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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 18 août 1859

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1859 extraordinaire)

(page 141) (Présidence de M. Dolez, premier vice-président.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Crombez fait l'appel nominal à une heure et un quart.

M. de Boe donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Crombez présente l'analyse des pétitions suivantes.

« Des habitants de Boom demandent une loi qui défende de jeter dans les fleuves, rivières et autres cours d'eau les corps d'animaux décédés ou dont on veut se défaire, ainsi que le poisson, la viande, etc., dont la police interdit la vente. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Willems, ancien garde champêtre à Ledeberg, demande une pension. »

- Même renvoi.


« La femme Delmotte demande que son mari, incorporé comme substituant au 1er régiment de ligne, soit libéré du service militaire. »

- Même renvoi.


« Des habitants de Tirlemont demandent l'ajournement de la discussion du projet de loi relatif aux travaux publics, jusqu'à ce que la Chambre se soit prononcée sur la validité des élections de l'arrondissement de Louvain. »

« Même demande d'habitants du canton de Glabbeck et de l'arrondissement de Louvain. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Des habitants de Schaerbeek demandent la réunion des faubourgs à la capitale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants d'Anvers prient la Chambre de faire obtenir une juste et préalable indemnité à ceux de leurs concitoyens dont les propriétés seront grevées de servitudes militaires, si le projet de loi d'agrandissement de cette ville est adopté. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« M. Vilain XIIII, forcé de s'absenter par suite de l’état de santé d'une de ses filles, demande un congé. »

- Ce congé est accordé.

Composition des bureaux de section

Première section

Président : M. Lesoinne

Vice-président : M. de Moor

Secrétaire : M. Jamar

Rapporteur de pétitions : M. Vander Donckt


Deuxième section

Président : M. Coomans

Vice-président : M. Van Renynghe

Secrétaire : M. Snoy

Rapporteur de pétitions : M. Van Volxem


Troisième section

Président : M. de Ruddere de Te Lokeren

Vice-président : M. Guillery

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur de pétitions : M. Julliot


Quatrième section

Président : M. de Renesse

Vice-président : M. de Fré

Secrétaire : M. Carlier

Rapporteur de pétitions : M. de Florisone


Cinquième section

Président : M. Allard

Vice-président : M. J. Jouret

Secrétaire : M. de Gottal

Rapporteur de pétitions : M. Thienpont


Sixième section

Président : M. de Breyne

Vice-président : M. Goblet

Secrétaire : M. V. Pirson

Rapporteur de pétitions : M. Coppieters

Projet de loi relatif à l’exécution de divers travaux d’utilité publique

Discussion des articles

Article premier, paragraphe premier

M. le président. - La discussion générale continue sur le paragraphe premier de l'article premier relatif aux fortifications d'Anvers.

M. Ansiau. - Plusieurs de nos honorables collègues ont usé, en sens divers, messieurs, de leurs droits pour prendre la parole dans cette importante discussion ; vous voudrez bien, je l'espère, me permettre de vous dire, en peu de mots, les motifs du vote négatif que je suis forcé d'émettre en cette occurrence.

Je tiens essentiellement à m'expliquer, niais brièvement, comme du reste je le fais d'habitude, parce qu’il m'en coûte beaucoup de n'être pas d'accord avec mes amis politiques sur la question si grave qui s'agite en ce moment.

Bien qu'ayant voté la loi d'organisation, je n'ai jamais pu comprendre, je n'ai jamais voulu que la moyenne de nos dépenses militaires depuis plusieurs années pût dépasser 40 millions de francs, c'est-à-dire le tiers de notre budget des recettes ; c'est-à-dire, encore le triple environ du produit en principal de tout l'impôt foncier ; ou en d'autres termes, messieurs, le plus clair, le plus liquide des revenus généraux de l'Etat.

La peur du mal ne serait-elle pas dans ce cas-ci, à tort, sans doute, aux yeux de bien des gens, pire peut-être que le mal lui-même ?

On nous propose de faire d'Anvers la place d'armes, la forteresse la plus formidable du continent, de l'Europe peut-être.

Eh ! messieurs, les remparts les plus solides, les seuls peut-être inexpugnables, ce sont ces murailles vivantes de citoyens d'un pays libre armés pour la défense du sol de la patrie ! Le sang qui peut couler alors est un sang fécond qui fait surgir des héros vengeurs de leur pays.

Je me garderai bien, messieurs, d'entrer dans des considérations stratégiques dans la crainte d'être pris entre deux feux et d'être balayé par la colonne d'hommes de guerre éclos, au souffle patriotique, je le reconnais, de cette discussion.

L'impopularité, messieurs, que l'un de nos collègues vous conviait hier à braver, qu’est-ce autre chose, sinon le résultat de l'opinion publique ? C'est le jugement porté par l'immense majorité du pays sur le projet de fortifier Anvers. Or, dans un document qui restera célèbre, une bouche auguste ne nous a-t-elle pas appris qu'il faut savoir tenir compte de cette opinion, alors même qu'on la croit entachée de préjugés ou d'erreur ?

Ce que j'ai à cœur, c'est de constater l'impopularité du projet de loi, en déplorant la fatalité qui semble avoir forcé nos amis au pouvoir à le présenter.

Prenons bien garde que l'on ne fasse entendre aux populations que l'opinion libérale n'est appelée que pour charger, que pour éreinter le pays par de nouveaux impôts.

Rappelez-vous les conséquences politiques, pour notre parti, de la loi de succession en ligne directe.

Je vous demande si, après ce qui s'est passé en 1847, 1848 et 1849 au sujet du budget de la guerre, alors qu'il s'agissait d'un budget de 25,000,000, on ne nous représentera pas comme vendant en quelque sorte notre réputation, notre popularité pour quelques millions, comme le faisait de son droit d'aînesse, ce personnage des temps anciens.

N'est-ce pas là une grave imprudence ; n'est-ce pas là un défi ?

Si les charges, si lourdes, de notre état militaire n'en devaient encore être accrues ; si l'on consentait à inscrire dans la loi le démantèlement des autres places fortes, de Mons notamment, je me laisserais peut être aller à l'opinion des hommes de l'art.

Mais, loin de là, on ne veut prendre aucun engagement relativement à l'existence de nos places fortes, c'est-à-dire qu'on les maintiendra, que l'on en accroîtra peut-être l'importance ; et, qu'outre leur entretien si dispendieux, il y aura nécessité d'augmenter les armements et l'effectif. Rassurante perspective en vérité !...

Je sais bien que l'on nous crie que nous devons nous en rapporter à nos généraux, seuls compétents en cette matière. Mais on l'a dit, l'anarchie de systèmes la plus complète a régné, et règne peut-être encore, malgré les apparences, entre les hommes spéciaux qui ont en mission de se prononcer sur la valeur des projets qui nous ont été soumis.

Que nos généraux commencent donc par se mettre sérieusement d'accord entre eux pour que nous ayons foi en leur projet. Et puis, eu fin de compte, l'on n'a jamais qu'une confiance relative dans les hommes ou dans les corps appelés à recueillir plus ou moins directement certains avantages par l'emploi de sommes très considérables. Et, à ce propos, je dirai que si ce ne devait être que 49 millions que dussent nécessiter les travaux d'Anvers, on ne vous en demanderait actuellement que 25 ou 30, convaincu que vous ne pourrez reculer plus tard lorsque l'on viendra solliciter des crédits supplémentaires. On évalue aujourd'hui le coût de ces travaux à 49 millions, parce que l'on a tout lieu d'appréhender que cette somme devra être doublée, et qu'en réalité il en coûtera 90 à 100 millions. C'est, au surplus, l'histoire de tous les plans et devis, et, sous ce rapport, les ingénieurs militaires ne le cèdent guère aux ingénieurs civils. C'est ainsi que la forteresse de Mons devait coûter 18 millions environ, tandis qu'elle a entraîné une dépense de près du double.

L'honorable ministre des finances s'exprimait ainsi dans la séance du 29 juillet 1858 :

« Le temps n'est pas venu de vous occuper de la grande enceinte ; et, en effet, n'est-ce pas un étrange spectacle de voir qu'aujourd'hui l'on considère la grande enceinte comme une impérieuse nécessité ? Au point de vue militaire, elle n'est nullement nécessaire.

« Les autorités militaires consultées par le gouvernement, disait encore l’honorable ministre, permettent au gouvernement, qui a la (page 142) responsabilité de l'œuvre, de vous affirmer que la grande enceinte n'est pas réclamée pour la défense de la position. »

L’an dernier, messieurs, c’était à l’unanimité que la grande commission militaire venait déclarer que la grande enceinte constituait un danger pour le pays ; et, cette année-ci, messieurs, c’est avec la même unanimité que la nouvelle commission, instituée par M. le ministre de la guerre, vient proclamer que cette même grande enceinte est seule susceptible de sauver le pays.

Je ne sais, pour mon compte, messieurs, ce que l'on doit admirer le plus, o la versatilité, ou, ainsi que l'a dit l'honorable M. Goblet, l'admirable discipline des commissions militaires.

Le projet dont il s’agit constitue, aux yeux des populations, l'abandon du pays ! Si c'est une erreur, si c'est un préjugé, il est essentiellement respectable.

Un honorable membre de cette Chambre a dit qu'il faisait acte de bon citoyen en votant pour le projet de loi. Serait-ce à dire, messieurs, que le rejet dût être qualifié en sens inverse ? Ce sera donc à l'honorable membre qu’écherra de décerner désormais les brevets de civisme. J'espère que sa parole si écoutée en toute autre circonstance trouvera peu d'écho aujourd’hui dans cette enceinte.

Il était, messieurs, naguère encore, une autre voix impartiale, celle-là entre toutes, sympathique et respectée, et qui, hélas !, ne se fera plus entendre dans cette enceinte. Cette voix n’eut certes pas préconisé le projet de loi ; elle se fût jointe à nous avec toute l’autorité qui nous manque. Ah ! c’est que cet éminent citoyen comprenait qu’avant tout on doit obéir à ses convictions, et que c’est mal servir ses amis que de leur dissimuler la vérité, que de les flatter. Ce collègue, si regrettable et si regretté, vous le savez, messieurs, constituait l’antithèse vivante du courtisan, du flatteur. Il dédaignait l’obséquiosité du pouvoir occupé par ses amis, et il eût surtout écrasé de son mépris les thurifères ministériels. La plupart d’entre nous se sont empressés de participer à l’érection du monument destiné à transmettre à la postérité sa mémoire vénérée. Eh bien, messieurs, croyez-en mes paroles, le plus sûr moyen d’honorer son souvenir, c’est d’imiter l’exemple de sa vie. De l’autre côté de la tombe d’où son âme noble et sereine nous contemple, il applaudira à ceux de ses amis restés fidèles à ses principes, et sera plus touché par cette conduite que par tous les hommages, que par tous les honneurs d’un autre gente que l’on pourrait rendre à ses mânes. J’ai dit.

M. Coomans. - Le rapport de la section centrale renferme l'énoncé sommaire des raisons qui m'empêchent de voter ce projet de loi. Dans le même ordre d'idées, je vous présenterai encore, messieurs, les observations suivantes :

Notre neutralité garantie par les promesses et surtout par les intérêts des cinq grandes puissances de l'Europe, a longtemps été considérée parmi nous comme un bienfait, comme un gage de paix, comme un moyen de diminuer nos dépenses militaires. Avant la paix de 1839, qui nous imposa de si douloureux sacrifices, alors que nos dépenses militaires n'excédaient guère celles que nous faisons aujourd'hui, on nous donna mainte fois l'assurance qu'elles seraient fortement amoindries dès que des circonstances normales nous permettraient d'entrée dans la voie des économies. En effet, le budget normal de la guerre fut réduit à 26 millions, chiffre qui fut conservé après la révolution de février, en pleine anarchie européenne. On voulut même à cette époque le réduire, à 25 et à 20 millions et ce ne fut qu'en 1853, à la suite de longs et chauds débats, qu'il fut porté à 3 millions. Personne ne songeait alors aux énormes dépenses qu'on exige que nous votons à présent. Les mêmes ministres qui affirment aujourd'hui que 50 millions sont indispensables pour fortifier Anvers, ne demandaient que 2 ou 3 millions au plus, afin d'y établir un camp retranché, sans citadelle, sans maçonnerie, sans aucun des formidables embellissements qu'on a imaginés depuis. Ces précautions devaient suffire au salut du pays. J'ai de la peine à croire que la situation ait tellement empiré depuis dix ans, qu'il soit devenu nécessaire, urgent d'augmenter si considérablement les frais de notre établissement militaire, et je m'étonne que MM. les ministres manifestent tant de craintes à l’heure même où le pays en éprouve le moins.

Messieurs, pour vous dire toute ma pensée, il me semble qu'un grave changement s'opère dans les destinées du pays, et que d'Etat neutre, laborieux et inoffensif qu'il est et désire rester, on le transforme en Etat militaire, appelé à jouer forcément un rôle glorieux mais ruineux dans les luttes éventuelles des grandes puissances. Or, telle n’est pas la vocation, tel n’est pas l'intérêt de la Belgique. A chaque nation son œuvre. J’avoue que je ne suis pas humilié d'appartenir à un petit pays qui n'a pas de lauriers à cueillir au-delà des monts et des mers, et que je serais désolé de voir mes compatriotes renouveler au loin des croisades quelconques, dussent-ils voir revivre leurs Godefroid, leurs Robert et leurs Bauduin. Toute mon ambition de Belge, je le confesse humblement, est de voir ma patrie condamnée éternellement à la paix et aux prosaïques jouissances qui en découlent. La meilleure garantie de l'indépendance et des institutions d’un petit pays ne sera jamais celle que son armée, quelque brave qu'elle soit, peut lui offrir. Cette garantie, je la trouve plutôt dans le patriotisme invincible que le bien-être général inspire à des populations libres et éclairées. Faisons de la Belgique une nation modèle ; distinguons-la des autres en la dotant de tous les progrès de la civilisation ; n’ayons que des soldats de bonne volonté, diminuons les impôts, simplifions notre système administratif, supprimons toutes sortes d’entrave, enrichissons d’une série nouvelles toutes les branches du travail national, rendons nos concitoyens fiers et heureux de leur sort, et soyons-en convaincus, au jour du danger, nous verrons un demi-million de Belges s’armer contre la puissance malavisée qui voudrait nous conquérir. Cette force morale m’inspirerait plus de confiance que celle des murailles d’Anvers.

Aimant la paix, je n'aime pas les grandes armées qui tendent naturellement à la guerre, comme les amas de poudre menacent toujours de faire explosion. Etat laborieux, inoffensif et libre, la Belgique a de grandes chances de n'être point mêlée aux conflits européens ; Etat militaire, elle se crée une importance relative qui peut inspirer à de puissants voisins des inquiétudes ou du moins des précautions fatales à son avenir, Je crains que nous ne nous trouvions mal de tout ce bruit que nous faisons en Europe depuis quelques années ; mieux eût valu nous conduire comme ces honnêtes femmes de ménage qui ne font point parler d'elles.

Puisque le fisc est trop riche et puisqu'on ne veut pas diminuer les impôts, j'aurais voulu voir appliquer 50 millions de plus à nos routes, à nos rivières, à nos écoles, à nos monuments publics, à toutes les œuvres civilisatrices. Sur ce terrain, nos triomphes seraient faciles, incontestés et nous aurions de quoi nous consoler de voir d'autres peuples triompher autrement. La postérité ne nous reprocherait certes pas d’être entrés, nous, dans la voie sacrée, où nous aurions préféré les processions industrielles et artistiques aux processions militaires.

Voilà les rêves de mon patriotisme, non moins pur, je l'affirme, non moins élevé que tout autre genre de patriotisme. Des rêves, dis-je en effet, j'ai eu bien des choses, en celle-ci notamment, des opinions solitaires qui ne paraissent faire une propagande sensible dans aucun des deux partis qui divisent notre Chambre. Je me résigne au malheur d’être à peu près seul de mon avis ; je m'y résigne avec tristesse et sans vanité. Fasse le ciel que je me trompe, que l'avenir me démente et que mes rêves ne deviennent pas un jour une effrayante réalité sur les mines d'Anvers.

Messieurs, un mot encore sur Anvers et je me tais. Cédant à l'opinion du plus grand nombre et des plus grandes influences dont il est toujours pénible et désagréable de se séparer, j'aurais fait violence à la mienne et j'aurais consenti peut-être à l'établissement d'une vaste forteresse centrale, si l'on avait voulu la construire ailleurs qu'à Anvers. Ma conscience de citoyen et d’économiste se révolte à la pensée du désastre qui frappera notre première place de commerce, la plus belle du continent européen, le jour où sa destinée militaire s'accomplira. La ruine d'Anvers sera celle du pays. (Interruption)

Un petit pays comme le nôtre ne peut pas supporter impunément une perte de cette importance. Je pense que l'honorable M. Rogier, qui m'interrompt, ne me démentira pas.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne vous dis rien ; je ne vous ai pas interrompu ; je ne vous écoute pas.

M. Coomans. - Si l’honorable M. Rogier ne m'a pas écouté, je crois qu'il m'a interrompu fort à la légère.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne vous ai pas interrompu.

M. Coomans. - Moi, je n'interromps que ceux que j’écoute ; vous m'avez interrompu, vous avez parlé de rançon, vous venez de dire que j'ai été partisan de la grande enceinte.

M. le président. - Continuez, M. Coomans. Laissez cet incident.

M. Coomans. - Ce n'est pas moi qui ai créé cet incident.

M. le président. - Je désire que ces incidents ne se produisent pas dans l'intérêt de la dignité de nos débats. La question est trop grave pour que nous ne la discutions pas avec calme.

M. Coomans. - Il me paraît que je la discute gravement. Je répète que la ruine d'Anvers serait celle du pays.

J'aurais voulu voir démolir toutes les fortifications de cette ville, placée dès lors sous l'égide du droit des gens et de la morale universelle. J'aurais voulu tout au moins qu’on ne l'entourât pas d'une douzaine de grandes citadelles, qui, une fois tombées au pouvoir de nos amis ou de nos ennemis, renteront difficilement dans le nôtre. Une forte enceinte eût dû suffire, avec quelques ouvrages avancés, redoutables aux seuls assiégeants. L'histoire a montré cent fois le danger des citadelles pour les villes qu'elles semblent défendre, mais les peuples comme les enfants manquent de mémoire. Je le répète, messieurs, je prie ardemment la Providence, qui paraît avoir veillé jusqu'à présent sur la Belgique, de confirmer le sobriquet de mauvais rêves avec lequel vous pensez, à droite comme à gauche, réfuter mes tristes prévisions.

M. Koeler. - Messieurs, dans toute autre circonstance, étant le dernier venu dans cette honorable assemblée où brillent tant de lumière, la prudence, le sentiment des convenances m'eussent conseillé de garder le silence. Mais dans une question solennelle comme celle que nous avons à résoudre, je considère comme un devoir d'émettre mon opinion et de la motiver, tout en réclamant l'indulgence de l’assemblée.

Je voterai pour les fortifications d'Anvers, et qu'on le note bien, (page 143) dégagé de tout précédent, de tout ce qui s’est passé antérieurement, je n’ai pas à m’occuper des récriminations auxquelles on s’est livré quant aux erreurs qui auraient été commises. Les erreurs, s’il y en a, sont la part de la faiblesse humaine ; je ne pense pas, toutefois, que nos ingénieurs militaires soient assez incapables pour commettre les fautes graves qu’on leur reproche.

Je voterai, dis-je, pour les fortifications d'Anvers, parce que je veux une armée forte, une armée en rapport non seulement avec l’étendue de noue territoire, avec l'importance de notre population, mais encore en rapport avec la richesse, avec la position exceptionnelle de notre beau et bon pays.

On vient de vous dire qu'il faut s'en rapporter à la Providence du bien-être de la patrie. Moi aussi je l'invoque ; mais je répondrai par un autre adage : « Aide-toi, le Ciel l'aidera. » Sans doute je me félicite de la neutralité de notre pays ; mais je crois qu'une armée forte, placée comme gardienne de cette neutralité, est indispensable à cette Sécurité.

Je dois ajouter un mot.

On a trop souvent été injuste envers l'armée, l'une de ces institutions qui se rattachent le plus intimement à la gloire de notre patrie et dont la défense réclame les plus grands sacrifices. Eh ! messieurs, que sont nos luttes parlementâmes à côté de ces luttes terribles, où tant de combattants tombent sur un champ de bataille sanglant pour ne plus se relever ! Hélas ! ceux, par exemple, qui ont combattu à Solferino étaient dans un plus pitoyable état que l'honorable M. Dumortier qui a assisté à tant de batailles parlementaires et qui nous prouvait hier qu'il était en parfait état de santé et de force.

Oh ! oui, l’on a parfois été injuste envers l'armée. On la traite comme si elle était en dehors de la nation, et en semblant, regretter les sacrifices que l'on ferait pour le maintien de cette grande institution.

Et cependant on n'a jamais reproché à aucun autre corps de l'Etat ce qu'il coûte, comme on l'a fait pour l’armée. Il est regrettable qu’on ait ainsi quelque peu abaissé son prestige, au lieu de le relever comme on le fait dans un Etat voisin où l'on sacrifie tout à l'armée, ce que je n'approuve pas ; mais qu'on ne l'oublie pas, chez nous l'armée est citoyenne, elle aime nos institutions, comme elle aime son auguste chef. C’est donc une armée qui mérite le respect, et dont les officiers sont instruits, où l'ordre règne dans tous les cœurs et dans toutes les branches de l'administration, qui saurait enfin verser généreusement son sang pour notre indépendance.

On a dit que le projet qui est soumis à nos délibérations n'avait pas le mérite de l’opportunité. Ici, messieurs, je m'expliquerai avec une entière franchise ! je pense que l’honneur, que je n’as pas recherché mais que je prise très haut, de siéger sur ces bancs, m'oblige à dire toute ma pensée sans vouloir, néanmoins, blesser qui que ce soit, voisins du Midi, de l'Est, du Nord ou de l'Ouest ; nous parlons ici de nos propres affaires, de celles qui ne regardent que nous-mêmes.

Je ne pourrai jamais considérer ce projet comme inopportun, alors que la nécessité du camp retranche d'Anvers a été reconnue de 1848.

Elle existe encore aujourd'hui au même degré, après la paix de Villa-Franca et elle existera toujours. L’opportunité, comment peut-on la nier lorsque je l’ai entendu récemment reconnaître par les masses ? Qu'a-t-on dit, lorsque tout à coup la nouvelle de la guerre est venue nous surprendre comme la foudre ? Tout le monde de s'écrier : Que n'avons-nous les fortifications d'Anvers ! Et si en ce moment-là les adversaires eux-mêmes des fortifications d'Anvers avaient pu donner au gouvernement une baguette magique pour faire sortir les forts de terre (Interruption), ils l'auraient fait, cela est incontestable. Les plus poltrons sont ordinairement les plus courageux, quand le danger est passé.

Tout le monde regrettait alors de ne pas avoir un grand camp retranché derrière de puissantes fortifications à Anvers. Il y a plus, ceux qui les avaient combattues s’excusaient et ceux qui les avaient soutenues récriminaient. Enfin, tout ce qui se disait était la consécration de ce dicton populaire : Si vis pacem para bellum

On répète maintenant que ce projet n'est pas populaire ; mais de quelle popularité s'agit-il ici ? Selon moi, tout ce qui mérite l'accueil de cette assemblée des représentas de la nation après un examen sage, patriotique et mûri doit être considéré comme populaire, mais en prenant le mot dans son acception la meilleure.

Pour apprécier la popularité du projet actuel, il suffit de connaître l'organisation de notre armée, qui est composée de miliciens, de volontaires et de remplaçants ; il suffit d’avoir été membre d’une députation permanente, pour savoir combien est douloureux le sacrifice des parents qui se séparent de leurs enfants, et qu’il n’y a absolument que ceux qui ne peuvent trouver des ressources ni chez eux ni chez leurs amis, qui laissent partir leurs enfants sous les drapeaux.

Eh bien, certes ceux-là ne supporteront pas les frais des fortifications d’Anvers ; mais c’est une raison de plus pour laisser couler de vos doigts un peu d’or pour garantir la sécurité et soutenir le courage de ces enfants du pays au jour du danger.

Ainsi, en repoussant le projet de loi, en refusant un refuge indispensable à nos soldats qui auraient combattu vaillamment, mais qui aurait dû céder au nombre, ce serait une injustice, une humiliation, et pour ma part, je ne m’associerai pas à un tel acte.

Quelle serait la position de notre armée qui aurait combattu avec une vaillance digne de notre ancienne réputation, mais qui, cédant au nombre, devrait, après deux ou trois revers, déposer les armes ou aller chercher asile sur le territoire d’une puissance étrangère ?

Messieurs, je termine avec regret ; j'ai quitté un conseil provincial où respire le plus pur patriotisme, où la personne du chef augure de la dynastie est entouré, connue partout, de respect, d'amour et de vénération ; j'ai été membre de ce conseil pendant 19 ans, je l'ai quitté pour répondre au vœu de mes concitoyens, pour venir ici remplir un devoir ; ce devoir, pour le moment, et dans la circonstance grave actuelle, je l'aurai accompli, sans doute, d'une manière imparfaite, mais de cœur. Quoiqu'il en soit, ce sera cour moi un souvenir dont je serai fier d'avoir apporté ma pierre à un monument que je considère comme devoir être la sauvegarde de notre armée, de notre indépendance nationale et de nos libertés.

Je voterai pour la loi.

M. Desmaisières. - Messieurs, je n'ai que quelques mots à dire.

Il y a, dans la grande question qui nous occupe, trois points principaux et dominants à considérer.

La nationalité belge étant basée sur une neutralité perpétuelle, imposée et garantie par les cinq grandes puissances européennes, il y a d’abord et avant tout à examiner si le maintien de notre indépendance nationale exige les fortifications d'Anvers et si la construction de celles-ci ne peut être ajournée sans inconvenant : j'éprouve, je l'avoue, des doutes à l'égard de ce point tout politique et rempli d'éventualités de toute espèce.

Il y a ensuite la question d'art militaire, la question stratégique pour le jugement de laquelle il convient d’avoir des connaissances spéciales. Quoique j'aie servi pendant 10 ans comme officier du génie dans l’armée des Pays-Bas, j'avoue humblement qu’ayant quitté le service il y a 35 ans et l’art militaire ayant fait des progrès depuis lors, ce ne serait qu'avec une certaine timidité que j'aborderais ce point du débat s'il était réellement mis en discussion. Je me bornerai à adresser à M. le ministre de la guerre quelques observations ou questions à ce sujet.

On a substitué, dans le projet du gouvernement, aux anciens systèmes bastionnés de Vauban, de Cormontaigue et de Coëhorn, éprouvés par une longue expérience, un système nouveau, celui polygonal à canonnières crénelées.

M. le ministre de la guerre nous a dit que déjà il a été fait application de ce nouveau système dans la construction de plusieurs forteresses ; mais je lui demanderai si l'expérience d’un siège supporté en a démontré la valeur réelle. On m’a assuré que non, et s’il en était ainsi, je ne saurai recommander que beaucoup de circonspection dans l’emploi de ce système nouveau.

Ce système nouveau ne pourra être jugé qu'après plusieurs sièges. Toute invention dans les moyens défensifs provoque de nouveaux moyens d'attaque, et nous avons souvent vu les derniers surpasser les premiers.

Quant au côté financier de la question, si les points politiques et stratégiques sont admis, il faudra bien donner les moyens d’exécution. Je me borne à demander à M. le ministre de la guerre s’il pense que le projet de loi assigne réellement une part contributive à la ville d’Anvers dans les dépenses à faire. Quant à moi, je pense que non et je suis assez disposé à croire qu’en raison de la charge militaire assez lourde qu’on impose à notre principale ville de commerce, il ne fait pas se montrer trop exigeant du côté financier.

Evidemment si le projet de loi fait donner d’une main 10 millions par la ville d’Anvers, d’un autre côté, il lui fait prendre de l’autre main plus de 10 millions en terrains qu’on lui abandonne. Cela est peut-être équitable. Aussi n’est-ce pas le fond que je trouve mauvais, mais c’est la forme qui me semble manquer de franchise. J’aurais donc désiré que la loi s’expliquât plus franchement.

Enfin, messieurs, j'aurais, au moment d'une aussi grave et importante discussion, désiré aussi ne pas voir l’arrondissement de Louvain privé de toute représentation dans cette enceinte.

Si l'ajournement est proposé, je voterai dans ce sens et je réserve mon vote sur le projet lui-même, dans l’espoir que la discussion sur la question politique continuera et m’éclairera assez pour ne pas devoir m'abstenir.

M. B. Dumortier. - Messieurs, en terminant le beau discours qu'il a prononcé, l’honorable ministre de la guerre a fait un appel à tous les membres de cette Chambre en faveur du projet de loi qui est en discussion ; il a surtout insisté sur cette pensée, que l’esprit de parti ne devait pas présider à cette discussion.

Certes, messieurs, si l’objet maintenant en discussion pouvait être, chez mes amis et chez moi, une question de parti, nous ne pourrions que nous féliciter singulièrement d’avoir vu le ministère nous présenter le projet de loi. Si mes amis et moi nous étions guidés par un esprit de parti, nous ne pourrions que nous réjouir de voir l’opinion inverse vote le projet. Et pourquoi ? Parce que jamais depuis 1830 question aussi impopulaire, question aussi repoussé par l’unanimité du sentiment national ne s’est présentée devant vous. (Interruption).

(page 144) Mais, messieurs, je crois que nous avons tous le droit de parler ici de ce que nous avons entendu dans le pays, nous ne sommes ici que les représentants du pays, et certes, si l’opinion publique est quelque chose dans un gouvernement représentatif, c'est bien pour que nous en soyons ici les organes. Quant à moi, j’ai entendu beaucoup de personnes sur cette affaire. Eh bien, je le dis avec sincérité, de toutes les personnes avec lesquelles je m'en suis occupé ; je n'en ai pas rencontré une seule... indépendante du gouvernement (nouvelle interruption) qui se soit prononcée en faveur du projet

M. Muller. - Vous les avez choisies. (Interruption.)

M. B. Dumortier. - Je m'étonne vraiment de l'interruption, car il n'y a pas quinze jours que l'honorable M. Muller était du même avis.

M. Muller. - Quelle plaisanterie ! moi qui ai voté pour le projet l'année dernière !

M. B. Dumortier. - Vous n'avez pas voté la grande enceinte, vous n'en vouliez pas.

Je dis donc, messieurs, que si l'esprit de parti nous faisait agir en cette circonstance, nous laisserions la gauche voter le projet de loi, et nous ne pourrions que nous en féliciter, parce que nous saurions qu'elle pose un acte peut-être nécessaire dans son opinion, sous l'action de certaines influences, mais que nous considérons, nous, comme un acte éminemment contraire à l’opinion publique et que le pays réprouve avec une unanime opposition.

Mais, messieurs, un sentiment plus élevé nous anime.

Nous ne pouvons pas accueillir ce projet parce qu'il ne renferme pas, à nos yeux, le caractère national dont on parle, parce qu'il ne renferme pas, à nos yeux, des gages d'indépendance, des gages de sécurité que nous, parti conservateur, avons toujours voulu appeler sur le pays, parce qu'il peut compromettre l'avenir de la patrie.

Tout à l'heure, l'honorable M. Koeler s'est élevé vivement contre les attaques dont l'armée a été autrefois l'objet dans cette enceinte. L'armée, a-t-il dit, a été traitée comme étrangère au pays ; elle a été attaquée dans cette Chambre ; on l'a marchandée ! Certes, l'honorable membre a certainement bien pris son temps pour parler de la sorte. Car, en entrant dans cette enceinte et en y parlant de la sorte, il a visiblement tiré sur ses propres amis. Oui, l'armée a été marchandée ; mais qui est-ce qui est venu dire dans cette enceinte qu'il entrait dans les vues du gouvernement de réduire l'armée à 25 millions ? Qui est-ce qui disait cela alors ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. Brabant et vous.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous l'avez voté.

M. B. Dumortier. - C'est M. Frère et M. Rogier qui sont venu s nous présenter cette idée, qui sont venus proposer à la Chambre de réduire l'armée au chiffre de 25 millions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est faux.

M. B. Dumortier. - La note est imprimée, elle a été remise par votre collègue, l’honorable général Brialmont, à la Chambre. Cette pièce est imprimée dans les documents de la chambre. Quant au vote dont ont parlé les ministres, s'il est vrai que, à la suite des 24 articles, nous ayons demandé, M. Brabant et moi, de porter le chiffre à 25 milliers, remarquez que l’Europe était dans une paix profonde et que la Belgique venait de se trouver frappée de 10 millions de dette annuelle envers la Hollande et que pour les payer il fallait ou des économies ou des impôts sur le peuple.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cinq ans après.

M. B. Dumortier. - Il fallait payer cette dette (Interruption.) Eh ! mon Dieu, si je l’avais fait dans d'autres circonstances, je ne ferais pas comme vous, je conviendrais que j’ai fait une sottise. (Nouvelle interruption.)

Mais vous êtes venus, vous étant ministres, après la proclamation de la république en France, après l'invasion de Risquons-Tout, cette époque menaçante dont l'honorable M. Koeler vient de parler, proposer de réduire l'armée au chiffre de 25 millions de francs.

MfFO et M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est faux !

M. B. Dumortier. - C'est parfaitement exact.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est faux.

M. B. Dumortier. - Vous avez beau dire ; C'est faux. C'est acté dans les pièces.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est faux. Cela n'est acte nulle part.

Nous avons demandé que l'on soumît à l'examen d'une commission toutes les questions relatives à l’organisation de l'armée ; rien de plus.

M. B. Dumortier. - Ah ! le pays le sait bien, le parti conservateur n'a pas voulu réduire l'armée, comme vous le voulez. C’est nous qui avons été les défenseurs de l'armée contre vous.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez voté en 1843, sans examen, la réduction du budget de la guerre à 21 millions.

M. B. Dumortier. - En 1843, la Belgique n'était pas menacée, nous étions en pleine paix, et nous avions à pourvoir à d'autres besoins on venait de faire peser sur nous une dette considérable. Mais en 1852, la république était à nos portes et c'est vous qui proposiez alors la réduction de l'armée.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Cela n'est pas.

M. B. Dumortier. - Et pourquoi alors le général Brialmont s'est-il retiré ?

Ainsi, messieurs, le reproche adressé tout à l'heure par l'honorable membre qui vient de prendre la parole, ne pouvait sous aucun rapport s'appliquer à la droite, et comme je vous le disais, c'est sur ses propres amis qu'il tirait en débutant.

Or, précisément parce que le parti conservateur a toujours voulu une armée forte, une armée qui peut défendre le pays, c'est là précisément le motif pour lequel aujourd’hui nous ne pouvons accepter le projet de loi, parce que nous croyons voir que dans l'exagération du système qu'il propose il y a abandon de ce principe ; que le pays serait par-là forcément, et quoi qu'on en veuille, abandonné, et que, dès lors, l'armée qui devait protéger notre territoire, cesserait d’être appelée à la défendre.

Et messieurs, ne vous faites pas illusion. D'où vient ce mécontentement du pays contre le projet actuel, mécontentement qui vous a déjà été signalé par plusieurs orateurs ? D'où vient cette antipathie de tout le pays ? D'un seul et unique motif : c'est que le pays lit, au fond de ce projet, l'abandon du sol et le retrait de l'armée derrière les murs d'Anvers, par conséquent la ruine du pays et tous tes maux qu'une invasion entraîne avec elle.

Voilà ce qu'y voit le pays, et voilà ce qui s'y trouve, malgré vous, fatalement et nécessairement

Messieurs, c’était aussi l'an dernier l'opinion de l'honorable M. Frère. Lorsque l'honorable M. Frère combattait la grande enceinte, à quel point de vue le faisait-il ?

Il disait que la grande enceinte devait avoir pour résultat l'abandon du pays. Lorsque l'honorable général Goblet venait demander la grande enceinte, que lui répondaient les organes du gouvernement ? C'est l'abandon du pays que vous venez nous proposer.

Le pays vous a compris alors et le pays est resté convaincu de ce que vous disiez. Le pays comprend que c'est l'abandon du pays que vous venez proposer, et c’est pourquoi cette répulsion se manifeste d'une extrémité à l'autre du royaume.

En effet, messieurs, s’il ne s’agissait que de placer à Anvers un point de refuge pour notre armée en cas de nécessité, ou pour mieux dire, lorsque l’honorable M Chazal est venu présenter ce système à la Chambre, mais nous l'avons tous voté. La droite, tout entière a voté avec empressement les fonds que réclamait l’honorable général. Je ne crois pas qu’une seule voix de nos bancs lui ait manqué lorsqu’il s'agissait d'un travail raisonnable et honnête. Mais ce qui effraye, c’est l'exubérance, c'est la vaste étendue que vous voulez donner à ce travail. Remarquez-le, l’an dernier, l’honorable général Goblet nous disait : Je veux la grande enceinte, mais il ajoutait : Avec la grande enceinte, il faut l'armée entière à Anvers.

Certes, on ne contestera pas à cet honorable général, qui a fait ses preuves sut le champ de bataille, les connaissances nécessaires pour savoir combien d’hommes il faut pour garnir une forteresse. On reconnaissait l'an dernier que la grande enceinte était un danger pour le pays, parce qu'elle exigeait l’abandon du pays. Le pays a compris cette réponse, aussi le pays repoussa à l'unanimité ce système qui n'aurait qu'une seule et unique portée, c'est de faire abandonner le pays par l'armée pour mettre celle-ci dans une forteresse en attendant les aventures que la guerre peut amener.

Eh bien, un pareil système, on peut l'appeler national ; mais je le déclare antinational ; je le déclare comme tuant le patriotisme, comme achevant le patriotisme dans le pays. Car il n’y a rien au monde qui tue le patriotisme comme de se voir abandonné. Comment ! quand vous aurez envoyé toute votre armée à Anvers, pensez-vous donc que vous trouverez des hommes de bonne volonté qui viendront vous aider ? Quand vous aurez enlevé les soldats de tout le pays, quand vous aurez abandonné le pays à l’étranger, espérez-vous réveiller le patriotisme ? Mais le patriotisme est une vertu qui demande la réciprocité, et rien ne se perd plus vite que le patriotisme, lorsqu'il ne peut reposer sur rien, et surtout lorsqu'il ne trouve que de l’abandon.

Un des plus grands vices du projet de loi, et à mes yeux le plus grand vice, c'est de créer un antagonisme d'intérêt entre la nation et l’armée. Les nationalités, messieurs, ne se constituent que par l'alliance intime de tous les intérêts dans un seul but. Or, ici on crée deux intérêts différents, on crée pour l'année un intérêt tout à fait différent de celui du pays. Eli bien, un pareil état de choses est un acte nuisible, dangereux, mauvais ; c'est une faute capitale, c'est une faute colossale en matière de politique.

Comment voulez-vous, en effet, que le pays puisse vouloir d'un système qui, dans tous les cas, l'expose, dans un moment de guerre, à être envahi par l'étranger, à être soumis aux contributions de guerre, à toutes les horreurs d'un envahissement, et qui, en fin de compte, aura pour résultat définitif de faire enlever la moitié de nos enfants pour aller combattre l'autre moitié qui se trouvera dans Anvers ?

(page 145) Je sais bien qu'on se fait illusion sur ce point, qu'on s'imagine qu'on pourra défendre la grande enceinte d'Anvers avec tous les forts détachas qu'on y ajoute, tout en mettant une armée dans le pays. Mais c’est là, messieurs, une complète illusion ; je dirai comme on dit à côté de moi, c'est une véritable utopie et je répète ce que je disais l’an dernier dans cette enceinte : La grande enceinte, c'est l'abandon du pays, et c'est pour cela qu'à aucun prix je ne puis vouloir de la grande enceinte.

Messieurs, pensez-vous qu'un pareil système soit favorable à l'armée ? Mais pensez-vous que l'année soit bien glorieuse de devoir abandonner le pays, de devoir aller s'enfermer dans une forteresse, pour finir par une capitulation honteuse, sans avoir versé une goutte de sang, sans avoir brûlé une amorce pour défendre le sol de son pays ? Est-ce là un rôle à faire jouer à une armée ?

Les choses étaient bien différentes dans le système présenté par l'honorable général Chazal en 1850. Alors il ne s'agissait que d'un refuge, et pour ce refuge, vous avez ce que vous avez demandé, la Chambre a voté les fonds ; le camp retranché, les forts détaches ont été construits. Si vous avez besoin d’étendre ce système dans le même but, je ne pense pas que la Chambre s'y oppose. Mais c'est un système nouveau que vous nous proposez. Ce que combat le pays, c'est cette grande enceinte qui ne fera qu'affaiblir la plus belle forteresse que nous ayons en Belgique.

Mais, messieurs, pourquoi donc, si vous voulez établir un point de défense considérable, n'avez-vous pas jeté les yeux sur la capitale, qui, par sa position centrale et son patriotisme, offrirait les plus grands avantages ? Rappelez-vous ce que vous disait l'an dernier l'honorable M. Devaux. La grande enceinte d'Anvers, nous disait-il, n'aurait aujourd'hui qu'un infiniment petit nombre de voix parmi nous. La Chambre n’a pas, comme le prétendait hier un honorable député d'Anvers, repoussé l'an dernier le projet parce qu'on faisait trop peu pour Anvers ; on l'a rejeté parce qu'on faisait trop. L'honorable M. Devaux vous disait encore : Imaginez donc un gouvernement, tout entier devant se retirer dans Anvers ; l'armée du pays devant passer à Anvers.

Et vous croyez que vous ferez cela sans aucune espèce de désordre ! Mais par suite du désordre qu'amènera un pareil état de choses, savez-vous ce qui arrivera ? C'est que l'ennemi sera sous les murs et dans l'intérieur de la ville avant que vous y soyez vous-mêmes.

Ce n'est pas tout. Qu'a-t-on fait ? On a tellement varié dans les opinions qu'on a été jusqu’à démolir la plus grande partie de la frontière qui couvrait Anvers. Ainsi, dans le système de la grande forteresse d'Anvers, ce qu'il fallait conserver au dire des généraux, c'étaient les forteresses d'Ypres, de Menin, d'Audenarde, qui protègent les points les plus rapproches de notre frontière méridionale ; eh bien, ces forteresses sont démolies. Peut y entrer qui veut. Qu'en résulte-t-il ? C'est qu'une armée peut arriver à marche forcée à Anvers avant que vos permissionnaires y soient arrivés. Et c'est là ce que vous appelez sauver le pays !

Messieurs, voilà des considérations ben évidentes au point de vue de l'intérieur. Quant à l'extérieur, des considérations non moins importâmes se présentent devant vous.

D'abord il est un fait qu'on ne peut pas méconnaître ; c'est qu'à tort ou à raison, l'étranger regarde la forteresse d'Anvers comme une provocation.

M. Orts. - Je demande la parole.

M. B. Dumortier. - A tort ou à raison, il la regarde comme une provocation.

Je ne prétends pas examiner cette question, ceci est en dehors de notre domaine. Mais il me suffit de voir que la question soit envisagée de la sorte pour que je comprenne tous les dangers d'une pareille loi, en présence de cette situation politique qui nous est faite en Europe.

En effet, messieurs, personne n'ignore qu'Anvers a toujours été un des principaux points de mire des grandes puissances européennes. La France et l'Angleterre se sont toujours disputées sur la question de savoir ce que deviendrait Anvers. Maintenant, messieurs, dans le système que l’on adopte, en faisant de cette ville une forteresse de premier ordre, vous aurez créé un prétexte à l'occupation de notre pays ; ce sera à qui l'occupera le premier. Voilà ce que nous craignons, et nous ne voulons pas donner de prétextes, même non fondés, à l’invasion du pays.

Je regarde cela comme excessivement dangereux pour la nationalité belge. Restons Belges comme nous le sommes, mats ne donnons à aucune nation, quelle qu'elle soit, le moindre prétexte contre nous.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Donc rasez Anvers.

M. B. Dumortier. - Quand Anvers reste ce qu'il est, vous ne donnez à personne de prétexte ; mais dans le système que vous créez, en faisant de cette ville une forteresse menaçante, vous pouvez donner des prétextes d’occupation. Eh bien, c'est là ce que repousse le sentiment national, c'est ce que repousse le plus pur patriotisme, ce que nous ne pouvons accepter sans compromettre la nationalité.

Messieurs, si vous aviez fortifié Bruxelles, vous ne donniez de prétexte à personne, parce que la capitale n'a jamais été un point stratégique au point de vue européen, qu'elle n'a jamais été une menace contre l'Angleterre, ni un point d'appui dont la France voulût s'emparer contre l'Angleterre, dont l'Angleterre voulût s'emparer pour empêcher la France de l'envahir. Bruxelles n'a jamais été un point dont l'occupation fût importante au point de vue de la sécurité des deux pays voisins.

Il en résulte qu'Anvers, que nous voulons faire considérer comme la force de notre pays, peut devenir, dans telle ou telle circonstance, précisément la faiblesse de notre pays, le motif d'une invasion ; c'est à ce point de vue que je considère le projet comme éminemment antipatriotique.

L'honorable général Chazal disait dans la séance d'hier : C'est une garantie pour le pays que nous créons. Quant à moi, j'y vois un véritable danger de guerre. L’honorable général Chazal envisage la question au point de vue militaire ; mais je l'envisage au point de vue des intérêts civils du pays, et je considère le projet comme contraire à notre nationalité qu'il tend à compromettre. C'est ce qui m'empêche de voter le projet de loi.

Voilà, messieurs, les motifs principaux pour lesquels ce projet de loi a excité dans le pays une impopularité aussi grande. Remarquez-le bien, messieurs, quand vous voyez un mouvement aussi vif, aussi prononcé, un mouvement instinctif partir de tous les points du pays, depuis les classes les plus inférieures jusqu'aux classes les plus élevées de la société, c'est là un enseignement qui parle très haut et, certes, si nous pesions, comme nous le devons, la situation actuellement du pays et l'état de l’opinion publique, dont nous ne devons être ici que les mandataires, il est certain que nous ne pourrions pas accueillir un pareil projet, puisque l'adoption d'un pareil projet compromettrait l'avenir de la patrie.

Messieurs, déjà depuis plusieurs années, la Belgique, on ne peut le méconnaître, a perdu beaucoup. L’esprit de parti a pris chez nous un développement tel, qu’il a certes affaibli beaucoup l'esprit national. C'est là une grande calamité pour le pays. Je reconnais que les luttes de parti sont de l'essence du gouvernement constitutionnel, mais ce que je n'ai jamais compris, ce que je ne comprendrai jamais, c'est que le parti qui a la majorité devienne persécuteur du parti qui est en minorité, que la lutte des partis devienne une sorte de guerre civile.

Une pareille situation désaffectionne les citoyens, et si vous voulez créer une grande force contre l'étranger, sachez que c'est dans le cœur de tous les Belges qu'il faut la trouver et revenez aux principes de 1830. Qu’il n'y ait plus en Belgique des vainqueurs et des vaincus, qu'il n’y ait plus en Belgique des satisfaits et des ilotes ; des hommes froissés dans le sentiment le plus vivace, celui du principe religieux, mais que tout le monde, sans distinction, puisse s'asseoir à la table du budget et jouir en liberté de tous les droits dont le Congrès a doté la Belgique.

Voilà, messieurs, le meilleur moyen de fortifier la Belgique, c'est d'en revenir aux principes de 1830, de revenir à la liberté en tout et pour tous ; c'est de faire, comme on le fait en Angleterre, de ne point être oppresseurs les uns des autres, de ne point user de violence contre le parti vaincu. Lorsque pareille chose existe, c'est le pays qui est affaibli en présence de l'étranger. Croyez-vous pouvoir faire naître un mouvement comme celui de 1830, quand on réduit à l'ilotisme la moitié des Belges, quand vous aurez déclaré sur tous les points la guerre au sentiment catholique ?

Tels sont, messieurs, les motifs principaux qui ne me permettent point de voter pour le projet de loi. (Interruption.) Je sais fort bien que pour MM. les ministres l’opposition est toujours une chose gênante, ils préféreraient bâillonner toute opposition.

Ils veulent le gouvernement représentatif, mais à la condition que tout le monde soit attelé au char du ministère, à condition qu'on ne leur présente que des cassolettes odoriférantes.

Pour moi, je veux le gouvernement représentatif tel qu'il est et tel qu'il est du devoir de tous les citoyens de le maintenir.

Oui, messieurs, je regarde le projet comme antinational, comme compromettant l'existence du pays, comme de nature à nous attirer de cruelles représailles ; je le regarde, en outre comme exposant le pays à l'abandon, car l'armée serait en définitive placée dans une citadelle de pierre où elle n'aurait aucun rapport avec le reste du pays et où elle finirait, à la honte de la Belgique, par subir une capitulation sans rien avoir fait pour défendre le sol.

Je sais fort bien que, dans un pays restreint comme le nôtre, il peut se présenter, comme en 1793, des circonstances dans lesquelles l'armée peut être forcée momentanément à abandonner le territoire ; cela se fait par la force, cela ne se fait jamais par le droit, cela ne se voie pas, et jamais on ne verra une nation entière appelée à voter l'abandon de son territoire.

C'est là le vote qu'on nous demande aujourd'hui et c'est un vote auquel nous ne pouvons nous résigner, surtout dans les circonstances critiques où l'Europe se trouve placée.

M. Orts, rapporteur. - Messieurs, je prie la Chambre de se rassurer, je n’entends pas faire un discours. Je veux répondre quelques mots au préjugé populaire dont l'honorable M. Dumortier vient de se constituer l'organe avec toute l'ardeur du patriotisme, mais je dois le dire, d'un patriotisme mal inspiré.

L'honorable membre repousse le projet de loi, parce que, dit-il, ce projet de loi manque d'indépendance, de sincérité, et que par conséquent il est contraire au caractère national.

(page 146) Si les prémisses de ce raisonnement étaient vraies, il est incontestable que la conséquence devrait être admises ; en effet, rien n’est plus antinational en Belgique que le défaut de sincérité et d’indépendance.

Mais je m’étonne d’entendre l’honorable membre reprocher au projet d’être inspiré par un manque d’indépendance, alors que lui-même, pour combattre ce projet, se fait un argument de ce que le même projet exciterait des répugnances ou rencontrerait peu de sympathie à l’extérieur.

Lorsque pour combattre un projet de loi présenté en Belgique pour la bonne direction des véritables intérêts de la patrie, on vient invoquer ici comme argument la mauvaise impression que le projet doit produire à l’étranger, on n’a pas le droit de reprocher à ceux qui le soutiennent le manque d’indépendance ; on a d’autant moins raison de leur adresser ce reproche, que les adversaires du projet n’ont pas attendu jusqu’aujourd’hui pour présenter un argument antinational et antipatriotique, et pour aller chercher au-delà des frontières des appuis : ce qui arrive trop souvent à nos adversaires politiques quand ils veulent nous combattre.

M. Rodenbach. - Ce ne sont pas de vrais patriotes, ce sont de faux patriotes qui vont chercher un appui à l'étranger.

M. Orts. - Peu importe, M. Rodenbach ; je n'accuse personne dans cette enceinte d'avoir cherché un appui à l'étranger ; je me borne à constater un fait, c'est que quand il s'agit pour nos adversaires dans le pays, de porter un grand coup à l'opinion à laquelle j'appartiens, ce sont toujours les mêmes organes à l'étranger, les mêmes noms au bas des mêmes feuilles, qui leur viennent en aide ; c'est un malheur pour eux d'avoir de pareilles alliances, si, ce que j’aime à croire, ils ne les autorisent pas, mais ce malheur, cette coïncidence fatale, j’ai le droit de les signaler à l'attention publique, et je les signale pour qu'elle réfléchisse.

L'étranger, dit-on, ne se préoccuperait pas du soin que h Belgique apporte à la défense nationale, c'est-à-dire au plus saint, an plus élevé de ses intérêts, si au lieu de fortifier Anvers, comme le propose 1« gouvernement, on était venu nous proposer d'entourer d'une vaste enceinte militaire la capitale même du royaume.

L'année dernière, l'honorable M. Dumortier, combattant la petite enceinte, nous disait : « Vous devriez fortifier Bruxelles. » Car les généraux étrangers qu'il a alors nommés lui avaient affirmé que les fortifications à Bruxelles seraient ce qui rendrait la Belgique la plus redoutable aux yeux de l'étranger ; l'honorable M. Dumortier ajoutait qu'un général français, qu'il a nommé, avait eu soin de terminer son apologie des fortifications de Bruxelles, en disant : « Mais la France ne vous le permettrait jamais. »

Et vous pensez que les fortifications de Bruxelles, que des généraux français vous disaient ne pouvoir jamais nous être permises par la France, constitueraient à l’égard d'un pays étranger une provocation moindre que les provocations d'Anvers ?

« Fortifier Anvers, c'est appeler sur nous les coups de l'étranger, » dit l’honorable membre ; fortifier Bruxelles, amènerait absolument le même résultat, si les généraux français qu'il a cités ne l'ont pas induit en erreur ; il a sans aucun doute rapporté exactement leurs paroles, car j'ai toute confiance dais la loyauté de l'honorable membre.

Fortifier Anvers, c'est appeler sur la Belgique, par l’exagération de son état militaire, l'attention de l'étranger.

Mais l'honorable membre oublie que le projet de fortifier Anvers n'est pas une nouveauté avec laquelle l’Europe ne soit pas familiarisée. Faire d'Anvers une grande place de guerre est l'idée militaire par excellence que la Belgique nourrit depuis bien longtemps, depuis qu'on a renoncé au système de dissémination des forces nationales sur le territoire belge, système qui, s'il était maintenu, aurait pour effet, dans des circonstances critiques, de nous mener à notre perte, comme il a conduit nos aïeux à la perte de l'indépendance nationale.

L'honorable membre devrait se souvenir que lorsque pour la première fois on voulut organiser en Belgique une résistance militaire sérieuse, on songea à supprimer les fortifications de Bruxelles, ces fortifications que l'honorable M. Dumortier voudrait voir rétablir ; sous l’administration de Joseph II, le premier soin des ministres de ce souverain a été de lui montrer Anvers, Namur et Luxembourg comme les trois point, militaires dont la conservation importait au maintien de l'indépendance nationale, Anvers a été agrandie en même temps qu'on faisait démolir les petites places de guerre et qu’on démantelait Bruxelles ; l'empereur Joseph II exigeait qu'on lui restituât les forts de Lillo et de Liefkenshoek.

On vous a rappelé les préoccupations du même genre auxquelles étaient livrés, sous Napoléon, ceux qui prenaient souci de la situation militaire du pays.

Quand plus tard d'autres intérêts que ceux de la Belgique prévalurent, alors le système préconisé par l’honorable M. Dumortier a été mis en vigueur ; on avait alors, pour défendre l'intérêt étranger en Belgique, des forteresses construites avec l'argent de l’étranger, sur les plans de l'étranger et une armée étrangère pour les défendre.

Aujourd'hui, grâce à Dieu, il n'en est plus ainsi. La Belgique est un petit pays, mais un petit pays riche d'honneur et de dignité ; elle veut un système militaire qui lui permette de se défendre par ses propres armes, de conserver un jour au moins, si elle devait succomber dans une lutte, de conserver, dis-je, l’estime de ceux qui la vaincraient et l'amitié de ceux qui voudraient la soutenir.

Anvers fortifié appelle l'étranger ?

Quel est le prétexte de l'occupation d'un pays en cas de guerre ? Jamais l'excès de sa puissance défensive ; ce qui appelle l'occupation d'un pays, c'est sa faiblesse, c'est sa neutralité mal défendue.

Messieurs, rappelez-vous les exemples si souvent cités, dans cette enceinte ; on vous a nommé tous les pays d'Europe qui avaient voulu faire respecter leur neutralité, en se confiant à leur faiblesse ; on vous a montré ces pays occupés, rançonnés pour des sommes telles que les dépenses, quelles qu'elles soient, qu'on aurait faites pour la défense nationale, s'effacent et s'annihilent devant la comparaison.

Messieurs, souvenez-vous que quelques mois d'occupation, en 1794, ont entraîné la Belgique à une dépense de près de 84 millions, rien qu'en réquisitions en nature, sans compter les contribuions forcées en argent ; souvenez-vous qu'Anvers a payé une rançon de 20 millions, que Bruxelles fut condamné à en payer une de 3 millions en trois jours, et qu'impuissante à obéir, Bruxelles vit ses citoyens les plus honorables menés en otages sur le territoire étranger ; souvenez-vous que toutes les villes de la Belgique ont subi le même sort.

Rappelez-vous les paroles que reproduit le rapport de votre section centrale : et demandez-vous si, au lieu de supputer ce que coûte au pays la défense d'une lutte honorable, il ne vaut pas mieux lui redire ce que coûtent trois jours d'invasion ou trois jours de protectorat.

« L'opinion publique n'est pas sympathique au projet, » dit l'honorable M. Dumortier. L'honorable membre fait grand cas de l'opinion publique, et il a raison ; nous vivons sous un régime représentatif ; le gouvernement représentatif a été souvent appelé à bon droit le gouvernement de l'opinion publique.

Mais qu'on n'oublie pas que le gouvernement de l'opinion publique n'est pas le gouvernement des préjugés populaires ; c'est le gouvernement de l'opinion éclairée... par qui ? Par ses mandataires, par les hommes de son choix, qui ne doivent pas, lorsque le préjugé se dresse devant eux, lorsqu'ils sont convaincus de l'erreur du mandant, qui ne doivent pas obéir, comme des esclaves, ou ce qui ne vaut pas mieux, comme des mandataires subissant un mandat impératif, mais doivent rectifier l'opinion de ceux qui les ont envoyés dans cette enceinte, précisément parce qu’ils avaient dans les lumières de leurs délégués plus de confiance que dans leurs lumières propres.

L'opinion publique, dans les matières qui se rapportent à la défense nationale est sujette à bien des erreurs, à bien des fautes ; mais lorsqu'elle reconnaît qu'elle s'est trompée ; lorsque les événements viennent lui dessiller les yeux, alors l'opinion publique demande un compte sévère, quelquefois même injuste dans sa sévérité, à ceux qui ont faibli devant elle à d'autres instants. Voulez-vous un exemple, pris dans notre histoire parlementaire ?

Messieurs, lorsque dans les premiers mois qui ont suivi la conquête de notre indépendance, on parlait de la nécessité de confier la défense du pays à des forces mieux organisées que celles dont l'élan spontané nous avait dotés dans sa fougue révolutionnaire, l'opinion publique contestait alors la nécessité d’une nouvelle organisation ; il suffisait, d'après elle, de volontaires et de blouses pour préserver le pays à tout jamais.

Vint le mois d'août 1831 et l'honorable membre auquel je réponds, mieux que personne, doit savoir quel compte sévère on demanda alors aux ministres et aux députés qui n'avaient pas osé ou voulu faire pour organiser une armée régulière ce qu'il eût fallu faire. On menaçait d'enquête parlementaire le gouvernement, parce qu'il n'avait pas fait d'avance ce qu'il aurait dû faire dans l'intérêt de la défense nationale, parce qu'il n'avait pas fait les dépenses qu'elle exigeait, dépenses qui, comme je l'ai dit dans mon rapport, ne sont populaires qu'alors qu'il est trop tard pour les faire. (Interruption.) Je parle des dépenses qui eussent été nécessaires pour l'organisation d'une armée régulière.

M. Rodenbach. - Le Congrès n'a pas refusé cela.

M. Orts. - Le Congrès avait dans son sein des voix éloquentes qui se fiaient exclusivement au patriotisme des volontaires, et nous savons ce que ce patriotisme uni au courage a pu faire pour nous protéger en 1831.

Un autre préjugé auquel l'honorable membre a encore prêté l'appui de son talent est celui-ci ; Le projet de fortifications qu'on nous propose est dangereux et mauvais comme tout ce qui tend à diviser le pays.

Dans l'opinion de l'honorable membre, ce projet de fortifications comporterait l'abandon du pays au profit de l'armée et aurait pour effet de créer un antagonisme entre l'armée et le peuple.

Si le danger était si réel et si grand, il me semble qu'il eût fallu mettre plus de prudence à le signaler. Mais, messieurs, ce danger n’est qu'imaginaire et le projet en discussion n'a aucun des inconvénients qu'on vous signale sous ce rapport.

L'an dernier, affirme M. Dumortier, tous les partisans de la grande enceinte étaient accusés de vouloir sacrifier à Anvers et à l'armée qui y serait renfermée la défense de (page 147) tout le pays. Ce reproche s'adressait particulièrement à la section centrale et à son rapporteur l'honorable général Goblet. Cette observation est vraie. Mais que répondaient à ce reproche l’honorable général Goblet et la section centrale ? Que le reproche était une erreur, plus que cela, une injure qu'on faisait aux partisans de la grande enceinte et à l'armée elle-même.

Certainement, disait-on, Anvers serait une place de refuge en cas d'échec ; mais avant l'échec, avant la lutte sur tous les points du territoire envahi, il ne peut s'agir d'une place de refuge pour une armée aussi patriotique que l'armée belge.

L'organe de la section centrale reprochait à l'argument de manquer de bonne foi, et il le qualifiait très sévèrement en y répondant. Il faudrait aller plus loin quand on veut tirer parti de l'argument invoqué par l'honorable M. Dumortier, et qui consiste à dire que tel et tel reproche a été adressé l'an dernier aux partisans de la grande enceinte, il faudrait prouver que le reproche était accepté ou fondé. Je demanderai, à mon tour, à l'honorable membre, en supposant l'argument fondé, autant qu'il l'est peu, pourquoi il ne serait applicable qu'à Anvers et pas à la capitale, dont M. Dumortier demande de faire notre place de refuge.

Supposons que l'on reporte les travaux de défense à huit lieues plus au sud d'Anvers et que l'armée soit renfermée à Bruxelles. Je demande si la position générale du pays sera mieux défendue. Cela pourrait être plus avantageux à Bruxelles et à Malines ; mais hors de là, tout le reste du pays serait absolument dans la même situation, que l'on fortifie la capitale au lieu d'Anvers, je demande si Mons, Tournai, Charleroi, Ath, seront dans cette hypothèse mieux protégés. (Interruption.)

L'honorable membre me fait me fait un signe affirmatif ; mais encore une fois j'attendrai qu'il veuille bien d'abord produire les preuves de son affirmation ; jusque-là je resterai convaincu que ces places n'auraient guère à gagner à se trouver de huit lieues plus rapprochées du point fortifié.

Je crois, moi, que quand une armée a une place de refuge qui peut servir en même temps et d'abord de pivot et de base d'opération, une différence aussi minime que celle-là dans le rayon où cette armée doit se mouvoir est d'une médiocre importance et qu'avec un pivot et une base d'opération comme ceux qu'on nous propose, l'armée belge pourra suffisamment pourvoir aux nécessités de la défense nationale sur toutesles parties du territoire défendable.

L'honorable membre a dit encore : Votre système est incohérent, et répétant ici une objection produite l'an dernier par l'honorable M. Malou, il a ajouté que si Anvers doit être le centre de la défense militaire de la Belgique, il fallait compléter le système et relever certaines places fortes qui, comme Ypres, ont été démolies.

Je réponds, comme j'ai répondu l'an dernier à M. Malou, que l'honorable membre raisonne comme si Anvers devait devenir la seule et unique position fortifiée sur laquelle dût reposer la défense du pays.

L’honorable membre oublie ce que nous rappelait M. le ministre de la guerre au début de son discours, que la création d'une vaste place forte à Anvers ne doit pas avoir pour conséquence la suppression de toutes les places fortes existantes, et il a cité, comme devant être conservées, les places qui gardent le cours de l'Escaut, c'est-à-dire Termonde, Gand, Tournai, que l’honorable membre oublie un peu et envers qui il n'est guère reconnaissant en cette circonstance.

Ces places assurent le cours de l'Escaut ; ne seraient-elles pas un obstacle sérieux à l'envahissement d'une armée qui envahirait la Belgique par la frontière française entre la mer et le fleuve. Cette année irait, avant d'arriver à Anvers, se heurter contre les places fortes qui gardent l'Escaut et qui permettent à l'armée belge de se porter de l'une à l'autre des rives de ce fleuve. Une aimée qui entrerait par-là en Belgique se mettrait, je l'ai déjà dit et je me permets de le rappeler, se mettrait dans une véritable impasse, à moins de se condamner à faire successivement le siège de chacune des places fortes que j’ai citées. Et tout cela pourquoi ? Pour aboutir, en fin de compte, à la frontière hollandaise, qui est, elle, fortifiée à son tour par les places de la Flandre zélandaise et après leur chute par la rive gauche de l'Escaut.

Il n'y a qu'un précédent, dans nos annales militaires, d'une invasion faite de ce côté par nos voisins du midi, et ce précédent n'est guère flatteur pour ls envahisseurs. L'armée française est entrée eu Belgique entre l'Escaut et la mer, une fois durant les guerres de la révolution ; c'était en 1793, et cette tentative est de toutes les invasions du XVIIIème siècle la seule qui n'ait pas réussi.

On se souvient parfaitement en France de ce qui arriva à l'armée de Luckner quand il essaya d'envahir la Flandre maritime, et ce souvenir n'est guère de nature à provoquer des imitateurs.

L'abandon du pays n’est donc pas une conséquence nécessaire du système de concentration dont la place d'Anvers est le couronnement et la base tout à la fois.

Le pays sera défendu ; il le sera par l'armée, il le sera par le patriotisme de ses habitants, car c'est encore un reproche injuste fait au système de défense proposé, que de supposer que, dans un cas donné, aucune autre force que l’armée ne concourrait à la défense de la patrie ; le concours de la garde civique est entré, dans le cas de guérie, dans les prévisions de ceux qui ont fait le projet d'organisation de l'armée en 1843 ; cette institution est réservée à jouer un rôle sérieux dans la défense de nos forteresses. Le pays et l'armée comptent sur elle.

L'honorable membre est revenu, et d'autres avant lui, sur un dernier préjugé que je tiens à relever ; je veux parler de l'exagération des dépenses qui seraient la conséquence, non pas directe, mais indirecte et accessoire de l'adoption du projet.

On vous a dit et répété : le projet actuel et les 50 millions qu'il demande, ce n'est pas le dernier mot de la défense nationale. On a fait sous ce rapport, au projet, avant M. Dumortier, le reproche de manquer de sincérité. On a dit : Après la défense d'Anvers, viendra la marine militaire. Et puis, pour Anvers, il n'est pas question d'hôpitaux, il n'est pas question de tous ces établissements indispensables à une place de guerre de premier ordre.

On a dit également : Notre artillerie doit être transformée. Si vous établissez la grande enceinte d'Anvers, il vous faudra des canons rayés.

Voici, messieurs, à quoi se réduisent ces arguments : quand on réfléchit un peu, quand ou les examine froidement, on se convainc que ce sont là des machines de guerre employées de mauvaise foi, hors de cette chambre, et dont d'honorables collègues, à la bonne foi desquels je rends hommage, se font l'écho dans cette enceinte, à leur insu et séduits par l'apparence.

En effet voici le système.

On prétend montrer comme conséquence de l'agrandissement d'Anvers une foule de dépenses qui, ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est le gouvernement qui le dit officiellement, seraient plus considérables si Anvers n'était pas agrandi.

Ainsi, je demanderai aux honorables membres qui ont fait cette objection : En supposant, ce que je ne crois pas, une marine indispensable à une place comme Anvers agrandi, n'est-il pas évident que moins Anvers sera fort par ses fortifications, plus il faudra une marine militaire forte pour défendre les abords de son fleuve ?

Il ne faut pas être militaire, il ne faut pas être stratégiste, il ne faut pas avoir une grande habitude de l'art des fortifications pour me comprendre. Plus une place manque de fortifications par un côté, plus il faut qu'elle en possède de l'autre.

Si vous laissez Anvers sans citadelle, sans canons, sans remparts, il faudra bien défendre les abords du fleuve par une marine. D'où la conséquente que plus Anvers sera faible comme place de guerre, plus vous aurez besoin de navires de guerre. Vous devrez transformer la défense terrestre en défense navale.

C'est ce qu'a répondu officiellement M. le ministre de la guerre dans les pièces qui sont actées au rapport de la section centrale que l'on n'a pas pris la peine de lire. Il vous dit que dans l'opinion de ceux qui veulent une marine, cette marine devra être beaucoup plus considérable, si Anvers n'est pas agrandi.

Si Anvers est agrandi, il faudra des canons rayés.

Mais je demande comment ce serait de l'agrandissement d'Anvers que naîtrait la nécessité de transformer notre artillerie ? Si nos armes ne sont plus à la hauteur des perfectionnements de la science, si les autres puissances oui des canons qui ont une portée beaucoup plus considérable que les nôtres, devrez-vous moins transformer des armes parce qu'elles seront posées sur les remparts de Charleroi, de Tournai ou de Namur, que si vous les posez sur les remparts d'Anvers ?

On a parlé des hôpitaux, des casernes. Mais cette objection ne démontre encore une lois qu'une chose, c'est que ceux qui l'ont faite n'ont pas lu les explications du gouvernement et les réponses en section centrale. En effet, ils y auraient vu que M. le ministre de la guerre avait déclaré qu'il possédait à Anvers tous les bâtiments nécessaires, qu'il possédait des hôpitaux suffisants, et entre autres un hôpital qui ne lui coûtait rien aujourd'hui, tandis qu'il le payait auparavant, parce qu'à la suite d’un procès la propriété avait été reconnue appartenir à l’Etat et non à la ville d'Anvers.

Vous voyez donc que ces arguments qui ne tiennent pas à la question, qui y sont étrangers, que ces grandes et énormes dépenses accessoires sont un rêve, une fantasmagorie employée comme machine de guerre, rien de plus.

Et maintenant, je le demanderai aux honorables membres qui attaquent le projet et qui demandera que Bruxelles soit fortifié, et non Anvers, ne faudrait-il pas construire à Bruxelles, en le supposant fortifié, des hôpitaux, des casernes, en bien plus grand nombre et bien plus importants qu'à Anvers, où les bâtiments militaires actuels sont appropriés à une garnison beaucoup plus considérable que celle qu’à ordinairement Bruxelles ? Je leur demande si, dans le cas où Bruxelles deviendrait une place de premier ordre, il ne faudrait pas substituer des canons rayés à ceux qui n'existent pas aujourd'hui ; s'il ne faudrait pas des ouvrages d’art qui n'existent pas autour de cette ville et qui existent à Anvers, diminuent d'autant la dépense. Je citerai notamment la citadelle d'Anvers qui existe et qui n »a pas son équivalent dans les murs de l'octroi de Bruxelles.

Il est donc manifeste que de tous ces préjugés populaires qu'on a reproduits dans cette enceinte et auxquels je me borne à répondre, il n'en reste pas un seul debout après un examen sérieux.

Fort de cette conviction, je crois pouvoir dire, en terminant, à la Chambre : Vous ferez acte d'indépendance, acte de sincérité en prouvant (page 148) que vous voulez sérieusement une défense nationale assurée en faisant triompher ce système que l'honorable M. Dumortier a considéré, lui, comme manquant de sincérité et d'indépendance, comme contraire au sentiment national.

M. B. Dumortier. - Messieurs j'ai été vraiment surpris et péniblement étonné de voir l'honorable préopinant, ressuscitant de vieilles et indignes accusations contre une partie de cette assemblée, venir nous dire qu'il se trouvait parmi nous des personnes qui faisaient appel à l'étranger, et une ces personnes trouvaient toujours un écho à l'étranger quand il s'agissait de repousser les propositions parties de la gauche. Je dis que de pareilles paroles, qui constituent une accusation odieuse contre la droite, n'auraient pas dû être prononcées dans cette enceinte, qu'on aurait dû les laisser à la plus honteuse presse, à la lie de la presse.

Lorsqu’il s'agît de patriotisme, si un parti a donné depuis trente ans des gages à notre nationalité, à notre indépendance, c'est certainement la droite qui a toujours maintenu le drapeau national dans toutes les circonstances haut et ferme. Je proteste donc, au nom de mes amis et au mien, contre de pareilles accusations, et j'espère qu'elles ne se reproduiront plus dans cette enceinte.

Mais de ce que nous protestons contre de pareilles accusations, s'ensuit-il qu'il ne faille tenir aucun compte de la situation qui est faite à la Belgique en Europe ?

S'ensuit-il qu'il faille la méconnaître ? S'ensuit-il, parce que des observations sont faites à l'étranger, qu'il faille les mépriser ? Je dis que ce serait une faute, que ce serait un crime contre la nation. Je dis que la sagesse nous prescrit de peser toutes les conséquences de l'acte que nous posons, et que parmi ces conséquences, celle qu'il faut peser avant tout, c'est l'impression que ce projet produit dans des pays qui protègent notre nationalité et avec lesquels nous avons tout intérêt à vivre en paix. Je dis que si ce projet peut susciter des réclamations, peut susciter des craintes à l'étranger et servir de prétexte à une occupation étrangère, qu'il y ait, oui ou non, préjugé, que ces craintes soient fondées ou non. Alors que nous ne nous trouvons pas en présence d'un grand intérêt national qui nous dit qu'il faut vivre ou mourir, il est prudent de peser ces considérations et qu'elles doivent entrer pour beaucoup dans nos délibérations.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eclairez ceux qui ont ces préjugés.

M. B. Dumortier. - Ce n'est pas à moi, c'est à vous qu'appartient ce rôle.

Comment ! Il suffirait qu'une grande nation vînt présenter des objections contre un projet, pour que, pour faire pièce à cette nation, et par une ridicule bravade, il fallût voter ce projet ? Car voilà le système de l'honorable préopinant. Et l'on appellera cela de l'indépendance ! Messieurs, l'indépendance, nous l'avons défendue et nous l'avons défendue contre de grandes puissances. Mais alors il s'agissait d'être ou de ne pas être. Et ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui.

Et après tout, parcourez les journaux, et si quelqu'un a pu faire naître des soupçons contre ce projet, vous devez le reconnaître, c'est la presse anglaise. C'est là que vous puiserez les motifs de l'opposition que ce projet rencontre dans un pays voisin. Ouvrez ces journaux, et vous ne trouverez plus étonnant qu'on prenne ombrage dans un pays voisin contre cette forteresse, alors qu'on dit nettement que c'est en vue de l'Angleterre qu'on veut l'élever.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qui a dit cela ?

M. B. Dumortier. - C'est la presse anglaise.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est dans la presse de l’Univers qu'on dit cela.

M. B. Dumortier. - Je ne m'occupe pas de l'Univers, je m'occupe de ces débats au point de vue national.

Je vous signale ce qui se passe à l'étranger. Je dis que les défiances qui se manifestent dans un pays voisin s'expliquent parfaitement pai ce qui s'écrit dans la presse anglaise.

Et après tout, en cas de guerre européenne, ne savez-vous pas que les Anglais, qui sont les premiers à exciter partout la guerre, sont toujours les derniers à arriver au secours des pays où ils ont excité des bouleversements ?

Allez voir ce qui s'est passé ailleurs. J'ai parcouru des pays où ils avaient excité les peuples contre leur souverain, et j'y ai vu que l'Angleterre y était en exécration parce que toujours ces pays avaient été abandonnés par elle. Elle vous pousse et elle vous abandonnera comme elle a abandonné la Sicile, comme elle a abandonné la Hongrie et tant d'autres pays.

Je dis qu'avant de voter un projet qui fait d'Anvers une forteresse de premier rang, une forteresse qui puisse tenir plusieurs années, vous avez à peser dans votre sagesse et dans vos consciences si vous ne donnez pas par-là un prétexte d'occupation de votre pays.

Eh bien, ce prétexte, nous ne voulons pas le donner, et nous ne voterons pas le projet, parce que nous le regardons comme antinational, comme compromettant notre nationalité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Votre langage est antinational.

M. B. Dumortier. - Oui, parce qu'il n'est pas d'accord avec le vôtre. Mais ce que je dis aujourd’hui, vous l'avez dit l'an dernier.

La Belgique a été constituée neutre par les traités. Eh bien, c'est un tort que de vouloir élever une pareille forteresse sur un point sur lequel toutes les puissances ont voulu surtout faire peser la neutralité, sur un point dont la neutralité a été déclarée dans tous les traités depuis 1814. Je dis que c'est là un danger pour le pays, un danger pour notre nationalité. Je dis que voter un pareil projet, c'est manquer en quelque sorte à notre neutralité, et que nous ne pouvons le faire sans nous exposer à de cruels reproches. Fasse le Ciel que jamais mes prévisions ne se réalisent ; mais si ce projet est voté, je crains pour mon pays.

Jamais je ne prêterai les mains par mon vote à une mesure qui pourrait un jour compromettre mon pays. Jamais je ne prêterai les mains à une mesure qui pourrait devenir funeste à cette patrie que nous avons eu tant de peine à consolider, à une mesure qui pourrait entraîner la perte de notre nationalité, et livrer la patrie aux plus grands dangers.

M. Orts. - L'honorable M. Dumortier, en donnant à mes paroles une portée qu'elles n'avaient pas, les a traduites en une accusation contre des collègues que je n'ai nullement entendu accuser. La Chambre sait, du reste, que quand, dans des circonstances analogues, j'ai cru devoir signaler quelqu'un nominativement, dans cette enceinte, jamais je ne me suis fait faute de le désigner de manière que tout le monde le reconnût.

Je n'ai jamais dit que d'honorables membres de la droite auraient été chercher l'appui de l’étranger pour nous combattre. J'ai constaté une fatale coïncidence, pour un parti, pour l'opinion à laquelle appartient l'honorable M. Dumortier. Mes paroles n'ont pas été au-delà. Telle a été ma pensée ; je ne permets pas à l’honorable M. Dumortier de l'exagérer.

M. Vermeire. - Les explications qui viennent d'être données par l'honorable M. Orts me satisfont. En venant parler contre le projet présenté par le gouvernement, je ne crois pas, quant à moi, faire acte de mauvais citoyen ni manquer de patriotisme.

Messieurs, en prenant la parole dans cette discussion, mon intention n'est pas de me livrer à un examen minutieux, approfondi, du projet de loi qui est soumis à nos délibérations. Je me bornerai uniquement à émettre, quelques considérations générales dans lesquelles je puise les motifs qui m'engagent à voter contre les propositions du gouvernement.

Et d'abord, dans une question de si haute importance, pourquoi laisse-t-on subsister la supposition que le vote patriotique que l'on nous demande sera la compensation, l’équivalent de certains avantages matériels, tels que ceux de la construction d'un chemin de fer, du creusement d'un canal ?

Les principes d'honneur, de patriotisme, de nationalité, ont pris chez nous des racines trop profondes pour qu'il soit nécessaire de nous faire passer comme capables de vouloir les échanger contre un vil objet matériel, quelque valeur que celui-ci pût avoir.

C'est vous dire, messieurs, que le moyen auquel le gouvernement a cru devoir recourir pour obtenir, peut-être, quelques votes de plus, ou pour peser sur le mandataire du pays, en mettant sa conscience entre son intérêt et son devoir, me paraît ne point revêtir tous les caractères d'une grande loyauté ou d’une confiance suffisante dans les membres de la représentation nationale.

Je regrette vivement, messieurs, que cette haute, cette grande question de la défense nationale, n'ait point été dégagée d'autres questions avec lesquelles elle n'a aucune connexité et que le gouvernement n'ait pas présenté autant de projets de loi qu'il y a des travaux à exécuter. Cette manière d'agir me paraît être en opposition avec la loi sur les concessions ; aussi, je me réserve d'y revenir, lorsque nous discuterons la deuxième partie du projet de loi, celle qui concerne, plus spécialement, les travaux publics.

Mais, messieurs, les propositions qui nous sont faites par le gouvernement, sont-elles de nature à nous garantir contre les attaques d’armées ennemies, supérieures en nombre ? Pourrons-nous, derrière ces remparts, où vous voulez placer des forces suffisantes pour les défendre, le faire assez longtemps sans que le reste du pays soit dévasté par les armées ennemies, sans que la ville d'Anvers, ce vaste entrepôt, qui abrite des valeurs incalculables de toute espèce, soit livrée à toutes les horreurs d'un siège plus ou moins prolongé, et que les richesses qu'elle recèle dans son sein soient complétement anéanties ?

En ce qui me concerne, je ne le pense pas, et j'appuie mon opinion sur deux motifs : le premier, c'est que les engins avec lesquels on bat, aujourd'hui, en brèche les fortifications les mieux conditionnées, produisent des effets tels, que l'art de la fortification n'est point encore parvenu à y créer des obstacles réels ; le second, c'est qu'il est bien plus difficile, pour ne pas dire impossible, de l'aveu des hommes compétents, de défendre des forteresses ayant un grand développement, que des forteresses dont les forces sont concentrées dans des ouvrages semblables à ceux qui nous ont été présentées l’année dernière et qui (page 149) furent défendus, avec un talent remarquable, par l'honorable général Renard.

En effet, il résulte de citations reproduites dans cette discussion même, et qui sont encore présentes à notre mémoire, que pour défendre la forteresse, qu'on est convenu d'appeler la grande enceinte, on avait besoin d'une armée effective bien plus considérable que celle dont le pays dispose en ce moment.

Le doute que j'ai à cet égard augmente encore par la divergence d'opinion qui s'est manifestée entre les hommes compétents et qui, à mesure que la question semblait s'éclaircir, concluaient à l'inefficacité relative des travaux proposés, en même temps qu'à des dépenses de plus en plus considérables.

Ainsi, en 1851, une commission composée de 23 membres, pris parmi les membres des deux Chambres et parmi les officiers généraux et supérieurs de l'armée, après avoir fixé une attention toute particulière sur la place d'Anvers, approuvait des travaux dont l'estimation totale s'élevait seulement à environ 5,600,000 francs.

Ces travaux, ainsi que l'honorable général Goblet l'a fait remarquer dans son rapport de 1858, étaient considérés, alors, comme constituant toutes les extensions que devait recevoir notre position sur l’Escaut, et, parmi elles, se trouvait un camp retranché dont le coût de la dépense était estimé à 1,500,000 francs.

En 1852, on n'était déjà plus de cet avis. Si nous faisons reposer le salut du pays sur une armée en campagne, disait-on alors, il faut ménager à cette armée une position telle qu'elle puisse s'y maintenir avec succès et résumer en elle, au besoin, l'indépendance nationale.

De là, la nécessité de donner aux ouvrages formant le camp retranché plus de solidité, plus d'importance, mais aussi nécessité d'accroître les dépenses.

En 1853, les dépenses, estimées dans le principe à 5,600,000 fr,. montaient déjà à 9,900,000 francs.

En 1857, on délibérait sur deux projets différents, dont l'un exigeait, de nouveau, 19,000,000 de francs, l'autre à 45,000,000 de fr.

Aujourd'hui, on nous présente un projet de fortifications, dont la dépense est évaluée à près de 49,000,000 de francs. Et cette somme ne comprend que la construction de certains travaux pour l'armement et la défense desquels d'autres crédits seront, sans doute, demandés ultérieurement.

Mais lorsque les autorités militaires compétentes ne sont point d'accord entre elles, lorsque, à un intervalle aussi court que celui qui sépare les discussions qui ont eu lieu sur le même objet, des opinions diamétralement opposées sont soutenues par des généraux, également capables, également braves, également convaincus que les systèmes qu'ils préconisent sont ceux qui conviennent le mieux à notre défense nationale, il me paraît, messieurs, que la prudence doit nous conseiller de n'engager les ressources du pays que quand les dépenses sont justifiées d'une manière incontestable, et que le but utile pour lequel elles sont faites serait sûrement atteint.

L'on a agité, dans cette discussion, la question de neutralité qui nous est garantie par les traités. L'on a même mis en doute le droit que nous aurions d'organiser notre armée, nos moyens de défense contre une agression éventuelle d'armées étrangères.

Je crois que ce droit est formel et que la Belgique, de même que tout Etat libre et indépendant, a le droit de prendre, dans l'intérêt de sa préservation, telles mesures qu'elle croit lui convenir.

Mais les mesures proposées atteignent-elles ce but ? Ne peuvent-elles être considérées comme étant prises en faveur de certain intérêt extérieur contre certain autre intérêt extérieur, également garant de notre existence comme nation libre et indépendante ? Et s'il en était ainsi, le moment qu'on choisit pour exécuter ces travaux serait-il opportun ? Cts travaux que le gouvernement nous demande de concéder ne constitueraient-ils pas un danger plutôt qu'une sécurité ? Cette question, messieurs, je laisse au gouvernement le soin de la résoudre. Seulement, je crois pouvoir constater qu'aucun gouvernement voisin ne nous a donné des motifs de douter de sa bienveillance, de l'exécution des garanties formelles qui nous ont été octroyées par les traités. Et pourquoi alors prendrions-nous une attitude de défiance ? Pourquoi mettrions-nous en doute les bonnes dispositions de nos voisins ? Je concevrais que si les puissances, au moment où elles ont garanti notre existence comme nation, eussent exigé que, pour nous défendre, nous prissions telles ou telles mesures préservatives, et que parmi celles-ci il s'en trouvât de semblables à celles qui nous sont proposées, nous les exécutions ; mais tel n'est point le cas. La neutralité de la Belgique a été reconnue, non dans notre intérêt spécial, mais dans un intérêt général européen, et dès lors nous ne sommes point obligés de nous imposer des charges, des dépenses de guerre, disproportionnées aux devoirs que nous lègue notre admission dans la famille européenne.

Mais, je le demande, ces devoirs ne sont-ils pas remplis lorsque nous consacrons aux dépenses de notre armée et de nos travaux de défense plus du tiers de nos revenus ?

Je voterai donc contre le projet de loi pour les motifs que je viens d'énoncer.

Je voterai contre ce projet parce que les ressources indiquées par le gouvernement, pour faire face aux dépenses, n'existent pas réellement et feraient complétement défaut le jour où viendraient à se produire les éventualités appréhensives qu'il fait entrevoir. En effet, est-il possible de compter sur un accroissement progressif de revenus, alors que la source d'où ils doivent écouler est tarie, alors que les transactions commerciales n'auraient plus leur cours habituel et que les bienfaits de la paix ne feraient plus sentir leur influence fécondante sur toutes les branches de l'activité humaine ?

Je voterai encore contre le projet de loi parce que la position géographique et topographique que nous occupons, me paraît être une garantie suffisante de neutralité pour la Belgique, et que le jour où cette neutralité serait violée, une guerre générale aurait éclaté sur le continent européen. Alors, messieurs, les travaux par lesquels nous voulons nous défendre, ne préserveront point notre pays de l'invasion de forces plus puissantes et plus nombreuses que celles dont nous disposons.

Enfin, je voterai contre le projet parce que j'ai foi dans notre droit et dans la force morale des traités, et que si, un jour, le fait vient usurper le droit, son règne ne serait guère de longue durée, l'histoire nous enseignant que, quels que soient les événements qui surgissent, la raison basée sur la justice ne tarde point à reprendre son empire.

MgCµ. - Messieurs, je regrette qu'on ait introduit des récriminations dans une discussion aussi solennelle que celle qui nous occupe, je regrette aussi qu'on ait évoqué l'opinion de la presse étrangère dans une question purement nationale. Je ne suivrai pas dans cette voie les honorables membres qui y sont entrés.

Je me bornerai à réfuter les erreurs matérielles dans lesquelles sont tombés quelques-uns des o-rteurs qui ont parlé contre le projet de loi.

L'honorable M. Orts a rendu ma tâche très facile, car il a rencontré la plupart des arguments que je voulais moi-même faire valoir.

L'honorable M. Goblet hier et quelques orateurs aujourd'hui se son -attachés surtout à mettre le gouvernement et les militaires en contradiction avec eux-mêmes. Je crois, messieurs, que ces contradictions n'ont pas la portée qu'on leur a donnée, car en consultant, par exemple, l'exposé des motifs du projet de loi qui a été présenté l'année dernière, on voit que le gouvernement était loin de repousser d'une manière absolue la grande enceinte. Voici ce qu'on trouve dans ce document :

« La question du système défensif d'Anvers, combiné avec l'agrandissement de cette ville, après avoir été tenue en suspens pendant plusieurs années, ne pouvait plus être ajournée.

« Le gouvernement l'a examinée avec toute l'attention dont elle est digne, et avec la ferme volonté de ne rien négliger pour concilier à la fois les intérêts du commerce et de la population avec ceux de la défense du pays.

« Le plan qu'il a cru devoir adopter se lie à l'agrandissement général de la ville ; mais outre la difficulté d'affecter immédiatement des sommes considérables à une extension qui donnerait à la ville une superficie six fois plus grande, ii y a aussi à prendre en considération les perturbations profondes qui résulteraient, pour la valeur vénale des propriétés, d'un changement qui ne serait pas suffisamment ménagé.

« Le gouvernement pense que l'agrandissement proposé répond le mieux aux besoins actuels ; mais l'emplacement des forts détachés a été déterminé de manière à faire système avec la grande enceinte future.

« L'exécution des travaux projetés à Anvers rend nécessaire des modifications dans le système des positions fortifiées du pays ; elle a pour conséquence la démolition d'un certain nombre de places fortes. »

Vous voyez donc que l’année dernière le gouvernement indiquait la grande enceinte comme devant être exécutée dans un temps plus ou moinsr approché.

L'honorable commissaire du gouvernement tenait absolument le même langage. Je lis en effet dans le discours qu'il a prononcé le 28 juillet, la phrase suivante :

« Messieurs, l'idée d'agrandir Anvers au sud dans l'avenir est dans tous les esprits, personne ne la repousse. Si donc nous faisons une nouvelle enceinte, qu'elle soit solide et forte. Donnons-lui un tracé convenable, et non un tracé qui nous rendrait la risée de l'Europe. Il ne faut pas, au point d'attaque, un angle favorable à l'attaque, mais de longues lignes droites, propres aux grands combats d'artillerie. Donnez enfin à vos travaux de défense toute l'ampleur et toute la solidité qu'ils comportent. »

Dans la séance du 29 juillet, le commissaire du gouvernement tenait un langage analogue.

L'honorable M. Goblet disait hier que, s'il y avait eu désaccord entre les officiers, l'année dernière, ils avaient prouvé, cette année, qu'il y a une parfaite discipline dans l'armée.

L'honorable M. Goblet veut-il insinuer par-là que les membres de la commission n'ont pas eu la liberté d'exprimer leur opinion et que le gouvernement a exercé une pression sur eux ? Si telle est sa pensée, il méconnaît l'esprit qui a dirigé le gouvernement et le caractère des instructions qui ont été données à la commission, instructions que j'ai eu l'honneur de vous faire connaître.

(page 150) Ce que la commission de l'année dernière condamnait, ce n'était pas le système de l'agrandissement général, comme le dit l'honorable député de Bruxelles, mais bien le plan qu'on lui avait soumis et qui, d'après elle, ne satisfaisait point à tous les besoins d'une bonne défense. La commission de cette année, après avoir exprimé la même opinion, a formulé des principes d'après lesquels le gouvernement a fait exécuter le plan qui vous est soumis. Ce plan ne présente plus aucun des inconvénients que le commissaire du Roi vous signalait l'an dernier ; il est donc tout naturel que la majorité de la commission se soit ralliée à un projet de grande enceinte, qui ne laisse plus rien à désirer au point de vue des intérêts de la défense.

L'honorable député de Bruxelles prétend que je veux soutenir la défense nationale avec les seules forces de la Belgique, sans accepter le secours des puissances qui auront intérêt à protéger notre neutralité.

Ce que j'ai dit, messieurs, c'est qu'il fallait que nous eussions un système de défense qui nous permît de nous suffire à nous-mêmes au début de la guerre, afin de donner à nos alliés éventuels le temps d'arriver à notre secours. J'ai dit que la position d'Anvers était sous ce rapport plus favorable que toute autre.

L'honorable M. Goblet prétend que Bruxelles fortifié couvrira mieux le pays qu'Anvers et empêchera l'armée envahissante de le ravager. C'est aussi l'opinion que vient d'exprimer l'honorable M. Dumortier. Je doute qu'on puisse produire un seul argument sérieux à l'appui d'une pareille assertion.

Croyez-vous donc que l'armée ennemie qui bloquera et assiégera Bruxelles respectera plus nos provinces que l'armée qui assiégera Anvers ? Croyez-vous que ses colonnes mobiles, que ses coureurs, ne forceront pas les habitants à lui fournir tout ce dont elle aura besoin pour poursuivre ses opérations, qu'elle assiège la capitale ou qu'elle assiège Anvers ?

Pour détruire ce que j'ai dit de l'impossibilité d'approvisionner Bruxelles en tout temps, on a cité l'opinion de quelques généraux français, qui, lots de la discussion sur les fortifications de Paris, ont déclaré qu'on pouvait approvisionner pour six mois la capitale de la France.

Ce dernier fait, je ne l'ai pas nié. J'ai prouvé, au contraire, qu'on pouvait plus facilement approvisionner Paris que Bruxelles, parce que cette dernière ville ne possède pas les mêmes moyens de ravitaillement. Paris est traversé par un fleuve qui lui donne d'immenses facilités d'approvisionnement ; Paris ne peut pas être hermétiquement bloqué ; Paris enfin ne peut être rapidement investi, parce qu'il est couvert par une frontière facile à défendre.

Il en résulte qu'il n'est pas nécessaire d'y établir toujours d'avance des approvisionnements. Il suffira de les commencer lorsqu'on apprendra que l'ennemi a obtenu des succès à la frontière. Bruxelles, au contraire, s'il est fortifié, devra, en tout temps et toujours, posséder un approvisionnement de six mois de vivres, non seulement pour fous les habitants, mais encore pour toute l'armée qui viendra s'y réunir. Si l'on calcule les sommes énormes qu'il faudrait dépenser annuellement pour entretenir ces approvisionnements, et si l'on tient compte des sacrifices qu'il faudrait imposer aux habitants, on comprendra qu'une telle nécessité amènerait la ruine infaillible de la capitale et absorberait toutes les ressources de notre budget.

Lorsque j’ai cité la défense du Portugal par le duc de Wellington, j'ai voulu vous démontrer les avantages que l'armée d'un petit pays peut tirer d’une bonne base d'opérations. « Mais, me dit-on, comment l’armée anglaise a-t-elle défendu le Portugal ? En dévastant, en ruinant tout le pays. »

Le Portugal, messieurs, était défendu par une armée étrangère qui n'avait pas pour les habitants les égards et les ménagements qu'ont en pareil cas des troupes nationales.

Les Anglais avaient à traverser, en se retirant, un pays aride, pauvre, dépourvu de ressources ; pour subsister, ils étaient dans la nécessité de s'emparer de tout ce qu'ils trouvaient. En Belgique où les grandes cités abondent, où l'on trouve plus que partout ailleurs les moyens de faire subsister de grands corps de troupes, jamais une armée, fût-elle ennemie, ne sera obligée d'en venir à de pareilles extrémités.

Le pays peut, donc être, à cet égard, entièrement rassuré sur les conséquences du système proposé par le gouvernement.

On a voulu contester la valeur de l'argument que j'ai tiré de ce qui s'était passé en 1848 et 1849 en Piémont et en Lombardie : On a dit qu'Alexandrie n'était pas située par rapport à Turin comme Anvers l'est par rapport à Bruxelles. Qu'est-ce que cela prouve ? Cela prouve l'exactitude des principes que j'ai posés au début de cette discussion ; j'ai soutenu que le point destiné à servir de base à la défense nationale devait être choisi eu raison de sa position topographique Or, ce qui a fait désigner Alexandrie comme le pivot central de la défense du Piémont, c'est qu'Alexandrie reçoit une protection efficace du Pô qui couvre un de ses flancs, du Tanaro qui traverse la vile, de la Bormida qui lui sert de première ligne de défense et des contre-forts de la chaîne des Apennins, qui protègent son autre flanc.

On nous a reproché de n'avoir lieu prévu pour l'armement de la place d'Anvers, pour les besoins ultérieurs de la défense, pour les magasins à poudre, les arsenaux, la fonderie, etc., et à cette occasion on a rappelé qu'en 1856 le gouvernement demandait pour cet objet 15 millions.

Cela prouve, messieurs, que le projet de 1859 ne ressemble pas à celui de 1856. Dans le projet actuel sont compris tous les bâtiments nécessaires à la défense. Si l'honorable M. Goblet s'était enquis de ce qui a déjà été fait à Anvers, il saurait que des magasins à poudre, une fonderie, un arsenal de construction, une poudrerie, la pyrotechnie et d'autres établissements encore y sont déjà installés.

On a demandé quelle somme exigeraient l'augmentation du matériel nécessaire à l'armement d'Anvers agrandi et la transformation de nos canons d'après les derniers perfectionnements. Si l'honorable M. Goblet s'était donné la peine de lire le rapport de la section centrale, il aurait vu que j'ai répondu à cette question dans les termes les plus précis.

J'ai dit en effet que le matériel existant aujourd'hui, complété par ce qui que nous retirerions des places supprimées, suffirait pour l'armement d'Anvers ; j'ai dit aussi que la transformation de nos canons est indépendante de la fortification d'Anvers.

En effet, messieurs, qu'on agrandisse ou non Anvers, ne faudra-t-il pas, en tout état de choses, qu'on mette notre artillerie au niveau de celle des autres puissances, sous peine de nous trouver dans une position d'infériorité manifeste ?

L'honorable député de Bruxelles a semblé faire un reproche au gouvernement, ou plutôt au ministre de la guerre, de n'avoir pas indiqué le rôle réservé à la garde civique dans la défense nationale.

Mais je n'avais pas à traiter cette question devant la Chambre. Je n'avais à m'occuper que du système des fortifications d'Anvers. Si l'honorable membre avait assisté aux délibérations du comité de défense, il aurait vu que l'on a tenu un très grand compte de la garde civique ; si cette force peut jouer un rôle important, c'est surtout dans la défense de la position que nous voulons créer à Anvers.

L'honorable M. Goblet a rappelé un fâcheux propos au sujet de la garde civique.

Je pense que ce n'est pas à moi que l'honorable membre a voulu faire allusion.

M. Gobletµ. - Non.

MgCµ. - Je ne relèverai donc pas un propos qui n'aurait pas dû, me semble-t-il, être répété dans cette assemblée.

L'honorable M. Desmaisières m'a demandé quels sont les avantages du système polygonal et si ce système a fait ses preuves.

J'ai dit, au début de la discussion, que le système polygonal présente surtout ce grand avantage, qu'il permet à la défense d'avoir des feux plus puissants que ceux de l'assaillant et d'empêcher celui-ci de faire usage de batteries d'enfilade et de ricochets.

Quant aux épreuves qu'aurait subies ce système, je ferai remarquer qu'il y a peu de places, construites d'après le tracé polygonal, qui aient eu à soutenir un siège.

Les travaux de Sébastopol, dirigés par le général Todtleben, sous le feu de l'ennemi, étaient conçus dans le système polygonal, et c'est cet illustre général qui, le premier, m'a démontré les avantages de ce système.

Au reste, la plupart des hommes spéciaux sont aujourd'hui d'accord sur ce point, que la fortification polygonale présente d'immenses avantages sur le système bastionné.

L'honorable M. Dumortier a une singulière manière d'argumenter ; il commence par poser un fait inexact, puis il tire de ce fait toute espèce de conclusions.

« Fortifier Anvers, c'est, dit-il, abandonner le pays. »

Or, m'appuyant sur l'autorité de toutes les illustrations militaires, j'ai démontré que c'était, au contraire, le seul moyen de défendre efficacement le pays, dans toutes les hypothèses d'invasion.

Si vous voulez disséminer nos forces, je demande que vous m'indiquiez quelle espèce de défense vous opposerez à une armée qui viendra nous attaquer et quel parti vous tirerez de nos petites garnisons !

Beaucoup de membres ont fait valoir l'intérêt qu'ils portent à l'armée, eh bien, le meilleur moyen de prouver cet intérêt, c'est de le mettre à même de remplir dignement son rôle, de défendre efficacement le pays pendant tout le temps qu'elle sera livrée à elle-même.

L’honorable M. Dumortier a dit : « Si nous fortifions Anvers, vous verrez les populations réduites à combattre l'armée nationale renfermée dans cette place. »

Messieurs, cela ne s'est jamais fait à aucune époque, même dans les pays les plus barbares. La supposition de l'honorable Mi Dumortier n'est donc pas admissible.

Il résulte de ce que je viens d'exposer à la Chambre que les arguments invoqués contre notre système de- défense ne résistent pas à un examen sérieux. J'en appelle donc avec confiance, messieurs, à votre bon sens et à votre patriotisme pour résoudre l'importante question qui vous est soumise.

M. Gobletµ. - Messieurs, je commencerai par remercier l'honorable général Chazal de la modération avec laquelle il a répondu à quelques passages du discours que j'ai prononcé avant-hier.

Si j'ai rapporté dans cette enceinte un propos tenu ailleurs, c'est que j'y ai été provoqué par les rires partis de la Chambre et des (page 151) tribunes ; j'ai senti l'injure et j'y ai répondu un peu vivement. Voilà le fait dans toute sa simplicité.

Quant à l'honorable général Chazal, je suis heureux de pouvoir lui dire que, selon moi, son attitude, dans cette enceinte, est particulièrement digne du plus grand respect.

Messieurs, permettez-moi d'abord de répondre quelques mots à l'honorable M. Jouret, qui, dans un passage de son discours d'hier, m'a reproché de manquer de loyauté. (Interruption.)

Je vous demande pardon, M. Jouret ; je vous reconnais pour un homme de cœur ; j'ai beaucoup de sympathie pour vous ; mais vous avez exprimé le regret hier que je n'eusse pas la loyauté de reconnaître.... (Nouvelle interruption.)

Je dirai à l'honorable M. Jouret que, quand j'ai mon opinion, je l'exprime hautement et loyalement.

Je puis me tromper, mais mon intention est toujours pure, et puisque nous en sommes sur ce chapitre, je ferai observer à l'honorable M. Jouret qui a pris la position d'un nouveau Curtius se jetant dans le gouffre de l'impopularité ; je lui dirai que sur ces bancs je ne me préoccupe ni de la popularité ni de l'impopularité que peuvent m'attirer mes paroles hors de cette enceinte ; j'obéis uniquement à ma conscience.

Je tiens à constater une seule chose : c'est qu'il y a autant d'indépendance, de loyauté, d'énergie et même de patriotisme à attaquer le projet qu'à le défendre ; et je crois être aussi bon patriote en critiquant le projet, parce que je le crois mauvais, que ses partisans croient l'être en le soutenant.

Je persiste, malgré les dénégations de l'honorable M. Chazal, à croire que Bruxelles est le véritable point qu'il faut fortifier pour défendre le plus efficacement noire nationalité.

N'oubliez pas, messieurs, que Bruxelles occupe le centre du royaume, que Bruxelles défendu par nous seuls et sans aucun secours étranger saura se défendre énergiquement ; tandis que (sans vouloir établir aucun parallèle blessant) Anvers, aux mains d'une garnison étrangère alliée, deviendrait peut-être la possession de cette garnison, une fois qu'elle aurait pénétré dans ses murs.

Anvers est un point extrême, c'est la partie septentrionale de notre territoire, et je crois que s1 l'on en eût trouvé un plus reculé encore, on l'eût choisi de préférence.

Eh bien, je dis qu'il est bien plus facile de conserver une armée considérable en campagne en défendant Bruxelles qu'Anvers, et qu'on obligerait bien plus facilement à la retraite une armée campée devant la première de ces villes que devant la seconde.

Maintenant on parle de l'armée en campagne alors que toutes nos forces seraient concentrées à Anvers. Mais, messieurs, pour conserver une armée en campagne avec des points de soutien dans le pays, il faut conserver un nombre bien plus considérable de places fortes en fortifiant Anvers que Bruxelles.

II est possible que je commette quelques erreurs de détail, mais elles ne peuvent nuire nullement au fond même de mon argumentation.

Or, messieurs, alors qu'il s'agissait de concentrer l'armée à Anvers en cas de désastre, ou seulement comme précaution, un comité fut constitué vers 1851 ou 1852 au département de la guerre, et on lui demanda quelle serait la garnison qu'il faudrait conserver pour avoir des points d'appui suffisants dans le pays.

Eh bien, ce comité a exprimé l'avis qu'il faudrait conserver les forts et citadelles de Liège, Huy, Charleroi, Namur, Tournai, Gand, Termonde, Ostende, Diest, et a fixé le montant des garnisons aux chiffres suivants ; à Liège 4,430, à Huy 380, à Namur 3,450, à Charleroi 4,000, à Tournai 3,500, à Gand 2,550, à Termonde 2,600, à Ostende 4,700 et à Diest 3,000.

Ajoutez à ce chiffre 9,800 hommes pour la garnison d'Anvers, dans l'état actuel, et vous arrivez à un total de 38,410 qui s'élèvera à 44,410 hommes dans le nouveau système de fortification d'Anvers, la garnison de cette place devant s'augmenter de 6,000 hommes, c'est-à-dire que plus de la moitié de votre armée serait nécessaire à la seule défense préventive des places fortes.

Mais, messieurs, ce n'est encore là qu'un total inférieur à celui du nombre d'hommes nécessaire à la défense rigoureuse de ces places. En présence des ennemis redoutables que nous aurons à combattre, il est évident pourtant qu'il faudra que nous soyons en mesure de résister de la manière la plus énergique ; or, pour une défense vigoureuse, ces garnisons devront s'élever au minimum à 66,000 hommes. L'effectif sur le papier de l'armée belge est de 100,000 hommes ; je crois donc être très large en évaluant à 80,000 ou 90,000 le chiffre réel de soldats que vous aurez effectivement sous les armes, en rappelant tous vos permissionnaires.

Il ne vous restera qu'une vingtaine de mille hommes pour tenir la campagne, alors que vous aurez pourvu à la défense vigoureuse des places que vous devez conserver dans votre système.

M. H. de Brouckere. - Et la garde civique ?

M. Gobletµ. - M. le ministre de la guerre n'en a pas parlé dans son premier discours auquel je réponds maintenant. Je n'ai donc pas à m'occuper d'une question qui n'a pas été examinée dans cette enceinte.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Elle vient d'être traitée.

M. Gobletµ. - Oui, mais d'une manière tout indirecte et sans qu'il soit possible d'approuver d'une façon quelconque le rôle que lui assigne le général Chazal dans la défense du pays.

Quant à ce sujet, nous y reviendrons, et je serais heureux que l'honorable M. Chazal nous donnât des explications catégoriques sous ce rapport.

Je suis persuadé, messieurs, qu'on ne démolira pas les fortifications de Mbns, du moins je dois le croire en voyant sans cesse ajourner la résolution si souvent annoncée et toujours remise, de les faire disparaître. J'ai la même conviction quant à Nieuport, et voici pourquoi : c'est que Nieuport est une des places que l'Angleterre a tenu le plus particulièrement à établir, et cela pour protéger ses débarquements en Belgique.

Lord Wellington chargé, par les alliés, de présider aux fortifications faites dans les Pays-Bas avec l'argent de la France, a tout particulièrement surveillé les constructions de la place de Nieuport et tenu à ce qu'elles fussent exécutées de la manière la plus parfaite possible. La raison de cet intérêt est facile à saisir, alors que l'on sait que les places de Nieuport et d'Ostende forment les deux ailes d'un vaste camp retranché, adossé à la mer et couvert sur tout son front par des inondations calculées à cet effet.

Messieurs, si, au lieu de fortifier Anvers on fortifiait Bruxelles, on n'aurait pas besoin de conserver la plus grande partie de ces citadelles ou places fortes, et l'armée de campagne pourrait par conséquent s'augmenter de toutes les forces dont ces places auront besoin dans le système contraire ; nous aurions 20,000 hommes à Bruxelles et 60,000 hommes en campagne.

C'est là encore pour l'Angleterre le pendant des lignes de Torres Vedras, qui doivent leur rendre, le cas échéant, au Nord, les mêmes services que ces lignes célèbres lui ont rendus dans le Midi.

Vous le voyez, messieurs, mon estimation de l'armée, si réduite déjà, qui restera disponible, est bien modérée, car enfin les garnisons de Mons et de Nieuport doivent en absorber, dans l'hypothèse de leur conservation, que j'ai démontrée plus que probable, la presque totalité.

La position centrale de Bruxelles permet facilement de comprendre l'avantage du système que je soutiens. Une armée en campagne s'appuyant sur un point de concentration situé géographiquement, comme notre capitale l'est, par rapport à la Belgique, ne doit pas craindre de voir ses lignes de communication aussi facilement coupées que si elle est réduite à s'appuyer sur un point éloigné, l'extrémité de son territoire, comme l'est Anvers. Ces', là, messieurs, une notion stratégique à la portée de tout le monde, car c'est uniquement du bon sens.

Je réponds, messieurs, que si ces défenses naturelles sont destinées à rendre l'attaque d'Anvers plus difficile, elles ne protègent nullement le reste du pays, comme je l'ai déjà dit, et j'ajouterai que, d'ailleurs, si elles forment des obstacles pour l'attaque, elles constituent aussi des obstacles pour la retraite.

Ainsi, à Waterloo, un fait connu de tous les hommes qui se sont occupés de cette campagne, c'est qu'il est reconnu que, malgré cette défaite, l'armée française n'a été complétement anéantie qu'après avoir passé le petit ruisseau qui coule à Genappe, parce qu'on avait négligé d'y construire des ponts. C'est alors que Napoléon a perdu ses voitures, c'est alors que la déroute s'est mise dans son armée, à tel point qu'il a été impossible de rétablir les bataillons.

C'est qu'en effet ces lignes de défense hostiles à l'attaque pour l'ennemi sont en même temps dangereuses en cas de retraite pour ceux qui doivent les traverser. Et de plus avec cette concentration que vous voulez établir à Anvers, il ne s'agira pas seulement d'une simple retraite d'hommes armés, mais bien de la retraite de tout ce qui existe en Belgique comme autorité, comme force constituée et comme organisation civile et militaire.

Il me reste encore, messieurs, à répondre quelques mots pour rectifier les paroles que l'honorable général Chazal m'a prêtées et que je ne crois pas avoir prononcées.

Je n'ai pas dit que l'armée nationale imiterait l'exemple donné par les Anglais en Portugal, et ravagerait le pays pour se retirera Anvers. Telle n'est pas mon opinion. Les Anglais arrivés en Portugal comme des alliés avaient fait reculer les Français, et avaient rendu nécessaire aux Français l'envoi de nouveaux corps pour reprendre le Portugal.

Après la bataille de Busaco, ils furent obligés d’opérer leur retraite ; et, non pas par plaisir de faire le mal, mais pour rendre difficile à l'ennemi son maintien sur le territoire, ils avaient ravagé ce territoire ; ils avaient, comme cela se fait souvent, rendu le pays stérile afin doter aux envahisseurs les moyens de subsister.

(page 152) Si vous admettez que l'armée doive se concentrer à Anvers pour y attendre les secours d'une puissance étrangère, vous devez bien admettre aussi que cette armée, en se retirant en cas d'échec, puisse oublier l'intérêt du pays qu'elle est venue secourir et agir uniquement dans l'intérêt de sa propre sûreté, rendant l'attaque plus difficile à l'ennemi.

Dans son premier discours, l’honorable M. Chazal nous a dit que l'attaque d'Anvers serait très difficile à cause de l'immense matériel que l'armée agressive devrait transporter avec elle pour attaquer plus de 100 mille hommes dans une telle position. S'il en est ainsi, il doit me concéder aussi qu'il en serait de même pour Bruxelles.

L'armée ennemie d'ailleurs, quand elle aura Bruxelles, ne se donnera pas la peine d'attaquer Anvers ; elle placera des corps en observation sur ces fameuses lignes de défense de la Dyle et du Demer, et elle se bornera à tenir en respect la place d'Anvers. Si Bruxelles était fortifié, au contraire, il serait impossible, de quelque côté que l'on fût placé, de laisser sur ses derrières la place qui couperait les communications avec tout le reste du pays. Nulle armée n'oserait même dans cette hypothèse s'aventurer plus loin et traverser le pays pour marcher en avant.

Maintenant, en examinant le côté défectueux, financièrement parlant, du projet, ai-je dit qu'il ne faudrait pas une dépense aussi considérable pour Bruxelles que pour Anvers ? Ai-je dit qu'il ne faudrait pas de canons rayés ? Je n'en ai pas parlé. J'ai parlé de modifications à l'artillerie, mais je ne connais pas le système qui sera adopté dans l'armée, par conséquent je n'ai pas pu le préciser.

Ai-je dit qu'il faudrait plus de construirons à Anvers qu'à Bruxelles ? Je n'ai pas parlé de tout cela ; j'ai dit seulement que le projet ne nous renseignait pas sur tous ces points. Or, cette absence de renseignements, quand je parcours les discours des membres qui se sont abstenus dans le vote de l'année dernière, je découvre qu'elle a motivé l'abstention de la plupart d'entre eux.

Quelle dépense faudra-t-il faire pour cette marine militaire que l'un veut créer aujourd'hui pour la guerre et qu'on n'a pas voulu créer lorsqu'elle devait servir à protéger nos exportations pendant la paix ? Il y a là un manque de renseignements. En section on a cité plusieurs chiffres, mais aucun de ces chiffres n'est positif.

Notre budget de la guerre ne sera pas augmenté, nous dit-on ; mais si vous voulez concentrer vos forces à Anvers et tenir la campagne, vous serez inévitablement, nécessairement amenés à augmenter l'armée.

L'honorable général Chazal, messieurs, nous a appris qu'il avait fallu deux siècles en France pour qu'on s'y ralliât au meilleur mode de défense et que tous les pays se préoccupent aujourd'hui de leur défense, sans qu'ils soient encore complétement décidés sur le parti à prendre.

Ai-je dit, moi, qu'il ne fallait pas s'occuper en Belgique du meilleur système de défense à adopter ? Non ; mais je soutiens que si nous mettons vingt ans à trouver ce système quand la France y a mis deux siècles, nous allons encore bien vite.

Je prétends encore que toutes les questions militaires n'ont pas été suffisamment examinées en Belgique et qu'il y a dans le pays, par exemple dans les vallées de la Sambre et de la Meuse, bien des points convenables pour la défense, qui n'ont pas été étudiés comme ils méritent de l'être par notre gouvernement.

Messieurs, en terminant, je vous demande de m'excuser si, dans la partie technique de mon discours, je n'ai pas fourni des renseignements plus complets pour étayer mon opinion.

Il m'était difficile de lutter avec des adversaires d'une si grande importance et d'une si grande autorité que ceux que j'avais à combattre, mais j'ai fait ce que j'ai pu, et personne ne me démentira quand j'affirmerai que, dans tout ce que j'ai dit, je n'ai été mû que par des sentiments patriotiques et désintéressés.

M. Guilleryµ. - Messieurs, je ne demande la parole que parce que personne ne la demande ; il me semble qu'il ne serait pas digne de la question que nous avons à résoudre, de décider, après deux jours de discussion, quel sera le système de défense du pays, lorsque, en France, ainsi que vient de le rappeler mon honorable collègue, il a fallu deux cents ans avant qu'un système de défense complet fût adopté.

Cela peut faire rire l’honorable ministre de l'intérieur, mais je réclamerai de sa bienveillance qu'il veuille bien ne pas m'interrompre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne vous interromps pas.

M. Guilleryµ. - MM. les ministres ont malheureusement l'habitude d'interrompre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Comment le savez-vous ? Il n'y a que huit jours que vous êtes ici.

M. Guilleryµ. - M. Dumortier a été interrompu aujourd'hui avec violence plusieurs fois. Et quant à moi, qui, ainsi que l'a fait remarquer M. le ministre, ne fais partie de cette Chambre que depuis huit jours, si l'on m'interrompait, il me serait impossible de continuer. Ce n'est pas un ordre que je donne, ce n'est pas une invitation que je fais, c'est une infirmité que je constate.

Comme je suis convaincu que, moins que tout autre, MM. les ministres ne voudraient porter atteinte à la liberté de discussion, j'espère qu'ils voudront bien m'écouter avec indulgence et me laisser parler librement.

Je disais que la question qui nous occupe est trop importante pour être décidée en deux jours. Depuis 1830, toutes les fois que des questions graves ont été soumises à la Chambre, elles ont fait l'objet de longues discussions. La Chambre ne peut aujourd'hui décider la question qui lui est soumise, la plus grave qu'elle puisse avoir à résoudre, sans une discussion longue et approfondie.

Quant à moi, dès le premier jour que le projet a été présenté, je n'ai cessé de faire tous mes efforts pour que nous eussions le temps nécessaire à l'étude de ce projet. Je le constate avec regret, dussé-je infirmer d'avance l'autorité de tout ce que je dirai, je n'ai pas eu ce temps.

J'ai proposé, en section, l'ajournement, et j'ai déclaré avec une entière franchise que je n'avais aucun parti pris. J'ai proposé l'ajournement uniquement pour avoir le temps d'étudier, de m'éclairer sur la question.

Or, je le demande, quelqu'un qui n'a pas fait d'études préalables, est-ce par les débats de ces deux jours qu'il pourrait être éclairé ? Quelque éloquent qu'ait été le discours de M. le ministre de la guerre, et j'ajoute, quelque consciencieux qu'il ait été, quelque convaincue que soit sa parole, il n'y a pas là assez d'éléments pour résoudre une question aussi importante que celle de la défense générale du pays.

Le pays, messieurs, il ne faut pas se le dissimuler, cous sommes ici pour dire la vérité et la vérité vraie, le pays est très ému du projet que vous avez à discuter.

L'opinion publique ne lui est pas sympathique. Je suis complétement de l'avis de mon honorable ami M. Orts en ce qui concerne l'opinion publique. Comme lui, je crois qu'il faut avoir le courage de résister à ses entraînements et à ses erreurs. Mais il ne faut pas la mépriser. L'opinion publique donne souvent de grands et sages avertissements, et comme l'a dit un homme que l'on n'accusera pas de rechercher la popularité : « L'opinion publique prononce toujours le dernier jugement. »

Nous avons vu récemment, dans une autre occasion solennelle, l'opinion publique donner des avertissements au pouvoir. Elle ne les a pas toujours donnés dans un langage bien convenable, et je l'en blâme, mais enfin elle les a donnés et elle les a donnés sincèrement. Ce qu'on prenait pour une comédie, pour une excitation factice, c'était l'expression des vœux du pays, et le pays l'a montré ensuite par des élections sages et calmes. L'honorable M. de Decker qui, plus que tout autre, aurait été excusable de méconnaître ce jugement, disait à cette tribune que dans un gouvernement constitutionnel, il reconnaissait qu'en dehors du parlement il y a une opinion publique qu'il faut respecter.

Eh bien, messieurs, quoique non préparé sur cette question, quoique incapable à plus d'un titre de la discuter avec d'honorables adversaires aussi distingués que ceux que je dois rencontrer dans cette enceinte, c'est parce que j'ai la conviction qu'en exprimant ce que je pense j'exprime ce que pense l'opinion publique, l'immense majorité du pays, que je me suis décidé à prendre la parole.

Il faut bien le reconnaître, messieurs, je le dis avec douleur, jamais projet de loi n'a été moins étudié que celui qui vous est présenté aujourd'hui, jamais on n'a donné à l'appui d'un projet de loi moins de pièces justificatives. L'aînée dernière, le projet présenté avait des annexes de plus de vingt pages. Les devis de tous les travaux étaient imprimés, on pouvait sur des pièces imprimées discuter, examiner.

Je sais fort bien que M. le ministre de la guerre nous a invités à nous rendre dans son cabinet pour y recevoir toutes les explications que nous pourrions désirer. Lui-même, en section, en a donné avec beaucoup de lucidité et avec infiniment de complaisance ; mais cela suffit-il ? Est-ce que c'est sur des explications verbales, sur des explications nécessairement incomplètes, nécessairement dépourvues de suite, que nous pouvons nous décider ?

C'est l'usage, dans tous les pays parlementaires, que l’on fasse imprimer les pièces qui doivent servir d'étude aux représentants, d'abord parce qu'un long travail ne se comprend que dans le cabinet, parce que sur des pièces il faut consulter des hommes compétents, il faut se consulter soi-même.

Et dans tous les cas, je dois le déclarer, je suis peut-être dans une position malheureusement spéciale, mais le temps m'a absolument manqué pour pouvoir me livrer, même dans le cabinet du ministre, à l'étude que nécessiterait un projet aussi important.

Je pose en fait qu'il n'est pas un projet proposant une dépense de 100,000 francs pour un travail quelconque d'utilité publique, qui n'ait été discuté d'une manière plus approfondie que celui qui nous est soumis aujourd'hui, qui n'ait été l'objet de plus de questions des sections, qui n'ait été appuyé de plus de pièces justificatives.

Je crois donc, messieurs, je le répète avec une conviction profonde, et je le dirais si je voulais voter le projet, l'ajournement est la seule mesure convenable dans les circonstances actuelles.

Je comprends parfaitement la convocation du parlement en session extraordinaire, je comprends parfaitement le projet qu'on voulait lui présenter et qui n'est pas celui qu'on lui a présenté. Mais du moment que les événements ont changé, du moment que l'on ôtait du projet présenté la seule chose qui justifiât l'urgence, que restait-il ?

(page 153) Une question à étudier, un travail de longue haleine demandant un long examen, une longue étude ; un projet pouvant entraîner de graves conséquences. J'aurais félicité le ministère d'avoir convoqué la Chambre, ne fût-ce que pour présenter ce projet, s'il nous avait laissé jusqu'au mois de novembre pour l'étudier.

Je dis, messieurs, que je crois être en cela l'organe de l'opinion publique. Mais je dis que si je la défends en cela, c'est parce que je crois qu'elle a raison.

Si j'étais d'une opinion opposée, je devrais tenir compte de l'opinion publique et chercher à la convaincre.

Je n'ai pas attendu jusqu'aujourd'hui, j'ai besoin de le dire, pour faire preuve de cette indépendance. En 1848, j'ai su lutter contre l'impopularité, dans la presse, et c'est ce qui fait, quoi qu'en dise M. le ministre de l'intérieur avec infiniment de tact et de bienveillance, que je connais depuis beaucoup plus de huit jours ce qui se passe dans le parlement ; j'ai lutté en faveur de l'organisation de l'armée, en faveur du budget de la guerre, comme je le ferais encore aujourd'hui, s'il était attaqué de la même manière.

Mais alors, comme aujourd’hui, j'ai demandé une chose, une seule chose, j'ai dit : Discutons, ne votons pas sous l'empire d'une préoccupation exclusive. J'ai dit : L'opinion publique est égarée en ce moment, parce qu'elle est dominée par des circonstances extérieures qui sont passagères, et nous ne devons pas faire un travail passager. Et alors j'ai aidé, dans la mesure de mes forces, à obtenir ce résultat. C'est alors qu'a été nommée une commission pour examiner l'organisation de l'armée. Et je le dis hautement, l'une de mes préoccupations, en appuyant cette idée, était de gagner du temps.

Oui, parce qu'en gagnant du temps on gagnait la maturité de la réflexion. A cette époque il y a eu bien des entraînements sur cette question. Je me souviens d'une des plus brillantes improvisations de M. le ministre des finances qui disait : Comment ! dans un pays où tout se discute, l'armée seule ne pourrait pas être discutée et l’on ne pourrait pas prétendre qu'avec 25 millions on peut satisfaire à tous les besoins de l'armée !

C'est sous l'empire de ces idées qu'a été nommée la commission, et depuis ce temps-là, messieurs, nous qui étions les défenseurs de l'armée, comme nous étions les défenseurs de la monarchie, et de toutes institutions monarchiques, mais d'une monarchie que l'on appelait une république, avec un président héréditaire, rien de plus, rien de moins, nous nous trouvons aujourd'hui bien loin des hommes que nous défendions. Nous qui étions alors des réactionnaires, nous sommes aujourd'hui des républicains, presque des socialistes.....J'ai lu quelque chose comme cela dans une feuille qu'on dit subsidiée de très haut ; mais je méprise de semblables attaques.

Eh bien, messieurs, savez-vous ce qu'on demandait pour Anvers ? Une dépense qui devait aller à 5,600,000 fr. au maximum, et spécialement pour le camp retranché, 1,500,000 francs. Mais cette commission modeste, quoique composée des hommes les plus considérables du parlement et de l'armée, hésitait devant une dépense aussi exorbitante. L'idée de demander au pays 5 ou 6 millions pour la place d'Anvers faisait dresser les cheveux sur la tête aux plus hardis ; on craignait d'imposer à la Belgique une somme aussi considérable.

Depuis, messieurs, de même qu'où a vu chaque année revenir le printemps, on a vu chaque année revenir cette question d'Anvers avec de nouvelles demandes de crédit qui se sont toujours de plus en plus élevées. L'honorable président de cette Chambre, de l'année dernière, disait prophétiquement : Si nous ne votons pas les 40 millions cette année, on nous en demandera 60 l'année prochaine. Eh bien, messieurs, j'ai entendu dire par quelques-uns de nos collègues qu'ils voteront le projet de guerre lasse, parce qu'il est évident que s'il y a encore deux ou trois ajournements, 150 millions ne seront plus suffisants.

J'ai dit, messieurs, que le projet de loi qui nous est soumis n'a pas été étudié. De quoi s'agit-il, en effet ? Comme l'a fort bien dit M. le ministre de la guerre, il s'agit du système de défense générale du pays. Il ne s'agit pas de savoir comment on doit fortifier Anvers, ce n'est là qu'une question accessoire ; ce que je demanderai au gouvernement, ce que le parlement a le droit et le devoir de lui demander, c'est un plan général du système de défense du pays.

Il faut que nous sachions une bonne fois ce que nous coûtera notre système de défense. Si l'on nous démontre que les dépenses qu'on demande sont utiles, nous ne reculerons devant aucun sacrifice. On n'aura pas besoin de nous donner comme appât quelques travaux publics pour chacun de nos arrondissements. Qu'on nous présente la question dans toute sa grandeur, dans toute sa dignité ; qu'on fasse, comme M. le ministre de la guerre l'a fait, un appel à notre patriotisme, et personne, à droite, à gauche, ni au centre, ne fera une question de parti de ce qui est une question d'honneur national. J'ai entendu un des hommes qui ont hier défendu le projet actuel, et qui a, je crois, une part dans la paternité, regretter de voir rapetisser une question si grande, de voir qu'on fît dépendre la question du système de défense nationale de la question de savoir s'il y aura un port de refuge à Blankenberghe, ou si le canal de Gand à Bruges sera approfondi.

Nous demandons un système général de défense, mais pour cela il faudrait que le département de la guerre eût un système qui durât plus de douze mois. Je n'en fais point de reproche à l'honorable ministre de la guerre ; il a agi avec beaucoup de loyauté, avec beaucoup de franchise ; il a composé une commission où il a appelé tous les hommes, à peu d'exceptions près, qui devaient y figurer ; tous ceux qui s'étaient occupés de la question ont été appelés à donner leur avis, et il vient aujourd'hui avec une conviction profonde présenter le système qu'il croit le meilleur. Mais nous, messieurs, qui sommes le parlement, nous n'avons pas à consulter seulement un ministre de la guerre. M. le général Chazal a un système, mais l'année dernière le gouvernement en avait un autre, l'année précédente un autre encore, et l'année précédente un troisième.

On a cru, en 1851, et on a cru de bonne foi, on a cru de la meilleure foi du monde, lorsqu'on est veau présenter le résultat des délibérations de la commission, et je ferai un appel aux souvenirs de notre honorable président qui en était un des principaux membres, on a cru de bonne foi, dis-je, que ce qu'on demandait était tout ce qu'il fallait pour la défense générale du pays. Eh bien, messieurs, vous voyez ce qu'on demande dans le projet actuel. Mais ce projet ne comprend pas peut-être la plus grande partie des dépenses ? Pas un mot de la marine militaire.

L'honorable M. Orts disait tout à l'heure : Mais il faudra une marine militaire dans tous les systèmes, et il la faudra d'autant plus forte que les fortifications seront moins importantes. C'est possible ; mais quel que soit le chiffre, il faudrait bien le connaître ; quel que soit le chiffre, il faudrait bien savoir quel sera le système de défense du pays et quelle sera la dépense qu'il entraînera. Nous devons le savoir pour voter en connaissance de cause, comme doivent le faire les mandataires de la nation, afin de pouvoir examiner si d'autres systèmes, également bons, mais moins coûteux, ne peuvent pas être préférés.

Si, chaque année, vous venez nous demander ces dépenses million par million, il est évident que le vote d'une année engagera toujours le vote de l'année suivante et que nous ne saurons jamais où nous allons.

On invoque les crédits déjà accordés ; on dit : Vous avez déjà voté le principe de la défense d'Anvers, le camp retranché y est.

Mais le camp retranché est à l'extrémité du pays, et c'est au centre, dans la capitale ou à Namur qu'il devrait être.

On dit : Vous avez déjà voté tant de millions, allez-vous maintenant changer de système ? Je répondrai que quand on nous a proposé ces dépenses, personne ne pouvait soupçonner ce qu'on nous demande aujourd'hui ; on ne pouvait pas le supposer lorsqu'on nous demandait des crédits supplémentaires, lorsque la section centrale engageait le ministre de la guerre à présenter un système de défense, à répondre aux différentes questions qui lui étaient posées et que le gouvernement répondait presque toujours qu'il n'était pas décidé. Aujourd'hui encore il n'est pas décidé sur ce qu'il fera de nos places fortes, sir ce qu'il fera quant à la marine militaire.

J'ai vu une brochure émanée d'un homme compétent, un des principaux auteurs du projet actuel, et où il est dit qu'il faut dépenser 6 ou 7 millions pour la marine militaire. J'ai vu, dans un écrit d'un homme très compétent, que les fortifications d'Anvers nécessiteraient des têtes de pont à Aerschot et à Malines. Viendra-t-on, comme conséquence de notre vote, demander de nouvelles dépenses ?

Je ne dis pas qu'il ne faille pas les accorder. Je serai toujours prêt à voter toutes les sommes nécessaires pour la défense nationale, 200 millions comme un million, mais je crois que la Chambre ne peut pas voter ce s dépenses sans avoir été mise à même de savoir ce qu'elle fait et ce qu'elle fera.

On a invoqué souvent les discussions françaises relatives aux fortifications de Paris, mais jamais il n'y a eu de discussions plus approfondies que celles-là, jamais une Chambre n'a reçu des documents plus détaillés. Tout ce qui était relatif aux fortifications de Paris, aux dépenses qu'elles devaient entraîner, aux conséquences politiques qui devaient en résulter, tout cela avait été établi dans des rapports très étendus avant que la Chambre fût appelée à voter.

Je le demande, messieurs, y a-t-il rien de semblable dans ce qui nous a été présenté ?

Nous avons un exposé des motifs en trois lignes, une annexe, n° 1, en 2 pages. Le rapport de l'honorable M. Orts, rapport qui lui fait le plus grand honneur, parce qu'il est fort clair et accessible à toutes les intelligences, ce rapport a été fait avec une très grande rapidité : l'auteur du rapport est du petit nombre de ceux qui peuvent exécuter un pareil tour de force.

Mais pourquoi le rapport de la section centrale sur la question de la défense nationale, qui doit entraîner une dépense de 50 ou de 100 millions peut être, pourquoi ce rapport devait-il être un tour de force ? Je ne sais ce qui nous presse.

Mardi, j'ai, en désespoir de cause, proposé la remise à deux jours ; j’aurais voulu lire le rapport de l'honorable M. E. Vandenpeereboom, connaître l'opinion de la section centrale sur la question financière. Me proposant de demander la disjonction, je devais avoir sous les yeux l'opinion de la section centrale sur ce point.

En vérité, on a marché comme si Catilina était aux portes de Rome.

S'il s'agissait d'augmenter la cavalerie et l'artillerie, je comprendrais l'urgence ; mais on nous demande un travail qui ne peut être exécuté que dans 5 ou 6 ans ; des personnes très compétentes m'ont dit qu'il ne pouvait l'être que dans dix ans.

(page 154) Un mois de discussion pourra-t-il donc nous empêcher d'arriver à temps avec notre camp retranché ?

S'il y a des complications européennes, ce n'est pas avec le camp retranché que nous pourrons y parer. C'est peut-être au printemps qu'elles se dénoueront.

Le camp retranché, comme système de défense, ne peut avoir d'efficacité, que dans 5 ou 6 ans ; mais comme complication, il peut en avoir plus tôt.

On a reproché à l'honorable M. Dumortier de manquer de patriotisme ; tout autre que lui aurait pu s'émouvoir de ce reproche et il aurait pu s'émouvoir de tout autre reproche ; mais, à coup sûr, personne plus que lui n'est à l'abri d'un pareil soupçon. On peut traiter ici des questions d'affaires étrangères, ou peut avertir son pays sans manquer de patriotisme.

En Sardaigne, en Hollande, en Angleterre, on a traité des questions d'affaires étrangères avec une entière liberté.

Si je dis qu'un acte de notre gouvernement peut être considéré comme une provocation, est-ce que je donne par-là l'idée à un gouvernement étranger de se considérer comme blessé ? Puis-je supposer que le gouvernement étranger va se décider sur ce que j'ai dit dans cette enceinte ? En politique, on se détermine par des considérations plus graves, plus impérieuses, que ce qu'a dit ou n'a pas dit un membre d'une assemblée.

Lorsque je soutiens qu'Anvers peut être un danger, je m'explique. Je ne veux pas fournir des arguments à des adversaires, ni à des voisins que nous devons considérer comme amis, puisqu'ils n'ont rien fait jusqu'ici qui nous prouve qu'ils ne le sont pas. Mais Anvers occupe une position excentrique ; il est étrange que lorsqu'on parle de défense nationale, on aille chercher la place forte élevée au nord-ouest du pays.

Une attaque peut nous venir de l'est ou du sud ; elle ne peut guère nous venir du nord. On me dira que cela montre d'autant plus que nos voisins ne doivent pas se préoccuper des fortifications, puisqu'elles ne pourraient être, après tout, qu'une provocation contre la Hollande

Messieurs, voici pourquoi je regarde la construction des fortifications d'Anvers comme n'étant pas guidée par une politique sage et prudente.

Anvers est une position militaire de premier ordre, mais elle ne commande pas la Belgique ; elle a tous les avantages, excepté celui-là. Je comprends que Namur ou Bruxelles commande la Belgique ; Anvers sert à défendre Anvers et pas autre chose.

Sous le premier empire, Napoléon s'étayait sur Anvers. Pourquoi ? D'abord parce qu'il avait l'empire français, parce qu'il avait fait d'Anvers le principal port militaire de l'empire et qu'il comptait en faire une arme de guerre contre l’Angleterre. L'Angleterre tient à ce qu'Anvers ne soit pas entre les mains de la France : pourquoi ? Par le même motif, parce qu'Anvers est une arme de guerre contre elle ; parce qu'Anvers sera le premier port militaire du monde, du moment qu'elle sera dans les mains d'une grande puissance.

Voilà pourquoi les fortifications d'Anvers ne portent pas le cachet d'une nécessité nationale belge.

Napoléon Ier avait placé à Anvers ses principaux chantiers de construction ; il craignait que, par un coup hardi, comme la marine anglaise en a fait quelquefois, on ne vînt incendier ses chantiers, et il voulait fortifier cette place, fortifier son port de mer de manière à le mettre à l'abri d'une attaque maritime.

Mais aujourd’hui est-ce Anvers que nous avons à défendre ? Mais Anvers ne veut pas être défendue ; elle vous supplie de ne pas prendre tant de souci de sa personne.

L'honorable M. Loos vous disait l'année dernière que fortifier Anvers est une monstruosité ; que par-là vous empêchez le commerce d'Anvers ; que l'opinion publique, à Anvers, vous supplie de détruire les fortifications. Si donc c'est Anvers que vous voulez défendre, vous vous êtes adressés assez mal, car vous êtes exposés à obliger un ingrat.

C'est le pays qu'on veut défendre ; eh bien, messieurs, pour défendre le pays, je ne connais que la capitale où des positions commandant la capitale.

Je ne comprends pas, et c'est ici que le sentiment public se révèle avec une rare énergie, je ne comprends pas qu'il y ait un système de défense qui puisse rejeter l’armée belge aussi loin de la Belgique.

Quand nous nous sommes constitués en 183, le prince d'Orange occupait Anvers ; le drapeau national belge flottait à Bruxelles alors qu'Anvers était occupé par les Hollandais. La Belgique peut exister sans Anvers, et Anvers peut avoir une existence complétement indépendante de la Belgique.

Mais la capitale, ainsi qu'on l'a très bien dit, est la tête et le cœur du pays. Le général Jomini, ont on ne récusera pas l'autorité, dit dans un de ses ouvrages que la capitale sera toujours le point le plus important d’un pays, parce que c'est dans la capitale que viennent aboutir toutes les routes, tous les services publics, parce que la capitale aura toujours sur la province une influence que n'aura pas la place d'Anvers.

Sans vouloir nuire à aucune autre ville, ou peut dire que la capitale est le foyer de tous les sentiments patriotiques, et c'est là surtout que se réunissent tous les intérêts qui sont inséparables de la nationalité. Il s'y joint donc au sentiment patriotique des considérations avec lesquelles il faut bien compter, à moins d'être par trop idéologue.

Anvers ! Mais Anvers laisse le pays occupé par une armée étrangère sans que celle-ci ait à faire le siège de cette ville, à moins que le but de la guerre ne soit la possession de cette position.

A quoi vous servira d'avoir élevé à grands frais des fortifications autour d'Anvers, si vous abandonnez une population de 4,500,000 âmes à une armée ennemie qui la frappera de contributions de tout genre, au moyen desquelles elle se ravitaillera, pendant que nous, confinés à Anvers, nous attendrons de l'Angleterre des approvisionnements qui ne nous arriveront pas ?

Il y a dans un arrondissement comme celui de Bruxelles plus d'approvisionnements que les vaisseaux de l'Angleterre et ceux de la Belgique réunis ne pourraient en porter. L'ennemi qui se trouverait dans une telle position, abondamment pourvu de toute espèce de choses, de grains, de fourrages, etc., n'aura pas la moindre envie d'aller gagner la fièvre à Anvers. Il restera au cœur du pays, ou bien, si c'est d'une guerre européenne qu'il s'agit, il continuera sa route. Si vous supposez (quand on parle stratégie, de telles hypothèses sont permises sans offense pour nos voisins : je traite la question en théorie comme les auteurs l'ont fait), si vous supposez une armée française marchant sur le Rhin et passant par la Belgique, pourquoi donc irait-elle par Anvers ? Qu'elle se serve du chemin de fer ou qu'elle suive les routes stratégiques, le passage par Anvers n'est aucunement sollicité.

Je veux bien admettre que notre armée fasse d'abord une résistance heureuse ; mais elle peut être accablée par le nombre et obligée de se retirer à Anvers.

Comme vous n'aurez pas défendu Namur, bien que, d'après d'éminente stratégistes et notamment le général Jomini, la ciel de la Belgique soit Namur, l'armée ennemie s'emparera de cette place et de là commandera à toute la vallée de la Sambre et de la Meuse ; elle prendra également Liège dont vous n'aurez pas enlevé la fonderie de canons, et y fabriquera les armes avec votre propre matériel pour s'en servir contre vous.

Mais croyez-vous donc que vous pourrez à Anvers, comme à Liège, vous servir des moyens de fabrication que vous y aurez réunis ? Vous aurez la matière, mais cette matièr sera-t-elle travaillée dans les mêmes conditions ?

Aurez-vous cette réunion d'ouvriers intelligents qui savent à Liège en tirer un parti si remarquable ?

Je dis, messieurs, que le commandant de l'armée française s'emparera de Namur, car il est probable qu'il connaîtra Jomini beaucoup mieux que moi, et il saura que cet officier, d'accord avec les plus éminents stratégistes, reproche, comme une faute à tous les généraux français qui t'ont commise, de ne point s'être emparés de cette position ; il s'en emparera et par-là vous empêchera de recevoir aucun secours du côté de l'Allemagne, car si nous sommes attaqués par le midi, il faut bien admettre que c'est de l'est que nous devrons attendre du secours, attendu que l'Angleterre n'est pas, que je sache, en position de détacher de son armée actuelle une centaine de mille hommes pour nous venir en aide.

Je crois avoir lu quelque part qu'il était très ridicule d'invoquer ici l'autorité de Jomini, parce qu'il n'avait pas voulu dire que Namur fût une position importante pour la Belgique, mais seulement pour la France attaquant la Belgique.

J'avoue, messieurs, que je n'ai guère compris l'argument au premier abord et qu'après y avoir réfléchi je ne l'ai guère compris davantage ; car il me semble qu'une position qui est favorable à celui qui attaque doit être également favorable à celui qui se défend.

Des militaires du plus grand mérite, tous hommes expérimentés, ont prétendu que la position de Namur était la seule importante en Belgique ; que posséder Namur en fortifiant même faiblement la capitale c'était être certain de tenir la clef du pays. Le confluent de la Meuse et de la Sambre forme un angle qui se prête admirablement à la formation d'un camp retranché, et c'est dans cette position que les stratégistes auxquels je fais allusion voudraient se défendre, car ils prétendent que nous aurions beaucoup plus de ressources à attendre par le Rhin que par l'Escaut.

Nous avons vu ce que c'est que faire la guerre en pays ami : si les Français en Piémont ont trouvé un accueil si sympathique de la part de la bourgeoisie ; si l'on venait apporter aux troupes françaises tout ce qui leur était nécessaire, que ne pourrait-on pas attendre de citoyens qui auraient à prêter secours à une armée nationale retranchée au centre du pays ? Au lieu de cela, vous allez transporter votre armée à Anvers ! D'abord, je déclare qu'elle y aura la fièvre. (Interruption.)

C'est, messieurs, ce qu'a dû reconnaître M. le ministre de la guerre lui-même, puisqu'il a dû récemment ordonner à un régiment d'infanterie de quitter Anvers parce qu'il était atteint de la fièvre et qu'il l'a remplacé par un autre régiment, en attendant que celui-ci, également atteint du même mal, doive être remplacé par un régiment nouveau.

Des médecins de la plus grande autorité ont fait sur ce point des rapports qui reposent au département de la guerre et qui constatent l'exactitude de ce fait. Du reste, il est parfaitement connu que tous les miliciens étrangers aux Flandres, tous les Wallons, qui von en garnison à Anvers, y sont infailliblement atteints de la fièvre, et je puis certifier un (page 155) fait aujourd'hui attesté officiellement : c'est que tous les ouvriers qui ont été chargés de la pose du télégraphe électrique sur le chemin de fer d'Anvers à Bréda, ont été atteints de la fièvre et ne s'en sont guéris que très difficilement. Le pays est donc malsain, et de plus, je le répète, si Anvers est une position militaire très forte par elle-même, ce n'est pas une position militaire pour la Belgique. Vous attendrez des secours par l'Escaut ; mais je trouve assez singulier qu'on aille chercher des secours hors du pays quand on peut en trouver dans le pays même. Il me semble qu'on aurait pu choisir Namur, par exemple. Je n'indique pas là une opinion venant de moi ; je parle d'après ce que j'ai lu et entendu, et j'ai été étonné de voir que ce point n'ait pas fait l'objet de rappons spéciaux, de commissions spéciales, au ministère de la guerre. Dans l'Escaut vous attendez des secours par mer ; mais pouvez- vous savoir qui sera maître de la mer ?

Les forces maritimes de la France sont maintenant aussi considérables que celles de l'Angleterre ; cela est prouvé par des chiffres avec cette différence que la France a beaucoup de vaisseaux neufs, tandis que l'Angleterre en a beaucoup de vieux qui ont été commandés par Nelson. Quels seront les maîtres de la mer ? Il se peut que des alliances fassent pencher la balance d'un côté ou de l'autre ; par conséquent, les secours par mer ne seront pas toujours possibles, et si Anvers est votre seule place forte, il pourra arriver que la nation qui vous attaquera par terre soit celle aussi qui vous attaquera par mer.

Mais je veux supposer que la nation qui doit vous porter secours soit la maîtresse de la mer, croyez-vous que sa flotte entre dans l'Escaut ? L'Angleterre l'a fait une fois, mais on ne l'y prendra plus.

Il suffirait d'un simple bateau coulé à fond derrière cette flotte pour l'empêcher de redescendre l'Escaut. Aucune puissance ne voudra exposer sa flotte à être incendiée. Si l'on avait parlé de Flessingue, je comprendrais encore, parce que Flessingue communique avec la mer. Mais avec Anvers nous aboutissons à la Hollande, nous sommés à vingt lieues de la mer ! Je comprendrais encore qu'on nous proposât Nieuport, parce que là nous pouvons être à peu près certains de recevoir des secours par mer.

Mais je ne comprends pas ce raisonnement pour un port qui se trouve à l'intérieur des terres, à une distance de 20 à 22 lieues de la mer, et sur un fleuve dont la navigation entraînerait, pour une flotte qui voudrait nous apporter des secours, des dangers qu'aucune d'elles ne bravera.

Je crois donc être en droit de dire qu'Anvers n'est pas une position militaire pour la Belgique ; elle me paraît plutôt être une forteresse destinée à faire partie d'un grand système de défense, comme celui que nous avons eu sous le régime de 1815, et qui fût demeuré politiquement possible si la Belgique n'avait pas été déclarée neutre.

La Belgique étant constituée neutre, n'a, ce me semble, qu'à rester modeste et tranquille et qu'à conserver cette neutralité dans ses actes, qu'elle a si sagement observée depuis 1830 ; qu'à demeurer neutre en action comme elle l'est en droit. Ce n'est pas en faisant beaucoup parler d'elle qu'elle sera beaucoup protégée. De deux choses l'une : ou nous aurons la paix, je le désire, ou nous aurons une guerre générale. La violation de notre neutralité ne peut avoir lieu que dans le cas d'une conflagration européenne. Quoiqu'il en soit, nous devons compter sur les traités, et je suis convaincu que s'il y a une conflagration générale, nous serons d'autant plus respectés que nous aurons été plus honnêtes, plus impartiaux, plus consciencieux dans l'observation de noue neutralité. Plus nous nous serons montrés inoffensifs, plus nous serons ménagés.

Il ne s'agit pas ici de faiblesse, il ne s'agit pas de plier devant des articles de journaux. Peu importe qui les signe, je ne puis faire la guerre à une signature, mais il m'est permis d'y voir des indices. Les articles de la presse anglaise ne sont pas signés, et pourtant croyez-vous, lorsque le Times ou le Morning Post a parlé, croyez-vous que les chefs des grands Etats ne prennent pas compte de ces attestations de l'esprit public ? Et nous, petit pays, qui devons nous conduire avec sagesse et honnêteté, nous ne nous en préoccuperions pas !

J'ai été, je l'assure, frappé de cette intervention de la presse anglaise, de cette presse qui jusqu’à présent avait paru ignorer l'existence de la Belgique.

M. Hymans. - C'est une mauvaise plaisanterie.

M. Guilleryµ. - La Chambre comprendra que j'ai trop de respect pour elle pour me livrera de mauvaises plaisanteries. J'ai voulu dire, et je suis surpris qu'un homme aussi spirituel que M. Hymans ne m'ait pas compris, non pas que la presse anglaise ignore qu'il existe une Belgique, ou qu’il y a un traité de Londres, mais qu'elle avait toujours agi comme si la Belgique n'existait pas, qu'elle s'en était toujours peu ou point préoccupée.

Ainsi, lorsque, il y a quelques années, les Belges fuient insultés par un noble lord au sein du parlement, la presse anglaise ne prit pas spontanément leur défense, elle ne le fit qu'après coup ; et cependant l'outrage était sanglant, et si une attaque devait être relevée, c'était bien celle-là.

Aussi lorsque la presse anglaise, répondant à deux ou trois articles de journaux qui s'étaient élevés contre le projet des fortifications d'Anvers, s'écriait avec indignation : « Comment ! on conteste à la Belgique le droit de faire ce qu'elle veut ! », cette bienveillance, cette sympathie vraiment touchante m'a fait peine.

Je conçois qu'on aime Anvers, mais je voudrais qu'on s'en occupât un peu moins ; je voudrais, comme l'honorable M. Loos, qu'il n'y eût pas de fortifications à Anvers, pas plus qu'il n'y en a à Odessa ni à Hambourg, et jamais une armée ne s'avisera d'y venir.

On me dira qu'Anvers a toujours été un port militaire ; mais, sous la domination espagnole comme sous l'empire, Anvers était une forteresse destinée à protéger des flottes. Qu'avons-nous besoin de lui conserver cette destination ? Avons-nous une marine militaire ? Avons-nous des chantiers comme ceux qui existaient sous l'empire ? Que l'on ait des forts comme ceux de Lillo et de Liefkenhoek, je ne dirai rien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y en a.

M. Guilleryµ. - Je le sais, et je dis précisément que je conçois qu'il y en ait. Mais je ne comprends pas, dans l'état actuel des choses, la nécessité de faire une place de guerre d'un port de commerce qui ne veut pas être défendu, et de donner à une place de guerre une population de cent mille hommes, qui sera très difficile à nourrir et qui augmentera beaucoup les embarras d'une défense.

Je comprends qu'on défende une capitale, parce que c'est la capitale elle-même que l'on défend, parce que c'est le centre du pays que l'on défend ; mais en défendant Anvers, vous ne défendes pas le centre du pays, vous ne défendez pas le point auquel viennent aboutir toutes les administrations, tous les sentiments nationaux.

Messieurs, je ne veux pas prolonger outre mesure ce discours déjà trop long.

- Plusieurs membres. - A demain.

M. Guilleryµ. - Si la Chambre le désire, je terminerai demain.

- La séance est levée à cinq heures et quart.