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Chambre des représentants de Belgique
Séance du lundi 13 décembre 1847
Sommaire
1) Pièces adressées à la chambre, notamment pétition
relative à une société de lutte contre la mendicité (Lejeune,
Rodenbach)
2) Rapport sur des pétitions relatives à la situation
sociale dans les Flandres
3) Projet de loi portant le budget des dotations pour
1848 (Mercier)
4) Fixation de l’ordre des travaux de la chambre. Budget
de l’intérieur et budget des voies et
moyens (Mercier, Rogier, Mercier, Eloy de Burdinne, Mercier)
5) Projet de loi portant le budget du département de
l’intérieur pour l’exercice 1848. Discussion générale. Encouragement à la
voirie vicinale (Eloy de Burdinne), encouragement à la
voirie vicinale, destitution de fonctionnaires pour raisons politiques (de Garcia), destitution de fonctionnaires pour raisons
politiques (Rogier, de Mérode, d’Huart, Rogier, d’Huart,
Rogier, de Garcia, de Man d’Attenrode, Lebeau, d’Huart, de Mérode, (+indépendance
des députés-fonctionnaires) (Orban, Rogier,
de Theux), de Mérode, Orban)
(Annales parlementaires de Belgique, session
1847-1848)
(Présidence de M.
Liedts.)
(page 253) M. A. Dubus
procède à l'appel nominal à 2 heures.
Entre l'appel et le réappel, il est procédé au tirage au sort des
sections de décembre.
La séance est ouverte.
M. Troye donne
lecture du procès-verbal de la séance de Samedi ; la rédaction en est
approuvée.
M.
A. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la
chambre.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
« Le sieur Philippart, secrétaire
communal à Grand-Leez, demande l'abolition de l'impôt sur le sel et présente
des observations relatives à la répartition des impôts. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et
moyens.
________________
« Le sieur Rodants réclame l'intervention de la chambre pour qu'il
soit nommé d'office un huissier et un avoué, afin de citer devant le tribunal
de Bruges l'éditeur d'un journal. »
- Renvoi à la commission des pétitions.
________________
« Le sieur Habran se plaint des
procédés d'un employé des douanes de résidence à Ste-Marie et demande qu'il lui
soit alloué sur les appointements de cet employé une indemnité de 200 fr. »
- Même renvoi.
________________
« Les conseillers communaux de
Glons présentent des observations contre le projet de loi qui tend à changer le
chef-lieu du canton. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
________________
« Le conseil communal de Leuze demande que le chef-lieu du canton soit
transféré à Leuze, si la chambre décidait de ne point le maintenir à Dhuy.
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi relatif à
cet objet.
________________
« Le sieur Meganck, candidat
notaire à Gand, présente des observations concernant le projet de loi sur le
notariat. »
- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet.
________________
« Plusieurs habitants de Champion
prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif au droit de succession et
toute augmentation de dépenses ou d'impôts qui lui serait proposée. »
« Même demande de plusieurs habitants de Tenneville, de Rendeux,
Beausaint, Marcourt, Hodister et des membres des administrations communales de
Foy, Vaux-Chavanne, Eghezée. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet, et dépôt
sur le bureau pendant la discussion du budget des voies et moyens.
________________
« Les membres du conseil communal
d'Oostham demandent des modifications au projet de route de Turnhout à Moll
vers le Limbourg. »
- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le budget des travaux
publics.
« Les sieurs Fievet, Verherstraeten
et Lesenne, membres dirigeants de la société agricole des Bons ouvriers,
établie à Saint-Sauveur, ayant pour but de venir au secours des indigents en
les formant au travail, et d'extirper la mendicité, exposent à la chambre la
manière d'agir de la société et ses intentions et demandent l'appui et le
concours des chambres et du gouvernement.
M.
Lejeune. - Messieurs, j'ai pris connaissance de cette
pétition, qui présente un très grand intérêt. Il s'agit de moyens de venir au
secours des indigents et d'extirper la mendicité. Les propositions qui sont
faites dans la pétition se rapportent très particulièrement à la discussion de
la loi sur les dépôts de mendicité. Je demanderai à la chambre de vouloir bien
renvoyer cette requête à la section centrale qui a examiné le projet de loi
dont je viens de parler. Cette section centrale est le mieux au courant de
toutes les questions qui ont été agitées et elle pourrait nous faire un rapport
avant la discussion du projet de loi. Je demanderai en même temps que le bureau
soit chargé de compléter la section centrale.
M. le
président. - Je dois faire observer que la commission dont
il s'agit a terminé son travail.
M.
Rodenbach. – Il est vrai qu'il n'est pas d'usage de
renvoyer des requêtes à des commissions qui ont terminé leur travail, mais je
pense que dans le cas actuel on pourrait consulter la section centrale, en la
considérant comme commission spéciale. Il est question de travail à donner aux
ouvriers des Flandres. divers moyens sont indiqués à cet effet ; notamment, si
j'ai bien compris l'analyse, il s'agit de la formation de petites colonies
agricoles. Comme cet objet est de la plus haute importance et que la requête
pourra peut-être nous éclairer sur les moyens de porter remède a la misère des
Flandres, j'appuie le renvoi à la section centrale dont il s'agit, et je pense
qu'on pourrait même adjoindre de nouveaux membres à cette section centrale, qui
examinerait la pétition, comme commission spéciale.
- La proposition de M. Lejeune est mise aux voix et adoptée.
________________
M. le ministre
de l’intérieur (M. Rogier) adresse à la chambre un
tableau détaillé de l'emploi des fonds alloués pour l'instruction primaire en
1840, tant par l'Etat que par les provinces et les communes.
- Ce travail sera imprimé et distribué.
________________
Il est fait hommage à la chambre,
par M. Visschers, de six exemplaires de la brochure intitulée : « De l'état
actuel et de l'avenir des caisses de prévoyance en faveur des ouvriers
mineurs. »
- Dépôt à la bibliothèque.
________________
M. Orts, retenu chez lui par indisposition, demande un congé.
- Accordé.
RAPPORT SUR UNE PETITION
M. David,
au nom de la commission des pétitions, fait rapport sur une requête de l'administration
communale d'Ardoye, qui prie la chambre d'allouer au budget de l'intérieur un
crédit destiné à couvrir les déficits des communes dont les ressources sont
épuisées par suite de circonstances extraordinaires, et sur des pétitions de
même nature des administrations communales de Ruysselede et de Meulebeke. Ce
rapport est ainsi conçu :
« Les administrations communales de Ruysselede et Meulebeke, dans
l'arrondissement de Thielt, et d'Ardoye dans l'arrondissement de Roulers, ont
en 1845, 1846 et 1847 épuisé toutes leurs ressources ainsi que celles des
bureaux de bienfaisance afin de venir au secours des malheureux habitants de
ces localités ; des dettes importantes ont même été contractées et la charité
privée, après deux années de généreux et bien louables efforts, ne pourra plus
dorénavant contribuer aussi largement que par le passé au soulagement de la
misère.
« Par surcroit de malheur la fièvre typhoïde fait de terribles ravages
parmi ces populations affaiblies par des privations de toute espèce, et les
administrations susnommées demandent qu'un crédit soit voté au budget de
l'intérieur ; la somme allouée serait destinée :
« 1° A des avances sans intérêts aux communes obérées par suite du
paupérisme et qui prendraient l'engagement de les rembourser au moyen de
centimes additionnels sur les contributions directes.
« 2° A des secours aux communes qui par suite du paupérisme et d'autres
circonstances extraordinaires, telles qu'épidémies, etc., se trouvent, de
l'avis du commissaire de l'arrondissement et de l'autorité provinciale, dans
une position exceptionnelle et dans l'impossibilité, tout en épuisant leurs
ressources tant ordinaires qu'extraordinaires, de combler le découvert de leur
budget de 1848. »
Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette
pétition à M. le ministre de l'intérieur. »
- Ces conclusions sont adoptées.
PROJET DE BUDGET DES DOTATIONS POUR L’EXERCICE 1848
M.
Mercier dépose le rapport de la section centrale sur le budget
des dotations.
- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le jour de la discussion sera
fixé ultérieurement.
PIECES ADRESSEES A LA CHAMBRE
M. le
président. - M. le ministre de l'intérieur a déposé sur le
bureau :
1° une notice sur la voirie vicinale pendant la période de 1841 à 1845 ;
2° un rapport sur la culture de la garance.
- La chambre décide que ces pièces resteront déposées sur le bureau
pendant la discussion du budget de l'intérieur.
FIXATION DE L’ORDRE DES TRAVAUX DE LA CHAMBRE
M.
Mercier (pour une motion d’ordre). -Messieurs, lorsqu'il
s'est agi de mettre à l'ordre du jour le budget du département de l'intérieur, j'ai
fait une réserve, pour qu’on ne vînt pas opposer une fin de non-recevoir si
plus tard on jugeait qu'il y eût lieu de modifier cet ordre du jour. Nous voici
arrivés au 13 décembre, il nous reste très peu de séances avant le 1er de l'an
; il me paraît peu probable qu'on puisse discuter le budget de l'intérieur et
celui des voies et moyens avant cette époque.
Chaque année, le sénat s'est plaint de ce que le budget des voies et
moyens lui soit transmis trop tard, à une époque telle qu'il lui était impossible
de le modifier d'une manière quelconque ; car il ne pouvait pas le renvoyer à
la chambre. L'année dernière, ces plaintes se sont renouvelées, non seulement
de la part de la commission du sénat, mais aussi de la part de presque tous les
honorables membres de cette assemblée qui ont pris la parole.
Je crois que d'abord, dans l'intérêt de la discussion elle-même, et
ensuite par un sentiment de convenance, nous devrions mettre le budget des
voies et moyens à l'ordre du jour de demain ou du moins d'après-demain, et
suspendre la discussion du budget de l'intérieur...
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Non ! non
!
(page 254)
M. Mercier.
- Je m'en rapporte à vous-mêmes ; vous ne pouvez pas espérer que le budget de
l'intérieur soit discuté en deux ou trois jours ; les années précédentes, ce
budget a provoqué une discussion d'une dizaine de jours ; le budget des voies
et moyens peut aussi donner lieu à de longs débats ; car je répéterai ici
l'objection qu'a faite l'honorable M. de Garcia dans une séance précédente :
les budgets ne se discutent pas au point de vue des personnes, des ministres,
mais bien au point de vue de l'intérêt public. S'il est possible que les deux
budgets de l'intérieur et des voies et moyens soient votés dans cette chambre
avant le 1er janvier, il est impossible au moins qu'ils le soient tous les deux
dans le sénat ; or, comme le budget des voies et moyens doit être
nécessairement voté avant cette époque par les deux chambres, et qu'il est
convenable qu'on puisse le discuter en pleine liberté, je pense qu'il y a lieu
de le mettre à l'ordre du jour de demain ou au moins d'après-demain.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, il y a longtemps que le rapport sur le budget de l'intérieur est
déposé ; celui sur le budget des voies et moyens n'a été déposé que plusieurs
jours après ; je crois donc devoir conserver l'ordre de priorité. Mais il y a
d'autres raisons encore qui me font insister pour qu'on passe à la discussion
du budget de l'intérieur.
En bonne règle, il faut, avant d'arrêter le budget des voies et moyens,
que toutes les dépenses soient votées : lorsque toutes les dépenses reconnues
nécessaires pour le service public ont été votées par la chambre, alors vient
le moment de voter les moyens de faire face à ces dépenses. L'on objecte,
messieurs, que peu de temps nous sépare encore du premier janvier. J'espère
bien que cette année la chambre ne se donnera pas de vacances avant d'avoir mis
l'ordre dans le vote des budgets. Sous ce rapport, j'insisterai chaque jour,
s'il le faut, pour que la chambre ne se sépare pas avant d'avoir fourni au
gouvernement les budgets qu'il lui demande.
Cette année est une année en quelque sorte transitoire ; s'il y a eu des
inconvénients les années antérieures, si le sénat n'a pas été saisi en temps
opportun des budgets et notamment du budget des voies et moyens, et si cet
inconvénient doit se présenter encore cette année, c'est la dernière fois ;
puisqu'à partir de l'année prochaine les budgets seront présentés en temps
utile, c'est-à-dire dans les premiers mois de l'année précédant leur exécution,
de manière que le sénat aura tout le temps nécessaire pour les approfondir.
Voici ce que je craindrais si on discutait le budget des voies et moyens
avant les autres budgets ; je craindrais que la chambre, après avoir voté ce
budget indispensable, ne s'ajournât et n'ajournât le vote des autres budgets.
Or, il est indispensable aussi que les budgets des dépenses soient votés cette
fois et toujours à l'avenir avant le premier janvier. Si vous remettiez la
discussion des budgets de 1848 après le 1er janvier, vous empêcheriez le
gouvernement de vous présenter les budgets de 1849 dès les premiers mois de
l'année, et vous vous exposeriez à ne pas pouvoir les voter avant la fin de
l'année 1848 à moins d'avoir l'une sur l'autre les discussions de budgets de
deux exercices.
Je ne sais si cette année le budget de l'intérieur doit nous entraîner
dans de longues discussion. Comme je l'ai déjà dit, je veux laisser à la
chambre toute liberté ; mais il est possible que ce budget ne donne pas lieu à
des discussions aussi longues que les années précédentes ; cela dépendra des
dispositions de la chambre. Nous avons eu une discussion politique il y a
quelques semaines ; si on veut la recommencer, je ne la décline pas, mais si on
ne doit pas la recommencer, je ne vois pas pourquoi les débats occuperaient
longuement de nos séances. Si on examine le budget au point de vue
administratif, en deux ou trois jours ii peut être voté.
Les membres qui ont des comptes à demander au
nouveau cabinet, peuvent attendre la discussion du budget qui sera présenté par
ce cabinet, et dont ils auront à s'occuper dans les premiers mois de 1848.
Commençons donc la discussion du budget de l'intérieur ; c'est d'ailleurs
l'objet à l'ordre du jour. Si nous sommes entraînés trop loin par la
discussion, reconnaissant la convenance de voter le budget des voies et moyens
de manière que le sénat puisse avoir huit jours au moins pour l'examiner avant
le premier janvier, nous suspendrons la discussion du budget de l'intérieur. Je
demande donc qu'on suive l'ordre du jour.
M. le président. – Le budget
des voies et moyens n'étant pas à l'ordre du jour, la conséquence de la
proposition de M. Mercier serait la remise de la séance à demain.
M.
Mercier. - J'ai demandé la mise du budget des voies et
moyens à l'ordre du jour de demain ou après-demain. Mais d'après les dernières
paroles de M. le ministre qui a dit que, si la discussion durait plus de deux
ou trois jours, il trouverait lui-même convenable de l'interrompre, pour ne pas
faire perdre un temps précieux à la chambre je n'insiste plus sur ma
proposition.
M. Eloy de Burdinne. - Je suis
satisfait par l'explication que vient de donner M. le ministre de l'intérieur ;
mon opinion est qu'il faut aborder la discussion nu budget de l'intérieur. Le
budget des voies et moyens n'est pas à l’ordre du jour, nous ne l'avons pas
étudié. Pour utiliser notre temps, nous devons ouvrir la discussion du budget
de l'intérieur, sauf à l'interrompre si nous prévoyions ne pas pouvoir aborder
prochainement le budget des voies et moyens.
M.
Mercier. - Je me bornerai donc à proposer que le budget
des voies et moyens figure à la suite de l’ordre du jour.
- Cette proposition est adoptée.
PROJET DE LOI PORTANT LE BUDGET DE L’INTERIEUR POUR L’EXERCICE 1848
Discussion générale
M. le
président. - La discussion est ouverte sur l'ensemble du
budget de l'intérieur. La parole est à M. Eloy de Burdinne.
M.
Eloy de Burdinne. - Messieurs, en prenant la parole
dans la discussion générale du budget des dépenses du département de
l'intérieur, je n'ai pas la moindre intention de faire de l’opposition au
cabinet actuel.
J'appuierai les actes du gouvernement que je considérerai d'intérêt
général.
Je combattrai les actes que je croirai y être opposés.
Telle fut toujours la ligne de conduite que j'ai suivie, je continuerai
à la suivre quelle que soit l'opinion politique des hommes qui dirigent les
intérêts du pays.
Tel est mon programme, je le suivrai littéralement.
J'arrive à la question.
Comme vous l'a fort bien dit notre honorable collègue, M. Castiau, les
économies sont réclamées de toutes parts ; nul de nous ne fait défaut, tous
nous en voulons, mais nos actes ne sont nullement en rapport avec nos paroles.
Comme notre honorable collègue, M. Castiau, je suis découragé ; c'est
vous dire que je serai très sobre dans mes propositions de réduction. Mais,
avec cet honorable collègue, j'appuierai de mon vote toute réduction que je
croirai être de nature à pouvoir être faite sans nuire aux intérêts généraux,
en fait d'économie, on ne doit pas les adopter toutes ; il en est qui, loin
d'être avantageuses à l'intérêt du trésor, lui sont nuisibles.
Je signalerai ici une économie sur les subsides à accorder aux communes
pour la restauration de la voirie vicinale. En admettant une réduction sur
cette allocation, même en ne l'augmentant pas, vous augmentez les dépenses et
vous constituez l'Etat dans une dépense plus forte.
Ce raisonnement vous paraîtra problématique.
Je vais résoudre ce problème. En allouant des subsides aux communes,
vous obtiendrez des travaux d'une valeur de deux tiers en sus de la somme
accordée, c'est-à-dire que si l'Etat faisait construire des routes pour un
million, il obtiendrait dix lieues de chemins empierrés ou pavés d'une valeur
d'un million au plus, tandis qu'en accordant un subside aux communes d'un
million, on obtiendra des travaux d'une valeur de plus de trois millions, soit
trente lieues de chemins empierrés. Ce résultat est la conséquence des sommes
fournies par la province et par la commune a raison de deux tiers en sus de
l'allocation de l'Etat.
Nous venons de voter un subside de 500 mille francs pour venir au
secours des classes ouvrières des Flandres, et l'honorable ministre de
l'intérieur veut que cette somme soit en grande partie employée à des travaux
que réclame l'amélioration de la voirie vicinale. En cela, je suis heureux de
me trouver d'accord avec lui ; mais la classe ouvrière des Flandres n'est pas
la seule qui réclame, à juste titre du travail. Dans toutes les communes
agricoles éloignées des grands établissements industriels, le même besoin se
fait sentir ; et si ces besoins sont moins grands qu'en Flandre, on le doit à
la charité des propriétaires et agriculteurs qui habitent ces localités.
La sollicitude du gouvernement doit s'étendre : il doit accorder des
subsides là où le besoin les réclame à juste titre, tout en ayant égard à la
position financière des communes, au nombre des malheureux ouvriers sans
ouvrage, et aux sacrifices que les communes ou les classes aisées sont
d'intention de faire pour la restauration des chemins vicinaux.
C'est ainsi que les subsides de 500 mille francs distribués aux communes
annuellement, pour les aider à la restauration de la voirie vicinale, ont
produit le plus beau résultat. Les communes ont fait des travaux qui ont coûté
plus d'un million, pour 500 mille francs dépensés par l'Etat.
Je connais des communes qui ont fait des dépenses, en empierrement et
pavage de chemins vicinaux, pour plus de 2 mille francs, parmi un subside de
deux ou trois mille francs obtenu et provenant de l'allocation de 300 mille
francs accordée par la législature au budget de l'intérieur.
En l'absence de ce subside on n'eût pas vu cet élan de la part des
administrations communales ; leurs communications seraient encore
impraticables, tandis qu'en partie elles sont dans un bon état de viabilité et
peuvent très bien remplacer les routes empierrées ou pavées aux frais de l'Etat.
Au lieu de construire de nouvelles routes sur une grande échelle,
augmentons l'allocation de 300 mille francs ; portons-la à 5 ou 600 mille
francs au moins, et retranchons cette somme de la demande pétitionnée au budget
des travaux publics, à l'article : Construction de toutes nouvelles. En donnant
un subsides de 5 à 600 mille francs aux communes, on obtiendra des travaux en
améliorations des chemins vicinaux pour une valeur de plus de deux millions.
C'est ainsi que je soutiens qu'une augmentation de dépense serait une économie.
Les chemins vicinaux bien confectionnés valent les grandes routes et ne
coûtent que le tiers à l'Etat.
Notre intention est de venir au secours des classes ouvrières. Le moyen
le plus efficace est de faire en sorte qu'elle ait de l'ouvrage sans se
déplacer ; car remarquez-le bien, un franc gagné dans sa commune, vaut (page 255) plus de deux francs à
l'ouvrier s'il doit déloger pour obtenir de l'ouvrage.
Hâtons-nous, messieurs, de voter ce subside. Que les administrations des
communes en soient informées immédiatement. Dans la certitude d'obtenir des
subsides, elles feront des sacrifices, elles donneront du travail à la classe
pauvre pendant l'hiver, soit en terrassements, soit en extrayant des matériaux
destinés à l'amélioration de leurs chemins.
Pendant les deux derniers hivers on a pris la résolution de restaurer
les chemins vicinaux ; on a suivi cette marche et les classes ouvrières ont
obtenu leur subsistance, au moins en grande partie, et la misère fut supportée
avec résignation dans les communes où l'on a suivi ce principe. Il n'en fut pas
ainsi là où l'on a négligé de suivre le même système ; la plus cruelle misère
s'y est fait sentir, les pauvres ont parcouru les communes environnantes pour
réclamer la charité de la bienfaisance des habitants qui avaient fait des
sacrifices pour venir au secours des pauvres de leur commune.
D'après le langage tenu dans cette enceinte, il paraîtrait que les
chemins vicinaux sont exclusivement dans l'intérêt de l'agriculture. Sans
doute, l'agriculture a un grand intérêt à avoir de bons chemins, mais on ne
contestera pas que l'industrie et le commerce y sont pour le moins autant
intéressés. Les consommateurs des produits de cette industrie habitant les
villes y ont aussi un bien grand intérêt. Meilleurs sont les chemins, à
meilleur marché y transporte-t-on les vivres. En outre les habitants des
campagnes sont aussi des consommateurs, et les bonnes routes les amènent en
ville, où ils achètent du commerçant et des industriels des objets dont ils se
passeraient en grande partie s'ils ne les voyaient pas. En un mot, la voirie
vicinale doit être considérée comme étant d'intérêt général. Pour ce motif,
mettons-les dans un état de viabilité en toute saison et au meilleur marché
possible. Le mode que j'ai l'honneur de proposer me paraît devoir atteindre ce
résultat.
Avant de terminer, je dois un mot de réponse à un reproche adressé aux
membres qui, en 1840, ont voté contre la proposition d'une allocation de 100
mille francs pour subsides à accorder aux communes pour la restauration de la
voirie vicinale. Ayant voté contre cette proposition, je dois une explication
et je la donne.
Cent mille francs répartis entre 2,600 communes, il revenait à chacune
moins de 40 francs, tandis que, taux moyen, la dépense que réclame la
restauration des chemins vicinaux nécessite plus de 20 mille francs par chaque
commune. Cette proposition d'une somme de cent mille francs et non de trois
cent mille francs, comme le croit M. le comte de Theux, c'est ainsi qu'il s'en
est expliqué dans une séance précédente, me paraissait une mystification, vu
qu'étant répartis entre 2,600 communes, il en revenait à chacune moins de 40
francs, pour l'aider à faire face à une dépense de 20 à 21 mille francs.
Tel est le motif de mon vote négatif.
Et on conviendra que si la législature proposait, à l'article premier
d'un budget de dépense, une allocation de 40 francs à compte du traitement d'un
ministre, ce haut fonctionnaire considérerait cette proposition comme une
véritable mystification. Il refuserait de recevoir 40 fr. en acompte sur ses 21
mille francs de traitement, et c'est ainsi que j'ai agi.
Pour preuve que j'apprécie la nécessité d'établir partout de bonnes
communications, c'est qu'en 1842 et 1843 j'ai demandé, par amendement, 500
mille francs pour les distribuer en subsides destinés à la restauration des
chemins vicinaux. Un sous-amendement a réduit la somme à 300 mille francs, et
la chambre l'a voté. Aujourd'hui, je demande que le subside proposé de 300
mille francs soit porté à 500 mille francs au moins.
En résumé, en votant 500 mille francs de subsides à accorder aux
communes pour la restauration de la voirie vicinale, vous obtiendrez le même
résultat que si vous accordiez au département des travaux publics un crédit de
15 cent mille francs pour construction de routes nouvelles.
En adoptant ma proposition, vous faites une économie d'un million, et
vous obtenez le même résultat en amélioration des communications ; vous donnez
de l'ouvrage aux malheureux, sans les obliger à s'éloigner de leurs habitations,
et vous répartissez cette dépense bien mieux que si vous la portiez sur deux ou
trois points du pays. Je termine en priant la chambre de méditer mes
observations et d'accueillir avec bienveillance la proposition que j'ai
l'honneur de lui soumettre.
Je viens prier la chambre de renvoyer mon amendement à la section
centrale chargée de l'examen du budget de l'intérieur, avec prière de méditer
les considérations qui militent en faveur de son adoption.
Et quoique dans son rapport la section centrale a cru devoir maintenir
l'allocation de trois cent mille francs, je ne désespère pas de la voir revenir
de sa décision en proposant l'adoption de ma proposition, qui est de porter le
chiffre à 500,000 francs.
Elle y sera d'autant plus disposée, j'aime à le croire, qu'elle
reconnaîtra que ma proposition donne en résultat une économie d'un million.
Et cette économie n'est pas à dédaigner dans notre position.
Je viens de vous dire que l'augmentation du subside à accorder aux
communes pour l'amélioration de la voirie vicinale était de nature à obtenir
des travaux d'utilité générale, à raison de quatre et cinq fois plus grand que
s'il était laissé au département des travaux publics le soin de faire
construire les voies de communication. En d'autres termes, au moyen des
subsides de 500 mille francs, on obtiendra des travaux qui coûteraient au
gouvernement de 15 cent mille à deux millions de francs.
Pour se convaincre de la justesse de mes calculs, il suffit de compulser
les annexes jointes au rapport de la section centrale. On y trouve, page 27 des
annexes : qu'il fut construit des travaux d'une valeur de 1,184,985 fr. parmi
un subside de l'Etat de 272,789 fr.
Sur le crédit de 2 millions, le gouvernement a accordé 425,657 fr.
Les annexes ne donnent pas le montant des travaux obtenus au moyen de ce
subside. Voyez les annexes, page 46.
A la page 48, toujours des annexes,
on voit qu'il a été fait des travaux en constructions de route qui ont coûté
1,057,298 fr. au moyen d'un subside de 239,116 fr.
Il résulte donc que les sommes données en subside aux communes ont
produit des travaux quadruples, comparées à la somme fournie en subside,
c'est-à-dire que vous faites, au moyen des charges que s'imposent les communes
et les provinces, quatre fois plus de routes que vous ne feriez si vous en
abandonniez la construction au département des travaux publics.
M. de Garcia. -
Messieurs, j'appuierai de toutes mes forces les considérations présentées par l'honorable
M. Eloy de Burdinne en faveur d'une augmentation de subsides pour la voirie
vicinale. Les considérations qu'il a présentées sont de la plus grande
justesse. Il y aurait économie pour l'Etat, s'il fournissait des subsides plus
considérables aux communes pour l'amélioration des chemins vicinaux. Ces
chemins, au moins ceux de première classe, réunissent toutes les qualités de
solidité et de viabilité des grandes routes. Cependant, comme on l'a fait
observer, ces routes au moyen du concours des communes, des provinces et de
l'Etat, coûtent à peine le tiers de ce que coûterait une longueur égale des
routes régulières de l'Etat.
Une autre considération me reste à présenter au point de vue des
subsides à accorder aux communes par l'Etat. cette considération est la
suivante.
On ne doit pas toujours considérer la hauteur du sacrifice que fait une
commune pour lui allouer un subside. Qu'il me soit permis de faire sentir par
un exemple la pensée que je veux exprimer. Une commune d'une superficie peu
étendue peut être très riche ; une commune d'une superficie double peut être
très pauvre.
Quand le gouvernement distribue ses subsides, il doit moins faire
attention aux sommes que fournissent les communes qu'à la quotité que
supportent les contribuables pour la voirie publique ; car une commune qui ne
pourrait sacrifier que 600 fr. à la voirie vicinale, en s'imposant des centimes
additionnels de 10 et 15 pour cent, peut avoir le double des chemins qu'une
autre commune qui, à raison de la richesse de ses habitants et de son
industrie, peut offrir un subside double en ne s'imposant que des centimes
additionnels moitié en-dessous de la commune pauvre.
J'appelle la sérieuse attention du gouvernement sur ce point.
Je quitterai cette thèse pour y revenir lorsque nous arriverons à
l'article des chemins vicinaux.
Mais je ne puis laisser passer la discussion du budget de l'intérieur,
sans adresser au chef de ce département quelques demandes.
Messieurs, depuis l'avènement du nouveau cabinet, des destitutions assez
nombreuses ont été opérées. La plupart de ces destitutions ont frappé des
fonctionnaires qui appartenaient au département de l'intérieur. Je crois donc
que la place toute naturelle pour demander des explications, à ce sujet se
trouve ici.
Tout d'abord je déclare que, selon moi, la question que je soulève
constitue moins une question politique qu'une question administrative.
En conséquence, je viens prier M. le ministre de l'intérieur de vouloir
faire connaître les raisons qui l'ont conduit à prendre ces mesures. Au point
de vue de la moralité des fonctionnaires publics, au point de vue des intérêts
matériels du pays, au point de vue de la dignité du pouvoir lui-même, ces
explications sont nécessaires et indispensables.
Je dis au point de vue de la moralité des fonctionnaires, et je crois
qu'il est facile de le démontrer. Tous les fonctionnaires ne doivent pas être
menacés. Ils doivent savoir que quand ils feront bien, ils en auront la
récompense ; que quand ils feront mal, ils seront renvoyés ; les fonctionnaires
destitués ont-ils mal fait ? Que le gouvernement le déclare, et il sera
approuvé.
Au point de vue des intérêts matériels, ces mesures sont funestes aussi
au pays. Quel est le résultat de ces destitutions ? Ce n'est sans doute pas des
économies. Car la plupart des fonctionnaires destitués sont mis à la pension et
c'est le contribuable qui doit payer ces pensions. Ce n'est pas davantage un
progrès vers une meilleure gestion des affaires, puisque d'anciens
fonctionnaires sont remplacés par de moins expérimentés.
Au point de vue de la dignité du gouvernement, ne doit-il pas tenir à
honneur de pouvoir, dans tous les cas, justifier de la justice de tous les
actes qu'il a posés ?
Sans doute je ne veux pas dénier au gouvernement le droit de destituer
ses agents. Ce droit lui appartient ; mais je crois que le gouvernement doit
compte aux chambres et au pays de l'usage qu'il fait de ce droit.
Messieurs, parmi les fonctionnaires destitués, un très petit nombre
m'est connu ; et les explications générales que je demande concernent surtout
l'honorable gouverneur de la province de Namur.
Naguère, messieurs, un honorable membre qui siège à côté de moi, paya un
juste tribut d'éloges au patriotisme et aux services que l'honorable ministre
de l'intérieur a rendus au pays. Il ne craignit point de blesser sa modestie,
je ne veux pas avoir plus de réserve que lui et (page 256) dussé-je blesser les sentiments de l'honorable
fonctionnaire auquel je fais allusion, je veux lui rendre toute la justice
qu'il mérite.
Est-il un homme dans le pays qui ait avec plus de courage et d'énergie
concouru à défendre les droits de notre nationalité ? Est-il un homme qui ait
droit à une page plus brillante que lui dans l'histoire de notre indépendance ?
Y a-t-il quelqu'un qui ait laissé, soit dans le ministère, soit dans le
gouvernement des provinces, des traces plus admirables de bonne administration
et de probité ? Devant un caractère aussi beau, aussi élevé, quel est celui de
nous qui n'a pas le droit de demander les motifs qui ont conduit à la retraite
ce haut fonctionnaire et ce bon citoyen.
Je le répète, je ne veux pas soulever une
question politique, c’est en vue de la moralité des fonctionnaires, en vue de
nos intérêts matériels, en vue de la dignité du pouvoir lui-même, que je
demande des explications, et j'espère que M. le ministre voudra bien donner ces
explications avec la franchise qui le caractérise.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, dans la discussion de l'adresse j'ai eu l'occasion de m'expliquer
relativement à certaines destitutions politiques qui ont eu lieu à l'avènement
du ministère nouveau ; j'ignore si l'intention de la chambre est de ramener les
débats sur ces discussions politiques. Comme je l'ai déjà dit, je suis prêt à
accepter les débats politiques si on veut les renouveler.
Quoi qu'en dise l'honorable M. de Garcia, la question qu'il a posée est
une question purement politique. Nous n'avons pas à débattre ici des questions
personnelles. Les destitutions qui ont eu lieu ont été dictées non par des
motifs personnels, mais par des nécessités politiques. Si nous n'avions vu dans
les fonctionnaires publics que les circonstances nous ont obligés de frapper,
si nous n'avions vu en eux que leurs relations privées avec nous, mais
plusieurs de ces fonctionnaires, je dois le dire, étaient liés avec nous par
d'anciens souvenirs, par des amitiés privées, par des services rendus en commun
à la chose publique. La chambre n'attend pas de moi que je vienne m'expliquer
sur chacune de ces destitutions ; je ne le ferai pas. Le gouvernement a usé de
son droit, il en a usé dans de justes limites ; il pense n'avoir rien fait
au)delà de ce qui était strictement nécessaire. En ces sortes de matières un
gouvernement, à moins d'être aveugle d'esprit, absolument réactionnaire, un
gouvernement n'a aucune espèce d'intérêt à aller au-delà de son but. Je crois
que nous nous sommes renfermés dans de justes limites. J'ignore si la chambre
entend établir une discussion en ce qui concerne un fonctionnaire spécial.
M. de Garcia. - J'ai
parlé de tous.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je suis
prêt à entrer dans cette discussion, mais il m'est impossible de débattre ici
des questions personnelles ; cela pourrait nous mener extrêmement loin.
M.
de Mérode. - Je demande la parole.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - En ce qui
concerne le fonctionnaire auquel l'honorable préopinant a fait allusion, je
suis d'accord avec lui que ce fonctionnaire a rendu des services à la chose
publique. Beaucoup de fonctionnaires, beaucoup d'hommes politiques ont rendu
des services à la chose publique en 1830 et beaucoup d'entre eux ont été
successivement fonctionnaires publics et sont rentrés dans.la vie privée.
Lorsqu'un dissentiment éclate entre des hommes politiques, mais il est
tout naturel que ces hommes se séparent : il n'y a pas la de victimes, il n'y a
pas là d'oppresseurs, il. n'y a pas là de gouvernement réactionnaire c'est un
fait très naturel, qui se présente dans tous les gouvernements représentatifs
du monde. Là où la confiance réciproque cesse, commence la nécessité de la
séparation. On peut se placer dans des rangs opposés et conserver les uns pour
les autres une estime réciproque. Quant à moi, je crois bien que tous les
fonctionnaires qui se sont séparés de moi, ou volontairement ou par suite des
circonstances, je crois bien qu'ils ne se sont pas considérés comme frappés
dans leur considération privée. Je crois que la considération privée des
fonctionnaires a quelquefois beaucoup plus à souffrir de la conservation de
leurs fonctions sous une administration qui n'a pas leurs sympathies. Ce qui
nuit à la considération des fonctionnaires, c'est de les voir continuer à
servir un politique qui ne leur convient pas.
Ainsi, je crois que l’honneur est
sauf, que la considération des fonctionnaires politiques est sauve. Nous
n'avons fait que suivre la loi de tous les gouvernements représentatifs, et je
crois que tout autre ministère, dans les circonstances où nous nous sommes
trouvés, n'aurait pas fait autrement.
Je bornerai là mes observations., Je craindrais d'entrer dans des débats
personnels, et je ne veux y entrer qu'autant que je m'y verrais forcé.
M.
de Mérode. - Messieurs, depuis dix-sept ans on avait
considéré les fonctionnaires comme les fonctionnaires de l'Etat et non pas
comme les agents privés des ministres comme les séides de telle ou telle
opinion. C'était là la politique du congrès, la politique constitutionnelle et
libérale, à laquelle on n'a pas dérogé jusqu'ici. Mais la politique nouvelle,
que j'ai qualifié de destitutionnelle, et que j'avais prédite, avant qu'elle
fût mise en œuvre, s'est révélée par une série d'actes véritablement
inquiétants pour l'avenir : 16 ou 17 fonctionnaires de l'ordre administratif
ont été éliminés sans motif connu d'aucun de nous. C'est là un fait très
important qui demande absolument des explications. Je désire, comme l'honorable
M. de Garcia, qu'on nous les donnes et qu'on ne se retranche pas dans des fins
de non-recevoir, qui ne sont variablement ps applicables aujourd'hui.
Il y a eu précédemment des destitutions faites d'un seul fonctionnaire
et constamment on a demandé dans cette enceinte des explications sur ces
destitutions ; toujours ces explications ont été données. Ainsi lorsque
l’honorable M. de Stassart eut été révoqué de ses fonctions de gouverneur du
Brabant, l'honorable M. de Theux fut interpellé sur les motifs de cette
destitution et il les fit aussitôt connaître. (Interruption.) Ces motifs ont même figuré, je
crois, dans un rapport inséré au Moniteur. C'est véritablement un système tout
nouveau que ces destitutions, et ce système peut aller beaucoup plus loin ; car
enfin les individus qui remplacent les fonctionnaires destitués, et dont un
certain nombre sortent d'assemblées dont je n'ai pas besoin de donner les noms,
ces remplaçants peuvent très bien gagner appétit en mangeant, et nous finirions
ainsi par voir mettre de côté tous les meilleurs fonctionnaires et par voir
donner leurs places à des individus n'ayant d'autres titres que d'avoir effrayé
le pays sur de prétendues tendances infiniment moins dangereuses que les leurs.
Je désire, messieurs, que le gouvernement nous donne les explications
qui lui sont demandées.
M.
d'Huart. - Messieurs, puisque j'ai été désigné plus
spécialement dans ce débat, à propos des destitutions de fonctionnaires, je
crois ne pas pouvoir me dispenser, de prendre la parole. Ne croyez pas,
messieurs, que mon intention soit de me poser ici comme victime, et de me
plaindre de la mesure que le gouvernement a prise à mon égard ; nullement ;
telle n'est pas mon intention. Ne croyez pas non plus que je veuille contester
au gouvernement le droit dont il a usé. Je ne veux pas davantage demander à la
chambre qu'elle s'occupe de moi. Je pense qu'elle doit son temps précieux à des
objets beaucoup plus importants pour le pays.
Mais, messieurs, puisqu'on a parlé d'explications et que l'on m'a mis
personnellement en cause dans ce débat, je dois demander que la vérité se fasse
jour. En dehors de cette enceinte, j'ai été en butte aux insinuations les plus
malveillantes, j'ai été l'objet d'allégations contradictoires ; je veux,
messieurs, que mes adversaires, comme mes amis, puissent apprécier ma conduite
en parfaite connaissance de cause.
J'aurais pu faire connaître les motifs de la
mesure qui a amené la cessation de mes fonctions de gouverneur de la province
de Namur ; mais j'ai pensé que l'occasion ne pouvait pas manquer de se
présenter, dans cette enceinte, de chercher à obtenir ces explications du
gouvernement lui-même, et qu'il était convenable, en ma qualité d'ancien
fonctionnaire, d'attendre cette occasion, pour demander à M. le ministre de
l’intérieur, qui a le Moniteur à sa disposition, de publier la correspondance
qui a eu lieu entre lui et moi, correspondance à la suite de laquelle est.
intervenu l'arrêté du 2 novembre dernier.
Je demande qu'on livre à la publicité les pièces de cette
correspondance, y compris la lettre du 13 août par laquelle j'ai accusé la
réception du programme ministériel de la veille.
Je n'en dirai pas davantage ; je pense que M. le ministre de l'intérieur
ne verra aucune difficulté à publier cette correspondance.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, pour ma part, je ne vois pas d'inconvénient à livrer, à la,
publicité les actes de mon administration. Cependant il y a une distinction à
établir entre ces actes. Les actes administratifs, je puis leur donner la
publicité qu'on, réclame. Quant aux actes qui touchent directement aux
personnes, il y aurait des inconvénients à laisser s'établir le principe que,
sur la demande de la chambre, de pareils documents doivent être livrés à la
publicité. Il y a, souvent, dans les questions personnelles, des circonstances
qui ne sont pas de nature à être livrées à la publicité. La correspondance qui
a eu lieu entre l'honorable M. d'Huart et moi est assez volumineuse ;
l'honorable membre en connaît les incidents divers. Pour que le public ait une
connaissance parfaite de toute cette affaire, il faudrait que toute cette
correspondance fût livrée à la publicité ; mais, avant d'avoir relu
attentivement les pièces, je ne puis m'engager à les publier.
Il y a une marche plus simple et plus directe à
suivre. Si l'honorable M. d'Huart pense qu'il lui est utile, pour répondre aux
insinuations malveillantes, dont il a été l'objet, de publier cette
correspondance, qui lui appartient comme à moi, je ne vois pas d'Inconvénient à
ce qu'il la livre à la publicité ; seulement je le prierai.de publier
exactement les réponses qui ont été faites à ses diverses lettres.
M. d'Huart. - Messieurs, je ne me refuse
pas à la marche qui vient d'être indiquée par M. le ministre de l'intérieur ;
mais je n'ai pas voulu la suivre tout d'abord, parce que j'ai cru que les
convenances exigeaient de moi que je commençasse par demander à M. le ministre
de l’intérieur la publicité pour ces pièces.
Je n'éprouve aucune répugnance ni aucune crainte à voir publier toutes
les pièces relatives à cette correspondance. C'est cette publicité que je
demande. Du reste, je le répète, je suivrai volontiers la marche que M. le
ministre de l'intérieur a indiquée ; toutefois, il eût été plus naturel que
lui-même, ayant le Moniteur à sa disposition, se fût chargé de cette
publication.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier).
- J'ai l'honneur de répéter à l'honorable M. d'Huart que s'il pense qu'il est
de son intérêt de livrer à la publicité la correspondance qui a eu lieu entre
lui et moi, je ne puis pas m'opposer à ce qu'il suive cette marche ; mais quant
à moi je ne puis prendre l'engagement de publier la correspondance qui a eu
lieu à l'occasion du remplacement de ce fonctionnaire. Sans doute l'honorable
M. d’Huart est un homme politique d'une certaine importance ; mais je ne vois
pas (page 257) pourquoi il serait
suivi à son égard une marche tout à fait exceptionnelle. Comme antécédent, je
crois qu'il y aurait danger à déférer au vœu de l'honorable M. d'Huart ; et
comme d'ailleurs le but qu'il a en vue peut être atteint par lui-même, je crois
que ce point de la discussion peut maintenant être considéré comme épuisé. Je
me réserve cependant de publier, de mon côté, pour autant que de besoin, les
pièces qui ne figureraient pas dans cette publication et qui seraient de nature
à éclaircir certains faits.
M. de Garcia. -
Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur croit qu'il ne peut pas donner
des explications sur les destitutions qui ont eu lieu ; j'avais demandé ces
explications d’une manière générale ; je n'avais cité particulièrement
l'honorable gouverneur de la province qui m'a fait l'honneur de m'envoyer dans
cette enceinte, que parce que je le connais et que je le considère comme un des
plus grands citoyens et l'un des meilleurs fonctionnaires qui aient surgi dans
notre indépendance nationale.
L'honorable ministre, pour se soustraire à toute demande d'explications,
se retranche derrière une question de convenance, derrière une fin de
non-recevoir. « Il ne convient pas, dit-il, de traiter ici des questions de
personne. » Ce système est des plus commodes, et, il faut le reconnaître,
devant lui doit disparaître tout contrôle des actes administratifs du
gouvernement qui nécessairement doivent toujours toucher à des personnes. Que
la chambre consacre un tel système, et dorénavant elle s'interdit le droit de
pouvoir jamais contrôler aucun acte posé par le gouvernement, quelque injuste,
quelque inique qu'il puisse être.
Ce système serait celui des gouvernements les
plus absolus, ce système conduirait tout droit le gouvernement constitutionnel
au despotisme flétri par l'histoire, ramènerait ces époques où l'influence des
intrigues des courtisans, des femmes peut-être, consacrerait des abus
révoltants, sans qu'on puisse se plaindre ou demander justice. Telle est la
portée du refus d'explications de la part de M. le ministre de l'intérieur.
Sous un gouvernement semblable, on pourra, comme sous les gouvernements
absolus, destituer, renvoyer les fonctionnaires les plus recommandables et qui
ont rendu les services les plus signalés au pays, sans qu'on ait le droit de
s'enquérir des motifs qui auront déterminé ces mesures. Toujours je combattrai
ces doctrines contre lesquelles je proteste.
M. de Man d'Attenrode.
- J'ai demandé la parole pour demander que cette correspondance soit insérée au
Moniteur. Rien ne s'oppose à ce que l'honorable M. d'Huart s'adresse au
directeur du Moniteur pour y faire insérer la correspondance qui a préludé à sa
destitution. Je ne vois pas pourquoi cette correspondance ne ferait pas partie
de nos documents officiels.
Je demande positivement l'insertion de cette correspondance au Moniteur.
M. Lebeau. - La question est assez
importante pour que la chambre soit renseignée autrement qu'elle ne l'a été par
la déclaration de M. le ministre de l'intérieur. Si M. le ministre de
l'intérieur se refuse à donner des explications, il est dans son droit ; mais
la chambre est dans le sien quand elle demande que tous les éclaircissements
arrivent jusqu'à elle.
La publication de ces renseignements dans un journal ordinaire ne
remplirait pas le but qu'on doit se proposer ; il n'y a qu'un seul journal où
ces documents puissent être insérés, c'est le journal officiel, c'est le
Moniteur. Je demande donc formellement que la correspondance dont il s'agit
soit portée à la connaissance de la chambre par la voie du Moniteur.
Je prendrai la parole quand l'incident sera vidé.
M. d'Huart. - M. le ministre de l'intérieur,
qui a le Moniteur à sa disposition et qui pourrait y faire aisément insérer la
correspondance dont j'ai parlé, ne juge pas à propos d'en user. Dès lors il ne
me reste, après le refus de M. le ministre qu'à m'adresser à des journaux
autres que le Moniteur, pour qu'ils aient l'obligeance de publier ces pièces.
Je regrette d'ailleurs la raison gouvernementale qui paraît diriger M. le
ministre de l'intérieur.
J'engage en conséquence mes honorables collègues qui ont demandé
l'insertion au Moniteur à ne pas insister parce que, moi-même, quel que soit
l'intérêt de ma position personnelle, je ne voudrais pas être la cause d'un
précédent dont la chambre ou le gouvernement, dans d'autres circonstances,
pourraient avoir à se repentir.
M. de Mérode. - C'est une
chose vraiment extraordinaire, qu'après 16 ou 17 destitutions préventives, sans
aucun motif apparent qui puisse justifier la mesure prise à l'égard des
fonctionnaires qu'on a privés de leur emploi, c'est une chose vraiment
extraordinaire qu'on ne puisse obtenir aucune explication. Cela ne s'est jamais
vu depuis 17 ans. Si c'est là la nouveauté qu'on nous a promise, de nouveauté
en nouveauté nous arriverons au gouvernement du Grand Turc ! Les majorités
peuvent opprimer les minorités d'une manière aussi vexatoire que les
gouvernements dirigés par un seul homme ; les minorités écrasées par des
majorités sont aussi malheureuses que la Pologne opprimée par Nicolas, que les
petits cantons opprimés par les grands cantons ; cela revient au même, le
despotisme est le même qu'il soit exercé par une force ou par une autre ; quand
cette force agit brutalement dans l'ombre, elle est aussi oppressive dirigée
par plusieurs que par un seul. C'est ce qui se passe aujourd'hui, rien de semblable
ne s'était passé depuis 17 ans. Ce sera l'honneur de l'opinion qui siège sur
ces bancs de n'avoir jamais donné l'exemple d'un pareil mutisme, quand elle
avait la majorité.
M. Orban.
- Il paraît que l'on est d'accord pour considérer comme épuisé le côté
personnel de la question des destitutions ; je me conformerai à cette décision
de la chambre. Mais il est bien permis, je pense, à l'occasion du budget de
l'intérieur, d'examiner les conséquences administratives des destitutions
faites par le nouveau cabinet, et qu'il a en quelque sorte érigées en système.
Il faut bien le reconnaître, messieurs, l'administration a été jusqu'à
ce jour beaucoup trop négligée ; l'on pourrait dire qu'elle n'a été que la très
humble vassale de la politique ; trop souvent l'on a fait de l'administration
comme un arsenal où l'on venait chercher des armes pour étayer le système
politique dominant. Pour moi, j'ai toujours pensé que l'administration devait
avoir une organisation forte en dehors des luttes de parti, et n'ayant que le
moins de contact possible avec la politique. A cette condition seulement
l'administration peut être une force, une puissance capable de servir en
quelque sorte de contrepoids aux instabilités politiques. Placée dans ces
conditions, l'administration pourrait former un édifice à part capable de
résister au milieu de l'ébranlement général de la politique.
J'avoue que quand j'ai vu venir au pouvoir l'opinion libérale, lorsque
j'y ai vu arriver l'honorable M. Rogier qui a toujours professé en
administration la doctrine du pouvoir fort, j'ai espéré voir renaître dans
l'administration cette force hiérarchique qui lui est nécessaire.
J'ai pensé que nous verrions introduire dans l'administration cette
énergie qui lui manque, cette confiance qu'elle n'a pas en elle-même.
Mais le système de destitution inauguré par le nouveau cabinet est-il de
nature à procurer ces résultats ? Voilà ce qu'il importe d'examiner. Eh bien,
quant à moi, je n'hésite pas à déclarer qu'il doit avoir un effet tout contraire.
Pour que l'administration pût gagner de la force, que faudrait-il ? Il faudrait
de la part des fonctionnaires redoublement de zèle et d'activité dans
l'accomplissement de leurs devoirs administratifs ; de la part des administrés
confiance, déférence administrative à l'égard des fonctionnaires. Il faudrait
que cette confiance fût en quelque sorte générale de la part des administrés.
Voyons, messieurs, quant au premier de ces points. Pour qu'un
fonctionnaire travaille avec zèle, pour qu'il consacre son talent, ses veilles
à l'accomplissement de ses devoirs administratifs, il faut qu'il ait
l'assurance que ses services ne seront pas méconnus, et à plus forte raison,
qu'une destitution puisée dans des considérations politiques ne viendra point
interrompre brusquement la carrière administrative la plus recommandable.
Eh bien, messieurs, est-ce là ce qui aura lieu sous le ministère actuel
?
D'après ce que nous avons vu, n'est-il pas démontré, au contraire, que,
quelle que soit la manière loyale, intelligente et probe dont un employé, a
rempli ses fonctions, il n'est pas à l'abri d'une destitution ? N'est-il pas
démontré aussi que quelque négligence qu'on apporte dans ses fonctions, si on
est en communion d'opinions politiques avec le parti qui gouverne, on est à
l'abri d'accidents de cette espèce, si toutefois on n'est pas destiné à de plus
hautes fonctions, destinées à être la récompense, non plus des services
administratifs rendus, mais des services politiques rendus à un parti.
J'ai dit en second lieu, messieurs, que plus la confiance dont un
fonctionnaire est entouré est générale et plus il est à même de remplir ses
fonctions avec fruit. En effet, sans confiance pas de concours, et réduit à
lui-même, destitué du concours et de la confiance de ses administrés, ce
fonctionnaire est incapable de faire le bien.
Cette confiance universelle est-elle possible quand vous avez fait du
fonctionnaire un homme politique, le représentant d'un parti dans
l'administration ?
Evidemment, dans l'état actuel des choses, le commissaire
d'arrondissement n'est plus qu'un agent politique au service d'un parti. Dans
toute sa carrière administrative, il aura pour mission principale de favoriser
le parti auquel il appartient ; et qui vous dit que la justice administrative
ne sera point altérée ? Qui vous dît qu'il ne cherchera point à atteindre le
but qui lui est assigné, le triomphe électoral de son parti, en disposant en sa
faveur des places, des subsides, de tous les moyens administratifs, en un mot,
qui sont à sa disposition ?
Dans un pareil état de choses, comment voulez-vous qu'il n'y ait pas
défiance et désaffection au moins partielle ?
Evidemment, il y aura dans l'arrondissement deux partis politiques :
l'un soutenu par le commissaire d'arrondissement ; l'autre en hostilité avec
lui ; l'un luttant avec les seules armes de la conviction, l'autre avec les
armes de la corruption administrative. Assurément, messieurs, ce n'est point
avec la pratique d'un pareil système que vous verrez renaître les beaux jours
de l'administration, que vous lui verrez reconquérir la confiance dont elle a
besoin et cette force qui se puise dans la justice et l'assentiment général.
M. Le
Hon. - Je demande la parole.
M. Orban.
- II y a une autre conséquence des destituions sur laquelle je me permettrai
d'interpeller le chef du cabinet ;sauf à lui à user cette fois encore du droit
de ne pas répondre si cela lui convient.
Si nous acceptons comme le résultat d'un système les destitutions faites
par le cabinet, il sera démontré que du moment où un fonctionnaire ne partage
pas les opinions politiques, il doit cesser de faire partie (page 258) de
l'administration. Les choses étant ainsi, je me permettrai de demander à M. le
ministre de l'intérieur quelle position il entend faire aux fonctionnaires
publics qui siègent dans cette enceinte. Du moment qu'on ne peut continuer de
faire partie de l'administration qu'à la condition de soutenir la publique du
ministère, il est évident que la position des fonctionnaires publics dans cette
enceinte n'est plus tenable ; leur opinion n'est pas libre ; car ils sont
placés entre leur révocation et l'obligation de donner leur appui au ministère.
N'est-il point évident que dès lors ils ne peuvent plus siéger honorablement dans
celle enceinte ?
Plusieurs
membres. - C'est la question de la réforme
parlementaire.
M. Orban.
- Oui, c'est la question de la réforme parlementaire, et cette question si
grave, cette question à laquelle se rattachent les plus hautes considérations
de l'ordre gouvernemental et politique, vous l'avez préjugée sans examen. Vous
vous êtes en quelque sorte placés dans la nécessité de la résoudre
affirmativement, et je dis : Cela n'est point le fait d'hommes politiques
appelés à gouverner leur pays. A côté des inconvénients très graves sans doute
qui s'attachent à la présence des fonctionnaires dans les chambres, se trouve
une considération d'un ordre supérieur ; c'est celle de savoir si une majorité
gouvernementale suffisante pour assurer la marche d'un cabinet quelconque est
possible sans la présence des fonctionnaires dans les chambres. C'est celle de
savoir s'ils ne forment pas un contrepoids nécessaire au mouvement trop
accéléré des opinions. L'expérience que nous avons faite de nos institutions si
libérales, si démocratiques n'est pas assez complète pour que cette question
puisse être décidée à priori, et il appartenait aux hommes qui siègent sur les
bancs du pouvoir de lui donner une solution obligée.
Si encore le ministère, en posant ces destitutions, avait agi d'après un
des principes arrêtés, s'il avait subi en quelque sorte la conséquence d'un
système essentiel à sa politique !
Mais il m'est impossible de voir dans la conduite qu'il a tenue, rien
qui ressemble à un système arrêté d'avance. Tout ce qui été dit à cet égard
n'est pas sérieux. Vous vous rappelez sans doute cette belle théorie présentée
par M. le ministre de l'intérieur qui représentait les destitutions comme la
ratification, en quelque sorte, de la décision du jury électoral. Comment les
faits répondent-ils à cette théorie ? On arrache à son arrondissement un
commissaire de district qui venait d'être réélu membre de cette chambre par ce
même arrondissement ; et l'on a envoyé, ou l'on se dispose à envoyer, comme
commissaire de district un candidat repoussé par les électeurs de ce district
d'où il avait cherché à éliminer l'un des membres de cette chambre que, pour
mon compte, je respecte et révère le plus, l'honorable M. Eloy de Burdinne. En
présence de ces faits, je ne puis voir dans votre prétendu système qu'une vaine
parade destinée à abriter derrière les principes des actes dus à des sentiments
mauvais que l'on n'ose avouer.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je
demande la parole.
M. Orban.
- Non, il n'y a rien dans votre conduite qui soit le résultat d'un système, et
je vais en faire la démonstration la plus complète. Si le système des
destitutions avait été pour vous sérieux et nécessaire, pourriez-vous vous
dispenser de l'appliquer aux fonctionnaires des administrations centrales ?
M. Lebeau.
- Je demande aussi la parole.
M. Orban. -
Si le gouvernement avait besoin de destituer un gouverneur, un commissaire
d'arrondissement, dont le concours lui était nécessaire pour assurer la bonne
administration, n'était-il pas plus nécessaire de traiter de la même manière
les directeurs, les employés immédiatement sous ses ordres qui sont en quelque
sorte l'âme de l'administration ?
Assurément, vous ne répondrez pas que vous avez
rencontré dans tous les ministères, dans toutes les administrations centrales,
des fonctionnaires qui partagent votre opinion. Si vous veniez annoncer un fait
pareil, ce serait faire des ministères précédents un éloge qui n'est pas dans
votre intention. Car ce serait dire que les ministères qui vous ont précédés
ont eu plus de tolérance que vous, qu'ils ont cru pouvoir marcher, lorsqu'ils
avaient dans leur administration des fonctionnaires d'une autre opinion
politique que la leur.
Eh bien ! qu'avez-vous fait ? Vous n'avez pas changé un seul de ces
fonctionnaires ; tous les fonctionnaires de l'administration centrale, depuis
le dernier commis jusqu'aux directeurs généraux, ont été maintenus.
Vous avez prouvé par là une chose : c'est que votre système n'était
qu'une fiction, n'était qu'un mensonge.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). -
Messieurs, il paraît que la discussion politique de l'ouverture de la session
n'a pas suffi à d'honorables membres et que nous voilà lancés dans une seconde
discussion politique. Je laisse la responsabilité des longueurs des débats
éventuels à ceux de MM. les membres de cette chambre qui les auront provoqués.
M.
de Mérode. - L'année passée c'était tous les jours.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - L'année
passée, ce n'était pas tous les jours. Nous avons eu deux seules discussions
politiques, l'une à l'ouverture de la session, et l'autre trois ou quatre mois
plus tard, à l'occasion de la discussion du budget de l'intérieur.
Du reste, je le répète encore, je laisse la chambre libre d'entamer des
discussions politiques aussi longtemps et aussi souvent qu'elle le voudra. Je
n'invoquerai pas même le vote de confiance si éclatant que nous avons reçu tout
récemment d'une grande partie de cette chambre. Je n'invoquerai pas
l’abstention des membres actuels de l'opposition. Je ne rappellerai pas leur
attitude, je ne rappellerai pas leurs déclarations. Ils attendront les actes du
ministère pour les juger. Aujourd'hui on revient sur le passé. On veut que le
ministère s'explique sur ses actes. Eh bien ! il s'expliquera sur ses actes,
chaque fois cependant qu'il le jugera à propos et sans jamais entendre abdiquer
ce qui sera dans son droit ou dans sa convenance.
L'honorable M. Orban appartient, je crois, à l'opinion qui se qualifie
d'opinion modérée, d'opinion gouvernementale. Il nous a dit tout à l'heure
qu'il était partisan du pouvoir fort.
M.
de Mérode. - Du pouvoir juste !
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - J'avertis
M. le comte de Mérode que s'il m'interrompt à chaque mot que je dis, il me sera
impossible de continuer. (Interruption.)
M. le
président. - M. de Mérode, on ne vous a pas interrompu.
M.
de Mérode. - J'ai dit : du pouvoir juste, et voilà tout.
M. le
président. - Mais il ne faut pas interrompre.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Pour en
finir avec M. le comte de Mérode, pour lui ôter ce désir d'interruptions
continuelles, et lui retirer même l'honneur de l'invention du système
destitutionnel qu'il semble attribuer de préférence au ministère actuel, je ne
rappelle qu'un fait : c'est qu'il y a treize ans environ il était mon collègue
et qu'il a concouru avec moi à frapper deux hauts fonctionnaires politiques
dont l'un était membre de cette chambre et fut destitué à cause de ses votes et
de ses discours politiques.
M.
de Mérode. - Eh bien ! on a dit pourquoi.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Mais
enfin vous avez adopté le principe, et à cette époque vous auriez été beaucoup
plus loin que moi. Je vous assure que si vous étiez ministre votre intolérance
vous pousserait, vous aurait poussé beaucoup plus loin que là où nous nous
sommes arrêtés. Moins que tout autre vous avez le droit de vous poser ici en
homme modéré.
M.
de Mérode. - Je demande la parole.
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je suis
étonné, messieurs, que l'honorable M. Orban, à qui j'attribue l'intelligence du
gouvernement représentatif, et qui se pose ici comme un partisan du pouvoir fort,
semble vouloir venir contester au gouvernement le premier de ses droits, sans
lequel il ne lui serait pas possible de vivre et d'administrer.
L'honorable M. Orban ne veut pas reconnaître au gouvernement le droit de
se séparer des fonctionnaires politiques en qui il n'aurait pas confiance. Il
considère les commissaires de district, sans doute les gouverneurs aussi, comme
des fonctionnaires inamovibles, purement administratifs, n'ayant aucun
caractère politique, auxquels il est défendu au gouvernement de porter la
moindre atteinte, dans quelque circonstance que ce soit.
Messieurs, à mes yeux, et je crois que la question n'est douteuse pour
personne dans cette enceinte, sauf peut-être pour l'honorable M. Orban, à mes
yeux, les gouverneurs, les commissaires de district sont avant tout des
fonctionnaires politiques, les agents directs de la politique du gouvernement
dans les provinces et dans les arrondissements. Du moment qu'il n'existe pas
entre ces agents et le gouvernement dont ils émanent de solidarité d'opinion,
du moment qu'il n'existe pas de confiance réciproque, du moment que le
gouvernement responsable n'a pas en eux la confiance nécessaire, il a le droit
de se séparer d'eux. Cela, messieurs, n'est contestable pour personne ; cela,
je pense, n'a jamais été contesté.
Je ne veux pas revenir sur le passé, mais je pourrais citer un grand
nombre de destitutions qui ont été opérées par nos honorables prédécesseurs
sans qu'on en ait fait si grand bruit dans cette enceinte.
On dit, messieurs, que notre système conduit à la réforme parlementaire.
On signale la fausse situation où se trouveraient dans cette enceinte certains
fonctionnaires publics politiques, certains gouverneurs, certains commissaires
d'arrondissement qui ne partageraient pas les opinions politiques du ministère.
Eh bien, messieurs, je reconnais que la position de ces fonctionnaires serait
fausse ; je reconnais qu'un fonctionnaire politique qui ne partage pas les
opinions politiques du cabinet, n'est pas dans une position franche. J'ajoute
que si ce fonctionnaire fait partie de la chambre, sa position devient encore
beaucoup plus difficile, plus équivoque. Ce sont là des faits incontestables,
je le reconnais ; et si ces faits devaient conduire à une réforme
parlementaire, je ne récuserais pas pour cela ces vérités élémentaires.
Ce n'est pas, messieurs, une profession de foi vague ; c'est un principe
que je me suis appliqué à moi-même, ainsi que l'ont fait plusieurs de mes
honorables amis.
J'ai été fonctionnaire public dans cette chambre, suivant, au point de
vue de la politique extérieure, les principes de l'honorable M. de Theux. Il
m'est arrivé, dans un vote de confiance, de me prononcer contre l'honorable M.
de Theux ; je lui ai envoyé ma démission.
Je crois que cette ligne de conduite était la bonne. Je crois que cette
conduite que mon honorable ami M. Lebeau et moi nous nous sommes imposées à
nous-mêmes, nous sommes endroit, le cas échéant, de l'exiger d'autres
fonctionnaires.
Nous limitons autant que nous pouvons le cercle des fonctionnaires (page 259) politiques. Nous croyons que
nous devons considérer comme fonctionnaires politiques les gouverneurs, les
commissaires de district et jusqu'à un certain point les procureurs du roi.
Nous reconnaissons qu'il est indispensable pour la bonne marche des affaires
qu'il existe, entre ces catégories de fonctionnaires et le gouvernement, une
solidarité d'opinion telle, que lorsqu'il y a un dissentiment politique, un
désaccord politique, un manque de confiance entre ces agents et le
gouvernement, il faut que ces agents se séparent du gouvernement, il faut
qu'ils prennent l'initiative de cette séparation, ou qu'à leur défaut, le
gouvernement prenne cette initiative.
Eh bien, voilà la position dans laquelle s'est trouvé le nouveau cabinet
à son entrée au pouvoir. Parmi les fonctionnaires qui avaient servi depuis de
si longues années une politique contraire à la sienne, le gouvernement ne
pouvait pas placer une égale confiance dans tous ceux qui administraient. C'eût
été faire injure à leur caractère que de les supposer capables de changer
d'opinion du jour au lendemain.
Il y a, messieurs, deux manières d'exercer les fonctions
administratives. Il y a des commissaires de district qui se bornent purement et
simplement à leur rôle administratif, qui s'abstiennent, autant que possible,
de prendre un rôle politique pour s'en tenir à leur rôle administratif. A cette
classe de fonctionnaires le cabinet n'a pas touché. Mais ceux qui, par leurs
actes, leurs discours, leurs antécédents, s'étaient particulièrement fait
connaître comme attachés à la politique que nous venions remplacer, il a fallu
nous en séparer. Nous eussions mieux aimé qu'ils prissent l'initiative, qu'ils
se séparassent de nous, qu'ils suivissent le sort de leurs chefs ; voilà dans
l'administration la bonne politique. Mais ces fonctionnaires n'ayant pas pris
l'initiative, nous avons dû la prendre.
L'honorable M. Orban a paru épouvanté de l'idée d'une réforme
parlementaire. Messieurs, cette frayeur de l'honorable M. Orban, je ne la
partage pas et je pense que lui-même n'est pas aussi effrayé qu'il le dit. Je
me rappelle que, lorsque nous sommes venus annoncer qu'il y avait nécessité
d'augmenter le nombre des membres de la chambre à raison de l'accroissement de.
la population, l'honorable M. Orban se leva tout à coup, et comme sous le coup
d'une subite terreur, il s'écria que nous allions bouleverser le pays, que nous
allions entrer en révolution. (Interruption.)
Il se montra effrayé au point de dire que c'était là une révolution. Eh bien,
messieurs, ce ne fut pas une révolution ; ce fut une bonne et sage réforme. Une
loi tendant à limiter le nombre des fonctionnaires dans la chambre ne serait
pas non plus une révolution ; ce serait aussi une bonne et sage réforme, et,
pour le dire en passant, nous ne reculerons pas devant la présentation
opportune d'une pareille loi.
Je ne puis pas laisser sans réponse un reproche qui, quoique présenté
sous des formes très douces, n'en est pas moins très déplacé dans la bouche de
l'honorable orateur auquel je réponds. L'honorable orateur n'a vu dans les
actes politiques posés par le cabinet, vis-à-vis de certains fonctionnaires,
qu'une vaine parade, soit ; mais il a parlé de sentiments mauvais. J'ignore à
quels sentiments l'honorable M. Orban obéit lorsqu'il se livre à ses attaques
contre le ministère ; j'aime à croire que ce sont de bons sentiments ; je suis
persuadé qu'il n'est animé que de bons sentiments ; je suis même prêt à dire
que, sous ce rapport, l'honorable préopinant est un modèle ; qu'en toute
circonstance il se montrera animé des sentiments les plus élevés et les plus
généreux ; mais ce que je lui interdis, c'est de sonder nos consciences, c'est
d'attribuer à de mauvais sentiments des actes qui ne ressortissent qu'à la politique,
qui doivent s'attaquer et se défendre par des raisons politiques. A mon tour je
le prie de vouloir bien s'expliquer sur ce point et nous dire à quelle espèce
de mauvais sentiments, dans son opinion, le cabinet aurait obéi en se séparant
de certains fonctionnaires politiques.
Messieurs, je l'ai déjà dit, si nous avions suivi nos sentiments
personnels, si nous avions écouté d'anciens souvenirs, d'anciennes amitiés,
plusieurs des fonctionnaires, que nous avons été obligés de frapper, auraient
été les premiers épargnés par nous. Loin d'avoir obéi à des sentiments mauvais,
je le déclare, il nous a beaucoup coûté de frapper certains hommes avec
lesquels nous étions liés depuis longtemps par des relations d'amitié privée
et, sous ce rapport, messieurs, ils nous ont mieux jugés que l'honorable
préopinant : cette amitié privée, ils nous l’ont encore conservée alors même
que nous les avions frappés dans leur existence politique. Cette déclaration,
messieurs, nous consolera facilement des attaques de l'honorable préopinant.
L'honorable préopinant, tout en blâmant les destitutions qui ont eu
lieu, semble cependant trouver que nous n'avons pas été assez loin : suivant
lui, il aurait fallu d'abord frapper les fonctionnaires des administrations
centrales. Eh bien, messieurs, ici je trouve que l'honorable préopinant pousse
beaucoup trop loin les doctrines de ce qu'il a appelé le pouvoir fort. Dans les
administrations centrales, messieurs, le ministre ne doit voir, en général, que
la capacité administrative ; il doit, autant que possible, continuer dans leurs
fonctions ceux des employés qui ne se sont point séparés de la politique du
cabinet, par des actes trop éclatants, par une hostilité trop ouverte, par une
hostilité persévérante.
Messieurs, nous ne voulons point récriminer. Nous pourrions dire que
d'autres que nous ont porté la main sur les fonctionnaires des administrations
centrales, et ils l'ont fait par des vues purement politiques. Mais autant que
nous le pouvons, nous voulons éviter les récriminations, les revues
rétrospectives. Nous nous réservons cependant, si quelque ancien ministre
venait joindre sa voix à celle de l'honorable M. Orban, nous nous réservons de
lui répondre sur ce point spécial. Nous prouverons que nous avons été, sous ce
rapport, beaucoup plus tolérants que plusieurs de nos prédécesseurs.
Il y a certains fonctionnaires politiques dans les administrations
centrales, et certes si nous avions trouvé chez quelques-uns de ces
fonctionnaires une hostilité ouverte, si nous avions eu des motifs de défiance
absolue à leur égard, nous aurions certainement pris envers eux le même parti
que vis-à-vis des gouverneurs et des commissaires d'arrondissement.
J'espère, messieurs, que ces explications suffiront à la chambre.
J'espère qu'elles seront comprises de tous les fonctionnaires qui continuent
aujourd'hui à servir la politique du cabinet. Si, messieurs, parmi ces
fonctionnaires politiques, il en est qui ne croient pas pouvoir continuer à
servir le gouvernement dans les limites du programme qu'il a exposé à son
entrée au pouvoir, il y a, messieurs, deux issues qui se présentent : ou le
fonctionnaire, obéissant à sa conscience, obéissant à ce que lui commandera le
besoin de sa considération, déclarera au gouvernement qu'il ne pense pouvoir
lui servir d'agent, et alors il aura rempli dignement son
devoir ; ou bien ce fonctionnaire, par des actes qu'il posera, par des
résistances que le gouvernement rencontrera en lui, ce fonctionnaire aura
démontré au gouvernement que la vie commune n'est plus possible entre lui et le
ministère, et dans ce cas, le ministère prendra à son égard les mesures qui
sont dans son droit : il agira envers ce fonctionnaire, comme il a agi envers
les fonctionnaires précédents. Voilà quelle sera sa ligne de conduite ; le
gouvernement usera de son droit : il en usera avec justice ; il tâchera d'en
user toujours dans les limites de la modération ; mais quant à son droit de se
séparer des fonctionnaires politiques qui ne suivraient pas sa ligne politique,
il le maintiendra intact et il l'appliquera au besoin.
M. Le
Hon et M. Lebeau déclarent renoncer à la parole.
M. de Theux. -
Messieurs, les explications de M. le ministre de l'intérieur nécessitent quelques
observations de notre part.
Jusqu'à présent, deux faits avaient été acquis au pays ; l'un de ces
faits, c'est que tout fonctionnaire, membre de cette chambre, vote de la
manière la plus indépendante, sans que le gouvernement puisse jamais le rechercher,
à raison de ses votes.
Ce fait est acquis au pays depuis longtemps, par les déclarations les
divers cabinets qui se sont succédé. Ce principe a été proclamé à diverses
reprises et mis en pratique par l'honorable M. Nothomb ; il a été proclamé par
l'honorable M. Van de Weyer sur les interpellations de l'opposition de
l'époque, et la déclaration si nette de ce ministre a été accueillie par les
applaudissements unanimes de la chambre. Nous, à notre tour, nous avons fait
une semblable déclaration et nous l'avons confirmée par la pratique.
L'honorable M. Rogier nous a rappelé une circonstance dans laquelle lui
et son honorable ami, M. Lebeau, ont cru devoir offrir au Roi leur démission
des fonctions de gouverneur des provinces d'Anvers et de Namur, à la suite d'un
vote hostile au cabinet d'alors sur une question d'existence.
Nous ne contestons pas le fait, mais nous prions ces honorables membres
de remarquer que leur démission a été adressée au Roi seulement après le vote
qui avait renversé le cabinet. Quoi qu'il en soit, de ce qu'alors la démission
a été acceptée par le Roi, il ne s'ensuit pas qu'il y ait une atteinte
quelconque portée à l'indépendance de deux fonctionnaires de l'Etat, membres de
la chambre. cette démission était un fait purement volontaire de leur part.
Cette condition d'indépendance du vote du député est une condition
essentielle de son mandat. Je n'ignore pas qu'en Angleterre un principe
contraire avait prévalu, et que des fonctionnaires étaient recherchés, à raison
de leur vote, et démissionnes de ce chef. Mais c'était là une théorie hautement
avouée et professée par le gouvernement. L'électeur qui donnait sa confiance à
un fonctionnaire, lui donnait en quelque sorte pour mission de suivre partout
la politique du gouvernement, sous peine de destitution. Mais en Belgique, la
condition est tout à fait différente. Je dirai même qu'en Angleterre cette
ancienne politique n'est plus exercée dans toute sa rigueur : il y a à cet
égard un changement très considérable dans la politique anglaise.
Quoi qu'il en soit, jamais cette doctrine n'a été admise en Belgique par
les cabinets qui s'y sont succédé ; depuis la destitution de l'honorable M.
Desmet, destitution provoquée par les votes parlementaires de cet ancien
député, ç'a été un fait acquis à la Belgique représentative.
Un autre fait était également acquis à la bonne administration du pays :
c'était que les changements de cabinet n'entraînaient pas celui des
fonctionnaires publics qui avaient même une position pins ou moins politique.
Jamais des mutations de ce genre n'ont eu lieu pour des motifs se
rattachant uniquement à la politique du cabinet. Mais ce qui s'est toujours
pratiqué, ce qui doit se pratiquer, sous peine d'anarchie, c'est que quand un
fonctionnaire public fait au gouvernement une opposition ouverte ou sourde,
mais réelle et grave, le gouvernement peut alors et doit se séparer du
fonctionnaire. Voilà ce qui a été constamment pratiqué jusqu'ici, et je ne
pense pas qu'on puisse citer un seul exemple qui vienne appuyer une doctrine
contraire.
L'honorable ministre de l'intérieur a dit qu'il espérait qu'aucun membre
du cabinet précédent n'associerait sa voix à celle de l'honorable 1M Orban pour
blâmer ce qu'on a appelé les destitutions préventives. (Interruption de M. le ministre de l'intérieur.)
(page 260) Eh bien, j'accepte encore pour les fonctionnaires de
l'administration centrale, en ce qui me concerne, l'espèce de défi qui m'a été
adressé l’égard" des fonctionnaires de l'administration centrale avec la
plus grande franchise ; j'ai fait venir les principaux fonctionnaires ; je leur
ai dit : « Messieurs, je ne vous demande pas que vous partagiez mes opinions
politiques ; je sais même que plusieurs d'entre vous ne les partagent pas ;
tout ce que je vous demande, c'est que vous vous exprimiez toujours avec la
plus grande liberté, avec la plus grande franchise ; que chaque fois que vous
ne partagerez pas ma manière de voir sur un acte administratif, vous me fassiez
connaître votre opinion avec tous ses motifs ; mais aussi ce que je demande, c'est
que, quand j'aurai pris ma décision, vous l'exécutiez, comme si elle avait été
prise sur votre proposition. »
M. le
ministre de l’intérieur (M. Rogier). - C'est ce
que nous avons fait.
M. de Theux. - Alors, je
vous approuve en ce qui concerne les fonctionnaires de l'administration
centrale ; mais je ne puis approuver le système que vous avez inauguré, en ce
qui concerne les fonctionnaires, en dehors de l'administration centrale.
Je pense que les mesures, prises par vous, n'étaient pas nécessaires.
Je le déclare de nouveau : je considère comme absolu le droit du
gouvernement de prononcer des révocations ; mais ce droit n'est sagement et utilement
exercé, dans mon opinion, que quand le gouvernement a remarqué entre lui et un
fonctionnaire, un dissentiment profond, de nature à entraver la marche de
l'administration ; alors le gouvernement ne doit pas hésiter à avoir recours à
ce que j'appelle son droit extrême.
M.
de Mérode. - Depuis 17 ans, j'ai professé dans cette
enceinte et dans le sein des cabinets dont j'ai fait partie pendant sept
années, la plus grande antipathie pour les destitutions. Et la preuve de ce que
j'avance, c'est qu'il a fallu recourir à quinze ans en arrière pour trouver
deux cas de destitutions auxquelles j'aurais donné mon adhésion. Or, messieurs,
l'un de ces fonctionnaires, membre de cette chambre, s'y déclarait constamment
l'adversaire le plus acharné du ministère, non seulement il votait contre les
projets de loi présentés par le gouvernement, ce qui était parfaitement son
droit ; mais il déclarait le ministère indigne de la confiance du pays.
Or, je le demande, parmi les 16 ou 17 fonctionnaires
destitués préventivement, qui donc a rendu de la sorte son existence
administrative publiquement incompatible avec celle du ministère ? Evidemment
aucun ! Car on ne manquerait pas de signaler le fait. Messieurs, la doctrine
des destitutions pour simple opinion intérieure, divise un pays en vainqueurs
et en vaincus.
Dans notre passé de 17 ans, une foule de fonctionnaires n'avaient pas la
couleur politique du gouvernement, et lorsqu'ils remplissaient loyalement leurs
fonctions et avec l'aptitude convenable, jamais on n'a cherché à les éliminer.
C'était là une politique libérale, une politique constitutionnelle, la seule
que j'adopte ; et si la politique nouvelle est différente, c'est une
malheureuse politique.
M. Orban.
- Je ne m'attacherai pas, vu l'heure avancée de la séance, à répondre au fond
même du discours de M. le ministre de l'intérieur. Si je devais entreprendre
cette tâche, elle me serait extrêmement facile. Je n'aurais qu'à vous montrer
tous les avantages solides et durables que l'on peut attendre d'une
administration impartiale, équitable pour tous, sacrifiés au besoin de mettre
un fonctionnaire à la tête des luttes politiques, un homme qui ne voit dans les
fonctions politiques qu'un moyen de faire triompher les candidats électoraux.
M.
Verhaegen. - C'est ce qu'on a fait sous les cabinets
précédents !
M. Lebeau.
- C'est l'histoire du passé !
M. Orban.
- Ce qui a été un abus dans le passé, vous voulez l'ériger en système.
Je me bornerai sur ce point à ajouter une seule chose, c'est qu'au moyen
des destitutions politiques, vous avez introduit dans l'administration, en
place d'hommes expérimentés, des hommes ignares en administration, des hommes
qui lui ont toujours été étrangers ; vous avez pris des agents des
contributions indirectes, ne sachant pas même ce que c'est qu'un budget
communal, pour les mettre à la tête de l'administration des communes. Voilà les
hommes que la politique a introduits dans les administrations, voilà les fruits
de la politique de destitution.
En me répondant, M. le ministre de l'intérieur aurait dû s'imposer un
devoir dont il n'est jamais permis de s'écarter, et à un ministre moins qu'à
tout autre, celui de ne pas dénaturer ma pensée, comme il l'a fait pendant son
discours.
Eh quoi ! j'ai pris la parole pour blâmer la destitution de
fonctionnaires honorables, et M. le ministre m'a constamment présenté comme
demandant plus de destitutions qu'il n'en a fait lui-même, comme lui ayant
reproché de n'avoir pas étendu le système des destitutions aux administrations
centrales !
Ai-je dit quelque chose de semblable et n'est-ce point-là au contraire
le contre-pied de l'opinion que j'ai soutenue devant vous ? N'ai-je point dit
qu'en posant ces destitutions vous n'aviez pas même le mérite d'avoir obéi à un
principe, parce que vous n'aviez pas fait l'application de la mesure là où elle
devait avoir lieu d'abord, si vous aviez agi d'après un système arrêté, si vous
aviez subi une véritable nécessité politique. J'ai ajouté que si vous n'aviez
pas agi en vertu d'un système, que si vous n'aviez pas obéi à une nécessité
politique, vous aviez dû obéir à d'autres sentiments qui ne sont pas faits pour
être avoués.
M. le ministre vient de me demander quels étaient ces sentiments. Eh
bien, je ne reculerai pas devant votre interpellation et j'y répondrai sans
détour.
Il y avait eu dans le pays, comme on sait, des luttes politiques très
vives. Des fonctionnaires pour avoir fait leur devoir, pour avoir prêté à
l'administration, dont il étaient les agents, un appui loyal avaient soulevé
contre eux des passions mauvaises qui, lors de l'avènement du cabinet actuel,
se sont formulées, dans certains journaux, en dénonciations, en demandes de
destitutions. Costa ces influences que le ministère n'a pas su résister et je
dis que c'est là, pour un ministère, subir des influences mauvaises.
Je le dis parce que c'est ma conviction, je ne pense pas qu'on puisse me
refuser le droit d'apprécier selon ma conscience les actes politiques du
gouvernement ; j'irai plus loin et je dirai qu'il y a certaines décès
destitutions qui ne peuvent s'expliquer que par une sorte d'hostilité
personnelle envers les fonctionnaires destitués.
Parmi les gouverneurs destitués, il en est un qui a toujours professé
les opinions libérales, qui a figuré dans un cabinet appartenant à cette
opinion, mais qui a pensé, avec quelques membres de cette chambre, que, quoique
libéral, on pouvait prêter son appui à un ministère appartenant à une autre
opinion, quand celui-ci ne posait que des actes que l'opinion libérale pouvait
avouer. Eh bien, le fonctionnaire auquel je fais allusion, a été, à raison de
cette conduite, en butte à une hostilité particulière de la part d'une partie
de ses anciens amis.
Ayant toujours appartenu, comme je l'ai dit, à l'opinion libérale, ayant
soutenu le ministère précédent, non pas à cause, mais malgré ses opinions, il
est évident que ce fonctionnaire était en mesure de donner un appui sincère à
un ministère libéral. Ce n'est donc point la politique qui a motivé sa
destitution, et dès lors je demande au pays, à la chambre, à quel mobile, à
quel sentiment elle doit être attribuée.
Je vous laisse à penser à quels sentiments on doit attribuer cette
destitution.
Je bornerai là mes observations.
- La chambre consultée ferme la discussion générale.
La séance est levée à quatre heures trois quarts.