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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 15 décembre 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1848-1849)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 229) M. de Luesemans procède à l'appel nominal à une heure et un quart.

M. A. Vandenpeereboom donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. T'Kint de Naeyer présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre/

« Plusieurs habitants de Herck-Saint-Lambert demandent une augmentation de droits d'entrée sur les céréales, les bestiaux et les bois. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires.


« Plusieurs habitants de Grand-Axhe demandent le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires et l'établissement de droits protecteurs. »

« Même demande de plusieurs habitants d'Ordingen, Petit-Jamine, des membres de la société agricole du canton de Leuze et de plusieurs cultivateurs de ce canton. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Stapleton demande que les administrations communales soient autorisées à faire, sur la pension des militaires, une retenue d'un cinquième jusqu'à l'entier acquittement de leurs dettes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


M. le ministre de la justice transmet à la chambre quatre demandes de naturalisation ordinaire, avec les renseignements relatifs à chacune d'elles.

- Renvoi à la commission des naturalisations.


Le sieur Verwins, chef de station au chemin de fer de l'Etat, fait hommage à la chambre de 115 exemplaires de sa brochure concernant l'amélioration du sort de la classe ouvrière.

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Composition des bureaux de section

Première section

Président : M. Rousselle

Vice-président : M. Deliége

Secrétaire : M. Ansiau

Rapporteur de pétitions : M. H. de Baillet


Deuxième section

Président : M. de Bocarmé

Vice-président : M. de Royer

Secrétaire : M. Thibaut

Rapporteur de pétitions : M. de Perceval


Troisième section

Président : M. Destriveaux

Vice-président : M. Lange

Secrétaire : M. d’Hont

Rapporteur de pétitions : M. Debroux


Quatrième section

Président : M. Le Hon

Vice-président : M. de Renesse

Secrétaire : M. David

Rapporteur de pétitions : M. Pierre


Cinquième section

Président : M. Veydt

Vice-président : M. Lelièvre

Secrétaire : M. Jacques

Rapporteur de pétitions : M. Allard


Sixième section

Président : M. Julliot

Vice-président : M. Tremouroux

Secrétaire : M. Van Iseghem

Rapporteur de pétitions : M. Dumon


M. le président. - Le bureau a nommé la commission pour l'examen du projet de loi concernant la révision du titre préliminaire et du premier livre du Code pénal. Cette commission est composée de MM. Van Hoorebeke, de Decker, d'Hont, Lelièvre, Tesch et de Luesemans.

La commission sera présidée par M. le vice-président Delehaye.

Projet de loi qui érige le hameau de Durnal (Namur) en commune distincte

Rapport de la commission

M. Lelièvre. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi portant création en commune distincte du hameau de Durnal, dépendant aujourd'hui de la commune de Spontin.

- La chambre met ce projet de loi à l'ordre du jour à la suite de ceux qui y sont déjà.

Projet de loi instituant une caisse générale de retraite

Discussion des articles

M. le président. - M. Mercier a présenté à l'article 4 l'amendement suivant :

« Lorsque la masse des placements successifs à la caisse ne produira plus l'intérêt de 4 1/2 p. c, le gouvernement abaissera par arrêté royal le taux des tarifs pour les opérations nouvelles ; la même modification sera faite chaque fois qu'au dernier intérêt établi les placements solderont sans bénéfice. »

Cet amendement sera mis en discussion quand on en viendra à l'article 4.

Article 2

M. le président. - La chambre est arrivée à l'article 2 ainsi conçu :

« Art. 2. Toute personne âgée de dix-huit ans au moins peut, par un versement unique, effectué chez un des receveurs des contributions directes, acquérir une rente viagère différée.

« L'acquisition doit précéder de dix ans au moins l'époque fixée pour l'entrée en jouissance de la rente. »

- La section centrale adopte l'article et il n'y a pas d'amendement.

M. Coomans. - Messieurs, malgré l'assurance que des orateurs ont donnée, que le trésor restera indemne de l'opération délicate que cette loi lui confie, je ne suis pas complètement rassuré à cet égard. Je ne serais pas le moins du monde inquiet, si le malencontreux et dangereux article 8 était écarté. Si la chambre veut courir les risques de cette opération, il me semble au moins que les bénéfices devraient en être laissés aux nationaux seuls ; d'après le projet de loi, les étrangers pourraient participer à la caisse de retraite.

Je voudrais, messieurs, que l'article 2 n'y admît que les Belges, et par conséquent qu'on le rédigeât ainsi : « Toute personne née ou naturalisée Belge, etc. »

J'en fais la proposition.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je demanderai si l'honorable membre entend que les étrangers résidant dans le royaume soient exclus de la participation à la caisse; dans ce cas je combattrais sa proposition.

M. Coomans. - Je vais la rédiger.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, quoique la proposition ne soit pas encore rédigée, je dois dire que, quant aux ouvriers étrangers résidant dans le royaume, ils seront admis à participer à la caisse de retraite comme les autres ouvriers. Il importe à l'ordre public de répandre l'esprit de prévoyance aussi bien parmi les ouvriers étrangers résidant dans le pays que parmi les ouvriers indigènes.

Quant aux ouvriers étrangers, résidant à l'étranger, il est évident qu'ils ne peuvent pas participer à la caisse, car d'après l'article 13 les rentes sont payées par le receveur du ressort dans lequel les rentiers résident et ne sont payées qu'aux rentiers résidant dans le royaume. Je crois même qu'il faudra introduire une modification à cet article en faveur des ouvriers belges qui s'expatrieraient pour un temps, et seraient privés leur de pension de retraite, si l'article 13 restait rédigé comme il l'est.

Je désirerais que l'honorable préopinant retirât sa proposition. Il ne peut pas vouloir que les ouvriers résidant en Belgique, qui y mènent une vie tranquille, qui viennent apporter le fruit de leur industrie, soient dans une position autre que les ouvriers indigènes. Partout où il existe des caisses de prévoyance pour les ouvriers, on ne distingue pas entre les ouvriers indigènes et les ouvriers étrangers. Le nombre de ces derniers sera toujours très limité, eu égard aux ouvriers nationaux. Je pense qu'il importe de les placer dans la même position et de les retenir par le même lien moral.

M. le président. - M. Coomans vient de déposer son amendement. Il propose de dire :

« Tout Belge âgé de 18 ans au moins, etc. »

M. Coomans. - Je reconnais qu'il y a quelque chose de fondé dans l'observation de M. le ministre de l'intérieur. Je voudrais, en effet, ne pas exclure tous les ouvriers étrangers de la participation à la caisse. J'admettrais, jusqu'à certain point, la participation des étrangers; par exemple si les étrangers et particulièrement les ouvriers étrangers résidaient en Belgique depuis un certain temps, je ne verrais pas grand inconvénient à les admettre à la caisse. Mais remarquez que, si vous repoussez mon amendement, les étrangers résidant à l'étranger pourront devenir créanciers de l'Etat belge. Je ne vois pas l'utilité qu'il y aurait pour celui-ci à courir des chances de perte très sérieuses aux yeux de plusieurs d'entre nous, et cela au profit de personnes qui ne sont pas nées et qui ne résident pas en Belgique.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Lisez l'article 13.

M. Coomans. - Mais voici la difficulté. Je ne suis pas en contradiction du tout. Je suppose qu'un étranger, résidant à l'étranger, s'inscrive à la caisse, il en a le droit d'après le projet. Seulement, selon vous, il doit résider en Belgique, pour recevoir la rente. Ne devez-vous pas prévoir le cas de l'étranger prenant part à l'opération, avec la prévision de résider, plus tard, en Belgique ; car je ne puis admettre. (Interruption.)

Je ne saisis pas les interruptions diverses qui éclatent à la fois. Il m'est impossible d'y répondre. Je maintiens ce principe, qu'il ne faut admettre au partage de ce que j'appelle une largesse gouvernementale, que les nationaux, à moins d'accueillir une exception (page 230) dans le sens des explications que l'honorable ministre a données tout a l'heure.

Je dois ajouter que, s'il y a quelque inconvénient, d'après l'honorable ministre, à excepter les ouvriers étrangers de la participation à la caisse, il leur reste tout au moins, comme équivalent, la caisse d'épargne. L'ouvrier qui voudra se rattacher au pays par des liens plus étroits possédera la caisse d'épargne. Mais il me répugne d'accorder à des étrangers une faveur qui peut nous coûter assez cher.

M. Lelièvre. - L'amendement tel qu'il est proposé n'est certes pas admissible. Il en résulterait qu'un étranger, qui aurait même obtenu du gouvernement l'autorisation de résider en Belgique et qui jouirait ainsi des droits civils, ne pourrait pas participer à la caisse. Du reste, il s'agit ici d'un contrat du droit des gens qui doit profiter à tous ceux qui ont une résidence en Belgique et dont les étrangers, qui réunissent cette condition, ne sauraient être exclus.

M. Cans. - L'honorable M. Coomans suppose toujours que le trésor sera grevé par l'institution dont nous nous occupons. Il n'en est rien; d'après les calculs qui ont été faits, la caisse ne doit pas grever le trésor. Elle ne doit ni perdre ni gagner. Si au bout de quelques années les tables de mortalité démontrent que la longévité augmente, on modifiera le tarif. En définitive, la caisse ne doit jamais rien coûter à l'Etat.

L'honorable M. Coomans trouve des inconvénients à ce qu'un étranger verse des capitaux à la caisse, avec l'intention de venir en Belgique, à l'époque fixée pour jouir de la rente. Quel inconvénient cela peut-il présenter? Il serait heureux que beaucoup de rentiers vinssent s'établir en Belgique, les capitaux qu'ils y apporteront ne peuvent être qu'un avantage pour le pays.

M. Lelièvre. - Je propose de dire : « Toute personne âgée de 18 ans au moins, résidant en Belgique. »

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Je ferai remarquer à l'honorable M. Lelièvre que cela résulte de l'article 13.

M. Coomans. - L'article 13 n'est relatif qu'à la perception de la rente ; il ne l'est pas à l'inscription.

Un dernier mot. L'honorable M. Cans voit plutôt un avantage qu'un inconvénient à ce que des ouvriers étrangers fassent ce que je disais tout à l'heure, prennent des inscriptions à la caisse, étant à l'étranger, sauf à venir percevoir leur rente plus tard. Il est bon, dit l'honorable M. Cans, que des rentiers étrangers viennent nous enrichir.

Mais faites attention, messieurs, que ce ne seront pas ces rentiers-là, ces pauvres vieillards qui viendront augmenter la fortune publique. Probablement la plupart d'entre eux n'auront que 100 à 200 fr. de rente, et le supplément nécessaire à leur alimentation sera encore une fois pris sur le pays.

Du reste, je retire mon amendement, en sous-amendant celui de l'honorable M. Lelièvre en ce sens : « Toute personne résidant depuis au moins deux ans en Belgique. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, la caisse de retraite, pour prospérer, a besoin de réunir le plus grand nombre possible de participants. Elle peut être, au point de vue purement financier, une bonne spéculation. On raisonne toujours comme si la caisse de retraite allait faire des libéralités, aux frais de l'Etat, à tous les participants. Il ne s'agit pas de cela. Il est de principe que la caisse doit se suffire à elle-même. Si l'on fait des bénéfices, il en sera disposé, selon moi, dans l'esprit de l'institution elle-même. Voilà, je pense, la destination la meilleure qu'on puisse donner aux profits, s'il y en a, et je crois qu'il y en aura.

Messieurs, une des causes de la prospérité de l'institution réside dans la simplification de ses procédés. Si vous augmentez les formalités, vous augmenterez aussi beaucoup les frais.

D'où vient cette espèce de défiance contre un ouvrier étranger qui vient s'établir dans le pays? Pourquoi ne pas le rattacher, le plus tôt possible, au pays même? Eh bien, en le mettant sur la même ligne que les ouvriers nationaux, vous le rattachez immédiatement aux intérêts du pays. A quoi bon attendre deux années ?

On vient de parler avec une sorte de dédain des petits rentiers à 100 et 200 fr. Je crois qu'un ouvrier qui possède une rente de 100 et de 200 fr., garantie par l'Etat, est un rentier tout aussi conservateur que tel autre qui possède 5 et 10 mille francs de rente. Et c'est là un des grands résultats de la loi : elle transforme en rentiers, en petits rentiers si vous voulez, c'est-à-dire en citoyens attachés par un intérêt quelconque au maintien de l'ordre, un grand nombre d'habitants qui se trouvent aujourd'hui sans lien avec l'Etat.

Ainsi, loin de craindre la résidence dans le pays, de quelques ouvriers étrangers qui viendraient s'y établir à titre de rentiers à 100 fr. de rente, je dis que nous ne devons pas repousser de pareils étrangers.

Messieurs, ne donnons pas à d'autres pays l'exemple de cette espèce d'esprit inhospitalier vis-à-vis des ouvriers. Rappelez-vous que naguère encore, il y a à peine deux ans, les ouvriers belges répandus en très grand nombre dans d'autres pays, ont été violemment repoussés. Les Belges, à cause de leur esprit industrieux, vont s'établir en diverses contrées, et nous ne devons pas donner ici un exemple qui pourrait tourner contre nous.

D'ailleurs, messieurs, il ne peut y avoir que des avantages, sous le rapport des intérêts de la caisse, à y appeler le plus grand nombre possible de participants, et au point de vue politique de l'institution, il est utile d'y rattacher le plus tôt possible des ouvriers que vous ne pouvez pas expulser du pays s'ils n'y troublent pas l'ordre. Faites pour eux ce que vous faites pour les ouvriers belges : qu'eux aussi ils soient intéressés au maintien de l'ordre et des institutions.

M. Rousselle. - Messieurs, je me suis levé tout à l'heure pour appuyer l'amendement de M. Lelièvre; ce n'est point par défiance contre les ouvriers étrangers, mais c'est par intérêt pour eux : je ne voudrais pas accepter l'argent d'un ouvrier que, d'un moment à l'autre, la police pourrait expulser du territoire

Je crois donc qu'il importe de n'admettre au bénéfice de la caisse que les étrangers résidants en Belgique en vertu de l'autorisation du gouvernement.

M. Cans. - Il est une observation, messieurs, que je ne puis me dispenser de faire encore. Jusqu'à présent il n'a été question que des étrangers, mais aux termes de l'amendement de M. Lelièvre, les Belges qui travaillent à l'étranger seraient exclus du bénéfice de la caisse.

Beaucoup d'ouvriers belges vont à l'étranger exercer leur industrie avec l'intention de revenir finir leurs jours dans leur pays lorsqu'ils auront amassé un petit pécule. Il n'y a aucune raison de les priver de la faculté de faire fructifier leurs économies à la caisse de retraite. C'est ce qui arriverait cependant si l'amendement était admis ; ce motif suffit, ce me semble, pour le faire repousser.

M. Le Hon. - Messieurs, je trouve un autre inconvénient à l'amendement proposé par l'honorable M. Lelièvre; voici cet inconvénient; c'est qu'un étranger résidant en Belgique depuis deux ou trois ans pourra être forcé, par des événements qui auront affecté l'industrie, de chercher du travail dans un pays voisin ; cette interruption plus ou moins longue de résidence peut avoir lieu aussi de la part de citoyens belges.

Qu'arrivera-t-il si cet étranger, qui vient à quitter le pays, a fait des versements mensuels pendant trois années. Perdra-t-il les sommes qu'il a versées? les confisquerez-vous? Ce serait injuste, autant qu'impolitique. Si vous les lui restituez, vous sortez de l'esprit et du but de la loi : car c'est vous qui empêcherez cet étranger de continuer ses versements et, selon moi, sans aucune raison plausible parce que le plus souvent il ne part pas sans esprit de retour.

L'honorable M. Rousselle a parlé tout à l'heure d'une catégorie d'étrangers qui pourrait se trouver exposée à des mesures d'expulsion. Je crois, messieurs, que ceux-là n'ont pas l'habitude de porter, hors de leur patrie, une grande préoccupation de l'avenir, ni d'y placer des épargnes à long terme; et loin devoir quelque danger à les admettre aux bienfaits de la loi, je pense, au contraire, qu'il y aurait peut-être là un préservatif utile à ces étrangers eux-mêmes.

Ces motifs me paraissent assez sérieux pour repousser l'amendement.

M. Coomans. - Messieurs, il n'est sans doute venu à la pensée d'aucun de vous que je pusse mépriser les petits rentiers. Je ne méprise personne; qu'on ait des rentes grandes ou petites, qu'on en ait ou non, je connais certainement, soit dit sans flatterie populaire, bien des pauvres qui valent bien des riches. Ceci soit dit pour répondre à la supposition faite par M. le ministre de l'intérieur.

Mais quand j'ai dit que je ne voulais pas attirer les petits rentiers à 100, à 200 fr. sur le sol belge, j'ai parlé au point de vue financier où s'était placé l'honorable M. Cans, qui avait été jusqu'à dire que,sous le rapport de la fortune publique, il pouvait être avantageux d'attirer en Belgique les rentiers de ce genre, puisque rentiers il y a. Eh bien, c'est ce que je révoque en doute; ces rentiers à 100, 200 fr., nous amèneront des familles qui seront tout aussi misérables qu'eux; et quelles que soient mes sympathies pour les souffrances des étrangers, j'avoue que nous avons tant de pauvres en Belgique que je veux réserver nos bienfaits pour eux.

Je désire donc, puisque je conserve des craintes au sujet de la portée financière du projet, que les Belges seuls puissent profiter de notre œuvre aléatoire.

Et puis, messieurs, ne convient-il pas de nous réserver au moins cette faculté d'admettre les étrangers à participer à la caisse, ne fût-ce que pour obtenir plus tard la réciprocité de la part des peuples voisins? Si la caisse réussit en Belgique, comme je le désire très sincèrement, d'autres peuples organiseront une semblable caisse ; il n'est pas certain qu'ils y admettront les Belges; au moins réservons-nous la faculté de pouvoir acheter une faveur, puisque faveur il y a, selon vous, en leur accordant une faveur équivalente.

L'objection faite par l'honorable M. Rousselle subsiste. L'honorable M. Le Hon nous dit que ce ne sont pas ceux qui auront participé à la caisse qui s'exposeront à être expulsés. C'est possible en thèse générale. Je crois en effet que ces petits rentiers respecteront les lois. Mais il y aura un intervalle assez grand entre l'inscription à la caisse et la perception de la rente. Les opinions politiques sont mobiles, surtout dans les classes peu éclairées. Qui vous assure qu'un ouvrier laborieux et sage ne deviendra pas à un certain âge un homme digne d'être expulsé du pays? Eh bien, M. le ministre de la justice ne sera-t-il pas placé dans l'alternative, ou de manquer à ses devoirs envers le salut public, en conservant dans le pays un étranger dont la présence peut être dangereuse ; ou de (page 231) commettre un acte d'injustice et de spoliation, en dépouillant l'assuré de sa rente?

Je me rallie à l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, faute de mieux. Cependant, pour ne pas exclure de la caisse les Belges résidant à l'étranger, il faudrait le rédiger ainsi :

« Tout Belge, ou tout étranger résidant depuis deux ans en Belgique...»

M. Lelièvre. - Mon amendement né fait que consacrer le principe déjà écrit dans l'article 13. Il me semble donc qu'il serait préférable de discuter l'article 2 concurremment avec l'article 13, et par conséquent de différer la discussion jusqu'à ce que nous soyons arrivés à ce dernier article.

M. de Brouckere. - Messieurs, il y a deux motifs d'ordres différents pour repousser l'amendement. En premier lieu, chaque fois que quelqu'un se présentera au receveur, il faudra qu'il fasse la preuve qu'il est Belge, ou qu'il réside depuis deux ans en Belgique.

M. Coomans. - Cela est facile.

M. de Brouckere. - Cela n'est pas facile. Vous avez la mauvaise habitude d'interrompre ; je n'interromps jamais que quand on m'interpelle.

Je disais que cette preuve n'est pas facile à faire. Il ne suffit pas de prouver, par un extrait baptistaire qu'on est né en Belgique, pour être Belge. Les Belges peuvent perdre la qualité de Belge ; nous avons une masse de compatriotes qui ont perdu la qualité de Belge; il est une foule de jeunes gens qui vont servir en Algérie ou en Hollande; et à tout moment, je puis le dire parce que j'en ai l'expérience, à tout moment nous trouvons des gens qui sont à charge de la charité publique et qui ont perdu la qualité de Belge.

Eh bien, il faudra prouver, pour qu'il n'y ait pas d'erreur, non seulement qu'on est né en Belgique, mais qu'on a conservé ses droits de Belge. Voilà un inconvénient qui complique l'administration de la caisse.

Voyons s'il n'y a pas autant d'utilité pour la Belgique à admettre l'étranger qui est une fois sur le sol, qu'à admettre le regnicole.

Quand un étranger est une fois en Belgique, s'il tombe dans la misère, il est une charge pour le gouvernement belge : il a droit à des secours publics, et ces secours, il les reçoit à charge de la nation; s'il se marie en Belgique, s'il y procrée des enfants, ces enfants, bien qu'ils soient étrangers, jusqu'à l'âge où ils peuvent déclarer qu'ils veulent être Belges; ces enfants, en vertu de la loi sur le domicile de secours, ont leur domicile dans des communes belges. Il n'y a pas moyen de les renvoyer au-delà des frontières; à part l'humanité, la loi s'y oppose.

Je ne vois pas pourquoi l'étranger, une fois qu'il est sur notre sol, serait privé de la faculté de participer au bienfait de la caisse; nous verrons, à l'article 13, conçu dans un autre ordre d'idées, s'il y a lieu de le maintenir ou de l'amender. Mais je crois qu'il faut, autant que possible, simplifier l'administration de la caisse; je ne pense pas qu'il faille en éloigner qui que ce soit. C'est là le principe qui a dicté l'article 2 du projet de loi.

- La discussion est close.

M. le président. - M. Coomans retire son amendement et se rallie à celui de M. Lclièvre, en ajoutant : « résidant depuis deux ans en Belgique. »

M. Rousselle propose de dire : « résidant par suite d'autorisation du gouvernement. »

Ces sous-amendements et l'amendement de M. Lclièvre sont successivement mis aux voix. Ils ne sont pas adoplés.

L'article 2, tel qu'il est proposé par le gouvernement, est ensuite mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. La femme mariée doit déposer l'autorisation de son mari pour faire, en son nom personnel, l'acquisition de rentes différées.

« En cas de refus de son mari, le juge de paix, les parties entendues ou appelées, peut autoriser la femme ; il le peut également en cas d'absence ou d'éloignement du mari.

« L'autorisation est valable jusqu'à révocation notifiée au receveur chez lequel elle est déposée. Les rentes acquises dans l'intervalle sont propres à la femme, qui seule a le droit de les toucher.

Trois amendements sont proposés à cet article, par MM. Lelièvre, Mercier et Thibaut

L'amendement proposé par M. Lclièvre est ainsi conçu :

« La femme mariée doit déposer l'autorisation de son mari, pour faire, en son nom personnel, l'acquisition de rentes différées.

« En cas de refus de son mari, le juge de paix, les parties entendues ou appelées, peut autoriser la femme; il le peut également eu cas d'absence ou d'éloignement du mari, et généralement lorsque ce dernier, par un motif quelconque, est empêché de manifester légalement sa volonté.

« Cette décision pourra être frappée d'appel devant la chambre du conseil, lorsque la valeur de l'objet contesté excédera les limites de la compétence du juge de paix.

« L'autorisation est valable jusqu'à révocation notifiée au receveur chez lequel elle est déposée. Les rentes acquises dans l'intervalle sont propres à la femme, qui seule a le droit de les toucher.

« Le versement opéré antérieurement au mariage reste propre à celui qui l'a fait.

« Il en esl de même des rentes appartenant aux époux lors du mariage. »

M. Lelièvre. - Le projet énonce qu'en cas d'absence ou d'éloignement du mari, l'autorisation nécessaire à la femme pour acquérir la rente sera accordée par le jugo de paix ; mais l'intervention de la justice peut être requise dans d'autres hypothèses. Par exemple, si le mari est interdit ou mineur ; s il a été condamné pour fait emportant peine afflictive et se trouve ainsi en état d'interdiction légale. C'est pour ce motif que je crois devoir proposer un amendement ayant pour objet de sanctionner l'intervention du juge de paix dans tous les cas où le mari se trouve dans l'impossibilité de manifester légalement sa volonté. Par ce moyen il est obvié à toutes les difficultés qui peuvent se présenter.

Comme je l'ai dit, dans la discussion générale, il me semble nécessaire de permettre le recours contre la décision du juge de paix qui, dans certains cas, peut avoir certaine importance. Le juge d'appel sera le tribunal de première instance siégeant en chambre du conseil. C'est là comme on sait, la juridiction supérieure qui connaît des appels dont sont frappées les décisions portées par les juges de paix.

Du reste, ordinairemenl aucun débat sérieux ne se présentera. C'est ce qui me fait préférer en premier ressort la juridiction du juge de paix, toute paternelle et entraînant peu de frais, à l'intervention du tribunal qui donnerait lieu à des dépensés plus considérables.

J'ajoute que le juge de paix est plus à même de vérifier les faits qui, dans des affaires de cette nature, doivent amener une décision équitable. Ce magistrat se trouve sur les lieux, connaît mieux les parties et les circonstances qui doivent faire apprécier le mérite de la demande de l'épouse. Sous ce rapport je pense que le système proposé par la section centrale, et modelé sur la loi française, mérite votre assentiment.

J'arrive maintenant à la troisième partie de mon amendement.

Il est évident, messieurs, qu'il faut régler le sort des versements opérés par l'un ou l'autre des conjoints avant le mariage. On ne peut, à mon avis, faire entrer en communauté ce qui constitue la propriété particulière du déposant. Sans cela, le fruit des épargnes de la femme serait mis à la merci du mari, qui pourrait arbitrairement disposer d'un pécule dont la loi, par les considérations les plus graves, doit garantir la paisible jouissance à l'épouse. La loi que nous discutons n'atteindrait pas même le but qu'elle se propose, si nous n'imprimions à la propriété particulière dont il s'agit, le caractère spécial tracé par la nature même de l'institution que nous créons.

Ces motifs me déterminent à considérer les versements comme propres à l'époux qui les a effectués et à envisager, sous le même rapport, les rentes appartenant à chacun des conjoints lors du mariage.

Le projet déposé par le gouvernement français, dans la séance du 26 novembre dernier, renferme une disposition analogue; elle me paraît trop conforme à la justice et à la nature des choses pour ne pas être insérée dans la loi actuelle.

Du reste, l'article 3, tel qu'il est proposé parle gouvernement, relativement au droit de la femme d'acquérir des rentes à elle propres pendant le mariage découle déjà de ce principe qui d'après mon amendement sera appliqué dans toute son étendue et avec toutes ses conséquences rigoureuses.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Dans l'intérêt de la discussion, je demande à faire une déclaration. La section centrale, par des motifs qui ont été développés dans le rapport, a cru que dans la pratique la disposition dont il s'agit ne pourrait pas donner lieu à des abus. Cependant pour calmer les scrupules qui ont été manifestés, elle ne voit pas d'inconvénient à se rallier à la première partie de l'amendement de M. Lelièvre, consistant dans les trois premiers paragraphes.

« La femme mariée doit déposer l'autorisation de son mari, pour faire, en son nom personnel, l'acquisition de rentes différées.

« En cas de refus de son mari, le juge de paix, les parties entendues ou appelées, peut autoriser la femme; il le peut également en cas d'absence ou d'éloignement du mari, et généralement lorsque ce dernier, par un motif quelconque, est empêché de manifester légalement sa volonté.

« Cette décision pourra être frappée d'appel devant la chambre du conseil, lorsque la valeur de l'objet conteste excédera les limites de la compétence du juge de paix. »

Nous pensons, quant au reste, que la loi n'a pas besoin de s'en expliquer, et qu'il faut s'en tenir au droit commun.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je me suis concerté avec M. le rapporteur de la section centrale, c'est de commun accord que nous adoptons la partie de l'amendement de M. Lclièvre qu'il a indiquée.

M. le président. - L'amendement proposé par M. Mercier est ainsi conçu :

« Le versement fait pendant le mariage par l'un des deux époux profile séparément à chacun d'eux pour moitié.

« En cas de séparation de corps ou de biens, le versement postérieur profite séparément à l'époux qui l'a opéré.

« En cas d'absence ou d'éloignement de l'un des deux conjoints depuis plus d'une année, le juge de paix pourra, suivant les circonstances, accorder l'autorisation de faire des versements au profit exclusif du déposant.

« § 4. (Celui présenlé par M. Lelièvre, le 11 décembre.) »

M. Mercier. - Dans notre dernière séance j'ai soumis à la chambre quelques considérations pour établir que les intérêts de la femme ne sont pas assez protégés par les dispositions de l'article 3; que les (page 232) garanties qu'on lui donne seront presque toujours illusoires; que, dans les classes que nous avons en vue, l'autorisation du mari est trop forte pour que la femme se permette d'agir contre sa volonté.

En répondant à mes observations, on a dit que c'est la femme qui, en général, dans la classe ouvrière, est la maîtresse du logis ; que c'cst elle qui tient la bourse. Je ne me suis pas trouvé comme l'honorable membre qui m'a fait cette objection, à la tête d'un grand établissement industriel; mais il ne faut pas grand effort de raisonnements pour comprendre que si la femme exerçait l'ascendant qu'il lui attribue sur le mari, nous ne verrions pas dans nos villes, le dimanche et surtout le lundi, cette foule d'ouvriers courir de cabaret en cabaret, et dépenser pendant ces deux jours une grande partie du salaire de toute la semaine.

Si la femme avait cette autorité, ce serait à l'atelier et non au cabaret que tant d'ouvriers passeraient la journée du lundi. La femme tient la bourse, oui, mais il n'y entre que ce que le mari veut bien y mettre.

Les dispositions du projet qui nous est soumis, en ce qui concerne la femme, sont textuellement empruntées à un projet de loi formulé en 1844, en France, sur le même objet.

Depuis lors, de nouvelles réflexions ont été faites ; on a reconnu qu'en fait la position de la femme était abandonnée au caprice du mari. On a prévu que la disposition du projet de 1844 serait presque toujours sans effet, et donnerait lieu à des récriminations dans le ménage. Aussi, le projet présenté à l'assemblée constituante, celui qui a été formulé par le comité du travail à l'assemblée législative, comité qui comprenait dans son sein beaucoup d'industriels, et celui qui a été déposé à la même assemblée par le ministère français, portent tous : « que le versement fait pendant le mariage servira pour moitié à chacun des deux époux. »

C'est, en effet, le seul moyen de garantir les intérêts de la femme.

D'ailleurs, comme dans les classes que nous avons en vue, presque tous les mariages se font sous le régime de la communauté légale, les économies appartiennent aux deux époux, et il est juste qu'aucun d'eux ne soit dépouillé de la part qui lui appartient.

Du reste, c'est pour ce motif qu'en France on a établi cette disposition. Elle peut offrir quelques difficultés d'exécution; mais ces difficultés ne sont pas insurmontables.

Si c'est le mari qui dépose, il doit faire connaître son âge et celui de sa femme, les circonstances relatives à chacun d'eux.

Si la rente doit être divisée, le receveur ou celui qui doit faire l'application du tarif n'aura pas grand embarras pour liquider ou payer par moitié.

Dans tous les cas, c'est une mesure équitable. Cette proposition, je l'avais déjà faite à la section centrale. Mais on a objecté qu'un des deux époux pouvait être d'une santé délicate qui fît prévoir qu'il n'arrivât pas au terme fixé pour jouir de la pension. Je réponds que c'est une exception ; qu'en général les dépôts se font quand les époux sont dans la force de l'âge, qu'à cette époque on ne prévoit pas qu'un des époux n'arrivera pas au terme fixé pour jouir de la pension. En tout cas cette circonstance ne se présenterait que très rarement, et ce n'est pas pour les exceptions que se font les lois.

La mesure étant juste dans son principe et tendant à écarter des motifs de discorde dans la famille, j'espère que la chambre voudra bien l'admettre.

- Un membre. - Les droits de la femme sont réglés par le contrat de mariage.

M. Mercier. - Il est évident que, dans la classe dont nous nous occupons, on ne fait pas de contrat de mariage; on se marie sous le régime de la communauté légale, et mon amendement a précisément pour objet de faire respecter cette communauté.

Je fais observer, en terminant, que je suis d'accord avec l'honorable M. Thibaut, pour les deux premiers paragraphes de mon amendement et avec l'honorable M. Lelièvre pour le quatrième.

M. le président. - La parole est à M. Thibaut, pour développer l'amendement suivant qu'il a présenté :

« Art. 3. Le versement opéré antérieurement au mariage reste propre à celui qui l'a fait.

« Celui qui est fait pendant le mariage, par l'un des deux conjoints, profite séparément à chacun d'eux pour moitié.

« En cas d'absence de l'un des conjoints, ou de séparation de biens, le versement postérieur profite exclusivement à celui qui l'a opéré.

« L'acquisition de rentes faite au nom de la femme mariée ou les versements faits par elle, sans autorisation, sont nuls de plein droit.

« L'acquisition de rentes faite au nom d'un mineur par d'autres que le tuteur, est également nulle de plein droit. »

M. Thibaut. - J'ai lu, dans le rapport de la commission qui a élaboré le projet de loi dont nous nous occupons, que le projet entier est dans les deux premiers articles. Cependant les articles qui suivent ont aussi leur importance. Je pense même que c'est au sujet de ces articles que se présentent les questions les plus ardues.

Il faut le remarquer, ces articles renferment l'organisalion de la caisse même. Il ne s'agit pas ici d'une organisation qui, comme beaucoup d'autres, pourrait être améliorée chaque année. Les articles qui nous restent à voter doivent, en quelque sorte, durer éternellement. Il est de notre devoir de concourir de tous nos efforts à les rendre aussi parfaits que possible.

Quant à moi, tout en déclarant ouvertement que j'admets le principe du projet de loi, j'ajouterai que si j'étais appelé à émettre immédiatement un vote sur cette loi, telle qu'elle est conçue dans le projet, je devrais m'abstenir.

Je le regretterais d'autant plus que si nous parvenons à voter une bonne loi, il y aura honneur pour chacun des membres de la représentation nationale à revendiquer la part qu'il y aura prise.

Il ne peut échapper à la chambre que l'amendement que j'ai l'honneur de proposer à l'article 3 est à peu près en tous points conforme aux prescriptions du Code civil.

Je n'ai pas besoin de parler du premier paragraphe. Il est tout entier dans les amendements des honorables MM. Lelièvre et Mercier. Ces honorables membres ont parfaitement justifié cette disposition.

Du reste, la section centrale a déclaré qu'elle la considérait en quelque sorte comme inutile, parce qu'elle est de droit commun.

Les autres paragraphes de mon amendement résolvent les cas qui peuvent se présenter dans le mariage.

Dans l'ordre logique, la première question à examiner est celle de savoir si une femme mariée peut acquérir des rentes sanr autorisation.

Il est évident que le projet admet la nécessité d'une autorisation pour l'acquisition de rentes à titre onéreux. Mais, d'après les termes du projet, je ne crois pas que l'on puisse inférer la nécessité de l'autorisation pour l'acquisition de rentes à titre gratuit. Nous lisons en effet dans l'article 3 du projet du gouvernement : « La femme mariée doit déposer l'autorisation de son mari, pour faire en son nom personnel, l'acquisition de rentes différées.» Mais vous savez que l'article 12 permet l'acquisition de rentes par un tiers.

Donc, un tiers peut acquérir des rentes pour une femme mariée. Dans ce cas, aucune disposition de la loi n'exige l'autorisation soit du mari, soit de justice, pour accepter le livret où est inscrite la rente qu'on donne à la femme.

Certes, je crois que si l'autorisation est nécessaire dans le cas de l’acquisition de rentes à titre onéreux, elle l'est encore plus dans le cas de l'acquisition à titre gratuit. Vous savez, messieurs, que le Code civil ne permet pas à la femme d'acquérir à titre gratuit, sans l'autorisation de son mari ou de justice. Vous savez aussi que cette disposition est tirée de la Coutume de Paris , où il était ajouté turpis questus vitandi causa.

Le paragraphe a pour but d'exiger l'autorisation dans le cas de l'acquisition à titre gratuit qui, dans tous les cas, doit au moins être mise sur la même ligne que l'acquisition à titre onéreux. Je pense qu'il faut exiger, dans les deux cas, l'autorisation du mari et, à défaut de son autorisation, celle de la justice.

Je pense que quand nous donnons à la justice le droit d'accorder ces autorisations ou de les refuser, il faut le donner à une autorité assez haut placée pour qu'elle soit à l'abri de tout soupçon, même de la part du mari.

Dans le paragraphe 4 de mon amendement je dis ; « L'acquisition de rentes faite au nom d'un mineur par d'autres que le tuteur est également nulle de plein droit. » Il y a, je pense, un excellent motif pour faire exception à la règle posée par l'article 225 du Code civil.

Vous savez qu'aux termes de l'article 225 du Code civil « la nullité fondée sur le défaut d'autorisation ne peut être opposée que par la femme, par le mari, ou par leurs héritiers. » Si cette règle était admise dans les cas spéciaux de la loi dont nous nous occupons, il pourrait arriver que le mari et la femme se prêtassent à ce que la rente fût constituée sans autorisation, afin de demander la restitution des sommes dont il s'agit, s'ils changeaient de résolution.

En ne disant pas que ces versements sont nuls de plein droit, la caisse ne pourrait pas se prévaloir de la nullité résultant du défaut d'autorisation, et je pense qu'il est bon de lui accorder ce droit.

Je dois dire maintenant quelques mots relativement au changement que je propose à l'article du gouvernement, en demandant que l'autorisation qui supplée à celle du mari soit donnée par le tribunal de première instance. C'est cette autorité judiciaire qui, d'après les principes du Code civil, doit suppléer au cas d'absence ou au cas de refus du mari. Je crois, messieurs, que nous ferions bien de nous en référer au droit commun. Il ne faut pas, parce que nous faisons une loi qui ne prend son origine dans aucune loi antérieure, nous séparer complètement des monuments de la législation qui nous ont précédés.

Je pense que nous devons laisser aux magistrats qui, jusqu'à présent, sont chargés dans tous les cas de suppléer à l'autorisation du mari, le droit de suppléer encore, dans les cas de la loi, l'autorisation maritale.

Je me suis exprimé en termes généraux en disant que le défaut d'autorisation rendait les versements nuls, et cette autorisation, je ne l'ai pas définie, parce qu'elle doit être réglée par les principes du Code civil, par les articles 218, 219 et 223 qui prévoient tous les cas sauf le cas de refus, le cas d'absence et le cas d'interdiction.

Les versements étant faits, selon les règles posées dans la loi, par un mari ou par la femme mariée, à qui doivent profiter ces versements? D'après l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer, conforme en ce point à celui de l'honorable M. Mercier, les versements profiteraient à chacun des deux époux pour moitié. Je crois que cet amendement est plus conforme aux principes de notre droit actuel et plus conforme aussi à nos moeurs. L'honorable M. Mercier vous l'a déjà dit, on se marie (page 233) d'ordinaire sous le régime de la communauté, et dans les classes inférieures, il est rare qu'on y fasse la moindre dérogation ; car, le plus souvent, on ne fait pas de contrat de mariage. Eh bien ! d'après les règles ordinaires, un versement opéré par l'un des époux profile pour moitié à chacun des conjoints.

Je sais bien qu'on peut m'objecter qu'il arrivera de temps à autre que des contrats de mariage dérogent à la communauté. Mais vous concevez que nous ne pouvons accorder aux receveurs de contributions la mission de se faire représenter les conventions anténuptielles par les personnes qui veulent se procurer une rente ; que nous ne pouvons leur accorder le droit d'interpeller les époux sur ces conventions anténuptielles. Nous devons prévoir ce qui se fait généralement, c'est-à-dire les mariages sous le régime de la communauté.

Je conçois qu'en cas d'absence du mari, il puisse être suppléé à son autorisation par l'intervention de la justice. Mais je ne puis, pour ma part, consentir à ce que la justice, et surtout le juge de paix, puisse suppléer à l'autorisation du mari, en cas de simple éloignement de celui-ci.

Vous savez, messieurs, que la signification de ce terme éloignement n'est pas légalement définie.

Il pourrait donc arriver que ce terme fût interprété différemment par les différents juges de paix; il n'y aurait plus alors d'uniformité. Il pourrait, d'ailleurs, se faire qu'un mari, étant absent depuis un an et quoique donnant régulièrement de ses nouvelles, ne serait pas consulté sur des placements que voudrait faire sa femme. Il me semble qu'il y aurait là un grave danger ; et cependant d'après les dispositions du projet, la femme pourrait, dans ce cas, en appeler au juge de paix et demander l'autorisation de contracter pour ses propres intérêts et en son nom personnel.

Il y a aussi un motif moral à ce qu'une semblable autorisation ne puisse être accordée par le juge de paix, lorsque le mari est simplement éloigné.

Messieurs, je n'ai plus qu'un mot à dire relativement au dernier paragraphe de mon amendement. Je demande que l'acquisition de rentes faite au nom d'un mineur par d'autres que le tuteur, soit également nulle de plein droit.

Vous n'avez en effet que, d'après le Code civil, le mineur est incapable de poser un acte; que, notamment pour le cas d'acquisition à titre gratuit, non seulement le tuteur ne peut accepter de sa propre autorité la donation faite au mineur, mais qu'il faut l'autorisation du conseil de famille. Le même cas se présente ici que pour le défaut d'autorisation à accorder à la femme mariée. La nullité résultant de ce défaut d'autorisation pourrait être invoquée par le mineur. Mais si l'on ne déclare pas le versement nul de plein droit, la caisse ne pourrait se prévaloir de cette nullité.

M. le président. - M. de Liedekerke vient de déposer un amendement. Il est ainsi conçu :

« Le versement fait antérieurement au mariage reste propre à celui qui l'a fait.

« Le versement fait pendant le mariage par l'un des deux conjoints profite séparément à chacun d'eux par moitié.

« Cependant, en cas de séparation de biens ou de séparation de corps, le versement postérieur profite séparément à celui des deux époux qui l'a fait.

« En cas d'absence ou d'éloignement de l'un des deux époux, ou généralement quand le mari, par un motif quelconque, est empêché de manifester légalement sa volonté, le juge de paix pourra, suivant les cas, accorder l'autorisation de faire des versements au profit séparé du déposant.

« Il pourra être fait appel de cette décision devant la chambre du conseil. »

La parole est à M. de Liedekerke pour développer son amendement.

M. de Liedekerke. - Messieurs, l'amendement que je viens de proposer n'est pas précisément un amendement nouveau; mais il tend à opérer la fusion entre l'amendement de l'honorable M. Mercier et celui de l'honorable M. Lelièvre. L'amendement de l'honorable M. Mercier dit ce que ne dit pas tout à fait l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, et réciproquement.

Tout le monde paraît être d'accord, si j'en juge par les paroles que vient de prononcer M. le rapporteur, pour reconnaître que l'article primitif du gouvernement est trop absolu. En effet, je crois que la faculté donnée à la femme, en cas de refus du mari, d'en appeler toujours au juge de paix, peut être une source de divisions, une source de scissions dans les ménages. Il me paraît difficile que lorsque, pour un refus qu'aura pu faire le mari, la femme en appellera au juge de paix, il n'en reste pas quelque trace dans le ménage, il n'en reste pas une sorte d'éloignement au foyer domestique.

Je borne à trois, comme d'honorables collègues, les cas où la femme pourra obtenir la permission de faire des versements sans l'autorisation du mari : ceux où, soit par suite d'éloignement, ou par suite d'absence, ou par suite de force majeure, le mari ne pourra pas faire valoir légalement sa volonté.

Ensuite, il me paraît qu'il est dans l'esprit du mariage, dans l'esprit de nos lois et de la dignité du mariage, que les versements faits par la femme ou par le mari profitent à chacun d'eux par moitié. Il me semble que si vous admettez les dépôts faits au profit d'un seul des conjoints, il pourrait en naitre une sorte d'espérance égoïste en faveur de l'un ou de l'autre des époux.

Si la chambre veut bien me le permettre, je lui lirai un passage d'un rapport fait, en France, par le ministre des finances et qui correspond à l'extrait du rapport de 1844 que l'honorable rapporteur a cité. Voici ce que disait le ministre des finances :

« J'ai dit que le projet ne répond pas au sentiment, au besoin de la famille. Qu'offre-t-on, en effet, à la femme? Le droit de traiter séparément à son profit, de posséder distinctement de son mari, et de se créer des droits personnels aux dépens de la communauté; mais ne voit-on pas qu'un tel système est en opposition avec les bases mêmes du Code civil? Et ne craint-on pas le soulèvement d'opinions que de pareilles dérogations doivent nécessairement provoquer? »

M. de Lamartine, examinant le même projet, disait qu'il fallait en effacer les dispositions dangereuses à l'esprit de famille, à, l'unité d'intérêt enlre le mari et la femme, entre le père et les enfants.

Je crois, messieurs, que l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer concilie ce qu'il y a de bon dans les amendements de MM. Mercier et Lelièvre, et j'y ajoute une disposition qui a pour objet de faire profiler les deux époux des versements faits par chacun d'eux.

M. le président. - La discussion est ouverte sur l'article 3 et les amendements qui s'y rattachent.

M. Delfosse. - Messieurs, je crois que nous ferions bien d'écarter purement et simplement les amendements qui ont pour but de régler les droits respectifs des époux. Notre intention n'est pas, je pense, de modifier, par la loi actuelle, loi toute spéciale, le régime de la communauté établi par le Code civil ou les conventions que les époux ont faites librement entre eux.

Quel est, messieurs, le but du projet de loi? C'est de substituer aux sociétés qui existent, ou qui auraient pu se former, la garantie plus forte et plus durable de l'Etat et de diminuer les frais d'administration. Voilà le but principal du projet de loi.

Quel aurait été le résultat d'un placement effectué par les époux à une caisse de retraite fondée par une société particulière? Leurs droits respectifs auraient sans aucun doute été réglés conformément au Code civil.

Pourquoi n'en serait-il pas de même des placements qui seront effectués en vertu de la loi que nous discutons?

Si nous voulions, messieurs, à propos de cette loi, revoir toutes les dispositions du Code civil relatives au régime de la communauté ou aux conventions que les époux peuvent faire, cela nous conduirait extrêmement loin; nous pourrions discuter pendant des mois entiers. Nous devons limiter la discussion au but spécial que l'on a eu en vue en présentant le projet de loi.

Par cette considération, messieurs, je repousserai tous les amendements dont je viens de parler, sans prétendre les combattre au fond; les idées que quelques-uns de nos honorables collègues veulent faire prévaloir peuvent être bonnes, mais on n'écartera, par le rejet des amendements, que celles qui ne seraient pas conformes aux règles du droit commun.

C'est probablement parce que les auteurs du projet ont pensé comme moi, qu'ils n'ont rien dit, dans l'article 3, qui indique quels seront les effets des versements faits par le mari. On ne dit pas dans l'article 3 si les versement faits par le mari lui seront propres ou s'ils profiteront à la communauté.

D'après les principes du droit commun, auxquels il n'est pas dérogé par l'article 3, la femme profitera de ces versements tout comme le mari. C'est le mari qui touchera la rente, parce qu'il est le maître et l'administrateur de la communauté; et, en outre, en vertu de l'article 12, parce que c'est lui qui aura opéré les versements et qui sera inscrit sur le livret; mais il est évident que la femme profitera de cette rente comme des autres revenus de la communauté.

Il y a cependant, messieurs, une disposition qui semble déroger, en faveur de la femme, au régime de la communauté établie par le Code civil.

La partie finale de l'article 3 porte que les rentes acquises par la femme avec l'autorisation donnée par le mari ou par le juge de paix, sont propres à la femme.

Cette dérogation au droit commun, proposée par la commission, est-elle bonne? C'est une question à examiner ; mais il faut limiter la discussion ; il ne faut pas soulever, à propos de ce projet de loi, toutes les questions qui se rapportent au régime de la communauté établie par le Code civil.

Messieurs, je vous avoue que je ne suis pas très convaincu de l'utilité, de la justice de l'exception que la commission propose en faveur de la femme. Il est possible que les explications qui seront données par l'honorable M. de Brouckere, membre de la commission spéciale, me feront changer d'avis; mais, tant que des explications satisfaisantes n'auront pas été fournies, je ne pourrai admettre cette espèce d'inégalité introduite en faveur de la femme (Interruption.)

L'inégalité, messieurs, est réelle, car si le mari fait des versements, la femme, commune en biens, jouira comme lui de la rente, tandis que le mari ne profiterait en rien des versements effectués par la femme. Je ne pourrai admettre cette inégalité qu'après qu'on m'aura prouvé qu'il y a des motifs sérieux pour déroger ainsi, en faveur de la femme seule, au régime de la communauté légale.

Il est une partie de l'amendement de l'honorable M. Lelièvre que quelques collègues seraient peut-être disposés à adopter, c'est celle qui veut que les versements opérés antérieurement au mariage restent (page 234) propres à celui qui les a faits. Les rentes acquises au moyen de versements faits avant le mariage seraient en quelque sorte considérés comme immeubles, et, à ce titre, elles ne feraient pas partie de la communauté ; il y a, je pense, dans la loi française une disposition analogues. Si cette partie de l'amendement de M. Lelièvre était adoptée, il devrait être entendu que les époux auraient le droit d'y déroger par le contrat de mariage. Bien loin d'interdire une convention qui serait de la part des futurs conjoints une preuve d'affection et du désir de s'aider mutuellement, nous devons, au contraire, l'encourager et y applaudir.

Si la chambre croyait pouvoir adopter l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, il faudrait donc ajouter : « sauf convention contraire. »

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, comme l'a très bien dit l'honorable M. Delfosse, nous n'avons pas dérogé au droit commun ; nous y avons touché par une exception, et l'exception se trouve tout entière dans la loi. Je vais la justifier.

Il s'agissait de savoir des deux choses l'une : si l'on admettrait les rentes sur deux têtes, ou bien si les rentes seraient individuelles?

La question des rentes sur deux têtes a été écartée, parce qu'elle donnait lieu à une complication de tarifs qu'il aurait été très difficile de faire appliquer par tous les receveurs communaux.

Maintenant, s'il y a communauté, la jouissance de la rente est commune, aussi bien dans le cas où elle aura été mise sur la tête du mari, que dans celui où elle aura été mise sur la tête de la femme. Mais l'un peut mourir avant l'autre, et celui qui meurt le premier emporte toute la rente. Nous avons donc voulu que la rente put être mise sur la tête de la femme, aussi bien que sur la tête du mari.

Mais nous sommes sortis du droit commun ; nous avons dit que la femme, à défaut d'autorisation du mari, pouvait recourir au juge de paix. Dans le cours de la session, vous aurez une loi bien plus importante et qui sort également du droit commun relativement à la femme; c'est la loi sur les hypothèques. Le Code civil, malgré tout le respect que j'ai pour lui, est rudement ébréché par le projet qu'on a proposé sur les hypothèques, et il est ébréché dans le même sens...

M. de Theux. - Le projet n'est pas adopté.

M. Ch. de Brouckere. - Le projet actuel n'est pas non plus adopté. Je dis cela parce que, dans la commission qui a rédigé le projet de loi relatif aux hypothèques, il y a eu des jurisconsultes du plus haut mérite : il y avait un professeur de droit de l'université de Louvain et deux conseillers de la cour de cassation et que, dans la commission qui a élaboré le projet de loi en discussion, on pourrait dire que nous n'étions pas forts jurisconsultes ni les uns ni les autres.

Maintenant je dirai que nous nous rallions très volontiers à la partie de l'amendement de l'honorable M. Lelièvre qui ne laisse le juge de paix décider en dernier ressort que quand le cas n'excède pas sa compétence ordinaire.

L'honorable M. Thibaut voudrait restreindre la disposition; il ne voudrait pas même, qu'en cas d'éloignement du mari, la femme put recourir au juge de paix.

Nous allons plus loin; nous ne demandons pas même que le mari soit éloigné. Le Code civil n'est pas abordable pour tout le monde. Dans les classes inférieures, on n'a pas les écus nécessaires pour demander une séparation de corps et de biens ; vous ne voyez jamais d'ouvriers séparés de corps et de biens; mais vous voyez des ouvriers séparés de fait; il y a dans toutes les villes un assez grand nombre de femmes séparées de leurs maris et qu'on appelle femmes abandonnées, et cependant les maris vivent dans la même ville. Eh bien, quand ces femmes sont courageuses, qu'elles élèvent bien leurs enfants, nous voulons leur donner le moyen de placer leurs économies quand elles en ont.

Non seulement, nous ne voulons pas exclure la femme quand le mari est absent, nous ne voulons pas même l'exclure quand le mari est présent. Cela est nécessaire, en présence de nos lois qui ne permettent de parvenir à une séparation de corps ou de biens qu'en ruinant complètement les ouvriers et les artisans.

Messieurs, on vous a présenté des systèmes qui, sur le papier, sont excellents, mais qui, dans la pratique, ne sont pas réalisables. L'honorable M. Mercier vient de dire comment il comprend son amendement; j'avais tourné et retourné cet amendement pour savoir ce que je pouvais en extraire. (Interruption.)

L'honorable M. Mercier dit que ce n'est pas nouveau ; qu'il n'a fait que céder à l'opinion publique. La première fois que l'honorable membre a parlé, il a soutenu que c'était l'opinion publique qui avait provoqué la révision du projet de loi élaboré en France par une commission présidée par M. Molé; il est venu répéter aujourd'hui la même chose. Mais quelle opinion publique? L'opinion publique de quelques membres du comité de travail ; le public s'en est si peu préoccupé que le projet de M. Molé, tout excellent qu'il soit, est resté ignoré pendant des années. Dieu nous garde de jamais être dominés par l'opinion publique qui a dominé un moment chez nos voisins !

Maintenant je dis que l'amendement de l'honorable M. Mercier, qu'on le prenne comme on veut, n'est pas exécutable dans le système du projet de loi. Il faudra refondre le projet. « Les versements, dit l'honorable membre, faits pendant la communauté, seront moitié pour le mari et moitié pour la femme. » Les versements étant moitié pour l'un et moitié pour l'autre, il est impossible de les appliquer tous les deux. D'après le projet, la rente est déterminée, c'est une rente de douze francs; vous comprenez pourquoi! c'est pour faciliter les payements, et pour que tous les mois on ait un certain nombre de francs à payer à tous les rentiers.

Maintenant la somme que placera le mari, qui n'a pas le même âge que la femme, ne correspondra pas à la rente de douze francs ou d'un certain nombre de fois douze francs. Direz-vous qu'il faut faire une rente égale au mari et à la femme ?' Mais si leurs âges sont différents, le capital qu'il faudra verser pour l'un pourra être le double et même le triple du capital qu'on devra verser pour l'autre afin d'avoir la même rente. Est-ce là de la communauté? C'est une inégalité et une inégalité très choquante.

Je le répète, que ce soit la femme qui touche la rente ou que ce soit le mari, s'ils vivent sous le régime de la communauté, elle sera consommée en commun; s'ils sont sous le régime de la séparation de corps et de biens, elle sera consommée par celui des deux époux au nom de qui la rente est constituée; il n'y a ici aucune dérogation aux dispositions du Code civil concernant le mariage; seulement nous avons cru qu'il était préférable de mettre les rentes sur une même tête, pour éviter des complications inexlricables.

M. Delfosse. - Messieurs, j'apprends avec plaisir, par les explications de l'honorable M. de Brouckere, que nous sommes entièrement d'accord sur ce point : qu'il ne faut pas modifier, par la loi actuelle, les droits respectifs des époux, tels qu'ils sont établis par le Code civil.

J'avais cru voir dans la disposition finale de l'article 3 une dérogation à ce système en faveur de la femme et en faveur de la femme seule. Il y avait dans cette disposition quelque chose qui me paraissait contraire au principe d'égalité sur lequel le régime de la communauté repose.

Les explications qui viennent d'être données enlèvent à la disposition finale de l'article 3 la portée dangereuse qu'elle me paraissait avoir; mais si elle n'a pas cette portée, je la considère comme complètement inutile.

Tout ce que la commission a voulu, tout ce que le projet veut, dit l'honorable M. de Brouckere, c'est que des rentes puissent être constituées sur la tête de la femme comme sur celle du mari, afin qu'à la mort de ce dernier la femme ne soit pas privée de tout moyen d'existence. Le premier paragraphe de l'article 3 suffit pour que ce but soit atteint, puisqu'il autorise la femme à acquérir des rentes en son nom personnel.

Il est clair que les rentes acquises au nom personnel de la femme dureront autant qu'elle et ne s'éteindront pas à la mort du mari. Le but de l'honorable M. de Brouckere est donc atteint par le paragraphe premier de l'article 3. Dire ensuite que les rentes acquises dans l'intervalle seront propres à la femme, ce serait aller au-delà de ce but.

Je persiste à demander qu'on écarte de la loi toutes les dispositions qui auraient pour but de réglerles droits respectifs des époux; ces droits doivent être réglés conformément au Code civil ou aux conventions matrimoniales.

Je demande aussi qu'on supprime la dernière disposition de l'article 3 : après les explications de l'honorable M. de Brouckere, cette disposition est inutile ou dangereuse.

L'honorable M. de Brouckere ne s'est pas expliqué sur la partie de l'amendement de M. Lelièvre en vertu de laquelle les versements antérieurs au mariage resteraient propres à celui qui les aurait effectués.

M. Ch. de Brouckere. - Cette disposition ne sert à rien.

M. Delfosse. - Pardon! Si elle n'est pas admise, les versements antérieurs au mariage entreront dans la communauté. Il s'agit de savoir si c'est là ce qu'on veut. C'est une question qu'il faut résoudre.

M. Mercier. - Je ferai d'abord remarquer que le projet auquel j'ai emprunté mon amendement n'a pas pris sa source dans certaines idées qui ont eu cours dans un pays voisin, mais qu'il est l'œuvre d'un comité composé d'hommes éclairés, dévoués à la cause de l'ordre, parmi lesquels se trouvent beaucoup d'industriels qui connaissent parfaitement les besoins et les mœurs des ouvriers ; le rapporteur de ce comité est M. Benoist d'Azy, dont le travail remarquable respire une sympathie et très vive et très intelligente pour les classes laborieuses.

J'ai prévu les difficultés d'exécution dont a parlé l'honorable député de Bruxelles; ces difficultés ne sont pas insurmontables; il y aurait quelques nouveaux tarifs à composer: ainsi, au lieu de s'arrêter à des rentes de 12 fr. seulement, il pourrait y avoir pour les époux des rentes de 6, 8 et 10 fr. ; lorsqu'il y aurait différence d'âge, on égaliserait les mises à très peu près pour obtenir des pensions qui, par suite de cette différence, pourraient ne pas être du même quantum.

L'honorable membre a l'imagination trop fertile pour ne pas trouver très facilement les combinaisons nécessaires pour mettre à exécution un principe juste en lui-même, le seul qui le soit dans l'application.

Ce n'est certes pas une difficulté de tarif qui doive nous arrêter quand il s'agit de faire le bien. Le projet dont nous nous occupons devra d'ailleurs subir quelques jours de retard pour le remaniement du tarif en ce qui concerne le taux de l’intérêt; car je ne puis croire qu'au cours où les fonds belges à 4 et 3 p. c. sont arrivés, la chambre admette l'intérêt de 3 p. c. proposé à l'article 4.

M. de Theux. - Je voudrais adresser une question soit au cabinet, soit à un des membres de la commission.

Quand, pendant le mariage, le mari fait une acquisition, pour qu'elle lui soit propre, il doit prouver qu'elle est faite de ses propres deniers ou en remploi, sans cela elle est censée appartenir à la communauté. Appliquant ces principes à la rente viagère, si le mari a fait purement et simplement l'acquisition d'une rente viagère, à la dissolution de la communauté la rente apparliendrait-elle donc pour moilié au mari survivant et pour l'autre moitié aux héritiers de son épouse? Cette question doit être édaircie, car ces cas sont très fréquents.

(page 235) Il faut que ceux qui feront les payements au nom de la caisse de retraite aient une règle précise, sachent s'ils payeront la totalité de la rente au mari survivant ou seulement la moitié. D'après le droit commun, si le mari a déclaré que l'acquisition de la rente a été faite avec ses deniers propres, les héritiers de la femme doivent être admis à prouver la fausseté de sa déclaration ; et s'ils établissent qu'elle est fausse, il faut qu'ils puissent toucher la moitié de la rente; cette question doit être résolue d'une manière ou d'une autre par la loi.

M. Lelièvre. - Je ne puis partager l'opinion de l'honorable M. Delfosse, qui considère comme inutile la dernière disposition du paragraphe 3. En effet, le paragraphe premier ainsi conçu : « La femme mariée doit déposer l'autorisation de son mari pour faire en son nom personnel l'acquisition de rentes différées » ne fait que sanctionner le droit de la femme de faire l'acquisition ; mais il restait à savoir quelle serait la nature de la rente ainsi acquise des épargnes de l'épouse ; il restait à définir si la femme aurait le droit de toucher cette rente ; (erratum, page 265) ce sont ces questions que résout la disposition finale du paragraphe dont nous nous occupons. En l'absence de pareille prescription, l'époux aurait eu, sous le régime de la communauté légale, le droit de toucher les rentes acquises par la femme, même en son nom personnel. Le but politique que se propose la loi est incompatible avec un pareil résultat. Sous ce rapport, je pense qu'il faut maintenir le paragraphe 3 tel qu'il est proposé par le gouvernement.

M. H. de Brouckere. - Je crois, comme vient de le dire l'honorable M. Lelièvre, que le paragraphe3 doit être partiellement conservé. Il faut au moins stipuler que la femme touchera ; il faut que celui qui a le livret, que celui au nom de qui la rente est constituée puisse la recevoir.

Je dois revenir à cette considération que, dans la classe dont nous nous occupons, il n'y a pas de séparation de corps et de biens, que par conséquent il faut bien que la femme qui est abandonnée par son mari, ou dont le mari est absent, puisse toucher la rente sans être soumise aux formalités judiciaires de l'autorisation. Autrement, vous n'instituez rien du tout.

Comme l'a dit l'honorable M. Delfosse, il est tout simple que le titulaire du livret puisse seul toucher la rente. Si des tiers ont des droits, ils les feront valoir en justice. Mais la rente ne peut être touchée que par le porteur du livret.

Ou il faut faire une œuvre susceptible d'exécution, ou il faut y renoncer complètement. Mettez-vous à la place de ceux qui feront des versements à cette caisse. La section centrale propose un maximum de 900 francs. Mais le plus grand nombre n'achètera que des rentes à 2, 3 ou 4 cents francs, amassés au moyen de mises de quelques centaines de francs. Les gens qui sont dans cette position ne sont pas dans le cas de pouvoir constamment recourir à la justice, ou consulter des avocats dont le ministère, il faut bien le dire, emporterait plus que la valeur du procès.

Je le répète, je trouve que la loi n'est pas susceptible d'exécution, si l'on n'en écarte pas toutes les questions qui peuvent se présenter devant la justice.

Il faut que le titulaire du livret touche la rente, sauf aux créanciers à faire valoir leurs droits devant les tribunaux.

M. de Liedekerke. - Il ne me semble pas que l'on ait rencontré l'argument par lequel j'ai soutenu qu'il y aurait un véritable danger à ce que, dans le cas d'un simple refus, la femme fût se présenter chez le juge de paix, publiât son différend vis-à-vis d'un tiers, vis-à-vis d'une autorité. Il résulterait de cette faculté un germe de division, une véritable discorde dans les ménages.

C'est contre ce paragraphe de l'article 3 que je proteste.

L'honorable préopinant a dit tantôt que si les placements devaient être faits par un des époux au profit des deux époux, il en résulterait une complication telle que le tarif serait impossible; mais j'ai emprunté cette disposition à la loi française. Je ne réclame pas de droits d'auteur pour cet article.

C'est donc une question d'arrangement de tarif, mais il n'y a là aucune impossibilité.

Je le répète, le placement fait par un des deux époux doit profiter aux deux époux. Cela resserrera les liens qui les unissent. Il y a là une idée d'affection, une idée d'intérêt; c'est pourquoi j'insiste sur cet amendement qui est plus conforme à l'esprit, à la religion du mariage.

On dit qu'il faut une œuvre susceptible d'exécution; je crois que la disposition modifiée comme je le propose est parfaitement exécutable.

Je persiste dans mon amendement.

M. Delfosse. - Je comprends très bien que l'honorable M. Lelièvre demande le maintien de la disposition finale de l'article 3. L'honorable membre est conséquent avec lui-même puisqu'il veut que les rentes constituées au nom du mari appartiennent à la communauté, tandis que celles constituées au nom de la femme lui resteraient propres.

Mais l'honorable M. de Brouckere ayant déclaré que l'intention de la commission n'a pas été de toucher au régime de la communauté, au profit de la femme seule, l'honorable M. de Brouckere, dis-je, ne peut appuyer la demande de l'honorable représentant de Namur.

L'honorable M. de Brouckere pense toutefois, que si l'on retranche de l'article la disposition qui porte que les rentes constituées au nom de la femmes lui seront propres, il faut au moins dire que la femme aura seule le droit de les toucher; je ferai remarquer que cela se trouve dans l'article 12 qui est ainsi conçu :

« Les rentes ne seront payées qu'il ceux-là seuls au profil desquels elles seront inscrites. »

Il n'y a donc aucun inconvénient à supprimer tout à fait la disposition finale de l'article 3. L'honorable M. de Brouckere sera, j'en suis sur, le premier à le reconnaître.

M. Thibaut. - Le deuxième paragraphe de l'amendement que j'ai eu l'honneur de proposer est conforme en tous points à un paragraphe des amendements des honorables MM. Mercier et de Liedekerke.

Il est ainsi conçu : « Le versement qui est fait pendant le mariage par l'un des deux conjoints profite séparément à chacun d'eux pour moitié.»

Nous ne sommes pas d'accord, je pense, sur la portée de cet amendement.

Dans mon opinion, voici ce qui se fera : Le mari acquerra une rente, le versement se fera non pas sur deux têtes, mais sur la tête du mari seul; mais lorsqu'il s'agira de toucher la rente, la moitié sera touchée par le mari, la moitié par la femme, ou par ses héritiers, si elle est morte. Dans ce sens la communauté est parfaitement sauvegardée.

Je pense que vous devez admettre ce paragraphe lorsque, dans une autre disposition, vous déclarez que la personne au nom de qui une rente est inscrite peut seule la toucher.

Bien que l'honorable M. de Brouckere ait reconnu que la rente appartient à la communauté, il en résulterait que le mari seul se présenterait pour toucher la rente. Mon amendement empêche le mari d'absorber toute la rente à son profit au préjudice de la communaulé.

M. Lelièvre. - Le système de la commission me paraît si simple, si judicieux, qu'il me semble impossible qu'il ne soit pas admis.

La commission ne porte aucune atteinte aux principes, soit de la communauté légale, soit des autres régimes sous lesquels le mariage a été contracté.

Une seule exception est admise, c'est lorsqu'il s'agit d'une femme qui s'est acquis les versements et les rentes par ses épargnes particulières. Eh bien, il doit en être ainsi dans l'esprit de la loi. Le législateur a pour objet d'encourager le travail et de le protéger. A cette fin, il est essentiel d'assurer, même à l'épouse, le fruit de ses économies. Eh bien, c'est pour ce motif que la loi requiert l'intervention de la justice, qui examinera quelle est l'origine des deniers qui doivent servir aux versements, et elle verra si les fonds proviennent effectivement de l'industrie spéciale de l'épouse; et suivant les circonstances, le juge accordera l'autorisation ou la refusera.

Ne l'oublions pas, ce n'est pas au point de vue du droit strict et rigoureux que nous devons examiner cette question, mais bien en législateurs pénétrés du but de la mesure que nous allons décréter. Sous ce rapport, l'article 3 contient une disposition équitable, qui doit être maintenue.

M. T’Kint de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, d'après les explications que l'honorable M. de Brouckere, président de la commission qui a élaboré le projet de loi, vient de donner, vous avez pu reconnaître qu'il n'est pas entré dans l'esprit des auteurs de la loi, de consacrer par des dispositions expresses tous les corollaires qui découlent du droit commun. Dès lors, les questions de droit doivent, me semble-t-il, être complètement écartées. En effet, messieurs, si la discussion est portée sur ce terrain, il est fort difficile de prévoir où elle peut nous mener. D'autres amendements se présenteront sans aucun doute en foule, surtout dans une question aussi délicate.

En supprimant le dernier paragraphe de l'article, il me semble que tout dissentiment doit cesser, et que les difficultés que les honorables auteurs des amendements redoutent ne peuvent surgir que comme de rares exceptions.

M. Mercier. - On dit que les dispositions du projet consacrent le droit commun.

Mais ne voit-on pas que le plus fort sera libre de verser à son propre compte et que le plus faible pourra ne pas jouir le moins du monde de la rente qui sera acquise? D'ailleurs ces rentes seront incessibles et insaisissables. Comment la femme ou ses enfants viendront-ils revendiquer un droit, lorsque la rente sera sur la tête du mari?

Le droit commun, dans cette circonstance, c'est le régime de la communauté légale des époux; dès lors, pour rester dans le droit commun, il faut que la loi accorde à chacun des époux la moitié de la pension. Toute autre disposition sera faussée dans son application.

M. Tesch. - Messieurs, les membres de la commission venant déclarer qu'ils n'ont pas entendu modifier en droit le régime de la communauté légale, qu'il me soit permis de dire que cela n'est vrai que jusqu'à un certain point, et que, dans la pratique, il y a modification sérieuse, tellement sérieuse qu'évidemment on supprime les droits des héritiers de la femme.

Si l'on ne modifiait en rien le régime de la communauté légale, qu'arriverait-il lorsque la communauté viendrait à se dissoudre? Que, pendant la vie du mari survivant, les héritiers de la femme viendraient à la caisse toucher la moitié de la rente, et que le mari n'en toucherait que l'autre moitié. C'est de cette manière que se ferait le partage, et ainsi les droits de personne ne seraient compromis.

Que propose-t-on, au contraire?

On propose de faire toucher la rente exclusivement par le titulaire, c'est-à-dire par le mari. Or, je dis que c'est là une modification très grave aux principes du droit commun; parce que si le mari n'a pas à toucher plus que sa rente, ce qui se présentera presque toujours, si, comme vous (page 236) prétendez, les ouvriers prennent surtout part à l'institution que vous créez, il arrivera que le mari, pardonnez-moi la trivialité de l'expression, enverra promener les héritiers de la femme.

Ainsi le mari aura tiré de la communauté une somme assez considérable pour faire une acquisition dont il profitera ; et il dépendra de sa bonne foi de toucher, à l'exclusion de tous autres, la rente qu'il se sera créée au détriment du travail des deux époux.

Je dis que c'est là une modification tellement grave, tellement sérieuse au régime qui nous régit, que si des amendements n'y étaient pas apportés, je me verrais forcé de voter contre la loi.

M. Delfosse. - L'honorable M. Tesch nous dit : Si le mari peut seul toucher les rentes constituées en son nom, le droit des héritiers de la femme sera illusoire, car le mari pourra tout retenir et ne rien leur donner.

Messieurs, cela peut arriver dans d'autres cas. Supposez qu'il y ait dans la communauté des effets au porteur? Si le mari les détourne ou les retient, comment les héritiers de la femme pourront-ils en prendre leur part?

Il y a toujours eu, messieurs, et il y aura toujours des cas que le législateur ne peut prévoir, des inconvénients qu'il ne dépend pas de lui de faire entièrement disparaître.

M. de Theux. - Messieurs, il est très vrai, comme l'a dit l'honorable M. Delfosse, que dans l'article 3 il n'est dérogé au régime de la communauté que quant à l'autorisation que la femme peut obtenir du juge de paix de constituer une rente à son profit. Mais sur la question que j'ai adressée à MM. les membres de la commission et au ministère, il a été répondu qu'en aucun cas, à la dissolution de la communauté, les héritiers de la femme ne pourraient toucher la moitié de la rente constituée au profit du mari survivant. Voilà, messieurs, une dérogation fondamentale à la communauté; elle est évidente.

Il est vrai que l'article 3 ne résout pas cette question. Mais l'article 13 la tranche, et je crois que nous ne pouvons accepter la solution qui lui est donnée par l'honorable M. de Brouckere. Car, alors la caisse de retraite qu'on constitue au profit des classes peu aisées, au lieu de tourner à l'avantage de ces classes, amènerait la division dans les familles, l'injustice entre les familles.

Comment, messieurs, le mari qui a le maniement des deniers de la communauté, créée à son profit exclusif un rente viagère; peut-être c'est tout l'avoir; et les héritiers de la femme qui, elle aussi, a contribué à créer cette somme au moyen de laquelle la rente est constituée, n'ont rien ! Messieurs, il faut convenir que c'est là une source d'injustices trop criantes pour qu'on l'admettre.

Il me semble qu'il y a une seule chose à faire en ce point, c'est de modifier l'article 13. Il doit être entendu que les héritiers de la femme, lorsqu'ils se seront fait connaître au bureau du receveur chargé de payer la rente, pourront en toucher la moitié pendant toute la durée de la vie du mari. A la mort de la femme, la rente viagère créée au profit du mari doit être divisée de plein droit entre le mari survivant et les héritiers de la femme.

Je conviens que ceci amène des complications dans l'administration, des difficultés dans les payements. Mais il vaut mieux qu'il existe quelques difficultés, que de donner ouverture à de pareilles injustices.

Je demande donc que l'examen de cette question soit repris à l'article 13 et qu'on ne décide pas, dans cet article, la question contre les héritiers de la femme. Qu'on laisse les choses dans le droit commun, ainsi que le demande l'honorable M. Delfosse. Il ne veut pas déroger à la communauté. Je ne veux pas y déroger non plus. Mais pour cela l'article 13 doit être modifié. Car il donne lieu à la spoliation de la communauté, au profil du mari. Cela est clair comme le jour.

M. de Mérode. - Messieurs, il m'est impossible de voir, comme l'honorable comte de Theux une injustice dans la faculté donnée au mari, de constituer une rente viagère qui doit lui rester après la mort de sa femme. Je ne comprends pas quel droit les héritiers de la femme peuvent avoir à une rente viagère qui a été constituée au moyens des fonds de la communauté; chacun des conjoints doit profiter jusqu'à son dernier jour de ces sortes de rentes. Ils doivent hériter l'un de l'autre de préférence à d'autres parents. Voilà ce qui me semble juste. Je ne suis pas un savant légiste, mais quant à ce qui est juste ou injuste, je crois que je puis en parler toul comme un autre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, il ne faut pas perdre de vue le caractère de la loi. La loi a pour but d'attribuer aux déposants une pension personnelle viagère, incessible et insaisissable. Il pourra arriver, dit-on, que le mari, sur les biens de la communauté, se crée une pension à titre personnel. Messieurs, il peut arriver que le mari, sur les revenus de la communauté, fasse de folles dépenses, sans avoir ensuite à rendre compte à qui que ce soit. Ne vaut-il pas mieux encore que ce droit du mari de disposer des revenus de la communauté tourne à son profit pour lui procurer, dans ses vieux jours, des moyens d'existence, à la décharge de la famille?

La même objection su présente quant aux créanciers : on peut dire aussi, que l'homme ou la femme qui aura versé certaines sommes donnant droit à une rente incessible et insaisissable pourra dépouiller ainsi ses créanciers.

Si vous vouliez, messieurs, appliquer rigoureusement ici toutes les règles du droit civil, prévoir tous les cas, toutes les hypothèses, vous ne viendriez jamais à bout de faire votre loi.

Je ne verrais pas d'inconvénient à retrancher le dernier paragraphe de l'article 3 ; mais je pense qu'il faut maintenir le principe consacré dans cet article ; ce principe n'est, selon moi, qu'une dérogation fort utile et fort juste en soi.

A quelles catégories d'intéressés, messieurs, s'adresse la loi? Précisément aux familles où souvent la séparation entre le mari et la femme existe de fait.

D'ailleurs, de deux choses l'une : ou l'union entre le mari et la femme sera intime, ils feront bon ménage, et, dans ce cas, il y aura entente pour que les versements profitent à tous les deux; ils se mettront d'accord pour se constituer à l'un et à l'autre des rentes personnelles; ou bien ils ne font pas bon ménage, ils vivent séparés par suite de l'inconduite du mari ou par suite de l'inconduite de la femme; eh bien, dans ce cas il est juste qu'au moins celui des époux qui souffre de l'inconduite de l'autre, puisse pour sa vieillesse s'assurer un sort quelque peu supportable.

M. Tesch. - Je ferai remarquer que dans ce système il ne faut pas retrancher le dernier paragraphe de l'article 53 puisqu'il a précisément pour but de prévoir le cas dont vous parlez.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ces questions, messieurs, se représenteront à l'article 12. Je demaude qu'on les ajourne jusqu'à la discussion de cet article.

M. le président. - Si personne ne demande plus la parole, je déclare la discussion close sur l'article et les amendements.

Nous avons quatre amendements. Les amendements de MM. Thibaut, Mercier et de Liedekerke sont ceux qui s'éloignent le plus de la proposition du gouvernement; celui de M. Mercier est à peu près le même que celui de M. Thibaut; la proposition de M. de Liedekerke résume l'amendement de M. Mercier.

Je crois, d'après cela, que si l'amendement de M. Mercier n'était pas adopté, ceux de M. Thibaut et de M. de Liedekerke viendraient à tomber. (Interruption). Du reste rien ne s'oppose à ce qu'on les mette successivement aux voix.

M. Delfosse. - Messieurs, l'objection présentée par l'honorable M. de Theux porte sur l'article 12; j'engage l'honorable membre à attendre, pour faire une proposition, que nous soyons arrivés à cet article.

L'honorable comte de Theux peut, sans le moindre danger pour son opinion, se rallier à l'article 3 tel que je propose de le modifier.

M. Jullien. - Messieurs, l'honorable comte de Mérode vous a dit qu'il y aurait justice à ce que le mari, qui pendant la durée de la communauté, se serait créé une rente viagère en nom personnel, continuât à en percevoir les annuités en nom propre, après la dissolution de la communauté, à l'exclusion des héritiers de sa femme. Eh bien, je n'hésite pas à dire qu'il y aurait là une injustice criante. Savez-vous quel serait le résultat de ce système? Mais ce système aurait pour conséquence d'autoriser le mari à se faire des donations aux dépens de la communauté, et par suite à la dépouiller au détriment des héritiers de l'épouse.

Il y aurait donc, messieurs, injustice bien marquée à admettre le mari à se créer en nom propre, pendant la communauté, des rentes, dont il jouirait après la dissolution de la communauté, à l'exclusion des héritiers de sa femme.

Messieurs, veut-on déroger au droit commun, au principe de la communauté? Qu'on le dise franchement. Veut-on, au contraire, maintenir le droit commun, veut-on ne point innover aux règles de la communauté, veut-on ne porter aucune atteinte aux conventions anténuptielles. aussi sacrées que la communauté même? Eh bien, alors supprimez purement et simplement l'article 3. Le rejet de l'article 3 est le vrai moyen de sortir de la difficulté où la chambre se trouve, en même temps qu'il garantira le respect de droits auxquels on ne peut toucher sans une perturbation grave des intérêts qui s'y lient.

M. Thibaut (sur la position de la question). - Je pense, messieurs , que l'amendement que j'ai eu l'honneur de présenter embrasse le plus de questions : Ceux de MM. Mercier et de Liedekerke sont plus restreints. Il me semble donc que l'on devrait d'abord voter sur le mien; s'il n'est pas admis, on peut encore adopter celui de M. Mercier ou celui de M. de Liedekerke.

M. Mercier. - Messieurs, il y a un paragraphe, qui est commun aux différentes propositions, c'est celui qui porte que les versements faits par l'un des époux profitent à chacun d'eux pour moitié. Je pense qu'il faut voter d'abord sur cette question.

M. Tesch. - Il me semble que la chambre pourrait voter sur cette question de principe-ci :

« La rente profilera-t-elle aux deux époux ou ne profitera-t-elle qu'à celui au nom de qui la rente est constituée?»

M. Delfosse. - On ne peut pas poser ici de question de principe, car nous ne saurions comment répondre; nous répondrions par une fin de non-recevoir ; nous renverrions au Code civil.

(page 237) Je demande qu'on suive le règlement, et qu'on vote sur les amendements.

M. de Theux. - L'honorable M. Delfosse demande qu'on supprime dans le troisième paragraphe de l’article 3 ces mots : « les rentes acquises dans l'intervalle sont propres à la femme qui seule a droit de les toucher ».

Comme corollaire à cet amendement, l'honorable M. Delfosse devrait se rallier à un amendement à l'article 12, amendement qui serait ainsi conçu :

« Sauf néanmoins les droits de la femme et des héritiers, en cas de dissolution de la communauté. »

Dans cette hypothèse, je serais disposé à adopter l'amendement de l'honorable M. Delfosse, comme le plus conforme aux principes généraux et comme se rattachant au système que j'ai défendu. Je voudrais donc qu'on mît d'abord aux voix l'amendement de l'honorable M. Delfosse.

M. Cools. - Messieurs, je crois que la seule manière rationnelle de procéder, c'est d'adopter la proposition de l'honorable M. Tesch. Du moment où nous aurons résolu la question de principe, il en surgira plusieurs autres qui ne sont nullement décidées par le droit commun. Voici une de ces questions qui se présenteront alors immédiatement : « Pour toute constitution de rente pendantle régime de la communauté, délivrera-t-on des livrets par moitié pour l'un et pour l'autre époux? »

M. le président. - On trouve dans les amendements de MM. Thibaut, Delfosse et de Liedekerke une même idée : c'est que le versement fait pendant le mariage par l'un des deux époux, profite séparément à chacun d'eux pour moitié: ne pourrait-on pas commencer par voter sur ce point?

M. Delfosse. - Si l'on devait procéder ainsi, il faudrait que la question fût d'abord posée en ces termes :

« Insérera-t-on dans la loi une disposition réglant les droits des époux? »

Mais je répète qu'il est préférable de voter sur les amendements.

M. Cools. - Messieurs, il ne s'agit nullement de décider ce que l'honorable M. Delfosse vient d'indiquer; il s'agit de résoudre la question de principe, telle qu'elle a été posée par l'honorable M. Tesch.

M. Lelièvre. - Ne votons pas sur des questions de principes, nous n'arriverions à aucun résultat, mais votons sur chacun des amendements et séparément sur chacune des parties de ces amendements. Voyez leur teneur, tous précisent des questions qui peuvent être immédiatement résolues. Ainsi l'amendement de M. Thibaut porte, dans le paragraphe premier :« Le versement antérieurement au mariage reste propre à celui qui l'a fait. » Le second paragraphe énonce : » Celui qui est fait pendant le mariage par l'un des deux conjoints profile séparément à chacun des conjoints. »

On le voit, messieurs, il n'y a rien de plus simple que de voter sur de semblables questions, et il en est de même de tous les autres points que soulèvent les amendements. Je demande donc qu'on suive la marche que je viens d'indiquer et qui est conforme au règlement.

M. Dumortier. - Messieurs, la question est excessivement simple. Lorsque le mari viendra à mourir, la femme aura-t-elle droit à quelque chose, ou n'aura-t-elle rien? C'est une question d'humanité. Il s'agit donc de mettre aux voix on la question de principe ou un amendement qui la résume. Sans quoi il est impossible de voter.

M. le président. - Quand on s'écarte du règlement, on rencontre des difficultés. Il s'agit de voter snr des amendements. Je propose donc à l'assemblée de voter successivement sur les amendements; si on demande la division, on votera par division.

- La proposition de M. le président est adoptée.

M. le président. - Je mets d'abord aux voix l'amendement de M. Mercier.

M. Mercier. - Je demande la division.

M. le président. - Voici le paragraphe premier de l'amendement. « Le versement fait pendant le mariage par l'un des deux époux profite séparément à chacun d'eux pour moitié. »

- Cette disposition, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Mercier. - Les paragraphes suivants de mon amendement étant la conséquence du premier, je les retire.

Les divers paragraphes de la proposition de M. Thibaut sont successivement mis aux voix et rejetés.

M. le président. - La proposition de M. de Liedekerke, qui se composait de parties des amendements de MM. Mercier et Thibaut, vient à tomber.

Je mets aux voix la partie de l'amendement de M. Lelièvre à laquelle le gouvernement et la section centrale se sont ralliés et qui consistent dans les paragraphes suivants :

« La femme mariée doit déposer l'autorisation de son mari, pour faire, en son nom personnel, l'acquisition de rentes différées.

« En cas de refus de son mari, le juge de paix, les parties entendues ou appelées, peut autoriser la femme; il le peut également en cas d'absence ou d'éloignement du mari, et généralement lorsque ce dernier, par un motif quelconque, est empêché de manifester légalement sa volonté.

« Cette décision pourra être frappée d'appel devant la chambre du conseil, lorsque la valeur de l'objet contesté excédera les limites de la compétence du juge de paix.

« L'autorisation est valable jusqu'à révocation notifiée au receveur chez lequel est déposée.»

Cette partie de l'amendement est adoptée.

M. le président. - Je mets le paragraphe suivant aux voix. « Les rentes acquises dans l'intervalle sont propres à la femme qui seule a le droit de les toucher. »

M. Lelièvre. - C'est une disposition que j'ai empruntée au gouvernement.

- Ce paragraphe n'est pas adopté.

M. Lelièvre. - Les autres dispositions viennent à tomber.

- L'ensemble de l'article 3 réduit au quatrième paragraphe de l'amendement auquel le gouvernement et la section centrale se sont ralliés est adopté.

Ordre des travaux de la chambre

M. Dumortier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans la séance d'avant-hier, j'ai eu l'honneur de faire remarquer que la saison avancée de l'année ne paraissait pas permettre de faire à la fois, et cette loi si importante qui nous occupe et celles que nous devons voter avant le 1er janvier. Quand le rapport sur le budget de la guerre fut déposé sur le bureau, vous avez décidé qu'on fixerait le jour de la discussion quand il serait distribué; il l'a été aujourd'hui, je viens demander à l'assemblée de mettre à l'ordre du jour de lundi les projets de loi qui doivent être votés avant le premier janvier et dont nous'avons les rapports : la loi sur les céréales et le budget de la guerre,

Nous n'avons plus que neuf ou dix séances d'ici à la fin de l'année; nous ne pouvons pas, en si peu de temps, terminer la loi qui nous occupe et les lois urgentes; nous avons voté aujourd'hui deux articles, hier nous en avons voté un, et la loi en a 22. Si nous voulons la terminer, ; nous devons renoncer à voter les budgets, malgré la loi de comptabilité et nos devoirs.

Je fais la proposition de mettre à l'ordre du jour de lundi la loi sur les denrées alimentaires ou le budget de la guerre.

M. le président. - La section centrale du budget des voies et : moyens a terminé son travail ce matin: le rapport sera déposé lundi. Nous avons les rapports sur les denrées alimentaires et le budget de la guerre. M. Dumotiier vient de proposer de revenir sur une décision prise par la chambre de terminer le projet de loi sur les faillites, banqueroutes et sursis, avant de s'occuper de la loi sur les céréales; il demande qu'on mette à l'ordre du jour de lundi le budget de la guerre et la loi sur les denrées alimentaires. Je vais consulter la chambre.

M. de Theux. - Il faut avant tout terminer la loi sur les banqueroutes, faillites et sursis, cela ne demandera pas beaucoup de temps.

M. le président. - Je ferai observer que, sur la loi relative aux denrées alimentaires, il y a déjà 23 orateurs inscrits.

M. Delfosse. - J'ajouterai, à ce qu'a dit M. le président, qu'on déposera lundi le rapport sur le budget des travaux publics.

M. Dumortier. - Messieurs, quant à la loi sur les faillites et sursis, comme il ne s'agit plus d'en examiner que quelques dispositions, je pense que la chambre pourra s'en occuper au commencement de l'une de ses séances; c'est d'autant plus nécessaire, que le sénat doit se réunir et que nous pourrons ainsi lui renvoyer une loi importante qui l'occupera en attendant les budgets et la loi sur les céréales qui doivent impérieusement être votés avant la fin de l'année.

M. le président. - Ainsi la proposition tend à suspendre la discussion sur le projet de loi relatif aux caisses d'épargne et à mettre à l'ordre du jour pour lundi le projet de loi relatif aux denrées alimentaires et le budget de la guerre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'époque déjà avancée de l'année ne permet pas, selon moi, d'adopter l'ordre de travaux indiqué par l'honorable M. Dumorlier. Il importe sans doute que les budgets des dépenses soient votés; mais il est absolument indispensable que le budget des voies et moyens soit voté avant le 1er janvier en temps utile pour être porté au sénat. Pour que la discussion sur les budgets des dépenses ne soient pas scindées, on doit donner la priorité au budget des voies et moyens et à la loi sur les denrées alimentaires.

Le budget des voies et moyens a été adopté ce matin en section centrale. Le rapport sera fait lundi, on pourra diseuter immédiatement. Il serait inutile d'entamer d'autres discussions que l'on serait d'ailleurs obligé de scinder.

M. Mercier. - J'admets la proposition de M. le ministre des finances, en la modifiant en ce sens, que toute discussion sera suspendue aussitôt que nous aurons pu prendre connaissance du rapport sur le budget des voies et moyens.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je dois insister pour que la chambre continue à discuter le projet de loi si important qui l'occupe. Je crois que si la chambre (ce qui ne lui manque jamais) continue d'apporter de la bonne volonté à cette discussion, il ne faudra que peu de temps pour la terminer. La discussion générale a absorbé plusieurs jours: les grands principes sont décidés, le gouvernement est d'accord avec la section centrale sur les principales dispositions qui restent à voter. Je ne vois donc pas pourquoi la chambre remettrait la discussion à une époque indéterminée.

Tous ceux qui ont à cœur de doter le pays de l'institution projetée doivent insister pour que la discussion continue. La loi n'est pas longue, au plus trois jours de discussion suffiront si l'on veut être sobre (page 238) d'amendements. Pour faciliter la marche de la discussion, les amendements qui restent encore à voter pourraient être renvoyés à la section centrale. Mais il faudrait que d'ici à lundi la section centrale eût l'obligeance de se réunir. De cette façon, nous pourrions arriver à des conclusions qui abrégeraient de beaucoup les débats. J'insiste pour que l'on continue la discussion du projet de loi.

M. Dumortier. - Je voudrais croire avec M. le ministre de l'intérieur qu'en trois séances nous pourrons terminer cette loi; mais si j'en crois les précédents, il nous faudra un peu plus de temps. Nous avons voté aujourd'hui deux articles, nous en avons voté un hier, il nous en reste 19 à voter. Mais je suppose qu'en trois jours nous puissions finir cette loi, je ferai remarquer à M. le ministre de l'intérieur que la chambre n'a pas trois jours à donner à cette loi, sous peine de ne pas voter les lois qu'elle doit impérieusement voter avant le 1er janvier, et qui sont :

La loi sur les denrées alimentaires, dont le rapport est fait depuis plusieurs jours et dont on peut commencer la discussion, puisqu'il y a déjà 23 orateurs inscrits;

Le budget des voies et moyens.

Le budget de la guerre ;

Le budget des travaux publics ;

La loi sur le contingent de l'armée;

Et les lois, qui ne vous sont pas encore présentées, sur le caissier de l'Etat.

Vous ne pouvez vous séparer sans prendre de résolution sur ces divers projets de loi.

Il est de toute évidence que nous ne pouvons voter toutes ces lois pour le 1er janvier; faisons du moins en sorte d'en voter le plus que nous pouvons.

Que la discussion sur le projet de loi prenne encore trois jours ou en prenne dix, nous arrivons toujours à ce résultat, ou que nous devrons ajourner indéfiniment des lois que la loi sur la comptabilité nous impose l'obligation de voter avant le 1er janvier, ou que nous devrons étrangler la discussion sur des lois de la plus haute importance.

D'un autre côté, la loi sur la caisse de retraite ne perdra rien à ne pas être discutée avant notre retour. Y a-t-il péril en la demeure? Nullement. S'il nous faut trois jours, vous les aurez après la rentrée, voilà toute la différence. Ces trois jours, vous ne pouvez les trouver avant le 1er janvier. En effet, la semaine prochaine, vous aurez six séances, la semaine suivante deux ou trois seulement à cause des fêtes de Noël, vous aurez donc au maximum huit ou neuf séances seulement avant le 1er janvier. Lorsque l'on a aussi peu de séances et autant d'ouvrage devant soi, il faut ajourner ce qui n'est pas urgent pour voter ce qui est urgent.

Je regrette d'être en dissentiment avec M. le ministre de l'intérieur, mais je suis sûr que, mieux éclairé, il reconnaîtra que notre devoir est de voter les lois que j'ai indiquées et que nous ne pouvons y donner le temps et l'attention nécessaires, si nous continuons la discussion sur le projet de loi relatif à la caisse de retraite.

M. Delfosse. - M. le minisire de l'intérieur demande le renvoi à la section centrale des amendements qui ont été imprimés et distribués; je ferai remarquer à M. le ministre que ce renvoi serait sans utilité. Les points sur lesquels ces amendements portent, du moins ceux qui ont quelque importance, ont déjà été examinés par la section centrale, comme on peut le voir dans le rapport de l'honorable M. T'Kint de Naeyer.

Ainsi, l'honorable M. Mercier propose de réduire l'intérêt, de 5 à 4 1/2. Cet amendement a été soumis par l'honorable membre à la section centrale, qui l'a rejeté, et a fait connaître, dans le rapport, les motifs de ce rejet-

D'après un autre amendement, une partie du capital serait remboursée aux héritiers. C'est encore une proposition qui a été examinée et discutée par la section centrale.

Le renvoi de ces propositions à la section centrale ne pourrait que faire perdre du temps.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mon but, en proposant le renvoi à la section centrale, était de faciliter, d'abréger la discussion. Je veux arriver, et je crois que la chambre tout entière, doit vouloir arriver à un résultat.

J'ai supposé trois jours encore de discussion. J'aurais pu limiter la discussion à moins. Je crois que nous pouvons terminer en un jour ou deux les articles qui restent à voter. C'est précisément parce que jusqu'ici la session a peu produit, qu'il ne faut pas interrompre une discussion de cette importance, pour la remettre après les vacances de janvier, lorsque d'autres travaux urgents, plus urgents peut-être, se présenteront.

La chambre est entièrement maîtresse de son temps. Elle peut mesurer le nombre et l'étendue de ses séances à l'étendue de ses occupations. Je ne pense pas qu'il soit indispensable que la chambre aille en vacances le 25 de ce mois.

M. Dumortier. - Je n'ai pas compté là-dessus.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous avez intercalé les vacances entre le 15 et le 31 décembre. Vous avez parlé de 5 ou 6 séances.

M. Dumortier. - J'ai parlé de 9 séances.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - On peut encore avoir 15 séances si on le veut.

J'insiste pour que la séance de lundi soit consacrée à la continuation de la discussion. J'espère que mardi la loi pourra être votée. La plupart des questions, je le répèle, ont été débattues; il y a eu une discussion générale très longue. Si nous devons remettre après les vacances de janvier le vote de cette loi, nous aurons eu une première discussion en pure perte.

L'honorable M. Dumortier veut suivre, paraît-il, pour la loi sur les denrées alimentaires, le même système que pour la loi sur la caisse de retraite. Il vienl de dire : Qu'oncommencc la discussion de la loi sur les denrées alimentaires et qu'on l'interrompe, si l'on veut, pour l'examen des budgets. Mais si vous ne voulez faire des fractions de loi, n'avoir que des demi-discussions, vous perdez votre temps de la manière la plus regrettable.

J'insiste, messieurs, dans l'intérêt des travaux et de la dignité de la chambre, et je m'adresse en particulier, à la grande majorité qui s'est prononcée pour le principe de la loi, j'insiste pour que nous en continuions la discussion lundi.

M. Coomans. - Messieurs, je ne combats pas la proposition de l'honorable ministre. Mais je trouve qu'il assume sur lui une responsabilité bien grande, en insistant pour que la discussion sur le projet de loi dont nous nous occupons soit continuée.

Pour ma part, je n'y vois pas d'obstacle ; mais c'est à ces deux conditions : d'abord, que les projets essentiels et urgents, qui doivent être votés avant le 1er janvier, le soient réellement, et qu'on ne vienne pas nous proposer de les ajourner, sous prétexte que le temps manque ; une seconde condition, qu'il est inutile de poser devant une chambre sérieuse et qui se respecte, c'est que ces projets soient discutés convenablement, loyalement, librement, et qu'on ne vienne pas nous engager d'avance à être sobres d'amendements, à mettre nos amendements en poche, pour faciliter, c'est-à-dire pour étrangler le débat.

Je ne l'entends pas ainsi. Pour ne parler que d'un projet de loi, celui sur les denrées alimentaires, auquel je m'intéresse tout particulièrement, je dis que ce projet doit être discuté loyalement, franchement, complètement, et j'aime à me convaincre que le gouvernement ne viendra pas nous proposer d'ici au 31 décembre de proroger la loi actuelle.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est fait.

M. Coomans. - Je m'explique : j'espère que le gouvernement ne viendra pas nous proposer une prorogation provisoire et dérisoire d'un ou de deux mois, par exemple, sans discussion préalable. Je m'y opposerais de toutes mes forces, car j'ai hâte de vous prouver que le régime actuel est intolérable.

Si le gouvernement est convaincu que tous les projets urgents solennellement promis qu'a énumérés mon honorable ami M. Dumorticr seront discutés sérieusement et votés en temps utile, je ne m'oppose pas à ce qu'on continue lundi la discussion du projet de loi dont nous nous occupons péniblement depuis quatre jours. Au gouvernement incombera la responsabilité des inconvénients qui pourraient en résulter.

(page 236) M. Lelièvre. - (Erratum, page 265) Je propose de continuer lundi la discussion, sauf à voir, après la séance de ce jour, quel pas aura fait le débat.

Remarquez que nous avons voté l'article 3 qui soulevait l'une des discussions les plus longues et les plus importantes. Cet article ayant été adopté, je pense que nous aurions en peu de temps terminé l'examen de la loi entière. Cette marche est préférable. Nous ne laisserons pas inachevé un travail sérieux pour aborder un autre objet.

(page 238) M. Tesch. - Je désirerais que M. le ministre de l'intérieur voulût bien nous expliquer comment il sera possible, si nous continuons l'examen de la loi en discussion, de voter, avant le 1er janvier, les projets qui sont urgents. Je regarde cela comme une véritable impossibilité.

- La chambre, consultée, décide qu'elle continuera lundi la discussion du projet de loi portant institution d'une caisse générale de retraite.

M. le président. - A quelle heure la chambre veut-elle se réunir lundi?

- Plusieurs membres. - A une heure.

- D'autres membres . - A midi.

M. de Liedekerke. - Je propose l'heure du règlement.

M. Delfosse. - Messieurs, l'expérience a prouvé que lorsqu'on fixe la séance du lundi à midi, la chambre se trouve rarement en nombre. Plusieurs de nos collègues vont passer le dimanche dans leur famille ; il faut leur laisser le temps d'arriver.

Je ferai en outre remarquer que plusieurs sections centrales se réunissent lundi matin.

M. Dumortier. - Il est regrettable que ce soit l'honorable M. Delfosse, qui vient de se lever pour que nous continuions la discussion de la loi sur la caisse d'assurances, qui s'oppose maintenant à ce que nous nous réunissions lundi à midi. Si des sections centrales doivent se réunir lundi, que l'honorable M. Delfosse les convoque plus tôt. Mais plus vous voulez surcharger l'ordre du jour, plus vous devez avoir le temps de travailler.

M. Delfosse. - Si l'on décide que la séance de lundi commencera à midi et même plus tôt, je serai présent. Si on le veut, je convoquerai même la section centrale du budget des travaux publics à huit ou neuf heures du matin; mais en quoi cela avancera-t-il les travaux de la chambre, si nous ne sommes pas en nombre?

- La chambre décide qu'elle se réunira lundi à 1 heure.

M. le président. - M. de Theux a déposé un amendement à l'arlicle 12. Cet amendement sera imprimé et distribué.

- La séance est levée à 4 heures et 1/2.