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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 19 novembre 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 11) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance de vendredi dernier; la rédaction en est adoptée.

M. de Luesemans présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Le sieur Perlau, chef de division de comptabilité générale et des pensions au ministère de l'intérieur, prie la chambre de considérer comme non avenue sa candidature à la place de conseiller à la cour des comptes, M. Hubert ayant demandé à être appelé à ces fonctions. »

« Même demande du sieur Louis Pépin, chef de la division de comptabilité à la cour des comptes. »

- Pris pour information.


« Le sieur Laurent demande que les employés préposés à la garde du chemin de fer soient armés de mousquetons ou de pistolets, et qu'une récompense et le secret soient promis à celui qui fera connaître le coupable de l'attentat commis sur le garde Sarrazin. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Charles-Henri Barlet, professeur à Malines, né à Arras (France), demande la naturalisation. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Le sieur Missotten, ancien maréchal de logis de la gendarmerie, prie la chambre de lui faire obtenir une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Samyn, ancien préposé des douanes, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


« Le sieur L.-J. Lepoutre, cultivateur à Pecq, né à Neuville en Fievrain (France), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption de tout ou partie du droit d'enregistrement. »

- Même renvoi.


Le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires de la première livraison du Musée populaire de Belgique. »

- Dépôt à la bibliothèque, et distribution aux membres.


La Société des gens de lettres belges fait hommage à la chambre d'un exemplaire du Voyage à travers champs de MM. Van Bemmel et Graverend. »

- Dépôt à la bibliothèque.


MM. David et Osy demandent un congé.

- Accordé.

Projet d'adresse

Discussion générale

La discussion générale est ouverte. La parole est à M. Lelièvre.

M. Lelièvre. - Messieurs, le discours de la Couronne fournit aux opinions parlementaires l'occasion de se prononcer sur les mesures que réclament les intérêts du pays, sur les réformes qu'il est convenable d'introduire et dont l'expérience a révélé l'utilité. Organes des vœux de nos commettants, nous devons les formuler dans l'adresse ; nous devons éclairer le gouvernement, le guider dans sa marche, le diriger dans la voie juste et raisonnable que lui trace sa mission. A mon avis, il est un objet capital qui appelle votre attention, c'est notre situation financière qui continue de réclamer des améliorations sérieuses. On le sait ; il n'y a qu'une voix en Belgique pour demander la réduction des dépenses et du budget normal qui les concerne. La dette énorme que les administrations précédentes ont imposée au pays pèse sur lui de tout son poids. Si nous voulons prévenir une crise financière qui nous menace inévitablement dans un temps plus ou moins éloigné, il est indispensable d'employer à cet effet des moyens efficaces, et ces mesures consistent dans des économies sérieuses qui doivent être réalisées à tout prix.

Ces économies qui doivent atteindre les diverses branches de service doivent surtout frapper le budget de la guerre dont la réduction est depuis si longtemps l'objet des vives réclamations des vrais amis de notre régime politique. Sans doute, messieurs, une armée est indispensable, et il importe de ne pas désorganiser celle que nous possédons, et qu'animent les sentiments du plus pur patriotisme; mais il est hors de doute que l'existence de forces suffisantes pour la sûreté du pays n'exige pas le chiffre énorme du budget actuel qui ne saurait être maintenu sans frapper les contribuables de charges qu'ils ne pourraient désormais supporter. J'ai regretté de voir le ministère garder le silence sur ce point important : j'aime à croire que ses explications seront satisfaisantes et nous donneront l'assurance qu'à cet égard il sera fait droit à des exigences dont la justesse ne peut être méconnue.

N'oublions pas, messieurs, que la chambre actuelle est issue d'élections faites au cri général : « économies ». C'est dans cette voie que nous devons marcher d'un pas décidé. Or si nous n'obtenons pas des réductions plus importantes que celles qui ont été admises jusqu'à ce jour nous n'aurons pas répondu à l'attente du pays. J'insiste, avec d'autant plus de raison, sur ces graves considérations que le silence du gouvernement sur notre position financière me fait présumer qu'elle est loin d'être brillante.

Les intérêts de l'agriculture méritent toute la sollicitude du ministère. Cette branche importante dans un Etat civilisé, source de la fortune publique, a besoin de mesures particulières dont la nécessité se fait chaque jour plus vivement sentir. L'état actuel des choses exige des améliorations qu'on ne peut perdre de vue sans sacrifier des intérêts importants sur lesquels repose la prospérité nationale.

A cet objet se rattache naturellement le crédit foncier qu'il est nécessaire de consolider, et à cette fin il est indispensable non seulement de réviser notre système hypothécaire, mais aussi de s'occuper d'une loi qui simplifie les formalités du Code de procédure sur les expropriations. Les vices de notre législation actuelle ne sont douteux pour personne ; les frais absorbent souvent la majeure partie de la valeur des petites propriétés.

D'un autre côté, les immeubles les plus importants sont vendus à vil prix au détriment du débiteur et de ses créanciers. Le crédit ne saurait être en faveur sous un pareil ordre de choses.

Le discours du trône nous annonce la révision du Code pénal en vigueur. Il n'est personne qui n'applaudisse à ce projet depuis longtemps désiré par les amis de la science.

Les lois pénales du régime impérial ne sont plus en harmonie avec l'état actuel de la civilisation. Elles répugnent à nos mœurs et ne cadrent plus avec le système pénitentiaire, dont les avantages sont généralement reconnus ; elles ne peuvent plus subsister sans faire contraste avec nos institutions libérales.

Ces motifs justifient également la suppression immédiate de la flétrissure. Cette peine est évidemment une tache qui dépare notre législation. Inutile si elle est prononcée conjointement avec une peine perpétuelle, elle est absurde lorsqu'elle est l'accessoire d'une peine temporaire, puisqu'elle est indélébile, alors que la condamnation principale n'a qu'une durée momentanée. D'autre part, elle forme obstacle à l'amendement du coupable, but que doit se proposer un législateur pénétré de la sainteté de sa mission.

Mais si la flétrissure doit sans retard disparaître de nos lois, il doit en être de même de la mutilation du poing et des autres peines accessoires comminées par l'article 13 du Code pénal. Certes la peine capitale suffit pour réprimer les plus grands crimes, et il répugne à tout sentiment d'humanité de l'aggraver par des mutilations ou d'autres appareils qui, sans utilité réelle, sont une triste réminiscence d'un régime qui n'est plus et caractérisent moins la défense légitime des intérêts de la société qu'une vengeance contraire à la dignité de la loi.

Telle était déjà la pensée de Berlier au conseil d'Etat.

J'étais profondément convaincu que la loi qui place l'enseignement libre sur la même ligne que l'enseignement supérieur de l'Etat, sauvegardait les droits de tous et ne contrariait en rien la liberté d'enseignement à laquelle nul ne songera jamais à porter atteinte. La manière dont la loi a fonctionné a démontré la justesse de mes prévisions.

Je dois, du reste, rendre hommage à l'exécution loyale et vraiment libérale que lui a donnée le cabinet. Les professeurs de l'enseignement privé, non seulement interrogent leurs élèves, mais concourent même à l'exercice de la puissance publique pour la collation des grades en faveur des élèves des établissements de l'Etat. Certes la Belgique seule offre le spectacle de la liberté entendue dans un sens aussi large et aussi élevé.

Nous examinerons avec le même esprit les projets qui nous sont annoncés et destinés à compléter le système de l'instruction donnée aux frais de l'Etat.

Assurer l'indépendance complète et sans réserve du pouvoir civil en respectant l'influence morale du sentiment religieux, tel est le problème que résoudra une majorité libérale, à qui appartiendra l'honneur de doter le pays d'un enseignement public fortement organisé à tous les degrés, en harmonie avec les besoins de l'époque, tout en prouvant par des fails que la liberté d'enseignement sera toujours chez nous une vérité.

L'amélioration des classes ouvrières mérite toute notre attention. Nous devons la réaliser, non à l'aide de vaines utopies et de doctrines subversives de l'ordre social, mais par des dispositions prudentes et sagement progressives, qui, en assurant le bien-être du peuple, préviennent les révolutions et les catastrophes. Le gouvernement a fait un pas dans cette voie, j'espère qu'il y persévérera, certain en cela de réunir le concours de tous ceux qui ont à cœur le maintien de nos institutions.

Messieurs, nous devons marcher avec modération, mais avec fermeté sur la ligne des principes qui seuls peuvent réaliser les espérances qu'on avait conçues de l'avènement au pouvoir de notre opinion. Ne perdons pas de vue que la nation a demandé un système nouveau et non un changement de personnes. Le ministère et la chambre seront jugés par leurs actes. C'est à ce point de vue seulement que sera appréciée la politique inaugurée en loi. Un progrès marqué doit être réalisé, et il est indispensable d'arriver à des résultats décidément favorables aux intérêts moraux et matériels.

Pour moi, messieurs, je continuerai d'examiner avec indépendance les mesures que proposera le cabinet, et j'appuierai avec bonheur celles qui me paraîtront devoir contribuer à la prospérité du pays.

M. Dedecker. - Messieurs, je ne me propose pas de présenter à (page 12) la chambre des considérations générales sur la situation politique du pays. Il me tarde de placer les discussions de la présente session sous les auspices d'une pensée d'humanité, d'une pensée qui, je l'espère, obtiendra tous vos suffrages. Je viens, du haut de la tribune nationale, demander l'amnistie pour nos détenus politiques.

J'ai vu avec bonheur que déjà, s'il faut en croire les journaux, le gouvernement a pris, jusqu'à un certain point, les devants, relativement à cette mission d'humanité. Depuis longtemps j'avais personnellement intercédé auprès de M. le ministre de l'intérieur pour la mise en liberté, entre autres, de ce vieillard qui avait rendu autrefois des services éminents à l'indépendance de la Belgique.

Eh bien, aujourd'hui que nous sommes fiers de constater la situation heureuse de la Belgique, aujourd'hui que nous exaltons l'excellence de nos institutions, le bon esprit des habitants, cette sagesse royale à laquelle nous nous plaisons tous à rendre hommage, sachons nous montrer modérés, puisque nous sommes forts; généreux, puisque nous sommes vraiment libres et tranquilles.

Je demande donc qu'au nom des sentiments d'humanité qui vous animent tous, la mesure d'amnistie soit étendue à toutes les catégories de détenus politiques.

Loin de moi de vouloir justifier les doctrines ou les actes des hommes qui, violateurs de nos lois, ont été condamnés au nom de ces lois! Loin de moi de vouloir incriminer les décisions solennelles de la justice ! La justice a eu son cours : son action s'est exercée en toute liberté, et les condamnations qu'elle a prononcées ont été légitimes.

Tant qu'a duré la crise politique proprement dite, la sécurité du pays exigeait que ces hommes à tête exaltée, mais souvent aussi au cœur généreux (ne l'oublions pas), fussent mis dans l'impossibilité de propager leurs doctrines qui pouvaient alors offrir des dangers. Mais aujourd'hui que la raison a été satisfaite par ces rigueurs justes, utiles; aujourd'hui je demande la satisfaction d'un besoin du cœur. J'espère que tout le monde, dans cette enceinte et au dehors, comprendra les vrais sentiments qui me portent à faire la présente motion.

J'ai foi dans la générosité d'âme bien connue de M. le ministre de l'intérieur. L'acte d'humanité que je provoque sera, en même temps, un acte de bonne politique ; c'est dans le cœur que la véritable politique puisse ses inspirations les plus nobles, j'allais dire les plus habiles, si le cœur savait calculer.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le gouvernement n'a pas attendu les interpellations de l'honorable préopinant pour prendre, en ce qui concerne les condamnés politiques, les mesures que lui conseillait l'humanité. Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer que la peine sévère appliquée par la justice du pays n'a pas reçu son exécution ; un adoucissement considérable a été apporté à cette peine. Tout récemment, l'un d'entre eux, que recommandaient à la fois d'anciens services, son grand âge, son état de santé, a été rendu à la liberté.

A cette occasion, des adoucissements doivent être apportés à la situation de quelques-uns de ceux qui sont encore dans les prisons. Je ne pense pas, messieurs, que la conduite tenue par le gouvernement dans cette circonstance ait été de nature à provoquer de la part des chambres une sorte d'impulsion nouvelle dans cette voie. Si le gouvernement n'écoutait que les sentiments auxquels on a fait appel, sans doute il pourrait ouvrir dès demain les portes des prisons, non seulement aux détenus politiques, mais encore à un grand nombre de détenus qui ont commis, dans un autre ordre de faits, des fautes qui peuvent avoir aussi leur côté excusable.

On ne reprochera ni à la justice du pays ni au gouvernement d'user de trop de rigueur; souvent un reproche contraire a été adressé à l'administration publique, qui consistait en ceci : que nos prisonniers étaient mieux traités dans nos prisons que beaucoup d'individus libres.

Les peines qui ont été prononcées à l'occasion de délits politiques sont encore récentes; les condamnés ne sont pas à l'entière disposition du gouvernement ; leur condamnation est le résultat de la déclaration libre et consciencieuse des jurés ; une amnistie trop prompte, un pardon qui suivrait de trop près la peine, ne pourrait-il pas être interprété par la justice du pays comme une sorte de condamnation de ses arrêts?

Messieurs, qu'on laisse en cette circonstance, et en cette circonstance surtout, à l'initiative du gouvernement, à la clémence du Roi toute sa liberté. Soyez-en bien convaincus, nous n'aurons pas besoin de l'excitation des chambres pour prendre en toute occasion les mesures que conseilleront à la fois l'humanité, la justice et la sûreté du pays.

M. Dedecker. - J'avais cru prévenir les principales observations que vient de présenter M. le ministre de l'intérieur. Loin de condamner les rigueurs dont les détenus politiques, à qui je porte un intérêt tout d'humanité, ont été l'objet, j'ai commencé par dire que l'action de la justice s'était exercée en toute liberté, que la condamnation était légitime; par conséquent je respecte parfaitement le verdict du jury. Je n'ai pas eu l'intention de reprocher au gouvernement d'avoir usé de rigueur envers les condamnés pendant leur détention; je sais qu'on les a traités avec les égards dus à des hommes plus égarés que coupables.

Puisque M. le ministre de l'intérieur demande qu'on laisse à l'initiative du gouvernement le soin de choisir le moment opportun pour étendre la mesure de l'amnistie, je me borne à exprimer le désir que ce moment arrive le plus tôt possible. Si je comprends bien la situation du pays, elle permet d'user de générosité.

- La discussion générale est close.

Discussion des paragraphes

Paragraphe premier

« Sire,

« Nous sommes heureux de reconnaître, avec Votre Majesté, l'aspect favorable que continue de présenter la situation du pays. »

M. Dedecker. - Je regrette de devoir encore prendre la parole.

On nous a déjà présenté des corrections à la rédaction de l'adressé. Quoique je sache qu'un projet d'adresse n'est pas un document littéraire, encore faut-il qu'il ne contienne pas de ces fautes dont il répugne de supporter la responsabilité.

Ainsi, le paragraphe premier me paraît inadmissible quant à sa rédaction. On dit qu'un pays offre un aspect, etc., ou qu'un pays se trouve dans une situation, etc. Mais je ne conçois pas l'aspect d'une situation.

M. Le Hon, rapporteur. - En effet, messieurs, la rédaction précipitée d'une adresse ne peut présenter, de premier jet, toute la correction d'un travail compassé. Seulement, je me permettrai de faire observer à l'honorable membre, que, contrairement à son avis, la situation d'un pays nous a paru pouvoir offrir certains aspects plus ou moins favorables. Cette manière de s'exprimer n'a rien qui compromette la pureté du langage.

Voici, au reste, les motifs de la réserve dans laquelle s'est tenue la commission. Elle n'a pas voulu émettre sur la situation un jugement plus absolu que ne le faisait la Couronne, afin de ne pas soulever de discussions prématurées et sans issue possible. Elle est restée, en quelque sorte, à la surface, comme le discours du Trône.

L'honorable membre préférerait peut-être que le paragraphe fût rédigé ainsi :

« Nous sommes heureux de reconnaître avec V. M. que le pays continue de présenter une situation favorable. »

Je ne fais aucune difficulté d'accepter cette rédaction, qui va plus au fond des choses; et je suis enchanté que l'observation soit venue de l'honorable orateur. Je vois qu'il juge favorablement non seulement l'aspect de la situation, mais encore la situation du pays elle-même. Je me rallie à son opinion.

M. le président. - Il n'a pas été déposé d'amendement.

M. Le Hon. - Je présente comme amendement la rédaction que je viens d'indiquer.

C'était pour ne pas faire naître des dissentiments sans portée au sujet de l'adresse que nous nous étions renfermés dans les termes réservés du' projet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous n'avons pas voulu nous tenir à la surface. Nous avons prétendu parler d'une situation réelle.

M. Dedecker. - Messieurs, l'honorable rapporteur de la commission de l'adresse s'est mépris sur le fond de mes observations. Il ne s'agit pas d'une opinion à exprimer sur la situation du pays; il s'agit d'une question de style.

D'après moi, et je n'éprouve aucune espèce de difficulté à l'avouer, la situation de la Belgique est relativement très heureuse, et nous nous en félicitons tous. Eu égard aux difficultés intérieures et extérieures que nous avons eu à traverser, cette situation est très favorable. Ainsi, quant à moi, je n'hésite pas à me rallier au fond à l'opinion exprimée par la commission de l'adresse. Mais il s'agit tout bonnement d'une question de rédaction; or, la rédaction nouvelle que propose l'honorable rapporteur n'est pas beaucoup plus correcte que la première.

M. Orts. - Je n'attache pas une grande importance au débat grammatical ou de style qui vient de s'élever. Mais l'honorable ministre de l'intérieur vient, me semble-t-il, de dire qu'il entendait le paragraphe de l'adresse en ce sens que la situation générale du pays serait favorable et ne laisserait rien à désirer. Si telle était la pensée de la chambre, je crois que ce paragraphe serait en contradiction avec tous les vœux d'amélioration que nous émettons dans les paragraphes suivants. Si tel était le sens de la rectification proposée, je ne saurais l'admettre. Il faut y aller avec précaution ; lorsqu'on reconnaît dans le reste de l'adresse qu'il est des améliorations dont nous devons nous occuper avec une sollicitude sérieuse, on ne peut proclamer dès le début que la situation ne laisse rien à désirer, qu'on un mot, tout est en Belgique pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je crains que le débat ne dégénère ; mais il ne me faut pas faire aller au-delà de ce que j'ai dit. J'ai dit que nous avions entendu parler d'une situation réelle, et non pas apparente; mais je n'ai pas ajouté que la situation du pays ne laissait rien à désirer sous aucun rapport. Je n'ai pas dit un mot de cela.

Du reste, la rédaction du projet d'adresse et celle qui vient d'être proposée par l'honorable M. Le Hon à la suite des observations de l'honorable M. Dedecker, me satisfont également.

- La discussion est close.

La rédaction proposée par M. Le Hon est mise aux voix et adoptée.

Paragraphe 2

« Le calme dont il jouit à sa source dans la bonté de ses institutions, l'excellent esprit de ses habitants et la sagesse royale. C'est à cette harmonie éprouvée entre nos lois constitutionnelles, les mœurs de la Nation et le caractère du chef de l'Etat, que la Belgique doit la place honorable qu'elle occupe parmi les peuples et les marques de confiance et de sympathie qu'elle ne cesse de recevoir de leurs gouvernements. »

- Adopté.

Paragraphe 3

« L'abondance, des récoltes de cette année est un bienfait dont nous ne saurions assez remercier la Providence. Elle assure à nos populations laborieuses l'avantage du bas prix des subsistances et à nos cultivateurs un dédommagement dans l'exportation plus considérable de leurs produits. »

M. Dedecker. - On nous fait dire que l'abondance des récoltes de cette année assure à nos cultivateurs un dédommagement dans l'exportation plus considérable de leurs produits. Si l'on disait que nos cultivateurs trouvent un dédommagement dans l'exportation, le mot serait juste ; mais on assure ce dédommagement par, etc. Je propose de substituer le mot « par » au mot « dans ».

M. de Renesse. - Messieurs, dans le discours du Trône, où il est fait mention de l'agriculture, le gouvernement ne laisse pas entrevoir quelles sont les mesures qu'il compte prendre pour empêcher la trop grande dépréciation du prix des céréales.

Tout en témoignant notre sympathie pour les populations ouvrières des villes et de l'industrie auxquelles le bas prix des subsistances est, certes, un grand avantage, il y a cependant aussi à prendre en considération la situation des classes ouvrières des campagnes, et de nos cultivateurs, qui forment la partie la plus notable de la population du royaume, pour lesquels le trop grand avilissement dans les prix des céréales ne laisse pas de porter une atteinte très fâcheuse, si cet état de choses devait se prolonger plus longtemps, si surtout l'agriculture, la première industrie du pays, ne doit plus être protégée contre la concurrence étrangère.

Je ne disconviens pas que le ministère ait depuis quelque temps provoqué plusieurs mesures utiles aux intérêts agricoles, qu'il cherche à stimuler les progrès de cette principale industrie du pays ; mais, toutes ces mesures, en définitive, n'accordent qu'une protection peu efficace à l'égard de la concurrence de l'étranger. Aussi longtemps que le gouvernement persiste à maintenir la protection douanière, pour presque toutes nos autres industries, il me semble, qu'il y aurait injustice de ne pas accorder une certaine protection à l'agriculture, en établissant un droit modéré, qui ne serait plus un droit de simple balance, mais garantirait l'industrie agricole contre une concurrence ruineuse, surtout dans un moment où déjà les céréales sont à si bas prix, que les cultivateurs, les ouvriers agricoles, n'ont plus aucune rémunération de leur travail; ce léger droit serait, en outre, une ressource pour notre budget des recettes. En maintenant l'agriculture dans un état de prospérité, on protège, en même temps, toutes les autres industries du pays, puisqu'il est incontestable que nos populations des campagnes sont, en grande partie, les consommateurs les plus assurés des produits sortant de nos fabriqués ou livrés par le commerce.

J'espère que le gouvernement ne perdra pas de vue les intérêts de l'agriculture, et qu'avant la fin de l'année, on proposera aux chambres des mesures, pour empêcher la continuation de la trop grande dépréciation dans les prix des différents produits de l'industrie agricole ; cette dépréciation ne fera d'ailleurs que continuer, puisque jusqu'ici les cultivateurs, les propriétaires, n'ont pu livrer aux marchés qu'une très faible partie de leurs céréales; il est donc de toute nécessité que le gouvernement avise aux moyens de venir au secours de l'agriculture par une protection plus assurée, plus réelle que celle qui existe actuelle, ment.

M. Le Hon, rapporteur. - L'honorable M. Dedecker demande que la chambre se prononce entre le mot « dans » et le mot « par »; je vous avoue que, pour moi, je suis d'une indifférence profonde pour l'un et pour l'autre...

M. Dedecker. - Vous avez tort.

M. Le Hon. - M. Dedecker pense que j'ai tort ; beaucoup de monde pourrait avoir le même avis à son égard, mais il ne s'agit ni de lui ni de moi ; il s'agit de l'opinion de la chambre.

Je comprends qu'on ne puisse pas dire : « Je vous dédommage dans une exportation de produits. » Mais c'est la première fois que j'entends soutenir qu'il y a incorrection dans une locution comme la suivante : « Je vous assure un dédommagement dans l'exportation plus considérable de vos produits. »

Je suis vraiment fâché de devoir occuper la chambre d'une pure querelle de mots.

Je déclare, au surplus, ma parfaite indifférence pour le choix à faire entre « dans » et « par ». Je le livre à l'assemblée. Elle pourra se prononcer d'après ses préférences.

M. le président. - Il n'y a pas d'amendement.

M. Dedecker. - Je proposerai le mot « par ».

M. le président. - L'amendement est-il appuyé?

- L'amendement n'est pas appuyé.

M. Rodenbach. - Messieurs, la récolte abondante a, certes, puissamment contribué à diminuer la misère dans notre pays, notamment dans les Flandres. Depuis que la vie est à bon compte, nos ouvriers ne meurent plus d'inanition ; ils ont de l'ouvrage. Ce qui manque encore, c'est que le prix de la main-d'œuvre est trop faible pour permettre au père de famille de nourrir sa femme et ses enfants. Il est très difficile pour le gouvernement de s'occuper d'augmenter le prix de la main-d'œuvre, mais il est certain qu'il est trop bas aussi bien pour les tisserands que pour les autres ouvriers, et j'engage fortement le ministère à y songer, bien que la chose, je le répète, soit très difficile.

On a admis le libre échange pour les céréales et un droit très léger pour le bétail; ce système a été utile aux classes ouvrières, surtout après deux années calamiteuses, il a fait infiniment de bien au pays; mais il me semble que, pour être conséquent, pour ne pas avoir deux poids et deux mesures, il faut, si l'on admet le libre échange pour les céréales, et, en grande partie, pour le bétail, admettre également un système large pour les autres produits. Laissez entrer librement les fers étrangers, le charbon étranger. Ces différentes industries jouissent d'une protection de 30, 50, 60 pour cent. Si, dans les Flandres, nous pouvions recevoir la houille anglaise, les distilleries, les brasseries, les filatures , les manufactures et toutes les usines obtiendraient le combustible pour leurs machines à vapeur à 30 pour cent meilleur marché ; elles pourraient alors soutenir la concurrence. Ainsi, dans le district de Roulers, le charbon belge est aussi cher que dans le département du Nord.

Il en est de même des fers, que l'agriculture emploie à confectionner ses instruments d'agronomie, et que vous lui faites payer 30, 40 p. c.

On ne peut pas avoir deux poids et deux mesures. Si vous admettez le libre échange pour l'industrie agricole, il faut l'admettre pour une foule d'autres.

Je n'en dirai pas davantage. Il se présentera sans doute dans cette cession une occasion où je pourrai m'exprimer sur ce principe du libre-échange.

M. Coomans. - Messieurs, entre deux mots sur lesquels l'honorable M. Le Hon nous a invités à nous prononcer, l'honorable M. Dedecker choisit le moindre, il veut « par » au lieu de « dans »; il se peut qu'il ait raison. Mais si Vaugelas est satisfait, il me semble que la vérité ne l'est pas entièrement, ni les paysans non plus.

Je demande la permission d'ajouter quelques mots sur le paragraphe, l'un des plus importants de l'adresse.

Messieurs, la vérité est que les campagnes souffrent. Je n'entends pas en rendre le gouvernement responsable, du moins entièrement responsable; il l'est peut-être un peu ; la chambre sait dans quel sens je dis cela.

Messieurs, je reconnais que la grande abondance de la récolte qui, selon moi, est un bienfait, est la cause principale du bas prix des céréales. Mais quels que soient les moyens par lesquels vous chercherez à améliorer la situation de la partie la plus nombreuse de nos concitoyens, il y a urgence d'y recourir.

Des remèdes sont nécessaires, et si vous ne voulez pas employer ceux que nous avons eu l'honneur de vous proposer, il faudra en trouver d'autres.

Les campagnes souffrent, c'est-à-dire les campagnards sont dans la gêne. Et ce ne sont pas seulement les fermiers, mais même les petits propriétaires, ceux qui n'ont d'autre ressource pour acheter des vêtements et des épices que quelques sacs de grains, qui aujourd'hui se placent à peine.

Il en est de même pour le bétail, le bétail est à vil prix. Chaque semaine on voit des paysans ramener chez eux des têtes de bétail qu'ils n'ont pas pu vendre, même à perte.

Cependant ceci est un mal doublement fâcheux, parce qu'outre que l'élève du bétail n'est pas encouragée de cette manière, ce ne sont pas les consommateurs qui profitent de la perte que les éleveurs essuient.

Le bétail est à vil prix, il est presque invendable, et le prix de la viande ne baisse pas. Voilà une des questions les plus intéressantes dont la chambre puisse s'occuper. Je désire de tout mon cœur que d'ici à longtemps il n'y ait que des questions de ce genre sur le tapis parlementaire.

Je le répète, les campagnes souffrent. Il faut absolument trouver le moyen de rémunérer le travail agricole.

Quand d'autres industries souffrent (je dis autres industries, car une ferme n'est qu'une fabrique à ciel ouvert), quand d'autres industries souffrent, vous ne vous bornez pas à l'aider par des expositions ou par des médailles, vous leur accordez dos secours plus efficaces, vous leur donnez de gros subsides, ou bien vous les protégez par des droits de douanes qui s'élèvent parfois à 60 p. c, comme vient de le dire l'honorable M. Rodenbach.

Eh bien, ce sont les industries les plus protégées qui exigent la complète liberté du commerce des céréales. Or, tandis que les paysans sont exposés à la concurrence étrangère, concurrence qui, selon moi, et rien ne m'empêchera de le dire, ne profile qu'aux paysans du Don, de la Vistule et des Etats-Unis, les libre-échangistes, déjà fortement protégés, exigent des droits protecteurs plus élevés encore. Du moins ne consentent-ils à aucune diminution.

Il faut donc faire quelque chose pour le campagnard. Quand, par suite de cet avilissement du prix des denrées, le campagnard se trouve dans la gêne, il continue à payer très cher les produits industriels dont il a besoin. Je prétends que le cultivateur est dans son droit, lorsqu'il demande que les produits industriels similaires aux nôtres et venant de l'étranger soient admis à faire concurrence aux fabricats belges.

Après tout, il faut que le campagnard trouve moyen d'acquitter l'impôt. Cet impôt ne baisse pas; il n'est pas comme le prix des céréales, l'impôt reste lourd et implacable, il est toujours le même, en supposant qu'on ne l'augmente pas cette année.

Eh bien, il faudra, je lâche le mot, en venir à une diminution d'impôt, à un soulagement des charges agricoles, si l'on s'obstine à avilir systématiquement les produits de la terre. Ce remède es inévitable, à moins que vous ne proclamiez le libre échange en toutes choses.

(page 14) M. Delehaye. - Messieurs, je suis loin de contester que l'agriculture n'ait pas droit d'être protégée, tout autant que les autres industries. J'ai toujours pensé que toute industrie, par cela seul qu'elle favorise le travail national, avait droit à la sympathie du pouvoir législatif.

Mais qu'on ne s'y trompe pas, une protection de même nature ne peut être accordée à toutes les industries en général. Tel genre de protection sera utile à l'industrie manufacturière, et deviendra nuisible à l'industrie agricole ; tel autre genre de protection sera utile à l'agriculture, et pourra être mortel à l'industrie manufacturière.

Messieurs, quelle est la protection que peut réclamer l'agriculteur, en tant que cette protection se réduise à une réduction d'impôt? C'est que la loi lui accorde pour certains produits alimentaires le retour du droit qu'il supporte pour toute son exploitation. C'est, eu égard à l'impôt, la protection la plus large que l'agriculteur puisse obtenir.

Qu'on ne s'y trompe pas ; il n'y a pas d'impôt, quel qu'il soit, qui puisse constituer pour l'industrie agricole une véritable protection ; lorsque la récolte est abondante, quoi que vous fassiez, les produits seront toujours à bas prix.

Il y a une autre considération que nos honorables adversaires ne devraient pas perdre de vue. Quelle est la conséquence immédiate d'un droit protecteur accordé à une industrie ? N'est-ce pas d'augmenter la production? Pourquoi voulez-vous qu'on protège une industrie? Est-ce dans l'intérêt du producteur ? Non ; vous ne pouvez protéger que dans l'intérêt du consommateur.

M. Coomans. - Et les cotons?

M. Delehaye. - Si la protection était demandée dans l'intérêt du producteur de coton, je ne l'accorderais pas. Je veux que la protection accordée à l'industrie ait pour conséquence de mettre, dans des temps plus éloignés, ses produits plus à la portée du consommateur. Quant à l'agriculture, quelle serait la conséquence immédiate de la protection qu'on voudrait lui accorder? D'augmenter la production, par conséquent d'abaisser le prix de ses produits.

Ne perdez pas de vue ce point ; c'est que le genre de protection qu'on sollicite pour l'agriculture ne saurait lui être favorable; quelque chose que vous fassiez, les céréales seraient toujours à très bas prix quand les récoltes seront abondantes.

C'est par d'autres genres de protection qu'il faut encourager l'agriculture : la réduction des droits sur les objets qui concourent au développement de la production, des frais de transport des engrais.

Cela existe, me dit-on; mais je voudrais que cela existât sur une échelle plus large ; l'extension de la voirie vicinale, la tenue des marchés, et une foule d'autres mesures qu'une chambre, disposée comme celle devant laquelle j'ai l'honneur de parler, n'hésiterait pas à adopter.

Exiger un droit élevé à l'importation, ce serait agir, dans un moment donné, contrairement à la Providence. Quand la Providence accorde une récolte abondante, l'effet est de mettre à la portée du pauvre tous les produits de la terre; pouvez-vous chercher à détruire les effets du bienfait de la Providence qui vous a accordé une récolte abondante? Je n'en dirai pas davantage en ce moment sur cette question.

Je me résume, je veux une protection large, efficace pour l'industrie agricole qui est la première des industries; mais quant à une augmentation du droit d'entrée sur les céréales, il faudrait des raisons bien puissantes pour que je consente à y donner les mains.

La gêne dont on vient de parler n'est pas générale ; il y a plus, le cultivateur ne se plaint pas, il est plus heureux quand il y a abondance que quand les céréales se vendent à haut prix et qu'il n'en a pas suffisamment.

En effet, lorsque les céréales sont abondantes, le cultivateur augmente son bétail et en retire des avantages qui lui échappent quand il y a disette; de plus, son exploitation l'oblige à entretenir un grand nombre d'individus qui sont une charge très lourde pour lui quand les céréales sont à un prix élevé.

Celui qui vous parle a fait une étude spéciale des intérêts de l'agriculture: pendant six mois de l'année, je vis au milieu des agriculteurs, je connais leurs besoins, je les étudie jour et nuit ; conséquemment, je ne dis pas un seul mot qui ne m'ait été cent fois répété par les cultivateurs eux-mêmes.

Je maintiendrai donc le droit tel qu'il existe, parce qu'il indemnise le cultivateur des frais qu'il paye à l'Etat pour sa culture. Mais si on propose une autre protection qui me paraisse efficace, je lui donnerai mon assentiment.

M. de Theux. - Je ne me proposais pas de prendre la parole dans la discussion de l'adresse; je voulais réserver mes observations pour la discussion des lois sur les céréales ; mais je ne puis m'empêcher de relever la contradiction dans laquelle vient de tomber l'honorable préopinant. Il est en contradiction manifeste avec les doctrines qu'il a défendues dans les sessions précédentes. Il dit que la protection est dans l'intérêt du consommateur, il est dans le vrai ; c'est l'opinion que j'ai émise quand j'ai défendu les avantages que le système protecteur rapportait au pays ; j'ai démontré que les avantages qu'on accordait aux diverses industries tournaient au profit du consommateur ; je les ai envisagés, en outre, au point de vue du travail national, que la protection a pour effet de développer.

Voilà comment, en définitive, la protection tourne au profil des classes industrieuses, des classes nécessiteuses.

L'argumentation de l'honorable membre aurait dû le conduire à une autre argumentation que celle qu'il nous a présentée.

En effet, messieurs, si la protection est dans l'intérêt de la consommation, il a tort de combattre la protection demandée dans l'intérêt de l'industrie agricole, car plus elle sera protégée, plus ses produits seront à bas prix, car la production aura augmenté; cela s'est vu dans une infinité de pays qui tiraient leur subsistance de l'étranger, et qui, par suite de la protection accordée à l'agriculture, ont fini par se suffire.

Dans ce cas, le consommateur n'a pas eu à se plaindre, parce qu'il y a eu étendue de travail agricole. Mais ce qui ne s'est jamais vu ni en Hollande, où la liberté du commerce a toujours existé, ni en Angleterre, où elle a été récemment proclamée, c'est de supprimer les droits protecteurs de l'industrie agricole et de les maintenir pour toutes les autres industries. Ce précédent n'existe ni en Belgique ni en Allemagne où toutes les industries sont protégées, ni en Angleterre ni en Hollande où le système protecteur est abandonné ou n'a jamais existé.

Quand sir Robert Peel a proposé ces grandes lois qui ont donné une forte impulsion au commerce de l'Angleterre, il n'est pas venu dire : Nous proposons l'abolition des droits de protection de l'agriculture; mais il a dit :Nous proposons d'abolir le système prohibitif ou protecteur pour toutes les industries. Voilà ce qu'on appelle un système libéral juste. La justice ne peut jamais être méconnue dans une législation; tôt ou tard elle revendique ses droits.

L'agriculture ne restera pas dans la situation exceptionnelle où on l'a mise; de deux choses l'une, ou le système de libre échange se généralisera, ou on fera retour vers l'ancienne législation protectrice de l'agriculture. Jamais deux poids et deux mesures dans des circonstances normales ne seraient acceptés par un pays aussi juste, aussi judicieux, aussi éclairé que la Belgique.

Je n'en dirai pas davantage, car il ne s'agit pas en ce moment de proposer une protection en faveur de l'agriculture, mais seulement de ne pas laisser s'accréditer des opinions erronées.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je crois en effet qu'il est très utile de ne pas laisser se répandre dans le pays des opinions erronées; et, à certains égards, les opinions exprimées par l'honorable préopinant ont ce caractère.

L'honorable préopinant, en attendant quelques jours encore, aurait eu l'occasion plus naturelle de développer ses opinions, en ce qui concerne l'importation des denrées alimentaires et de tous les autres produits en général. Très incessamment la chambre aura à s'occuper d'un projet de loi qui soulèvera ces questions.

La loi sur les denrées alimentaires qui a été votée l'année dernière n'a de durée que jusqu'au 31 décembre prochain. Un projet de loi est préparé ; il vous sera soumis d'ici à peu de jours, la discussion de ce projet de loi soulèvera les questions qui viennent d'être effleurées.

En attendant, je dois faire remarquer que la protection dont on parle, et qui consiste en une élévation de droits à l'importation, je ferai remarquer qu'une telle protection, dans les circonstances actuelles, serait complètement inefficace, et que si, l'année dernière, le droit proposé par l'honorable orateur, qui a parlé le premier, avait été accepté, il n'aurait pas plus protégé l'agriculture que le droit de 50 centimes adopté par la chambre ne lui a porté préjudice.

En effet, l'année 1849 présente ce résultat que la quantité de céréales exportées l'emporte de beaucoup sur la quantité de céréales importées dans le pays. Les importations sont pour ainsi dire insignifiantes.

Ce n'est pas le Don qui nous importe ses produits. Il nous a été importé une certaine quantité de céréales de la France, de l'Allemagne et des Pays-Bas, et une quantité tout à fait imperceptible nous est venue du midi de la Russie.

Les départements frontières de la France nous livrent une certaine quantité de céréales ; pourquoi? Parce que les céréales y sont à meilleur prix que chez nous. Là cependant existe encore, dans toute sa force, ce système soi-disant protecteur, ces droits élevés qu'on réclame ici, comme le seul moyen de porter remède à ce qu'on dit être un mal pour l'agriculture.

Je ne puis admettre que les campagnes soient dans cet état de souffrance où on les représente : sans doute, les céréales ne sont pas à un prix élevé, je le reconnais ; mais il peut se manifester une élévation dans les prix; ces bas prix ne sont pas permanents, définitifs.

Quelle est d'ailleurs la cause de ce bas prix ? Il y en a une seule : c'est l'abondance même de la récolte. Pour soutenir la thèse que je combats, il faudrait présenter l'abondance comme une cause de calamité pour les campagnes; et accuser la Providence des bienfaits qu'elle répand sur les populations !

On nous dit que l'on trouve injuste ce système qui consiste à supprimer tout droit sur les denrées alimentaires et à maintenir un système protecteur pour les autres industries. Je pourrais dire qu'il y a des raisons particulières en faveur des denrées alimentaires; que la première condition pour une nation, c'est de vivre; qu'avant tout, il faut assurer aux populations une alimentation abondante et à bon marché. Viendra ensuite l'industrie proprement dite.

Mais lorsque l'honorable M. de Theux, en 1846, forcé par les événements, je le reconnais, est entré à pleines voiles dans le système du libre-échange, lorsqu'il est venu proposer de maintenir la législation qui affranchissait de tout droit les céréales étrangères, il n'a pas proposé la suppression des droits de douane sur les produits de toutes les autres industries. Nous n'avons fait que le suivre dans cette voie et continuer son système.

(page 15) Un régime libéral pour les denrées alimentaires est un fait acquis pour le pays. Par suite de deux années de liberté, il n'était pas possible de revenir à l'ancien système. Aussi n'avons-nous pas proposé d'y revenir ; nous ne le proposerons pas.

Nous avons proposé, l'année dernière, un droit de 5 francs par 1,000 kilogrammes. Ce droit, au point de vue fiscal, a eu de bons résultats. Si les importations s'accroissent, ces droits rapporteront beaucoup. S'il entre peu de céréales, le droit rapportera peu. Mais il serait injuste de vouloir prouver que la concurrence des céréales venant du dehors apporte un préjudice grave aux produits de nos agriculteurs. Il n'en est rien. Si le prix des céréales est assez bas, c'est le résultat de l'abondance de nos récoltes et non la concurrence des céréales étrangères, puisqu'il est plus sorti de céréales qu'il n'en est entré dans le pays.

Du reste, je le répète, nous aurons l'occasion de discuter ces questions très prochainement, lorsque vous aurez à examiner le projet de loi qui vous sera soumis pour demander la prorogation du régime actuel. Nous voulons continuer l'expérience jusqu'à la fin; nous vous demanderons le maintien du système actuel pendant une année.

M. de Theux. - L'honorable ministre de l'intérieur a cru trouver une contradiction entre l'opinion que je viens d'exprimer et un acte que j'ai posé comme ministre, en 1846. Effectivement alors j'ai proposé l'abolition de tout droit sur les denrées alimentaires à l'importation. Ce n'est pas la seule fois que je l'ai fait ; je l'ai fait en trois autres circonstances, où il y avait une trop grande cherté des denrées alimentaires.

A cette occasion, je déclare que dans toutes les circonstances où il y aura cherté des denrées alimentaires, je proposerai toujours la suppression de tout droit protecteur, ou tout au moins, j'appuierai cette suppression de droits protecteurs quand elle sera proposée.

Mais entre des mesures exceptionnelles, temporaires, commandées par les circonstances, par les besoins de l'alimentation du pays, et une législation permanente et normale il y a une énorme différence ; je n'avais entendu parler que d'une situation normale, et je crois l'avoir dit assez clairement.

M. Mercier. - M. le ministre de l'intérieur, à l'exemple d'un honorable député de Gand, a cherché à établir, en ce qui concerne ses droits protecteurs, une distinction entre l'industrie agricole et les autres industries du pays. Je ne puis, messieurs, admettre une semblable distinction; si, comme le dit M. le ministre de l'intérieur, la première condition est d'abord de vivre, il faut reconnaître aussi qu'il est d'autres nécessités impérieuses que celle de l'alimentation. Mais même à ce point de vue exclusif, il y a contradiction dans la marche suivie par le gouvernement. On dit que les denrées alimentaires venant de l'étranger ne doivent pas être soumises à des droits de douane ou ne peuvent être frappées que de droits infimes. Le sel n'est-il pas un objet de consommation indispensable tout aussi bien que les denrées alimentaires?

Ne croyez pas que je veuille parler du droit d'accise sur le sel. Le produit de ce droit est une ressource nécessaire pour faire face aux dépenses publiques. Je parle des droits de navigation. Pour faire cette petite navigation d'Anvers en Angleterre, quelle protection accordons-nous? Elle s'élève à 4 fr. 24 c. par 100 kilog. de sel. C'est en présence de ce fait qu'on trouve qu'une protection d'un franc, par exemple, serait trop forte pour les produits de l'industrie agricole.

On maintient largement les droits établis en faveur de la navigation, et je le répète, il ne s'agit pas d'une navigation lointaine, mais en quelque sorte d'un simple cabotage entre Anvers et l'Angleterre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est Ostende qui fait ce commerce.

M. Mercier. - Que ce soit Ostende ou Anvers, peu importe; ce n'est pas la localité qui est en cause; mais l'industrie du navigateur qui conserve une protection exorbitante, tandis qu'on refuse une protection modérée de même nature aux produits agricoles; je trouve là un déni de justice envers la première industrie du pays. Ou il faut supprimer le privilège dont jouissent la navigation et les autres industries du pays, ou il faut accorder une protection plus efficace à l'agriculture.

Si, contrairement à mon opinion, les droits protecteurs avaient l'effet qu'on leur a parfois attribué dans cette chambre, un bâtiment de cent tonneaux seulement, allant en Angleterre prendre un chargement de sel, obtiendrait une prime d'environ 5,000 fr. Ce n'est pas d'ailleurs que je m'oppose aux encouragements donnés à la navigation ; mais lorsque nous voyons ce qu'on fait en faveur de celle-ci et ce que l'on refuse à l'agriculture, il nous est permis de dire qu'il n'y a pas là de justice distributive.

M. Delehaye. - Messieurs, je n'ajouterai qu'un seul mot. On perd toujours de vue que l'agriculture est dans une position toute différente de celle des autres industries; qu'il arrive un moment où le cultivateur est obligé de se défaire de sa marchandise, quelque désireux qu'il soit de conserver ses produits.

L'honorable préopinant vous a parlé du sel; pour le moment je n'examinerai pas la question de protection sous le point de vue dont il s'est occupé. Mais ses observations m'engagent à vous en présenter une autre: c'est que le sel peut jouer un grand rôle dans la protection à accorder à l'agriculture. Or, j'attire l'attention sérieuse du gouvernement sur ce point : c'est que par suite des formalités qui sont exigées, le sol ne peut être que très difficilement employé en agriculture. Je voudrais que le gouvernement prît des mesures pour que le sel put être utilement et réellement employé en agriculture ; c'est encore un moyen de protection qui lui serait très utile.

Messieurs, il n'y a pas de genre de protection que je ne sois disposé à accorder à l'agriculture ; mais je veux que ces protections soient efficaces ; je veux, non une protection de nom, mais une protection de fait ; je ne veux pas surtout d'un système, qui, en apparence, protecteur pour l'agriculture, peut engendrer pour la société de grands malheurs.

Ainsi, je me résume : protection pour l'agriculture comme pour les autres industries ; protection même plus large pour l'agriculture que pour les autres industries ; mais protection réelle, protection efficace, et en ce qui concerne les observations faites par l'honorable préopinant, je demande que le gouvernement prenne en considération l'immense utilité qu'il y aurait pour l'agriculture à pouvoir faire un plus fréquent usage du sel.

M. Coomans. - Messieurs, une chose m'étonne, c'est qu'une doctrine qu'on nous représente comme éminemment libérale et comme étant la vérité pure, soit défendue par des hommes qui tombent coup sur coup dans des contradictions grossières. Que l'honorable M. Delehaye, à qui ce mot s'applique en partie, veuille bien me le pardonner.

L'an dernier, lorsque je demandais que l'agriculture fût protégée par la douane, beaucoup moins que ne le sont d'autres industries, lorsque je proposais un droit que des voix très libérales ont qualifié, dans d'autres temps, de modéré, on me disait avec indignation : Mais c'est un impôt sur le pain que vous proposez! c'est un impôt de 14 millions 500 et quelques mille francs et je ne sais combien de centimes. L'honorable M. d'Elhoungne nous en avait fait le calcul très exact. Cela a dû produire naturellement quelque effet sur l'opinion publique dans les villes, et je m'en suis moi-même ressenti en dehors de cette enceinte.

Eh bien ! que vient de dire aujourd'hui l'honorable ministre de l'intérieur? Quand même vous auriez adopté, dit-il, le droit qui était demandé par M. Coomans, il n'en serait rien résulté: le pain n'eût pas été d'un centime plus cher; la protection que vous demandiez restait à l'état de chimère.

Qu'en résulte-t-il, messieurs? C'est que je n'ai pas demandé un impôt de 14 millions et autant de centimes sur le pain ; c'est que, si l'on avait adopté mon chiffre, vous auriez eu impunément trois fois plus de recette qu'aujourd'hui. L'honorable M. Rogier s'est félicité tout à l'heure de la recette fournie par le droit de 50 centimes que la chambre l'a, pour ainsi dire, forcé d'admettre. Eh bien, si ma proposition n'augmentait pas le prix du pain, elle ne faisait pas le moindre mal aux consommateurs et vous tripliez la recette. Cela me semble clair comme le jour. Je suis charmé que l'honorable ministre soit, cette fois, de mon avis. Il aura à se débattre avec l'honorable M. d'Elhoungne.

Messieurs, j’en reviens à l'honorable M. Delehaye, qui prétend aujourd'hui que tout impôt protecteur est établi en faveur du consommateur. Je crois que cela est parfaitement vrai. Mais si tout impôt de douane est établi au profit du consommateur, comme tous les Belges, comme les 4 millions de Belges sont consommateurs, tous les Belges profiteront de la protection que vous accorderiez à l'agriculture, et les producteurs en profiteront plus particulierement. Il me semble qu'un droit, dont tout le monde profite, n'est pas quelque chose de si effrayant.

Voilà, messieurs, je l'avoue, ce que je devais dire pour ma défense personnelle. Du reste, je l'ai déclaré le premier, le moment n'est pas venu de discuter la question de principe ; je n'ai pas même dit que je viendrais vous proposer un droit de douane; j'ai seulement dit qu'il y avait ici à résoudre une question de fait, la question de savoir si les campagnes sont prospères, si le campagnard reçoit au moins la rémunération qui est due à tous les travailleurs belges. Je réponds par la négative, je nie et je crois avoir raison.

Si l'honorable M. Delehaye, qui cause nuit et jour avec les paysans (interruption), ou du moins qui se préoccupe nuit et jour des intérêts de l'agriculture, a trouvé des campagnards qui se proclament très satisfaits, je déclare ces paysans-là d'une espèce toute particulière.

Je ne connais pas, quant à moi, un seul paysan qui se réjouisse de ne plus obtenir un prix rémunérateur de son travail et il est très facile de démontrer que le prix actuel des céréales n'est pas rémunérateur. Les paysans de M. Delahaye me sont un peu suspects. Ceux que je connais, avec qui j'aime à me trouver et qui sont de véritables paysans, ceux-là me parlent un tout autre langage , ils me disent (et c'est là une vérité selon M. de Lapalisse) : « Quand nous n'avons pas d'argent nous ne pouvons pas acheter. » Eh bien, ils n'achètent rien ou ils achètent peu de chose, le strict nécessaire pour se vêtir et se meubler, et ce ne sont certes pas les travailleurs des villes qui en profitent.

Du reste, je le répète, la question de fait est la seule dont j'avais à m'occuper, dans la discussion du paragraphe dont nous nous occupons, et je déclare, en terminant et en me résumant, que la situation de l'agriculture, loin d'être favorable, laisse beaucoup à désirer, pour ne pas dire qu'elle est malheureuse.

- Le paragraphe trois est adopté.

Paragraphe 3

« L'émulation générale dirigée vers les progrès de l'agriculture, grâce à l'impulsion du gouvernement, ne peut qu'exercer une influence féconde sur l'avenir de cette branche si importante de la richesse nationale. »

M. Le Hon, rapporteur. - Messieurs, pour éviter une répétition de mots, je proposerai de rédiger la première ligne de ce paragraphe, de la manière suivante :

« L'émulation avec laquelle les esprits se tournent vers les progrès de (page 16) l'agriculture, grâce à l'impulsion du gouvernement, ne peut qu'exercer, etc. »

Je supprime le mot « générale » après « émulation » parce que, dans le paragraphe suivant, vous avez « trouble général ». C'est une simple correction.

- Le paragraphe 4 est adopte avec le changement de rédaction proposé par M. le rapporteur.

Paragraphe 5

« Au milieu du trouble général qui affecte encore la production étrangère, il est consolant de remarquer la situation plus satisfaisante de nos industries. L'accroissement de nos débouchés dans les contrées lointaines atteste ce que peuvent les applications éclairées du travail et la persévérance de ses efforts, secondées par l'intelligente activité du commerce : c'est une voie dans laquelle le Gouvernement ne saurait trop encourager et guider l'esprit de spéculation et d'entreprise. »

M. Jullien. - Messieurs, que les provinces où l'industrie est en voie de progrès, s'en félicitent, qu'elles s'applaudissent de ce résultat heureux, qu'elles le proclament, qu'elles en rattachent la cause à la sollicitude du gouvernement pour leurs intérêts; ce n'est pas nous qui nous en plaindrons, ce n'est pas nous qui blâmerons l'expression du bonheur dont elles jouissent. Toutefois, messieurs, la situation de l'industrie n'étant pas la même dans toutes les parties du pays, le langage ne peut être le même pour celles où l'industrie est à l'état de gêne, et surtout pour celles où l'industrie est à l'état de torpeur.

Pouvez-vous, messieurs, je vous le demande à tous, pouvez-vous déclarer d'une manière générale, que toutes les industries se sont soutenues d'une manière satisfaisante, alors que dans certaines provinces les exploitants de bassins houillers, les propriétaires d'établissements métallurgiques, font encore entendre leurs doléances?

Pouvez-vous, messieurs, tenir ce langage à l'égard du Luxembourg, où presque toutes les forges, où presque tous les fourneaux sont hors feu , où deux grandes sociétés industrielles, qui s'y étaient implantées, sont aujourd'hui en pleine dissolution ? Pouvez-vous appliquer ce langage au Luxembourg, où l'exploitation des ardoisières a considérablement souffert et souffre encore par suite des événements de 1848 ?

Est-il raisonnable, messieurs, de présenter, sous un jour également favorable, l'industrie des provinces qui sont en possession de tous les bienfaits des chemins de fer et l'industrie des provinces qui, privées de voies ferrées, ne peuvent exporter une partie de leurs produits qu'à grands frais et avec gêne, et qui manquent de débouchés pour l'exportation des autres?

Soyons justes, mais vrais, n'exagérons point le bien-être de l'industrie. Reconnaissons, messieurs, que le gouvernement a fait de louables efforts pour qu'elle échappe à la crise qui affecte encore la production étrangère, mais ne disons point, d'une manière absolue, qu'aucune de nos industries n'en a été atteinte, lorsque cette crise se fait encore sentir dans différentes parties du pays.

Je propose donc d'introduire dans le paragraphe 5 un léger changement qui ne détruira en rien l'économie du projet. Je propose d'ajouter, après ces mots : « Il est consolant de remarquer la situation plus satisfaisante de nos industries, » ceux-ci : « dans la plupart des provinces. »

Si, contre mon attente, la chambre ne partageait pas ma manière de voir, si, contre mon attente, elle croyait devoir repousser mon amendement, je me verrais, à regret, je le déclare, dans la nécessité de voter contre le paragraphe en discussion.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, le discours du Trône et le projet d'adresse ne me semblent pas aller aussi loin que le dit l'honorable préopinant. Je ne sais pourquoi certains orateurs attribuent aux divers paragraphes du discours du Trône une portée qu'ils n'ont pas.

Tout à l'heure nous aurions présente la situation des campagnes comme ne laissant rien à désirer; maintenant d'après l'honorable préopinant, nous aurions présenté l'état général de l'industrie comme satisfaisant sous tous les rapports. Il n'en est rien.

Lisez d'abord la phrase du discours du Trône : « La situation de nos industries est en général satisfaisante. » Qu'est-ce que cela veut dire? Que certaines industries ne se présentent pas sous cet aspect satisfaisant qu'offre la situation de toutes les autres industries. La restriction du discours du Trône a eu précisément en vue certaines industries spéciales qui ne sont pas dans une position aussi bonne que les autres; c'est notamment l'industrie des fontes.

Pourquoi chercher dans le discours du Trône ce qui ne s'y trouve pas?

Pourquoi vouloir apporter des restrictions que ne réclame pas non plus le projet d'adresse ; voici comment s'exprime le projet d'adresse :

« Au milieu du trouble général qui affecte encore la production étrangère, il est consolant de remarquer la situation plus satisfaisante de nos industries. »

On ne dit pas que toutes nos industries fleurissent sans exception. Jamais, quelle que puisse être la prospérité du pays, vous n'obtiendrez que toutes les industries prospèrent en même temps; il y aura toujours sur l'un ou l'autre point du pays quelque malaise; vous ne pouvez pas avoir la prétention d'avoir du bien-être partout et simultanément.

Si l'on veut constater dans le projet d'adresse l'exception qui, paraît-il, peut être faite pour certaines industries du Luxembourg, la chambre en décidera. Quant à nous, nous ne cherchons que la vérité. Le discours du Trône n'a eu pour but que de constater des faits. Nous sommes heureux que ces faits aient été continués par la commission d'adresse. Nous n'avons voulu rien exagérer, rien dissimuler. Nous devons au pays la vérité telle qu'elle est, et parce que la situation du pays s'est présentée à nos yeux sous un aspect favorable, nous n'avons pas cru devoir cacher cette situation. Nous n'avons pas craint non plus de paraître manquer, jusqu'à un certain point, de modestie, en disant que la situation du pays est satisfaisante, et en reportant, d'ailleurs, tout l'honneur de cette situation au pays lui-même, à ses institutions et à l'esprit qui l'anime.

Voilà dans quel sens s'exprime le discours du Trône, et sous ce rapport, je ne crois pas que le pays démente l'adhésion pleine et entière que le projet d'adresse lui donne.

M. Le Hon, rapporteur. - Messieurs, je crois devoir donner à l'honorable M. Jullien, une courte explication sur le sens du paragraphe 5. Le discours du Trône porte :

« La situation de nos industries est en général satisfaisante. »

La commission a compris cette énonciation en ce sens qu'il y avait encore des industries en souffrance, mais que le plus grand nombre se trouvaient aujourd'hui dans une situation plus satisfaisante. Telle est la pensée qu'a voulu rendre la commission par le paragraphe de l'adresse. Quant à la portée de cette appréciation, la voici : c'est l'état actuel de l'industrie belge comparé à ce que l'avaient faite les événements de France et d'Europe en 1848 et à la situation relativement plus fâcheuse de l'industrie étrangère.

Nous n'exprimons pas une satisfaction parfaite et entière, ni surtout une satisfaction qui embrasse nécessairement toutes les industries et toutes les provinces du royaume. La question est de savoir si les souffrances qui les ont affectées ne sont pas en général moins vives aujourd'hui que l'année dernière, et si surtout le travail industriel n'est pas, en Belgique, dans des conditions plus satisfaisantes d'activité que dans les autres Etats. La commission, à cette question, n'a pas hésité à répondre oui.

Voilà le véritable sens du paragraphe 5 du projet d'adresse. Je n'entends pas m'opposer, du reste, à l'amendement de l'honorable M. Jullien.

M. Dumortier. - Il y a un moyen de mettre tout le monde d'accord : c'est de dire : la situation généralement plus satisfaisante de nos industries. (C'est cela!)

M. Delfosse. - Alors il faut retrancher le mot « général » dans la première ligne du paragraphe. (Oui!)

- Le paragraphe 5 avec ces deux modifications est mis aux voix et adopté.

Paragraphe 6

« Ce qui fortifie surtout nos espérances, c'est le succès éclatant qui a couronné les essais de transformations industrielles dans nos provinces flamandes, naguère encore en proie à de si cruelles souffrances. Le pays a pu constater, avec Votre Majesté, dans la récente exposition de Gand, les résultats merveilleux qu'on peut attendre de l'aptitude et de l'énergie de ces intéressantes populations. La Chambre s'associe au sentiment de bonheur qu'ils ont inspiré au chef de l'Etat et se félicite, avec lui, d'une amélioration sensible dans la situation des districts qui ont le plus souffert. »

M. le rapporteur propose un changement de rédaction à la deuxième phrase de ce paragraphe, consistant à dire : « La récente exposition de Gand a montré, etc., » le reste comme le projet.

M. Le Hon, rapporteur. - Ce changement a pour objet de faire disparaître une répétition de mots qui se trouvent dans d'autres paragraphes par suite de changements apportés au projet d'adresse, dans le cours des conférences de la commission.

M. le président. - Un autre amendement est proposé à ce paragraphe par M. Sinave. Il est ainsi conçu :

« Les constants efforts de votre gouvernement pour améliorer le sort des populations flamandes leur assurent un meilleur avenir. Les essais d'introduction de nouvelles industries constatent des progrès sensibles. La grande industrie linière, dont la prospérité est indispensable pour vaincre l'infortune de ces provinces et leur rendre leur état normal, ne cessera, nous en sommes certains, d'être l'objet de la vive sollicitude du gouvernement.

« Les résultats favorables de la récente exposition de Gand attestent que, malgré une longue adversité, ces populations n'ont rien perdu de leur aptitude et de leur énergie.

« La chambre s'associe au sentiment de bonheur qu'ils ont inspiré au chef de l'Etat et se félicite avec lui d'une amélioration visible dans la situation des districts qui ont le plus souffert. »

La parole est donnée à M. Sinave pour développer son amendement.

M. Sinave. - Messieurs, j'ai examiné avec attention le discours du Trône et le projet d'adresse de la commission.

Si la commission se fût bornée, comme il est d'usage, de rencontrer les paroles royales, je n'aurais à faire sur le paragraphe des Flandres qu'une seule observation concernant l'industrie linière. Mais tout au contraire elle a établi des faits empreints d'un caractère de vérité exagérée que nous désirons tous, mais qui ne se sont pas réalisés encore. S'il faut en croire le projet, tout y est au mieux. Il est dit qu'un succès éclatant a couronné les essais de transformations industrielles dans les Flandres naguère encore en proie à de cruelles souffrances. On ajoute que l'exposition de Gand constate les résultats merveilleux obtenus par ces intéressantes populations.

Je m'abstiens, comme député des Flandres, de tout commentaire sur ces paroles pompeuses et inutiles. Je soumets à la chambre une rédaction nouvelle de ce paragraphe plus en harmonie , je crois, avec le (page 17) discours du Roi, marquant surtout avec plus de précision la position exacte de l'industrie dans ces provinces.

M. le ministre de l'intérieur, depuis la dernière session, s'est sérieusement occupé de la question ; il a exécuté avec succès plusieurs projets utiles, et son infatigable activité le déterminera à prendre, sans hésiter, les mesures propres à relever la grande industrie linière, unique ancre de salut des Flandres.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je dois d'abord remercier l'honorable auteur de la proposition des paroles bienveillantes qu'il vient d'adresser au cabinet. Je constate aussi avec bonheur la transformation qui s'est opérée dans la manière de voir de l'honorable député de Bruges depuis l'année dernière.

L'année dernière, l'honorable député de Bruges traitait d'une manière sévère le cabinet qui, suivant lui, ne faisait pas d'efforts efficaces en faveur des Flandres; cette année, je l'en remercie, il a changé entièrement de langage, et l'amendement qu'il propose ne dit au fond rien de plus ni de moins que le paragraphe proposé par la commission d'adresse ; il y fait mention de l'industrie linière qui, en effet, mérite toujours la première place dans la préoccupation du gouvernement; elle reste et restera la première industrie des Flandres.

Mais en ne la nommant pas, on n'avait pas eu l'intention de laisser supposer qu'elle devait cesser de préoccuper le gouvernement. Si le paragraphe de l'adresse va plus loin peut-être que le discours du Trône, la chambre en fera ce qu'elle voudra. Quant à nous, nous nous sommes bornés à constater les faits tels qu'ils se sont produits ; nous sommes heureux de voir que ces faits n'ont été contestés par personne, ni au sénat, ni à la chambre des représentants, et que l'une et l'autre adresse les reproduisent, non apparemment parce qu'il fût d'usage que l'adresse serait une reproduction littérale du discours du Trône, mais sans doute parce que les chambres ont apprécié la situation du pays comme l'a fait le cabinet.

Ne nous méprenons pas, messieurs, sur la nature des communications qui, à l'ouverture des sessions, s'établissent entre le gouvernement et les chambres; c'est le moment pour les chambres de faire connaître au Trône comme à la nation les sentiments du pays qu'elles représentent. L'adresse n'est pas une simple formalité, une parade inutile ; c'est l'expression de la pensée des chambres ; nous regardons comme très sérieuse la réponse qu'elles font aux communications du gouvernement. Si donc celle de la chambre des représentants est votée telle qu'elle vous est proposée par votre commission; nous y puiserons une nouvelle confiance, un nouveau courage pour continuer à conduire les affaires du pays dans la voie où nous sommes entrés et où nous avons été efficacement secondés par l'une et l'autre chambre.

M. Dedecker. - J'ai aussi un amendement à proposer au paragraphe actuellement en discussion. Je voudrais ajouter un seul mot à la rédaction de la commission. « Le pays a pu constater avec Votre Majesté, dans la récente exposition de Gand, les résultats merveilleux qu'on peut attendre de l'aptitude et de l'énergie...» j'ajouterai ici le mot: « traditionnelles...» de ces intéressantes populations. »

Le but de cette addition, vous le comprenez déjà. Je suis le premier à rendre justice au ministère actuel; il porte un sincère intérêt aux Flandres, comme l'ont fait, du reste, les ministères qui l'ont précédé. Cependant, il ne faut pas que les services rendus par le gouvernement à ces provinces le dispensent d'être juste envers elles; et c'est pour qu'il n'y ait pas de doute à cet égard que je propose d'ajouter après aptitude et énergie le mot traditionnelles.

Ce qui m'a déterminé à proposer cet amendement, c'est que j'ai vu avec peine dans le discours de la Couronne que l'exposition de Gand a révélé l'aptitude et l'énergie de ces populations flamandes si dignes d'intérêt. Révélé! Qui donc avait besoin de cette révélation? Qui donc, en Belgique, a attendu l'exposition de Gand pour apprécier l'aptitude et l'énergie qui ont toujours distingué les populations flamandes? On ne connaît donc pas leur histoire? Ces populations intelligentes et vigoureuses n'ont-elles pas, pendant des siècles, marché à la tête de la civilisation européenne?

Voilà pour leur passé; mais aujourd'hui encore, n'est-ce pas au milieu des populations flamandes que se sont développées les principales industries dont la Belgique peut être fière? L'industrie linière qui est encore la plus importante du pays, n'est-ce pas aux Flandres qu'elle se rattache spécialement par le lien des plus glorieux souvenirs?

N'est-ce pas dans les Flandres que l'industrie agricole a atteint un degré de perfectionnement pratique qu'on n'atteint jusqu'ici dans aucun autre pays?

Ne sont-elles pas le centre de l'industrie cotonnière, dont vous appréciez tous l'importance?

N'est-ce pas dans ces mêmes provinces que se trouve (qu'il me soit permis de le dire) cette admirable ville de Saint-Nicolas, qui, sans aucun subside du gouvernement, par la seule initiative de l'intelligence et de l'énergie de ses industriels, a complètement modifié son industrie, et qui, sous le rapport industriel, marche à la tête de la Belgique entière ? Est-ce que ces progrès datent d'aujourd'hui? Fallait-il donc l'exposition de Gand pour révéler au gouvernement l'aptitude des populations des provinces flamandes?

J'ai parlé de l'aptitude.

Quant à l'énergie des populations flamandes, elle s'est montrée dans la lutte longue et obscure que ces populations ont si héroïquement soutenue contre les mille difficultés de leur pénible position. Ces familles qui travaillaient depuis 5 heures du matin jusqu'à 10 heures du soir, pour gagner un salaire insuffisant, pour satisfaire aux besoins essentiels de leur existence, ces familles qui, au milieu d'une crise alimentaire et d'une crise industrielle réunies, se sont conservées d'une manière vraiment miraculeuse, auriez-vous le triste courage de dire qu'elles ont manqué d'énergie?

Pendant quelque temps et dans quelques parties des Flandres, le travail a manqué : alors il n'y avait naturellement, pas moyen pour ces malheureux ouvriers d'exercer l'activité dont ils sont doués ; alors la mendicité a démoralisé, abruti peut-être quelques victimes de ces chômages forcés.

Mais, y a-t-il là de quoi leur adresser un reproche ? Qu'on les plaigne, mais qu'on ne les accuse pas ; car, partout où un travail quelconque leur a été offert, quelque rebutant, quelque mal rétribué qu'il fût, il a été accepté avec joie, avec reconnaissance, et ces malheureux ont retrouvé les qualités qui les ont de tout temps distingués.

Je ne viens donc pas demander qu'on flatte ces intéressantes populations des Flandres ; ce que je veux, c'est qu'on leur rende justice. C'est bien assez qu'elles aient perdu leur prospérité d'autrefois ; qu'on ne leur enlève du moins pas leur ancienne réputation d'intelligence et d'activité.

J'aime à croire que le gouvernement ne refuse pas cette justice aux populations dont je prends ici la défense.

Je ne doute pas que ce soit aussi la pensée qui a animé la commission d'adresse, qui, elle du moins, a adopté, sous ce rapport, une rédaction, plus conforme aux idées que je viens d'exprimer.

Pour qu'il n'y ait aucun doute à cet égard, je propose d'ajouter aux mots : « aptitude et énergie », le mot : « traditionnelles ».

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'appuie la proposition de l'honorable M. de Decker. Nous sommes parfaitement d'accord. A mon sens, la phrase du discours du Trône est entièrement favorable aux populations flamandes.

La pensée du gouvernement aurait donc été bien dénaturée, si l'on avait vu dans le mot « révélé » l'intention de mettre en doute ce que nous voulions officiellement constater aux yeux du pays entier.

Que nous a-t-on dit des populations flamandes? Qu'en ont dit certains représentants des Flandres? Ils ont dit que les provinces flamandes étaient tombées dans un état d'atonie générale, dans une sorte de marasme. Voilà la situation où l'on a représenté constamment les Flandres. Nous avons été des premiers à déclarer qu'il ne fallait pas désespérer des Flandres. Qu'a-t-on constaté dans l'exposition de Gand? Les résultats de cette aptitude, de cette énergie dont nous n'avons jamais désespéré, et que l'exposition des Flandres est venue en quelque sorte révéler aux yeux du pays. Voilà l'expression suffisamment justifiée.

S'il fallait entrer dans des explications grammaticales, je dirais que la rédaction première portait le mot « constaté », et que c'est pour éviter une répétition qu'on y a substitué le mot « révélé ».

L'honorable M. de Decker a trop d'élévation dans l'esprit pour supposer qu'une phrase, que nous voulions rendre honorable pour les Flandres, renfermât quelque chose de déshonorant en quelque sorte pour les populations, que nous nous sommes fait une loi de relever à leurs propres yeux et aux yeux du pays et de l'étranger. J'admets l'amendement.

M. le Bailly de Tilleghem. - Messieurs, je reconnais volontiers qu'il y a amélioration dans l'état de nos districts liniers des Flandres qui ont le plus souffert des ravages du paupérisme.

Je suis d'autant plus fondé pour en convenir, que j'ai été voir par moi-même l'état des choses dans les différentes localités du district de Thielt dont j'ai l'honneur d'être député.

J'ai fait cette visite avec l'assistance et l'appui des régences communales, et en examinant l'œuvre de l'industrie et de la fabrication dans tous ses détails.

Je me suis demandé, en voyant l'état de nos ouvriers, si la situation malheureuse dans laquelle ils se trouvaient encore il y a tout au plus un an se prolongeait, ou bien, si on était, à cet égard, entré dans une phase nouvelle de progrès.

Je suis obligé d'avouer que la crise flamande a perdu sensiblement de son développement.

La situation de la classe ouvrière de nos districts ruraux, je le répète, est améliorée, par suite d'une protection efficace du gouvernement. Le tissage des toiles, des tissus de lin a repris de l'activité. Le travail se répand dans les campagnes, par suite des subsides nombreux accordés et des ateliers d'apprentissage et de perfectionnement fondés par le gouvernement, et qui impriment réellement un élan à la transformation de l'industrie linière.

Le filage à la main suit le même mouvement, à l'aide des outils perfectionnés.

Le classement et le numérotage du fil s'organise avec un vrai succès à l'aide du dévidoir métrique.

J'ai vu dans des localités les fils fins employés à la fabrication de la batiste.

Enfin l'industrie dentellière et dont les ateliers dans nos communes rurales sont en assez grande partie organisés et dirigés spécialement sous les auspices bienveillants de l'autorité ecclésiatique, se trouve également en voie de progrès satisfaisants; les produits se perfectionnent, (page 16) l'écoulement s'en opère avantageusement et la fabrication offre des ressources pécuniaires au travail de la classe nécessiteuse.

Partout où j'ai été il y a progrès dans la fabrication.

A Thielt principalement, les subsides fournis par le gouvernement ont des résultats si satisfaisants que la mendicité a, en quelque sorte, disparu de la localité.

La fabrication des toiles russias se fait par nos tisserands d'une manière favorable.

En un mot, je dois dire que le travail a repris et qu'en général il y a un mieux-être dans la classe ouvrière.

Pour ce qui me concerne, en relatant ces faits, je paye ici un tribut de reconnaissance à M. le ministre de l'intérieur, ainsi qu'au gouvernement, d'avoir ainsi contribué directement par de louables efforts à améliorer la situation en procurant des ressources aux travaux industriels des Flandres.

Personne ne peut contester la réalité de ce que j'avance; je n'exagère point ! Je dis simplement la vérité.

S'il en était autrement, je proclamerais le contraire avec une entière franchise et avec le même sentiment d'énergie qui m'a inspiré lorsque, dans cette enceinte, j'ai signalé le mal, pour qu'il trouvât un remède, sinon prompt et efficace, du moins un soulagement sensible.

Aujourd'hui je m'estime heureux d'avoir pu me convaincre par moi-même, par suite de ce j'ai vu et rencontré dans les localités que j'ai visitées, que la condition matérielle et morale, et naguère si misérable, du peuple laborieux se relève favorablement.

Toutefois dans l'état actuel des choses comme des individus, je dois dire et exposer que tout n'est pas fait, qu'il reste encore beaucoup à faire.

J'engage M. le ministre de l'intérieur ainsi que le gouvernement, à persévérer dans leurs efforts et dans un système de protections constantes pour parvenir, autant que possible, dans un délai plus ou moins rapproché à procurer à l'industrie flamande une locomotion commerciale, qui, en maintenant d'abord l'activité que la fabrication reprend, puisse en même temps répondre aux besoins de ses éléments productifs, au besoin de développement qu'ils éprouvent.

M. Le Hon, rapporteur. - La commission s'est attachée à caractériser le succès de l'exposition de Gand d'une manière conforme au sentiment public, et elle a voulu même déterminer quel genre d'efforts et de perfectionnement avait obtenu le succès le plus remarquable et fait naître le plus d'espérances.

Elle a cité, sous ce rapport, particulièrement, le résultat des transformations industrielles, si promptement réalisées dans les Flandres, au milieu de tant de privations et de souffrances.

Le projet d'adresse, je le crois fermement, rend une complète justice à l'aptitude et à l'énergie des populations flamandes. A cet égard, le désir de l'honorable M. Dedecker doit être satisfait.

Nous sommes même allés plus loin.

Nous n'avons pas prétendu, comme semble l'avoir compris l'honorable M. Sinave, que les produits exposés à Gand tenaient déjà de la perfection et du merveilleux. Une pareille exagération ne serait pas sérieuse. Nous avons dit simplement que l'exposition de Gand a montré quels résultats merveilleux on pourrait se promettre de l'aptitude et de l'énergie de travailleurs capables en si peu de temps de semblables progrès. Nous y avons puisé la confiance d'un bel avenir, et ce n'est pas l'honorable M. Sinave qui nous blâmera de trop présumer de la persévérance des provinces flamandes.

Nous n'avons pas parlé spécialement de l'industrie linière, parce qu'il est impossible de ne pas voir en elle le principal intérêt des Flandres. Il était difficile de lui accorder une mention particulière, alors que nous n'avons pas une idée bien précise, bien exacte de sa situation actuelle, et surtout de ses débouchés. Il nous a donc paru convenable d'imiter la réserve du discours du Trône. Les termes dans lequels est conçu notre paragraphe emportent avec eux la recommandation la moins équivoque en faveur du travail industriel dans les Flandres, et par conséquent en faveur de l'industrie linière, le premier, le principal intérêt de ces provinces.

- L'amendement de M. Sinave est mis aux voix; il n'est pas adopté. Le sous-amendement de M. de Decker est adopté.

La nouvelle rédaction proposée par M. Le Hon, ainsi sous-amendée, est adoptée.

Paragraphe 7

« Nous sommes satisfaits d'apprendre que le régime postal, voté dans la dernière session, a répondu jusqu'ici aux prévisions du Gouvernement. Les conventions déjà conclues et celles à conclure encore avec les pays étrangers étendront de plus en plus le bienfait d'une réforme si favorable à toutes les relations et à toutes les classes de la société. »

- Adopté.

Paragraphe 8

« Le Roi peut en être assuré : comme dans les sessions précédentes, nous apporterons aux travaux qui nous sont réservés le zèle et le patriotisme que le pays attend de ses mandataires. »

- Adopté.

Paragraphe 9

« En constatant les premiers résultats de la loi sur l’enseignement supérieur, dont le vote a clos notre dernière session, nous espérons que la sanction de l'expérience fera apprécier de plus en plus les améliorations que cette loi renferme. »

- Adopté.

Article 10

« Nous sommes pénétrés de l'importance d'établir définitivement, à tous ses degrés, sur les bases consacrées par la Constitution, et parallèlement à l’enseignement libre, l’enseignement public donné aux frais de l’État. Nous examinerons donc avec toute la maturité qu’exige une matière aussi grave les projets de lois qui nous sont annoncés sur les autres branches de l’enseignement. »

- Adopté.

Article 11

« Nous donnerons la plus sérieuse attention aux modifications qui nous seront proposées sur le Code pénal. Le pays sera heureux de voir mettre en rapport avec ses mœurs et avec les idées de l'époque un système de pénalités, conçu dans un temps déjà loin de nous. »

M. le président. - Voici une nouvelle rédaction proposée par M. le rapporteur :

« Nous accueillerons avec un vif intérêt les modifications qui nous seront proposées sur le Code pénal. Le vœu général appelle, dans cette partie de nos lois, des changements qui mettent en rapport avec les idées de l'époque un système de pénalités conçu dans un temps déjà loin de nous. »

M. Le Hon, rapporteur. - Messieurs, mon amendement n'a d'autre but que de coordonner la rédaction de ce paragraphe avec celle des autres parties du projet. Il y a des répétitions à éviter, et la formule que je vous propose atteint ce but.

M. Dedecker. - Le projet d'adresse porte : « les modifications sur le Code pénal. « A coup sûr, ce sur n'est pas bon; on dit des modifications « au » Code pénal.

M. Le Hon, rapporteur. - On pourrait dire : « Les modifications au Code pénal qui nous seront proposées. »

Messieurs, je suis fâché, je le répète, d'avoir à soutenir une guerre de mots contre l'honorable M. Dedecker ; au reste, elle n'est pas dangereuse. N'en déplaise à l'honorable membre, on fait des modifications au Code pénal; mais on peut proposer des modifications sur le Code pénal, c'est-à-dire au sujet de ce Code; les deux sens sont parfaitement distincts et admettent deux locutions différentes.

La rédaction du projet me paraît à l'abri de la critique de l'honorable M. Dedecker ; mais comme j'ai peu de goût pour les disputes de mots, je fais volontiers le sacrifice du mot sur à la répugnance qu'il paraît lui inspirer.

M. le président. - Je mets aux voix le paragraphe ainsi rédigé : « Nous accueillerons avec un vif intérêt les modifications au Code pénal qui nous seront proposées. Le vœu général, etc. »

- Le paragraphe, ainsi rédigé, est adopté.

Paragraphe 12

« La législature, en effaçant de nos codes la peine de la flétrissure, constatera un progrès que depuis longtemps la mansuétude royale, organe de celle de nos mœurs, avait fait passer dans les pratiques du pays. »

M. le président. - M. le rapporteur présente, par amendement, la rédaction suivante :

« La législature, en effaçant de nos Codes la peine de la flétrissure, sanctionnera un progrès que depuis longtemps la mansuétude royale, expression vraie de notre civilisation et de nos mœurs, avait fait passer dans la pratique du pays. »

M. Le Hon, rapporteur. - La chambre se rappelle peut-être que, dans le projet d'adresse lu à la tribune, ce paragraphe était autrement conçu. Le rapporteur l'avait rédigé dans la pensée que la flétrissure, bien que rarement appliquée depuis 1830, avait néanmoins subsisté, en fait, dans l'exécution des arrêts de la justice criminelle, comme elle existait, en droit, dans le Code pénal. Un membre de la commission crut pouvoir affirmer que, depuis dix-huit ans, le Roi avait toujours fait remise de cette peine, même d'office et sans aucun recours en grâce des condamnés. Le fait ayant été vérifié, il était nécessaire de modifier en ce sens le premier texte du paragraphe.

Il fallait donc le modifier, et c'était sous cette réserve que le projet avait été communiqué à la chambre ; le changement ayant été rédigé rapidement après la séance, j'y remarquai quelques incorrections à la lecture de l'exemplaire qui me fut adressé. C'est pour les faire disparaître que j'ai présenté l'amendement que M. le président vient de vous lire.

- Le paragraphe est adopté avec la nouvelle rédaction proposée par M. le rapporteur.

Paragraphe 13

« La chambre applaudit à l'attention sérieuse apportée par le Gouvernement aux mesures qu'exigent l'expiration prochaine du terme assigné au privilège de la Société Générale, dans les conditions qui régissent aujourd'hui cet établissement, et l'obligation, imposée par la loi de comptabilité, d'organiser le service de l'Etat, avant le 1er janvier 1850. »

- Adopté.

Paragraphe 14

« Les projets de lois sur la caisse d'épargne, sur le crédit foncier et sur la réforme du régime hypothécaire seront de notre pari l'objet d'un examen approfondi. »

M. de Luesemans. - Messieurs, je ne viens pas m'opposer le moins du mode à l'adoption de ce paragraphe; je veux seulement appeler l'attention de M. le ministre des finances sur le complément d'un projet de loi que le gouvernement a annoncé dans le discours du Trône; je veux parler du projet de loi relatif au crédit foncier.

Messieurs, dans le courant de 1848, le gouvernement a fait un appel à tous les agriculteurs et à toutes les personnes qui s'intéressent aux progrès de l'agriculture, à l’effet de s'occuper entre autres choses de rechercher les meilleurs moyens d'arriver à la constitution du crédit agricole. Ces personnes se réunirent en congrès, une discussion eut lieu et des (page 19) vœux furent émis pour la constitution, non seulement du crédit foncier, mais aussi du crédit agricole, qui est autre chose encore, M. le ministre des finances le sait parfaitement.

Toutefois, messieurs, le projet de loi qui nous est annonce révèle de la part du gouvernement, l'intention d'entrer directement dans la voie pratique, dans les faits; je l'en félicite, mais j'appelle son attention sur le développement nécessaire à donner au crédit foncier, afin de faire aussi quelque chose pour l'agriculteur. Je m'explique.

L'agriculture se pratique généralement par deux classes de personnes; les propriétaires et les locataires; il est bien évident que le crédit foncier aura des résultats pratiques très utiles pour les propriétaires, mais il n'en aura aucun pour ceux qui ne possèdent que des récoltes. Eh bien, je ne désespère pas de la possibilité d'appliquer dans une certaine mesure à l'agriculture le système des warrants, afin que le cultivateur puisse obtenir du crédit au moyen des produits du sol qui se trouvent dans ses granges et dans ses greniers.

C'est la seule observation que j'aie à faire, messieurs ; la loi sur le crédit foncier ne sera peut-être pas discutée dans la session actuelle puisqu'elle ne peut venir qu'à la suite de la réforme hypothécaire, dont la discussion sera probablement fort longue. J'ai donc cru faire chose utile en appelant dès à présent l'attention du gouvernement sur la nécessité d'organiser surtout le crédit agricole qui est l'un des moyens de protection les plus efficaces que l'on puisse, d'après moi, donnera l'agriculture.

- Le paragraphe est mis aux voix et adopté.

- Plusieurs membres. - A demain.

Pièces adressées à la chambre

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai l'honneur d'annoncer à la chambre que je dépose l'exposé de la situation du trésor au 1er septembre; déjà ce travail est à l'impression et j'espère qu'il sera très prochainement distribué.

M. le président. - M. le ministre des travaux publics m'a annoncé que son budget pourra aussi être distribué demain ou après-demain.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le budget de la guerre est également à l'impression.

- La séance est levée à 5 heures.