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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 2 mars 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 893) M. Dubus procède à l'appel nominal à 1 heure.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Le sieur François-Auguste Rose, soldat au 3ème régiment de chasseurs à pied, né à Lerzy (France), demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi au ministre de la justice.


« Les membres de l'administration communale de Moignelée demandent une loi qui fixe les délimitations des communes de Lambusart et de Moignelée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs ouvriers occupés aux travaux de terrassements du chemin de fer de Bruxelles à Wavre demandent que le gouvernement prenne des mesures pour faire continuer les travaux de la section de Wavre à Namur. »

- Même renvoi.


« Le sieur Dely, greffier au tribunal de commerce de Tournay, présente des observations contre la proposition de la section centrale, de supprimer le traitement fixe des greffiers des tribunaux de commerce de Bruxelles, Anvers, Gand et Tournay. »

M. Allard. - Je propose le renvoi de cette pétition à la commission des pétitions, avec prière de faire un rapport avant la discussion du projet de loi relatif à la réduction du personnel des cours et tribunaux. J'en propose aussi le dépôt sur le bureau pendant la discussion de ce projet de loi.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Fafchamps, ingénieur civil, demande une loi sur les brevets d'invention.

« Même demande de plusieurs inventeurs scientifiques, artistiques et industriels. »

M. Rodenbach. - On a fait il y a quelques jours un rapport très favorable sur la demande de M. Fafchamps. D'après ce rapport, M. Fafchamps serait un inventeur distingué.

Je demanderai le renvoi de cette nouvelle pétition à la commission d'industrie avec prière de faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

« Plusieurs sauniers à Ypres prient la chambre de réduire l'impôt sur le sel et de proscrire l'usage de l'eau de mer pour le raffinage du sel ou d'imposer cette eau de 40 c. par hectolitre. »

M. A. Vandenpeereboom. - Je demande que la pétition des sauniers d'Ypres soit renvoyée à la commission permanente d'industrie, et je prie cette commission de vouloir bien examiner, dans le plus bref délai, les questions que cette requête soulève et qu'il est désirable de voir résoudre le plus tôt possible.

Messieurs, jusqu'ici, par suite de la différence des droits perçus en France et en Belgique, une quantité considérable de sel était importée chaque année de Belgique en France.

Aujourd'hui que nos voisins du Midi ont réduit les droits sur le sel de 30 à 10 fr. par 100 kilog., le contraire a lieu, et le sel français vient faire en Belgique concurrence au sel belge encore frappé d'un impôt de 18 fr. par 100 kilog.

Cet état de choses cause un grand préjudice au trésor, ainsi qu'aux sauniers belges, et particulièrement à ceux d'entre eux qui ont établi des usines dans les localités voisines de notre frontière de France.

Je demande donc que la commission d'industrie présente à la chambre un prompt rapport sur les diverses questions dont la pétition des sauniers d’Ypres provoque l'examen.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1849

Second vote

Chapitre premier. Administration centrale

Article 5

M. le président. - Un seul amendement a été adopté à l'article 5 : « Supplément aux sous-officiers employés au département de la guerre. »

Le gouvernement demandait 14,000 fr. La chambre a réduit le chiffre à 4,000 fr.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, j'aurais été heureux de me rallier de la proposition à la section centrale qui a examiné avec tant de soin et si impartialement le budget de la guerre. Si j'insiste pour demander le maintien de la somme de 10,000 fr. au profit des officiers attachés au département de la guerre, c'est que j'ai la conviction que cette somme est nécessaire pour rétribuer un service difficile, pénible, assujettissant.

Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai eu l'honneur de vous dire pour justifier l'emploi de cette somme. Mais permettez-moi de vous faire observer que si j'ai pu réussir à réaliser des économies dans le budget de la guerre, si j'ai pu vous présenter cette année un budget inférieur à celui de l'année dernière de près de 2 millions, car il y a une diminution de 1,909,000 francs sur le budget de 1848 , si j'ai pu réaliser ces économies, c'est évidemment parce que j'ai été soutenu, éclairé, secondé par les lumières et l'expérience des officiers détachés au département de la guerre. C'est donc à eux, messieurs, que revient en partie l'honneur de ces économies. Et pour les récompenser des services qu'ils ont rendus, vous iriez les priver des faibles suppléments de traitement aussi légitimement acquis ! Et remarquez bien, messieurs, que ce sont des officiers subalternes, des sous-lieutenants, des lieutenants, des capitaines, qui reçoivent ces suppléments; il n'y a que deux officiers d'un grade plus élevé qui y participent ; l'un de ces officiers reçoit de ce chef 1,000 francs, l'autre 400 francs. Si vous voulez absolument faire une réduction, supprimez ces deux dernières sommes; mais, au moins, maintenez les indemnités accordées à des officiers subalternes, dont le traitement est déjà très inférieur à celui des fonctionnaires civils dans la même position.

Messieurs, vous comprendrez qu'il y a de très grands avantages à ce que l'administration centrale du département de la guerre soit dirigée par des hommes compétents, laborieux, zélés, dévoués, parce que de la bonne direction de cette administration dépend la bonne direction de toutes les parties du service. Je puis le dire, l'administration marche avec la plus grande régularité, on peut s'en enquérir à la cour des comptes, et la preuve en existe dans les cahiers de cette cour qui ne renferment pas, pour l'année dernière, une seule observation critique sur l'administration du département de la guerre. C'est bien la preuve que cette administration est dirigée avec le plus grand zèle et la plus grande régularité. Eh bien, ce sont encore, en partie, les mêmes officiers qui me secondent dans cette direction.

Messieurs, j'ai dit que je ferais tout ce que je pourrais pour introduire de nouvelles économies. J'en ai déjà réalisé beaucoup depuis mon entrée aux affaires. Avec le concours des employés attachés au département de la guerre, et qui ont de l'expérience, j'espère pouvoir réaliser encore d'autres économies. Je demande donc que la chambre ne me mette pas dans la nécessité de me priver du concours de ces employés.

M. de Man d'Attenrode, rapporteur. - Messieurs, il me reste bien peu de chose à dire pour justifier l'amendement de la section centrale, que vous avez adopté au premier vote. Je tiens seulement à préciser la question sur laquelle vous avez à statuer définitivement; je tiens à constater qu'il n'y a pas désaccord entre le gouvernement et la section centrale quant au principe de l'utilité des suppléments qui sont accordés aux officiers détachés au département de la guerre; ce principe est condamné par M. le ministre de la guerre comme par la section centrale, puisque, d'après l'arrêté d'organisation du 15 août 1848, les suppléments dont il s'agit ne doivent pas se reproduire dans l'avenir. En effet, cet arrêté porte que les suppléments cesseront d'être accordés au fur et à mesure que des promotions auront lieu. Ainsi le dissentiment qui existe entre M. le ministre de la guerre et la section centrale ne porte que sur l'époque où la disposition de l'arrêté du mois d'août sera mise en vigueur.

M. le ministre demande que ce principe ne soit pas appliqué pour l'année 1849; la section centrale, au contraire, croit que ce principe peut être appliqué immédiatement, et pourquoi? C'est qu'en 1834, la Belgique avait une armée de 60,000 hommes sous les armes; c'est qu'en 1833 elle en avait une de plus de 100,000; eh bien, messieurs, à cette époque le gouvernement se contentait d'un crédit de 800 florins destiné à accorder des suppléments aux officiers détachés au département de la guerre; or, si 800 florins suffisaient lorsque nous avions 80,000 et 100,000 hommes sous les armes, je ne comprends pas qu'il faille dépenser 10,000 fr. pour le même service, alors que nous n'avons à présent en moyenne que 30,000 hommes sous les drapeaux.

Je terminerai par cette considération. Des réductions de dépenses sont jugées nécessaires. Eh bien, je dis qu'il n'est pas de réductions que l'on puisse opérer plus utilement, plus sûrement que celles qui concernent la bureaucratie ; et je vous le dis avec conviction : Réduisez le nombre de ceux qui usent leur existence à jeter sur le papier des formules interminables, souvent même inutiles, et vous ferez une bonne économie.

La situation de l'armée en 1834, comparée avec ce qu'elle est aujourd'hui, l'opinion de M. le ministre de la guerre lui-même, formulée dans son arrêté du 15 août dernier, m'autorisent à tenir ce langage.

M. de Mérode. - Messieurs, il me paraît singulier que M. le rapporteur de la section centrale qualifie de formules interminables et souvent inutiles le travail des officiers attachés aux bureaux du département de la guerre, lorsque M. le ministre de la guerre vous déclare ici, au contraire, que ces officiers lui sont de la plus grande utilité, et qu'il vient de vous expliquer que la meilleure manière d'obtenir des (page 894) économies, c'est d'avoir des travailleurs assidus, actifs, dévoués à leurs fonctions. Or, ce n'est pas en les privant d'une faible rémunération qu'on leur inspirera du zèle et de l'activité.

Je ne comprends pas l'insistance que met l'honorable rapporteur de la section centrale à obtenir sur un budget de 27 millions une malheureuse économie de 10,000 francs qui a été combattue deux fois par M. le ministre de la guerre. Si M. le rapporteur se croit plus capable dans l'administration que M. le ministre de la guerre lui-même, qu'il devienne ministre de la guerre. Quant à moi, je ne comprends pas cette manière de vouloir administrer par les mains d'un autre et de prétendre savoir mieux que le ministre ce dont celui-ci a besoin pour bien exercer les importantes fonctions qui lui sont confiées.

S'il s'agissait d'une somme de 400, de 530, de 200 ou même de 100,000 fr., je concevrais qu'on mît tant d'insistance à obtenir une économie ; mais il ne s'agit que d'une économie de 10,000 fr. sur l'ensemble du budget de la guerre, et selon l'assertion de M. le ministre de la guerre, nous lui rendrons plus difficile la possibilité de réaliser des économies dans son administration et d'agir précisément dans le sens qu'on réclame. Car enfin les économies ne sont pas toujours dans le retranchement des sommes nécessaires à une administration; les économies consistent dans l'habileté avec laquelle on conduit une administration aussi considérable que celle-là ; et retrancher les rouages qu'on emploie au centre de cette administration, ce n'est pas favoriser l'économie dans la machine prise dans son ensemble.

Il me semble que M. le ministre de la guerre ayant insisté pour obtenir les 10,000 fr., il est à propos, dans l'intérêt de l'administration, de lui accorder ce qu'il demande.

M. Thiéfry. - Messieurs, je n'ai pas demandé la parole pour combattre de nouveau les indemnités dont il s'agit, mais pour donner des explications sur un fait que j'ai avancé lors de la discussion de cet article.

J'ai dit : « Il y a encore un autre motif pour la supprimer, c'est qu'elle peut détruire l'émulation pour certains grades, en ce sens que les officiers qui les occupent ont des appointements plus élevés que ceux qu'ils toucheront après avoir eu de l'avancement. Par exemple, un major d'état-major, d'artillerie ou du génie, a 5,500 fr. d'appointements; il reçoit 1,000 fr. d'indemnité; il a donc 6,500 fr., et il n'en aura que 6,300 quand il sera nommé lieutenant-colonel. »

M. le ministre a répondu : « On a parlé d'officiers d'état-major recevant des suppléments de traitement. C'est une erreur ; il n'est pas un seul officier d'état-major qui reçoive un supplément de traitement. Il n'y a que les officiers appartenant aux armes dont les traitements ne s'élèvent pas au taux de ceux de l'état-major qui reçoivent un supplément. Mais les officiers d'état-major ne reçoivent pas un centime d'indemnité. »

Je dois dire à la chambre comment j'ai été amené à faire mon observation.

Les majors d'état-major, de l'artillerie et du génie ont les mêmes appointements, 5,500 fr.; recevant 1,000 fr. d'indemnité, ils auraient 200 fr. de plus qu'un lieutenant-colonel.

Y a-t-il des majors de chacune de ces armes aujourd'hui au ministère et devant toucher l'indemnité? C'est ce que j'ignore. Je ferai remarquer que l'allocation portée au budget n'est pas divisée, et que le ministre peut la répartir comme il le juge convenable.

J'ai puisé mes renseignements dans l'état fourni par M. le général Chazal lui-même, il est annexé au dernier budget, au budget de 1848 : Je n'avais pas ce document à la séance de mercredi ; le voici. J'y trouve, indépendamment des majors d'infanterie qui ont 5,050 francs d'appointements, 1 major de l’état-major de l'artillerie qui a 5,500 francs d'appointements, ayant reçu 1,000 francs d'indemnité, donc 200 de plus qu'un lieutenant-colonel.

Un major du génie avec aussi 5,500 fr. d'appointements et ayant reçu 1,000 francs d'indemnité, donc 200 fr. de plus qu'un lieutenant-colonel.

Un colonel d'état-major ayant reçu 750 fr. d'appointement sur une indemnité de 1,000 fr. allouée pour l'année entière.

Vous voyez, M. le ministre, que l'observation n'était pas sans fondement.

Je terminerai, messieurs, en indiquant les motifs de mon vote. Je ne fais opposition ni au cabinet, ni au ministre. Je suis partisan d'une armée fortement constituée.

Je ne puis voter pour le budget, parce que ce serait approuver d'une manière indirecte une organisation que je trouve défectueuse ; et je voterai contre, dans l'espoir qu'une minorité imposante fera comprendre au gouvernement qu'il est nécessaire de changer la loi de 1845.

- Personne ne demandant plus la parole, la discussion est close.

M. le président. - Le gouvernement représente comme amendement le chiffre primitif : Supplément aux officiers et sous-officiers employés au département de la guerre, charges ordinaires et extraordinaires, 14,000 fr.

- Ce chiffre est mis aux voix et adopté.

M. Lesoinne - Je demande la permission de présenter une courte observation sur l'article 18. Les articles ont été votés si vite.

- Plusieurs voix. - C'est fini.

M. Lesoinne. - C'est une interpellation que je veux adresser à M. le ministre de la guerre.

- Plusieurs voix. -Faites ! faites.

M. Lesoinne. - Dans une note transmise à la section centrale sur une observation de la quatrième section, M. le ministre de la guerre a répondu que l'industrie privée ne saurait fournir des armes portées au degré du perfection reconnu par tous les officiers étrangers qui ont visité la manufacture de l'Etat à Liège, perfection que nous ne sommes parvenus à atteindre que grâce à la création de la compagnie d'ouvriers armuriers et à l'introduction d'agents mécaniques dans la fabrication.

« Il est encore à remarquer que les armes provenant de l'industrie privée exigeraient des réparations plus fréquentes, dureraient moins, auraient moins de précision que les armes fabriquées avec un soin tout particulier sous la direction de l'artillerie. »

Messieurs, je n'entends nullement blâmer les armes qui se fabriquent à la manufacture royale, mais je puis affirmer que l'industrie privée peut fournir des armes aussi bonnes et d'une précision aussi parfaite que celles qui se fabriquent à la manufacture royale.

J'ai dû faire cette déclaration parce que la note que M. le ministre de la guerre a transmise à la section centrale, et que je trouve dans le rapport, pourrait tendre à discréditer une industrie importante de notre pays, une industrie qui ne demande pas de protection et que je pourrais appeler morale, comme l'honorable M. de Haerne appelait l'autre jour l'industrie linière et avec plus de titres, peut-être, car dans la fabrication des armes, le prix du travail est librement débattu entre l'ouvrier et celui qui l'emploie.

Mais cette industrie vit de la confiance qu'elle inspire à l'étranger, c'est pourquoi j'ai dû protester, avec toute la conviction que me donne une longue expérience dans la fabrication des armes, contre l'assertion de M. le ministre; non que je craigne qu'elle puisse altérer la confiance dont jouissent à juste titre nos fabricants dans les pays avec lesquels nous sommes en relations; mais parce qu'elle pourrait contribuer à répandre une idée fausse dans les pays avec lesquels nous ne sommes pas encore en relations et les faire hésiter à s'adresser à nous pour les armes dont ils pourraient avoir besoin, si les faits avancés par M. le ministre de la guerre n'avaient pas rencontré de contradicteur.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - L'honorable M. Lesoinne a mal compris les explications que j'ai données à la section centrale. J'ai voulu dire que la manufacture royale avait contribué et devait continuer à donner à la fabrication des armes, des perfectionnements dont l'industrie privée profitait, qui la mettaient à même, quelque avancée qu'elle soit d'ailleurs, de fournir désormais plus parfaites encore celles qu'on peut se procurer dans d'autres pays.

Mais toujours est-il que, sans la manufacture d'armes du gouvernement, cette fabrication ne ferait pas autant de progrès, parce qu'un fabricant particulier ne peut faire les mêmes expériences, n'a pas les mêmes moyens de contrôle ni les mêmes ressources que le gouvernement. Je considère donc la manufacture d'armes de Liège comme l'atelier modèle de la fabrication des armes de guerre; mais je suis le premier à rendre hommage à l'ancien renom et à l'excellence des produits de l'industrie liégeoise.

M. Lesoinne. - La fabrication d'armes de Liége exige des conditions à remplir que l'industrie privée peut remplir aussi bien que la manufacture d'armes.

Vote de l'article et sur l’ensemble du projet

La chambre passe au texte du budget ainsi conçu :

« Article unique. Le budget du ministère de la guerre est fixé pour l'exercice 1849 à la somme de 27,085,000 fr., conformément au tableau ci-annexé. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Y compris la gendarmerie.

- L'article unique du budget est mis aux voix et adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet de loi. Voici le résultat du vote :

99 membres sont présents.

1 membre (M. Christiaens) s'abstient.

98 membres prennent part au vote.

66 votent pour l'adoption.

32 votent contre.

La chambre adopte.

Ont voté pour l'adoption : MM. Rodenbach. Rogier, Rolin, Schumacher, T'Kint de Naeyer; Troye, Van Cleemputte, Van den Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Allard, Anspach, Bruneau, Cans, Cools, Coomans, Cumont, Dautrebande, de Maillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, de Brouckere (Charles), de Brouckere (Henri), de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Haerne, Delescluse, de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Mérode, de Pitteurs, de Pouhon, de Renesse, de Royer, Desoer, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, d'Hoffschmidt, Dolez, Dubus, Dumont, Dumortier, Faignart, Frère-Orban, Julliot, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Loos, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Orts, Peers, Pirmez et Verhaegen.

Ont voté contre : MM. Prévinaire, Reyntjens, Rousselle, Sinave, Tesch, Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Ansiau, Clep, David, Debourdeaud’huy, Debroux, Delehaye, d'Elhoungne, de Meester, de Perceval, Destriveaux, d'Hont, Jacques, Jouret, Jullien, Lange, Lelièvre, Lesoinne, Liefmans, Manilius, Osy, Delfosse, Deliége et Pierre.

(page 895) Le membre qui s'est abstenu est prié de faire connaître les motifs de son abstention.

M. Christiaens. - Je n'ai pas voté contre le budget de la guerre, parce que mon vote négatif aurait pu avoir pour conséquence d'affaiblir brusquement et intempestivement l'armée.

Je n'ai pas voté pour le budget, parce que M. le ministre de la guerre n'a pas voulu s'engager envers la chambre à lui soumettre un projet de révision de la loi organique de l'armée, en vue d'en réduire les dépenses sur un pied qui soit en harmonie avec les ressources financières normales et permanentes du pays.

Projet de loi sur la contribution personnelle

Motion d'ordre

M. Mercier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, le projet de loi sur la contribution personnelle vient de nous être distribué. Pour que l'instruction de ce projet ne soit pas entravée, je crois devoir reproduire une observation qui a été faite dans les sections à l'occasion du projet de loi sur le débit des boissons distillées. On a regretté que M. le ministre n'eût pas compris dans l'exposé des motifs les données sur lesquelles est fondée l'opinion qu'il exprime que le produit restera à peu près le même que sous l'empire de la législation actuelle.

Ces données manquent également dans l'exposé des motifs du projet de loi sur la contribution personnelle.

Je demande qu'avant que ce projet soit examiné dans les sections M. le ministre veuille bien fournira la chambre les renseignements que je vais indiquer, et qui me paraissent indispensables pour apprécier la portée de la loi qui nous est soumise.

Ces renseignements sont :

1° Quelle est, en moyenne, d'après l'appréciation qu'en a faite le département des finances, le rapport existant entre la valeur locative brute cadastrale des habitations et celle qui en 1847 ou en 1848 a servi' de base à la contribution personnelle ?

2° Quel a été en 1848 ou en 1847 le produit en principal de chacune des bases de la contribution personnelle, et quel sera, d'après l'appréciation qui en a été faite, le produit probable de chacune des bases du non-1 veau-projet?

3° Quel est le nombre exact des habitations qui actuellement ne donnent pas lieu à la contribution personnelle, et le nombre approximatif de celles qui feront jouir de la même exemption sous le régime proposé?

4° Quel est le nombre approximatif des habitations qui donnent lieu à des modérations de droits selon les diverses catégories indiquées à l'article 49 de la loi du 28 juin 1822 ?

Enfin il serait bien désirable, pour la facilité du travail des membres de cette chambre, que M. le ministre des finances joignit à ces renseignements un tableau présentant, en regard les uns des autres les droits actuels et les droits proposés sur les portes et fenêtres, les domestiques et les chevaux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je n'ai pas cru devoir surcharger l'exposé des motifs du projet de loi sur la contribution personnelle, de détails statistiques qui pouvaient être fournis aux sections si elles les croyaient nécessaires. J'attendais que des questions fussent posées dans les sections, comme on a coutume de le faire. La section centrale les aurait transmises au département des finances, qui se serait empressé de répondre. C'est ce qui est arrivé pour le projet de loi sur le débit des boissons distillées. Quelques questions, deux questions seulement, ont été posées, et les renseignements ont été ou vont être transmis à la section centrale.

Je ne vois aucun inconvénient à fournir les documents demandés par l'honorable membre. Mais je pense qu'il eût été plus utile, pour la prompte expédition de la besogne, que les questions eussent été posées dans les sections, sauf à la section centrale à réclamer les éléments de la solution.

Du reste, je le répète, je ne vois aucun inconvénient à fournir ces documents; ils existent ; c'est après leur examen avec beaucoup d'autres que le projet a été préparé. Je pourrais répondre immédiatement à presque toutes les questions indiquées par l'honorable préopinant.

M. Mercier. - Comme je pense que l'étude du projet est impossible sans les données que j'ai indiquées, je suis persuadé que nous gagnerons du temps eu les obtenant immédiatement. Car je défie les sections d'examiner mûrement le projet d'une si haute importance et de pouvoir en faire une juste appréciation sans ces documents.

Du reste, M. le ministre vient de nous faire connaître qu'il peut nous les fournir ; la chose est très facile, car il les a sous la main.

Projet de loi supprimant le conseil des mines

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

M. Dedecker. - Messieurs, je ne me propose pas de traiter le fond de la question qui vous est soumise. Je tiens seulement à examiner devant vous un côté de la question, le côté le plus sérieux pour moi, celui qui détermine mon vote et dont l'examen, je pense, peut exercer aussi quelque influence sur le vote que vous êtes appelés à émettre.

Messieurs, que devons-nous nous proposer dans cette discussion? D'obtenir la meilleure organisation possible de l'administration si importante des mines.

Lee lumières spéciales, l'expérience acquise sont sans doute des conditions indispensables à une bonne administration des mines ; sous ce rapport, je ne puis que me référer aux observations si justes et si concluantes qui vous ont été présentées dans la séance d'hier par mes honorables collègues et amis MM. Dumortier et de Theux.

Mais, messieurs, le côté important de la question que nous avons à examiner, la condition essentielle d'une bonne administration des mines, c'est, sans contredit, son indépendance. Non pas, messieurs, une indépendance matérielle, une indépendance pécuniaire, je ne veux pas même paraître supposer qu'elle puisse jamais faire défaut aux personnes chargées de cette administration, quelles qu'elles soient; mais une indépendance morale, politique.

Messieurs, pour tout esprit réfléchi, il doit être évident que le danger le plus réel et le plus fréquent de notre régime constitutionnel au point de vue administratif, c'est l'invasion de la politique dans l'administration. Tous, nous avons eu souvent l'occasion de constater cet inconvénient, de signaler ce danger. Ce danger a vivement préoccupé les principaux auteurs qui ont écrit sur les matières administratives , MM. Macarel, de Cormenin et autres.

Voici comment, dernièrement encore, un homme qui, par ses connaissances spéciales en fait d'administration, peut être considéré comme une autorité, M. Vivien, s'exprimait dans ses Etudes administratives :

« L'asservissement absolu, illimité de l'administration à la politique est un des écueils du gouvernement parlementaire. Cet asservissement s'étend chaque jour davantage....

« Dans cette confusion des deux pouvoirs, l'un et l'autre sont altérés et dégradés. La politique abdique sa dignité, elle ne fait plus appel aux sentiments honnêtes. Réduite à n'entendre que des conseils intéressés, à n'employer que des instruments pervertis, elle marche au hasard et sans guide, n'entend plus la voix de l'opinion et court risque d'en méconnaître les vœux les plus impérieux. A son tour, l'administration est détournée de ses voies régulières et placée dans une sorte de forfaiture devant les citoyens ; elle n'est plus que l'esclave d'un parti, et voit s'éloigner la confiance et l'estime des honnêtes gens.

« Est-il possible d'empêcher cette confusion? Tous les amis sincères et dévoués du gouvernement parlementaire doivent y consacrer leurs efforts. »

Vous le voyez, messieurs; le danger de l'invasion de la politique dans l'administration peut être, à bon droit, considéré comme le danger le plus réel, recueil le plus ordinaire de notre régime constitutionnel. »

Ce danger existe-t-il chez nous comme il existe en France? Mais, messieurs, il existe doublement. En France, l'influence politique ne s'exerce que par en haut, si je puis m'exprimer ainsi ; en Belgique, vous avez, d'un côté, l'influence politique exercée par l'administration supérieure ; et vous avez, de plus, l'influence politique d'en bas, c'est-à-dire l'influence qui résulte de l'extension extraordinaire que nous avons donnée à l'élément électif. Ainsi, messieurs, ce danger est beaucoup plus considérable en Belgique qu'en France, parce que, chez nous, les influences politiques tendent à se faire jour par en bas comme par en haut.

Eh bien, quelle est, sous ce rapport, la tendance de la proposition du gouvernement? C'est de donner en plein dans ce danger et de soumettre à ces deux influences politiques l'administration des mines qu'il faudrait, au contraire, arracher à toute espèce d'influence de ce genre.

En effet, l'administration des mines sera désormais confiée dans ses deux parties essentielles, l'instruction et la décision, à deux autorités relevant de l'élément politique de l'élection. L'instruction des affaires se fera par la députation permanente, corps politique, et les décisions seront prises par les ministres, agents politiques, et cela sans aucune espèce de contrepoids. Un pareil danger, au contraire, n'existe pas avec l'institution actuelle du conseil des mines. La constitution de ce conseil a précisément pour objet de combattre, de neutraliser ces deux espèces d'influences politiques que je signalais phis haut.

Le conseil des mines contrôle d'abord les avis et opinions de la députation permanente, et, d'un autre côté, il enchaîne pour ainsi dire la décision à prendre par le gouvernement; car, comme vous le savez, messieurs, le gouvernement ne peut pas aller contre l'avis du conseil des mines; il peut s'abstenir, mais il ne peut pas prendre une décision contraire à l'avis du conseil des mines.

Ainsi, messieurs, les garanties principales d'indépendance que nous devons conserver à l'administration des mines, résultent, dans l'organisation actuelle, de l'existence d'un corps purement administratif, destiné à neutraliser la double influence politique et de la députation permanente et du gouvernement.

Je disais, en commençant, que la condition essentielle d'une bonne administration des mines, c'est l'indépendance politique de ceux à qui cette administration est confiée. En effet, pour comprendre la nécessité de cette indépendance, il suffit de réfléchir à la gravité des questions soumises à l'examen et à la décision du conseil des mines. Comment! messieurs, souvent pour des questions de mur mitoyen, pour des questions sans importance, on a organisé une magistrature complètement indépendante, on a pris les précautions les plus minutieuses pour assurer l'indépendance politique de la magistrature, et vous ne prendriez aucune précaution pour assurer l'indépendance politique de ceux qui sont appelés à décider les questions les plus graves, les plus délicates auxquelles donne lieu l'administration des mines !

Ainsi, messieurs, il faut absolument (et c'est une considération majeure à mes yeux, une considération qui entraîne mon vote défavorable au projet du gouvernement), il faut absolument maintenir l'indépendance politique de l'administration des mines. Or cette indépendance est (page 896) impossible dans le projet du gouvernement, et elle est parfaitement garantie dans l'état actuel des choses.

Il est inutile de dire, messieurs, qu'il n'y a pas ici pour moi une question soit de confiance personnelle dans les membres actuels du conseil des mines, soit de défiance personnelle à l'égard des membres du cabinet ; je ne vois ici, pour ma part, qu'une question de principe, sur laquelle j'ai cru utile d'appeler toute votre attention. Y eût-il même, au fond de l'opinion que je défends, un certain caractère de défiance, rappelons-nous, messieurs, que le gouvernement constitutionnel est un gouvernement de défiance. Le gouvernement constitutionnel est, après tout, un système de garanties contre les empiétements possibles du pouvoir. Ce système peut entraîner des inconvénients à un certain point de vue, en ce sens qu'il entretient un état fâcheux, à certains égards, d'antagonisme entre le gouvernement et la nation ; je ne constate ici qu'un fait, c'est que la défiance est le principe essentiel, fondamental du gouvernement constitutionnel.

Pour ce qui concerne l'administration des mines, l'indépendance politique est particulièrement nécessaire. En effet, il s'agit, dans la plupart des affaires, de traiter avec ce que l'on appelle de grands propriétaires, ou de puissantes sociétés; car les mines ne sont pas des propriétés accessibles à toutes les fortunes; pour l'exploitation d’une mine il faut ordinairement de grands capitaux qu'on ne trouve que chez de grands propriétaires ou même par la réunion de grands propriétaires ; or, nous savons quelles sont les influences électorales que peuvent exercer et ces grands propriétaires et ces grandes sociétés.

Un autre motif, messieurs, me fera voter contre le projet de loi, c'est celui qu'a signalé, hier, avec tant de raison mon honorable ami, M. de Theux, c'est qu'il est impossible que le ministère examine d'une manière suffisante, d'une manière sérieuse, les immenses dossiers relatifs aux affaires de mines. Il en résultera nécessairement ou que le gouvernement négligera les affaires politiques bien plus importantes pour lui, ou bien que les affaires de l'administration des mines seront renvoyées aux bureaux. Evidemment, c'est ce dernier parti qu'on prendra. Or, c'est la reconstitution de l'omnipotence bureaucratique. Pour moi, je n'en veux point, parce que le travail dans les bureaux ne sera, en définitive, que l'exécution de la volonté personnelle du ministre, moins les garanties qu'offrirait l'étude personnelle des questions par le ministre lui-même.

Ainsi, messieurs, je veux, avant tout, pour la direction des affaires de mines, l'indépendance, non pas, je le répète, l'indépendance pécuniaire, personnelle, matérielle, mais l'indépendance politique.

Au début de la session, messieurs, nous nous sommes opposés aux modifications proposées par le gouvernement dans l'organisation d'un autre corps administratif, je veux parler de la députation permanente. Eh bien, je demande que la chambre soit retenue, par des scrupules également fondés et légitimes, dans la voie où il veut nous entraîner aujourd'hui. Ce qu'on nous propose, c'est de sacrifier à une étroite et misérable économie de 15 ou 16 mille francs, une institution qui a rendu d'incontestables services et qui peut en rendre encore à l'avenir, une institution qui offre des garanties d'indépendance politique, qu'avec la meilleure volonté du monde je ne puis parvenir à trouver dans l'organisation nouvelle soumise à nos délibérations.

M. Dolez. - Messieurs, la plupart des orateurs qui ont été entendus dans la séance d'hier, et l'honorable M. Dedecker dans la séance d'aujourd'hui, ont cherché à prouver que le conseil des mines était une institution utile. Je ne viens pas contester cette démonstration. Je proclame, à mon tour, que le conseil des mines présente de l'utilité. Il est utile par cela même qu'il met en action une partie importante de notre législation des mines; il est utile encore, parce qu'il est composé d'hommes éclairés, animés de bonnes intentions, je me fais un devoir de le proclamer.

Mais la question est-elle bien de savoir si le conseil des mines est utile? La question ne doit-elle pas être formulée dans des termes plus rigoureux ? Ne faut-il pas se demander si le conseil des mines est indispensable, nécessaire ?

Messieurs, rappelez-vous quel est le point de départ de la pensée de supprimer le conseil des mines. Ce point de départ, c'est le grand mouvement économique qui s'est manifesté dans le pays, au moment où des sacrifices onéreux ont dû lui être demandés au nom de ses plus chers intérêts. Chacun s'est demandé, et dans le pays, et dans cette chambre, s'il n'était pas opportun d'aviser à établir l'organisation de certaines parties de l'administration sur un pied plus modeste, plus approprié à nos nécessités financières.

Je n'hésite pas à dire, sans crainte d'être démenti, que parmi les institutions dont la suppression était regardée comme praticable, la voix publique signalait le conseil des mines. « Supprimer le conseil des mines, le conseil des monnaies, modifier l'organisation de la haute cour militaire », voilà ce que tout le monde disait sans contestation à l'origine.

Mais qu'est-il arrivé depuis ?

La haute cour militaire qui, elle aussi, était utile, telle qu'elle était organisée, puisqu'elle protégeait toute notre armée justiciable d'une juridiction extraordinaire ; la haute cour, néanmoins, a été supprimée, et a fait place à une institution plus modeste, moins dispendieuse.

Le conseil des monnaies était exactement dans les mêmes conditions ; cependant il a été supprimé, il a fait place à une organisation plus modeste, moins coûteuse.

Mais pour le conseil des mines, une hésitation s'est manifestée dans la chambre ; M. le ministre des travaux publics le disait hier, avec raison : « Cette hésitation a pris naissance, non pas dans une position différente, pour le conseil des mines, de celle de la haute cour militaire et du conseil des monnaies ; mais dans une défense plus opiniâtre, plus habile de l'institution dont l'existence était menacée. »

Qu'est-ce que le conseil des mines? Ce n'est, en définitive, qu'une section de l'ancien conseil d'Etat. Le conseil des mines n'a pas été une création nouvelle de la législation belge. Le conseil des mines fonctionnait déjà comme fraction du conseil d'Etat sous l'empire de la loi du 2 avril 1810. Mais la Belgique n'ayant pas organisé un conseil d'Etat, on a voulu combler une lacune qui existait dans la manière dont la loi de 1810 avait organisé l'administration des mines, et on a fait pour les mines ce qu'on n'a fait pour aucun des autres intérêts déférés à l'examen du conseil d'Etat: on a créé un conseil d'Etat spécial, applicable seulement à la matière des mines. Et cependant bien d'autres intérêts non moins importants réclamaient également l'institution d'un conseil d'Etat.

Je ne demande pas cette institution ; je comprends que le moment serait mal choisi pour organiser une institution nouvelle qui donnerait lieu à de nouvelles dépenses. Que ce soit là une question réservée pour l'avenir, et sur laquelle chacun de nous réserve aussi son opinion, je le veux bien. Mais je ne comprends pas pourquoi, quand pour toutes les autres matières qui appartiennent à la juridiction du conseil d'Etat on a reconnu que l'action du ministre ou du conseil des ministres offrait les garanties désirables; je ne comprends pas, dis-je, pourquoi il en serait autrement pour les questions qui se rattachent à la législation des mines.

Est-il vrai que la combinaison nouvelle, que le projet en discussion nous présente, offre aux intérêts, engagés dans l'industrie des mines, moins de garanties que la loi actuelle ? Permettez-moi, messieurs, d'invoquer mon expérience personnelle. Souvent j'ai eu à m'occuper de ces questions, à titre de la profession que j'ai l'honneur d'exercer, et j'en suis arrivé à cette conviction que quelque excellentes qu'aient toujours été les intentions du conseil des mines, le projet nouveau présente à tous les grands intérêts soumis à l'administration des mines, de plus fortes garanties que celles qui existent actuellement.

En effet, l'action du conseil des mines est purement administrative. Or, la plus solide garantie pour les intérêts qui sont soumis à l'action administrative, c'est évidemment la responsabilité de l'autorité administrative elle-même. Chacun étant responsable moralement des actes qu'il pose, l'autorité qui est exposée à la libre discussion de ses actes est mise en garde contre toute espèce d'influence, contre elle-même; elle doit veiller d'une manière incessante, à tous les actes qu'elle pose.

Cette garantie, la seule solide, la seule efficace, à mes yeux, n'existe point en matière de concessions de mines. Et en effet, voici comment les choses se passent.

Un premier avis est donné par l'ingénieur du district ; un second avis, par l'ingénieur en chef ; un troisième avis, par la députation permanente; un quatrième avis, par le conseil des mines; arrive enfin le gouvernement qui lui seul décide, en apparence, sans avoir le droit de décider d'une manière sérieuse; car sauf le droit de veto, le gouvernement qui est appelé par la loi à décider, ne décide absolument rien, puisque le conseil des mines le lie.

Dès lors quand une erreur est commise, qu'on veuille me dire quelle est l'autorité saisissable, comme étant responsable de l'erreur qui a été commise. Attaquerez-vous le ministre? Il vous répondra : « Je n'ai fait que suivre l'avis du conseil des mines, mon droit de décision n'était que nominal. »

Attaquerez-vous le conseil des mines? Mais attaquer un corps qui délibère secrètement, dont la majorité ni la minorité ne peuvent être connues, est chose impossible. D'ailleurs, le conseil des mines pourrait répondre : « Je n'ai fait qu'approuver l'avis de la députation permanente. »

Vous adresserez-vous à la députation permanente qui se trouvera dans la même condition de corps collectif? Elle vous répondra: « Je n'ai fait que suivre l'avis de l'ingénieur en chef. »

Celui-ci à son tour répondra qu'il n'a fait qu'approuver l'avis de l'ingénieur de district, et d'ailleurs comment pourrait-on parler d'une responsabilité morale sérieuse, à des autorités qui se bornent à donner des avis et qui toujours peuvent s'excuser en disant que ce n'est pas elles qui ont décidé. Pour moi, messieurs, un tel système est la négation de toute responsabilité, et partant la négation de toute garantie sérieuse pour l'intérêt public comme pour l'intérêt privé.

La chambre n'oubliera pas ce que lui disait hier M. le ministre des travaux publics, qu'en réalité la mission du conseil des mines, depuis qu'il est en fonction, s'est bornée à homologuer les avis émis par les députations permanentes, et fatalement il doit en être ainsi.

On a parlé de questions du mien et du tien, de questions de propriété ; mais on a perdu de vue que ces questions n'appartiennent pas au conseil des mines, qu'elles sont attribuées, par la Constitution et la loi du 21 avril 1810, à la juridiction des tribunaux. La mission du conseil reste donc une mission administrative qui doit s'inspirer avant tout de l'intérêt public. Sans doute il doit parfois prendre pour guide les règles de la justice et de l'équité, quand des questions de préférence sont soulevées par ceux qui sollicitent en concurrence une concession de mine ; mais presque toujours ces questions elles-mêmes se rendent par des questions d'art.

(page 897) Or les hommes compétents pour résoudre ces questions d'art sont sans doute les ingénieurs des mines. Il est donc tout naturel que leurs avis servent de règle à un conseil des mines composé de jurisconsultes distingués, mais au sein duquel ne figure pas même un seul ingénieur. L'intervention du conseil des mines dans ces questions n'est donc d'aucune utilité, elle n'a en réalité pour portée que de couvrir de son manteau, s'il m'est permis de parler ainsi, la dictature souvent fort lourde que s'attribuent les ingénieurs de l'administration des mines.

Vous aurez, par le projet qui vous est présenté, la proposition des ingénieurs comme aujourd'hui, l'avis de la députation comme aujourd'hui, et vous aurez enfin la décision véritable, sérieuse, du conseil des ministres qui, lui, sera comptable des erreurs graves, des iniquités qui pourraient être commises.

Dans un pays constitutionnel, de publicité et de libre discussion, voilà la véritable garantie des actes administratifs. Cette garantie, le projet de loi vous la donne, tandis que la législation sous laquelle nous vivons la rend complètement illusoire.

On vous a dit qu'il ne fallait pas exposer les graves intérêts qui se rattachent à l'administration des mines aux dangers que pourrait présenter l'improbité politique d’un ministre, si pas même une improbité plus affligeante encore. Pour moi, je ne crois point, dans notre pays, à de tels dangers.

Veuillez, d'ailleurs, ne pas le perdre de vue, ce n'est pas à un seul membre que le projet accorde la décision des questions de concession de mines, mais bien au conseil des ministres ; et sans doute vous croirez avec moi que quand il se présentera une question grave où des intérêts importants seront en présence, le conseil des ministres examinera, non seulement avec la plus sérieuse attention, mais encore avec la plus grande circonspection, des prétentions dont il ne pourrait méconnaître la légitimité, sans s'exposer à la censure qu'appelle après lui un acte d'iniquité.

Je ne puis donc considérer comme un argument sérieux, la possibilité de voir en Belgique un ministère accorder à l'un, au nom de la faveur, une concession que par justice il devrait donner à l'autre.

Le gouvernement assume la responsabilité de tous les actes qu'il pose. Sous ce rapport, je ne crains pas de le dire, le projet actuel présente plus de garantie que la législation qui nous régit; il a de plus l'avantage de réaliser une économie qui n'est pas sans importance.

Un mot encore et je termine ces observations, que je me suis fait un devoir de rendre sommaires. Il n'y a pas, dans notre ordre administratif, que les demandes de concessions de mines qui mettent en regard des intérêts opposés. Des situations analogues se produisent pour les demandes en autorisation de certains établissements, d'usines, de barrages dans les cours d'eau. Ces demandes soulèvent, elles aussi, les questions les plus graves, mettent en présence les intérêts les plus divers.

On y voit, d'une part, un industriel qui demande à doter une ville d'une industrie importante, d'une utilité générale; et, d'autre part, des voisins qui craignent que leur propriété n'éprouve une dépréciation par suite de la proximité de l'établissement projeté. Eh bien, dans ces questions, notre législation confie au gouvernement une mission analogue à celle que le projet en discussion propose de lui attribuer, relativement aux concessions de mines. L'on n'a pas cru devoir ériger une section du conseil d'Etat pour décider ces questions. Elles sont abandonnées à la décision du ministre de l'intérieur, et en cas de réclamation à la décision du Roi en son conseil des ministres. Il en est de même des demandes en concession de routes, de canaux, de chemins de fer, toutes matières qui soulèvent des questions sérieuses, mettent en présence les intérêts les plus graves. Je ne crois pas, messieurs, trop présumer de la haute moralité qui caractérise notre pays, en pensant que de telles attributions ne présentent pas le moindre inconvénient et ne donneront pas lieu au moindre abus.

N'oublions pas que chaque pays a le droit et le devoir d'approprier ses institutions et ses lois à sa moralité, et ne craignons pas de dire que ce qui peut-être pourrait être dangereux ailleurs est chez nous dépourvu de tout danger. Je déclare, en terminant, que quoique représentant d'un district minier, je voterai en toute sécurité de conscience la suppression du conseil des mines.

M. Moncheur. - Je me lève pour combattre l'opinion émise par l'honorable préopinant. J'ai la conviction intime que l'adoption du projet aurait pour le pays le plus fâcheux résultat. Il est un fait qui a dû frapper ceux d'entre nous qui n'ont pas été à même de faire du projet de loi qui nous occupe l'objet d'une étude particulière. C'est l'absence de conviction bien réelle de la part de l'honorable ministre des travaux publics.

Car il est évident, messieurs, que M. le ministre des travaux publics n'a pas sur l'excellence, sur la nécessité de la loi proposée par lui, une conviction aussi robuste que celle dont il fait en général preuve dans cette enceinte quand il s'agit d'autres lois sur lesquelles il a réellement tous ses apaisements. Il l'a déclaré hier, messieurs, il vous livre celle loi tranquillement, et il acceptera également tranquillement, c'est-à-dire assez indifféremment sans doute la solution de la question.

Il me semble que cette déclaration implique nécessairement chez le ministre des travaux publics (qui avec son énergique loyauté ordinaire ne nous a pas habitués à tant d'indifférence dans d'autres occasions) l'absence d'une conviction bien robuste.

Il y a un autre fait, messieurs, qui a dû vous frapper aussi : c'est l'attitude qu'ont prise, au sujet de cette question, tous les organes de la presse.

Je sais que l'honorable ministre des travaux publics a donné hier une explication de ce fait extraordinaire, explication qui a été répétée aujourd'hui par l'honorable préopinant. Ces honorables membres ont dit que c'était une tactique extrêmement habile de la part de la légitime défense du corps menacé ; certes, si cette observation était fondée, nous aurions un grand compliment à faire aux auteurs de cette tactique; car je ne conçois pas comment on peut parvenir à obtenir cette unanimité chez ce qu'il y a de moins unanime au monde, c'est-à-dire chez les organes de la presse.

Or, lorsque le projet a paru, il est certain que la première attitude de la presse a été l'abstention, et que tous les journaux qui se sont occupés ensuite du projet l'ont blâmé, sauf peut-être quelques exceptions que je ne connais pas. Quant à moi, trouvant ce fait vraiment extraordinaire, je me suis informé, à plusieurs reprises, si quelque journal avait pris la défense du projet, et aujourd'hui seulement j'ai appris qu'un seul s'était prononcé en sa faveur. Mais il faut donner de ce fait extraordinaire une autre explication que celle qui a été fournie par le préopinant ; car je ne connais pas de talisman capable de déterminer l'unanimité de la presse libre d'un pays.

Or, il n'y a, selon moi, qu'une seule explication possible, c'est que la conscience publique a repoussé le projet. Et pourquoi? Messieurs, c'est parce qu'il est mauvais. Veuillez remarquer, messieurs, que dans tous les temps et dans tous les pays, là où il s'est agi d'exploitation de mines, il y a eu un corps spécial attaché à l'administration centrale, et destiné à donner son avis sur les difficultés sans nombre que cette matière présente, et à régler ce qui peut y avoir rapport. En raison de l'importance des mines et de la spécialité de la matière, on a toujours senti l'importance, la nécessité même d'ériger un corps quelconque qui ait pour mission d'éclairer et de conseiller le souverain ou le gouvernement.

C'est surtout dans un Etat démocratique comme le nôtre qu'un pareil corps est nécessaire.

Dans une matière aussi importante, aussi délicate que celle-là, il ne faut pas laisser toutes les influences électorales ou autres exercer une action qui pourrait compromettre non-seulement des intérêts aussi graves, mais encore la considération dont doit jouir le pouvoir.

Un corps impartial, permanent, isolé de tous les intérêts, de toutes les influences, doit être placé entre le gouvernement et les administrés; ce corps est actuellement le conseil des mines. Dix-neuf séances, on vous l'a dit hier, ont été consacrées à élaborer péniblement cette institution. Elle était alors jugée bonne et nécessaire par tout le monde, on la déclare encore utile aujourd'hui, on dit même qu'elle a toujours rendu de grands services, et pourtant on veut la balayer, on propose de la remplacer par quelques autres mesures. Je crois, pour ma part, que ce qu'on veut y substituer est très mauvais. C'est mon opinion consciencieuse. Je vais en développer les motifs.

Que met-on, messieurs, à la place du conseil des mines? D'abord, on dit que, sous plusieurs rapports, la députation remplacerait avantageusement ce conseil.

Mais si la députation est une excellente institution, dont je m'applaudis d'avoir naguère concouru peut-être à maintenir l'intégrité, elle n'est pas dans les meilleures conditions possibles pour l'objet qui nous occupe. En effet, la députation permanente est un corps politique, un corps qui reflète l'opinion publique dans les provinces, et qui doit servir de contrepoids à l'administration qui tendrait trop à se centraliser.

Mais par suite de sa mobilité même, provenant de ses doubles et fréquentes réélections, et par suite des influences locales qu'elle doit nécessairement subir, à son insu, elle est mal composée pour donner un avis définitif ou à peu près définitif sur les demandes de concession de mines.

Une autre mesure proposée par le ministère, c'est l'insertion de l'avis de la députation sur les demandes en concession, dans les journaux de la localité et dans le Moniteur. Mais, messieurs, cette insertion n'est pas sans inconvénient en l'absence d'un corps placé, comme je l'ai dit, entre le gouvernement et les administrés. En effet, le but de cette insertion est sans doute afin que le public puisse se préoccuper de l'affaire dans la localité. Eh bien il en résultera une polémique souvent extrêmement vive entre les demandeurs en concurrence, et vous savez qu'il n'y a presque pas de demandes en concession où il ne se trouve 2 ou 3 concurrents et souvent beaucoup davantage. Si donc vous établissez une sorte de tribune locale pour que chacun y fasse valoir ses droits, il est évident que cela deviendra une cause d'irritation, d'animosité très vive entre les concurrents, leurs amis, et tous ceux qui épouseront les intérêts des uns ou des autres. On se passionnera, les partis peut-être s'en mêleront, et c'est dans cette position que l'affaire viendra d'emblée devant le ministère, qui devra décider la question, et qui devra la décider n'ayant plus à côté de lui un corps impartial, isolé de toute influence, de tout intérêt politique, électorale ou autre.

Je crois donc que cette conception est mauvaise, et qu'elle peut avoir de très mauvais résultats.

Une troisième mesure proposée par le gouvernement, c'est le renvoi de l’avis de la députation et de tous les contredits qui auraient pu être fournis après cet avis, à l'inspecteur général des mines. Je ne puis, messieurs, admettre que l'avis d'un corps comme la députation, et qu'on veut, du reste, élever si haut qu'on propose de le charger de remplacer, en cette matière, le conseil des mines et l'ancien conseil d'Etat, que son avis, dis-je, soit renvoyé au contrôle d'un seul homme.

Lorsque le ministère (si tant est que son système soit adopté) aura (page 898) reçu l’avis de la députation et sera en possession de tous les mémoires qui auront pu être réunis après cet avis, qu'il consulte tel agent qu'il jugera convenable ; libre à lui, mais je trouve qu'il ne convient pas, et qu'il est contraire à tout principe hiérarchique d'écrire dans la loi que l’avis d'un corps constitué sera nécessairement renvoyé au contrôle d'un haut fonctionnaire quel qu'il soit.

Enfin, messieurs, on veut suppléer à l'action du conseil des mines par celle du conseil des ministres. Eh bien, je crois qu'on ferait beaucoup mieux de dire franchement que le conseil des ministres ne s'occupera pas de ces affaires. Car je pose en fait qu'il est impossible au conseil des ministres de s'occuper utilement de toutes les affaires de mines. Si je ne me trompe, 156 demandes en concession sont encore renvoyées à l'avis des députations. Supposez seulement une séance du conseil des ministres pour chaque affaire et voyez combien de séances seront déjà occupées par l'examen de ces seules questions.

Et croyez-vous, messieurs, que lorsqu'on aura statué sur ces 156 demandes qui existent aujourd'hui, il ne s'en présentera plus d'autres? Mais détrompez-vous, elles se renouvelleront constamment.

On nous dit qu'on a concédé presque toutes les mines de charbon. Messieurs, il en reste encore beaucoup à concéder, et outre cela, combien de gîtes métallifères existent encore en Belgique qui ne demandent qu’à être exploités!

L'attention est attirée aujourd'hui sur ces gîtes métallifères, sur le zinc, sur le cuivre, sur le plomb, etc. Mais presque rien n'est concédé. Quant aux mines de fer, elles se trouvent dans un provisoire désespérant. Je ne dis pas qu'il faille les concéder, qu'elles soient concessibles; je n'entre pas dans cette question; mais enfin il faudra faire quelque chose pour les mines de fer. Or, il est évident que les mesures à prendre aboutiront, devront aboutir à un corps comme celui du conseil des mines.

On dit que le conseil des ministres offrira au moins autant de lumières, au moins autant d'impartialité que le conseil des mines. Messieurs, sans faire le moindre tort aux capacités bien connues de MM. les ministres, ni aux capacités de ceux qui leur succéderont, je pense qu'on ne peut soutenir cette thèse. En voici la raison toute simple : c'est que celui qui fait constamment la même chose, la fait mieux que celui qui ne la fait que très accessoirement et presque jamais.

Eh bien! il est évident que MM. les ministres, distraits qu'ils sont par mille et mille occupations qui n'ont aucune espèce de rapport avec la matière des mines, ne peuvent pas avoir sur cette matière des connaissances aussi grandes que MM. les conseillers des mines, qui n'ont absolument d'autres occupations que celles-là.

Messieurs, le hasard veut que, dans le ministère actuel, se trouvent plusieurs anciens ministres des travaux publics. Mais que, dans un temps plus ou moins rapproché, le ministère soit changé; vous pourrez fort bien ne pas y trouver un seul homme qui comprenne le moindre mot à la matière des mines.

Je dis le moindre mot, parce que le langage des mines est quelquefois un langage tout particulier. Il y a des termes techniques que celui qui ne s'est jamais occupé de la matière est dans l'impossibilité de comprendre, loin de rien entendre à la chose elle-même.

Eh bien, avec la mobilité de nos institutions, lorsqu'un ministère aura fait plus ou moins sa légère éducation sur la matière des mines, il sera remplacé par un autre qui en sera complètement ignorant.

Des lumières ! dit-on, mais il n'en faut pas. Le simple bon sens suffît, lorsque l'affaire est bien instruite, pour la décider. Messieurs, à cet égard, je ne suis pas du tout d'accord avec l'honorable ministre des travaux publics, ni avec l'honorable préopinant.

Lorsqu'il s'agit d'une question d'art, dit-on, il faut s'en rapporter aux hommes de l'art, et lorsqu'il s'agit d'une question de droit, celle-ci est uniquement du ressort des tribunaux.

Messieurs, lorsqu'il s'agit d'une question d'art, il est évident que le conseil des mines se trouve dans la même position qu'un tribunal, qui doit également juger sur le rapport d'experts, avec cette différence que le conseil des mines est beaucoup plus à même d'apprécier les questions d'art en fait de mines, que ne l'est ordinairement un tribunal à apprécier un rapport d'experts sur un objet dont peut-être ses membres ne se sont jamais occupés de la vie; car à force de traiter des affaires de mines, il est certain que les conseillers des mines finissent par entendre quelque chose aux mines, et que par conséquent lorsque les hommes de l'art ne sont pas d'accord sur une question quelconque, ils sont beaucoup plus à même de prendre un parti dans cette divergence d'opinion, que ne le serait le conseil des ministres, qui n'y connaît rien du tout.

Mais, messieurs, si l'on veut que le conseil des mines puisse lui-même apprécier les questions d'art, qu'est-ce qui empêcherait d'introduire dans ce corps un ou deux ingénieurs? Je suis étonné que la loi du 2 mai 1837 n'ait même pas prescrit qu'un ou deux membres du conseil des mines devraient avoir la qualité d'ingénieur. Rien n'empêcherait, je pense, d'introduire cette amélioration à l'institution, et cela sans toucher à la loi. Cela n'est nullement défendu et je crois que cela devrait avoir lieu.

Vous voyez donc, messieurs, que si cette amélioration est apportée dans la pratique, vous avez tous les avantages des lumières et des connaissances spéciales dans le conseil des mines, avantages que vous ne pouvez jamais avoir dans le conseil des ministres, car vous ne pourrez décider que le ministre des travaux publics sera un ingénieur, et les autres ne le seront sans doute point non plus.,

Quant aux questions de droit, messieurs, il n’est pas exact de dire que toutes ces questions soient du ressort des tribunaux, et que toutes les fois qu'une question de droit se présente, le conseil des mines doit s'abstenir. Il y a au contraire une foule de question de droit administratif qui sont excessivement délicates et excessivement difficiles et qui restent du ressort du conseil des mines. Il y a même des questions de droit purement civil qui demeurent également soumises à la décision du conseil des mines et cela par une raison toute simple, c'est que les intéressés laissent suivre la juridiction administrative et ne saisissent pas les tribunaux.

Je citerai un exemple.

La loi du 2 mai 1837 a donné un droit de préférence au propriétaire de la surface, excepté lorsqu'il se trouve en concurrence avec un demandeur en extension ou avec un inventeur. Ce droit de préférence peut-il être vendu, peut-il être aliéné? C'est une question, messieurs, qui divise les plus graves jurisconsultes. Eh bien, je me présente, moi acquéreur d'un droit de préférence d'un propriétaire, et je demande la concession sous son territoire en vertu de l'acquisition que j'ai faite de son droit de préférence. Mon concurrent m'oppose que cela n'est pas aliénable : c'est là certes une question de droit. Mais mon concurrent s'en tient à la juridiction administrative, et il ne demande pas le renvoi devant les tribunaux et je ne le demande pas non plus; il est évident que, dans ce cas et autres semblables, le conseil des mines et l'administration supérieure doivent décider et décident en effet des questions de droit.

En outre, la demande en maintenue est soumise à des règles toutes particulières : pour être demandeur en maintenue il faut avoir un titre et avoir été exploitant au moment où la loi de 1791 a été publiée. Or, qui est-ce qui prononce sur la validité du titre? C'est l'administration.

On dit : Lorsqu'une opposition fondée sur un droit de propriété a lieu, le renvoi immédiat devant les tribunaux doit être prononcé. Mais, messieurs, ici encore (et l'honorable ministre des travaux publics le sait bien), il ne suffit pas d'alléguer un droit de propriété pour que l'administration se dessaisisse de l'affaire, car s'il en était ainsi, on pourrait de cette manière entraver indéfiniment la marche de l'administration. Il faut donc, dans ces cas-là, que l'administration porte ses investigations sur la validité du titre que l'on invoque et sur le fondement au moins apparent du droit de propriété qu'on allègue.

Je sais bien que celui qui allègue un semblable droit peut toujours saisir immédiatement les tribunaux, mais cela n'arrête pas la juridiction administrative, quand celle-ci n'a pas cru pouvoir se dessaisir.

Vous voyez donc, messieurs, qu'il se présente dans des cas nombreux des questions extrêmement graves, épineuses à décider par le conseil des mines.

D'après le relevé que nous avons eu des travaux de ce corps, il y a eu 215 décisions portées sur affaires diverses, mais surtout sur des questions de principes. On dit qu'elles sont toutes décidées; mais, messieurs, ces questions ne sont jamais toutes décidées, elles se renouvellent sans cesse. Depuis longtemps j'entends dire : La jurisprudence sera bientôt fixée sur tous les points, car presque tous les points ont été décidés plusieurs fois; et cependant, messieurs, les procès se renouvellent tous les jours.

L'honorable M. Dolez a demandé à quelle autorité l'on pourrait s'en prendre actuellement en cas d'erreur commise. Est-ce au conseil des mines? Non, dit-il; car c'est un corps irresponsable, et vous ignorez d'ailleurs quelle a été la majorité ou la minorité ? Est-ce à la députation? Mais elle se retranchera derrière l'avis de l'ingénieur en chef, et l'ingénieur en chef, à son tour, se retranchera derrière l'avis de l'ingénieur et ainsi de suite jusqu'au conducteur.

L'honorable M. Dolez sait très bien qu'après une décision portée on ne peut pas toujours, en cas d'erreur commise, s'attaquer à une autorité quelconque et il est très bon, très nécessaire qu'il en soit ainsi. Par exemple, lorsqu'on a perdu son procès devant une cour d'appel, est-ce que l'on peut s'attaquer à cette cour? Non, sans doute, messieurs, et c'est une excellente chose qu'on ne puisse le faire ; les tribunaux sont composés de manière à inspirer toute confiance, dès lors leur décision doit être acceptée comme l'expression de la vérité. Celui qui a perdu son procès doit prendre son parti; il doit en être de même en matière de demandes de concession de mines.

L'honorable membre veut, lui, qu'on puisse s'attaquer à quelqu'un, qu'on puisse s'attaquer au ministère; eh bien moi, messieurs, je ne veux pas qu'on puisse s'attaquer au ministère, et c'est justement là à mes yeux le plus fâcheux résultat du projet de loi, c'est que quelle que soit la décision prise par le ministère, lorsqu'il n'aura plus par devers lui un corps impartial, permanent, isolé de tous les intérêts, comme le conseil des mines, quelle que soit la décision qu'il prendra il sera attaqué, que sais-je? soupçonné peut-être par celui qui aura perdu son procès. Ce résultat n'est-il pas fâcheux? Quant à moi, je le crois ainsi, et j'attache trop d'importance à la considération dont il faut entourer le pouvoir pour ne pas maintenir autant que je le puis les institutions qui peuvent assurer cette considération.

M. le ministre accepte volontiers, dit-il, la responsabilité des affaires de concessions de mines, et l'honorable M. Dolez pense que la responsabilité doit peser tout entière sur le cabinet.

Eh bien, moi je crois qu'il appartient à la chambre, dans un intérêt supérieur et général, de limiter cette responsabilité lorsqu'elle le croit nécessaire. Et ce n'est pas l'unique objet dans lequel la responsabilité est limitée. Ainsi dans la loi sur la nomination des bourgmestres en dehors du conseil communal, la responsabilité du ministère est également (page 899) limitée ; cela a lieu dans une autre ordre d'idées, j'en conviens, mais enfin, elle est limitée.

Le ministère aurait la conviction la plus intime qu'il est nécessaire, dans l'intérêt général, dans l'intérêt populaire, dans l'intérêt de la commune, de nommer le bourgmestre en dehors du conseil, il ne peut pas le faire s'il n'a pas l'avis conforme de la députation. Or, si l'avis de la députation lie absolument le ministère, vous trouveriez extraordinaire que l'avis du conseil des mines liât le ministère ? Non sans doute, et vous voyez messieurs, qu'il y a une parfaite analogie entre ces deux cas.

M. Dolez dit : Pourquoi ne demandez-vous pas aussi l'érection d'un conseil d'Etat? Le conseil des mines n'était qu'une section du conseil d'Etat.

Messieurs, l'honorable membre sait aussi bien que moi, que le conseil d'Etat, tel que quelques personnes le réclament, n'est pas du tout le conseil d'Etat tel qu'il existait en France et tel qu'il a existé chez nous jusqu'en 1830. Il sait très bien que le contentieux administratif n'existe plus chez nous, toutes contestations sur des droits civils étant du ressort des tribunaux ordinaires.

Ainsi, messieurs, il n'y a pas la moindre inconséquence à ne pas demander le rétablissement d’un conseil d'Etat tout entier, et à demander cependant le maintien du conseil des mines. Le conseil d'Etat que l'on réclame parfois dans ce pays, n'est pas, je pense, dans l'esprit de nos institutions; ce serait un conseil d'Etat chargé d'élaborer toutes les lois et les principales mesures gouvernementales. Je crois qu'ici il faut laisser la responsabilité ministérielle entière. Que l'on nomme des commissions pour que les lois soient mieux préparées, je le veux bien ; mais il ne faut pas, d’une manière générale, que le ministère puisse s'abriter derrière un corps qui n'est pas dans la Constitution.

En résumé, messieurs, je crois que si vous adoptez la proposition de M. le ministre des travaux publics, vous ferez au gouvernement un très mauvais cadeau, et que vous rendrez au pays un très mauvais service.

M. Dechamps. - Messieurs, il faut que je sois très convaincu des inconvénients attachés au système qui est présenté par le gouvernement pour me décider à combattre l'opinion de mon honorable ami, M. Dolez, qui possède, en cette matière comme en tant d'autres, une grande autorité dans cette chambre. Mais je suis persuadé que le système du gouvernement entraîne des inconvénients graves au point de vue des intérêts engagés, et surtout au point de vue de l'intérêt général et de celui du gouvernement lui-même.

Mais avant d'entrer dans la matière et de répondre aux objections qui ont été faites par l'honorable M. Dolez, permettez-moi de rappeler les tentatives qui ont été faites après la révolution de 1830, jusqu'à la loi du 2 mai 1837, pour régler cet objet important.

Après la révolution, on comprit, dans un pays où la richesse minérale est aussi grande qu'en Belgique, la nécessité de remplacer le conseil d'Etat supprimé, par une institution qui offrit les mêmes garanties d'expérience, de lumières et d'indépendance.

Je ne parlerai pas d'un projet de loi que le gouvernement présenta le 7 février 1831, et auquel on ne donna aucune suite. Mais un fait qui n'a pas été signalé, c'est que le gouvernement proposa, le 12 octobre 1831, un projet de loi ayant pour objet de conférer au conseil des ministres les attributions du conseil d'Etat; c'est-à-dire qu'en 1831, on proposa précisément ce que le gouvernement vient proposer aujourd'hui. Eh bien, le projet du 12 octobre 1831 fut très mal accueilli, et ne fut pas adopté. La section centrale émit l'opinion qu'il ne convenait pas d'investir le conseil des ministres, véritable gouvernement, des attributions du contentieux administratif du conseil d'Etat. La section centrale proposa un ajournement qui fut admis par la chambre. A la suite de cette proposition, des discussions très longues eurent lieu dans les deux chambres, et en juillet 1832, le sénat adopta et la chambre admit après le sénat, un projet de loi instituant un conseil des mines composé de deux membres pris dans les deux chambres,, de trois jurisconsultes et de deux ingénieurs. On n'avait pas entouré ce conseil, au point de vue de sa juridiction, et sous d'autres rapports encore, de toutes les garanties qui furent insérées dans la loi de 1837; on ne lui donnait de durée que jusqu'au 1er janvier 1834, et il ne pouvait statuer, comme me le fait remarquer l'honorable M. de Theux, que sur les maintenues en concession. Qu'arriva-t-ii? C'est que ce conseil, après 3 années d'existence, ne statua que sur une seule affaire.

Des plaintes nombreuses se firent jour, et c'est alors que l'honorable M. dé Theux, après s'être entouré des lumières d'une commission composée d'hommes d'expérience, proposa en 1835 un projet de loi qui, après une très longue discussion, fut converti en loi le 2 mai 1837, après que le sénat eut jugé utile de renforcer le projet du gouvernement, en composant le conseil de 5 membres, au lieu de 3, comme on l'avait d'abord proposé.

La chambre comprendra que quand une loi n'est parvenue à son existence qu'après des tentatives nombreuses et une aussi complète élaboration, il y a du danger à supprimer légèrement une telle institution.

Quelles raisons le gouvernement apporte-t-il pour demander la suppression du conseil des mines? Ces raisons sont de deux espèces. D'abord, le motif d'économie ; en second lieu, le motif de l'inutilité du conseil des mines.

Pour l'économie, je comprends que s'il s'agissait d'une réduction de quelques centaines de mille francs, la chambre pourrait hésiter peut-être et mettre l'importance de cette économie en balance avec l'importance du conseil des mines; mais il s'agit d'une insignifiante économie de 17,000 fr., je pense qu'il ne serait pas difficile de trouver une économie tout aussi grande, si pas supérieure, par une réforme facile à opérer dans l'organisation du corps des mines lui-même.

Maintenant on objecte l'inutilité du conseil des mines. L'honorable M. Dolez vient de dire qu'il ne s'agissait pas de savoir si le conseil des mines est utile, mais de savoir s'il est indispensable, nécessaire.

Je crois que la question n'est pas bien posée ainsi ; je crois que nous devons nous demander si l'utilité du conseil des mines n'est pas supérieure de beaucoup à l'économie insignifiante qu'on veut obtenir.

On a allégué deux faits pour prouver l'absence d'utilité du conseil de mines.

Le premier fait allégué par le gouvernement, c'est que le conseil des mines n'avait fait, en général, qu'homologuer les avis des députations permanentes. On en a conclu qu'il serait facile au conseil des ministres de continuer à homologuer les décisions de ces corps.

Le second fait qu'on a allégué, c'est le nombre restreint d'affaires qui devront désormais être soumises à l'examen du conseil des mines, ou au conseil des ministres, d'après le projet du gouvernement.

J'ai pris part, comme ministre, à l'examen de ces affaires, et si mes souvenirs sont exacts, je crois que, dans bien des cas, presque chaque fois, que des difficultés ont été soulevées, les députations permanentes ont demandé un avis préalable au conseil des mines, pour connaître la jurisprudence adoptée par le conseil et les principes admis. Il ne serait donc pas étonnant que le conseil des mines qui déjà avait donné un avis préalable, n'eût eu qu'à homologuer le plus souvent les décisions des députations permanentes.

Mais en est-il bien ainsi ? Je doute que M. le ministre ait été parfaitement renseigné; Dans un mémoire remis aux membres de cette chambre, et qui, je crois, émane d'un homme compétent, on signale un fait qui contredit l'assertion de M. le ministre des travaux publics; j'y vois que parmi les affaires, au nombre de 1,036, qui ont été traitées par le conseil des mines depuis sa création, figurent 488 avis définitifs sur des demandes en concession, lesquelles ont été précédées de 166 avis interlocutoires, nécessités par une instruction incomplète et irrégulière.

Ainsi sur 488 avis définitifs le conseil a dû 166 fois demander un complément d'instruction aux députations permanentes. '

Un autre fait est signalé dans ce mémoire, c'est qu'il est arrivé rarement que le conseil des mines a pu adopter purement et simplement les propositions qui lui ont été soumises par les députations permanentes; presque toujours elles ont dû être amendées, modifiées ou complétées. Je crois donc, messieurs, que le conseil des mines a eu autre chose à faire que d'homologuer les avis des députations permanentes; sans cela, les éloges que M. le ministre a donnés à leur zèle et à leur activité auraient été bien peu mérités.

Maintenant est-il vrai que le nombre des affaires, qui désormais pourront être soumises au conseil des mines, soit tellement restreint que nous n'ayons plus besoin de ce conseil ? Je crois que c'est une erreur.

Dans l'exposé des motifs, le gouvernement est obligé de reconnaître que les demandes en concession, en maintenue ou en extension sont encore assez nombreuses. Je pense que les demandes en concession, en instance actuellement devant les députations, sont encore au nombre de plus de 150.

Chacun sait que le ralentissement des affaires, les souffrances de l'industrie des houilles et de l'industrie des fers, ont dû entraîner le ralentissement dans les recherches de mines et les demandes en concession ; mais quand la prospérité renaîtra, les demandes en concession renaîtront plus nombreuses avec elle.

La question n'est pas, selon moi, dans le plus ou moins d'affaires dont le conseil des mines serait chargé. La question est, avant tout, une question de principe et de garantie. La question de principe, c'est qu'il ne faut pas attribuer au gouvernement, puissance exécutive participant au pouvoir législatif, le droit de décider, de juger, non seulement quand il s'agit de relations entre l'Etat et les citoyens, mais de questions où il y a opposition d'intérêt et de droits et de prétentions diverses entre les citoyens eux-mêmes.

Je crois qu'en principe il y aurait là confusion de pouvoirs.

En fait de mines, le système proposé par le gouvernement est une innovation dont il n'y a pas d'antécédent, ni d'exemple, dans aucun pays du monde.

Ainsi, en Allemagne, où les mines sont importantes, comme en Belgique, il existe des tribunaux spéciaux pour résoudre les questions contentieuses et judiciaires. Je ne parle pas de l'Angleterre, où, sauf, pour les mines d'or et d'argent, la propriété individuelle des mines est reconnue.

En France, vous connaissez le système qui existe, vous savez quelle série de garanties on a introduite dans la législation et tous les degrés d'instance qu'il faut parcourir dans l'obtention d'une concession de mines.

L'honorable M. Dolez croit que les garanties qu'offre le projet du gouvernement sont non seulement égales, mais supérieures à celles que présentait le projet du 2 mai 1837. Je ne puis partager sa manière de voir, je ferai remarquer d'abord que nous ne nous entendons pas sur le sens à attacher à ce mot: garanties. Nous parlons, nous, de garanties contre les erreurs possibles de l'administration. L'honorable membre parle au (page 900) contraire de garanties contre les lenteurs administratives. Il croit que lorsque le conseil des ministres aura à juger sans être astreint à suivre les avis d'un conseil des mines, il y aura moins de lenteurs ; c'est possible. Cependant le nombre considérable d'affaires réglées par le conseil des mines prouve que l'objection de M. Dolez est peu fondée.

Mais là n'est pas la question ; il s'agit de garanties contre les erreurs produites par défaut de lumières, d'expérience et même d'impartialité.

Je conviens que dans la responsabilité ministérielle, il y a, en général, une garantie réelle et forte; mais je crois qu'il est dangereux de multiplier pour le gouvernement les causes de responsabilité, surtout dans des questions où des ardentes convoitises sont en jeu, toujours prêtes à soupçonner et à accuser. Cette responsabilité est un fâcheux cadeau à faire aux ministres.

Je ne parle pas de garantie personnelle; évidemment les noms propres s'effacent ici, et il ne s'agit que de principes. Mais au point de vue de ces principes et de ces garanties légales, la loi de 1837 est supérieure à celle qu'on veut lui substituer.

Ainsi, garantie de lumières ! D'après le projet de 1837, il est exigé qu'il y ait dans le conseil trois conseillers jurisconsultes. L'honorable M. Dolez vient de dire que le conseil n'avait pas à juger les questions de propriété qui sont dévolues aux tribunaux. Mais le conseil des mines doit examiner ces questions. Quand il y a opposition fondée sur le droit, il doit examiner si cette opposition doit être accueillie, s'il doit renvoyer l'affaire devant les tribunaux. Il est donc appelé à examiner les questions de propriété de droit, non pour les juger, mais pour décider si le renvoi devant les tribunaux doit être ordonné. C'est pour cette raison que la loi de 1837 a voulu que trois jurisconsultes fissent partie du conseil des mines.

Cette garantie nous échappe dans le projet qui nous est soumis; sans doute on la conservera, aussi longtemps que l'honorable M. Rolin sera ministre des travaux publics; mais il n'est pas nécessaire que le ministre des travaux publics soit jurisconsulte; dans ce cas que ferez-vous? Vous n'aurez pas d'autre ressource que de transférer l'administration des mines dans un autre département, par exemple, au département de la justice où vous êtes sûr de trouver un jurisconsulte.

Garantie d'indépendance ! vous l'avez complète, d'après la loi en vigueur ; les membres du conseil des mines ne pouvant pas être intéressés dans une exploitation de mines par eux-mêmes, par leurs parents ou leurs alliés. Cette garantie qu'on a trouvée nécessaire quand on a fait la loi de 1837, vous échappe encore dans le système qu'on vous propose d'admettre ; vous ne pouvez pas insérer dans la loi que les ministres ne peuvent pas avoir d'intérêt direct ou indirect dans les exploitations minières ; vous limiteriez la prérogative royale, vous rendriez plus difficile encore la formation des ministères.

Garantie de récusation! Vous savez que d'après la loi de 1837, les membres du conseil des mines sont assimilés aux juges. Les parties intéressées ont le droit de les récuser; c'est une garantie essentielle que la loi leur accorde. Encore une fois, vous ne pouvez admettre que les parties intéressées puissent faire valoir ce droit de récusation à l'égard des ministres.

Garantie de publicité! Aujourd'hui les intéressés sont appelées à examiner toutes les pièces du dossier. L'avis des ingénieurs, l'avis de la députation permanente, le rapport fait par le conseiller rapporteur, le rapport du conseil des mines, tout est soumis à leur connaissance. Ils ont le droit d'adresser au conseil des mines des mémoires contradictoires.

Vous le voyez : il s'agit là d'une véritable procédure. Encore une fois, ces garanties de publicité ne peuvent être conservées dans le système nouveau.

Lorsque le ministre des travaux publics aura présenté son rapport au conseil des ministres, vous ne pouvez admettre que les parties intéressées puissent en prendre connaissance, présenter des mémoires pour le combattre et intervenir ainsi, pour ainsi dire, dans les délibérations du conseil des ministres.

En outre, dans la loi de 1837, il y avait une garantie finale qui était la sanction et le couronnement de toutes les autres

C'est que jamais un ministre ne peut accorder une concession sans l'avis du conseil des mines.

D'un autre côté, quand le ministre croit l'avis du conseil des mines erroné, il a le droit de ne pas y donner suite en n'accordant pas la concession. Cette garantie disparaît encore dans le projet du gouvernement.

Je reconnais avec l'honorable M. Dolez, que la responsabilité des ministres est la meilleure des garanties lorsqu'il ne s'agit pas de questions du tien et du mien, je conviens que ce système entraînera moins peut-être de lenteurs administratives; mais au point de vue des garanties défiantes de la loi, dont mon honorable ami M. Dedecker vient de parler, évidemment le projet du gouvernement est bien inférieur à la loi de 1837.

Dans l'intérêt du gouvernement (je ne fais ici qu'insister sur un argument des honorables M. Dumortier et de Theux), il faut éviter deux choses, il ne faut pas, dans des questions où il ne s'agit pas de constater un fait ou un droit défini, mais où il s'agit d'une préférence à accorder d'une manière presque discrétionnaire, il ne faut pas livrer les ministres, sans nécessité absolue, aux attaques passionnées, aux accusations inévitables de la part des intérêts qui auront été froissés et qui toujours se croient méconnus.

D'un autre côté, il ne faut pas distraire les ministres des affaires d'intérêt général, et les accabler sous les détails d'administration. Il faut le reconnaître, en Belgique nos intérêts judiciaires et politiques sont parvenus à un haut degré de perfection ; mais sous le rapport administratif, notre régime laisse beaucoup à désirer; nous sommes bien en arrière de la France.

En France, les ministres sont des hommes politiques, préoccupés des intérêts généraux ; ils ont à côté d'eux des sous-secrétaires d'Etat qui sont en quelque sorte les ministres administratifs. Ils ont à côté d'eux le conseil d'Etat, les comités du conseil d'Etat et dans presque toutes les branches d'administration un conseil supérieur qui les éclaire.

En Belgique, nous n'avons rien de tout cela, ni en matière de commerce ni en aucune autre matière importante. Le ministre est livré à lui-même. Il a ses bureaux dont j'ai pu apprécier le zèle et les lumières ; mais je crois qu'ils ne suffisent pas pour tout. Bien souvent le ministre doit descendre au rôle de chef de division. Je crois que c'est un mal et qu'il ne faut pas distraire les ministres des intérêts généraux pour les noyer dans des détails le plus souvent inutiles.

Je crois même que depuis que nous avons voté la loi des incompatibilités, nous devrons tôt ou tard en accepter une conséquence nécessaire; il faudra instituer, sinon un conseil d'Etat, au moins une institution ayant des attributions analogues à celles des comités du conseil d'Etat. Depuis que nous sommes privés, pour la discussion de nos lois, de l'expérience et des lumières des fonctionnaires publics, il est devenu nécessaire d'admettre une institution quelconque qui comblera cette lacune que les nécessités politiques ont créée.

M. Destriveaux, rapporteur. - Ma tâche est extrêmement allégée dans la discussion qui nous occupe.

Quelques-uns des préopinants ont exprimé contre le projet une opinion tellement forte en entrant dans tous les détails de sa composition, l'ont tellement analysé qu'il me restera peu de chose à dire.

Cependant, je ne puis dissimuler que j'ai éprouvé un certain étonnement, une grande difficulté surtout à accorder quelques opinions entre elles-mêmes.

Trois adversaires du système que j'ai soutenu, rendant justice à l'institution du conseil des mines, ont proclamé que ses membres étaient dignes de toute leur estime (ce qui n'admet pas de contradiction). L'honorable ministre des travaux publics et l'honorable M. Dolez ont reconnu que le conseil des mines avait rendu de très grands services au pays.

L'honorable M. Lelièvre est allé plus loin, en déclarant qu'il avait rendu des services tellement éminents, qu'il aspirait au moment de voter en faveur des membres du conseil des raines une rémunération proportionnée aux services que cette institution avait rendus. Comment se fait-il aujourd'hui que l'utilité du conseil des mines soit fortement combattue par les mêmes honorables membres qui ont rendu ce juste hommage à ce conseil?

Ainsi, dès l'instant de l'apparition du projet de loi présenté par le gouvernement, l'institution du conseil des mines a été frappée d'une stérilité complète. Ainsi par le fait du projet du gouvernement s'est évanouie cette utilité qui avait été si longue, ont disparu ces services antérieurs qui méritaient une récompense.

Ainsi donc, quand il a été question d'économies, la suppression du conseil des mines était dans toutes les bouches ! Proscription générale contre cette institution d'une inutilité complète, d'une stérilité qui ne pourrait jamais être fécondée !

J'avoue, messieurs, que je ne comprends pas comment une institution qui a porté de si heureux fruits, pendant plusieurs années, est frappée tout à coup, pour ainsi dire, de mort dans l'opinion.

M. le ministre des travaux publics, arrêté cependant par la pensée et la certitude des services que rendait ou qu'avait rendus le conseil des mines, n'a pas jugé pouvoir s'en rapporter dès l'abord à sa propre opinion. Il s'est entouré d'hommes compétents. C'est, de sa part, grande modestie. Car, sous le rapport des principes, sous le rapport de l'appréciation de l'utilité d'une institution importante, je crois qu'il est peu d'hommes plus compétents que lui.

Mais enfin, il a invoqué d'autres lumières. On lui a donné des renseignements tels qu'entraîné par la nécessité dominante des économies, il n'a plus hésité à proposer le projet qui est aujourd'hui en discussion.

La suppression était dans toutes les bouches ; les hommes compétents l'appuient, a dit un honorable membre.

Messieurs, cette assertion s'accorde peu cependant avec ce qu'aujourd'hui la publicité quotidienne nous révèle et avec les observations que fout des compagnies placées dans une situation qui leur permet de juger très diversement de l'utilité ou de l'inutilité du conseil des mines.

La chambre de commerce de Mons, placée certainement dans un milieu où elle a pu apprécier tout ce que le conseil des mines pouvait faire, a réclamé. Elle s'élève contre la suppression de cette institution.

La commission des charbonnages de Liège, composée d'hommes extrêmement compétents, a suivi la même voie, a fait également une réclamation.

Ces réclamations sont déposées sur le bureau.

En troisième lieu, une association d'ingénieurs sortis de l'école de l'université de Liège, ingénieurs dont quelques-uns sont très distingués par leurs connaissances, s'est spontanément réunie, a délibéré mûrement et sans aucune espèce d'intérêt, sur la difficulté que nous sommes appelés à résoudre, et a présenté également des réclamations contre l'admission du projet.

(page 901) Voilà donc encore des hommes compétents ; voilà donc encore des hommes qui ont intérêt à ce qu'une espèce de juridiction qui pourrait leur devenir fatale et qui ne présenterait aucune garantie, disparaisse. Car à qui le conseil des mines doit-il donner des garanties ? C’'est bien certainement aux concessionnaires de mines, à ceux qui, aujourd'hui concessionnaires, peuvent demain devenir demandeurs en extension. Eh bien! sans hésiter, ils demandent la conservation de cette institution. Outre la compétence que leur donnent leurs connaissances et leurs pratiques, ils ont encore l'intérêt qui les conduit à discuter les véritables garanties que donne l'institution que l'on attaque,

Parlerai-je des organes de la presse quotidienne?

J'ai entendu diriger une attaque indirecte contre eux : c'est depuis que la défense a été habilement présentée, que l'on s'est ému, que les journaux ont traité cette question, que l'on a vu la presse se répéter pour ainsi dire comme un écho.

Messieurs, c'est faire bon marché de ce qu'on proclamait, il y a à peu près un an, quand on a aboli le timbre des journaux, comme un des grands moyens de répandre les lumières, Ainsi, un jour la presse quotidienne peut nous éclairer; le lendemain la pressée si passionnée; par suite de l'élan que lui donne une défense habile, elle entre dans une discussion qui lui est étrangère par sa nature et dans laquelle elle prend un intérêt.

A mon avis ce n'est pas être juste que de repousser l'autorité de la presse, quand elle défend une institution, et de ne l'admettre comme autorité que quand elle attaque cette même institution.

Mais entrons dans la question.

Pourquoi donc est-ce qu'aujourd'hui on veut faire si bon marché de l'institution du conseil des mines? C'est parce qu'il ne donne pas de garanties ; c'est parce qu'on s'est aperçu que le conseil des mines est un rouage presque inutile dans le système administratif. Le conseil des mines, a-t-on dit, est une fraction de l'ancien conseil d'Etat de France. Je vous avoue que je comprends difficilement cette fraction qui, à travers les événements, serait venue tomber dans notre organisation générale. Le conseil des mines n'est pas une fraction ; c'est une institution d'elle-même; c'est une institution, je ne dirai pas complète, peut-être y manque-t-il quelque chose; mais c'est une institution spéciale. Elle s'occupe des mines. Et ce qui lui manque peut dépendre de bien peu de choses.

Le conseil des mines ne donne aucune espèce de garantie ! Pourquoi ? Parce qu'il y a un rapporteur; parce que c'est le rapporteur qui fait l'opinion et que le conseil l'adopte.

Le conseil des mines est inutile. Pourquoi ? Parce que le conseil des mines jusqu'à présent n'a fait qu'adopter les avis des ingénieurs, les avis de sa députation permanente, les avis qui lui étaient donnés avant qu'il ne s'occupât de l'affaire.

Messieurs, si parce qu'il y aurait une instruction préalable à la décision d'une question, le tribunal ou le pouvoir qui doit décider la question devenait inutile, il faudrait supprimer vos tribunaux.

L'institution est inutile; pourquoi? Précisément parce que ses membres s'éclairent; précisément parce qu'ils sont mis à même de donner leur avis en parfaite connaissance de cause.

On dit : Le rapporteur fait l'opinion. Messieurs, il me semble qu'on ne peut pas soupçonner légèrement une institution qui doit s'occuper du règlement de très graves intérêts. On ne peut pas lui reprocher légèrement de concentrer son avis dans un simple rapport.

Mais qu'on y prenne garde, l'innovation que l'on présente donne-t-elle les garanties que l'institution actuelle refuse ? Eu aucune manière. On veut que ce soit le conseil des ministres qui décide en dernier lieu. Est-ce qu'on ne nommera pas un rapporteur dans le conseil des ministres?

Mais croit-on que le département auquel ressortissent plus spécialement les questions de ce genre, ne sera pas aussi spécialement appelé à en connaître, et qu'un rapport ne lui sera pas fait? Ferai-je l'injure au ministère de penser que sur le simple exposé d'une affaire il se laissera entraîner tout entier? Non, je ne ferai pas cette injure au ministère, pas plus que je ne la ferai au conseil des mines, qu'on ne peut soupçonner ainsi d'abandonner ce qu'il y a de plus sacré dans ses fonctions, c'est-à-dire la connaissance intime des questions.

Eh ! le défaut de publicité ! mon Dieu, l'on a prouvé et prouvé d'une manière irréfragable à mon avis, que la publicité, dans l'état actuel des choses, est aussi grande que possible, et, je me permets de le demander, gagnera-t-on quelque chose en publicité en transportant au conseil des ministres la connaissance des demandes auxquelles les mines peuvent donner lieu? .Mais nullement, messieurs ; il y a plus, c'est que le rapport fait au conseil des mines doit être communiqué aux parties intéressées, en vertu d'une disposition précise de la loi ; retrouvons-nous dans le projet une disposition qui renferme une pareille précaution? Non, le projet n'en dit pas un mot, de sorte que le rapport ne pourra pas être contesté par les personnes intéressées. Voilà une garantie de moins, non pas contre l'improbité, il ne s'agit pas ici d'improbité, mais contre l'erreur ; car quelque probité qu'il y ait dans le cœur des ministres, ils payent le tribut général de l'humanité, c'est de l'erreur, et l'erreur est facile.

Voilà donc une garantie qui existe dans l'institution actuelle et qui est anéantie dans l'institution qu'on nous propose.

Le conseil des mines a dû s'en rapporter, dit-on, aux hommes de l'art pour la plupart des questions. Quand les questions sont simples, le conseil des mines donne facilement son avis, mais quand les questions sont difficiles, quand il s'agit de discuter des questions d'art, il faut que le conseil des mines s'en rapporte aux ingénieurs. Qu'on me permette, messieurs, de ne point admettre cette assertion comme également juste dans toute son étendue. Certes, si, lorsqu'il s'agit d'accorder une concession, lorsqu'il s'agit d'accorder une préférence, il fallait descendre dans les détails dont se compose l'art du mineur, je pourrais penser que la connaissance de tous ces détails n'appartient pas également à tous les membres du conseil des mines et même que les derniers détails n'appartiennent à aucun; mais ce n'est point dans ces détails que l'on descend lorsqu’il s'agit de juger ou une concession, ou une maintenue, ou une extension: on n'apprécie les règles de l'art que dans les grands faits ; je ne nierai pas l'utilité du secours que peuvent apporter les hommes de l'art proprement dits, les hommes techniques; mais je dis qu'avec l'habitude de s'occuper de ces matières, les membres du conseil des mines, si même ils étaient étrangers, en quelque sorte, à cette partie de leurs attributions, peuvent en très peu de temps se rendre ces questions familières. Dira-t-on qu'il en est de même du conseil des ministres? Messieurs, on peut désirer la durée des ministères, mais, hélas! les ministères ont souvent le sort des choses humaines, le sort de ces choses qui, toutes bonnes qu'elles sont, ne vivent qu'un matin. On l'a dit, le fauteuil de ministre est un fauteuil glissant.

Eh bien les ministres, placés dans une pareille situation, auront-ils le temps de faire les études convenables ? Les ministres, entraînés par les soins de l'administration qui doit marcher incessamment et toujours, auront-ils le temps de se livrer à ces études ? Mais ceux qui sont appelés à faire mouvoir une institution permanente, qui le sont aussi d'une manière permanente, qui sont au-dessus des tempêtes politiques, que les éclats de ces tempêtes ne peuvent atteindre, ces hommes pourront mieux entrer dans la connaissance de tous ces détails. Voilà où la garantie n'existe pas dans le projet qui nous est soumis, dans l'institution actuelle, elle existe par la nature même des fonctions, par permanence, par l'exclusion de toute autre fonction ; les membres du conseil des mines sont là, hommes spéciaux, en permanence, à l'abri de toute espèce de commotion politique, hommes étrangers à toute réaction puisqu'ils sont au-dessus des occasions dans lesquelles on sent le plus vivement la réaction.

Je parle de réactions; les députations permanentes dont on laisse subsister l'intervention dans le projet sont indiquées comme pouvant donner d'excellents avis, comme donnant des avis absolument désintéressés, comme pouvant préparer et préparant en effet les décisions du conseil des mines, de telle sorte que souvent le conseil des mines n'a qu'à homologuer ces décisions. Je reçois ici des marques d'assentiment d'un très honorable collègue et ami qui trouve que je juge parfaitement bien les députations permanentes. Il peut apprécier lui toute l'étendue et toute la portée de mes observations. Certes, si les députations permanentes étaient toujours composées d'hommes comme celui à qui je fais allusion en ce moment, on pourrait être parfaitement tranquille sur le résultat. On ne lui reprochera pas cette flexibilité de caractère qui cède continuellement aux exigences de quelques intérêts sort réels soit factices ; mais, malheureusement pour l'humanité, malheureusement aussi pour les existences politiques et civiles, tous les hommes n'ont pas la même trempe d'esprit et j'ajouterai de cœur, parce que les esprits fortement trempés perdent quelquefois du côté du cœur une partie des avantages de leur esprit.

Ayant fait à chacun la part qui lui revient, ayant rendu justice, et c'est pour moi un bonheur quand je puis en rendre une pareille, je me suis demandé pourquoi si tous les hommes sont ainsi, pourquoi estime-t-on celui qui a un pareil caractère? Est-ce parce que la chose se présente tous les jours, parce qu'il n'y a qu'un pas à faire pour trouver 20, 100, 1,000 personnes?

Pourquoi donc estime-t-on si haut une chose? On sait que c'est généralement la rareté qui ajoute à son prix; y a-t-il plus d'hommes forts que d'hommes faibles? Non, sans doute, et faut-il de grandes recherches pour rencontrer un homme qui peut être entraîné à son insu et contre sa volonté, contre le sentiment de son cœur?

Je crois donc, messieurs, que j'ai ici jugé les hommes comme ils sont. Quand je parlerai maintenant des députations permanentes, bien certainement ceux qui appartiennent à ces corps ou qui y ont appartenu ne pourront pas s'offenser de ce que je dirai, parce que je jugerai l'humanité tout entière et non pas les députations permanentes particulièrement.

Les députations permanentes, on l'a dit souvent, sont le résultat de l'élection. On sait tout ce que le travail des élections peut produire, d'un côté de superbe, c'est-à-dire l'arrogance ; d'un autre côté quelquefois d'humilité et de souplesse. Je ne calomnie pas l'humanité en le disant; eh bien, un corps constitué manière à dépendre, à des termes assez rapprochés, d'élections diverses, ce corps sera-t-il, par la composition, par les éventualités, à l'abri de toute espèce d'influence ?

Quand les adversaires du projet ont dit que le conseil des mines présentait une garantie, en ce sens que les membres ne pouvaient donner leur avis quand la question intéressait leurs parents, on a répondu qu'une disposition semblable se trouvait dans la loi provinciale, en ce qui concerne les députations permanentes dont les membres ne peuvent prendre part aux délibérations qui les intéressent, eux ou leurs parents jusqu'au quatrième degré inclusivement.

La loi parle d'un intérêt direct; je ne chicanerai pas sur ce mot direct. Mais en face d'un intérêt direct, je poserai un intérêt indirect, c'est-à-dire l'intérêt de l'éligibilité, c'est-à-dire l'entrainement qui vous conduit malgré vous à voir d'un œil favorable les prétentions de l'électeur, (page 901) à trouver que l'électeur est plus fondé dans la demande, au moment de l'élection, qu'il ne le serait dans d'autres temps, tout comme on trouve que l'électeur est plus coulant jusqu'au vote inclus.

Cette influence involontaire dont il sera difficile de se défendre dans le sein de la députation permanente, existe-t-elle pour les membres du conseil des mines? Nullement, ils ne sont pas éligibles. Ils tiennent leur mandat du Roi. On n'a pas à craindre qu'on leur demande des complaisances.

Il s'agit maintenant d'apprécier l'institution qui serait désormais chargée de régler toutes les demandes de l'espèce, si le conseil des mines était supprimé. Le conseil des ministres, qui remplacerait le conseil des mines, est tellement composé, que des récusations dirigées contre l'un ou l'autre ministre rendraient le ministère incomplet.

Maintenant les ministres seront-ils moins enclins que d'autres à obéir, dans leurs décisions, à des considérations étrangères aux demandes mêmes? C'est une question que je ne veux pas poser devant vous, parce que, posée d'une manière générale, elle devrait recevoir une solution assez fâcheuse, et qu'au point de vue particulier, on ne pourrait, sans manquer aux convenances, la poser en ce moment.

J'ai dit que le rapport qui sera fait par un ministre ne sera pas communiqué aux parties intéressées; ainsi voilà une garantie de la législation actuelle, que le nouveau projet ébrèche, si je puis parler ainsi.

Ma tâche est terminée; d'autres orateurs ont déjà développé les motifs que je voulais faire valoir. En résumé, je pense que le projet nouveau présentera dans l'exécution moins de garanties que la loi à laquelle on veut le substituer.

S'il en est ainsi, si j'ai pu faire pénétrer dans vos esprits la conviction de l'utilité du conseil des mines, la conviction des services qu'il a rendus et qu'il rendra encore, alors je me demande, pourquoi le changer ? Quand un établissement a porté d'heureux fruits, on ne doit le changer que par les raisons les plus graves. L'établissement dont il s'agit est-il vicié dans sa composition ? On s'est bien gardé de l'attaquer sous ce rapport. M. le ministre des travaux publics a dit qu'd n'était pas nécessaire qu'une institution fût viciée, pour qu'on y touchât ; qu'une institution peut être changée, quand elle n'est pas indispensable.

Cette proposition, prise dans son application sèche, est vraie. Mais quand l'utilité d'une institution est reconnue par ceux mêmes qui veulent l'atteindre, faut-il se demander si l'institution est indispensable? Selon moi, il suffit qu'une institution ait été reconnue utile pendant longtemps pour qu'on ne cherche pas à la modifier, encore moins à l'anéantir.

Si vous admettez qu'une institution est utile, pourquoi inconsidérément courir les hasards de la substitution d'une autre institution qui ne sera peut-être pas utile, qui sera même dangereuse.

De ce principe, je tire la conséquence qu'il ne faut pas légèrement attaquer une institution, uniquement parce qu'elle n'est pas indispensable.

Indispensable, c'est-à-dire dont l'existence, se lie d'une manière intime à la vie sociale.

Combien, s'il vous plaît, y a-t-il d'institutions indispensables ? Combien d'hommes indispensables? Un grand homme de nos jours a dit : « Il n'y a pas d'homme indispensable, pas même moi. »

Messieurs, il y a dans notre pays des institutions qui méritent tout notre respect, qui y paraissent indispensables, et qui, si on les transportait dans un autre pays, y seraient repoussées.

Eh bien, je trouve qu'il suffit qu'il soit utile; car voyez où conduirait un pareil système ; on pourrait dire que telle institution n'est pas indispensable, qu'on peut y toucher, la modifier, l'anéantir, lui en substituer une autre. Une telle logique serait-elle admissible dans la marche sociale en présence des leçons qu'on reçoit chaque jour, qui prouvent le danger de toucher aux institutions par cela seul qu'elles ne sont pas indispensables?

Prouvez-vous que l'institution est mauvaise? Alors touchons-y hardiment, tranchons dans le vif. Mais quand une institution est reconnue utile, qu'on proclame les services qu'elle a rendus, qu'on dit qu'il faut y toucher parce qu'elle n'est pas indispensable, lui substituer une innovation qui ne présente pas les mêmes garanties, c'est une logique à laquelle je ne puis pas acquiescer.

Du reste, dit-on, l'utilité on vous l'accorde; mais prenez donc garde que vous demandez le maintien d'une institution qui s'en va d'elle-même; elle périra faute d'aliment au travail de son esprit. Que lui reste-t-il à faire? A donner son avis sur quelques demandes de concessions.

Je ne puis admettre un jugement aussi dédaigneux. Il lui reste 150 demandes non seulement de concession, mais des demandes de tout genre en maintenue, extension ou concession.

Or, le conseil des mines n'a-t-il opéré que sur des demandes qui n'ont jamais donné lieu à une discussion, à un incident? J'ai le tableau, dont la véracité ne peut être méconnue, où l'on voit que 160 affaires ont demandé, soit des jugements interlocutoires, soit de nouvelles informations ou des discussions nouvelles, et que ce n'est pas sur l'avis des députations permanentes, ou des ingénieurs qu'on s'est borné à décider, qu'on a fait toute espèce de recherches, que le conseil a déployé toute son énergie, sa force de jugement, qu'il n’a reculé devant aucune recherche, qu'il a poursuivi la lumière partout quand il ne la trouvait pas dans les avis des ingénieurs et des députations.

Qu'on prenne garde à tout ce qui reste en demandes de concession, de maintenue ou d'extension, qu'on songe que les difficultés surgiront plus graves, maintenant qu'une partie du système métallurgique est tout à fait neuve. Tant qu'on n'a eu besoin de s'occuper que des charbonnages, on avait des traditions qui suffisaient, on connaissait les dangers, car il y a des espèces de concessions qui avaient été données dans des temps antérieurs d'une manière qui les avait rendues fécondes en procès. Ces questions sont devenues moins compliquées; maintenant nous avons des demandes en concession pour des substances dont on ne se doutait pas il y a 50 ans, qui sont livrées à une grande consommation et qui sont une source immense de richesse. Comment peut-on dire que la source des concessions est épuisée, que bientôt le conseil des mines restera sans application? Mais s'il est si près de s'éteindre, qu'a-t-on besoin de l'anéantir aujourd'hui? Qu'on attende !

On réclame des économies, on a raison ; mais je le demande, le système des économies, quand même et sur tout, est-il bon? Ne faut-il pas se défendre contre l'entraînement où l'on se sentirait poussé, parce que l'économie est dans la bouche de tous, dans les besoins de tous. N'y a-t-il pas des dépenses plus fructueuses que des économies? Faut-il, quand l'utilité d'une institution est démontrée, parce qu'elle n'est pas indispensable, y porter la main? Prenez garde, car si vous agissiez ainsi pour celle qui nous occupe, le principe étant posé il en est beaucoup qui courraient risque de subir le même sort. On ne me demandera pas de les nommer.

C'est un avantage sans doute que de soulager les dépenses du trésor. Mais c'est un avantage plus grand de satisfaire aux besoins moraux d'une industrie vient les représentants intéressés demandent hautement le maintien d'une institution que l'on veut, sans raison péremptoire, anéantir pour lui substituer l'action d'un système qui ne la vaut pas.

- Plusieurs voix. - La clôture ! la clôture !

M. Lesoinne. - Je demande à la chambre de vouloir bien m'entendre; j'ai quelques observations de fait à ajouter à celles qui vous ont été présentées.

(page 906) M. Lebeau. - Il faudrait cependant connaître la signification du vote de clôture. Ce ne peut être que la clôture de la discussion générale. La loi est composée de plusieurs articles ; entendez-vous fermer la bouche à ceux qui voudraient parler sur les articles ? Il faut être franc, néanmoins : la discussion de l'article premier sera une seconde édition de la discussion générale. Toute la loi est dans l'article premier.

Je crois avoir prouvé que je suis autant que personne économe des moments de la chambre, mais je ne comprends pas qu'on trouve que c'est trop de consacrer deux séances pleines pour arriver à la destruction d'une législation qui n'a vu le jour qu'après une discussion d'un mois entier, discussion qui avait été préparée par des travaux préliminaires, prolongés pendant 5 ou 6 ans, et par les délibérations de plusieurs commissions spéciales.

La fièvre des économies me fait peur, comme toutes les fièvres. Il faut sans doute tenir compte du besoin des économies, vivement senti par le pays et par la chambre. Mais je crois réellement qu'il est d'autres considérations au poids desquelles il faut peser une institution de la nature du conseil des mines.

Ainsi, dans une question bien moins importante, lorsqu'il s'est agi de réduire le personnel des députations permanentes, la discussion a été plus longue. Cependant, à nos yeux, elle avait moins d'importance.

Je demande donc, si la discussion générale est close, que l'on soit admis, sans être taxé d'une sorte de supercherie, a exprimer son opinion à propos de l'article premier.

M. le président. - Je dois faire remarquer que la section centrale n’pas examiné la loi. La chambre votera donc sans doute sur une question de principe.

M. Lebeau. - Je ne comprends pas cette manière de procéder. Quand un projet de loi est en discussion, nous ne pouvons procéder ainsi sans violer le règlement, qui prescrit en termes exprès de voter article par article.

- Plusieurs membres. - Qu'on pose la question de principe.

M. Lebeau. - S'il en est ainsi, je demande que la discussion continue.

(page 902) M. de Theux. - Il s'agit, pour voter sur la demande de clôture, d'en apprécier les conséquences.

Je comprends que l'on prononce la clôture de la discussion générale en tant qu'elle se rapporte à l'ensemble du projet de loi. Mais il est évident qu'ensuite l'article premier doit être mis en discussion et soumis au vote.

L'article premier renferme la question de principe. Si le conseil des mines est maintenu, le projet du gouvernement tombe. Il n'y a rien à discuter; car tous les articles subséquents supposent l'anéantissement du conseil des mines.

Discutons donc l'article premier; il sera libre à chacun de soutenir ou de combattre l'institution du conseil des mines.

M. Delfosse. - La majorité de la section centrale s'est prononcée contre le principe du projet de loi, et elle a cru en conséquence devoir se dispenser d'examiner les articles de ce projet. Mais le gouvernement ne s'étant pas rallié à la résolution de la section centrale, c'est le projet du gouvernement qui est en discussion, et à moins qu'on ne demande, par motion d'ordre, qu'un vote préalable ait lieu sur la question de principe, il faudra, lorsque la discussion générale sera close, aborder la discussion de l'article premier dans lequel le principe de la loi est déposé. C'est la marche indiquée par le règlement et par les précédents de la chambre.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Je suis parfaitement d'accord avec l'honorable M. Delfosse, mais ce qui me paraît en résulter, c'est que personne n'a intérêt à s'opposer à la clôture de la discussion générale, puisque la discussion se rouvrira sur l'article premier.

M. Dumortier. - Il doit en être ainsi, puisque c'est l'article 1er qui tranche la question.

- La discussion générale est close.

Discussion des articles

Article premier

(page 902) La chambre passe à la discussion sur l'article premier ainsi conçu :

« Art. Ier. Le conseil des mines établi par la loi du 2 mai 1837 est supprimé.

« A l'avenir il sera statué sur toute demande en concession, en maintenue ou en extension de mines (à l'exception de celles concernant des mines de fer) de la manière et dans les formes ci-après. »

M. Lebeau. - Je n'ose pas demander le renvoi à demain. Vous concevez cependant combien il est désagréable de parler devant une chambre fatiguée d'une discussion et impatiente de la clore. Si la chambre ne veut pas renvoyer la discussion à demain, je serais tenté de renoncer à la parole. Cependant, quoique le résultat soit facile à prévoir, il me serait pénible de ne pas motiver brièvement mon vote. (Parlez! Parlez !)

Je dois tout d'abord faire remarquer la position assez singulière où se trouve la chambre. Nous avons là un ministère qui n'a pas l’habitude de s'effacer, et qui cependant, dans la discussion d'une loi aussi importante, vient nous dire que le vote de la chambre lui est à peu près indiffèrent ; que ce qu'il voit dans la question, c'est avant tout une question d'économie.

Je me permets de dire que, dans une question de cette nature, la question d'économie est la petite, la très petite question. La chambre a témoigné au gouvernement, dans une circonstance récente, que telle était son opinion lorsque, dans la discussion du projet de loi relatif à la réduction du personnel dès députations permanentes, elle a repoussé l'économie proposée.

Si cela était juste et convenable aux yeux de la majorité, alors qu'il ne s'agissait pas de supprimer les députations provinciales, de leur substituer un système tout à fait nouveau, c'est bien plus vrai, lorsqu'il s'agit de détruire de fond en comble une autre institution organique.

Le gouvernement s'est borné à dire : Le conseil des mines peut être utile, jusqu'à un certain point nécessaire. Il n'y a que des éloges à donner à ses actes; nous lui rendons publiquement hommage. On lui décerne anticipativement les plus belles oraisons funèbres. Mais savez-vous ce qu'on lui dit au même moment? On dit : Cette institution n'est pas indispensable. Ce qui est indispensable sans doute pour rétablir l'équilibre dans nos finances, c'est de faire à tout prix une économie de 16 ou 17 mille francs.

Qu'on y prenne garde, ce raisonnement pourrait nous conduire fort loin. L'honorable M. Destriveaux l'a dit avec beaucoup de raison, il est peu d'institutions qui ne seraient ébranlées, si on les soumettait à l'épreuve à laquelle on soumet le conseil des mines.

Si l'on vous disait : Est-il absolument indispensable qu'il y ait deux universités de l'Etat? Est-il indispensable qu'il y ait une université à Gand, et une université à Liège? Est-il indispensable qu'il y ait trois cours d'appel dans le pays, alors qu'avant la révolution les provinces méridionales n'en comptaient que deux? La justice ne serait-elle pas très bien rendue par deux cours seulement? N'était-elle pas bien rendue avant qu'il y en eût trois?

M. Dolez. - La Constitution l'a décidé.

M. Lebeau. - Sans doute. Mais cette objection aurait pu être faite, lorsqu'on a proposé d'instituer trois cours d'appel, et pourrait motiver un jour une révision partielle de la Constitution. On aurait pu dire, on pourrait dire : C'est utile. Mais il eût été, il pourrait être facile d'établir que ce n'est pas indispensable.

Je me hâte de sortir de cette digression, et j'entre directement dans la question.

Je suis effrayé, je le répète, de voir renverser pour ainsi dire en une séance, une loi qui a coûté autant de peines, d'efforts et de temps, une loi qui trouvait son analogie dans la législation impériale de 1810, en vertu de laquelle les concessions de mines ne pouvaient pas être accordées purement et simplement par le gouvernement, mais devaient être délibérées en conseil d'Etat.

Je suis effrayé, messieurs, du pouvoir exorbitant que le nouveau projet de loi confère aux députations provinciales. Désormais, soyez-en sûrs, par la force des choses, c'est à la députation provinciale que vous conférez le droit, le droit véritable, le droit réel et pratique de concéder les mines. Je crois que dans une matière aussi délicate, dans une matière qui éveille aussi facilement les soupçons de favoritisme, il sera presque sans exemple qu'un ministre ose se mettre en opposition avec un avis formel d'une députation permanente.

Eh bien, messieurs, en accordant beaucoup de confiance, dans les limites de certaines attributions, aux députations permanentes, je ne leur reconnais pas l'aptitude convenable pour exercer un pouvoir aussi étendu.

On vous a dit que les députations provinciales, émanant de l'élection, étaient essentiellement et avant tout indépendantes.

Messieurs, les pouvoirs qui émanent de l'élection sont indépendants envers tout le monde, avec une seule restriction, c'est qu'ils ne le sont pas toujours envers le pouvoir qui élit.

Et d'ailleurs , voyez quel pouvoir vous conférez à la députation provinciale.

La députation, qui est un corps essentiellement local, je l'admets en premier ressort, comme donnant un avis qui ne lie pas. ;

Mais la députation provinciale se trouvera ensuite dans la plus étrange position, lorsqu'elle aura à statuer entre des demandeurs en concession, domiciliés dans le ressort de la province et des demandeurs en concession qui seront étrangers à la province. Sa position sera des plus difficiles. Il faut un correctif. Eh bien ce correctif était uniquement dans un véritable tribunal, dans un tribunal supérieur, indépendant, permanent.

La plupart des arguments que j'avais notés ont été dévéloppés par d'honorables collègues. Cependant, messieurs, on n'a peut-être pas assez fait ressortir ce qu'il y a d'étrange dans les attributions, toutes spéciales, qu'on veut déléguer souverainement au ministère ; à un corps composé par les vicissitudes de la politique, composé par des influences toutes, en quelque sorte, en dehors de l'administration 'proprement dite. On a déjà fait ressortir ce qu'il pouvait y avoir souvent de singularité à faire délibérer un ministre des affaires étrangères, un ministre de la guerre sur des questions de mines.

Maintenant, dans l'exécution, je demande qu'on veuille bien répondre à quelques-unes des objections faites par d'honorables membres de la Chambre.

Je demande qu'on veuille bien répondre à l'objection tirée de l'impossibilité pour les intéressés d'exercer la moindre récusation. Je demande ensuite ce que c'est qu'un conseil des ministres. Combien de membres faut-il pour le composer? A quel nombre peut-il siéger ? Qu’arrivera-t-il quand un ministre sera malade ou empêché? Quand un ministre sera directement intéressé, qu’arrivera-t-il ? Si, comme je n'en doute pas, il est homme délicat, il voudra s'abstenir. La loi ne lui donne pas ce droit.

M. Lelièvre. - Cela va de soi.

M. Lebeau. - Où avez-vous vu que ce droit existe?

M. Lelièvre. - C'est un droit naturel.

M. Lebeau. - Mais si c'est un droit naturel, alors le tribunal devient incomplet. Quand un juge se récuse, vous le remplacez. Par quoi remplacerez-vous le ministre qui se récusé? Je défie qu'on me réponde.

Quand, dans un tribunal, un des juges est récusé, il est remplacé.

Quand, dans le conseil des mines, un membre était récusé, ou devait se récuser spontanément, il était remplacé. Ce n'est donc pas par le conseil des ministres ; c'est par quelques ministres que vous pourrez faire à l'avenir décider les questions relatives aux concessions de mines !

On a, messieurs, parlé de la responsabilité ministérielle. Je fais très grand cas de la responsabilité ministérielle ; mais il ne faut pas lui donner une application à laquelle tout résiste. Je dis que ce n'est pas là une garantie dans la matière sur laquelle nous délibérons. Car, si la responsabilité ministérielle était en tout et toujours une garantie, et la meilleure des garanties, comme l'a dit l'honorable M. Dolez, pour les citoyens, quand il s'agit d'une question à débattre entre Pierre et Paul, je dis qu'alors il faudrait préférer le conseil des ministres à nos tribunaux, à nos cours, à la cour de cassation. Avec le système de l'honorable M. Dolez, qui fait consister dans la responsabilité la meilleure distribution de la justice administrative entre divers contendants, il faudrait mettre de côté les cours et les tribunaux, qui ne sont jamais responsables. L'honorable M. Moncheur a déjà fait voir que c'est surtout en cela que gît leur force et leur considération.

Messieurs, je ne comprends pas, et j'aurai même besoin sur ce point de quelques explications de M. le ministre, que la question du conseil des mines soit une question d'économie. Je pense que, d'après la législation 8urles mines, on devrait nécessairement imposer les redevances dans un (page 907) proportion qui permît au moins de couvrir les dépenses de l'administration des mines, le conseil y compris, Je crois que c'est là le sens, le vœu de la loi, si ce n'en est le texte.

Eh bien, si vous voulez faire cesser la répugnance que rencontre le conseil des mines, du chef de la dépense dont il est l'objet, vous n'avez qu'à augmenter, dans une proportion très peu considérable, les redevances payées par les concessionnaires, redevances dont le chiffre, messieurs, à côté des bénéfices souvent immenses que réalisent plusieurs d'entre eux, est une véritable dérision. Il s'agit cependant là des matières les plus imposables qui puissent s'offrir aux méditations du fisc.

Ainsi la question du conseil des mines, d'après l'esprit évident de la législation, ne devrait pas être une question d'économie. Ce devrait être aux concessionnaires, aux exploitants à payer le conseil des mines comme ils payent le corps des ingénieurs.

J'ai dit, messieurs, que dans mon opinion, le conseil des ministres bien rarement osera se prononcer contre une députation permanente. Je sais que l'on a une réponse à cette objection. On prétend que les députations permanentes ont été en réalité pour ainsi dire le gouvernement, ont fait les fonctions de conseil des mines.

Mais, messieurs, le conseil des mines n'a-t-il pas exercé sur les députations une salutaire influence, en supposant même qu'il n'ait fait souvent que confirmer leurs avis? N'a-t-il pas exercé sur elles une action préventive très salutaire, de la nature de celle que les tribunaux supérieurs exercent sur les tribunaux inférieurs, dont très souvent aussi ils se bornent à confirmer les décisions? Je crois, messieurs, qu'il est impossible de nier cette action et cette analogie entre le conseil des mines et les tribunaux supérieurs.

Quoi qu'il en soit, dans les questions de mines, sans qu'on ait besoin de renvoyer devant les tribunaux, il s'agit très souvent de questions du tien et du mien, quand il s'agit de prononcer sur un conflit qui s'élève entre différents demandeurs en concession, entre différents demandeurs en extension, entre différents demandeurs en maintenue, entre différents inventeurs, entre propriétaires. Quand tous ces intérêts sont en présence, quoi qu'on puisse en dire, bien qu'il n'y ait pas lieu de renvoyer devant les tribunaux des questions de propriété, ce sont bien des questions du tien et du mien, sur lesquelles un corps permanent et non politique, non électif, peut seul statuer sans s'exposer aux soupçons les plus fâcheux, les plus compromettants.

Et, messieurs, ce ne sont pas des intérêts minimes que les intérêts engagés dans de tels conflits. Je connais telle exploitation dans le district qui m'a envoyé dans cette chambre, qui gît dans environ 4 hectares seulement et qui renferme des minerais estimés à plus de 8 millions, à plus de 2 millions par hectare ! Voilà des questions qui peuvent se débattre entre Pierre, Paul, Jean, ruiner les uns, enrichir les autres, et qui viennent s'offrir au conseil des mines ; elles sont bien, je pense, par leur nature, du ressort d'une espèce de tribunal, d'un corps permanent, non politique, non électif, plutôt que d'un corps variable, peu homogène sous ce rapport, et purement politique.

L'honorable M. Dolez a cité ce qui se passe pour les constructions d'usines, ce qui se passe pour les routes, pour les chemins de fer. L'honorable membre n'a pas vu que ces cas ne présentent aucune analogie avec les concessions de mines.

Lorsqu'il s'agit d'ériger une usine, de consulter le gouvernement sur des questions de salubrité publique, il n'y a pas plusieurs concurrents en présence, il n'y a que l'intérêt public d'un côté et un citoyen de l'autre. Il en est de cela comme des expropriations pour cause d'utilité publique ; il n'y a nul inconvénient à laisser au gouvernement seul la déclaration qu'il y a nécessité d'exproprier pour cause d'utilité publique ; là, encore une fois, il n'y a pas de concurrents en présence, il n'y a pas procès, il n'y a qu'une grande mesure d'administration à prendre. Quand il s'agit de chemins de fer, de canaux à concéder, on pourrait dire encore que c'est un acte d'administration, et cependant la chambre a été si frappée du danger qu'il pourrait y avoir à laisser sans limite la concession des chemins de fer et des canaux aux ministres, que, il y a quelques années, pour les grandes entreprises de ce genre, elle a dépossédé le gouvernement du droit de les concéder pour le faire passer dans le domaine de la législation; de sorte que l'exemple de M. Dolez ne peut s'appliquer ni aux chemins de fer ni aux canaux d'un certain développement.

Messieurs, j'abrège, l'heure nous presse ; j'entrevois d'ailleurs assez le résultat, et je termine. Je crois , en faisant opposition à cette loi, me montrer plus ami du pouvoir, j'ose le dire, que ceux qui défendent le projet. En attaquant le projet et en votant contre, je suis surtout mu par cette idée qu'il faut à tout prix mettre le pouvoir, sa moralité, sa dignité, son prestige à l'abri de toute atteinte. Le pouvoir est déjà miné de toutes parts; si vous le placez dans la position fausse que lui fait le projet de loi, si vous l'exposez, dans l'esprit du peuple, à des soupçons sur sa moralité, à des défiances, je le veux, presque toujours injurieuses, injustes, vous aurez néanmoins beaucoup fait pour la déconsidération de ce que nous devrions avoir tous à cœur de maintenir non seulement honorable et pur, mais placé au-dessus même du soupçon.

(page 902) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - La chambre comprendra que je ne puis garder le silence, en présence des observations qui ont été présentées par deux orateurs.

L'honorable M. Moncheur vous dit que le ministre des travaux publics avait manifesté, par sa conduite et par son langage, qu'il n'était pas pleinement convaincu de l'utilité de la mesure qu'il avait soumise à votre approbation. Après lui, l'honorable M. Lebeau vous a déclaré que le gouvernement lui semblait avoir tenu, dans cette discussion importante, un rôle peu digne.

M. Lebeau. - Je n'ai pas dit cela.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Vous n'avez pas employé cette expression, je le reconnais, mais vous avez dit que par son rôle passif, le ministre des travaux publics s'était montré indifférent au succès de sa proposition.

Je dois, messieurs, rectifier ce qu'il y a d'inexact dans ces deux assertions, et je prierai la chambre de considérer combien la position du ministère est malheureuse. S'il lui arrive de montrer quelque vivacité dans la défense de ses projets, on lui reproche de se passionner, de vous mettre le couteau sur la gorge. Que si, au contraire, il vous dit aussi modérément que possible : J'ai examiné la question avec attention; avant de me décider, j'ai voulu m'entourer de tous les renseignements possibles; je les ai pris et au sein du conseil des ministres, et parmi les hommes les plus compétents, et j'ai fini par me convaincre que la mesure que je vous propose n'offre pas de dangers ; il se montre froid et presque indifférent. Je demanderai à ceux qui nous font ces (page 903) reproches, de vouloir bien nous dire quelle est la ligne de conduite que nous devons suivre.

La chambre ne paraît pas désirer, messieurs, que je rencontre toutes les objections qui lui ont été présentées dans la séance d'aujourd'hui : aussi ne le ferai-je pas. Toutefois, quelques assertions ont été produites que je ne puis laisser sans réponse.

L'honorable M. Dechamps a dit que ce n'est pas la première fois que l'on a proposé de déférer le jugement des demandes en concession de mines au conseil des ministres; mais que le projet de loi qui a été présenté dans ce but en 1831 a reçu au sein de la chambre le plus mauvais accueil; que la section centrale s'y est montrée hostile. Je ne puis mieux répondre à cette allégation qu'en donnant lecture à la chambre du passage du rapport de la section centrale d'alors, où il est question de la nouvelle attribution que le projet de loi conférait au conseil des ministres. Ce rapport est du 22 octobre 1831. J'y lis :

« Le 12 de ce mois, le gouvernement vous a présenté un projet de loi dont le but était de donner provisoirement au conseil des ministres les attributions conférées au conseil d'Etat par la loi du 21 avril 1810, et les règlements en vigueur sur les mines.

« Renvoyé aux sections, ce projet a éprouvé, de la part de deux d'entre elles, de légères modifications qui ont été approuvées par la section centrale. »

M. Dumortier. - Ce sont des contes.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Ce ne sont pas des contes, ce sont les propres expressions du rapport. A la vérité la chambre a voté l'ajournement; mais je n'en ai pas moins eu raison de dire que, bien loin que la section centrale ait fait mauvais accueil au projet de loi, elle s'y est montrée favorable.

Je m'arrête ici, messieurs, parce que la chambre semble désirer que la discussion ne se prolonge pas davantage, et en conséquence je m'abstiendrai de rencontrer les autres objections qui ont été élevées.

- La discussion est close sur l'article premier.

- Des membres. - La division!

M. le président. - La division, c'était de droit ; je mets aux voix le premier paragraphe de l'article premier, paragraphe ainsi conçu :

« Le conseil des mines, établi par la loi du 2 mai 1837, est supprimé.»

- Plus de 5 membres demandent l'appel nominal. Il y est procédé.

79 membres répondent à l'appel.

51 répondent oui.

28 répondent non.

En conséquence, le paragraphe premier de l'article premier est adopté.

Ont répondu oui : MM. Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Rousselle, Sinave, Thierry, T'Kint de Naeyer, Troye, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Iseghem, Van Renynghe, Vilain XIIII, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Clep, Cools, Cumont, Debourdeaud'huy, de Brouckere (Henri), Debroux, de Haerne, Delfosse, d'Elhoungne, Deliége, de Royer, de T'Serclaes, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dolez, Dubus, Faignart, Frère-Orban, Jacques, Jouret, Jullien, Lange, Lelièvre, Liefmans, Manilius, Moreau, Orts, Osy, Pierre et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Prévinaire, Schumacher, Veydt, Allard, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (H.), de Bocarmé, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Pitteurs, De Pouhon, Desoer, Destriveaux, de Theux, Devaux, Dumont, Dumortier, Lebeau, Lesoinne, Mercier, Moncheur et Pirmez.

- La chambre remet à demain la suite de la discussion.

Ordre des travaux de la chambre

M. le président. - A la suite du projet de loi sur le conseil des mines, figure le projet de loi sur les successions ; mais il paraît que M. le ministre des finances est encore indisposé. On devrait donc discuter un autre projet. Après les successions, vient le projet de loi sur la compétence en matière civile; pour la réforme postale, etc.

M. Jullien. - Je demanderai qu'on s'occupe du projet de loi concernant la compétence en matière criminelle.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demande qu'on commence par les tarifs en matière criminelle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande qu'on donne la priorité à la réforme postale sur la loi relative au droit de succession.

M. Dumortier. - Je demande que la réforme postale ne vienne qu'après les lois qui doivent procurer des ressources au trésor.

M. Cools. - La réforme postale doit entraîner un déficit d'un million pour l'année prochaine.

- Plusieurs voix. - C'est une erreur ! c'est une erreur !

M. Cools. - Je demande qu'elle ne vienne qu'après la loi sur les successions.

M. le président. - La chambre décidera demain la question de priorité.

- La séance est levée à 5 heures.