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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 19 décembre 1849

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 267) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à midi et demi. La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier, dont la rédaction est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces suivantes.

« Plusieurs habitants de Saint-Trond demandent le rejet du projet de loi sur les denrées alimentaires et l'établissement de droits protecteurs. »

« Même demande de propriétaires et cultivateurs de Rothem, Rixingen, Henis, Saint-Aubin, Langdorp, Bievene, et des conseils communaux de Hcers, Overrepen et Neerrepen. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Le sieur Dubois demande que le gouvernement prenne toutes les précautions possibles pour éviter les malheurs que la fête artistique du 5 janvier pourrait occasionner. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs industriels et la chambre de commerce de Verviers demandent une loi qui règle la juridiction des ambassadeurs et consuls de Belgique en Orient, en matière civile, commerciale ou criminelle. »

M. de Perceval. - Cette réclamation intéresse le commerce belge; elle traite un objet extrêmement important. J'en demande le renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi de délimitation entre la commune de Lambusart (Hainaut) et celle de Moignelée (Namur)

Rapport de la commission

M. Lelièvre, au nom de la commission qui a examiné le projet de loi relatif à la délimitation des communes de Lambusart et de Moignelée, dépose un rapport supplémentaire sur ce projet de loi.

La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Projet de loi instituant une caisse générale de retraite

Discussion des articles

Article 12

La discussion continue sur l'article 12 et sur l'amendement proposé à cet article par M. de Theux.

M. Jullien. - Dans notre séance d'hier, on s'est étayé sur la discussion qui a eu lieu au sujet de l'article 3 du projet, pour en induire qu'il aurait été dans la pensée de la chambre de consacrer en principe que la rente constituée, soit au profit du mari, soit au profit de la femme, sera propre à chacun des époux.

Je crois que le résultat de la discussion de l'article 3 est complètement contraire à l'interprétation qu'on a donnée à cette disposition.

Vous vous rappelez qu'à l'occasion de l'article 3, l'honorable M. Lelièvre avait déposé deux amendements. L'un de ces amendements portait que les versements faits par l'un des époux antérieurement au mariage lui seraient propres, l'autre que la rente acquise à l'un des époux au moment de la célébration du mariage lui serait également propre. Eh bien, ces deux amendements ont été rejetés.

Vous avez donc voulu déjà que, relativement aux versements antérieurs au mariage, relativement aux rentes acquises à l'un des conjoints au moment du mariage, le système de la communauté prévalût. (erratum, page 299) Si vous ne l'aviez pas ainsi entendu, vous auriez adopté les amendements de l'honorable M. Lelièvre.

En principe, donc, vous avez préjugé qu'il ne serait pas innové au régime de la communauté.

Je vais plus loin : vous avez admis ce principe, nonseulement relativement aux versements opérés par un des époux, antérieurement à la célébration du mariage, et relativement aux rentes acquises au moment du mariage, mais vous l'avez encore admis en ce qui concerne les rentes acquises par la femme pendant le mariage, soit moyennant l'autorisation du mari, soit, dans le cas de refus du mari, moyennant l'autorisation de justice.

Je dis, messieurs, que vous avez encore appliqué à ce troisième cas le principe de non-dérogation à la communauté. Remarquez, en effet, que les auteurs du projet de loi proposaient, eux, par le paragraphe final de l'article 3, de décider la rente acquise par la femme constant le mariage lui serait propre et qu'elle seule aurait le droit de la toucher. Eh bien ! l'honorable M. Delfosse vous a demandé le retranchement du paragraphe, en se fondant, d'après la déclaration de l'honorable M. de Brouckere, sur ce que l'intention de la commission n'avait pas été de toucher au régime de la communauté.

Qu'a fait la chambre? Mais la chambre a écarté le paragraphe final de l'article 3. La chambre a donc voulu laisser sous l'empire du droit commun la question de savoir quel serait le caractère des rentes qui seraient acquises par la femme constant le mariage.

Aujourd'hui, messieurs, que vous demande l'honorable comte de Theux ? Il vous demande de consacrer en termes exprès la pensée qui a présidé à tous vos votes sur l'article 3; il vous demande qu'à l'occasion d'une loi toute spéciale, qu'à l'occasion d'une loi tout exceptionnelle, vous n'alliez pas porter une atteinte au droit commun qui régit l'association conjugale.

Ce qu'il veut, c'est que vous ne décidiez pas en principe que les droits des époux résultant de leurs conventions matrimoniales et du régime de la communauté sous lequel ils se sont mariés, à défaut de ces conventions, seront méconnus. Il vous demande, en un mot, le respect des droits acquis, en les mettant à l'abri de toute rétroactivité.

Pour convaincre la chambre que la rente acquise au nom de l'un des époux devait être considérée et lui rester comme propre, l'honorable ministre des finances s'est appuyé de l'exemple des pensions dont jouissent les fonctionnaires.

Si les pensions dont jouissent les fonctionnaires, vous a-t-il dit, leur sont propres; si les héritiers de l'épouse ne peuvent pas y prétendre part, pourquoi en serait-il autrement lorsqu'il s'agit de rentes constituées au profit du mari à charge de la caisse d'assurance? Pourquoi? Mais parce que ces dernières rentes ont été créées à l'aide de fonds appartenant à la communauté. C'est parce qu'il ne peut dépendre du mari de détourner à son profit personnel les valeurs de la communauté. C'est qu'il ne peut dépendre du mari de se créer des donations au détriment de la communauté.

Lorsqu'il s'agit, au contraire, de pensions accordées à des fonctionnaires comme fonctionnaires, la communauté n'a rien fourni. C'est le gouvernement qui, maître de fixer le traitement et les conditions y attachées, a, d'autorité et sans le concours de la volonté des époux, retenu sur ce traitement les fonds nécessaires pour la création de la pension ; or ces fonds ne sont jamais entrés dans la communauté; cela est si vrai que les héritiers de l'épouse, ne pourraient pas demander qu'il fût fait, de ce chef récompense à la communauté.

En est-il de même lorsque c'est la communauté qui fournit les fonds, soit au mari, soit à la femme, pour se créer des rentes propres ? Evidemment non. On objecte que, dans ce cas, les droits des héritiers seront sauvegardés au moyen de la récompense que devra le conjoint survivant crédirentier ; mais ce droit de récompense peut devenir complètement illusoire. Supposez, messieurs, et cela arrivera très fréquemment dans les ménages d'ouvriers, au profit desquels vous voulez faire cette loi, supposez que l'ouvrier ne possède, pour tout pécule, que la pension viagère dont il jouira; quel sera, messieurs, le recours de la femme ou des héritiers de la femme? En vain demanderaient-ils la récompense des fonds qui ont été distraits de la communauté, il ne leur sera offert aucun gage pour l'exécution de cette obligation du mari; le mari crédirentier aura, de par la loi que vous faites, le droit de toucher exclusivement la rente viagère, il aura le droit de l'encaisser au détriment des héritiers de la femme qui n'auront pas l'ombre d'une garantie pour le contraindre à leur faire part de la portion de la rente à laquelle ils ont droit.

L'amendement de l'honorable comte de Theux tend, messieurs, à prévenir ces graves atteintes aux règles de l'association conjugale. Si vous admettez le principe de l'article 12, dans le sens qu'y attache le gouvernement, le mari pourra dépouiller la communauté à son profit; il pourra faire des donations à son conjoint, pendant le mariage; et ces donations le lieront sans retour; il pourra avantager l'un de ses enfants sans tenir le moins du monde compte de la quotité indisponible : il pourra, et l'honorable M. Tesch l'a fait pressentir hier, il pourra, au préjudice de ses créanciers, se constituer, à lui, des rentes viagères!

Signaler, messieurs, ces côtés dangereux de la loi, c'est vous montrer la haute utilité de l'amendement de l'honorable comte de Theux.

Et que l'on ne vienne pas dire, comme on l'a soutenu hier, que, par cela même que vous avez déclaré la rente incessible et insaisissable, vous avez implicitement reconnu qu'elle ne peut être commune pour moitié au conjoint ou à ses héritiers.

Est-ce là, messieurs, le sens que vous avez attaché à l'article 11 ? ou n'est-il pas évident que ce que vous avez voulu empêcher, c'est le transport conventionnel de la rente par le crédirentier, c'est la saisie de la rente par les créanciers de ce dernier? Mais à coup sûr, vous n'avez point voulu en proscrire la transmission légale, à titre successif, au profit des héritiers de l'un des conjoints.

Nous pensons que c'est s'éloigner de l'esprit des résolutions prises antérieurement par la chambre, que de vouloir y puiser l'intention d'immobiliser les rentes au profit du conjoint au nom duquel elles seront inscrites.

L'honorable M. Lelièvre l'a dit hier : « Continuons d'appliquer le (page 268) principe admis par la chambre à l'occasion de l'article 3. » Moi aussi je dirai : Continuons à appliquer le principe admis par la chambre à l'occasion de l'article 3, et nous arriverons nécessairement au rejet du système que mon honorable ami a proposé dans la séance d'hier. Ce système, vous le condamnerez, si vous reconnaissez avec moi que l'esprit de l'article 3 y résiste entièrement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il me parait que la discussion, à laquelle on veut donner de grandes proportions, est en réalité peu importante, et quelles que soient les résolutions qu'on adopte, elles n'amèneront pas les dangers dont vient de vous entretenir l'honorable M. Jullien.

L'honorable membre s'effraye beaucoup d'une dérogation au droit commun ; il veut qu'on demeure sous l'empire du Code civil sans exception aucune.

Je fais d'abord observer que l'article 3 consacre une première et formelle dérogation aux règles du Code civil. L'article 1426 déclare que les actes faits par la femme, sans le consentement du mari et même avec l'autorisation de la justice, n'engagent pas la communauté. Or, vous avez décidé, par l'article 3, que la femme, sans l'autorisation de son mari, contre son gré, avec l'autorisation de la justice, peut faire une acquisition en son nom personnel.

C'est donc là une dérogation au droit commun. (Interruption.) L'article 3 n'a fait aucune réserve. (Interruption.)

On me dit que cela n'engage pas la communauté : l'article 3 n'a pas pour objet d'autoriser seulement la femme à employer en son nom personnel un bien qui lui serait propre, elle l'autorise à employer , en son nom personnel, même un bien de la communauté ; car il n'y a aucune espèce de restriction. (Assentiment.) C'est donc une exception formelle au droit commun.

L'honorable membre énonce que lorsqu'on a voté l'article 3, on a réservé la question de savoir si la rente serait propre à celui qui l'acquiert, et qu'il a été convenu qu'on reporterait à l'article 12 la discussion sur ce point. Je me trompe : l'honorable préopinant veut soutenir que l'adoption de l'article 3 implique une décision dans le sens de l'opinion qu'il défend.

Mais je dis que cette opinion est inconciliable avec l'article 3 que vous avez voté. On a, à la vérité, retranché le dernier paragraphe, portant que les rentes acquises dans l'intervalle de la révocation de l'autorisation sont propres à la femme qui seule a le droit de les toucher: ce paragraphe ne s'appliquait qu'à cette hypothèse, ne prévoyait qu'un cas particulier.

La première disposition contient formellement le principe: elle déclare que l'acquisition de la rente est faite en nom personnel. Comment voulez-vous qu'une acquisition en nom personnel ne soit pas propre à celui qui l'a faite?

Vous dites dans la loi : L'acquisition pourra être faite par la femme en son nom personnel; plus loin vous dites que la rente est incessible et insaisissable, et en troisième lieu que la rente ne sera payée qu'au porteur du livret.

De ces dispositions ne résulte-il pas que la rente est propre à celui sur la tête de qui elle est constituée?

Mais laissons toutes ces questions à l'écart. Est-il vrai que les époux peuvent stipuler toute espèce de dérogation à la communauté, excepté celles qui seraient contraires aux lois? C'est incontestable. Pourquoi la loi ne stipulerait-elle pas au profit des époux des dérogations semblables, si le législateur reconnaît qu'il y a utilité à le faire ?

La seule question à examiner est celle de savoir si, dans l'intérêt de l'institution, il est utile que la rente soit ainsi constituée. D'après l'article 1497 du Code civil, les époux peuvent stipuler toute espèce de convention modifiant la communauté légale, pourvu qu'elle ne soit pas contraire aux articles 1387, 1388, 1389 et 1390. Examinons donc la question en législateurs et non en jurisconsultes chargés d'appliquer les règles de la communauté; élevons-nous au rôle que nous devons remplir, examinons s'il y a utilité de déroger par la loi aux règles de la communauté! Si les époux, dans un intérêt personnel, peuvent déroger à la communauté légale, le législateur a bien aussi le droit de stipuler une dérogation dans l'intérêt public. Cela posé , quel est le but que vous vous proposez? Que voulez-vous obtenir? Une source de procès, de contestations.

Est-ce le moyen de donner à des collatéraux un recours du chef de récompense, ou peut-être un droit de participation à une rente, contre un malheureux qui aura épargné quelque chose pour se constituer une rente alimentaire pour ses vieux jours ? Si c'est là ce que vous voulez, parlez-moi du droit commun, dites que les tribunaux décideront les contestations qui pourront s'élever.

Est-ce là ce que vous devez faire à l'aide de la caisse de retraite? Non ! vous devez déclarer que la rente est propre à celui qui en opère l'acquisition. Les époux vivent en commun, ils sont en bonne intelligence, ils se préoccupent des moyens de s'assurer des ressources pour leurs vieux jours; le mari fait l'acquisition d'une rente de 200 ou 300 fr., il constitue une rente semblable sur la tête de sa femme en son nom personnel. L'événement venant à se réaliser, ils jouiront d'une manière complète de la rente qu'ils auront constituée, et à la mort de l'un d'eux, les héritiers collatéraux n'auront rien à prétendre sur la rente du survivant.

Et remarquez qu'il n'y a aucun intérêt réel, sérieux à discuter une pareille question. Cela s'appliquera le plus souvent à des sommes minimes, qui ne donneront pas même lieu à contestation, auxquelles on renoncerait évidemment.

Le maximum des rentes possibles à acquérir est de 900 francs. On a raisonné jusqu'à présent comme si les tiers avaient un droit de participation à la rente, ce qui est une erreur manifeste. Tout au plus, en suivant le droit commun, y aurait-il droit exclusivement à une récompense.

En effet, l'article 1437 du Code civil porte :

« Toutes les fois qu'il est pris sur la communauté une somme, soit pour acquitter les dettes ou charges personnelles à l'un des époux, telles que le prix ou partie du prix d'un immeuble à lui propre, ou le rachat de services fonciers, soit pour le recouvrement, la conservation ou l'amélioration de ses biens personnels, et généralement toutes les fois que l'un des époux a tiré un profit personnel des biens de la communauté, il en doit récompense. » (Interruption.)

L'article énonce les divers cas et dispose ensuite d'une manière générale qu'il y aura récompense toutes les fois que l'un des époux aura tiré un profit personnel des biens de la communauté.

Je me place dans la supposition de votre loi : vous décidez dans l'article 3 que l'acquisition sera faite en nom personnel de la femme. Si elle fait l'acquisition avec les biens de la communauté, il est évident qu'elle tire un profit personnel des biens de la communauté. A la mort de l'autre époux, que doit-on à ses héritiers? La récompense. Quelle sera la récompense ? Sera-ce la rente? Sera-ce le bénéfice de l'accumulation des capitaux? Nullement. On devra uniquement une quotité de la somme qui a été versée pour acquérir la rente.

Ainsi cet objet sera si souvent insignifiant, qu'on discute sur une hypothèse qui jamais, on peut le dire, ne se présentera.

L'honorable M. Jullien n'a pas voulu admettre (pas plus que l'honorable M. de Theux à la séance d'hier) l'analogie entre l'acquisition des pensions et l'acquisition des rentes viagères. Eh bien, je soutiens que cette analogie est complète.

Dans l'état de la législation actuelle, on retient à tous les fonctionnaires une somme de 1 p. c. pour venir en dégrèvement de la charge que le gouvernement a acceptée de constituer des pensions; on diminue le traitement des fonctionnaires publics de 1 p. c. qui ne profite plus à la communauté. Cela sert à constituer une pension.

En ce sens, il y a une acquisition à titre onéreux par un véritable prélèvement sur un objet qui tombe en communauté. Donnez-vous quelque droit aux héritiers? Prétendez-vous que les collatéraux ont droit soit à une récompense, soit à une participation à la pension?

L'analogie est bien plus grande lorsqu'il s'agit de pensions servies par les caisses des veuves et orphelins des fonctionnaires publics.

La loi générale des pensions se borne à poser le principe : des règlements postérieurs, constituant une véritable association entre fonctionnaires, a été formée, sous le patronage et la surveillance du gouvernement, sans qu'il puisse être tenu à subsidier la caisse ou à garantir son service, exactement dans les mêmes conditions que la caisse de retraite dont nous nous occupons.

On opère la retenue du premier mois de traitement du fonctionnaire, d'une certaine quotité de toute augmentation de traitement et une retenue permanente sur les traitements. Tout cela est versé à la caisse ; tout cela est prélevé sur un objet qui tombe en communauté. Ces sommes sont données pour acquérir une rente viagère au profit de la femme. C'est évident.

La femme arrive à obtenir, par le décès de son mari, la jouissance d'une pension ainsi acquise, ainsi achetée. Elle n'a pas d'enfants, le mari meurt, que ferez-vous pour les héritiers? Est-ce que les honorables membres admettent qu'ils auront le droit de réclamer de la femme une partie de la pension ou une récompense du chef des biens prélevés sur la communauté pour l'acquisition de la pension? C'est inadmissible.

Je ne vous demande pas de décider autre chose pour la rente acquise dans les mêmes conditions. C'est purement personnel.

M. Tesch. - C'est en dehors de la volonté du conjoint.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. de Theux a fait, à la séance d'hier, la même objection que vient de répéter M. Tesch sous forme d'interruption. On me dit : Ce n'est pas volontaire, c'est forcé. C'est forcé en ce sens qu'ayant accepté la position de fonctionnaire, on s'est soumis aux conditions qui ont été déterminées par les lois et règlements, et par les conventions particulières. Mais il n'y a aucune différence entre la position de celui qui a volontairement accepté ces conditions et la position de celui qui participera à l'association de la caisse des retraites. Dans les deux cas, on tirera un profit personnel des biens de la communauté.

Beaucoup d'assurances existent qui procurent des secours, des avantages, des rentes exactement dans les mêmes conditions. Ainsi, il y a la caisse pour les ouvriers mineurs. Les ouvriers mineurs, par cela seul qu'ils sont employés dans tel ou tel établissement associé à la caisse, sont soumis à un prélèvement sur leur salaire au profit de la caisse. Ils ont accepté volontairement cette retenue. Que ferez-vous des secours ou pensions qui leur seraient ainsi attribués? Est-ce que, dans votre système, cela tombe dans la communauté et donne aux collatéraux le droit de venir prendre une partie du secours institué au profit d'un individu victime d'un accident? Evidemment c'est inadmissible.

Nous demandons en conséquence qu'en ces matières on ne déroge pas à des principes qui sont tirés de l'essence des choses. Ce que nous voulons, c'est qu'un individu puisse acquérir pour lui, pour lui seul dans sa vieillesse, sans partager avec des tiers, avec des collatéraux, une certaine rente qui lui assure l'abri, l'aliment dont il a besoin.

Mais faites tout ce que vous pourrez pour éviter que, par des moyens (page 269) tirés prétendument du droit commun, on ne vienne retirer à cet homme ce qu'il avait voulu se réserver pour sa subsistance.

L'honorable M. Tesch, à la séance d'hier, a posé quelques questions qui lui ont paru fort graves. Il a demandé : Si un failli, un homme en déconfiture détourne une partie de son actif pour acquérir une rente, qu’arrivera-t-il? Si un père, pour éluder la loi relative à la quotité disponible, constitue une rente au profit de l'un de ses enfants, qu'arrivera-t-il?

Messieurs, la solution de ces questions me parait fort simple. Il arrivera que les sommes ainsi détournées devront être restituées.

M. Tesch. - C'est une erreur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a aucune espèce d'erreur ; il y a une vérité évidente. La fraude fait exception à toutes les règles. Vous obtiendrez la restitution des sommes qui auront été ainsi versées ; et si vous voulez éviter qu'il y ait le moindre doute sur ce point, ce n'est pas à l'article 12, c'est à l'article 9 qu'il faut apporter un amendement. L'article 9 énonce certains cas dans lesquels les versements pourront être restitués. Ainsi, on a stipulé dans cet article que si la femme avait déposé des sommes de la communauté sans l'autorisation de son mari ou du juge de paix, ces sommes seraient restituées sans intérêts. Eh bien! les sommes qui auront été détournées en fraude des droits des créanciers, en fraude de la loi, par une fraude quelconque, devront être également restituées. L'individu ne profitera pas de sa fraude; il ne réussira pas à s'enrichir de cette manière au détriment de ses créanciers. Voilà qui me paraît bien simple et qui me paraît conforme à la morale et aux principes du droit. C'est la seule solution admissible; il n'y a rien autre chose à restituer que le capital versé. C'est la seule chose qui ait été détournée, c'est ce qui devra être restitué aux créanciers.

Sous tous ces rapports, je ne pense pas que l'hypothèse dans laquelle nous nous plaçons, celle dans laquelle il s'agit de décider que la rente est propre, est personnelle à celui qui l'acquiert, puisse offrir le moindre inconvénient.

M. Lelièvre. - L'argumentation si brillante de M. le ministre des finances ne me laisse que peu de chose à dire sur la question qui occupe en ce moment la chambre.

D'abord, messieurs, il y a erreur à dire, comme l'honorable M. Jullien, que l'article 3 forme un préjugé en faveur de son système. Loin qu'il en soit ainsi, on pourrait déduire le contraire du rejet de l'amendement de l'honorable M. Mercier qui demandait qu'il fût décrété que les rentes acquises par l'un des époux seraient communes à chacun d'eux par moitié.

Mais, messieurs, il suffit de lire la disposition de l'article 3 pour être convaincu qu'elle renferme la dérogation la plus formelle au régime de la communauté.

Eh effet, elle autorise la femme à acquérir une rente en nom personnel, mais l'acquisition en nom personnel autorisée de la part de l'épouse renferme nécessairement l'idée d'une propriété personnelle.

Ce ne serait plus une rente en nom personnel, si elle entrait en communauté et tombait sous l'administration de l'époux, parce qu'alors elle serait la propriété du mari lui-même comme chef de cette communauté.

Or si l'article 3 a autorisé la femme commune à acquérir une rente personnelle, ne serait-il pas absurde de dénier le même droit à l'époux qui a sur la communauté des droits bien autrement étendus, à celui qui est le maître et seigneur de cette communauté, et de placer ainsi le mari dans une position inférieure à celle de l'épouse?

L'argument déduit de ce qui a lieu relativement aux pensions me paraît irrésistible. D'abord la pension s'acquiert au moyen de retenues qui en réalité sont censées prises sur la communauté (puisque celle-ci en définitive aurait profité des fonds s'ils avaient été soldés par le trésor), mais il y a plus, une pension n'est-elle pas acquise au fonctionnaire comme rémunération de services rendus, comme le fruit d'une industrie spéciale? Or, messieurs, les produits de l'industrie des époux entrent en communauté ; il est donc vrai que la pension s'acquiert à raison de services dont le fruit appartient à la communauté, et cependant on imprime aux pensions le caractère que nous voulons attribuer aux rentes dont il s'agit. Ces rentes ont la nature des pensions, elles sont incessibles et insaisissables comme celles-ci, elles sont donc évidemment soumises aux mêmes principes !

Comme nous l'avons dit, messieurs, ce caractère incessible démontre que la rente n'a pu être communiquée à l'épouse.

L'honorable M. Jullien pense que c'est la cession à titre conventionnel qui est repoussée et non la transmission à titre légal. Mais il oublie que la communauté légale ne régit les droits des époux qu'en vertu de la volonté de ceux-ci, qui sont réputés l'avoir adoptée, par cela même qu'ils ont contracté sans convention matrimoniale expresse, il est donc vrai que c'est dénaturer le caractère incessible de la rente, que de vouloir la rendre commune à la femme qui, définitivement, n'en acquerrait une quotité qu'en vertu de la volonté commune qui a présidé au mariage.

Quant aux inconvénients signalés par l'honorable M. Tesch, et aux hypothèses dont il a parlé dans la séance d'hier, ils ne sont pas de nature à vous arrêter. Les cas de fraude ont toujours été exceptés des dispositions ordinaires, et les intéressés ont en tout événement le droit de poursuivre l'annulation des actes ayant un caractère frauduleux.

Mais, messieurs, l'action en nullité ne pourra pas même être exercée dans tous les cas signalés par l'honorable député d'Arlon.

En effet, en matière de faillite ou de déconfiture, la caisse qui a conclu un contrat à titre onéreux ne sera passible de l'action paulienne que dans le cas où elle aurait eu connaissance de l'insolvabilité du déposant, et, quant à l'action en réduction pour atteinte à la quotité disponible, la caisse se trouvera dans la position d'un tiers détenteur qui ne pourra être poursuivi que subsidiairement après discussion de l'héritier légitime. On ne peut donc proposer un amendement sur une question qui doit être abandonnée à la décision des tribunaux qui la résoudront suivant les circonstances.

Messieurs, il est indispensable que les rentes soient propres (erratum, page 299) et personnelles ; il doit en être ainsi, si l'on ne veut arrêter la marche de l'institution nouvelle, si l'on ne veut créer des complications qui l'empêchent de fonctionner convenablement, et c'est sous ce rapport encore que je repousse le système résultant de l'amendement de l'honorable Mi de Theux.

M. Tesch. - Messieurs, j'ai posé hier, à la fin de la séance, deux questions auxquelles M. le ministre des finances a bien voulu répondre tantôt. Il m'a dit que le droit commun suffisait pour les résoudre.

Je ne puis partager cette manière de voir et je désirerais qu'un amendement fût proposé même par lui, dans le sens de la solution qu'il a donnée.

J'ai dit que les principes du droit commun ne suffisaient pas pour faire disparaître, pour empêcher les inconvénients que j'ai signalés hier, et je vais le démontrer.

Lorsqu'un individu place à la caisse de retraite, lorsque cet individu tire de son patrimoine, qui est grevé des sommes qu'il devrait appliquer au payement de ses dettes, et, qu'au contraire, il applique à se créer une rente, cet individu contracte avec l'Etat un contrat à titre onéreux. Cela est incontestable.

Or, l'Etat qui, lui, est toujours de bonne foi, l'Etat que l'on ne peut pas accuser de collusion avec l'individu, répondrait aux créanciers qui viendraient l'attaquer : Le contrat de rente viagère qui a été contracté, a été contracté conformément à la loi, et je ne suis pas tenu de rembourser la somme qui a été payée en acquisition de la rente. Voilà bien, je pense, les principes du droit commun.

Cela posé, que l'Etat n'est pas tenu de rendre le prix qui lui a été versé en acquisition d'une rente, nous nous trouvons en présence de deux autres dispositions de la loi qui empêchent que l'on ait action vis-à-vis de celui qui a versé; c'est, d'un côté, une disposition qui déclare que les rentes sont insaisissables; c'est, de l'autre, une disposition qui oblige l'Etat à ne verser qu'à celui au profit de qui la rente est créée. De sorte qu'on serait repoussé d'un côté par l'Etat, parce que l'Etat n'aurait pas pris part à la fraude, et que, d'un autre côté, on serait repoussé par celui qui aurait créé la rente viagère, parce qu'il serait intangible, permettez-moi cette expression, parce qu'il pourrait toucher sa rente sans que jamais on pût opérer aucune espèce de saisie ; car on ne peut lui reprendre de la poche l'argent qu'il aurait reçu.

Je pense donc qu'il serait bon, pour ces cas, d'introduire dans la loi une disposition qui permît à l'Etat de rendre les versements qui auraient été faits en fraude de droits de créanciers ou de toutes autres personnes lorsque les tribunaux l'ordonneraient.

Messieurs, j'arrive à l'amendement qui a été déposé hier par l'honorable M. de Theux.

Je ne m'attendais certes pas qu'à 3 ou 4 jours de distance nous serions tenus de discuter l'esprit dans lequel la chambre a voté l'article 3 de la loi. Ainsi que vous l'a dit tantôt l'honorable M. Jullien, des amendements avaient été déposés et par l'honorable M. Lelièvre, et par l'honorable M. Mercier, et l'amendement de l'honorable M. Mercier a été repoussé, pourquoi? Précisément parce que l'article 3 avait été interprété dans le sens qu'avaient indiqué l'honorable M. Delfosse et l’honorable M. de Brouckere, et il me suffira, je pense, de donner à la chambre lecture des discours que ces honorables membres ont prononcés pour démontrer qu'on entendait bien ne déroger en rien , lorsqu'on votait l'article 3, au droit commun.

Voici, messieurs, ce que disait l'honorable M. Delfosse.

« Messieurs, je crois que nous ferions bien d'écarter purement et simplement les amendements qui ont pour but de régler les droits respectifs des époux. Notre intention n'est pas, je pense, de modifier, par la loi actuelle, loi toute spéciale, le régime de la communauté établi par le Code civil ou les conventions que les époux ont faites librement entre eux.

« Quel est, messieurs, le but du projet de loi ? C'est de substituer aux sociétés qui existent, ou qui auraient pu se former, la garantie plus forte et plus durable de l'Etat et de diminuer les frais d'administration. Voilà le but principal du projet de loi.

« Quel aurait été le résultat d'un placement effectué par les époux à une caisse de retraite fondée par une société particulière? Leurs droits respectifs auraient sans aucun doute été réglés conformément au Code civil.

« Pourquoi n'en serait-il pas de même des placements qui seront effectués en vertu de la loi que nous discutons ? »

Ainsi, comme on le voit, il ne s'agissait pas de créer la rente propre à l'un des époux. Il s'agissait, dans l'intention de l'honorable M. Delfosse et de l'honorable M. de Brouckere, de se soumettre en tout et pour tout au droit commun.

Il y avait une exception qu'a signalée tantôt l'honorable M. Frère, c'était celle qui disposait que la femme pourrait acquérir une rente en nom (page 270) personnel; mais cette disposition a été comprise, non en ce sens que la rente serait propre, mais que la femme aurait le droit de la toucher malgré l'opposition que pourrait y faire le mari.

L'on n'a pas voulu décider ce qu'il adviendrait de cette rente à la dissolution de la communauté.

C'est en ce sens que j'ai compris l'article, et je pense que beaucoup de membres l'ont compris comme moi.

Du reste, il eût été impossible de le comprendre autrement, après les explications de l'honorable M. Delfosse, président de la section centrale qui a examiné le projet de loi, et de l'honorable M. de Brouckere, membre de la commission qui l'a élaboré. Il est évident pour moi que, lorsque ces honorables membres donnent une interprétation à la loi, cette interprétation doit être admise comme vraie. Or, voici ce que disait l'honorable M. de Brouckere :

« Je le répète, que ce soit la femme qui touche la rente ou que ce soit le mari, s'ils vivent sous le régime de la communauté, elle sera consommée en commun ; s'ils sont sous le régime de la séparation de corps et de biens, elle sera consommée par celui des deux époux au nom de qui la rente est constituée ; il n'y a ici aucune dérogation aux dispositions du Code civil concernant le mariage ; seulement nous avons cru qu'il était préférable de mettre les rentes sur une même tête, pour éviter des complications inextricables. » Et l'honorable M. Delfosse reprenait :

« Messieurs, j'apprends avec plaisir, par les explications de l'honorable M. de Brouckere, que nous sommes entièrement d'accord sur ce point : qu'il ne faut pas modifier, par la loi actuelle, les droits respectifs des époux, tels qu'ils sont établis par le Code civil. »

Je pense, messieurs, que cela prouve que lorsque nous avons voté l'article 3, il est entré dans l'intention de la chambre, par le retranchement du dernier paragraphe, de laisser intact le principe du Code civil.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Laissons de côté cette discussion : tombons d'accord que certains membres de la chambre l'ont entendu ainsi, mais reconnaissez aussi que d'autres membres l'ont entendu différemment et disons par conséquent que la question est intacte.

M. Tesch. - Je tenais à constater que nous avions au moins le droit d'invoquer le vote de l'article 3.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous avons expressément réservé la question pour l'article 12.

M. Tesch. - Du reste, j'admets ce que vient de dire l'honorable ministre des finances, et j'examinerai la question en elle-même.

L'honorable ministre des finances nous a dit que nous devons admettre que les époux pourraient, eux, introduire dans leur contrat de mariage une clause par laquelle ils dérogeraient au système de la communauté. D'abord, il faut faire une distinction, qui me semble être échappée à l'honorable ministre des finances; il faut faire une distinction entre les mariages accomplis et ceux qui ne doivent s'accomplir que dans l'avenir. Il est évident que, pour les mariages existants au moment où la loi sera promulguée, les époux ne pourraient en rien modifier le système sous lequel ils se sont mariés. Ainsi, en introduisant dans la loi un article modifiant le régime de la communauté, vous faites ce que les époux mariés en ce moment ne pourraient pas faire eux-mêmes; vous donnez à la loi un effet rétroactif. (Interruption.)

En déclarant que l'un des époux peut prendre dans la communauté une valeur quelconque pour acquérir une chose à lui propre, vous modifiez radicalement, je le répète, la communauté ; vous donnez à votre loi un effet rétroactif. Cela est incontestable. Vous ne pouvez pas plus donner au mari le droit d'acquérir aux dépens de la communauté une rente à lui propre, que vous ne pouvez lui donner le droit d'acquérir aux dépens de la communauté un immeuble qui lui resterait propre. (Interruption.) Veuillez donc me dire quelle sera la différence? Je vais vous poser un cas tellement clair qu'il ne sera pas possible de se faire illusion : quelle différence y a-t-il entre un homme qui prend dans la communauté des fonds pour acquérir une rente de...., et celui qui y prend des fonds pour acquérir un immeuble de....? Est-ce que, dans l'un et dans l'autre cas, il ne sortira pas une même somme de la communauté pour une acquisition qui appartiendra en propre au mari? Je suppose que j'aie 10,000 fr. qui appartiennent à la communauté; je me trouve à la veille d'avoir 50 ans; si avec ces 10,000 fr. j'acquiers une rente sur la caisse, cette rente m'appartiendra en propre, tandis que si, avec cette somme, j'acquiers un immeuble, cet immeuble appartiendra pour moitié à ma femme.

Vous donnez donc au mari le droit de s'approprier des valeurs qui, d'après le droit commun, appartiennent pour moitié à sa femme. C'est une atteinte grave portée aux conventions anténuptielles, au régime de la communauté. Vous modifiez des droits qui existent aujourd'hui, et, par conséquent, vous donnez à la loi un effet rétroactif.

Maintenant, M. le ministre nous a demandé si nous nous préoccupons des collatéraux, si nous nous préoccupons des héritiers. Je dirai à M. le ministre que je ne me préoccupe pas des collatéraux ; je ne me préoccupe pas même des héritiers, quels qu'ils soient. Ce que je regrette, c'est qu'on n'ait pas introduit dans la loi belge le principe qui a été introduit dans le projet de loi déposé en France, c'est-à-dire que la rente appartiendra pour moitié à chacun des époux. J'abandonne les collatéraux et même tous les héritiers, mais je n'admets pas que le mari puisse s'approprier des biens de la communauté, et qu'à sa mort il emporte tout ce qu'il avait, et laisse sa femme dans la plus profonde misère , tandis que s'il avait placé ses économies d'une autre manière, celle-ci eût conservé quelque ressource.

C'est pour éviter cet inconvénient si grave que, dans le projet de loi français, on a déclaré que les versements appartiendraient pour moitié à chacun des époux. C'est pour ne pas porter atteinte à la communauté, et je regrette que, malgré les difficultés d'exécution qui auraient pu en résulter, la même disposition n'ait pas été introduite dans la loi belge. Pour éviter des difficultés d'exécution, on a renversé tout le système de nos Codes.

De sorte, messieurs, que, me plaçant au point de vue du législateur, jamais je n'admettrai qu'il soit permis au mari de prendre dans la communauté une somme qui peut aller jusqu'à 8,000 ou 9,000 fr., pour acquérir une rente qui lui serait propre à lui, à l'exclusion de sa femme. Voilà ce que je ne puis admettre ni comme jurisconsulte ni comme législateur.

Maintenant, messieurs, on nous a cité, par analogie, la loi des pensions. J'ai fait tout à l'heure une objection à laquelle je donnerai quelques développements, pour démontrer qu'il y a entre les rentes viagères attribuées aux fonctionnaires et les rentes qu'un individu a achetées, qu'il y a entre ces deux catégories de rentes une différence radicale : les rentes qui appartiennent à un individu, de par la loi, que la loi lui assure à raison de sa position particulière, ces rentes ne peuvent jamais donner lieu à des abus, puisqu'elles sont indépendantes de la volonté des titulaires; les rentes, au contraire, que l'on se crée de par sa propre volonté, peuvent donner lieu aux abus les plus graves.

Quand vous acquérez une rente viagère en vertu de vos fonctions, le chiffre de cette rente est réglé par la loi d'après le nombre de vos années de service; vous ne pouvez ni augmenter ni diminuer la rente, d'après les circonstances ; ici, au contraire, un individu arrivé, par exemple, à l'âge de 50 ans, peut, d'après les circonstances, enlever à la communauté, au détriment de sa femme, une somme qui compose tout l'avoir de la famille.

D'un autre côté, c'est la loi qui fixe la pension des fonctionnaires, des veuves et orphelins ; rien n'est entré de ce chef et par conséquent rien n'est sorti de la communauté. Je dis qu'il y a là une différence capitale, et qui empêche l'assimilation dont parle M. le ministre des finances.

Je bornerai là mes observations. Je ne présenterai pas d'amendement; mais, partisan du principe de la loi, je me verrai obligé de voter contre celle-ci, si l'on ne peut faire droit à mes observations.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, à mesure que nous faisons un pas dans la discussion, on est obligé de nous faire des concessions. L'honorable M. Tesch vient de dire : « Je vous sacrifie les héritiers, les collatéraux, faites une stipulation qui réserve, dans une certaine mesure, les droits de la femme, et j'adopte votre principe. »

Nous sommes déjà bien loin du point de départ ; on s'était placé à ce point de vue qu'il fallait que la loi actuelle respectât entièrement le droit commun. J'ai dit que cela était impossible, et j'ai déjà la preuve de cette impossibilité morale dans les concessions qui me sont faites. Il est impossible, en effet, que des collatéraux puissent venir prendre part à une rente ainsi constituée.

Si l'on veut me faire cette concession, cela me suffit pour démontrer que le principe que nous défendons doit être admis. S'il y a lieu à cette dérogation, pourquoi ne pourrait-on pas stipuler que la rente pourra être constituée propre à l'un des époux?

Vous désireriez, pour obtenir satisfaction complète, qu'il y eût dans la loi une disposition portant : que les versements profiteront aux deux époux ; mais il a été démontré qu'il serait impossible d'arriver à formuler cette combinaison ; que, quant à présent, cette combinaison de versements opérés sur deux têtes, et devant profiter éventuellement à l'un ou à l'autre des deux époux, ou par moitié à tous les deux; que cette combinaison ne pouvait pas être admise.

Dans l'état actuel, cela n'est pas praticable, la commission s'en est préoccupée ; elle a réservé cette question pour un autre temps.

Eh bien, en face de ces difficultés, est-ce que nous n'arriverons pas en réalité au résultat que désire l'honorable membre, lorsque nous admettons la constitution sur la tête de l'homme ou de la femme en nom personnel? On suppose toujours des cas d'abus, de dissipation, de violence en quelque sorte de l'un des époux à l'égard de l'autre. Mais raisonnons pour les cas généraux et non pour les exceptions. Les mariages assortis, c'est en définitive le cas général. Le cas général n'est pas que le mari spolie sa femme, le cas général n'est pas que le père ne veut rien faire pour assurer le sort de la mère de ses enfants.

L'honorable M. Tesch persiste à penser qu'il n'y a pas d'analogie entre les versements opérés pour acquérir une pension et les versements qui seraient opérés pour acquérir une rente viagère dans le système de la loi. Et la raison de différence qu'il signale est que, dans l'un des cas, il peut y avoir des abus, et que, dans l'autre cas, des abus ne sont pas possibles. Il ne s'agit pas de savoir si, dans l'un des cas, il peut y avoir des abus, et si, dans l'autre cas, il n'y en aura pas; la question que nous avons à examiner est celle de savoir si en droit pur, la question d'abus à part, les héritiers, les collatéraux ont quelque droit à la pension qui a été constituée à l'aide d'une retenue sur un traitement qui était évidemment dans la communauté, comme la question est de savoir si la rente viagère faite au moyen de prélèvements opérés sur la communauté constitue un bien personnel à l'un des époux ? La question de droit est absolument la même dans les deux cas. (Interruption.)

Entendons-nous bien. Le mari, pendant sa vie, prélève sur les biens de la communauté une somme qui est destinée à constituer une pension, une (page 271) rente viagère sur la tête de sa femme. Le mari meurt; la femme entre en jouissance de la rente viagère, de la pension; les héritiers du mari viennent et disent : « Partageons la communauté. » Il y a une pension, une rente viagère constituée à l'aide des prélèvements faits sur la communauté. Quels sont les droits des héritiers du mari? Dans votre système, il faudrait aller jusqu'à dire que les héritiers du mari auront le droit de demander une récompense du chef des prélèvements successivement faits, pendant une période d'années, sur les biens de la communauté; et cependant vous devez reconnaître que la pension appartient exclusivement à la personne au profit de laquelle elle est constituée. Eh bien, je demande qu'on décide la même chose à l'égard des biens qui seront employés à l'acquisition de rentes viagères.

Si vos principes sur la rétroactivité sont vrais, dans l'hypothèse de la loi actuelle, ils sont également vrais dans l'hypothèse de la constitution des pensions des caisses de retraite.

Vous dites : « Si l'on autorise le mari ou l'un des époux à prélever sur la communauté une somme quelconque pour se constituer une rente viagère, vous portez atteinte aux conventions matrimoniales formées antérieurement à la loi, et la loi aura un effet rétroactif »; et moi je réponds que si votre système est vrai, autant qu'il est faux, les dispositions en vertu desquelles les prélèvements ont été faits depuis la constitution des caisses de retraite au profit des veuves et orphelins des fonctionnaires, auraient eu identiquement les mêmes effets. On a opéré des prélèvements sur les biens de la communauté pour constituer une pension au profit de la femme; il y aurait donc eu rétroactivité aussi, lorsque ces principes ont été appliqués.

Vous faites des efforts prodigieux pour démontrer des choses contraires à l'évidence, parce que vous ne voulez pas admettre la nature des choses, leur essence; vous ne voulez pas ce qu'on a voulu par l'acte même qui institue la pension. Ce qu'on a voulu, c'est créer un bien particulier, sui generis, un bien qui n'a pas d'analogie avec les autres biens : la pension de la caisse de retraite; la rente dont nous nous occupons sera aussi un bien d'une nature particulière, et vous voulez raisonner de ces biens d'un genre particulier, comme vous raisonnez des autres biens soumis aux règles ordinaires du droit civil.

M. Tesch. - Vous n'inventez rien ; n'y a-t-il pas des sociétés qui font ce que vous voulez faire?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dis que vous devez constituer la rente à la charge de la caisse de retraite avec ce caractère personnel à celui qui l'acquiert ; je n'examine pas les conventions volontaires qu'on a pu faire avec les compagnies; les contestations que ces conventions pourront soulever seront décidées par les tribunaux. Je me place au point de vue du législateur et je dis, que sans rétroactivité, il peut déclarer quelle sera la nature des biens qu'il crée; il peut donner une nature particulière à certains biens qu'il constitue, qu'il détermine ; il est évident que le législateur peut faire relativement à ces biens qu'ils soient propres, qu'ils appartiennent à l'un ou à l'autre des époux sans porter atteinte au principe de la non-rétroactivité. Vous ne voulez pas déroger aux principes du droit commun! mais que devient le droit commun avec l'incessibilité que vous avez attachée à la constitution de rentes même pour des sommes considérables qui ne pourront pas être saisies par les créanciers. Admettez-vous, oui ou non, cette dérogation? (Interruption.)

Pour répondre à votre interruption, je vais, si vous voulez, raisonner des conventions faites avec les compagnies particulières. Mais d'après l'article 1980 du Code civil, la rente qui n'est pas constituée à titre gratuit pourra être saisie, ici vous voulez bien faire une dérogation à cet article; vous voulez que la rente de la caisse de retraite, comme la pension au profit des fonctionnaires publics, qui peut s'élever jusqu'à cinq mille francs, soit incessible et insaisissable. C'est là une dérogation extraordinaire au droit commun.

Si vous admettez cette disposition, pourquoi n'admettriez-vous pas celle qui tendrait à constituer les rentes personnelles, afin de favoriser une institution qui doit être utile aux populations qui sont appelées à participer à la caisse? Il peut, dit-on, en résulter des abus; sans doute il est des hypothèses où les règles que vous posez peuvent donner lieu à des abus, mais ces abus sont toujours l'exception ; ce n'est pas une raison pour repousser une chose utile, la seule à l'aide de laquelle on puisse faire fructifier l'institution que vous voulez fonder.

M. Deliége. - Messieurs, grand est ici mon embarras. Deux systèmes partagent la chambre. Le premier, c'est celui du ministère, c'est celui qui consiste à rendre la rente propre à celui des deux époux qui la constitue; le deuxième, c'est celui de quelques orateurs qui ont pris la parole et qui voudraient appliquer les dispositions du Code civil sur la matière; dans ce cas, la rente tomberait en communauté; ce dernier système présente évidemment des inconvénients.

Ainsi l'administration de la caisse deviendra plus difficile : il faudra que les administrateurs de la caisse fassent remplir une foule de formalités, il faudra que les administrateurs connaissent toutes les dispositions de la loi sur les successions. C'est, messieurs, un inconvénient.

Un second inconvénient : si vous ne rendez pas la rente personnelle, il pourra y avoir lieu à des injustices. On a posé beaucoup d'hypothèses ; j'en poserai une que vous saisirez de prime abord. Ainsi, je suis ouvrier, j'ai fait tout mon possible pour acquérir une pension de retraite, pour m'aider à vivre dans mes vieux jours; je me marie; quelque temps après ma femme meurt: si vous ne rendez pas la rente propre, je suis privé de la moitié de ma rente.

L'autre système peut aussi donner lieu à de grands inconvénients. Je suppose, par exemple, que la femme d'un ouvrier apporte à la communauté une somme assez forte: dix mille francs? cette somme, il s'en empare, il la place à la caisse de retraite sur sa tête, et à sa mort, cette somme, sa femme la perd; elle en est privée, elle est complètement ruinée. Ce serait une action immorale de la part du mari, ce serait une action odieuse ; nous ne pouvons admettre que le mari puisse commettre des actions qui seraient autorisées par la loi et qui seraient odieuses.

On dira qu'il peut dissiper les 10 mille fr. mais on ne peut pas supposer qu'un mari dissipe facilement dix mille francs ; il peut avoir de l'ordre, mais en même temps de l'égoïsme, et alors il prendra ce qui appartient à sa femme, sans le dissiper.

De ce que la loi actuelle admet que le mari peut dissiper, s'ensuit-il que nous devions faire une loi qui admettra que l'un des époux pourra dépouiller méchamment l'autre époux, pourra tirer de la communauté une somme pour se l'approprier?

On a dit : L'article 1457 est là, vous pourrez exercer votre action en reprise.

On oublie que la loi est faite pour des ouvriers, pour des hommes qui n'ont pas de fortune, chez qui l'action en reprise serait exercée en vain. Voilà pour le mari.

Quant à la femme, admettrez-vous que, pendant l'existence de la communauté, elle puisse se constituer une rente à elle propre avec l'autorisation du juge de paix ?

Avec les deniers qui lui sont propres, il n'y a pas de doute; le droit commun est là ; elle le peut, si le mari refuse, avec l'autorisation du président du tribunal civil ; la femme mariée peut se constituer une rente avec des deniers à elle propres.

L'article 3 de la loi en discussion substitue l'action du juge de paix à l'action du président du tribunal. Je crois que c'est très bien. Mais la femme peut-elle s'approprier une somme appartenant à la communauté pour se constituer une rente qui lui serait propre? Je ne le crois pas. Ce serait admettre une espèce de séparation de biens, que le juge de paix devrait constater, qu'il pourrait créer et que nous n'admettrons certainement pas.

Ainsi, quand j'ai commencé, j'ai dit que grand était mon embarras pour choisir entre les deux systèmes qui sont en présence, j'ai prouvé que j'avais quelque raison de le dire.

Les deux systèmes présentent des inconvénients.

Il y a un système que j'oserais vous proposer, c'est celui indiqué par l'honorable M. Tesch, c'est le système de la loi proposée en France. Par ce système, nous écarterions tous les inconvénients, sauf un qui est très faible. Il consisterait à déclarer que les sommes déposées profitent aux deux époux : en ce sens que le mari qui déposerait, à l'âge de 18 ans, une somme de 14 fr. 20 c. pour acquérir en son nom, à l'âge de 55 ans, une rente de 12 fr., devrait déposer en même temps une somme de 14 fr. 20 c. pour constituer une rente de 12 fr. sur la tête de sa femme.

Il y aurait, je l'ai dit, un inconvénient ; mais il serait très faible ; ce serait le cas, nécessairement fort rare, où l'un des époux aurait soit moins de 18 ans, soit plus de 55 ans (ou même plus de 60 ans dans les cinq années qui suivront la mise à exécution de la loi); mais pour ce cas très rare, j'admettrai les dispositions de l'article 1437 du Code civil, non pas comme moyen très efficace, mais comme pouvant parer faiblement à cette difficulté bien faible. J'aurai donc l'honneur de vous proposer d'adopter les dispositions ci-après qui sont à peu près semblables à celles contenues dans le projet présenté, à la chambre française, par le ministre de l'agriculture et du commerce.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Et les héritiers! Cela ne tranche pas la question.

M. Deliége. - Pardon! Ma proposition tranche cette question. La voici :

« Les pensions de retraite seront immeubles. Les versements opérés antérieurement au mariage restent propres à celui qui les fait.

« Les versements faits pendant le mariage par l'un des deux conjoints profilent séparément à chacun d'eux pour moitié.

« Si l'un des deux époux ne peut en profiter, à cause de son âge, il y aura lieu à l'application de l'article 1457 du Code civil. Le capital que la communauté aura versé, lui sera alors restitué avec les intérêts légaux. »

La chambre déclarerait que les pensions de retraite seraient assimilées aux immeubles. Voici pourquoi. Si vous déclarez qu'une rente acquise aujourd'hui avec les deniers de la communauté est propre à l'un des époux, vous dérogez aux dispositions du Code civil sur la communauté légale; vous ne le pouvez pour les mariages déjà contractés; vous donneriez à la loi un effet rétroactif. Vous pouvez déclarer que cette rente est immeuble; elle est, aux termes de l'article 11, incessible et insaisissable.

D'après cette disposition et celles de mon amendement, chacun des deux époux profiterait également des sommes versées pendant l'existence de la communauté; aurait une rente égale, et ces rentes seraient propres à chacun d'eux.

M. le président. - Je dois faire remarquer que cet amendement revient sur une décision précédente.

M. Deliége. - M. le ministre des finances a déclaré que la question avait été réservée. C'est pourquoi je me suis permis de proposer un amendement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La constitution sur deux têtes est une question vidée. La question réservée est celle de savoir si les (page 272) rentes seront propres, ou si elles suivront le sort des conventions matrimoniales. Mais la constitution sur deux têtes (système auquel équivaut la proposition de l'honorable M. Deliége) diffère entièrement du système qui a été admis

M. le président. - Je consulterai la chambre sur le point de savoir si elle veut revenir sur l'article 3.

M. Deliége. - Je retire mon amendement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je suis d'accord avec l'honorable M. Deliège que les rentes doivent être personnelles. M. Deliége ne cherche que le mode pour arriver à la constitution en propre. Nous sommes d'accord sur le principe.

M. de Theux. - Je dirai seulement un mot sur l'amendement qu'avait indiqué l'honorable M. Deliége, et qu'il vient de retirer. Dans l'état actuel de la discussion, cet amendement ne pouvait plus être mis en discussion. Mais si la chambre adopte un amendement à l'article 12 que nous discutons, il y aura lieu, au second vote, d'examiner jusqu'à quel point on peut rentrer dans le système de l'honorable M. Deliége.

Cependant, pour moi, cela n'est pas possible aux termes du règlement, parce que la disposition principale a été rejetée. S'il n'y a pas d'objection, je l'entendrai discuter avec plaisir; car mon unique désir, dans cette matière, est d'arriver à la solution la plus équitable et la plus avantageuse pour la société.

On nous a parlé du pouvoir du législateur, qui peut changer le Code civil. Ceci n'est, en aucune manière, douteux. Mais il y a deux choses que le législateur ne peut pas, c'est, en ce qui concerne l'effet rétroactif, déroger à la Constitution, et, en ce qui concerne le futur, déroger aux principes de justice.

Si les pouvoirs du législateur sont étendus, il existe cependant pour lui un devoir extrêmement grave, c'est de rester toujours dans les limites de la justice et du vrai. Et c'est surtout à l'époque actuelle, où tous les droits, toutes les institutions sont mis en discussion, qu'on doit mettre l'attention la plus sérieuse à ne pas déroger aux vrais principes, dans les lois qu'on porte.

L'honorable M. Tesch a démontré, comme moi, qu'en ce qui concerne les mariages déjà contractés, la thèse que défend M. le ministre des finances aurait pour résultat un effet rétroactif. Cet effet rétroactif n'est pas seulement condamné par le Code civil, il est aussi condamné par la Constitution, attendu qu'il aurait ici pour effet de spolier l'épouse de droits acquis. Or, la Constitution ne permettrait une semblable disposition que moyennant une juste et préalable indemnité. C'est assez dire que pour les mariages contractés, cette loi serait réellement impossible.

L'honorable ministre des finances a cru que l'honorable M. Tesch lui faisait une grande concession, en disant qu'il se préoccupait avant tout, à l'instar du projet de loi élaboré en France, de l'intérêt des époux, que pour lui l'intérêt des héritiers n'était que secondaire. Mais notez bien que, d'après le principe du projet de loi français, la rente devait être commune aux deux époux. L'intérêt des héritiers était aussi en quelque sorte sauvegardé, parce que tout ce qui n'était pas dépensé des revenus de la rente par, chacun des époux, restait et venait à profiter aux héritiers.

Ainsi la pensée du projet de loi français et la pensée de l'amendement que j'ai présenté se rencontrent quant à ces deux intérêts principaux : l'intérêt des époux et l'intérêt des héritiers, c'est-à-dire que la loi française ne permettait pas plus au mari que je ne veux lui permettre de s'enrichir au détriment de sa femme, au détriment des enfants communs.

On a répété à satiété que l'article 3 ne préjugeait pas la question. Veuillez, messieurs, vous rappeler par quels motifs l'honorable M. de Brouckere l'a fait prévaloir. Il a dit dans quelles circonstances le juge de paix donnera à la femme l'autorisation de constituer une rente viagère en son nom; c'est lorsque déjà la communauté est dissoute de fait, que la femme est séparée de son mari, qu'elle entretient les enfants issus du mariage commun, du consentement de son mari, le mari lui laissant exercer son industrie et lui laissant dépenser, au profit de la famille commune, ses revenus.

Vous voyez donc que par les motifs mêmes qu'a donnés l'honorable M. de Brouckere, ainsi que par les motifs donnés par l'honorable M. Delfosse dans la discussion de l'article 3, on n'a pas eu l'intention de permettre à la femme de s'enrichir au détriment du mari et contre sa volonté.

Messieurs, on a dit que les époux pouvaient, par des conventions anténuptielles, déroger au droit commun. En effet, messieurs, mais lorsque pareilles conventions anténuptielles dérogent au droit commun, on les fait par des motifs particuliers, on les fait en pleine connaissance de cause. Mais si l'on changeait la loi en ce sens que le mari seul pourrait, abusant de son droit, se stipuler des profits personnels au détriment de la femme et des héritiers, ce serait rompre la base fondamentale de l'association conjugale, pendant laquelle tous les profils doivent être en commun, parce qu'ils sont censés provenir et des biens communs et du travail commun.

On a dit encore que l'intérêt était minime, que l'épouse, par exemple, ne pouvait jamais prétendre qu'à la restitution du capital employé par le mari pour acquérir une rente.

C'est là une erreur très grande, parce que ce capital s’accumulant pendant la communauté au point d’arriver à la jouissance d'une rente viagère considérable, la communauté est censée profiler de ces intérêts cumulés, ou plutôt elle y a également droit. Cela n'est pas susceptible de contestation. D'ailleurs, messieurs, quand il s'agit des principes de la justice, il ne s'agit pas d'examiner si l'on porte atteinte à des intérêts très considérables. La justice n'admet pas de distinction entre les grands et les petits intérêts.

On a parlé des embarras de l'administration. Ces embarras, on les exagère. Ils ne seront pas plus grands pour la caisse de retraite constituée sous les auspices de l'Etat qu'ils ne le sont pour de semblables institutions constituées par des sociétés particulières.

Il est évident que le payement sera censé bien fait à celui sous le nom duquel la rente sera constituée, aussi longtemps que personne n'aura justifié, auprès du receveur, d'un droit contraire. Mais, dit-on, par l'effet de la division le nombre des rentiers peut augmenter. Il ne faut pas, messieurs, trop s'inquiéter de ce fait peu fréquent dans la pratique parce que les intéressés se mettront ordinairement d'accord pour qu'un seul touche la rente en nom commun.

D'ailleurs, ce n'est pas pour quelques embarras d'administration qu'on peut renverser une société aussi sacrée que celle de l'homme et de la femme.

Le rejet de l'amendement proposé par l'honorable M. Mercier, qui était le principe du projet français, impose à la chambre un devoir; c'est de sauvegarder dans l'article 12 les intérêts communs. Ainsi, loin de pouvoir se prévaloir de ce rejet, c'est au contraire un argument puissant que nous pouvons invoquer à l'appui de notre proposition.

Tout ce que nous désirons, messieurs, c'est que nous ne fassions pas une loi qui tende soit à violer les principes de la justice, soit à amener le désaccord dans le sein des familles. Cette loi, que l'on a caractérisée de loi bienfaisante, ne peut pas avoir de tels résultats, ou bien elle a manqué complètement son but.

M. Tesch. - Messieurs, je ne veux pas prolonger le débat. J'ai demandé tantôt la parole, lorsque M. le ministre des finances continuait, pour démontrer qu'il n'y avait pas de rétroactivité, à établir une analogie entre les pensions accordées par l'Etat et les pensions qu'on pourra se créer au moyen de la caisse de retraite. Je réponds qu'il y a là une véritable confusion. En fait de traitements accordés par l'Etat et des retenues, il ne peut jamais y avoir d'effet rétroactif; le législateur peut les modifier quand il veut et comme il veut. Mais quand il s'agit de biens particuliers appartenant à des individus, il ne peut en être de même.

Ce sont là des principes élémentaires de droit.

M. de Brouckere. - Je n'examinerai pas la question de droit qu'on a soulevée. Mais je dois faire remarquer à la chambre que toute cette discussion sur l'article 12 tient, je le pense, à ce qu'on n'a pas bien compris l'esprit de cette disposition.

On m'a répondu dans cette discussion (et j'avoue alors que j'avais d'autres préoccupations), que la disposition qui terminait l'article 3 se trouvait de nouveau à l'article 12, et on a retiré un paragraphe de l'article 3.

Messieurs, l'article 12 a été inséré dans la loi pour éviter un seul abus qui se présente dans les sociétés d'assurances, l'abus des têtes choisies.

Dans les compagnies d'assurances sur la vie, l'assuré choisit une tête, fait assurer sur la tête d'un tiers. C'est ainsi que beaucoup d'assurés dans les tontines choisissent des Genevois, parce qu'ils ont la vie longue. Nous avons voulu éviter cet inconvénient, mais nous avons voulu en même temps que, par exemple, des chefs d'industrie, des chefs de maisons de commerce, voulant récompenser un contre-maître, un ouvrier, pussent acquérir pour lui un livret de la caisse de retraite. C'est pour cela que nous avons dit : « Toute personne est admise à verser des fonds et à prendre des livrets pour le compte et au nom de tiers. » Mais, pour éviter l'inconvénient dont j'ai parlé tout à l'heure, nous avons ajouté : « Mais les rentes ne seront payées qu'à ceux-là seuls au profit desquels elles sont inscrites. » Cette disposition n'a pas d'autre objet, n'a pas d'autre but que celui que je viens d'indiquer.

Il s'agit, je le répète, de permettre à des personnes aisées, à des personnes riches de constituer des rentes, les unes au profit d'un domestique, les autres au profil d'un ouvrier; mais il s'agit en même temps d'éviter l'inconvénient des têtes choisies parce que, dans une association comme celle-ci, il ne faut pas qu'on puisse spéculer sur la tête d'un tiers. L'article, encore une fois, n'a pas d'autre but; mais il s'est établi une confusion parce qu'on a rattaché l'article 12 à une disposition de l'article 3, avec laquelle il n'a rien de commun.

M. Delfosse. - On peut sans doute toucher au droit commun, mais à une condition, c'est qu'on ne touchera pas aux droits acquis.

La femme qui s'est mariée sous le régime de la communauté est censée avoir inséré dans son contrat de mariage toutes les dispositions du Code civil relatives à la communauté légale; c'est un contrat que la loi a fait pour elle.

Si la loi que nous discutons déclarait propre à l'un des époux mariés antérieurement une acquisition faite avec les deniers communs, elle dérogerait au contrat, elle enlèverait un droit acquis.

Il y a une distinction à faire entre les conjoints et ses héritiers. L'un a un droit acquis, les autres n'ont qu'un droit éventuel à une succession non encore ouverte.

Si l'on pense, avec M. le ministre des finances, qu'il y a des raisons sérieuses pour s’écarter ici du droit commun; que, sans cela, il y aurait de grandes difficultés d'exécution; qu'on s'en écarte à l'égard des héritiers du conjoint; je le conçois; mais je ne puis admettre que l'on enlève des droits acquis à l'un des conjoints.

(page 273) La chambre ne peut, dans mon opinion, rejeter entièrement l'amendement de l'honorable M. de Theux.

Elle doit au moins adopter la partie de cet amendement qui concerne les conjoints.

J'ai donc l’honneur de soumettre à la chambre le sous-amendement suivant :

« Sauf les droits des conjoints en cas de dissolution de la communauté. »

- Un membre. - Des conjoints maries avant la mise en vigueur de la loi ?

M. Delfosse. - Non, des conjoints en général. Pourquoi deux époux qui jouissaient ensemble d'une rente n'en prendraient-ils pas chacun la moitié en cas de séparation? Cette division de la rente en deux parts ne peut donner lieu à aucune espèce d'inconvénient.

M. Fontainas. - Messieurs, je ne partage point les scrupules de l'honorable comte de Theux, et je pense que, tel qu'il est formulé, l'article 12 peut être admis.

Je n'entends pas soutenir que l'article proposé ne déroge en aucune façon au Code civil, au droit commun. Mais nous ne devons pas, me semble-t-il, nous placer à ce point de vue. Oui, dirai-je avec les honorables préopinants, le Code civil est, sans doute, une chose sacrée; en général, il n'y faut toucher qu'avec prudence et d'une manière toute spéciale.

Mais, est-ce à dire que notre respect pour la loi actuellement en vigueur doive aller jusqu'à nous arrêter devant une institution profondément empreinte d'un caractère vraiment philanthropique? Est-ce à dire que ce respect doive, pour ainsi dire, étouffer toute inspiration généreuse, toute idée de sage progrès et de moralisation? Non, évidemment; et telle n'est pas, j'en suis convaincu, la pensée des adversaires de l'article en discussion.

Et cependant, si nous partagions les scrupules quelque peu exagérés de certains orateurs, nous arriverions nécessairement, fatalement à cette triste conséquence.

Toute la discussion doit, me paraît-il, se résumer dans cette alternative :

Ou vous reculez devant toute modification au Code civil, même partielle et sans danger, et dans ce cas, vous devez rejeter la loi tout entière ; ou vous voulez doter le pays d'une institution vraiment sage, populaire et moralisatrice, et dans ce cas, vous devez adopter la loi en discussion qui, tout en modifiant le Code civil, le respecte dans son ensemble, dans son économie.

Messieurs, combattre la disposition proposée, sous prétexte qu'elle ne se concilie pas parfaitement avec le droit commun et prête à l'abus, c'est raisonner de l'exception (et ce raisonnement n'est pas admissible), c'est encore méconnaître l'esprit de la loi et ne pas se rendre exactement compte du mécanisme de l'institution. Je m'explique.

C'est méconnaître l'esprit de la loi, car elle peut, en inspirant à l'ouvrier le souci du lendemain, le moraliser, lui donner la conscience de sa valeur personnelle et de sa dignité. Avec ces sentiments, l'ouvrier sera nécessairement bon père, bon époux; donc il ne fera pas ses versements en fraude des droits de sa femme et sans préoccupation de l'avenir de ses enfants. Dès lors où est le danger, où est l'immoralité? Mais j'entends, L'ouvrier marié pourra ruiner la communauté en créant une rente à son profit exclusif; erreur, messieurs. Celui-là seul pourrait raisonner ainsi qui se laisserait aller aux inspirations de l'égoïsme le plus étroit, aux calculs les plus odieux de je ne sais quel misérable individualisme. Mais vous comprenez bien qu'avec de pareils instincts, l'ouvrier ne serait qu'un être dégradé, sans souci du lendemain et sans moralité. Dans cet état exceptionnel, il ne songerait pas à la caisse de retraite (institution essentiellement morale); il perdrait dans de déplorables prodigalités le fruit de son travail.

Apprécions donc la loi prise dans sa substance et sans trop nous préoccuper des abus possibles dont les honorables préopinants ont parlé.

Et, messieurs, s'il était permis de raisonner de l'abus, je soutiendrais de conviction que les meilleures institutions ont leurs dangers et doivent disparaître ; je dirais que ce magnifique Code civil qui nous régit présente des dispositions monstrueuses. Ainsi, pour ne parler que de la communauté légale et toujours en raisonnant de la possibilité de l'abus, le Code civil consacre un droit effrayant. Une femme se marie sous le régime de la communauté; elle possède, en espèces ou billets de banque, en biens meubles, une fortune de cent mille francs. Eh bien, qu'arrive-t-il? Le mari se met en possession du capital, de toute la fortune mobilière de sa femme, il use et abuse à son gré de cette fortune; et sa femme n'a rien à lui dire et il ne lui doit aucun compte.

Cependant, le législateur de 1804 n'a pas hésité à sanctionner le régime de la communauté légale; et l'expérience, ce grand maître, a donné raison au législateur. C'est qu'il a bien fait de ne pas se préoccuper de ces mille petits détails, de toutes ces possibilités d'abus qui sont dans la nature des choses, et que l'homme, dans son imperfection, n'évitera jamais.

Faisons donc ce qu'ont fait nos prédécesseurs. Ne nous effrayons pas outre mesure de dangers possibles, et acceptons la loi qui, pour les cas qui se présenteront généralement, est sage, est généreuse.

Mais on insiste : Nous ne devons pas, dit-on, déroger au droit commun. Qu’importe cette objection? Législateurs, ne devons-nous pas ici, et c'est le plus beau côté de notre rôle, consulter les besoins vrais de la société, travailler sincèrement, et sans relâche à soulager les intérêts de ceux qui comptent sur notre sollicitude? Législateurs, ne devons-nous pas, mais avec réserve et modération, nous abandonner aux inspirations de l’injustice et de l'humanité?

N'est-il pas vrai, messieurs, que quand on a l'honneur de siéger dans cette enceinte, on doit avoir le courage de l'initiative ; on ne doit pas rester insouciant, immobile dans l'ornière?

Les initiatives(et la loi proposée en est une précieuse), les initiatives des esprits qui rompent avec les opinions régnantes ne sont pas, comme on l'a dit avec un grand bonheur d'expression, les moins vigoureux instruments des transformations qui se produisent dans la société. « Quand même il n'en résulterait qu'un peu de défiance du présent et le désir de s'en isoler afin de le juger d'une manière plus impartiale, cet éveil serait encore un grand bien. On s'endort si volontiers sur les habitudes prises, même les plus vicieuses et les plus fatales; on se livre si aisément au courant des routines, malgré les protestations du cœur et les révoltes de la conscience. »

Un principe nouveau se produit ; il déroge quelque peu, j'en conviens, au droit commun rigoureusement interprété. Mais le principe nouveau,, qui laisse intacte l'économie du Code civil, est sage, mais il est équitable, mais il fait naître et développe heureusement l'esprit de famille et d'économie. Donc il faut l'adopter, l'adopter avec empressement et bonheur.

Ne redoutons pas ces changements; allons hardiment au-devant de pareilles innovations. Qu'en peut-il résulter? Je réponds avec un des plus admirables écrivains modernes, Louis Reybaud.

Il peut en résulter une infiltration continuelle d'éléments nouveaux dans un monde en apparence stationnaire, un mélange de prudence et de témérité, de résistance et de mouvement qui constitue la vie et l'essence des sociétés.

Je voterai pour l'article 12, tel qu'il est proposé par le gouvernement et la section centrale.

M. de Theux. - Messieurs, je veux seulement rendre la chambre attentive à la portée du sous-amendement de l'honorable M. Delfosse; c'est qu'il a pour résultat de permettre au mari de se créer des droits héréditaires sur les biens de la communauté, contre la volonté de sa femme, même au préjudice des enfants issus de leur mariage.

Quant à l'observation de l'honorable M. Fontainas, je ne dirai qu'un mot : c'est à tort qu'on supposerait que toutes les sommes déposées à la caisse d'épargne eussent été dissipées, si ce dépôt n'avait pas eu lieu ; mais si cette supposition était vraie, on ne pourrait pas faire une plus grande injure aux déposants que de publier leurs noms, car on leur dirait :« Si vous n'aviez pas déposé ces sommes à la caisse, vous les auriez dissipées. »

- La discussion est close.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je demande que l'article 12 soit formulé ainsi :

« § 1er. La rente est propre à celui qui l'acquiert. »

M. le président. - D'après cette rédaction, on va avoir une discussion, car l'amendement de l’honorable M. Deliége consiste à dire le contraire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut préciser l'objet du débat.

L'honorable M. Deliége a reconnu qu'il y avait nécessité de faire que la rente fût propre ; il indiquait un moyen d'arriver à ce résultat ; il voulait qu'elle fût constituée au profit de la femme et au profit du mari ; c'était un mode pour que les versements fussent faits sur les deux têtes et constituassent un bien personnel à l'homme et à la femme. On a dit que ce moyen avait été écarté par un vote précédent. En ce sens l'amendement a été retiré par M. Deliége.

M. Delfosse propose un autre amendement ; il veut aussi que la rente soit propre au mari, sauf les droits de la femme ; donc il permet une constitution propre sur la tête de l'un des deux époux, sauf le droit du conjoint en cas de dissolution de la communauté.

M. Delfosse. - Si la rente était déclarée propre, il ne pourrait pas s'agir du droit du conjoint. Il n'y a de droit pour le conjoint que dans le cas où la rente est commune.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La rente est commune ou elle est propre; si elle est commune, d'après les règles du Code civil, on statuera sur les répétitions; si elle est propre, vous déterminerez les droits du conjoint, c'est-à-dire que le conjoint aura droit à une récompense; cela ne peut pas avoir d'autre signification. Il faut admettre comme conséquence de l'amendement, que la rente peut être constituée en propre, sauf les droits du conjoint. On prévoit par là un cas fort rare ; en cas de dissolution de la communauté par divorce ou séparation de corps, il y aura lieu à partager la rente. Nous supposons que la rente continue à subsister, vous excluez le droit de l'héritier du conjoint en cas de décès. L'amendement ne s'applique donc qu'à la dissolution de la communauté par divorce ou séparation de corps. Il me semble qu'il suffit de décider, comme le propose le premier paragraphe de l'amendement que j'ai déposé, que la rente est propre, sans s'occuper des détails de ces cas exceptionnels pour les classes dont la loi s'occupe et où le divorce et la séparation de corps sont inconnues.

M. Delfosse. - L'amendement de M. le ministre compliquerait les difficultés et rendrait nécessaire une nouvelle discussion. A l'article 3, nous avons écarté la disposition portant que la rente serait propre, qu'elle ne ferait pas partie de la communauté. Il y aura un second vote, M. le ministre des finances pourra alors nous demander de revenir sur la décision prise et de rétablir ce qui a été retranché.

(page 274) M. le ministre propose de déclarer que la rente est propre à celui qui l’acquiert; si on décide que la rente acquise par la femme lui est propre, il devra en être de même pour le mari ; mais c'est au second vote auquel sera soumis l'article 3, puisqu'il a été amendé, que la question devra se reproduire. J'engage M. le ministre des finances à réserver sa proposition pour ce moment.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Lorsque, à propos de l'article 3, il a été question de savoir si la rente acquise par la femme serait propre ou commune, on a renvoyé la solution à l'article 12 et maintenant que nous discutons l'article 12, on me dit d'attendre le second vote de l'article 3. Nous devons décider cette question maintenant ; sans cela, nous devrions recommencer une discussion à laquelle nous venons de consacrer plusieurs heures. Je le demande, est-il exact de dire qu'en retranchant le dernier paragraphe de l'article 3, on a voulu décider que les rentes ne seraient pas propres ? Le paragraphe s'occupait d'un cas particulier, de celui où la femme aurait acquis des rentes depuis le moment où l'autorisation de faire des versements lui aurait été donnée jusqu'à celui où cette autorisation aurait été retirée; elle stipulait que les rentes acquises dans cet intervalle étaient propres; comme cette disposition impliquait que les rentes acquises par l'un ou l'autre des conjoints étaient propres, on l'a renvoyée à l'article 12. Je propose la solution de cette question.

M. le président. - M. le ministre propose d'ajouter à l'article primitif un premier paragraphe ainsi conçu :

« La rente est propre à celui qui l'acquiert. »

Deux sous-amendements sont présentés par M. de Theux et M. Delfosse.

M. de Theux. - L'amendement de M. Delfosse n'est qu'une division du mien.

M. Delfosse. - Mon sous-amendement n'est en effet qu'une partie de celui de M. de Theux mais ma rédaction est différente de celle de M. de Theux.

M. le président. - L'amendement de M. de Theux est ainsi conçu : « Il n'est pas dérogé aux lois et conventions qui règlent les droits des époux. »

M. Delfosse propose de dire : « Sauf les droits des époux en cas de dissolution de la communauté. »

Il est beaucoup plus simple de mettre aux voix : 1° le sous-amendement de M. Delfosse; 2° l'amendement de M. de Theux. (Adhésion.)

Il est procédé au vote par appel nominal sur le sous-amendement de M. Delfosse.

En voici le résultat :

84 membres sont présents.

1 (M. Le Hon), qui n'a pas assisté à cette partie de la discussion, déclare s'abstenir.

83 prennent part au vote.

53 votent pour l'adoption.

30 votent contre.

- La chambre adopte.

Ont voté pour l'adoption : MM. de Breyne, Debroux, de Chimay, Dedecker, de Haerne, Delehaye, Delfosse, de Liedekerke, Deliège, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Pitteurs, Destriveaux, de Theux, d'Hont, Dumortier, Faignart, Jouret, Jullien, Lange, Liefmans, Manilius, Mascart, Mercier, Moncheur, Moreau, Osy, Peers, Pirmez, Rousselle, Sinave, Tesch, Thibaut, Toussaint, Tremouroux, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Christiaens, Clep, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Bocarmé et Verhaegen.

Ont voté contre : MM. de Brouckere, Delescluze, de Perceval, Dequesne, de Renesse, Devaux , Dumon (Auguste), Dumont (Guillaume), Fontainas, Frère-Orban, Lebeau, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Moxhon, Orts, Pierre, Prévinaire, Reyntjens, Rogier, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Allard, Ansiau, Bruneau, Cans, Cools, Cumont et Baillet-Latour.

L'amendement de M. de Theux est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

M. le président. - La chambre a maintenant à statuer sur le paragraphe premier de l'article proposé par le gouvernement ainsi conçu : « La rente est propre à celui qui l'acquiert. »

M. Tesch. - Cette disposition est évidemment en contradiction avec le sous-amendement de l'honorable M. Delfosse, qui vient d'être adopté par la chambre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On peut dire que le sous-amendement rend inutile la déclaration dans la loi. Mais on ne peut dire qu'il écarte le principe; car il le suppose. Ce n'est qu'une application. Il est impossible d'appliquer la proposition de l'honorable M. Delfosse ; si ce n'est à la condition que la rente sera personnelle.

M. Delfosse. - D'après le projet de loi, celui-là au nom de qui une rente est constituée aurait pu seul la toucher. J'ai voulu qu'en cas de dissolution de la communauté, chacun des deux époux put en toucher la moitié.

La loi dit qu'on peut inscrire des rentes au nom personnel de la femme ou du mari....

M. le président. - La discussion a été close.

M. Delfosse. - Je réponds à M. le ministre des finances.

M. le président. - On a demandé la division. Il s'agit de mettre d'abord aux voix le paragraphe nouveau proposé par M. le ministre des finances. (Interruption.)

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut cependant qu'on se comprenne.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il faut s'entendre sur la portée du paragraphe qui va être mis aux voix. Des membres semblent disposés à le repousser. Or, il se borne à consacrer le principe de l'inscription de la rente à titre personnel, sauf le droit des conjoints en cas de dissolution de la communauté ; c'est ainsi que l'a entendu l'honorable M. Delfosse.

M. le président. - Veut-on rouvrir de nouveau la discussion?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a eu tant de confusion dans cette dernière discussion, qu'au moment de voter, il faut bien que l'on s'entende sur ce qui est mis aux voix. Je ne discute pas, mais puisqu'on demande le vote par appel nominal, je demande qu'on sache bien quelle est la portée de ce vote.

Si l'honorable M. Delfosse voulait prendre la parole et dire tout haut ce que je lui entends dire sur son banc, le vote par appel nominal serait peut-être inutile.

M. Delfosse. - On ne veut pas me laisser parler.

M. le président. - Si la chambre veut rouvrir la discussion, j'accorderai la parole à M. Delfosse. Je consulte la chambre.

- La chambre décide que la discussion est de nouveau ouverte sur l'article 12.

M. Delfosse. - Il me semble que ma pensée est bien claire.

On peut inscrire des rentes au nom personnel du mari; on peut en inscrire au nom personnel de la femme. C'est là un principe qui a été voté.

Les rentes ainsi inscrites sont insaisissables et incessibles. On ne pourra donc pas enlever par une saisie, et l'époux ne pourra pas s'enlever à lui-même par une cession la rente inscrite en son nom personnel.

Nous avons encore décidé que celui-là seul, au profit de qui la rente est inscrite, aura le droit de la toucher. Personne ne pourra donc intervenir entre le rentier et le receveur; personne, je me trompe. D'après le sous-amendement qui vient d'être adopté et que j'avais eu l'honneur de vous présenter, le conjoint pourra dire : Lorsque nous étions réunis, nous jouissions de cette rente en commun ; elle pourvoyait à notre existence commune. Nous nous séparons, j'en demande la moitié.

Je n'ai pas voulu qu'en cas de dissolution de la communauté, celui au nom de qui la renie est inscrite pût la toucher seul. Je demande que chacun des deux époux touche la moitié de la rente. Il ne serait pas juste que l'un eût tout et l'autre rien.

Voilà ma pensée ; je crois qu'elle est bien claire. Aucun doute n'est possible après l'explication que je viens de donner. Il ne sera pas plus difficile au receveur de payer la moitié de la rente à chaque époux, que de la payer tout entière à un seul.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il résulte positivement de la déclaration que vient de faire l'honorable membre, que toute rente acquise sous l'empire de la loi que nous discutons, est une rente personnelle. Elle appartient exclusivement à celui qui l'acquiert, sauf les droits du conjoint en cas de dissolution de la communauté. (Interruption.)

Pour qu'il n'y ait pas d'équivoque, admettez donc dans la loi que toute rente est personnelle, est la propriété de celui qui l'acquiert, sauf le droit des conjoints en cas de dissolution de la communauté.

M. Tesch. - Il me paraît évident qu'on ne peut déclarer que la pension est propre à un des époux, alors que nous avons déclaré d'un autre côté que le conjoint a conservé tous ses droits. Qui dit propre dit que la chose appartient à un des époux à l'exclusion de l'autre. C'est dans ce sens que le mot propre est employé dans la loi; nous ne pouvons lui donner une autre signification.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je comprends que les honorables membres qui ont volé l'amendement de l'honorable M. Delfosse dans la persuasion qu'il excluait mon amendement, soient fort contrariés de reconnaître maintenant qu'il implique au contraire son adoption. Mais enfin, cela est ainsi. Je propose donc de rédiger le paragraphe en ces termes :

« Toute rente est personnelle à celui qui l'acquiert, sauf les droits du conjoint en cas de dissolution de la communauté. »

- Le paragraphe, ainsi rédigé, est adopté.

M. le président. - Viennent les deux autres paragraphes de l'article.

M. H. de Brouckere. - Je demande que l'on fasse un article séparé des deux dispositions qui font la seconde et la troisième partie de l'amendement de M. le ministre des finances. Il s'agit d'un tout autre ordre d'idées.

M. le président. - On pourra faire cela au second vote.

- Les deux autres dispositions de l'article 12 sont adoptées.

Projet de loi supprimant la peine de la flétrissure

Rapport de la section centrale

M. Destriveaux. - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale sur le projet de loi tendant à supprimer la peine de la flétrissure.

Les sections et la section centrale ont été unanimement d'avis que la proposition devait être admise.

(page 275) - La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l’ordre du jour.

Projet de loi fixant le contingent de l’armée pour l’année 1850

Dépôt

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - J'ai l'honneur de déposer le projet de loi qui fixe le contingent annuel de l'armée.

Comme ce projet de loi doit être voté avant la fin de l'année, je prie la chambre de bien vouloir en faire l'objet d'une de ses prochaines délibérations.

M. le président. - Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ce projet de loi; il sera imprimé et distribué. Aussitôt après sa distribution, les sections seront convoquées pour l'examiner.

Projet de loi sur l’exercice de la médecine vétérinaire

Dépôt

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) présente un projet de loi sur l'exercice de la médecine vétérinaire.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce projet et le renvoi à l'examen des sections.

Projet de loi ouvrant un crédit supplémentaire au budget du département des affaires étrangères

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'ouvrir un crédit de 78,000 fr. au département des affaires étrangères.

- Ce rapport sera imprimé et distribué. Le projet sera discuté à la suite des objets qui se trouvent déjà à l'ordre du jour.

Motion d’ordre

Clause abusive dans un marché militaire

M. Ansiau (pour une motion d’ordre). - Je suis heureux, messieurs, de voir M. le ministre de la guerre à son banc et j'espère qu'il voudra bien donner des explications sur l'interpellation que j'ai faite dernièrement, en ce qui concerne l'adjudication de 15,000 hectolitres de froment étranger à livrer sur la place d'Anvers.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Messieurs, il y a eu effectivement un projet d'adjudication de 30,000 hectolitres de froment étranger et de 30,000 hectolitres de froment indigène, mais l'adjudication n'a pas eu lieu; elle n'avait été proposée que pour connaître le prix du froment. Jamais on n'a pris pour l'armée du froment étranger en aussi grande quantité que du froment indigène. Mais il faut toujours une certaine partie de froment étranger pour avoir du pain de bonne qualité. Le froment indigène pur ne donne pas d'aussi bon pain que quand il est mélangé d'une portion de froment étranger. C'est ce qui se fait également dans toutes les administrations civiles, et par exemple, dans les adjudications pour les dépôts de mendicité.

M. le président. - S'il doit être donné une autre suite à cette interpellation, ne conviendrait-il pas de l'ajourner, par exemple, à la discussion du projet de loi sur les denrées alimentaires?

- Plusieurs membres. - Du budget de la guerre.

- Cette proposition est adoptée.

M. Moxhon. - Je demande seulement que d'ici là on ne fasse pas les adjudications comme celle dont il s'agit.

M. le ministre de la guerre (M. Chazal). - Il n'y a pas eu d'adjudication de froment étranger, mais il y a eu dernièrement, dans les villes de garnison, des adjudications exclusivement de froment indigène.

Projet de loi instituant une banque nationale chargée du service de caissier de l’État

Motion d'ordre

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, le gouvernement a annoncé, dans le discours du Trône, que les mesures qu'il y avait à prendre par suite de l'expiration prochaine du privilège de la Société Générale et par suite de l'obligation imposée par la loi d'organiser le service du caissier de l'Etat occupaient toute son attention.

Je suis heureux de pouvoir annoncer à la chambre que les graves difficultés qui pouvaient naître de la situation dans laquelle le pays se trouvait sous ce rapport, sont heureusement aplanies. J'ai réussi à conclure, avec nos deux établissements financiers, des conventions qui sont de telle nature que, tout en leur conservant une bonne position, nous pourrons réaliser une institution vivement désirée, l'institution d'une banque nationale, d'une banque d'escompte et d'émission, entièrement séparée de tout élément étranger et notamment de tout élément industriel.

J'aurai l'honneur de déposer prochainement un projet de loi portant organisation de cette banque et du service du caissier de l'Etat.

- De toutes parts. - Très bien ! très bien !

Projet de loi instituant une caisse générale de retraite

Discussion des articles

Article 13

« Art. 13. Les rentes sont payées mensuellement et par douzième, par les receveurs des contributions directes dans le ressort desquels les rentiers résident ; elles ne sont payées qu'aux rentiers résidant dans le royaume. »

M. le ministre de l'intérieur a proposé la disposition additionnelle suivante :

« Toutefois des exceptions peuvent être faites en faveur de Belges qui, depuis l'acquisition de leur rente, se seront établis à l'étranger. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je dirai quelques mots pour justifier mon amendement. Le principe de l'article 13, c'est que les rentes ne sont payées qu'aux rentiers résidant dans le royaume. Mais il peut arriver qu'un Belge, qui a acquis une rente, aille habiter, par exemple, une ville sur la frontière du pays. Il peut arriver qu'un vieillard veuille aller rejoindre sa famille, sa fille mariée qui demeurera sur le territoire étranger; il faudrait que, dans ce cas, il pût être dérogé à l'obligation du résider dans le pays. Le but de l'amendement est d'autoriser le gouvernement à faire des exceptions en faveur d'individus qui se trouveraient dans une position spéciale. La règle sera toujours de ne payer la rente qu'à celui qui réside dans le royaume.

- L'article 13 est adopté avec la disposition additionnelle proposée par M. le ministre de l'intérieur.

Article 14

« Art. 14. Il est remis à chaque assuré un livret, dans lequel sont inscrits les versements qu'il fait, les rentes qu'il acquiert et les arrérages qu'il reçoit. »

- Adopté.

Article 15

« Art. 15. Des arrêtés royaux détermineront la forme et la teneur des livrets, ainsi que le mode de constater l'âge, la résidence et l'existence des assurés. »

La section centrale a proposé la rédaction suivante :

« Art. 15. Des arrêtés royaux détermineront la forme et la teneur des livrets, ainsi que le mode de constater l'âge, la résidence et l'existence des assurés et les cas prévus par l'article 8. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous nous rallions à cette rédaction.

- L'article 15 du projet de la section centrale est mis aux voix et adopté.

Article 16

« Art. 16. La caisse d'assurance est administrée et dirigée par une commission de cinq membres, nommés par le Roi.

« Cette commission statue en dernier ressort sur les difficultés auxquelles peut donner lieu l'application des articles 8, 10 et 13. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il faudrait dire : Caisse de retraite, » au lieu de : « Caisse d'assurance. »

M. le président. - Il y a à cet article un amendement de M. Cools, qui est ainsi conçu :

« La gestion et la direction de la caisse d'assurances sont confiées à l'administration de la caisse d'amortissement et de celle des dépôts et consignations, sous le contrôle de la commission de surveillance de cet établissement.

« Cette administration statue en dernier ressort sur les difficultés auxquelles peut donner lieu l'application des articles 8, 10 et 13. »

M. Cools. - Messieurs, je désire me rapprocher, autant que possible, du projet du gouvernement, tout en maintenant intact le principe que j'ai voulu déposer dans cet article. Je proposerai donc un changement à l'amendement; je demanderai qu'au lieu de dire : « Sous le contrôle de la commission de surveillance de cet établissement, » on dise « sous le contrôle d'une commission de cinq membres nommés par le Roi. »

Puis, commencer le second paragraphe par ces mots : « Cette commission, » au lieu des mois : « cette administration. »

Je me rallie ainsi à la proposition du gouvernement, de confier la surveillance de la caisse à une commission spéciale de cinq membres, nommés par le Roi. Je maintiens intact le principe que la direction de la caisse de retraite soit confiée à la caisse d'amortissement ; mais sous le contrôle d'une commission de cinq membres nommés par le Roi.

Je n'aime pas le luxe en fait d'administration. Il existe une commission de surveillance auprès de la caisse d'amortissement; c'est pour cela que je n'avais pas songé à l'idée de nommer une deuxième commission. Toutefois, il y a des motifs pour désirer que la surveillance de la caisse de retraite soit confiée à une commission qui puisse exercer un contrôle journalier, et non à une commission, qui ne se réunit qu'à des époques assez éloignées.

Ainsi, je veux qu'on institue une commission spéciale pour contrôler la gestion du directeur de la caisse.

Maintenant vient la question de savoir qui sera le directeur de la caisse de retraite. Je demande que ce soit le directeur de la caisse d'amortissement. J'avais demandé qu'on inscrivît dans la loi le principe : que la caisse de retraite devrait se suffire à elle-même; je regrette de n'avoir pas réussi, mais nous désirons que cette garantie, que nous n'avons pas obtenue par une disposition formelle de la loi, on nous l'accorde d'une manière indirecte, autant que possible, par le mode d'organisation de l'administration. On nous a fait des promesses. Il a été entendu que la caisse de retraite devrait se suffire à elle-même, que le trésor public resterait indemne; nous demandons à cet égard une certaine garantie, et au point où la discussion est arrivée, nous ne pouvons trouver cette garantie que dans l'organisation même de la caisse.

Quelle est cette garantie? Cette garantie, c'est que la caisse de retraite soit complètement séparée de la caisse de l'Etat; c'est qu'il ne puisse jamais y avoir confusion des deux comptabilités.

En effet, la caisse de retraite devra faire beaucoup d'opérations de bourse. La caisse devra souvent aliéner des rentes pour faire le service. Des opérations de bourse sont inévitables. On a dit que les rentes sont inaliénables sous certains rapports, et aliénables sous d'autres.

Ce que nous demandons, c'est que les aliénations indispensables se fussent exclusivement dans l'intérêt de la caisse, et que, dans aucun besoin pressant du trésor, on ne vendra les rentes pour combler un déficit, sauf à le combler plus tard comme on pourra.

Maintenant, comment opérer la séparation des deux caisses? Nous nous trouvons ici entre deux dangers. La caisse de retraite doit être sous la main du gouvernement ; le gouvernement accorde sa garantie; il (page 276) faut donc que l'administration de la caisse soit continuellement sous la main du gouvernement; qu'elle soit confiée à un agent de l'État.

Nous demandons, d'un autre côté, que l'administration de la caisse de retraite ne soit pas confondue avec celle de la trésorerie. A qui peut-on dès lors la confier plus convenablement qu'à la caisse d'amortissement ?

D'ailleurs, il y a une question de crédit qui se rattache à ma proposition. Il est dans l'intérêt du crédit de l'Etat que celui qui fait les achats pour la caisse des consignations les fasse également pour la caisse de retraite. On l'a dit avec raison : la plupart des achats pour la caisse de retraite se feront en 2 1/2 ou 3 p. c. Lorsque les versements seront considérables, il faudra acheter beaucoup de ces fonds pour la caisse de retraite; eh bien, n'est-il pas indispensable que le directeur de la caisse de consignation sache de quelle importance sont ces placements, pour que les achats, dans l'intérêt de l'une ou de l'autre caisse, ne se fassent pas sur les mêmes fonds.

Tous les motifs se réunissent donc pour que l'administration de la caisse de retraite soit confiée à la caisse d'amortissement, comme l'a été le caisse des dépôts et consignations.

D'ailleurs vous avez entendu l'honorable rapporteur de la section centrale déclarer, dans le cours de la discussion, que ce serait une amélioration. L'honorable M. Mercier a déclaré également que, dans le projet primitif concernant les caisses d'amortissement, il voulait annexer le service d'une caisse de survie. Ainsi tout le monde est à peu près d'accord sur l'opportunité de ma proposition.

Je ferai remarquer encore qu'il y a, à cet égard, une disposition formelle dans le projet français, à l'article 13, dont ma proposition n'est que la reproduction. En France on a également senti l'opportunité de réunir la caisse de retraite à celle des dépôts et consignations.

Je n'entrerai pas dans de plus longs développements; je verrai si ma proposition est combattue ; je pense que je n'ai pas lieu de m'y attendre.

- L'amendement est appuyé.

M. T'Kint de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, l'article 16 est un des plus importants de la loi. Il crée une commission qui aura peut-être une influence décisive sur le sort même de l'institution. Cette commission devra être composée d'hommes spéciaux, intègres, dévoués surtout. C'est, en quelque sorte, un tribunal qui aura à statuer en dernier ressort sur les difficultés auxquelles peut donner lieu l'application des articles 8, 10 et 13.

L'honorable M. Cools vient de modifier son amendement ; il reconnaît maintenant qu'il est indispensable que l'administration de la caisse soit confiée à une commission spéciale.

Sur ce point donc nous sommes tout à fait d'accord.

L'honorable membre soulève une autre question, celle de savoir si la caisse des dépôts et consignations appliquera les fonds et en fera, au besoin, l'alimentation. Ne pensez-vous pas, messieurs, que pour simplifier le débat, pour éviter toute confusion, il faudrait d'abord voter l'art. 16 tel qu'il a été présenté par le gouvernement? Quant à la question de savoir si c'est le trésor public ou la caisse des dépôts et consignations qui aura le maniement des fonds, rien ne serait préjugé. On pourra revenir sur ce point à l'occasion de l'article 18. Mais j'insiste pour que la chambre sanctionne avant tout une disposition qui est extrêmement importante, et à laquelle il n'y a rien à changer.

L'article 18 porte :

« Toutes les recettes disponibles sont appliquées par le ministre des finances, la commission entendue, en achats d'inscriptions sur le grand-livre de la dette publique, au nom de la caisse.

« Aucune aliénation ne peut se faire sans une décision expresse de la commission. »

Rien n'empêcherait de dire : toutes les recettes disponibles seront appliquées par la caisse des dépôts cl consignations, la commission entendue, etc., etc.

Je ne pense pas que l'honorable M. Cools veuille établir un conflit administratif entre la commission spéciale et la commission de la caisse des dépôts et consignations. Si j'ai bien compris la pensée de l'honorable membre, il espère trouver, dans la disposition qu'il propose, plus de garanties de bonne gestion. Mais dans les deux systèmes, c'est en réalité le ministre des finances qui assume toute la responsabilité.

Lorsque nous discuterons l'article 18, nous verrons s'il est nécessaire d'inscrire dans la loi ce que demande l'honorable membre ou bien si un règlement administratif suffira pour atteindre le même but.

Dans tous les cas, il importe île ne pas confondre l'article 16, dont il s'agit en ce moment, avec l'article 18.

M. Cools. - Je désire que cette discussion ne présente pas la même confusion que la précédente. Je ferai tout ce qui dépend de moi pour qu'on ne discute pas sur de simples questions de rédaction. Celle de savoir où doit se placer la disposition que je propose est secondaire; ce qui importe, c'est de savoir quel principe nous voulons adopter. L'idée exprimée par l'honorable rapporteur de réserver cette question pour l'article 18, ne me paraît pas justifier. Il y a deux ordres d'idées dans les articles 16 et 18. L’article 16 détermine par qui sera administrée la caisse des retraites, et l'autre détermine l'emploi qui sera fait des fonds qui y seront versés. Avant de décider en quoi consistera cet emploi, il faut dire qui sera charge de l'opérer.

C'est donc de l'administration de la caisse qu'il faut s'occuper d'abord, et la proposition que j'ai faite de confier la gestion de la caisse au directeur de la caisse d'amortissement se rapporte bien positivement à l’article 16. C'est là qu'il faut dire comment vous organiserez l'administration de la caisse. J'ai demandé qu'elle fût confiée au directeur de la caisse d'amortissement. De toute manière, il vous faut un directeur. Or, j'indique ce directeur à l'article 16, et je demande que celui que vous nommerez agisse sous le contrôle ou assisté d'une commission.

Je ne fais que reproduire une disposition du projet de loi français, qui dit que l'administration de la caisse sera gérée par la commission de la caisse des dépôts et consignations. Je demande, en un mot, que la caisse de retraite soit administrée par un directeur assisté d'une commission de cinq membres, et qu'elle n'ait rien de commun avec la caisse de l'Etat.

J'ai voulu donner cette explication, pour éviter toute confusion dans les débats. Maintenant, ma proposition doit être bien comprise. Quant aux motifs, je les ai énoncés tout à l'heure.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La caisse de retraite doit former une institution spéciale, séparée, indépendante de toute autre; elle a un but déterminé, des appréciations distinctes à faire. C'est le gouvernement qui dirige cette caisse. Le projet propose de nommer une commission administrative qui surveillera toutes les opérations de la caisse.

C'est par une commission de cinq membres, d'après le projet, que la caisse sera administrée. Elle est administrée et dirigée par une commission de cinq membres, nommés par le Roi. Que propose M. Cools? Que cette commission subsiste et que certaines opérations soient faites par la caisse d'amortissement.

C'est bien là la pensée de l'honorable membre, la commission administrative proposée par le premier paragraphe de l'article 16; mais le placement des fonds sera fait par le directeur de la caisse d'amortissement. Ce système n'est propre qu'à faire naître des conflits. Vous avez la commission administrative de la caisse des retraites et la commission de surveillance de la caisse d'amortissement.

L'une émettra une opinion, l'autre émettra une autre opinion. Pourquoi préparer ces conflits? A quoi bon vouloir cette confusion dans les attributions? C'est inutile.

L'honorable membre me paraît se faire une fausse idée de ce qu'est la commission de surveillance de la caisse d'amortissement. Il y trouve plus de garanties que dans la commission instituée par le projet de loi.

C'est une institution fondée par une loi qui indique qu'elle doit faire telles opérations déterminées; mais qui fait ces opérations? Le ministre des finances avec un directeur-agent comptable. L'honorable membre pense-t-il qu'il y a une commission administrative? C'est une erreur; il y a une commission de surveillance qui peut signaler les mesures prises qui seraient contraires à une bonne administration; mais il n'y a pas de commission administrative, cette commission n'administre pas, elle n'a pas sous sa garde le dépôt de valeurs ; c'est le directeur agent comptable sous les ordres du ministre, qui a le dépôt de toutes les valeurs.

Maintenant, vous reconnaîtrez que, les choses étant ainsi, il est absolument indifférent que ce soit le directeur de la caisse d'amortissement ou le directeur du trésor qui fasse les opérations indiquées.

A ce que ce ne soit pas le directeur de la caisse d'amortissement qui dirige la caisse de retraite, l'honorable membre a signalé cet inconvénient que les deux caisses pouvaient aller se faire concurrence sur le marché, pour acquérir des rentes.

Cet inconvénient pourrait être réel. Mais il est facile de le faire disparaître. Dans les deux caisses, tout se personnifiera dans la personne du ministre. Par conséquent, le ministre peut dire aux deux directeurs: « Vous vous entendrez » ou il peut leur dire : «Vous ne ferez des acquisitions qu'avec mon autorisation »; ce qui est parfaitement dans son droit. Il est inutile de dire que le ministre ne laissera pas s'établir cette concurrence.

Je crois donc que l'amendement ne donne aucune garantie, ne peut produire aucun bien réel, et qu'il peut faire naître des inconvénients tels que des conflits entre deux administrations différentes.

M. Cools. - Je ne sais si la chambre a saisi la portée de ces explications. Il me semble qu'elle est très grande. Elle indique que la direction de la caisse sera confiée à un agent qui n'aura aucune responsabilité; que la gestion de cette caisse, instituer sous la garantie de l'Etat, sera confiée à cinq personnes qui rendront compte... on ne dit pas à qui, qui feront un simple rapport.

J'ai déjà déclaré qu'il ne peut y avoir de conflit puisque je renonce à ce que l'administration de la caisse soit confiée à la commission de surveillance de la caisse d'amortissement. Mais il est de la plus haute importance que la caisse de retraite, garantie par l'Etat, soit gérée par un agent responsable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce sera le ministre.

M. Cools. - Il faut un agent qui rende compte, il faut un agent comptable. Cet agent est indiqué par la loi française, par la nature des choses. C'est le directeur de la caisse, qui sera assisté, je le veux bien, de cinq commissaires.

M. de Brouckere. - D'après l'opinion de l'honorable M. Cools, le directeur de la caisse dirigerait et la commission assisterait. Nous demandons précisément le contraire. Nous demandons que la commission dirige et que le ministre des finances ou que la personne qu'il désignera (peu importe laquelle} assiste. Je n'admets pas que l'agent dirige et que ceux qui forment le conseil, assistent. Un conseil doit toujours dominer. (page 277) Le conseil doit traiter toutes les questions d'administration, décider ce qu'il y aura à faire. Puis, l'agent doit exécuter. L'exécution ne peut être prépondérante, c'est l'administration qui doit l'être.

On nous dit qu'elle n'aura pas de comptes à fournir, mais elle aura un compte moral et financier à fournir tous les ans à une commission composée des délégués des divers conseils provinciaux, et ce compte devra être rendu public.

Mais cette commission n'aura pas, dit-on, de maniement de fonds! Les articles 17 et 18 sont là ; n'intervertissez pas l'ordre des idées; la commission a une responsabilité toute morale; nous demandons que l'article 16 reste tel qu'il est, sauf à amender, s'il y a lieu, les articles 17 et 18 pour ce qui concerne uniquement la comptabilité.

- L'amendement de M. Cools est mis aux voix, il n'est pas adopté.

L'article 16 est adopté.

Article 17

« Art. 17. Toutes les recettes seront versées directement au trésor public.

« Il est remis mensuellement à la commission un compte des recettes et des dépenses.

«

- Adopté.

Article 18

« Art. 18. Toutes les recettes disponibles sont appliquées par le ministre des finances, la commission entendue, en achats d'inscriptions sur le grand-livre delà dette publique, au nom de la caisse.

« Aucune aliénation ne peut se faire sans une décision expresse de la commission. »

- Adopté.

Articles 19 et 20

La chambre décide, sur la proposition de M. Cools, qu'elle discutera simultanément les articles 19 et 20 ainsi conçus.

« Art. 19. Les comptes de la caisse sont arrêtés au 31 décembre de chaque année.

« La commission publie et soumet au contrôle de neuf commissaires délégués par les conseils provinciaux le compte financier et moral de la caisse.

« Tous les trois ans au moins, le gouvernement présentera à la législature un rapport détaillé sur la situation de l'institution. »

« Art. 20. Chaque conseil provincial délègue, dans la session ordinaire, un de ses membres, pour procéder à la vérification des comptes, avant l'expiration du premier trimestre de l'année suivante. »

M. le président. - La parole est à M. Cools pour développer les amendements qu'il a présentes à ces deux articles, et qui sont ainsi conçus :

« Art. 19. Les comptes de la caisse sont arrêtés au 31 décembre de chaque année.

« L'administration de la caisse aura un compte courant ouvert à la direction du trésor public. Cette direction lui fera, au besoin, l'avance des fonds nécessaires pour assurer le service de la caisse.

« Tous les trois ans, sur la proposition de l'administration de la caisse, la commission de surveillance préalablement entendue, le tarif des rentes sera révisé dans le double but d'assurer le service des arrérages et de mettre le trésor public à couvert de toutes ses avances quelconques. »

« Art. 20. Avant la fin du premier trimestre de chaque année, le ministre des finances fait aux chambres un rapport sur l'administration et la situation de la caisse.

« Ce rapport sera préalablement soumis à l'examen de neuf commissaires délégués par les conseils provinciaux. L'avis de ces commissaires sera joint au rapport à présenter aux chambres.

« Ces commissaires seront choisis annuellement, un par province, par chaque conseil provincial, réuni en session ordinaire parmi les membres du conseil. »

M. Cools. - Vous aurez déjà remarqué que le dernier paragraphe de mon amendement à l'article 19 est venu à tomber par suite du vote que le chambre a émis sur l'article 4. Il ne peut plus en être question.

Restent les deux premiers paragraphes de l'article 19. Je dirai d'abord un mot du second paragraphe.

« L'administration de la caisse aura un compte courant ouvert à la direction du trésor public. Cette direction lui fera, au besoin, l'avance des fonds nécessaires pour assurer le service de la caisse. »

L'article premier de la loi porte que la caisse est instituée sous la garantie de l'Etat. Il a été établi dans la discussion que cette garantie ne pourra jamais être onéreuse, que la caisse devra se suffire à elle-même. Il s'agit donc maintenant de réglementer cette partie de l'article premier. Qu'est-ce que c'est que la garantie de l'Etat?

Remarquez, messieurs, que si la loi restait telle qu'elle est formulée jusqu'à l'article 18, le directeur du trésor ne pourrait faire aucune avance à la caisse. Car il est de règle que les fonds ne peuvent sortir de la caisse de l'Etat qu'en vertu de la loi. Il faut donc qu'on prévoie le cas où une simple avance sera nécessaire, et il convient qu'on introduise, dans la loi sur la caisse de retraite, une disposition analogue à celle qui se trouve dans la loi sur la caisse des dépôts et consignations. Je n'ai fait, dans le deuxième paragraphe de mon amendement, que reproduire textuellement la disposition de cette dernière loi.

Vient maintenant l'ensemble des articles 19 et 20.

Je propose d'introduire dans ces articles un principe nouveau, c'est que tous les ans il devra être fait un rapport aux chambres. Je crois que dès le début de la discussion on a été d'accord pour reconnaître qu'il était convenable qu'il en fût ainsi. La section centrale propose de décider qu'un rapport sera fait tons les trois ans; je crois qu'il faut aller plus loin, qu'il faut dire que le rapport sera annuel. Il convient que tous les ans la chambre sache quelle est la position de lu caisse. Ceci convenu, il ne reste plus qu'une question de rédaction. Il s'agit de formuler les articles 19 et 20 de la manière la plus convenable. Eh bien, je propose de comprendre dans l'article 19 ce qui concerne les comptes, et dans l'article 20 ce qui concerne le rapport annuel. De cette manière chacun de ces articles a une destination bien distincte.

Reste à régler ce qui concerne la commission de surveillance des neuf délégués des provinces.

Je crois que l'intervention de cette commission, en ce qui concerne la vérification et l'adoption des comptes, est inutile; pour les questions de chiffres, de comptabilité, la commission de cinq membres peut suffire à tout; il ne faut pas astreindre les commissaires provinciaux à des voyages qui ne seraient d'aucune utilité.

Seulement il est nécessaire que ces commissaires aient connaissance du rapport à présenter aux chambres, et qu'ils puissent y joindre, au besoin, leurs observations.

Je reproduis le texte du projet en ce qui concerne la nomination des commissaires provinciaux.

Telle est la portée de mes amendements. En ce qui concerne la distribution des articles, il ne s'agit guère que d'une question de rédaction. Mais je tiens surtout à deux choses : c'est qu'un rapport annuel soit fait aux chambres, et en second lieu qu'une disposition soit votée en ce qui concerne les avances à faire à la caisse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je repousse l'amendement que propose l'honorable M. Cools et qui a pour objet une mesure purement réglementaire. Il est inutile qu'on s'occupe dans la loi du point de savoir comment sera fait le service de la caisse par le trésor qui aura perçu. Car, d'après la loi, c'est le trésor qui percevra.

M. Cools. - Je demanderai à M. ministre s'il repousse la partie de mon amendement qui concerne le rapport annuel à faire aux chambres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On peut dire qu'un rapport sera fait tous les ans au lieu de tous les trois ans.

M. de Brouckere. - Je demande la préférence pour la rédaction de la section centrale, en substituant aux mots « tous les trois ans » ceux-ci : « tous les ans ». Mais je repousse les autres dispositions de l'amendement.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, le premier paragraphe de l'article en discussion est conçu en ces termes : « Les comptes de la caisse seront arrêtés le 31 décembre de chaque année. »

Il me semble que cette rédaction laisse à désirer.

Le paragraphe 2 est relatif à un compte moral; le compte, dont le paragraphe premier fait mention doit donc concerner un compte en deniers.

S'il en est ainsi, comme je ne puis en douter, il faut un agent comptable pour rendre le compte, et ce compte ne peut être arrêté que par la cour des comptes.

Je prie M. le ministre des finances de vouloir m'éclairer dans ce doute, et de me dire, qui est-ce qui, d'après lui, rendra le compte, et quelle est l'autorité qui sera chargée de les arrêter?

Voici encore une observation. Le paragraphe premier exprime que le compte sera arrêté au 31 décembre de chaque année. Cette prescription me semble critiquable. Je suppose qu'il s'agisse d'arrêter le compte de l'année 1849, est-il possible de le rendre, de le fermer et de l'arrêter au 31 décembre de la même année? Cela est impraticable.

Aussi, comment a-t-on procédé pour la loi qui établit l'administration de la caisse des fonds des cautionnements et des tiers? D'après l'article 17, l'agent, comptable rend annuellement ses comptes de gestion à la cour des comptes avant le 1er mars.

Il me semble qu'il y a lieu de procéder ici de la même manière. De cette façon, celui qui rendra le compte aura le temps de le fermer et de le présenter à qui de droit.

Je propose donc de remplacer les mots: « 31 décembre », par ceux-ci : « avant le 1er mars ».

Je désire que M. le ministre des finances veuille bien exprimer une opinion sur les observations que je viens de formuler.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il me semble qu'il y a un compte de gestion et un compte de deniers qui doit nécessairement être fait par l'administration du trésor. Si c'est cette administration qui est chargée de faire les opérations de la caisse, je suis d'accord avec l'honorable préopinant qu'un compte de cette nature ne peut être arrêté que par la cour des comptes. Il s'agit de fonds perçus par l'Etat. Dès qu'il s'agit de fonds perçus et gérés par l'Etat, on en doit compte à la cour.

Il y a un compte moral dont parle également l'article, qui est un compte à présenter aux chambres sur l'ensemble des opérations de la caisse.

Je pense que ces explications doivent satisfaire entièrement l'honorable membre.

M. de Man d'Attenrode. - La déclaration que vient de faire. M. le ministre est de nature à me satisfaire, quant à la question de savoir que les comptes seront arrêtés. Ils le seront donc par la cour des comptes. Reste à savoir maintenant qui sera chargé de présenter le compte.

M. le ministre est d'avis que, comme la gestion s'opérera par (page 278) l'administration des finances, c'est à la trésorerie qu'il appartiendra de présenter les comptes. J'objecterai à M. le ministre que du moment où le compte doit être arrêté par la cour, il faut que la cour des comptes ait devers elle un agent responsable, un homme avec lequel elle puisse compter, un agent comptable, en un mot, qu'elle déclarera quitte, en avance ou en débet. Or, la trésorerie est un être fictif, car elle ne peut être saisissable dans ses biens, dans sa personne, comme un comptable.

Il me paraît donc démontré que la caisse de retraite doit être gérée par un agent comptable, comme l'a établi la loi qui régit la caisse des cautionnements, la loi du 15 novembre 1847.

Remarquez, messieurs, qu'il y a une grande analogie entre la caisse des cautionnements et celle que vous voulez fonder; ce sont deux caisses contenant des fonds appartenant à des tiers, administrées sous le contrôle du gouvernement, et dont l'Etat est responsable. Dès lors, il est indispensable de se conformer à ce que prescrivent les articles 5 et 7 de la loi de comptabilité pour l'organisation de la gestion de caisses de cette nature.

Je propose, en conséquence, de remplacer le paragraphe premier de l'article en discussion par le suivant :

« Les comptes de la caisse sont rendus par un agent comptable, et arrêtés par la cour des comptes avant le 1er mars de chaque année. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'admets provisoirement l'amendement. S'il y a lieu, nous y reviendrons au second vote.

M. le président. - M. Cools retire-t-il son amendement?

M. Cools. - Il vient à tomber puisqu'on le reproduit sous une autre forme.

- L'article 19 est adopté avec l'amendement de M. de Man d'Attenrode et avec l'amendement de M. Cools, qui consiste à dire : « tous les ans » au lieu de : « tous les trois ans. »

« Art. 20. Chaque conseil provincial délègue, dans la session ordinaire an de ses membres, pour procéder à la vérification des comptes, avant l'expiration du premier trimestre de l'année suivante. »

M. le président. - M. Cools, maintenez-vous l'amendement que wus aviez proposé à cet article ?

M. Cools. - Je demanderai au gouvernement s'il ne serait pas convenable de dire, dans l'article 20, que ie rapport dont il s'agit sera préalablement examiné par les délégués des conseils provinciaux?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est aux chambres qu'on fait rapport. On ne peut pas faire intervenir les conseils provinciaux dans les relations entre le gouvernement et les chambres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le gouvernement ne peut pas aller soumettre à une commission un rapport qu'il fait à la chambre.

M. Cools. - Je n'insiste pas.

- L'article 20 est adopté.

Article 21

« Art. 21. Tous les actes, toutes les pièces nécessaires à l'exécution des dispositions de la présente loi sont délivrés gratis et exempts des droits de timbre et d'enregistrement. »

- La section centrale propose d'ajouter : « et de greffe. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous nous rallions à cet amendement.

- L'article 21 est adopté avec l'addition des mots : « et de greffe. »

Article 22 (disposition transitoire)

« Art. 22. Pendant les cinq ans qui suivront la promulgation de la présente loi, l'acquisition des rentes ne devra précéder que de cinq ans l'époque fixée pour l'entrée en jouissance. »

La section centrale propose de dire : « pourra ne précéder » au lieu de dire : « ne devra précéder. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Nous nous rallions à cet amendement et nous proposons de supprimer l'intitulé : « Dispositions transitoires. »

- L'art. 22 est adopté avec l'amendement de section centrale, et l'intitulé « dispositions transitoires » est supprimé.

Le vote définitif du projet de loi est fixé après le vote du budget des voies et moyens.

Projet de loi modifiant la législation sur les faillites, les banqueroutes et le sursis

Discussion des articles (Livre III du code de commerce

Titre I. Des faillites

Chapitre X. De la revendication

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du chapitre X de la loi sur les faillites et sursis. J'ouvrirai la délibération sur les articles proposés dans le rapport supplémentaire de M. Tesch, et auxquels le gouvernement s'est rallié.

Article 570

« Art. 570. Pourront être revendiquées, en cas de faillite, les remises en effets de commerce ou autres titres non encore payés, et qui se trouveront en nature dans le portefeuille du failli à l'époque de sa faillite, lorsque ces remises auront été faites par le propriétaire avec simple mandat d'en faire le recouvrement et d'en garder la valeur à sa disposition, ou lorsqu'elles auront été de sa part spécialement affectées à des payements déterminés. »

M. Coomans. - Je prévois que la chambre ne s'arrêtera guère sur ces articles. Cependant, quel que soit mon regret de devoir prendre la parole et de retarder ainsi le vote, mon devoir parle plus haut que la crainte de fatiguer votre indulgence; je ne laisserai pas passer l'occasion de rendre un nouvel hommage au rapport de l'honorable M. Tesch, surtout quant aux pages qu'il a écrites relativement au chapitre X, De la revendication.

J'avoue que, lorsque j'ai lu les considérations que l'honorable rapporteur a fait valoir, il ne m'est pas entré dans l'esprit que la chambre ne pût pas adopter ses conclusions, entièrement défavorables au système improvisé que l'on vient vous proposer aujourd'hui.

L'honorable M. Tesch, d'accord alors avec l'honorable ministre de la justice, a résumé avec tant de clarté, avec une force d'argumentation telle, les objections qui se présentent contre la revendication, que j'ai été surpris de voir la commission et le gouvernement abandonner presque à l'impromptu une opinion qui me semblait si bien fondée.

Mon intention, je le répète, n'est pas de prolonger une discussion qui n'est pas dans les désirs de la chambre, mais je fais mes réserves personnelles à cet égard et je déclare que je n'admettrai la revendication que dans les cas de dépôt, c'est-à-dire dans les cas prévus par l'article dont l'honorable président vient de donner lecture et dans deux ou trois articles subséquents; dans ces cas, il n'y a pas réellement revendication, mais plutôt restitution de dépôt.

Quanta la revendication proprement dite, je regrette beaucoup qu'on ne l'efface pas de nos lois, afin de rentrer dans le droit commun, et d'éviter une foule de contestations souvent ruineuses.

On a beaucoup insisté sur la nécessité d'offrir aux nations étrangères la réciprocité, un traitement égal à celui que nos nationaux trouvent chez elles. Mais, messieurs, cet argument est très faible, car en fait, le droit de revendication n'existe pas chez les nations avec lesquelles nous traitons, ou s'il existe, il est à peu près nul dans ses résultats. Le droit de revendication n'a peut-être pas été exercé trois fois, utilement, efficacement, par des Belges, et lorsqu'ils se sont trouvés dans le cas d'en user, ils ont rencontré des difficultés telles qu'ils ont dû, chaque fois, reculer avec perte.

Je le répète, messieurs, je ne me fais pas illusion sur les succès de ces remarques sommaires, mais j'ai cru devoir faire mes réserves formelles et expliquer le vote négatif que j'émettrai.

M. Lelièvre. - Je dois présenter une observation que me suggèrent les différents articles du chapitre X. Le projet de la commission n'admet la revendication qu'avec des restrictions assez notables. Il est bien entendu que ces dispositions ne porteront aucune atteinte aux conventions qui pourraient intervenir entre les parties. C'est ainsi que dans les ventes de taillis , de futaies ou d'autres marchandises, le propriétaire stipule très souvent qu'à défaut de payement du prix, il pourra en tout temps se ressaisir des objets vendus. Cette convention doit, à mon avis, recevoir son exécution, entre le vendeur et l'acheteur, parce qu'elle a formé la loi des parties et que le vendeur est certes libre d'apposer à la vente telle condition qu'il juge convenable.

Je désire toutefois que le gouvernement s'explique à cet égard, afin qu'il ne puisse s'élever aucun doute. Il sera ainsi entendu que les dispositions que nous discutons ne seront applicables que sauf la convention contraire.

M. Tesch, rapporteur. - Je répondrai à l'honorable M. Lelièvre que la condition dont il parle est toujours sous-entendue dans les conventions. Du moment où il y a dessaisissement, où la marchandise est mise à la disposition de celui qui l'a achetée, il est évident que la revendication ne peut plus être admise. La condition expresse, en cas de faillite, ne me paraît pas devoir avoir plus de force que la condition tacite. Admettre le contraire serait étendre le principe de la revendication par suite de conventions.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, je pense, avec l'honorable rapporteur, que cette question doit être laissée dans les termes du droit commun. Les tribunaux se prononceront suivant les circonstances. Il est impossible de poser dans la loi un principe absolu dans le sens de l'interpellation de l'honorable M. Lelièvre. Il est possible que, dans certaines circonstances, les conventions doivent être maintenues; il est possible aussi que, dans d'autres circonstances, ces conventions ne puissent pas prévaloir contre la disposition du projet actuel ; les tribunaux apprécieront.

M. Lelièvre. - Du moment qu'il est entendu que la loi en discussion ne déroge pas aux conventions contraires, il est satisfait à mon observation.

J'ai voulu constater le fait important que les dispositions du projet ne portent pas atteinte aux stipulations particulières. C'est, du reste, ce qui a souvent été décidé sous l'empire du Code actuel.

M. Tesch, rapporteur. - Messieurs, lorsque la vente est soumise au payement immédiat, il y a lieu à revendication, tant que le payement n'est pas effectué; mais s'il y a vente à crédit, il n'y a plus lieu à revendication, que dans les conditions déterminées par la loi ; ce sont là les principes que nous avons consacrés.

M. Loos. - Messieurs, je désire répondre un mot à l'honorable M. Coomans, qui trouve que la réciprocité admise dans les pays étrangers, à l'égard de la Belgique, n'est qu'un faible argument que nous avons invoqué pour demander que la revendication fût maintenue dans notre législation commerciale. J'avoue que cette raison m'a paru assez déterminante pour me décider à appeler de nouveau l'attention de la chambre sur cette partie de la loi.

Comment! quand dans presque tous les pays du monde on nous offre la revendication comme une ancre de salut dans les cas de malheur, la (page 279) Belgique voudrait faire une exception à la pratique universelle du monde commercial!

L'honorable M. Coomans dit que les Belges ne trouveront pas à exercer ce droit de revendication à l'étranger; moi qui habile une ville commerciale, je puis dire que les Belges trouvent à exercer le droit de revendication dans les pays étrangers. Je citerai, à l'appui de ce que j'avance, la loi qui vient d'être faite en Hollande : il n'y a pas d'exception contre la Belgique ; je crois que toutes les difficultés qu'on nous a fait entrevoir sur l'exercice du droit de revendication à l'étranger n'existent pas.

- L'article 570 est mis aux voix et adopté.

Articles 571 à 576

« Art. 571. Pourront être également revendiquées, aussi longtemps qu'elles existeront en nature en tout ou en partie, les marchandises consignées au failli à titre de dépôt, ou pour être vendues pour le compte de l'envoyeur.

« Pourra même être revendiqué le prix ou la partie du prix desdites marchandises, qui n'aura été ni payé ni réglé en valeur, ni compensé en compte courant entre le failli et l'acheteur. »

- Adopté.


« Art. 572. Pourront aussi être revendiquées les marchandises expédiées au failli, tant que la tradition n'en aura point été effectuée dans ses magasins, ou dans ceux du commissionnaire charge de les vendre pour le compte du failli.

« Néanmoins, la revendication ne sera pas recevable, si, avant leur arrivée, les marchandises ont été vendues sans fraude, sur factures et sur connaissements ou lettres de voiture signés par l'expéditeur. »

- Adopté.


« Art. 573. Le revendiquant sera tenu de rembourser à la masse les à-compte par lui reçus, ainsi que toutes avances faites pour fret ou voiture, commission, assurance ou autres frais, et de payer les sommes qui seraient dues pour mêmes causes. »

- Adopté


« Art. 574. Pourront être retenues par le vendeur les marchandises par lui vendues qui ne seront pas délivrées au failli, ou qui n'auront pas encore été expédiées, soit à lui, soit à un tiers pour son compte. »

- Adopté.


« Art. 575. Dans le cas prévu par les articles 572 et 574, et sous l'autorisation du juge-commissaire, les curateurs auront la faculté d'exiger la livraison des marchandises, en payant le prix convenu entre lui et le failli. »

-Adopté.


« Art. 576. Les curateurs pourront, avec l'approbation du juge-commissaire, admettre les demandes en revendication; et s'il y a contestation, le tribunal statuera, sur le rapport du juge-commissaire. »

- Adopté.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Messieurs, le projet de loi contient 8 articles de plus que le titre du Code de commerce qu'il est destiné à remplacer. Je demanderai que d'ici au second vote la chambre m'autorise à m'entendre avec l'honorable rapporteur, pour revoir quelques articles qui pourront être réunis sans inconvénient, afin de pouvoir encadrer la loi actuelle dans le Code de commerce entre les articles 436 et 615, sans que le numérotage des articles postérieurs soit dérangé.

M. Tesch, rapporteur. - J'appuie cette proposition.

M. Delehaye. - Je l'appuie également ; c'était le vœu unanime de la commission spéciale.

- La proposition de M. le ministre de la justice, mise aux voix, est adoptée.

Article additionnel

M. Dumortier. - Messieurs, dans le projet de loi sur les faillites, nous avons volé dos mesures propres à amener une prompte liquidation» des faillites. C'était une plainte générale du commerce que très souvent les faillites n'étaient pas liquidées. Il existe des faillites ouvertes depuis près de 40 années et qui aujourd'hui ne sont pas encore liquidées.

Je demanderai à M. le ministre de la justice s'il ne croit pas qu'il serait utile de voter une disposition transitoire quelconque pour arriver à la liquidation de ces faillites. Messieurs, dans une faillite non liquidée, il reste d'ordinaire une somme en caisse; il n'existe pas de moyen de faire rendre compte au syndic. Qui est-ce qui pourrait lui faire rendre compte? La masse créancière? Mais la masse créancière est elle-même représentée par le syndic. Le moyen de faire rendre compte n'existe donc pas, et il en résulte ce grave inconvénient, qu'il n'est pas possible d'arriver à la liquidation des faillites qui durent depuis un grand nombre d'années.

De tous les abus, il n'en est pas de plus grands que ceux qui se passent sous le couvert de la loi ; l'abus que je signale en ce moment est de ce genre.

Je demanderai donc à M. le ministre de la justice si, à son avis, il ne conviendrait pas d'intercaler dans les dispositions transitoires une disposition qui permît à l'autorité de faire rendre compte aux syndics et d'arriver à avoir des comptes rendus de tous les syndicats arriérés de 20, 30 et même 40 ans. Les tribunaux de commerce sont impuissants pour faire rendre ces comptes; ils peuvent bien insister auprès des syndics, s'ils ne répondent pas, réitérer deux, trois, quatre fois leur demande de comptes, mais ils n'ont aucun moyen de contraindre les syndics à les rendre. C'est un très grand abus. Les trois quarts des faillites, jusqu'ici, ne sont pas arrivées à la fin de leur liquidation.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Je reconnais avec l'honorable M. Dumortier qu'il y a encore un grand nombre de faillites non liquidées, soit par la négligence des syndics, soit peut-être aussi par la négligence des tribunaux qui devaient les surveiller. C'est un très grand abus que la loi nouvelle parviendra, j'espère, à faire cesser. Je crois cependant qu'il serait difficile d'insérer dans le projet de loi une disposition transitoire efficace qui permît de remédier aux abus antérieurs.

Toutefois, il y a peut-être quelque chose à faire; je crois qu'au moyen de mesures administratives, en appelant l'attention des tribunaux de commerce et du ministère public sur les faillites non liquidées, on pourra parvenir à remédier en partie aux inconvénients signalés. Mais, je le répète, il serait inutile et même inopportun d'insérer dans la loi une disposition spéciale à cet effet.

M. Dumortier. - Puisque M. le ministre pense pouvoir, par voie administrative, arriver au résultat que je désire, je me déclare satisfait. Cependant je doute que l'autorité judiciaire soit investie des pouvoirs nécessaires à cet effet. Au reste, M. le ministre en sait plus que moi sur les abus que je voudrais qu'on fît cesser, et je m'en rapporte à lui.

M. le ministre de la justice (M. de Haussy). - Si les mesures administratives que je viens d'indiquer étaient inefficaces, il serait toujours temps de présenter un projet de loi pour atteindre le but que se propose M. Dumortier.

- La chambre fixe ls second vote sur la loi concernant les banqueroutes, faillites et sursis, après le second vote de la loi relative à l'institution d'une caisse d'assurance sur la vie.

La séance est levée à 4 1/2 heures.