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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 17 février 1859

Séance du 17 février 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1858-1859)

(page 585) (Présidence de M. Orts, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Boe procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. Vermeire lit le procès-verbal de la séance précédente.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Lambert appelle l'attention de la Chambre sur la nécessité de réviser la législation des cimetières. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Projet de loi révisant le code pénal (livre II, titre IV)

Discussion des articles

Titre IV. Des crimes et des délits contre l'ordre public, commis par des fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions, où par les ministres des cultes, dans l'exercice de leur ministère

Chapitre IX. Des infractions commises par les ministres des cultes dans l'exercice de leurs fonctions
Articles 295 et suivants

M. le président. - La parole est à M. de Haerne.

M. de Haerne. - Messieurs, dans la séance du 2 mai 1857, à propos du projet de loi relatif aux institutions de bienfaisance, j'ai eu l'honneur de dire à la Chambre que je ne comprenais pas comment, dans un pays comme le nôtre, on pût chercher à amoindrir l'influence religieuse, vu que le principe religieux a toujours été une des principales bases du patriotisme et de l'existence du pays.

J'ajoutais que cette influence doit servir de contre-poids à d'autres influences, également libres, mais qui, sans cette condition, mèneraient le pays à sa perte.

Messieurs, le caractère donné à la présente discussion, depuis qu'elle est ouverte, m'oblige à émettre la même idée, d'autant plus qu'il s'agit ici plus directement de la question religieuse que lorsque nous nous occupions du projet de loi dont je viens de parler.

Je rappellerai que lorsque nous votâmes avec enthousiasme toutes les libertés populaires qui font l'honneur du pays, nous crûmes qu'il fallait établir au moral une espèce de balance et de contre-poids entre elles et que si l'on entravait l'une de ces libertés, on s'exposait à les voir tomber toutes. C'est sur ce terrain vraiment libéral que chacun peut espérer d'amener, par la persuasion, le triomphe pacifique de ses opinions.

Je crois que c'est bien le cas de parler ainsi, à l'occasion des articles du Code pénal en discussion.

Quelle est l'origine de ces articles ? On en a déjà parlé diversement ; permettez-moi, messieurs, d'ajouter une circonstance à celles qui vous ont été rappelées à ce sujet.

Je dirai qu'autrefois on ne les connaissait pas en Belgique, pas plus que dans la plupart des pays de l’Europe. Le droit était alors le droit féodal, c'est-à dire le privilège pour toutes les institutions reconnues, même pour toutes les corporations et les confréries.

Le clergé était une corporation ; il jouissait d'un privilège dans cette matière, comme dans d'autres ; il avait ce qu'on appelait des immunités, d'après lesquelles il ne plaidait que devant des juges ecclésiastiques, reconnus comme tels par l'Etat.

Ces immunités, je n'ai pas besoin de le dire, ne sont plus en rapport avec les institutions modernes ; aussi, vous le savez, dans la fameuse séance de nuit du 4 août 1789, elles furent balayées avec tous les débris du moyen âge.

Ce que le temps a fait à cet égard, nous le respectons, mais nous n'entendons pas entrer dans une voie de réaction qui ne fut pas même ouverte en 1789. Alors on mit le droit commun à la place du privilège. Plus tard il y eut réaction ; et de réaction en réaction, de conséquence en conséquente, la société fut entraînée jusque dans l'abîme. Prenons garde d'ouvrir encore des abîmes semblables à ceux où la société s'est précipitée autrefois pour ne pas avoir évité les fautes que je viens d'indiquer.

Messieurs, remarquons bien qu'en 1810, il n'y avait pas de liberté de la presse, il n'y avait pas de liberté d'association ; il n'est donc pas étonnant qu'en restant conséquent avec le système de réaction organisé à la suite de 1789, on établit des restrictions à la liberté religieuse.

On était conséquent, messieurs, et alors on pouvait empêcher les abus vrais ou supposés, comme on l'entendait, d'une manière générale.

Mais aujourd'hui on tombe dans une grave inconséquence en voulant d'un côté restreindre la liberté religieuse et, d'un autre côté, élargir la liberté civile. C'est là un système bâtard que je ne puis comprendre, c'est l'erreur dans laquelle on verse depuis quelque temps en Belgique, système dangereux, s'il en fut jamais, et qui est en opposition avec nos précédents historiques.

J'ose dire, messieurs, avec plusieurs honorables préopinants, et notamment avec l'honorable M. De Fré dont les accents patriotiques et éloquents m'ont paru des échos du langage qui a retenti autrefois dans cette enceinte, du temps du Congrès, j'ose dire, si ce n'est quant à la lettre, du moins quant à l'esprit, que le souffle de liberté de cette belle époque a emporté les débris de l'ancien régime français. Le Congrès était antipathique à ces idées étrangères, et j'ai la conviction, d'après les impressions qui me restent de cette mémorable assemblée, que si la question avait été formellement posée, la même majorité qui a voté les libertés religieuses, eût également repoussé, dans leur application et dans leur texte, les articles du Code pénal qu'on veut rétablir aujourd'hui.

Quant à mon opinion d'autrefois et à celle que j'ai professée sur cette question depuis, elle ne saurait être douteuse pour aucun membre de cette Chambre, et je n'ai pas à répéter les paroles que j'ai prononcées à cette époque.

L'honorable M. Van Overloop a, d'ailleurs, bien voulu rappeler quelques-unes des paroles que j'ai prononcées au Congrès, paroles par lesquelles je menais de la manière la plus formelle toutes les libertés sur la même ligne, sans exception aucune.

Telle est encore mon idée, et je ne crois pas en avoir jamais dévié ; si, du reste, il m'est arrivé quelque écart sous ce rapport, je vous assure que je ne me le rappelle nullement.

On vous a dit, messieurs, que l'on n'avait pas réclamé précédemment contre l'application des articles du Code pénal dont il est aujourd'hui question. Je ne répéterai pas ce qui a été déjà dit à cet égard par d'honorables préopinants et notamment par l’honorable M. de Theux.

Mais j'ai un seul mot à ajouter en réponse à ce qu'a allégué sous ce rapport M. le ministre de la justice en ce qui concerne le clergé ; car, si j'ai bonne mémoire, M. le ministre de la justice doit avoir dit aussi que le clergé n'a pas réclamé.

Eh bien, messieurs, j'ai l'honneur de dire que le clergé, dans la personne de ses chefs, a réclamé d'avance et voici de quelle manière.

Lorsque, en 1830, le projet de Constitution fut soumis au Congrès, monseigneur le prince de Méan, alors archevêque de Malines, s'adressa à cette illustre assemblée ; il lui fit connaître les vues du clergé et s'appuya de la manière la plus formelle sur les arrêtés du gouvernement provisoire, du 16 octobre 1830 relatifs à toutes les libertés et notamment à la liberté des cultes.

Je n'ai pas besoin, messieurs, de vous lire ces arrêtés ; on en a donné lecture plusieurs fois déjà dans cette discussion et ce serait abuser de la patience de la Chambre que de les lire de nouveau.

Voici dans quel sens s'énonça le prince de Méan au Congrès constituant, dans une pièce datée de Malines le 13 décembre 1830.

Je supprime plusieurs passages de cette lettre qui ne se rattachent pas à la matière qui nous occupe ; mais voici ce qui se rapporte à la question ;

« Bien que, par ses deux arrêtés du 16 octobre, le gouvernement provisoire ait affranchi le culte catholique de toutes les entraves mises à son exercice et lui ait accordé cette liberté dans toute son étendue, il est cependant indispensable de la consacrer de nouveau dans la Constitution afin d'en assurer aux catholiques la paisible et perpétuelle jouissance. »

Vous voyez, messieurs, que l'autorité religieuse adoptait sans aucune arrière-pensée les principes véritablement libéraux posés par le gouvernement provisoire. Qu'il me soit permis de dire ici en passant que cela répond à toutes les attaques qui ont été dirigées tant de fois contre l'opinion religieuse à propos de la liberté des cultes, car ici le chef éminent du clergé de cette époque demande la liberté, toute la liberté, mais rien que la liberté. C'est encore ce que nous demandons aujourd’hui.

On n'a pas réclamé ! je vais plus loin et j'ajoute que dès l'instant que le Congrès semblait vouloir faire un pas en arrière, pour adopter une idée plus ou moins en opposition avec les arrêtés que je viens d'avoir l'honneur de citer, le même chef du diocèse de Malines, fit des remontrances. C'est ce qui arriva à propos de la question du mariage, question sur laquelle je veux dire un mot afin de faire ressortir de quelle manière on a réclamé. Vous savez que le gouvernement provisoire avait aussi établi la liberté entière sous ce rapport ; c'est à-dire qu'il n'avait pas introduit le principe inscrit dans la Constitution, quant à la priorité du mariage civil sur le mariage religieux.

Que fit le clergé ? Aussitôt que cette mesure eut paru, l'épiscopat donna des ordres pour qu'on suivit la règle ordinaire, c'est-à-dire qu'on s'abstînt, en règle générale, de bénir le mariage avant que l'union civile eût été constatée. Mais le clergé déclara en même temps qu'il y a des cas où un piètre par devoir de conscience doit nécessairement procéder à la bénédiction nuptiale, alors même que le mariage civil n'aurait pas été contracté. C'est ce qui fut avancé par l'archevêque de Malines, prince de Méan.

J'eus l'honneur d'être son faible écho dans cette enceinte où je soutins le même principe qui fut appuyé par un grand nombre de libéraux, entre autres par M. de Robaulx. Nous ne voulions pas que le mariage religieux pût précéder le mariage civil d'une manière générale, mats qu'après une enquête préalable, on établît des cas d'exemption dans la loi, des cas de nécessité grave, reconnue par le juge de paix du (page 586) canton, par exemple, ou qu'on pourvût à ces nécessités d'une autre manière.

C'est sur la réclamation faite à cette époque par l'épiscopat que la Constitution, en posant le principe de la priorité du mariage civil a prévu des exceptions possibles, dont malheureusement la loi ne tient pas compte.

D'après cela il est dit que le mariage civil doit précéder le mariage religieux, « sauf les ces d'exception à établir par la loi, s'il y a lieu ». Que signifient ces mots ? Ces mots qui furent introduits sur les réclamations du clergé supposent évidemment qu'il peut y avoir des cas d'exception. C'est ce que le clergé catholique soutient partout.

Il est donc inexact de dire qu'il n'y a pas eu d'observations faites à ce sujet par le clergé.

Il y en a eu d'abord une en général, comme j'ai eu l'honneur de vous le faire voir, et ensuite il y en a eu, auxquelles les circonstances semblaient donner occasion. Quant aux articles du Code dont il s'agit, on les croyait abrogés, malgré quelques jugements partiels en sens opposé.

Messieurs, s'il n'y a pas eu de réclamations nouvelles plus tard à 'a suite de certaines condamnations, s'il n'y en a pas aujourd'hui, il est assez facile de comprendre pourquoi le clergé a gardé cette attitude.

C'est à cause de l'irritation que jettent dans le pays les observations faites par le clergé, et surtout par le haut clergé. Mais si l'on veut connaître l'avis du clergé sur ce point, il n'y a qu'à dire que tel évêque professe l'opinion du gouvernement, et je suis sûr que dans les vingt-quatre heures vous aurez une réclamation.

Je dis donc que d'après l'esprit qui a prévalu en 1830, d'après l'esprit de la Constitution, les articles dont il s'agit ne peuvent être acceptés.

Telle est ma conviction, je l'ai toujours eue, je dois la professer encore, et je dis que le système proposé n'est pas belge ; c'est un système étranger, c'est un système renouvelé du régime français, mais ce n'est pas là de la liberté. On veut de la liberté d'un côté, mais on n'en veut pas en toute chose, on n'en veut pas pour tout le monde. On veut être libre et l'on ne sait pas être Belge. On veut cumuler les honneurs de la liberté avec les avantages du pouvoir absolu.

On a dit à satiété : Pas de politique en chaire ! Je suis bien de cet avis. Je m'associe complétement à cet égard aux paroles qui ont été prononcées précédemment par un grand nombre de nos honorables amis. Mais je demanderai où est la limite et qui en jugera.

On a dit que c'était au point de vue religieux qu'on voulait proscrire la politique en chaire. L'intention est bonne, je dirai que cette compassion part d'un bon naturel. Mais j'ajouterai : quittez ces soucis ; mais quant aux intérêts de la religion, il y en a d'autres pour y veiller. Je conçois que vous vous occupiez de la question au point de vue civil. Mais alors je vous demanderai de rester dans ce que nous appelons le droit commun ; et je dirai que si d'un côté vous n'êtes pas alarmés des débordements de toutes les erreurs, de toutes les passions, tel que celui dont nous avons le spectacle sons les yeux, et dans certaines associations et dans la presse, si vous se reculez pas devant l'application de nos beaux principes sous ce rapport, si vous ne craignez pas la proclamation de l’athéisme par les mille voix de la presse, ou la proclamation du mazzinisme, c'est-à-dire le culte du poignard, si vous n'avez pas peur de cela, et je m'en ai pas peur non plus, pour ma patrie, vous ne devez pas craindre non plus qu'un vicaire de campagne vienne dire en chaire des paroles un peu acerbes à l'égard d'un bourgmestre ou d'un garde champêtre.

Vous croyez que la Belgique est en danger, que l'ordre public doit souffrir de ce qu'on se permettrait par mégarde, ou par passion, si vous le voulez, quelques excès à cet égard. Et vous ne craignez pas les plus grands excès qui débordent aujourd'hui sur la société tout entière. C'est une grave inconséquence et je ne comprends pas qu'on puisse se placer à ce point de vue et qu'on veuille, d'après ces idées, comprimer l'influence religieuse, plus nécessaire que jamais pour arrêter le progrès des passions antisociales. Autrefois du moins on était logique ; on supprimait toutes les libertés, et de cette manière ou pouvait atteindre le but qu'on se proposait, du moins pour le moment.

Pour éviter la politique en chaire, il faudrait toujours connaître la limite qui sépare le domaine politique du domaine religieux. Mais, il y a mille points de contact entre ces deux ordres d'idées, il y a des matières essentiellement mixtes.

C'est ici que se révèle surtout le danger du projet de loi. Permettez-moi ce demander ce qu'on penserait par exemple, d'un ministre d'un culte quelconque, qui viendrait dire en chaire qu'il n'est pas permis au pouvoir civil d'établir le divorce.

Que diriez-vous ?

Vous diriez qu'il tombe sous l'application des articles du Code pénal.

Vous le traduiriez devant les tribunaux, il serait très probablement condamné, parce qu'enfin on verrait une censure dans ses paroles, on y verrait la critique des actes du gouvernement, la critique d'une loi. Voilà où vous arrivez.

Cependant ce serait tout simplement un texte de l'Evangile qu'il énoncerait :

« Ce que Dieu a uni, l'homme ne peut le séparer. »

Je sais bien, messieurs, que dans les gouvernements comme le nôtre, le divorce peut être toléré. Lorsqu'il y a une séparation entre les deux pouvoirs telle que celle qui existe en Belgique, le lien conjugal au point de vue légal, est purement civil et l'Etat peut retirer ce qu'il a donné, sans toucher au lien religieux, qu'il ne connaît pas. Ce système se comprend.

Mais le ministre du culte doit-il se placer à ce point de vue ? Et si vous voulez qu'il s'y place, ne le forcez-vous pas à faire de la politique en chaire ? Voilà donc la politique qui doit entrer dans la chaire. Car vous ne sortirez pas de ce dilemme : ou il faut que le prêtre énonce, d'après l'évangile, un principe que vous déclarez contraire à la loi, ou il faut qu'il entre dans des considérations politiques.

Vous voyez donc qu'il y a des matières mixtes, qu'il y a des matières tellement délicates qu'il est impossible d'assigner les limites auxquelles il faut s'arrêter pour ne pas toucher au domaine politique.

Messieurs, dans les pays vraiment constitutionnels, on se met au-dessus de ces craintes et l'on admet que la liberté n'est pas plus dangereuse en chaire qu'elle ne l'est dans la presse, qu'elle ne l'est dans les associations ou dans une manifestation quelconque de l'opinion publique.

On vous a parlé plusieurs fois de l'Angleterre. Mais je crois qu'on n'a pas assez précisé les circonstances qui se rapportent au régime anglais quant à la question qui nous occupe. Permettez-moi d'entrer à cet égard dans quelques détails.

Dans ce pays on ne s'occupe nullement des discours que prononçaient en chaire les ministres des cultes, à moins qu'ils n'attaquassent l'autorité d'une manière répréhensible en général ; et alors c'est une question de droit commun. Ainsi l'honorable M. Dumortier vous a cité hier un discours qui a été prononcé peu de temps après la révolution des Indes par le cardinal Wiseman, et qui renfermait la critique des actes du gouvernement indien et même du gouvernement anglais.

Cela n'avait rien d'étonnant ; les ministres des divers cultes avaient tous abondé dans le même sens. Vous vous rappellerez le grand jour d'abstinence et d'humiliation ordonné par le chef de la religion établie, par la Reine d'Angleterre. Il y eut des prédications dans toutes les églises, dans les lieux publics et même à Sydenham, et l'on peut dire que dans ce jour d'abstinence, on ne garda pas une grande abstinence à l'égard du gouvernement, dans les propos que l'on tint en chaire. Le gouvernement s'en alarma-t-il ? Pas le moins du monde.

La presse s'en occupa. Quelques jours après, les ministres du culte catholique parlèrent à peu près dans le même sens ; le cardinal Wiseman, dans un discours prononcé en chaire à Salford, près de Manchester, s'exprima dans le même sens politique.

C'était l'opinion commune des ministres des divers cultes. C'est ce qui fait voir qu'on n'admet pas dans tous les pays que la politique doive être absolument bannie de la chaire. Qu'arriva-t-il, en ce qui concerne le cardinal-archevêque de Westminster ? Son Eminence fut régalée d'une critique dans le Times. Ce journal avait d'abord cité sans observations un passage du discours prononcé par le cardinal dans la cathédrale de Salford : mais il revint sur ses pas et attaqua l'éminent prélat, qui ne s'en émut guère, et qui eut à se féliciter de voir répandre ainsi ses idées dans tout l'univers, but qu'il n'aurait pas pu atteindre si le Times ne lui avait prêté le secours de sa critique.

Que fit le gouvernement, que fit la justice ? Rien, absolument rien. Voilà comment les choses se passent dans ce pays de libre discussion.

Messieurs, on pourrait douter que le régime soit aussi réellement établi en Angleterre, tel que nous voudrions le voir consacré en Belgique ; je veux parler de l'application du droit commun, quant à la matière qui nous occupe et dans laquelle il ne s'agit nullement de protéger les abus qui se commettent à l’occasion de l'exercice du culte ; mais seulement de ne pas faire des lois d'exception, des lois de suspects.

Plusieurs journaux des Flandres ont fait mention d'une lettre que j'ai reçue au sujet de la même question, d'un personnage éminent d'Angleterre. J'avais communiqué mes appréciations sur l'Angleterre à quelques amis qui semblaient douter de l'exactitude de mes observations.

Pour m'en assurer davantage, j'ai écrit à ce personnage anglais qui m’honore de son amitié, et j'ai reçu de lui la réponse que voici :

« Londres, le 8 janvier 1859.

« Monsieur le chanoine,

« En réponse à votre lettre, je puis vous assurer qu'en Angleterre il n'y a aucune législation spéciale pour les délits commis à l’occasion de l'exercice du culte. Nous n'avons pas un ministre des cultes. Nous jouissons d'une liberté parfaite en chaire. Un abus de cette liberté serait jugé d'après les mêmes lois qui atteindraient un semblable délit, dans une assemblée publique et séculière.

« Agréez, etc. »

Voilà, messieurs, la réponse que j'ai reçue d'un personnage éminent d'Angleterre (interruption) et puisqu'on cite son nom à mes côtés, je dirai qu'en effet c'est le cardinal Wiseman lui-même qui m'a fait l’honneur de m'écrire cette lettre.

Ainsi, il est bien établi qu'en Angleterre, dans ce pays vraiment constitutionnel et que nous devrions imiter, si nous voulons rester dans les traditions constitutionnelles et représentatives, on ne connaît pas de lois spéciales en matière de culte, pas plus qu'en matière de presse. (page 587) On pourrait croire que puisque de pareilles dispositions n'existent pas en Angleterre, quant au culte, le culte n'y est pas l'objet d'une protection. C'est une erreur. En Angleterre, lorsqu'on interrompt un ministre du culte, lorsqu'on trouble le culte, même lorsqu'on parle trop haut à l'église, le suisse a le pouvoir, en vertu de la loi, d'aller avertir le policeman qu'on trouve partout dans la rue à Londres, d'après l'admirable organisation de la police anglaise. Celui-ci arrive à l'instant même ; il empoigne le perturbateur, il le conduit hors de l'église et l'assigne à comparaître dans les 8 jours devant le magistrat.

Il y a plus : lorsque, dans des cérémonies extraordinaires, le ministre d'un culte quelconque prévoit qu'il y aura foule et que peut-être il y aura désordre dans l'assemblée de l'église, il a droit de requérir d'avance deux policemen, et ceux qui sont chargés de l'exécution de la loi ont la délicate attention d'envoyer de préférence, autant que possible, des policemen qui appartiennent au culte du ministre qui les a requis. Voilà comment on respecte le culte en Angleterre, pays éminemment religieux, malgré les erreurs de toute espèce qui s'y manifestent en matière de religion.

Messieurs, je puis vous citer des faits dont j'ai été témoin moi-même à Londres. J'ai assisté à des prédications en plein air. Cela est assez commun, à Dublin, par exemple ; là, on comprend qu'il n'y ait pas de trouble, lorsqu'il s’agit de prédications faites par des prêtres catholiques, puisque dans cette ville les catholiques sont en grande majorité. Mais à Londres même, j'ai assisté à une prédication en plein air, du cardinal Wiseman, au quartier des Irlandais ; il y avait peut-être aux abords du quartier trois protestants contre un catholique (la population de Londres a au moins dix protestants contre un catholique). Eh bien, avant de procéder à cette prédication imposante, Son Eminence avertit la police qu'elle allait monter en chaire au quartier des Irlandais. La police arriva et maintint l'ordre.

Il est vrai de dire qu'en Angleterre on désire que les ministres des cultes s'abstiennent de prédications sur les places publiques. Je crois qu'on a cent fois raison en général ; cela est souvent très dangereux ; cela n'est pas toujours dans l'intérêt de la religion. On engage donc les ministres des cultes ne pas se produire ainsi en plein air ; mais lorsqu'ils le font, ils sont protégés, et je dois dire que, malgré tous les avertissements de la police et de l'autorité, les prédications en plein air se multiplient de plus en plus depuis quelque temps.

Nous en avons eu bien des exemples. Il y a quelque temps, il ne se passait pas de dimanche qu'il n'y eût plusieurs prédications à Hyde Park et sur d'autres places publiques ; où on faisait la guerre à ceux qui se promenaient parce qu'on prétendait qu'ils n'observaient pas assez bien le dimanche. Ce sont des excès, je l'avoue, mais c'est là le régime anglais ; c’est pour vous dire que dans ce pays on ne s'effarouche pas des manifestations ; c'est la vie du peuple, c'est la vie libérale.

Voilà la Constitution anglaise ; il y a un certain équilibre dans l'opinion ; quand au contraire on a peur de certaines manifestations, on donne heu à ces manifestations qui se produisent soit en sens contraire, soit dans le même sens, mais sous d'autres formes ; on irrite, et souvent on aggrave le mal. Voilà les conséquences de toute loi comme celle que vous voulez faire adopter.

Il y a en Angleterre des cultes de toute espèce. Les ministres du culte de l'Etat sont rétribués, vous savez dans quelle proportion ; le clergé anglican est à peu près aussi riche que tous les clergés de l'Europe réunis.

Mais la protection dont je viens de prier est accordée, non seulement au culte officiel, mais à tous les cultes, parce que c'est la liberté religieuse qu'on respecte et qu'on veut faire respecter en protégeant le culte.

A propos de la rétribution accordée aux ministres des cultes, ou a cru voir là une raison d'apporter une restriction à la liberté religieuse. Mais en raisonnant ainsi, on se fait une fausse idée du traitement du clergé, qui n'est pas un salaire tel que celui qu'on accorde aux fonctionnaires publics pour des services imposés par l’Etat, mais une indemnité, un moyen d'existence. Je me suis énoncé plusieurs fois dans ce sens devant la Chambre.

J'ai même demandé en 1831 si on ne pouvait pas par une mesure temporaire, transitoire, arriver à la suppression graduelle du traitement des ministres des cultes, sauf à permettre aux fabriques et aux consistoires de faire des acquisitions en proportion des besoins du clergé, en autorisant ainsi l'Etat à retirer successivement les émoluments qu'il donne au clergé.

Ce système a été introduit en partie pour le supplément de certains traitements qui a été mis à la charge des fabriques d’église.

Cette proposition a rencontré de l'opposition sur les bancs sur lesquels je ne siège pas. Et on le conçoit ; les traitements dans plusieurs pays protestants sont considérés comme une faveur pour le gouvernement qui y voit un moyeu de s'attacher le clergé.

Voilà l'idée qu'on a des traitements du clergé non seulement en Angleterre mais même à certains égards en Hollande, Voilà pourquoi le clergé anglais ne veut pas de traitement, et le clergé hollandais a longtemps résisté à ce mode de pourvoir à son existence.

On y voit un principe posé dans l'intérêt de l'Etat. Comment donc tournait-on en tirer un argument en faveur du système qui tendrait à restreindre la liberté du clergé par compensation à une rétribution qui constitue, quant à la forme, un avantage pour l'Etat plutôt que pour l'Eglise ?

On a parlé dans le même sens de la milice.

Si les ministres des cultes étaient astreints au service militaire, ce serait une charge qui pèserait sur le culte, il faudrait prélever sur les traitements futurs les frais de remplacement et les ministres feraient défaut, à moins qu'on ne pût faire des sacrifices extraordinaires pour remplir les rangs du clergé.

Comme les frais des cultes sont à la charge de l'Etat, ces frais s'aggraveraient pour lui, à moins qu'il ne voulût laisser les cultes en souffrance, ce qui serait évidemment contraire à la Constitution.

Telles sont, messieurs, les conséquences de certains raisonnements qu'on a émis dans cette discussion.

C'est assez vous dire que les traitements et l'exemption de la milice ne constituent pas un privilège absolu qu'on puisse invoquer pour faire sanctionner les propositions qu'on vous fait.

On a dit aussi que si l'on sortait du système exceptionnel qui est proposé, on devrait aboutir à une séparation complète, absolue de l'Eglise et de l'Etat. Je ne le crois pas. J'admets, avec ceux qui ont émis cette opinion, que la séparation complète, absolue, n'a jamais existé, et j'ajouterai qu'elle n'existera jamais. Mais il y a d'autres liens entre l'Etat et les cultes, que les liens de sujétion qu'on projette ; il y a d'abord le lien matériel qui consiste à reconnaître aux cultes la personnification civile dans les fabriques d'église et les consistoires.

La séparation n'est donc pas absolue ; vous avez ensuite les traitements, le serment exigé dans certains cas par la loi, et d'autres points de contact, qui font voir que cette séparation ne serait pas absolue avec la liberté que je demande.

On ne peut donc pas dire qu'en plaçant le clergé dans le droit commun, nous tomberions dans le système repoussé par tous les hommes sensés qui se sont occupés de la matière, dans un système de séparation radicale et absolue. Non, ce n'est pas une conséquence qu'on puisse tirer de notre opinion.

N'oublions pas messieurs, que la liberté des cultes a été décrétée dans l'intérêt religieux de la nation, et que c'est sur le terrain de la liberté qu'a été fondée l'union de 1830, union qui tend, non à détruire, mais à restreindre dans certaines limites celle qui doit toujours exister entre la religion et l'Etat, dans l'intérêt de l'Etat plutôt que dans celui de l'Eglise, puisque celle-ci s'est introduite partout par sa propre force bien plus que par l'appui que lui ont prêté les gouvernements.

Dans la séance d'hier, l'honorable M. Verhaegen, que j'avais interpellé par distraction, m'a demandé si, du temps du Congrès, un ministre de culte, qui se serait permis d'attaquer le décret du gouvernement provisoire, prononçant l'exclusion de la famille des Nassau, n'aurait pas été poursuivi par le gouvernement d'alors.

L'honorable président en concluait que la répression spéciale aurait été reconnue à cette époque.

Je ne sais pas si cela a besoin d'une réfutation, puisque enfin on ne s'appuie que sur une supposition. Le fait s'est présenté dans la presse, de la part de ministres du culte ; je ne me rappelle pas qu'il se soit produit ouvertement dans la chaire ; mais, j'ai connu des ecclésiastiques qui ne partageaient pas notre opinion patriotique et qui dans des journaux et des brochures défendaient le gouvernement du roi Guillaume ; j'ai eu l'honneur d'être attaqué par ces collègues. S'ils n'ont pas émis la même opinion en chaire, ce n'est pas qu'ils eussent à craindre quelque chose de la part des tribunaux. L'opinion était que les articles exceptionnels du Code pénal étaient abolis. ils ne pouvaient donc pas se préoccuper de la crainte d'une poursuite judiciaire.

C'était l'opinion, on n'avait pas le moindre doute à cet égard. Mais pourquoi ne vit-on aucun prêtre qui attaquât ce décret en chaire ? Voici pourquoi : celui qui se montrait orangiste dans les rues courait risque qu'on lui fît un mauvais parti ; ceux qui en chaire auraient manifesté des opinions semblables se seraient également exposés.

Quelques rares ecclésiastiques appartenaient à l'opinion orangiste, mais aucun ne la produisit en chaire à cause de l'opposition qu'on aurait rencontrée dans le public. Mais cela ne prouve rien, quant à la thèse que nos adversaires défendent ici contre nous.

On dit aussi, messieurs, que s'il n'y a pas de répression spéciale, il ne doit pas y avoir de protection spéciale et que par conséquent on doit pouvoir interrompre le ministre du culte quand il se permet une critique ou une attaque contre un bourgmestre par exemple ou un membre quelconque de l'administration ; sans cela, dit-on, il n'y a pas égalité.

J'ai déjà démontré que cela n'est pas admis en Angleterre ; mais je suppose que vous permettiez l'interruption, aurez-vous l'égalité ? L'inconvénient, le danger de l'attaque provient, d'après vous, de ce que le ministre du culte est revêtu d'un caractère exceptionnel, d’un caractère religieux.

Si vous permettez l'interruption, donnez-vous ce caractère à l’interrupteur ? Vous voyez qu'elle n'est pas possible, cette égalité. Vous ne l'avez pas non plus dans la presse surtout quand on est attaque dans une brochure, dans un livre, dans un ouvrage non périodique.

Même lorsqu'il s'agit de journaux, on est souvent obligé d'attendre assez longtemps l'insertion de la défense.

Je concevrais le droit de répondre au prêtre par écrit comme on répond par une lettre à un article inséré dans un journal.

(page 588) Je ne reculerais pas devant cette conséquence ; mais l'égalité que vous demandez est impossible. Vous ne pouvez l'avoir dans aucun système ; il y a nécessairement inégalité, d'après la force des choses. C'est un des inconvénients inhérents à la liberté prise en général et qu'il faut savoir supporter, crame tant d'autres, en vue des avantages qui résultent de l'ensemble de notre régime politique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voulez-vous dire par-là qu'il n'y a pas égalité entre celui qui parle le premier et celui qui parle le second ? Qu'est-ce que cela prouve ?

M. de Haerne. - Cela prouve que pour établir autant que possible l'égalité, il n'est pas nécessaire de répondre immédiatement ; dans la presse cela est impossible. Pourquoi le voudrait-on dans l'église ?

M. de Theux. - Dans les tribunaux également.

M. de Haerne. - Nous avons toujours raisonné de cette manière ; nous mettons toutes les libertés sur la même ligne, nous voulons que la liberté des cultes soit placée sur la même ligne que la liberté de la presse. C'est ainsi que nous entendons donner, sur le terrain de la liberté, à la religion tout son prestige, toute l'influence qu'elle doit pouvoir exercer plus que jamais sur les masses, en présence des dangers qui menacent la société.

Messieurs, j'ose soutenir qu'une loi exceptionnelle ne produirait pas l'effet qu'on en attend. Comme j'ai eu déjà l'honneur de le dire, si vous aviez un bras de fer comme Napoléon, vous pourriez comprimer toutes ces libertés, mais vous n'en n'êtes pas là et j'espère que vous n'y arriverez pas. Mais je suppose que vous comprimiez la liberté de la parole en chaire, qu'arrivera-t-il ? C'est qu'elle se produira d'une autre manière.

Ainsi, qu'un ministre de culte, entraîné par un excès de zèle que je désapprouverais, juge convenable de diriger une attaque contre une autorité quelconque ; eh bien, pour peu qu'il soit instruit, pour peu qu'il soit initié aux précautions oratoires, aux convenances sociales, il ne lui sera guère difficile d'éviter les inconvénients auxquels il s'expose et d'échapper à l'application de la loi.

Cela me semble évident et je n'en veux d'autre preuve que ce qui se passe dans cette enceinte. Quand nous avons à attaquer une opinion, si nous craignons d'être désagréables à quelqu'un de nos collègues, nous avons soin de ne pas attaquer l’opinion de front ; nous prenons un biais et nous représentons cette opinion comme ayant été exprimée ailleurs qu'ici. Voilà une des nombreuses précautions oratoires et parlementaires au moyen desquelles on peut échapper à toute espèce de difficulté ; j'en conclus que votre loi serait tout à fait inopérante pour quiconque voudrait l'éluder et qui serait quelque peu au courant des formes de langage usitées partout dans le monde.

Vous concédez que le prêtre peut s'énoncer comme il l'entend et sauf la responsabilité ordinaire, en vertu du droit commun, lorsqu'il recourt, hors du temple, à la liberté d'enseignement, à la liberté d'association. Eh bien, savez-vous ce que fera le prêtre quand il croira, par excès de zèle, devoir faire une critique un peu acerbe d'un acte de l'autorité civile ? IL dira à ses paroissiens : J'ai à vous communiquer des choses que je ne puis pas dire en chaire sans m'exposer à des pénalités ; je vous invite donc à vous rendre au local de l'école libre, là je pourrai dire tout ce que je voudrai.

- Voix à gauche. - C'est évident ; il sera dans son droit.

M. de Haerne. - Et croyez-vous, messieurs, que le prêtre se dépouillera le moins du monde de son autorité en agissant ainsi ; loin de là, je pense que sa parole produira beaucoup plus d'effet, parce que le procédé sera extraordinaire, et excitera davantage l'attention.

- Voix à gauche. - Eh bien, soit ! Il restera ainsi dans la légalité.

M. de Haerne. - Donc la loi est inutile puisque vous n'obviez pas au danger que vous voulez éviter.

Le prêtre aura un autre moyen d'échapper à toute pénalité, il publiera dans un journal ce qui lui est interdit de dire en chaire.

- Voix à gauche. - Encore une fois, il usera de son droit.

M. de Haerne. - Ah ! vous approuvez cela ? Moi, je dis que ce sont des inconséquences ; car, je le répète, le prêtre ne perdra rien de son prestige soit qu'il parle ailleurs que dans la chaire, soit qu'il exprime son opinion par la voie de la presse, pas plus que l'évêque ne perd de son autorité quand il parle à ses ouailles dans une lettre pastorale au lieu de leur parler du haut de la chaire.

Mais ce qui perdra de ton prestige ce sera la loi ; or, il faut que la loi soit respectée, et le véritable danger que vous avez à redouter, c'est que la loi ne devienne un objet de persiflage ; il ne faut pas qu'on puisse éluder la loi, il ne faut pas que le prêtre descendant de la chaire puisse aller dire ailleurs et d'une manière beaucoup plus catégorique ce qu'il n'a pas cru pouvoir dire dans l'église.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On cumule les moyens, l'un n'empêche pas l'autre.

M. de Haerne. - Oui, mais je dis qu'au point de vue social il faut éviter qu'on puisse ainsi jeter le ridicule sur la loi. Eh, messieurs, qu'un excès ou qu'un prétendu excès se produise en chaire et qu'un tribunal prononce une condamnation quelconque, soyez bien persuadés que, dans la plupart des cas, ce sera pour le condamné, non pas une peine, mais l'occasion d'une ovation, comme on l'a vu du temps du gouvernement hollandais. Mon ancien collègue et ami M. de Foere m'a assuré qu'il n'a jamais passé d'années plus heureuses que celles qu'il a passées à Vilvorde. Il est entré dans la prison porté sur les bras de ses concitoyens Eh bien, messieurs, évitez que par des condamnations de cette nature, les victimes ne trouvent en prison des chaînes d'or et à la sortie des couronnes civiques.

La loi dont il s'agit tend évidemment à restreindre la liberté religieuse, c'est là un danger manifeste pour l'avenir, c'est une menace pour toutes les opinions et je ne crains pas de dire avec l'honorable M. De Fré, que cela nous annonce des événements dans le sens de l'apologue que vous a exposé cet honorable membre.

L'honorable M. Rogier a dit : Nous n'innovons pas ; nous maintenons la législation existante. J’ai eu déjà l'honneur de le dire, à part certaines opinions que je ne veux pas critiquer, il est incontestable que, du temps du Congrès, l'opinion la plus générale au sein de cette assemblée et je dirai l'opinion unanime du clergé, était que les articles dont il s'agit avaient été abrogés par le décret du gouvernement provisoire.

Mais, en admettant même votre opinion, en vous faisant cette concession, savez-vous ce qui en résulte ? C'est que vous donnez une nouvelle sanction à la loi, vous établirez ce qu'on a très bien appelé, dans une séance précédente, un système d’intimidation ; sans le vouloir, vous organisez une véritable croisade de mouchards contre le clergé. (Interruption.) Oui, messieurs, c'est ce qui arrivera surtout dans les petites localités ; et je dis que cela sera profondément préjudiciable au point du vue de la liberté. ; car je suppose que vous reconnaissez que la liberté des cultes est aussi respectable que toutes les autres. C'est un système de suspicion que vous allez organiser. Si, comme vous le prétendez, vous vous préoccupez des intérêts de la religion, ayez assez de confiance dans les chefs des divers cultes pour admettre qu'ils sauront réprimer, au point de vue religieux, les abus qui pourraient être commis.

Eh bien, en décrétant cette loi de suspects, vous déclarez le contraire ; vous mettez tout le clergé en état de suspicion. Vous dites : Le droit commun pour tout le monde ; mais le clergé hors la loi commune ! (Interruption.)

On dit cependant qu'on veut une protection pour le culte et l'on a reconnu généralement la nécessité de cette protection ; mais, en définitive, elle est assez illusoire. Lorsque vous avez contre vous les passions populaires, ou, si vous le voulez, l’opinion publique, la protection se réduit à bien peu de chose. Nous en avons eu un exemple bien récent, sur lequel je voudrais jeter un voile pour toujours et que, par conséquent, je ne rappellerai pas.

Nous ne demandons pas de protection spéciale. Nous demandons que la liberté des cultes soit respectée comme les autres libertés et, sous ce rapport, puisque les progrès de la civilisation demandent des atténuations dans les peines, je suis disposé à admettre toutes les atténuations possibles ; mais je ne vois pas qu'il faille abandonner la protection d'une liberté alors qu'on maintient la protection des autres libertés. Je voudrais inscrire dans la loi des dispositions d'après lesquelles toutes les libertés jouiraient de la même protection.

En tout cela, messieurs, je vous prie de croire que je ne suis animé que par un seul désir, c'est que nous puissions maintenir nos institutions intactes et que nous ne portions pas la moindre atteinte au patriotisme qui doit exister dans toutes les classes de la société ; sans ce patriotisme il n'y a pas de patrie. N'oublions pas que Belgique et liberté, Belgique et religion, sont synonymes dans l'histoire.

M. Ch. Lebeau. - Messieurs, dans les observations que je crois devoir présenter, je me bornerai autant que possible à rencontrer les principales objections des adversaires du projet de loi.

On nous reproche, messieurs, de vouloir prendre des mesures exceptionnelles, tyranniques contre le clergé ; nous le traitons, disait hier l'honorable M. Dumortier, en paria.

Messieurs, ce reproche a lieu de nous étonner. En effet, il n'existe aucun pays où le clergé soit aussi libre qu'il l'est en Belgique. Il n'existe aucun pays où il jouisse d'autant d'immunités. La position du clergé belge est enviée par le clergé des pays voisins. On réclame dans ces pays la liberté comme en Belgique. En Belgique, on fait au clergé une position tout exceptionnelle, on lui accorde un traitement et une pension, on l'exempte de charges personnelles, on l'entoure de protection et de respect, on protège la liberté du culte ; que veut de plus le clergé ? A-t-on jamais pris des mesures vexatoires contre le clergé ? Nous pourrions même dire que non seulement le prête est plus favorisé que le citoyen ordinaire, mais qu'il est plus favorisé que les fonctionnâmes publics.

En effet, messieurs, les fonctionnaires publics reçoivent, il est vrai, un traitement et une pension, mais les fonctionnaires publics ne sont pas exonérés, comme les ministres des cultes, des charges personnelles auxquelles tous les citoyens sont astreints. Les fonctionnaires publics peuvent être révoqués par le gouvernement, tandis que 1 Etat, qui accordé un traitement et une pension aux membres du clergé, n'a pas d'action sur eux.

Le projet de loi, messieurs, qui vous est proposé, était la reproduction des dispositions du Code pénal. Ces dispositions, dit-on, appartiennent à une législation surannée, elles sont issues d'un pouvoir despotique, elles ont été abolies, au moins implicitement, par un premier acte du gouvernement provisoire, l'arrêté du 16 octobre 1830.

(page 589) Messieurs, quant à l'arrêté du 16 octobre 1830, il a été remplacé par la Constitution, et c'est dans la Constitution seulement qu'il faut voir quelles sont les dispositions pénales qui ont été ou non maintenues.

Mais, messieurs, ces dispositions pénales ont été appliquées depuis 1831 ; elles l'ont été, comme on vous l'a dit, sous des ministères catholiques, appuyés sur des majorités de la même opinion, est-ce que jamais un ministère catholique a prétendu que les articles 2021 et suivants du Code pénal fussent inconstitutionnels, qu'ils appartinssent à une législation surannée, qu'ils fussent abrogés ? On n'a pas même soutenu cette opinion devant les tribunaux ; on l'a essayé une fois, mais le système a été repoussé et on ne s'est pas pourvu devant la cour suprême.

Messieurs, que veut-on pour le clergé ? On veut bien pour le clergé tous les avantages, on veut bien de la position exceptionnelle que la législation lui a faite quant aux avantages seulement, mais pour tout le reste on veut le placer sous le régime du droit commun.

L'honorable M. De Fré a développé sous ce rapport un système extrêmement libéral, plus large en fait de liberté que celui de la législation proposée. L'honorable M. De Fré veut la liberté pour le prêtre mais il ne veut pas lui accorder une protection spéciale. C'est cependant, messieurs, ce qui a déjà été fait. Eh bien, je demanderai aux adversaires du projet : Voudriez-vous de ce système, en voudriez-vous ? Prononcez-vous une bonne fois sur ce point.

Voudriez-vous que le prêtre fût simple citoyen, qu'il ne fût pas protégé d'une manière spéciale, non plus que les objets du culte ? Que si on lui accordait un traitement, ce ne fût qu'à titre d'indemnité ou parce que la Constitution le veut, mais qu'on ne lui accordât aucun avantage exceptionnel ? Mais, messieurs, il y a déjà des dispositions votées et vous n'êtes pas venus alors présenter ce système de liberté absolue, d'égalité absolue que vous préconisez aujourd'hui ; ce système, vous le soutenez sous une face et vous le repoussez sous l'autre face.

Vous voulez, dites-vous, la protection de la religion parce que la religion est un besoin social, un moyen de moralisation ; mais c'est précisément dans l'intérêt de la religion qu'il faut préférer le système de protection qui existe dans la loi au système de liberté absolue qui conduirait aux abus.

L'honorable M. Dumortier a fait hier des comparaisons qui ne sont pas sérieuses ; ainsi lorsqu'il est arrivé à dire que le ministre du culte pouvait parler en chaire et qu'il n'était pas permis de l'interrompre, il l'a comparé à un acteur qui se trouvait en scène, il a dit : Vous ne pourriez pas non plus interrompre l'acteur.

Messieurs, d'abord la position n'est pas la même entre les auteurs et les ministres du culte. Les acteurs ne parlent pas au public. Mais si un acteur parlait au public, s'il parlait à l'assemblée qui l'écoute, croyez-vous que les personnes présentes n'auraient pas le droit de l'interrompre et de lui répondre ?

M. Allard. - On commencerait par le siffler.

M. Ch. Lebeau. - Cette comparaison n'est donc pas sérieuse ; elle tourne précisément contre son auteur.

En résumé que reproche-t-on au projet ? On prétend qu'il est inconstitutionnel, que ses dispositions sont injustes, vexatoires pour le clergé, et enfin l'on a prétendu que les dispositions du projet ne sont pas assez précises, qu'elles sont vagues, que les faits ne sont pas assez déterminés.

Voyons, messieurs, quant à la constitutionnalité, si l'on a dit quelque chose qui n'ait pas été réfuté. Quant à moi, je ne vois rien. On vous a parlé de l'égalité, on vous a dit qu'aux termes de la Constitution, tous les Belges étaient égaux devant ta loi.

Messieurs, c'est un principe vrai. Mais l'article 6 de la Constitution veut-il dire que l'égalité est absolue, que tous les Belges sont égaux selon la loi ? Evidemment non. Ils sont égaux devant la loi, c'est-à-dire que tous les individus auxquels une loi s'applique sont égaux, en ce sens que la loi s'applique à tous indistinctement.

Ainsi en droit civil, vous avez des mineurs, vous avez des majeurs, vous avez des maris, vous avez des femmes mariées. Est-ce que la loi est la même pour tous ? Non. Il y a des lois qui s'appliquent aux mineurs, d'autres aux majeurs, il y a des lois qui s'appliquent aux maris et des lois qui s'appliquent aux femmes mariées. Toutes ces lois s'appliquent aux individus selon leur condition, selon leur positon, selon la catégorie à laquelle ils appartiennent.

Mais les individus ne sont pas tous égaux selon la loi, ils sont tous égaux devant la loi.

Il en est ainsi encore des fonctionnaires publics et des militaires. Il doit en être ainsi naturellement des ministres du culte ; et pour vous le prouver, il suffit de lire l'article 909 du Code civil, où il s'agit de la capacité de recevoir par donation ou testament ; on y voit que le médecin qui a traité le malade dans sa dernière maladie ne peut recevoir ni un don ni un legs du mourant. Il en est de même du ministre du culte. Ni le médecin qui donne des soins au malade, ni le prêtre qui remplit des fonctions religieuses ne peuvent, ni l'un ni l'autre, recevoir dans ce cas un don ou un legs du mourant qu'ils assistent. Donc ils ne sont pas égaux, sous ce rapport, à tous les autres citoyens.

En droit administratif ? Mais les ministres des cultes, d'après l'article 49 de la loi communale que la législature belge a voté, ne peuvent être ni bourgmestres ni échevins, cependant ils jouissent de tous leurs droits civils et politiques.

Pourquoi donc a-t-on fait cette exception pour les ministres des cultes ? C'est parce qu'on a reconnu des inconvénients à ce que les ministres des cultes occupassent de semblables fonctions. La disposition est applicable à tous les ministres des cultes indistinctement. On ne pourrait pas la rendre applicable seulement à un seul ministre du culte.

En droit pénal, il en est encore de même. Il y a des dispositions pénales qui s'appliquent à certaines classes de citoyens et qui ne s'appliquent pas à d'autres. Il y a également des exceptions pour certains cas ; ce n'est pas à dire pour cela que la loi n'est pas égale pour tous.

Je dis donc, messieurs, que l'article 6 de la Constitution n'est nullement violé, quand on fait une loi qui s'applique à certaines classes de personnes et qui ne s'appliquent pas à d'autres.

Messieurs, on voudrait que les ministres des cultes fussent des citoyens ordinaires, comme je le disais, pour exercer tous les droits qui appartiennent aux citoyens ; mais quant aux charges qui pèsent sur les autres citoyens, on n'en veut pas pour les ministres des cultes. Cependant les citoyens ordinaires ne jouissent pas des mêmes immunités que le clergé. Il n'y a pour eux ni traitement ni pension, les citoyens ordinaires supportent toutes les charges personnelles ; et ils ne sont pas protégés comme on protège les ministres des cultes, dans l’exercice de leurs fonctions, comme on protège même les objets du culte en dehors du temple.

Vous voyez donc que les ministres des cultes ne sont pas des citoyens ordinaires et que la loi ne les traite pas comme tels.

On invoque les articles 14 et 16 de la Constitution. J'ai déjà démontré, et d'autres orateurs l'ont fait également, que ces articles n'étaient en aucune manière atteints par les dispositions qui sont en ce moment en discussion. Vainement on a prétendu que le délit dont le ministre du culte se rendrait coupable, pourrait être un délit de presse. Evidemment quand on prononce en chaire un discours qui n'est pas écrit, ce n'est pas un délit de presse.

On a été jusqu'à prétendre, je crois que c'est l'honorable M. Malou, qu'il y aurait délit de presse si le ministre du culte donnait lecture d'un écrit en chaire. Si c'est là, messieurs, l'opinion de l’honorable membre, je crois qu'il commet une grave erreur. En effet, si vous improvisez un discours, si vous lisez un discours écrit, vous ne commettez pas un délit de presse. C'est une lecture, c'est tout simplement un discours prononcé. Lors même que vous liriez l'œuvre d'autrui, vous ne commettriez pas encore un délit de presse, aux termes de la Constitution. Le délit de presse n'existe que lorsqu'il s'agit d'un acte imprimé, vendu ou distribué.

Il n'y a donc pas de délit de presse lorsqu'on donne lecture d'un écrit en chaire, et par conséquent l'opinion de l'honorable M. Malou ne peut être accueillie.

Les trois articles que nous discutons ne sont relatifs qu'à des discours prononcés en chaire ou à la lecture d'écrits faite en assemblée publique ; par conséquent il ne peut s'agir de délit de presse.

Il ne peut être question de délits de presse que dans les lettres pastorales qui sont imprimées, vendues ou distribuées au public. Ce délit ne peut se présenter que dans les art. 298, 299 et 300 du projet, et non dans les trois articles que nous discutons.

L'honorable M. de Muelenaere s'est demandé s'il ne pourrait pas exister un délit politique. Il a prétendu que ce délit politique pourrait exister, aux termes de l'article 98 de la Constitution. C'est encore là une erreur. Evidemment, il n'y a pas de délit politique dans les paroles qui contiendraient une censure ou une attaque quelconque contre l’autorité, contre les actes, contre les lois et contre les arrêtés royaux.

La jurisprudence, messieurs, s'est occupée de la question, et l'a résolue dans le sens que je viens d'indiquer ; on ne s'est pas pourvu en cassation ; de manière que la jurisprudence s'est prononcée en faveur du système que je soutiens.

Ce serait, au surplus, une question de compétence dont nous n'avons pas à nous occuper. Le délit fût-il un délit politique ou un délit ordinaire, ou même un délit de presse, ce qui ne peut pas être, que le délit n'en exigerait pas moins et que par suite les dispositions devraient être adoptées.

Quant à l'article 14 de la Constitution, cet article consacre la liberté des cultes, la liberté de manifester ses opinions en toutes matières ; mais arrive immédiatement après la restriction : « sauf la régression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés. »

Qui doit prévoir la répression ? C'est la loi pénale. Or, qui doit faire la loi pénale ? C'est le législateur, elle est dans son domaine, il ne peut jamais en être dépouillé.

Si la loi n'existait pas, vous auriez le droit de la faire ; si elle est insuffisante, vous avez le droit de la compléter ; si elle est vicieuse, (page 590) vous avez le droit de la modifier : c'est précisément ce que nous sommes appelés à faire.

On a prétendu que le décret sur la presse du 20 juillet 1831 était cette loi pénale qui devait atteindre les délits commis à l'occasion de l’usage des libertés proclamées par l'article 14.

Selon l'honorable M. Dumortier, tous les faits qui ne sont pas prévus par le décret du 20 juillet 1831, ne peuvent pas être punis, aux termes de la Constitution. Il est vrai que l'honorable M. de Theux a dit le contraire ; il a déclaré qu'à son avis le décret du 20 juillet 1831 était suffisant ; que c'était le droit commun en matière de répression, des délits commis à l'occasion de l'usage des libertés consacrées par l'article 14 de la Constitution ; que si ce décret était insuffisant, il fallait le compléter d'une manière générale et non le compléter au point de vue des ministres des cultes seulement.

L'honorable M. de Theux n'a pas prétendu, comme l'a fait hier l'honorable M. Dumortier, que le décret du 20 juillet 1831 avait épuisé la nomenclature des faits punissables ; qu'en dehors des faits prévus par le décret, il n'y avait plus de faits à punir.

C'est là en effet une hérésie. Evidemment, le décret du 20 juillet 1831 n'a prévu que certains faits.

Or, pourquoi ce décret n'a-t-il pas prévu les faits dont nous nous occupons en ce moment ? C'est précisément parce qu'il y avait sur ce point une législation toute faite qui existait et qu'il n'y avait pas lieu de modifier, au moins dans l'opinion du Congrès. Voilà pourquoi, dans le décret du 20 juillet 1831, on ne voit pas reproduits les articles 201 et suivants du Code pénal.

Cela a paru inutile au pouvoir législatif de cette époque, parce que des dispositions existaient déjà.

Il y a une autre disposition encore en matière de presse qui a été maintenue.

C'est l'article 283 du Code pénal qui punit les auteurs ou distributeurs d'écrits qui ne portent ni nom d'auteur ni nom d'imprimeur.

On a prétendu également en 1831 ou en 1832 que cet article était abrogé par la loi sur la presse.

Mais la jurisprudence a répondu encore à cette objection ; elle a décidé que le décret sur la presse n'abrogeait en rien cette disposition pénale, que ce décret prévoyait certains cas particuliers et que tous les autres cas tombaient sous l'application du droit commun.

Messieurs, on a dit également que les dispositions du projet étaient empruntées à un système despotique, au système de l'empire, au système de l'étranger ; on a ajouté qu'elles étaient très sévères ; que c'étaient des lois de circonstance ; qu'elles avaient été portées dans des cas tout à fait extraordinaires ; qu'aujourd'hui ces circonstances n'existant plus, on devait rejeter le projet de loi.

Messieurs, il y a encore une réponse péremptoire sur ce point, réponse qui vous prouve que la législation de 1810, quant aux articles 201 et suivants, n'est pas une législation de circonstance.

Cette législation n'a pas la sévérité extraordinaire qu'on lui prête ; elle est, au contraire, un adoucissement de la législation qui existait anciennement en France et d'après laquelle des peines beaucoup plus sévères étaient comminées contre les ministres des cultes qui troublaient le repos public dans leurs sermons.

Pourquoi vous défiez-vous du clergé, a demandé l’honorable M. Van Overloop. Le clergé a-t-il jamais cherché à fomenter des troubles, des révolutions ?

J'ai déjà eu l'honneur de demander, de mon côté, par qui la révolution brabançonne a été faite...

M. Coomans. - Par le gouvernement.

M. Ch. Lebeau. - Quoi ! c'est le gouvernement lui-même qui a fait la révolution ?

M. Coomans. - Oui ; je le démontrerai, si vous voulez.

M. Ch. Lebeau. - C'est assez extraordinaire que le gouvernement ait fait la révolution contre lui-même. Mais, dans la séance d'hier, l'honorable M. Dumortier a dit que la révolution de 1830 est due au clergé belge ; donc, l’honorable membre doit reconnaître que le clergé n'a pas été restreint dans ses libertés par la législation existante en 1810, puisque cette législation ne l'a pas empêché de fomenter une révolution. Maintenant si nous voyons que le clergé fomente si facilement des révolutions, pourquoi ne prendrions-nous pas nos précautions en maintenant les dispositions de 1810, qui n'ont pas empêché le clergé de faire la révolution de 1830 ? C'est un aveu que nous devons enregistrer.

On a dit que : Si le clergé ne pouvait pas se livrer dans la chaire à la critique, à la censure de la loi, des actes du gouvernement, il aurait un moyen facile d'éluder la loi ; il convoquera ses paroissiens, soit dans une école soit dans un autre lieu public et là il attaquera tout à son aise le gouvernement, les lois, les arrêtés royaux.

Mais là on aura le droit de lui répondre. Le clergé veut bien avoir le droit d'attaquer, mais il ne veut pas donner le droit de lui répondre. Quand il convoquera les fidèles dans un lieu public quelconque, dans une école, tout le monde pourra s'y rendre. Alors, dans quelle position se trouvera le ministre du culte ? Il aura perdu le privilège du lieu, le privilège de la cérémonie, le privilège du calme qui doit régner dans une conférence religieuse, il aura perdu toute espèce d'autorité morale ; il n'aura plus la police pour le protéger, on pourra lui répondre, on pourra même l'attaquer. Je doute qu'il suive le conseil que lui a donné l’honorable abbé de Haerne.

M. de Haerne. - Ce n'était pas un conseil, c'était une réponse à M. le ministre de l'intérieur, je désapprouvais la chose.

M. Ch. Lebeau. - Vous avez dit que cela pourrait se faire. Ce serait déplorable pour le clergé, cela ne produirait aucun des résultats qu'on s'en promettrait. Quand le ministre du culte est en chaire, les fidèles sont appelés autour de lui pour satisfaire à leurs devoirs religieux, ils y sont amenés forcément et voilà qu'en chaire au lieu de parler morale et religion, vous attaquez, vous censurez le gouvernement et personne n'a le droit de vous répondre !

Il n'en est pas de même dans un lieu public ou dans l'école ; là, je le répète, le prêtre aurait perdu toute espèce de prestige et d'autorité, il serait comme un simple particulier à qui chacun pourrait répondre.

Messieurs, on s'est demandé si pour l'existence du délit, il faudrait établir l’intention méchante, prouver l'existence du fait et l'existence de l'intention qui l'avait produit ; on a émis des doutes à cet égard à cause du passage qui se trouve dans le rapport de la commission.

La commission a pensé qu'en théorie de droit pénal, il fallait une intention méchante pour qu'un fait fût punissable et elle a proposé un changement de rédaction ; elle a substitué aux mots « critique et censure » le mot « attaque », afin de préciser qu'il fallait le fait matériel et l'intention méchante.

Je crois qu'il doit en être ici comme en matière d'injure et de calomnie. ; le fait faisant supposer l'intention, quand on calomnie, on est supposé le faire méchamment, avec l'intention de calomnier. Quand le ministre du culte attaquera, censurera ou le gouvernement ou la loi, qu'il provoquera à la désobéissance, il sera supposé le faire avec l'intention d'attendre ce but ; on censure une loi, c'est pour la faire tomber en discrédit ; on censure un acte de l'autorité, c'est pour enlever à cet acte toute espèce d'influence morale. Quand on conseille aux citoyens de ne pas obéir à la loi, c'est dans l'intention d'empêcher qu'on ne s'y soumette ; le fait, chaque fois qu'on le posera, emportera avec lui la preuve de l'intention. Vous posez le fait avec l'intention qu'il produise ses effets.

Comment voulez-vous qu'on fasse la preuve de l'intention ; comment voulez-vous que le ministère public établisse que le prévenu a provoqué à la désobéissance aux lois, à la haine des citoyens les uns contre les autres avec intention méchante ? On ne peut prouver l'intention que par le fait extérieur ; l'intention méchante se suppose dans ce fait ; il faudrait un cas exceptionnel pour qu'on puisse prouver que le ministre du culte a été de bonne foi, ce cas se présentera rarement.

Le ministre du culte sait que quand il est à l'église il n'a pas à s'occuper de politique, d'affaires temporelles ; il sait qu'il ne doit s'occuper que de la pratique du culte, de la parole de Dieu, de l'évangile et non de lancer des paroles amères contre les autorités, contre les lois, contre les arrêtés royaux. Il trompe la confiance des fidèles, quand il leur dit, comme le curé de Boitsfort, qu'il ne les entretiendra pas de l'évangile, mais qu'il leur parlera de choses beaucoup plus importantes.

Messieurs, l’honorable M. Malou a cherché à établir une espèce d'analogie entre la position du fonctionnaire public subalterne vis-à-vis de ses supérieurs et le ministre du culte vis-à-vis de son supérieur, et il a invoqué l'article. 283 du projet qui est déjà voté.

D'après cet article le fonctionnaire d'un ordre inférieur qui n'a fait qu'obéir à l’injonction de son chef n'est pas coupable. Il doit en être de même, selon lui, pour le ministre du culte inférieur qui ne fait qu'obéir à l’ordre de son chef. C'est encore là une grave erreur.

L'Etat, messieurs, d'après l'article 16 de la Constitution, n'intervient ni dans la nomination, ni dans l'installation des ministres du culte, il reste complétement étranger ; de là résulte la conséquence toute naturelle que l'Etat ne peut pas reconnaître la hiérarchie qui existe entre les ministres du culte, par conséquent on ne peut pas établir la moindre analogie entre des fonctionnaires publics qui obéissent aux ordres de leurs supérieurs, et les ministres du culte qui obéissent de leur côté à leurs chefs. L'Etat, je le répète, ne doit intervenir en rien dans cet ordre hiérarchique.

On vous a dit, que la disposition ne caractérisait pas d'une manière assez précise les faits qu'on voulait punir.

Mais, messieurs, il ne s'est jamais élevé le moindre doute, sous ce rapport, sur l'application des dispositions du Code pénal de 1810 qui sont reproduites, à très peu de chose près, dans le projet. Dans différentes circonstances des faits ont été poursuivis devant les tribunaux, et jamais on n'a élevé le moindre doute provenant de l'obscurité de la loi. Si parfaite que soit une loi, elle soulèvera toujours des questions d'appréciation, et ces questions sont naturellement laissées à la solution des tribunaux, il est absolument impossible que vous cherchiez à déterminer tous les cas possibles d'application. Ce n'est pas 400 à 500 articles qui vous suffiraient alors ; il vous en faudrait 2,000 à 3,000.

(page 591) Du reste, messieurs, s'il y avait plus de précision à donner sous ce rapport, je demanderais à mes honorables adversaires de formuler une rédaction plus claire et plus complète ; mais cette rédaction, ils ne l’ont pas tentée et je crois que nous l'attendrions vainement.

Dans le même ordre d'idées, on a demandé où finirait le droit et où commencerait l'abus et l'on a dit que c'était là le point capital à bien déterminer. Je réponds que, pour ne pas sortir de son droit, il faudra que le ministre du culte, dans l'exercice de ses fonctions, s'abstienne de toute attaque contre le gouvernement et contre la loi. S’il ne se maintient pas dans ces limites il empiète sur le domaine de l'autorité civile et il est juste qu'une pénalité lui soit infligée de ce chef. Dans l'exercice de son ministère, il n'est plus un citoyen ordinaire, et il lui est interdit de s'ingérer dans les affaires de l'Etat, dans les affaires temporelles. Mais quand il le voudra, il pourra, comme simple citoyen écrire dans les journaux, publier des brochures ; il pourra, comme le disait l'honorable abbé de Haerne, réunir les fidèles dans un tout autre lieu que l'église et là leur parler comme on parle dans les réunions, dans les assemblées publiques.

Il agira alors, non pas comme ministre du culte, mais comme simple citoyen, et par conséquent, il ne jouira plus de la protection spéciale que la loi lui accorde en tant que ministre du culte. En d'autres termes, ou bien le prêtre agira dans l'exercice de son ministère ou bien comme simple citoyen ; dans le premier cas, il devra s'abstenir de toute espèce de critique ou de censure contre les actes de l'autorité civile ; dans le second cas, il jouira de tous les droits assurés aux citoyens ; il aura le droit de critique et de censure, en restant, bien entendu, dans les convenances.

Maintenant, messieurs, je m'étais demandé s'il ne fallait pas également punir les écrits contenant des instructions pastorales qui auraient été imprimés et distribués.

J'ai pensé, comme l'a fait le législateur de 1810, qu'on ne devait pas établir de distinction entre les lettres pastorales qu'on pourrait lire dans les temples, et les lettres pastorales qui seraient imprimées et répandues dans le public. En effet, messieurs le législateur de 1810 avait considéré que les lettres pastorales qui émanaient naturellement des évêques, des chefs de l'Eglise, avaient un caractère plus grave que les discours prononcés en chaire dans le cours des cérémonies religieuses ; et cela est si vrai, que le législateur frappait d'une peine beaucoup plus forte les lettres pastorales que les discours.

Maintenant, je me demande si les écrits dont il est question dans l'article 295 doivent s'entendre de tous les écrits quelconques, ou si ce mot « écrits » ne s'appliquerait qu'aux seules lettres pastorales. Je pense que la première interprétation est la seule admissible.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Evidemment !

M. Ch. Lebeau. - Je demande également, comme l'a fait hier déjà l'honorable M. Verhaegen, si l'on punirait les écrits qui seraient amenés ou distribués dans les temples. C'est là un cas qui peut très bien se présenter. Je crois que ce fait devrait tomber également sous l'application de la loi, soit que l'on modifie l'article 295, soit que l'on adopte les articles 298, 299 et 300. S'il en est ainsi, les lettres pastorales ne pourraient plus être affichées dans les temples, puisque M. le ministre de la justice vient de déclarer qu'elles sont emprises sous la dénomination générale d'écrit. D'un autre côté, il est défendu d'afficher et de distribuer des lettres pastorales dans l'intérieur des temples, il n'y a aucune raison, me semble-t-il, de ne pas étendre cette interdiction au-dehors des temples.

Dans l'un et dans l'autre cas, il y a les mêmes inconvénients, les mêmes dangers pour l'ordre et la tranquillité publique. Car, comme on l'a dit, c'est là surtout ce qu'il faut avoir en vue, la protection du culte n'est que secondaire ; il faut avoir surtout en vue, la tranquillité publique. En effet, le trouble qu'on apporte dans le temple n'est pas la principale raison qui nous amène à punir les infractions aux article 295 et suivants, les peines que comminent ces articles sont prévues, parce que les attaques contenues dans un discours oral ou dans une lettre pastorale imprimée et distribuée causent ou sont de nature à causer une perturbation dans la société, et que nous voulons avant tout assurer l'ordre public et la sécurité des citoyens.

On vous a dit, Messieurs, que si l'on ne punissait pas les lettres pastorales lorsqu'elles ne sont pas lues dans l'intérieur du temple et pendant le cours d'une cérémonie religieuse, c'est parce qu'alors on pouvait répondre, tandis qu'on ne le pouvait pas dans le temple. Cette raison n'est pas décisive. En effet, l'on peut très bien par la réponse que l'on fera à la lettre pastorale, paralyser, neutraliser jusqu'à un certain point les effets mauvais que peut produire cette lettre pastorale. Mais cela n'enlève en rien la criminalité du fait, la criminalité de l'attaque. Et en effet vous arriverez à cette conséquence que parce qu’on a le droit de se défendre contre une injure, contre une calomnie commise par la voie de la presse, il n'y aurait pas de délit d'injure, il n'y aurait pas de calomnie par la voie de la presse.

Si vous êtes attaqué dans un journal, vous avez le droit de répondre. Mais si vous êtes calomnié, vous n'avez pas seulement le droit de répondre, vous avez aussi le droit de poursuivre le calomniateur.

Eh bien, si la lettre pastorale contient des attaques contre le gouvernement, contient la censure, la critique telle quelle est prévue par l'article 295, nous ne voyons aucune raison ce laisser l'attaque plutôt impunie lorsqu'elle a eu lieu par des écrits imprimés que lorsqu'elle a eu lieu dans un écrit lu dans une cérémonie publique. Nous disons que s'il est vrai qu'on a le droit de répondre, cela n'efface en rien la criminalité du fait.

Messieurs, dans la séance d'hier et dans la séance d'aujourd'hui, nous avons entendu deux honorables membres du Congrès national. Ils ont fait appel au patriotisme des membres de la Chambre. Ils ont exprimé des craintes sur les effets de la loi qui vous est proposée. Ils craignent qu'elle ne contienne des restrictions apportées à nos libertés.

Je crois que ces honorables membres doivent se rassurer. Leurs craintes ne sont pas fondées ; ces craintes sont chimériques. Personne dans cette enceinte ne pense à apporter la moindre atteinte aux libertés qui sont consacrées par le pacte fondamental, et si quelqu'un voulait faire la moindre tentative à cet égard, je suis bien persuadé que tous les membres de la Chambre, à quelque parti qu'ils appartiennent, se lèveraient pour repousser ces attaques, et maintenir intacte l'œuvre immortelle du Congrès de 1830, œuvre qui a assuré le repos et la tranquillité du pays dans les plus mauvais jours.

M. le président. - La parole est à M. de Decker.

- Plusieurs membres. - A demain !

- D'autres membres. - Non ! non ! Continuons ! Il n'est pas quatre heures et demie.

M. de Decker. - La Chambre paraît fatiguée. On pourrait se réunir demain une heure plus tôt. On entendrait ainsi un plus grand nombre d'orateurs.

M. le président. - La discussion dure depuis très longtemps, et il y a encore huit orateurs inscrits.

- Plusieurs membres : Parlez ! parlez !

M. le président. - Quelqu'un fait-il la proposition de remettre la séance à demain ? (Non ! non !) Si personne ne fait cette proposition, la parole est accordée à M. de Decker.

M. Malou. - Je propose de remettre la séance à demain.

- La proposition de M. Malou est mise aux voix et elle n'est pas adoptée.

M. le président. - La séance continue. La parole est à M. de Decker.

M. de Decker. - Je renonce à la parole et je demande à être inscrit à la suite de la liste des orateurs.

M. le président. - La parole est à M. Vilain XIIII.

M. Vilain XIIII. - J'y renonce.

M. le président. - La parole est à M. de Theux.

M. de Theux. - Je ne m'attendais pas à parler aujourd'hui. Je ne suis pas prêt.

M. le président. - La parole est à M. Malou.

M. Malou. - Je ne suis pas prêt non plus, M. le président.

M. le président. - La parole est à M. de Naeyer.

M. de Naeyer. - J'y renonce.

M. le président. - Il n'y a plus d'orateurs inscrits contre le projet.

La parole est à M. J. Jouret inscrit pour.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. J. Jouret. - Je suis à la disposition de la Chambre. Cependant si elle désire clore la discussion, je ne m'y oppose pas.

M. le président. - La clôture est-elle demandée par cinq membres ? (Oui ! oui !)

- Plus de cinq membres se lèvent pour demander la clôture.

M. de Theux. - Je demande la parole contre la clôture. Messieurs, dans l'état actuel des choses, lorsque personne ne s'attendait à ce qu'on votât aujourd’hui, ce serait un fait inouï que de voir clore en ce moment cette discussion et je crois que je n'ai pas besoin de signaler un tel fait pour déterminer la Chambre à voter contre la clôture.

Un mot sur ce qui vient de se passer.

L'honorable M. Decker ne pouvait finir son discours en une demi-heure. Il désire ne pas scinder son discours. Il était donc juste et raisonnable de lui accorder la faculté de parler demain. Souvent la Chambre a eu cette indulgence envers nos adversaires politiques et jamais nous n'avons réclamé ; cela est trop raisonnable.

L'honorable M. de Decker n'abuse pas de la parole. Si c'était un de ces orateurs qui entretiennent la Chambre à perte de vue et à tout bout de champ, je concevrais que la Chambre se montrât impatiente. (Interruption.)

(page 592) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - A qui faites-vous allusion ?

M. de Theux. - Je ne fais allusion à personne, et il est loin de ma pensée de faire allusion à un ami politique.

Mais je dis que dans cette circonstance, ce serait un acte de violence de ne pas consentir à ce que l'honorable M. de Decker se fasse entendre demain.

Je pense, messieurs, que l'ordre de la discussion est très simple. Nous sommes arrivés à la fin de la semaine ; consacrons, à terminer cette discussion, la journée de demain ; réunissons-nous samedi à une heure et que le vote ait lieu dans cette séance.

M. le président. - Je ferai remarquer que la discussion ne peut plus être longue, il n'y a plus d'orateurs inscrits contre.

M. de Theux. - Pardonnez-moi, M. le président. Nous nous réservons notre tour de parole. J'ai à m'expliquer sur ce qu'a dit hier l'honorable M. Verhaegen. Je serai très court ; ce n'est pas un nouveau discours que je veux faire. L'honorable M. Malou a aussi quelques explications à donner. Je demande que la Chambre veuille bien consacrer encore à cette discussion les séances de demain et de samedi.

M. le président. - Insiste-t-on sur la demande de clôture ? (Non ! non !)

M. J. Jouret. - Bien qu'il me paraisse évident que nos adversaires veulent choisir le moment où ils parleront avec le plus d'avantage, je suis, quant à moi, à la disposition de la Chambre. Je suis prêt à parler.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

M. le président. - La parole est à M. Jouret.

M. J. Jouret. - Messieurs, je n'aurais pas repris une seconde fois la parole, si l'opinion que j'ai émise au commencement de cette discussion avait été attaquée d'une manière sérieuse. Mais, comme les raisons que l'on a données, pour maintenir la suppression des articles 295 et suivants sont évidemment non fondées, et que je suis plus convaincu que jamais du grave danger qu'il y a à permettre dans un écrit contenant des instructions pastorales la critique ou censure du gouvernement ou des actes de l'autorité publique, je désire présenter encore quelques courtes observations à l'appui de mon opinion, qui me semble être restée entière.

Avant d'entrer en matière, qu'il me soit permis de répondre quelques mots à certains passages des discours de MM. Rodenbach et Van Overloop.

M. Van Overloop est revenu sur les articles du Code pénal révisé relatifs à la presse.

M. Rodenbach avait fait la même chose avant lui.

M. Rodenbach a dit, en effet : « Pourquoi ce redoublement de sévérité contre la presse et contre le prêtre ! »

Et M. Van Overloop, à son tour, se demande s'il était bien nécessaire de renforcer les pénalités contre la presse.

Comme vous le voyez, messieurs, MM. Van Overloop et Rodenbach persistent à prétendre que les pénalités ont été odieusement renforcées, qu'il y a eu un redoublement de sévérité contre la presse. M. Rodenbach ajoute : Contre le prêtre.

Je voudrais bien que M. Rodenbach, que je regrette beaucoup de ne pas voir à son banc, voulût me dire où et en quoi il a été exercé quelque sévérité, un redoublement de sévérité contre le prêtre ? Il ne le dira pas, par la raison toute simple que cela n'existe pas.

En ce qui concerne la presse, après tout ce qui a été dit sur cette madère, après les explications données au sein de cette Chambre par M. le ministre de la justice, dans un discours qui a pris une séance tout entière, par M. le ministre de l'intérieur dans une discussion mémorable que vous avez tous présente à la mémoire, après les paroles si conciliantes et si catégoriques prononcées par l'honorable M. Dolez, ou ose venir encore reproduire cette sorte de grief, qui, cela a été démontré dix fois, n'a pas la moindre importance !

Cela est-il sérieux, messieurs, et surtout cela est-il digne ?

Vous ne le penserez pas, j'en suis certain.

Et je dirai à l'honorable M. Rodenbach, qui a fait un appel à l'union, en s'appuyant sur notre devise nationale : L'Union fait la force, que s'il voulait sincèrement qu'il nous fût possible d'avancer notre main vers la main qu'il nous tendait, il fallait qu'il commençât, ainsi que son ami M. Van Overloop, à agir avec plus de modération et de justice, en cessant de recourir ainsi à des griefs imaginaires que l'on jette sans la moindre raison dans le public pour l'inquiéter et l'agiter.

Cela dit, je passe aux observations qu'il me reste à faire sur la question en discussion.

Messieurs, lorsque en prenant la première fois la parole, je vous disais que j'abandonnais à d'autres le soin de traiter, au point de vue théorique, au point de vue de la science du criminaliste, la question que nous avons à résoudre, je savais bien qu'elle aurait été traité dans cette Chambre avec une grande autorité, avec un admirable talent. C'est ainsi, en effet que l'ont traitée beaucoup de nos amis, et surtout l'honorable ministre de la justice.

Pendant qu'on démontrait dans ces admirables discours par une logique invincible, et la constitutionnalité des article 295 et suivants et la nécessité de les maintenir dans notre législation, et que je me sentais m'affermir de plus en plus dans la manière de voir que j'avais moi-même exprimée à la Chambre, je me demandais comment il était possible que ceux qui se posaient comme les seuls amis des ministres des cultes pussent venir réclamer pour eux non pas la liberté, mais, en définitive, l'impunité, le droit de poser des actes mauvais, des délits, et des délits graves puisqu'ils compromettent et la religion et la paix publique ?

Messieurs, l'honorable M. B. Dumortier, en interrompant M. Pirmez et M. le ministre de la justice, m'a fait comprendre ce que je n'avais pas compris jusque-là.

M. Dumortier en entendant ces paroles de M. Pirmez : « Un seul article s'occupe du point qui est maintenant soumis à votre attention, c'est l'article 14. Or, il réserve formellement le droit au législateur de déterminer quels sont les délits auxquels l'exercice des cultes peut donner lieu, » s'est écrié : « Vous n'avez pas le droit de déterminer ces délits. »

Si je comprends bien la pensée de l'honorable M. Dumortier, elle signifie ceci : les prédications politiques, contenant la critique ou censure des actes du gouvernement ne sont pas des délits ; ce sont des faits ordinaires, qui ne deviennent délits que parce que vous les érigez en délits. C'est bien l'objection, je pense, et M. Dumortier ajoute : Vous n'avez pas le droit de les ériger en délits.

D'abord, la question de droit, la question de constitutionnalité, ne peut dorénavant plus être considérée comme douteuse. Si, après les réponses lumineuses que MM. Tesch et Pirmez ont faites aux interruptions de M. Dumortier, l'honorable membre et ses amis ne sont pas édifiés à cet égard, ils ne le seront jamais, parce qu'ils sont bien décidés à ne pas l'être.

La question de constitutionnalité écartée, et je crois réellement qu'elle l'est pour tout le monde, même pour ceux de mes amis qui se prononcent avec M. le ministre de la justice pour la suppression des articles 298 et suivants, il s'agit de savoir si nous faisons bien, en maintenant la législation existante sur cette matière, de continuer à considérer comme délits la critique ou censure des actes du gouvernement, etc., faite en assemblée publique par les ministres des cultes.

Il ne peut y avoir de doute en ce qui concerne les articles 295 et suivants.

MM. Malou et de Decker eux-mêmes paraissent être bien moins arrêtés par les difficultés que la question présente au fond, que par celle de trouver une formule convenable qui les satisfasse. L'honorable M. Malou a essayé d’en produire une, mais il est facile de prévoir le sort qui lui est réservé, car il est facile de voir dès maintenant qu'elle n'a pas l'approbation des amis mêmes de l'honorable membre.

Messieurs, la formule la plus parfaite, nous désirons la trouver comme ces honorables collègues. Mais aussi longtemps que nos efforts communs et consciencieux n'arrivent pas à un résultat, y a-t-il rien de plus simple et de plus naturel, je le demande, que de nous en tenir à ce qui existe et a existé depuis 50 ans sans le moindre inconvénient. Il ne peut donc, je le répète, y avoir de doute sérieux en ce qui concerne les articles 295 et suivants.

Mais, où le doute subsiste malgré les efforts moins heureux, selon moi, que l'honorable M. Pirmez a faits pour le lever, où le doute subsiste, parce que, dans son admirable discours, M. le ministre de la justice n'a fait qu'effleurer ce côté de la question, c'est sur le point de savoir s'il faut continuer à punir la critique ou censure du gouvernement, etc., faite dans un écrit ou des instructions pastorales, en un mot s'il faut maintenir les articles 298 et suivants du projet primitif.

L'affirmative a été établie hier par notre honorable président avec cette vigueur d'argumentation et de logique qui a jeté la conviction dans vos esprits, et qui défie toute réfutation.

Qu'il me soit permis de vous démontrer, après lui, que les arguments produits à cet égard par l'honorable M. Pirmez n'ont pas de fondement.

Et d'abord je fais observer que toutes les considérations que l'honorable M. Pirmez produit pour motiver le maintien des articles 295 et suivants s'appliquent parfaitement aux articles 298 et 299.

Et c'est une observation que j'ai faite déjà la première fois que j'ai pris la parole à l’égard des considérations produites par l’honorable M. d'Anethan, à l'appui du maintien des articles 295 et suivants ; ces considérations plaident chaleureusement aussi et a fortiori en faveur du maintien des articles 298 et 299.

M. Pirmez dit : « Qu'un évêque, par exemple, fasse un mandement dans lequel il attaque l'autorité ; chacun peut répondre en usant de la presse ; il n'aura donc usé que d'un moyen de publicité qui est à la disposition de tous. » Est-il bien vrai qu'il n'aura usé que d'un moyen de publicité qui est à la disposition de tous ? Je ne puis admettre cela.

Je comprends l'un ou l'autre de nos évêques écrivant, comme tout autre citoyen, en dehors des choses du culte, sur un objet de politique. Il en a le droit, nous l'avons vu souvent, et notamment dans une discussion mémorable qui a amené ici beaucoup de nous ; on peut répondre à un semblable écrit, sans la moindre difficulté.

Mais je ne comprends pas l'évêque abordant une question de politique, la critique ou la censure des actes du gouvernement dans (page 593) un mandement, dans un écrit pastoral, dans une pièce qui n'a trait qu'aux matières religieuses, qui sans égard pour la foi politique de ceux auxquels il s'adresse, vient, sinon les contraindre, du moins les blesser sérieusement dans leur liberté et leur conscience, à propos de questions politiques qui n'ont rien de commun avec la religion.

Mais, dit encore M. Pirmez : « Nous ne pouvons pas dire d'une manière générale, absolue, à l'évêque : Vous ne critiquerez pas parce qu'il a son droit de Belge. »

Nous pouvons parfaitement lui dire cela lorsqu'il s'agit d'un mandement, parce que nous lui laissons, de la manière la plus large et la plus complète, « son droit de Belge » de toute autre manière et comme tout autre Belge ; et que pour exercer « son droit de Belge » dans toute sa plénitude, il n'est nullement nécessaire de lui donner le droit de faire dans un écrit pastoral la critique ou censure des actes de l'autorité publique, et d'y ouvrir un débat politique.

L'honorable M. Pirmez dit encore : « Si vous attachez votre décision à la circonstance que l'acte a pris la forme du mandement, vous basez toute votre décision sur le caractère spirituel de l'évêque, sur l'autorité qu'il a sur la conscience des fidèles ; mais les rapports qui lient les ministres des cultes avec leurs supérieurs sont en dehors de notre appréciation. »

Sans doute nous basons notre décision sur l'autorité que le mandement a sur la conscience des fidèle,» et de plus il faut remarquer qu'il ne s'agit nullement ici des rapports qui lient les ministres des cultes avec leurs supérieurs, lesquels sont incontestablement en dehors de notre appréciation, mais bien des rapports qui lient les ministres des cultes, supérieurs, avec les fidèles, leurs ouailles, lesquels sont évidemment sous notre appréciation.

Enfin, M. Pirmez dit encore ; « Nous voulons protéger l'exercice du culte, nous voulons proscrire le trouble dans l'exercice du culte. Dans la publication par la presse d'un mandement, «il n'y a pas de cause de trouble. »

Il est évident, messieurs, que quand l'honorable M. Pirmez dit : « Il n'y a pas de cause de trouble, » il entend parler du trouble matériel qui peut se produire à propos de l'exercice du culte. Mais il est clair que dans la publication par la presse d'un mandement, il peut y avoir une cause de trouble, d’une autre nature il est vrai, mais infiniment plus grave, une cause de trouble moral apportée à la liberté et à la conscience des citoyens, et il est impossible que l'on ait perdu de vue l'effet déplorable, l'espèce de scandale causé dans le pays par certains écrits pastoraux, comme nous l'a rappelé avec tant de vérité et de raison l’honorable M. Vervoort.

Je dois l'avouer, les raisons apportées par l'honorable M. Pirmez, au nom de la commission, je le pense, pour motiver la suppression des articles 298 et suivants, me paraissent très peu concluantes.

Messieurs, l'honorable comte de Muelenaere a dit dans une des séances précédentes que, pour apprécier sainement une législation quelconque, il fallait tenir le plus grand compte des temps et des époques qui l'avaient vue naître, des faits et des circonstances qui pouvaient être considérés comme sa cause et sou origine. Je partage absolument cette manière de voir. Cependant, je crois que je puis, avec à-propos, reproduire, pour achever de réfuter les paroles de M. Pirmez, que je viens de cher, le passage de l'exposé des motifs fait au corps législatif en 1810 par M. Berlier, parce que ce jurisconsulte compare entre elles les dispositions des articles 295 et 298.

« L'on a distingué, dit M. Berlier, les censures et provocations faites dans un discours public, d'avec celles consignées dans un écrit pastoral, et ces dernières sont punies davantage, comme étant le produit réfléchi de vues perverses, et comme susceptibles d'une circulation plus dangereuse. »

Messieurs, on l'a fait observer déjà, il nous est moins permis peut-être, sous nos institutions si larges, qui ont donné la liberté à tout le monde, qui ont tout émancipé, de nous écarter du point de vue où se mettait M. Berlier, qu'il ne l'était sous le gouvernement impérial.

J'ai dit plus haut que je n'étais pas bien certain que l'honorable M. Pirmez eût parlé au nom de la commission, par la raison que la commission n'avait apporté à l'appui de son opinion que la seule considération fondée sur l’inconstitutionnalité des articles 298 et suivants. Je ne donne point ce passage du rapport pour abréger.

Messieurs, n'êtes-vous pas frappés comme moi des différentes transformations qu'a subies l'opinion que l'honorable président de cette Chambre de même que l’honorable M. Charles Lebeau et moi combattons, et ne devez-vous pas convenir avec moi que c'est la preuve la plus évidente qu'elle ne peut être fondée ?

La commission, dans son premier rapport, adopte sans la moindre difficulté les articles 298 et suivants ; elle n'est frappée par aucune raison d'inconstitutionnalité, pas plus que par des raisons d'à-propos, de convenance, de possibilité d'arriver a quelque chose de praticable, d'efficace.

Dans son second rapport, au contraire, la commission est arrêtée court par la raison d'inconstitutionnalité, elle n'en fait pas valoir d'autre ; et dans la discussion, l'honorable M. Pirmez abandonne complétement les raisons tirées de l'inconstitutionnalité de la mesure ; il ne fait plus valoir que des raisons d’une tout autre nature, dont le plus grand nombre n'ont, comme je l'ai démontré, je crois, aucun fondement. Eh bien, c'est pour moi la preuve la plus évidente que l'on soutient une thèse non fondée, et que les articles 298 et suivants doivent être maintenus.

Ajoutez à cela que M. le ministre de la justice ne dit rien ou presque rien des raisons qui l'ont amené à consentir à la suppression des articles 298 et suivants. Et il me semble qu'il était d'autant plus nécessaire de s'expliquer à cet égard, que l'on comprend que ceux qui partagent notre manière de voir ne pourront se prononcer sur l'article 295 tel qu'il est maintenant rédigé par M. le ministre, qu'après qu'ils sauront si l'article 298 est maintenu ou rejeté.

Je le répète, il résulte de toutes ces circonstances, que la suppression de ces dispositions n'est nullement justifiée.

Quoi qu'il en soit, les raisons de constitutionnalité étant, du moins dans les convictions d'un grand nombre de membres, parfaitement écartées, j'ai peine à comprendre comment on peut manquer de logique au point de continuer à maintenir la suppression de ces articles.

Pour moi, messieurs, j'en ai la conviction, si la nation tout entière, la nation virile et intelligente pouvait être consultée, elle serait de mon avis. Il y a dans la faculté que vous laisseriez aux évêques de se livrer à la critique ou censure des actes du gouvernement, des lois, etc., ou à des discussions politiques dans leurs mandements, il y a là, pour l'ordre public et bien plus encore pour la religion, quelque chose de mauvais, de funeste, que nous avons le droit, je dirai plus, que nous avons le devoir de punir, afin de l'empêcher.

Je ne comprends pas vraiment comment le doute à cet égard serait possible encore.

L'honorable comte de Theux, il est vrai, nous a cité un auteur qui est d'une opinion contraire à la nôtre ; mais nous lui en citons une infinité d'autres qui lui sont favorables, l'unanimité des auteurs en quelque sorte. Nous nous appuyons de plus sur les autorités les plus imposantes : les auteurs du projet de Code de 1834, le ministre de la justice de cette époque, la grande commission qui a élaboré l'avant-projet actuel, le ministre de la justice actuel, la commission de la Chambre dans un premier examen, les membres même de la commission qui, après le second rapport, me semblent pourtant, comme l'honorable M. Pirmez, abandonner les raisons d'inconstitutionnalité.

Messieurs, puisqu'il ne s'agit plus que de raisons d'à-propos et de convenance, permettez-moi de vous le faire observer, un grand nombre de membres du clergé, de dignes prêtres qui ne s'occupent que de leur saint ministère, ne vous ont-ils pas fait assez connaître combien ils répugnent à se mêler directement ou indirectement aux luttes politiques ?

Mais ils refusaient, en grand nombre, vous le savez, d'exercer leurs droits électoraux, des droits bien légitimes pourtant et que personne ne songeait à leur contester, ils se refusaient à les exercer, parce que leur conscience de bons prêtres, d'honnêtes hommes leur disait qu'ils s'exposaient à éloigner des choses de la religion une partie de leurs ouailles. Oh ! c'étaient des scrupules bien honorables pour eux.

Eh bien, ces ministres du culte, si dignes de la sainteté de leur mission ont dû obéir, ils ont été contraints à marcher, et ils ne cachaient à personne la profonde répugnance avec laquelle ils prenaient part aux luttes électorales, d'où ils se seraient tenus éloignés avec joie si la discipline n'avait parlé d'une manière impérieuse.

Et vous voulez qu'il soit utile et bon de permettre à leurs supérieurs de les lancer par leurs écrits pastoraux au milieu des luttes des partis, quand leur conscience leur crie que cela est déplorable et funeste ?

Jamais pour mon compte je ne donnerai mon assentiment à pareille chose.

Je comprendrais les membres de la droite de cette Chambre s'ils demandaient que des mesures telles que celles qui sont maintenant en discussion ne fussent pas introduites dans notre législation, si ces mesures étaient nouvelles, si elles n'y figuraient pas depuis 50 ans, si elles n'avaient pas été appliquées sans la moindre difficulté, sans la moindre contestation.

Mais maintenant que ces mesures existent dans notre législation, maintenant que l'on vient de discuter avec tant de retentissement et d'éclat et leur constitutionnalité et leur à-propos, n'est-il pas clair pour tout le monde que si vous veniez à les supprimer, ce serait absolument comme si vous inscriviez en tête du chapitre que nous discutons :

« A l'avenir, les ministres du culte sont autorisés à critiquer, censurer, attaquer le gouvernement, les lois, les arrêtés royaux ? Et, n'est-il pas vrai, je vous le demande, que vous verriez se produire en plus grand nombre en chaire de vérité et dans les lieux destinés au culte les violences les plus graves, les excès les plus déplorables ? Est-ce là ce que veulent ceux de nos collègues qui siègent sur les bancs de la droite ? Et y ont-ils bien songé ?

Pour moi, je vous l'avoue, je ne puis rien comprendre à pareille conduite.

Quoi ! ces honorables membres ont jugé convenable de garder depuis le commencement de la session dernière le mutisme le plus absolu, et la première fois qu'ils se décident à prendre part aux travaux de cette Chambre, d'une manière sérieuse, c'est pour venir y défendre la (page 594) mesure la plus inexplicable, la plus insoutenable, la plus funeste qu'il soit possible d'imaginer.

Messieurs, je ne crains pas de l'affirmer, dans cette circonstance encore le pays appréciera cette étrange conduite et, j'en ai la conviction, nos adversaires n'auront pas à se louer de son appréciation.

Mais, dit-on, et ce sont les meilleurs esprits de cette Chambre qui parlent ainsi, nous reconnaissons que la question constitutionnelle est sauve, mais des raisons de convenance nous portent à ne pas maintenir ces articles ; la répression qu'ils veulent atteindre sera difficile, impossible, inutile, on criera à l'inconstitutionnalité, à la violence, on se sera en victimes....

Eb ! qu'importe, messieurs ! si la mesure est bonne, si elle est utile à la société comme à la religion il faut la voter, et dédaigner ces vaines clameurs !

Mais on insiste, la mesure sera sans application, inefficace, ce sera, comme on l'a dit, une lettre morte. Il en sera, me semble-t-il, ce qu'il en était sous le Code pénal, et s'il était vrai que certaines influences qui dominent plus ou moins la société dussent rendre l'application de la mesure impossible, je concevrais que vous baissiez la tête devant le fait qui se produit malgré vous et que vous devez subir ; mais, du moins, vous qui êtes des législateurs, ne consacrez pas un pareil état de choses par le droit et sachez rendre votre législation pénale logique et complète.

Messieurs, il faut en convenir, la suppression des articles 298 et suivants n'est ni expliquée ni motivée.

Ne vous le dissimulez point, le pays tout entier est attentif à ces importants débats, il s'en occupe avec le plus vif intérêt, et il est bien à craindre qu'il ne parvienne pas à comprendre comment, si cela doit arriver, il ne s'est pas trouvé au sein de cette Chambre une majorité pour maintenir ces dispositions tout à la fois si libérales et si éminemment utiles à la religion et à ses ministres.

Que lui répondrions-nous, en effet, s'il nous demandait si c'est pour émettre un vote qu'il pourrait bien taxer de faible condescendance qu'il nous a envoyés en majorité compacte dans cette enceinte ?

Messieurs, un seul mot pour finir, il est relatif à notre honorable collègue M. De Fré.

En entendant son discours, remarquable du reste sous le rapport de la forme, j'avais noté quelques passages qui appelaient une réfutation qu'il me paraissait facile de faire, mais en lisant avec attention ce discours, où j'ai rencontré d'étranges assertions comme celles-ci : « La révolution a été faite par le clergé et à son profit, » puis encore : « Il n'y a pas dans une critique quelconque sortant de la bouche du prêtre de danger social ! ! » et en me rappelant surtout la chaleureuse et bruyante ovation que notre honorable collègue avait dû subir de la part de nos adversaires, j'ai compris qu'un monde tout entier nous séparait et qu'il ne pouvait être d'aucune utilité pour la solution des questions que fait naître l'examen des dispositions du Code pénal en discussion, de soulever d'autres difficultés plus importantes encore, et qui nécessairement ne manqueront pas d'occasions de se produire et de pouvoir être plus mûrement et plus directement approfondies.

Messieurs, je voterai donc les articles 295 et suivants, pourvu qu'il soit bien entendu que, comme je maintiens également les articles 298 et suivants, le vote des premiers n'implique pas nécessairement la suppression de ces derniers, sur le maintien ou la suppression desquels je pense que la Chambre doit se prononcer par un vote formel.

- La séance est levée à cinq heures.