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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 15 février 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 758) M. T’Kint de Naeyer procède à l'appel nominal à midi et un quart et donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Luesemans présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Plusieurs instituteurs dans l'arrondissement de Courtray demandent la révision de la loi sur l'enseignement primaire. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Le Roy, instituteur à Fosses, demande que les pensions des instituteurs, qui ne peuvent continuer à participer à la caisse de prévoyance des instituteurs primaires, soient liquidées, pour les années antérieures à l'établissement de la caisse, d'après le mode établi par l'arrêté royal du 31 décembre 1842. »

- Même renvoi.


« Plusieurs propriétaires et habitants de la commune de Watermael-Boitsfort demandent que le hameau d'Auderghem qui en dépend, soit érigé en commune distincte. »

- Même renvoi.


« Le sieur Minne prie la chambre de lui accorder une indemnité du chef des pertes qu'il a dû subir par l'exécution des travaux de la route de Fleurus à Gosselies. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Louvain demandent que la garde civique soit divisée en deux bans, et que le premier ban, composé de jeunes gens et de veufs sans enfants, de 21 à 36 ans, soit seul astreint aux obligations imposées par la loi sur la garde civique. »

- Même renvoi.


Par message du 14 février, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi modifiant la loi sur les pensions civiles et ecclésiastiques.

- Pris pour notification.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1849

Discussion du tableau des crédits

Chapitres XVI, XVII et XVIII. Enseignement universitaire, moyen et primaire

Discussion générale

M. le président. - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur les articles du budget de l'intérieur.

La discussion continue sur l'ensemble des chapitres relatifs aux trois degrés d'instruction.

La parole est à M. Delfosse.

M. Delfosse. - Je désire attendre la présence de M. le ministre de l'intérieur.

M. de Bocarmé. - La chambre pourrait, en attendant la présence de MM. les ministres, s'occuper d'un rapport de pétitions. (Adhésion.)

Rapports de pétitions

M. Moxhon. - « Par pétition datée de Bruxelles, le 31 décembre 1848, le sieur Morthumert demande que les greffiers des juges de paix ne puissent s'immiscer dans les affaires qui ne rentrent pas exclusivement dans leurs attributions. »

Le pétitionnaire vous signale, messieurs, des faits d'une extrême gravité; il vous dit que souvent des greffiers de justice de paix empêchent les conciliations, qu'ils renvoient eux-mêmes les causes et partagent ensuite les émoluments avec certains avocats qu'ils ont chargés de l'affaire ; il vous signale une série de faits semblables.

Votre commission croit, que pour le moins, il y a exagération de la part du pétitionnaire, néanmoins elle pense devoir vous proposer le renvoi à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée d'Anvers, le 27 juin 1848, plusieurs maîtres tonneliers, à Anvers, demandent l'établissement d'un droit d'octroi sur les objets de tonnellerie fabriqués extra muros ou provenant de l'étranger, qui sont importés dans cette ville. »

Comme ici, messieurs, il ne s'agit que d'un acte d'administration qui concerne la ville d'Anvers et son octroi, votre commission a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée de Charneux, le 20 décembre 1848, plusieurs habitants de Charneux demandent que la section de ce nom soit séparée de la commune de Harsin, pour être réunie à celle de Roy, si elle n peut être érigée en commune distincte. »

Messieurs, les habitants du hameau de Charneux, arrondissement de Marche, demandent à être séparés de la commune de Harsin à Chavanne dont ils font partie actuellement, et à être érigés en commune, s'ils ne peuvent obtenir de la législature d’être réunis à la commune de Roy, dont' ils ne sont éloignés que d'une demi-lieue. Ils invoquent l'extrême mésintelligence qui règne entre les habitants de Charneux et ceux de Harsin tandis qu'ils témoignent de l'affection pour les habitants de Roy.

Votre commission vous propose de renvoyer cette pétition à M. le ministre de l'intérieur en le priant de demander des renseignements sur cet objet.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée d'Angleur, le 11 décembre 1848, quelques habitants d'Angleur réclament l'intervention de la chambre pour obtenir l'exécution des viaducs à construire sur la route du Val-Benoît à Chênée. »

Messieurs, les pétitionnaires prétendent que la compagnie du chemin de fer de Namur à Liège, se refuse aujourd'hui à construire deux viaducs d'une nécessité reconnue pour l'usage des habitants de la commune d'Angleur ; que néanmoins les prescriptions légales ont été observées, que les plans ont été dressés, publiés et approuvés par, une commission présidée par un membre de la députation. Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre des travaux publics, avec prière de veiller à ce que les communications communales de cette commune ne soient pas rendues plus difficiles par la construction du chemin de fer qui la traverse.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée d'Iseghem, le 9 décembre 1848, le conseil' communal d'Iseghem et les administrations communales de Cachtem et d'Emelghem demandent que le chef-lieu du canton d'Ingelmunster soit transféré à Iseghem. »

« Par pétition datée d'Ingelmunster, le 10 janvier 1849, l'administration communale d'Ingelmunster présente des observations contre la demande tendant à ce que la justice de paix du canton soit transférée d'Ingelmunster à Iseghem. »

Messieurs, une pétition collective vous est adressée par les conseils communaux d'Iseghem, Cachtem et Emelghem. On vous demande, messieurs, que le chef-lieu du canton d'Ingelmunster soit transféré à Iseghem. D'un autre côté, le conseil communal d'Ingelmunster vous demande que vous n'admettiez pas ce changement.

Tel sont, messieurs, les motifs invoqués à l'appui de la première pétition : que la population d'Iseghem est actuellement de 8,234 habitants,, que cette ville occupe un point central entre les trois plus grands centres de population qui sont, Ingelmunster qui contient 5,660 habitants, Emelghem 2,000 et Cachtem aussi 2,000 ; sur ce que les nombreuses fabriques qu'elle possède l'ont fait choisir pour le bureau de perception de de la poste ; sur ce qu'elle a des foires annuelles et hebdomadaires très suivies, etc.

L'administration communale d'Ingelmunster fait valoir à son tour, qu'elle a un droit acquis depuis plus de 50 années; elle soutient que le changement demandé ne peut emmener aucun avantage pour la gestion des affaires du canton, tandis que le transfert proposé donnerait lieu à des complications sérieuses. Elle fait valoir cette considération qu'elle est le point central vers lequel aboutissent des roules nombreuses qu'elle a construit à ses frais, une maison d'arrêt, et qu'enfin la plus forte distance des communes les plus éloignées du chef-lieu central n'est que de quatre kilomètres.

En présence de ces prétentions opposées, la commission a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée du 10 janvier 1849, le sieur Coster demande que la chasse, dans la province de Namur, ne soit pas close avant le 1er mars prochain. »

Messieurs, la commission des pétitions a l'honneur de vous proposer l'ordre du jour motivé sur ce que la fermeture de la chasse dans les provinces, est toujours fixée conformément à l'avis donné au gouvernement par les députations provinciales.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée de Louvain, le 6 décembre 1848, plusieurs débitants de boissons distillées et distillateurs de la ville de Louvain demandent que le droit de consommation sur les boissons distillées soit remplacé par un droit sur les distilleries. »

« Même demande de plusieurs débitants de boissons distillées dans le Brabant. »

Messieurs, ces deux pétitions qui demandent un changement dans le mode de perception de l'impôt sur les boissons distillées, ont été considérées par votre commission comme peu opportunes, attendu que la législature est saisie de projets de loi d'une importance majeure, dont plusieurs ne pourront être discutés dans la session actuelle. Néanmoins elle a l'honneur de vous proposer leur renvoi à M. le ministre des finances.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Moxhon. - « Par pétition datée de l'arrondissement de Soignies, le 4 janvier 1849, quelques distillateurs et cultivateurs de l'arrondissement de Soignies proposent des modifications à la loi sur les distilleries. »

Messieurs, votre commission des pétitions propose le renvoi de celle-ci à M. le ministre des finances. Une modification à apporter à la loi sur les distilleries est un acte trop important pour être résolu sans études (page 759) préalables, et, tout en concluant au renvoi au département des finances, votre commission prie M. le ministre de voir s'il est opportun de modifier la loi existante.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1849

Discussion du tableau des crédits

Chapitres XVI, XVII et XVIII. Enseignement universitaire, moyen et primaire

Discussion générale

M. le président. - La discussion continue sur l'ensemble des chapitres relatifs aux trois degrés d'instruction.

M. Delfosse. - Messieurs, si j'avais besoin de preuves à l'appui de l'opinion que j'ai soutenue hier que le pouvoir civil doit avoir la direction exclusive de l'enseignement donné aux frais de l'Etat, je les trouverais dans les discours de l'honorable M. de Theux et de l'honorable M. Dechamps. Ces honorables membres, qui se sont levés pour me contredire , ont, sans s'en douter, rendu hommage au principe que j'ai proclamé.

Que vous ont-ils dit, en effet? Ils vous ont dit que la loi du 23 septembre 1842 ne donne au clergé aucune autorité indépendante du pouvoir civil; que c'est le pouvoir civil qui tranche en dernier ressort toutes les questions.

Si, en vertu de la loi que vous avez faite, que vous trouvez bonne, que vous voulez maintenir, le pouvoir civil tranche toutes les questions en dernier ressort, c'est donc lui qui a la direction exclusive des écoles de l'Etat. Le principe que j'ai proclamé, et que l'honorable M. Dechamps trouve si monstrueux, est donc vrai.

Oui, ce principe est vrai ; mais vous êtes dans l’erreur (et cette erreur est étrange de votre part), lorsque vous dites que ce principe est déposé dans la loi du 23 septembre 1842. Non, d'après cette loi, le pouvoir civil ne tranche pas toutes les questions en dernier ressort; l'honorable M. Destriveaux vous l'a démontré, et vous le savez aussi bien que nous. Vous savez aussi bien que nous, que les chefs des cultes ont seuls lecChoix des livres destinés à l'enseignement, non seulement de la religion, mais même de la morale. Si le pouvoir civil trouvait dans un livre choisi par les chefs des cultes (et cela s'est déjà vu) des choses contraires à nos institutions, il ne pourrait, sans violer la loi, empêcher l'introduction de ce livre dans nos écoles...

- Plusieurs membres. - Si ! si !

M. Delfosse. - S'il l'empêchait, la loi serait violée; il ne serait plus vrai de dire, comme la loi le veut, que les chefs des cultes ont seuls le choix des livres.

M. de Haerne. - Le clergé s'abstiendrait dans ce cas.

M. Delfosse. - Je répondrai tout à l'heure à l'interruption. Je vous le demande, messieurs, une telle loi n'est-elle pas injustifiable? Ne fait-elle pas au pouvoir civil une position peu digne? Ne l'abaisse-t-elle pas?

La loi confère encore au clergé d'autres attributions qu'il exerce à titre d'autorité. C'est ainsi que l'enseignement de la morale et de la religion est donné sous sa direction exclusive. C'est ainsi qu'il a le droit d'inspecter les écoles de l'Etat en tout temps.

Mais, dit l'honorable M. de Theux, si le clergé est entravé dans l'exercice de son droit (et ici je réponds en même temps à l'objection qui vient d'être faite), il ne peut rien prononcer qui soit une mesure d'exécution; il ne peut que s'abstenir; et il aurait également cette faculté d'abstention, si l'intervention du clergé dans l'enseignement primaire était réglée par voie administrative, au lieu d'être réglée par la loi.

Comment l'honorable M. de Theux ne voit-il pas toute la gravité d'une abstention du clergé, qui aurait pour effet de rendre la loi sur l'instruction primaire inexécutable? Est-il digne du législateur de faire des lois subordonnées, dans l'exécution, à la volonté d'un corps indépendant ?

L'abstention du clergé, dans le cas où il n'interviendrait qu'à la suite de mesures administratives, qu'à des conditions librement débattues entre le gouvernement et le clergé, serait sans doute aussi un fait grave; mais elle ne ferait pas obstacle à l'exécution de la loi, elle ne porterait pas atteinte à la dignité du législateur.

L'honorable M. de Theux a dit encore qu'il serait étrange que l'enseignement religieux fût réglé par voie administrative, alors que ce qui est d'intérêt matériel, scientifique, serait réglé par la loi. Il n'y a d'étrange que l'observation de l'honorable M. de Theux. Nous n'avons pas demandé que l'enseignement religieux soit réglé par voie administrative. Nous n'avons pas parlé de l'enseignement religieux, mais du mode d'intervention du clergé, ce qui est bien différent.

Nous reconnaissons que la loi doit comprendre la religion et la morale au nombre des matières enseignées, comme la lecture, comme l'écriture, comme le calcul. Mais la loi doit laisser, après cela, au gouvernement, le soin de désigner ceux qui enseigneront la religion et la morale, comme il désigne ceux qui enseignent la lecture, l'écriture et le calcul.

Nous voulons laisser le clergé dans le droit commun, tandis que l'honorable M. de Theux veut lui conférer un privilège.

Il va sans dire que le gouvernement, chargé de l'exécution de la loi, fera tout ce qui sera possible, raisonnable, pour obtenir le concours du clergé, concours désirable, j'ai été le premier à le reconnaître.

Ce que j'ai dit à ce sujet aurait dû dispenser l'honorable M. Dechamps de débiter sa longue tirade sur l'utilité de la religion, sur les services que le clergé peut rendre. Rien de tout cela, comme l'a fort bien dit l'honorable M. Destriveaux, n'avait été contesté.

S'opposer aux prétentions exorbitantes du clergé, le faire rentrer dans sa sphère, ce n'est pas l'affaiblir; c'est, au contraire, le fortifier. C'est là ce que l'honorable M. Dechamps ne comprend pas, comme il ne comprenait pas qu'on fortifierait la royauté en appelant un plus grand nombre de citoyens à l'exercice des droits électoraux.

Suivrai-je l'honorable M. Dechamps dans les divers pays qu'il lui a plu de parcourir hier? Non, messieurs, l'honorable M. Destriveaux a fait bonne justice de cette partie du discours de l'honorable membre.

Je me bornerai à dire à l'honorable membre, que les personnages dont il a invoqué l'opinion, seraient bien étonnés de se voir transformés par lui en admirateurs de notre loi sur l'instruction primaire. Il a parlé de la France, de M. Thiers, de M. Guizot, de M. Cousin. Et quelle est donc en France la part d'intervention du clergé ? Le clergé n'y a pas même la liberté d'enseignement, et son intervention dans les écoles de l'Etat se réduit à la présence d'un seul ministre du culte dans un comité.

En France, comme en Hollande, comme en Allemagne, comme partout, c'est le pouvoir civil qui tranche toutes les questions en dernier ressort, et sachez-le, jamais il ne renoncera à cette prérogative.

L'honorable M. Dechamps, par uns tactique qui n'est que trop dans ses habitudes, a cherché à me mettre aux prises avec un de nos honorables collègues que je regrette de ne pas voir sur son banc. L'honorable M. Dechamps s'est écrié : « Comment, pour me servir de l'expression énergique de l'honorable M. Ch. de Brouckere, comment peut-on descendre à de telles misères dans de telles questions? »

Je n'ai pas à me constituer juge entre l'honorable M. Ch. de Brouckere et l'honorable M. de Perceval ; mais je crois pouvoir dire, sans crainte d'être démenti, que l'honorable M. Ch. de Brouckere laissera à l'honorable M. Dechamps toute la responsabilité de l'emprunt de ses paroles.

Je crois pouvoir dire, sans crainte d'être démenti, que l'honorable M. de Brouckere ne consentirait pas à appliquer aux questions graves que j'ai soulevées la qualification qu'il a adressée à une partie du discours de l'honorable M. de Perceval.

Misères, dites-vous, les questions que j'ai soulevées ! Mais, ces questions, comme l'a dit fort éloquemment M. le ministre des finances, se sont trouvées au fond de toutes les luttes entre le pouvoir civil et le clergé. Misères, dites-vous, ces questions ! Oh ! si c'étaient des misères, elles ne vous causeraient pas tant d'émotion, vous ne mettriez pas tant de chaleur à les discuter. Misères, dites-vous, les questions que j'ai soulevées ! Mais ce sont ces questions qui vous ont fait tomber du pouvoir ; ce sont ces questions qui ont mis un terme aux misères réelles dont vous donniez l'affligeant spectacle, lorsque vous étiez au banc des ministres.

M. Dechamps. - Le mot n'est pas de moi. Il est de M. Ch. de Brouckere.

M. H. de Brouckere. - Il ne l'a pas dit dans ce sens.

M. Dechamps. - Il s'agissait de l'inspection ecclésiastique.

M. Delfosse. - Il ne s'agissait pas du principe de l'inspection ecclésiastique, mais des abus.

M. Dechamps. - L'inspection c'est toute la loi, c'est une des bases de la loi.

M. de Mérode. - C'est là-dessus qu'on discute.

M. Delfosse. - Puisque je viens de parler du banc des ministres, je ne terminerai pas sans adresser quelques mots à M. le ministre de l’intérieur. J'ai lu avec attention, dans le Moniteur, les paroles que M. le ministre de l'intérieur a prononcées hier. Je n'y ai pas trouvé entre lui et moi un dissentiment sérieux sur une question de principe, je n'y ai trouvé de dissentiment que sur une question d'opportunité, sur une question d'urgence.

Ce dissentiment est sans doute moins grave que s'il portait sur une question de principe, mais il ne l'est encore que trop. J'avais espéré que le ministère du 12 août comprendrait qu'il est urgent de réviser une loi que l'immense majorité des libéraux a condamnée, dont le conseil provincial du Brabant a demandé la révision à l'unanimité. M. le ministre de l'intérieur a dit que cette loi, libéralement, largement exécutée, peut suffire aux besoins du moment. Je ne puis admettre qu'un mauvais principe, et j'ai démontré qu'il y a dans la loi un principe radicalement mauvais, je ne puis admettre, dis-je, qu'un mauvais principe, quel que soit l'homme chargé de son exécution, puisse porter de bons fruits.

M. le ministre de l'intérieur a parlé d'une exécution libérale de la loi. Je regrette de devoir le dire, jusqu'à présent je ne connais guères d'actes qui fassent ressortir une différence marquée, en matière d'enseignement primaire, entre l'administration de M. le ministre du l'intérieur et celle de M. de Theux. (Interruption.)

Si on me signale des actes, je serai le premier à reconnaître mon erreur. Mais les instructions des évêques, contre lesquelles les libéraux de l'ancienne chambre se sont tant récriés, sont encore suivies dans les écoles de l'Etat, et M. le ministre de l'intérieur se trouve à peu de choses près entouré du même personnel que son prédécesseur. Si l'honorable M. de Theux, ce qu'a Dieu ne plaise, reprenait le pouvoir, il trouverait (je parle toujours de l'enseignement) les choses à peu près au même point qu'au moment de son départ; il pourrait dater ses dépêches, à l'imitation de Louis XVIII, de la quatrième année de son ministère.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'honorable préopinant a reconnu qu'il n'y avait pas de dissentiment...

M. Delfosse. - D'après le Moniteur !

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Permettez ! Il a reconnu qu'il (page 760) n'y avait pas de dissentiment entre nous, d'après le Moniteur, sur les questions de principe renfermées dans la loi sur l'instruction primaire. Les paroles que j'ai prononcées hier se trouvent fidèlement reproduites au Moniteur, notamment la partie où l'honorable M. Delfosse m'a interrompu pour me dire qu'il était complétement d'accord avec moi.

M. Delfosse. - Sur une question.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Sur la question principale, d'après moi.

Lorsque l'honorable M. Delfosse fut appelé à délibérer avec nous sur la question de l'instruction publique, il fut décidé que la loi à faire pour l'enseignement moyen contiendrait un article ainsi rédigé :

« Le clergé sera appelé à donner l'enseignement de la religion dans les établissements d'enseignement moyen. »

M. Delfosse. - Il ne devait s'agir que de mesures administratives.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le clergé serait appelé à donner l'enseignement de la religion ; toutes les facilités lui seraient données administrativement pour exercer cette attribution. Ne jouons pas sur les mots : il y avait accord sur ce point que l'enseignement de la religion doit être attribué au clergé, non pas en reconnaissance de ce droit primordial que le clergé peut s'attribuer, mais parce que nous croyons que le clergé est naturellement désigné au choix du gouvernement pour enseigner la religion dans les écoles. C'est sa vocation.

Certains membres du clergé entendent donner cet enseignement, en vertu d'un droit antérieur à toute autorité. Quant à nous, nous les appelons comme particulièrement aptes à donner cet enseignement. Voilà sur quoi nous étions d'accord. Le clergé doit être appelé pour enseigner la religion. Refuse-t-il son concours? L'enseignement n'est pas suspendu, l'école n'est pas fermée, l'enseignement continue. Nous étions parfaitement d'accord, je ne sais pas pourquoi nous ne le serions pas aujourd'hui.

L'honorable M. Delfosse trouve que la loi sur l'instruction primaire n'est pas libéralement exécutée. La preuve, dit-il, c'est que les instructions des évêques sont restées debout. Je ne sais pas à quelles instructions l'honorable M. Delfosse fait allusion. Mais je me déclare parfaitement incompétent pour annuler les instructions des évêques.

En second lieu, le gouvernement a conservé autour de lui le personnel administratif qui, jusqu'à présent, l'a aidé dans les affaires de l'instruction publique. Je n'ai pas à entretenir la chambre des changements opérés dans l'intérieur des bureaux. Il y a eu cependant certains changements.

Lu question n'est pas de savoir quels sont les employés de l'administration, mais quel est le gouvernement? La question est de savoir quelle est la tête qui dirige et non quel est le bras qui exécute ?

Si M. Delfosse trouve qu'entre M. de Theux et moi, il y a parfait accord de vues, libre à lui ; cependant, sans vouloir le moins du monde dire rien d'offensant pour l'honorable M. de Theux, parfaitement consciencieux dans ses principes comme je le suis dans les miens, je crois que le pays établit entre nous une certaine différence. Mais la loi sur l'instruction primaire existant, est-ce qu'il appartient au gouvernement de déclarer qu'il faut la r »viser radicalement, de fond en comble, que c'est une loi détestable?

Messieurs, ce serait aller contre la vérité, contre ma conscience que de faire une pareille déclaration.

La loi de l'instruction primaire à certains articles qui doivent être révisés; je l'ai dit et je le répète. Mais cette loi renferme de bons principes. Il faut être impartial. La loi a été, en grande partie, l'œuvre de l'opposition. Nous n'avons pas pu introduire dans la loi tous les principes que nous aurions voulu y voir dominer. Mais elle a reçu pendant la discussion un grand nombre d'améliorations. (Interruption.)

Il y a eu un principe essentiel modifié : le gouvernement avait déclaré d'abord que si le clergé refusait son concours à une école, elle cesserait d'exister légalement. Il a fallu abandonner ce principe déplorable; par les efforts de l'opposition, ce principe a été effacé.

L'article premier, messieurs, consacre au moins une école dans chaque commune du royaume. Je ne pense pas que ce principe consacre rien d'illibéral.

L'article 5 déclare que les enfants pauvres recevront l'instruction gratuitement, que la commune est tenue de procurer l'instruction à tous les enfants pauvres. Ce principe me semble encore excellent à conserver. (Interruption.)

Je dis qu'il y a des articles à réviser ; mais il y en a aussi de bons à conserver. Il ne faut pas dire que cette loi ne vaut rien du tout.

M. Delfosse. - Je n'ai pas du cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ne m'interrompez pas.

Un autre article qui a été introduit encore par l'initiative de l'opposition, est celui qui détermine un minimum de traitement pour les instituteurs. Ce n'est pas certainement un pareil article qu'on pourrait réviser.

L'article 25 affecte des subsides spéciaux aux salles d'asile, aux écoles d'adultes, aux ateliers d'apprentissage. Ce n'est pas non plus un pareil article qu'on peut trouver mauvais.

L'article 27 établit une caisse de prévoyance pour les instituteurs. Cet article me paraît encore très bon.

L'article 29 établit des concours entre les diverses écoles. Eh bien ! j'ai dit que la loi sur l'instruction primaire était par nous libéralement exécutée. Voilà un article de la loi qui était resté en suspens. J'ai procédé à l'exécution de cet article. Il a été décidé que des concours auraient lieu entre les élèves des écoles primaires.

Voilà, messieurs, un point de la loi qui était resté sans exécution et que j'ai fait exécuter contre l'avis, si c'est à cela qu'on fait allusion, qui avait été exprimé dans une circulaire ou dans une correspondance des chefs du clergé.

Messieurs, j'ai si peu considéré la loi comme parfaite, comme irréprochable, que depuis que je suis arrivé au pouvoir, j'ai fait procéder à deux enquêtes administratives; la première sur le personnel des inspecteurs civils provinciaux et cantonaux. J'ai là les résultats de cette enquête. L'honorable M. Delfosse, je suppose, n'aurait pas voulu que le nouveau ministère, en arrivant au pouvoir, révoquât tout à coup, sans aucune espèce d'enquête, tous les inspecteurs civils.

Second point : enquête approfondie sur tous les griefs reprochés à la loi sur l'instruction primaire. En voici le dossier, l'honorable M. Delfosse n'aurait certainement pas voulu non plus qu'on révisât la loi de l'instruction primaire avant d'avoir approfondi les griefs qui avaient été reprochés à cette loi, tant dans ses principes que dans son exécution. J'ai là, messieurs, cette enquête qui est très volumineuse et qui doit servir de base au projet de révision de la loi sur l'instruction primaire. Il me semble que le gouvernement n'est pas resté à rien faire, en présence de l'opinion qui réclamait des modifications dans la loi sur l'instruction primaire.

En même temps que nous faisions ces enquêtes administratives, qui doivent nécessairement précéder la révision de la loi, nous continuions à exécuter les parties de la loi qui étaient restées jusque-là inexécutées. Nous continuions à l'interpréter, à l'exécuter dans un sens libéral.

Ainsi je rappellerai que, outre l'établissement des concours entre les écoles primaires, nous avons étendu aux écoles primaires supérieures l'établissement des cours normaux, afin que le pouvoir civil eût un plus grand nombre de candidats à offrir aux écoles. Nous avons étendu aux instituteurs des villes les caisses de prévoyance qui n'existaient jusque-là que pour les instituteurs des campagnes. En même temps nous avons admis à ces caisses de prévoyance, établies pour les instituteurs des villes, tous les professeurs de l'enseignement moyen ; parce qu'en l'absence d'une loi sur l'enseignement moyen, nous croyons qu'il est du devoir du gouvernement d'améliorer, autant que possible, administrativement et l'enseignement lui-même et la position des professeurs de l'enseignement moyen. Nous n'avons pas perdu de vue ce double intérêt.

En ce qui concerne, messieurs, la question de l'approbation des livres de l'enseignement, eh bien, c'est un article qui est resté, je dois le dire, sans exécution de ma part, et ici je ne crois pas qu'on me reprochera mon inaction. En attendant, les livres exclusivement destinés à l'enseignement du dogme religieux, ceux-là restent approuvés exclusivement par les évêques. La liste de ces livres peut être fournie à la chambre. On n'y trouvera que des catéchismes et des histoires saintes.

Quant aux autres livres de lecture renfermant des instructions morales et religieuses, et qui, aux termes de la loi, doivent, pour cette dernière partie, recevoir l'approbation du clergé, pour de tels livres aucun règlement administratif n'existe encore.

On vient de nous dire: si le clergé introduisait dans les écoles des livres dont il a l'approbation exclusive, mais dans lesquels se trouveraient des principes contraires à notre constitution, que ferait le gouvernement? Le gouvernement n'hésiterait pas à déclarer au clergé que de tels livres ne doivent pas figurer parmi ceux qui sont destinés à l'enseignement religieux.

La question a été prévue dans la discussion de la loi sur l'instruction primaire ; et, nous devons le dire, c'est aussi par suite des explications obtenues de l'honorable M. Nothomb sur l'exécution que recevraient certains articles, que plusieurs ont fini par se rallier à l'ensemble de la loi. L'honorable M. Lebeau l'a fait remarquer. Il a dit : « Les explications données par M. le ministre de l'intérieur et par M. le rapporteur de la section centrale, sont un excellent commentaire pour l'interprétation de la loi. »

M. Delfosse. - Je sais ce qui s'est passé alors.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous devez d'autant plus savoir ce qui s'est passé, que tout s'est passé vous présent. J'engage l'honorable M. Delfosse, s'il a quelque confidence à faire, à vouloir s'expliquer. Je n'admets pas ces restrictions. L'honorable M. Delfosse était dans l'opposition avec nous alors ; il a su tout ce qui se passait.

L'honorable M. Delfosse a cru qu'il devait voter contre la loi. Nous avons pensé, nous, que la loi renfermait assez de bons principes pour qu'on pût l'accepter. Il n'a pas été d'accord avec nous ; il' a voté contre la loi, avec l'honorable M. Verhaegen ; voilà tout ce qui s'est passé. L'honorable M. Delfosse entend-il blâmer tous ceux de ses collègues qui n'ont pas fait comme lui ; il en est parfaitement libre. Mais de ce que l'honorable M. Delfosse a voté contre la loi, je ne puis pas, en conscience, considérer cette loi comme devant être révisée en tous points.

M. Delfosse. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien, j'ai déclaré que la loi avait besoin d'être révisée ; que voulez-vous de plus? J'ai résisté et je persiste à résister à une proposition émanée d'un honorable membre, qui veut en quelque sorte forcer la main au gouvernement et l'obliger à déposer hic et nunc un projet de loi.

(page 761) M. Jullien. - Je déclare que je n'ai pas entendu violenter le ministère et que ma motion n'implique point la pensée qu'il y rattache.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mais alors, lorsque je déclare que j'ai l'intention de déposer un projet de loi, cette déclaration doit suffire, à moins que vous n'ayez pas confiance en ma déclaration.

L'honorable M. Jullien dit qu'il veut donner de la force au gouvernement; contre qui? Et si, après la déclaration que j'ai faite, on persistait à imposer au gouvernement l'obligation de présenter un projet de loi, ce ne serait pas de la force qu'on donnerait au gouvernement, ce serait un acte de défiance, ce serait jeter de la déconsidération sur le gouvernement.

M. Jullien. - Ma proposition n'a pas ce caractère.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - D'après les explications données par l'honorable M. Lelièvre....

M. Lelièvre. - Je me réfère à ce que vient de dire M. Jullien.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous ne cherchons pas ici à irriter les discussions, à aggraver la situation parlementaire ; ce n'est pas nous qui avons pris l'initiative de ce qu'il pourrait y avoir d'irritant dans ce débat. Il me semble qu'après les déclarations que j'avais faites, à moins d'être guidé par un sentiment de défiance, il eût été convenable de retirer la proposition. Cette proposition est tout à fait insolite. Je ne crois pas qu'il en existe des exemples dans nos annales parlementaires.

Messieurs, il est utile, croyons-nous, que la loi continue d'être mise à exécution par une administration nouvelle; la mise en pratique peut révéler des inconvénients, des abus qu'une loi nouvelle aurait pour effet de faire cesser. Voilà seulement quinze mois que cette loi est entre les mains d'une administration nouvelle. Je ne veux pas, messieurs, chercher à abriter le gouvernement derrière les grands événements qui ont surgi; mais vous reconnaîtrez cependant qu'au milieu de toutes ces circonstances, il était permis au gouvernement d'avoir des préoccupations autres encore que celles qui concernent l'instruction primaire.

Je crois avoir démontré, dans une discussion précédente, qu'on ne perd pas son temps au ministère de l'intérieur. Que ce qui s'y passe ne soit point parfait, ne soit pas bon même, je veux bien l'accorder; mais, au moins, on y travaille. On s'y occupe de beaucoup de choses à la fois, et, j'avoue qu'à moins de doubler mes soirées et mes journées, il m'eût été impossible de travailler à un projet complet de révision de nos trois lois d'enseignement, dans l'année qui vient de s'écouler. Je n'avais pas l'esprit assez libre pour m'occuper exclusivement d'un pareil travail. Cependant j'ai fait des travaux préparatoires : une enquête a été faite tant sur le personnel que sur l'exécution de la loi en elle-même. Voilà, messieurs, ce qu'on était en droit d'attendre de moi et ce que j'ai fait.

Ainsi, messieurs, pour l'inspection civile, on a trouvé que la loi lui faisait une trop large part, c'est-à-dire, qu'il y a trop d'inspecteurs civils. Eh bien, c'est mon opinion, je crois qu'il y a trop d'inspecteurs civils. Je crois aussi qu'il y a trop d'inspecteurs ecclésiastiques.

Qu'ai-je fait pour les inspecteurs civils ? Chaque fois qu'une place est devenue vacante, je n'ai pas nommé de nouveau titulaire; j'ai attribué à l'inspecteur d'un canton le canton voisin ; je l'ai fait par un motif d'économie, et aussi par cet autre motif que je considère comme un abus le trop grand nombre d'inspecteurs. Voilà encore un point de la loi que j'ai exécuté, je pense, de manière à recevoir l'approbation de la majorité de cette chambre. Comme cette question est d'une solution administrative, je me propose de réduire le nombre des inspecteurs civils et d'engager aussi le clergé à réduire le nombre des inspecteurs ecclésiastiques, et je crois que, sous ce rapport, le clergé ne fera pas de difficulté de s'entendre avec le gouvernement.

L'état des écoles normales a attiré également l'attention du gouvernement. Il a cherché à améliorer l'enseignement des écoles normales. J'ai déjà dit qu'il a adjoint aux écoles normales des cours d'enseignement agricole. Le nombre des élèves des écoles normales est assez considérable. Le clergé possède, il est vrai, sept écoles normales, nous n'en possédons que deux; mais dans nos deux écoles normales nous comptons 210 élèves, auxquels il faut joindre ceux qui vont fréquenter les cours normaux annexés aux écoles primaires supérieures. C'est encore une exécution donnée à un des articles de la loi, qui n'en avait pas reçu jusqu'à présent.

Par voie administrative également, le gouvernement a créé des cours normaux destinés aux filles qui veulent devenir institutrices. C'est encore une amélioration introduite dans l'exécution de la loi.

Incessamment nous aurons à revoir les nominations des inspecteurs, qui ont été nommés pour 3 ans. Ce sera le moment d'examiner quels sont ceux de ces inspecteurs qui méritent de continuer à avoir la confiance du gouvernement, quels sont ceux qui ne méritent pas cette confiance. Ce sera aussi le moment d'examiner s'il y a lieu de réduire définitivement le nombre de ces inspecteurs, et d'introduire ainsi à la fois une amélioration administrative et une économie au budget.

Messieurs, je n'en dirai pas davantage quant à présent. Je ne puis qu'engager l'honorable M. Jullien à vouloir bien ne pas insister sur sa motion; car il doit comprendre que cette motion donnera nécessairement lieu, après ce qui a été dit à la fin de la séance d'hier, à de graves débats. Pour ma part, je ne repousse pas ces discussions-là, je les accepte quanti elles se présentent, mais je crois que les circonstances actuelles ne comportent pas de pareilles discussions.

M. Delfosse (pour un fait personnel). - Messieurs, lorsqu'il a été question, entre M. le ministre de l'intérieur et moi, des conditions auxquelles un cabinet serait formé, nous sommes, comme il l'a dit, tombés d'accord sur ce point que le clergé serait appelé, par voie administrative, à donner l'enseignement religieux dans les établissements d'enseignement moyen. Mais nous ne sommes pas tombés d'accord sur un projet de loi d'enseignement moyen ; il n'y a pas eu de projet de loi ; il n'a pas été dit que telle ou telle disposition entrerait dans un projet de loi ; il a seulement été dit que le clergé serait appelé, par voie administrative, à donner l'enseignement religieux dans les établissements d'enseignement moyen. Il a été, en outre, convenu que si le clergé mettait à son intervention des conditions inacceptables, on se passerait de lui; que l'enseignement ne s'en donnerait pas moins dans toutes ses parties, sous la direction de l'autorité civile.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, un débat plus animé, plus vif que ceux dont retentit habituellement cette enceinte, s'est élevé hier à l'occasion d'un chapitre du budget de l'intérieur. On eût dit, à voir la marche de la discussion, que la chambre, jusqu'ici si unie, si modérée, allait se fractionner en deux camps bien tranchés. Et pourtant le différend qui avait donné lieu à cette discussion se réduisait à bien peu de chose ; les orateurs qui ont parlé étaient bien près de s'entendre ; aujourd'hui, l'on est même presque d'accord au fond, et il ne reste plus à discuter qu'une question d'opportunité.

La section centrale qui a examiné le budget de l'intérieur, reproduisant le vœu exprimé par une section, avait demandé que la révision de la loi sur l'instruction primaire eût lieu le plus tôt possible. S'appuyant sur ce passage du rapport, quelques membres de la chambre ont déposé une proposition tendant à ce que la chambre émît le vœu que le gouvernement présentât incessamment un projet de loi sur l'enseignement moyen, et proposât, le plus tôt possible, la révision de la loi sur l'instruction primaire.

Messieurs, j'en appelle aux souvenirs de chacun de vous ; est-il vrai ou n'est-il pas vrai qu'une semblable proposition est tout à fait en dehors de nos habitudes, en dehors des usages parlementaires? Sans doute la chambre peut émettre des vœux, mais elle ne le fait que dans des circonstances solennelles et déterminées. Dans les temps ordinaires, la chambre ne se contente pas d'émettre des vœux ; elle décide, elle ordonne.

Le gouvernement a le droit d'initiative. Ce droit, il faut le lui laisser tout entier, il faut qu'il en puisse user en toute liberté. Mais par contre, chacun de nous a le même droit, chacun de nous peut, s'il le trouve convenable, présenter un projet de loi à la chambre, et il en saisit le pouvoir législatif à peu près au même titre que le gouvernement lui-même.

Et d'ailleurs, messieurs, voyez ce que présente de vague le vœu qu'on voudrait vous faire émettre. On demande que la loi sur l'instruction primaire soit modifiée; puis chaque orateur vient expliquer dans quel sens cette modification doit avoir lieu. Mais il faudrait que la proposition elle-même s'expliquât à cet égard, pour que la résolution de la chambre fût sérieuse et digne d'elle.

Après ces quelques mots, quant à la forme de la proposition, j'aborde le fond de la question.

On a, hier et aujourd'hui encore, vivement attaqué la loi du 23 septembre 1842, et il n'a pas manqué d'orateurs qui ont prétendu que ces attaques étaient exagérées. Je n'ai pas à me prononcer sur ce point. Mais ce que je ne crains pas de dire, c'est que si ces attaques avaient été dirigées contre la manière dont la loi du 23 septembre 1842 a été exécutée, elles eussent été parfaitement justes, parfaitement fondées.

Mais, où il y a eu exagération, et j'ajouterai où il y a eu imprudence, c'est dans les éloges sans réserve qu'on a donnés d'autre part à cette loi de l'instruction primaire. Qu'on ne se le dissimule pas, il y a dans cette chambre une majorité très considérable qui est d'accord pour reconnaître que la loi de l'instruction primaire est défectueuse sous plus d'un rapport et qu'elle doit être révisée; et les éloges exagérés qui nous viennent de certains bancs, ne modifieront eu rien cette majorité.

La loi de l'instruction primaire doit être révisée ; il faut qu'elle le soit, dès qu'elle pourra l'être utilement et convenablement.

Ainsi, messieurs, les articles 20,21, 22, 23 et 24, qui établissent ce que j'appellerai le régime financier de l'enseignement primaire , ces articles sont mauvais ; ils ont suscité des difficultés sans nombre, des difficultés qui sont loin d'être aplanies et qui se reproduiront aussi longtemps que nous n'aurons pas changé cette législation vicieuse.

Passé deux ans, j'ai été chargé de la rédaction d'un rapport sur le budget de l'intérieur; et, à cette occasion, j'ai traité cette question à fond; j'ai démontré et je crois pouvoir dire, j'ai démontré à toute évidence que de quelque manière qu'on entende et qu'on applique les articles que je viens de citer, ils seront toujours mauvais. Ainsi, si l'on s'attache à la lettre de la loi, si on l'applique telle qu'elle doit être entendue, dans son sens rigoureux, savez-vous ce qui en résulte?

Il en résulte que nous devrions porter au budget de l'intérieur un subside qui s'élèvera peut-être à deux millions. Je n'en retranche rien.

(page 762) Que si on donne à cette législation, comme on l'a fait dans la pratique, une interprétation que ne comporte pas son sens grammatical, une interprétation qui permette au gouvernement d'exiger à son gré des communes plus de deux centimes de leurs contributions , alors, messieurs, on tombe dans un système d'arbitraire et d'injustice.

Le gouvernement, selon qu'il favorise telle commune ou qu'il lui est contraire, peut lui faire supporter une plus ou moins grande partie des frais de l'enseignement primaire, et même la totalité de ces frais. On comprend que ce que je vais dire ne se rapporte en rien aux actes du ministère actuel, mais bien à ce qui s'est fait avant lui : bien des injustices ont été commises par suite de l'interprétation donnée aux articles 22, 23 et 24 de la loi; telle commune n'intervient dans l'instruction primaire que pour une part très faible, tandis que le gouvernement en supporte la plus forte; dans d'autres communes, tout le fardeau de l'instruction primaire figure au budget communal.

Le gouvernement répond aux communes : « Qu'ai-je besoin de vous aider? Vous êtes assez riches; au demeurant, vous avez des établissements moins nécessaires que vos écoles; si vous ne pouvez pas subvenir à l'entretien des écoles, fermez ces établissements. » Avec une interprétation pareille, la porte est ouverte à deux battants à l'arbitraire, à l'injustice. Il faut que cette législation soit changée; et il faut qu'elle soit changée le plus tôt possible.

Mais je suppose pour un instant que le gouvernement, provoqué comme il l'a été dans la dernière séance, soit venu dire : Je suis d'accord sur un point, c'est que certaines dispositions de la loi sur l'enseignement primaire doivent être révisées ; je vais vous présenter incessamment un projet de loi. Serions-nous plus avancés que nous ne le sommes aujourd'hui? Je ne vous demande qu'une chose, c'est de jeter un coup d'œil sur l'ordre du jour qui nous est distribué tous les matins, et de vous rappeler quelles sont les lois que nous devons nécessairement voter avant la fin de la session. Nous avons à l'ordre du jour quatre projets concernant l'organisation judiciaire, un projet de loi sur les mines, un projet de loi sur les successions qui, à coup sûr, donnera lieu à de longues discussions; nous avons à examiner encore, pour l'exercice actuel les deux budgets dont la discussion prend le plus de temps, les budgets de la guerre et des travaux publics: nous aurons ensuite la loi sur les sucres, le rapport sera incessamment déposé ; j'oubliais la réforme postale, loi d'organisation très importante.

Ce n'est pas tout; après tout cela, force nous sera d'examiner tous les budgets de 1850. Faut-il que je prolonge cet examen? La chambre a saisi trois commissions spéciales de différents projets de loi, dont deux sont très urgents et d'une grande importance; je veux parler de celui sur le régime hypothécaire et de celui sur les faillites, les banqueroutes et les sursis. Ces deux derniers projets, que le pays entier appelle de tous ses vœux, ces projets, je ne crains pas d'être faux prophète en disant que nous ne les voterons pas dans la présente session ; elle est déjà tellement surchargée, qu'en la prolongeant au-delà du terme ordinaire, nous aurons beaucoup de peine à discuter convenablement et à voter, en temps opportun, les projets dont nous devons nécessairement nous occuper.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et la loi sur le jury d'examen.

M. H. de Brouckere. - J'y viendrai. En résultat, nous voulons une révision de la loi sur l'enseignement primaire ; le gouvernement la veut aussi. Le gouvernement vous a-t-il refusé de formuler un projet ? a-t-il dit qu'il n'en présenterait pas? Non, il a même pris l'engagement contraire.

Mais il faut être juste pour tout le monde, même pour les ministres. Or, le gouvernement doit être juge du moment où il est convenable qu'il présente un projet de loi quelconque; sa responsabilité ne s'attache pas seulement au projet lui-même; elle tombe aussi sur l'époque qu'il choisit pour le soumettre à la discussion des chambres.

Quelqu'un pourrait-il dire qu'il ne peut pas se présenter des circonstances où il ne conviendrait pas de jeter, dans cette assemblée , des projets dont la discussion pourrait être irritante ? Rappelez-vous la situation où nous étions il y a huit ou dix mois. (Interruption.)

Les interrupteurs trouvent-ils qu'à cette époque on eût bien fait de présenter à la chambre un projet de loi dont la discussion eût été irritante?

Eh bien, je le répète, le gouvernement doit être juge du moment à choisir pour présenter un projet de loi. Il ne pourrait, sans imprudence, déclarer à l'avance aux chambres législatives qu'à tel jour, à telle heure, il viendra déposer tel projet de loi.

Pour vous montrer qu'il est réellement des projets sur lesquels la chambre a bien de la peine à s'entendre, je ne vous rappellerai que celui sur les jurys d'examen dont on parlait tout à l’heure.

La loi sur l'enseignement supérieur date de 1835; le jury organisé par cette loi ne devait fonctionner que pendant trois ans ; au bout de ce terme, il fallait une nouvelle législation sur le jury. Depuis 1838, d'année en année, nous avons prorogé la législation existante, et lorsque, l'année dernière, nous avons voulu substituer à l'ancienne législation une législation nouvelle, qu'est-il arrivé ? Trois systèmes se sont produits dans cette chambre, la chambre s'est divisée en trois fractions, et nous sommes restés avec l'ancienne législation.

Je ne rappelle cet exemple que pour démontrer à la chambre qu'en règle générale, c'est au gouvernement à voir quand, à quelle époque, il faut qu'il présente les projets de loi qu'il doit soumettre à la législature.

M. le ministre de l'intérieur, tout en reconnaissant que la loi sur l'instruction primaire est loin d'être bonne, vous a dit qu'elle pourrait fonctionner quelque temps encore, sans produire les abus auxquels elle a donné lieu. Eh bien, c'est un fait qui ne sera pas contesté que, dans l'exécution donnée à la loi de 1842, on s'est considérablement éloigné de l'esprit de cette loi, et que si, aux yeux d'une grande partie du pays, cette loi paraît si mauvaise, c'est en partie parce qu'elle a été mal appliquée. Le pouvoir civil, dans l'application de cette loi, a souvent oublié sa dignité ; il s'est mis sous la dépendance, il s'est laissé traîner à la remorque de ceux vis-à-vis desquels son altitude aurait dû être non seulement indépendante et digne, mais ferme, résolue et souvent énergique. Au lieu de résister aux empiétements, il a admis spontanément, bénévolement, une suprématie réelle.

Ainsi la loi crée des inspecteurs civils et des inspecteurs ecclésiastiques; mais la position des premiers doit nécessairement être supérieure à celle des seconds ; et nous avons à cet égard l'avis de l'honorable membre qui a défendu la loi avec le plus de zèle ; il a ses motifs pour cela ; c'est qu'il en est le principal auteur.

Eh bien ! dans un grand nombre de localités, dans beaucoup de cas, je n'ose pas dire : partout et toujours, on a demandé, on a attendu l'approbation du clergé pour la nomination des inspecteurs civils. Qu'est-ce qui en résulté? C'est que c'est souvent l'inspecteur ecclésiastique qui, en réalité, exerce l'autorité la plus grande sur les instituteurs et sur les écoles, et je pourrais ajouter que parfois elle absorbe entièrement celle de l'inspecteur civil.

C'est probablement à cause de cet abus que la section centrale propose de retrancher de l'article 78 du budget de l’intérieur, la somme qui était destinée à salarier les inspecteurs ecclésiastiques. Le remède serait efficace, sans doute, je crois même qu'il serait héroïque. Mais qu'on y prenne garde, il pourrait amener dans l'instruction primaire une telle perturbation que nous regretterions amèrement d'y avoir eu recours.

Quoi ! on nous a dit récemment (et vous avez tous applaudi à la proclamation de cette vérité), on vous a dit que la société était minée par des doctrines aussi séduisantes que perverses, aussi fausses que dangereuses, que la société devait en quelque sorte être réorganisée sur des bases nouvelles, et que c'est par l'enseignement qu'il faut y parvenir. Et nous irions imprudemment nous exposer à bouleverser nos écoles ! Nous cherchons le moyen de les faire fréquenter par le plus grand nombre d'élèves possible! et nous adopterions une mesure qui pourrait en écarter un grand nombre, qui pourrait faire en sorte que certaines écoles deviendraient entièrement désertes ! Nous ne reculerions pas, dans des circonstances comme celles où nous nous trouvons, nous ne reculerions pas devant une scission qui ferait déserter les écoles dans un grand nombre de communes, au grand détriment et, je puis-le dire, au grand danger de la société !

Pour ma part, je le déclare sans hésitation, je reculerais devant une semblable responsabilité.

Qu'on me dise que la somme employée jusqu'ici à salarier les inspecteurs ecclésiastiques est trop forte, on aura peut-être raison ; qu'on introduise dans cette partie du service, comme dans toutes les autres, une économie raisonnable et sage, j'y donne d'avance les mains; mais que, sans examen, sans se rendre compte des résultats de la mesure, nous supprimions, du jour au lendemain, une allocation, exagérée peut-être, mais qui, ramenée à certaines bornes, peut être très utile ; je vous le répète, quant à moi, je n'en prends pas la responsabilité.

En résumé, nous reconnaissons, et le gouvernement au fond est d'accord avec nous, que la loi sur l'instruction primaire est défectueuse, qu'elle l'est sous plus d'un rapport, et qu'il y a lieu de la réviser. Nous réunissant à la section centrale, nous engageons, sinon tous, je crois du moins pouvoir dire à une grande majorité, nous engageons le gouvernement à s'occuper le plus tôt possible des modifications que réclame cette loi : En cela nous usons de notre droit...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il s'en est occupé déjà. Il y a une enquête.

M. H. de Brouckere. - Je le sais parfaitement bien. Mais je demande que l'enquête marche et que nous arrivions à des résultats.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Elle est faite.

M. H. de Brouckere. - Eh bien, j'ai commencé par dire que nous serions d'accord. Vos paroles me confirment dans cette opinion.

Je dis qu'en le faisant, nous usons de notre droit, nous remplissons notre devoir.

Mais j'ajoute que nous irions trop loin en exigeant que le gouvernement fixe l'époque où il présentera le projet de loi qui doit modifier la législation de 1842. Si le gouvernement, contre mon attente, ne s'exécutait pas dans un temps convenable, rien n'empêcherait que nous ne vinssions user du droit d'initiative. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne le système financier des écoles primaires, moi-même je consentirais à m'unir à quelques membres de cette chambre pour venir dans la session prochaine, si le gouvernement restait en retard, vous soumettre un projet de loi sur cette matière.

Jusque-là nous attendons du gouvernement, et je l'attends, moi, avec confiance, qu'il appliquera la loi dans son véritable esprit; que loin d'admettre une suprématie quelconque, il ne se soumettra à aucune influence étrangère; que, quand il aura des nominations à faire, il n'écoutera que ses inspirations et n'introduira pas, comme l'ont fait ses prédécesseurs, dans les conseils du gouvernement, un pouvoir qui n'a rien à faire, rien à dire dans l'administration civile, pas plus que lui-même ce consulte le gouvernement dans les choix qu'il a à faire.

(page 763) Que la loi sur l'instruction primaire soit exécutée de la sorte jusqu’à la session prochaine, et nous saurons alors, par une expérience sage et complète, quelles sont les modifications qu'il faut introduire dans cette partie de notre législation.

- La clôture est demandée.

M. Jullien (contre la clôture). - Je tiens à m'expliquer de plus près sur le caractère de la motion que j'ai déposée hier. Je ne crois pas que la chambre refusera de m'entendre. On m'a adressé, à cette occasion, des reproches que je ne puis laisser sans réponse.

M. Dedecker. - On pourrait entendre M. Jullien.

M. le président. - Il y a d'autres orateurs inscrits.

D'ailleurs, aux termes du règlement il ne m'est pas permis, quand la clôture est demandée, d'accorder la parole à un orateur sans que la chambre y consente.

M. Lebeau. - Quant à moi, je renonce volontiers à la parole.

M. Jullien. - C'est en quelque sorte pour un fait personnel que je demande la parole.

M. le président. - Si c'est pour un fait personnel que M. Jullien demande la parole, et s'il n'y a pas opposition, je la lui accorderai.

M. Jullien. -Messieurs, le ministère a attaché à la motion que j'ai eu l'honneur de soumettre hier à la chambre, un caractère de défiance qu'elle ne comporte point.

Non, messieurs, cette proposition n'a pas été faite, comme on l'a dit, dans un but hostile au ministère. Ce qu'il y a de certain, c'est que je l'ai déposée dans le but de fortifier l'action du ministère vis-à-vis de la chambre.

On a, messieurs, qualifié ma motion de proposition vague, insolite, on l'a présentée comme heurtant les usages de cette chambre. C'est là, messieurs, une seconde édition d'une leçon charitable que l'honorable M. Lebeau avait déjà adressée, au mois de juin dernier, aux jeunes députés qui siègent dans cette enceinte. Une fois pour toutes, je réponds que pour ne pas avoir vieilli sous le harnais, nous ne comprenons pas moins nos devoirs et que nous saurons les remplir avec autant de courage que les anciens députés.

Ma proposition, messieurs, n'est pas insolite. Car ce n'est pas pour la première fois que la chambre émet des vœux; le droit d'en émettre lui est d'ailleurs positivement reconnu par l'honorable M. de Brouckere.

Faut-il, messieurs, que pour émettre un vœu utile au pays, il s'agisse d'une de ces circonstances solennelles auxquelles doive se rattacher l'existence d'un cabinet? Faut-il donc que, dans d'autres circonstances, notre rôle soit purement passif? Faut-il donc qu'il nous soit interdit d'avertir le cabinet de l'inaction qu'il peut apporter dans la présentation des lois que nous croyons urgentes?

Si ma proposition, messieurs, peut offrir quelque chose de vague, mais j'en ai expliqué les motifs hier à la chambre. J'ai signalé quelles étaient, à mon point de vue, les innovations que l'on devait introduire et dans la loi réorganique de l'enseignement supérieur et dans la loi réorganique de l'enseignement primaire. D'autres membres jugent que ces lois sont susceptibles d'autres changements. Eh bien ! ceux-là qui veulent une révision plus ample voteront ma proposition. Ceux, au contraire, messieurs, qui ne veulent aucun changement, et il y en a dans cette chambre, la repousseront.

J'ai voulu, messieurs, par la proposition que j'ai déposée, soustraire le ministère aux tiraillements des partis dans cette chambre. Les uns veulent une révision, les autres n'en veulent pas. Il faut donc, de toute nécessité, que la chambre se prononce. Lorsque la chambre aura proclamé sa volonté, alors, messieurs, le ministère sera dans une position beaucoup plus forte, et il aura, comme je le disais hier, une arme très puissante à opposer à ceux qui sont les adversaires de toute révision.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je n'entends point prolonger ce débat; je serai d'une extrême brièveté.

J'ai demandé la parole lorsque, tout à l'heure, j'ai entendu l'honorable M. Jullien caractériser, développer sa proposition à propos d'un fait personnel. L'honorable membre nous a dit, messieurs, que son intention exclusive, en formulant cette proposition, était de fortifier le ministère vis-à-vis de la chambre, de soustraire le ministère aux tiraillements dont il pouvait être l'objet dans cette chambre. Je vous avoue, messieurs, que j'ai trouvé cette explication singulièrement étrange. Je déclare à l'honorable membre que le ministère est parfaitement libre, que le ministère n'est sous l'influence d'aucune fraction de cette chambre, que le ministère n'est tiraillé d'aucun côté. Je le prie donc de se rassurer.

Le ministère, dans cette question d'enseignement, soulevée par l'honorable M. Jullien, le ministère a annoncé formellement ses intentions; il a, par l'organe de mon honorable collègue le ministre de l'intérieur, déclaré d'une manière explicite, qu'il entendait réviser la loi sur l'enseignement primaire. Cette déclaration doit suffire. Cette déclaration ne peut pas être plus formelle. On ne peut pas nous demander, messieurs : dans quel sens réviserez-vous cette loi? quelles dispositions changerez-vous? qu'en ferez-vous disparaître? qu'y introduirez-vous? Vous devez admettre nos déclarations sous la foi de nos principes, sous la foi du programme que le ministère a formulé et qui a été accepté par cette chambre. Il est injurieux de supposer que le ministère manquerait à ses engagements, il est souverainement injuste de le supposer, parce que, jusqu'à présent, le ministère a tenu loyalement, largement ses promesses.

Personne n'oserait ici imputer au ministère d'avoir manqué à aucun de ses engagements. Il a été au-delà, et je somme ceux qui auraient à l'accuser d'avoir failli à un seul de ses engagements, de vouloir bien se lever pour formuler leur accusation ! Qu'il n'y ait point de voile ; que toute obscurité disparaisse; il faut qu'on dise formellement à quel engagement nous avons manqué, il faut qu'on dise formellement sur quel point nous avons été infidèles à nos promesses. Je défie qui que ce soit de signaler un seul point de notre programme que nous aurions renié. Nous avons été au-delà.

Ainsi, sur la question de l'enseignement, je maintiens qu'on ne peut pas nous amener à déclarer que nous changerons telle disposition de la loi et que nous la changerons dans tel sens déterminé. Nous ne livrerons pas inutilement nos idées sur un sujet irritant, à des débats anticipés. Notre dignité, d'ailleurs, ne nous permet pas de souscrire à de pareilles exigences.

Souvenez-vous, messieurs, de ce qui s'est passé au mois de juin. A cette époque, quelques membres qui dès lors avaient peu de confiance dans le ministère, et que nous retrouvons dans la discussion actuelle avec les mêmes sentiments, quelques membres disaient, à propos des économies : « Expliquez-vous ; quelles seront les économies que vous viendrez proposer? » Et l'on insinuait que nous ne voulions pas sérieusement les économies; et l'on signalait un prétendu dissentiment, entre mon honorable collègue le ministre de l'intérieur et moi, sur la portée des économies à faire. Je me suis franchement expliqué. J'ai dit que ces économies seraient profondes, radicales ; mais j'ai refusé, alors aussi, et par des motifs analogues à ceux qui me guident en ce moment, j'ai refusé d'énumérer en quoi consisteraient les économies. Avons-nous réalisé nos engagements? Avons-nous mis en action nos promesses? N'avons-nous pas fait, sous ce rapport, de l'aveu de tous, tout ce que l’on pouvait espérer, au-delà de ce que l'on avait espéré? Eh bien, messieurs, nos déclarations doivent également suffire touchant la révision de la loi sur l'enseignement. A l'abri des principes que nous avons proclamés, marchant toujours résolument sous notre drapeau, le tenant haut et ferme, et ne l'abaissant devant personne, nous continuerons à procéder à l'amélioration des lois qui nous régissent.

M. Lebeau (pour un fait personnel). -Je crois comprendre le sentiment de la chambre et y rendre hommage en disant que je m'abstiens de répondre au fait personnel.

M. H. de Brouckere (pour un fait personnel). - Messieurs, l'honorable M. Jullien m'a représenté comme ayant voulu donner une leçon à quelques-uns de mes honorables collègues. Il est très vrai que nous nous occupons d'enseignement, mais je ne me suis pas tellement identifié avec l'esprit de cette loi, que j'aie oublié que je suis ici un représentant du pays et non pas un maître d'école.

Dans tous les cas, je défie qui que ce soit de trouver, dans les paroles que j'ai prononcées, un seul mot qui ressemble à une leçon. J'ai combattu la proposition de l'honorable M. Jullien, mais fallait-il que je l'acceptasse quand je ne l'approuvais pas ? Je l'ai combattue avec modération, je l'ai combattue, je crois, en termes convenables, et je ne comprends pas le reproche que me fait l'honorable M. Jullien.

Permettez-moi, messieurs, un seul mot, en terminant. Jusqu'ici la chambre a quelquefois, périodiquement même, adressé des vœux au Roi; elle n'en a jamais adressé à un ministre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je tiens à rectifier l'opinion que l'honorable M. Jullien aurait pu se faire à propos d'une expression qui m'est échappée, mais qui, cependant, est parfaitement correcte. J'ai dit que sa proposition avait quelque chose d'insolite, qu'il n'y avait pas d'exemple d'une pareille proposition dans nos annales parlementaires. L'honorable député a pensé que je voulais, par là, lui faire une leçon de tactique parlementaire. Rien n'est plus éloigné de ma pensée. L'honorable M. Jullien a, je le sais, une connaissance parfaite de la pratique des assemblées délibérantes. Il a présidé l'assemblée provinciale du Luxembourg.

Quant à jeter du blâme sur les hommes jeunes, que les élections nouvelles ont introduits dans cette chambre, je dirai que j'ai vu avec le plus grand plaisir ces hommes jeunes venir siéger au sein de la représentation nationale, et j'y comprends mon ancien condisciple, l'honorable M. Jullien.

M. Deliége. - Je suis fâché de parler devant cette chambre, alors qu’elle est fatiguée, alors que la discussion a déjà été longue. Cependant je crois ne pas pouvoir m'abstenir ; car, dans l'état actuel de la discussion, nous devrions, plusieurs de mes honorables amis et moi, voter pour la motion de l'honorable M. Jullien, et voici pourquoi.....

M. le président. - C'est le fond, et vous n'avez la parole que sur la clôture.

M. Deliége. - Je parle, messieurs, contre la clôture. Je dis que plusieurs membres de cette chambre, qui désireraient conserver leur confiance au cabinet, devraient cependant voter pour la motion de l'honorable M. Jullien, dans l'état actuel de la discussion. Je voudrais donc avoir quelques éclaircissements de plus, quelques explications de plus; la chambre peut-elle s'opposer à ce que ces éclaircissements soient demandés? Je serai très court et en deux mots, je dirai...

M. le président. - Ceci n'est plus la clôture ; je dois mettre la clôture aux voix.

- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.

M. de Theux. - Messieurs, j'avais fait le sacrifice de mon discours avec grand plaisir dans l'intérêt de l'avancement de nos travaux ; puisque la chambre a désiré continuer la discussion, je serai aussi court que possible ; je me tiendrai strictement dans le cadre où le débat s'est établi.

Messieurs, c'est surtout à la partie de la loi de 1842 qui concerne (page 764) l'enseignement de la religion et de la morale, qu'on s'est attaqué; quant à la question financière, je crois qu'on est assez généralement d'accord dans cette chambre, qu'il y a des dispositions qui doivent être révisées.

En ce qui concerne ce point fondamental de l'enseignement de la religion et de la morale, je pense qu'il puise sa source dans l'obligation où se trouvent les classes peu aisées de la société, si nombreuses dans ce pays, d'envoyer leurs enfants aux écoles publiques. Ces classes n'ont généralement pas d'autres moyens d'instruction que la fréquentation des écoles publiques. De là le législateur a dû reconnaître et consacrer aussi la nécessité de garanties religieuses pour la fréquentation de ces écoles. S'il ne s'agissait que de personnes aisées, comme aujourd'hui les moyens d'instruction primaire sont très multipliés pour ceux qui peuvent, par leurs propres ressources, y avoir recours, nous n'aurions pas à nous occuper de ce point.

C'est l'indépendance du pouvoir civil qui a fait en quelque sorte le fond de cette discussion. Sans doute, la loi confère des droits au clergé quant à l'enseignement de la religion et de la morale ; mais en lui couvrant ces droits, lui a-t-elle fait une part qui absorbe l'indépendance du pouvoir civil? En aucune façon.

Messieurs, je sais... (Bruit.) Je m'aperçois que la chambre est fatiguée; je pense, dès lors, qu'il y a lieu de mettre fin à ce débat, et je renonce à la parole.

M. Liefmans. - Messieurs, après les questions importantes que vous venez d'examiner, il n'en est certes pas de plus graves que celles qui concernent l'instruction que l'Etat est appelé à diriger. L'instruction, en effet, forme en quelque sorte, la source de la prospérité publique. C'est elle qui doit donner une impulsion nouvelle à l'industrie manufacturière, à l'agriculture surtout. Aussi est-ce avec beaucoup de raison qu'on a dit, dans cette enceinte, que le gouvernement, en développant le goût de l'instruction, en encourageant l'enseignement à tous les degrés , contribuera de la manière la plus efficace au soulagement de la classe ouvrière, réussira à extirper tôt ou tard le fléau du paupérisme, ou tout au moins préviendra l'aggravation et le retour.

Messieurs, la constitution renferme le principe d'une instruction à donner aux frais de l'Etal, à régler par la loi. Il est inutile de vous répéter que rien ne présente plus d'importance que l'enseignement public. Eh bien ! la constitution cependant, a déjà plus de dix-huit ans d'existence, et le pays attend encore les lois qui doivent régir l'instruction du peuple.

On ne peut expliquer, messieurs, la négligence qui a été mise jusqu'ici à organiser l'enseignement d'une manière définitive, que par cette considération seule que les rênes du pouvoir n'ont pas été bien souvent, non pas été bien longtemps entre les mains de personnes amies du progrès. Les lois qui ont été faites sur la matière semblent prouver ce point. Il n'est donc pas surprenant, messieurs, que le libéralisme, appelé à réparer le mal que ses adversaires ont causé au pays, se montre impatient de voir les lois actuellement existantes se modifier d'après ces principes, et de voir disparaître, par une législation libérale, touchant l'enseignement moyen, la lacune que le pouvoir catholique se plaisait à laisser subsister. De là, messieurs, surgit la proposition de M. Jullien, de là celle de M. Lelièvre et es honorables collègues.

La proposition de M. Jullien tend, en premier lieu, à obtenir la révision de la loi sur l'enseignement supérieur; il voudrait que cette branche de l'enseignement fût soumise à une réorganisation complète; il voudrait même que l'Etat, ou bien supprime l'une de ses universités, ou bien dédouble les cours qui s'y donnent, et enseigne dans l'une des universités le droit, dans l'autre la médecine, ou si l'on veut, que l'une d'elles reçoive les élèves en candidature, l'autre les élèves pour le doctoral. Que l'honorable M. Jullien réclame la révision de la loi de 1835, qu'il désire que cette loi subisse quelques modifications, il trouvera de l'appui dans cette enceinte; mais cet appui, il ne le trouverait pas aussi énergiquement, s'il fallait en le lui accordant, reconnaître par là que l'Etat peut et doit se contenter d'une seule université pour tout le pays. Sur ce point, il trouverait de nombreux contradicteurs parmi ses meilleurs amis, et, si tout est qu'il veuille persister dans sa manière de voir, je crois qu'il ferait bien de remettre la discussion sur cet objet, à l'époque où le ministère voudra bien nous présenter son projet de loi.

A ce moment on pourra traiter avec plus de succès qu'aujourd'hui celle question dans ces moindres détails. Que M. Jullien s'en tienne à réclamer la révision prompte de la loi. Il peut espérer que droit sera fait à sa demande dans le plus bref délai possible. La loi de 1835 a été trop souvent attaquée, dans l'intérêt des élèves, dans l'intérêt des universités elles-mêmes, et par des professeurs les plus distingués et par des membres de cette assemblée ; trop d'imperfections ont été signalées et la nomination des examinateurs a trop souvent suscité des plaintes fondées, pour qu'on ne fasse pas droit à des vœux généralement exprimés. Aussi, M. le ministre de l'intérieur nous a-t-il dit hier, comme au commencement de la discussion de son budget, qu'il présentera ce projet de loi aux premiers jours; et je crois même qu'il nous a dit un jour que ce projet de loi a été rédigé de façon à satisfaire tout le monde.

Cette déclaration de la part de M. le ministre rend la première partie de la proposition de M. Jullien inutile en quelque sorte, et elle pourrait dès lors se réduire aux proportions que M. Lelièvre et ses collègues ont données à la leur. Nous aurons bientôt à examiner le projet de loi concernant l'enseignement supérieur; nous verrons bientôt, ce qui est difficile à supposer, si ce projet est de nature à contenter tout le monde, à satisfaire les prétentions de l'opinion catholique, tout comme il devra satisfaire les exigences de l'opinion libérale ; le point de milieu entre ces prétentions et ces exigences, le point de contact où des principes diamétralement opposées se touchent et se confondent, est bien difficile à trouver. Mais ne préjugeons rien pour le moment, attendons le projet et félicitons dès maintenant M. le ministre de l'intérieur de l'empressement qu'il mettra à nous le présenter

Le second objet de la proposition de l'honorable M. Jullien, et le premier de celle de M. Lelièvre, sont le même. On désire l'organisation prompte de l'enseignement moyen, on veut qu'il devienne impossible de prolonger longtemps l'abus que nous avons déjà signalé, à savoir de laisser le pays privé d'un degré d'enseignement qui doit agir efficacement sur son bien-être intellectuel et matériel. On veut que le cabinet et la chambre, libéraux, exécutent une disposition constitutionnelle, que le cabinet et la chambre catholiques ont trop longtemps méconnue. L'enseignement que ces honorables membres sollicitent se justifie. Ils considèrent cette loi comme éminemment utile, comme indispensable au pays. Pourquoi dans ce cas user de retard ?

Messieurs, la loi sur l'enseignement moyen est tout entière à formuler. Il est donné à un cabinet issu du libéralisme, à la chambre qui doit son origine à l'extension de nos lois électorales, de proposer et de discuter cette loi d'un intérêt supérieur. Tâchons, messieurs, que cette loi soit digne des principes que nous aimons tant à professer ; qu'elle ait le caractère d'un libéralisme vrai et sincère; qu'elle réponde au vœu que la grande majorité du pays exprime; et surtout qu'elle se fasse aussi promptement qu'un examen rigoureux le permettra. Comme expression de ce vœu, messieurs la proposition de M. Lelièvre et de ses collègues mérite l'accueil le plus empressé. La chambre attend avec impatience, le pays tout entier désire ardemment la réalisation prompte d'un article du programme ministériel d'une promesse faite au nom du libéralisme.

Ce vœu, il serait imprudent de le méconnaître; et hier encore, lorsque M. le ministre de l'intérieur nous disait que le travail pour l'organisation de l'enseignement moyen était terminé, qu'il ne restait plus qu'à le réduire, qu'à rédiger les articles du projet de loi.

J'éprouvais un sentiment de satisfaction réelle; mais combien ces paroles ministérielles se sont-elles modifiées à la fin de la séance. A quand, M. le ministre, demandait-on ; à quand la chambre sera-t-elle saisie de ce projet de loi? le sera-t-elle en 1849 ? le sera-t-elle en 1850? Quelle fut la réponse ministérielle? Vous l'aurez en temps opportun; c'est-à-dire quand cela me plaît, en quelque sorte ; ou bien vous ne l'aurez pas; car si la discussion de cette loi devait entraîner un débat irritant, si elle devait faire surgir dans le pays des dissensions, des passions qui n'y existent pas, le projet de loi, je ne le présenterais pas.

Ainsi, le projet de loi, s'il doit donner lieu à un débat irritant; s'il doit montrer à nu les prétentions non étouffées du catholicisme, s'il doit faire voir à tous les yeux le développement incontestable des principes libéraux, nous ne l'aurons pas.

Mais, n'est-il pas de toute évidence, que la discussion de ce projet fera toujours revivre les exigences d'un parti que nous avons eu constamment à combattre, et que nos successeurs auront encore à combattre après nous. Comment peut-on s'imaginer, que les prétentions catholiques n'existent plus ni dans le pays, ni dans cette chambre, ou que les principes du libéralisme y soient intégralement éteints ! Dira-t-on peut-être qu'il n'y a jamais eu de parti catholique en Belgique, qu'il n'y a toujours eu que des libéraux; que nous tous, que le pays tout entier a donné dans un malentendu; ou bien, soutiendra-t-on que les événements du 24 février 1848 ont passé l'éponge sur ces faits ; que le parti catholique en s'abritant derrière le libéralisme, a acquis le droit de nous inculquer tous ses principes, comme il voudrait encore aujourd'hui nous inspirer ses frayeurs.

L'honorable M. Delfosse a répondu à ce dernier point. Il vous a dit que les libéraux ont proposé des principes d'ordre. Le pays est resté fort, stable et respecté, parce qu'on a eu foi dans le libéralisme seul, et parce que le libéralisme n'a pas démérité de la confiance qu'on avait placée en lui. Oui, le libéralisme a toujours prêché l'ordre ! Le libéralisme belge n'a jamais eu des tendances communistes; il est bien loin de les avoir aujourd'hui, quoiqu'en dise certaine presse intéressée à la déconsidérer; M. Delfosse a eu raison de le dire, le libéralisme peut poursuivre son œuvre régénératrice et généreuse après le 24 février comme auparavant, et le respect à la constitution et aux lois n'en deviendra que plus vif ! Un ministère libéral devrait le savoir, devrait l'espérer au moins tout aussi bien que ceux qui ont combattu avec lui et pour lui ; et poser des actes qui tendent à faire douter des bons sentiments qui animent le libéralisme, c'est poser des actes qui doivent pousser à des conséquences fâcheuses; qui doivent jeter dans le pays bien plus d'irritation que la présentation et la discussion, mais vive et animée, de la loi sur l'enseignement moyen !

Messieurs, le gouvernement ferait bien, puisque son travail est prêt, de montrer quelque empressement à le convertir en projet de loi, et de satisfaire par une promesse formelle au vœu que MM. Jullien et Lelièvre expriment.

Messieurs, si la crainte d'un débat irritant peut engager le ministère à ne pas présenter un projet de loi sur l'enseignement moyen, cette même crainte doit bien être de nature à nous refuser la révision de la loi sur l'enseignement primaire. Mais M. le ministre de l'intérieur n'a pas motivé son refus de réviser dans un bref délai la loi de 1842, sur l'horreur qu'il professe pour tout ce qui est de nature à soulever les passions politiques; il l'a motivé sur une considération toute autre ; il a invoqué en faveur de cette loi un argument que je n'attendais pas de sa part, à savoir que cette loi est bonne, même très bonne; qu'il ne fallait, par conséquent, pas encore y toucher. Mais si cette loi est bonne, comment se fait-il donc que (page 765) l'enseignement primaire soit tombé et resté aussi bas ! Le personnel des institutions laisse tout à désirer!

On a dit : peut-être est-ce l'application vicieuse qui en a été faite. Mais non! Vous l'avez entendu aujourd'hui, la plupart des dispositions de la loi ne sont pas encore exécutées : malheureusement celles qui ne sont pas exécutées, sont précisément les plus importantes. L'autorité ecclésiastique a fait valoir ses droits; elle les exerce; elle exerce sa surveillance sur les livres; elle a déclaré quels seront les livres dont on pourra se servir; mais le gouvernement n'a rien à y voir. Il ne s'est pas entendu avec l'autorité ecclésiastique sur les livres à fournir aux élèves.

Ainsi la loi est très bonne; elle n'est exécutée cependant qu'au profit d’une certaine caste, qui a toujours eu plus de prétentions qu'elle n'a de droits.

Nous avons dit que la loi est vicieuse, justement parce que, en diminuant l'influence de l'autorité civile, elle donne une trop grande part d'influence, d'autorité au parti catholique.

Hier, on l'a démontré à l'évidence. Les honorables MM. Delfosse et Destriveaux ont présenté cette question d'une manière tellement claire, que l'esprit le moins clairvoyant ne peut point en douter.

Rappelons-nous ce qui s'est passé en 1846. Rappelons-nous surtout cette manifestation imposante du libéralisme à Bruxelles, rappelons-nous quelle impression la loi du 23 septembre 1842 a faite sur tous les esprits. Tout le monde a vu que l'intervention du clergé dans l'instruction primaire était une intervention à titre d'autorité.

C'est pourquoi le congrès libéral a dit qu'il fallait organiser l'instruction primaire, l'enseignement à tous les degrés, de manière à ne plus y permettre l'intervention du clergé à titre d'autorité, de manière à affranchir le gouvernement de la tutelle ecclésiastique.

Nous disons, nous, aujourd'hui comme alors, que la loi sur l'instruction primaire n'est bonne ni dans son principe, ni dans son application, justement parce que l'autorité ecclésiastique y intervient à titre d'autorité, et surtout parce que ses dispositions principales tendent à faire supposer que la morale ne peut se trouver dans le gouvernement, ne peut pas s'enseigner sous son influence, sous son action directe; elle est vicieuse, parce qu'elle tend à établir que le pouvoir légal, constitué dans le pays, n'offre pas de garanties suffisantes de moralité; car si la morale peut se rencontrer dans le gouvernement, il ne faut pas que le monopole de l'enseigner soit accordé aux ministres des cultes.

En insérant une telle disposition dans la loi, on présuppose nécessairement que la morale est inséparable du caractère de ministres des cultes, en d'autres termes que toute autre personne que le ministre du culte est hors d'état d'inspirer le goût de la saine morale, d'en professer et d'en enseigner les désirables principes.

Nous voulons que cette prétention du parti catholique disparaisse. L'honorable M. Destriveaux s'est élevé énergiquement contre cette prétention qu'il considère à juste titre comme dangereuse.

Messieurs, au surplus, et si l'on en vient à l'application, disons franchement que le personnel des instituteurs laisse beaucoup à désirer; la plupart sont de la plus parfaite ignorance; bien peu ont des connaissances assez étendues pour leur confier un enseignement même tout à fait élémentaire.

Quant à aux inspecteurs, les nominations faites jusqu'à présent n'ont pas été heureuses. Le ministère, je le sais, n'en a pas fait beaucoup, pas même une seule, à ce qu'on dit. Il n'en est pas moins vrai qu'il aurait dépendu de lui de faire disparaître quelques-unes de celles qui existent encore. Il aurait pu remédier ainsi au mal que ses devanciers ont occasionné.

Les honorables MM. Lelièvre et Jullien insistent pour que la révision soit prochaine. C'est parce qu'ils ont attribué à la loi seule les abus qui existent. Il y aurait, pour le gouvernement, un moyen facile de faire droit à la motion de MM. Jullien et Lelièvre et de ceux qui professent la même opinion. Ce serait de dire: Oui, nous réviserons la loi ; nous en ferons au plus tôt une étude approfondie. Si nous reconnaissons un principe vicieux, nous tâcherons de l'exterminer (je dis de l'extirper) au plus vite. Mais le gouvernement n'a pas voulu faire cette promesse. C'eût été montrer quelque condescendance en faveur de l'opinion libérale qui réclame un acte de justice, l'exécution de son programme.

On a dit : Le ministère reste fidèle à son programme; il n'a rien oublié de ce qu'il a promis. Mais il ne fait pas cesser un grief qui résulte de la loi sur l'instruction primaire, grief que lui reproche le libéralisme; car la réponse qu'a faite hier le gouvernement, revient à dire qu'il lui est impossible pour le moment de donner satisfaction au vœu en quelque sorte général du pays.

Ce qu'il y a de vrai, c'est que l'opinion libérale a proclamé, dans son programme de 1846, que les principes de la loi sur l'enseignement primaire sont incompatibles avec les principes du libéralisme. On vient, à ce sujet, nous effrayer nous autres qui restons fidèles à ces principes, avec le mot de socialisme, de communisme.

On nous a dit que ceux qui veulent attaquer la loi sur l'instruction primaire, voudraient, pourraient rendre ces idées dominantes. Ces allégations, messieurs, on les repousse. On sait que c'est grâce au libéralisme, comme l'a dit l'honorable M. Delfosse, que le pays est resté calme comme il l'était intérieurement, comme il l'est encore. L'opinion a eu foi j dans le libéralisme, qui s'est montré digne de cette confiance.

Rien donc ne peut justifier la lenteur que le cabinet voudrait mettre à présenter le projet de révision que le pays réclame.

Si le cabinet persiste à dire qu'il ne présentera pas dans le plus bref délai possible les deux projets de loi sur l'enseignement moyen et primaire, cela prouve bien que, sous ce rapport, nous n'avons rien à attendre de ce cabinet, que nous nous étions plu à voir arriver aux affaires et à soutenir, et cela, messieurs, m'inspire l'impression la plus pénible.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'incline à penser, malgré le discours peu bienveillant en quelques parties de l'honorable membre, que nous sommes d'accord avec lui.

L'honorable préopinant ne peut pas trouver mauvais que j'aie exprimé le vœu de voir la chambre paisible, tranquille, non irritée, examiner les questions d'instruction publique. Je le tiens pour homme trop raisonnable, pour désirer que ces lois soulèvent des passions.

J'ai dit que, dans les circonstances actuelles, il n'était pas désirable qu'une pareille loi vînt semer l'irritation dans la chambre et dans le pays, et je crois que tous les hommes sages reconnaîtront encore avec moi que ce qu'il y a de plus utile, de plus important, de plus national dans ce moment, c'est de maintenir l'union et le calme qui règnent dans le pays.

Ce n'est pas à dire que si nous reconnaissions qu'une loi est nécessaire, indispensable, urgente, nous n'affrontions cet inconvénient de semer une certaine irritation dans la chambre. Mais nous pensons que le moment actuel ne serait pas bien choisi.

J'ai trouvé, messieurs, d'autres raisons pour appuyer l'ajournement des deux projets. J'ai donné, je pense, des motifs de nature à plaire à toutes les opinions généreuses. J'ai dit que les dispositions de la chambre, que la situation du trésor ne permettraient pas de doter l'enseignement moyen, et même l'enseignement primaire aussi largement que nous voudrions le faire. N'est-ce pas là encore une raison puisée dans les circonstances, qui doit nous engager à ajourner cette discussion?

Messieurs, je n'ai pas dit, comme vient de le répéter l'honorable député d'Audenarde, que la loi d'enseignement primaire était très bonne. La sténographie du Moniteur n'a pas reproduit l'expression dont je me suis servi. Je ne l'ai pas rétablie non plus. Voici ce que j'ai dit. On attaquait la loi d'enseignement primaire comme essentiellement vicieuse. J'ai répondu que la loi, libéralement appliquée, largement interprétée, était bonne, mais que cependant elle devait être révisée dans plusieurs de ses dispositions ; je l'ai répété à satiété; et je trouve peu équitable, en quelque sorte inique, de ne reproduire ici que la moitié de ma proposition.

Messieurs, l'honorable préopinant vient de parler au nom de l'opinion libérale. Eh bien, je crois que le gouvernement représente l'opinion libérale tout aussi fidèlement, tout aussi loyalement, tout aussi énergiquement que l'honorable préopinant. Si l'honorable préopinant se défie de nos paroles, si l'honorable membre croit que les promesses émanées du banc ministériel sont des promesses vaines, je l'engage à s'associer à un vote de défiance contre le cabinet. Les positions seront nettes. Nous verrons combien nous comptons, dans la chambre, de libéraux hostiles au cabinet libéral.

Je ne peux voir, dans l'adhésion donnée à la motion qui vous est faite, après les explications fournies, qu'un acte de défiance contre le cabinet, acte immérité, acte inexplicable.

Je sais qu'il y a dans l'opinion libérale des nuances se disant plus avancées. L'honorable préopinant appartient peut-être à l'une de ces nuances. Qu'il la suive; je ne lui en fais pas un crime. Mais je répète que nous ne pouvons pas accepter la proposition dans les termes où elle est faite, appuyée surtout des motifs qui ont été donnés hier par l'honorable député de Namur, et reproduits aujourd'hui par l'honorable député d'Audenarde.

Le gouvernement déposera un projet de loi. Il le fera dans le moment où il jugera que ce dépôt peut avoir lieu d'une manière utile et opportune. Tardera-t-il à le présenter? Chaque jour la chambre peut user de son droit pour mettre le gouvernement en demeure d'exécuter ses promesses. Dès lors, cette espèce d'avertissement qu'on dépose sur le bureau, devient un acte complètement inutile, s'il ne renferme une hostilité. Comme inutile ou comme hostile, nous devons le repousser.

M. Deliége. - M. le ministre de l'intérieur vient de dire que la motion de l'honorable M. Lelièvre et celle de l'honorable M. Jullien, car elles se confondent dans certains points, étaient inexplicables. Messieurs, si ces motions, lorsqu'elles ont été présentées, étaient inexplicables, elles s'expliquent par les paroles qui ont été prononcées par M. le ministre de l'intérieur dans la séance d'hier.

C'est pour demander une explication catégorique de ces paroles que je vous entretiens encore quelques instants.

Le ministère ne doit pas trouver mauvais qu'un député soit susceptible, lorsqu'il s'agit d'un principe qui a causé autant d'émotion dans le pays. Car vous savez tous, messieurs, combien a été vive l'émotion produite dans le pays, par cette question de l'indépendance du pouvoir civil. La plupart d'entre vous ont lutté pour obtenir cette indépendance.

Eh bien ! On a prononcé hier (dans la chaleur de l'improvisation, peut-être), des paroles qui ont besoin d'être expliquées, sur lesquelles je prie le ministère de nous donner une explication toute amicale.

Le ministre approuve-t-il ou n'approuve-t-il pas les principes déposés dans la loi du 23 septembre 1842 quant à l'enseignement de la morale?

Remarquez-le bien, messieurs, dans cette loi de l'enseignement (page 766) primaire se trouvent des articles qui vont tout à fait à l’encontre de l'indépendance du pouvoir civil.

Parcourons, messieurs, trois articles seulement.

Je prends l'article 6. Il dit: « L'instruction primaire comprend nécessairement l'enseignement de la religion et de la morale. » Rien de mieux ; nous désirons tous que l'instruction primaire comprenne l'enseignement de la religion et de la morale.

Un autre paragraphe dit : « L'enseignement de la religion et de la morale est donné sous la direction des ministres des cultes. » Voilà donc le pouvoir civil qui abdique la direction, non seulement en matière d'enseignement religieux, mais encore quant à l'enseignement de la morale, (interruption.) Le prêtre n'est pas plus que tout autre, exclusivement apte à enseigner la morale.

M. Dumortier. - Et la religion?

M. Deliége. - Je supplie l'honorable M. Dumortier de ne pas m'interrompre. Je ne suis pas habitué à porter la parole devant une assemblée pour qui j'ai tant de respect. Il pourra me répondre.

Je disais que les ministres des cultes avaient seuls, suivant l'article 6 de la loi sur l'enseignement, le droit de diriger non seulement l'enseignement de la religion, mais encore l'enseignement de la morale.

Ils interviennent, à titre d'autorité, dans l'école pour diriger cet enseignement, et cette autorité est d'autant plus grande, plus absolue, qu'elle est exclusive.

L'article 7 ajoute que les délégués des ministres des cultes ont droit à une surveillance de tous les jours sur l'école.

« Les ministres des cultes auront en tout temps, dit le paragraphe 3 de cet article, le droit d'inspecter l'école. »

Suivant le paragraphe 4, le gouvernement doit encore abdiquer le droit de diriger les réunions cantonales, sous le rapport de l'enseignement de la morale.

Suivant le paragraphe 6, il suffit aux évêques de faire connaître au ministère le personnel et l'organisation de l'inspection ecclésiastique.

Le gouvernement doit accepter, selon le bon plaisir des évêques, et ce personnel et cette organisation auxquels il n'a rien à voir, rien à dire.

Enfin, messieurs, venons à l'article 9. Que dit cet article?

« Les livres destinés à l’enseignement de la morale ... sont approuvés par les chefs des cultes seuls. »

Ainsi donc, ici encore le pouvoir civil abdique quant à l'enseignement de la morale, il se soumet à la censure des évêques.

Le même article 9 ajoute : « Les livres de lecture employés en même temps à l'enseignement de la religion et de la morale, sont soumis à l'approbation commune du gouvernement et des chefs des cultes.3

C'est encore ici, messieurs, la censure ; le gouvernement approuve un livre de lecture qui doit servir à l'enseignement de la morale ; le chef du culte ne veut pas l'approuver; le gouvernement n'a plus qu'à s'incliner devant cette décision souveraine, sans appel.

Je vous le demande, le pouvoir civil n'est-il pas abaissé alors? N'est-il pas amoindri ? L'indépendance ne devient-elle pas alors de la dépendance? Cette censure, ce veto, attribué aux chefs des cultes par l'article 9, n'est-il pas un droit inqualifiable ?

Je pourrais borner ici mes observations, mais l'interruption qui a été faite tantôt quant à l'enseignement de la morale.

M. Dumortier. - De la religion.

M. Deliége. - Les articles de la loi sur l'enseignement, que j'ai cités, s'appliquent non seulement à l'enseignement de la religion, mais encore à l'enseignement de la morale.

Je disais, lorsque l'honorable M. Dumortier m'a interrompu, que sa première interruption m'obligeait de donner encore quelques explications.

Qu'est-ce que c'est que la morale? Nous le savons tous; l'honorable M. Destriveaux nous l'a dit hier : la morale est universelle; c'est le code des lois qui règlent les rapports de l’homme envers l'homme; de l'homme envers la société; de l'homme envers Dieu !

Le pays entend-t-il donner exclusivement au prêtre le droit d'enseigner à la jeunesse, les droits et les devoirs qui résultent de ces rapports ? de tous ces rapports?

Déclarez-vous nos instituteurs incapables d'enseigner la morale? Abdiquez-vous quant au droit de diriger cet enseignement dans l'école? dans les réunions cantonales?

N'avez-vous à examiner, ni à approuver les livres servant au même enseignement ?

Quand vous aurez approuvé les livres de lecture, les soumettrez-vous à la censure des chefs des cultes ?

Suivant la loi que vous avez déclarée bonne, vous devez les soumettre.

Que devient alors la Constitution qui a aboli la censure, qui a proclamé la liberté de la presse? Que devient la dignité du gouvernement ?

Direz-vous encore qu'il n'est pas urgent de réformer la loi du 23 septembre 1842?

Voilà, messieurs, les doutes, les doutes fondés qui m'ont fait provoquer une explication franche et sincère de la part d'un cabinet en qui j'ai confiance.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable préopinant vient de faire un appel au ministère. Il demande des explications franches et catégoriques, mais je pense qu'il a oublié de dire ce qu'il désirait de plus explicite que les déclarations que je viens faire. C'est d'une manière vague, générale, sur un principe...

- Un membre. - Il a cité des articles.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'a pas interpellé le ministère sur telles ou telles dispositions, il les a fait servir au développement de sa pensée. Il demande des explications catégoriques sur des paroles prononcées hier par mon honorable collègue le ministre de l'intérieur, c'est ainsi qu'il s'est exprimé.

J'ai rappelé tout à l'heure, messieurs, quels étaient les principes du ministère, j'ai renouvelé tout à l'heure la déclaration que la loi serait révisé; j'ai invoqué les souvenirs de la chambre sur la loyauté du ministère dans l'accomplissement de ses promesses. Nos principes d'une part, de l'autre la déclaration formelle que la loi sera révisée, c'est assez. S'il reste après cela des doutes à l'honorable préopinant, j'en ai du regret; mais je renonce à les dissiper. (Interruption.)

Je vous déclare que je refuse formellement comme indigne de moi, de subir un interrogatoire sur faits et articles, relativement à mes principes. Je ne reconnais à personne le droit de me faire subir un pareil interrogatoire. Lorsque le ministère apportera la loi qu'il promet, on appréciera son œuvre.

Messieurs, une politique se compose de principes généraux ; le ministère a formulé ses principes ; on les connaît; on les approuve. On s'écrie même : nous avons confiance dans le ministère, nous comptons des amis au ministère; nous les aimons, nous les adorons ; quant à croire qu'ils appliqueront les principes qu'ils ont proclamés, c'est autre chose, nous demandons des explications. Eh bien, messieurs, vous comprendrez le sentiment qui m'inspire, ces explications, je refuse de les donner.

M. Lelièvre (pour un fait personnel). - Je crois d'abord devoir protester contre l'intention qu'on m'a supposée. La proposition que j'ai déposée conjointement avec mes honorables collègues, n'a pas été dictée par un esprit hostile au ministère. Je l'ai trouvée formulée dans le rapport de la section centrale, dont le personnel n'était pas certes animé de dispositions peu bienveillantes envers le cabinet. En conséquence, notre proposition n'a pas le caractère qu'on lui prête... (Interruption.)

M. le président. - Ce n'est pas un fait personnel. Vous aurez la parole après M. de Mérode.

- La clôture est demandée.

M. de Mérode (sur la clôture). - Je n'aurais pas mieux demandé qu'on eut prononcé la clôture au commencement de la séance ; mais puisque depuis on a dit une foule de choses, j'aurais désiré pouvoir y répondre quelques mots.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Nous avons deux motions d'ordre, celle de M. Jullien, et celle de MM. Lelièvre, de Perceval et autres. La proposition de M. Jullien est plus large que celle de MM. Lelièvre et consorts ; c'est donc à celle-là qu'il faudrait donner la priorité dans le vote.

M. Jullien. - Je dois dire à la chambre que je n'accepte que les commentaires que j'ai donnés à ma motion d'ordre; je l'ai présentée, et elle reste dégagée de tout sentiment de défiance.

M. Lelièvre. - Je fais la même déclaration pour la motion d'ordre que j'ai signée.

M. Pierre. - Il y a trois parties distinctes dans la proposition de M. Jullien ; je demande la division.

M. le président. - La division est de droit.

Messieurs, on pourrait voter de cette manière-ci : la proposition Je MM. Lelièvre et consorts constitue une partie de la proposition de M. Jullien ; on pourrait voter sur cette première proposition ; sauf à revenir ensuite à la partie de la proposition de M. Jullien, qui ne se trouve pas dans la motion d'ordre de MM. Lelièvre et consorts. (C'est cela!)

Ainsi, je mets aux voix la motion d'ordre de MM. Lelièvre, de Perceval et autres.

- Des membres. - L'appel nominal !

Il est procédé à cette opération.

En voici le résultat :

94 membres ont répondu à l'appel nominal.

17 membres ont répondu oui.

77 ont répondu non.

En conséquence, la motion d'ordre de M. Lelièvre n'est pas adoptée.

Ont répondu oui : MM. Cumont, Dautrebande, David, Debourdeaud'huy, Delfosse, Deliége, de Perceval, Destriveaux, Jouret, Jullien, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Moxhon, Pierre, Sinave et Ansiau.

Ont répondu non : MM. Coomans, de Baillet (H.), de Baillet-La tour, de Bocarmé, de Brouckere (Ch.), de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Chimay, de Denterghem, de Haerne, Delehaye, Delescluse, d'Elhoungne, de Liedekerke, de Luesemans, de Meester, de Mérode, de Pitteurs, de Renesse, de Royer, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Julliot, Lange, Lebeau, Le Hon, Loos, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Osy, Peers, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Tesch, Thibaut, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Troye, Van Cleemputte, Van den Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alp.), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven , Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Vilain XIIIII, Allard, Anspach, Boedt, Boulez, Bruneau, Cans et Verhaegen.

M. le président. - Reste la première partie de la motion de M. Jullien, relative à l'enseignement supérieur.

(page 767) M. Jullien. - Je la retire.

M. le président. - Nous revenons au budget.

Chapitre XVI. Enseignement supérieur

Article 69

« Art. 69. Traitement des fonctionnaires et employés des deux universités de l'État : fr. 505,000. »

- Adopté.

Article 70

« Art. 70. Bourses. Matériel des universités. Frais de l'enseignement normal près la faculté de philosophie et lettres de l'université de Liège, et près la faculté des sciences de l'université de Gand : fr. 106,800. »

M. Ansiau. - Je m'étonne , messieurs, que le crédit demandé pour bourses universitaires n'ait fait l'objet d'aucune objection dans le sein de la section centrale.

Quant à moi, messieurs , je voterai contre cette allocation, et vous voudrez bien me permettre de vous dire brièvement pourquoi :

L'article 33 de la loi du 27 septembre 1835, sur l’enseignement supérieur, porte que 60 bourses de 400 francs peuvent être décernées annuellement par le gouvernement à de jeunes Belges peu favorisés de la fortune.

L'article 35 de cette même loi, ajoute que 6 bourses de 1,000 francs par an peuvent être décernées par le gouvernement, sur la proposition des jurys d'examen, à des Belges qui ont obtenu le grade de docteur avec la plus grande distinction, pour les aider à visiter les établissements étrangers.

La somme de 36,000 francs portée au budget sous l'article 70 est la conséquence de ces dispositions.

D'après les informations que j'ai prises, le montant intégral de ce crédit s'est trouvé absorbé chaque année depuis 1835 par les collations de bourses. Un renseignement que j'aurais désiré obtenir, ne m'a pas été fourni. J'avais demandé communication des noms des élèves auxquels ces faveurs ont été accordées, et il m'a été répondu que l'on ne livrait pas à la publicité les noms des jeunes gens qui obtenaient les bourses mentionnées à l'article 33 de la loi de 1835, par le motif que ce serait souvent humilier des familles honorables, mais peu fortunées.

J'avoue, messieurs, que cette raison ne m'a pas paru bien concluante. Je crois.au contraire, que le père de famille peu fortuné doit se trouver honoré bien plutôt qu'humilié de la publicité que l'on donnerait à la récompense accordée à son fils. De deux choses l'une, ou la famille de l'élève est de notoriété publique peu fortunée, et alors quel inconvénient trouve-t-on à la publicité; ou bien, selon l'opinion publique, cette famille possède les moyens de faire étudier cet élève à ses frais, et alors je demande comment le gouvernement peut apprécier l'état réel de fortune de cette famille ?

Je suis convaincu que le système suivi peut avoir de fâcheux résultats, peut entraîner des abus.

Je sais bien que certaines formalités sont observées pour la collation des bourses. C'est ainsi que le gouverneur est appelé à donner son avis sur les demandes de cette nature ; que les facultés, et le jury d'examen sont également consultés. Ce sont-là certainement quelques garanties; mais selon moi, il eût fallu y joindre encore la publicité; d'autant plus que le gouvernement n'est nullement tenu ni lié par l'avis des divers corps qu'il a consultés.

J'aime à croire qu'il n'y a pas eu d'abus, mais il eût pu y en avoir, et je pense qu'en ceci, comme en d'autres matières, le doute seul est déjà trop.

Ces réflexions, messieurs, me sont suggérées par le souvenir de ce qui se passait avant 1830. A cette époque aussi, il existait des bourses, fondées en vertu de diverses dispositions, entre autres, je pense, d'un arrêté-loi de 1817. Eh bien, ces bourses étaient presque toujours accordées à des fils de fonctionnaires, souvent de hauts fonctionnaires publics; qui, un fils de référendaire; qui, un fils de conseiller, de directeur, d'inspecteur; qui sais-je? et bien d'autres encore. Si bien qu'une catégorie de citoyens était réellement favorisée, qu'elle avait, en quelque sorte, le privilège de faire étudier ses enfants aux frais de l'Etat. Il est vrai qu'elle avait fini par considérer cette allocation du budget comme constituant une fraction de son patrimoine.

Je répète que je suis loin de croire qu'il en soit encore ainsi aujourd'hui; mais il eût fallu donner toute publicité aux collations de bourses, pour que personne ne pût concevoir de doute à cet égard.

Quoiqu'il en soit pourtant, et comme j'ai eu l'honneur de le dire en commençant, je voterai contre le chiffre du budget.

Les nombreuses fondations de bourses de l'ancienne université de Louvain doivent rentrer, selon moi, dans la main de l'Etat : celui-ci a le droit et le devoir de les dispenser d'une manière équitable entre les diverses universités du pays. Le montant de toutes ces bourses doit former une très grosse somme, que le gouvernement ne peut, sans une criante partialité, abandonner en majeure partie à un seul établissement, sur lequel il ne saurait exercer un contrôle sérieux.

En vain objecterait-t-on la volonté des fondateurs? C'est là une raison qui doit céder devant les considérations d'orbe public, devant la volonté du législateur. D'ailleurs, les fondateurs ont eu seulement ceci en vue, à savoir : de faire quelque chose de bon et d'utile à leur pays. Or, l'Etat est, aujourd'hui qu'ils ne sont plus, le meilleur juge de la manière d'atteindre ce but.

Le respect pour l'immutabilité de la volonté de nos prédécesseurs, ne peut aller jusqu'à l'absurde. Or, ce ferait aller jusqu'à l'absurde que de prétendre que l'Etat, c'est-à-dire la volonté de tous, n'a point le pouvoir de toucher à des dispositions testamentaires faites dans l'intérêt de tous ; qu'il n'a point le droit de toucher à ces dispositions, même pour les améliorer, même pour atteindre plus complètement le but des bienfaiteurs. Prétendre le contraire, c'est violer ce principe qui dit que la lettre tue, mais que l'esprit vivifie.

On l'a dit, si le tombeau de chaque homme fût resté inviolable, il n'y aurait plus depuis longtemps de place sur la terre pour les vivants.

Le droit de l'Etat me semble donc incontestable.

Quant à l'emploi que l'on a fait jusqu'ici des bourses, il ne me semble guère intelligent. En effet, elles ont servi, en majeure partie, à la création de docteurs en droit, de docteurs en médecine. Mais n'est-ce pas là, messieurs, pour emprunter le vocabulaire de nos savants collègues, les économistes, n'est-ce pas là une prime d'encouragement à un produit qui, malheureusement, encombre déjà le marché? S'il est une vérité, c'est que le nombre d'avocats, de médecins, est hors de toute proportion avec le nombre de malheureux clients que la société peut leur livrer.

Pour un homme de l'une ou l'autre de ces professions qui vit honorablement de son état, vous en rencontrez dix qui végètent : avocats sans cause, médecins sans malades.

Malheureusement, heureusement, veux-je dire, les loups ne se mangent pas. Et pourtant ces hommes doivent vivre, et veulent vivre. Or qu'arrive-t-il ? Ici je m'arrête, car ici se déroule l'histoire contemporaine, c'est-à-dire le drame palpitant auquel il nous est donné d'assister. Que d'autres que moi, que de plus éloquents en peignent les mille péripéties; quant à moi, une chose me frappe au milieu de cette si sérieuse comédie sociale, c'est le nombre prodigieux d'avocats, de médecins, de médecins et puis encore d'avocats qui tiennent les principaux emplois, qui remplissent les principaux personnages. Tant d'avocats, tant de médecins, les affaires étaient donc bien embrouillées ; le corps social était donc bien malade !

Redoutons, messieurs, le danger qui peut résulter de l'encombrement dans les professions libérales.

Arrêtons-nous pour quelque temps ; cessons de marcher dans la voie suivie jusqu'à ce jour. Encourageons le gouvernement dans ses projets, relativement à l'enseignement agricole. Que le gouvernement accorde des subsides aux établissements particuliers, à la condition d'y donner un cours d'agronomie, et de sciences physiques et chimiques qui s'y rattachent. Le droit d'inspection serait stipulé, et l'on n'accorderait le subside qu'autant que les conditions du programme se trouvassent remplies.

Faisons donc, messieurs, tout nous y convie, d'intelligents laboureurs : ils ennobliront la charrue, et feront sortir en abondance avec son soc des richesses pour eux et pour la société entière.

L'araire antique a civilisé le vieux monde, la charrue moderne pacifiera la société actuelle.

Ne votons donc pas l'allocation demandée ; gardons nos bourses : nous pouvons en faire un bien meilleur usage.

Permettez-moi, messieurs, avant de me rasseoir, de vous présenter quelques considérations sur la position que l'on a faite à quelques-uns de vos nouveaux collègues.

Nous savons maintenant, par expérience, à quoi chacun de nous s'expose, lorsque, tout en remplissant consciencieusement son mandat de député, il n'est pas de l'avis du ministère sur certaines questions. Ai-je besoin de vous rappeler, messieurs, la manière dont la presse ministérielle a accueilli le langage franc de quelques-uns d'entre nous ? Il faut voir, messieurs, dès le lendemain de la séance, où un pareil langage a été tenu, il faut entendre quel concert d'injures, de calomnies s'élève de cette presse ; il faut lire ces compte rendus infidèles, travestis et où l'on s'attache systématiquement à déverser l'odieux et le ridicule sur les élus de la nation.

Oui, la position qu'on nous a faite, messieurs, est bien étrange ! Quoi ? nous qui sommes venus ici pour soutenir, pour défendre au besoin un ministère libéral, nous, dont la coopération n'a pas été inutile au résultat des élections de 1847, élections qui ont déterminé l'avènement des hommes qui sont aujourd'hui au pouvoir ; nous, qui sommes entrés ici en amis; c'est à notre égard, c'est vis-à-vis de nous qu'on agit de la sorte.

Si c'est ainsi qu'on traite ses amis, ses adhérents, comment traitera-t-on ses adversaires, ses ennemis? Il serait difficile de se l'imaginer, à moins qu'on n'eût recours à des procédés diamétralement opposés, à moins qu'on ne caressât ceux-ci, à moins qu'on ne les serrât contre son cœur. Soit, mais alors qu'on se souvienne du baiser Lamourette.

Quant à nous, ce serait se tromper étrangement que de croire qu'on nous ôtera , par cette tactique, l'envie de dire ce que nous croyons la vérité.

Nous ne reculerions pas plus devant le despotisme armé que devant ces Zoïles de la presse maniant l'injure et la diffamation.

Pardonnez-moi, messieurs, l'expression un peu vive des sentiments que j'éprouve ; mais je suis profondément humilié lorsque je vois l'un ou l'autre de mes collègues insulté, bafoué par certains étrangers qui usent si mal de l'hospitalité qu'ils ont trouvée parmi nous.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable membre se plaint de l'hostilité de la presse qu'il appelle ministérielle, à l'égard d'un certain nombre d'amis du cabinet, parmi lesquels il veut encore bien se ranger. Mais le reproche qu'il vient d'exprimer ne s'adresse pas au cabinet; il n'entend pas rendre le cabinet responsable de l'appréciation des discours des honorables membres de cette chambre, qui peut se trouver dans la presse qui soutient quelquefois les actes du cabinet.

Sous ce rapport, il y a liberté entière chez tous les journaux. Le gouvernement n'a aucun journal à sa dévotion, il livre ses actes à la libre appréciation de tous les journaux. Si nous voulions récriminer, entretenir la chambre des injures et des calomnies que nous trouvons dans les journaux qui n'ont pas trop d'encens à jeter aux pieds de certains membres, nous n'en finirions pas.

(page 768) Quand on entre dans la vie publique sous le drapeau du libéralisme hardi, avancé, il faut avoir plus de tolérance pour ces sortes d'écarts de la presse. Les ministres reçoivent les premiers coups, les coups les plus violents et ils ne s'en plaignent pas. J'engage l'honorable membre à en agir comme nous. Du reste, je n'ai pas remarqué dans les journaux d'injures ou de calomnies à l'endroit de l'honorable M. Ansiau. Pour ma part, je déclare être complètement étranger, directement ou indirectement aux comptes rendus des séances qui se trouvent dans les journaux de Bruxelles et d'ailleurs. L'honorable M. Ansiau ne rendra pas sans doute le gouvernement responsable de ces comptes rendus.

Il y aurait de sa part injustice, comme il y en aurait de notre part, à le rendre responsable des injures que les journaux qui le louent, adressent aux ministres. Je l'engage donc à continuer à remplir franchement, loyalement son devoir de député et à laisser la presse apprécier comme elle l'entend ses actes et ses discours. J'ajouterai que les journaux n'étant pas là pour se défendre, il ne convient pas de faire descendre dans cette enceinte un fait personnel à leur adresse.

M. Ansiau. - Je conçois parfaitement, messieurs, que le ministère proteste avec énergie contre l'idée qu'il entretienne des rapports avec certains journaux. Ce serait là, en effet, un cas très grave. Soit, il est donc entendu que l'appui qu'il trouve dans la presse, est complètement désintéressé, sympathique même.

Je n'ai pas dit, je n'ai pas fait entendre que ce fût précisément à beaux deniers comptants que l'on acquiert ce concours. Eh ! messieurs, qui ne sait que le gouvernement dispose de tant de moyens; qu'il a constamment sous la main, un arsenal d'attraits, de séductions assez formidable pour que nous puissions nous expliquer le dévouement, l'amour platonique, si l'on veut, qu'il a sn inspirer aux journaux dont il s'agit?

Eh bien, encore dans ce cas, messieurs, nous serions en droit de reprocher au ministère de laisser déloyalement attaquer des membres de cette assemblée, lorsqu'il suffirait du moindre désir exprimé par lui, pour qu'il en fût autrement.

M. Orts. - Ce serait le rétablissement de la censure.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est une singulière idée de l'indépendance du journaliste ; c'en est une bien pauvre idée. La fin du discours de l'honorable membre n'est qu'un simple extrait de l'un de ces nombreux journaux qui, chaque jour, nous assaillissent d'injures et de calomnies, tandis qu'ils réservent leurs douceurs, leurs aménités pour les représentants de certaine opinion. Loin de nous cependant l'idée de leur attribuer ces moyens de persuasion que l'honorable membre met si bénévolement à notre disposition.

Quant à nous, nous déclarons que tout ce qui est écrit est complètement indépendant de nous; nous ne pouvons, ni par signes ni par aucun moyen, engager des écrivains à changer d'opinion. Une politique qui réunit la presque unanimité des voix dans la chambre et dans le pays peut, sans être soupçonnée de corrompre, rencontrer quelques sympathies dans les organes de la presse. Avouez-le, sous ce rapport, on ne gâte pas le ministère. Je lis quelquefois dans les journaux qui apprécient les actes du ministère, comme la majorité les apprécie, en vertu du même droit, de la même liberté d'action, je lis des articles dont je regrette la vivacité.

Est-ce un motif pour me poser en censeur ? Pourrai-je dire : vous attaquerez monsieur un tel, vous défendrez monsieur un tel? Je ne connais pas de journaliste qui voulût s'abaisser à un pareil rôle ; je n'en connais pas et je ne voudrais pas avoir affaire à lui.

L'organe du gouvernement est le Moniteur. Il lui livre ses actes. Il est loin de désavouer les journaux qui les approuvent, il les en remercie, mais il ne les en récompense pas. Il y a plus que de la légèreté à se livrer à de pareilles insinuations vis-à-vis du ministère. Je porte à l'auteur de ces insinuations le défi le plus formel d'indiquer un moyen par lequel le gouvernement exercerait à son profit une action sur la presse.

Le gouvernement a pour appui ses actes, sa conduite politique. Il a la confiance que l'opinion publique le soutient comme jamais peut-être ministère n'a été soutenu. Il a de nombreux amis, de nombreux appuis dans cette chambre, le vote d'aujourd'hui le prouve; il faut bien qu’il en rencontre aussi dans la presse.

Si je présumais moins du caractère honorable du député de Soignies, je pourrais penser que tout à l'heure, le vote qu'il a émis n'a été que la conséquence d'un article puisé dans un journal qu'il qualifie de ministériel. Je crois que, sous ce rapport, il aurait à regretter son vote. Je l'engagerais alors à ne pas faire payer au ministère les petits désagréments qui peuvent résulter pour lui de la polémique des journaux. Qu'il les accepte comme nous.....philosophiquement.

M. Lelièvre. - J'admets volontiers la déclaration de M. le ministre de l'intérieur; il en résulte que celui-ci désavoue les journaux dont se plaint l'honorable M. Ansiau.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai rien à avouer ni à désavouer.

M. Lelièvre. - A cette occasion , qu'il me soit permis d'exprimer le désir que le ministère répudie aussi certaine correspondance du Journal de Liège, dans laquelle on ne craint pas de déverser l'outrage sur l'un de nos honorables collègues, M. de Perceval, à l'aide de documents puisés dans les bureaux du ministère. Je suis certain que celui-ci est étranger à semblable communication, mais enfin il me paraît utile qu'il s'explique à cet égard.

M. de Perceval. - Je prie la chambre de ne pas prolonger ce débat, soulevé, à mon regret, par les honorables préopinants. Je suis au-dessus de cette misérable polémique ; elle m'émeut fort peu. Je demande instamment que l'on continue la discussion sur l'instruction primaire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je n'ai absolument rien à avouer ni à désavouer dans la polémique de la presse. Si nous établissions un débat parlementaire sur ce terrain, j'aurais des interpellations à adresser à l'honorable M. Lelièvre. Je lui demanderais s'il avoue ou s'il désavoue les injures qui nous sont adressées par un journal de Namur où il reçoit tous les jours les plus flamboyants éloges.

M. Lelièvre. - Je n'ai à répondre de mes actes que comme député, et sous ce rapport je ne dois pas répondre à des interpellations étrangères à cette qualité, tandis que M. le ministre est interpellé comme ministre et doit s'expliquer comme revêtu de ces fonctions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'est pas ministre pour être injurié.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous ne pouvons admettre la prétention de M. Lelièvre.

M. le président. - Ce débat n'est pas parlementaire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas nous qui l'avons provoqué.

M. le président. - Il n'est pas de la dignité de la chambre de le continuer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dis que chaque fois qu'on demandera compte au ministère d'un article publié dans un journal qui le soutient, les ministres auront le droit de demander aux députés d'expliquer ou de désavouer les articles insérés dans les journaux qui les soutiennent.

M. Lelièvre. - Je n'admets pas cette doctrine.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne vois pas pourquoi on réserverait contre les ministres seuls le monopole de l'injure et de la calomnie.

M. le président. - Le débat est terminé. La parole est à M. de Luesemans.

M. de Luesemans. - Messieurs, je regrette de ne pouvoir pas continuer à égayer ce débat, mais j'ai à répondre à une partie sérieuse du discours de l'honorable M. Ansiau.

L'honorable orateur a annoncé qu'il voterait contre l'allocation demandée ; il en est bien le maître et je n'aurais pas à m'occuper de sa résolution, s'il n'y avait un des motifs qu'il a allégués contre lequel je dois protester, en expliquant un peu, ce qui semble souvent trop peu connu, trop mal apprécié, surtout hors de cette enceinte.

Pour remplacer la somme demandée par le gouvernement, savez-vous, messieurs, si j'ai bien compris, à quel remède héroïque l'honorable orateur engage le gouvernement à recourir? Il lui propose tout simplement de mettre la main sur les bourses attachées, d'après lui, à l'université de Louvain !

Messieurs, cette proposition conduirait directement à renverser une formule fort en crédit dans certaines régions, où l'on dit que la propriété c'est le vol, et à la remplacer par celle autre formule le vol c'est la propriété !

C’est pour démontrer que l'honorable orateur arrive bien involontairement, sans doute, à cette conséquence, que j'ai principalement demandé la parole.

En effet, messieurs, il n'y a pas de bourses attachées spécialement à l'université actuelle de Louvain ; il existe bien dans la ville de Louvain, certaines administrations, d'anciennes bourses d'études, dont l'administration est confiée aux termes des règlements et arrêtés existants à des administrateurs, proviseurs, collateurs, etc. ; ces bourses sont toutes ou presque toutes instituées par des particuliers, et la collation dépend de circonstances tout à fait en dehors de l'action du gouvernement. Ces bourses appartiennent au fond à ceux qui réunissent les conditions déterminées par les actes de fondations, et auxquels les collateurs ont cru devoir les déférer.

Mais il est tout à fait inexact de dire que le gouvernement pourrait mettre la main sur le produit de ces bourses; ce serait une vraie spoliation contre laquelle je proteste de toutes mes forces.

Tout ce que le gouvernement peut faire, avec de grandes réserves, c'est de surveiller l'usage, que font les collateurs du droit qui leur est conféré par la loi ; tout ce qu'il est désirable qu'il fasse, c'est qu'il cherche à coordonner pas une bonne loi, les diverses jurisprudences qui se sont formées sur la matière, à la suite de nombreuses procédures qui ont jeté quelqu'incertitude dans la matière.

Et je suis en mesure de l'apprécier, c'est ce que déjà le gouvernement a cherché à réaliser. Il a, en effet, institué une commission d'état, dont j'ai l'honneur de faire partie, et qu'il a chargée d'élaborer un projet de loi qui sera ensuite soumis à la législature, et qui aura pour but de coordonner les diverses dispositions aujourd'hui éparses, sur l'importante matière des fondations d'instruction.

En attendant, je crois que l'honorable M. Ansiau fera très bien de se borner à voter contre l'article, et à s'abstenir d'engager le gouvernement à mettre la main sur une propriété aussi sacrée que toute propriété privée.

- L'art. 70 est mis aux voix et adopté.

Articles 71 et 72

« Art. 71. Frais du jury d'examen pour les grades académiques : fr. 20,000. »

- Adopté.


(page 769) « Art. 72. Dépenses du concours universitaire : fr. 10,000. »

- Adopté.

Chapitre XVII. Enseignement moyen

Article 73 et 74

« Art. 73. Traitement de l'inspecteur des athénées et collèges : fr. 5,000. »

- Adopté.


« Art. 74. Frais de tournées et autres dépenses de l'inspection des athénées et collèges ; partie des dépenses du concours de l'enseignement moyen : fr. 5,000. »

- Adopté.

Article 75

« Art. 75. Litt. A. Subsides annuels aux athénées et partie des frais du concours : fr. 193,500.

« Litt. B. Subsides annuels aux écoles commerciales et industrielles : fr. 67,500.

« Ensemble : fr. 261,000. »

M. Prévinaire, rapporteur. - Le rapport vous fait connaître qu'il y a à cet article, une augmentation de 51 mille francs, sur le crédit de 1848; une note, en marge des développements, p. 247, explique l'origine de cette augmentation qui provient uniquement de deux transferts.

Un de ces transferts consiste en une somme de 22 mille francs, primitivement portée à un autre article du budget. Ces 22,000 francs représentent le montant des subsides accordés aux écoles commerciales et industrielles de Wavre, de Fleurus et autres.

M. le ministre de l'intérieur demande qu'un nouveau transfert de 2,000 francs soit effectué de l'article 78 à l’article 75, afin d'augmenter les cours de l'école commerciale de Fleurus. La section centrale n'a pas eu la moindre objection à faire contre ce transfert et elle en propose l'adoption à la chambre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, depuis la présentation du budget, une localité importante du Hainaut a demandé, comme encouragement à la fondation d'une école industrielle, un subside de 3,000 fr. Si cette somme était ajoutée au crédit, je pourrais, dès cette année, mettre cette ville, qui appartient à l'arrondissement de Soignies, en état de fonder un établissement très utile.

Je demande donc une augmentation de 3,000 fr. à l'article 75.

M. le président. - Ainsi il y a deux propositions : l'une de M. le ministre de l'intérieur, qui demande une augmentation de 3,000 francs pour subside à l'école industrielle d'Enghien ; l'autre de M. le rapporteur, qui tend à opérer un transfert de 2,000 francs, de l'article 78 à l'article 75.

Le chiffre total de l'article 75 serait ainsi de 266,000 fr.

M. Thibaut. - Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il ne trouverait pas convenable de nous donner une explication sur les bases qui ont servi à la répartition du crédit demandé.

Dans le tableau joint au budget, nous voyons figurer certains établissements qui ont des subsides très considérables, d'autres qui n'ont que des subsides peu importants. Je désirerais savoir si l'on suit une règle uniforme dans la répartition du crédit global.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On peut voir, messieurs, à l'inégalité de la répartition du subside, qu'on n'a pas en général suivi une règle très fixe. La règle doit être de proportionner le subside à l'importance de l'établissement.

La plupart de ces subsides sont déjà fort anciens. Ils ont été introduits successivement à chaque budget. C'est sans doute ce qui a empêché d'établir entre ces subsides une sorte d'équilibre.

Lorsque la loi sur l'enseignement moyen sera faite, il y aura peut-être lieu de revenir sur diverses allocations; mais, provisoirement, je dois les maintenir, attendu que les établissements auxquels ils sont accordés, ont réglé leurs dépenses sur le subside qu'ils reçoivent, et que le retrancher ou le diminuer serait porter préjudice à ces établissements.

M. Jullien. - Messieurs, dans le tableau de répartition de la somme de 195,500 fr. formant le littera A de l'article 75 du budget, je lis que l'école primaire supérieure de Thuin jouit d'un subside de 3,000 fr. pour des classes latines annexées à cette école ; que l'école primaire supérieure de Virton touche au même titre 2,000 fr. et l'école primaire supérieure de Marche 1,200 fr.

L'article 33 de la loi sur l'enseignement primaire porte que la part contributive du gouvernement pour l'établissement des écoles primaires supérieures, ne peut en aucun cas dépasser 3,000 fr. annuellement.

Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien faire connaître à la chambre si les écoles primaires supérieures de Thuin, de Virton et de Marche jouissent d'un subside annuel de 3,000 fr., indépendamment des subsides qui leur sont affectés dans le tableau de répartition de la somme de 195,500 fr.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne suis pas l'auteur de ces subsides spéciaux destinés à des cours latins annexés à quelques écoles primaires supérieures. J'ai trouvé ces subsides établis. Je pense qu'ils sont indépendants de la somme de 3,000 fr. accordée à chaque école primaire supérieure. Chacune de ces écoles reçoit un subside de 3,000 fr., plus un subside spécial destiné aux classes latines.

M. Jullien. - J'ai, messieurs, quelques raisons de m'étonner que M. le ministre de l'intérieur accorde des subsides spéciaux aux écoles primaires supérieures que j'ai indiquées, lorsque j'ai entendu, dans une de nos dernières séances, M. le ministre nous dire : « Nous croyons qu'il faut maintenir l'enseignement humanitaire, l’enseignement classique, je le répète; mais il y a aussi de graves inconvénients, à l'époque où nous sommes, à multiplier, outre mesure, cette sorte d'enseignement. Ainsi, pour le dire tout de suite, je ne crois pas qu'il soit utile qu'un grand nombre de petites localités renferment des écoles latines; je crois qu'il faut le restreindre à un certain nombre de localités importantes du pays. »

Vous voyez, messieurs, que M. le ministre de l'intérieur s'est chargé lui-même de faire justice des subsides qu'il alloue pour des établissements dont l'utilité ne lui est pas démontrée.

Ces subsides, messieurs, alloués à des écoles primaires supérieures, constituent un véritable privilège vis-à-vis des écoles primaires d'autres arrondissements, qui ne jouissent pas de subsides égaux; toutes les écoles primaires supérieures devraient être traitées sur le même pied.

Je demanderai, en conséquence, que le chiffre du litt. A de l'article 75 soit réduit à la somme de 187,500 francs. (Interruption.)

La loi sur l'enseignement primaire dispose textuellement que le gouvernement ne pourra accorder, à titre de subsides, aux écoles primaires supérieures, qu'une somme de 5,000 francs. Je signale trois écoles primaires supérieures qui, indépendamment de ce chiffre annuel de 5,000 francs, touchent encore, comme prétendus collèges, une somme de 6,200 francs. Je crois qu'il a été dans la pensée du législateur de 1842, de supprimer tous les subsides précédemment accordés à de petits collèges qui seraient érigés en écoles primaires supérieures, et de ne leur maintenir qu'un subside normal de 3,000 francs.

Dans l'état actuel des choses, les écoles primaires supérieures de Thuin, Virton et Marche sont dotées d'un subside annuel de 3,000 francs et, indépendamment de ce subside, elles touchent encore sur le budget une somme de 6,200 francs par an. Je demande pour quel motif on accorderait plutôt cette faveur à ces écoles qu'à toute autre école primaire supérieure? Je demande pourquoi ces écoles sont plus favorisées que certains collèges qui n'ont aucun subside de l'Etat et rendent plus de services à l'instruction? Me fondant sur le texte de la loi, sur le discours de M. le ministre de l'intérieur, qui a fait ressortir l'inutilité des classes latines annexées aux petites écoles primaires supérieures, je crois pouvoir demander une réduction de 6,200 francs sur le chiffre en discussion.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, l'honorable membre a fait valoir la loi sur l'instruction primaire à l'appui de son amendement; mais, au fond, nous ne voyons là, de nouveau, qu'une espèce de lutte d'arrondissement à arrondissement. (Interruption.) On nous l'a avoué, messieurs, on nous a dit : « Pourquoi les autres arrondissements du Luxembourg n'ont-ils pas aussi 3,000 fr. ? »

M. Jullien. - Les autres provinces aussi. C'est la même chose.

M. Ch. de Brouckere. - Je tiens à une chose, messieurs, c'est à vous montrer que le subside est légal, et j'espère que, si le subside est légal, vous ne le refuserez pas, à la veille d'une réforme de l'enseignement moyen.

Le subside est légal, parce qu'on ne le donne pas à l'école primaire supérieure considérée comme telle; et cela est si vrai qu'il figure au budget sous la rubrique de l'enseignement moyen ; on l'accorde à l'école latine annexée à l'école primaire.

Maintenant qu'a fait le gouvernement, ou plutôt qu'ont fait les communes? Ces communes n'étant pas riches assez pour instituer à la fois une école primaire supérieure et un collège, c'est-à-dire pour faire deux établissements distincts, pour y affecter deux maisons, pour rétribuer deux directeurs, ces communes ont réuni les deux institutions dans un même local et sous une même direction; c'est-à-dire que l'école latine se trouve dans le même bâtiment que l'école primaire supérieure. Y a-t-il là violation de la loi? Pas le moins du monde.

C'est à titre d'école moyenne, et non à titre d'école primaire, que l'établissement reçoit le subside dont la suppression est demandée. Eh bien, cette mesure n'est pas illégale; le subside est accordé depuis longtemps, et je demande si, à la veille d'une réorganisation de l'instruction moyenne, il faut détruire les écoles qui existent? Telle ne peut pas être l'intention de la chambre.

M. Jacques. - Messieurs, j'avais demandé la parole lorsque j'ai entendu M. Jullien contester la légalité de l'allocation portée au budget pour les collèges de Thuin, de Virton et de Marche, qui sont en même temps des écoles primaires supérieures. L'honorable M. de Brouckere vient d'expliquer parfaitement qu'il n'y a rien d'illégal dans cette allocation. Je n'insisterai donc pas sur ce point, mais je ferai une autre observation; c'est qu'en 1845, lorsqu'on a procédé à l'exécution de la loi sur l'instruction primaire, les villes de Thuin, de Virton et de Marche avaient des collèges latins; le gouvernement a proposé à ces trois villes de transformer leurs collèges en écoles primaires supérieures, et elles y ont consenti moyennant certaines conditions, et notamment à la condition qu'elles conserveraient les classes latines ainsi que le subside qu'elles recevaient précédemment pour leur collège.

Je crois, messieurs, qu'il est inutile d'insister davantage.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Jullien m'attribue les subsides accordés à deux localités du Luxembourg et à une localité du Hainaut; je dois en toute justice déclarer que je ne suis pas l'auteur de cette faveur faite à deux localités du Luxembourg. Le subside est ancien; il a été accordé par mes prédécesseurs et je ne pense pas qu'on puisse retirer, en pleine année scolaire, un subside destiné à des cours déjà commencés depuis plusieurs mois.

(page 770) Ainsi, messieurs, en demandant, pour certaines écoles primaires supérieures, un subside spécial destiné aux cours latins qui se donnent dans ces écoles, je ne suis nullement en contradiction avec ce que j'ai dit des inconvénients un trop grand nombre d'établissements classiques. Je ne fais que continuer un état de choses existant...

M. Jullien. - Le trouvez-vous bon ?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne sais pas au juste ce qui en est. Je n'ai pas visité les écoles de Virton et de Marche. Mais je ferai remarquer qu'il y a ici plutôt une restriction qu'une extension des études latines, puisqu'on a substitué des écoles primaires supérieures à des collèges latins. La mesure est donc tout à fait en harmonie avec ce que j’ai dit contre la trop grande extension des collèges latins dans certaines localités.

Je dois donc maintenir le chiffre proposé, tel qu'il a été vote les années antérieures.

M. Jullien. - Messieurs, je n'insisterai pas sur l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer, si M. le ministre de l'intérieur veut bien examiner de plus près surtout la question de savoir si ces écoles primaires supérieures, transformées en petits collèges subsidiés en dehors des termes de la loi de 1842, répondent bien aux résultats qu'on doit en attendre sous le rapport de la force des études, et s'ils ne font pas une concurrence nuisible à des établissements plus importants, et notamment aux collèges et aux athénées de l'Etat. Voilà ce que je prie M. le ministre de l'intérieur de rechercher pour le budget de 1850.

Je retire mon amendement.

- Le chiffre du gouvernement, 266,000 fr., est mis aux voix et adopté.

Article 76

« Art. 76. Indemnités aux professeurs démissionnes des athénées et collèges : fr. 5,000. »

- Adopté.

Chapitre XVIII. Enseignement primaire

Article 77

« Art. 77. Traitement des neuf inspecteurs provinciaux de renseignement primaire, de l'inspecteur des écoles normales et des écoles primaires supérieures, de l'inspectrice des salles d'asile, des écoles primaires des filles et des établissements destinés à la formation des institutrices : fr. 34,000. »

- Adopté.

Article 78

« Art. 78. Autres dépenses de l'inspection et frais d'administration. - Service annuel ordinaire de l'instruction primaire communale; subsides aux communes; matériel, construction, réparations et ameublement de maisons d'école; encouragements (subsides pour les bibliothèques de conférences trimestrielles des instituteurs dans les neuf provinces) ; récompenses en argent ou en livres aux instituteurs primaires qui font preuve d'un zèle extraordinaire et d'une grande aptitude dans l'exercice de leurs fonctions; caisses de prévoyance; souscription à des livres classiques pour les bibliothèques des écoles primaires supérieures et d'autres institutions dépendant de l'Etat ; encouragements aux recueils périodiques concernant l'instruction primaire; subsides pour la publication d'ouvrages élémentaires destinés à répandre l'instruction professionnelle et agricole; subsides à des établissements spéciaux, écoles d'adultes, etc. : fr. 890,658 40.

M. le président. - La section centrale propose 1° une réduction de 40,153 fr. pour l'inspection ecclésiastique; 2° une augmentation de 92,072 fr. 93 c, demandée par le gouvernement pour le service de l'instruction primaire communale. Par suite de ces deux modifications, le chiffre de l'article 78 est de 942,578 fr. 33 c.

M. le ministre de l'intérieur se rallie-t-il à la proposition de la section centrale?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Quant à l'augmentation, oui ; quant à la réduction, non.

M. le président. - La parole est à M. Lelièvre.

M. Lelièvre. - Messieurs, la question de savoir si les inspecteurs ecclésiastiques ont droit de recevoir de l'Etat un traitement à raison des fonctions leur attribuées par la loi du 23 septembre 1842, ne présente, à mon avis, aucune difficulté sérieuse.

L'article 8 de cette disposition législative, dans ses paragraphes 3 et 4, porte :

« Les ministres des cultes et les délégués du chef du culte auront, en tout temps, le droit d'inspecter l'école.

« L'un de ces délégués pourra assister aux réunions cantonales dont il est parlé à l'article 14, et diriger ces réunions sous le rapport de l'instruction morale et religieuse. »

Ce texte prouve que l'inspection ecclésiastique est une simple faveur accordée aux ministres des cultes; c'est une faculté dont ils peuvent user s'ils le trouvent convenable, mais ils ne sont astreints de ce chef à aucune obligation. L'on ne conçoit donc pas qu'ils puissent réclamer une indemnité à raison de fonctions qui ne sont pas un devoir légal, et que l'Etat n'a pas le droit d'exiger d'eux. Evidemment, ce que le trésor public rémunère, ce sont des fonctions obligatoires, dont l'accomplissement est une nécessité reconnue par la loi.

D'un autre côté, lorsque, par exception aux principes du droit commun une faveur a été accordée aux ministres des cultes, comment admettre que l'Etat ait voulu s'imposer une dette? Certes, une mesure qui n'était de sa part que pure concession, ne peut avoir la vertu de créer contre lui une obligation pécuniaire. Lorsqu'on a décrété un avantage, on a assez fait, et il est impossible que l'exercice de la faculté concédée puisse devenir un titre pour réclamer une indemnité à raison même de la faveur. Ce serait étrangement méconnaître le caractère d'une concession.

Du reste, la loi dont nous nous occupons, ne permet pas sur ce point le plus léger doute.

Lorsque le législateur a entendu accorder une rémunération aux inspecteurs provinciaux et cantonaux, il a eu soin de s'exprimer à cet égard en termes clairs et précis dans une disposition formelle, témoins les articles 16 et 19 de la même loi. Donc ce sont là les seuls inspecteurs à qui l'on ait entendu attribuer un traitement. C'est le cas de dire avec les jurisconsultes ; inclusio unius est exclusio alterius.

Quant aux inspecteurs ecclésiastiques, le silence de la loi, combiné avec les dispositions que nous venons d'invoquer, démontre que leurs fonctions facultatives sont purement gratuites, et la seule considération que la rétribution n'est justifiée à leur égard par aucun texte légal, suffit pour l'écarter sans réplique.

Le motif est du reste évident. Les inspecteurs provinciaux et cantonaux sont seuls fonctionnaires de l'Etat; seuls ils remplissent un service public. Quant aux inspecteurs d'une autre catégorie, ils ne sont que les mandataires du chef du culte, que l'Etat rétribue pour toutes les fonctions quelconques qu'il est appelé à exercer. Du reste, si le législateur avait entendu rémunérer les inspecteurs, il aurait certainement rendu leurs services obligatoires et n'en aurait pas abandonné l'accomplissement à la volonté de tiers échappant à l'action des pouvoirs légaux.

Cette vérité devient plus saillante encore lorsqu'on se pénètre de l'esprit de la loi. Le législateur de 1842 a simplement voulu donner aux ministres des cultes, une garantie de l'intégrité des doctrines morales et religieuses qui seraient enseignées dans les écoles primaires.

Cette immixtion dans les établissements de l'Etat a été décrétée, non dans l'intérêt de celui-ci (et la preuve c'est qu'elle n'est que facultative), mais en faveur de l'autorité religieuse, laquelle ne s'exerçant que vis-à-vis de ceux qui professent le culte, a cette fois été érigée en autorité légale. A ce point de vue, il est évident que l'intervention créée en faveur des membres des cultes, dans l'intérêt de la foi dont ils sont les organes, ne saurait légitimer une demande d'indemnité de leur part. Le droit qu'on leur a attribué, ils doivent naturellement l'exercer à leurs frais, de manière âne pas rendre onéreuse pour l'Etat une faveur qu'il a octroyée.

Contre les principes ne peuvent prévaloir quelques opinions individuelles et isolées, qui se sont produites lors de la discussion de la loi de 1842. Elles ne peuvent faire fléchir les conséquences qui découlent de l'esprit de la loi, des motifs qui leur servent de base et de l'enchaînement de ses dispositions. Sous ce rapport, la réduction proposée par la section centrale reçoit mon assentiment.

D'autres considérations viennent encore l'appuyer.

En admettant que la loi autorise une allocation, des motifs impérieux d'économie doivent, à mon avis, en amener le rejet.

En effet, l'inspection ecclésiastique peut être faite sans frais par les membres du culte résidant au lieu même où sont établies les écoles primaires. Dans l'Etat actuel de la législation, cette mission peut, sans inconvénient, être confiée par les évêques aux curés et desservants, à qui elle n'occasionnera aucun surcroît de dépenses, et qui, dès lors, doivent s'en acquitter gratuitement. Dans un moment où la nécessité de sévères économies est reconnue de tous, et où dans ce but on simplifie le système de presque toutes les administrations, force est pour le clergé de se prêter à toute mesure tendant à réduire les dépenses publiques, et par conséquent de choisir le mode d'inspection le moins dispendieux pour le trésor. Il le doit, surtout, messieurs, alors qu'il ne peut contester que la prérogative lui accordée contrairement au principe fondamental de nos institutions, la séparation de l'Eglise d'avec l'Etat, ne soit une immense concession, dont il doit être plus que satisfait, sans prétendre encore, à ce titre, droit à une rémunération aggravant les charges publiques au détriment des contribuables. Les principes d'une sage économie se joignent donc aux considérations légales, pour justifier le système de la section centrale auquel je donne mon entière adhésion.

M. de Haerne. - Messieurs, il ne s'agit plus des principes qu'on a agités dans la discussion générale. Dans cette discussion-ci, on accepte la loi; il n'est question que de l'application de la loi en ce qui concerne le principe de l'inspection. Ce principe n'est pas même contesté par la section centrale. Seulement la section centrale, dans un but d'économie très louable et auquel je m'associe, croit devoir opérer une réduction très notable sur l'allocation qui concerne les inspecteurs ecclésiastiques.

Je déclare tout d'abord qu'à mes yeux une certaine réduction est possible. J'abonde entièrement dans le sens de M. le ministre de l'intérieur qui nous a dit tout à l'heure que l'exécution de certaines dispositions de la loi de l'instruction primaire pouvait être modifiée, notamment en ce qui concerne l'inspection, et que le nombre des inspecteurs cantonaux civils pouvait être réduit... Je ne trouve pas la moindre difficulté à ce qu'on fasse la même réduction dans le nombre t'es inspecteurs ecclésiastiques. Mais, pour que la loi puisse être exécutée dans l'esprit qui l'a dictée, il faut que les deux inspections marchent parallèlement, il faut que le nombre des inspecteurs soit égal de part et d'autre.

(page 771) Je le répète, mes observations ne tendent pas à prouver qu'aucune économie n'est possible ; mais on attendant qu'on puisse diminuer le nombre des inspecteurs, tant civils qu'ecclésiastiques, est-il convenable et prudent de retrancher tout d'un coup la somme nécessaire à l'inspection ecclésiastique. (Interruption.)

« Oui, dit un honorable préopinant, car l'inspection ecclésiastique peut se faire par les curés et par les desservants résidant sur les lieux. »

J'avoue qu'une partie de cette inspection peut se faire par les ecclésiastiques résidant sur les lieux; mais je nie que toute l'inspection puisse se faire ainsi dans le cercle qui lui est tracé par la loi.

Car cette inspection tient à un ensemble. Elle procède d'après des règles fixes qui s'établissent dans les réunions d'inspecteurs cantonaux et provinciaux, réunions dans lesquelles on traite de l'enseignement en général et de celui de la religion en particulier. C’est là qu'on arrête non seulement les principes généraux concernant l'enseignement de la religion et de la morale, mais aussi l'application, souvent très minutieuse, de ces principes.

En matière d'instruction, et surtout d'instruction primaire, il faut entrer dans les plus petits détails.

Telles choses qui, aux yeux du philosophe, sont extrêmement secondaires , sont souvent d'une importance majeure en fait d'instruction.

Je dis donc que les matières relatives à l'instruction religieuse et à l'inspection ecclésiastique doivent être établies dans des réunions auxquelles assistent à la fois les inspecteurs civils et les inspecteurs ecclésiastiques; c'est dans les assemblées générales et dans les réunions cantonales qu'on doit s'entendre sur la manière d'appliquer ces principes. C'est de cette bonne entente que résulte tout le succès de l'école. Je dis que, dans l'intérêt de l'enseignement légal, le système doit être maintenu pour le fond.

Si cette entente n'existe pas, vous n'aurez point d'ensemble dans la direction qui doit être donnée aux prêtres résidents par l'inspecteur ecclésiastique, non seulement en ce qui concerne la marche générale de l'enseignement religieux et moral, mais même pour les détails. Les inspecteurs doivent donc se déplacer pour les réunions, ils doivent visiter les écoles pour les diriger, au point de vue religieux, dans un même sens. De là des dépenses que l'Etat doit couvrir. C'est de l'inspection, entendue de cette manière, que dépend, à mes yeux, toute l'économie de la loi.

Il est vrai que, dans chaque localité, un ministre du culte se prêtera volontiers à l'inspection; alors même que vous retrancheriez tout subside, j'ai assez de confiance dans le zèle et le patriotisme du clergé pour être convaincu qu'il ne manquerait pas d'inspecter les écoles, si le gouvernement l'y conviait. Mais cette inspection serait-elle la même?

Mais cette inspection serait-elle aussi utile? Non, car il faut bien l'avouer, avec la meilleure volonté du monde, on n'a pas toujours la même opinion, les mêmes idées. Les uns veulent une instruction religieuse plus étendue, les autres veulent que l'instruction soit donnée à telle heure, d'autres à une autre heure , d'autres veulent qu'on consacre à cet enseignement un temps plus long. Il résulterait de ce système qu'alors que vous auriez quelque chose de régulier pour l'enseignement civil, vous n'auriez rien de régulier pour l'enseignement religieux.

Il s'ensuivrait des froissements inévitables qui jetteraient sur les écoles un certain discrédit et feraient qu'elles ne seraient pas aussi bien fréquentées. Moi je désire que les écoles du gouvernement telles qu'elles sont établies aujourd'hui, soient fréquentées par le plus grand nombre d'élèves possible. Voilà pourquoi je demande qu'on ne touche pas imprudemment à ce qui existe.

C'est une faveur, dit-on, qu'on accorde au clergé. A l'article 7, il est dit : quant à l'enseignement de la morale et de la religion, la surveillance sera exercée par les délégués des chefs des cultes. Il ne s'agit pas de faveur, la loi est positive ; il y a une faveur, il y a un avantage, mais c’est pour l'instruction, c'est pour la société.

Le clergé y concourt, mais n'y trouve pas de bénéfice personnel. Je me trompe, je veux être sincère. Oui, le clergé y trouve un intérêt, parce que, quand les écoles du gouvernement sont bien organisées, marchent bien…

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les écoles des communes.

M. de Haerne. - Quand l'enseignement laïc est bien organisé, quand les écoles communales sont sur un bon pied, on y trouve une garantie pour une de nos plus précieuses libertés, la liberté d'enseignement. Si, au contraire, l'enseignement laïc était désorganisé, les écoles communales abandonnées, dans peu de temps il s'élèverait dans le pays une opinion semblable à celle qui s'est fait jour en France, et on pourrait bien aller jusqu'à demander la révision de la constitution pour en rayer cette précieuse liberté. A cet égard, tous les Belges ont un vif intérêt à conserver cette prérogative constitutionnelle, le clergé comme tous les autres citoyens. Cet intérêt, je l'avoue.

Je trouve que les écoles laïques sont une garantie du maintien de la liberté d’enseignement, de même que la liberté d'enseignement est une garantie du bon enseignement dans les écoles communales, par l'effet naturel de l'exemple et de la concurrence.

Ainsi, pour me résumer, je crois qu'une économie pourra être faite utilement; mais en ce moment elle ne serait pas opportune, elle ne pourra être fructueuse que quand on aura révisé la loi sur l'enseignement primaire. Je dois donc m'opposer aux conclusions de la section centrale sous ce rapport.

- La séance est levée à 4 heures 3/4.