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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 12 décembre 1861

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862)

(page 237) (Présidence de M. Vandenpeereboom, premier vice-présidentµ.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Moor, secrétaire, procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. de Boe, secrétaire, lit le procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Boe, secrétaire, présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Pierlot-Gerard présente des observations sur le chemin de fer projeté de Bastogne à Longlier et Sedan, et demande que la préférence soit accordée au tracé de Longlier sur Grandevoir, Petitvoir, Orgeo, Bertrix, la vallée des Munos, l'Englé et Bouillon. »

M. de Moor. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions avec demande d'un prompt rapport. Une décision semblable a été prise par la Chambre sur toutes les pétitions qu'elle a reçues précédemment et qui se rattachaient au même objet.

- Adopté.


« Le sieur Mosselman, brigadier de gendarmerie pensionné, demande la révision de sa pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des éleveurs et cultivateurs, dans le Hainaut, prient la Chambre de rétablir au budget de l'intérieur le crédit destiné au développement des courses de chevaux.

« Même demande d'éleveurs et de cultivateurs dans la Flandre orientale. »

M. de Baillet-Latour. - J'appuie ces pétitions et je demande qu’elles soient déposées sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.

M. Gobletµ. - J'appuie également ces pétitions et je m'associe à la proposition de l'honorable M. de Baillet-Latour.

M. de Montpellier. - J'appuie, de mon côté, ces pétitions, et j'appelle sur ce point toute l'attention de M. le ministre de l'intérieur.

- La proposition de M. de Baillet-Latour est mise aux voix et adoptée.


« Des facteurs des postes à Néchin demandent une augmentation de traitement. »

« Même demande de facteurs de postes à Wellin. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l'examen du budget des travaux publics.


« Par 26 pétitions, des ouvriers à Gand demandent qu'il soit pris des mesures pour empocher l'accaparement des grains et d'autres denrées alimentaires. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


«. Le conseil communal de Coursel demande une loi qui fixe le minimum des traitements des secrétaires communaux. »

- Même renvoi.


« Des ouvriers à Cruyshautem demandent qu'il soit pris des mesures pour maintenir le travail dans les ateliers, diminuer la cherté des vivres et réduire les impôts qui frappent le plus lourdement sur la consommation. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dublin appelle l'attention de la Chambre sur des actes de donation faits au profit d'un incapable et sur la cotisation de quelques fonctionnaires publics en faveur d'une société politique. »

- Même renvoi.

Projet d’adresse

Discussion des paragraphes

Paragraphe 19

« La loi d'organisation judiciaire était depuis longtemps attendue. La Chambre l'examinera avec la volonté sincère de prouver une fois de plus à l'un des grands pouvoirs de l'Etat, ses sentiments sympathiques. »

- Adopté.

Paragraphe 20

« Une session qui doit être féconde en résultats utiles s'ouvre devant nous, Sire. Pour conquérir ces résultats, la modération et la fermeté qui n'exclut pas le calme, inspireront nos délibérations. »

M. de Royer de Behrµ. - Messieurs, je ne comptais pas prendre la parole à l'occasion de la discussion de l'adresse en réponse au discours du Trône.

Les débats de la Chambre sur cette question ont été déjà très longs, et je comprends que la Chambre soit désireuse d'y mettre un terme. Mais, en présence de la solennité de ce grand débat, je crois devoir rompre le silence, énoncer mon opinion sur la politique du gouvernement, et tracer la limite de l'opposition que je compte faire à cette politique. Je n'abuserai pas de la parole, de sorte que je puis d'avance réclamer la bienveillante attention de la Chambre.

Au début de la dernière session, l'honorable chef du cabinet se le rappellera, le vote de confiance eut lieu sur le budget de l'intérieur. Quelques-uns de mes honorables amis et moi crûmes devoir voter avec la majorité. Le langage de l'honorable ministre de l'intérieur était empreint d'une excessive modération. Et en effet, il ne s'agissait pas alors de loi électorale ; on n'avait pas prononcé, je pense, les mots de fondations, de bourses d'études ; et ce n'était que d'une manière incidente et bien vague, qu'on nous parlait de fabriques d'église.

On semblait, en un mot, vouloir éloigner tout débat irritant, et pour ma part, appréciant l'opportunité, la haute convenance d'une semblable politique, je lui accordai mon appui.

Les circonstances qui se passaient en Europe étaient graves et me paraissaient militer très fortement en faveur d'une politique de modération.

Maintenant, je le demanderai : Ces circonstances se sont-elles modifiées ?

Eh bien oui ! mais en se modifiant elles n'en sont devenues que plus sombres. Sans vouloir renouveler, messieurs, les discussions des précédentes séances, je rappellerai, en quelques mots, ce qui se passe à l'extérieur et à l'intérieur.

A l'extérieur, nous voyons le gouvernement du roi Victor-Emmanuel s'épuiser en vains efforts pour pacifier les provinces napolitaines.

Ce gouvernement ne dissimule plus ses intentions de s'emparer de Rome, et le parti de l'action, avec lequel il faut bien compter en Italie, déclare très hautement que, sans la Vénétie, il n'y a pas d'unification de l'Italie possible.

Or, on l'a démontré, et l'honorable M. Dechamps me semble l'avoir prouvé d'une manière péremptoire dans une lettre adressée aux journaux, c'est qu'une entreprise à main armée contre la Vénétie peut engendrer une conflagration générale.

Ces faits étaient en partie connus l'an dernier ou du moins ils étaient pressentis pour la plupart ; mais ce qui était ignoré, ce sont d'autres faits, c'est notamment la guerre qui vient d'éclater entre les Etats confédérés d'Amérique et le conflit entre l'Angleterre et les Américains, conflit dont personne dans cette Chambre ni ailleurs, n'oserait prévoir ni calculer les conséquences.

Voilà pour l'extérieur.

A l'intérieur, la situation serait-elle rassurante ?

Nous voyons un renchérissement considérable de tous les objets les plus nécessaires à la vie. Les populations, sous ce rapport sont en souffrance, on ne peut pas le nier. Les pétitions qui arrivent chaque jour à la Chambre de la part de fonctionnaires demandant des augmentations de traitement me semblent prouver cet état de souffrance que je signale.

Enfin le commerce et l'industrie subiraient inévitablement une crise terrible, si, par exemple, le conflit anglo-américain ou l'anarchie de l'Italie, provoquait une guerre européenne.

En un mot, messieurs, je vois partout l'inquiétude et l'incertitude.

Voilà la situation.

C'était le moment ou jamais de faire prévaloir une politique de modération. Mais que fait-on ? On cède aux conseils imprudents, inhabiles de quelques associations et l'on entre dans une voie où l'on ne peut que raviver les anciens dissentiments des partis.

Je demande, messieurs, si cela est sage, si cela est prudent ? Non certes.

Le pays, j'en ai la profonde conviction, répondra négativement.

Il dira qu'il aurait été préférable de s'attacher à résoudre les nombreuses questions d'intérêts matériels qui depuis longtemps déjà attendent leur solution, pendantes devant le parlement.

Le pays ajoutera qu'il aurait mieux valu se renfermer dans un tout autre cercle d'idées, et qu'en tout cas, il ne fallait pas entrer dans une voie, je dirai désastreuse, puisqu'elle conduit à diviser le pays en deux camps, à passionner les esprits, alors que l'union de tous les Belges était si désirable pour conjurer les périls qui nous menacent.

Cette conduite me semblait si nettement indiquée, qu'il y a un mois à peine, quand on parlait dans les journaux, dans les conversations, du projet du gouvernement d'entamer une politique d'agression, je disais : Non, cela n'est pas possible, cela ne peut pas entrer dans l'esprit d'hommes (page 238) d'Etat sérieux, et je fondais mou opinion sur les paroles prononcées an début de la session dernière, par M. le ministre de l'intérieur que je regrette de ne pas voir en ce moment à son banc.

Pourquoi, messieurs, ne dirais-je pas toute ma pensée ? Lorsqu'on monte à cette tribune, où règne la liberté de la parole, on est coupable de ne pas proclamer toutes les vérités qu'on croit utiles à son pays, Je n'en forme aucun doute : A mon sens, le gouvernement a été poussé dans la voie ou il s'est engagé.

Il n'y était pas convié par ses inspirations personnelles, et lorsque, dans le courant de la dernière session l'honorable ministre des finances me reprochait, qu'il me soit permis de le lui rappeler, en termes quelque peu amères, fort injustes du reste, de céder d'une manière trop absolue à l'opinion publique, il s'agissait du cours légal de l'or, que m'eût-il dit, si je m'étais levé et si j'avais, conformément à la théorie développée dans cette Chambre, il y a quelques jours, déclaré que je cédais à des entraînements de parti ? A mon avis, le gouvernement cède dans ce moment à des entraînements de parti, et je n'en veux pour preuve que les manifestes lancés dans le pays par les comités libéraux, si je ne me trompe, de Charleroi et d'Anvers.

Je le répéterai, messieurs, céder à une semblable pression est inhabile et imprudent.

Comme l'a soutenu mon honorable ami M. Vanden Branden de Reeth, le moment était surtout opportun pour provoquer l'union de toutes les forces vives de la nation.

M. le ministre des finances s'exprimait ainsi, il y a quelques jours :

« Nous voyons la minorité compacte, unie, agissant comme une seule individualité. Nous y voyons des hommes qui ont exprimé sur certains points les opinions les plus formelles, qui se sont dix fois engagés sur certaines questions économiques, se prononcer dans un sens tout à fait opposé aux sentiments qu'ils avaient d'abord manifestés, et cela pour rester d'accord avec leurs amis. S'agit-il donc là d'une minorité assermentée, de gens serviles ? Mais sans doute il n'en est pas ainsi, messieurs ; à vos yeux ces hommes agissent dans toute la plénitude de leur liberté et de leur indépendance ; ils jugent qu'il est bon d'agir de telle façon dans l'intérêt, de leur propre parti, qui est, selon eux, l'intérêt du pays. »

Que ce soit la doctrine de M. le ministre des finances, c'est son affaire, je le comprends. Mais je suis loin de partager cette doctrine.

Depuis longtemps j'ai défendu les principes économiques, notamment celui de la liberté commerciale, alors que cette théorie était bien loin d'être en honneur dans le pays et je déclare être aujourd'hui dans les mêmes sentiments et fidèle au même principe.

Je la défendrai avec une entière indépendance, et, si parmi mes amis il se trouvait des partisans des théories protectionnistes, j'ai la conviction que pas un d'eux ne se lèverait pour me reprocher la défense de mes idées pour me dire que j'aurais dû faire plier mes opinions économiques en faveur de considérations de parti.

Sur nos bancs l'indépendance est complète. Nous avons un mandat impératif à la vérité, mais savez-vous en quoi il consiste ? Nos commettants nous ont dit : Vous agirez selon votre conscience et dans toute la plénitude de votre indépendance. Voilà notre mandat impératif.

L'honorable ministre des finances se pose généralement comme le défenseur des principes les plus purs en matière d'économie politique, et se présente comme le disciple de Turgot, d'Adam Smith et des plus éminents écrivains de la science ; je le regrette, mais je suis obligé de détruire ce qui me semble une illusion ; je pense que l'honorable ministre des finances se trompe et qu'il se trompe de bonne foi, mais il se trompe.

Ainsi, l'école à laquelle il me semble appartenir ne soutiendra jamais, si ce n'est dans des cas très exceptionnels, l'intervention du gouvernement en matière d'enseignement. Cette école proposera bien l'intervention du gouvernement, mais c'est lorsque l'initiative des particuliers ne se produira pas. J'ai eu l'occasion d'exposer mon sentiment à cet égard dans une circonstance qui paraîtra bien terre à terre en présence des grandes questions dont nous nous occupons aujourd'hui : je veux parler de l'école de Gembloux.

Le ministre disait : L'initiative des particuliers ne se produit pas, donc le gouvernement doit intervenir.

Je suis d'accord avec lui, mais ce n'était là qu'une simple exception. (Interruption.)

M. le ministre des finances conteste ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne conteste pas, je constate que Gembloux est dans la province de Namur.

M. Royer de Behrµ. - J'espère que l'honorable ministre des finances suppose que je n'ignore pas que Gembloux est dans la province de Namur ?

Mon vote eût été acquis à l'école de Gembloux. quand bien même cette localité n'eût pas appartenu à la province de Namur ; ce n'est donc pas parce que l'école devait être établie dans la province de Namur, que j'aurais donné mon assentiment au projet de l'honorable M. Rogier.

Je lui donnai mon assentiment, en pensant que l'initiative particulière ne pouvait se produire, et que l'institution à fonder était, d'ailleurs, reconnue utile.

Mais, si une association privée voulait se substituer au gouvernement, je ne verrais aucun inconvénient à la suppression de l'action de l'Etat en matière d'enseignement agricole.

Je dirai encore que les économistes, on général, n'admettent pas la réglementation en matière de charité.

L'honorable M. Charles de Brouckere, dont vous ne contesterez pas la qualité d'économiste, était de cet avis. Il proposa à la loi de 1850 sur l'enseignement moyen autant d'amendements qu'il y avait d'articles.

Enfin, l'honorable M. de Brouckere s'est retiré du parlement, je pense, à propos de la loi sur la charité, parce qu'il ne partageait pas les doctrines de ses amis politiques.

L'honorable ministre des finances, en matière de crédit financier, affirmait des principes économiques d'une vérité fort contestable.

C'était, très contestable en effet de rendre, si je comprends bien, l'Etat intermédiaire entre le prêteur et l'emprunteur.

Et quand les économistes demandent la réforme postale, dans le sens de l'abaissement de la taxe à 10 centimes, qui trouve bon de les combattre ? L'honorable ministre des finances. A la vérité, son opinion rencontre maintenant, au soin du ministère, un contre-poids, et j'espère bien que l'honorable M. Vandenpeereboom n'appliquera pas cette doctrine de l'honorable ministre des finances, qu'il faut faire plier son opinion dans l'intérêt de son parti.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La question a été jugée, à l'occasion de la suppression des octrois.

M. Royer de Behrµ. - Du tout. Je me souviens même qu'à cette époque on disait que la réforme postale n'était nullement entravée par la loi sur les octrois.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si l'on trouve des ressources.

M. Royer de Behrµ. - Puisque vous parlez des octrois, trouverez-vous un seul économiste qui approuve les moyens que vous avez imaginés pour remplacer les octrois ? Je vous en défie. Le Journal des Débats lui-même, rédigé pour la partie économique par un publiciste éminent, improuvait hautement les moyens adoptés par les Chambres belges.

L'honorable ministre des finances fait peut-être une réflexion en ce moment sur l'affaire de l'or. Eh bien, je reconnais en toute franchise que l'honorable ministre a exposé une théorie vraie, en cette matière ; mais mon honorable ami, M. Nothomb, et moi, étions-nous dans le faux ? Nous soutenions, nous, l'étalon d'or ; M. le ministre soutenait l'étalon d'argent. Seulement nous disions que, dans la pratique, il ne peut y avoir qu'un seul étalon, et vous devez bien admettre que nous n'avons pas eu tort, puisque les faits nous ont donné raison...

- Un membre. - Pas le moins du monde.

M. Royer de Behrµ. - L'honorable M. Braconier, qui m'interrompt, ferait beaucoup mieux de me répondre, et d'établir que les faits ne nous ont pas donné raison.

Maintenant je dis que nous préconisions, l'honorable M. Nothomb et moi, l'étalon d'or.

Nous prétendions que l'or est le cheval de race de la circulation, tandis que l'argent n'en est que le cheval de trait.

L'or mieux que l'argent représente les gros payements.

Je crois que c'est là une théorie économique très pure ; théorie appliquée du reste en Angleterre.

Un mot, messieurs, sur le traité de commerce avec l'Angleterre. En cette matière on ne professe pas, au sein du gouvernement, la vérité économique. La doctrine vraie eût été de présenter la réforme douanière par voie législative et je lis à cet égard dans un journal spécial, le seul que nous ayons dans le pays, la confirmation de mon opinion.

« Nous devons déclarer qu'à nos yeux le gouvernement en opérant la réforme douanière par le procédé dos traités de commerce, suit les errements protectionnistes et non point les errements libre-échangistes. »

Il ne s'ensuit pas, croyez-le bien, que je repousserai le traité, mais je ne l'adopterai que comme pis-aller, et j'aurais préféré qu'on eût suivi le conseil de la chambre de commerce d'Anvers, ou bien de la chambre de commerce de Verviers, c'est-à-dire qu'on eût présenté la réforme (page 239) douanière par mesure générale, car maintenant on rentrera malgré soi dans le système des droits différentiels.

Un honorable membre de cette assemblée, qui siège à l'extrême gauche, disait il y a peu de jours, s'adressant à la droite : Il faut avouer que si l'on a eu à se plaindre en d'autres temps de l'abstention de la droite, c'est un reproche qu'on ne pourrait plus lui adresser aujourd'hui.

Cela est vrai, mais il faut convenir que si nous faisions peu d'opposition sur nos bancs, on en faisait beaucoup sur les bancs de l'extrême gauche, et j'avoue que je m'étonne infiniment que cette opposition ait cessé si rapidement.

Que mes honorables collègues s'abstiennent de toute opposition, libre à eux, cela ne me regarde pas. Mais j'avais cru remarquer, je l'avoue, une tendance de la part de l'extrême gauche vers la décentralisation. Or, mes honorables collègues doivent le savoir, la politique ministérielle n'a pas cette tendance. Cotte politique penche plutôt vers la centralisation.

M. Gobletµ. - Je demande la parole.

M. Royer de Behrµ. - Mon principe à moi, est celui de la liberté la plus large possible dans l'ordre économique comme dans l'ordre moral, et je voterai toutes les lois qui me paraîtront présenter ce caractère.

Un dernier mot, messieurs, et je termine :

Rappelant les paroles prononcées dans une de nos dernières discussions, je dirai, moi aussi : Le flot monte.

Mais la question de savoir si le flot monte pour porter tel ou tel parti au pouvoir, est une question, à mon avis, d'une bien minime importance.

Le flot monte, mais c'est le flot révolutionnaire qui monte, et ce flot, bien loin de vous porter au pouvoir, nous submergerait comme il vous submergerait vous-mêmes.

Il existe, cela est incontestable, il existe dans toute l'Europe un parti révolutionnaire dont vous subissez, à votre insu, l'énergique et puissante influence. Si, ce qu'à Dieu ne plaise, cette influence un jour est prête à vous déborder, alors vous viendrez vers nous ; car j'ai confiance dans votre patriotisme, vous vous direz que l'union seule est capable, d'opposer une digue au flot menaçant, et s'il n'est pas trop tard, nous saurons répondre à votre appel, car notre opposition d'aujourd'hui, croyez-le bien, n'a rien de systématique, et au jour du danger, vous nous trouverez toujours disposés à défendre l'indépendance et la liberté de la patrie.

M. Gobletµ. - Je crois que tous ici, quelles que soient nos opinions, nous serons prêts, lorsque la patrie sera en danger, à nous rallier autour d'un même drapeau, le drapeau belge. Je crois que cette considération des dangers extérieurs ne doit en aucune circonstance nous empêcher d'accomplir librement notre devoir, ne doit pas nous arrêter lorsque nous croyons que, dans notre politique intérieure, il faut marcher en avant.

Messieurs, je ne sais pas où l'honorable membre de la droite a trouvé que l'extrême gauche avait fait une opposition constante et systématique au ministère.

M. Royer de Behrµ. - Je n'ai pas dit systématique.

M. Gobletµ. - Constante, si vous le voulez, ne chicanons pas sur les mots.

Jamais vous n'avez trouvé dans l'extrême gauche ma voix pour appuyer les principes que défendent les organes du parti catholique, et jamais vous n'avez eu une seule défection parmi nous, alors qu'il s'agissait de lutter pour les principes libéraux.

Chaque fois que le ministère a posé des actes qui étaient les conséquences naturelles des opinions libérales des membres qui le composent et de ceux qui l'ont porté au pouvoir, il a trouvé des défenseurs à l'extrême gauche, comme dans toute la majorité parlementaire dont nous avons toujours tenu à honneur de faire partie.

Que nous nous soyons parfois trouvés en dissidence sur des questions spéciales, sur des questions qui n'étaient pas des questions de principe, des questions de parti, qu'y a-t-il là d'étonnant et de si remarquable pour l'homme qui, le premier, est venu vanter son indépendance et l'indépendance de tous ceux qui reçoivent leur mandat des électeurs catholiques ? Nous aussi qui recevons notre mandat des électeurs libéraux, nous le recevons librement, et nous venons défendre ici nos opinions dans toute la plénitude de notre indépendance, ne relevant que de notre conscience,

Le ministère libéral marche en avant, c'est son crime à vos yeux, c'est une raison pour nous de l'appuyer plus fortement que jamais. C'est pour cela que vous nous trouvez compactes, et vous nous trouverez toujours compactes, chaque fois qu'il s'agira de défendre les principes que nous avons toujours professés.

- La paragraphe 20 est adopté.

Paragraphe 21

« Dieu, en sa justice, ne dispense pas ses bénédictions aux peuples dans la mesure du nombre ou du territoire. Dieu fait plus souvent de sa protection toute-puissante la récompense d'une marche constante, continue et sage vers le progrès, c'est-à-dire vers le bien. Les nations libres, quoique faibles, commandent alors l'estime et imposent le respect, sans exciter les craintes on les défiances. »

- Adopté.

Paragraphes 22 et 23

« Une politique progressive, mais étrangère aux idées de réaction comme à l'esprit d'aventures, la seule vraiment conservatrice, a préservé naguère la Belgique des bouleversements qui ébranlèrent l'Europe. »

M. Orts. - Il y a un « mais » qui rend la phrase incorrecte et qui doit disparaître. C'est une faute d'impression qu'on ne peut qu'attribuer au mauvais état dans lequel se trouvait le manuscrit du projet d'adresse quand il a été confié à l'imprimeur.

M. de Theux (pour une motion d'ordre). - Je demande que les paragraphes 22 et 23 soient réunis ; la discussion sera plus complète et plus régulière.

M. Orts, rapporteur. - Je ne m'y oppose pas.

- La proposition de M. de Theux est adoptée.

MpVµ. - Ainsi la discussion s'ouvre sur le paragraphe 22 dont j'ai donné lecture et sur le paragraphe 23, ainsi conçu :

« Cette politique fait encore aujourd'hui noire honneur comme notre sauvegarde, et, la Chambre aime à le redire, la gloire en revient pour une large part à Votre Majesté. Cette même politique inspire le gouvernement, lorsqu'il nous montre son noble but : consolider en la perfectionnant de plus en plus l'œuvre nationale, entreprise en commun par le peuple et par le Roi. Ce but, Sire, nous voulons aussi l'atteindre. Le concours actif et bienveillant réclamé de notre confiance, est acquis tout entier au gouvernement de Votre Majesté. »

M. Gobletµ. - Messieurs, je viens demander la suppression des mots : « étrangère aux idées de réaction », de telle façon que le commencement du paragraphe serait rédigé ainsi :

« Une politique progressive, étrangère à l'esprit d'aventures, etc. » Je crois que les mots « idées de réaction » sont parfaitement inutiles. C'est un pléonasme. Une politique progressive n'a jamais pu être réactionnaire. A moins qu'on ne veuille marcher en arrière, c'est-à-dire reculer, jamais une politique agressive, ne peut impliquer des idées réactionnaires, et, c'est pour cela que je me fais honneur d'appartenir à cette politique.

M. B. Dumortier. - Messieurs, j'appuie très vivement la proposition de l'honorable M. Goblet, car si j'ai bien compris le paragraphe en discussion, il a deux portées : un coup de patte à la droite et un coup de patte à l'extrême gauche, et comme l'honorable membre propose de supprimer le coup de patte qui nous est adressé, je m'y rallie de grand cœur.

M. Gobletµ. - Messieurs, les paroles que vient de prononcer l'honorable M. Dumortier justifient mon amendement.

Il ne peut y avoir de politique à l'esprit d’aventures nulle part, ni à droite, ni à gauche ; mais il peut y avoir une politique réactionnaire quelque part, et c'est précisément où siège l'honorable M. Dumortier ; de sorte que, sans vouloir en quoi que ce soit, donner à la droite un coup de patte, je puis parfaitement demander la suppression d'un pléonasme dans l'adresse.

Une politique progressive peut être parfaitement libérale sans être animée de l'esprit d'aventures. En introduisant dans le projet d'adresse les mots : « étrangère à l'esprit d'aventures », je suis convaincu qu'on n'a voulu faire allusion à personne, qu'on a voulu déclarer seulement qu'en Belgique il n'y a dans l'opinion libérale que des hommes qui veulent marcher dans la voie progressive, mais d'une manière aussi sage que prudente.

M. B. Dumortier. - Il faut rendre bon procédé pour bon procédé. L'honorable M. Goblet a parfaitement compris que « l’esprit de réaction » était un coup de patte donné à la droite ; d'un autre côté, nous avons tous compris que « l'esprit d’aventures » était un coup de patte donné à l'extrême gauche. Puisque l'on veut supprimer le coup de patte donné à la droite, je demande que, par réciprocité, on supprime le coup de patte, donné à l'extrême gauche.

M. Orts, rapporteur. - Il n'y a, dans le paragraphe proposé par la commission d'adresse, de coup de patte donné ni à la droite, ni à l'extrême gauche. (Interruption à droite.)

Si vous voulez absolument avoir reçu un coup de patte, libre à vous. Mais ce que je constate, c'est que le coup de patte qu'on prétend avoir été donné à l'extrême gauche n'a pas été senti par elle ; en effet, l'honorable M. Goblet ne s'est pas senti le moins du monde blessé par les mots : « esprit d'aventure ».

Je répète qu'il n'y a eu de coup de patte donné ni à droite ni à gauche. Je déclare que si le paragraphe de l'adresse avait été compris de cette (page 240) façon, j'en aurais été très désolé, car par là on aurait prêté à la commission une intention qui n'était pas la sienne. J'ai voulu dire seulement que la politique progressive et conservatrice à la fois était à une égale distance des idées de réaction et d'esprit d'aventures

Voilà uniquement ce que j'ai voulu indiquer sans vouloir donner un coup de patte à qui que ce soit. Si, maintenant, la droite tient fort au coup de patte, je ne puis l'empêcher de comprendre les choses comme elle les comprend.

Je n'ai aucune autorité sur elle, je n'ai pas le droit de demander qu'elle me croie sur parole ; mais ce que je tiens à constater, c'est que le coup de patte n'a pas été tenté à gauche et que personne n'a réclamé la suppression de cette expression.

Maintenant, si par esprit de charité on veut supprimer ces mots « comme à l'esprit d'aventures » mou amour-propre ne va pas jusqu'à en demander le maintien.

MpVµ. - Il y a d'abord la proposition de M. Goblet, qui consiste à effacer les mots « étrangère aux idées de réaction. » Je la mets aux voix.

- Il est procédé au vote par assis et levé.

La proposition est adoptée.

En conséquence les mots « étrangère aux idées de réaction » sont supprimés.

MpVµ. - Je vais consulter maintenant la Chambre sur la proposition de M. Dumortier, ayant pour objet la suppression des mots « à l'esprit d'aventures. »

Il est procédé au vote par assis et levé.

La proposition n'est pas adoptée.

En conséquence les mots « à l'esprit d'aventure » sont maintenus.

MpVµ. - La discussion est ouverte maintenant sur les deux paragraphes.

(page )) M. de Theux. - Messieurs, nous avons toujours considéré le progrès vers le bien comme un devoir moral que nous avons à remplir, et ce devoir, je n'hésite pas à le dire, nous l'avons rempli constamment. La meilleure preuve que je puisse en fournir, c'est de rappeler ce qui s'est passé au Congrès national.

Là la plus forte fraction était évidemment celle du parti conservateur, et dans ses discours, dans ses votes, le parti conservateur n'a fait défaut à la défense d'aucune des libertés consacrées par la Constitution.

Cette Constitution est une œuvre évidente de progrès, de grand progrès. Elle a été les causes principales des divisions de notre pays.

C'est ainsi qu'elle a proclamé l'égalité de droits entre tous les citoyens, l'indépendance des cultes, l'indépendance de l'ordre judiciaire, la distinction des pouvoirs et les limites de leurs attributions, la garantie de la liberté individuelle, de la propriété, la liberté des cultes, des opinions et de la presse.

C'est évidemment, dans le sens civil et politique, l'œuvre la plus progressive dont l'Europe ait été témoin.

Aussi, c'est avec raison et à bon droit que le Congrès national a terminé son œuvre en donnant au pays pour devise : « L'union fait la force. » Cette assemblée, messieurs, a fondé notre devise sur la justice, sur l'égalité, en dehors desquelles il n'y a ni union, ni force.

Le parti conservateur a été presque seul à défendre l'indépendance complète du culte catholique, et de là est née la dénomination de parti catholique, dénomination que, pour notre part, nous n'avons jamais repoussée, parce que nous la considérons comme un titre d'honneur, un titre à la reconnaissance du pays.

En effet, messieurs, c'est à ce culte que la Belgique doit sa civilisation avancée et qu'elle doit la sagesse de ses mœurs.

J'ai prononcé le mot de lutte. Cette lutte était-elle imaginaire ? Non, elle a été réelle et constante.

L'indépendance complète du culte a eu de nombreux adversaires.

Je ne parle pas de l'indépendance des autres cultes, ils n'étaient guère en question ; leur importance dans le pays n'était pas assez grande pour être l'objet de discussions politiques.

Néanmoins, nous l'avons admise à l'égal de l'indépendance de notre culte, sans la moindre hésitation, sans la moindre tergiversation.

Au Congrès l'opposition à la liberté complète du culte catholique, à la liberté d'enseignement a été vive, compacte et violente de la part du parti libéral d'alors. Nous nous rappelons encore que lorsque la liberté d'enseignement fut proclamée sans aucune exception, sans aucune réserve de mesures préventives, l'assemblée a été dans un désordre tel, que le président du Congrès a quitté son siège et que la séance a été levée tumultueusement. J'ai même entendu cette expression : « C'en est fait de la Belgique. »

Si, messieurs, nous avons défendu spécialement ces deux libertés, nous n'avons pas été étrangers à la défense des autres.

Nous les avons toutes acceptées sans la moindre restriction, et quant à celle de la presse, j'ai moi-même pris part à la discussion pour la mieux garantir, j'y applaudis encore aujourd'hui.

Depuis l'on s'est plu à douter de la sincérité de notre attachement aux autres libertés. Eh bien, c'est là une erreur profonde et que je tiens à déraciner une fois pour toutes.

Dans notre opinion, toutes les libertés sont solidaires les unes des autres. L'une ne peut subsister sans l'autre ; mais eussions-nous moins de sympathie pour certaines libertés dont on peut faire un abus, nous ne les défendrions pas moins que la liberté des cultes et celle de l'enseignement.

Il est de notre intérêt de les maintenir, et c'est là une puissante garantie que l'on ne doit pas perdre de vue. Nous savons trop par l'expérience antérieure à 1830 et par ce qui se passe encore dans d'autres pays, combien les libertés sont solidaires et combien il est dangereux d'en abandonner quelques-unes pour donner la préférence à la conservation d'autres.

On a parlé de réaction. Il nous a été impossible de comprendre ce mot, dans le projet d'adresse, autrement que comme un regard jeté vers la droite.

Eh quoi, nous serions assez insensés pour nourrir l'esprit de réaction vers l'impossible ! Y a-t-il un homme raisonnable qui songe à rétablir l'ancien ordre politique dans ce pays ? Je le demande, n'est-ce pas une dérision que de supposer un esprit de réaction vers un état de choses désormais impossible, un esprit de réaction contre nos propres intérêts, je l'ai démontré.

Mais il est une autre réaction qui n'est pas impossible et pour laquelle des tentatives ont été faites.

On sait que depuis la réforme protestante, née au XVIème siècle, les cultes dissidents se sont mis sous la protection du gouvernement. Le gouvernement, partout en dehors des pays catholiques, est à la tête du culte, est en quelque sorte souverain du culte. Ce qui s'est passé dans les pays protestants a quelque peu fait tourner la tête aussi aux gouvernements des pays catholiques. Ils ont dit : C'est cependant une belle chose que d'être à la fois souverain politique et souverain religieux ! Et pourquoi ne mettrions-nous pas aussi la main sur le gouvernement de l'Eglise ?

Ainsi pensé, ainsi fait.

Partout on a vu ces tendances dans les pays catholiques.

Lorsque la révolution de 1830 est arrivée, nous avions à revendiquer avant tout la liberté de notre culte. Nous avions d'autant plus raison d'agir ainsi, que nous voyions dans cette mémorable assemblée une opposition assez forte à la complète indépendance de notre culte et des libertés qui y sont annexées, telles que la liberté de l'enseignement.

Cette tendance à la domination sur le culte catholique existe encore, aujourd'hui même, dans divers Etats de l'Europe ; et, je le dis à regret, cette tendance n'est pas même extirpée ici de l'esprit d'un certain nombre d'hommes qui croient que la liberté en cette matière est pernicieuse. Il y en a encore beaucoup qui croient qu'il faut rattraper cette domination d'une manière indirecte, lorsqu'il n'est pas possible de le faire d'une manière directe.

On nous demande, messieurs, dans le projet d'adresse, une confiance illimitée dans la politique libérale. Je n'hésite pas à le dire, il nous est impossible de la lui accorder.

Les faits que j'ai rappelés et qui se sont passés dans le Congrès national ne sont pas les seuls. N'avons-nous pas vu encore, dans nos récentes discussions, l'article 16 de la Constitution interprété contre son sens naturel, contrairement aux discussions mêmes du Congrès national ? Il s'agissait de la liberté de la chaire. Il y a eu là encore quelques réminiscences impériales.

En matière d'instruction, la liberté était consacrée par le Congrès. Mais comment a-t-on essayé de la mutiler dans des projets qui ont été faits immédiatement après la promulgation de la Constitution ? Dans le projet de loi sur l'enseignement supérieur, nous avons vu que l'on voulait consacrer un privilège exclusif pour les universités de l'Etat.

Dans la discussion de la loi de 1835, n'avons-nous pas vu encore vouloir conférer au gouvernement la composition des jurys d'examen sans aucune espèce de limite ni de restriction ? Ainsi cette liberté eût été réellement confisquée à perpétuité. Car celui qui a le droit de nommer les membres des jurys d'examen et qui possède ce droit à toujours est réellement maître de la collation des grades, surtout lorsqu'il a à diriger deux établissements concurremment aux établissements libres.

Lorsque, en 1849, le cabinet libéral a changé le mode de nomination des jurys d'examen, on nous a reproduit cette proposition avec une extension de plus. On l'appliquait aussi aux examens d'élèves universitaires ayant terminé leurs études moyennes.

C'était se rendre maître des études moyennes comme des études supérieures.

Heureusement, nous avons trouvé dans le sein du parti libéral un appui contre cette proposition. L'honorable M. Delfosse a senti lui-même que cette proposition ainsi formulée et sans limite de durée, absorbait complètement la liberté, et d'accord avec lui, nous sommes parvenus à stipuler un terme de courte durée, en attendant que l'on pût, dans la loi, déterminer quelques conditions d'impartialité pour le jury.

L'exposé des motifs du projet de loi sur l'enseignement moyen, voté en 1850, disait nettement qu'il était fait en opposition à la liberté, qu'il fallait lutter, au moyen des subsides de l'Etat, contre la liberté.

On a parlé, messieurs, de l'esprit religieux du gouvernement qui avait demandé le concours du clergé pour l'enseignement. Eh bien, le projet de 1850 n'en faisait pas mention. C'est un honorable député de Namur, l'honorable M. Lelièvre qui en a formulé la proposition, et quand cette proposition a été formulée, on a prétendu que l'enseignement religieux, dans les collèges, pouvait être donné par un professeur laïque ?

Est-ce là le vrai sentiment religieux ? Non, et voici l'autorité sur laquelle je m'appuie pour le prouver. C'est M. Cousin, homme assez célèbre, je pense, par ses principes libéraux et peu catholiques.

Eh bien, dans un rapport à M. Guizot, ministre de l'instruction publique, à la suite d'un voyage en Allemagne, il n'hésitait pas à déclarer que, (page 250) dans son opinion l’enseignement religieux devait être donné dans les établissements de l'Etat jusqu'au cours de philosophie inclusivement, que le gouvernement doit faire des efforts pour attacher à chaque établissement public un professeur des plus instruits, des plus estimés pour donner deux fois par semaine un cours sérieux de religion. Il considérait cela comme un devoir social.

Pour l'enseignement primaire, nous avons vu qu'après la clôture du Congrès, à l'ouverture de la première session législative, nous avons ui dis-je, MM. Seron et de Robaulx proposer d'établir un enseignement primaire de l'Etat dans toutes les communes, à l'exclusion, bien entendu, de toute idée religieuse.

La loi sur l'enseignement primaire votée en 1842 a fait droit à l'intérêt social. Aujourd'hui n'y a-t-il pas une tendance très grande, très prononcée à faire rapporter cette loi, et à exclure les membres du clergé ? On n'oserait pas le nier. Jusqu'à présent le gouvernement n'a pas obéi à cette tendance, n'a pas accueilli ces propositions, mais il ne s'est pas expliqué d'une manière précise à cet égard, il y voit peut-être une question d'avenir.

On va plus loin, on exige la fréquentation obligatoire des écoles, pour contraindre les parents à envoyer leurs enfants à ces écoles dépourvues de l'enseignement religieux. Les familles qui voudraient choisir d'autres établissements qui leur présenteraient des garanties, sous le rapport religieux, seraient exposées à être tracassées par l'autorité publique

En France, le dévouement des corporations religieuses d'hommes et de femmes est accepté sans hésitation pour l'enseignement primaire et pour les établissements de charité par les communes comme par le gouvernement.

Ici, depuis un grand nombre d'années tous les efforts sont faits pour empêcher qu'une commune ne puisse s'entendre pour l'enseignement primaire avec une association religieuse quelconque. Voilà les esprits divergents des deux pays, de la Belgique très catholique et de la France qui l'est très peu.

Parlons de la charité. La charité est évidemment la fille du christianisme. La liberté de la charité se rattache donc assez directement à la liberté des cultes. Les fondations de charité sont admises sans difficulté ni opposition en Hollande, en Allemagne, en Angleterre, même aux Etats-Unis.

Ici il n'en est pas de même ; en 1836, les Chambres avaient compris cette connexité, elles avaient voté l'article 84 de la loi communale qui ouvrait une porte à des fondations. Je ne dis pas que le droit de faire des fondations dérive exclusivement de la liberté de la charité et de la liberté des cultes ; mais je dis que quand ces fondations sont convenablement réglées par la loi civile, elles en sont la conséquence naturelle et en quelque sorte rigoureuse.

Une commission instituée par M. de Haussy, composée d'hommes très notables appartenant pour la majeure partie à l'opinion libérale, a présenté un rapport dont les conclusions étaient qu'il fallait faciliter les fondations d'instruction et de bienfaisance.

Ce rapport est resté à l'état de lettre morte ; la commission avait été instituée par un cabinet libéral, son œuvre n'a pas reçu l'approbation du pouvoir. En Hollande, depuis notre séparation il y a eu progrès ; les anciens règlements publiés en Belgique pour nos communes avaient ouvert une porte restreinte aux fondations.

Le gouvernement approuvait, seulement dans des cas particuliers, certaines fondations ; mais depuis notre séparation, la Hollande a posé les principes les plus larges en matière de fondations ; en Angleterre, depuis que la liberté des cultes est établie, le parlement a agi avec un véritable esprit de libéralisme. Avec l'interdiction des cultes dissidents a disparu l'interdiction des fondations. Par l'esprit de tolérance qui animait le gouvernement on les avait tolérées de fait : dans les dernières années, il a été porté un bill autorisant des fondations pour l'avenir, mais, chose digne de remarque, c'est que ce même bill donne force et vigueur légale aux anciennes fondations établies contrairement à la loi, et l'on a donné à ces fondations une administration conforme à la volonté des fondateurs ou à l'esprit qui avait dicté l'acte de fondation, quand il n'était plus possible d'exécuter la volonté du fondateur.

Chez nous, non seulement on a frappé les fondations dans l'avenir d'une manière complète, sans réserve, mais on a atteint un grand nombre de fondations anciennes qu'on a détournées évidemment de l'intention des fondateurs.

Les lois électorales ! messieurs, dans cette matière le libéralisme a encore fait défaut de justice et d'équité. Le Congrès national, tenant compte des lois fiscales qui déterminaient le cens électoral et donnaient un avantage aux populations urbaines, tenant compte des inégalités de distance, avait établi un cens différentiel ; le cens différentiel a été aboli en 1848.

On a saisi habilement l'occasion d'un grand mouvement politique pour arriver à ce résultat désiré depuis longtemps. Ou ne s'est pas contenté de cela, on a dissous les Chambres et demandé des lois pour pouvoir dissoudre les conseils provinciaux et communaux, et on a abordé les élections en disant au pays que si le parti conservateur était grandement représenté aux Chambres, il en résulterait un péril pour le pays.

Le nombre des conservateurs fut réduit à 25 ; le nombre des libéraux était de 85. Faut-il en conclure que l'idée que représentait le cabinet fût populaire ? Non, ces élections furent le résultat des circonstances, car, dès 1855, il y avait parité entre les représentants des deux grandes opinions qui partagent le pays et en 1856, le parti conservateur comptait 20 voix de majorité, la majorité actuelle n'est que de 17 voix, et cela sans avoir recours ni à un changement de loi, ni à une dissolution des Chambres. Il a fallu pour cela uniquement que les événements politiques extérieurs ne vinssent plus peser sur l'opinion publique et nous inspirer des craintes. On nous a dit bien des fois : Mais la présence du cabinet libéral a peut-être sauvé la Belgique en 1848. On l'a dit comme un éloge de ce cabinet. Pour moi, je ne suis pas de ce sentiment. Je ne puis pas considérer cela comme un éloge. Car il me semble que la contrepartie serait de dire : Si le parti libéral n'eût pas été au pouvoir, la Belgique eût été tellement agitée, que l'étranger y eût trouve un accès plus facile.

Je termine :

La politique du cabinet repousse l'élément conservatcur ;il entretient la division ; il se fonde sur cette vieille maxime ; Divide et impera ; il vise avant tout à conserver le pouvoir.

Quant à moi, messieurs, je crois que l'union des forces principales du pays est préférable à cette politique, qu'elle offre plus d'avantage à tous égards au pays pour ses intérêts politiques, moraux et matériels. Cette situation de l'union entre les deux grandes fractions qui divisent le pays serait incomparablement meilleure que le triste système d'esprit de parti.

Vous comprenez par là qu'il m'est impossible de promettre un concours actif et bienveillant, un concours tout entier à la politique ministérielle. Cette politique ne peut consolider et perfectionner réouvre nationale.

Voyez, messieurs, où cette politique se manifeste encore d'une manière déplorable, c'est dans la nomination aux emplois. Cette division en deux partis conduit à donner toujours la préférence aux hommes les plus dévoués de son parti, hommes qui ne se distinguent pas toujours soit par la science soit par les autres qualités requises pour occuper utilement les emplois publics.

Cet esprit de parti dans les nominations peut aller jusqu'à altérer la plus sûre et la plus durable des garanties dans les Etats modernes : c'est la magistrature. Si celle-ci.s'imprégnait de l'esprit de parti, on pourrait dire qu'il n'y a plus de sécurité pour le parti de la minorité.

On se demande si la préférence à nommer jusque dans les administrations communales les plus infimes et dans d'autres administrations n'ayant pas de caractère politique, exclusivement dans le parti libéral, n'est pas altérer l'esprit national ; on se demande si ce n'est pas là suivre l'esprit d'aventures ; on se demande encore si la réforme de l'enseignement primaire, si l'exclusion du prêtre de l'école ne conduirait pas encore à cet esprit d'aventures, c'est-à-dire l'anéantissement de nos bonnes traditions, de nos bonnes mœurs nationales.

Messieurs, j'ai exposé franchement et nettement mes griefs tels que je les conçois. Est-ce à dire que je désespère de l'avenir du pays et que je désespère de l'avenir de notre opinion ? En aucune manière, messieurs. Les constitutions, malheureusement, dans ce siècle, n'ont guère eu de durée. Mais je crois que la nôtre est à peu près inébranlable, qu'on peut bien lui porter quelques brèches dans des lois particulières, qu'on peut bien altérer son esprit dans l'administration en suivant plutôt l'impression de l'esprit de parti que les impressions nationales de l'union tant recommandée par le Congrès. Mais cette Constitution, messieurs, servira toujours de point d'appui aux minorités, quelles qu'elles soient.

Nous avons vu la loi fondamentale des Pays-Bas, bien moins large, bien moins précise que notre Constitution, interprétée à outrance par le gouvernement d'alors. Nous avons vu ce gouvernement, soutenu par une majorité pour ainsi dire invincible, abusant aussi de sa puissance vis-à-vis d'une partie de son propre parti, que l'on nommait alors l'extrême libéralisme, nous avons vu ce gouvernement créer deux oppositions, et la loi fondamentale a été depuis réclamée suivant son texte, suivant son esprit. Il est même arrivé ce qui arrive souvent dans ces sortes de circonstances, c'est que l'esprit et le texte de la loi fondamentale étaient commentés à outrance dans le sens de la liberté.

(page 251) Pour nous, messieurs, nous ne nous attendons pas à une catastrophe semblable à celle de 1830. Là on avait uni deux pays ; la majeure partie de ces pays avait été annexée à la plus petite partie et était gouvernée et dirigée par elle. Tout cela est impossible en Belgique.

On aurait beau diviser le pays dans les nominations en catholiques et libéraux, le roi des Pays-Bas suivait, lui, une division moins étrange entre les Hollandais et les Belges, cette division entre catholiques et libéraux doit finir par s'user ; le temps marche vite à l'époque actuelle, et, je pense que le temps détruira aussi ce système fantastique de la nécessité de deux partis se combattant à outrance dans le même pays, au lieu de marcher franchement dans la voie de l'union, de l'égalité, de la justice et du respect mutuel de leurs droits et de leurs intérêts.

(page 242) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous venons d'entendre un note d'accusation longuement élaboré par l'honorable chef de la droite. Il vient de récapituler tous les méfaits qu'il croit pouvoir imputer à l'opinion libérale en Belgique et, chose digne de remarque, sur laquelle je me hâte tout d'abord d'appeler votre attention, c'est que les griefs les plus minimes, les plus insignifiants du réquisitoire de l'honorable membre, sont ceux qui s'adressent à l'administration actuelle. Malgré son désir ardent de trouver des reproches bien graves à adresser au ministère et à la majorité qui l'appuie, vous n'avez pas entendu citer un seul fait, énoncer un seul grief qui mérite véritablement d'occuper un instant l’assemblée.

On a dû remonter bien haut dans notre histoire, on a cru devoir rechercher jusque dans les délibérations du Congrès national, tous les indices qui pouvaient servir à démontrer la perversité extraordinaire de l'opinion libérale.

Los catholiques, nous dit l'honorable comte de Theux, étaient en majorité, en grande majorité, au Congrès national ; ils avaient devant eux une minorité infime, qui contestait l'indépendance du culte catholique, qui refusait d'admettre la liberté d'enseignement ; d'après l'honorable membre, c'est aux catholiques seuls que l'on doit les libertés qui sont inscrites dans notre pacte fondamental.

Messieurs, je veux être plus juste que l'honorable préopinant ; je ne contesterai pas qu'il y eut au sein du Congrès national des catholiques animés d'un véritable esprit de liberté, et qui ont défendu les principes fondamentaux de notre Constitution. Mais je ne puis admettre que l'esprit qui animait les catholiques du Congrès ait continué d'inspirer complètement leurs successeurs ; je ne puis admettre non plus que ces catholiques fussent en majorité au Congrès.

M. de Theux. - J’ai dit : la plus forte fraction.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous avez dit : la plus forte fraction, ce qui représente bien la majorité.

M. de Theux. - Pas absolument.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Si cela ne représente pas la majorité, nous allons être d’accord, et je vais vous montrer où était la majorité.

Je dis donc qu'au sein du Couples se trouvaient, en grand nombre aussi, des libéraux défendant d'une manière non moins absolue, non moins énergique que les catholiques...

M. de Theux. - Certainement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y avait des libéraux, on très grand nombre, qui défendaient les principes inscrits dans notre pacte fondamental, et je dis que sans eux vous n'auriez pas en la majorité dans le Congrès. Eh bien, ceux-là et leurs successeurs sont restés fidèles aux mêmes principes.

Il se trouvait au Congrès national une fraction de catholiques qui voulaient autre chose que ce qui a été inscrit dans la Constitution, qui voulaient plus que ce que le Congrès admettait, et qui ont cherché à obtenir ultérieurement ce que le Congrès avait refusé d'admettre. C'est l'esprit de cette fraction qui vous a animés depuis, c'est cet esprit contre lequel le libéralisme a dû lutter sans cesse pour rester fidèle aux traditions du Congrès national.

Messieurs, je dis qu'il y avait au Congrès une fraction de catholiques qui voulaient quelque chose de plus que ce que voulait, la majorité du Congrès. Ainsi on a essayé de faire prévaloir dans cette assemblée la prééminence du mariage religieux sur le mariage civil (interruption), ou tout au moins de refuser la prééminence au mariage civil. Je ne dis pas, remarquez-le bien, qu'en principe pur je n'admette parfaitement, que les doux actes ne puissent être considérés comme tout à fait indépendants l'un de l'autre ; mais il y avait une question d'intérêt social en discussion, et je crois que, dans l'état des esprits, il pouvait y avoir les plus grands dangers à laisser croire que le mariage religieux pouvait suffire pour assurer une filiation légitime. Nonobstant ces dangers sociaux, une fraction de l'opinion catholique insistait pour que cette prééminence fût consacrée. Le Congrès repoussa ses instances. Vous n'avez donc pas obtenu sur ce point la majorité dont vous nous parliez tantôt.

Au sein du Congrès l'on a proposé de faire inscrire dans la Constitution le principe de la personnification civile des institutions que nous nommons vulgairement « les couvents ». Les propositions les plus formelles ont élt déposées, et on les a successivement décorées des noms les plus séduisants ; il ne s'agissait que d'institutions de bienfaisance, d'établissements de charité, et l'on s'efforçait ainsi d'obtenir tout au moins que le principe de la personnification civile fût consacré dans la Constitution. Les efforts les plus énergiques, les plus persévérants ont été tentés dans ce but. Mais on a démontré au sein du Congrès national que ce principe ne serait autre chose que la restauration de l'ancien régime ; que l'adoption de ce principe aurait pour conséquence immédiate le retour des corporations religieuses avec leurs conditions anciennes et leurs privilèges, et le Congrès national a repoussé toutes les propositions qui lui étaient soumises. Si les ordres religieux se rétablissent, a-t-on dit pour motiver cotte résolution, si des capucins, des dominicains viennent s'établir en Belgique, qu'ils y viennent comme citoyens, qu'ils viennent réclamer le droit commun, le bénéfice des principes inscrits dans la Constitution (et c'est le langage que nous tenons encore aujourd'hui) ; mais qu'ils obtiennent des privilèges, qu'ils puissent, comme corporations, avoir des droits particuliers dans l'Etat, voilà ce que nous ne voulons pas.

Or, malgré cette résolution si formelle du Congrès national, qu'avez-vous fait ? Qu'avez-vous immédiatement tenté ?

Assurément, si les lois avaient permis l'établissement des corporations, il ne serait venu à l'idée de personne de demander qu'on inscrivît un droit en leur faveur dans la Constitution. On ne le demandait que parce que les lois en vigueur en 1830 ne le permettaient point.

Eh bien, le gouvernement est à peine constitué, le calme s'es, à peine rétabli dans le pays, que l'on voit le parti catholique reprendre en sous-œuvre l'idée qui avait succombé au sein du Congrès national. On le voit immédiatement, non point proposer des lois contenant la consécration de ses principes, ce qu'il n'eût pas osé faire, mais on le voit successivement, par des arrêtés royaux, arriver à la constitution d'une foule de corporations religieuses, et cela en violation formelle de la pensée du Congrès. Etait-ce là se montrer fidèle à l'esprit de nos institutions ?

Le Congrès nous a donné, dit l'honorable M. de Theux, un bel exemple, une belle devise que nous devrions toujours conserver et mettre en pratique : la devise du Congres c'était : « L’union fait la force. »

C'est aujourd'hui la devise de la Belgique, et pour l’honorable M. de Theux, cela signifie que le Congrès entendait constituer une Belgique sans partis, avec des hommes ayant tous les mêmes idées, ayant (page 243) tous les mêmes convictions politiques, voyant tous les choses de la même manière, comprenant tous de la même façon la direction à imprimer aux affaires publiques.

M. de Theux. - Cela signifie le gouvernement neutre entre les partis.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voilà déjà que la devise « l’union fait la force » n'a plus cette signification que tous vous aviez comprise.

Le Congrès, je viens de le rappeler tout à l'heure, n'était-il pas lui-même divisé ? Il renfermait des républicains et des monarchistes, des partisans d'une assemblée unique et des partisans de deux assemblées ; il y avait des catholiques et des libéraux ; il y avait des catholiques qui se réunissaient avec une portion des libéraux ; il y avait quelques libéraux qui étaient moins favorables aux idées absolues en matière de liberté, d'indépendance des cultes.

Eh bien, messieurs, ce que le Congrès représentait alors, c'était l'image de la société, ayant, comme nous avons aujourd'hui et exactement dans les mêmes conditions, des opinions divergentes qu'on cherche à défendre et à faire prévaloir.

Mais cela signifiait-il, comme le disait tout à l'heure l’honorable M. de Theux, que le Congrès voulût un gouvernement neutre entre les partis ? Je m'étonne qu'un homme qui si longtemps a géré les affaires publiques, qui possède une si longue expérience, que la droite reconnaît sans contestation comme son chef, je m'étonne que l'honorable M. de Theux puisse imaginer l'existence d'un gouvernement neutre.

Comment le gouvernement pourrait-il être neutre dans le sein d'une assemblée divisée ? Où serait son point d'appui ? Comment pourrait-il diriger les affaires de l'Etat ? Je comprends qu'à la rigueur le gouvernement mixte, la politique mixte aient pu se défendre ; on en a fait l'expérience ; on a vu que ce qu'on appelait la politique mixte était, en définitive, une politique de parti ; mais, à la rigueur, l'esprit ne se refuse pas à concevoir une pareille combinaison. Constituer un ministère composé de représentants de diverses opinions, un peu de la droite, un peu de la gauche, chargé d'accommoder préalablement les affaires à soumettre à la législature, soit ! Mais un gouvernement neutre, qui chercherait à maintenir un équilibre impossible entre tous les partis, qui ne serait pas disposé à adopter les idées des uns ni des autres, qui devrait, au contraire, pour rester neutre, combattre les uns et les autres ; comment cela se conçoit-il ? Comment cela pourrait-il constituer un gouvernement sous le régime constitutionnel, sous le. régime parlementaire ?

L'idée de l'honorable M. de Theux est l'idée d'un gouvernement absolu ; c'en est la théorie, à son insu sans doute. Qu'il veuille, dans un Etat absolu, un gouvernement planant au-dessus des partis qui les asservisse tous, je le comprends ; mais sous un régime électif, sous un régime qui appelle tous les citoyens à s’occuper des affaires publiques, sous un régime qui vient se résumer dans des assemblées législatives, comment ce gouvernement neutre est-il concevable ?

Du reste, messieurs, nous demandons à l'honorable membre lui-même, qui a si longtemps été au pouvoir, de nous dire à quelle époque il a pratiqué ce gouvernement neutre ? Ce n'est pas probablement lorsque l'honorable membre est entré dans le cabinet, si justement appelé comme on vient de le répéter à mes côtés, le ministère des six Malou, c'est-à-dire un ministère qui avait été déclaré, quelques mois auparavant, par l'honorable M. Malou lui-même, une impossibilité...

M de Theuxµ. - On a expliqué cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui ! on a tout expliqué...

.M. Dechamps. - Quel est l'acte de parti que ce ministère a posé ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je pourrais renvoyer l'honorable interrupteur à son voisin ; je pourrais l'engager à demander à l'honorable M. de Decker pourquoi il accueillait ce ministère en s'écriant qu'il était un anachronisme ou un défi.

Comment ! vous demandez ce qu'a fait ce ministère ! D'abord, ce ministère a pris, comme les autres ministères catholiques, ses prédécesseurs, une foule de ces arrêtés royaux qui avaient pour but de consacrer la prépondérance de l'influence catholique dans les affaires générales de l'Etat. Chaque fois que l'occasion s'en présentait, sous une forme ou sous une autre, c'est ainsi qu'on procédait ; c'était par voie d'arrêtés royaux, comme on nous l'a démontré hier qu'on voulait le faire encore, dés 1838, dans la question des fabriques d'église.

Le Congrès national, nous dit encore M. de Theux, a proclame l'indépendance des cultes et la liberté de l'enseignement comme une conséquence de la liberté des cultes. Je suis de cet avis. Mais il y avait au Congrès une minorité libérale intolérante - c'est celle que nous, libéraux, représentons encore aujourd'hui, au dire de l'honorable M. de Theux, qui reprend un vieux thème de l’honorable M. Dechamps - il y avait, dis-je au Congrès une minorité libérale intolérante qui voulait que l'enseignement fût soumis à la surveillance de l'Etat.

Savez-vous, messieurs, quel est le libéral intolérant qui a proposé au Congrès de soumettre l’enseignement à la surveillance de l'Etat ? C'était l'homme qui était le plus avant dans les confidences du parti catholique, c'était l'homme qui représentait de la manière la plus pure l'opinion catholique, c'était l'honorable M. de Sécus père. Et l'on vit des hommes de diverses opinions, des hommes qu'on n'est pas accoutumé à appeler libéraux, par exemple l'honorable vicomte Desmanet de Biesme, voter cette proposition dans le Congrès. (Interruption). M. Nothomb (Jean-Baptiste), c'est-à-dire l'homme d'Etat qui a représenté ici la politique mixte, vota cette proposition.

Mes souvenirs ne me permettent pas de m'en rappeler beaucoup d'autres : mais ils étaient très nombreux. En tous cas, c'est l'honorable M. de Sécus père qui fut l'auteur de la proposition.

Vous voyez donc, messieurs, que l'histoire ancienne que fait l'honorable M. de Theux n'est pas extrêmement correcte ; l'honorable membre se trompe, lorsqu'il va chercher les origines du libéralisme dans le sein du Congrès pour accuser les libéraux d'avoir été, dès ce temps, hostiles aux libertés publiques.

L'honorable M. de Theux s'est fort ému du reproche qu'il a cru voir dans le projet d'adresse, et qui en avait déjà préalablement disparu -ce qui n'a pas empêché l'honorable membre de prononcer colle, partie de son discours - l'honorable M. de Theux s'est fort ému de la pensée qu'on imputait à la droite un esprit de réaction.

Je crois, messieurs, très sincèrement et très franchement que la droite mérite ce reproche ; je crois qu'elle ne s'inspire pas suffisamment et de l'esprit de la Constitution et des idées modernes.

Si nous nous occupons de l'étranger, que voyons-nous ? Tout ce qui est considéré comme abusif ailleurs, tout ce qui est le plus antipathique à nos mœurs, à nos idées, et aux principes de notre Constitution, nous le voyons défendre sur les bancs de la droite. Cela n'est certainement pas propre à nous inspirer une bien grande confiance.

.le sais qu'on nous donne mille raisons. Je sais que l'on considère certains pays comme devant rester dans un état exceptionnel ; on semble croire qu'il y a une certaine catégorie d'hommes qui doivent être maintenus au rang d'ilotes et cela pour le plus grand bonheur d'une partie de l'humanité. Je sais tout cela ; mais avouez qu'il est bien fâcheux, bien déplorable que vous ayez à défendre de pareilles idées ; avouez qu'il est bien triste que vous ne puissiez, comme nous, demander toujours, partout et pour tous, la liberté, ce grand principe qui est notre vie, à nous ; que vous ne puissiez, comme, nous, désirer que, partout où les peuples le demandent, on leur applique les mêmes principes que ceux qui sont inscrits dans notre Constitution.

Et puis, messieurs, cet esprit de réaction, ne le voyons-nous pas se glisser dans tous les actes de la politique de nos adversaires ?

Je rappelais tout à l'heure ce qui s'était passé au Congrès à propos de la personnification civile des corporations. Je vous disais que des tentatives avaient été faites pour obtenir par arrêté royal ce qu'on n'avait pu obtenir d'un vote du Congrès. Or, voyez jusqu'où l'aveuglement de cet esprit de réaction a été poussé. Les tribunaux condamnent les pratiques suivies par l'honorable M. de Theux, particulièrement, avec le plus de persévérance, On annule ou l'on déclare contraires aux lois une série d'arrêtés royaux qui conféraient la personnification civile sous prétexte de congrégations hospitalières à des corporations enseignantes.

Eh bien, messieurs, se soumet-on ? S'arrête-t-on dans une pareille voie ? Non ! Il faut alors qu'on essaye d'obtenir une loi qui consacre ce que le Congrès a refusé de faire. Est-ce là cet esprit de prudence dont vous vous targuez ? Est-ce là cette modération dont vous parlez tant, et que vous pratiquez si peu ?

Dans quelles circonstances, messieurs, la droite fait-elle de pareilles tentatives lorsqu'elle a le pouvoir.' Etait-elle incertaine de l'état de l'opinion dans le pays ? Mais peu d'années auparavant elle avait essayé d'une mesure analogue, en voulant faire conférer la personnification civile à l'université de Louvain, La résistance de l'opinion publique avait été vive, générale, puissante, tellement puissante qu'on recula devant la proposition ; on consentit à ne pas la soumettre aux délibérations de la Chambre.

Or, si une proposition concernant un seul établissement, par cela même tout à fait exceptionnelle, avait soulevé une telle répulsion, on ne pouvait douter de l'irritation que devait nécessairement faire naître dans (page 244) le pays une proposition qui pouvait embraser des milliers d'établissements et conférer immédiatement la personnification civile à toutes les institutions qu'on trouverait bon de créer, en un mot à tous les couvents.

Avez-vous été arrêtés ? Non ! encore une fois.

Malgré nos avertissements, malgré des déclarations faites longtemps à l'avance qu'un pareil acte était dangereux, vous avez persévéré a le soumettre aux débats de la Chambre.

Ainsi vous vous défendriez en vain de cette accusation. L'esprit de réaction est le vôtre, et nous serons vos constants adversaires aussi longtemps qu'il n'aura pas disparu.

II est des hommes, dit l'honorable M. de Theux, qui pensent que l'indépendance des cultes est un danger ; et, selon l'honorable membre, cette opposition que je viens de signaler contre l'esprit de la droite se rattache au système qui tend à restreindre l'indépendance des cultes.

Je ne sais pas, messieurs, s'il est parmi les libéraux quelques hommes qui ne veulent pas l'indépendance absolue des cultes ; quant à moi, je déclare n'en connaître aucun. Mais beaucoup de libéraux, ou plutôt tous les libéraux sont de cet avis, que la question des biens, la question des fondations ne sont pas des questions de culte. Le culte peut être parfaitement et complètement indépendant, abstraction faite de la possession des biens. Lorsqu'il s'agit de questions relatives à cette possession, lorsqu'il s'agit de fondations, ce sont là des affaires d'un ordre civil. C'est à l'autorité civile seulement qu'il appartient de décider si des biens peuvent être possédés, à quel titre, et sous quelles conditions ; mais cette autorité n'entend en aucune façon porter par là une atteinte quelconque à l'indépendance des cultes.

Je sais, messieurs, et je vais signaler d'où vient la difficulté on cette matière. Nous ne sommes pas dans une situation logique. La Constitution elle-même n'est pas logique. Sans qu'elle soit absolue, il y a une séparation de l'Eglise et de l'Etat ; mais si cette séparation était complète, absolue, si elle était dénuée de tout point de contact, il n'y aurait pas grande difficulté. La difficulté naît de ce que l'indépendance étant proclamée d'un côté, on impose de l'autre des devoirs et des obligations à l'Etat. Si chaque culte faisait les frais de sa propre administration, si les communautés de fidèles de chaque rite se chargeaient de toutes les dépenses de leur culte sans intervention de l'Etat, de la province ou de la commune, il n'y aurait pas de difficulté.

- Une voix. - Comme en Amérique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce serait la situation qui existe aux Etats-Unis. Mais ici le contact est forcé. Il résulte de la disposition constitutionnelle, sainement entendue, qui, en mettant les traitements et les pensions des ministres des cultes à la charge de l'Etat, suppose aussi, par voie de conséquence, le maintien du régime qui existait à cette époque, c'est-à-dire une certaine organisation des cultes et une certaine catégorie de cultes véritablement reconnus, de cultes qui ont une organisation quant aux biens qui y sont consacrés par la loi.

M. B. Dumortier. - C'est la plus grande erreur constitutionnelle. La Constitution n'admet pas une certaine organisation des cultes indépendants de l'Etat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vous ai dit : Quant aux biens.

M. B. Dumortier. - Vous ne pouvez pas séparer les biens des choses, séparer la presse des caractères typographiques.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je crois énoncer une vérité très évidente, lorsque j'indique que la difficulté naît pour nous, relativement à toutes ces questions, de ce qu'il y a une obligation de salarier les cultes, et de ce que l'on a maintenu les dispositions qui existaient en 1830, lorsque la Constitution a été proclamée, relatives à l'organisation des administrations du temporel des cultes. Nous avons de ce chef des difficultés ; incontestablement elles disparaîtraient, si nous avions la séparation absolue de l'Eglise et de l'Etat. Eh bien, ces difficultés, il faut les résoudre d'une manière sage, raisonnable et pratique.

A-t-on vu jusqu'à présent que l'opinion libérale, appelée à se prononcer sur l'une ou l'autre de ces questions, les ait résolues de manière à porter la moindre atteinte à la liberté des cultes ? Jamais. A-t-on vu l'opinion libérale, ayant à s'occuper de ces questions du temporel des cultes, y porter un esprit étroit, mesquin, haineux ? Nullement. Au contraire, elle y a toujours apporté un esprit large et libéral. Au moment où vous vous insurgez contre la politique du ministère. Au moment où vous élevez les plus vives clameurs, de quoi s'occupe le ministère, que dit l'opinion libérale ? Ecoutez : Les traitements du clergé sont insuffisants ; si on révise les traitements des fonctionnaires publics, il faut qu'on révise les traitements du clergé. Qui s'élève parmi nous pour protester ? Mais personne ; on trouve la chose toute naturelle.

Nous sommes accusés de vouloir porter atteinte à l'indépendance des cultes. De quoi nous occupons-nous ? De construire des églises. Jamais peut-être on n'a vu figurer au budget autant de crédits extraordinaires pour la construction des églises que depuis que les libéraux sont au pouvoir. Dans le budget de 1862 que vous allez examiner, figure un crédit extraordinaire de 450,000 francs affecté aux édifices du culte.

Vous allez répétant que la religion court les plus grands dangers, qu'elle est menacée, que les bonnes âmes doivent être fort effrayées devoir les libéraux occupant le pouvoir. Comment voulez-vous qu'on vous croie ? Comment voulez-vous que le pays puisse arriver à se persuader que vous proclamez des vérités, lorsque vous tenez un pareil langage ? Depuis quinze années, à peu près que les libéraux ont été au pouvoir, que voit-on ? La restauration des monuments, la restauration des édifices du culte, tout ce qui peut ajouter à sa splendeur, on ne le réclame jamais en vain de ce ministère libéral, représenté comme l'ennemi de tout ce qui touche aux cultes.

Ces prétendues inquiétudes et ces vaincs alarmes que vous essayez de propager, n'ont donc aucune espèce de fondement, et l'honorable M. de Theux ne peut être écouté lorsqu'il accuse l'opinion libérale de vouloir porter atteinte à l'indépendance des cultes.

Cependant, messieurs, ce ne sont pas là nos seuls méfaits.

Dans la question de l'enseignement, nous sommes aussi bien coupables.

L'honorable comte de Theux est-il bien convaincu que l'on a été, dans les prétentions de la droite, parfaitement fidèle aux traditions du Congrès national en matière d'enseignement ? L'honorable comte de Theux ne se souvient-il plus qu'il a préparé, en 1834, avec une commission dont il était membre, un projet de loi organique de l’enseignement et l'honorable comte de Theux serait-il prêt à défendre et pourquoi n'a-t-il pas défendu ultérieurement les principes qui étaient consacrés dans ce projet de 1834. L'honorable comte de Theux venait à peine alors de sortir du Congrès ; il savait parfaitement alors ce qu'il fallait entendre et par la liberté des cultes et par la liberté de l'enseignement. Eh bien, les principes que nous avons défendus, les principes contre lesquels vous avez protestés, sont formellement écrits dans ce projet de 1834, et notamment le principe en vertu duquel le père de famille, par exemple, a le droit de dispenser son fils de suivre l'enseignement religieux.

M. de Theux. - C'est ce qui existe encore.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, mais c'est un droit que vous avez contesté.

Vous avez considéré ce principe, défendu par les libéraux, comme un principe des plus dangereux, des plus pernicieux.

Mais les griefs, on les trouve dans la loi de 1849, qui a introduit un autre mode pour la nomination des jurys d'examen, dans la loi de 1850, qui a prétendument exclu l’enseignement religieux des écoles, et enfin dans la pensée que l'on pourrait modifier la loi sur l'enseignement primaire. Voilà ce que vient de dire l'honorable comte de Theux.

L'honorable M. de Theux paraît avoir oublié les faits. Pourquoi la loi de 1849 a-t-elle été faite ? Uniquement pour mettre un terme aux abus scandaleux qui résultaient du système pratiqué par l'honorable comte de Theux. (Interruption). On avait organisé un système de jurys d'examen, en vertu duquel on accordait une prépondérance marquée, évidente, à l'université de Louvain. Le choix des membres de ces jurys était politique, et il avait un tel caractère de partialité, que l'honorable comte Vilain XIIII n'a pas hésité à déclarer dans cette Chambre que ces choix étaient empreintes de la plus révoltante partialité. Il a ajouté que s'ils n'avaient pas été tempérés par les soins du ministre, dans sa neutralité, on n'eût pas pu supporter un pareil état de choses.

Or, voici comment, dans son impartialité, le ministre neutre corrigeait les choix révoltants faits par la majorité politique.

Les cours principaux étaient tous représentés par des professeurs de la majorité impartiale et neutre, et le ministre neutre nommait, pour les cours secondaires, les représentants des établissements officiels, des établissements de l'Etat qu'il était chargé de diriger. Qu'est venue faire l'opinion libérale ? Elle pouvait faite une chose, et qui n'eût été que la peine du talion ; elle pouvait maintenir votre législation et faire à son tour des choix d'une partialité révoltante pour écraser l'université de Louvain. Eussiez-vous pu vous plaindre ? On n'eût fait que pratiquer votre loi, comme vous l'aviez pratiquée vous-mêmes ! L'opinion libérale a eu la grandeur, la générosité, l'impartialité... (Interruption.)

Descendez dans vos consciences, et vous reconnaîtrez que l'opinion libérale a été grande et généreuse. Quand elle a proposé le système de 1849, elle a dit : Inscrivons dans cette loi ce principe, que les jurys d'examen seront composés de telle sorte, que les professeurs de (page 245) l'enseignement de l'Etat et de l'enseignement libre, soient représentés en nombre égal. Voilà ce qu'a dit l'opinion libérale ; et vous osez lui faire un grief d'avoir introduit un pareil principe, un pareil système ? Non seulement on a établi une représentation égale des deux enseignements, mais on a dit comment on voulait appliquer le principe qu'on posait.

Le système n'a pas obtenu dans la pratique le résultat qu'on en espérait, mais il révélait un amour de la justice que personne de vous ne pourrait contester. (Interruption.)

Mais la loi de 1850 ! L'honorable M. de Theux ne paraît pas avoir un souvenir bien exact des dispositions de cette loi. Elle excluait, dit-il, l’enseignement religieux. Au contraire, elle portait en toutes lettres que les ministres des cultes seraient invités à surveiller ou à donner l'enseignement religieux dans les établissements fondés en vertu de la loi. Voilà ce qu'énonçait le projet présenté par le gouvernement.

- Un membre. - Il n'était pas compris dans le programme.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il ne se trouvait pas dans le programme, dit-on ? Quelle étrange prétention de vouloir qu'on déclare cet enseignement obligatoire, alors que personne ne possède aucun moyen de contraindre le clergé à le donner ? Le but qu'on poursuivait était-il de faire fermer l'établissement, dans le cas où le clergé eût refusé son concours. La prétention est incroyable ; c'est pourtant une des prétentions de l'opinion catholique ; elle a été formulée en 1842 ; on a proposé alors, dans cette Chambre, de déclarer que le» écoles que l'Etat créerait seraient fermées si le clergé refusait son concours. (Interruption.)

Ce principe a été défendu par M. Dechamps, et il était inscrit dans le projet présenté par M. Nothomb.

L'honorable M. de Theux se trompe donc quand il déclare que l’enseignement religieux était exclu du projet de 1850 ; mais il serait dans le vrai s'il reconnaissait que n'ayant pas le moyen de contraindre le clergé à donner l'enseignement religieux dans nos écoles, nous avons respecté son indépendance constitutionnelle, en faisant appel à son concours librement consenti, librement accepté ou refusé.

Vous savez comment il a répondu à cet appel, comment il a entendu le devoir de donner l'enseignement religieux. Je nuirais, a-t-il dit, à l'école que je patronne, si je donnais l'enseignement religieux dans la vôtre. C'est ce qui s'est produit récemment encore à Termonde.

A la vérité, selon l'honorable M. de Theux, l’enseignement religieux est une chose essentielle dans l'école, tellement, essentielle, qu'il faut de tonte nécessité que ce soit écrit dans la loi. Il vous a dit que M. Cousin, dans un rapport adressé à M. Guizot, alors ministre de l'instruction publique, prétendait que l'enseignement religieux devait figurer même dans le programme des cours de philosophie.

Je comprends que, dans les pays où l'Eglise est subordonnée à l'Etat, dans les pays de l'Allemagne, par exemple, que venait de visiter M. Cousin, qu'en France même, où le ministre du culte est à certain degré considéré comme fonctionnaire public, on inscrive dans la loi l'obligation pour le clergé de donner l'enseignement religieux. Mais ce que je ne comprends pas, c'est qu'en Belgique les partisans de l'indépendance des ministres des cultes demandent que de pareils principes soient inscrits dans nos lois. Peut-on contraindre un ministre des cultes à donner l'enseignement religieux ? Non, sans doute, tout le monde le sait. Dès lors, que signifie d'en inscrire l'obligation dans la loi ?

Parlons de la charité, a dit M. de Theux ; elle est évidemment la fille du christianisme ; qu'en a-t-on fait ? Qu'en ont fait les libéraux ? Les libéraux ont laissé la charité parfaitement libre, parfaitement indépendante. Mais pour l’honorable M. de Theux, la charité, ce sont des fondations, c'est-à-dire en réalité la bienfaisance publique. On comprend que l'honorable membre, entendant ainsi la charité, dise qu'une atteinte a été portée à la charité, parce qu'on n'a pas laissé chacun libre de fonder des administrations caritatives et de les faire administrer comme il l'entendait. Mais qui peut dire que la charité n'a pas toujours été libre en Belgique, et que chacun ne peut pas faire la charité comme il l'entend ? Quel est l'homme raisonnable qui puisse dire que les fondations, qui émanent de l'autorité, qui n'existent qu'autant qu'elles sont sanctionnées par le pouvoir, que les fondations ne jouissent pas de la liberté dont elles doivent jouir ? Ne peut-on pas consacrer son bien à tout œuvre charitable ? L'affirmative n’est pas douteuse. Mais la fantaisie d'un testateur, quelle qu'elle soit, ne doit pas toujours être consacrée par l'autorité publique. S'il veut établir un couvent, il ne reçoit pas la consécration de l'autorité. (Interruption.)

Le mot blesse, personne ne veut-il de couvent ?

Ne les appelez-vous pas des établissements charitables ? Ne sont-ils pas essentiellement, selon vous, des établissements charitables ? Pourquoi donc selon vous, ne pourraient-ils pas être l'objet de fondations à ce titre ?

Or, c'est précisément ce que nous ne voulons pas, nous disons que ce qui constitue ici la bienfaisance publique, qui est tout autre chose que la charité doit être soumis au principe général qui régit la possession des biens affectés à toute espèce d'établissements publics.

Maiso n a été beaucoup plus large, beaucoup plus libéral en Hollande et en Angleterre, dit l'honorable comte de Theux.

En effet, messieurs, en Hollande et en Angleterre, la législation n'était pas aussi soucieuse de la bonne gestion des biens. Mais en quel pays, je vous prie, y a-t-il eu plus d'abus, plus d'abus déplorables, plus d'abus scandaleux que dans ces deux pays ? Tout le monde sait qu'en Hollande, on l'a constaté dans cette enceinte, les biens affectés aux fondations charitables se trouvent souvent détournés de leur destination ; l'on ne devrait pas plus ignorer qu'en Angleterre des enquêtes, qui ont duré depuis 1849 jusqu'en 1855, ont amené la constatation des abus les plus déplorables et les plus scandaleux commis dans l'administration des biens charitables, et que, depuis cette époque, des dispositions ont été introduites pour obtenir une meilleure gestion, un meilleur contrôle des biens affectés à la bienfaisance, et que l'on est arrivé à établir une centralisation très puissante, comme il n'en existe dans aucun autre pays.

Ainsi, il n'y a pas trop encore à s'arrêter aux accusations que l'honorable comte de Theux porte contre nous de ce chef. Nous pensons que nous aurons une bonne administration des fondations charitables, et lorsque l'enquête à laquelle nous nous livrons sera terminée, nous pourrons soumettre à la Chambre un projet de loi dégagé de toute espèce de préoccupations sur la question des administrateurs spéciaux, question qui a été résolue par l'interprétation de l'article 84 de la loi communale.

El à ce propos, je me souviens que, dans une séance précédente, l'honorable comte de Theux nous a fait un grief à ce sujet ; il nous a dit : Mais vous avez, par un abus de pouvoir, par un véritable abus de pouvoir, interprété l'article 84, alors qu'il n'y avait pas de conflit judiciaire, et vous auriez dû attendre que le conflit eût été proclamé par les tribunaux pour faire une loi interprétative.

L'honorable comte de Theux se trompe. Il y a deux sortes d'interprétations ; il y a l'interprétation obligée, dont les conditions sont déterminées par la loi organique du pouvoir judiciaire, qui impose l'obligation de présenter une loi interprétative lorsqu'il y a conflit entre deux décisions souveraines. Mais il y a aussi l'interprétation par voie d'autorité, qui est toujours dans les mains du pouvoir législatif et dont il peut user à son gré.

Quand un doute s'élève sur l'interprétation d'une loi, le pouvoir législatif peut parfaitement interpréter cette loi et faire cesser le doute. C'est l'interprétation par voie d'autorité dont parle la Constitution.

Mais l'honorable comte de Theux oublie encore (il me paraît avoir oublié beaucoup de choses en cette matière), il oublie que ses propre amis ont proposé une interprétation de loi exactement dans les mêmes conditions que nous l'avons fait, nous, pour l'article 84. Il est vrai que c'était dans le sens de cette réaction dont nous avons parlé tantôt.

Dans le fameux projet de loi sur la charité, on a proposé une disposition, l'article 99, portant que l'on pourrait reconnaître, par arrêté royal, non plus seulement les congrégations hospitalières, mais celles qui s'occuperaient aussi de l'enseignement.

Quel était l'objet de cette disposition ? Voici la raison pour laquelle ou l'avait fait intervenir dans le projet de loi : Un grand nombre d'arrêtés royaux avaient reconnu la personnification civile à des congrégations de ce genre. Ces arrêtés royaux avaient été considérés comme inconstitutionnels, et il n'y avait sur ce point ni doute ni hésitation dans les tribunaux, il y avait accord complet entre les cours d'appel et la cour de cassation. C'était une jurisprudence inébranlable. On a proposé l'article 99, en cherchant à les faire envisager comme « rentrant dans l'esprit général de la loi que nous discutons, » ainsi que le dirait M. Nothomb. M. Malou qualifie cet article de disposition interprétative, dans le rapport qu'il a présenté au nom de la section centrale ; voici ce que contient ce rapport ;

(page 216) « L'exposé des motifs indique pourquoi le gouvernement a cru devoir proposer cet article. La force légale du décret de 1809, en vertu duquel des congrégations hospitalières peuvent être reconnues, n'est ni contestée, ni contestable.

« Quelques difficultés se sont élevées dans la pratique sur la nature des attributions qu'il est permis de leur confier. L'article 99 décide ces questions controversées, et il le fait dans le sens que le gouvernement impérial et ceux qui l'ont suivi y ont attaché ; il le confirme et l'interprète, mais en le laissant intact. »

Voilà ce que proposaient les amis de l'honorable M. de Theux. Ils proposaient d'interpréter - et dans quelles circonstances ? contre une jurisprudence unanime - ils proposaient d'interpréter le décret de 1809 et d'appliquer à une foule de corporations ce qu'il statuait pour les congrégations hospitalières seulement, c'est-à-dire de faire par arrêté royal ce que, sous la restauration, en France, on n'avait cru pouvoir faire que par une loi, par la loi du 17 mai 1825.

Enfin, messieurs, dernier grief : L'honorable membre nous a dit : Qu'avez-vous fait en matière électorale, vous, les grands adversaires de la liberté des cultes, vous qui avez si peu respecté la liberté d'enseignement et la liberté de la charité, qu'avez-vous fait en matière électorale ? Vous avez fait disparaître ce cens différentiel qui avait été sagement établi par le Congrès, en vue de diminuer la prépondérance que les électeurs des chefs-lieux avaient à divers titres, par la combinaison des impôts, et parce qu'ils pouvaient remplir leurs devoirs électoraux sans se déplacer ; en 1848 vous avez proclamé l'égalité du cens.

Messieurs, ce fut un acte nécessaire ; mais s'il renfermait toutes les énormités que l'on y a découvertes depuis, comment se fit-il que les honorables membres qui siègent encore aujourd'hui à droite ne se soient pas levés pour le combattre ? Comment, au contraire, l'ont-il exalté ? Je me souviens encore des paroles de l'honorable M. Dechamps. Selon l'honorable M. Dechamps,' « on avait ainsi, devançant les idées les plus hardies, faisant tomber les espérances les plus exaltées, on avait tout d'un coup arrêté la révolution ! »

Si cette mesure a été exaltée par quelqu'un, messieurs, elle l'a été surtout sur les bancs de la droite, et j'étonnerai peut-être nos honorables adversaires, quand je leur dirai que moi j'y ai été opposé ! (Interruption.) Moi j'y été opposé, et pourquoi y ai-je été opposé ? Mais parce que, sans contester qu'on fût arrivé successivement à avoir l'égalité du cens, le cens uniforme au minimum déterminé par la Constitution, j'étais dès ce moment-là parfaitement convaincu qu'une pareille mesure, l'égalité du cens, était de nature à amener au sein des collèges électoraux un grand nombre d'électeurs qui n'avaient pas alors suffisamment de lumières et d'indépendance pour exercer convenablement leurs droits électoraux. J'étais convaincu que cette mesure serait fatale à l'opinion libérale, et elle l'a été en effet ! Si la loi de 1848 n'avait pas été faite, mais il y a longtemps qu'une foule de collèges électoraux n'enverraient ici que des représentants libéraux. (Interruption.)

Cela est incontestable. Il y a des collèges électoraux qui envoyaient des représentants libéraux dans cette assemblée et qui ont cessé d'en envoyer depuis l'abaissement du cens. Cette mesure n'a donc pas été prise en vue de l'intérêt de l'opinion libérale. Elle a été déterminée par des considérations toutes différentes ; en un mot, elle a été le résultat des grands événements qui s'accomplissaient autour de nous. Elle a, d'ailleurs, été acclamée sur les bancs de la droite, et l'on s'étonne que des gens sérieux puissent venir en faire aujourd'hui un grief à l'opinion libérale.

C'est ainsi encore, messieurs, que, dans le même temps, nos adversaires qui se disent animés de tant d'esprit de conservation, exagéraient la réforme parlementaire présentée par les ministres de cette époque. Nous y mettions des tempéraments, de la modération ; nous voulions que certaines catégories de fonctionnaires publics, que des gens qui avaient passé par les épreuves administratives, qui étaient arrivés au sommet de la hiérarchie, pussent venir éclairer la Chambre de leurs lumières, de l'expérience qu'ils avaient acquise. Qui ne l'a pas voulu ? Mais nos honorables adversaires. L'homme qui a le plus insisté pour qu'il n'y eût absolument aucune espèce de restriction, c'est l'honorable M. Malou.

La politique du cabinet, dit l'honorable comte de Theux, cette politique divise. L'union eût été préférable aux intérêts moraux et matériels du pays. On aurait été dans de bien meilleures conditions si on n'avait pas cette politique ardente que nous voyons aujourd'hui se déployer dans le pays.

Messieurs, lorsque je considère ce qui s'est passé jusqu'à ce jour, je me demande ce que peuvent signifier ces plaintes et ces regrets. On n'a pas, comme je le rappelais au commencement et comme je viens de le prouver, on n'a pas de griefs sérieux à articuler contre le cabinet, contre la majorité ; la minorité ne se plaint que d'une chose, c'est de n'avoir pas assez d'emplois, c'est qu'on ne donne pas assez de places à ses amis.

Je ne sais ce qui en est. On n'a pas déjà tant de places à conférer. S'il s'agit de l'administration ordinaire, il n'y a pas là d'acception d'opinions ; les fonctionnaires avancent à leur rang, et je ne pense pas que personne se plaigne d'être écarté par esprit de parti.

S'il s'agit de la magistrature, à laquelle l'honorable comte de Theux a fait particulièrement allusion, eh bien, je ne veux pas dire à l'honorable membre que je le renvoie à ce qui s'est fait lors de l'organisation judiciaire de 1832 ; le pays s'en souvient assez ! C'est d'ailleurs une question délicate : nous ne pouvons pas entrer dans des discussions de personnes ; mais je demande quelle plainte a été faite contre les hommes qui ont été promus dans la magistrature par le cabinet libéral ? A-t-on contesté leur aptitude, leur moralité, leur capacité ? Ces choix ont été, je puis le dire, quoi qu'il s'agisse de mon collègue et ami M. le ministre de la justice, ces choix ont été, en général, irréprochables, et ils ont obtenu la sanction la plus éclatante et la plus significative de toutes, celle de la magistrature elle-même. Je dis qu'à cet égard il n'y a qu'une voix, et qu'accuser les libéraux d'esprit de parti, dans ces choix, est une accusation dénuée de tout fondement. C'est-à-dire, messieurs, que ce n'est pas l'opinion politique qui détermine le choix d'un magistrat ; mais ce n'est pas non plus l'opinion politique qui déterminerait son exclusion. Ce qui est à considérer, c'est l'aptitude du magistrat, son caractère, son honorabilité, et à tous ces points de vue, je le répète, les choix sont inattaquables.

Messieurs, je dis donc que, à part ce qui a été énoncé relativement aux emplois, pas un grief n'est articulé contre le cabinet par l'opposition. Toutes les accusations tombent d'elles-mêmes au moindre examen, qui en démontre l'inanité.

Mais il faut attaquer à tout prix le libéralisme ; tous les moyens sont employés contre lui, la tribune et la presse.

Quant à cette dernière, qu'avons-nous vu ? Au nom de ceux qui ne parlent que de paix, de modération, d'exclusion de tout esprit de parti, nous avons vu la presse la plus agressive, la plus passionnée, la plus violente qui se soit jamais produite à aucune époque, en Belgique. Voilà depuis quatre années sans interruption que les mêmes violences se répètent, que les mêmes injures, les mêmes outrages sont prodigués aux hommes qui sont au pouvoir et à la majorité libérale.

Est-ce que vos idées sont en harmonie avec celle de cette presse, de cette presse qui vous représente ? Est-ce que vous n'avez aucune espèce d'action sur cette presse ?

M. de Theux. - Aucune.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Aucune ? Je lisais cependant dans un journal très autorisé, j'y lisais, il y a quelques jours, à propos d'une polémique sur la question du traditionalisme, que « le rédacteur du journal, ayant reçu des représentations de son évêque, consentait par esprit de paix et de tolérance, à ajourner la discussion. » Je suis persuadé, et bien peu d'entre nous en doutent, que si le moindre désir était manifesté de voir la presse dite religieuse et catholique avoir un autre langage, une autre attitude, faire preuve de plus de modération, je suis persuadé, dis-je, que cette recommandation serait écoutée. Je crois que vous en êtes tous convaincus.

Nous avons vu les journaux paraître et disparaître parce que l'on croyait que le besoin de l'unité était impérieux. C'était en vertu de bons conseils que ces journaux paraissaient et disparaissaient. Je ne vois pas pourquoi la même influence ne pourrait être exercée sur cette presse.

M. B. Dumortier. - Sur la vôtre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous ne sommes pas le parti de l'autorité.

M. B. Dumortier. - Vous l'avez en main, l'autorité.

MpVµ. - M. Dumortier je vous prie de ne pas interrompre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quoi qu'il en soit, messieurs, il y a une grande différence, je dois le dire, entre les deux presses.

A quelques excès que l'on puisse se porter, il y a des limites qu'on ne peut franchir honnêtement. Eh bien, nous avons vu les outrages les plus sanglants...

M. de Moor. - Scandaleux !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ... les plus déplorables adressés (page 247) à des hommes que vous estimez, que vous aimez et à qui vous serrez tous les jours la main.

N'avons-nous pas vu, je dirai la chose sans réticence, n'avons-nous pas vu, dans ces derniers jours, le principal organe de votre parti, parlant d'une de nos gloires nationales, d'un homme qui a été l'un des fondateurs de la nationalité, qui a fait partie du gouvernement provisoire, qui a siégé au Congrès avec vous et qui pendant plus de trente ans a servi avec fidélité le pays, l'accabler des plus violents outrages, le désigner comme étant le fils d'un bourreau !!! (Marques nombreuses de réprobation à gauche.)

M. Allard. - C'est une infamie !

M. de Moor. - Une lâcheté !

M. H. Dumortier. - Nous ne sommes pas responsables de pareils excès.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais vous pouvez les flétrir !

M. Allard. - Vous restez froids.

M. Rodenbach. - Il n'y a pas un membre de la droite qui approuve cela.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous restez parfaitement impassibles sur vos bancs.

M. de Moor. - D'un froid glacial.

M. Rodenbach. - Nous protestons.

- Voix à gauche. - Un peu tard.

- D'autres membres à droite. - Oui ! oui ! nous protestons.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous deviez protester sans y être provoqués.

Je dis donc, messieurs, que cet état de la presse dénote une situation exceptionnelle, et que la plus grande modération de notre part, modération que nous n'abdiquerons pas pour cela, ne saurait la déterminer à changer de langage.

Il est évident que l'on veut aller a- delà même de ce qui a été successivement dans la pensée de l'opinion catholique. On voudrait plus encore ; cette presse voudrait davantage que ce que les hommes du parti catholique osaient réaliser quand ils étaient au pouvoir.

En effet, nous avons vu à certains moments, lorsque ces bancs étaient occupés par des hommes dont les opinions sincèrement religieuses, ne pouvaient être suspectées par personne, nous les avons vus tour à tour accablés des mêmes injures, des mêmes outrages, accusé de lâcheté parce qu'ils n'allaient pas assez loin ou assez vite, eux qui étaient cependant les auteurs de ce projet de loi qui a si profondément ému le pays.

Ce n'était pas assez encore pour qu'on donnât satisfaction à cette fraction avancée de l'opinion catholique, qui veut plus que ce qui a été fait jusqu'à présent, qui veut, il faut bien le dire, par la thèse qu'elle défend, attaquer les principes essentiels sur lesquels repose la Constitution belge

M. B. Dumortier. - Cela non ! C'est inexact.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je l'ai dit et je le répète, ces violences et ces excès ne nous ferons pas sortir de la ligne de modération que nous avons suivie jusqu'à présent.

Nous continuerons à pratiquer sincèrement, fidèlement, loyalement, cette politique qui importé au bien du pays ; nous continuerons, messieurs, à défendre les mêmes principes que nous défendons depuis tant d'années dans cette enceinte, et qui jusqu'à présent ont été accueillies avec une satisfaction incontestée par la majorité du pays.

(page 251) .M. Dechamps. - Messieurs, avant d'entrer dans le débat, permettez-moi de vous dire un mot de l'incident qui a marqué la fin du discours de l'honorable ministre des finances.

Il a parlé d'excès de la presse qui n'est pas justiciable de la tribune ; il a voulu nous rendre responsables de ceux de la presse qui défend notre opinion.

Je demande si lui et son parti voudraient jamais se déclarer solidaires des excès de la leur ?

Messieurs, tous les hommes politiques qui ont été au pouvoir ont été tour à tour traînés sur la claie des injures et des calomnies de la presse ; vous le savez bien, et vous n'êtes pas venus protester quand ces calomnies cherchaient à nous atteindre.

Eh bien, dans cette occasion, nous flétrissons comme vous, avec la même énergie que vous, tous les excès de quelque part qu'ils viennent et la tristesse se mêle à notre indignation quand ces excès s'adressent à des hommes honorables que nous estimons, que nous savons combattre comme adversaires politiques, mais envers qui nous savons garder le respect que nous nous devons les uns aux autres.

- De toutes parts. - Très bien !

.M. Dechamps. - Messieurs, mon honorable ami, le comte de Theux, vient d'exposer avec le calme et la haute raison qui le distinguent, les griefs de l'opposition et les motifs pour lesquels nous ne pouvons pas accorder au ministère la confiance entière que le projet d'adresse demande pour lui.

M. le ministre des finances s'est levé pour lui répondre, mais il a quelque peu transformé les rôles. Il s'est beaucoup moins défendu qu'il ne nous a attaqués. Il nous a reprochés d'être animés d'un esprit de réaction, d'être partisans de toutes les choses abusives du passé, d'être contraires aux idées modernes ; il a fait, à ce point de vue et à sa manière, l'histoire des partis ; tout à l'heure je referai cette histoire à mon tour.

Il a dit sa pensée sur la constitution des partis en Belgique, je dirai dans un moment la mienne, et je laisserai le pays juge entre lui et nous.

Messieurs, je tâcherai de conserver au débat le calme qui lui a été imprimé. Je n'ai nul besoin, au point de vue où je suis placé, d'attaquer les intentions et les hommes ; je veux combattre les principes d'une situation fausse et mauvaise, plus forte que les hommes et les institutions, et qui entraîne, selon moi, le ministère dans une voie fatale où il ne lui sera pas permis de s'arrêter.

Messieurs, dans un débat élevé, solennel, nous avons examiné, il y a quelques jours, la politique antérieure du cabinet.

Pour la première fois depuis 1830, notre politique étrangère, toujours tenue si soigneusement à l'écart de nos divisions intérieures, a été engagée dans la voie des partis. Pour la première fois, on a vu la Chambre se diviser en gauche libérale et en droite conservatrice, sur une question d'intérêt diplomatique et national.

Nous avons exprimé l'opinion que cet acte de politique extérieure que nous avons blâmé, devait tôt ou tard être une cause d'affaiblissement de notre bonne, ancienne et légitime influence en Europe.

Aujourd'hui, messieurs, c'est la politique intérieure du cabinet qui est soumise à notre appréciation. Je vais vous dire tout de suite ma pensée : Je crois que cette politique intérieure du ministère, par les divisions qu'elle entretient, - je ne veux pas dire par les désaffections qu'elle alimente, parce que je ne veux pas qu'on attache à mes paroles une signification antipatriotique, comme on l'a fait à l'égard de quelques-uns de nos amis, qui ont voulu parler de désaffection politique que fait naître toujours l'esprit de parti transporté au pouvoir, et nullement de désaffection nationale, de celle qui tourne les yeux vers l'étranger ; celle-là nous ne la connaissons pas, elle n'existe pas dans le pays.

Je dis donc que la politique intérieure du cabinet, par la division qu'elle entretient, par l'esprit de transaction qui est l'esprit du gouvernement qu'elle tend sans cesse à détruire ; par la force nationale qui vit d'union et de rapprochements et qu'elle tend à altérer ; je dis que cette politique doit devenir une cause d'affaiblissement au-dedans comme la politique extérieure, que nous avons combattue, est une cause d'affaiblissement de notre influence au-dehors.

D'abord, messieurs, et c'est mon premier grief, le ministère n'est pas dans une situation parlementaire sincère et vraie ; sa reconstitution a été faite et son programme rédigé précisément en sens inverse du vœu légal exprimé par les élections de 1859 et 1861.

M. B. Dumortier. - C'est cela.

.M. Dechamps. - Chez les nations où le régime représentatif est franchement pratiqué, le gouvernement, dans la formation des ministères et dans les programmes politiques, suit, autant qu'il est possible de le faire, la marche, le mouvement de l'opinion manifestée par les élections générales,

Pour me servir d'un mot qui a été souvent employé et qui est juste, quand le flot politique monte, c'est de ce côté que le gouvernement penche.

M. Guilleryµ. - Je demande la parole.

.M. Dechamps. - Contrarier ce mouvement, y opposer des digues et des résistances, cela s'appelle, dans toutes les langues parlementaires, de la réaction. (Interruption.)

Messieurs, n'est-ce pas, en effet, réagir, résister au mouvement de l'opinion manifestée par les élections générales, que d'avoir arboré, le lendemain des élections qui vous ont affaibli, un drapeau plus coloré, un programme politique plus accentué, plus agressif (l'honorable M. Goblet vient de déclarer et de reconnaître que le ministère a marché vers lui), un programme plus agressif que celui de la veille, quand vous étiez encore imposante majorité ?

Forts, et quand le pays semblait être avec vous, vous étiez relativement plus modérés ; faibles aujourd'hui et quand le pays revient à nous, vous cessez de l'être et vous vous jetez dans de dangereuses résistances.

Messieurs, examinons la situation parlementaire à la lumière des faits : après la dissolution de la Chambre en 1857, dissolution faite par la minorité au moment où les passions étaient violemment excitées, les élections ont été ce qu'elles devaient être dans de pareilles conditions de lutte ; majorité de près de soixante et dix voix la veille, nous fûmes réduits, le lendemain de cette tempête électorale, à n'être plus qu'une minorité de trente à trente-cinq-voix.

Qu'arriva-t-il.

L'opinion conservatrice laissa la fièvre tomber, le calme se faire dans le pays ; et, par le mouvement naturel de l'opinion, sans aucun des moyens dont dispose le pouvoir, sans pression, sans agitation, par le seul calme des esprits, nous avons pris nos revanches politiques et les élections de 1859 et de 1861 ont été des échecs pour le ministère.

II a perdu non seulement une grande partie des districts ruraux, mais des villes importantes comme Namur, Louvain et Charleroi en 1859, il a subi en 1861 un second échec à Louvain, il a dû maintenir le statu quo à Charleroi, il a échoué en grande partie à Gand, la seconde ville du royaume ; et je ne sais pas s'il osera affirmer d'avoir conservé complètement Bruxelles.

MaeRµ. - Soyez donc satisfaits.

.M. Dechamps. - Nous devons l'être, puisque nous sommes aujourd'hui une forte minorité de 50 voix.

- Voix à gauche. - Erreur, 49 !

.M. Dechamps. - Le déplacement de 8 ou 9 voix suffit donc pour changer la majorité ministérielle. Or, je n'ai pas besoin de vous dire que ces 8 ou 9 voix forment précisément ce qu'on a appelé l'extrême gauche, le jeune libéralisme, la gauche démocratique. (Interruption.)

Cette fraction de la gauche, on avait brisé, avec elle, avec éclat, dans de récentes élections communales et générales à Bruxelles ; le parti ministériel a cru devoir créer un grand organe politique pour le combattre ; le ministère s'est trouvé, dans les précédentes sessions, en profond dissentiment avec cette extrême gauche, sur les plus importantes questions politiques soulevées, sur plusieurs questions d'enseignement supérieur et surtout sur les questions militaires. (Interruption.)

On était très fier alors à l'égard de cette fraction de la gauche dont on ne croyait pas avoir besoin pour former la majorité ministérielle ; on avait pour elle des paroles altières ; on lui envoyait même des démentis.

(page 252) - Voix à gauche. - Oh ! Oh !

.M. Dechamps. - Oui, des démentis. Aujourd'hui on est très peu fier, on lui tend la main, et l'honorable M. Goblet vient de la serrer, en remerciant le cabinet d'avoir fait ce pas vers ses amis et lui. C'est à eux, en effet, que s'adressent les concessions du programme politique du ministère. (Interruption.) Dans cette réconciliation dont l'avenir nous dira la durée, ce n'est pas l'extrême gauche qui est venue au ministère, c'est le ministère qui a fait un pas vers l'extrême gauche.

Mais, messieurs, ce parti de l'extrême gauche est trop intelligent... (interruption) ... pour ne pas comprendre la prépondérance qu'on lui fait et dont il dispose ; je ne sais pas s'il renonce à la partie de son programme que le ministère lui refuse ou qu'il ajourne, mais les concessions actuelles qu'on lui offre sur la réforme électorale, sur la sécularisation des fabriques d'église et des fondations de bourses universitaires, il les exigera réelles, bien efficaces, c'est-à-dire bien hostiles à notre opinion.

Mais c'est ici que l'embarras du ministère commence : il n'y a pas que la Chambre seule dans le pouvoir législatif, il y a le sénat, avec lequel il faut compter. Or, personne n'ignore qu'au sénat les partis sont presque en équilibre, et que si la majorité penche d'un côté, ce n'est pas du vôtre.

Voici donc la position du ministère entre les deux Chambres : Il a besoin de concessions efficaces et agressives à la Chambre pour satisfaire l'extrême gauche dont il a besoin pour conserver sa majorité, et ces concessions agressives sont impossibles à faire accepter par le sénat, où des mesures très modérées peuvent seules être adoptées.

Par conséquent, la voie dans laquelle le gouvernement est engagé aboutit à une rupture avec la fraction de la chambre sans laquelle sa majorité disparaît, ou bien à une rupture avec le sénat.

J'avais donc raison de dire, messieurs, que le ministère, peu parlementaire par son origine, n'est parlementaire ni par son programme rédigé en opposition formelle avec le mouvement du pays électoral, ni par les éléments dont se compose la majorité dans les deux chambres.

Messieurs, quelle est la cause de cette situation ? Sans doute le ministère cherche, comme l'a fait M. le ministre des finances, à l'expliquer par les raisons que les vaincus sont tenus de trouver le lendemain des défaites électorales. Mais, selon moi, il existe une cause générale et plus profonde que je vais indiquer : Le ministère n'est pas dans la logique parlementaire, parce que les partis ne sont pas dans la logique de la Constitution. Les partis tels qu'ils sont constitués puisent leurs noms dans les opinions philosophiques et dans les croyances religieuses ; les luttes engagées entre les partis sont engagées sur le terrain des libertés religieuses, l'enseignement, la charité, la liberté de la chaire, la liberté du prêtre dans son église et que l'on veut atteindre parce qu'on appelle le temporel du culte.

Mais si les partis ainsi constitués doivent être des partis permanents, si cette division caractérisée par des noms religieux est l'état normal du pays et qu'il faut conserver, vous devrez donc toujours avoir des questions de liberté religieuse, des questions cléricales comme vous le dites, pour maintenir et alimenter ces partis. Quand vous n'en aurez plus, il faudra en inventer.

Vous avez fait les lois sur l'enseignement moyen, sur le grade d'élève universitaire, sur la charité ; vous avez reconnu le royaume d'Italie, vous ferez des lois de réforme électorale et de sécularisation des fabriques d'église et de bourses d'études ; et puis ? Irez-vous jusqu'à la réforme de la loi de 1842 sur l'instruction primaire, jusqu'à l'enseignement obligatoire ? Après cela que ferez-vous ?

Le jour où vous vous arrêterez, la fraction avancée de votre opinion vous commandera, au nom du progrès, de marcher et de marcher toujours ; si vous ne lui obéissez pas, vous tomberez privé de son appui, sans lequel vous n'êtes plus qu'une minorité. (Interruption.) Comment ne voyez-vous pas qu'au bout de cette voie se trouve la ruine de nos libertés constitutionnelles ?

Messieurs, n'est-ce pas précisément le contraire que le Congrès national de 1830 avait voulu faire en fondant la Constitution ? La Constitution, c'était la transaction entre les deux partis sur les questions de liberté politique et religieuse.

En accordant la liberté en tout et à tous, aux libéraux la liberté de la presse, des opinions et des associations politiques, aux catholiques la liberté religieuse, la liberté d'enseignement et la liberté des associations religieuses, en réalisant la devise qu'on nous a empruntée, qu'ailleurs on dénature et qui n'y est qu'un rêve, l'Eglise libre dans l'Etat libre, qu'a voulu le Congrès national ? Il a voulu précisément débarrasser le terrain parlementaire et politique des questions religieuses ; il a cru interdire les luttes sérieuses et permanentes sur le sort de ces libertés ; il a pensé rendre non seulement possibles mais nécessaires la transaction sur ces questions et les gouvernements de transaction pour les appliquer, Voilà le caractère politique et élevé de la Constitution de 1830.

Dire que l'état des partis tels qu'ils sont constitués sur le terrain des questions religieuses, c'est l'état normal et parlementaire du pays, c'est dire que la Constitution a complètement échoué dans son œuvre et dans son but.

Je me suis promis, messieurs, chaque fois que j'aurais l'occasion de traiter ces questions à la tribune, de revenir sur une pensée claire, manifeste à mes yeux, et que j'ai déjà développée devant vous, sur laquelle il faut toujours revenir, pour la faire entrer dans les convictions du pays ; voici cette pensée :

Quelle a été l'attitude des deux partis depuis 1830, vis-à-vis de la liberté politique et de la liberté religieuse ?

Sans doute les deux partis, en partant de principes différents, ont pendant longtemps transigé sur ces questions se faisant des concessions mutuelles, depuis la Constitution jusqu'à la loi de 1842 sur l'instruction primaire ; ces transactions resteront l'honneur des opinions qui les ont signées. Mais depuis la division s'est agrandie, la conciliation a été exclue comme une défection et comme un mal et l'antagonisme a placé deux principes en présence.

Quels sont ces principes ? Sur quel terrain les luttes ont-elles été engagées ? Est-ce sur celui de la liberté de la presse et des associations politiques dont vous usez si puissamment ? Jamais.

J'ai déjà porté à cette tribune le défi auquel on n'a jamais répondu, le défi de citer une seule parole autorisée par nous, un seul acte de responsabilité posé par nous et qui eussent pour but, d'une manière même indirecte ou éloignée, de porter la moindre atteinte à ces libertés constitutionnelles.

Au bas des lois assez récentes sur la liberté de la presse qui ont soulevé des résistances dans cette enceinte, vous trouverez les noms de quelques-uns de vos ministres, mais vous n'y trouverez aucun des nôtres.

Messieurs, depuis 30 ans les luttes politiques ont été engagées exclusivement sur le terrain dos libertés religieuses, question d'enseignement, question de la charité, question du temporel des cultes, question de la liberté de la chaire. Voilà sur quoi nous sommes séparés.

Eh bien, dans ces questions que défendez-vous et que défendons-nous" ?

Je laisse de côté le fond même des questions ; je suppose un moment que vous ayez raison et que nous ayons tort, que ces libertés telles que nous les comprenons soient dangereuses, qu'elles donneraient trop de prépondérance à l'action religieuse, que le péril à craindre pour notre société menacée par la révolution, soit en effet l'influence religieuse ; je suppose tout cela ; je veux un moment admettre, par hypothèse, que vous ayez raison d'apporter à ces libertés, par la concurrence de l'Etat, des contre-poids, des limites et des entraves, bien ; mais encore une fois, que défendez-vous ? Est-ce la liberté ? Non, évidemment, c'est le pouvoir, c'est la centralisation, c'est ce que vous appelez les droits de l'Etat, la concurrence de l'Etat, le monopole du gouvernement, comme vous l'avez dit, à opposer à ce que vous nommez, par antiphrase, le monopole de la liberté ; c'est-à-dire les restrictions, les entraves, les limites posées aux libertés religieuses.

Jamais, à aucun jour, vous n'avez été les défenseurs de l'interprétation large et généreuse ou de l'extension de ces libertés.

Dans les questions relatives à l'enseignement, aux jurys universitaires, à la charité, au temporel du culte, c'est l'action de l'Etat, les nominations par l'Etat, la main, la saisine de l'Etat, le contrôle de l'Etat que vous voulez, et que vous voulez puissants.

Messieurs, depuis quelque temps, j'entends constamment sortir de vos bouches et retentir dans vos discours, le mot « abus » ; et M. le ministre des finances a surtout le talent de s'en servir. S'il s'agit de réformer le régime électoral, la loi d'enseignement primaire de 1842, la législation sur la charité et sur le temporel du culte, c'est au nom des abus réels ou possibles qu'on parle, c'est le tableau de ces abus que l'on aime à faire et dont on veut effrayer le pays.

Messieurs, ce mot « abus », c'est le mot de la fin de la restauration dans sa guerre contre la liberté politique. Vous refaites, à un autre point de vue, les discours de M. de Peyronnet sur la censure ; vous copiez le préambule des ordonnances de juillet, et l'exposé des motifs des lois de septembre. Vous traduisez le langage du second empire, quand, au nom des abus qu'avait enfantés le régime parlementaire et qui, à ses yeux, avait perdu la France, il a supprimé le régime parlementaire et la liberté politique, tout en invoquant, comme vous le faites, les principes de 1789. Messieurs, ce mot « abus », c'est le mot de tous les despotismes pour abolir toutes les libertés.

- Voix à droite. - Très bien !

.M. Dechamps. - Mais, a dit hier M. le ministre de la justice, nous ne sommes pas divisés par cette question de liberté ; ce qui nous sépare, (page 253) c'est que nous défendons nous, le principe de l'indépendance du pouvoir civil et que vous défendez la suprématie du clergé.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - C'est cela même.

.M. Dechamps. - Messieurs, je vais tâcher de découvrir, sous les apparences de ces mots, le sens réel qu'ils cachent, et vous venez que l'appréciation de M. le ministre de la justice n'est pas très différente de la mienne ; ce qu'il appelle indépendance du pouvoir, je l'appelle prépondérance et centralisation, et ce qu'il appelle suprématie du clergé, je l'appelle l'usage de la liberté. Que voulez-vous dire ? Avons-nous jamais voulu établir cette suprématie par des lois de prépondérance, par des privilèges, en mettant à la disposition du clergé, comme vous faites pour vous, en matière d'enseignement, les budgets et le trésor public ? Jamais. Ce que voulez dire, c'est que l'usage légitime des libertés religieuses, large et puissant, comme nous le demandons, comme l'avait voulu la Constitution, c'est que ce libre usage constituerait la suprématie catholique, c'est que ces libertés nous profitent trop, qu'il faut les restreindre par une concurrence écrasante de l'Etat ; voilà ce que vous voulez dire.

L'indépendance du pouvoir civil ! Mais, messieurs, si je comprends bien votre pensée, voici ce que c'est. L'opinion libérale, il faut bien le reconnaître, s'est servie puissamment de l'arme de la liberté de la presse et de la liberté d'association politique.

Mais dans la sphère de l'enseignement et de la charité, elle a peu fondé à ses frais et par ses seuls efforts ; pour suppléer à l'insuffisance de son action, elle réclame le secours, le bras de l'Etat et l'aide du budget ; c'est avec l'argent de tous qu'elle organise la concurrence dirigée contre les institutions libres d'enseignement et les fondations libres de la charité.

L'indépendance du pouvoir civil, c'est la prépondérance de l'Etat concurrent, comme la suprématie catholique, c'est l'usage de la liberté.

Je le demande à M. le ministre des finances, si nous avions, en Belgique, la législation anglaise sur l'enseignement, législation qui exclut tout enseignement public, qui n'accorde à l'Etat que le droit de confier des subsides, sous la condition de sa surveillance, aux associations libres, fondées par les cultes ; je lui demanderai, si nous jouissions, en Belgique, de la liberté, en matière de fondations charitables, dont jouissent la libre Angleterre et la sage nation hollandaise, je lui demanderai s'il ne considérerait pas ces législations libérales, comme fondant la domination du clergé, comme un détestable abus du passé ? C'est bien là le renversement des mots et des idées, c'est le beau nom libéral appliqué à tout ce qui est contraire, c'est la dérision de la vérité.

Dans les luttes que vous avez soutenues depuis 30 ans, vous avez donc été, avant tout, le parti du pouvoir, le parti de l'Etat, le parti de la centralisation ; vous voulez des restrictions, des entraves à la liberté, au nom d'abus réels ou supposés, en un mot vous n'êtes pas le parti libéral, vous êtes le parti doctrinaire. (Interruption.)

.Messieurs, je suis vraiment étonné de cette interruption et de cette protestation ; le mot de doctrinaire n'est pas, à coup sûr, une offense ; il a été trop noblement porté par les plus belles illustrations contemporaines, pour que vous puissiez l'accepter avec honneur. Vous êtes le parti doctrinaire, vous n'êtes pas le parti libéral.

Comment seriez-vous le parti libéral, vous qui opposez à l'action large et généreuse de la liberté religieuse, de l’enseignement religieux, de la charité religieuse, la concurrence exagérée, les digues et les résistances de l'action de l'Etat ?

Messieurs, je viens d'examiner l'altitude des deux partis vis-à-vis des libertés politiques et religieuses. Je vais examiner maintenant quelle est l'attitude que nous avons l'un et l'autre gardée dans les questions de pouvoir ; comment les partis y arrivent, et comment ils s'y maintiennent,

J'ai dit tout à l'heure, messieurs, que l'agitation politique, la passion politique lorsqu'elle est excitée, était toujours contre nous, mais que le calme du pays, la raison du pays était toujours avec nous.

N'avez-vous jamais été frappé de ce fait : l'opinion libérale, pour arriver aux affaires et pour s'y maintenir, a toujours eu besoin de deux choses : l'agitation politique et la dissolution parlementaire. Il lui a fallu la surprise de 1840, l'agitation européenne, la fièvre des associations permanentes et du congrès de l'hôtel de ville de 1847 et 1848, il lui a fallu les émotions contagieuses de 1857.

Elle a eu besoin toujours de la dissolution parlementaire.

la dissolution, messieurs, est une arme que la Constitution a confiée aux mains de la royauté, pour des situations difficiles, tendues et extrêmes, plutôt dans un intérêt de gouvernement que dans un intérêt de parti, plutôt pour maintenir la majorité menacée que pour la briser, plutôt pour rétablir l'équilibre parlementaire que pour le rompre.

L'opinion libérale en a toujours réclamé l'usage, chaque fois que la couronne a fait appel à son concours : en 1834, en 1840, en 1845, en 1848, en 1857.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ceci ne prouve pas qu'elle craigne l'opinion du pays.

.M. Dechamps. - Cela prouve que vous avez besoin de la passionner.

Toujours vous l'avez réclamée ou vous l'avez faite. Jamais l'opinion conservatrice n'en a eu besoin.

Quand les passions ne sont pas excitées, lorsque l'air n'est pas agité en Europe, lorsque le bon sens et la raison dominent, lorsque la fièvre des passions politiques ne règne pas, alors naturellement, par le jeu régulier de nos institutions, par le mouvement naturel et pacifique des élections et de l'opinion, sans avoir besoin des moyens de gouvernements irréguliers, sans passion, sans émotion contagieuses, nous avons conquis la majorité.

Messieurs, je ne veux vous citer que deux dates, les deux dates de l'avènement de l'opinion libérale au pouvoir, 1848 et 1857.

En 1848, vous avez non seulement dissous les chambres, mais tous les corps électifs, les conseils provinciaux, les conseils communaux. Vous avez fait la réforme électorale, dont a parlé M. le ministre des finances, que nous avons, d'après lui, acclamée et qu'il ne voulait pas. Messieurs, nous avons répondu cent fois à cette assertion. On sait très bien qu'en principe nous étions opposés à celle que M. Frère et nous avons votée, quoique nous n'en voulussions pas, ni lui ni nous. Vous savez bien que nous l'avons votée sous le coup de la pression des événements, en laissant au ministère toute la responsabilité de la mesure et en déclarant, dans le discours même que vous avez cité, que cette réforme était peu conforme à l'esprit de notre constitution.

Cette réforme radicale, que vous aviez refusée à vos amis la veille, changeait l'équilibre électoral tel que le congrès l'avait voulu l'établir.

Eh bien, après cette dissolution de tous les corps électifs, après cette réforme électorale, après avoir renversé pour ainsi dire tout le pays légal et politique et l'avoir reconstitué de votre main, le ministère du 12 août était appuyé sur une majorité de 80 voix ; il était assis dans la citadelle du pouvoir dont toutes les approches étaient soigneusement gardées ; on devait croire qu'il était maître de la situation pour de longues années.

Or, qu'est-il arrivé ? A mesure que la pacification des esprits se faisait en Europe et chez nous, à mesure que le calme renaissait dans les esprits l'opinion nous revenait. Dès 1852 les partis étaient déjà presque en équilibre, de telle manière que le pays électoral imposait au gouvernement le devoir de former un ministère pris dans les centres parlementaires, et en 1856 nous étions une majorité de près de soixante et dix voix.

M. Allard. - Avec les transfuges !

.M. Dechamps. - Je vous en parlerai tout à l'heure et je crois que vous ne reproduirez pas cette mauvaise objection.

Le ministère actuel, après 1857, se trouvait dans une. situation à peu près analogue à colle où il s'était trouvé en 1848.

Après la dissolution de la Chambre en 1857, faite sous l'empire d'une fièvre ardente des passions, nous tombâmes en un jour, à l'état d'une faible minorité de 30 à 35 voix.

L'opinion conservatrice suivit sa politique traditionnelle de prudence, elle laissa tomber cette fièvre et ces passions, et comme cela s'était passé de 1852 à 1856, par le mouvement pacifique de l'opinion, nous remontâmes le courant qui nous porta, par les élections successives de 1859 et de 1861, à la position où nous sommes d'une forte minorité de 50 voix.

Je viens, messieurs, d'examiner l'attitude prise et conservée par les partis dans les deux questions de la liberté et du pouvoir. Il me reste à apprécier les causes de la situation que j'ai tâché de définir ; mais l'heure, est trop avancée, et je prie la Chambre de me permettre de continuer ce discours demain.

(page 247) - La séance est levée à 5 heures.