu'il y a des dépenses urgentes et qu'il importe de les autoriser sans retard.

- La discussion est close.

M. le président. - Je mets aux voix la proposition de M. Osy qui tend à mettre à l'ordre du jour de demain la discussion du crédit de 5 millions.

M. Frère-Orban. - J'ai fait la proposition de mettre à l'ordre du jour le projet primitif du gouvernement ; elle doit avoir la priorité.

M. le président. - Je mets aux voix la proposition de M. Frère relative au projet primitif du gouvernement des 21 millions.

- Cette proposition est mise aux voix. Elle n'est pas adoptée.

M. le président. - Je mets aux voix la proposition de M. Osy relative au projet réduit à 5 millions.

Plusieurs voix. - L'appel nominal !

- Il est procédé à cette opération. En voici le résultat :

61 membres répondent à l'appel.

48 répondent oui.

13 répondent non.

En conséquence, la proposition est adoptée et le projet de loi, tel qu'il a été soumis aux délibérations de la Chambre, sera misa l'ordre du jour de demain.

Ont répondu oui : MM. Thienpont, Van Cromphaut, Vander Donckt, Van Iseghem, Van Overloop, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Wasseige, Wautelet, Allard, Brixhe, Crombez, de Haerne, F. de Mérode, de Naeyer, de Paul de Portemont, de Rasse, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, de Theux, de T'Serclaes, Dumon, Faignart, Jacques, Lambin, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Licot, Magherman, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Rodenbach, Rousselle, Tack, Tesch et Delehaye.

Ont répondu non : MM. Vandenpeereboom, Verhaegen, David, Delexhy, de Moor, de Perceval, Devaux, Frère-Orban, Grosfils, Julliot, Orts, Rogier et Sinave.

- La séance est levée à 3 heures et trois quarts.