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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 1 février 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1860-1861)

(page 469) (Présidence de M. E. Vandenpeereboom.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Snoy procède à l'appel nominal à 2 heures 1/4 et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe présente l'analyse des pièces adressées à la Chambre.

« Le sieur Félix Moendig, maréchal des logis au troisième régiment d'artillerie, né à Maestricht, demande la naturalisation. »

- Renvoi au ministre de la justice.

« Des habitants de Florenville demandent qu'on emploie les deux métaux à la confection des monnaies belges ; qu'on batte de préférence celui des deux métaux qui est le plus abondant ; que le rapport légal soit conservé dans toute son intégrité et que l'or français soit admis sur 1« même pied qu'en France on admet l'or belge. »

« Même demande d'habitants de Mons, Liége et Hasselt. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi relative' à la monnaie d'or.


« Des habitants de Thieulain demandent la construction simultanée des chemins de fer de Louvain à Bruxelles, de Hal à Ath et de Tournai à la frontière française, oùudu moins l'exécution de la ligne de Hal à Ath avant celle de Louvain à Bruxelles. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Stekene demandent que le concessionnaire d'un chemin de fer de Malines vers Terneuzen soit obligé d'établir une station à l'endroit appelé : les Trois Cheminées, sur le territoire de cette commune. »

- Même renvoi.


« Des officiers pensionnés prient la Chambre de remettre le taux de leurs pensions en rapport avec les prix des denrées alimentaires et autres objets de première nécessité, de les faire jouir des avantages prescrits par l'article 12 de la loi du 21 juillet 1844, et de décréter que l'augmentation de 1/5, dont il est parlé à l'article 17 de la loi du 27 mai 1840, leur sera proportionnellement alloué par année de service dans le dernier grade d'activité. »

- Même renvoi.


« Les membres du conseil communal de Thollembeek se plaignent d'une violation de la loi communale à l'occasion des élections du 30 octobre dernier. »

- Même renvoi.


« Le sieur Haeck demande que ie gouvernement prenne les mesures nécessaires pour forcer la Banque Nationale à se contenter de la rémunération de ses services et qu'il recoure au droit qu'il tient de l'article 24 de la loi du 5 mai 1850. »

M. Gobletµ. - Je demande le renvoi de cette pétition, avec demande d'un prompt rapport.

- Adopté.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre 116 exemplaires du rapport de la commission permanente pour les sociétés de secours mutuels, sur les comptes fournis par ces associations pour l'exercice de 1859. »

- Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la Chambre.


« M. le ministre de ia guerre adresse à la Chambre deux exemplaires de l'Annuaire militaire officiel de 1861. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. A. Rodenbach demande uu congé d'une quinzaine de jours pour affaires administratives. »

- Accordé.


Il est procédé au tirage au sort des sections de février.

Rapports de pétitions

M. le président. - L'ordre du jour appelle le rapport de la commission des pétitions sur la pétition d'anciens employés des taxes communales de Namur.

M. Wasseigeµ. - Comme cette affaire concerne tout spécialement M. le ministre dos finances, il me paraît qu'il serait convenable qu'il fût présent. Sinon, il faudrait recommencer, lorsqu'il serait arrivé, la lecture du rapport pour que nous pussions discuter aujourd'hui.

M. le président. - Nous entendrons, en attendant l'arrivée de M. le ministre des finances, les rapports dont est chargé M. Notelteirs.

M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition datée de Puers, du 2 mai 1860, le sieur Baggerman, ancien sous-officier envoyé en congé de réforme pour Infirmité contractée au service, réclame l'intervention de la Chambre afin d'obtenir une indemnité.

Le pétitionnaire affirme qu'il a été réformé pour amaurose à l'œil droit, mal contracté au service. Il a servi, dit-il, du 21 juillet 1858 jusqu'au 5 août 1857, c'est sans doute jusqu'au 5 août 1889 qu'il a voulu dire. Il ne joint aucune pièce, à l'appui de sa demande.

La commission conclut au renvoi à M» le ministre de la justice.

- Adopté.


M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition, datée de Bausaint. du 20 avril 1860, les sieurs Warnant, Deltombe et autres propriétaires et cultivateurs, dans le canton de Beausaint, prient la Chambre d'abolir l'impôt des barrières et de le remplacer par des centimes additionnels soit sur certaines patentes, soit sur la taxe des chevaux de luxe ou sur toute autre base de contribution.

L'exploitation des chemins de fer, spécialement favorable aux villes et l'abolition des octrois, semblent rendre assez naturelle, la demande des campagnes réclamant l'abolition des droits de barrières. Il paraît, en outre, que le chemin de fer ayant presque anéanti le gros roulage, le produit des barrières ne doit plus être en proportion des embarras et des frais de perception, et qu'ainsi cet impôt peut être avantageusement remplacé.

La commission conclut au renvoi à MM. les ministres des finances et des travaux publics.

- Adopté.


M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition du 19 mars 1860, datée de Lille Saint-Hubert, les sieurs Clerckx, Missotten et autres membres du comité agricole de Lille-Saint-Hubert, déclarent adhérer à la demande qui a pour objet d'affranchir du droit de barrière tout transport de produits agricoles.

La commission conclut au renvoi à MM. les ministres des finances et des travaux publics.

- Adopté.


M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition datée de Lize, commune de Seraing, le 16 mai 1860, des habitants de Lize demandent que ce hameau avec ses dépendances soit séparé de la commune, de Seraing et érigé en commune distincte.

La pétition porte 32 signatures. Elle affirme que le hameau compte environ 8,000 âmes, que ses chemins sont mal entretenus et que ses extrémités sont distantes d'environ une lieue de Seraing.

Dans ces conditions, la demandé semble mériter l'examen de M. le ministre.

La commission conclut au renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

- Adopté.


M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition datée de St-Josse-ten-Noode, le 1er mai 1860, le. sieur F. Sandrin réclame l'intervention de la Chambre pour être indemnisé des pertes qu'il a essuyées pendant les premiers jours de la révolution de 1830.

Le pétitionnaire expose qu'il a reçu trois blessures graves pendant les journées de septembre, et qu'il n'a obtenu ni faveurs ni titre honorifique. Que le montant des dommages soufferts, expertisé à 2,012 fr. 25 c., a été reconnu remboursable par le gouvernement, et porté à l'indicateur n°299 et au registre de dépôt sous le n°3778. Mais il ne joint aucune pièce justificative.

La commission conclut au renvoi à M. le ministre des finances.

- Adopté.


M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition datée de Louvain, le 26 avril 1860, le sieur Roelans, combattant blessé de 1830, pensionné comme tel, le 6 avril 1859, demande le payement de ce qu'il aurait touché s'il avait joui de sa pension dès 1830.

La commission est d'avis qu'en accordant, quoique tardivement, des pensions de l'espèce, l'on ne doit pas y attacher un effet rétroactif. Le pétitionnaire reconnaît d'ailleurs que de légers secours annuels lui ont été accordés ; mais comme le crédit en faveur des combattants de 1830 a été majoré dernièrement, la demande du pétitionnaire semble mériter l'examen de M. le ministre.

La commission conclut au renvoi à M. le ministre de l'intérieur.

(page 470) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le pétitionnaire jouit-il de la pension ?

M. Notelteirs, rapporteur. - Oui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le crédit qui figure au budget de l'intérieur n'a été augmenté qu'en vue de donner des pensions à ceux qui n'en avaient pas, et non pour donner des suppléments de pensions.

Le combattants de 1330 jouiront de suppléments de pensions à une époque déterminée ; mais le moment n'est pas encore venu. Le renvoi sera donc inutile.

M. Notelteirs, rapporteur. - C'est un renvoi pur et simple que propose la commission.

- Le renvoi est ordonné.


M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition datée, de Cortessem le 25 mai 1860, le sieur Henri Florkin, combattant pour l'indépendante nationale, demande la croix de Fer avec jouissance de la pension.

Le pétitionnaire joint à sa demande trois certificats de médecins constatant qne, dans nombre d'années, il est atteint d'une affection rhumatismale chronique.

Si, pour la croix, il n'y a plus lieu d'examiner la demande, il peut en être autrement de la demande de secours.

Il joint à sa demande trois certificats de médecins constatant son état de maladie.

La commission conclut au renvoi à M. le. ministre de l'intérieur.

- Adopté.


M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition datée de Lens, le 31 mai 1860 le sieur Foucart demande, que son fils Modeste, milicien de la classe de 1860, soit réformé pour difformité à la tête.

Le pétitionnaire ne joint aucune pièce à l'appui de sa demande.

La commission propose le renvoi pur et simple à M. le ministre de la guerre.

M. H. Dumortier. - Je demanderai à M. le rapporteur si demande semblable a été a adressée par le pétitionnaire à M. le ministre de la guerre, avant qu'il envoie une requête à la Chambre.

M. Notelteirs, rapporteur. - Aucune pièce n'est jointe à la pétition.

M. H. Dumortier. - Messieurs, je trouve qu'il est imprudent d'envover constamment aux ministres des pétitions sur lesquelles on n'a aucun détail.

Ou bien ces renvois ont quelque chose de sérieux et indiquent un certain appui de la part de la Chambre ; ou bien ils n'ont rien de sérieux, et alors ce sont des puérilités..

Vous n'ignorez pas, messieurs, que, lorsqu'il s'agît de réformer un milicien, on procède a des visites à des contrôles : il y a un luxe de contrôles. Il m'est impossible de croire que lorsqu'une réclamation pareille a passé par toute la filière administrative, un homme qui devrait être réformé pour difformité à la tête puisse être retenu au service. Une première fois le milicien est examiné par le conseil de milice, une deuxième fois il est examiné par la députation permanente assistée de médecins civils et militaires.

Si la députation permanente trouve que l'homme est apte au service et si le général commandant la province ne partage pas cet. avis, il renvoie le milicien à la députation. Au troisième examen, si la députation persiste, dans sa première manière de voir, elle renvoie le milicien au commandant de la province, qui peut néanmoins le renvoyer dans ses foyers ; mais alors c'est un homme perdu pour l'armée, c'est-à-dire que le numéro suivant ne doit pas marcher. L'autorité militaire renvoie chaque année des hommes qui sont devenus impropres an service depuis leur admission.

Je dis, messieurs, qu'avant de venir prendre une partie de nos séances, avant de donner de la besogne aux bureaux ministériels, il faudrait qu'il fût plus ou moins démontré que la demande a été instruite. Dans le cas actuel il faudrait que l'inspecteur général du service de santé eût été entendu, que le colonel du régiment eût été entendu et il faudrait savoir quel est l'avis de ces autorités.

Après cela, s'il y avait doute, si la demande paraissait plus ou moins admissible, on pourrait la renvoyer au département ministériel.

Mais renvoyer une plainte au gouvernement parce qu'il aura plu à un individu de nous adresser quatre lignes d'écriture sans aucune justification, c'est ce que je ne puis admettre.

Je demande, messieurs, qu'on passe à l'ordre du jour sur cette pétition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, tout à l'heure j’ai laissé passer une pétition qui aurait pu provoquer des observation semblables à celles que vient de faire l'honorable préopinant. Déjà à diverses reprises j'ai eu l'occasion de faire remarquer que le droit de pétition ne semblait pas être parfaitement compris par beaucoup de pétitionnaires. En général la Chambre use d'une grande, indulgence pour le renvoi des pétitions aux divers ministres qu'elles concernent, sans examiner si la pétition dont il s'agit a un fondement ou non. Je dis qu'on ne devrait adresser des requêtes à la Chambre que quand il y a déni de justice, refus de statuer ; lorsqu'il y a lieu, en un mot, de faire un appel à la Chambre contre le ministre. Si la Chambre renvoie au gouvernement des pétitions qui n’ont pas ce caractère de réclamations, elle encourage ceux qui sont disposés à s’adresser à elle à la légère. Tout à l’heure, on a renvoyé au gouvernement la pétition d’un individu qui réclame un secours du chef d’un rhumatisme dont il se dit atteint.

Il faudrait établir que le rhumatisme est le résultat d'une blessure reçue en 1830 ; il faudrait établir, en outre, que le ministre a refusé de faire droit à la demande du pétitionnaire. Dans de pareilles conditions, je reconnais l'utilité du renvoi au gouvernement ; mais, lorsque, par simple bienveillance, on renvoie au gouvernement toutes les pétitions qui arrivent, il fait bien le dire, c’est le moyen d’enterrer les pétitions dans les cartons des ministères.

Au lieu d'y attacher l'importance qu'un acte parlementaire doit nécessairement avoir aux yeux du gouvernement, je dois le dire, ces renvois sont accueillis comme s'il s'agissait d'une pétition qui arriverait directement an ministère.

Je crois donc que MM. les membres de la commission des pétitions, tout en usant de bienveillance pour les pétitionnaires, feraient bien de se montrer quelquefois plus sévères avant de proposer le renvoi de. pétitions a un ministre. Sans cela, le droit de pétition deviendra illusoire. Si l'on veut que ce droit ait une portée, et il n'a pas été vainement admis par la Constitution, je crois qu'on ne doit renvoyer les pétitions aux ministres qu'à bon escient.

M. le président. - Je ferai observer à M le ministre de l’intérieur que lorsque j'ai mis aux voix les conclusions de la commission sur la pétition du sieur Florkin, j'ai demandé s'il y avait de l'opposition dans la Chambre.

M. B. Dumortier. - Messieurs, les paroles que vient de prononcer M. le ministre de l'intérieur ne seront pas sans effet. La vérité est, comme il l'a bien dit, que le droit de pétition, tel qu'il est aujourd'hui exercé, par suite d'une certaine habitude de la commission des pétitions, devient en quelque sorte un droit illusoire, en ce sens que quand on renvoie des pétitions n'articulant aucun grief à la charge d'un ministre., la Chambre se transforme en un simple bureau de poste. Nous ne devons renvoyer aux ministres que des pétitions qui signalent des griefs fondés.

Pour mon compte, je crois que la discussion qui s'est engagée sur ce point, et je remercie M. le ministre de l'intérieur des paroles qu'il vient de prononcer, est conforme aux véritables traditions de la Chambre.

Je crois que la commission des pétitions fera fort bien de se pénétrer de ces vérités et de demander purement et simplement le dépôt au bureau des renseignements, des pétitions de toutes les personnes qui, ayant à réclamer quelque chose à un ministre, croient devoir prendre la Chambre pour intermédiaire.

M. Hymans. - Parce que les pétitions adressées à la Chambre ne doivent pas être écrites sur timbre.

M. B Dumortierµ. - Cette discussion aura eu ce côté utile qu'à l'avenir la commission des pétitions se montrera plus sévère dans les propositions concernant le renvoi des pétitions aux membres du gouvernement.

La tradition ancienne de la Chambre est celle-ci : c'est qu'on ne doit renvoyer aux ministres que les pétitions au sujet desquelles on a épuisé les moyens de juridiction.

- Un membre. - C'est cela.

M. B. Dumortier. - Quand les moyens de juridiction sont épuisés, alors on s'adresse à la Chambre ; et si la Chambre trouve la réclamation fondée, elle renvoie la pétition au gouvernement, soit avec ou sans demande d'explication.

Mais vous voyez tous les jours des personnes venir demander à la Chambre de leur faire obtenir un emploi, et l'on renvoie ces pétitions au gouvernement ! Tout à l'heure vous avez entendu le rapport sur la pétition d'une personne qui demande qu'on lui fasse donner la croix (page 471) de Fer, alors que tout le monde sait que depuis 1835 on ne peut plus donner la croix de Fer. Vous ne pouvez pas renvoyer une semblable pétition au gouvernement.

J'appuie, pour mon compte, de toutes mes forces les observations qui ont été présentées par M. le ministre de l'intérieur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ajoute que ce sera une sorte d'avertissement pour les pétitionnaires qui, étant peu éclairés pour la plupart, se figurent que quant on adresse une pétition à la Chambre et quand la Chambre la renvoie à un ministre, ce ministre doit l'accueillir favorablement. Ils sont dans l'erreur, l'intention de la Chambre n'est pas de dire au ministre : « Vous aurez à statuer favorablement sur les pétitions que je vous renvoie. »

Les pétitionnaires ne croient pas cela et accusent le ministère de ne pas faire droit aux prescriptions de la Chambre.

De la même manière, et ceci est un avertissement pour le dehors, quand on adresse une pétition à S. M., le cabinet du Roi informe l'auteur de la pétition que sa demande est renvoyée an ministre et le pétitionnaire se figure que le Roi a accueilli sa demande et que le ministre est tenu d'y faire droit.

Il faut que les pétitionnaires sachent que le renvoi au ministre ne leur confère pas le droit d'obtenir ce qu'ils demandent.

Sous ce rapport, une grande erreur est répandue parmi les classes inférieures, et cette erreur est, je crois, entretenue par les entrepreneurs de pétitions, par les faiseurs de pétitions qui attachent à leur métier le plus d'importance possible.

Il faut que les pétitionnaires soient éclairés et qu'ils sachent que souvent ils perdent leur timbre et leur frais de pétition, parce qu'ils demandent des choses impossibles et que, dans tous les cas, le renvoi au ministre par la Chambre ou par le Roi ne leur confère pas le droit d'obtenir ce qu'ils demandent.

M. le président. - M. Vander Donckt. vous êtes dans l'erreur. Il s'agit ici d'un père qui réclame pour son fils qui a la tête difforme. (Interruption.)

M. Vander Donckt. (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé.)

(page 471) M. le président. - Messieurs la pétition du sieur Florkin, combattant de la révolution, a été renvoyée à M. le ministre de l'intérieur.

Maintenant nous sommes au n°17 ; c'est donc sur ce numéro que doit porter la discussion.

M. Vander Donckt. - M. le ministre a parlé, en termes généraux, des pétitions qui sont renvoyées aux départements ministériels.

M. le président. - Il y a décision de la Chambre.

M. Vander Donckt. - M. le ministre a parlé de toutes les pétitions renvoyées aux départements ministériels, et c'est à cela que je réponds

M. le président. - On propose Tordre du jour sur le n°17 concernant le sieur Foucart qui demande que son fils Modeste, milicien de la classe de 1860, soit réformé pour difformité.

M. H. Dumortier. - J'ai l'honneur de proposer à la Chambre d'adopter la résolution suivante :

« La Chambre, considérant que la pétition dont il s'agit concerne particulièrement le département de la guerre et qu'il n'est joint à cette pétition aucune pièce constatant que son département ait à statuer sur cette demande, passe à l'ordre du jour.

M. le président. - Il me semble qu'on ne doit pas motiver spécialement un ordre du jour sur des pétitions, alors que les motifs ont été donnés dans la discussion. Je demande à M. le rapporteur s'il se rallie à cette proposition d'ordre du jour.

M. Notelteirs, rapporteur. - Oui, M, le président.

- L'ordre du jour est prononcé.


M. Notelteirs, rapporteur. - Des habitants d'Orgeo demandent la construction d'une route reliant la route des Ardoisières de Herbeumont aux stations de Libramont et de Longlier en traversant la commune d'Orgeo.

Même demande des habitants de Biourges et de Ressart, section de la commune d'Orgeo.

Les pétitionnaires joignent à leur demande copie d'une délibération du conseil communal d'Orgeo du 19 février 1860 dont les considérants se basent sur l'allocation de crédits pour construction de nouvelles routes de raccordement aux chemins de fer, sur les avantages qui résulteraient de la route réclamée pour l'agriculture, le commerce et le transport de la chaux, des ardoises et des minerais de fer.

Pour conclusion, le conseil communal offre gratuitement sur ses terrains incultes la superficie de la route et la faculté d'ouvrir sur le terrain communal des carrières pour en extraire la pierre nécessaire.

La commission vous propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Adopté.


Par pétition datée du canton de Perwez, le 1er mars 1860, les sieurs Mahy, Gislain et autres présentent des observations relatives aux travaux de la Chambre..

Votre commission croit ne pas devoir donner de plus ample analyse à cette pétition où la Chambre n'est pas ménagée.

M. le président. - La commission propose l'ordre du jour sur cette pétition parce qu’elle est rédigée en termes inconvenants.

(page 491) - La Chambre, conformément aux conclusions de la commission des pétitions, prononce l'ordre du jour sur la pétition des sieurs Mahy, Gislain et autres présentant des observations relatives aux travaux de la Chambre.


M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition datée de Nil Saint-Vincent-Saint-Martin, du 5 février 1860, les sieurs Gislain et Mahy appellent l'attention de la Chambre sur la nécessité de modifier la législation concernant l'administration des biens des fabriques d'église.

Cette pétition porte la signature de deux des pétitionnaires signataires de la pétition précédente, sur laquelle nous avons passé à l'ordre du jour. Elle ne ménage pas plus la législation sur le temporel de l'église ni le clergé, que la précédente ne ménage la Chambre elle-même.

Votre commission cependant ne voit pas d'inconvénient à vous proposer le dépôt pur et simple au bureau des renseignements.

(page 471) M. L. Goblet. - Je demanderai qu'on lise la pétition. A moins que la pétition ne contienne quelque imputation réellement injurieuse, il me semble que la Chambre devrait en connaître les termes avant de la repousser par des motifs de la nature, de ceux qu'on vient d’énoncer. Ce n'est pas un intérêt purement personnel qui est ici en cause, mais il s'agit d'une question d'intérêt général. Un de mes honorables collègues, qui est assis à mes côtés, m'assure avoir lu la pétition et me dit qu'elle ne contient rien d'injurieux.

M. Muller. - Si j'ai bien compris les paroles de l'honorable rapporteur, il a dit seulement que les pétitionnaires ne ménagent pas la législation actuelle.

M. Notelteirs, rapporteur. - Ni le clergé.

M. Muller. - Des critiques fondées peuvent être faites contre la législation actuelle et contre l'usage qui peut en être fait. Mais prononcer maintenant l'ordre du jour sur cette pétition sans que nous en connaissions les termes, ce serait, en définitive, déclarer qu'il n'y a pas lieu de proposer à la Chambre des amendements à une législation quelconque. Je conçois que, quand une pétition contient des expressions injurieuses à l'égard d'une autorité ou d'une personne, on l'écarté par un ordre du jour ; mais au moins avant de le prononcer, devons-nous savoir en quoi peuvent consister les inconvenances dont on se plaint. Je demande donc aussi qu'il soit donné lecture de la pétition.

M. le président. - On fait la proposition de donner lecture de la pièce.

M. ²B. Dumortierµ et M. de Theux. - C'est au rapporteur à juger si la pétition peut être lue.

- La Chambre consultée décide que la pétition sera lue.

M. Notelteirs, rapporteur. - Voici cette pétition :

« A MM. les président et membres de la Chambre des représentants de Belgique.

« Messieurs,

« Permettez-nous d'attirer votre attention sur le parallèle suivant :

« A. Législation sur l'administration des biens des pauvres.

« D'après l'arrêté royal du 10 décembre 1825 et les articles 79 et suivants de la loi du 30 mars 1836,

« 1° Les budgets et les comptes des administrations des hospices, dis bureaux de bienfaisance et des monts-de-piété de la commune sont soumis à l'approbation du conseil communal.

« 2° Le conseil communal nomme les membres des administrations des hospices et des bureaux de bienfaisance, lesquels peuvent être révoqués par la députation permanente, sur la proposition de ces administrations elles-mêmes ou des conseils communaux.

« B. Législation sur l'administration des biens de fabriques d'église ;

« D'après la loi du 30 décembre 1809 ;

« 1° Une copie du compte annuel du trésorier des fabriques d'églises, doit être remise à l'administration communale ;

« 2° La commune est obligée de secourir les fabriques, chaque fois qu'il y a insuffisance constatée des moyens de ces établissements ;

« 3° Dans le cas où les communes sont obligées de suppléer à l'insuffisance des revenus des fabriques, le budget de la fabrique doit être porté au conseil communal dûment convoqué à cet effet pour y être délibéré ce qu'il appartient.

« La délibération du conseil communal doit être adressée au gouverneur, qui doit la communiquer à l'évêque diocésain, pour avoir son avis.

« 4° Il doit être présenté, chaque année, au bureau des marguilliers par le curé ou desservant, un état par aperçu des dépenses nécessaires à l'exercice du culte, soit pour les objets de consommation, soit pour réparation et entretien d'ornements, meubles et ustensiles d'église. Cet état, après avoir été, article par article, approuvé par le bureau, doit être porté en bloc, sous la désignation de dépenses intérieures, dans le projet du budget général : le détail de ces dépenses doit être annexé audit projet ;

« 5° Les conseillers de fabrique qui doivent remplacer les membres sortants sont élus par les membres restants. Le conseil de fabrique choisit au scrutin, parmi ses membres, ceux qui, comme marguilliers, doivent entrer dans la composition du bureau.

« De cette simple comparaison ne saute-t-il pas aux yeux une anomalie monstrueuse, une injustice criante et une contradiction flagrante renfermant le germe de bien des abus ?

« En effet, d'un côté, vous voyez la classe de la société qui mérite le plus de sollicitude et de bienveillance de la part du gouvernement, régie par une législation sévère, soumettant l'administration des bureaux de bienfaisance à un contrôle éclairé et permanent au profit de la commune qui peut ainsi remédier aux abus, sans que, néanmoins, elle soit tenue par aucune loi de suppléer à l'insuffisance des ressources nécessaires au soulagement des malheureux, quand bien même le déficit lui serait constaté par les bureaux de bienfaisance.

« Nous ne nous plaignons point du fond de ces règles administratives inspirées par une sage prudence ; nous ne nous récrions qu'à raison de la différence entre ces deux législations.

« D'autre part, vous trouverez : 1° Absence absolue de contrôle pour la commune qui, tout en n'ayant rien à voir dans l'administration des fabriques, ni dans le choix, la nomination et encore moins la révocation de ses membres, est cependant obligée d'intervenir pécuniairement lorsque celles-ci lui prouvent que leurs revenus sont insuffisants à un moment donné, bien qu'au fond le déficit puisse résulter, au vu et au su de la commune d'une mauvaise gestion, ou de dépenses antérieures exagérées ou même inutiles.

« 2° Dans la remise à la commune du compte annuel du trésorier, vous trouvez une mesure dérisoire sans utilité et plutôt de forme ; et dans la présentation du budget, qui ne doit avoir lieu seulement que pour justifier l'insuffisance de revenu et obtenir des secours, c'est-à-dire lorsqu'il est trop tard pour porter remède à la situation, vous trouvez le tableau d'un failli déposant son bilan.

« Et encore quel est le budget à présenter au conseil communal ? C'est le budget général approuvé par le conseil de fabrique, auquel n'est plus annexé (probablement par précaution), comme un projet soumis à celui-ci, l'état détaillé, article par article, dressé par le curé, des dépenses nécessaires à l'exercice du culte, mais où elles figurent en bloc, sous la désignation commode de dépenses intérieures.

« Or, comment comprendre qu'on ait refusé à la commune le droit de contrôle précisément sur ceux qui peuvent grandement compromettre ses intérêts, alors qu’on le lui accorde sur ceux qui, au pis-aller, ne peuvent jamais que se nuire à eux-mêmes.

« Il nous semble, messieurs, que poser la question, c'est la résoudre.

« On pourrait objecter, peut-être, que, de ce raisonnement il ne découle pas nécessairement la preuve de l'existence d'abus ; mais ne suffit-il point d'en prévoir la possibilité pour désirer et vouloir une réforme ?

« Aussi, nous comptons bien, messieurs, sur l'action gouvernemental pour la proposer et, au besoin, sur l'initiative parlementaire pour la provoquer.

« Vous pouvez vous figurer facilement quelles conséquences désastreuses peuvent résulte d'une pareille législation. Nous pourrions vous en indiquer nous-mêmes, si nous n'avions crainte de faire courir sus au libéralisme comme dans toute question dont l'objet, quelque juste et légitime qu'il soit, se rapportant au clergé n'est point traitée à son point de vue. Par exemple, puisque l'enquête récente sur les élections de Louvain a prouvé, une fois de plus et d'une manière éclatante, l’intervention du prêtre dans les élections, l'argent à la main, que sait-on, en présence des règles administratives prêtant tant et si facilement à l'abus et à la fraude, si ces dépenses électorales ne se font point parfois, en tout ou en partie, avec l'argent des fabriques d'église et, (page 492) partant, indirectement aux frais des communes, attendu que celles-ci doivent secourir celles-là en cas d'insuffisance de revenus ?

« Nous n'oserions l'affirmer, mais aussi quel est l'homme de bonne foi qui oserait le nier ?

« Nous avons dit, messieurs ; à vous autres à faire le reste, et le moment est arrivé de s'y préparer, croyons-nous, puisqu'il s'agit de voter bientôt une loi pour la répression des fraudes électorales.

« Dans cet espoir, nous vous présentons l'hommage de notre respectueux dévouement, ayant l'honneur d'être,

« Messieurs,

« Vos très humbles serviteurs, A Gislain, notaire : H. Mary, échevin.

« Nil St-Vincent St-Martin, le 5 février 1860. »

(page 471) M. le président. - Il n'v a pas d'autre proposition que celle du dépôt au bureau des renseignements.

M. A. Vandenpeereboom. - Je demande la parole. Messieurs, après avoir entendu le contenu de la pétition, .je dois dire que je n'y ai rien trouvé qui aurait pu motiver la non-lecture de cette pièce. Messieurs, je viens demander que la pétition dont il s'agit soit non déposée au bureau des renseignements, mais renvoyée au ministre de la justice. La question qu'elle soulève est extrêmement grave, elle a depuis longtemps fixé l'attention d’un grand nombre d'administrateurs.

La législation sur les fabriques d'église n'est plus en harmonie avec notre législation en général et notre législation communale en particulier.

Un grand nombre d'abus résultent de ce défaut d'harmonie entre notre législation actuelle et celle qui date du temps de l'Empire.

Dans la ville dont j'ai l'honneur d'être bourgmestre, nous avons pu constater récemment combien la législation sur les fabriques d'église est vicieuse et combien le contrôle exercé sur ces administrations est illusoire.

A Ypres, une église a été construite il y a quelques années ; l'Etat, la province et la commune ont contribué dans la dépense pour une somme de plus de 100,000 francs : les paroissiens de leur côté ont versé des sommes considérables, eh bien, il est impossible aujourd'hui au conseil de fabrique. renouvelé, à l'administration communale, à l'autorité civile supérieure et même à l'autorité ecclésiastique d'avoir, je ne dirai pas un compte régulier, mais même un compte approximatif de la dépense faite ; il n'existe en effet ni livres, ni mandats, ni pièces comptables régulières ; aucune dépense n'a été ordonnancée.

Enfin, cette affaire est tellement scandaleuse, qu'elle a motivé des poursuites judiciaires.

La pétition qui nous est adressée demande la révision de la loi sur les fabriques d'église ; les abus auxquels cette législation donne lieu sont fort graves ; sous ce rapport la pétition mérite d'être prise en considération, c'est pourquoi j'en demande le renvoi au ministre de la justice.

(page 472) M. B. Dumortier. - Je ne conteste pas que des abus aient pu se passer à Ypres dans le sens indiqué par l'honorable préopinant, je le conteste d'autant moins que le.receveur prévenu de malversation est, dit-il, en fuite. Quand un homme est en fuite dans de pareilles circonstances, il faut qu'il y ait une présomption de culpabilité, si de tels abus ont .lieu, la justice a des devoirs à remplir et elle saura les accomplir.

Mais si de pareils abus existent, est-ce que, par hasard la justice n'a plus son action ? Et est-ce un motif pour réformer la loi ? Mais si demain le receveur de. la ville ou du bureau de bienfaisance d'Ypres, par exemple, décampait et emportait avec lui la caisse communale, serait-ce un motif pour réviser la loi communale ? Des abus peuvent se passer. Partout où il y aura des hommes, il y aura des abus, et la justice est établie pour y porter remède. Mais où est donc cette immense quantité d'abus dont on se plaint ? Le décret de 1809, relatif aux fabriques d'église, n'a jamais donné lieu à des réclamations ; ce n'est que dans ces derniers temps, lorsqu'on avait besoin d'une arme de guerre, qu'on a inventé la nécessité de réviser la législation des fabriques d'église, afin de porter la main sur le temporel du culte, de ne rien laisser debout de notre édifice constitutionnel catholique.

Or, de quoi s'agit-il dans la pétition dont il vient d'être donné lecture ? Mais, il s'agit de faire la constitution civile du clergé en Belgique ; c'est-à-dire que ce sera le conseil communal qui nommera les fabriciens d'église, qui fera le compte des églises, qui les visera, qui fera même les budgets. Mais alors, supprimez la liberté des cultes et faites une constitution civile du clergé.

Comment ! ce sera vous autres, MM. les libéraux, qui viendrez régler les affaires du culte ? Mais c'est une mauvaise plaisanterie ; laissez donc aux croyants, à ceux qui pratiquent l’exercice de leur culte, de soigner les affaires de ce culte. Par quel hasard faudrait-il que ce fût nous, catholiques, qui fissions les affaires d'un domine protestant, ou les affaires du clergé protestant ? Ce serait le comble du ridicule.

Le premier de tous les principes, dans tous les pays de liberté, dans tous les pays constitutionnels, c'est la séparation des choses distinctes, la séparation des choses différentes. C'est sur cette base que repose, en politique, la séparation des pouvoirs ; et si, en Belgique, l'Eglise est séparée de l'Etat, votre proposition ne tend à rien autre qu'à mettre l'Eglise, dans l'ordre des intérêts matériels, sous la dépendance des administrations communales, ce qui est la pire de toutes les tyrannies. Je dirai plus, la mesure que l'on indique et que l'on semble vouloir proposer, savez-vous ce que c'est ?

C'est une véritable mesure révolutionnaire, contraire, diamétralement contraire aux principes de 1830, contraire, à l'œuvre du Congrès que vous vantez, souvent, dont vous parlez souvent et que vous vous occupez à détruire à chaque instant. Le Congrès, en séparant l'Église de l'Etat, a maintenu dans toute sa plénitude le décret de 1809, et vouloir maintenant, sous la pression d'une majorité qui certes n'a rien de sympathique pour les idées religieuses ni pour le clergé.... (Interruption.)

M. de Moor. - C'est une insulte !

M. B. Dumortier. - Ce n'est pas une insulte, c'est une vérité.

M. le président. - M. Dumortier, vous ne pouvez faire d'imputation de mauvaise intention à un seul membre de cette Chambre, et encore moins faire cette imputation à plusieurs membres, en tant qu'ils composent un parti parlementaire...

M. B. Dumortier. - Je ne soupçonne pas les intentions, mais je rappelle des faits. Quoi ! on est venu à cette tribune représenter le clergé comme ayant fait de la corruption dans les élections de Louvain, comme ayant acheté des votes ; on vient maintenant, aux applaudissements de la gauche, demanderai le clergé n'use pas des deniers du culte pour corrompre dans les élections ; je dis que pareille chose n'est pas tolérable daris un gouvernement où il y a un principe religieux à côté d'un principe de liberté. Je dis que nous, à qui est confié principalement la garde de ce double principe... (Nouvelle interruption.)

Comment ! Vous ne faites que vous plaindre tous les jours, de ce que vous appelez les envahissements du clergé ; partout vous criez contre le clergé. Nous, nous le défendons, quand il a droit, et toujours contre vous.

Eh bien, je dis que nous, à qui est confiée principalement la garde de ce grand principe :1a liberté civile combinée avec la liberté religieuse, il ne nous est pas possible de souffrir que l'on prenne une mesure révolutionnaire comme celle que l'on indique.

Comment ! M. le ministre de l'intérieur nous disait encore, lors de la discussion de son budget, qu'il fallait la paix, qu'il fallait l'union, qu'il fallait se rapprocher. Et vous voudriez introduire, par des pétitions ou autrement, des questions aussi irritantes qui touchent au for intérieur de l'homme, à l'exercice de la religion, des questions qui doivent diviser le pays. Je dis que s'il y avait quelqu'un payé par l'étranger pour diviser le pays et le préparer à sa perte, il ne ferait pas autrement. Je veux, avant tout, l'existence de mon pays ; il a été constitué en 1830 avec ses principes de liberté religieuse et non d’oppression du clergé. Je déclare que je suis fortement affligé de voir une pareille discussion s’engager, lorsque tous les Belges ont besoin de serrer leurs rangs et de se montrer forts et unis vis-à-vis de l'étranger.

M. Gobletµ. - Malgré les paroles chaleureuses de l'honorable M. Dumortier, je me félicite d'avoir fait la proposition de la lecture de la pétition.

Je n'ai pas l'intention de discuter au fond la question que soulève la pétition ; mais qu'il me. soit permis de dire en passant à l'honorable membre que, comme législateur, comme citoyen, j'ai tout autant que lui le droit de m'occuper des affaires du culte, et qu'il n'a pas le monopole de la défense du clergé !

Lorsque le clergé sera attaqué, je serai avec vous pour le défendre ; et je crois que tous les libéraux de même que tous les catholiques, lorsqu'on cherchera à opprimer une partie des citoyens, à quelque classe qu'ils appartiennent, se lèveront pour se joindre à nous.

Revenons au débat. . Pour faire respecter le droit de pétition, pour ne pas le rendre vain, on a dit, au commencement de cette séance, aux pétitionnaires peu éclairés : Ne faites pas abus d'un droit, vous finiriez par atténuer la puissance du moyen que l'on vous donne pour réclamer contre des injustices ; ne venez pas, dans de petites questions personnelles, pour quelques intérêts qui ne sont légitimés par rien, réclamer l'attention qu'on ne peut vous accorder.

Mais, de même qu'on dit aux citoyens peu éclairés dé ne pas abuser du droit de pétition, de même on doit encourager tous ceux qui s'occupent des affaires publiques et qui fixent leur attention sur des questions que nous sommes appelés nous-mêmes à soulever.

Messieurs, ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on réclame la révision de la loi de 1809, relative aux fabriques d'église ; ce n'est pas d'aujourd’hui qu'il est question de ces imputations et je ne vois pas que nous ayons à nous taire quand il s'agit d'une pétition qui soulève de pareilles questions.

Qu'y a-t-il d'injurieux dans ces pétitions ? Des insinuations, je le veux bien, et je les blâme ; mais de là à des injures il y a loin : et ce n'est pas un motif pour écarter cette pétition sous prétexte qu'elle est injurieuse pour une classe de citoyens, qu'elle attaque une législation qui n'est ni inamovible ni immaculée.

Il n’y avait certes pas d'inconvénient à lire cette pétition ; et après l'avoir entendue je reste convaincu qu'elle pouvait parfaitement bien être renvoyée à M. le ministre de l’intérieur. Je ne discute pas les arguments qu'on y a fait valoir contre les abus de la loi qui régit les fabriques d'église, je ne discute pas s'il faut réprimer des écarts plus ou moins possibles du clergé. Ce n'est pas l'objet en discussion. La question est de savoir si la pétition, telle qu'elle a été lue, peut être renvoyée à M. le ministre de la justice. Eh bien, je dis que dans la pétition il n'y a rien qui doive faire écarter ce renvoi.

Il n'y a qu'on fait, un seul fait qui soit affirmé, c'est le fait de l'action du clergé dans les élections de Louvain. Mais ce fait a été constaté dans un rapport fait à la Chambre, et la Chambre a donné sa sanction à ce rapport. (Interruption.)

L'honorable M. De Fré a fait un rapport à la suite d'une enquête minutieuse et ce rapport a été, dans ses conclusions, voté par la Chambre.

J'ai cru que comme auteur de la proposition de lecture de la pétition, il convenait que j'expliquasse pourquoi j'appuie le renvoi à M. le ministre de la justice, et je crois que les développements dans lesquels je viens d'entrer sont suffisants pour prouver que ce renvoi est nécessaire.

M. Muller. - Je pense, messieurs, que, sans être ennemi de la religion ni du clergé, on peut très bien considérer la législation qui régit actuellement les fabriques d'église,

L'honorable M. Dumortier semble méconnaître que nous siégeons précisément dans cette enceinte pour provoquer toutes les mesures de nature à empêcher que des abus ne se glissent ou ne se perpétuent dans les administrations publiques. Or, les fabriques d'église sont de (page 473) véritables administrations publiques, qui ne doivent pas échapper au contrôle de l'autorité civile.

Le gouvernement intervient même, en certains cas, dans la nomination de leurs membres, et jamais on n'a contesté ce droit, qu'il puise dans le décret de 1809.

Il ne faut pas confondre, messieurs, quand il s'agit de cultes, deux choses tout à fait différentes : le domaine spirituel et le domaine temporel. La Constitution a affranchi le premier de la tutelle du gouvernement ; mais il n'en est pas de même de l'autre.

Je le demande, est-il juste, lorsque vous imposez aux administrations communales l'obligation de pourvoir à l'insuffisance des ressources des fabriques d'église, l'obligation de fournir des presbytères aux desservants, de les entretenir en bon état, de prendre à leur charge les réparations des églises paroissiales, est-il juste que les administrations communales restent complètement étrangères à l'examen et au contrôle des budgets et des comptes des fabriques ?

- Un membre. - Le bourgmestre lait partie du conseil de fabrique.

M. Muller. - Le bourgmestre ne constitue pas seul la commune ; il n'à, d'ailleurs, que sa voix dans le conseil de fabrique.

Remarquez, messieurs, que les courtes observations que je viens de présenter démontrent que la pétition adressée à la Chambre mérite toute notre sollicitude.

Dans tous les cas, ce n'est pas à partir d'aujourd'hui seulement que le décret de 1809 donne lieu à des réclamations ; il y a près de 24 ans que le conseil provincial de Liège s'est adresse à la législature pour en demander la révision, et il a subordonne, en usant de son droit, l'octroi des subsides qu'il accorde volontairement aux fabriques d'église, à des garanties destinées à ménager les caisses communales.

On a vu, en effet, des conseils de fabrique se livrer à des dépenses non suffisamment justifiées, à des dépenses de luxe, alors qu'ils avaient à faire exécuter des travaux urgents et indispensables, dont l'ajournement avait pour résultat d'obérer davantage les finances communales.

Eh bien, messieurs, rien que cette considération-là, que je pourrais étayer de plusieurs exemples, doit nous engager à renvoyer à M. le ministre de la justice la pétition dont il nous a été donné lecture.

Je ferai remarquer en passant que l'on me semble avoir pris sur certains bancs de la Chambre, comme une affirmation, ce qui, dans une phrase employée par les pétitionnaires n'a qu'une portée éventuelle et hypothétique.

M. de Naeyer. - C'est une insinuation.

M. Muller. - J'admets que ce soit une insinuation, en ce sens qu'on laisse supposer que des détournements de destination de fonds sont possibles ; mais on n'a imputé à aucun conseil de fabrique d'avoir employé les fonds du culte à faire réussir des candidatures électorales. En l'absence de tout contrôle de l'autorité civile, des abus blâmables de ce genre peuvent se faire jour. Voilà ce que j'ai compris.

Est-ce là, messieurs, un grief assez sérieux à opposer aux pétitionnaires pour écarter une réclamation qui, au fond, a une haute importance, pour ne pas la renvoyer à M. le ministre de la justice ?

Je ne le pense pas.

M. de Theux. - Je regrette que la Chambre se soit, dans cette circonstance, écartée de ses usages. Il est d'usage dans cette Chambre que lorsque le rapporteur, au nom de la commission des pétitions, vient déclarer qu'une pétition est injurieuse et ne doit pas être lue ni prise en considération, la Chambre s'en rapporte au jugement de la commission. Et en effet, messieurs, le rapport n'exprime pas seulement l'opinion du rapporteur, mais il exprime l'opinion de la commission.

Je crois que les membres de la commission des pétitions, investis de la confiance de la Chambre, méritent bien que nous ayons cette déférence pour leurs conclusions ; c'est d’ailleurs une nécessité, à moins d'introduire ici l'usage de la lecture des pétitions les plus injurieuses et les plus calomnieuses.

On dit, messieurs, que la pétition ne précise rien. Je le crois bien : le pétitionnaire n’a garde de se mettre en contravention directe au Code pénal ; mais, je le demande, si une pétition de même nature émettait le même soupçon à l'égard du gouvernement, si l'on disait que le gouvernement peut puiser dans le trésor public de l'une ou de l'autre manière par des moyens détournés qu'il est très facile d'imaginer, pour favoriser le triomphe d'un parti, si l'on admettait seulement simplement la possibilité d'un tel fait, n'y aurait-il point sur tous les bancs de la gauche une explosion d'indignation qui ferait à l'instant même prononcer l'ordre du jour ? Cette indignation n’éclaterait pas seulement sur les bancs de la gauche, elle ne serait pas moindre sur nos bancs ; nous ne permettrions pas qu'on mît en suspicion l'honneur du gouvernement, a moins de faits graves, qui fussent de nature à motiver une mise en accusation des ministres.

Je vais donc plus loin, messieurs ; je dis qu'à raison fu passage injurieux que la pétition renferme, il est du devoir de la Chambre de prononcer l'ordre du jour, et j'en fais la proposition formelle.

Je ne vois, messieurs, aucun inconvénient à prendre cette décision ; on signale au gouvernement une comparaison entre la législation sur les fabriques d'église et la loi communale, quant aux établissements de bienfaisance ; le gouvernement connaît parfaitement ces deux législations, et il n'a pas besoin de la pétition pour examiner les questions qui s'y rattachent.

L'honorable M. Dumortier l'a, dit avec raison, la révision du décret de 1809 porté par l'empereur Napoléon, qui n'était pas habitué à négliger les droits de l'Etat ou de l'administration publique au profit du clergé, la révision de ce décret dans le sens de la pétition pourrait amener l'asservissement du culte, là où les passions seraient hostiles au culte. Je dis que c'est l'une des législations les plus délicates qui puissent exister ; pourquoi ? Parce qu'il s'agit de la liberté la plus essentielle à toutes les nations. Je ne parle pas seulement des nations chrétiennes, des nations civilisées, je parle même des nations barbares : il n'est aucun sentiment qui soit aussi profondément gravé dans le cœur de tous les hommes, que le sentiment religieux. Il est de tous les temps, et de tous les lieux, il a commencé avec l'homme, if ne finira qu'avec l'homme.

Aussi le gouvernement et les administrations publiques doivent avoir à cœur de maintenir intacte la liberté religieuse. La Constitution, d'ailleurs, leur en fait un devoir formel,

Maintenant s'il y a des mesures justes à prendre, et si aucune de ces mesures ne peut tendre à limiter la liberté des cultes, ou peut les examiner. Il n'est pas besoin pour cela d'une pétition, d'ailleurs, gravement injurieuse.

On nous a parlé d'abus possibles. L'honorable député d'Ypres nous a dit que le receveur d'un conseil de fabrique est en fuite. Cela nous fait supposer qu'il a des torts à sa charge, mais nous ne pouvons pas nous prononcer à cet égard. Tant que la justice n'a pas prononcé, l'homme mis en accusation par l'ordre judiciaire est réputé innocent.

Bien que les deniers de l'Etat soient soumis à un contrôle si minutieux, si général, bien qu'il y ait des inspecteurs, des contrôleurs, bien qu'il y ait la cour des comptes, ne voyons-nous pas quelquefois les deniers de l'Etat dilapidés ?

N'avons-nous pas déjà vu les deniers des hospices dilapidés ? Lors de la discussion de la loi sur la charité, ne nous a-t-on pas prouvé que la location des biens des pauvres se fait souvent à vil prix, et ce quelquefois au profit des familles des administrateurs mêmes chargés de la surveillance de ces biens ?

Ce sont là tous abus qui, malheureusement, ont plus d'intensité qu'on ne le croit communément.

Y a-t-il quelque chose de plus rigoureusement, de plus minutieusement contrôlé que le maniement des deniers des banques ? Eh bien, ne se commet-il pas souvent des infidélités dans les banques ?

Messieurs, on a dit qu'on a constaté dans les élections de Louvain des abus de la part du clergé. Je le demande, dans cette longue, et pénible discussion, dans l’enquête y a-t-il eu même une seule allusion aux faits avancés comme plus ou moins probables dans les pétitions ? Assurément non ; personne de nous, aucun des membres de la commission n'oserait l'affirmer : ce serait absolument contraire à la vérité.

Qu'avons-nous vu dans cette affaire qui a trop occupé la Chambre ? Nous avons vu se reproduire les faits qui avaient marqué les élections précédentes, et rien de plus. Ce qu'on avait fait jusque-là, chacun a cru avec raison avoir le droit de le faire encore.

Il y avait toujours eu des dîners, la seule différence, c'est que dans le district de Louvain, plus particulièrement que dans les autres districts, il y a eu des paiements en numéraire, au lieu de servir le dîner en nature ; voilà, je le répète, le seul fait plus spécial à cette élection.

Messieurs, nous avons discuté trop longuement cette question pour que j'y revienne aujourd'hui.

Mais je ne veux pas qu'on puisse aujourd'hui, par quelques mots lancés au hasard, raviver une plaie que je considère comme saignante encore et que j'ai profondément regrettée.,

Messieurs, je persiste à proposer l'ordre du jour sur la pétition. Je ne (page 474) veux pu qu'une pétition renfermant un seul passage injurieux envers une autorité quelconque ou envers un corps quelconque, et surtout envers un corps respectable dans sa généralité, puisse obtenir l'honneur d'un renvoi à un département ministériel.

Ainsi, je maintiens ma proposition d'ordre du jour, et j'aime à croire que la grande majorité de la Chambre prouvera que les considérations que j'ai développées, je pense, avec modération, sont essentiellement fondées et conformes à ses précédents.

M. A. Vandenpeereboom. - M. de Theux maintient sa proposition d'ordre du jour, moi aussi je maintiens la proposition que j'ai eu l'honneur de soumettre à la Chambre, c'est-à-dire le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice.

Messieurs, s'il y avait dans la pétition une injure pour qui que ce soit, une accusation même indirecte, je serais le premier, dans l'intérêt de la dignité de la Chambre, à appuyer la proposition de l'honorable M. de Theux et à demander l'ordre du jour. Mais il y a ici tout simplement une insinuation que je regrette...

M. Van Overloop. - C'est une lâcheté !

M. A. Vandenpeereboom. - Vous exagérez en tous cas. Ce n'est pas parce qu'il y a un paragraphe repréhensible dans la pétition qu'il faut refuser le renvoi d'un document aussi important au gouvernement.

Il n'y a ni accusation directe, ni injure directe contre personne ; il y a, comme je l'ai dit, une insinuation que je regrette et que je condamne.

Messieurs, il ne s'agit pas ici des élections de Louvain, et ce n'est pas non plus sur ce terrain que nous nous plaçons.

Il s'agit de savoir si la législation sur les conseils de fabrique est encore en harmonie avec les besoins actuels de l'époque et avec notre législation depuis 1830. Eh bien je le nie ; je répète que la législation sur les fabriques d'église, qui date d'une époque déjà éloignée de nous, n'est plus en rapport avec notre législation actuelle et surtout avec la loi communale.

Le décret de 1809 a été fait sous l'empire ; le clergé était alors soumis à un régime tout autre que celui dont il jouit en Belgique depuis 1830 ; il était en 1809 sous le régime du concordat ; il n'y avait pas de liberté de culte.

A cette époque, le gouvernement avait une grande action sur le clergé, et c'est parce qu'il avait cette action, qu'il pouvait conférer au clergé et aux fabriques des fonctions dont il pouvait contrôler l'exercice.

Aujourd'hui il en est tout autrement, le clergé belge jouit d'une liberté illimitée et l'autorité civile n'a plus aucun contrôle, et quoique les conseils de fabrique ne relèvent pas de l'autorité laïque, et que cette autorité ne puisse exercer aucun contrôle, les communes sont obligées pour lors de fournir des subsides aux conseils de fabrique, sans avoir le moyen d'examiner leur comptabilité. Est-ce rationnel ?

L'honorable M. B. Dumortier a confondu deux choses dans cette discussion, le spirituel et le temporel. Jamais les autorités civiles n'ont demandé à avoir la moindre action sur ce qui concerne le culte.

Mais lorsqu'il s'agit des biens temporels, de régularité administrative, des biens terrestres et non des biens de l'autre monde, il appartient à l'autorité civile de contrôler et d'intervenir.

Je prie donc l'honorable députe de Roulers de ne pas me faire passer pour une espèce d'iconoclaste qui voudrait traiter le clergé d'une manière inconstitutionnelle. Cette accusation, qui ne m'émeut pas ici dans cette Chambre, pourrait avoir pour moi, grâce à certaine presse, des résultats regrettables dans les Flandres, et m'y faire passer pour ce que je ne suis pas et ne veux pas être.

Je ne m'occupe donc ici nullement du culte, mais du temporel des églises. Je crois pouvoir ajouter qu'un grand nombre de membres de fabriques d'église désirent très consciencieusement, comme moi, qu'il soit exercé un contrôle sérieux sur leur administration ; ils ont compris que le contrôle actuel n’est pas efficace et qu'ils sont exposés à de grands mécomptes.

On a dit que l'administration communale pouvait savoir ce qui se passait dans l'intérieur des conseils de fabrique, parce que le bourgmestre fait partie de ces administrations.

Cela est vrai ; mais le bourgmestre ne préside pas le conseil, il y a peu d'influence et il peut arriver souvent qu'il fasse partie de la minorité ; il a le droit de protester et rien de plus.

Dans mon opinion, la législation sur les fabriques d'église doit être mise en harmonie avec la loi communale, et même avec les exigences de la liberté communale.

C'est pour ces motifs que je demande le renvoi da la pétition à M. le ministre de la justice.

M. Van Overloop. - Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire.

S’il s'agissait tout simplement d'examiner, dans le moment actuel, s'il convient de modifier la législation de 1809, je me joindrais à l'honorable M. Vandenpeereboom, pour demander le renvoi à M. le ministre de la justice.

M. de Naeyer. - Nous serions unanimes.

M. Van Overloop. - Mais il ne s'agit pas du tout de cela. Il s'agit de savoir si cette pétition renferme ou ne renferme pa des imputations injurieuses.

Tantôt, sur la proposition de l'honorable M. Goblet, je me suis levé lorsqu'il s'est agi de décider s'il y avait lieu de donner lecture de la pétition.

Je voterai cependant pour l'ordre du jour parce que, pour moi, il y a dans cette pétition quelque chose de plus qu'une insulte, il y a une insinuation, et une insinuation constitue, je pense, une lâcheté.

S'il y avait dans la pétition une insulte directe, nul de vous ne voudrait du renvoi à M. le ministre de la justice, vous voteriez tous l’ordre du jour.

Mais la pétition renferme quelque chose de plus. Elle renferme une insinuation injurieuse, une insinuation, qui constitue une lâcheté. Voudriez-vous faire a une insulte indirecte plus d'honneur qu'à une insulte directe ? Jamais je ne le croirai.

Je voterai donc pour l'ordre du jour.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il y aurait peut-être moyen de concilier toutes ces opinions. Ce serait de charger le bureau d'adresser au ministre de la justice tout ce qui est de discussion dans la pétition et de supprimer les passages qui ont été considères comme inconvenants ou injurieux.

Ce serait un blâme infligé à ce que les uns regardent comme une insinuation, d'autres comme une accusation, d'autres comme une simple hypothèse, et le résultat que poursuivent quelques membres, et entre autres l'honorable M. Vandenpeereboom, serait atteint.

Cette décision donnerait satisfaction à ceux qui ne veulent pas qu'une pétition contenant une accusation quelconque soit renvoyée à M. le ministre de la justice, et à ceux qui croient qu'il pourrait y avoir lieu de réviser le décret de 1809.

M. de Theux. - Messieurs, j'ai fait partie du Congèes de la nation depuis le premier jour de son existence et j'ai fait partie de la Chambre depuis son premier jour jusqu’aujourd'hui et j’ose affirmer qu'une proposition semblable à celle que M. le ministre de la justice vient de faire ne s'est jamais produite dans cette Chambre.

M. Devaux. - C'est une erreur.

M. de Theux. - Les pétitions ont toujours été admises ou écartées en entier.

Je demande que la Chambre reste fidèle à ce précédent et que dans ce moment elle ne fasse pas une exception dont l'effet serait extrêmement fâcheux sur l'esprit de la population.

- La discussion est close.

M. le président. - Messieurs, nous sommes en présence de plusieurs propositions : celle de la commission qui consiste dans le dépôt au bureau des renseignements ; celle de l'Honorable M. Vandenpeereboom, qui demande le renvoi à M. le ministre de la justice ; celle de M. de Theux, qui demande l'ordre du jour et celle de M. le ministre de la justice qui demande que le bureau soit chargé de renvoyer la pétition a son département après en avoir supprimé les passages inconvenants ou injurieux.

M. Notelteirs. - Je me rallie à la proposition de l'honorable comte de Theux. Lecture ayant été donnée de la pétition, le dépôt au bureau des renseignements devient sans objet.

M. le président. - Nous n’avons donc plus que trois propositions : celle de M. A. Vandenpeereboom, celle de M. le ministre de la justice et celle de M. de Theux.

Je mets aux voix la proposition de M. de Theux, qui demande l'ordre du jour.

- Plusieurs membres. - L’appel nominal !

- Il est procédé à l'appel nominal.

81 membres y prennent part.

36 adoptent.

48 rejettent.

(page 475) Ont voté l'adoption : MM. B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Janssens, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Moncheur, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Behr, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van Dormael, Van Overloop, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Coomans, de Haerne, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Montpellier, de Naeyer, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq et de Theux.

Ont voté le rejet : MM. Devaux, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, M. Jouret, Julliot, Lange, Laubry, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Neyt, Orban, Orts, Pierre, Pirmez, Rogier, Saeyman, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Van Volxem, Vervoort, Ansiau, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder et E. Vandenpeereboom.

En conséquence, l'ordre du jour n'est pas adopté.

M. le président. - Reste à présent la seconde proposition qui consiste à charger le bureau de renvoyer la pétition à M. le ministre de la justice après avoir supprimé les passages inconvenants ou injurieux. Je mets cette proposition aux voix.

- Cette proposition est adoptée.


M. Notelteirs, rapporteur. - Par pétition d'Herbais, datée du 20 mai 1860, des habitants d'Herbais réclament l'intervention de la Chambre pour que l'on fasse exécuter les travaux de réparation nécessaires à la chapelle et au mur du cimetière de cette dépendance de la commune de Pietrain.

Votre commission n'a pu examiner le fondement de la demande ; cependant, comme la pétition est signée par un échevin et plusieurs habitants, elle l'a crue de nature à être examinée par le ministère.

Votre commission vous propose le renvoi a M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Notelteirs, rapporteur. - Le sieur Graux, à Ixelles, appelle l'attention de la Chambre sur le grand nombre de Belges qui ont perdu leur nationalité par leur engagement au service militaire étranger sans l'autorisation du Roi.

Le pétitionnaire sollicite de la Chambre des mesures propres à instruire de leur position et des moyens d'en sortir ceux qui sont dans ce cas, et il demande qu'ils soient relevés, eux et leurs enfants, du malheur de n'être plus citoyens de leur pays.

Messieurs, le pétitionnaire qui, d'après l'ensemble de la supplique, paraît avoir servi en Afrique dans la légion étrangère, évalue à 10 mille le nombre des Belges qui ont perdu leur nationalité aux termes de l'article 21 du Code civil, et en ajoutant à ce nombre leurs femmes et leurs enfants il arrive au chiffre de 38 mille individus frappés par ces articles.

Les articles 9 et 10 du code civil répondent à une partie de la demande du pétitionnaire. L'enfant d'un Belge qui a perdu cette qualité peut en effet toujours la réclamer en remplissant les formalités de l'article 9.

Cependant quoique cette disposition de la loi soit aussi connue ou censée connue que toute autre loi, il n'en est pas moins constant que les formalités qu'elles prescrivent sont bien souvent négligées. Il en résulte qu'un grand nombre d'individus sont et demeurent légalement privés de la qualité de Belge, sans que personne s'en doute. Il serait donc utile que des mesures fussent prises pour que les formalités prescrites par l'article 9 du Code civil fussent plus généralement remplies dans la suite par les intéressés, voulant récupérer leur qualité de Belges.

Quant aux individus mêmes qui ont servi à l'étranger, faut-il venir à leur secours ?

Les motifs impérieux aux yeux du législateur de 1804, qui ont dicté la disposition sévère de l'article 21, n'ont pas existé jusqu'aujourd'hui en Belgique au même degré de gravité.

De plus, des doutes se sont élevés sur l'application de l'article 21 à certains services armés remplis de fait sans engagement formel préalable.

Enfin, messieurs, si les jeunes gens belges, qui ont servi à l'étranger sans l'autorisation du Roi, ont contrevenu à la loi, il n'en est pas moins vrai qu'en général, leur conduite militaire et leur bravoure sur le champ de bataille n'ont fait qu'honorer la Belgique.

Ces considérations paraissent de nature à engager le gouvernement à examiner les questions soulevées par le pétitionnaire et notamment celle de savoir s'il ne serait pas utile et opportun de réhabiliter par une mesure générale les individus qui, jusqu'à une époque certaine, ont encouru la perte de leur nationalité aux termes de l'article 21.

Voilà, messieurs, les motifs qui ont engagé votre commission à vous proposer le renvoi de la pétition à M. le ministre.

M. Orts. - Messieurs, les motifs qui engagent la commission à proposer le renvoi à M. le ministre de la justice m'engagent, moi, à demander à la Chambre de vouloir bien voter l'ordre du jour.

Voici la question.

Des Belges, beaucoup moins nombreux que ne le disent les pétitionnaires, ont, à diverses époques, contrevenant à la loi de leur pays, la première de celles auxquelles doit obéir un citoyen, sont allés prendre du service à l'étranger, sans permission préalable du Roi des Belges.

Aux termes du Code civil cette désobéissance à la loi nationale est punie de la perte de la qualité de citoyen belge.

Cette mesure sévère est juste, elle est légitime, elle est commandée par la politique de tous les temps et de tous les Etats. Elle est surtout commandée à la Belgique par les conditions de son existence politique en Europe, par la condition qu'elle a acceptée de rester constamment neutre dans les conflits qui peuvent surgir entre les nations étrangères.

Selon moi, messieurs, il n'existe aucun motif, quel qu'il soit, de solliciter de la part du gouvernement une dérogation au Code civil. Or, cette dérogation est le but que se propose la commission en demandant le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice. La commission nous dit nettement qu'elle croit juste de la part du gouvernement de restituer, par mesure générale, contrairement aux dispositions du Code civil, la qualité de citoyen à tout Belge qui l'a ainsi perdue.

Sans doute, des motifs honorables peuvent excuser la faute de ceux qui contreviennent à la loi du pays ; mais ces motifs honorables sont des considérations propres à justifier un pardon, une grâce et pas autre chose. Ce pardon, cette grâce individuelle rentrent dans les prévisions de la loi, et aux autorités belges appartient le droit d'apprécier, dans chaque cas particulier, les motifs invoqués par un Belge qui a perdu cette qualité pour la récupérer.

Je le répète, nous devons, comme condition de notre existence indépendante en Europe, être plus scrupuleux que personne en pareilles circonstances. Pays essentiellement neutre, nous devons, en présence des conflits qui peuvent se produire au-delà des frontières, prouver que nous voulons rester neutres, parce que nous voulons rester indépendants. Le respect de notre neutralité par nous-mêmes est la meilleure preuve que, le cas échéant, nous saurions défendre notre indépendance par nous-mêmes et avec non moins de fermeté et d'énergie.

M. B. Dumortier. - Messieurs, ce serait une doctrine nouvelle et singulièrement étrange que la neutralité politique d'un pays entraînerait avec elle la neutralité des individus. J'avoue qu'une pareille doctrine ne me paraîtrait avoir qu'un mériter c'est d'être profondément risible.

Oui, le pays est neutre ; il a été créé neutre par la conférence, qui a fondé cette neutralité comme une garantie de son indépendance vis-à-vis de l'étranger. Mais en résulte-t-il que chaque habitant du pays soit condamné à la neutralité dont le pays lui-même est frappé ?

- Voix à gauche. - Oh ! oh !

M. B. Dumortier. - Oh ! oh ! tant qu'il vous plaira, mais l'argument que l'on tire de notre neutralité politique, vos rires me le prouvent, pour arriver à celle des individus, n'a d'autre mérite que d'être ridicule. Les Belges ont autre chose que le traité des 24 articles pour leur droit public interne : ils ont la Charte de leur liberté, la Constitution, et cette Charte porte que la liberté individuelle est garantie ; c'est là la base fondamentale des droits des citoyens. Sont-ce là, messieurs, les conditions sous lesquelles a été fait le Code de 1804 ? Mais est-ce que, par hasard, en 1804 on vivait sous le régime de la liberté individuelle ? (Interruption.) Savez-vous ce qu'il y avait à cette époque ? Un régime oppresseur et tyrannique qui faisait de tout homme un soldat, de tous les hommes de la chair à canon, au profit de la gloire de l'Empire. Les libertés individuelles n'existaient pas même de nom.

Mais la Belgique n'est pas du tout dans de semblables conditions, et quand j'entends l'honorable membre venir nous dire que la neutralité des habitants est commandée par tous les Etats, je lui demanderai d'aller voir dans les Etats libres, d'aller en Amérique, en Angleterre, dans tous les pays libres enfin, si un citoyen qui, dans son pays, a rempli les devoirs de la milice conformément aux lois de ce pays, n'a pas le droit d'aller prendre part ailleurs que chez lui, à la défense des opinions qui sont pour lui sacrées.

(page 476) Mais pourquoi donc s'effaroucher ? Eh, mon Dieu ? de quoi s'agit-il ? Un certain nombre de Belges, appartenant même à des familles élevées du pays, sont partis pour la défense d'une cause qu'ils croyaient juste et que je considère comme sacrée, l'indépendance de leurs croyances unie à celle du droit de petites nationalités contre l'oppression d'un tyran qui voulait les annexer à son territoire. Eh bien, ces Belges ont fait acte de bon citoyen, et par leur bravoure et leur courage le nom belge a enfin brillé dans les combats.

C'est la première fois, depuis 1830, que le nom belge a figuré sur un champ de bataille ; et je dis que nous pouvons éprouver un légitime orgueil quand nous songeons au courage dont ils ont fait preuve à Castelfidarde. Et aujourd'hui, quel est le principal défenseur de l'artillerie maritime de Gaëte, qui vient de mettre en quelque sorte hors de combat cette flotte qui venait l'attaquer pour détrôner un souverain ? Je le dis à l'honneur de mon pays, c'est un Belge, un ancien officier de notre armée, et je suis fier de pouvoir le signaler en cette circonstance.

Eh bien, quand je vois des hommes de mon pays recueillir ainsi en pays étranger un honneur qui rejaillit sur leur propre patrie, en prenant la défense du droit contre la violence, la défense de peuples qui ne veulent point subir le joug de l'annexion sous lequel l'usurpateur veut les asservir ; je dis qu'ils n'ont point posé un acte répréhensible contre la nationalité ; je dis que ces hommes, ces Belges seraient les premiers à entrer en lutte pour la défense de leur patrie. Il est par conséquent inutile de se montrer si rigoureux envers des hommes dont le seul tort est d'avoir été prendre la défense du droit des gens contre la violation du droit des petites nationalités, qui est le nôtre, contre l'ambition des grands Etats qui veulent absorber leurs voisins, alors que la loi qu'on leur oppose a été faite pour un régime qui ne ressemble en rien au régime de liberté que le Congrès a donné au pays en décrétant les grands principes de la Constitution.

M. De Fré. - Je n'ai demandé la parole que pour faire une seule observation à l'honorable M. Dumortier. La question qui se présente devant le Chambre est celle-ci : Y a-t-il lieu de changer le Code civil ? L'honorable M. Orts répond : Moins que jamais, et il vous l'a prouvé. La neutralité de la Belgique et la situation de l'Europe ne nous le permettent point. Moins que jamais, le pays doit favoriser l'intervention armée de ses enfants dans des conflits européens, pour éviter des représailles de la part des puissances qui out garanti notre neutralité.

La question est très simple. Mais l'honorable M. Dumortier est venu nous parler de tout autre chose. Je ne veux pas le suivre sur le terrain où il s'est placé ; mais je dirai à l'honorable membre : Prenez-y garde ; ne venez pas défendre dans le parlement belge ceux qui sont allés soutenir un régime qui nous est antipathique... (Interruption.) Prenez garde qu'on ne dise que vous n'avez pas pour nos principes constitutionnels autant d'amour que vous le dites sans cesse.

En effet, que s'est-il passé ? On a vu sortir du pays des jeunes gens qui sont allés soutenir à l'étranger un régime qui est l'antipode du régime belge, qui en est la négation et la condamnation. On se demande si ceux qui ont défendu un pareil régime sous les murs d'Ancône peuvent avoir un grand amour pour le régime de la libre Belgique. Cependant vous les glorifiez ici.

Eh bien, vous avez tort, permettez-moi de vous le dire, vous avez tort, M. Dumortier, vous l'homme libéral de 1830 et du Congrès.

- Plusieurs voix. - Non ! non ! pas du Congrès !

M. De Fré. - Vous avez tort de glorifier ceux qui vont à l'étranger soutenir un principe qui n'est pas un principe constitutionnel belge, mais qui est la négation de tout ce que nous aimons, de tout ce que nous défendons, de tout ce que vous, grand patriote, devez défendre vous-même. Oui, il y a de l'imprudence de la part de votre parti, à venir dans ce parlement prendre une pareille attitude.

Le régime que vos jeunes amis, esprits convaincus mais égarés, sont allés soutenir en Italie, est le régime qui a foudroyé notre Constitution, dont vous vous dites toujours le plus sincère, le plus chaleureux défenseur. J'engage donc l'honorable M. Dumortier et son parti à ne pas descendre sur un terrain où il s'expose, en glorifiant ses amis à méconnaître notre Constitution qui fait notre existence morale et politique.

M. Notelteirs, rapporteur. - Messieurs, il ne s'agit pas de porter atteinte au code civil ni de changer l'article 21 ; il s'agit purement et simplement de savoir s'il y a opportunité oui ou non d'accorder une amnistie jusqu'à une époque certaine, déterminée, à ceux qui ont pris du service militaire à l'étranger sans l'autorisation du Roi.

M. de Theux. - J'engage la Chambre à ne pas se montrer susceptible de craintes qui seraient de nature à porter atteinte à notre considération, à notre indépendance. Un grand empire ne se montre pas si ombrageux, il permet les enrôlements, les départs pour les Etats romains ; il ne faut pas reculer devant l'expression nette de la chose.

La position du Belge n'est pas autre que celle des habitants des pays qui ne sont pas sous le régime de la neutralité ; nous acceptons cette neutralité comme garantie de votre nationalité ; mais nous ne voulons rien y ajouter ; dans le cercle de la neutralité, nous voulons maintenir notre indépendance.

Depuis quand la Belgique devrait-elle s'alarmer de ce que quelques citoyens vont à l'étranger prendre du service quand le gouvernement n'a aucun intérêt à s'y opposer, quand la patrie n'a aucun intérêt à s'y opposer ? Les Etats-Romains ne sont pas les seuls où des Belges ont pris du service ; beaucoup de nos concitoyens ont pris du service dans d'autres pays où leurs services sont plus compromettants au point de vue international.

Les Belges peuvent aller là où il leur plaît, pourvu qu'ils ne portent pas les armes contre leur patrie, sans enfreindre les principes généraux ; ces droits, conservons-les intacts, ne nous laissons pas dominer par de vaines frayeurs, nous pourrions devenir la risée d'un pays voisin qui ne s'en montre pas susceptible.

M. B. Dumortier. - L'honorable député de Bruxelles a prétendu que les principes que j'avais l'honneur d'énoncer tout à l'heure, n'étaient pas des principes belges. Comment ! le principe de l'indépendance des nationalités n'est pas un principe belge. Mais c'est le premier de tous les principes ; est-ce que la Belgique, avant de fonder sa liberté, n'a pas constitué sa nationalité ?

Est-ce que le Congrès constituant n'a pas décrété que la Belgique constituerait un Etat indépendant, avant de s'occuper de ses libertés ? La liberté du citoyen est sans doute fort importante, mais la liberté de la patrie, voilà la première de toutes les libertés, et c'est celle que défendent les Etats italiens contre le ravisseur qui veut les annexer à ses Etats.

Qu'ont fait, après tout, les hommes que vous condamnez ? Ils ont pris la défense du pays qu'on voulait envahir, d'un royaume séculaire qu'on voulait faire disparaître de la carte de l'Europe, et cela dans un esprit de conquête, d'envahissement dangereux pour la Belgique elle-même. Comment ! quand je viens vous parler de liberté, j'ai le droit de vous demander si c'est de la liberté, chez les hommes auxquels vous faites allusion et qui ont vos sympathies, de fusiller en masse, comme on le voit dans ce pays, les habitants dont tout le crime est de vouloir conserver leur nationalité.

S'il se trouve des Belges disposés à défendre ce principe du droit public, du droit des nationalités, ils font acte de bons citoyens et en se vouant à la défense d'un pareil principe, ils posent des actes en faveur de notre propre nationalité.

Je conçois vos éloges sont pour ceux qui, dans les Abruzzes, veulent imposer au pays un pouvoir despotique au moyen des fusillades ; vos éloges sont pour le spectacle sanguinaire et barbare de ceux qui versent le sang des citoyens pour opérer des annexions que le pays repousse.

Mes sympathies ne sont pas de ce côté. Elles sont pour les peuples qui veulent conserver leur nationalité, la liberté de leur patrie. Qu'ils aient ou qu'ils n'aient pas la liberté politique, c'est là une chose secondaire ; la première chose, c'est la liberté du pays, l'indépendance du pays. Voilà comment j'entends le patriotisme, et pour moi, j'aimerais mieux être esclave sur le sol de la patrie que libre sous un gouvernement étranger !

M. Orts. - Messieurs, en définitive, je demande une chose fort simple, je demande l'application des lois du royaume ; de la loi, chose respectable avant toute autre et pour tous ; de la loi, que personne n'a demandé de changer, que la commission ne propose pas même de changer. La commission se borne à solliciter une amnistie non motivée et générale pour une désobéissance dont elle ne cite pas l'excuse.

- Plusieurs voix. - Ce n'est pas une désobéissance !

M. Orts. - C'est une désobéissance à la loi du pays et une désobéissance coupable, car la loi commine une peine contre celui qui l'enfreint. (Interruption.)

L'article 21 du Code civil défend de prendre du service à l'étranger sans l'autorisation préalable du Roi ; celui qui a contrevenu à la défense est frappé d'une peine : la perte des droits de citoyen belge. (Interruption.) Il y a défense de la loi, il y a eu désobéissance, il n'y a pas lieu à amnistie.

Je ne nie pas, la faculté pour l'autorité belge, quand il s'agit de cas excusables, d'accorder des grâces individuelles, cela suffit ; si l'autorité (page 477) voit qu'il y a lieu d'user de l'indulgence, ce n'est pas moi qui la blâmerais : je respecte la loi quand elle accorde le pouvoir de faire grâce, comme je la respecte quand elle commande de punir.

Imitez-moi au lieu de m'interrompre. La Chambre est précisément l'autorité qui, la première, appréciera, quand on s'adressera à elle pour solliciter cette grâce, et ce n'est pas moi qui me montrerai plus sévère que d'autres ; mais si j'incline à pardonner, je ne veux pas d'amnistie, parce que.l'amnistie spontanée est une prime à la désobéissance et l'abdication de la loi.

On dit que dans les pays libres la liberté comporte le droit de s'enrôler a- delà des frontières, sous le drapeau de n'importe quelle cause. Sans doute : des pays libres existent, qui se déclarent impuissants à défendre pareils enrôlements, l'Angleterre est de ce nombre. Mais je ne sais si l'Angleterre n'est pas à regretter l'extrême imprévoyance, l'extrême indulgence dont elle a usé en cette matière. Ce que je sais, le voici : des pays qui avaient pratiqué longtemps comme une sorte d'industrie nationale les enrôlements pour l'étranger, reconnaissent aujourd'hui leur tort et les défendent.

M. B. Dumortier. - Dans les pays despotiques.

M. Orts. - La Suisse n'est pas un pays despotique, M. Dumortier, mais une nation libre et neutre ; la Suisse regrette aujourd'hui ce qu'elle a fait sous ce rapport dans des temps antérieurs. Elle comprend que ce système, pour elle, en définitive, une question d'argent et non une question de sentiment, a compromis et compromet encore sa neutralité. Elle vient de le proscrire. Il est défendu aux Suisses d'entrer au service des puissances étrangères. Et la Suisse, je le répète, est un pays neutre, la Suisse est un pays libre, la Suisse est un pays qui a le sentiment de la dignité personnelle du citoyen, comme le sentiment de la dignité de la patrie.

Vous dites que l'intérêt belge ne commande pas le maintien de la prohibition dont il s'agit. Oui, lorsque nous avons promis à l'Europe d'être neutres nous avions débuté par affirmer notre indépendance ; que prouve l'objection ? que comporte l'indépendance des nations ? L'indépendance donne le droit aux nations de faire chez elles ce qu'elles veulent en dehors de toute pression, en dehors de toute intervention étrangère. Mais, à côté de ce beau droit, qu'on appelle l'indépendance, il faut accepter les devoirs corrélatifs, il faut accepter le devoir de ne pas faire chez les autres ce que vous ne voulez pas qu'on vienne faire chez vous.

Vous qui excitez les Belges à servir dans les luttes armées à l'étranger, accepterez-vous volontiers des enrôlements d'étrangers venant se mêler chez nous à de pacifiques querelles de partis, par exemple ?

M. B. Dumortier. - Vous avez en Belgique une quantité d'officiers étrangers.

Ml Ortsµ. - Les officiers étrangers qui sont dans notre armée appartiennent à deux catégories et je vous défie d'en trouver en dehors.

Les officiers de la première catégorie, et je ne sais s'il en existe encore aujourd'hui, sont ceux que la législature a appelés elle-même au service temporaire de la Belgique, d'accord avec leur propre gouvernement.

M. B. Dumortier. - Il sont venus en 1830.

\1. Ortsµ. - La Belgique a, par un acte de la législature, réclamé le concours d'officiers étrangers, et c'est la première fois qu'ils sont arrivés régulièrement.

Les officiers de la seconde catégorie ont obtenu la naturalisation ; ils sont Belges.

L'honorable M. Dumortier paraît croire que les objections que je soulève aujourd'hui, que les critiques présentées par un honorable député de Bruxelles et par moi, ont uniquement en vue certains enrôlements, certaines prises de service à l'étranger qui se sont produites dans des circonstances récentes et qu'il a signalées. L'honorable membre se trompe en ce qui me concerne. Je comprends les devoirs de la neutralité, d'une manière générale et absolue. Je blâme ceux qui, sans obéir aux lois nationales, vont servir sous Garibaldi, comme ceux qui vont combattre à Gaëte ; je blâme plus encore ceux qui, en pleine paix, vont prendre du service dans les légions étrangères, au lieu de réclamer dans leur propre pays une part du fardeau de la défense nationale.

Je blâme surtout ces Belges allant chercher au loin une épaulette étrangère pour l'unique motif qu'ils la croient plus brillante que l'épaulette belge.

Ah ! messieurs, si j'avais un fils destiné à la noble carrière des armes, si j'avais l'honneur de porter un nom historique, je voudrais voir ce fils officier belge et j'en serais plus fier mille fois que de le savoir officier papal, prussien ou autrichien. Voilà ce que je blâme.

Je demande que nos lois soient uniformes pour tous les citoyens ; je demande qu'elles soient respectées, je ne veux pas qu'elles abdiquent, qu'on les condamne à l'impuissance par une indulgence dangereuse au point de vue politique.

Vous dites que tous ces Belges reviendront au premier appel de la patrie. Je désire que l'honorable M. Dumortier ait raison. Je désire me tromper, mais je doute.

Lorsque des Belges sont allés chercher du service militaire à l'étranger assez oublieux de ce qu'ils doivent à leur patrie pour ne point prendre la peine de réclamer la permission de l'autorité belge avant de partir, je doute qu'ils sacrifient leurs devoirs nouveaux, leurs serments, la position qu'ils auront acquise à l'étranger au souvenir d'une nationalité volontairement abdiquée.

Je désire, je le répète, que l'événement me démente.

La théorie de l'honorable M. de Theux, qui nous a habitués à l'expression d'idées justes et sages, m'a paru extrêmement dangereuse ; elle conduit à des conséquences qu'il n'a certainement pas entrevues. L'honorable membre partage aussi cette croyance que l'indépendance doit nous permettre à nous Belges d'aller à volonté prendre part à toutes les querelles militaires qui se débattent au-delà de nos frontières ; qu'il est beau pour des Belges de quitter leur pays, d'aller, les armes à la main, défendre leurs principes et leurs croyances, soutenir les petites nationalités contrôles grandes.

Tout cela est très beau en théorie. Mais l'honorable M. de Theux est un homme pratique et il n'y a pas réfléchi. Avec ce système accepté comme base, nous sommes une menace permanente pour toutes les nations de l'Europe, ni plus, ni moins (Interruption.)

Oui, messieurs, si l'on a le droit de faire des enrôlements pour aller défendre Gaëte ou Rome, si l'on a le droit de se concerter, de se réunir, de s'exercer ; de se garnir la valise de munitions, et la poche d'argent avant de partir pour défendre le pape ou la nationalité napolitaine, qui empêche de faire la même chose au nom de l'indépendance, de la nationalité de la Hongrie ou de la Pologne ?

M. B. Dumortier. - Nous en avons le droit.

M. Orts. - C'est possible ; mais croyez-vous, M. Dumortier, que lors même que nous en aurions le droit, nous ferions une chose bien prudente, un acte de bon patriote belge, en usant de ce droit ? Que diriez-vous, si nous allions tolérer aujourd'hui la formation d'une légion hongroise, d'une légion polonaise à la frontière prussienne.

M. B. Dumortier. - C'est autre chose.

M. Orts. - Ah ! c'est autre chose ! Et vraiment les Hongrois et les Polonais n'ont-ils pas une nationalité ? N'ont-ils pas une patrie ? Mais ce qui est vrai à Gaëte est vrai à Varsovie et à Pesth, ce qui est vrai Rome est vrai dans le grand-duché de Posen. N'entrez pas dans toutes ces distinctions, monsieur, le terrain est mortel. Si nous vous y suivions, nous nous y perdrions ensemble et, ce qui est mille fois pis encore, nous perdrions avec nous la patrie.

M. B. Dumortier. - Je dois quelques mots de réponse à ce que vient de dire l'honorable M. Orts. Il est vraiment étrange que parce que je soutiens que les Belges ont la liberté individuelle et peuvent en user comme ils veulent, l'honorable membre veuille faire croire que je pousse les choses jusqu'à prétendre que l'on pourrait organiser, sur le sol belge, des légions contre les nations étrangères. Ce sont là deux choses qui ne se ressemblent pas du tout.

Tout individu a le droit, en vertu de sa liberté individuelle, de faire ce qu'il veut, et il y a quelque chose au-dessus du code Napoléon que cite l'honorable membre, il y a la Constitution qui garantit la liberté individuelle. Mais il ne s'agit plus de liberté individuelle, quand vous formez des légions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est le droit d'association.

M. B. Dumortier. - Il n'y a pas d'association militaire dans nos lois. Former des régiments, c'est faire un acte qui n'est plus un acte personnel, un acte individuel ; c'est un acte politique. La liberté est donnée aux individus et non aux collections d'individus.

L'honorable membre veut donc me faire dire tout autre chose que ce que j'ai dit. Je soutiens qu'en Belgique ceux qui parlent tant de liberté doivent commencer par l'accorder aux individus. Lorsque le Code a été fait, nous étions dans un ordre d'idées complètement différent de celui que la Constitution a créé. Le Code a été fait pour un régime despotique et non pour un régime de liberté. Mais, en Belgique comme en Angleterre, tout citoyen est libre ; il peut, selon ses impressions, selon ses (page 478) convictions, faire ce qu'il veut en dehors du pays, pourvu qu'il n'attente pas au droit des gens et qu'il n'use que de sa liberté individuelle.

M. Thibaut. - Je crois, messieurs, que l'on veut condamner les développements dans lesquels est entré l'honorable rapporteur et les discours prononcés par d'honorables membres de la droite par un ordre du jour qui serait appliqué à une pétition qui ne le mérite pas.

Que demande la pétition ? Elle demande qu'il soit pris une mesure pour que les Belges ne prennent du service militaire à l'étranger sans autorisation du roi, qu'après avoir été prévenus que ce fait doit entraîner la perte de leur nationalité. Qu'y a-t-il de blâmable dans cette pétition ? Le pétitionnaire nous adresse cette demande dans l'intérêt des jeunes gens qui prennent du service à l'étranger, et vous déclareriez par l'ordre du jour qu'il a fait une chose non seulement inutile, mais blâmable ?

La majorité peut ne pas approuver les discours prononcés par les membres de la minorité ; mais elle doit au moins respecter le droit de pétition.

Je demande le dépôt de la pétition au bureau des renseignements.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je crois qu'il est bon que tous les Belges sachent que lorsqu'ils vont prendre du service à l'étranger sans l'autorisation du Roi, ils perdent leur qualité de Belge. C'est le Code civil qui le dit, nous ne pouvons pas le méconnaître. Qu'ils soient donc prévenus des conséquences de l'acte qu'ils posent rien de mieux, en tant qu'on puisse supposer qu'un citoyen belge ignore la loi. Maintenant que le gouvernement use d'indulgence envers ceux qui vont servir ailleurs la cause qui répond le mieux à leurs convictions, c'est mon avis ; il m'est difficile de ne pas accorder mes sympathies à l'homme de conviction qui va défendre ailleurs la cause qu'il serait prêt à défendre chez lui. Mais, messieurs, la loi oblige le gouvernement ; il doit considérer comme ayant perdu la qualité de Belge celui qui a posé cet acte que, pour ma part, je ne blâme pas mais quand cet homme revient dans ses foyers, le gouvernement a deux partis à prendre : d'abord il peut l'autoriser à rentrer ; à la rigueur, cet individu ne pourrait pas rentrer dans le pays sans l'autorisation du gouvernement, mais en général le gouvernement ferme les yeux, et les Belges qui ont servi, non pas seulement en Italie dans tels ou tels rangs, mais en Espagne, en Portugal ont généralement été autorisés tacitement à rentrer en Belgique. Si après cela ils veulent jouir de leurs droits de Belges, le gouvernement ne peut les admettre ; il faut qu'ils demandent à la Chambre la naturalisation, et je pense qu'en règle générale sur tous les bancs de la Chambre une telle demande serait accueillie.

Je ne crois pas, messieurs, que les individus quittant isolément le pays pour aller servir ailleurs la cause qui répond à leurs convictions, je ne crois pas que ces individus, ne posant que des actes personnels, puissent compromettre la neutralité du pays. Il en serait autrement si, comme on vient de le dire, le pays devenait le siège de recrutements considérables : s'il se formait en Belgique des compagnies, des bataillons, des légions pour aller combattre dans un autre pays ; des actes semblables il faudrait les réprimer.

Mais quant aux Belges qui vont risquer leur vie pour servir la cause qu'ils croient la meilleure, je crois que quand ils agissent individuellement, il faut leur en laisser la faculté. Ils font le sacrifice éventuel de leur nationalité, mais ils peuvent la récupérer plus tard, et quant à moi, s'ils n'ont pas démérité, je m'associerai toujours à ceux qui voudront la leur rendre.

M. Guilleryµ. - Messieurs, je ne félicite pas M. le ministre de l'intérieur du succès oratoire qu'il vient d'obtenir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne cherche pas de succès oratoires ; je vous en laisse l'honneur.

M. Guilleryµ. - Je reconnais volontiers que M. le ministre n'a pas cherché ce succès ; il lui est arrivé naturellement ; il lui est arrivé de la droite et, je dois le dire, pour mettre à couvert la modestie de M. le ministre, c'est plutôt au fond qu'à la forme qu'il était dû : c'est, du reste, le seul succès enviable, le seul durable.

Je respecte, comme l'honorable ministre de l'intérieur, toutes les opinions et tous les hommes qui agissent d'après une conviction intime et profonde, et surtout ceux qui restent fidèles à leurs convictions. Mais je ne voudrais pas qu'il fût dit que, dans une Chambre belge, il n'y a eu des paroles de sympathie que pour ceux qui sont allés défendre le plus détestable des gouvernements.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Permettez, ce n'est point là le sens de mes paroles.

M. Guilleryµ. - Je n'impute pas à M. le ministre de l'intérieur ce qu'il n'a pas dit. Il y a eu, de la part d'un membre de la droite, des paroles de sympathie pour les hommes dont je viens de parler ; M. le ministre de l'intérieur n'a pas combattu ces paroles et il n'y a pas adhéré ; mais il a parlé de sa bienveillance pour ceux qui défendent leurs convictions, et il a témoigné l'intention de leur accorder toute son indulgence.

C'est-à-dire qu'en réalité l'article 21 du code civil est complètement supprimé pour ces personnes, pour ceux qui sont venus en Belgique recruter des légions dans le but d'aller défendre le plus mauvais des gouvernements qui soit connu dans l'histoire. (Interruption.) Mais, MM. de la droite, vous avez témoigné vos sympathies, je puis bien témoigner mes antipathies. Vous avez qualifié le roi Victor-Emmanuel de tyran et vous avez fait l'éloge d'un gouvernement qui ne s'appuie que sur les bastilles, les prisons d'Etat, et qui fait figurer la torture dans son code d'instruction criminelle.

Il ne sera pas dit que dans le parlement belge il n'y aura de protestations qu'en faveur d'un gouvernement auquel nous devons l'encyclique de Grégoire XVI qui a dit que le liberté examen est le délire de la liberté. Croyez-vous donc, M. Dumortier, que vous pourrez, sans être contredit, insulter dans cette enceinte à la plus noble cause qu'il y ait dans le monde, à la cause de l'Italie ! Il ne s'agit pas ici d'annexions comme celle dont nous pourrions être menacés et qui serait la violation des droits les plus sacrés qu'il y ait en Europe, la violation, avant tout, du vœu unanime de la nation belge ; les annexions qui ont lieu en Italie sont faites en vertu du vœu manifeste des populations. (Interruption.)

Ceux qui ont combattu le gouvernement du pape ont été inspirés par les vœux des populations.

Oui, je respecte les hommes qui défendent leur nationalité et ceux qui défendent le vœu des populations, mais je considérerai toujours comme la chose la plus odieuse que je puisse imaginer, d'empêcher, à l'aide d'une force étrangère, les peuples de jouir d'institutions conformes aux principes de liberté gravés au fond de leur cœur, comme ils sont gravés au fond du nôtre.

Oui, je partage l'opinion de M. le ministre de l'intérieur et celle de M. Orts sur l'indulgence qu'il faut témoigner, en toute circonstance, à ceux qui ont pu se tromper. Je désire, comme l'honorable M. Orts, que la Belgique et les Belges respectent le principe de la neutralité. Mais si nous devions en sortir, ce serait en faveur de la cause de la liberté du monde et non pas en faveur des nombreux abus qui existent dans le royaume de Naples et dans les Etats de l'Eglise. Dans la grande lutte à laquelle nous assistons, entre le vieux droit qui s'écroule et la liberté qui s'élève, c'est pour la cause de la liberté que nous saurons, au besoin, verser notre sang ; c'est à la cause de la liberté que nous consacrerons, nous Belges, ce qu'il y a en nous de plus grand, de plus noble, de plus généreux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne sais pas si mon discours a mérité les applaudissements de la droite ; je regretterais beaucoup de ne pas rencontrer au même titre les adhésions de la gauche.

Je crois m'être exprimé en bon et vrai libéral. Je n'ai pas pris le parti de ceux qui sont allés servir la cause du pape, j'ai pris le parti de tous ceux qui allaient soutenir des causes conformes à leurs convictions.

Ici, je ne distingue pas entre les papistes et les libéraux. Nous avons des Belges qui ont servi dans les armées piémontaises, dans l'armée italienne, qui ont servi la cause de la liberté en Espagne ou en Portugal. On sait de quel côté sont mes sympathies, je ne les ai jamais dissimulées, mais en accordant mes sympathies aux Belges qui professent mes opinions politiques, je ne refuse ni mes sympathies, ni mon estime à ceux qui, appartenant à d'autres opinions, vont verser leur sang pour le triomphe de ces opinions. Je crois qu'une pareille déclaration doit obtenir une adhésion unanime sur les bancs de la gauche.

M. de Theux. - Messieurs, on a parlé tout à l'heure de neutralité. Assurément on ne compromet en aucune manière la neutralité belge en infligeant un blâme plus ou moins sévère à des gouvernements lointains et faibles. Mais si de pareilles attaques se produisaient habituellement dans le parlement à l'égard d'une nation voisine et forte, je ne crains pas de dire que notre pays deviendrait suspect et se mettrait dans une position dangereuse.

Messieurs, n'exagérons rien, il y a certes des gouvernements qui n'ont pas nos sympathies, mais la Chambre entière s'est bien gardée de les flétrir et de les injurier.

Je sais qu'on peut invoquer les usages du parlement d'Angleterre, Mais la position est tout à fait différente. L'Angleterre est une des plus (page 479) grandes puissances du monde, elle vit dans son île, et là, ses habitudes autorisent tout, autorisent même à flétrir la brave armée belge de la manière la plus scandaleuse. Là aussi, on flétrit les gouvernements puissants et forts, mais l'Angleterre n'a pas de neutralité à sauvegarder, elle n'a besoin de la garantie d'aucune autre puissance, elle puise sa force en elle-même. Mais ce qui serait dangereux pour la Belgique, ce seraient les errements dont on vient de poser les prémisses. J'espère que ces prémisses n'auront pas d'autres suites et qu'elles ne s'étendront pas à des cas qui pourraient nous compromettre sérieusement.

M. B. Dumortier. - Je n'ai pas attaqué les gouvernements ; j'ai défendu le droit des gens, j'ai attaqué et j'attaquerai toujours la violence ; et en attaquant la violence, je crois faire œuvre de bon patriote belge.

Comment ! lorsque je vois un gouvernement vouloir conquérir, par la force des armes, toute la Péninsule italique, ou lorsque je vois un prétendu suffrage universel amener les résultats que vous connaissez, j'irais m'incliner devant ces abus de la force contre le droit ; lorsque je vois dans ce pays une population entière se soulever pour défendre sa nationalité et sa liberté ; et lorsque j'entends, dans le parlement d'une petite nation qui doit avant tout maintenir haut et ferme le drapeau du droit des petites nationalités, lorsque j'entends flétrir et condamner la conduite des faibles qui se défendent contre les puissants, qui prétendent les asservir, je dis que je ne sais plus où je suis, je me demande si je suis dans le parlement belge.

Pour moi, je regarde comme un devoir de protester et de protester perpétuellement en faveur du droit des gens contre les annexions. (Interruption.)

Le principe contraire, c'est la mort de la Belgique ; je proteste et je protesterai toute ma vie contre les annexions.

Mon Dieu, n'avons-nous pas déjà vu en Belgique le vote universel fonctionner ? Est-ce qu'en 1793, on n'a pas fait, sous l'empire des baïonnettes étrangères, un vote d'annexion de la Belgique à un pays voisin ? Et ce vote a été émis à l'unanimité, comme il a été émis, à l'unanimité, à Naples.

Eh bien, que se passe-t-il maintenant à Naples ? La plus grande partie du royaume est mise en état de siège ; la loi martiale est proclamée partout ; nous voyons les généraux, dans des ordres du jour cruels, annoncer qu'on fusillera quiconque sera pris, les armes à la main, en défendant ses foyers, son indépendance, sa nationalité.

Et vous approuvez de pareils abus, une telle barbarie ! Je dis que le sang se révolte contre un pareil système. Et quant à moi, je ne puis assez protester contre des doctrines qui ne tendent à rien moins qu'à saper chez nous la base de tout notre édifice social, c'est-à-dire l'existence des petites nationalités vis-à-vis des grandes.

On a parlé de tortures. Eh bien, j'ai visité les prisons secrètes, les prisons d'Etat à Rome ; il n'existe dans ces prisons ni tortures, ni rien de ce qu'on vous a présenté sous un aspect si terrible. (Interruption.)

Quelques membres de la Chambre peuvent ne pas me croire ; ils croiront peut-être ceux qui n'ont pas vu. J'ai visité, je le répète, les prisons secrètes ; j'y ai vu des hommes causant ensemble, réunis ensemble et cent fois plus libres que ne le sont nos propres prisonniers.

M. Guilleryµ. - C'est le parlement de 1848 qui était en prison.

M. B. Dumortier. - Le parlement de 1848 ! Et après tout, qui donc avait établi le parlement de 1848 ? Répondez ; n'est-ce pas l'illustre pape, qui règne aujourd'hui à Rome ?

N'est-ce pas lui qui a inauguré le rétablissement de la liberté en Italie ? Et qu'est-il arrivé ? C'est que, sur les marches de son palais du parlement, on a poignardé son premier ministre, l'illustre comte Rossi. Qu'est-il encore arrivé ? C'est qu'on est venu ensuite au palais du Quirinal, tirer des coups de fusil pour assassiner le même pape, cet illustre Pie IX, qui avait rendu son pays libre, qui l'avait doté d'institutions politiques. C'est là sans doute ce que vous voudriez voir renaître.

Et voilà ce que vous appelez le plus mauvais des gouvernements, et quand de pareils faits se sont passés, vous n'avez que des flétrissures à appliquer à ce gouvernement paternel, que des vœux pour les barbares assassins et pour ceux qui voudraient asservir les petites nationalités pour piémontiser l'Italie.

Ah ! si jamais un souverain a fait quelque chose pour son peuple, c'est le saint pape qui brille sur le trône pontifical, et s'il n'est pas allé plus loin, c'est parce que le désordre s'est mis dans les Etats-Romains, c'est que l'assassinat a payé la dette de reconnaissance envers lui. Il fallait choisir entre le régime de l'ordre et celui de la terreur et du sang, et pour moi, j'aime mieux le régime de douceur qui règne dans ce pays que le régime de tyrannie qui règne dans d'autres, encore que cette tyrannie s'y exerce sous le nom trompeur de liberté.

La liberté qui assassine et qui nage dans le sang, la liberté qui fusille et qui massacre, cette liberté hideuse, celle du poignard et de la terreur, c'est celle du Jacobinisme, et je vous la laisse tout entière. Ma liberté c'est celle du droit, je n'en veux pas d'autre et si dans un moment d'erreur elle peut être abandonnée pour faire place à d'odieuses saturnales, rappelez-vous que la véritable liberté n'est jamais sortie des massacres et du sang, précurseurs infaillibles du despotisme et de la tyrannie.

M. Orts. - Messieurs, je ne puis laisser sans un mot de réplique les paroles de M. le ministre de l'intérieur. Ces paroles ont été acceptées par une partie de cette Chambre comme un désaveu des miennes ; cela est incontestable ; elles ont été applaudies uniquement à ce titre, par toute la droite : Personnellement, je suis convaincu que M. ministre de l'intérieur n'a rien voulu dire de désobligeant pour moi, mais je tiens à le constater.

Je suis heureux d’apprendre aussi que M. le ministre de l'intérieur professe des sympathies si larges pour les Belges qui, par dévouement et enthousiasme, vont prendre du service à l'étranger. Je suis heureux surtout qu'il puisse avouer si hautement et si énergiquement ses sympathies à la tribune nationale sans craindre de compromettre aucun intérêt belge.

J'admire avec lui le courage de ceux qui se dévouent aux grands causes ; je n'y suis pas moins sympathique. Je n'ai demandé qu'une chose, c'est de substituer à l'amnistie réclamée, le mode de procéder qui a toujours été suivi en pareille circonstance, l'observation de la loi belge.

Je demande enfin, au nom de la logique et de l'équité, que M. le ministre de l'intérieur, puisqu'il pense qu'un Belge peut sans compromettre les intérêts belges aller servir à main armée des causes étrangères...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Individuellement.

M. Orts. - Que M. le ministre veuille bien user de la même bienveillance, de la même tolérance, de la même appréciation à l'égard des étrangers résidant en Belgique. Je demande en conséquence qu'à l'avenir quand des colonels hongrois seront appelés de Belgique à l'étranger pour consacrer leur bras et leur épée à l'affranchissement de leur patrie, qu'à tort ou à raison, ceci les regarde et ne nous regarde pas, ils croient opprimée, que grâce à M. le ministre de l'intérieur, M. le ministre de la justice ne se mette plus en travers.

M. le président. - La proposition de l'honorable M. Orts est-elle maintenue ?

M. Orts. - Oui !

M. le président. - Je vais la mettre aux voix.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal !

Il est procédé à l'appel nominal.

77 membres y prennent part.

44 adoptent.

33 rejettent.

Ont répondu oui : MM. Devaux, de Vrière, Dolez, Frère-Orban, Frison, Goblet, Grosfils, Guillery, Hymans, Jacquemyns, Jamar, Lange, Moreau, Mouton, Muller, Nélis, Neyt, Orban, Orts, Pirmez, Rogier, Saeyman, Tesch, A. Vandenpeereboom, Vanderstichelen, Van Humbeeck, Van Leempoel de Nieuwmunster, Vervoort, Crombez, Dautrebande, David, de Baillet-Latour, de Bast, de Boe, de Bronckart, de Brouckere, de Florisone, De Fré, de Gottal, de Lexhy, de Moor, de Paul, de Renesse, de Ridder et E. Vandenpeereboom.

Ont répondu non : MM. B. Dumortier, H. Dumortier, d'Ursel, Janssens, Landeloos, le Bailly de Tilleghem, Magherman, Mercier, Notelteirs, Nothomb, Rodenbach, Royer de Beer, Snoy, Tack, Thibaut, Thienpont, Vander Donckt, Van Dormael, Van Overloop, Van Volxem, Vermeire, Verwilghen, Vilain XIIII, Wasseige, Coomans, de Liedekerke, de Mérode-Westerloo, de Naeyer, de Ruddere de Te Lokeren, Desmaisières, de Smedt, de Terbecq et de Theux.

En conséquence, l'ordre du jour est adopté.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - L’ordre du jour de demain appelle en premier lieu la pétition d'anciens employés des taxes communales à Namur.

- Plusieurs voix. - A mardi ! à mardi !

M. Vervoort. - Dans tous les cas, quel que soit le jour de la prochaine séance, je propose à la Chambre de faire porter à l'ordre du jour la discussion du titre IX, livre II du Code pénal dont le rapport a été déposé il y a quelque temps.

(page 480) M. le président. - Je propose d'inscrire en première ligne à l'ordre du jour la pétition d'anciens employés des taxes communales de Namur, et ensuite le projet de loi concernant les caisses d'épargne et de retraite.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne pense pas qu'il entre dans les intentions de la Chambre de commencer, soit demain, à la fin de la séance, soit mardi la discussion du projet de loi sur les caisses d'épargne, alors qu'il faudrait l'interrompre mercredi pour le second vote du projet de loi sur les jurys d'examen dont la discussion se prolongera peut-être pendant quinze jours.

M. Vervoort. - Je demande qu'on statue sur ma proposition.

M. le président. - M. Vervoort demande de porter à la fin de l'ordre du jour la discussion du titre IX, livre II du Code pénal. Il faudrait que la Chambre se prononçât sur ce point.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voici ce qui me semble pouvoir être fait.

La discussion du titre IX, livre II du Code pénal qui est proposée ne paraît pas de nature à durer longtemps. Mon collègue de la justice s'est mis en rapport avec l'honorable M. Pirmez, et la discussion peut être ouverte sur cet objet.

On pourrait donc le mettre à l'ordre du jour de demain s'il y a séance ou, sinon, à l'ordre du jour de mardi.

M. le président. - L'ordre du jour sera donc fixé de la manière suivante :

Pétition d'anciens employés des taxes communales à Namur ;

Interprétation de l'article 87 de la loi du 8 mai 1848 sur la garde civique ;

Discussion du titre IX, livre II, du Code pénal ;

Puis le projet de loi sur la caisse d'épargne et de retraite.

- La séance est levée à cinq heures.