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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 7 juin 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1569) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et quart.

- La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de Postel demandent le rétablissement d'un bureau des douanes dans cette commune, ou tout au moins la nomination d'un délégué du bureau voisin. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Bruxelles demandent que le gouvernement fixe un jour prochain à partir duquel les titres définitifs des emprunts seront irrévocablement délivrés. »

- Même renvoi.


« Le sieur Vandermeulen, ancien militaire, prie la chambre de lui faire obtenir une pension ou de le faire entrer dans la première compagnie sédentaire à Alost. »

- Même renvoi.


« Les sieurs Joly, Louis, Delelée et Dabfontaine demandent un jury spécial d'examen pour les études privées. »

M. Lelièvre. - Cette pétition étant de nature à éclairer la chambre sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur, je demande non le renvoi à la section centrale, qui a terminé son travail, mais bien le dépôt de la pièce sur le bureau pendant la discussion.

- Adopté.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de l’intérieur

Discussion des articles

Article premier

(page 1570) La discussion continue sur l’article premier.

M. Cumont. - Messieurs, j'ai demandé la parole, non pour proposer le rejet du crédit d'un million réclamé par M. le ministre de l'intérieur, car je crois que l'emploi de ce million peut être avantageux à certains égards, mais pour soumettre à la chambre quelques observations, quant au projet d'établissement d'un comptoir de commerce à Singapore.

Nous sommes d'accord, qu'il est désirable qu'on vienne au secours de l'industrie, mais il me paraît que c'est principalement sur nos industries en souffrance que notre attention doit se porter.

Or, quelle est notre industrie le plus en souffrance? C'est l'industrie linière. Eh bien, il est impossible d'exporter une aune de toile à Syngapore et dans les contrées environnantes Quel avantage peut-il y avoir dès lors pour nous à créer tout d'abord un comptoir dans des parages qui n'offrent aucun débouché aux produits de celle de nos industries qui souffre le plus?

Sous ce rapport, je ne puis donner mon approbation à l'établissement de ce comptoir, je le puis d'autant moins qu'il paraît que la manière dont on se propose de contracter est fort onéreuse. On nous a dit qu'il s'agissait d'un contrat léonin, et il me semble que nous ne pouvons pas souscrire aux contrats de cette espèce.

Messieurs, nous avons réduit le traitement des employés ; nous avons retenu des émoluments à des pères de famille, parce qu'il était indispensable d'entrer dans la voie des économies; il serait dès lors inconvenant de sacrifier une somme de 500,000 fr. pour ne pas obtenir un résultat avantageux.

Un autre motif m'engagerait à ne pas accepter cette proposition ; c'est que l’établissement de ce comptoir ajournerait peut-être indéfiniment la création d'une société d'exportation.

Cette société d'exportation, nous la désirons tous. Après les développements si lumineux, si complets dans lesquels les honorables MM. d'Elhoungne et Dechamps sont entrés sur cette question, ce serait un acte de présomption de ma part d'insister encore en ce moment sur la nécessité de l'établissement de la société d'exportation. Toutefois, je ne crois pas devoir joindre mes instances aux leurs pour obtenir ce résultat, quelque avantageux qu'il puisse être. Je pense que le moment n'est pas arrivé pour pouvoir réussir, quoique j'aie la conviction que si le gouvernement le voulait sérieusement , nous arriverions au résultat. Ce qui me porte à le croire, c'est que la mesure est proposée par des hommes tels que les honorables MM. d'Elhoungne et Dechamps, et que dès lors ils doivent avoir la conviction que l'exécution en est possible. Je n'insisterai pas cependant sur ce point, parce que ce n'est pas l'objet sur lequel nous avons à discuter.

Mais je pense qu'il serait inconvenant d'adopter un projet qui nous est présenté incidemment à l'occasion d'un autre projet de loi, projet qui n'a été l'objet d'aucun examen de la part des sections et qui a été rejeté par la section centrale. Si M. le ministre croit utile de reproduire sa proposition, je demanderai qu'il en forme un projet de loi spécial, qu'il soit examiné par les sections et qu'on arrive à des propositions acceptables, examinées et convenablement élaborées. Je propose donc la disjonction de la proposition en ce qui concerne l’établissement de comptoirs, et que M. le ministre veuille bien faire connaître les conditions plus favorables qu'il espère obtenir ; nous saurons sur quoi nous votons, ce que nous accordons et ce que nous obtiendrons en retour.

Je fais donc la proposition formelle de supprimer l'article 3, et d'ajourner le vote du crédit de 500,000 fr. pour l'établissement d'un comptoir à Syngapore jusqu'au moment où l'affaire aura été mûrement examinée.

M. E. Vandenpeereboom. - Un de nos honorables collègues, que pour ma part j'aime toujours à entendre, disait hier eu finissant de parler : «S'il m'était permis d'émettre un vœu, je demanderais un peu moins de discours...» Depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette enceinte, j'ai donné à ce vœu l'adhésion la plus efficace qui fut en mon pouvoir, celle de mon silence. En demandant à la chambre la permission de lui présenter quelques observations, je tâcherai de m'écarter le moins que je pourrai de l'excellent conseil de notre honorable collègue.

La demande de crédit qui nous est soumise en ce moment, ainsi que la loi du 28 avril de l'année dernière, sont des fragments du grand projet de loi du 23 février 1848.

Il me paraît regrettable que ce budget de mesures progressives n'ait pas pu être voté, sinon dans son ensemble, du moins dans ses parties qui avaient principalement pour but l'amélioration du sort des classes peu fortunées.

En attendant qu'on puisse reprendre ce projet, je viens appuyer, sous certaines réserves, la demande de subsides soumise par le gouvernement.

Le crédit pour encouragements à l'industrie et au commerce d'exportation peut soulever quelques observations.

Pour tous ceux qui ont étudié les documents qui ont été publiés sur l'établissement d'une société d'exportation, il doit être évident qu'une telle institution sciait plus favorable au commerce et à l'industrie que le système des primes. Mais puisque jusqu'à présent on n'a pas pu réaliser cette grande entreprise nationale, les primes peuvent servir principalement à nous sauver de l'encombrement et par conséquent de l'avilissement du prix de nos propres produits sur le marché intérieur. Ce système admis, il y aurait lieu d'examiner si la prime d'exportation ne devrait point être appliquée aux étoffes de coton pur, vulgairement nommées articles de Roubaix, aujourd'hui exclues de cette faveur, quoiqu'exigeant une plus grande somme de main-d'œuvre que d'autres colonnades admises à la prime. Il en est de même de certaines qualités de fil, ayant reçu divers degrés de manipulation et qui pourraient n'être pas exclues de la prime, comme le sont les fils simples écrus.

Je dirai quelques mots du projet de l'établissement d'un certain nombre de comptoirs dans les Indes. Si, dans la pensée du gouvernement, les comptoirs peuvent donner lieu à la suppression immédiate de la prime, et à la remise indéfinie de l'érection d'une société d'exportation , si des comptoirs ne se fondent pas sur d'autres marchés que ceux indiqués, je n'hésite pas à le dire, cette mesure sera plus nuisible qu'utile à une certaine catégorie d'intérêts. L'industrie linière, qui profite de la prime et qui fonde son espoir dans l'établissement d'une société d'exportation, aura peu à exporter à Syngapore, à Manille, à Java, en Chine. Se borner à ériger des comptoirs pour ces seuls points, ce ne serait point venir en aide à cette industrie, comme on l'a promis, comme il est juste et politique de le faire. C'est par les Etats-Unis, c'est par la Havane surtout qu'il faut commencer, si l'on veut être utile tout à la fois au commerce et à l'industrie des produits liniers.

Nous pouvons prendre une large place sur le marché des Etats-Unis; nous en avons occupé une très importante sur le marché de la Havane. C'est vers ces deux points que nous devons tendre, par ce motif principalement qu'on y trouverait des débouchés importants, embrassant à la fois toutes les qualités de tissus de lin. J'appelle l'attention la plus sérieuse du gouvernement sur ce point important de la question.

Parmi les améliorations agricoles, il en est une d'autant plus digne d'être immédiatement réalisée que tout en conduisant à de grands résultats, elle n'occasionne au trésor que, des frais peu considérables. Je veux parler de l'institution de wateringues pour les rives et les vallées de l'Escaut, de la Lys et de la Dendre. Aujourd'hui que les grands travaux d'évacuation sont sur le point d'être terminés, c'est le moment d'organiser ces agrégations d'intéressés, entreprenant avec des vues d'ensemble et par des moyens peu coûteux, des travaux d'assèchement et d'irrigation qui peuvent augmenter notablement les produits de nos vastes et riches prairies des Flandres et du Hainaut.

Je sais que le gouvernement s'occupe activement de cette organisation. Le moyen d'en bâter la solution serait peut-être que l'Etat prît à sa charge et sous sa surveillance la confection de tous les plans nécessaires pour déterminer les terrains qui ont des intérêts communs et qui doivent se trouver placés dans une même circonscription.

Le chiffre proposé pour la voirie vicinale me paraît tout à fait insuffisant. J'espère que nous pourrons bientôt consacrer des sommes plus considérables à cette catégorie de travaux, que je considère comme l'encouragement le plus utile que l'on puisse donner à l'agriculture.

Je regrette vivement que la section centrale n'ait pas cru pouvoir adopter, au moins en partie, la somme demandée pour l'encouragement aux hommes de lettres et aux artistes. Pour les nations comme pour les individus, il est une autre existence que la vie matérielle ; c'est la vie de l'intelligence. A toutes les époques cette vitalité s'est manifestée parmi nous, pour tout ce qui a rapport aux lettres et aux arts. Sans parler des temps anciens, pendant lesquels cette sève a produit tant et de si beaux fruits, n'avons-nous pas lieu d'être fiers de la place élevée que nos travailleurs du domaine de l'intelligence ont su faire à la Belgique dans le monde artistique ?

Toutes les villes, toutes les provinces font des dépenses considérables pour encourager les beaux-arts et les lettres: le budget de l'Etat ne pourrait-il donc supporter, sans inconvénient et sans critique, une charge temporaire dans le même but ? S'il était permis de s'exprimer ainsi, sans se rendre coupable d'une sorte de profanation, je dirais : Comptez l'argent étranger que les artistes ont attiré dans le pays, et voyez si, pendant ces temps de sécheresse passagère, vous ne pouvez pas raviver artificiellement cette source autrefois si féconde pour la richesse matérielle du pays.

Le crédit demandé est, si je ne me trompe, non point un subside de luxe, mais une mesure sagement démocratique.

Entrez dans nos nombreuses académies de dessin et d'architecture, et vous pourrez vous assurer que la jeunesse qui les fréquente appartient, en grande partie, aux classes peu fortunées. Prenez la liste de nos artistes déjà parvenus et vous y verrez des noms, sortis obscurs des rangs de la société, et que ceux qui les portent ont su couvrir d'une renommée éclatante.

Je donne également mon appui au crédit demandé pour l'assainissement des villes et des communes. Mais je crois que le gouvernement doit surveiller, d'une manière très sévère l'emploi qui sera fait de cette catégorie de subside. Il serait regrettable que ces sommes pussent servir à favoriser la spéculation de quelques particuliers, sans produire des résultats sérieux pour les classes pauvres pour lesquelles ces subsides sont demandés.

Pour tous les motifs que je viens d'indiquer, je voterai les crédits demandés par le gouvernement.

J'espère qu'à l'aide de la diminution d'une certaine catégorie de dépenses, et nullement au moyen de nouveaux impôts, nous pourrons entrer plus avant et marcher plus vite dans la voie du progrès pacifique, que la justice comme la prudence nous ordonnent de suivre.

(page 1571) M. le président. - La parole est à M. Moncheur.

- Un membre. - Il vaudrait mieux que M. le rapporteur prit la parole le dernier.

M. le président. - Il y a quinze orateurs inscrits.

M. Manilius (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour une motion d'ordre. Comme l'annonce M. le président, il y a 15 orateurs inscrits. L'honorable rapporteur a ouvert la discussion par un long discours qui en a provoqué un grand nombre d'autres; si nous le laissons parler une deuxième fois, la liste des orateurs s'augmentera en force et deviendra inépuisable. Il est d'usage qu'on accorde toujours la parole au rapporteur le dernier; qu'on lui accorde la même faveur dans cette circonstance, mais avant, je désire qu'il nous permette d'entendre encore quelques-uns des orateurs inscrits.

M. Moncheur. - Je ne sais si c'est mon discours qui en a provoqué beaucoup d'autres; mais la matière dont nous nous occupons est tellement importante par elle-même, surtout dès qu'on a voulu porter ses investigations sur les divers objets énoncés à l'article premier du projet, qu'il est tout naturel qu'on consacre quelques séances à la traiter.

Cependant, je ferai une observation à l'honorable M. Manilius, c'est qu'il serait possible que, si je parlais encore à présent, au lieu d'allonger la discussion, le résultat serait tout contraire.

Je suis, du reste, à la disposition de la chambre.

M. Bruneau. - On pourrait convenir que le rapporteur prendrait le dernier la parole.

M. de Perceval. - C'est même dans son intérêt.

M. le président. - L'honorable M. Moncheur consent-il à céder la parole à un autre? Insiste-t-il ?

M. Moncheur. - Je n'insiste pas. Mais je me réserve le droit de parler.

M. le président. - Ainsi il est entendu que M. Moncheur parlera le dernier.

M. Coomans. - Messieurs, il me semble qu'il conviendrait que le débat s'épuisât naturellement.

Le projet de loi qui nous est soumis est d'une haute importance, non pas financière, mais politique. Les questions qu'il soulève sont destinées à commander de jour en jour davantage l'attention des chambres, de la presse, du pays entier. Nous n'aurons jamais à discuter de plus grands intérêts. Ce n'est pas du temps perdu que celui que nous y consacrons. Les luttes de parti ont cessé, Dieu merci. J'espère que personne ne songe à les faire renaître. Quant à moi, je n'y mêlerais ma voix que pour réclamer l'oubli et le silence.

Nous avons à nous occuper aujourd'hui de bien autre chose que de stériles et irritantes querelles qui ont causé tant de mal au pays, et qui, si elles s'étaient prolongées, auraient pu compromettre notre indépendance, notre nationalité.

Les questions d'économie politique deviennent plus importantes de jour en jour : ce sont des questions véritablement sociales qui sont utilement substituées aux questions de parti. De leur solution satisfaisante dépendent le repos et la prospérité de la patrie.

Ainsi avançons d'un pas ferme dans la voie des améliorations pratiques dont sont susceptibles les intérêts matériels, si étroitement liés aux intérêts moraux. Cette carrière est presque neuve. Les partis, et je parle des plus éclairés, ont à peine fait quelques pas depuis un demi-siècle. D'autres préoccupations les ont trop longtemps absorbés.

Mais dans cet ordre de questions aussi, gardons-nous de nous laisser dominer par des passions injustes, dangereuses ; que personne ne s'adjuge le monopole du dévouement au peuple. Nous aimons tous le peuple; notre but à tous est le même; nous ne différons que sur l'emploi des moyens. Laissons de côté les phrases ronflantes ; chacun de nous pourrait en faire à son aise; la recette est connue, et le métier d'orateur de carrefour est devenu par trop facile.

On nous demande, on l'a dit, un vote de confiance. Pour ma part je n'hésite pas à l'accorder au ministère. Seulement, je voudrais qu'il nous coûtât le moins cher possible. J'ai confiance dans le ministère pour une foule de millions. Je le prouve assez en votant tous les budgets, y compris les crédits extraordinaires, qui deviennent décidément ordinaires.

Il ne suffit pas de consulter ses sentiments ; il faut aussi consulter sa bourse ; c'est l'avis de tous les ministres des finances.

Les principes ne sont pas à dédaigner non plus en pareille matière. Quelques honorables membres les ont trop légèrement écartés. Ils ont trop lestement repoussé, ce me semble, le reproche de socialisme adressé au projet. Je leur accorde bien volontiers que l'adoption de ce projet ne mettra pas la patrie en péril, et que nous ne serons pas menacés d'une réforme communiste, parce que nous aurons accordé au ministère une partie des deniers publics pour favoriser des individus. Cependant, il faut y prendre garde. La pente de l'erreur est rapide, et de petites fautes provoquent bientôt de grandes. Le principe des sociétés modernes est la libre concurrence des bras, des intelligences et des capitaux. Chaque citoyen, disposant à son gré de toutes ses ressources, est abandonné aux hasards de cette concurrence illimitée. Les inconvénients de ce régime ne sont pas contestables, mais ils sont compensés par les avantages de la liberté. La perfection absolue est une chimère. Toute médaille a son revers, tout bien même a son mal. Le principe des socialistes est l'absorption de l'individu par l'Etat, la négation de toutes les libertés civiles conquises depuis des siècles.

Or, s'il est vrai, de dire que la logique est aussi nécessaire aux nations qu'aux individus, et que l'observation sévère du principe constitutif d'un peuple prolonge son existence, il faut reconnaître que nous affaiblirons notre édifice social cl mesure que nous, en ébranlerons les bases* Nous nous fourvoierons infailliblement si nous entreprenons de concilier le socialisme avec la civilisation présente. L’essai peut être généreux et plaire à des esprits superficiels et timides, mais il avortera., Je n'hésite pas à le dire, messieurs, avec cette franchise dont je vous prie d'excuser l'expression parfois trop vive, ceux-là qui veulent conserver l'ordre présent, se sont déjà trop avancés dans la voie des idées nouvelles. Les concessions faites aux systèmes absolus, nettement dessinés, ne désarment personne; au contraire, elles encouragent; elles renforcent, elles fournissent des armes mortelles.

Je ne sais si le communisme doit triompher un jour, mais, ce qui me porterait à croire que nos enfants en feront l'expérience, c'est la mollesse, ce sont les contradictions perpétuelles de ses adversaires, c'est la faute qu'ils commettent de pratiquer partiellement des théories hostiles. Dès qu'une société abandonne son principe, elle est à la veille d'une révolution radicale. L'introduction de l'élément électoral, à quelque degré que ce soit, dans une monarchie absolue, est le signal de sa fin, de même que la domination militaire dans une république est un sûr indice que l'heure du despotisme va sonner.

Par une raison pareille, l'adoption de l'élément socialiste dans un pays de libre concurrence est le précurseur, lointain, si vous le voulez, mais certain, d'une rénovation sociale. C'est à mes yeux une grave question de savoir si, pour prolonger son existence, la vieille Europe ne doit pas se renfermer dans l'application rigoureuse du principe de la libre concurrence, c'est-à-dire supprimer tous les subsides, réduire les budgets d'un quart, et débarrasser le pouvoir central d'une foule de soins minutieux qui l'affaiblissent et le compromettent.

L'honorable ministre de l'intérieur a constaté avant-hier une certaine confusion dans le débat ; cette confusion, messieurs, existe ; elle était inévitable : le projet renferme tant de questions de principes et de fait; il touche à tant de matières diverses, qu'il est impossible de maintenir quelque ordre dans la discussion. Cet inconvénient est réel ; mais il en est un plus grave encore, c'est la confusion dont sera empreint le vote final. Le vote ne sera pas sincère, car les différentes dépenses réclamées par le cabinet ne plaisent pas également à tous les membres de cette assemblée. Il en est, pour mon compte, que j'approuve; il en est d'autres que je ne puis admettre. Quel qu'il soit, mon vote ne me satisfera pas; s'il est affirmatif, je consacre des dépenses qui ne me semblent pas justifiées ; s'il est négatif, j'en repousse qui me paraissent bonnes. Il est donc à regretter que les divers littera du projet ne constituent pas des projets spéciaux sur lesquels la discussion et le vote auraient été faciles, logiques, sincères.

Tel qu'il est présenté, il faut bien en convenir, le projet est une sorte d’ « olla podrida », de pot-pourri dans lequel un habile cuisinier a réuni des mets pour tous les goûts, pour tous les appétits. L'un aime la voirie vicinale, l'autre les travaux d'assainissement, un troisième raffole des comptoirs, un quatrième n'est pas insensible aux primes d'exportation : fort bien, on mêle tous ces articles et l'on espère avec raison que le tout sera goûté par la chambre....

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'ai provoqué moi-même la division pour la discussion et le vote. Il n'y a donc pas de tactique. Je rappelle que, dans mon premier discours, j'ai provoqué une discussion spéciale et un vote spécial sur chaque article.

M. Coomans. - Vous allez au-delà de ma pensée, M. le ministre : je n'attribue des intentions déloyales à personne; je désire qu'on ne m'en attribue pas non plus.

On m'a appelé rétrograde, parce que j'ai professé et que je continue .de professer des doctrines économiques dans le sens de la protection. Je vois avec plaisir, cependant, que le gouvernement et la majorité de la chambre se rapprochent singulièrement de mes idées. Je suis charmé de voir que l'adoption d'un système économique, tel que celui du libre-échange, n'implique pas la nécessité d'y conformer ses actes. La majorité de cette chambre et le gouvernement ont déclaré à diverses reprises qu'ils étaient partisans du libre-échange. Eh bien, messieurs, depuis que nous discutons, nous avons fait des pas rétrogrades... (Interruption) ; nous en avons fait plus d'un en arrière vers le but qu'on m'a reproché d'avoir en vue. Je puis même ajouter que le gouvernement va trop loin et trop vite dans la voie de la protection directe.

A aucune époque il n'a été distribué autant de primes en Belgique que depuis l'arrivée aux affaires d'un cabinet dont l'opinion est hostile aux primes.

Messieurs, je dirai un mot sur les diverses dépenses proposées par le gouvernement, tant pour répondre à l'invitation qu'il nous a adressée, que pour expliquer mon vote sur l'ensemble.

La première concerne l'établissement de comptoirs et de sociétés de commerce, ainsi que les primes d'exportation. Je puis en parler sans gêne. Je suis favorable aux comptoirs et même aux primes. Je ne me voile pas la face pour en faire l'aveu.

D'autres membres de cette assemblée seront beaucoup plus embarrassés que moi de voter ces articles, qui sont les antipodes de leur système. Rien ne répugne au libre-échange comme les primes directes. Au fond, il n'y a que des primes dans le littera A, comme dans les cinq autres, il faut employer le mot propre. Pourquoi s'effaroucher du mot, lorsqu'on s'accommode si bien de la chose ? Le mot de prime est comme le mot de choléra; on évite de le prononcer dans celle enceinte. Pruderie inutile : qu'on les qualifie ou non, le choléra et la prime n'en vont pas moins leur train.

(page 1572) J'appelle prime tous les encouragements privilégiés que l'Etat accorde aux travailleurs sous le régime de la libre concurrence. Il n'y a aucune différence, selon moi, entre les 10 p. c. alloués à l'exportation des tissus et les millions que l'Etat donnerait à une société de commerce. De part et d'autre, c'est l'Etat qui avec les deniers publics concède des bénéfices à des particuliers, à des localités restreintes, ou supporte une partie de leurs pertes. Les fonds consacrés aux travaux d'assainissement, aux arts, aux lettres et même à la voirie vicinale, sont des primes prélevées sur le bien de tous au profit de quelques-uns.

Quant à moi, j'accepte la prime en principe et en fait, mais à deux conditions : la première, qu'elle ait un caractère aussi général que possible, qu'elle soit conforme à l'intérêt public; la deuxième condition est qu'elle soit efficace.

Lorsque l'Etat distribue des primes, il doit s'abstenir autant que possible d'y attacher des noms propres, de se mettre en relation avec des individus. Sous ce rapport une prime excellente c'est la douane. Une autre prime que je n'hésite pas à préconiser, c'est la prime d'exportation accessible à tout le monde, sous certaines conditions.

Par exemple, je voudrais décréter que toute marchandise confectionnée de certaine façon jouirait d'une certaine prime de sortie. Dès lors chacun pourrait en profiter, et nous n'exporterions que des objets d'un débit facile et assuré. La prime actuelle est mauvaise, elle ne sert qu'à vider les fonds de magasin et à compromettre nos relations avec l'étranger.

Un honorable député de Gand a avoué que les magasins étaient encombrés, que si la prime n'était pas venue à leur aide, messieurs les fabricants n'auraient su comment se défaire du trop plein de leurs marchandises.

Le même honorable membre s'est permis, ce me semble, une allégation qui pourrait induire le public en erreur, lorsqu'en demandant le maintien de la prime pour un terme indéfini, il a dit que l'industrie gantoise pouvait être citée comme un modèle.

Messieurs, je trouve passablement naïf un aveu fait dans de pareilles circonstances. Lorsqu'on demande des drogues aussi coûteuses que celles que nous sommes obligés de préparer en faveur de la fabrique gantoise, il convient d'avouer qu'on est malade et de ne pas se vanter de jouir d'une santé florissante. L'industrie gantoise ressemble un peu, ce me semble, à ces mendiants espagnols qui vous demandent l'aumône, l'escopette au côté et le chapeau sur la tête.

La vérité est, je ne dis pas ceci pour déplaire à d'honorables collègues, que j'estime et j'aime beaucoup ; mais la vérité est que l'industrie gantoise est très arriérée; l'industrie cotonnière l'est peut-être encore plus que l’industrie linière. A part quelques honorables industriels de Gand, dont je ne citerai pas ici les noms pour ne pas blesser leur modestie, les fabricants cotonniers sont en retard comparativement à leurs rivaux d'Angleterre, de France et de Suisse.

L'industrie gantoise s'est endormie sur l'oreiller du million Merlin, elle n'est pas encore tout à fait éveillée aujourd'hui. Elle ne l'est que d'un œil.

S'il est vrai, comme l'a dit l'honorable M. Delehaye, que l'industrie gantoise n'a pas à craindre la concurrence étrangère, pourquoi donc tient-elle si fort à ce qu'on maintienne en sa faveur une prime douanière qui s'élève à 50, 60 ou 70 p. c. ? Et outre cette prime douanière, il faut que nous lui accordions encore une prime de sortie de 10 p. c. ! Evidemment il y a une exagération par trop flatteuse pour les commettants de l'honorable M. Delehaye, dans l'allégation que je relève dans l'intérêt public.

Quant aux comptoirs à établir avec les subsides de l'Etat, j'y souscris, pourvu que les avantages qu'on en attend répondent aux sacrifices. Mais avant de procéder à cette innovation, il faudrait avoir arrêté un système. D'honorables membres, M. Cumont, entre autres, ont fait observer avec raison qu'au point de vue flamand le comptoir projeté ne devait pas avoir de résultats appréciables. Je ne nie pas qu'il n'en promette quelques-uns, mais il est probable que les tisserands liniers des Flandres ne trouveront pas grand-chose à glaner dans le champ où nous semons si libéralement les primes par la main de l'honorable ministre de l'intérieur.

Ceci démontre que, lorsqu'on s'engage dans la voie de la protection, (c'est la bonne, je pense,) il faut arrêter des vues générales. Les comptoirs surtout devraient être l'objet de combinaisons bien mûries qui satisfissent un peu tout le monde. Ce serait, d'ailleurs, le meilleur moyen d'obtenir des résultats fructueux.

Messieurs, on nous demande un crédit de 350,000 fr. pour améliorations agricoles et pour colonisation à l'intérieur, notamment dans la Campine.

A cet égard j'ai des motifs plus particuliers pour communiquer mon opinion à la chambre. Je puis déclarer de science certaine que le transport des familles flamandes dans la Campine serait très impopulaire dans mon district, très inutile et très cher.

On considère la Campine comme un désert immédiatement cultivable et où la population manque.

Messieurs, c'est véritablement là une erreur; je n'hésite pas à le dire en ce moment, sauf à le prouver plus tard, il y a assez de population dans la Campine, eu égard à la quantité de sol aujourd'hui cultivable ; pendant plusieurs années encore cette population, dont une partie est désœuvrée, suffira à elle-même. La preuve, c'est qu'il y a en ce moment, d'après une appréciation très modérée, 8 mille individus valides sans ouvrage dans la Campine anversoise et limbourgeoise; il y a environ 25 mille pauvres, mais 8 mille ouvriers valides sont dans le dénuement. Messieurs, si vous voulez faire quelque chose pour la Campine, projet que j'ai toutes sortes do motifs excellents pour appuyer, commences par favoriser les habitants, par permettre à ces ouvriers sans travail de défricher eux-mêmes.

Puis construisez des routes et des canaux, c'est l'essentiel, c'est même tout ce qu'il faut à la Campine. D'ailleurs je crois que si le gouvernement fait des essais dans le sens qu'il indique, il en sera bientôt dégoûté; ces essais d'immigration lui coûteront très cher, et les résultats ne répondront pas à son attente.

Messieurs, il est impossible qu'une assemblée qui a le cœur bon, la tête saine, refuse un subside pour assainir la patrie. Par conséquent, bien qu'en principe ce subside me répugne beaucoup, je le voterai ; il y a certaines dépenses qui, une fois demandées, ne peuvent pas être refusées ; on demanderait des millions pour secourir l'indigence, que nous les voterions. Permettez-moi toutefois quelques observations sur ce chapitre.

Il me semble que ce serait faire naître des illusions dangereuses que de laisser croire au pays que le gouvernement est en état, même avec des sacrifices plus considérables que ceux que nous allons voter, d'assainir les villes et les villages. C'est de toute impossibilité. Cet article figure au projet comme une vaine promesse. Véritablement ce ne sera pas autre chose. Quand le gouvernement accordera des fonds sur ce littera, je désire qu'il n'en donne plus aux localités qui font les dépenses de luxe; il ne convient pas que les villes qui entreprennent à grands frais des travaux de luxe, viennent, quand le déficit se déclare dans la caisse communale, dire au gouvernement : Nous avons des rues malpropres où l'épidémie fait ou peut faire des ravages, il faut nous aider au moyen de fonds de l'Etat. Ont seules droit à un subside pour cause d'assainissement, les communes qui après avoir fait les travaux que la nécessité ordonnasse trouvent à court d'argent.

Mais il serait étrange que la ville de Bruxelles par exemple, reçût quelque chose sur le crédit dont il s'agit. Elle a fait depuis longtemps des dépenses énormes qui l'ont ruinée; l'Etat l'a déjà sauvée une fois. Après s'être livrée à des dépenses somptueuses, elle n'est plus admise à venir réclamer un subside pour travaux d'assainissement. Les travaux d'assainissement ont le pas sur tous les autres. Quand la ville de Bruxelles ne contiendra plus de ruelles fétides, libre à elle d'élever des monuments, de construire des palais, de subsidier des théâtres, d'entourer son parc d'un magnifique grillage. Je sais qu'on dira que ce grillage se construit avec le produit d'une souscription particulière. (Interruption.). Mais cette souscription a été faite sous les auspices de l'autorité communale ; si elle a rapporté 60 à 80 mille fr., elle aurait produit 300,000 à 400 mille fr., peut-être, si l'autorité communale avait dit : Au lieu de faire du Parc une sorte de prison, je percerai des rues, je nettoierai les quartiers sales. Les souscripteurs auraient donné le double et le triple. Voilà ce que Bruxelles devait faire avant de s'obérer d'une autre façon. Ce que je dis de Bruxelles s'applique à toutes les villes.

Il y a d'ailleurs de graves inconvénients à laisser croire que le gouvernement est là pour assainir les communes. Cette espérance, qui n'est souvent qu'une illusion, empêche parfois des travaux utiles.

Messieurs, je passais naguère dans un village le long d'un marais bourbeux ; je dis au bourgmestre qu'au moyen d'une légère dépense il pourrait dessécher le marécage. « Non, me répondit-il, le gouvernement nettoiera cela. » Voilà un abus réel qui ne se renouvellera que trop souvent.

Quant aux arts et aux lettres, je n'ai pas besoin de dire que je les apprécie de grand cœur, et que nos artistes ont toutes mes sympathies. Mais la question est de savoir si, après tous les sacrifices que la Belgique a déjà faits pour les arts et pour les lettres, elle doit encore leur consacrer une somme spéciale, alors que tant de malheureux qui, quoiqu'ils ne soient pas artistes, ne sont pas moins des citoyens ayant ainsi rendu des services au pays, sont littéralement sans pain.

C'est une justice à rendre à la Belgique ; aucun pays de l'Europe n'a fait autant qu'elle pour les arts et les lettres. Les artistes n'ont pas à se plaindre, surtout du ministre de l'intérieur actuel; s'il renonçait à sa demande ou s'il ne l'avait pas faite, on ne pourrait pas l'accuser d'indifférence à l'égard des artistes. Quant à moi, ce crédit me paraît inopportun.

En ce qui concerne les secours pour les indigents, je n'ai rien à dire ; jamais je ne les refuserai, quand même on demanderait un million; il n'y a pas de malheur plus respectable que la faim.

Je m'abstiendrai dans le vote sur le crédit global, car il renferme des dépenses utiles à côté de dépenses que je ne puis approuver.

(page 1579) M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - Il y a eu dans le discours de l'honorable préopinant abondance de leçons pour tout le monde. Je répondrai seulement à quelques-unes de celles qu'il a adressées au gouvernement.

Tout d'abord je ferai remarquer à la chambre et à l'honorable préopinant, combien il serait prudent de se montrer indulgent envers les autres et de ne pas être trop prompt à leur reprocher de mettre leurs actes en contradiction avec leurs paroles, alors qu'on est soi-même exposé à tomber, non à un long intervalle, mais dans un même discours, dans des contradictions nombreuses et saillantes.

L'honorable membre, se servant d'une expression assez familière, a reproché à la proposition qui vous est faite de n'être qu'une habile préparation culinaire, où le cuisinier avait mêlé des mets et des ingrédients au goût de tout le monde; et quelques instants après, il exprimait le regret qu'on n'eût pas imaginé une combinaison de nature à satisfaire toutes les opinions, tous les esprits ; c'est-à-dire, pour emprunter à l'honorable membre l'expression dont il s'est servi, qu'on n'eût pas imaginé une « olla podrida » différente de celle qu'il a vue dans la proposition qui vous est soumise.

Quoi qu'il en soit, parmi les reproches qu'il a adressés au cabinet, parmi les critiques qu'il a élevées, il y en a une de l’ordre le plus sévère, et qu'il importe de ne pas laisser sans réponse.

L'honorable préopinant pense que le gouvernement s'est déjà avancé trop loin dans la voie des idées nouvelles. Il faut qu'il se préoccupe surtout de ne pas tomber dans l'abime du socialisme.

Mais il me semble vraiment qu'on fait un abus étrange des mots, et qu'on s'efforce trop de nous effrayer par un vain épouvantait. Non, messieurs, nous ne glissons point sur une pente dangereuse, mais nous marchons prudemment, et les yeux ouverts, dans une voie d'amélioration et de progrès avec réserve. Loin qu'il y ait danger dans cette conduite, nous prétendons que c'est le meilleur et peut-être l'unique moyen de conjurer les dangers de la situation.

Le socialisme, a dit l'honorable préopinant, c'est l'absorption de l'individu par la société. Eh ! bon Dieu ! dans quel littera de la proposition soumise à la chambre, voit-on que nous menacions d'absorber l'individu par l'action sociale? L'individu sera-t-il absorbé, parce que nous proposons d'augmenter de cent soixante et dix mille francs les fonds destinés à l'amélioration de ta voirie vicinale, parce que nous conjurons la chambre de nous aider à travaillera l'assainissement des villes? Le socialisme serait-il à nos portes, parce que nous demandons qu'il nous soit permis de venir en aide au travail, en prolongeant pendant quelque temps le système des primes, que préconise l'honorable préopinant lui-même? Le socialisme serait-il à nos portes, parce que nous proposons à la chambre de nous autoriser à établir un comptoir pour favoriser nos relations commerciales et industrielles à l'étranger? Non. il n'y a pas là de socialisme, mais action bienfaisante de la société dans l'intérêt de tous ; car s'il ne faut point que la société absorbe les individus, il faut du moins (c'est sa mission) qu'elle s'occupe de leur existence, de leur bien-être, de leur amélioration matérielle, intellectuelle et morale, là où les efforts individuels seraient nuls ou impuissants.

Dussions-nous encourir l'accusation imméritée qu'on vient d'élever contre nous, nous accomplirons courageusement ce devoir. Pour vaincre l'ennemi? nous lui déroberons ses armes ; pour nous préserver des séductions des doctrines nouvelles, nous leur emprunterons ce qu'elles ont de réalisable, de pratique. Prouver au peuple que ce n'est pas seulement parmi ceux qui prêchent le bouleversement de la société qu'on trouve de la sympathie pour les souffrances du peuple, c'est l'attacher davantage à la cause de l'ordre, au maintien des institutions existantes.

Au surplus, messieurs, cette politique n'est pas nouvelle. Si vous jetez un regard sur le passé, qui doute que c'est à la prudente initiative que le gouvernement et les chambres ont prise des réformes utiles, que le pays doit d'être resté calme au milieu de la tempête?

Il y a donc bien vraiment dans la proposition qui vous est faite un côté politique; et c'est par ce côté politique surtout que nous la recommandons à votre bienveillance.

J'arrive, messieurs, aux critiques qui ont été élevées aujourd'hui contre quelques parties spéciales du projet,

J'ai dit tout à l'heure qu'en reprochant au gouvernement des contradictions apparentes entre ses doctrines et ses actes, l'honorable préopinant était tombé lui-même dans des contradictions très réelles. En voici encore un exemple. Vous l'avez entendu se prononcer contre le système de la colonisation à l'intérieur. D'après lui, il ne faut pas que les populations flamandes soient transplantées dans la Campine; elles y seraient mal accueillies; il y a là aussi des travailleurs valides qui manquent d'ouvrage, à qui la terre fait défaut. Mais l'honorable préopinant a-t-il oublié que sa plume habile avait défendu la thèse contraire par d'excellents arguments?

Quant à moi, j'ai meilleure mémoire et je me souviens d'avoir lu, avec beaucoup d'attention, avec beaucoup d'intérêt, les raisons qu'il a fait valoir, il y a à peine quelques mois, pour engager le gouvernement à faire ce qu'il blâme si vivement aujourd'hui.

M. Coomans. - Je ne suis pas infaillible.

M. le ministre des travaux pubics (M. Rolin). - C'est précisément pour cela que nous vous demandons la permission de ne pas l'être nous-mêmes, et que nous vous demandons un peu d'indulgence pour nos paroles et pour nos propositions.

On nous a dit qu'on était charmé de voir que le principe du libre échange n'implique pas la nécessité d'y conformer ses actes.

Comme ce reproche se reproduit souvent et sous des formes diverses, il me semble utile d'y répondre.

Déjà mon honorable collègue, le ministre de l'intérieur, dans une autre séance, vous a dit que, tout en restant fidèle à ses convictions, croyait qu'il y avait lieu de tenir compte des faits existants, des circonstances au milieu desquelles le pays se trouve.

Oui, nous le reconnaissons, abaisser les barrières des douanes, modérer les tarifs qu'on appelle protecteurs, et dont la protection est toujours onéreuse, souvent illusoire, fatale au progrès, neutralisés par des représailles, par les tarifs de l'étranger ; c'est notre désir, c'est le but auquel, suivant nous, la société doit tendre.

Mais il faut distinguer entre le bien absolu qu'on peut obtenir et le bien relatif dont la politique commande de se contenter dans le présent.

Au-dessus du principe du libre échange, il y a quelque chose de plus essentiel, de plus puissant, c'est la nécessité actuelle de maintenir le travail. Dans les circonstances que nous avons traversées l'année dernière, qu'eût-on dit si le gouvernement s'était obstiné, par amour de ses théories, à fermer l'oreille aux plaintes qui ne cessaient de l'assaillir, s'il avait délaissé le travailleur à lui-même ; s'il s'était contenté de lui dire : Laissez faire, c'est notre principe ; laissez mourir, c'est encore notre principe?

Le gouvernement avait un autre devoir à remplir, devoir d'humanité en même temps que de prudence : c'était de maintenir l'ordre, par le travail, comme il l'avait maintenu par la réforme, par le progrès. Ce devoir, il ne l’a pas méconnu. Il a donné aide et protection à l'industrie qui était souffrante, qui était souffrante par des circonstances exceptionnelles, et non pas par cette inertie, par cette impuissance que l'honorable préopinant lui a si durement reprochée.

Le gouvernement a-t-il usé avec trop de prodigalité des ressources que le parlement a mises à sa disposition? Loin de là. Les crédits qui lui ont été ouverts, il ne les a pas épuisés. Les sommes qu'on lui avait permis d'abandonner gratuitement, il les a données à titre de prêt ; c'est-à-dire qu'il s'est réservé, qu'il vous a réservé le moyen de les faire fructifier deux, trois, quatre fois. C'est aujourd'hui encore ce qu'il vous demandé : Il vous demande de pouvoir utiliser, au fur et à mesure qu'ils rentreront, les fonds qui ont déjà porté leurs fruits; il vous demande d'être autorisé à les verser de nouveau dans le commerce et dans l'industrie, qui rendent avec usure les bienfaits qu'ils reçoivent.

Est-il temps de s'arrêter? Les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons sont-elles de telle nature, qu'il nous soit permis de nous endormir mollement dans le principe du laisser-faire? Personne de vous, messieurs, ne le pense.

Il est certain qu'il y a plusieurs industries qui ont encore besoin d'appui ; et en même temps que le gouvernement vous demande cet appui pour elles, il le demande pour l'agriculture qui a toutes les sympathies de l'honorable préopinant, comme elle a les miennes ; il le demande pour les classes pauvres, en vous proposant de consacrer une faible somme à l'assainissement des villes, c'est-à-dire à la guérison d'une lèpre contre laquelle tout homme qui sent, tout homme qui a un cœur, n'a cessé de crier.

Chose étrange! En même temps qu'on combat ces demandes en principe, on nous les reproche comme trop faibles, comme illusoires. C'est une goutte d'eau jetée à la mer, a-t-on dit dans la séance d'hier; et c'est cette goutte d'eau versée sur la plaie du peuple, sur la plaie du pauvre, qu'on nous reproche comme une tendance socialiste.

Messieurs, j'aborde très rapidement, très légèrement la question de l'établissement d'un comptoir. Elle a été traitée par d'autres orateurs avec beaucoup plus d'habileté, avec beaucoup plus de connaissance des faits, que je ne pourrai le faire ; mais je désire répondre à un honorable député des Flandres que nous avons entendu tout à l'heure.

Cet honorable membre, M. Cumont, vous a dit, et d'autres orateurs l'avaient dit avant lui, que nous avons eu la main malheureuse pour le choix du comptoir que nous proposons d'établir. Il s'agissait, dit-on, de venir au secours des Flandres, au secours de l'industrie séculaire qui a toujours été la nourricière de ces provinces, et nous demandons un subside pour l'établissement d'un comptoir dans lequel l'industrie linière : n'est nullement intéressée, où elle ne trouvera aucun débouché. C'est I une contradiction flagrante. De plus, c'est un malheur pour l'avenir; car l'établissement des comptoirs pourra avoir pour résultat que la société ; d'exportation, qui est dans le vœu d'un très-grand nombre d'entre nous, qui est dans le mien, n'arrivera jamais. Je crois, messieurs, que c'est une erreur.

D'après les explications qui ont été fournies par mon honorable collègue, M. le ministre des affaires étrangères, si la société d'exportation n'est pas née, si nous ne sommes pas en mesure de vous en proposer la création, ce n'est pas la faute à nous, c'est la faute aux commerçants qui nous ont refusé leur concours ; ou plutôt, disons mieux, c'est la faute aux circonstances.

Chacun sait que les commerçants et les industriels, dans la crise que (page 1580) nous avons traversée, et dans laquelle nous nous trouvons encore en partie, ont eu besoin de toutes leurs ressources pour maintenir leurs affaires. Cela est si vrai, que c'est à cause de l'insuffisance de leurs ressources que le gouvernement a été autorisé à leur venir en aide. Non seulement ils ont un emploi utile, assuré de leurs capitaux; mais il faut qu'ils les ménagent prudemment pour les besoins de chaque jour, et on veut qu'ils les versent dans une société d'exportation pour des expériences lointaines, pour des spéculations qui ne pourraient se réaliser que dans un temps très long. Faut-il s'étonner qu'ils n'y soient pas disposés, et que tout en appelant la société d'exportation de tous leurs vœux, ils ne montrent pas d'empressement à y concourir ?

La proposition, dit-on, ne leur a pas été faite dans des termes convenables. Le projet de société n'était pas mûr ; il n'était pas suffisamment élaboré. On n’a pas fait connaître au commerce et à l'industrie tout ce qu'ils auraient trouvé de garantie dans l'action, dans le concours de l'Etat. C'est une erreur complète.

D'ailleurs, le commerce et l'industrie n'ont pas répondu que leur concours dépendrait dételles ou telles conditions; ils l'ont refusé sans condition aucune. On a répondu de toutes parts que, dans les circonstances présentes, il ne fallait pas espérer de trouver de l'argent pour une telle entreprise.

Que faut-il donc faire ? Attendre patiemment le retour de circonstances meilleures ? C'est ce que la prudence, au premier abord, semble conseiller. Mais cet ajournement présente un inconvénient réel sur lequel j'appelle votre attention ; c'est de nous exposer à perdre une occasion précieuse, unique d'ouvrir à l'industrie et au commerce belges un champ plus vaste, de leur donner de l'espace et de l'air !

Mais pourquoi avoir choisi Syngapore plutôt que la Havane, plutôt que l'Amérique du Nord, ou plutôt que toute autre partie du globe qui eût procuré des débouchés à notre industrie linière?

Mais, remarquez, messieurs, que ce n'est pas le gouvernement qui a fait le choix; c'est le commerce lui-même, et le commerce anversois a choisi le point du globe qui lui a paru offrir le plus de chances de succès. C'est un reproche qu'on lui fait tout bas; je le relève tout haut pour sa défense, pour la défense du gouvernement. Il est évident que si nous commencions par fonder un établissement qui nous mît en perte, c'est alors que nous devrions désespérer d'obtenir jamais, d'un côté, le concours des capitalistes et des industriels, d'un autre côté, le concours des chambres pour établir une société sur une échelle plus vaste.

L'intérêt individuel est le meilleur juge. Le gouvernement, quoi qu'il fasse, aura toujours la main plus malheureuse qu'un commerçant habile stipulant dans son propre intérêt. Si Anvers a choisi Syngapore, croyez qu'Anvers avait de bonnes raisons pour cela, et je me l'explique d'autant plus facilement que dès à présent il y a des relations établies avec ce point du globe. Il y a là un noyau d'affaires: il suffit d'y établir un agent actif, intelligent, dévoué, intéressé aux succès de la mère patrie, pour étendre nos relations sur ce point du globe, marché sans limites, où notre activité commerciale, notre activité industrielle trouveront un immense encouragement.

L'industrie des toiles, nous a-t-on dit, ne gagnera rien à cet établissement; mais le gouvernement vous a-t-il dit que ses vues se bornent à ce seul comptoir? D'autres négociations ont été nouées ; peut-être dans un avenir prochain, peut-être dès maintenant (car le choix n'est pas arrêté) le gouvernement pourra-t-il fonder un autre établissement. Si nous pouvons persuader aux commerçants anversois qu'un comptoir à New-York leur offre les mêmes chances de bénéfice que le comptoir de Syngapore, n'en doutez pas, le gouvernement ne demandera pas mieux que de leur prêter la main.

Est-ce à dire, en attendant, qu'il est sans intérêt pour la Belgique, pour les Flandres, que cette industrie à laquelle l'honorable préopinant a reproché tout à l'heure de se présenter au parlement comme un mendiant espagnol, pût trouver à Syngapore un débouché qui la dispensât à 'avenir de recourir à l'intervention du gouvernement?

N'entrez pas, messieurs, dans l'examen des conditions proposées. Le gouvernement ne vous a pas dit : Voici à quelles conditions nous allons traiter ; il vous a dit : Voici les offres qui nous sont faites. Ayez confiance en lui ; laissez-lui débattre les conditions, il les fera aussi favorables pour le pays qu'il sera possible de les obtenir.

Il me reste à vous entretenir de deux objets qui, dans le cours de ces débats, ont été recommandés à l'attention de mon département.

Un honorable préopinants nous a parlé de l'établissement de wateringues. Il a considéré ces institutions comme un des plus puissants encouragements que l'on puisse accorder à l'agriculture, mais en même temps il a dit aussi que l'établissement des wateringues n'était pas demeuré étranger à la sollicitude du gouvernement. En effet, nous avons demandé aux gouverneurs des deux Flandres d'indiquer toutes les localités où il serait possible d'en établir, et partout où l'instruction est achevée, partout où la résistance des intérêts individuels n'a pas été trop forte, des wateringues ont été établies. Le gouvernement se propose de continuer dans cette voie.

Mais je ferai remarquer qu'en nous encourageant à entrer dans cette voie, on nous encourage tout simplement à poser un acte socialiste dans le sens étendu que l'honorable M. Coomans a voulu donner à ce mot... (Interruption.) Je crois ne pas me tromper sur l'explication que je donne à ses paroles, puisque j'obtiens en ce moment même son assentiment. Eh bien, si c'est là du socialisme, faut-il donc tant s'en effrayer? S'il est vrai que chaque individu ne peut pas se protéger suffisamment contre l'invasion des eaux, n'est-il pas avantageux que le gouvernement engage les propriétaires à s'associer dans ce but et leur tende la main pour les aider à se garantir d'un fléau dont ils ne peuvent pas se garantir isolément?

Sur un autre point encore on nous a conviés à faire du socialisme. On nous a demandé de transporter les engrais sur le chemin de fer et les canaux à des prix réduits. Déjà la commission d'industrie m'avait demandé d'abaisser de 50 pour cent le tarif du chemin de fer pour le transport des engrais. J'ai cru devoir résister à cette demande, et j'en déduirai les motifs en peu de mots. En premier lieu, le tarif du chemin de fer est modéré, on nous a même reproché d'avoir poussé la modération beaucoup trop loin, et d'avoir complètement perdu de vue les intérêts du trésor. En deuxième heu, abaisser de 50 p. c. les prix du transfert des engrais, c'est transporter les engrais à perte, puisque, jusqu’à présent, les frais d'exploitation se sont élevés, en moyenne, à plus de 50 p. c. C'est donner un subside indirect à l'agriculture. Non pas que nous croyions que l'agriculture n'a pas droit à protection, mais nous avons pensé que ce n'est point le département des travaux publics, que ce n'est pas l'exploitation du chemin de fer qui doit la lui donner par une voie détournée. Si la chambre pense que l'agriculture a droit à cette faveur d'une nature toute particulière, toute spéciale, elle le fera sans doute par des fonds qu'elle mettra à la disposition du département de l'intérieur, mais non pas en diminuant les revenus du chemin de fer.

J'ai fait remarquer, en outre, messieurs, que si on réduisait de 50 p.c. le prix de transport des engrais, il conviendrait de diminuer, dans la même proportion, le prix de transport des pavés destinés à l'amélioration de la voirie vicinale ; l'une de ces protections est aussi respectable que l'autre. Il faudrait donc s'abstenir de l'un et de l'autre, ou les accorder toutes les deux.

En quatrième lieu, messieurs (et c'est un motif qui m'a paru déterminant), la chambre nous a invités à plusieurs reprises à lui présenter un tarif pour le transport des marchandises de toute nature. Accorder dès à présent une réduction de 50 p. c. sur le transport de certains objets, ce serait, en quelque sorte, engager l’avenir ; ce serait forcer la main à la chambre, et nous dérober d’avancer au jugement qu’elle pourra porter un jour sur nos tarifs. Voilà les raisons qui nous ont déterminés.

Quant au transport des engrais par les canaux et les voies navigables, je n'hésite pas à reconnaître que les conditions en doivent être améliorées dans de larges proportions. On y remarque des différences qui ne s'expliquent en aucune manière. Une partie du pays ne nous parait pas devoir être plus favorisée qu'une autre, et nous pensons que d'ici à très peu de temps, nous serons en mesure de donner à l'agriculture, de ce côté, l'encouragement auquel elle a droit.

Je le répète, en terminant, c'est encore là du socialisme, mais c'est du socialisme dans le sens légitime du mot. Aussi longtemps que le gouvernement n'en fera que de cette espèce, nous n'aurons pas à redouter les dangers dont on nous menace. Conserver, mais conserver par le progrès et par un progrès incessant, en tirant parti de toutes les idées qui agitent aujourd'hui les peuples, c'est la meilleure garantie contre les bouleversements.

(page 1572) M. de Liedekerke. - Je suis prêt à renoncer à la parole, si les orateurs qui sont inscrits après moi veulent y renoncer aussi; dans ce cas, l'honorable rapporteur seul serait entendu.

- Plus de dix membres demandent la clôture.

M. Loos (contre la clôture). - Messieurs, je ne m'oppose pas à la clôture de la discussion générale.

M. le président. - Nous sommes à l'article premier.

M. Loos. - Il n'y a pas eu de discussion générale proprement dite ; il est de fait que la discussion générale s'est établie sur l'article premier. Maintenant il est utile, ainsi que M. le ministre de l'intérieur l'a fait observer, qu'une discussion puisse s'engager à propos de chaque littera de l'article premier. Cela abrégera beaucoup les débats.

M. Manilius (sur la clôture). - Je ne viens pas m'opposer à la clôture je suis inscrit ; mon tour doit arriver bientôt ; je renonce cependant volontiers à la parole. Mais si l'on veut clôturer, il me semble qu'on (page 1573) peut se dispenser d'entendre l'honorable rapporteur. (Interruption.) On me dit qu'il a été convenu que l'honorable rapporteur serait entendu. Voici ce qui a eu lieu ; il a été convenu que M. le rapporteur serait entendu le dernier; si l'on veut clore pour l'un, il faut clore pour l'autre; il ne faut pas que l'honorable rapporteur soit placé dans une autre position que les autres membres de la chambre.

M. Thiéfry (sur la clôture). - J'aurais désiré pouvoir exprimer mon opinion sur les observations qui ont été émises pour engager les administrations de bienfaisance à construire des maisons pour les ouvriers. J'aurais proposé un moyen, d'atteindre le but sans que l'Etat doive y contribuer par des subsides.

J'eusse terminé, messieurs, par rappeler à un honorable membre de cette chambre, qui ne veut pas que la ville de Bruxelles reçoive une part du subside qui pourrait être alloué pour assainissement des quartiers populeux, je lui eusse rappelé, dis-je, que la ville de Bruxelles a supporté des dépenses exorbitantes qui ont eu pour origine l'indépendance de la Belgique, et que la ville a encore fait l'an dernier de bien grands sacrifices pour donner de l'ouvrage pendant cinq mois à 600 ouvriers qui en étaient privés.

M. Moncheur (sur la clôture). - Il a été convenu que je serais entendu ; j'insiste pour obtenir la parole. Je dois nécessairement répondre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est aussi sauf les droits du ministère.

M. le président. - Voici l'état des choses; la clôture a été demandée ; d'après le règlement, je ne puis pas mettre aux voix la clôture sauf à entendre M. le rapporteur.

M. Delfosse. - Il est certain cependant que l'honorable M. Moncheur était inscrit, qu'il avait le droit de parler, qu'il n'a renoncé momentanément à la parole que parce qu'on lui avait donné l'assurance qu'il parlerait en dernier lieu.

M. le président. - Sans que cela fît précédent pour l'avenir, on pourrait cette fois clore la discussion, et entendre ensuite M. le rapporteur.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il est bien entendu que le droit du ministère de répondre est réservé.

M. Lelièvre. - Si l'on entend M. Moncheur, le ministère devra également ètre entendu.

M. Mercier (sur la clôture). - Messieurs, je fais observer que, dans maintes occasions il est arrivé que la chambre entendait le rapporteur, même en prononçant la clôture.

M. Rodenbach (sur la clôture). - Messieurs, il est bien entendu, sans doute, que nous pourrons énoncer notre opinion à l'occasion des divers litteras de l'article premier. (Interruption.) Mais M. le ministre de l’intérieur lui-même a dit que nous pourrions discuter sur chacun des litteras de l'article premier. Je ne pense pas qu'on veuille enlever ces sommes ; car je suis partisan du projet, mais je veux exprimer mon opinion, je veux qu'on sache pourquoi je vote des sommes aussi considérables.

- La chambre consultée ferme la discussion, en réservant la parole au rapporteur.

M. Moncheur, rapporteur. - Je remercie la chambre de la déférence qu'elle me témoigne en m'accordant la parole, malgré son impatience bien évidente d'en finir avec cette discussion. Je tâcherai d'y répondre en étant aussi court que possible.

Messieurs, la discussion a pris des proportions très grandes, et ce n'est pas étonnant eu présence de l'importance des questions à traiter; mais je dois dire que l'honorable ministre des travaux publics, en donnant à ces questions un côte politique, provoquerait des discussions beaucoup plus étendues encore, si on se plaçait sur ce terrain ; quant à moi, je m'en abstiendrai complètement, car le projet dont nous nous occupons n'a été envisagé au point de vue politique, ni par les sections particulières, ni par la section centrale ; il n'a été examiné qu'au point de vue des nécessités du moment, au point de vue de ce que commandent les circonstances actuelles.

La majorité des sections et la section centrale ont pensé que les circonstances ne sont pas telles que toute la somme demandée par M. le ministre doive lui être accordée. La section centrale est bien entrée dans les vues du gouvernement jusqu'à un certain point, mais elle n'a pas cru que les circonstances exigeassent le crédit d'un million pour les divers objets auxquels on prétend l'appliquer; elle a donc réduit ce crédit à 400,00J francs. Mais je ferai observer à M. le ministre de l'intérieur, qu'il était dans l'erreur lorsqu'il a dit, dans une précédente séance, que les conclusions de la section centrale étaient telles, qu'il ne pourrait disposer de rien sur ce crédit.

En effet, les conclusions de la section centrale admettent en général les bases indiquées par le gouvernement lui-même. Ainsi en ce qui concerne le littera A de l'article premier du projet, elle pense qu'il peut encore être nécessaire de donner des subsides extraordinaires à l'industrie en général et particulièrement à l'industrie des Flandres et au commerce d'exportation. Donc, dans la pensée de la section centrale, une partie de la somme qu'elle propose d'allouer serait appliquée à cet objet.

Pour la colonisation intérieure, la section centrale pense également qu'il y a quelque chose à faire; seulement en présence des commentaires qui accompagnent le projet de loi et des trois moyens indiques par le gouvernement comme pouvant être mis en pratique à cette fin, elle a émis l'opinion que le premier de ces moyens, c’est-à-dire la construction de petites fermes et le transport de familles flamandes pour les y placer, ne devait pas être adopté.

A cet égard plusieurs honorables membres ont partagé l'opinion de la section centrale, notamment l'honorable M. Osy. A cela près elle a émis un avis favorable quant au principe de la dépense. En ce qui concerne l'assainissement des villes et des communes rurales, la section centrale a également voté une partie de la somme pour être affectée à cet objet, à cause des circonstances spéciales qui se présentent; mais en présence encore une fois des commentaires joints au projet de loi, elle s'est demandé si le gouvernement faisait bien de se préparer d'une manière qui semblerait normale à une intervention directe dans des dépenses de ce genre, et elle a pensé que cette intervention directe et pécuniaire de l'Etat offrait des dangers ; elle s'en est expliquée franchement. Enfin, quant à la voirie vicinale, nous sommes tous d'accord pour l'améliorer autant que possible.

Vous voyez donc, messieurs, que si on avait égard seulement à la formule des catégories de dépenses, nous ne serions pas loin de nous entendre. Et c'est sans doute ce qui a fait dire à M. le ministre des finances tout le contraire de ce qu'avait dit M. le ministre de l'intérieur, à savoir que nous étions d'accord avec le gouvernement sauf les chiffres. Ce qui, du reste, n'est pas exact non plus, puisque la section centrale, outre les chiffres, n'admet pas plusieurs des moyens indiqués par le gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous êtes en désaccord avec vous-mêmes. Si vous êtes d'accord avec moi, vous devez m'accorder ce que je demande et non me donner des moyens illusoires.

M. Moncheur, rapporteur. - Je réponds à M. le ministre que la section centrale n'a voulu lui accorder des crédits que pour 1849 , sauf à lui à demander des crédits nouveaux pour 1850, si les circonstances les exigent encore.

Je vais prouver à présent que les crédits que la section centrale propose d'allouer au département de l'intérieur ne sout pas illusoires. Ainsi, pour l'encouragement à l'industrie et au commerce d'exportation, M. le ministre indique la somme de 200 mille fr., c'est-à-dire 100 mille sur l’exercice 1849 et 100 mille sur l'exercice 1850.

Quant à nous, comme nous ne proposons d'allouer de crédit que pour 1849 seulement, nous affecterions à cette partie des dépenses 100,000 fr. Je suppose même que les besoins soient plus considérables, on pourrait élever le chiffre jusqu'à 130 ou 140 mille fr. Certes ce n'est pas là un moyen illusoire. Pour la colonisation intérieure, le gouvernement demande 350 mille francs. Nous faisons ici, il est vrai, une très forte réduction sur la dépense, parce que nous croyons que le moyen principal que veut employer le gouvernement pour effectuer cette colonisation ultérieure à savoir, la construction de petites fermes en Campine, est très mauvais, et qu'il vaudrait mieux accorder quelques subsides à des particuliers qui feraient à leurs frais les constructions nécessaires et se chargeraient d'y transporter des familles flamandes, si toutefois la chose peut convenablement se faire. Or, une centaine de mille francs serait plus que suffisante pour cet objet.

Pour ce qui concerne l'assainissement des villes et des communes rurales, le gouvernement demande 150 mille francs à répartir sur deux exercices. Mais la section centrale, ne voulant pourvoir qu'à l'exercice 1849, alloue la somme de 75 mille fr.; donc autant que ce que le gouvernement demande. Enfin, pour la voirie vicinale, la section proposerait d'y affecter environ 100 mille francs; mais si l'épidémie sévissait d'une manière plus grave qu'on ne doit le craindre, le gouvernement pourrait même distraire une partie de la somme destinée à la voirie pour prendre les mesures qu'exigerait l'intérêt de la salubrité publique.

Ainsi, à part les arts et les lettres, pour lesquels nous ne croyons pas qu'on puisse, avec justice, dépasser les limites du budget ordinaire, la proposition de la section centrale, qui se résume en un crédit extraordinaire de 400.000 fr., ne serait certainement pas illusoire, même au point de vue où s'est placé le gouvernement, car, à l'exception de la somme affectée à la colonisation, que nous réduisons parce que nous ne considérons pas le principe de la construction des petites fermes comme admissible, nous restons pour l'exercice 1849 dans les propositions du gouvernement lui-même.

Messieurs, on a singulièrement dénaturé, dans la discussion, les intentions de la section centrale et de son rapporteur, relativement à l'article de l'assainissement des villes et des communes.

L'honorable ministre des finances a dit: « D’après le rapporteur, L'Etat n'aurait rien à faire pour l'amélioration des classes nécessiteuses ; l'Etat doit se croiser les bras et ne jamais intervenir. »

Je dois protester contre cette allégation mal fondée, car c'est tout le contraire que j'ai dit dans mon discours d'avant-hier. Outre que, d'accord avec la section centrale, je veux que le gouvernement prenne des mesures d'urgence aux frais du trésor dans des circonstances calamiteuses, j'ai dit que le gouvernement devait veiller sans cesse sur l'objet important de l’assainissement des villes et communes, qu'il devait user de son influence sur les administrations communales pour diriger une partie assez notable des fonds communaux vers cet objet.

Messieurs, personne dans cette enceinte ne porte un plus vif intérêt que moi à l'amélioration du son des classes ouvrières et nécessiteuses. J'ai assez vécu en contact avec des ouvriers de toute espèce pour les aimer, et j'ai assez visité de pauvres dans leurs misérables réduits, pour les aimer aussi. Mais c'est précisément parce que je les aime, que je ne voudrais pas les tromper.

Or, faire luire à leurs yeux l'espoir qu'avec le crédit de 150,000 fr. que demande le gouvernement, on pourrait améliorer sensiblement leurs habitations, ce serait les tromper.

(page 1574) Il y aura toujours de la misère dans le monde ; mais il y aura toujours un devoir impérieux qui pèsera sur tous, c'est celui de la charité. C'est cette charité privée qui est autrement féconde qu'un article du budget.

C'est donc cette charité privée qu'il faut encourager, car c'est elle qui peut seule fonder des institutions de bienfaisance solides et importantes, et augmenter les ressources de ces sortes d'institutions qui existent déjà. Il faudrait donc l'aider et l'encourager au lieu de tarir ses sources, comme le fera le gouvernement par sa théorie étroite et illibérale en cette matière.

Messieurs, j'ai prouvé que la proposition de la section centrale était sérieuse et suffisante et rien moins que dérisoire, ainsi que l'a prétendu M. le ministre de l'intérieur.

A présent je demande à la chambre la permission de faire une observation sur la position de la question.

Le système de la section centrale est de donner au gouvernement un crédit global, afin que la chambre ne préjuge pas les grandes questions que les diverses catégories mentionnées à l'article premier du projet font naître.

Je crois donc qu'il est impossible que la chambre vote sur ces diverses catégories de dépenses, parce que toutes sont complexes. Elles comprennent en effet différents moyens d'encouragements, indiqués par le gouvernement dans les annexes au projet et dont quelques-uns sont admis par certains membres, tandis qu'ils sont rejetés par certains autres.

Il faut donc que l'on mette aux voix le crédit global avec le libellé conçu dans des termes généraux, ainsi que le propose la section centrale.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On a tout à l'heure reproché à certains membres de parler beaucoup sur ces matières, d'y trouver l'occasion de paroles ronflantes. Je ne sais à qui l'honorable député de Turnhout a voulu faire allusion. J'ai entendu beaucoup de discours très sages, mais très peu de paroles ronflantes.

Quant au cabinet, je ne pense pas qu'il ait fatigué la chambre par de longs discours; il a plutôt écouté la discussion qu'il n'y a pris une large part.

Je dois faire observer à la section centrale que, tout en se proclamant d'accord avec le gouvernement sur les différents buts qu'il se propose, elle est en contradiction avec elle-même alors qu'elle refuse au gouvernement le moyen d'atteindre ces différents buts.

Le gouvernement demande un million, plus la faculté de réemployer environ un second million 900 mille francs : Que propose la section centrale? Elle propose de lui accorder 400,000 francs et elle lui refuse le reste. Voilà en quoi nous différons. Le gouvernement demande à employer 1,900,000 francs, la section centrale lui accorde 400,000 francs dont elle fait une répartition à sa manière.

La section centrale dit au gouvernement : Vous venez demander 75,000 francs pour l'assainissement des villes. C'est là une demande tout à fait illusoire, bonne au plus à tromper la classe ouvrière; vous ne pourrez rien faire d'efficace avec celle somme. Eh bienl que fail la section centrale pour rendre l'allocation plus efficace? Elle la réduit encore.

M. Moncheur, rapporteur. - Pas du tout.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je vous demande pardon, vous la réduisez.

La section centrale reproche au gouvernement deux choses : de demander trop et de demander trop peu. Il demande trop, sans doute, puisque la section centrale réduit le crédit d'un million de francs à 400,000 fr. Il demande trop peu, puisque, dit-elle, il est évident qu'avec la somme qu'il réclame, le gouvernement ne pourra venir à bout des choses qu'il veut entreprendre.

Je crois, messieurs, que le gouvernement demande des choses raisonnables , modérées, et qu'il faut les lui accorder dans les limites où il les demande. Sinon, il vaut mieux refuser l'allocation tout entière.

L'honorable rapporteur de la section centrale est d'accord avec le gouvernement qu'il y a lieu de faire des dépenses pour encouragements à l'industrie et au commerce ; qu'il y a lieu de faire des dépenses pour améliorations agricoles et pour la colonisation intérieure entendue de certaine manière; qu'il y a lieu de faire des dépenses pour l'assainissement des villes et des communes dans les quartiers occupés par les classes ouvrières ; qu'il y a lieu de faire des dépenses pour l'amélioration de la voirie vicinale ; qu'il y a lieu de faire quelque chose peut-être pour les travaux des artistes.

M. Moncheur, rapporteur. - Non.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Eh bien ! retranchons cette dernière parité des dépenses ; et nous sommes d'accord sur tous les autres points. La section centrale n'est donc pas loin du système du gouvernement, et cependant tout son rapport est plein de critiques amères contre ce système. Elle le déclare impraticable, dangereux ; elle ne va pas toutefois jusqu'à le qualifier aussi sévèrement que l'honorable député de Turnhout, qui, d'ailleurs, s'y rallie aussi presque complètement.

On reproche au gouvernement d'avoir voulu accommoder cette loi au goût et aux intérêts de tout le monde. Eh bien, sous ce rapport.je dois dire que ceux qui attaquent le projet du gouvernement vont encore plus loin que lui ; car ils adoptent toutes nos propositions; ils y mettent même quelque chose de plus.

M. Moncheur, rapporteur. - Par transaction.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Précisément, c'est un projet transactionnel, je vous l'accorde. Mais enfin, vous trouvez bon d'adopter ce que vous critiquez venant de la part du gouvernement, et vous allez en même temps plus loin que lui dans cette transaction. Je ne veux pas dire que vous y avez mis un petit grain de politique, mais vous y mettez de plus cette réserve qui est très commune. Vous accordez l'utilité de toutes les dépenses; vous proclamez avec le gouvernement qu'il est juste, qu'il est convenable de pourvoir à tous les besoins qu'il signale.

Mais un autre intérêt, c'est l'intérêt du contribuable. L'élément nouveau que vous mettez dans votre système, c'est d'accorder en principe toutes les dépenses et, en réalité, de refuser les moyens.

Croyez-vous un pareil système très sincère ?

Si nous sommes d'accord sur le but, soyons aussi d'accord sur les moyens. Ne venez pas nous dire que vous voulez venir en aide à tous les besoins, et nous refuser en même temps les moyens d'y pourvoir. Ne nous offrez pas cette somme dérisoire de 400,000 fr.

On nous dit que c'est pour l'exercice 1849 qu'on accorde ces 400,000 francs, et que pour 1850 on verra. Messieurs, il est impossible au gouvernement d'accepter cette position. Il faut que, dès 1849, le gouvernement sache jusqu'où il peut s'engager.

Ainsi, la plupart des subsides qui sont accordés aux villes, aux communes, deviendront l'objet d'une transaction avec elles; le gouvernement leur promettra une somme fixe à payer sur deux exercices. S'il n'est pas certain de pouvoir disposer de l'allocation nécessaire, il ne pourra prendre des engagements pour 1850. Et cependant il est indispensable, avant que le gouvernement s'entende avec les villes et les communes sur certains travaux, qu'il sache jusqu'où il peut s'engager. Voilà pourquoi j'ai demandé à pouvoir imputer à la fois sur 1849 et sur 1850. C'est pour pouvoir arriver à faire avec les villes des conventions complètes, à leur permettre dès maintenant de mettre la main à l'œuvre, de faire des adjudications, de commencer des travaux en 1849 pour les achever en 1850.

Messieurs, je ne puis pas admettre que le gouvernement demande trop peu. Le gouvernement a devant lui un exemple qui prouve les bons effets que peut produire un subside accordé par lui et sagement distribué. Je veux parler de la voirie vicinale.

Outre les 300,000 fr. alloués annuellement au budget, le gouvernement a imputé sur les crédits extraordinaires les sommes suivantes : sur le crédit de 2,000,000 de fr. accordé en 1845, il a été alloué 425,000 fr. pour la voirie vicinale ; sur le crédit de 1,500,000 fr. pour 1846, il a été employé 232,000 fr. pour la voirie vicinale; sur le faible crédit de 500,000 fr. que j'ai demandé à la fin de 1847, j'ai employé 92,000 fr. à l'amélioration de la voirie vicinale. Enfin sur ce même crédit de 3,000,000, sur lequel 900,000 francs sont à rentrer, il a été imputé 24,000 fr. pour la voirie vicinale. En tout, 1,168,000 fr. de subsides extraordinaires accordés à la voirie vicinale depuis 1845.

Joignons à cela le subside ordinaire qui figure au budget de chaque année, et nous trouvons que depuis 1841, époque où, pour la première fois, sur notre proposition, le crédit de 100,000 francs a figuré au budget de l'intérieur pour la voirie vicinale, le gouvernement a dépensé pour la voirie vicinale, 2,843.000 francs. Cette somme a provoqué une dépense générale de 11,657,000 francs, par suite du concours des provinces, des communes et des particuliers.

Messieurs, de la même manière que pour la voirie vicinale nous sommes arrivés, à l'aide de 3,000,000, à obtenir des dépenses utiles pour 12,000,000, de la même manière, je l'espère, je n'en doute pas, pour tous les travaux d'assainissement nous arriverons à doubler, à tripler, à quadrupler peut-être le montant des subsides que le gouvernement accorde.

On appellera cela faire du socialisme. Moi j'appelle cela tout simplement faire du gouvernement, gouverner. Je doute que le gouvernement soit institué dans un pays pour ne rien faire du tout, pour dormir sur le doux oreiller du laisser faire, de laisse passer.

Mais je n'accepte pas du tout cette définition qu'on a voulu donner du système du gouvernement. Nous sommes amis du laisser-faire, du laisser-passer, en ce sens que nous sommes amis de la liberté ; mais nous sommes aussi amis, et nous le prouvons depuis longtemps, du principe d'aider à faire. Le gouvernement doit venir en aide à ceux qui ne peuvent pas agir sans son concours, et c'est surtout sur la partie malheureuse, sur la partie malade de la société, sur ceux que l'on peut considérer comme les enfants de la société, que doit se porter la sollicitude active, constante, efficace du gouvernement.

Ce crédit que nous demandons, messieurs, et auquel on cherche à donner une couleur qu'il ne comporte pas, ce crédit extraordinaire, qu'est-ce donc, enfin ? Mais c'est un démembrement du budget ; ce sont des articles du budget, à tel point que la section centrale veut les transformer de crédits extraordinaires en dehors du budget, eu crédits extraordinaires compris dans le budget. Si cela constitue le gouvernement en flagrant délit de socialisme, dites que tout notre budget constitue (page 1575) un système socialiste, puisque le budget n'est que la réunion des capitaux individuels de tout le pays centralisés à certaines conditions et dépensés, autant que possible, dans l'intérêt de tous. Le budget tout entier se trouve dans ces conditions.

Enfin, messieurs, il est bon que la chambre se rappelle qu’en accordant, comme j’espère qu’elle le fera, le crédit demandé, elle ne fait rien de nouveau, rien d’exorbitant ; elle continue à faire ce qu’elle a déjà fait, elle continue à marcher dans la voie où elle est entrée. Nous ne demandons pas une innovation. Nous demandons que l'on continue de faire ce qui, d'abord, a été exposé dans un programme, développé dans des discours, consenti, provoqué, le dirai-je? dans la discussion de l'Adresse.

Que la chambre se rappelle la dernière Adresse qu'elle a votée ; là elle a déposé, et à son honneur, les germes de toutes les dispositions qu'il s'agit de consacrer aujourd'hui. On dit qu'il ne faut pas de discours, c'est bien mon avis ; il faut laisser à la porte les déclamations, c'est bien mon avis; il faut des actes, nous vous demandons à poser ces actes. Nous verrons si les ennemis des vains discours, les amis des actes conformeront, dans cette circonstance, leurs actes à leurs discours.

M. le président. - Voici l'article premier :

« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit d'un million de francs (fr. 1,000,000) pour aider au maintien du travail agricole, industriel et artistique, pour toutes autres mesures à prendre dans l'intérêt des classes ouvrières, et particulièrement pour celles qui sont indiquées ci-après :

« A. Encouragements à l'industrie et au commerce d'exportation;

« B. Améliorations agricoles; colonisation intérieure ;

« C. Assainissement des villes et communes dans les quartiers occupés par la classe ouvrière ;

« D. Amélioration de la voirie vicinale. »

M. Osy (sur la position de la question). - Messieurs, dans le projet que le gouvernement a soumis à la section centrale, il y a deux littera qui ne se trouvent pas dans le projet primitif dont M. le président vient de donner lecture. Ce sont les suivants :

« Encouragements littéraires et artistiques.

« F. Subsides aux communes pour secours aux indigents. »

Je demande que ces deux littera soient ajoutés à l'article.

Maintenant, messieurs, le gouvernement pourra imputer d'un littera sur l'autre, c’est-à-dire qu'il n'est pas lié par les chiffres détaillés qu'il a communiqués à la section centrale. Je lui recommanderai d'augmenter un peu les subsides aux communes et de donner un peu moins pour encouragements littéraires et artistiques.

M. le président. - Voici la rédaction proposée par la section centrale :

« Art. 1er. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de quatre cent mille francs (400,000 fr.), pour aider au maintien du travail, et particulièrement du travail industriel, et pour faciliter l'exportation des produits et fabricats belges, ainsi que pour toutes autres mesures à prendre dans l'intérêt des classes ouvrières. »

M. Rodenbach. - J'avais demandé la parole, messieurs, pour appuyer la dernière observation de l'honorable M. Osy. Une somme de 30,000 fr. est tout à fait insuffisante pour venir au secours des indigents.

M. le président. - La discussion a été close ; vous ne pouvez parler que sur le fond de la question.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, l'addition que demande l'honorable M. Osy n’est pas nécessaire. L'article premier porte que l'allocation est destinée à aider au maintien du travail agricole, industriel et artistique. Cette énonciation suffit pour que le crédit demandé puisse être appliqué à l'encouragement de certains travaux artistiques et littéraires.

On a signalé l'insuffisance d'un crédit de 50,000 fr. pour aider certaines communes à venir au secours des indigents. Certainement, messieurs, le gouvernement n'a pas la prétention de venir, d'une manière générale, en aide aux indigents, avec une somme de 50,000 fr.; mais il est dans les Flandres certaines communes dont les ressources sont totalement épuisées et nous devons les aider au moyen de quelques subsides.

Quant aux chiffres qui, figurent dans le rapport de la section centrale, ce ne sont que de simples indications, le gouvernement n'entend pas du tout se lier par ces chiffres ; il se réserve de transférer d'un littera sur l'autre suivant les besoins le mieux constatés et les plus urgents.

M. Mercier. - M. le président, l'article premier du projet du gouvernement n'est pas remplacé seulement par l'article premier du projet de la section centrale, mais il est remplacé par les articles 1,2 et 3 de ce projet.

En second lieu, je ferai observer qu'il y a une erreur typographique dans le projet de la section centrale; ce qui est compris sous la rubrique : Article 2, forme le paragraphe 2 de l'article premier. Ce paragraphe 2 est indispensable pour montrer qu'il ne s'agit que de l'exercice 1849. Les articles 3 et 4 du projet de la section centrale deviennent respectivement les articles 2 et 3.

M. le président. - Ainsi, ce sont les articles 1 et 2 du projet de la section centrale, qui constituent un amendement à l'article premier du projet du gouvernement.

Pour le moment il ne s'agit de mettre aux voix que le chiffre.

D'après les précédents, il y a lieu de mettre d'abord aux voix le chiffre le plus élevé; celui d'un million qui est demandé par le gouvernement. S'il n'y a pas d'opposition, je mets ce chiffre aux voix.

- Plus de 5 membres demandent l'appel nominal.

Il y est procédé.

69 membres répondent à l'appel.

57 répondent oui.

6 répondent non.

6 membres s'abstiennent.

En conséquence, le chiffre d'un million est adopté.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Coomans. - Messieurs, je me suis abstenu pour les motifs que j'ai indiqués dans la discussion générale.

M. de Liedekerke. - Messieurs, je ne suis pas opposé au sentiment qui inspire le projet de loi. Mais il s'y trouve une question de principe et de fait. La question de principe est celle de l'intervention progressive de l'Etat dans des obligations et des charges qui sont de la compétence des localités.

La loi proposée le consacre dans des proportions que je ne saurais adopter, ce qui m'empêche de lui donner mon adhésion.

M. de Renesse. - Messieurs, n'ayant pu admettre l'intervention directe du gouvernement dans certaines dépense toutes nouvelles, indiquées à l'article premier, j'ai cru devoir m'abstenir, surtout que la situation financière actuelle du trésor ne me paraît pas assez prospère, pour que l'on puisse se laisser entraîner à des dépenses nouvelles, dont les principes d'application auraient dû, en premier lieu, être réglés par le vote de dispositions législatives sur ces matières.

M. de T'Serclaes. - Je me suis abstenu pour les mêmes motifs que l'honorable comte de Renesse.

M. Jacques. - Messieurs, je n'ai pas voulu voter pour, parce que, dans les diverses catégories de dépenses auxquelles on veut appliquer le crédit, il en est pour lesquelles je ne puis consentir à accorder une somme supérieure à celle qui est déjà inscrite dans le budget; je n'ai pas voulu voter contre, parce que je n'ai pas voulu exprimer un vote de défiance envers le ministère.

M. Pirmez. - Messieurs, il aurait fallu une loi pour chaque nature de dépense; je ne peux les accepter ni les rejeter toutes absolument. Voilà pourquoi je me suis abstenu.

Ont répondu oui : MM. Bruneau, Cans, Coomans, Cumont, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Bocarmé, Dechamps, de Chimay, Dedecker, Delfosse, d'Elhoungne, de Liedekerke, Deliége, de Luesemans, de Perceval, De Pouhon, de Renesse, de Royer, Destriveaux, de T'Serclaes, Devaux, dHoffschmidt, Frère-Orban, Dumon (Auguste), Jacques,. Jouret, Lange, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moreau, Moxhon, Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Reyntjens, Rodenbach, Rogier, Rolin, Sinave, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Toussaint, Tremouroux, Dequesne, Van Cleemputte, Van den Berghe de Binckum, Vanden Brande de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Van Renynghe, Allard, Ansiau, Anspach et Verhaegen.

Ont répondu non : MM. Cools, de Brouwer de Hogendorp, de Meester, Mercier, Moncheur et Thibaut.

M. le président. - Il s'agit maintenant de statuer sur chacun des litteras de l'article premier du projet du gouvernement.

« A. Encouragements à l'industrie et au commerce d'exportation. »

- Adopté.

« B. Améliorations agricoles, colonisation intérieure. »

- Adopté.

« C. Assainissement des villes et communes dans les quartiers occuper par la classe ouvrière. »

- Adopté.

« D. Amélioration de la voirie vicinale. »

- Adopté.

M. le président. - M. Osy insiste-t-il pour ajouter les littera qu'il a indiqués ?

M. Osy. - Ce serait plus clair de mettre tous les littera indiqués par. M. le ministre de l'intérieur, on saurait exactement à quoi le million est destiné.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'honorable M. Osy confond le texte du projet avec une note fournie à la section centrale par le gouvernement pour indiquer la répartition éventuelle du million entre les différents objets auxquels il est destiné. Si on faisait droit à la demande de M. Osy, il faudrait retrancher du premier paragraphe les mots : « et artistiques ».

Puisque j'ai la parole, j'ajouterai un mot relativement aux expressions : « pour toutes autres mesures à prendre dans l'intérêt des classes ouvrière. » Je dois dire qu'il peut arriver telles circonstances qui obligent le gouvernement à disposer de sommes assez considérables pour faire face à des besoins nouveaux réclamés par l'état de la santé publique ; je me réserve donc le droit d'imputer sur le crédit dont il s'agit les dépenses extraordinaires qui devraient être faites en raison de circonstances nouvelles.

M. Osy. - Je n'insiste pas, bien que j'eusse préféré que ma proposition fût adoptée.

(page 1576) - L'ensemble de l'article premier du gouvernement est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. La moitié de ce crédit (500,000 francs) sera prélevée sur l’excédant de ressources prévu pour l'exercice 1849, et formera l'article 114 du budget du ministère de l'intérieur pour cet exercice.

« L'autre moitié sera rattachée au budget de l'exercice 1850. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. Les rentrées à opérer sur le fonds spécial indiqué en l'article précédent et celles qui pourront être remboursées sur le crédit de 1,000,000 de francs, alloué par la loi du 18 avril 1848, pourront être employées pendant une période de trois années aux dépenses désignées ci-dessus.

« Il sera rendu compte annuellement aux chambres des dépenses et recettes faites en vertu de la présente disposition. »

M. le président. - A cet article se rapporte la proposition de M. Cumont, qui demande qu'on renvoie cet article aux sections et qu'on leur soumette les conditions auxquelles le gouvernement concourra à l'établissement de comptoirs à Syngapore et autres ports des Indes.

M. Sinave. - Messieurs, la chambre est décidée, j'ose l'espérer, à en finir avec toutes ces demandes successives de crédits. On ne peut les accueillir que lorsque l'urgence en est constatée. Bien certainement ici ce n'est point le cas. Aucune des dépenses dénommées au-projet n'est de nature à pouvoir être admise comme urgente ; toutes devraient être, non seulement demandées par des lois spéciales, mais accordées après une mûre délibération de la chambre, d'autant plus que le gouvernement veut en pratique établir des systèmes dont les principes ne sont jusqu'à présent reconnus par aucun acte de la législature. C'est ce qui a été suffisamment démontré par les débats.

Les orateurs qui m'ont précédé ont traité dans tous leurs détails toutes les questions que soulève le projet de loi. Moi, je me bornerai à cette proposition nouvelle qui, à notre étonnement, par une simple note, a été introduite dans la section centrale, et qui a rapport à une société en commandite pour l'exportation des produits belges et l'établissement de comptoirs aux Indes orientales.

Le 23 mars, le gouvernement a déposé sur le bureau de la chambre une proposition de loi (que nous discutons en ce moment), demandant un crédit extraordinaire d'un million de francs.

L'exposé des motifs et le projet de loi déterminent l'emploi de la somme demandée et de celle provenant de la rentrée de deux millions alloués par la loi du 18 avril 1848.

Après que les sections eurent régulièrement délibéré, la section centrale en a été saisie. C'est lorsque la section centrale avait terminé son rapport, et au moment où il allait être déposé, que M. le ministre des affaires étrangères a déclaré à la section centrale qu'il désirait faire une proposition nouvelle.

Il a informé la section centrale que des capitalistes anversois avaient conçu le projet d'une société en commandite pour l'exportation des produits belges et l'établissement de comptoirs à Syngapore et autres points des Indes orientales, avec la puissante participation du trésor de l'Etat; que le gouvernement avait accueilli favorablement les propositions qui lui étaient faites, et qu'il considérait la participation de l'Etat comme très utile pour l'emploi des fonds à provenir des rentrées sur le crédit de deux millions et sur celui qui serait accordé par le présent projet de loi.

Tous les membres de la chambre sont convaincus que cette manière de procéder du gouvernement est tellement insolite qu'il est inutile d'entrer dans aucun développement, pour prouver, sinon un manque de franchise, du moins un oubli impardonnable.

Comment ! M. le ministre des affaires étrangères se présente à la section centrale, quand le rapport est fait, au moment de le déposer, pour faire admettre incidemment une proposition nouvelle, dont les sections n'ont eu aucune connaissance, et sur laquelle elles n'ont pas pu délibérer !

Cette démarche est d'autant plus inconcevable que le gouvernement connaît mieux que personne toute l'importance que le pays attache à une société d’exportation, non pas fonctionnant isolément, mais basée sur d'autres établissements, tel qu'un établissement national de crédit dont il a été plus d'une fois question dans la chambre, et qui seule peut sauver le pays, en assurer la tranquillité et être un garant durable de son existence politique.

Peut-on concevoir que le gouvernement clandestinement entre en relations avec des capitalistes cosmopolites d'Anvers, en accepte des conditions usurières dont il fait spontanément l'objet d'une proposition, surtout d'une manière aussi ténébreuse et sans prendre conseil des chambres de commerce sur une question de si haute gravité d'où dépend l'existence de la majorité de nos industries?

Grand nombre de membres de la chambre sont d'accord sur l'utilité qui, pour l’intérêt général, peut résulter de l'établissement d'une société d'exportation établie sur des larges bases ; mais aucun membre, je pense, ne voudrait y prêter son concours pour en faire l'objet d'une spéculation au profit d'une localité, qui par son influence et pour le malheur du pays exploite le trésor depuis dix-neuf années, sans assouvir une passion dominante et insupportable de s'emparer de tous les intérêts matériels pour ruiner les autres ports de mer.

Je vais tâcher de démontrer à la chambre que, comme moi, elle ne peut admettre la proposition.

Examinons s'il est vrai qu'elle ne présente aucun fondement solide.

On propose une société en commandite avec des comptoirs, à établir uniquement aux Grandes-Indes.

Or, que veut la chambre? Elle vont que toutes les industries puissent également profiter de l'exportation, elle entend que l'industrie linière y participe également.

Eli bien, on semble avoir étudié le moyen d'exclure l'industrie des Flandres de cette participation.

Permettez-moi, en effet, de vous donner quelques explications qui constatent ce fait. Pendant plus de trente années, j'ai fait de grandes expéditions aux Indes comme armateur et comme propriétaire des chargements. Pendant ce temps, malgré tous mes efforts, il m'a été impossible de trouver sur un des marchés indiqués au projet un lieu de consommation pour les toiles des Flandres. Il serait inutile d'entrer ici dans des détails pour en rechercher les causes. Ces causes existent encore. Ces toiles n'entraient donc point dans la combinaison de mes cargaisons.

On m'objectera : La société qu'on propose d'établir est un essai, elle formera successivement des comptoirs dans d'autres parties du monde. Mais alors on reconnaît que c'est une œuvre incomplète. Pourquoi donc nous engager ainsi aveuglément?

Si nous voulons atteindre le but désiré, nous devrais donner une grande extension à cette société, et une fois engagés nous serons forcés de voter successivement les fonds que cette extension exige.

Depuis dix-neuf années nous vaguons dans l'incertitude, d'essai en essai, nous épuisons le trésor et le pays et nous n'obtenons aucun résultat. Voilà cependant la voie dans laquelle on veut encore nous entraîner.

L'opinion de la chambre est connue, son opinion est irrévocablement fixée. Ce qu'elle veut, c'est un établissement national à l'abri de l'intrigue et de l'action de tout intérêt privé, seules causes de la chute actuelle des sociétés particulières d'exportation d'Anvers et de Bruges. Nous avons donc pour nous l'expérience.

Nous connaissons la valeur de ces espèces de sociétés particulières, dont la plupart des capitaux sont dissipés par des gaspillages. A Bruxelles, vous en avez un exemple frappant. La Société Générale pour favoriser l'industrie, et la Banque de Belgique, n'existeraient plus depuis bien longtemps sans le secours du gouvernement. A quoi donc mèneraient des demi-mesures, si ce n'est au découragement de l'industrie, si souvent trompée par de belles promesses? J'ose avancer, sans craindre un démenti, que depuis notre indépendance, le gouvernement n'a pas été de force pour diriger convenablement les intérêts matériels du pays. Ce qui se passe en ce moment en est une preuve nouvelle. A l'occasion de la demande d'un crédit, on présente furtivement un projet de la plus haute importance, et devant être élaboré dans les bureaux du ministère sans l'intervention des chambres, dont on voudrait borner le rôle à voter les fonds sans connaître les statuts. Il va de notre dignité de refuser notre concours à de pareilles entreprises, car toute condescendance constaterait notre incapacité, et ferait retomber sur nous le blâme du pays. Mon devoir est de protester de toutes mes forces contre une proposition introduite à la chambre par une voie inusitée.

Je supplie donc de nouveau l'honorable ministre des affaires étrangères, dont le caractère franc et droit nous est connu, de retirer le malencontreux projet.

Libre au gouvernement, s'il insiste, d'en saisir régulièrement la chambre et d'en faire l’objet d'une loi spéciale.

L'importance de la question l'exige; alors tout le pays pourra être consulté, et avec connaissance de cause, juger s'il est logique de livrer toute l'industrie du pays à l'égoïsme d'une localité, à quoi la faiblesse du gouvernement ne semble que trop prêter la main.

M. le ministre des affaires étrangères (M. d'Hoffschmidt). - Messieurs, j'ai lieu d'être fort surpris de la critique de M. Sinave concernant la communication que j'ai adressée à la section centrale. N'a-t-il pas, en effet, été reconnu dans la discussion que le gouvernement pouvait même se dispenser de faire cette communication? Les termes généraux de la loi: « Encouragement à l'industrie et au commerce d'exportations » autorisent suffisamment le gouvernement à appliquer la somme dont il est question à tel mode d'encouragement de l'industrie et du commerce d'exportation qui lui paraissait préférable. C'est ce qui a été reconnu par la section centrale elle-même ; si le gouvernement a fait cette communication, c'est une preuve qu'il veut agir franchement, loyalement, en indiquant toutes ses vues.

Il ne dépendait pas du gouvernement de faire cette communication plus tôt. Il fallait auparavant qu'il fût saisi de la proposition des commerçants d'Anvers. A entendre d'honorables préopinants, on dirait qu'il dépend du gouvernement de fonder des comptoirs quand bon lui semble; on ne fait pas attention que le concours de l'industrie privée est indispensable, que quand elle ne se présente pas, le gouvernement est dans l'impuissance de rien faire. Pendant plusieurs années on l'a attendue en vain, elle ne s'est pas présentée. Il en a été de même pour le projet de société d'exportation conçu cependant sous des conditions bien autrement onéreuses pour l'Etat que celles qu'on critique dans le projet d'établissement de comptoirs ; et cependant vous étiez favorables au projet de société d'exportation. Vous vous engagiez là, non seulement à l'intervention et à la garantie d'un tiers au lieu d'un quart du capital social, mais à une garantie d'intérêt de 4 1/2 p. c. de tout le capital. Vous étiez favorables à ce projet, et celui qui nous occupe vous effraye, bien que les chances, qui sont moins onéreuses déjà, ne soient pas encore définitivement acceptées par le gouvernement.

Ainsi, si nous ne nous sommes pas présentés plus tôt devant la chambre, c'est que cela dépendait d'une initiative de l'industrie privée, sans laquelle il n'y a rien à faire.

(page 1577) D’ailleurs, je le répète, les termes de la loi proposée auraient pu nous dispenser de vous entretenir de ce projet.

Je m'étonne qu'on dise que les Flandres sont désintéressas dans l’établissement de ce comptoir, car si une industrie peut profiter du vaste marché des Indes, c'est cette branche de l'industrie cotonnière qui est dans la voie du progrès, qui a un avenir immense, qui peut se propager sur toute l'étendue des Flandres.

Ce n'est pas telle ou telle industrie qui fait la prospérité du pays, mais l'industrie qui peut procurer à la classe ouvrière un travail permanent et progressif.

Si l'industrie cotonnière peut, par suite de l'ouverture de débouchés nouveaux, s'étendre dans les Flandres, donner du travail à des milliers de tisserands de ces provinces, est-ce que ce ne sera pas là un immense bienfait pour les Flandres?

En second lieu, si vous voulez des comptoirs en faveur de l'industrie linière, nous en voulons aussi, il faut admettre celui-ci ; car si vous le repoussez, non seulement vous n'aurez pas ce comptoir, mais vous n'aurez pas ceux qui seraient indubitablement fondés pour l'industrie linière. Déjà il a été fait des propositions en ce sens. Mais si vous découragez les commerçants par un ajournement à la session prochaine, vous courrez risque de manquer une occasion précieuse de fonder une institution que vous avez toujours préconisée dans cette enceinte.

Ainsi, je combats de nouveau l'ajournement; je le considère comme rendant impossible une combinaison avantageuse qui a reçu l'assentiment des chambres de commerce, des négociants du pays, des membres qui s'occupent de ces questions dans cette enceinte.

Si la chambre comme la première fois, ajourne sa décision, les capitalistes se retireront, et l'on aura manqué, je le répète, une occasion favorable d'être utile à l'industrie du pays.

M. Osy. - Je viens combattre la proposition de l'honorable M. Cumont. Il propose de retrancher l'article 3, parce que, d'après le projet, il n'y aurait pas de comptoir pour l'industrie linière. J'aurai l'honneur de dire au député d'Alost que les négociants d'Anvers, qui ont fait un effort pour l'établissement d'un comptoir dans l'Inde, se sont bornés, pour le moment, à cette partie du monde, parce que dans les Amériques nous avons des maisons belges, qui sont de véritables comptoirs. Vous avez à la Havane une maison des plus respectables d'Anvers, qui est prête à recevoir toute espèce de consignations. C’est la maison de M. de Coninck, consul de Belgique à la Havane.

A Valparaiso, nous avons également un comptoir belge, des négociants belges, qui reçoivent beaucoup de consignations en toiles.

On n'a donc pas senti, à Anvers, la nécessité d'un comptoir en Amérique. Mais on a compris cette nécessité pour les Indes. C'est pour cela que j'appuie la proposition du gouvernement.

Bien que ce ne soit pas explicitement dans la loi, il sera entendu que le gouvernement pourra prélever sur le montant du crédit les frais d'établissement d'un comptoir.

M. Rodenbach renonce à la parole.

M. Delfosse. - J'ai voté pour l'article premier, comme une fâcheuse nécessité dans les circonstances actuelles ; mais je ne puis voter pour l'article 3, parce que l'importante question des comptoirs qui s'y rattache, n'a pas été examinée en sections. M. le ministre des affaires étrangères vient de nous dire que le gouvernement aurait pu ne pas faire à la chambre de communication relative aux comptoirs; c'est un point que je ne veux pas examiner, mais je répondrai à M. le ministre des affaires étrangères que si la communication a été faite, c'est probablement pour que la chambre exprime son opinion, et elle ne doit l'exprimer sur une question aussi importante qu'en parfaite connaissance de cause et après un mûr examen. Je me défie, je l'avoue, toujours un peu des propositions qui se produisent tardivement ; je voterai donc pour l'amendement de l'honorable M. Cumont.

M. Lesoinne. - Comme mon honorable collègue et ami M. Delfosse, je viens vous proposer d'adopter l'amendement de l'honorable M. Cumont.

Je répète la question que j'ai adressée dernièrement à l'honorable ministre des affaires étrangères : Qu'est-ce qu'un comptoir? On n'a pas encore expliqué, dans cette enceinte, ce qu'on entend par un comptoir.

Ici une société se présente pour fonder un établissement à Syngapore. Elle demande un subside de 500,000 francs sous certaines conditions. Ces conditions sont tout à fait à charge du gouvernement ; le gouvernement, si je ne me trompe, risque de perdre les cinq sixièmes du capital. La société risque seulement un sixième.

Si l'on entend par comptoir une maison belge établie dans un pays étranger, comment cette maison fera-t-elle les affaires des négociants belges. Traitera-t-elle directement avec les fabricants belges? C'est impossible. On ne peut faire les affaires de plusieurs maisons qui fabriquent les mêmes articles. C'est une illusion qui me semble avoir certaine créance dans cette chambre; mais je l'ai dit, et je le répète, on ne fait pas les affaires de cette manière. Chaque maison de Belgique qui voudra faire des affaires dans les pays étrangers devra avoir un agent qui ne traitera les affaires que pour elle seule. Cela est parfaitement connu de ceux qui ont été en relation avec les marchés transatlantiques.

Du reste, si vous adoptez la proposition du gouvernement de fonder ce comptoir, l'expérience ne tardera pas à démontrer la vérité de ce que j'ai eu l'honneur de vous dire.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je m'étonne des objections tardives que rencontre l'art. 3 présenté par le gouvernement : le million accordé par l'article premier est destiné à aider au maintien du travail et au commerce d'exportation. On n'a pas mis de restriction dans cette allocation. Maintenant on dit au gouvernement : Nous vous accordons un crédit d'un million pour aider le commerce d'exportation, à la condition que vous n'y comprendrez pas le concours d'une société qui serait fondée dans le but d'établir un comptoir. C'est intervenir dans la question d'administration, dans l'application du crédit. Jusqu'ici le gouvernement est resté maître de décider dans quelle forme il aidera à l'exportation des produits. C'est en ce sens que le crédit de 2 millions a été alloué. Le gouvernement a usé de divers moyens pour aider à l'exportation; tantôt il a donné directement des primes, tantôt il a accordé à des réunions d'industriels certaines sommes à charge d'exporter certaines quantités et qualités de produits.

En résumé, messieurs, a-t-on voulu, oui ou non, autoriser le gouvernement à aider à l'exportation de nos produits? La chambre vient de se prononcer sur ce point. Il faudrait, pour que le gouvernement ne pût pas traiter avec une société qui a pour but l'exportation de nos produits à l'aide de comptoirs, qu'il y eût une interdiction formelle dans la loi. Il faudrait une dérogation à l'article premier.

On vient nous demander ce que c'est qu'un comptoir. Je m'étonne que l'honorable M. Lesoinne veuille bien paraître ignorer ce que c'est qu'un comptoir. Il le sait probablement beaucoup mieux que moi. Cependant je vais lui dire, moi qui ne suis pas commerçant, ce que je considère comme un comptoir.

Un comptoir, c'est tout simplement une maison de commerce chargée de faire les affaires de nos industriels sur tel ou tel point commercial du monde. Il est des industriels qui ont des correspondants, qui ont des maisons de commerce dans l'Amérique du Nord, dans l'Amérique du Sud. Eh bien, là nous ne parlons pas, en ce moment, d'aider à établir des maisons de commerce. Mais, dans la mer des Indes, il paraît que jusqu'ici nos industriels n'ont pas de maisons de commerce, n'ont pas de correspondant direct ou en nombre suffisant.

Eh bien, qu'arrive-t-il? Lorsque vous exportez pour la mer des Indes une cargaison quelconque, où va-t-elle? entre les mains de qui va-t-elle tomber? qui vous répondra du bon emploi qui sera fait de vos produits? qui vous répondra de vos rentrées? qui se chargera des retours? Personne.

C'est pour pourvoir à cette lacune, à l'insuffisance des efforts privés, à l'absence d'établissement privés que l'on propose d'établir un comptoir à Syngapore, parce que là il n'y a pas de maison belge qui se charge des opérations commerciales, qui se charge de la vente, qui se charge des rentrées, qui se charge des retours.

Voici comment je comprends les opérations qui se feront. Un industriel belge a à faire une expédition vers la mer des Indes. Il recevra de l'association qui se formera à Anvers une somme sur la marchandise exportée ; la marchandise ira se vendre a Syngapore sous la responsabilité de l'association anversoise. L'industriel pourra participer ou ne pas participer (ce sont des opérations variées et multiples) dans les retours. Ce sont des questions dans lesquelles nous n'avons pas à entrer. Mais ce qu'il faut à nos industriels, sur les marches où la marchandise peut aller, c'est un répondant à qui ils puissent s'adresser avec sécurité. Vous aurez beau dire à vos industriels : Exportez ; mais si là où ils peuvent exporter, ils ne rencontrent aucune maison qu'ils puissent avec sécurité charger de la vente, des rentrées, des retours, c'est un engagement dérisoire que vous adressez aux industriels.

Messieurs, voilà donc quelle est l'intention du gouvernement. Parmi les moyens qu'il se propose d'employer pour aider à l'exploitation de nos produits dans de bonnes conditions, le gouvernement se propose de concourir à l'établissement de comptoirs par l'intermédiaire de sociétés particulières. En cela le gouvernement ne fera que remplir les vœux qui de tout temps ont été émis en faveur de l'établissement des comptoirs. Il faut supposer que toutes les chambres de commerce qui ont réclamé l'établissement de comptoirs avec le concours du gouvernement ont su ce qu'elles faisaient, ce qu'elles demandaient.

On dit que ce comptoir ne servira qu'à l'exportation de nos cotons. Mais ne servît-il qu'à l’exportation des produits de cette branche importante de notre industrie, ce serait déjà un très grand bienfait pour le pays. Mais, une fois ce comptoir établi sur un point dans de bonnes conditions, il est probable qu'il ne pourra pas s'en établir sur d'autres points encore. L'un servira à l’exportation de nos cotons, un autre servira à l'exportation de nos toiles, en s'établissant sur un autre point du monde commercial.

Vraiment, messieurs, je m'étonnerais de l'opposition que viendrait tout à coup à rencontrer l’exécution d'une mesure qui sans cesse a été réclamée, je le répète, par les chambres de commerce et dans le sein même de cette chambre. Quant à nous, nous ne faisons pas de ceci une affaire d'amour-propre; nous ne faisons en quelque sorte que céder aux désirs qui ont été sans cesse manifestés.

On se défie de la société qu'il s'agit de former. Nous nous réservons d'en examiner les conditions. La chambre n'a pas à voter sur ces conditions.

Ou vous avez voulu dire une chose sérieuse, lorsque vous avez parlé en faveur d'une société d'exportation, et alors vous devez accepter, dans de sages limites, dans des limites modérées, le commencement d'un système qui doit aboutir à la société d'exportation, ou qui peut, en l'absence de telle société, y suppléer jusqu'à un certain point; ou vous avez voulu vous borner à faire de simples phrases en faveur de la société d'exportation, et alors (page 1578) je conçois quo vous refusiez au gouvernement le moyen qui se présente de favoriser l'exportation.

Nous faudrait-il regretter, messieurs, d'avoir soumis à la section centrale un projet à l'aide duquel nous espérons favoriser l'exportation ? C'était un simple renseignement que nous donnions, le suppose que la section centrale n'eût été saisie par nous du dépôt d'aucune pièce. La chambre nous eût-elle refuse le crédit? Non, sans doute, puisqu'elle vient de nous accorder le crédit d'un million pour aider en partie à l'exportation. Elle n'aurait pas refusé davantage l'article 3.

M. Cumont - La chambre n'a voté que 200,000 fr. pour favoriser l'exportation.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le texte de la loi n'indique rien. Il met un million à la disposition du gouvernement, et si le gouvernement le voulait, il appliquerait le million tout entier à une société d'exportation, bien entendu sous sa responsabilité. Il administre sous sa responsabilité, et ce sont des questions d'administration.

Je dis que si le gouvernement n'avait pas déposé dans le sein de la section centrale ce projet de convention relatif à l'établissement de comptoirs, la chambre aurait voté sans observation l'article 3. Et c'est parce qu'il a fait ce dépôt à titre de simple renseignement, qu'on retranchera l'article 3 ! Ce ne serait, permettez-moi de le dire, ni juste ni logique.

L'article 3 ne préjuge pas la question; il ne décide rien en principe. Il laisse le gouvernement dans la position où la loi des deux millions l'avait placé. Il met à sa disposition la rentrée de certaines sommes pour les mêmes objets, y compris l'exportation.

Messieurs, si la chambre vient à décider qu'il ne faut pas établir de comptoir, décidera-t-elle aussi qu'il ne faut pas accorder de primes? Mais elle ne peut pas décider cela. Car, par l'article premier, je suis autorisé à accorder des primes.

Eh bien, je suppose que les 500 mille fr. destinés à faire partie du capital social de la société des comptoirs, soient appliqués en primes d'exportation. Je suis en droit de le faire. On pourra trouver que j'ai outré le système des primes ; j'aurai à m'en expliquer lors du compte rendu de l'emploi des fonds mis à ma disposition. Ce sont là des questions de pure application, des questions administratives que le gouvernement se réserve de résoudre sous sa responsabilité, après s'être entouré de toutes les lumières nécessaires et avoir pris toutes les garanties suffisantes au point de vue de l'intérêt public.

M. Cumont. - Messieurs, je m'en rapporte à ce que l'honorable M. Delfosse a dit, quant aux motifs qui m'ont fait demander l'ajournement de la proposition. C'est que la chambre désire être mieux éclairée sur les conditions qui devront servir de base à un arrangement à intervenir pour l'établissement de comptoirs. On nous a dit hier qu'il s'agissait d'un contrat léonin, et nous ne pouvons pas, dans une pareille position, voter aveuglement et sans savoir ce que nous votons. Voilà pourquoi j'ai demandé le renvoi aux sections, c'est pour que la question fût bien approfondie; non que je veuille faire aucun reproche à M. le ministre de l'intérieur, la proposition que je fais n'a rien de personnel à son égard : dans plusieurs circonstances j'ai apprécié et son zèle et son vif désir de venir en aide à toutes nos industries.

Mais il y a ici une question de convenance ; il s'agit d'éclairer la chambre et il me semble qu'on ne peut pas s'y refuser : si les conditions doivent être bonnes et avantageuses, on ne doit pas craindre de les exposer devant tout le monde; si au contraire elles sont mauvaises, nous devons tous désirer qu'elles soient écartées.

M. le ministre nous annonce qu'il est libre de disposer fût-ce de 500,000 fr. pour encourager l'exportation. Mais, messieurs, l'article premier ne consacre à cet objet que 300,000 fr., on ne peut donc pas y affecter 500,000 fr. Je sais bien que le gouvernement n'est pas lié par les chiffres des littera, mais il y a ici une question de loyauté, il est bien évident qu’en votant l'article premier, nous n'avons pas voulu allouer 500,000 fr. pour les primes d'exportation.

L'honorable M. Osy a dit : « Si nous n'avons pas cherché à établir un comptoir favorable à l'industrie linière, c'est que, déjà, dans les localités où se vendent nos toiles, il y a des maisons belges. » J'ai voulu constater, messieurs, que le comptoir de Syngapore ne sera d'aucune utilité pour les Flandres, pour l'industrie linière. Je voulais qu'il fût bien établi que l'industrie linière n'a pas reçu un centime dans cette circonstance, afin que s'il s'agit un jour de demander quelque chose pour nos malheureux Flamands, on ne vienne pas leur dire : « On vous a donné toujours et vous, n'êtes jamais satisfaits. »

Eh bien, l'industrie linière n'aura jas reçu un centime. Je tiens à ce que le fait soit bien constaté.

L'honorable M. Osy dit : « On ne veut pas faire concurrence aux comptoirs établis pour les toiles. » Mais, messieurs, qu'est-ce que vous exporterez à Syngapore? Des armes, des draps, des verres à vitres, des cristaux, quelques clous. Vous aurez sur tous ces marchés une concurrence déjà établie, puisque pour les draps, les verres à vitres, les cristaux, les armes, nous avons de grandes maisons qui y ont depuis longtemps des relations. Notre comptoir va faire à ces maisons une concurrence infiniment plus fâcheuse que celle que vous feriez pour les toiles aux maisons de la Havane et d'autres localités.

Je crois, messieurs, avoir exposé suffisamment ma manière de voir et je termine en constatant de nouveau que dans la somme consacrée à l'établissement d'un comptoir à Syngapore, il n'y aura rien, absolument rien en faveur des Flandres.

Fixation de l’ordre des travaux de la chambre

M. Lelièvre (pour une motion d’ordre). - Je pense, messieurs, qu'il ne sera pas possible que la chambre aborde demain la discussion de la loi sur le transit, et je proposerai de mettre d'abord à l'ordre du jour le projet qui tend à proroger l'ancienne législation.

M. Osy. - La chambre a décidé qu'elle aborderait le 18 le projet de loi sur l'enseignement supérieur. Je ne vois pas pourquoi la semaine prochaine nous ne nous occuperions pas du projet relatif au transit ; c'est une loi qui est toujours prorogée depuis 9 ans, il est temps que nous sortions du provisoire. Je proposerai de mettre ce projet à l'ordre du jour de mardi ou de mercredi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne m'oppose en aucune façon à ce qu'on mette à l'ordre du jour de mardi ou de mercredi la loi sur le transit, mais je crois qu'il serait peu convenable de commencer demain la discussion d'une loi en 38 articles et qui certainement ne sera pas votée en une seule séance. Il faudrait alors en suspendre l'examen pendant plusieurs jours.

- Plusieurs membres. - A demain !

- La séance est levée à 4 heures 3/4.