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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 14 mai 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. A. Vandenpeereboom fait l'appel nominal à 2 heures et quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Des boutiquiers, marchands et détaillants de Bruly demandent une réduction de droit sur le sel en faveur des boutiquiers et détaillants de l'extrême frontière de France.

« Même demande de quelques boutiquiers, marchands et détaillants de Cul-des-Sarts. »

- Renvoi à la commission d'industrie.


« Les tailleurs de pierre et ouvriers de carrières à Soignies demandent que le gouvernement oblige les sociétés concessionnaires de chemins de fer à exécuter leurs travaux, et, si elles s'y refusaient, qu'on emploie en travaux d'utilité publique les sommes qu'elles ont déposées dans les caisses de l'Etat pour garantie de l'exécution de leurs contrats, ou bien que le gouvernement ait à sa disposition les fonds nécessaires pour exécuter les grands travaux qui ont été décrétés. »

- Renvoi à la commission des pétitions.

Motion d’ordre

Déroulement des séances plénières

M. le président. - Messieurs, je dois appeler l'attention de la chambre sur un fait qui malheureusement se renouvelle assez souvent. Depuis quelque temps, il arrive que vers la fin de la séance nous ne sommes plus en nombre, et on a, dans cette occurrence, demandé au bureau de faire insérer les noms des absents au Moniteur; mais le bureau a pensé qu'il n'en avait pas le droit. Si la chambre pense que l'insertion au Moniteur des noms des absents est nécessaire, il serait convenable qu'elle prît une décision à cet égard ; alors le bureau saurait dorénavant quelle est la ligne de conduite qu'il doit suivre.

M. Tesch. - M. le président, je pense qu'il faudrait faire une exception pour la séance du samedi. Beaucoup de nos collègues ont l'habitude de retourner ce jour-là chez eux et je comprends qu'on se relâche un peu, dans ce cas, de la rigueur ordinaire. Pour les autres jours, je ne vois pas pourquoi l'on ne publierait pas les noms des absents.

M. Delfosse. - La mesure proposée par notre honorable président serait incomplète. Le membre le plus assidu de la chambre peut se trouver absent à la fin d'une séance, sans qu'il y ait de sa faute, surtout le samedi; si l'on veut que le public sache quels sont les membres assidus, il faudrait publier chaque jour la liste des présents et des absents.

Il n'est pas juste de choisir pour la publier le jour où la chambre ne se trouve pas en nombre; ce jour-là, comme je le disais tantôt, le membre le plus assidu peut se trouver absent par hasard.

M. H. de Brouckere. - Je crois que l'on concilierait tous les intérêts s'il était entendu qu'en règle générale, et sauf exception, la séance du samedi commencera à midi 1/4 et finira un peu plus tôt que les autres séances.

- Cette proposition est adoptée.

Propositions de loi relatives au droit sur les sucres

Rapport de la section centrale

M. Cools, au nom de la section centrale qui a examiné les propositions relatives à l'accise sur les sucres, dépose le rapport sur les amendements de MM. H. de Brouckere et le ministre des finances.

M. le président. - Le rapport sera imprimé. Il pourra probablement être distribué ce soir.

M. Cools. - Le rapport a à peu près la même étendue que celui que nous avons fait sur le projet de M. le ministre des finances. Je ne pense pas que la distribution puisse se faire ce soir.

M. le président. - Le bureau prendra les disposions nécessaires pour qu'il soit distribué le plus tôt possible.

L'objet était à l'ordre du jour de demain; s'il n'y a pas d'opposition, il y sera maintenu. (Assentiment.)

Projet de loi relatif au code disciplinaire et pénal pour la marine marchande et la pêche maritime

Discussion des articles

Projet de loi établissant le code disciplinaire et pénal pour la marine marchande et la pêche maritime

Discussion des articles

Titre I. De la pénalité

Chapitre I. Des peines
Section III. Des crimes maritimes
Article 32

M. le président. - Nous avons à voter l'amendement de M. Delfosse au paragraphe 4 de l'article 32 :

- Cet amendement est mis aux voix et adopté.

L'art. 32, ainsi amendé, est adopté en ces termes :

« Art 32. Tout capitaine ou pilote chargé de la conduite d'un navire ou autre bâtiment de commerce ou de pêche, qui, volontairement et dans une intention criminelle, l'aura échoué, perdu ou détruit par tous moyens autres que celui du feu et d'une mine, sera puni des travaux forcés à temps.

« S'il y a eu homicide par le fait de l'échouement, de la perte ou de la destruction du navire, la peine énoncée en l'article 437, paragraphe 2 du Code pénal, sera appliquée.

« Les officiers et gens de l'équipage, coupables de ces crimes, encourront les mêmes peines. »

Article 38

M. le président. - Vient maintenant l'article 38, qui a été également réservé.

La commission, d'accord avec M. le ministre de la justice, propose de supprimer l'article.

- La chambre, consultée, prononce la suppression de l'art. 38.

Section II. Des délits maritimes - Section III. Des crimes maritimes
Articles 15 et 40

M. le président. - Nous arrivons à l'art. 40.

La commission propose une rédaction nouvelle ainsi conçue :

« Dans le cas prévu par le paragraphe 2 de l'article 15, le coupable subira la peine de la réclusion, si le fait a été précédé, accompagné ou suivi de coups ou blessures. »

Et elle ajoute à l'article 15, déjà adopté par la chambre, le paragraphe suivant :

« L'emprisonnement pourra être porté jusqu'à 5 ans et l'amende jusqu'à 300 francs, si les ordres ont été donnés pour le salut du navire ou de la cargaison. Cette dernière disposition est également applicable aux passagers. »

Il y a donc deux points distincts; il s'agit d'abord de savoir si la chambre reviendra sur l'article 15; ensuite si elle adoptera la rédaction nouvelle de la commission quant à l'article 40.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, il ne s'agit pas de revenir sur l'article 15, mais seulement d'y ajouter une disposition qui formerait le second paragraphe de cet article, lequel n'est nullement modifié.

- L'article 40 proposé par la commission est mis aux voix et adopté.

Le paragraphe additionnel à l'article 15 proposé par M. le ministre est également adopté.

Article 42

M. le président. - Nous passons à l'article 42 de la commission.

« Les marins ou passagers qui, par fraude ou violence envers le capitaine, s'empareront du navire, seront punis des travaux forcés à perpétuité s'ils sont officiers ou chefs de complot; les autres hommes de l'équipage seront punis des travaux forcés à temps.

« Si le crime a été précédé, accompagné ou suivi d'homicide, la peiné comminée par l'article 301, paragraphe premier, du Code pénal, sera prononcée contre tous les coupables indistinctement. »

M. Lelièvre a proposé l'amendement suivant :

« Les marins ou passagers qui, par fraude ou violence envers le capitaine, s'empareront du navire, seront punis, savoir : les officiers et les chefs de complot des travaux forcés à perpétuité, et les autres hommes de l'équipage, des travaux forcés à temps.

« Si le crime a été précédé, accompagné ou suivi d'homicide volontaire, les coupables désignés au paragraphe précédent, qui seront en outre convaincus de ce dernier crime, seront punis de la peine comminée par l'article 304, paragraphe premier, du Code pénal. »

M. Delfosse. - Cet amendement a été déposé à la fin de la séance, il n'a pas été développé.

M. le président. - M. Lelièvre a la parole pour développer son amendement.

M. Lelièvre. - D'après la teneur de l'article, si le crime qu'il prévoit a été précédé, accompagné ou suivi d'homicide, la peine capitale est appliquée à tous les coupables indistinctement.

Une considération me frappe ; d'après l'article, tel qu'il est rédigé, la peine capitale est prononcée alors même que l'homicide n'est pas volontaire, alors même qu'il n'est le résultat que d'un simple accident survenu dans la scène de désordre; il est évident que c'est là une sévérité excessive.

Je pense donc que, pour élever la peine des travaux forcés jusqu'à la peine capitale, il est nécessaire que l'homicide soit volontaire.

D'un autre côté, la peine de mort ne doit être prononcée que contre les coupables qui ont participé à l'homicide. A cet égard, l'on ne peut être responsable du fait de l'autre. Et cependant la disposition du projet frappe de la peine capitale tous les coupables, même ceux qui sont restés étrangers à l'homicide. L'on commine par conséquent, et sans distinction, cette peine énorme contre des individus dont le degré de culpabilité est certes loin d'être le mène, et des individus qui auraient reculé peut-être devant un meurtre sont punis d'une peine égale à celle dont sont atteints les meurtriers eux-mêmes.

Cette disposition, qui blesse toutes les notions de justice, ne saurait subsister, et c'est ce motif qui a dicté mon amendement.

(page 1348) M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je crois que l'on satisferait au désir de l'honorable M. Lelièvre, en rédigeant le deuxième § de la manière suivante :

« Si le fait a occasionné la mort, le coupable sera puni des peines encourues au titre II, chapitre premier, section première, paragraphe premier du livre III du code pénal, selon les distinctions qui y sont établies. »

De cette manière, si l'homicide n'avait pas été volontaire, la peine de s mort ne pourrait pas être appliquée; le jury serait appelé à se prononcer sur la question de volonté qui constitue la criminalité. Cette rédaction serait préférable, selon moi, et atteindrait le but que s'est proposé l’auteur de l'amendement.

M. Delfosse. - Nous avons déjà eu l'honneur de faire observer que nous ne pouvions pas accepter l'amendement de M. le ministre parce qu'il renvoie à un titre entier contenant diverses dispositions qui 'ne peuvent pas être appliquées.

Ainsi, il y a dans ce titre des dispositions relatives à l'infanticide et à l’empoisonnement. L’infanticide et l'empoisonnement n'ont rien de commun avec le crime de piraterie. La chambre a décidé, en admettant mon amendement à l'article 32, qu'elle n'admettrait pas la rédaction proposée par M. le ministre de la justice; car la rédaction qu'il propose pour l'article 42, il l'avait également proposée pour l'article 32.

Je dirai quelques mots de l'amendement de l'honorable M. Lelièvre.

Le premier paragraphe de cet amendement est absolument la même chose que le premier paragraphe du projet de la commission. Il introduit seulement dans le projet de la commission un léger changement de rédaction. Au fond, les deux paragraphes sont les mêmes. Je crois être l'organe de la commission, en disant qu'elle ne ferait pas la moindre difficulté d'admettre le premier paragraphe de l'amendement proposé par l'honorable M. Lelièvre.

Quant au second paragraphe, c'est différent. L'honorable M. Lelièvre ne voudrait comminer la peine de mort que contre celui qui se serait volontairement rendu coupable d'homicide. Il ne suffirait pas qu'il y eût crime de piraterie suivi d'homicide; il faudrait qu'il y eût piraterie et homicide commis volontairement; voilà en quoi le deuxième paragraphe de l'amendement de M. Lelièvre diffère du deuxième paragraphe du projet de la commission.

La chambre s'est déjà prononcée sur cette question. Nous avons décidé que le crime de baraterie, lorsqu'il occasionnerait la mort d'une ou de plusieurs personnes, serait puni de la peine capitale. Nous avons trouvé ce crime extrêmement grave et voulu que celui qui le commet soit responsable de toutes les suites. Il doit savoir qu'en le commettant, il expose la vie de tout l'équipage. Il doit, si quelqu'un a péri par son fait, encourir la peine capitale, tant que le code pénal n'aura pas été révisé. Je l'ai déjà dit, nous ne pouvons pas nous montrer moins sévère, pour les crimes commis en mer que pour les crimes commis en terre ferme.

Nous avons décidé que le crime de baraterie, suivi d'homicide même involontaire, serait puni de la peine capitale. Pouvons-nous faire moins pour le crime de piraterie qui aurait occasionné un homicide? Le crime de piraterie est au moins aussi grave que le crime de baraterie. Il l'est même plus. En effet, nous ne comminons que la peine des travaux forcés à temps contre le crime de baraterie sans homicide, et nous prononçons une peine plus grave contre le crime de piraterie, puisque les chefs du complot sont punis des travaux forcés à perpétuité. Nous ne pouvons, dès lors, sans inconséquence, punir d'une peine moins sévère la piraterie suivie d'homicide, que la baraterie suivie d'homicide.

Je pense donc qu'il y a lieu de maintenir l'article du projet de la commission, ainsi conçu :

« Art. 42. Les marins ou passagers qui, par fraude ou violence envers le capitaine, s'emparent du navire, seront punis des travaux forcés à perpétuité, s'ils sont officiers ou chefs de complot; les autres hommes de l'équipage seront punis des travaux forcés à temps.

« Si le crime a été précédé, accompagné ou suivi d'homicide, la peine comminée par l'article 304, paragraphe premier, du Code pénal, sera prononcée contre tous les coupables indistinctement. »

M. Lelièvre. - La disposition que l'on vous propose d'adopter n'est ni plus ni moins qu'une disposition draconienne dont la rigueur est inexplicable. L'honorable M. Delfosse ne veut pas qu'il soit nécessaire, pour l'application de la peine capitale, que l'homicide soit volontaire. Ainsi, messieurs, un cas fortuit, la mort occasionnée involontairement et par imprudence dans la scène tumultueuse suffirait pour élever la peine jusqu'à la mort. Cela est-il soutenable?

D'un autre côté, si l'un des individus commet un homicide, ce ne sera pas l'auteur de ce dernier crime qui subira seul la peine capitale, ce seront toutes les personnes qui auront coopéré au fait de s'emparer du navire. Mais on conçoit très bien que des individus aient pu prendre part à ce dernier acte sans avoir voulu le moins du monde s'associer à l'homicide qu'ils ont peut-être complètement ignoré et auquel ils auraient énergiquement résisté s'il eût été commis en leur présence; et cependant on veut tous les frapper indistinctement, dans toutes les hypothèses quelconques, comme s'ils avaient tous directement et activement coopéré à un assassinat. Contrairement aux premiers principes de la législation criminelle, le fait d'autrui leur est imputé.

Mais, messieurs, l'homicide en ce cas est bien évidemment un fait personnel à ses auteurs. C'est un acte indépendant du fait énoncé au paragraphe premier; il a une gravité toute spéciale, imputable seulement à ceux qui y ont participé ; en cet état de choses, il me paraît impossible de maintenir une disposition que rien ne justifie, et qui doit d'autant plus être repoussée qu'il s'agit de l'application de la peine capitale que certes l'on ne peut introduire, en foulant aux pieds les premières notions du droit criminel.

M. Lebeau. - Messieurs, la commission joue vraiment de malheur, et ce n'est pas la faute de certains de ses contradicteurs s'il ne résulte pas pour elle de cette discussion qu'elle se montre en quelque sorte draconienne au-delà même du Code pénal. Chose étrange cependant, en présence de ce seul fait sur lequel j'appelle de nouveau l'attention de la chambre, c'est que la commission spéciale, s'éloignant de la législation française, a adouci la peine qui, chez nos voisins, est prononcée pour la piraterie, comme elle avait adouci la peine, dans certains cas, pour le crime de baraterie.

En France, on l'a déjà rappelé dans la dernière séance, le crime de baraterie, dégagé de toute circonstance aggravante, est puni de mort; il en est de même du crime de piraterie. Est-ce à dire que la législation proposée par la commission est en tout point irréprochable? Non, car ce serait dire que le Code pénal est irréprochable et, certes, ce n'est pas là notre opinion, mais nous pensons qu'il ne faut pas en modifier les bases incidemment; nous pensons que, quand nous faisons des lois spéciales, il faut rester dans le droit commun. Eh bien, vous sortiriez évidemment ici du droit commun, car quelle différence y a-t-il entre l'hypothèse sur laquelle vous venez de statuer et celle sur laquelle vous avez à statuer maintenant? Il n'est pas toujours prouvé (et le contraire peut se présumer), que celui qui a détruit un édifice, une maison, a nécessairement voulu qu'il en résultât un homicide; il est impossible de prouver que telle ait été sa pensée; mais par cela seul que ce crime doit naturellement et probablement entraîner une pareille conséquence vous avez pensé que la peine capitale n'était pas trop forte.

Eh bien, messieurs, la même chose se présente dans le crime de piraterie, dans la violence exercée sur le chef du navire : il est évident que dans la chaleur d'un semblable conflit, l'homicide est une de ces éventualités que le législateur a nécessairement dû prévoir et pour lesquelles il a dû comminer une peine sévère.

Voici ce qui se passe dans une matière beaucoup moins spéciale. Lorsqu'il s'agit, par exemple, d'un meurtre commis par une bande de brigands qui se seront emparés d'une habitation, supposez qu'un seul ait commis à la fois le meurtre et le vol ; est-ce que tous les complices ne seront pas passibles de la même peine, bien qu'ils n'ont pas eu la pensée de commettre un meurtre?

Vous voyez, messieurs, que l'amendement de l'honorable M. Lelièvre blesse les principes du Code pénal. Nous ne disons pas que ces principes doivent être maintenus; nous croyons, au contraire, que le Code pénal doit subir des changements importants; mais, messieurs, non est locus, et nous demandons qu'on ne préjuge point, par une loi spéciale, des principes qui valent la peine d'être discutés d'une manière tout à fait approfondie. Ce n'est pas que nous ayons soif de la peine capitale ; nous avons prouvé le contraire, et on sait d'ailleurs que dans notre pays la peine capitale est une exception ; l'exercice qui a été fait jusqu'ici du droit de grâce l'a presque entièrement aboli en fait.

M. Lelièvre. - L'honorable M. Lebeau commet une erreur lorsqu'il émet l'opinion que l'article du projet que nous discutons est conforme au droit commun. On chercherait vainement dans nos lois actuelles des dispositions analogues et d'une rigueur aussi exorbitante. Jamais on n'est responsable du fait d'un tiers, et il est inouï qu'en l'absence d'une coopération directe, l’homicide auquel un individu est resté étranger puisse lui être imputé.

La considération qui a motivé la décision de la chambre relativement à l'article 32 ne milite même pas dans l'hypothèse dont nous nous occupons. On a pu admettre que celui qui dans une intention criminelle faisait échouer un navire fût responsable de l'événement qui en résultait, parce que cet événement était la conséquence directe et nécessaire du fait lui-même, mais dans l'espèce que nous traitons, l'homicide n'est pas le résultat nécessaire du fait principal, l'homicide est un acte tout personnel à celui qui l'a commis, et sous ce rapport, il ne peut rejaillir sur d’autres auxquels il est étranger, et qui, en bonne justice, ne peuvent en être responsables.

M. Orts. - Je crois devoir appeler l'attention de la chambre sur l'article 42. Cet article s'applique à tout autre chose qu'à la piraterie; il s'applique, par exemple, à un fait que je vais indiquer et qui est criminel, sans doute, qui doit être puni, mais qui n'est certainement pas aussi grave que la piraterie. Voici comment l'article s'exprime :

« Les marins ou passagers qui, par fraude ou violence envers le capitaine, s'empareront du navire, etc. »

Eh bien, messieurs, je dis que le fait de s'emparer du navire par fraude ou violence ne constitue pas la piraterie; la piraterie c'est le brigandage sur mer, le vol à main armée; c'est un vol qui peut être assimilé au vol opéré par une bande sur la grande route; mais on peut très bien s'emparer du navire, du capitaine et ne point commettre un acte de piraterie; je vais en donner un exemple.

Des marins sont embarqués pour un voyage dont ils redoutent les dangers ou la durée, cela arrive quelquefois sur les navires qui sont armés pour la pêche de la baleine. Le temps effraye l'équipage; le capitaine veut continuer à remplir sa mission ; les marins s'emparent de lui et renferment dans sa cabine; ils prennent la direction du navire et retournent chez eux ou se rendent dans un port étranger. Ce fait est grave, sans doute, il doit être réprimé, mais je crois qu'en bonne justice, il ne devrait pas être mis sur la même ligne que le crime de piraterie auquel le projet l'assimile; je crois que les travaux forcés à perpétuité sont une peine trop forte pour un semblable fait. Cependant il tombe sous l'application de l'article 42. J'estime donc que cet article devrait subir une modification.

(page 1349) J'arrive maintenant au paragraphe 2 de l'article 42 et a l'amendement de M. Lelièvre.

Le paragraphe 2 contient, tel qu'il est rédigé, deux exceptions au droit commun: La première exception consiste en ce que l'on punit de la même peine l'homicide volontaire et l'homicide involontaire, et je pense que c'est dans ce but qu'on a employé le mot « homicide » au lieu du mot « meurtre ».

La seconde exception consiste à appliquer la peine de mort à tous les gens de l'équipage et aux passagers et non pas au seul auteur de l’homicide. Sous ce rapport il me semble que la disposition est trop sévère. Je crois que c'est aller un peu loin que d'imposer la responsabilité du meurtre qui peut avoir été commis par un seul individu, à tous les hommes de l'équipage et aux passagers sans aucune distinction...

M. Delfosse. - La rédaction primitive a été modifiée.

M. le président. - Voici comment la disposition est maintenant rédigée :

« Si le crime a été précédé, accompagne ou suivi d’homicide, la peine comminée par l'article 304, paragraphe premier, du Code pénal sera prononcé, contre tous les coupables indistinctement. »

M. Orts. - Alors ma dernière observation tombe. Il n'y a plus qu’une seule innovation dans le paragraphe, c'est qu'il punit de la même peine l’homicide volontaire et l'homicide involontaire.

M. Lelièvre. - L'amendement que je défends est conforme aux principes de la saine raison, et les observations que vient de présenter M. Orts en confirment le fondement. Remarquez, messieurs, combien il est exorbitant, sous prétexte d'un homicide peut-être commis involontairement, de comminer la peine proposée par la commission.

Mais on place ainsi sur la même ligne des faits, qui n'ont aucun rapport entre eux sous le rapport du degré de perversité qu'ils révèlent de la part de l'agent.

Celui qui aura pris part au fait de s'emparer du navire sera, si un accident arrive, assimilé à celui qui sciemment commet un meurtre prémédité. L'homicide involontaire est placé au même rang que l'homicide volontaire.

Il est impossible en raison que vous sanctionniez pareil état de choses. La peine du paragraphe 2 de l'article 42 ne se conçoit que dans le cas où l'homicide est volontaire, c'est cette circonstance qui seule peut justifier la peine capitale. Supposez un homicide commis sans volonté, il est absurde de prononcer la peine terrible énoncée au projet. Cette considération démontre la nécessité d'insérer le mot « volontaire » en conformité de mon amendement.

Quant à ma proposition de restreindre la peine capitale aux individus convaincus spécialement de l'homicide, les principes généraux la motivent complètement. N'assimilons pas, messieurs, celui qui s'est borné à coopérer au fait de s'emparer du navire à l'individu qui, outre ce fait, à méchamment commis un meurtre, ne les frappons pas de la même peine, car évidemment il y a une différence énorme entre les deux positions et dès lors il doit aussi y avoir une différence notable quant à la peine, si on veut que celle-ci soit proportionnée aux faits commis, si on veut qu'il y ait justice dans son application.

M. Tesch. - Messieurs, il est évident que ceux qui sont entrés dans un complot qui avait pour but de s'emparer du navire ont dû prévoir qu'il y aurait résistance; eh bien, s'ils ont dû prévoir qu'il y aurait résistance, ils ont dû prévoir aussi qu'il pourrait s'ensuivre mort d'homme, dès lors ils doivent évidemment en supporter la responsabilité. Cela n'est pas contestable.

M. Lelièvre. - L'observation de M. Tesch n'est rien moins que concluante. Pour qu'on puisse, aux yeux de la loi pénale, être responsable d'un fait, comme si on en était coupable volontairement, il ne suffit pas d'en avoir prévu la possibilité, car cette prévision possible n'accuse, de la part de l'agent, qu'une simple imprudence.

Dans l'article que nous discutons, on considère l'agent comme s'il avait lui-même commis l'homicide. Dès lors, il est nécessaire qu'il y ait de sa part coopération à ce dernier fait; en ce cas seulement il existe le dol qui justifie l'imputabilité de l'acte dont il s'agit.

M. Veydt, rapporteur. - Cet article ne diffère pas beaucoup de l'article 4, paragraphe premier, de la loi française du 18 avril 1825, qui porte :« Seront poursuivis et jugés comme pirates tout individu faisant parti de l'équipage d'un navire ou bâtiment de mer français qui, par fraude ou violence, s'emparerait dudit bâtiment. »

Voici les pénalités :

(Art. 8.) « La peine de mort contre le chef et contre les officiers, et celle des travaux forcés à perpétuité contre les autres hommes de l'équipage; et si le fait a été précédé, accompagné ou suivi d'homicide ou de blessures, la peine de mort est indistinctement prononcée contre tous les hommes de l'équipage. »

Vous remarquerez d'abord, messieurs, que ce sont les mêmes expressions : « s'emparer par fraude ou violence d'un navire, » pour caractériser un crime de piraterie.

Les brigandages sur mer sont exercés par les hommes d'un équipage, qui se sont rendus frauduleusement maîtres du navire sur lequel ils étaient embarqués. Mais lors même que ces brigandages n'auraient pas lieu, c'est avec raison que le législateur français a puni avec une très grande sévérité le crime prévu par l'article 42 en discussion, et qu'il l'a assimilé à la piraterie proprement dite.

Dans le projet du gouvernement, préparé par la commission qu'il avait nommée, se trouvent les mêmes peines; mais votre commission, messieurs, a pensé qu'il ne devait entraîner la peine capitale que lorsqu'il y aurait en même temps mort d'homme ; suivant moi aussi, on ne peut se dispenser de la prononcer en pareil cas. En effet, si les auteurs du crime sont officiers ou chefs de complot, ils sont punis des travaux forcés à perpétuité. Il y a aggravation, lorsque la mort est en même temps occasionnée, et par conséquent il y a lieu à une peine plus forte. Il est vrai que pour les autres hommes de l'équipage et les passagers, il n'y a pas la peine intermédiaire des travaux forcés à perpétuité. Mais rappelons-nous que la loi française leur inflige cette peine pour le fait seul de s'être emparés du navire par fraude ou violence envers le capitaine.

Les honorables MM. Delfosse et Lebeau, aujourd'hui encore, ont repoussé avec raison ce reproche d'une trop grande sévérité de la part de la commission.

Elle s'est, au contraire, appliquée à adoucir les peines, quand la loi française et le projet du gouvernement se montraient plus sévères.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, en proposant la rédaction dont j'ai eu l'honneur de donner lecture à la chambre, je n'avais d'autre but que d'adoucir la sévérité d'une disposition du Code pénal qui me paraît fort rigoureuse. D'après l'observation qui vient d'être faite, que cette question pourra se représenter lors de la révision du Code pénal, et reconnaissant aussi que la rédaction de l’article 32, telle qu'elle a été adoptée, ne serait pas en rapport avec celle de mon amendement, je le relire.

M. Delfosse. - Je ne comprends pas que M. le ministre de la justice trouve le projet de la commission trop rigoureux; la commission n’a fait qu'adoucir la disposition beaucoup plus rigoureuse du projet de M. le ministre de la justice. Ce dernier projet prononçait la peine de mort contre les officiers ou chef de complot, coupables de piraterie, alors même qu'il n'y aurait pas eu d'homicide.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, j'ai trouvé ce projet tout fait; il avait été préparé par une commission spéciale, la chambre en avait déjà été saisie; je me suis borné à le représenter.

Je trouve néanmoins plusieurs dispositions de ce projet un peu rigoureuses, et c'est pour cela que j'ai acquiescé avec empressement à l’amendement de l'honorable M. Lelièvre, qui propose d'appliquer à la loi-actuelle quelques-unes des dispositions bienfaisantes de la loi votée récemment sur la composition des cours d'assises.

- L'amendement de M. Lelièvre est mis aux voix et n'est pas adopté.

L'article 42, tel qu'il est proposé par la commission, est mis aux voix et adopté.

Titre IV. Dispositions diverses

Article 59 et articles 64 à 67

M. le président. - Nous arrivons à l'article 59 qui a été réservé.

« Art. 59. L'article 6 de la loi du ....... 1849, relative aux cours d'assises, est applicable aux cas prévus par les section 2 et 3 du chapitre II, titre premier, du présent Code, à l'exception toutefois des délits énumérés aux articles 13 à 21 inclus. »

M. Lelièvre a proposé l'amendement suivant :

« Les articles 3, 4, 5 et 6 de la loi du ....... 1849, sur les cours d'assises, sont applicables aux crimes et délits prévus par la présente, loi. »

M. le président. - Je me suis rallié au nouvel amendement de M. le ministre de la justice.

Cet amendement est ainsi conçu :

« Art. 59. Dans tous les cas où la présente loi prononce la peine d'emprisonnement ou l'amende, les tribunaux, si les circonstances sont atténuantes, sont autorisés à réduire l'emprisonnement au-dessous de six jours et l'amende au-dessous de seize francs, sans qu'en aucun cas ces peines puissent être au-dessous de celles de simple police.

« Art... Dans tous les cas où la présente loi prononce la peine des travaux forcés à temps ou celle de la réclusion, la cour d'assises pourra, si les circonstances sont atténuantes, et en exprimant ces, circonstances, exempter le coupable de l'exposition publique, ou même commuer les, travaux forcés, soit en réclusion, soit en un emprisonnement. dont le minimum est fixé à six mois, et la réclusion en un emprisonnement qui ne pourra être au-dessous de huit jours.

« Art... Dans tous les cas où il y aurait lieu de ne prononcer qu'un peine correctionnelle, à raison soit d'une excuse, soit de circonstances atténuantes, et dans le cas où il y aurait lieu d'appliquer les articles 66 et 67 du Code pénal, la chambre du conseil pourra, à l'unanimité de ses membres, et par une ordonnance motivée, renvoyer le prévenu au tribunal de police correctionnelle.

« La chambre des mises en accusation pourra, à la simple majorité, exercer la même faculté.

« Le ministère public et la partie civile pourront former opposition à l'ordonnance de la chambre du conseil, conformément aux dispositions du Code d'instruction criminelle.

« Art... Le tribunal de police correctionnelle, devant lequel le prévenu sera renvoyé, ne pourra décliner sa compétence en ce qui concerne l'âge, l'excuse et les circonstances atténuantes.

« Il pourra prononcer un emprisonnement qui ne sera pas au-dessous des minimums fixés par l'article 59, et suivant les distinctions établies par cet article.

« Toutefois, dans le cas de l'article 67, paragraphe premier, du Code pénal, il statuera conformément à cette disposition.

« Dans tous les autres cas prévus par le même article et dans ceux de l'article 32 du même Code, il pourra prononcer un emprisonnement qui ne pourra être au-dessous de huit jours. »

(page 1350) M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Nous sommes d'accord avec l'honorable M. Lelièvre et la commission pour introduire dans la loi qui nous occupe les dispositions des articles 3, 4, 5 et 6 de la loi sur la composition des cours d'assises ; mais au lieu de s'en référer à cette loi, nous avons pensé qu'il valait mieux insérer textuellement les dispositions elles-mêmes dans la loi actuelle; d'autant plus que la loi sur les cours d'assises n'est pas publiée et ne pourra l'être que vers le milieu du mois prochain, quand les assises actuellement ouvertes ou à la veille de s'ouvrir auront été closes; et que nous ne pouvons pas nous référer à une loi qui n'a pas encore d'existence.

D'un autre côté, une des dispositions de la loi sur la composition des cours d'assises, doit être modifiée dans la loi actuelle. L'article 6 de cette loi porte que le juge pourra prononcer séparément l’amende ou l'emprisonnement ; or cela est tout à fait inutile, puisque, par le paragraphe additionnel adopté à l'article 12, le juge est autorisé à appliquer ces peines cumulativement ou séparément.

Ensuite, nous faisons ici une loi spéciale; et pour qu'elle soit complète il est préférable d'y répéter textuellement les dispositions de la loi sur les cours d'assises que nous voulons y introduire. Je demande donc qu'on insère ces dispositions dans la loi dont elles formeront les articles 64, 65, 66 et 67, l'article 38 ayant été supprimé.

M. Veydt, rapporteur. - La commission est d'accord avec M. le ministre de la justice et avec l'honorable M. Lelièvre sur l'application de peines moins sévères, lorsqu'il existe des circonstances atténuantes. Elle admet sous tous les rapports cette application ; mais il lui a paru qu'un seul article qui dirait, en termes généraux, que les dispositions du droit commun, qui permettent de réduire ou de commuer les peines, lorsqu'il existe des circonstances atténuantes, sont applicables aux crimes et délits prévus par le Code pénal maritime, pourrait suffire.

M. le ministre de la justice a pensé qu'il faut être plus explicite ; il vient d'en dire les motifs. Toutes les dispositions qu'il s'agit d'insérer sont la reproduction des articles du projet de loi, qui sera incessamment mis en vigueur, sur la composition des cours d'assises, sauf pour le premier (article 59) qui a dû être modifié. Cette modification et l'avantage de rendre le Code spécial d'autant plus complet et de faire jouir immédiatement ceux auxquels il deviendra applicable de dispositions qui, dans certains cas, militent les peines, sont des raisons qui viennent à l'appui de l'opinion de M. le ministre. Je l’adopte en ce qui me concerne et même comme rapporteur je ne crains pas de dire que la commission n'a aucune objection sérieuse à y faire.

- Les divers articles proposés par M. le ministre sont mis aux voix et adoptés.

Article additionnel

M. le président. - M. Lelièvre a proposé un article nouveau ainsi conçu :

« Les dispositions du chapitre V, les deux litteras 7 du Code d'instruction criminelle, relatives à la prescription, seront, suivant les distinctions qui y sont établies, applicables aux faits prévus par la présente loi, lorsque celle-ci n'en a pas disposé autrement.

« La prescription courra à partir du moment où la poursuite peut être exercée en vertu des dispositions de la loi actuelle, a

La commission propose la rédaction suivante :

« Dans les cas prévus par la présente loi, et par dérogation à l'article 638 du Code d'instruction criminelle, l'action publique et l'action civile ne se prescriront qu'après cinq années révolues, à compter du jour où le délit a été commis. »

M. Lelièvre. - Je me rallie à l'amendement de la commission.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Nous sommes d'accord avec la commission.

- L'article de la commission est adopté.

Article 65

« Art. 65. Les articles 2, 51, 56, 57, 58, 59, 60, 62, 63, 64, 65, 66, 67, 68, 69, 70, 71, 73 et 74 du Code pénal soul applicables aux faits prévus par la présente loi. »

- Adopté.

Le vote définitif est renvoyé à vendredi.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du département de la justice

Discussion générale

M. de Haerne. - Messieurs, quoique je ne puisse pas admettre avec la section centrale et avec M. le ministre de la justice que la nouvelle espèce de toile qu'il s'agit de faire fabriquer pour compte du gouvernement ne fasse aucune concurrence à l'industrie libre, cependant je dois me rallier au projet du gouvernement.

Il n'est pas exact de dire, comme on le fait dans le rapport, que l'introduction des toiles Russias, tissées sous la direction de la commission de la prison d’Anvers, ne fait aucune concurrence à l'industrie libre.

Il est vrai que cette spécialité est nouvelle dans le pays, à certains égards, que cette espèce de toile ne s'est pas tissée jusqu'à présent dans les mêmes conditions; mais il est d'autres toiles qui en approchent plus ou moins, telles que les blondines. Cette nouvelle toile doit donc faire une certaine concurrence à d'autres espèces qui s'en rapprochent, qui y ressemblent.

En fait de rivalité ou de lutte industrielle, ce ne sont pas seulement les produits similaires qui se font concurrence, mais encore les fabricats qui se ressemblent plus ou moins. Comme je l'ai déjà dit, ce n'est pas, à mes yeux, un motif pour repousser le projet de loi, car je crois qu'il tend à atteindre un but utile, en attendant que l'industrie privée soit à même de 'atteindre.

Je dis que j'approuve la mesure, mais seulement comme temporaire. En effet, je crois pouvoir assimiler quant au tissage des toiles Russias, la commission de la prison d’Anvers à des institutions qui ont existé précédemment, qui ont été encouragées par le gouvernement et qu'on a cru devoir supprimer dernièrement. Je veux parler des comités que j'ai appuyés comme institutions temporaires et qu'on n'aurait pas dû supprimer de si tôt.

Sous ce rapport, je dois approuver te nouveau comité institué pour le tissage, mais seulement comme temporaire; c'est-à-dire en ce sens que je crois la mesure très utile pour donner l'impulsion à l'industrie linière, quant à cette spécialité.

On s'est plaint de ce qu'il ne s'est pas présenté assez de tisserands pour remplir la demande de toiles Russias. Mais cela s'explique d'abord par le bas salaire, qui ne s'élève pas en général au-dessus de 80 centimes, ensuite par la circonstance que, pour concourir avec l'Angleterre, ces toiles doivent se tisser à la navette volante. Or, il n'y a guère encore qu'un dixième de nos tisserands habitués à ce perfectionnement, et ceux qui en font usage sont généralement occupés aujourd'hui et gagnent un franc par jour.

A cette occasion, je crois devoir adresser quelques demandes à M. le ministre de la justice. On annonce qu'on pourra plus tard employer du fil à la main pour le tissage de ces toiles nouvelles; mais on ne donne pas des explications assez claires. Je voudrais savoir si l'on n'a pas fait des essais dans ce but.

M. Loos. - Je demande la parole.

M. de Haerne. - Je désirerais que M. le ministre ou un membre de la chambre, connaissant la question, pût donner des éclaircissements à cet égard ; car vous comprenez qu'il sera toujours préférable d'employer du fil fait dans le pays, soit à la mécanique, soit à la main. Pour tout ce qui regarde l'industrie, nous devons toujours préférer ce qui nécessite la plus grande somme de main-d'œuvre.

C'est pour cela qu'autant qu'il est en moi, j'ai tâché de soutenir et d'étendre la filature à la main, abstraction faite de la supériorité reconnue de qualité et de la préférence que lui donne en général le consommateur.

J'ai une autre question à adresser à M. le ministre de la justice. Je désirerais savoir si, par le projet de loi, il n'est pas à craindre qu'on pose en précédent plus ou moins dangereux qui pourrait être invoqué plus tard lorsqu'il s'agirait de créer une société d'exportation. Plusieurs systèmes ont été proposés pour ce qui regarde la société d'exportation et les conditions sur lesquelles celle société serait fondée. Si je me rappelle bien, parmi ces systèmes il y en a un d'après lequel la société serait chargée de fabriquer elle-même dans le pays et notamment de fabriquer des toiles. Je crois que c'est un système dangereux, ruineux pour l'industrie privée, et que nous ne pouvons pas l'adopter. Pour ma part, je ne puis m'y rallier.

Je désirerais également savoir si pour la confection des russias on n'a pas fait un appel à l'industrie privée. Je vois, par le rapport, que l'on tâchera d'attirer les fabricants dans cette nouvelle carrière. Mais je voudrais savoir si, ce qui dans ma manière de voir était possible, on n'a pas fait de propositions aux fabricants pour s'assurer qu'ils pouvaient faire cette espèce de toiles aux mêmes conditions auxquelles elles sont fabriquées par la commission de la prison d'Anvers.

N'aurait-on pas pu aussi mettre ces toiles en adjudication, ou ce qui eût été mieux peut-être, les commander à des fabricants, sur échantillons?

Tout cela ne tend pas à faire le procès à la commission. Je dois rendre hommage aux intentions des membres qui la composent, et je me plais à reconnaître qu'elle a rendu un véritable service au pays. Mais je crois que plusieurs membres de la chambre sont d'avis, comme moi, que si l'on avait pu obtenir le même résultat de l'industrie privée, c'eût été préférable ; qu'on doit tendre vers ce but autant que possible, et ne pas poser de précédent quant aux opérations futures de la société d'exportation, qui pourra bien donner des indications, quant aux produits d'industries anciennes ou nouvelles, mais qui ne peut être, selon moi, une société de fabrication.

M. Loos. - En l'absence de l'honorable rapporteur de la commission d'industrie, qui n'a pu assister à la séance, et qui m'a chargé de répondre aux objections qui pourraient être présentées contre le projet de loi, je prends la liberté de soumettre à la chambre quelques considérations en réponse à celles présentées par l'honorable M. de Haerne.

L'honorable membre demande si, dans cette circonstance, on n'aurait pas pu obtenir de l'industrie privée, ou même par adjudication publique, les toiles que voulait faire confectionner le département de la justice. Je ne conçois vraiment pas comment on serait arrivé à ce résultat : il s'agissait de créer un nouveau produit qui n'existait pas dans le pays. C'est vous dire qu'il n'y avait pas dans le pays de fabricants qui eussent pu réaliser une demande du gouvernement, lequel n'avait d'ailleurs aucune fourniture à remplir, soit pour l'armée soit pour tout autre service public qui pût justifier une demande de cette nature.

Il s'agissait d'introduire une industrie nouvelle dans les Flandres, d'initier les tisserands à une fabrication qui n'existait pas dans le pays. Je vous demande comment vous auriez pu obtenir par adjudication publique ce que tous les efforts de la commission tendaient à réaliser.

(page 1351) Le premier but était d'occuper les détenus dans les prisons, sans faire concurrence à l'industrie libre.

Ce but est complètement atteint par la fabrication dus toiles dites russias. On ne s'est pas borné à cela. On s'est occupé de perfectionner cette industrie de manière à pouvoir placer ses produits sur les marchés coloniaux et l'on y a fort heureusement réussi.

L'honorable membre craint que l'existence de cet état de choses ne soit un précédent fâcheux, alors qu'on créera une société d'exportation . Il craint que cette société ne fasse fabriquer des toiles dans les Flandres, ne donne beaucoup d'ouvrage aux ouvriers de ces provinces.

M. de Haerne. - Je ne crains pas cela. Je crains la concurrence contre l'industrie libre.

M. Loos. - Mais une société d'exportation n'est-elle pas une industrie libre? Seulement elle doit réunir des capitaux plus considérables que ceux dont a besoin l'industrie ordinaire.

Je suppose une société d'exportation, dit l'honorable membre, qui ferait fabriquer dans les Flandres. Je crois, messieurs, que si une société d'exportation venait à découvrir une industrie nouvelle et à l'introduire dans les Flandres, dût cette concurrence gêner un peu les fabricants, c'est-à-dire faire renchérir la main-d'œuvre, ce serait un immense bienfait pour les Flandres, et que l'honorable membre pourrait bénir la société d'exportation qui aurait rendu ce service au pays. La main-d'œuvre dans les Flandres est extrêmement réduite, et se serait un grand bien si on pouvait la faire renchérir, dussent quelques industries en souffrir momentanément.

L'honorable membre a demandé si l'on ne pourrait pas employer une plus grande quantité de fil à la main. Messieurs, l'essai qui a été fait sous ce rapport n'a pas jusqu'à présent été satisfaisant. Mais cet essai n'est pas complet.

Je crois que lorsqu'on sera parvenu à classer convenablement les fils à la main, ils pourront concourir à la fabrication de toiles russias, à l'égal du fil mécanique. Toute la question sera de savoir si les fileurs se contenteront du prix auquel on peut obtenir le fil mécanique, et je crois que si tous ne s'en contentent pas, quelques-uns s'en montreront satisfaits, car je crois que le filage à la main ne doit pas faire l'industrie des Flandres. C'est un accessoire dans quelques familles d'industriels, où les femmes et les enfants peuvent filer. Tout ce qu'on pourra gagner par ce moyen sera autant d'acquis à la communauté de la famille, et sous ce rapport l'industrie du filage à la main existera toujours plus ou moins. Eh bien ! cette industrie pourra concourir comme le fil mécanique à la fabrication des toiles.

On a reconnu qu'en perfectionnant le classement du fil, on parviendrait à fabriquer avec le fil à la main aussi bien qu'avec le fil mécanique. Sous ce rapport donc cette industrie pourra continuer d'exister sur une certaine échelle, non seulement pour la fabrication des toiles russias dont on s'occupe en ce moment, mais pour la fabrication de beaucoup d'autres toiles qui jusqu'à présent ne se fabriquent pas dans les Flandres, malgré l'existence des comités subsidiés par le gouvernement et qui ne sont pas encore parvenus à fabriquer des toiles destinées à l'exportation, et à reconquérir le terrain que nous avons perdu sur les marchés étrangers.

Cette mission, la commission de St-Bernard a été assez heureuse pour la remplir. Aussitôt que l'industrie libre pourra remplacer le gouvernement et la commission de St-Bernard dans la fabrication des toiles qui commencent à être suffisamment connues dans les Flandres, cette commission s'occupera d'autres fabrications, à l'égard desquelles elle possède toutes les notions nécessaires, et auxquelles elle voudrait initier tes industriels des Flandres qui pourraient concourir à les introduire avec elles dans le pays.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Aux explications qui viennent d'être données par l'honorable M. Loos, je n'ajouterai que très peu de mots, et c'est principalement pour faire connaître à la chambre les succès inespérés que nous avons obtenus dans l'entreprise si heureusement conçue et suivie avec tant de dévouement par la commission administrative des prisons de Saint-Bernard et d'Anvers.

Je tiens à la main une dépêche toute récente que j'ai reçue de M. le gouverneur de la province d'Anvers, qui me fait connaître qu'indépendamment des commandes imprévues, la commission a dans ce moment des engagements pris pour fournir régulièrement 2,500 pièces de toile par mois jusqu'à la fin de l'année. M. le gouverneur ajoute que nous avons dans ce moment, dans les Flandres, 1,418 chaînes expédiées pour être tissées, que le nombre de nos tisserands augmente dans une proportion considérable, et que la difficulté aujourd'hui n'est plus de pro curer de l'ouvrage aux ouvriers nécessiteux, mais de trouver un nombre suffisant de tisserands ; l'ajoute que la commission a même été obligée d'élever de 25 centimes le salaire du tissage par pièce de toile.

Ces résultats, messieurs, nous les devons au zèle et à l'intelligence des membres de la commission administrative d'Anvers, qui poursuivent leur œuvre avec un courage et un dévouement qui méritent tous les éloges, et je suis heureux de leur rendre ici ce témoignage public de la reconnaissance du gouvernement et du pays.

- La clôture est demandée par plus de dix membres.

M. Cumont (contre la clôture). - Je n'ai que quelques mots à dire. Il s'agit d'un point très important sur lequel j'ai des connaissances pratiques que je voudrais communiquer à la chambre.

M. de Haerne. - Messieurs, je ne comprends pas pourquoi on paraît si pressé de clore une discussion qui est à peine ouverte depuis cinq minutes. Il s'agit d'un crédit de 800,000 francs qui s'applique à un objet très important, se rattachant à la question des Flandres, à une question qui a intéressé la chambre dans beaucoup de circonstances et a donné lieu à des débats très longs, tant elle est compliquée.

M. Toussaint. - Messieurs, je me réunis aux membres nombreux de cette chambre qui demandent la clôture. Nous sommes tous d'accord sur l'objet en discussion, parce qu'en définitive le point de départ est une obligation gouvernementale, qui est de donner de l'ouvrage aux prisonniers.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est mieux que cela.

M. Rodenbach. - Messieurs, je suis représentant d'un district où l’on a fabriqué de ces toiles dont il est question dans le projet. J'aurais voulu dire quelques mots ; mais il paraît que la chambre n'est pas disposée à m'entendre. Je désirais dire que l'on paye trop peu les ouvriers, qu'on ne leur donne que 6 frs. pour travailler huit ou dix jours.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Vote des articles et sur l'ensemble du projet

« Article 1er. Il est ouvert au département de la justice pour l'exercice courant, et à titre d'avance, un crédit supplémentaire de huit cent mille francs (fr. 800,000), pour la fabrication de toiles destinées à l'exportation.

« Cette fabrication aura lieu dans les prisons, avec le concours des ouvriers liniers des Flandres, qui seront principalement chargés, à domicile, de l'opération du tissage.

« Ce crédit sera ajouté à l'allocation portée à l'article 48, chapitre X du budget du département précité, pour l'exercice 1849. »

- Adopté.


« Art. 2. Une somme de huit cent mille francs (800,000 fr.) sera portée au budget des recettes de la même année.

- Adopté.


Il est procédé au vote par appel nominal sur l'ensemble du projet, qui est adopté à l'unanimité des 55 membres qui prennent part au vote.

Un membre (M. Jacques) s'est abstenu.

Ont voté l'adoption : MM. Frère-Orban, Jouret, Jullien, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Mercier, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pierre, Pirmez, Rodenbach, Rousselle, Schumacher, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint. Van Cleemputte, A. Vandenpeereboom, E. Vandenpeereboom, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Vermeire, Veydt, Allard, Anspach, Clep, Cools, Coomans, Cumont, David, Hyacinthe de Baillet, de Baillet-Latour, H. de Brouckere, Dechamps, de Haerne, Delfosse, Deliége, de Man d'Attenrode, de Meester, de Perceval, De Pouhon, Dequesne, de Renesse, Destriveaux, d'Hoffschmidt, d'Hont et Verhaegen.

M. Jacques. - Je n'ai pas voté contre le projet parce que le crédit est peut-être nécessaire pour que l'administration des prisons puisse occuper constamment les prisonniers à des travaux productifs et que je désire que cette administration ne laisse jamais les prisonniers inoccupés, quand même elle devrait faire concurrence à l'industrie libre. Je n'ai pas voté pour le projet parce qu'il serait peut être dangereux de se laisser aller à transformer l'administration des prisons en une direction d'industrie qui occuperait ses ouvriers libres.

- La séance est levée à 4 heures 1/4.