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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 14 janvier 1862

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1861-1862>)

(page 417) (Présidence de M. Vervoort.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Florisone, secrétaire, procède à l’appel nominal à 2 heures et un quart.

M. de Moor, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la dernière séance.

- La rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Florisone, secrétaire, présente l'analyse suivante des pièces adressées à la Chambre.

« Des éleveurs, cultivateurs et intéressés à Gand prient la Chambre de rétablir au budget de l'intérieur le subside pour l'extension et le développement des courses de chevaux en Belgique. »

« Même demande d'éleveurs, cultivateurs et propriétaires à Bruges, à Mons et aux environs de cette ville. »

M, de Baillet-Latourµ. - Je demande que cette pétition soit déposée sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.

- Adopté.


« Le sieur Canivet présente des observations contre la demande ayant pour objet le maintien de l'école des petits frères dans sa commune. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Lamary, huissier de contraintes pour le recouvrement des contributions directes, demande un traitement à charge de l'Etat. »

- Même renvoi.


« Le sieur Raimon, ancien éclusier receveur, à Lesinnes, demande la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur Ramackers, gendarme pensionné, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« La dame Heurs réclame l'intervention de la Chambre pour obtenir la révision d'un jugement. »

- Même renvoi.


« Le sieurs Peeters, batelier sur le canal de Charleroi, réclame l’intervention de la Chambre pour obtenir la restitution d'une somme qu'il a prêtée à un employé de l'administration de ce canal. »

- Même renvoi.

« Le sieurs Vanhers demande que, dans les communes où la garde civique est non active, le chef de la garde ait droit aune indemnité chaque fois qu'il a dû convoquer le conseil de discipline. »

- Même renvoi.


« Le sieur Colson, ancien directeur de boulangerie militaire, soumet à la Chambre des considérations pour faire régulariser sa position militaire ; il demande, en outre, que sa réclamation soit soumise au pouvoir judiciaire et qu'on lui paye des arriérés de solde. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Rance demande la construction d'un chemin de fer traversant le canton de Beaumont. »

- Même renvoi.


« Les greffiers de justices de paix dans l'arrondissement de Mons prient la Chambre d'augmenter leurs traitements et d'élever le tarif de leurs honoraires. »

- Même renvoi.


« Les instituteurs dans l'arrondissement d'Audenarde prient la Chambre de leur allouer un traitement fixe et demandent que l'instruction primaire soit déclarée gratuite. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Schaerbeek prie la Chambre de mettre le gouvernement à même de racheter la concession de la route partant de l'extrémité de la rue Royale extérieure et aboutissant au pont de Laeken sur le canal de Willebroeck. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Calmpthout demande la révision de la loi du 28 février 1845, relative au domicile de secours. »

« Même demande des administrations communales de Veerle, Tongerloo, Rymenam, Oorderen, Casterlé, Bonheyden, Hoboken, Brasschaet, Lille, Leest, Londerzeel, Schriek, Wuestwezel, Cappellen, Poederlé, Lebbeke, Stabroeck, Eynthout, Vaerendonck.

M. Rodenbach. - Je demande le renvoi à la commission des pétitions, avec invitation de faire un prompt rapport.

- Adopté.


« La chambre du conseil communal d’Arbrefontaine prient la Chambre d’allouer à cette commune, à titre de secours, une somme de 10,000 francs, pour venir en aide aux familles nécessiteuses, qui seraient employées à des travaux d’assainissement. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l’intérieur.


« La députation permanente du conseil provincial de Liège prie la Chambre de voter un crédit pour l'entretien des chemins de grande communication dans cette province et demande subsidiairement qu'il soit fait une nouvelle répartition du crédit pour l'amélioration de la voirie vicinale, de manière à tenir compte du supplément de dépense que la province consent à s'imposer. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« Des facteurs de la poste à Feluy-Arquenne demandent une augmentation de traitement. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux publics.


« Le sieur Frédéric-Guillaume Schoeffler, maître d'hôtel à Anvers, né à Bruschwiekersheim (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Coen, gendarme pensionné, demande qu'il lui soit fait application de la loi relative à la pension des gendarmes. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Vezon demande une loi qui fixe le minimum des traitements des secrétaires communaux. »

« Même demande des conseils communaux de Beverloo, Oostham, Quaed-Mechelen, Zolder, Poel, Beeringen, Nieuwerkerken, Stockroy, Appels et Wieze. »

- Même renvoi.


« Des gendarmes pensionnés demandent une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Les employés du commissariat de l'arrondissement de Tournai demandent que leur position soit régularisée. »

- Même renvoi.


« Le secrétaire du parquet de Nivelles demande une augmentation de traitement.

« Même demande des secrétaires du parquet à Furnes, Tongres, Mons, Marche, Audenarde, Namur, Verviers, Arlon, Termonde, Hasselt, Dinant, Louvain, Bruges et Malines. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de la justice.


« Les gardes champêtres du canton de Couvin proposent des mesures pour améliorer leur service.

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des membres du conseil communal de Hoogstraeten appellent l'attention de la Chambre sur des faits relatifs à la création d'une école de filles dans cette commune, et se plaignent d'une atteinte portée aux franchises communales. »

M. Rodenbach. - Je demande le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière d'en faire l'objet d'un prompt rapport.

- Adopté.


« Par 15 messages en date des 27 et 28 décembre 1861, le Sénat informe la Chambre :

« 1° Qu'il a donné son adhésion à un projet de loi de grande naturalisation ;

« 2° Qu’il a pris en considération deux demandes de grande naturalisation ;

« 3° Que le sieur Albert-Léopold Loesewitz, capitaine de navire de commerce à Anvers, retire sa demande de naturalisation ordinaire ;

« 4° Qu'il a donné son adhésion aux projets de loi contenant :

« Le budget des dotations pour 1862 ;

« Le budget de la dette publique pour 1862 ;

« Le budget des finances pour 1862 ;

« Le budget des voies et moyens pour 1862 ;

« Le budget des recettes et des dépenses pour ordre de 1862 ;

« Le budget des non-valeurs et des remboursements pour 1862 ;

« Le projet de loi qui approuve le traité de commerce et de navigation conclu avec la Porte Ottomane.

« Le projet de loi portant extension du ressort du conseil de prud'hommes de Renaix.

(page 418) « Le projet de loi qui alloue au budget du ministère de la justice, pour l'exercice 1861, des crédits supplémentaires à concurrence de 136,000 francs.

« Le projet de loi fixant le contingent de l'armée pour 1862.

« Le projet de loi ouvrant des crédits provisoires à divers départements ministériels. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre l'état détaillé de l'emploi des subsides de toute nature alloués pendant l'année 1859 aux établissements d'instruction moyenne mentionnés dans la loi du 1er juin 1850. »

- Dépôt sur le bureau, pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« M. le ministre de la justice dépose, conformément à l'article 24 de la loi du 18 juin 1851, l'exposé de la situation des établissements d'aliénés du royaume pendant l'année 1860. »

- Impression et distribution.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre l'état détaillé de l'emploi de subsides de toute nature alloués, pendant l'année 1859, aux établissements d'instruction moyenne mentionnés dans la loi du 1er juin 1830.

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget de l'intérieur.


« M. le ministre de la justice dépose l'exposé de la situation des établissements d'aliénés du royaume pendant l'année 1860. »

- Impression et distribution.


« M. le ministre de la justice adresse à la Chambre, avec les pièces de l'instruction, les demandes en naturalisation ordinaire des sieurs Duisburg (P.-T.), Zulch (Louis) et Gelhausen (Pierre). »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


M. Joseph Jouret prête le serment prescrit par la Constitution ; il lui en est donné acte.


« M, De Fré, retenu chez lui par une maladie assez grave, demande un congé. »

- Accordé.


« M. Van Overloop demande également un congé de quelques jours. »

- Accordé.


Il est procédé au tirage au sort des sections du mois de janvier.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l’exercice 1862

Discussion générale

MpVµ. - Pendant la discussion du budget en section centrale, M. le ministre de la justice a transmis une proposition tendante à modifier le libellé de l'article 56 et à porter à 150,000 francs le crédit de 100,000 fr. qui était primitivement porté au budget.

La section centrale propose l'adoption du budget.

- La discussion générale est ouverte.

M. Jamar. - La Chambre terminera probablement bientôt la révision du code pénal.

Il était normal de commencer notre réforme judiciaire en mettant, par l'adoucissement des peines, nos lois pénales en harmonie avec l'état de la civilisation et des mœurs, qui ont fait tant de progrès en Belgique depuis quelques années.

Cette tâche est bien près d'être terminée et je pense qu'il est important d'apporter sans retard aux lois qui régissent le commerce, les modifications que rend nécessaires l'incroyable essor imprimé à toutes les branches de l'activité commerciale par l'application si multipliée du principe de l'association, par le développement prodigieux de l'industrie et des voies de communication, et par l'abolition prochaine, je l'espère, des barrières qui entravent les rapports des peuples entre eux.

L'utilité et l'importance de cette réforme n'ont pas besoin, je pense, d'être démontrées à la Chambre.

Du reste, ce n'est pas le moment de montrer ici la faiblesse et les lacunes de nos lois commerciales, révisées seulement en ce qui concerne les faillites, mon but, en appelant sur ce point l'attention du gouvernement et de la Chambre, est de faire ressortir la nécessité d'imprimer une vive impulsion aux études préliminaires de cet important travail.

Une commission, je pense, a été instituée il y a deux ans au ministère de la justice pour s'occuper de cet objet. Je serais bien aise que M. le ministre de la justice voulût bien nous donner quelques explications sur l'état du travail de cette commission.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Il y a plusieurs années, comme vient de le dire l'honorable préopinant, qu'une commission a été nommée au ministère de la justice pour procéder à la révision du Code de commerce ; je pense qu'elle a été nommée par mon honorable prédécesseur M. Nothomb. Cette commission s'est livrée, depuis son institution, à l'examen des questions qui lui sont soumises. Je crois pouvoir dire que la commission approche du terme de sa tâche.

Le Code de commerce, comme on sait, est composé de quatre livres : la première partie traite du commerce général, la seconde est relative au commerce maritime, la troisième concerne les faillites, et la quatrième la juridiction commerciale, organisation des tribunaux de commerce, compétence et forme de procédure. La commission a terminé la révision du premier livre du Code de commerce et la plus grande partie du second livre ; elle s'occupe maintenant des assurances.

Quant au troisième livre, il a été révisé, il y a dix ans, et la loi sur les faillites et banqueroutes fonctionne d'une manière satisfaisante.

En ce qui concerne l'organisation des tribunaux de commerce, cette partie du Code de commerce sera comprise dans la loi d'organisation judiciaire qui sera présentée, j'espère, avant les vacances de Pâques, de sorte que la révision du Code de commerce pourra être soumise à la Chambre dans le cours de la session prochaine.

M. Coomans. - Messieurs, nous avons tous pu suivre les péripéties du long drame judiciaire qui vient de se dérouler à Mons. Une nombreuse bande de voleurs nocturnes a été frappée par la loi. Les magistrats instructeurs, le ministère public, le jury, la cour ont rempli leur devoir. Neuf condamnations à mort ont été prononcées, elles devaient l'être ; Dura lex sed lex.

Je remarque avec satisfaction que l'opinion publique, d'abord si irritée contre ces malfaiteurs, s'est bientôt calmée et qu'une pitié miséricordieuse a fait place à la légitime irritation des premiers jours. (Interruption.)

M. le ministre me répondra s'il le veut ou le peut.

Je désire qu'on m'interrompe le moins possible aujourd'hui, car je suis arrivé, encore malade, à la Chambre.

Je dis qu'il me semble, et je ne crois froisser personne en parlant ainsi qu'une pitié miséricordieuse a fait généralement place à la légitime irritation des premiers jours.

Je voudrais être rassuré sur les dernières conséquences de l'arrêt de la cour d'assises. (Nouvelles interruptions.)

Personne ne- m'empêchera de parler, pas même M. le ministre de la justice, qui devrait m'écouter avec sang-froid dans cette circonstance.

Je l'avoue, messieurs, la peine de mort m'a toujours inspiré une répugnance presque invincible.

En vain la froide raison, la science et l'intérêt social m'en démontraient-ils la légitimité, la nécessité même, mon cœur s'est souvent révolté contre les arguments de l'école, et ce n'est pas sans une certaine hésitation que, l'an dernier, à ce banc, j'ai voté avec vous tous, sauf une exception, je pense, le maintien de la peine de mort. Je ne m'en repens pas. Je crois que cette peine doit être maintenue dans notre Code pénal, non seulement à titre de simple menace, mais pour être appliquée effectivement dans certaines circonstances.

J'ai eu toutefois l'occasion de le dire l'an dernier : j'accepte la peine de mort, mais alors seulement qu'il y a eu assassinat avec préméditation. Je n'admets pas la peine de mort pour des atteintes à la propriété ni même pour des assassinats en quelque sorte improvisés.

Quand la société aura à se défendre contre de grands assassins, quand elle se trouvera en face de ces organisations monstrueuses et rares dont la dépravation semble en quelque sorte irrémédiable, qu'elle les frappe, j'y consens. Mais tel ne me semble pas être le cas pour la bande jugée à Mons. Quelque coupables que soient ces hommes, ils ne me paraissent pas l'être au point d'exiger de la société un sacrifice sanglant. Ils ont parfois reculé devant l'effusion du sang ; ils ne sont pas incorrigibles.

Messieurs, pour que la peine de mort soit réellement légitime, il faut que l'application en soit nécessaire et obtienne l'assentiment général ; il faut que la conscience des condamnés y consente elle-même.

Tel n'est pas non plus le cas, je le dis, pour les voleurs de Mons.

J'espère donc, c'est le but et la fin de mon discours, que M. le ministre de la justice s'empressera de proposer une commutation de peine au Roi clément et éclairé, qui n'a jamais refusé une grâce de ce genre.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, je laisse à la Chambre le soin d'apprécier la convenance d'une semblable discussion.

Messieurs, jusqu'à présent cette affaire n'est pas vidée judiciairement ; un pourvoi en cassation, assure-t-on, est formé ; il est possible que la cour d'assises ait encore à connaître des faits qui viennent de se dérouler à Mons.

II eût été, en tous cas, convenable d'attendre jusqu'à ce que la justice fût complètement dessaisie pour porter le débat devant la Chambre.

M. Coomans. - Je ne veux pas venir trop tard.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - De par la Constitution il y a, à mon sens, trois pouvoirs en Belgique : le pouvoir qui fait les lois, le (page 419) pouvoir qui les applique et le pouvoir qui fait exécuter les décisions de ceux-ci. Il me semble qu'il serait convenable que chaque pouvoir restât dans les limites de ses attributions. Je crois surtout qu'il serait convenable que l'une des prérogatives les plus précieuses de la couronne pût s'exercer sans qu'on puisse accuser le gouvernement d'être en quelque sorte sous la pression du pouvoir législatif.

Il est impossible qu'on vienne ainsi, à l'avance, porter devant la Chambre les questions de grâce. C'est non seulement empiéter sur les attributions du pouvoir exécutif, c'est exciter ce qui ne doit pas être excité, l'une des prérogatives les plus importantes de la royauté, dont l'action doit toujours rester libre, spontanée.

Si l'honorable membre a pensé un instant que je lui répondrais sur ce que le gouvernement se propose de faire, sur le point de savoir si le ministère entend provoquer ou non la clémence royale, il est dans une profonde erreur ; je crois que je manquerais à tous mes devoirs, si j'entrais dans une discussion sur ce qu'il y a lieu de faire ou de ne pas faire, J'entends réserver, pour le gouvernement, la liberté la plus complète, la plus absolue, d'agir comme nous le jugerons convenable.

Les sentiments d'humanité ne manquent pas plus aux hommes qui sont au pouvoir qu'à l'honorable M. Coomans, mais le ministère a des devoirs à remplir ; je ne sais pas quels ils seront dans cette affaire. Je n'entends pas m'expliquer à cet égard, mais je n'entends pas qu'un membre de la Chambre vienne nous dicter notre ligne de conduite dans une matière aussi délicate.

M. Coomans. -Je crois que l'honorable ministre a été beaucoup trop loin en niant que la Chambre ait le droit d'intervenir dans l'examen des actes qui concernent l'exercice du droit de grâce.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - A l'avance, je le nie certainement.

M. Coomans. - La Chambre a le droit d'apprécier l'exercice de ce droit constitutionnel. (Interruption.)

Je vais vous prouver que vous êtes en dehors de la Constitution vous autres.

La Chambre, chaque député a le droit d'apprécier l'exercice de ce droit constitutionnel, comme il a le droit d'apprécier tous les actes du gouvernement posés avec le concours de la couronne.

Maintenant on dit : « Pas à l'avance. » Mais c'est après le fait accompli qu'il serait de la plus haute inconvenance d'en parler. Sur quelle tête donc ferait-on retomber la responsabilité de l'effusion du sang, sur celle d'un ministre ou sur celle du roi ? Le fait étant accompli, il est décent de se taire.

Je m'étonne, messieurs, qu'un jurisconsulte aussi distingué que l'honorable M. Pirmez ose nous dire que nous n'avons jamais à nous préoccuper de la manière dont la couronne exerce son droit de grâce.

Mais, messieurs, c'est découvrir la royauté, c'est la rendre responsable de toutes les exécutions ! Est-ce que la couronne exerce le droit de grâce sans la signature d'un ministre ? Est-ce à moi de m'adresser à la couronne ? Non ; je m'adresse à M. le ministre de la justice ; et pour le dire ici, puisque j'y suis provoqué, je vois dans le langage de M. le ministre de la justice une réserve outrée, une peur inconvenante - lui qui a parlé le premier d'inconvenance, j'ai le droit de lui parler ainsi - une peur inconstitutionnelle d'assumer la responsabilité d'un acte qui lui appartient ; M. le ministre de la justice veut-il faire remonter plus haut que lui la responsabilité des faits à intervenir ? (Interruption.)

D'après son langage, l'affirmative semblerait évidente ; eh bien, je respecte certainement le droit de grâce, surtout lorsqu'il est entre les mains d'un Roi aussi clément et aussi éclairé que le nôtre ; mais je dis que c'est avant l'exécution que je dois m'en occuper, et non pas après, par respect pour la royauté. Les jurés et tant d'autres citoyens ne demandent, ne conseillent-ils pas des commutations de peine ? Moi, représentant du peuple, n'aurais-je pas ce droit ? Je l'ai et j'en use. Je dis qu'il est inconvenant de soutenir que nous n'avons pas le droit d'en parler et qu'il est surtout inconvenant de faire remonter plus haut que le ministre la responsabilité des exécutions capitales.

Je suis persuadé que j'aurai cette fois pour moi le cœur et la raison de notre Roi. Jusqu'à présent nos populations croyaient, j'en suis sûr, qu'elles étaient dans le vrai, qu'il suffisait de la proposition d'un ministre pour que le sang ne coulât pas sur l'échafaud.

En m'adressant au ministre de la justice, je suis dans la Constitution et dans mes attributions.

M. Pirmez. - Messieurs, je pense que s'il y a quelque chose d'inconvenant dans cette affaire, c'est le débat qui vient d'être soulevé.

Peut-on raisonnablement soutenir que la Chambre doive venir, dans une question comme celle-ci, influencer les décisions du pouvoir exécutif ? Je comprends qu'elle lui demande compte de l'usage qu'il a fait de ses prérogatives, mais elle n'a pas à tracer d'avance au gouvernement la ligne qu'il a à suivre dans un cas spécialement déterminé et qui rentre exclusivement dans sa compétence.

M. Coomans. - Elle l'a fait souvent.

M. Pirmez. - Sans doute elle a le droit de le faire en agissant comme partie du pouvoir législatif, elle l'oblige même à se conformer à ses décisions, mais quand la loi est faite, le pouvoir judiciaire l'applique, et au pouvoir exécutif seul appartient l'exécution de ses arrêts.

L'honorable M. Coomans vient soutenir que l'arrêt de la cour d'assises ne doit pas être entièrement exécuté.

Mais d'autres membres peuvent avoir une opinion contraire et ils devront venir ici pour s'opposer au nouvel avocat des condamnés et s'ériger en organes du ministère public. Quand vous viendrez plaider les circonstances qui les excusent, ils devront se charger du rôle d'accusateur et relever les détails accablants de la procédure. Nous devrions rouvrir ici les débats de cette longue affaire.

Est-ce là le rôle que vous assignez aux membres du pouvoir législatif ?

On dit que M. le ministre de la justice a une peur inconvenante de faire connaître sa décision ; mais M. le ministre manquerait à tous ses devoirs en se prononçant, avant que le pouvoir judiciaire fût dessaisi ; il manquerait aussi à tous ses devoirs envers le Roi, que l'honorable M. Coomans a mis en cause, on ne sait trop pourquoi, si, par l'exercice d'une des prérogatives les plus précieuses de la Couronne, il annonçait sa décision sans que le Roi eût même pu être consulté.

L'honorable M. Coomans nous dit qu'en attendant il viendra trop tard. Mais se figure-t-il que la Chambre ait à intervenir dans cette question ; qu'elle offre plus de garantie en cette matière que le pouvoir exécutif ? Mais pourquoi alors n'a-t-on pas attribué aux Chambres le droit de grâce ? C'était le seul remède.

.On ne l'a pas voulu, on a bien fait ; les assemblées délibérantes ne sont pas convenables pour se prononcer sur des cas particuliers. Chaque fois qu'une question semblable se présentera, je ferai mes efforts pour que, s'il est possible, elle soit écartée de nos délibérations.,

Je désire surtout que l'on évite de discuter l'application des peines. Les corps politiques n'ont fait que trop d'abus du pouvoir répressif quand il a été dans leur main, pour qu'on ne redoute pas de le leur voir confier directement ou indirectement.

Si aujourd'hui vous établissez le système de l'intervention du pouvoir législatif pour demander la grâce des condamnés, vous autorisez nécessairement ce pouvoir à intervenir un jour pour demander l'exécution rigoureuse des arrêts.

Ce système est aussi dangereux que contraire à toutes les idées du régime constitutionnel.

M. Debaetsµ. - Messieurs, je désire présenter à M. le ministre de la justice une observation qui m'est suggérée par le procès dont on vient de vous entretenir. Je n'entends pas entrer dans la discussion entamée entre MM. Coomans et Pirmez. Il s'agit d'un abus que je signale à M. le ministre et dont je demande la répression.

Nous avons vu, dans le procès de Mons, un gendarme allemand être chargé de traduire la déposition d'un témoin flamand.

Il suffit de signaler ce fait pour que vous puissiez immédiatement en déduire les conséquences.

La déposition d'un témoin peut exercer une influence décisive sur le sort d'un accusé. Or, je demande si dans une affaire aussi grave que celle qui vient de se dérouler devant la cour d'assises de Mons, on pourrait supposer la possibilité du fait de confier la traduction de la déposition d'un témoin à un individu qui n'était pas même Flamand.

J'espère que M. le ministre de la justice voudra bien prendre des mesures pour qu'un pareil fait ne se reproduise pas.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - J'ai lu dans un journal le fait dont vient de parler l'honorable préopinant. J'ai vu en effet qu'un gendarme allemand avait été chargé de la traduction d'une déposition faite en flamand.

Je dois croire, messieurs, que ce gendarme allemand connaissait le flamand. Sans cela, il est probable qu'il n'eût pas été chargé de cette mission.

Quoi qu'il en soit, aussitôt que j'ai vu cette réclamation, je me suis hâté d'écrire à M. le procureur général pour lui demander quelques explications à ce sujet.

Je ne. les avais pas encore reçues en arrivant à la séance. Sans cela, j'aurais probablement pu donner pleine satisfaction à l'honorable membre.

- La discussion générale est close.

Discussion du tableau des crédits

Chapitre premier. Administration centrale

Article premier

« Art. 1er. Traitement du ministre : fr. 21,000. »

- Adopté.

Article 2

« Art. 2. Traitements des fonctionnaires, employés et gens de service : fr. 200,800. »

M. B. Dumortier. - Messieurs, dans une séance récente, j’avais adressé à M. le ministre de la justice une interpellation à laquelle il m’a fait l’honneur de répondre dans des termes tellement superbes, que j’ai cru y voir des allures de pacha.

Comme je tiens beaucoup à mettre M. le ministre de la justice à même de maintenir ou de ne pas maintenir son rôle suivant ses convenances, je viens lui adresser une interpellation à laquelle j'espère qu'il voudra bien répondre.

Je voudrais savoir à quel point en est la contestation qui existe entre le chemin de fer du Luxembourg et l'Etat, du chef de la garantie de minimum d'intérêt.

Cette question est excessivement grave, et comme M. le ministre de la justice est, si je ne me trompe, président de la société du chemin de fer du Grand-Luxembourg, qui actionne l'Etat du chef de la garantie de minimum d'intérêt, je désirerais que M. le ministre voulût renseigner la Chambre sur cette question importante.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je suis très fâché de ne pouvoir répondre à l’honorable M. Dumortier ; je ne sache pas, je n’ai jamais entendu dire que la Compagnie du Luxembourg ait actionné l’Etat.

Je ne pense pas qu'il y ait jamais eu de procès entre elle et le gouvernement. Cela serait possible, je pourrais cependant l'ignorer parce que je m'occupe plus des affaires de l'Etat que de celles de la Compagnie du Luxembourg. Je serais charmé que l'honorable membre voulût bien me dire quand, devant quel tribunal, à propos de quoi la compagnie du Luxembourg aurait actionné l'Etat. Je crois que l'honorable membre est dans une erreur complète. Dans tous les cas, je suis parfaitement ignorant de la chose et il m'est impossible de répondre à la question.

M. B. Dumortier. - Je désirerais savoir si, oui ou non, il y avait un procès pendant entre la compagnie du Luxembourg et le gouvernement. (Interruption) S’il n’y a pas de procès, il y a au moins un différend du chef de la garantie du minimum d’intérêt. Eh bien, c’est sur l’état de cette contestation que je désirerais avoir une explication.

M. Orts. - La réponse est imprimée dans le rapport de la section centrale sur le budget de la dette publique, il n'y a pas de différend, et il n'y a pas de procès.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Tout ce que je sais, c'est que depuis longtemps l'Etat ne paye plus un centime à la compagnie du Luxembourg du chef de la garantie du minimum d'intérêt. C'est ce qui résulte de l'examen du budget de la dette publique.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comme vient de le dire l'honorable M. Orts, la question soulevée de nouveau par l'honorable M. Dumortier a été posée et résolue à l'occasion de l'examen du budget de la dette publique.

On s'est imaginé, je ne sais pourquoi, qu'il y avait un procès, il y a des membres qui sont convaincus qu'un procès doit exister entre l'Etat et la compagnie du Grand-Luxembourg, et l'honorable M. Dumortier est de ce nombre. On a beau dire qu'il n'en existe pas ; on a beau l'imprimer même comme on l'a fait en réponse aune question posée par la section centrale qui a examiné le budget de la dette publique, rien ne peut faite sortir ce prétendu procès de l'imagination de l'honorable M. Dumortier.

Eh bien, encore une fois, messieurs, il n'y a pas de procès.

La compagnie du Luxembourg a droit à un minimum d'intérêt ; ce minimum d'intérêt lui a été payé pendant très peu de temps, et aujourd'hui la recette que fait la compagnie du Luxembourg suffit et au-delà pour rendre inutile le concours du trésor public.

La compagnie du chemin de fer de la Flandre occidentale jouit aussi d'un minimum d'intérêt. Elle a élevé certaine prétention concernant la base sur laquelle ce minimum d'intérêt doit être calculé et, si j'ai bon souvenir, cette contestation est portée devant les tribunaux. Mais pour d'autres compagnies, je ne sache pas qu'il y ait aucune espèce de contestation.

Je pense donc que l'honorable M. Dumortier sera maintenant tout à fait rassuré et satisfait. Au surplus, qu'il en soit bien certain, en aucune hypothèse, les intérêts de l'Etat ne seront sacrifiés.

M. B. Dumortier. - Ainsi donc, il y a un procès porté devant les tribunaux (interruption) du chef de la garantie du minimum d'intérêt. Si ce n'est pas de la part de la compagnie du Luxembourg, c'est de la part d'une autre compagnie, or, comme l'intérêt est le même (nouvelle interruption), comme les principes sont les mêmes...

M. de Moor. - Ce n'est pas à une autre compagnie que appliquait votre interpellation.

M. B. Dumortier. - Mais, M. de Moor, voudrait-il bien me dire quelle différence il aperçoit ici ? Je le répète, messieurs comme, l'intérêt est le même, comme il s'agit de dispositions communes aux diverses sociétés de chemins de fer, l’une d’elles attaquera et toutes les autres profiteront, s’il y a lieu, du résultat du procès.

C’est, du reste, ce qui s'est passé dans le temps, à l'occasion des toelagen, : un simple petit employé est venu attaquer l'Etat.et tous les autres ont profité de ses poursuites.

Ici la position est tout à fait la même et, selon moi, c'est une chose excessivement grave que de voir le président de la compagnie du Luxembourg se trouver dans cette alternative de devoir, comme président de cette compagnie, désirer que la société de la Flandre occidentale gagne son procès, et, comme membre du gouvernement, défendre les intérêts du trésor contre la rapacité des sociétés.

Eh bien, j'avoue que c'est là une position, une anomalie vraiment incroyable. Je n'attaque pas M. le ministre de la justice parce qu'il appartient à telle ou telle société industrielle, il est parfaitement libre d'agir, sous ce rapport, comme il le juge convenable. Mais quand une société se trouve engagée d'intérêts envers l'Etat, quand elle joint d'un minimum d'intérêt...

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Mais cela n’est pas exact.

M. B. Dumortier. - Je dis que la question est excessivement grave.

Maintenant, quant à ce qu'a dit l'honorable. M. Frère, que la compagnie du Luxembourg ne reçoit plus rien du chef de la garantie du minimum d'intérêt, cela est vrai ; mais en serait-il de même si la question litigieuse était résolue contre l'Etat ? Certainement, non, messieurs, et dans ce cas, il pourrait fort bien arriver que le trésor public dût s'imposer encore des sacrifices, pour payer, au moins en partie, le minimum d'intérêt garanti à la Compagnie du Luxembourg.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je m'étonne vraiment que l'honorable M. Dumortier, qui ne connaissait pas le premier mot de cette affaire (interruption), qui ne savait pas réellement s'il existait ou s'il n'existait pas de procès entre l'Etat et la compagnie du Luxembourg, mais qui croyait cependant qu'une contestation avait été portée par cette compagnie devant les tribunaux contre le gouvernement, vienne traiter dans cette Chambre une question tout à fait imaginaire, persiste à la traiter malgré les réponses qui lui ont été faites, et soutienne que la compagnie du Luxembourg aurait un intérêt au gain, par la société de la Flandre occidentale, du procès qu'elle a intenté à l'Etat.

Je demande à l'honorable M. Dumortier ce qu'il en sait ? Il n'en sait pas le premier mot ; il ne connaît pas la question dont il s'occupe : il ne sait pas si, en fait, à raison des recettes qu'opère la compagnie du Luxembourg, une contestation quelle qu'elle fût, imaginaire ou réelle, pourrait avoir une influence quelconque sur l'obligation de lui payer un minimum d'intérêt.

L'honorable M. Dumortier ne sait donc absolument rien, et je puis lui déclarer que la contestation qu'il avait supposé exister entre la compagnie du Luxembourg et l'Etat n'existe à aucun degré quelconque ; je lui répète encore que la situation des recettes de cette compagnie dispense l'Etat, d'une manière absolue, de lui payer aucune somme à titre de minimum d'intérêt. J'espère qu'il sera complètement satisfait maintenant,

M. Dolez. - Je voudrais ajouter un mot aux explications qui viennent d'être fournies à l'honorable M. Dumortier.

Un procès a été intenté à l'Etat par la compagnie du chemin de fer de la Flandre occidentale. Ce procès repose sur une question que cette compagnie ne soulève que pour elle seule et qui naît de stipulations qui, si je ne me trompe, lui sont particulières et sur des faits qui la concernent personnellement.

Je crois donc que l'honorable membre peut être rassuré. Que la société du chemin de fer de la Flandre occidentale gagne ou perde son protêt, cela ne concernera que cette Compagnie, qui ne plaide que pour elle seule et uniquement pour son intérêt et pour des faits qui lui sont personnels, sans se préoccuper d'aucun autre intérêt.

Je puis attester le fait, parce que, en ma qualité d'avocat, je suis chargé des intérêts de la société du chemin de fer de la Flandre occidentale.

M. de Theux. - Je ne parlerai pas de la question qui vient d'être traitée. Mais nous avons reçu des pétitions d'un grand nombre d'habitants de la vallée de l'Ourthe, intéressés dans deux demandes de concessions. Dans l'une de ces pétitions on signale que la compagnie du Luxembourg est grandement en retard d'exécuter ses engagements.

M. de Moor. - Nous ne discutons pas le budget des travaux publics.

M. de Theux. - J'appelle sur ce point l'attention du gouvernement (page 421) et je souhaite que des explications complètes soient données à cet égard lors de la discussion du budget des travaux publics ou des pétitions auxquelles j'ai fait allusion.

MpVµ. - Cette discussion aura lieu en son temps ; pour le moment nous discutons le budget de la justice.

- L'article 2 est mis aux voix et adopté.

Articles 3 à 5

« Art. 3. Matériel : fr. 26,000. »

- Adopté.


« Art. 4. Frais d'impression de recueils statistiques : fr. 6,000. »

- Adopté.


« Art. 5. Frais de route et de séjour : fr. 6,000. »

- Adopté.

Chapitre II. Ordre judiciaire

Articles 6 à 11

« Art. 6. Cour de cassation. Personnel : fr. 215,500.

« Charge extraordinaire : fr. 3,500. »

- Adopté.


« Art. 7. Cour de cassation. Matériel : fr. 5,250. »

- Adopté.


« Art. 8. Cours d'appel. Personnel : fr. 595,000.

« Charge extraordinaire : fr. 4,000. »

- Adopté.


« Art. 9. Cour d'appel. Matériel : fr. 18,000. »

- Adopté.


« Art. 10. Tribunaux de première instance et de commerce : fr. 1,124,010.

« Charge extraordinaire : fr. 4,108. »

- Adopté.


« Art. 11. Justices d» paix et tribunaux de police : fr. 564,960.

« Charge extraordinaire : fr. 2,900. »

- Adopté.

Chapitre III. Justice militaire

Articles 12 à 15

« Art. 12. Cour militaire. Personnel : fr. 16,550. »

« Charge extraordinaire : fr. 4,233. »

- Adopté.


« Art. 13. Cour militaire. Matériel : fr. 4,233. »

- Adopté.


« Art. 14. Auditeurs militaires et prévôts : fr. 30,659. »

- Adopté.


« Art. 15. Frais de bureau et indemnité pour feu et lumière : fr. 3,540. »

- Adopté.

Chapitre IV. Frais de justice

Articles 16 et 17

« Art. 16. Frais de justice en matière criminelle, correctionnelle et de police : fr. 650,000. »

- Adopté.


« Art. 17. Traitement des exécuteurs des arrêts criminels et des préposés à la conduite des voitures cellulaires : fr. 35,000.

« Charge extraordinaire : fr. 14,328. »

Chapitre V. Palais de justice

Article 18

« Art. 18. Construction, réparations et entretien de locaux. Subsides aux provinces et aux communes pour les aider à fournir les locaux convenables pour le service des tribunaux et des justices de paix : fr. 35,000.

« Charge extraordinaire : fr. 40,000. »

M. H. Dumortier. - J'appellerai la plus sérieux attention du ministre de la justice sur la nécessité d’avoir, à Courtrai, un local plus convenable pour le siège du tribunal. Le bâtiment qui sert à cet usage est, complètement insuffisant et ne réunit par les conditions de dignité et dz convenance qui ne doivent jamais être séparées de la justice.

Non seulement les locaux sont insuffisants ; mais ils appartiennent à plusieurs propriétaires, il suffirait du caprice d'un seul de ces propriétaires pour forcer le tribunal à déloger.

D'un autre côté, certains juges de paix continuent à tenir leurs audiences dans des cabarets ; ce sont d'anciens usages, mais qui ne devraient plus être tolérés aujourd'hui.

Je sais que M. le ministre a fait des efforts pour extirper ces usages d'un autre temps, et qui sont indignes de l'administration de la justice.

L'obligation de fournir des locaux pour le siège des tribunaux de première instance incombe à la province, cette obligation se trouve inscrite en termes formels dans la loi provinciale. Chaque fois* que la province de Flandre occidentale a eu à remplir des obligations de cette nature, elle l'a fait grandement.

Je suis persuadé que si le gouvernement faisait appel à l'autorité provinciale pour un intérêt aussi élevé, elle ne serait pas en retard d'y répondre.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ainsi que vient de le dire l'honorable préopinant, la charge de fournir des locaux pour les tribunaux de première instance incombe aux provinces, l'Etat n'intervient que par des subsides ; je ne me rappelle pas que les autorités judiciaires de Courtrai m'aient signalé l'insuffisance ou l'inconvenance des locaux où siège le tribunal. Par suite de l'interpellation de l'honorable membre, je prendrai des renseignements et je ne doute pas que, le cas échéant, la province ne remplisse les obligations que la loi lui impose.

Pour les justices de paix, les locaux doivent être fournis par la commune chef-lieu de canton.

Je suis le premier à blâmer de la manière la plus absolue l'usage de tenir les audiences des justices de paix dans les cabarets ; j'ai fait tout ce. qui était possible pour faire cesser cet abus ; le département accorde des subsides parfois très élevés pour construire les locaux nécessaires pour ce service ; quand dans les communes, chefs-lieux de canton, une maison communale est construite, Tony comprend des locaux pour la justice de paix ; l'Etat intervient dans la dépense et la somme que le gouvernement alloue varie selon le plus ou moins d'importance des locaux affectés à la justice de paix et les ressources des communes.

Je ne néglige rien pour faire cesser un état de choses qui porte, selon moi, atteinte à la dignité de la justice. Peu à peu nous parviendrons à le faire disparaître ; il n'est pas d'année que nous n'accordions des subsides pour construire des locaux dans sept ou huit cantons, et j'espère que bientôt il ne sera plus question de cet abus.

M. Tack. - Je remercie M. le ministre de la justice des bonnes intentions qu'il vient de manifester. Je pense avec M. Henri Dumortier que les locaux où siège le tribunal de Courtrai sont insuffisants. Les autorités judiciaires doivent avoir exprimé des plaintes à plusieurs reprises.

Il est impossible qu'il en soit autrement, tant les bâtiments sont peu convenables ;. M. le ministre s'en convaincra quand il saura que le substitut du procureur du roi n'a pas même un cabinet à lui ; il est réfugié dans une espèce de taudis, où il est constamment en présence de son secrétaire ; le juge d'instruction est établi sous des combles dans la même place que le commis greffier.

De plus, comme l'a dit l'honorable M. Dumortier, le local n'appartient pas à la province, mais à des particuliers ; du jour au lendemain il pourrait se faire qu'on se trouvât sans local.

Quant aux justices de paix, mon honorable collègue a raison en ce sens que les affaires civiles se traitent dans des salles attenantes à des estaminets, mais les audiences correctionnelles se tiennent à l'hôtel de ville.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Ce n'est pas dans le gouvernement qu'on trouvera de l'opposition quand il s'agira de construction de locaux pour les tribunaux ou pour les justices de paix, on le verra plutôt prendre l'initiative, en offrant des subsides ; l'opposition part des provinces ou des communes qui prétendent que leurs ressources sont insuffisantes, qu'on leur impose des charges supérieures à leurs revenus.

Ce n'est jamais le gouvernement qui est en retard ou qui résiste. Ce sont les provinces et les communes sur lesquelles l'obligation repose en première ligne ; le gouvernement encourage au contraire par les subsides qu'il accorde.

- L'article 18 est mis aux voix et adopté.

Chapitre VI. Publications officielles

Article 19

(page 122) « Art. 19. impression du Recueil des lois, du Moniteur et des Annales parlementaires, pour laquelle il pourra être traité de gré à gré : fr. 150,000. »

M. H. Dumortier. - Dans une discussion récente, celle qui avait pour objet le budget de la Chambre, on a constaté, à différentes reprises, combien les tables des Annales parlementaires sont défectueuses.

Je voudrais profiter de la discussion de cet article du budget pour demander au gouvernement si l'on ne pourrait pas s'occuper de la confection de tables décennales des Annales parlementaires et du Moniteur, mais surtout des Annales parlementaires.

Les recherches à faire sont maintenait très laborieuses, les tables laissant beaucoup à désirer.

Il faut parcourir un très grand nombre de ces gros volumes lorsqu'on veut revoir la manière dont certaines questions ont été traitées à la Chambre.

Depuis plusieurs années on parle de ces difficultés, mais je vois que la question reste toujours au même point. Je désirerais cependant qu'on voulût se prononcer sur la question de savoir si l'on comprend la nécessité, dans l'intérêt du pays et des membres de la Chambre, de nous fournir des éléments où nous puissions faire le plus facilement possible des recherches qui sont souvent par elles-mêmes très fastidieuses.

A ce sujet je me permettrai d'ajouter une autre réflexion. Il est extrêmement important pour nous que nous puissions relire les anciennes discussions de la Chambre. C'est là que nous trouvons la source de beaucoup de questions et c'est là que nous pouvons en quelque sorte, nous autres nouveaux venus, puiser notre instruction. C'est là que nous pouvons admirer tous les jours davantage les travaux considérables qui ont été faits par beaucoup d'anciens membres siégeant encore dans cette enceinte ; c'est là enfin qu'on apprend à les estimer chaque jour davantage, que l'on voit combien le pays leur doit de reconnaissance.

D'un autre côté, messieurs, il est désirable que les Annales parlementaires soient lues par le public. Car rarement les journaux rendent compte d'une manière impartiale de nos débats ; chacun, selon ses opinions, donne des comptes rendus différents, et ce n'est que dans les Annales parlementaires que l'on trouve, dans toute sa vérité, ce qui s'est passé à la Chambre.

Les anciens volumes des Annales parlementaires, depuis 1830 jusqu'à 1844, époque où l'on a adopté le format actuel, présentent des difficultés beaucoup plus considérables encore. Dans les volumes qui précèdent l'année 1844, le Moniteur est confondu avec les Annales, les séances de la Chambre avec celles du Sénat. Il y a souvent dans le même numéro deux suppléments du Sénat, trois suppléments de la Chambre.

C'est un vrai dédale pour celui qui veut faire un étude suivie de certaines questions ; c'est un véritable supplice que de faire pendant quelques jours ce travail.

Je voudrais donc soumettre à la Chambre la question de savoir s'il n'y aurait pas moyen de faire une réimpression des Annales parlementaires.

Je ne parle pas des nombreux documents qui émanent de la Chambre ; je parle seulement des discussions. Cette réimpression devrait se faire dans un format convenable.

Tout le monde en profiterait ; nous autres tous les premiers, parce que nous éprouverions un peu moins de répulsion à revoir des discussions qui, si elles sont instructives, ne sont pas toujours très attrayantes.

Je ne pense pas qu'il en résulterait une dépense bien considérable. Je tiens un volume d'un tirage des Annales parlementaires fait en France ; ce sont les annales de la chambre des députés. Je désirerais qu'on examinât s'il n'y aurait pas lieu de nous donner une nouvelle édition des débats de la Chambre en adoptant un format à peu près semblable à celui-là. Je pense qu'il y aurait là un travail très utile à faire.

M. Muller. - Mais très coûteux.

M. Allard. - Lors de l'examen en section du budget du ministère de la justice, un membre a fait les observations que vient de reproduire l'honorable M. Dumortier. Je me suis occupé, en ma qualité de questeur, des moyens qu'il y aurait de faire une table décennale des Annales parlementaires. M. le bibliothécaire adjoint m'a soumis un projet à la fin du mois de décembre.

Je le communiquerai à la Chambre et elle décidera, dans un de ses comités secrets, s'il y a lieu de l'exécuter tel qu'il est proposé. Je le déposerai sur le bureau ; la Chambre jugera si elle trouve convenable de le faire imprimer.

M. J. Lebeau. - Je ne sais si j'ai bien compris l'observation de l'honorable M. H. Dumortier, mais je crois qu'elle avait pour objet la distribution des Annales parlementaires aux communes qui reçoivent le Moniteur. (Interruption.)

Si c'est là la proposition, je l'appuie. Si ce n'est pas là la proposition de l'honorable M. Dumortier, je la fais mienne.

J'appelle de nouveau l'attention de M. le ministre de la justice sur la question de savoir s'il serait possible, sans une dépense exagérée, de faire distribuer dans les communes, avec le Moniteur, les Annales parlementaires. Je fais remarquer qu'il n'y aurait un surcroît de dépenses que pour le papier et pour le tirage, puisque la composition et la correction seraient faites également pour la partie des Annales parlementaires qui serait distribuée aux communes. La composition ne se ferait qu'une fois, et c'est là une des parties les plus difficiles, et des plus coûteuses de la rédaction du Moniteur.

Il est extrêmement utile de propager la connaissance des débats parlementaires.

Dans les débats parlementaires on parle au pays de tout ce qui le concerne le plus ; et cela est tellement senti dans d'autres pays, qu'en Angleterre, vous voyez jusqu'aux cochers de vigilantes lire sur leur siège les journaux et spécialement les débats du parlement.

Or, il est impossible, si vous n'envoyez pas dans les communes les Annales parlementaires avec le Moniteur, que l'on ait une idée exacte, comme l'a dit l'honorable M. H. Dumortier, de nos discussions. Il n'y a guère sans cela, que des comptes rendus tronqués et rédigés sous l'influence de l'esprit de parti.

Je ne demande pas de décision immédiate ; mais je demande que M. le ministre de la justice fasse étudier la question de savoir quels seraient les moyens de réaliser l'idée émise par l'honorable M. Dumortier et à laquelle je me rallie complètement, de faire distribuer les Annales parlementaires et le Moniteur à toutes les communes.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je dois faire observer à l'honorable M. Lebeau que le Moniteur n'est pas envoyé gratuitement dans les communes. Il n'y a que les communes qui sont abonnées au Moniteur qui reçoivent ce journal.

M. J. Lebeau. - Je croyais qu'elles le recevaient gratuitement, N'est-ce pas le Moniteur qui est le véritable bulletin officiel ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Non. Les communes reçoivent le bulletin officiel et le bulletin administratif ; mais elles ne reçoivent pas le Moniteur.

M. J. Lebeau. - Tant pis. J'aimerais mieux qu'elles eussent le Moniteur, comme organe officiel : cela leur serait d'un plus grande utilité.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Le tirage du Moniteur est très restreint et le nombre des abonnés au Moniteur n'est pas très élevé.

M. Coomans. - L'honorable M. Lebeau pense qu'il importe beaucoup que nos discussions parlementaires soient transmises in extenso aux populations urbaines et rurales.

M. J. Lebeau. - Sans doute.

M. Coomans. - C'est une idée qui peut se soutenir ; mais si cet intérêt est tel que le pense l'honorable M. Lebeau, il ne voudra pas, je pense, diviser le pays en deux portions inégales et les favoriser différemment ; si l'on envoie le Moniteur et les Annales à toutes les communes belges, ce à quoi je ne m'opposerais pas puisque la dépense ne serait pas très considérable, la conséquence forcée de cette mesure serait la traduction des Annales parlementaires en flamand pour les envoyer aux communes flamandes.

Sinon, il y aurait manquement grave à la justice distributive, attendu que, dans la plupart des communes flamandes, il y a très peu de personnes qui comprennent le français, même le français que nous parlons ici. Or, messieurs, à ce point de vue la question change de face et l'honorable M. Lebeau ne s'en est pas aperçu puisqu'il n'a parlé d'abord que d'un supplément de papier et de frais d'impression.

S'il ne s'agissait que de mettre quelques feuilles de papier blanc de plus sous la presse du Moniteur, je trouverais la proposition de l'honorable M. Lebeau assez raisonnable et j'y adhérerais ; mais si cela doit avoir pour conséquence (et cette conséquence est forcée), de faire traduire les Annales parlementaires en flamand, alors je dis que la question change de face, non seulement au point de vue financier, point de vue qui inspirera, peut-être, quelques réflexions sévères à M. le ministre des finances, mais à un autre point de vue encore.

Je ne sais pas si l'honorable M. Lebeau serait indifférent au choix de son traducteur.

L'honorable M. Lebeau, qui parle très bien le français désirerait sans doute que ses discours fussent convenablement traduit en flamand et qu'ils le fussent fidèlement et loyalement.

(page 423) Or, qui prendrait la direction de ce service de traducteurs ? Ce serait sans doute le gouvernement. Ce serait donc le gouvernement qui se chargerait de transmettre notre prose à nos compatriotes flamands. Serions-nous tous bien rassurés ? Traduttore, traditore, dit la prudence des nations. Cela peut se dire des gouvernements aussi bien que des individus, surtout au temps où nous sommes !

D'un autre côté, messieurs, j'avoue que je suis assez disposé à reculer devant cette dépense, qui serait considérable. J'entends au contraire demander des économies, et des économies sérieuses, bien loin de me lancer dans une dépense nouvelle, dont l'utilité absolue me paraît fort contestable.

M. Tack. - Pour réaliser la pensée de l'honorable M. Lebeau, comme pour mettre à fruit celle de l'honorable M. H. Dumortier, je crois qu'il faudrait commencer par débarrasser les Annales parlementaires de beaucoup de documents qui n'appartiennent pas à nos débats, tels que rapports, exposés des motifs, annexes de tout genre. Dans ces limites, l'idée des honorables membres pourrait être mise à exécution.

On demande aussi, messieurs, qu'il soit fait des tables décennales, afin de faciliter les recherches ; ce moyen est excellent, mais il y en a encore un autre. Aujourd'hui tout est amalgamé dans les Annales parlementaires, exposés des motifs, projet de lois, rapports, annexes, motions d'ordre, souvent ces pièces sont insérées lorsque la discussion est terminée depuis longtemps.

La confusion est extrême ; il n'y a dans nos Annales parlementaires ni suite, ni méthode, ni ensemble ; de là vient que les recherches sont fastidieuses et très ennuyeuses. Le remède à cet inconvénient est très simple ; il suffirait de diviser les Annales en deux parties, dont l'une contiendrait les discussions proprement dites et l'autre les documents parlementaires. Il n'y aurait qu'à faire une double pagination. Cette amélioration ne coûterait pas un centime. On faciliterait ainsi la besogne de l'imprimeur et on épargnerait les moments des membres de la Chambre qui ont à consulter les Annales parlementaires. Ensuite nous n'aurions plus ces énormes et informes volumes qu'il est impossible de manier tant ils sont lourds et s'ouvrent difficilement ; on pourrait les faire relier en deux parties.

J'appelle sur ce point l'attention de l'honorable ministre de la justice. Je reconnais que l'innovation que je signale ne peut pas être introduite dans la session actuelle, mais elle pourrait l'être pour la session prochaine.

M. de Theux. - Messieurs, la discussion qui vient d'avoir lieu me fournit l'occasion d'appeler l'attention de la Chambre sur un fait qui pourrait avoir des résultats, graves s'il venait à se reproduire et surtout à se généraliser. J'ai appris que M. le ministre de la justice a envoyé aux conseillers provinciaux et aux conseils communaux avec ordre de le communiquer aux conseils de fabrique, le discours qu'il a prononcé dans la discussion de l'adresse, relativement à l'administration des biens des fabriques.

Cet envoi a été fait au nom du gouvernement et aux frais de l'Etat. M. le ministre a parlé de l'administration de ses prédécesseurs, il a parlé de différents membres de la Chambre et les réponses qui lui ont été faites n'ont pas été mises sous les yeux des autorités en même temps que son discours ; on ne leur a présenté que la moitié de la vérité, ce que M. le ministre considère comme la vérité ; on les a laissées dans l'ignorance de. tout ce qui lui a été répondu. M. le ministre les a constituées juges entre lui et ses adversaires, mais elles n'ont entendu que l'une des parties.

C'est la première fois qu'un semblable fait s'est passé, et je n'hésite pas à dire que c'est un abus des plus graves ; car si M. le ministre de la justice a bien agi dans ce cas particulier, chacun des ministres peut, dans toutes les circonstances où il le jugera convenable, agir de même. Eh bien, si le fait devait se reproduire, je ne balancerais pas à demander que les Annales parlementaires fussent envoyées in extenso à toutes les autorités auxquelles les ministres auraient envoyé leurs discours aux frais du trésor. Car il est incontestable qu'il doit y avoir impartialité pour la publicité de nos débats.

Qu'un membre de la Chambre fasse imprimer ses discours et les envoie à qui il lui plaît, nous n'avons rien à y voir ; mais que le gouvernement, en son nom, et dans son intérêt propre, distribue, imprimés aux frais du trésor, les discours prononcés par ses organes, je dis que c'est là un abus des plus graves, qu'il ne doit pas se reproduire ; je dis que je proteste contre ce fait, et que, s'il se reproduisait, je demanderais formellement que les Annales parlementaires fussent distribuées à toutes les autorités qui auraient reçu les discours des ministres, alors même que cette distribution devrait occasionner une dépense considérable ; il ne faut pas que le gouvernement soit entendu seul ; il faut que ses contradicteurs le soient également.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, le fait que me reproche l'honorable M. de Theux est parfaitement exact ; j'ai fait imprimer mon discours ; je ne l'ai pas envoyé au nom du gouvernement ; mais je l'ai envoyé par l'intermédiaire des agents du gouvernement.

- Un membre. - Aux frais de qui ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Aux frais de l'Etat ; et je ne pense pas que j'aie posé là un fait qui n'a pas de précédents. Si j'avais pu savoir d'avance que la discussion porterait sur ce point-là, je n'eusse pas été en peine d'en citer de très nombreux.

Je demanderai si, dans la discussion de la loi sur la charité, l'honorable M. Nothomb n'a pas fait ce que j'ai fait...

M. Nothombµ. - Je l'ai fait.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Cela s'est fait depuis que la Belgique existe, et jamais on n'a songé à le critiquer ; M. Jean-Baptiste Nothomb l'a fait, je pense, fort souvent. Je me rappelle avoir vu presque tous les discours qu'il prononçait dans de grandes discussions tirés en brochure et distribués séparément. C'est la composition du Moniteur.

M. Coomans. - Et le papier, et l'affranchissement ?

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'envoi se fait par la voie administrative. Je répète que cela s'est toujours fait ; je ne pensais même pas que cela pût donner lieu à la moindre difficulté...

M. de Theux. - Si ! si !

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable M. de Theux dit si ! si ! mais l'honorable M. de Theux trouve pour la première fois que c'est un abus monstrueux, alors que depuis trente ans il a laissé faire.

C'est un usage constant, et je m'y suis conformé, sans me douter que cela pût donner lieu à une critique.

J'ajoute que ce n'est pas la première fois que je l'ai fait ; je l'ai fait lorsque nous avons discuté ce que vous appelez la liberté de la chaire ; j'ai fait alors distribuer mon discours, et, encore une fois, je croyais me conformer à un précédent qui n'avait jamais été attaqué. Si je suis coupable, j'ai beaucoup de coupables avant moi, et entre autres des collègues même de l'honorable M. de Theux au ministère. Je me propose de continuer à faire ce qui a été fait jusqu'à présent, lorsque les questions discutées ici me paraîtront rendre la chose utile.

M. Vander Donckt. - (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé.)

(page 423) M. de Theux. - Messieurs, je dois avant tout commencer par déclarer que jamais je n'ai envoyé aucun de mes discours, ainsi que cela a été fait par M. le ministre de la justice. Je n'hésite pas à dire que je ne le ferais jamais et que, quel que soit le nombre des ministres qui l'ont fait, quelle que soit leur couleur politique, je considère le fait comme un abus et que, s'il devait se produire encore, il n'y aurait qu'un seul remède à y apporter : ce serait d'envoyer régulièrement les Annales parlementaires à toutes les communes, à toutes les autorités, comme le désirent les honorables MM. Lebeau et H. Dumortier, ou de les envoyer dans des cas exceptionnels, mais en avertissant alors la Chambre, afin que le pour et le contre fût porté à la connaissance des autorités. Une autre manière de procéder ne serait pas tolérable. Comment ! un membre est cité dans le discours d'un ministre, ce membre répond et sa réponse n'est pas publiée à côté du discours ! tout ce qui est affirmé par le ministre ne reçoit aucune espèce d'objection !

Messieurs, cela ne peut pas se passer dans un gouvernement parlementaire, dans un gouvernement de publicité et de justice.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il me semble que l'honorable M. de Theux se méprend singulièrement sur l'importance, sur les effets possibles d'une pareille communication de la part du gouvernement aux autorités.

L'honorable M. de Theux ne va pas, je suppose, jusqu'à assimiler le gouvernement à un simple particulier. Le gouvernement est quelque autre chose. Il est pouvoir exécutif. Il a une responsabilité à défendre et une initiative qu'il doit exercer. Il a le droit de publier ses actes, de faire connaître ses intentions. lia le droit et le devoir de défendre ces actes.

Ce n'est pas une simple question de forme que soulève l'honorable membre...

M. de Theux. - Non.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - ... car autrement il serait extrêmement facile au gouvernement, et je crois qu'on ne pourrait pas lui opposer à ce sujet la moindre objection, après avoir déposé un projet de loi, d'en rédiger un exposé qu'il enverrait aux administrations communales, aux autorités et même aux particuliers. Ce ne serait pas le discours que le ministre aurait prononcé ; on en changerait la forme, mais au fond ce serait exactement la même chose. L'honorable M. de Theux y trouverait-il matière à critique ?

M. de Theux. - Oui !

M. B. Dumortier. - Certainement !

(page 424) M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ainsi, nous ne pouvons pas faire de circulaires ? Nous ne pouvons pas dire : Le gouvernement a déposé tel projet de loi : voilà son but, telles sont ses intentions ; nous vous invitons à les faire connaître, à les propager ! Ainsi, lorsque les adversaires du gouvernement dénaturent ses intentions, le gouvernement serait obligé de se taire ? Cela n'est vraiment pas soutenable !

N'est-il pas arrivé à l'honorable M. de Theux ou à ses prédécesseurs, lorsqu'ils sont arrivés au pouvoir, de publier des circulaires pour faire connaître leur politique, leurs intentions ? Quelqu'un s'est-il plaint ? Quelqu'un a-t-il prétendu que ces actes ne pouvaient être portés à la connaissance du public, ni des autorités ? Que veut donc dire l'honorable M. de Theux ?

Ce qui va démontrer toute la faiblesse de ses objections, c'est qu'apparemment le seul argument qu'il pourrait opposer, c'est qu'on ne pourrait pas faire cette communication aux frais du trésor public. La question se réduit donc à un simple fait d'imputation, car j'imagine que l'honorable M. de Theux ne va pas jusqu'à soutenir que nous n'aurions pas le droit de faire imprimer nos discours, de les faire distribuer à qui bon nous semblerait ? Evidemment pour être ministre on n'est pas destitué de ses droits personnels.

Nous pourrions donc, comme particuliers, faire distribuer à nos frais nos discours, sans que personne eût rien à y voir.

M. de Theux. - C'est clair.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Donc, les raisons de l'honorable M. de Theux tombent complètement. Ce n'est plus qu'une petite question d'argent tout à fait secondaire, car la grande raison de l'honorable M. de Theux, c'est que le gouvernement ne peut sortir du rôle d'une stricte impartialité, qu'il ne peut transmettre les discours qu'il prononce à la Chambre aux administrations communales et autres autorités, sans leur soumettre en même temps les discours de ses adversaires. La question tombe ainsi complètement, car du moment, que la communication ne se fait plus aux frais du trésor public, il n'y a plus d'objection à opposer.

Quant à la dépense, c'est une affaire réellement trop mesquine pour s'en occuper, c'est tout à fait insignifiant.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et c'est pour cette seule question d'argent qu'on vient s'élever contre ce qui s'est toujours pratiqué, contre ce qui est conforme aux précédents posés par les collègues mêmes de l'honorable M. de Theux, et par l'honorable M. Nothomb, quand il était lui-même ministre de la justice, à propos d'une discussion dont l'époque n'est pas encore très éloignée de nous. C'est un droit dont tout le monde a usé, et je crois qu'on fera bien de continuer à en user.

C'est comme membre du pouvoir exécutif que le ministre croit devoir propager ses opinions et faire connaître comment le gouvernement pratique sa politique, et c'est pour cela qu'il ne doit pas supporter les frais de publications faites dans ces conditions.

Il ne serait réellement pas sérieux de défendre à un ministre d'user de pareils moyens de publicité.

M. Coomans. - J'ai demandé la parole quand j'ai entendu dire par M. le ministre de la justice que ce qu'il a fait il le fera encore. C'est le mot le plus grave qui ait été prononcé dans le débat.

La justification de M. le ministre de la justice lui paraît tout à fait simple. Elle repose sur des précédents. Vous ou vos amis, nous dit-il, avez fait ce que j'ai fait. Donc j'ai le droit de le faire.

Messieurs, voilà bien la filiation de tous les abus, et des pires abus.

Les plus mauvais abus sont ceux qui ont été commis par des hommes d'opinions diverses qui semblent devoir se ménager mutuellement, l'abus étant commis et devant durer dans cet intérêt commun.

Il n'en devrait pas être ainsi, selon moi. Nous avons à rechercher si la publication dont il s'agit est légale, loyale ; si elle n'offre pas ces caractères, le fait, comme l'a très bien dit l'honorable M. de Theux, ne doit plus se reproduire.

J'aime certainement l'honorable M. Nothomb, mais j'aime encore plus la légalité.

Que le fait est illégal et déloyal, je n'en doute pas. Illégal, parie qu'il n'est pas permis à un ministre de disposer des fonds d'une manière autre que celle que la Chambre a eue en vue.

Déloyal, parce que sous un régime de liberté, doit régner l'égalité. Or, il n'y a plus d'égalité dès qu'il n'est pas possible d'expliquer ou de réfuter un discours ministériel distribué à part aux frais du trésor.

Je serais curieux de voir sur quel article du budget M. le ministre de la justice prélève les fonds nécessaires pour cette grande publication de ses discours.

S'il était le ministre de l'intérieur, il pourrait dire que c'est sur le chapitre des beaux-arts, pour la propagation des belles-lettres, et je ne répondrais pas. Mais l'honorable M. Tesch n'a pas cette division administrative dans ses attributions ; il est ministre de la justice, le premier de tous il doit observer la justice ; c'est ce qu'on ne doit pas oublier.

Je demande sur quel article du budget il a prélevé les fonds pour payer cette dépense si extraordinaire. Je ne vois nulle part d'article pour l'impression des discours ministériels.

Mais, dit M. le ministre des finances, cette dépense est si peu de chose ; cela ne vaut absolument pas la peine d'en parler. On n'a pas prononcé le mot, mais il s'en est fallu de peu qu'on nous accusât de ladrerie.

Oui, messieurs, la dépense est petite, mais ce n'est pas un motif pour moi de la laisser passer : les petites dépenses deviennent grandes, nous en avons vu beaucoup d'exemples depuis que le siège dans cette assemblée. J'ai vu naître de très petites dépenses, on en parlait à peine ; ou si l'on en parlait c'était pour nous dire (on l'a même déclaré en termes formels) qu'il était vraiment indigne de nous de nous occuper de pareilles petitesses.

Eh bien, ces dépenses, si petites à leur origine sont devenues énormes et malheureusement elles existent encore, précisément parce qu'elles ont passé inaperçues à leur naissance et grandi lentement. N'est-il pas à craindre qu'il en soit de même de celle-ci ?

Je le pense, car M. le ministre des finances n'hésite pas à dire que M. le ministre de la justice s'est montré très réservé en n'envoyant son speech qu'aux fabriques d'église et aux communes ; qu'il aurait pu l'envoyer à beaucoup d'autres personnes.

Toute l'argumentation de M. le ministre repos» là-dessus : le gouvernement a le droit de se défendre ; par conséquent il a le droit de faire imprimer les discours de ses membres et de les envoyer à droite et à gauche... surtout à gauche. (Interruption.)

Mais, messieurs, le cabinet a le droit d'envoyer les discours de ses membres à presque tous les Belges (pourquoi pas à tous ?), comme il se compose de six orateurs déterminés (interruption), je dis de six orateurs ou à peu près, ceux-ci pourront, au même titre que l'honorable M. Tesch, user aussi de ce droit. Eh bien, je le demande, où irons-nous avec un tel principe, si tous les ministres se mettent sur le pied d'envoyer leurs discours aux communes, aux fabriques d'église, etc. ; pourquoi pas aux électeurs ?

II est certain, en effet, que si le principe préconisé par M. le ministre de la justice est fondé, les ministres ont le droit d'envoyer leurs discours, aux frais de l'Etat, aux électeurs, aux femmes des électeurs, aux enfants... (Interruption.)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans le moindre doute.

M. Coomans. - Ils ont même le droit d'afficher leurs discours dans les communes.

MaeRµ. - Mais certainement.

M. Coomans. - Oui ! dit M. le ministre des affaires étrangères.

MaeRµ. - Certainement, 'nous l'avons déjà fait.

M. Coomans. - Aux frais de l'Etat ?

MaeRµ. - Sans doute.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Des circulaires ont été faites dans les mêmes conditions..

M. Coomans. - Ah ! les abus sont aussi nombreux que cela ! Je n'en savais rien et je suis vraiment surpris de l'apprendre.

J'ai entendu dire que cela se faisait par-delà nos frontières ; et là, en effet, on n'y regarde pas de si près. Mais en Belgique, nous avons la vieille habitude de demander à quoi servent les fonds que nous votons, et j'avoue que je suis humilié et presque scandalisé d'avoir souvent voté, à mon insu, des fonds pour un usage pareil. J'étais, à cet égard, dans la même ignorance que l'honorable M. de Theux.

Donc, MM. les ministres, si vous avez le droit d'envoyer vos discours français à un grand nombre de nos compatriotes, vous avez le droit aussi de les faire traduire et distribuer en flamand (ce qui coûtera cher), de les faire afficher, de les faire réimprimer, d'en faire des volumes ; vous avez même le droit de faire des circulaires en deux ou trois volumes... pourquoi pas ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y en a.

M. Coomans. - Il y a des circulaires en trois volumes ? (Interruption)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mieux que cela : en sept ou huit volumes ! (Nouvelle interruption.)

M. Coomans. - Vous m'étonnez ! je l'avoue, je ne savais pas qu'il y eût des circulaires officielles aussi grosses ; des circulaires en sept ou (page 425) huit volumes, grand Dieu ! Je ne les ai jamais lues et je ne les lirai jamais.

J'ai dit, messieurs, que cette manière de procéder n'est pas loyale ; je le maintiens par les raisons qu'a données l'honorable M. de Theux. Il y avait quelque chose de plus loyal à faire ; c'était d'envoyer, aux frais de l'Etat, un Moniteur spécial et partial aux communes, aux fabriques d'église et aux électeurs, une sorte de journal officiel à votre usage particulier.

Le gouvernement eût été l'éditeur et le public eût payé le tout, mémo la grande partie du public qui serait attaqué. Cela se pratique dans d'autres pays, et du moins c'est beaucoup plus loyal que ce qui se pratique sournoisement ici.

M. le ministre de la justice n'a pas eu assez de confiance dans son discours même isolé, car il l'a timbré. Oui, messieurs, il a envoyé un discours timbré dans toutes les communes (Interruption.)

Le timbre officiel ajoutait quelque chose à ce discours, quelque chose que les nôtres ne sauraient avoir : nos discours n'ont jpas l'avantage d'être timbrés. Le timbre ajoute quelque chose à la gravité, à la solennité de cet envoi. Quant aux conséquences financières de cette pratique ministérielle, elles seront notables, je l'ai déjà dit, pour peu qu'elles se développent.

Je me résume, messieurs. Moi et beaucoup d'autres nous ne savions pas que des ministres (il paraît qu'il y en a plusieurs) envoyaient leurs discours imprimés aux frais de l'Etat, à des personnes que nous ne connaissons pas, que nous n'avons pas le droit de connaître.

Et ces messieurs prétendent qu'ils auraient, à la rigueur, le droit d'envoyer leurs discours à tout le monde sous le prétexte de se défendre ! Ce n'est pas ainsi que j'entends le gouvernement constitutionnel vrai. Je crois que le ministère doit se contenter de son Moniteur officiel et des autres journaux qui lui sont dévoués ; il aura assez d'écho de cette façon. Mais quand des ministres jugent convenable de faire un tirage spécial de leurs discours, il est juste qu'ils en payent les frais aussi bien que nous. Et je dis que quels que soient les précédents que l'on a signalés, je me joins de tout cœur à l'honorable M. de Theux pour prendre l'engagement de protester sans cesse et vivement contre cet abus, j'ajouterai contre cette illégalité. En attendant, je voudrais savoir jusqu'à quel point la cour des comptes a été avertie de l'envoi des discours ministériels aux frais de l'Etat.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Coomans déclare que la mesure est illégale, indépendamment de ce qu'elle est déloyale, comme il l'a prouvé. Mais je crois qu'il a déjà voté l'article sur lequel toutes les dépenses de cette nature sont imputées. Il figure à l'article matériel un crédit de 26,000 fr., destiné à ce genre de dépenses.

M. Coomans. - Le matériel ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute.

M. Coomans. - Mais « matériel », cela veut dire des tables, des pupitres, des bûches, etc.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Coomans a beaucoup d'esprit, je le reconnais ; mais par malheur, il ne lit pas le budget ; car s'il le lisait, il aurait vu ce qui suit aux développements de l'article matériel : fournitures de bureau, impression, papiers, livres, reliures, etc.

M. Coomans. - Ah ! c'est dans les et caetera ! Je n'aime pas les et caetera.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas digne de la Chambre !

Je dis que cet article comprend les impressions, par conséquent on peut imputer sur cet article des dépenses de la nature de celles dont il s'agit !

M. B. Dumortier. - La question dont il s'agit n'est pas aussi petite que voudrait le faire croire M. le ministre des finances. Il s'agit de savoir si les fonds publics votés pour la gestion des affaires de l'Etat, pour le bien-être des citoyens pourront être détournés de leur destination pour servir à la cause privée des ministres.

Il s'agit de savoir si les autorités du pays doivent servir d'instruments au ministre pour défendre sa cause comme on vous l'a dit ; c'est évidemment contraire à tous les principes réellement constitutionnels. Allez en Angleterre, allez aux Etats-Unis, partout où le gouvernement constitutionnel est une vérité, nulle part vous ne verrez le gouvernement investi du droit, quand il s'agit d'une question de parti, de disposer du trésor public dans l'intérêt de leur individualité ; jamais vous ne verrez les autorités constituées par la loi pour l'administration de pays employées dans l'intérêt personnel des ministres.

Les ministres doivent être jugés par le pays ; ils ne peuvent pas imposer leur volonté, leur caprice.

De quoi s'agit-il ? d'une question nouvelle qui excitera, à un haut degré, le mécontentement public. (Interruption.)

Certainement ! vous voulez façonner l'opinion publique, la former à votre image ; vous n'avez pas ce droit ; vous êtes des ministres, vous devez refléter la pensée du pays, vous n'avez pas le droit d'imprimer votre pensée au pays ; c'est la prétention de ministres qui veulent créer l'absolutisme ; le gouvernement constitutionnel est tout autre chose, c'est le gouvernement du pays par le pays et non le gouvernement du pays par un ministre.

L'envoi des discours d'un ministre sans le corollaire de la réponse de l'opposition, comme l'a dit l'honorable M. de Theux, constitue un moyen fallacieux, trompeur, d'agir sur l'opinion publique qui ne peut avoir d'autre résultat que de faire naître de fausses idées dans l'opinion, de la fausser, d'amener des catastrophes, car j'appellerai toujours catastrophe le faussement de l'opinion publique.

Sur quoi a-t-on imputé la dépense ? On vous dit : Il y a des fonds au budget à l'article Matériel. C'est sur cet article voté pour la gestion des intérêts généraux que vous viendrez imputer une dépense dans l'intérêt de votre individualité ! Les fonds votés au budget ne l'ont pas été pour que vous envoyiez vos discours au public ; il n'y a pas de raison pour que vous n'en fassiez de même pour les discours de vos amis.

Qu'arrivera-t-il alors ? Que vous aurez créé une presse pour combattre l'opinion publique ; quand le ministère soutiendra une cause que le pays repoussera, il aura le droit d'établir une presse pour soutenir sa cause en envoyant ses discours à tous les électeurs.

Cette doctrine est tellement monstrueuse, que je ne comprends pas qu'on l'émette dans une assemblée comme la nôtre. Quand le Moniteur fut fondé, il y avait un tel respect du gouvernement du pays par le pays .que beaucoup d'honorables membres, entre autres l'honorable M. Gendebien, refusaient de le recevoir, ne se croyant pas autorisés à sanctionner un pareil emploi des fonds publics.

Vous avez le Moniteur et vos organes officieux, ce n'est pas assez, il vous faut encore détourner des fonds publics de leur véritable destination pour fausser l'opinion publique en ne lui faisant entendre qu'une seule voix.

On a cité des précédents, si des discours de ministre ont été précédemment envoyés à des conseils communaux, à des autorités constituées, ici qu'a-t-on fait ?

C'est aux individus qu'on a envoyé, c'est aux conseillers provinciaux, aux juges, aux individus, qu'on a distribué les discours, de sorte que le ministère, qui n'aurait pas le droit de fonder un journal, sans y être autorisé par le parlement, envoie des milliers d'exemplaires des discours prononcés par ses membres et en détournant les fonds publics de leur destination.

C'est une chose d'une extrême gravité, car c'est le renversement du gouvernement par le pays, c'est le gouvernement par le ministère, voulez-vous le gouvernement par le ministère ?

On a été jusqu'à dire qu'on se permettrait d'afficher les discours ! Si le gouvernement le faisait, c'en serait fait du libre jeu de nos institutions, de la lutte des partis.

Quelle est la condition essentielle des luttes de partis ? C'est l'égalité des armes ; quand les armes ne sont plus égales, un parti opprime l'autre.

Nous, qui sommes aujourd'hui la minorité, si nous nous permettions un jour pareille chose, quel cri ne jetteriez-vous pas pour flétrir la conduite des députés de la droite qui s'y seraient associés ?

M. de Moor. - M. Nothomb l'a fait.

M. B. Dumortier. - Il a envoyé ses discours à des corps et non à des individus.

MaeRµ. - Comme je suis, pour ma part, un peu coupable du fait qu'on blâme si vivement, je n'entends pas par mon silence paraître passer condamnation sur le fait que l'on incrimine si vivement ; nous sommes étonnés que l'indignation ait attendu l'an de grâce 1862 pour éclater.

L'honorable M. Dumortier sait que M. Nothomb, ministre de la justice, et avant lui M. Nothomb, ministre de l'intérieur et des travaux publics, ont fait ce qu'il nous reproche ; c'est un usage ancien et parfaitement conforme à l'esprit de nos institutions que le ministère fasse connaître au public les opinions qu'il professe... (Interruption.)

Pas tous les jours, mais dans les circonstances où il est nécessaire que le pays connaisse les vues du gouvernement.

M. Coomans. - Il ne faut pas dire que je savais que cela s'était fait alors que j'ai dit que je n'en savais rien.

MaeRµ. - Je ne parle pas de vous. J'ai dit que c'était un usage ancien qui n'a jamais donné lieu à aucune réclamation.

(page 426) L'honorable M. Dumortier vient de dire qu'une pareille énormité ne se passerait pas en Angleterre ou aux Etats-Unis. Ce qui ne se passerait pas en Angleterre ou aux Etats-Unis, ce serait de voir reprocher au gouvernement de donner de la publicité à ses opinions, ce qu'on lui reprocherait, ce serait de les cacher.

J'ai donc commis la faute, pour ne pas dire le crime, car on a élevé la chose jusque-là, de publier les opinions du ministère.

Je citerai une circulaire qu'au nom du gouvernement, j'ai fait imprimer et distribuer à toutes les communes du royaume lors de notre entrée au pouvoir en 1857. Nous avions à éclairer le pays sur les principes qui guidaient la nouvelle administration.

Nous avons fait une circulaire et cette circulaire a été distribuée à toutes les communes ; elle a été affichée dans toutes les communes, je suppose aux frais de celles-ci. Mais les frais d'impression ont été supportés par le budget de l'intérieur, article 2, frais d'impression.

Et ici, nous avions encore un précédent appartenant au ministère des honorables MM. Vilain XIIII et Nothomb. A l'époque où l'on craignait une disette, le ministère a fait publier et afficher une circulaire dans toutes les communes, et, si je ne me trompe, cette mesure a reçu les félicitations de la Chambre. Nous nous sommes appuyés sur ce précédent pour faire connaître aussi aux communes la pensée du cabinet.

Messieurs, s'il s'agit d'une question d'argent, je puis rassurer la Chambre. Ces publications tout extraordinaires, qui sont faites une fois ou deux par an au plus, et quant à moi il y a bien des années que je n'ai fait cela, ne coûtent pas grand-chose. C'est la composition du Moniteur qu'on remanie. Je crois que si la publication de ces discours coûte 60 à 100 fr., c'est tout au plus. Beaucoup de représentants ont fait publier leurs discours particuliers, et ils savent si ces remaniements leur ont coûté cher.

Je crois, quant à moi, qu'il faudrait encourager les ministres à ne pas craindre de donner toute la publicité possible à leurs actes et à leurs discours.

Voici, messieurs, où conduirait le système restrictif de la publicité. Le gouvernement ne serait plus libre de faire des circulaires quand il le voudrait. Si cependant il convenait à un gouvernement de faire chaque jour de longues circulaires où il développerait ses vues politiques et ses vues administratives, viendriez-vous reprocher à ce gouvernement de disposer de l'argent des contribuables pour éclairer le pays ? Evidemment, non.

Vous ne pouvez empêcher le gouvernement de répandre chaque jour, sous telle forme et dans telle dimension qu'il juge convenable, les renseignements qu'il croit utile de propager dans le pays. Or, il en est des discours comme des circulaires. La vie d'un ministre se composé de deux parties ; sa vie administrative et sa vie parlementaire.

Il faut permettre aux ministres d'étaler devant le pays et leurs vues administratives, et leurs opinions politiques, et leurs opinions parlementaires. Ne découragez pas les ministres, encouragez-les au contraire à répandre par toutes les voies possibles la pensée du gouvernement.

Je crois, messieurs, que cette discussion ne méritait pas de prendre autant de temps à la Chambre. Du reste la Chambre en décidera. Si elle croit que les ministres n'ont pas le droit d'imputer sur les frais du matériel le remaniement et la distribution de quelques-uns de leurs discours, elle voudra bien faire un article spécial qui interdira cette dépense aux ministres. Les ministres en seront quittes pour payer sur leurs appointements les frais de publication.

M. Guilleryµ. - Je suis étonné que la droite, qui aperçoit avec tant de peine les abus auxquels donne lieu la législation sur les fabriques d'église, ait aperçu avec autant de perspicacité l'imperceptible abus qui s'est glissé au département de la justice et qui consiste à faire envoyer à un certain nombre d'administrations et de fonctionnaires un discours émané du chef de ce département.

S'il ne s'agit que de la question financière, il faut avouer qu'il y a bien peu de dignité à occuper la Chambre d'une semblable question qui se réduirait à ceci : ce serait de savoir si le privilège d'envoyer des discours semblables doit dépendre du plus ou moins de fortune personnelle d'un ministre.

Mais l'honorable M. Dumortier en a fait une question constitutionnelle. Ce n'est plus la question de dépense, c'est la question de savoir si le gouvernement peut faire connaître sa pensée, comme l'a fait, dans la circonstance actuelle, M. le ministre de la justice.

La question qui avait fait l'objet du discours dont il s'agit est très grave et peu connue. Le chef du département de la justice, voulant éclairer les administrations comme chef du département, et non comme particulier, non pas comme discutant dans cette Chambre, contre tel et tel adversaire, envoie à des fonctionnaires, envoie aux administrations le discours qui exprime la pensée du gouvernement.

Voilà tout ce dont il s'agit. On demande si c'est aux frais du trésor que doit se faire un pareil envoi ; mais est-ce M. Tesch ou est-ce le ministre de la justice qui a envoyé ce discours ? Est-ce la pensée du chef du département de la justice qu'on a voulu faire connaître, ou est-ce celle d'un simple particulier ?

Il n'y a pas de doute à cet égard. Le ministre a agi comme ministre, et comme ministre il a le droit d'entrer en relation avec les différentes administrations, de chercher à les éclairer sur ce qu'il pense lui-même.

Cette question est tellement simple que, n'était l'autorité personnelle des honorables préopinants, j'aurais cru qu'elle ne pouvait être soulevée dans cette Chambre, qu'elle n'était pas digne de nos débats, de nos délibérations.

Je me permettrai de faire remarquer que toute la séance d'aujourd'hui a été consacrée à parler d'abord d'un procès qui n'existe pas, et ensuite à parler sur la question de savoir si un discours tiré à part a été, oui ou non, imprimé aux frais du trésor public.

M. de Theux. - Messieurs, j'appelle l'attention de la Chambre e surtout des amis du régime parlementaire, sur toute la gravité, sur la portée de la question. Je n'hésite pas à dire que si le système défendu par MM. les ministres est vrai, le régime parlementaire s'en va. (Interruption.)

Oui, messieurs, je n'hésite pas à dire que le régime parlementaire s'en va, car si cela est vrai dans un cas particulier, cela sera vrai dans tous les cas, et MM. les ministres, forts de vos opinions et de votre silence, enverront, en tel nombre d'occasions qu'ils le trouveront bon, leurs discours aux frais du gouvernement et francs de port ; ils parleront seuls au public et les discours des membres de la Chambre en réponse à MM. les ministres n'obtiendront pas la même publicité.

C'est un régime de privilège que vous voulez accorder aux ministres au détriment de la minorité. Or, rappelons-nous l'histoire parlementaire : les majorités meurent. Aujourd'hui, vous trouvez cela bon, parce que vous êtes majorité ; mais demain, quand vous serez minorité, vous comprendrez toute la gravité de l'abus. M. le ministre de la justice a beau dire que d'autres ministres l'ont fait. Je blâme ces envois comme celui qui vient de se faire. Je ne fais acception ni de personnes ni de partis.

On nous a dit : Comment avez-vous gardé jusqu'ici le silence ? J'ai déclaré devant la Chambre que c'est la première fois que j'apprends ce fait. Si je l'avais connu plus tôt, je l'aurais blâmé.

MaeRµ. - Vous receviez ces discours.

M. de Theux. - Non. C'est le devoir de la Chambre de ne pas permettre la continuité et l'extension de l'abus.

Que, dans le cas particulier de la question des conseils de fabrique, M. le ministre de la justice ait cherché à se faire une situation privilégiée, puisqu'il est seul entendu, auprès d'un si grand nombre d'autorités, le mal peut être réparé en partie, parce que la discussion du projet de loi viendra plus tard éclairer l'opinion. Mais je dis qu'un ministre, répondant à différents membres de la Chambre, a donné une grande publicité à son discours et que les discours des membres qui lui ont répondu n'ont pas été lus par les mêmes autorités.

Cela constitue évidemment un privilège et un privilège qui va à l'anéantissement de la valeur parlementaire, car il n'y a de valeur parlementaire qu'autant que les droits de la minorité soient respectés au même degré que ceux de la majorité.

On ne devrait jamais l'oublier, messieurs, les armes dont la majorité se sert contre ses adversaires tournent contre elle dès qu'elle est devenue minorité, les abus que commet une majorité se perpétuent au profit d'une autre majorité.

Quant à moi, chaque fois que ce fait se reproduira, je le critiquerai, et j'engage tous mes amis de la droite comme tous les membres de la gauche à y prêter leur sérieuse attention.

On vous a parlé, messieurs, de l'exposé de la politique du gouvernement, et je m'étonne que cette observation soit venue de M. le ministre des finances qui a une intelligence assez grande pour ne pas confondre de pareilles choses. Personne n'a blâmé la publication de l'exposé de la politique du gouvernement ; ce que nous blâmons, c'est l'envoi d'un discours auquel il a été répondu par plusieurs membres de la chambre, c'est l'envoi de ce discours isolé des réponses qui y ont été faites. Si la publicité est utile, c'est à la condition que les deux parties soient entendues, la minorité comme la majorité, mais que ce ne soit pas le gouvernement seul qui ait la parole, car alors, c'est un privilège, un abus.

On a soulevé la question des frais, il ne s'agit peut-être que de quelques centaines de francs et ce ne sera pas là la ruine du pays ni un grand mal (page 427) pour le pays, mais toute illégalité est mauvaise, toute illégalité doit être évitée avec le plus grand soin. Or cette dépense a été imputée sur le « matériel de l'administration centrale » et je le demande, quelqu'un a-t-il jamais pensé qu'en votant cet article il votait des fonds pour l'impression et l’envoi des discours de MM. les ministres ?

Pour moi, messieurs, j'appuierai toute proposition tendante à étendre la publicité des Annales parlementaires, mais, je le répète, il faut que la publicité soit la même pour toutes les opinions représentées dans cette enceinte, sans cela la valeur du régime parlementaire ne peut que se perdre dans le pays.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - L'honorable comte de Theux confond, à dessein sans doute, la majorité avec le gouvernement. S'il s'agissait de discours prononcés par des membres de la majorité, son raisonnement aurait quelque valeur.

M. de Theux. - Vous êtes l'organe de la majorité.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Nous sommes gouvernement, et c'est comme gouvernement, comme pouvoir exécutif, lorsque nos idées, nos projets sont complètement dénaturés, que nous cherchons à éclairer l'opinion et que nous répondons aux attaques dont nous sommes l'objet. Ce n'est pas comme majorité que nous le faisons, c'est comme gouvernement et c'est là notre droit incontestable.

Quand j'ai fait publier mon discours, c'est à ce titre, c'est comme ministre, comme membre du gouvernement, et je l'ai envoyé, non pas aux particuliers, aux électeurs, mais aux corps constitués. (Interruption.) Je l'ai envoyé aux conseils communaux et aux conseils de fabrique, et si un particulier en a reçu un exemplaire, c'est par erreur et contrairement à mes instructions.

L'honorable comte de Theux nous dit que c'est la mort du régime parlementaire ; mais, messieurs, il est singulier que ce soit aujourd'hui, après 30 ans, que l'honorable M. de Theux s'aperçoit pour la première fois que nous courons à notre perte, alors que la même chose s'est cependant faite sous tous les ministères.

M. de Theux. - J'ai dit : « Si l'abus se généralisait. »

M. Orts. - Sous les ministères catholiques, on a fait imprimer même des listes électorales que l'on distribuait aux employés des ministères.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Je vous déclare que depuis que je suis au ministère, je regardais ce fait comme parfaitement licite, comme parfaitement irréprochable ; je ne me doutais pas même qu'il pût faire l'objet d'une critique, attendu qu'il avait été pratiqué par tout le monde, par tous mes prédécesseurs.

Dans deux grandes questions, celle qui a été soulevée par un article du Code pénal, et celle de l'administration des biens des fabriques, j'ai fait imprimer mes discours et, je le répète, je n'ai pas vu dans cet acte l'ombre d'un danger pour le régime parlementaire. Mais quand l'honorable M. Nothomb a fait imprimer son discours sur la charité, a-t-on prétendu que le régime parlementaire s'en allait ?

M. Nothomb a envoyé son discours comme je viens de le faire et personne sur nos bancs n'a réclamé, personne n'a accusé l'honorable M. Nothomb d'avoir commis un abus, de porter atteinte à la sincérité du régime parlementaire.

L'honorable M. de Theux a dit que la question de dépense est accessoire ; mais, messieurs, c'est là toute la question : supposez qu'au lieu de faire payer le tirage de mon discours sur l'article « Matériel », j'eusse payé de mes propres deniers, mais je vous aurais assurément enlevé le plaisir de cette discussion.

En effet, qu'auriez-vous eu à me reprocher ? L'honorable M. Nothomb a fait imprimer son discours sur la reconnaissance du royaume d'Italie, qu'y a-t-il à lui reprocher ?

Il n'y a donc que la question d'argent, car la seule différence qu'il y ait entre le membre de la Chambre et le ministre, quand ils font imprimer leurs discours, c'est que l'un paye de sa poche et que l'autre fait supporter les frais de remaniement par son budget. Ainsi c'est pour une centaine de francs que l'existence du régime parlementaire est compromise !

Eh bien, messieurs, je ne pense pas qu'il ait assez peu de solidité pour que son existence dépende d'un fait aussi inoffensif. (Aux voix !)

Je crois, au contraire, qu'il est de l'essence du régime parlementaire que le public ait la connaissance exacte des opinions des membres du parlement et surtout de celles des membres du gouvernement dont les actes et les intentions ne sont que trop souvent dénaturés. (Aux voix !)

M. Guilleryµ. - Messieurs, je ne dirai qu'un mot. Si je prends la parole, c'est que je crois qu'il ne serait pas généreux, qu'il ne serait même pas loyal de laisser MM. les ministres parler seuls dans cette discussion ; il semblerait qu'ils défendent un intérêt personnel.

Pour moi, je suis convaincu que le gouvernement a ici usé d'un droit et accompli un devoir ; c'est pour cela que j'insiste.

Si la critique est peu importante, la défense est importante. Pour ma part, je considère comme un devoir pour le gouvernement, dans certaines circonstances, de parler au pays, d'envoyer des circulaires, de faire afficher même ce qu'il a à dire, d'entrer en relation avec le pays par tous les moyens de publicité. Il est des circonstances où on lui saura gré de le faire, si l'on peut par-là calmer l'irritation, dissiper des erreurs répandues dans les populations.

Si, en 1857, le gouvernement qui avait présenté la loi sur la charité, fût parvenu, au moyen d'affiches, à calmer l'irritation qui s'était produite dans le pays, personne ne l'aurait désapprouvé. II est vrai que tous les moyens de publicité qu'il aurait mis en usage n'eussent pu atténuer les effets très fâcheux provoqués par cette loi.

Un membre considérable de la droite a dit que le droit pour le gouvernement de publier et de faire connaître son opinion compromet nos libertés constitutionnelles, compromet le régime parlementaire. Pour ma part, je crois que le régime parlementaire serait gravement compromis par des séances comme celle qui va se terminer. Que les membres de la droite nous attaquent, qu'ils critiquent le gouvernement, rien de mieux ; c'est leur droit, je me joindrai à eux quand leurs critiques me paraîtront fondées ; mais qu'ils fassent rouler toute une discussion du budget de la justice sur des vétilles semblables, je le regrette, pour ma part, comme très compromettant pour le régime parlementaire.

Quant au principe en lui-même, je dirai un seul mot : je trouve que, dans un pays libre, on doit pouvoir critiquer le gouvernement de toutes les façons ; mais il y a un droit corrélatif, c'est le droit pour le gouvernement de se défendre, d« pouvoir s'adresser à la nation, à l'opinion publique.

M. B. Dumortier. - Messieurs, il y a un droit égal pour tous, le droit de l'égalité devant la loi. Or, quand le gouvernement, au moyen des deniers publics dont il dispose, parle tout seul au pays, quand il étouffe la voix de ses contradicteurs, alors, cette égalité, il la détruit, à son profit personnel ; le gouvernement se fait parti, et c'est la mort du gouvernement représentatif.

Je suis extrêmement surpris de voir un homme aussi judicieux que l'honorable M. Guillery, ne pas comprendre toute l'importance du débat qui est soulevé et qui a une incontestable gravité.

Comment ! parce que vous avez le pouvoir et que vous avez le maniement des deniers publics, vous avez le droit d'aller trouver chaque personne au foyer domestique, d'avoir une presse à votre disposition, vous avez le droit de tronquer la pensée de vos adversaires, car notre pensée a été tronquée dans- votre discours ; elle a été tellement tronquée que, dans une séance suivante, mon honorable ami, M. de Theux, a dû rectifier des paroles que vous lui aviez prêtées.

C'est donc en trompant les citoyens sur nos paroles et sur nos intentions que vous voulez que le pays juge ces intentions et ces paroles ; c'est un éteignoir que vous voulez mettre sur le pays. Il faut vouloir l'égalité ; et il n'y a plus d'égalité si le gouvernement peut faire imprimer ses discours au moyen des deniers publics et si ce droit est refusé à ses adversaires. Je ne comprends pas la liberté sans l'égalité.

Je ne demande pas mieux que de voir nos discours, tels qu'ils ont été prononcés, arriver au foyer domestique de chaque chaumière ; mais je m'opposerai toujours de toutes mes forces à ce qu'on y envoie exclusivement des discours défendant une opinion, et tronquant celle de ses adversaires ; ce n'est pas là sans doute le régime parlementaire ; c'en est l'amère dérision.

- Personne ne demandant plus la parole, l'article 19 est mis aux voix et adopté.

La suite de la discussion est remise à demain, à 2 heures.

La séance est levée à 5 heures.