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Chambres des représentants de Belgique
Séance du samedi 23 février 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 783) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à midi et un quart.

La séance est ouverte.

M. Dubus lit le procès-verbal de la séance précédente; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les bourgmestre et échevins d'Antoing demandent la création, dans cette ville, d'un bureau de perception postale. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Quelques distillateurs à Ypres présentent des observations contre la proposition de la loi qui a pour objet de modifier les articles 1 et 5, de la loi du 27 juin 1842 sur les distilleries. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner la proposition de loi.


« Plusieurs habitants de Moll demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les établissements d'instruction publique à Bruxelles et dans les provinces flamandes; qu'on y soit tenu de s'en servir pour enseigner les langues allemande et anglaise ; que les administrations communales et provinciales et, autant que possible, les tribunaux fassent exclusivement usage de cette langue; qu'il y ait une académie flamande annexée à l'Académie de Bruxelles, et que la langue flamande jouisse, à l'université de Gand, des mêmes prérogatives que la langue française.»

« Même demande de plusieurs habitants de Casterlé.»

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur l'enseignement moyen.


« La chambre de commerce et des fabriques de Courtray présente des observations contre le projet de loi de crédits supplémentaires au département de la justice. »

M. de Haerne. - Je demanderai le renvoi de cette pétition à la section centrale chargée d'examiner le projet dont il s'agit, et le dépôt sur le bureau pendant la discussion de ce projet.»

- Cette proposition est adoptée.


Par messages des 21 et 22 février, le sénat informe la chambre qu'il a adopté le projet de loi sur les denrées alimentaires, le projet de loi autorisant le gouvernement à lever des prohibitions de sortie et à réduire ou à supprimer des droits d'exportation, et le projet de loi concernant l'assimilation de marchandises. »

- Pris pour notification.


M. Fréd. Hennebert, au nom de l'Association professorale, fait hommage à la chambre d'un exemplaire du journal le Moniteur de l'enseignement.

- Dépôt à la bibliothèque.


M. de Renesse demande un congé.

- Accordé.


M. Deliége informe la chambre qu'il ne peut assister à la séance.

- Pris pour information.

Ordre des travaux de la chambre

M. Mercier (pour une motion d’ordre). - Messieurs, le projet de loi sur l'institution d'une banque nationale se trouve à l'ordre du jour après différents autres objets. Vu l'importance de ce projet, je demande, conformément au désir exprimé par plusieurs de nos honorables collègues, que la discussion n'ait pas lieu avant mardi prochain.

M. le président. - Il est entendu que, si la discussion du projet relatif à la contribution foncière n'était pas terminée, elle serait continuée sans interruption.

M. Mercier. - C'est ainsi que je l'entends. Je demande simplement que la discussion du projet relatif à la banque nationale ne vienne pas avant mardi.

- La proposition de M. Mercier est adoptée.

Prise en considération de demandes en naturalisation

Il est ouvert un scrutin sur la prise en considération de la demande en grande naturalisation du sieur Charles-Louis Defruyt. En voici le résultat :

Nombre des votants 66.

Boules blanches, 1.

Boules noires, 65.

En conséquence, la demande n'est pas prise en considération.


M. le président. - Un scrutin est ouvert sur la demande en grande naturalisation du sieur Alfred Sébastien Ryss.

Le rapport de la commission des naturalisations est ainsi conçu : « Le sieur Alfred-Sébastien Ryss, né à Liège le 20 mars 1812, d'une mère belge et d'un père français, ayant négligé de remplir la formalité prescrite par l'article 9 du Code civil, invoque, pour obtenir la grande naturalisation, le bénéfice du troisième paragraphe de l'article 2 de la loi du 27 septembre 1835.

« Elevé dans ce pays, où il a fait ses études et auquel il a voué toutes ses affections, le pétitionnaire, aujourd'hui capitaine attaché à l'état-major du lieutenant général commandant la première division territoriale, est, d'après les pièces qui sont jointes au dossier, un officier instruit et distingué, méritant à tous égards la faveur qu'il sollicite; votre commission est d'avis que le sieur Ryss est digne de recouvrer la qualité de Belge. »

M. Dumortier. - Messieurs, j'ai demandé la parole, non dans un but d'opposition à la personne dont il s'agit, mais pour engager la chambre à examiner une bonne fois la question de droit que soulève cette demande. Il résulte d'un arrêt de la cour de cassation, relativement aux personnes qui se trouvent précisément dans une condition analogue à celle du pétitionnaire, que ces personnes sont pleinement Belges, ayant acquis la naturalité sous l'empire de la loi fondamentale. Nous donnons à tout instant des naturalisations à des personnes qui n'en ont pas besoin. Il est regrettable qu'on vienne exposer à un rejet une personne qui est aussi Belge qu'aucun de nous.

Je le répète, la question est résolue par un arrêt de la cour de cassation. Il résulte du texte formel de l'article 8 de la loi fondamentale des Pays-Bas que toute personne, née en Belgique, de parents y domiciliés, avait, le jour de la promulgation de la loi fondamentale, la qualité pleine et entière de Belge. Or, le pétitionnaire est né en 1812; le jour de la promulgation de la loi fondamentale des Pays-Bas, il a donc acquis en toute plénitude la qualité de Belge. Que faisons-nous? Nous lui faisons payer mille francs pour une chose qu'il possède. Cela n'est pas raisonnable.

J'ai déjà plusieurs fois appelé l'attention de la chambre sur la nécessité de décider définitivement cette question par une loi.

M. Rodenbach. - Messieurs, les observations faites par l'honorable M. Dumortier me paraissent fondées. Je demande le renvoi à la commission, avec invitation de nous faire un nouveau rapport.

M. Destriveaux, président de la commission des naturalisations. - Messieurs, j'avoue que les observations qu'on vient de présenter me causent quelque surprise. Une partie de ces observations n'a pas échappé à l'attention de la commission ; mais la commission a pensé cependant qu'elle devait vous faire son rapport. Quelle est la position du pétitionnaire? Il est né à Liège, en 1812, d'un père d'origine française; sa mère était Liégeoise. Sous la loi fondamentale de 1815, qui a cessé de nous régir, non plus que sous notre loi fondamentale actuelle, il n'a fait de démarches tendant à se faire reconnaître; en sorte qu'ici il y a toujours un léger doute sur la position qu'il peut avoir, politiquement pariant.

Sous le rapport pécuniaire, qui semble avoir touché l'honorable préopinant, il n'y a pas le moindre inconvénient, car il est dans la position de ne devoir rien payer ; il est entré au service en 1830; je puis certifier le fait, car je faisais partie du congrès, et j'ai contribué à son entrée au service; il y est constamment resté; il s'est conduit en officier distingué, il a servi sous l'honneur du drapeau, et l'on peut ajouter qu'à son tour il a honoré le drapeau.

Il n'y a pas d'inconvénient à admettre sa requête. On demande de suspendre la décision, et de renvoyer à la commission des naturalisations; à quoi cela conduirait-il?

La commission des naturalisations a fait ce qu'elle pouvait et devait faire; elle n'est pas compétente pour décider la question au fond; ce sera du temps perdu, et pendant ce temps l'impétrant peut être frappé dans ses droits par des événements imprévus.

Libre à l'honorable M. Dumortier, pour l'avenir, de présenter un projet de loi ayant pour objet de résoudre la question qu'il a soulevée, s'il persiste à le croire utile.

(page 784) Je le répète, un ajournement de décision sur la demande qui nous est soumise me semble devoir être préjudiciable à l'impétrant, et une décision actuelle ne lèse aucune espèce de droit; le législateur ne fera que reconnaître un droit acquis, continuer un droit que personne ne conteste.

M. Delehaye. - Messieurs, je dois rappeler que, dans la session dernière, un cas identiquement le même que celui dont il s'agit s'est présenté; il s'agissait d'une personne née en Belgique de parents étrangers, autorisés à fixer leur résidence dans ce pays. La commission a été d'avis, attendu que le pétitionnaire était Belge, qu'il n'y avait pas lieu de prendre de décision sur sa demande. La chambre, à l'unanimité, a admis cette manière d'interpréter la loi; et le pétitionnaire a été reconnu Belge. Je pense que la personne dont il s'agit se trouve dans le même cas.

Ne pourrait-on pas renvoyer à la commission des naturalisations qui consulterait ces antécédents, et voir si le pétitionnaire n'a pas autant de droit que la personne à laquelle je fais allusion? Je connaissais parfaitement la situation de cette personne, car elle était de Gand. La commission avait reconnu qu'elle était Belge; si, comme je le pense, celle dont nous nous occupons est dans le même cas, la chambre ferait bien de s'abstenir et de renvoyer à la commission des naturalisations.

M. de Perceval. - Je dois faire remarquer, en réponse à ce que vient de dire l'honorable M. Delehaye, que le cas dont il s'agit n'est pas le même que celui qu'il a rappelé; la commission éprouve un doute à l'égard de la demande faite par le pétitionnaire; elle saisit la chambre de ce doute, et vous êtes, messieurs, appelés aujourd'hui à statuer sur ce point.

M. Dumortier. - Aux termes de la loi fondamentale, deux conditions étaient exigées pour avoir l'indigénat dans toute son étendue : la première, d'être né en Belgique ; la seconde, de parents y domiciliés. Le pétitionnaire a donc deux choses à établir : la première, qu'il est né en Belgique, sous l'empire de la loi fondamentale; la seconde, que ses parents y étaient domiciliés. S'il fournil ces deux preuves, il n'est pas besoin de lui donner ce qu'il possède et de lui faire payer mille francs.

- Plusieurs voix. - Il ne payera rien. Il est dans un des cas d'exception!

M. Lebeau. - Il est impossible que la chambre statue en ce moment.

M. de Perceval. - Je ne m'oppose nullement au renvoi proposé. Mais je dois répéter que la commission des naturalisations éprouve un doute sur la demande du pétitionnaire. Elle fera un rapport, si on le désire. Mais elle éprouvera le même doute, et en saisira la chambre. La commission pourra soumettre la question à M. le ministre de la justice.

M. Delehaye. - La commission a toujours ce droit. Mais ce qui prouve qu'elle n'a pas examiné la question sous ce point de vue (il est tout simple que ce point lui ait échappé), c'est qu'elle conclut en émettant l'avis que le pétitionnaire est digne de recouvrer la qualité de Belge.

Donc, dans la pensée de la commission, il a perdu cette qualité.

Le plus sage serait de prononcer le renvoi à la commission.

Il y a une objection qu'on ne manquera pas de me faire, c'est que le pétitionnaire peut se présenter devant les tribunaux. Mais la chambre est saisie d'une demande sur laquelle elle doit prendre une résolution. Qu'avons-nous à faire ? Nous devons adopter ou rejeter les conclusions du rapport. Si vous les adoptez, vous décidez que le pétitionnaire avait perdu la qualité de Belge. Si vous les rejetez, vous vous opposez à ce qu'il recouvre cette qualité.

J'insiste pour le renvoi à la commission.

M. Tesch. - Je ne m'oppose pas au renvoi à la commission. Mais je crois que la chambre entre dans une voie qui n'est pas la bonne. Quelle est la question? C'est de savoir si le pétitionnaire est Belge ou s'il ne l'est pas. Par quels textes, par quels éléments y a- t-il lieu de la décider? Par la loi fondamentale. A qui appartient-il de l'interpréter? Aux tribunaux, et non au pouvoir législatif.

M. Dumortier. - C'est une erreur !

M. Tesch. - Comment! c'est une erreur? Mais évidemment, il n'appartient qu'au pouvoir judiciaire d'interpréter la loi, relativement à tel ou tel individu. Sans doute, nous pouvons interpréter les lois par voie législative. Mais alors nous décidons, non pas relativement à un cas donné, mais d'une manière générale.

Ici, l'on veut que nous interprétions relativement à un individu, en passant à l'ordre du jour, en ne votant pas. Cette interprétation lierait-elle les tribunaux? Evidemment non. Or que peut-il arriver? Jusqu'à présent, je l'avoue, la cour de cassation a décidé qu'aux termes de l'ancienne loi fondamentale tout individu né de parents domiciliés en Belgique est Belge. Mais celle jurisprudence peut changer. Dans 2, 3 ou 4 ans, la cour de cassation peut être composée de magistrats qui pensent d'une tout autre manière. Donc la jurisprudence changera. Qu'arrivera-t-il? Que le pétitionnaire ne sera pas Belge, qu'en refusant de voter sur sa demande vous lui aurez refusé une qualité qu'il est peut-être juste, je ne veux rien préjuger, de lui accorder.

- La chambre, consultée, renvoie la demande à la commission des naturalisations, avec prière de faire un nouveau rapport dans un bref délai.

- M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.

Il est ouvert un scrutin sur la prise en considération de la demande en grande naturalisation formée parle sieur Pierre-Joseph Libert. En voici le résultat :

Nombre des votants, 63

Boules blanches, 39

Boules noires, 24

En conséquence, la demande est prise en considération.

Projet de loi sur la médecine vétérinaire

Rapport de la section centrale

M. Mascart dépose le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur la médecine vétérinaire.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met le projet à l'ordre du jour à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portes.

Projet de loi augmentant le contingent de la contribution foncière

Discussion générale

M. de Man d'Attenrode. - Je demanderai d'abord si M. le ministre se rallie aux conclusions de la section centrale ?... (Interruption.) J'entre donc en matière, puisque le gouvernement ne s'y rallie pas.

Messieurs, le gouvernement vous propose d'augmenter l'impôt foncier d'environ 300,000 fr. Malgré mon vif désir d'améliorer la situation du trésor public, je ne puis adhérer à cette proposition. Je vais vous en indiquer les causes.

Le premier motif, messieurs, qui m'empêche de me rallier au projet, c'est qu'il porte une grave atteinte au principe constitutif de l'impôt foncier; le deuxième, c'est qu'il me semble résulter des discussions antérieures qu'au département des finances il y a un parti pris de porter de préférence les charges publiques au compte de la propriété foncière, quand il s'agit d'augmenter les ressources du trésor public.

Permettez-moi, messieurs, de développer les motifs qui m'obligent de combattre le projet de loi.

Voyons d'abord quelle est la base de l'impôt foncier? L'impôt foncier a pour base le revenu net expertisé de la propriété immobilière; c'est ce qu'on appelle : la matière imposable, c'est ce qu'on appelle : l'assiette de l'impôt. La loi de péréquation générale de la contribution foncière de 1848 veut que cette assiette soit immuable ; elle veut qu'on n'y touche qu'à l'occasion de la révision périodique et générale des opérations cadastrales.

Ensuite la législature, d'accord avec le gouvernement, fixe annuellement, en votant le budget, le contingent que la propriété immobilière doit acquitter au trésor public, et ce contingent se répartit au marc le franc sur la matière imposable. C'est ainsi que l'impôt foncier a le caractère d'impôt de répartition.

Ce système d'impôt, messieurs, est très avantageux pour le trésor public; d'abord le gouvernement répartit l'impôt avec une grande facilité et il a de plus la certitude de le percevoir en totalité, de percevoir jusqu'au dernier centime ; il n'y a pas de mécompte et voici comment c'est que tous les contribuables sont solidaires entre eux. Si la matière imposable fléchit, ou fait défaut quelque part, les autres contribuables comblent le déficit. C'est en quelque sorte un abonnement, c'est en quelque sorte un forfait entre les contribuables et le trésor public. Mais si, au contraire, la matière imposable s'accroît, il résulte de ce système que les contribuables se trouvent dégrevés en proportion de cet accroissement.

C'est ainsi qu'il y a une équitable compensation.

Que propose, messieurs, l'honorable ministre des finances? Il propose tout simplement de rompre ce contrat, toutefois en faisant au trésor public ce que j'appelle, moi, la part du lion. Voici comment : quand il y aura décroissance de la matière imposable, les contribuables devront combler le déficit; le tribut sera acquitté jusqu'au dernier centime; alors le gouvernement conservera à l'impôt son caractère d'impôt de répartition, parce que ce système est avantageux dans cette hypothèse; mais quand il y a accroissance, alors le gouvernement, sans avoir la patience d'attendre la révision périodique du cadastre, veut s'emparer immédiatement du surplus; il juge qu'il est plus avantageux de donner à l'impôt le caractère d'impôt de quotité. Je dis que ce mode de procéder n'est pas équitable.

Si vous voulez que les contribuables soient solidaires lorsque les chances sont défavorables, il faut qu'ils soient solidaires aussi quand les chances sont favorables. C'est là le principe de la loi de 1848, c'est le principe que vous avez consacré, il y a deux ans à peine. J'ai relu l’exposé des motifs et la discussion qui a surgi à cet égard, et cette lecture n'a fait que fortifier ma conviction.

La loi dont il s'agit a pour auteur l'honorable M. Mercier. Le projet a été déposé le 19 décembre 1844. En 1845, sur le rapport de l'honorable M. Delfosse, on se contenta d'adopter l'article premier, qui fut transformé en loi provisoire, renouvelé ensuite d'année en année jusqu'en février 1848 et c'est en février 1848 que, sur le rapport de l'honorable M. Sigart, la loi de 1845 fut fondue dans celle de 1848, qui régit aujourd'hui la matière.

Voici comment s'exprimait le ministre des finances dans son exposé des motifs de la loi générale de péréquation adoptée en 1848.

« D'après les dispositions à l'article 2 l'allivrement provincial restera invariable jusqu'à ce qu'il ait été procédé à une révision générale du cadastre du royaume. Les augmentations et les diminutions, qui surviendront entre-temps dans la matière imposable de chaque province, n'auront d'effet que sur la répartition intérieure, c'est-à-dire qu'elles pourront donner lieu seulement à modifier proportionnellement le contingent des communes entre elles; mais nullement celui de la province. »

La discussion qui intervint en 1848 prouve à l'évidence que l'intention de la chambre n'a pas été qu'il en fût autrement. En effet, l'article 3 du projet portait en substance d'après une disposition de la loi du 3 frimaire an VII, que la révision de l'évaluation des propriétés bâties serait opérée tous les 10 ans et aurait lieu en 1853.

(page 785) L'honorable M. Delfosse, d'accord avec le rapporteur, demanda la suppression de cet article, et il le fit on ces termes :

« Si on veut atteindre les mutations survenues dans la valeur de ces propriétés (bâties), il faut, pour être juste, atteindre aussi les mutations survenues dans la valeur des propriétés non bâties.

« Il faut s'arrêter à l'étal de choses établi par les opérations cadastrales. Si l'on croit que cet état de choses doit être modifié, il faut réviser toutes les opérations cadastrales.

« Il faut adopter le même système pour toutes espèces de propriétés. »

Vous le voyez, messieurs, par l'extrait de ce discours auquel le ministre des finances, M. Veydt, a adhéré, et qui a amené le rejet de l’article 2 proposé, que l’intention de la chambre n’a pas été d’atteindre les mutations survenues dans la valeur des propriétés bâties en dehors de l’époque à fixer par la législature pour la révision générale du cadastre.

Si vous voulez atteindre, disait l'honorable M. Delfosse, avec cette logique que nous lui connaissons, les mutations survenues dans la valeur des bâtiments, il faut pour être juste atteindre en même temps les mutations survenues dans la valeur des terres.

Ainsi la chambre en rejetant l'article 3, par les motifs développés par M. Delfosse, loin de vouloir que l'augmentation de la matière imposable vînt profiter au trésor annuellement, comme on nous le propose aujourd'hui, refusa même que la révision proposée pour les propriétés bâties en 1853, vînt accroître les ressources du trésor à dater de cette époque.

La proposition qui vous est soumise constitue donc une atteinte fort grave à une loi organique importante.

Je regrette que le gouvernement nous pousse dans ce système d'instabilité dans les lois, vers lequel nous sommes entraînés depuis quelque temps.

J'ai entendu avec plaisir l'honorable M. Frère combattre cette instabilité, dans la discussion du budget de la guerre, mais je voudrais qu'il ne se bornât pas à la combattre par des paroles, je voudrais qu'il joignît l'exemple au précepte.

L'instabilité dans les lois est une chose funeste pour un pays, je ne puis assez le dire. La patrie, la famille, tout ce que nous avons de plus cher a la loi pour base. Mettre sans cesse les lois en question, c'est mettre en question l'existence du pays et même de la famille, c'est détruire toute sécurité, toute confiance. L'on finit par douter de tout, même de son existence.

J'ai dit, messieurs, en commençant, que l'un des motifs pour lesquels je ne voterai pas le projet de loi, c'est la tendance du gouvernement à vouloir porter toutes les charges sur la propriété foncière. En effet, une idée qui semble dominer M. le ministre des finances, c'est que la propriété immobilière n'acquitte pas un tribut suffisant (Interruption.) Quel est le langage que tenait M. le ministre des finances lors de la discussion de la loi sur les denrées alimentaires? Répondant à un de nos honorables collègues, qui avait invoqué en faveur de la protection pour l'agriculture les charges si considérables qui pèsent sur la propriété, voici ce que disait M. le ministre des finances : De quoi vous plaignez-vous? vous payez moins que ne payaient en 1797 les départements belges; ils ont payé à cette époque 20 millions d'impôt foncier! Vous ne payez en 1849 que 18 millions. Cette observation, messieurs, fit quelque impression.

Je fis des recherches et je vis qu'en effet, les départements belges acquittèrent à cette époque 20 millions; mais, messieurs, est-on bien fondé à établir une comparaison entre l'impôt acquitté en 1849 et celui qui fut imposé en 1797? Quel était le caractère de l'impôt acquitté à cette époque? Un tribut imposé par la conquête, par la guerre, par les sans-culottes affamés arrivant de Paris. D'ailleurs, messieurs, si nous ne payons que 18 millions, les départements belges offraient un territoire plus considérable; ils comprenaient la rive gauche de l'Escaut, nos deux demi-provinces cédées et un arrondissement, qui fait maintenant partie de la Prusse. Il n'est donc pas exact de dire que nous payons moins aujourd'hui qu'en 1797. Nous payons à peu de chose près la même chose.

Du reste, messieurs, veuillez examiner ce qui se passe ailleurs. L'honorable M. de Luesemans vous l'a dit l'autre jour : En France, le foncier a été dégrevé depuis 1797, de 83 millions, d'un tiers en principal. Nous, au contraire, nous n'avons pas été dégrevés ; nous payons à peu près ce que nous payions en 1797.

L'honorable M. Frère ajouta encore dans le même discours : Vous n'avez pas le droit de vous plaindre, l'impôt foncier n'a pas augmenté depuis 1830.

Eh bien, M. le ministre des finances est dans l'erreur. L'impôt foncier a été notablement augmenté depuis 1830.

En 1831 et 1852, indépendamment du principal, il y avait 5 centimes additionnels. Or, il résulte d'une annexe jointe au rapport sur le budget des voies et moyens de l'exercice 1847, que nous payons maintenant 18 centimes additionnels, c'est-à-dire 13 centimes de plus qu'en 1831; ces 13 centimes représentent 1,900,000 fr. Si nous y ajoutons 500,000 fr., dont le foncier a été augmenté par suite de la loi de 1843, confirmé par celle de 1848, il se trouve que l'impôt foncier a été augmenté depuis 1830 de 2,400,000 fr.

Il faut cependant tenir compte d'un dégrèvement qui a été opéré en 1835 ou en 1836; à cette époque, le cadastre n'était pas terminé; les provinces d'Anvers et des Flandres se plaignaient d'être surtaxées ; elles obtinrent un dégrèvement de 5 p. c; ce dégrèvement s'élève environ à 400,000 fr.; et somme ronde, j'ose affirmer que l'impôt foncier a été augmenté de 2 millions depuis 1830.

Je m'étonne que les hommes qui dirigent les affaires dans ce pays n'aient pas, à cet égard, les idées qui ont toujours prévalu chez les hommes d'Etat les plus éminents des grands pays qui nous avoisinent; ces hommes d'Etat disaient : « Il faut traiter avec ménagement l'impôt foncier en temps de paix. » Et pourquoi? C'est parce que l'impôt foncier a des charges considérables auxquelles il ne peut plus se soustraire en temps de guerre.

C'est ainsi que les charges foncières se sont amoindries en France au fur et à mesure que les produits indirects augmentaient. Au contraire, dès que le calme disparaît et que par suite les ressources de l'impôt indirect diminuent, les charges de l'impôt foncier augmentent nécessairement, c'est la ressource des temps difficiles.

L'impôt foncier est donc une réserve précieuse, surtout dans un pays comme le nôtre, où une réserve en numéraire n'est pas possible, j'en ai la conviction. Elle est impossible à réaliser dans un pays constitutionnel, peu économe de sa nature, et surtout lorsque l'on veut remettre le dépôt de la caisse de l'Etat à une banque qui disposera au profit de ses actionnaires des fonds libres. Or, c'est le système que le gouvernement vous propose et que la majorité sanctionnera, je n'en doute pas, dans le cours de la semaine prochaine.

Je voterai donc contre le projet de loi, afin de protester contre cette tendance à augmenter les charges de la contribution foncière.

Je voterai contre le projet de loi, parce j'entends maintenir autant que possible la stabilité dans la législation; surtout la stabilité des bonnes lois, et je range parmi elles celle qui régit la contribution foncière.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, je viens me prononcer contre le projet du gouvernement.

Le motif de mon opposition est puisé dans le vote que j'ai émis, il y a quelques jours, sur le projet de loi sur les denrées alimentaires.

Qu'avons-nous dit à l'agriculture? Vous n'élèverez pas les prix de vos produits au-dessus de ceux que règle la concurrence générale des producteurs de toutes les nations. Ce n'est pas dans des prix élevés artificiellement que vous chercherez vos bénéfices, mais dans une production plus grande et moins coûteuse.

Nous avons mis l'agriculture, en quelque sorte, hors du droit commun. Le droit commun, c'est la protection. La protection est continuée à l'industrie manufacturière ; elle est enlevée à l'industrie agricole; et, soit dit en passant, nous avons bien fait; nous avons agi dans l'intérêt de la masse des consommateurs, nous avons agi dans l'intérêt du travail et, en dernier résultat, pour répondre à une interpellation de l'honorable M. Coomans, nous avons agi dans l'intérêt bien entendu de l'agriculture. Mais ce que nous avons fait ne nous impose-t-il pas de nouveaux devoirs? Je ne parle pas de l'application du même régime à l'industrie manufacturière : il faudra bien qu'on en vienne à cette application, mais lentement, progressivement, avec prudence. Je parle de la nouvelle position dans laquelle se trouve l'agriculture vis-à-vis de l'Etat.

Nous avons admis la concurrence étrangère. Pour lutter contre cette concurrence, il est nécessaire que l'agriculture rende ses travaux plus productifs. Afin d'atteindre cette fin, une application plus grande de capitaux devient nécessaire! L'infériorité agricole tient en grande partie à l'absence de capitaux.

Le gouvernement partage cette opinion ; je dois le croire puisque l'honorable ministre des finances nous a annoncé dernièrement qu'il s'occupe de l'organisation du crédit foncier. Cependant chaque fois qu'il s'agit d'impôt, il paraît vouloir se laisser glisser sur une pente opposée.

On dirait en vérité que la terre seule a besoin de sécurité sous la protection de la loi et qu'elle ne saurait pas acheter assez cher cette sécurité !

Mais la propriété industrielle, la propriété immobilière, le travail même n'ont-ils pas, beaucoup plus que la propriété foncière, besoin de cette sécurité? Qui est-ce qui souffre le plus dans le cas de troubles, de commotions politiques? Est-ce la propriété foncière ou bien les autres espèces de propriétés?

On dirait en vérité que la propriété foncière ne porte pas assez de charges! Savez-vous quelle est la somme des impôts assis sur la propriété foncière? Cette somme représente près de la moitié du chiffre total des impôts ; 35 à 36 millions sur un total de 80 millions , outre la part que porte le revenu foncier dans les impôts personnel et d'accise et dans le produit des douanes. 35 à 36 millions! et remarquez que, par l'effet des partages héréditaires, par l'effet des mutations, le capital tout entier fait retour aux caisses de l'Etat dans l'espace de trois générations! Remarquez aussi que la propriété foncière est chargée d'une rente hypothéquée évaluée à 60 millions.

Je comprends qu'on élève les charges de la propriété territoriale là où elle jouit de privilèges, où on lui accorde des faveurs de douane qui augmentent la valeur de ses produits. Je conçois, sous de telles circonstances, l'élévation des charges qui pèsent sur le sol. L'Etat ne fait pas autre chose que lui demander le légitime intérêt de ce qu'il dépense et fait pour cette nature de propriété. Mais en Belgique, après la législation adoptée il y a peu de jours, je ne le comprends pas.

On dira : Il ne s'agit pas d'accroître les charges de la terre; mais seulement de faire profiter le trésor de l'accroissement survenu dans la matière imposable. J'admets qu'il n'y a pas accroissement de charges; mais du moins on enlève aux contribuables une faveur dont la terre aurait profité.

Eh bien, je dis qu'il ne fallait pas leur enlever cette faveur, que c'était bien plutôt le devoir du gouvernement de rechercher les moyens de parvenir à une répartition plus égale de l'impôt entre la propriété foncière et la propriété mobilière.

(page 786) Les besoins du trésor, la situation fâcheuse dans laquelle se trouvent les finances de l'Etat, ne permettent pas de réduire les recettes; il faudra, je le crains fort, augmenter les contributions publiques ; mais s'ensuit-il qu'il faille toujours puiser à cette même source parce que cette source vous a donné jusqu'à présent des recettes abondantes et faciles? Le grand et fondamental principe sur lequel tout système d'impôt doit s'appuyer, c'est que chacun soit imposé proportionnellement, autant que possible, à son revenu ; chacun des membres de la communauté doit être interpellé au prorata de son avoir et de la sécurité dont il jouit sous la protection de la loi.

Notre système d'impôt, qui date d'une époque où l'on recherchait moins ce qui était juste que ce qui était d'une perception facile et ce qui pouvait donner des ressources abondantes, notre système d'impôt pèche violemment contre le principe d'égalité, et rien n'a été fait jusqu'à ce jour pour réformer ce déplorable abus; au contraire, il semble que l'on persévère de plus en plus dans les vieux errements; au lieu de se rapprocher d'une répartition plus équitable des charges publiques, au lieu d'appliquer le principe de l'égalité à toutes les espèces de revenus, on semble oublier que l'impôt est la dette de tous envers l'Etat, que notre Constitution n'admet pas de privilège en matière d'impôt; on cherche à atteindre la propriété foncière par toutes les voies et on affranchit de toute participation aux charges les propriétaires de rentes hypothécaires et les détenteurs des fonds publics.

Et quel est le point de départ de ce traitement différentiel? La propriété foncière est-elle plus l'obligée de l'Etat que les autres natures de propriété? Quelles sont les faveurs que vous lui accordez en retour des sacrifices que vous lui imposez?

Si les possesseurs du sol étaient les aînés d'une aristocratie opulente, si notre loi céréale leur permettait de réaliser des bénéfices considérables au détriment de la masse des consommateurs, la terre porterait peut-être légèrement, et certes justement, son impôt. Mais la propriété foncière n'appartient pas aux riches seulement, le fractionnement de la propriété est tel en Belgique, que la terre est aussi bien le patrimoine du pauvre que du riche, et nous avons aboli la protection accordée à ses produits contre ceux de l'étranger.

Ainsi, aucune des conditions qui pourraient justifier un traitement aussi rigoureux n'existe.

Où est votre justification? Est-elle dans l'ancienneté de l'impôt foncier? Est-elle dans la théorie de M. le ministre, que l'impôt se fixe dans le produit consommé, que les consommateurs payent l'impôt dont les producteurs ne font que l'avance ? Il y a quelque chose de vrai dans cette théorie pour certains cas ; mais, messieurs, croyez-moi, la propriété territoriale, l'agriculture, doit être ménagée. Notre production est chétive ; nous n'avons pas voulu la mettre à l'abri de la douane; nous l'avons exposée à la libre concurrence, mais pour qu'elle puisse supporter ce régime, il faut la rendre plus puissante. Or, rien ne peut autant aider à cet effet que l'emploi de capitaux plus considérables.

Mais notre système d'impôts éloigne les capitaux de l'agriculture ; les capitaux qui n'ont pas de préférence se détournent des emplois moins fructueux et vont aux industries plus lucratives, parce qu'elles sont moins grevées.

Ce n'est pas là ce que vous voulez; vous êtes rempli de bonnes intentions, vous faites preuve d'une sollicitude active à l'endroit du progrès agricole, vous croyez que la production agricole doit et peut être élevée à une plus haute puissance ; mais vos idées financières vous déterminent fatalement du but que vous voulez atteindre. :

Nous ne pouvons pas vous suivre dans cette voie.

Je pense qu'il serait non seulement de bonne politique de provoquer par un remaniement de l'impôt, par un dégrèvement des charges qui pèsent sur la propriété territoriale, par une répartition plus équitable des impôts sur toutes les natures de propriété, un mouvement de préférence des capitaux pour la terre. Ce serait le complément du principe que nous avons inscrit dans la loi sur les denrées alimentaires. Ce serait enrichir l'Etat, car l'Etat s'enrichit surtout par l'enrichissement de l'agriculture.

La sentence de Quesnay est vraie : « Pauvre agriculture, pauvre Etat. »

Ce serait plus qu'un acte de bonne politique; ce serait un acte de justice. Il est juste que l'impôt distingue et ménage les intérêts qui sont le moins les obligés de l'Etat. Or, d'après la législation que nous avons faite, l'intérêt agricole est certes, de tous les intérêts, celui qui jouira le moins de la faveur de l'Etat.

C'est cette voie qu'a suivie en Angleterre R. Peel, qu'indiquaient dans les Pays-Bas MM. Van Alphen et Hogendorp, pendant la crise de 1822 à 1824, que le ministère néerlandais a eu le tort de ne pas vouloir suivre, car il a perdu de cette manière la cause de la liberté commerciale ; c'est cette voie que j'espère bien que nous suivions.

M. Jacques. - Après les discours que vous venez d'entendre, je me bornerai à dire quelques mots pour motiver mon vote.

Dans l'intérêt d'une bonne situation de notre trésor, j'admettrais volontiers la proposition de M. le ministre des finances si la contribution foncière, avec tous ses centimes additionnels au profit de l'Etat, des provinces et des communes, n'était pas déjà tellement chargée qu'il serait plus utile de la diminuer que de l'augmenter.

J'admettrais surtout la proposition de M. le ministre des finances, si la loi du 9 mars 1848 ne contenait pas sa promesse formelle qu'il ne sera apporté aucun changement aux contingents respectifs des provinces, avant qu'il n'ait été procédé à une révision générale du cadastre. Une promesse faite par la chambre des représentants, par le sénat et par le Roi, est pour moi une chose sacrée ; on ne peut pas y toucher sans déclarer que le gouvernement ne mérite aucune confiance, qu'on ne doit pas compter sur les engagements pris par la législature.

La majorité a voté naguère 27 millions pour le budget de la guerre, outre 3 millions de pensions militaires ; elle a cru cette allocation nécessaire pour assurer la sécurité de l'Etat ; quant à moi, j'ai la conviction que le respect de la Constitution et des lois, que le respect des engagements pris par la législature, présente une garantie plus efficace pour le maintien de l'ordre social et de la nationalité belge, que 27 millions de canons, de sabres et de baïonnettes.

C'est vous dire assez, messieurs, que je respecterai l'engagement pris par la loi de 1848, et que je voterai contre le projet qui est en discussion.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La chambre s'est montrée avant-hier beaucoup plus fiscale que le ministre des finances; elle a poursuivi d'une manière sévère, l'abolition d'une prime qui existait au profit de certains industriels. Aujourd'hui le département des finances vient demander aussi l'abolition d'une prime et jusqu'à présent les orateurs que vous avez entendus se montrent fort peu disposés à suivre le système qu'ils ont appliqué il y a quelques jours.

De quoi s'agit-il dans cette discussion? Il s'agit bien évidemment, non pas d'augmenter l'impôt foncier, mais d'empêcher qu'il ne diminue pour quelques-uns en restant le même pour les autres, ce qui est bien différent.

Il s'agit d'empêcher que l'impôt foncier ne diminue. Dans le système actuel, les accroissements de l'impôt foncier résultant de la création de nouvelles matières imposables sont admis en déduction du contingent; il en résulte donc que les augmentations de revenu produites par l'augmentation de la matière imposable constituent une espèce d'amortissement de l'impôt foncier.

L'honorable comte de Liedekerke fait un signe de dénégation. Cependant rien n'est plus positif.

Supposez que le moyen opère pendant un temps fort long, l'augmentation continuant dans la proportion où nous l'avons constatée, depuis un très grand nombre d'années, vous arrivez nécessairement à un amortissement, à une réduction de l'impôt. C'est tellement vrai que, de 1835 à 1845, il y a eu une augmentation de revenu imposable, donnant lieu à un impôt de plus de 500,000 francs.

En 1845, sur la proposition de l'honorable M. Mercier, après un débat animé, comme celui-ci menace de l'être, la chambre a reconnu qu'il est parfaitement juste de faire profiter au trésor et non pas aux contribuables les augmentations d'impôt.

Nous vous demandons absolument la même chose : nous vous demandons de décider ce que vous avez décidé en 1845. Nous vous demandons si, dans les circonstances où nous nous trouvons, alors qu'il est bien admis par tout le monde qu'il y a nécessité de ne pas amoindrir, mais d'accroître les revenus du trésor, il n'y a pas lieu de le faire profiter de l'accroissement des valeurs imposables.

A entendre l'honorable M. de Man (c'est également ce que vient de répéter l'honorable M. de Brouwer) le département des finances aurait une tendance marquée à faire peser les impôts et les augmentations d'impôt sur l'impôt foncier. Je fais appel à la loyauté de la chambre.

Quand ces tendances se sont-elles manifestées?

M. de Man d'Attenrode. - Par les successions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Par les successions, dit l'honorable M. de Man ; je m'en rapporte sur ce point à l'honorable M. de Theux.

M. de Theux. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Plus impartial en ce point que l'honorable M. de Man, l'honorable M. de Theux a reconnu, dans la discussion de la loi sur les successions, que les intentions du gouvernement étaient bonnes, et que cette loi, avec les moyens proposés par le gouvernement, était la seule qui pût atteindre les valeurs mobilières. En effet, cette loi aurait pour résultat d'atteindre les valeurs mobilières à concurrence d'un million au moins. Il ne faut donc pas prétendre que la loi sur les successions révélât cette tendance du département des finances. Tout au contraire, cette loi avait une tendance absolument différente; et, sans que j'aie besoin de protester de mes intentions à cet égard, je puis rappeler qu'à diverses reprises, dans cette enceinte, j'ai soutenu que notre système d'impôt, sauf des modifications de détail, était bon en lui-même, qu'il présentait une équitable répartition des charges, qu'il fallait concilier les impôts directs et les impôts indirects, et que ceux-ci quoique très considérables dans notre pays, devaient cependant en général, être maintenus. J'ai soutenu qu'il n'y avait pas lieu d'augmenter les charges immobilières. Jamais je n'ai prétendu qu'il fallût réduire les impôts indirects plutôt que d'autres. Je me suis élevé contre d'injustes critiques souvent répétées contre les charges prétendument excessives de la propriété foncière.

Mais aussi, jamais je n'ai soutenu que l'accroissement de matières imposables dût profiter non au trésor mais aux contribuables. Au profit de qui serait cette réduction? C'est par fraction imperceptible de centimes annuellement qu'il y a augmentation. Ce n'est que par la suite des temps, après une série d'années, qu'on arrive à une somme de 250,000 francs. Après cinq années! Mais qu'est-ce que ces 250,000 francs peuvent faire sur 15 millions d'impôt foncier? Que ferait cet accroissement de 40 ou 50 mille francs par an sur toutes les cotes des contribuables ? C'est imperceptible. Cela ne profiterait donc pas, en réalité, aux contribuables, )quoique, par petites fractions, cela puisse constituer un revenu pour le trésor.

(page 787) L'honorable M. de Man conteste également la proposition du gouvernement, ainsi que l'a fait la section centrale, ainsi que vient de le faire l'honorable M. Jacques, en se fondant sur le motif le plus étrange qui puisse être proposé à une assemblée législative. i$? On vous dit : La loi du 9 mars 1848 a déclaré qu'il ne serait pas touché à l'impôt avant la révision du cadastre. Ainsi , en mars 1848, on a fait la charte de la propriété foncière! Il est impossible d'y toucher désormais! L'honorable M. de Man en est, lui, profondément convaincu; il a relu la discussion, et il s'est si bien pénétré de son esprit, que c'est chez lui une conviction inébranlable que le législateur a voulu faire une chose immuable.

M. de Man d'Attenrode. - Pas d'une manière absolue.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Jusqu'à la révision du cadastre; ce qui est une chose qui ne se fera probablement pas bientôt. Il se peut que l'honorable M. Man ait découvert le compte rendu de la discussion de cette loi dans quelque recueil inconnu, car il n'y a pas eu de discussion.

J'ai le Moniteur sous les yeux. J'y vois qu'il y a eu discussion sur l'article premier; qu'à propos de cet article on a examiné la question des opérations cadastrales dans le Limbourg et le Luxembourg. L'article premier, après cela, a été mis aux voix et adopté.

L'article 2, qui contient la charte de la propriété foncière, est ensuite mis aux voix et adopté. Ainsi parle le Moniteur. Il n'y a pas eu de discussion.

Vous voyez que l'honorable M. de Man ne s'est pas donné beaucoup de peine pour méditer cette discussion.

M. de Man d'Attenrode. - Mais il y a l'exposé des motifs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'article 2 de la loi n'est qu'une redondance, un article réglementaire qui existe depuis cinquante ans.

Voilà ce que l'honorable membre ne sait pas. C'est ce que l'exposé des motifs, que l'honorable membre avait aussi médité, à ce qu'il paraît, aurait dû lui apprendre. Il porte :

« L'article 2 consacre le principe de la fixité des bases actuelles de la péréquation entre les provinces du contingent actuel de l'impôt foncier, principe posé par les articles 16 et 17 du Recueil méthodique des lois et intructions sur le cadastre. »

Ce recueil méthodique est, comme vous le savez, fort ancien. Il avait acquis en quelque sorte caractère de loi, en vertu d'un arrêté-loi de 1814, qui ordonnait la continuation du cadastre, conformément au recueil méthodique.

Ainsi le principe était dans la loi; il existe de toute éternité; il existait lorsqu'en 1845, la chambre a trouvé convenable de ne pas commettre l'ineptie (pardonnez-moi l'expression) de ne pas s'arrêter devant ce prétendu principe sauveur de la propriété foncière, l'exposé des motifs (ceci est toujours pour l'honorable M. de Man), l'exposé des motifs continuait :

« D'après les dispositions contenues audit article 2 du projet de loi, l'allivrement provincial restera invariable jusqu'à ce qu'il ait été procédé aune révision générale du cadastre du royaume. Les augmentations ou les diminutions qui parviendront entre temps dans la matière imposable de chaque province n'auront d'effet que par la répartition intérieure, c'est-à-dire qu'elles pourront seulement donner lieu à modifier proportionnellement le contingent des communes entre elles, mais nullement celui de la province.

« Nous croyons utile d'expliquer ici en quoi consiste l'éventualité des augmentations ou diminutions de la matière imposable.

« Aucune amélioration ou changement apporté à la nature d'un terrain, ne peut donner lieu à augmenter l'allivrement cadastral de son propriétaire; il ne peut par contre y avoir lieu non plus à aucune diminution, si ce n'est dans le cas où un terrain cesse d'être imposable, soit par suite d'emprise pour confection d'une route, d'un chemin de fer ou par toute autre cause.

« En ce qui concerne les propriétés non bâties, l'allivrement s'accroît ou diminue en raison des constructions et des démolitions de bâtiments imposables à la contribution foncière. »

Or, il ne s'agit point ici des propriétés non bâties ; le principe qu'il n'y a lieu pour elles ni à augmentation ni à diminution avant la révision continue à subsister; il s'agit uniquement des propriétés bâties dont l'allivrement s'accroît ou diminue et dont vous vouliez faire tourner l'impôt au profit du trésor.

Voilà, messieurs, tout ce qui se trouve dans l'exposé des motifs ; il n'y a pas un seul mot à cet égard dans le rapport de la section centrale.

M. de Man d'Attenrode. - C'est bien suffisant.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est possible que M. de Man trouve cela suffisant, puisqu'il avait trouvé la discussion suffisante. (Interruption.) L'honorable membre rappelle l'article 3, mais l'article 3 n'a aucun rapport avec l'objet en discussion. L'article 3 porte sur le point de savoir s'il y aura lieu à révision pour les propriétés bâties, après une période décennale dans le cas où il n'y aurait pas une révision générale ; cela n'a rien de commun avec l'objet qui est maintenant en discussion. L'objet en discussion, c'est le principe de l'article 2.

Que dit cet article 2? Il me semble qu'on l'a fort mal lu. L'article 2 dit dans le paragraphe premier :

« Le chiffre du revenu cadastral représentant la matière imposable au 31 décembre 1845, dans chaque province, pris pour base de cette nouvelle péréquation, continuera désormais à servir de base à la répartition du contingent annuel de la contribution foncière entre les provinces, jusqu'à ce qu'une révision générale des opérations cadastrales ait été ordonnée par la législature et soit effectuée. »

Eh bien, je ne demande aucune espèce de modification à ce principe; je le respecte complètement. Les opérations cadastrales continueront à servir de base à la répartition.

De quoi s'agit-il? Il s'agit des augmentations et des diminutions qui ont pu survenir dans la matière imposable; eh bien, à cet égard, le paragraphe 2 de l'article 2 ne contient qu'une disposition purement réglementaire; c'est, en quelque sorte, l'application d'un fait. Il est impossible qu'il n'en soit pas ainsi.

Si des augmentations surviennent, si elles sont de telle nature qu'il y ait intérêt à les faire tourner au profit du trésor, pourquoi le législateur ne déciderait-il pas qu'il en sera ainsi? Pourquoi ne ferait-il pas, en 1850, ce qu'il a fait en 1845? Voyez la belle conséquence que l'on veut tirer de la charte de l'impôt foncier , est-ce qu'on s'est jamais avisé d'appliquer le principe de la loi de 1848 aux centimes additionnels à l'impôt foncier? On est libre, parfaitement libre d'établir des centimes additionnels; mais on n'est pas libre de reprendre les fractions imperceptibles qui ont été abandonnées aux contribuables ! Mais quel sera donc l'effet des centimes additionnels? Est-ce qu'il sera différent de celui que va produire la loi proposée? Cette loi a-t-elle un autre effet que de rétablir l'impôt tel qu'il existait en 1845? Depuis 1845, l'impôt foncier a été dégrevé de 250,000 fr.; il s'agit de le ramener à la quotité où il se trouvait à cette époque.

Si, au lieu d'appliquer le système que nous proposons, nous décrétons des centimes additionnels à concurrence de 250,000fr., quelle sera la modification? Est-ce que la propriété foncière sera dans de meilleures conditions? Il n'est donc pas sérieux de venir tirer un argument de cette disposition de l'article 2.

Mais, messieurs, l'inconvénient du système actuellement suivi est grave. Les contribuables des provinces les plus riches et dans lesquelles, par conséquent, il y a beaucoup d'augmentations de valeurs imposables, obtiennent une diminution d'impôt ; et les contribuables des provinces les moins favorisées, moins riches; ceux-là restent dans la même condition, et puis lorsqu'il devient indispensable d'établir des centimes additionnels, on les applique à tout le monde indistinctement; les provinces riches continuent à profiter de la diminution, et les provinces pauvres supportent les centimes additionnels sans compensation. Est-ce que ce système vous paraît bien juste, bien équitable? Remarquez bien, messieurs, que la reprise ne se fait pas sur l'ensemble de l'impôt foncier; elle se fait proportionnellement à l'accroissement de la valeur imposable dans chaque province.

Dans d'autres circonstances, on nous a conviés à substituer des centimes additionnels au système que nous proposons; eh bien, la province du Luxembourg, la province du Limbourg, où les augmentations ont été insignifiantes, imperceptibles, supporteront les centimes additionnels au profit du Brabant, de la province de Liège, du Hainaut, où l'accroissement a été considérable. Cette seule raison d'équité démontre qu'on ne devrait pas soutenir le système que je combats en ce moment.

Messieurs, l'impôt tel qu'il est aujourd'hui établi, est un impôt de répartition; change-t-on ce caractère par la proposition qui nous est soumise? Je n'examine point les avantages ou les inconvénients de l'impôt de répartition; mais je demande simplement si la proposition change le caractère de l'impôt? Eh bien, il est évident que non. L'impôt continue à être un impôt de répartition ; à des époques déterminées on établit une balance entre les augmentations et les diminutions de valeur, et que prend-on? Uniquement la différence.

On a objecté tout à l'heure, que s'il survenait une diminution importante, les contribuables la supporteraient. Cette objection, en fait, n'a pas le moindre fondement puisqu'il y a eu constamment, sans interruption, toujours accroissement. Mais enfin, supposons que l'objection soit fondée; qu'en résulterait-il? C'est que, dans une pareille hypothèse, il y aurait lieu à une augmentation d'impôt. Que ce soit un impôt de répartition ou un impôt de quotité, évidemment il faudrait combler la différence et c'est le contribuable qui la supporterait. L'observation est donc sans valeur.

Dans le système que nous proposons (et j'appelle toute l'attention de la chambre sur ce point), il s'agit uniquement, après avoir fait état de toutes les valeurs soustraites à l'impôt, de toutes les portions de terrains emprises pour les constructions de routes, etc. ; après avoir fait état de toutes les constructions nouvelles, de la matière imposable nouvelle, après avoir, en un mot, fait la balance entre les augmentations et les diminutions, de faire profiler le trésor de la différence favorable. Evidemment rien ne me semble plus juste, et si, à ce motif péremptoire, vous ajoutez la considération très grave que j'ai fait valoir tout à l'heure, celle de l'inégalité qui résulte du système actuellement suivi, inégalité d'autant plus choquante qu'elle profite aux localités qui prospèrent le plus, vous reconnaîtrez qu'il est impossible, dans l'intérêt d'une bonne répartition de l'impôt, de ne pas repousser la proposition qui vous est soumise.

M. de Theux. - Messieurs, en combattant l'impôt sur les successions en ligne directe, j'ai effectivement fait remarquer que le gouvernement, en proposant de rétablir le serment pour les déclarations des successions mobilières, tendait à rétablir autant qu'il le pouvait l'égalité entre les matières imposables, le sol et la valeur mobilière. Cela est très vrai; mais, d'autre part, j'ai fait observer que ce moyen, le rétablissement du serment, était dangereux pour la moralité de la nation, qu'il serait d'ailleurs inefficace, et qu'en réalité le sol serait de nouveau (page 788) surtaxé par l'impôt sur les successions en ligne directe, dans une proportion beaucoup plus forte que le mobilier, de sorte qu'au point de vue même de l'intérêt de la propriété foncière, la proposition du gouvernement devait être repoussée.

Après cette explication, je n'aurai que peu d'observations à présenter en réponse au discours de M. le ministre des finances.

M. le ministre fait observer qu'on ne peut tirer aucun parti de la discussion de l'article 2 de la loi du 9 mars 1848, loi qui a statué que l’augmentation de la valeur des immeubles ne donnerait point lieu, jusqu'à la nouvelle péréquation cadastrale, à une augmentation d'impôt. Mais, messieurs, si la chambre a adopté ce principe sans discussion, c'est un motif de plus pour qu'aujourd'hui le pouvoir législatif ne revienne plus sur une loi qui, il y a deux ans, n'a donné lieu à aucune espèce de contestation, ni de la part du gouvernement, ni de la part d'aucun membre de la chambre. Que penserait-on d'un législateur qui, après avoir ainsi adopté une loi sans aucune espèce d'opposition, viendrait la changer complètement deux ans après?

M. le ministre des finances a dit que le système consacré par la loi de 1848 n'est pas nouveau, qu'il a été introduit avec l'impôt foncier lui-même. Eh bien, messieurs, c'est une preuve de plus que cette disposition doit être maintenue intacte. Son ancienneté lui donne un nouveau caractère d'autorité.

On a dit, messieurs, que le chiffre de l'impôt foncier n'est pas immuable, puisque les chambres ont voté successivement des augmentations sous la forme de centimes additionnels. Mais c'est là une raison de plus pour ne pas ajouter encore de nouvelles charges à un impôt qui a déjà été aggravé à diverses reprises.

Et dans quelles circonstances, messieurs, ferait-on peser ces nouvelles charges sur la propriété financière? C'est lorsqu'on vient d'abolir la loi de 1834, qui accordait une protection à l'agriculture comme à toutes les autres industries, lorsqu'on vient de placer l'agriculture dans une position exceptionnelle. Mais décidément si le gouvernement venait proposer aujourd'hui des centimes additionnels à la contribution foncière, cette proposition serait repoussée d'une voix unanime, je n'en doute point, dans cette chambre.

Un dernier argument invoqué par M. le ministre des finances et qui, en apparence, est assez plausible, c'est que l'on établit en quelque sorte un privilège en faveur de la province de Brabant et d'autres provinces dont la matière imposable est augmentée, tandis que, dans le reste du pays, la matière imposable est restée stationnaire Mais, messieurs, il y a un moyen excessivement simple de rétablir l'égalité entre toutes les provinces en raison de la matière imposable, c'est de répartir en diminution l'augmentation de la matière imposable dans le Brabant, de la répartir entre les provinces où il n'y a pas eu d'augmentation. Voilà le moyen de rétablir l'égalité tout en respectant la loi de 1848 qui sert de base à l'impôt foncier.

Du reste, messieurs, si aujourd'hui quelques provinces profitent momentanément en attendant la révision des opérations cadastrales, il est à supposer que d'autres provinces auront, à leur tour aussi, une matière imposable plus grande et se trouveront dans une position analogue à celle où se trouve aujourd'hui la province de Brabant.

Je croirais, messieurs, abuser de votre patience en insistant plus longuement sur cette question.

M. de Brouwer de Hogendorp. - Messieurs, ce n'est point par des considérations de légalité que je combats la mesure proposée ; je combats plutôt cette tendance, que je crois apercevoir dans certaines propositions de M. le ministre des finances, à imposer toujours de nouvelles charges à la terre.

L'honorable ministre des finances a contesté la justesse des observations que j'ai faites. J'avais dit que j'avais remarqué cette tendance dans le projet de loi qu'il a présenté autrefois sur le droit de succession en ligne directe. M. le ministre a répondu que, loin de tendre à frapper la terre, cette loi avait au contraire pour but d'atteindre surtout la propriété mobilière.

Je ne puis pas accepter cette explication, car bien que M. le ministre proposât le serment pour atteindre la propriété mobilière, il n’en frappait pas moins la propriété foncière au moyen du droit sur les successions en ligne directe.

Il me semble, messieurs, que la terre se trouve aujourd'hui dans des conditions tout à fait différentes de celles où elle se trouvait, il y a quelque temps.

Nous lui avons enlevé une espèce de monopole, nous lui avons ôté le privilège qu'elle avait de pouvoir augmenter la valeur de ses produits. Les conditions sont changées. Il me semble que la terre a le plus grand droit de dire : «Répartissez votre impôt d'une manière plus équitable; ne me frappez pas outre mesure. Il y a d'autres intérêts qui ne sont pas frappés. »

Si le gouvernement n'entre pas dans une voie de dégrèvement, s'il ne favorise pas la production agricole, il est certain que l'opposition que la mesure du gouvernement, relative aux denrées alimentaires, a rencontrée, grandira; alors il faudra malheureusement revenir au détriment de tous, et de l'agriculture aussi, car l'agriculture a des amis aveugles; il faudra, dis-je, revenir sur la mesure qui a été votée il y a quelques jours, et que je considère comme la mesure la plus salutaire que nous ayons pu adopter.

M. Vilain XIIII. - Messieurs, l'honorable ministre des finances nous a dit tout à l'heure qu'à ses yeux la situation était aujourd'hui absolument la même que la situation en 1845.

Il y a deux faits qui me semblent changer la similitude de ces deux époques.

En 1836 ou en 1837, le commencement des opérations cadastrales avait prouvé que les deux Flandres et la province d'Anvers étaient considérablement surtaxées. Les chambres avaient voté une loi pour diminuer de 400,000 fr. le contingent de ces provinces ; le principal du contingent de la contribution foncière de tout le royaume avait été diminué de cette somme.

Lorsqu'en 1845, la conclusion des opérations cadastrales vint constater qu'il y avait un boni de 350,000 francs sur le revenu du Luxembourg et du Limbourg, au lieu d'en diminuer le contingent général du royaume, on augmenta ce contingent de l'excédant qui avait été trouvé dans le Limbourg et dans le Luxembourg. Cette somme vint faire équilibre au dégrèvement qui avait été opéré dans le contingent, général du royaume, à l'avantage des deux Flandres et de la province d'Anvers.

Ensuite, depuis 1845, un grand fait s'est produit; c'est la loi du 9 mars 1848 ; M. le ministre des finances fait assez peu de cas de cette loi, il l'appelle la charte des contribuables...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La charte de l'impôt foncier.

M. Vilain XIIII. - La charte des contribuables, de l'impôt foncier; moi, au contraire, messieurs, je trouve que c'est une loi très importante; c'est une loi organique qui a été promulguée le 9 mars 1848, au moment où l'on demandait à la contribution de très grands sacrifices, au moment où on lui demandait des emprunts très onéreux; la loi du 9 mars 1848, c'est une promesse qu'on lui a faite. On a dit aux contribuables fonciers : « Votre contingent ne sera pas augmenté jusqu'à la révision cadastrale. »

C'est un véritable engagement que l'Etat a pris envers les contribuables fonciers. Cela ne me paraît pas si peu sérieux que M. le ministre des finances a bien voulu le dire.

Les gouvernants doivent avoir un très grand respect pour la loi, s'ils veulent que les gouvernés aient ce même respect à leur tour. Le respect pour la loi est le signe d'une nation attachée à ses institutions; au contraire, le mépris des lois est le signe d'une nation en décadence. En Angleterre, la loi est presque respectée à l'égal d'un dogme religieux ; en Belgique, nous avons beaucoup de respect pour les lois ; c'est fort heureux. Dans un pays voisin, que voyons-nous.au contraire? Quand une loi est promulguée, le lendemain on tâche de la violer, de la ridiculiser ; eh bien, efforçons-nous de conserver chez nous le respect des lois, qui est inhérent aux populations belges. Pessimœ reipublicœ plurimœ leges, a dit Tacite.

M. le ministre des finances fait très peu de cas de l'article 2 de la loi du 9 mars 1848 ; mais il n'en a lu que la moitié. Permettez-moi, messieurs, de le lire en entier :

« Le chiffre du revenu cadastral, représentant la matière imposable au 31 décembre 1843, dans chaque province, pris pour base de cette nouvelle péréquation, continuera désormais à servir de base à la répartition du contingent annuel de la contribution foncière entre les provinces, jusqu'à ce qu'une révision générale des opérations cadastrales aura été ordonnée par la législature et soit effectuée. »

M. le ministre des finances s'est arrêté là : « Ma loi, dit-il, ne change rien à l'article 2; » mais voici ce que porte le second paragraphe de l’article :

« Les augmentations et les diminutions qui surviendront entre-temps dans la matière imposable de chaque province ne donneront lieu à aucune modification du contingent provincial; elles n'auront d'effet que sur la répartition entre les communes qui composent la province. »

Ou je ne sais pas lire, ou je ne sais pas comprendre ce que je lis, ou il est certain que la loi, proposée par M. le ministre des finances, est contraire au second paragraphe de l'article 2.

Je sais bien que la législature est en droit de faire une loi contraire à celui-ci ; la charte des contribuables n'est pas une Constitution à laquelle il soit défendu de toucher ; mais en fait, le projet de loi que nous discutons est contraire à la loi du 9 mars 1848.

M. le ministre des finances a dit qu'il ne s'agit que de fractions de centimes ; qu'il n'en résulte aucun avantage pour les contribuables. Cela prouve au moins la hauteur de l'impôt, puisque ces fractions de centimes seules donnent une somme de 250,000 fr.

Les contribuables ne tiennent pas tant à obtenir cette diminution de fractions de centimes qu'à savoir que le contingent ne peut être changé, car dès qu'on le change d'une manière, ils peuvent craindre qu'on ne le change d'une autre manière, et que l'impôt de répartition, tel qu'il est maintenant, ne devienne un impôt de quotité.

Voilà surtout à quoi tiennent les contribuables; ils ne tiennent pas tant à cette diminution de fraction de centimes.

Mais M. le ministre des finances vous a dit : Si vous ne voulez pas que le contingent puisse être augmenté tous les ans, la loi peut arriver au même résultat en imposant des centimes additionnels. Le principe est tout différent; si M. le ministre veut passer par le pont aux ânes des centimes additionnels, je ne sais pas si la chambre l'y suivra, mais il trouvera au bout du pont d'autres matières imposables que la contribution foncière : il trouvera les patentes, la contribution personnelle, les accises, les douanes, tout le cortège des contributions qui passe la revue dans le budget des voies et moyens. Il y a donc une véritable différence.

Messieurs, je trouve encore, dans le projet de loi qui nous occupe, le principe de la rétroactivité. Hier, avant-hier, nous en avons entendu (page 789) parler beaucoup à propos des amendements de MM. Jacques et Deliége ; mais là du moins la rétroactivité arrivait à son but par un tel labyrinthe de prise en charge, de décharge, de compte alterne, d'entrepôt d'exportation, de consommation, que pour combattre l'amendement, voir la direction qu'il prenait et le but où il aboutissait, il fallait, comme nous, avoir été nourri dans le sérail des sucres et des eaux-de-vie et en connaître les détours; ici le fisc ne fait pas tant de façons, il va tout droit prendre dans la poche des contribuables ce que la loi de 1848 y a mis depuis cinq ans.

La loi dispose que l'accroissement de la matière imposable viendrait en déduction des cotes des contribuables. C'est un droit acquis par la loi de 1848; M. le ministre vous propose de reprendre les 250 mille francs que cette loi de 1848 adonnés; il propose de les faire payer comme s'il n'y avait pas eu de loi de 1848. C'est plus que de la rétroactivité, c'est de la spoliation.

Le premier paragraphe de l'article porte :

« A partir de 1850, il sera tenu compte, au profit du trésor, de l'accroissement survenu dans la matière imposable à la contribution foncière depuis l'achèvement du cadastre. »

La loi ne doit s'appliquer qu'aux propriétés bâties, et cependant d'après ce texte nous aurons le droit de faire constater l'accroissement de la matière imposable sur les propriétés bâties et non bâties.

M. Le Hon. - M. le ministre des finances a soutenu son projet de loi en vous présentant fort habilement le point de vue le plus étroit, ce que j'appellerai le petit côté de la question ; il s'est borné à vous dire : Qu'est-ce que 250,000 fr., soit comme charge, soit comme allégement d'une contribution générale de 18,000,000 de francs? Je trouve, moi, autre chose dans la proposition du gouvernement : j'y vois un principe nouveau, une grave déviation de précédents de législation et d'administration sanctionnés par l'expérience et, n'en déplaise à M. le ministre des finances, très dignes de la considération et du respect de la législature.

A mes yeux, le cadastre, cette institution adoptée et mise en pratique par tous les gouvernements de l'Europe, a eu pour but, non seulement l'égalité proportionnelle, mais encore la fixité de l'impôt foncier. Nous sommes assez heureux pour avoir les premiers complètement achevé cette grande œuvre ; mais il ne me paraît pas que M. le ministre en comprenne les résultats comme l'ont fait tous ses devanciers, dans le sens de la fixité de l'impôt. Il se borne à considérer, dans l'accroissement de la matière imposable, les constructions nouvelles.

Mais, au point de vue de la juste répartition des charges, cet accroissement peut résulter aussi de l'amélioration de la nature des propriétés et des valeurs foncières.

Pourquoi a-t-on posé, jusqu'ici, en principe qu'une fois le contingent de la contribution foncière établi par la loi sur la base des opérations cadastrales, il n'y serait pas apporté de changement jusqu'à la révision générale du cadastre? C'est par un principe d'exacte justice que le projet de loi en discussion ne me semble pas respecter.

Vous voulez modifier le contingent de l'impôt foncier, parce que vous constatez l'existence de propriétés nouvelles. Mais si dans les provinces qui vous offrent des accroissements de cette catégorie, on a mis en culture des landes et des bruyères; si on a transformé en prairies très productives des marais qui étaient autrefois sans valeur ; on a aussi accru de ce chef la matière imposable, on a créé des revenus nouveaux, et quant à ces changements, vous en renvoyez la vérification à l'époque ultérieure, éloignée sans doute, de la révision du cadastre.

Dans ce système, vous méconnaissez le principe de la loi ; vous en scindez l'application.

Elle n'a prévu la modification de l'impôt que comme effet de la révision de tous les éléments du revenu foncier. Et, en effet, c'est le seul moyen de maintenir toujours l'égalité proportionnelle entre les provinces, en un mot, d'être juste pour tous.

Veuillez remarquer que les précédents législatifs, dont le projet de loi ne tient pas plus de compte que s'ils n'existaient pas, ont eu, les derniers surtout, un caractère en quelque sorte organique.

Le 19 décembre 1844, le gouvernement, en présentant une loi de péréquation générale, s'exprimait ainsi :

«Lorsqu'on 1835, les opérations cadastrales se trouvaient terminées dans sept de nos provinces, une loi de péréquation fut soumise par le gouvernement et adoptée par la législature pour régulariser la répartition de l'impôt entre les provinces. Toutefois, cette péréquation fut considérée comme provisoire en attendant le moment où l'on pourrait y comprendre le Limbourg et le Luxembourg.

« Ce moment est arrivé; les opérations cadastrales reprises en 1840, dans ces deux dernières provinces, sont aujourd'hui terminées, et nous sommes enfin parvenus au point de pouvoir effectuer la péréquation générale entre toutes les localités du royaume. »

L'article premier de ce projet de loi a établi la quote-part de chacune des neuf provinces dans le contingent intégral de la contribution foncière, proportionnellement à leur revenu cadastral respectif.

L'article 2 a consacré le principe de la fixité des bases de la péréquation pour la répartition entre les provinces du contingent actuel de l'impôt foncier, et cette fixité est telle « que l'allivrement provincial doit rester invariable jusqu'à ce qu'il ait été procédé à une révision générale du cadastre du royaume ;

« Que, par conséquent, les augmentations et les diminutions qui surviendront entre-temps dans la matière imposable de chaque province, n'auront d'effet que sur la répartition intérieure, c'est-à-dire, qu'elles pourront donner lieu à modifier proportionnellement le contingent des communes entre elles, mais nullement celui des provinces. »

Ce sont les termes mêmes de l'exposé des motifs.

L'article 3, reproduisant l'article 102 de la loi du 3 frimaire an VII, qui a prescrit la révision décennale des évaluations des propriétés bâties, statuait « que si la révision générale des opérations du cadastre n'était pas décrétée endéans les dix années, la révision partielle des propriétés bâties aurait lieu en 1853, dans le sens de la loi de frimaire an VII, d'après le mode à régler par une loi spéciale.

« Que le résultat de cette révision recevrait son application à partir de l'exercice de 1835.»

La pensée du gouvernement (cela me parait manifeste) a été une pensée d'organisation.

Si la loi du 7 février 1845 s'est bornée à fixer et à répartir le contingent de la contribution foncière, celle du 9 mars 1848, a sanctionné tout le système proposé en 1844, quant à la stabilité.de ce contingent, et la section centrale a fait ressortir l'importance de ce fait avec beaucoup de raison.

M. le ministre des finances ne voit dans l'article 2 qu'une disposition réglementaire; c'est, à mon sens, une erreur.

Il écarte l'article 3 comme étranger à la loi que nous discutons; et, là encore, je ne puis être de son avis.

Il y a entre ces deux articles d'une même loi une corrélation évidente: l'un pose le chiffre du revenu cadastral, au 31 décembre 1843, comme la base immuable de la répartition de l'impôt foncier entre les provinces, jusqu'à ce qu'une révision générale du cadastre ait été ordonnée et effectuée.

L'autre, qui le suit immédiatement, ordonne que, faute par la législature de décréter la révision générale du cadastre, endéans les dix années, la révision partielle pour les propriétés bâties aura lieu en 1835.

Je suis étonné que M. le ministre des finances persiste à me dire : Cet article 3 n'a pas de rapport avec la loi actuelle.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je l'expliquerai.

M. Le Hon. - Il est au moins difficile que des explications obscurcissent la lumière ou détruisent l'évidence.

A mon sens, l'article 3 suppose précisément la difficulté à laquelle M. le ministre des finances faisait allusion tout à l'heure, celle d'opérer la révision complète des opérations cadastrales ; c'est-à-dire, de l'évaluation de tous les éléments de la matière imposable : et, pour le cas où cette révision ne serait pas décrétée dans le terme de dix années, comme les propriétés bâties forment l'élément le plus variable, le plus mobile des valeurs soumises à l'impôt foncier, cet article veut que la révision ait lieu, pour cette catégorie de propriétés, en 1853, de manière que ses résultats soient appliqués à partir de l'exercice de 1855.

Cette disposition, combinée avec l'article 2, signifie, si je ne me trompe, que le contingent de la contribution foncière ne peut être, suivant la législation actuelle, modifié en 1850, même du chef de l'accroissement des propriétés bâties; et je ne puis comprendre que pareille disposition serait étrangère au projet de loi que nous discutons.

M. le ministre des finances a dit, en faveur de son système, que la loi du 9 mars 1848 avait pour effet d'abaisser la part contributive des propriétaires dans les provinces où s'élevaient le plus de constructions nouvelles, partant dans les plus riches : cela est vrai à raison de la répartition d'un contingent fixe entre un nombre de contribuables qui s'est accru. Mais d'abord, il n'y a point de perte pour l'Etat, puisque la création de nouvelles valeurs ajoute à ses revenus par des produits divers; ensuite, ce raisonnement a une contrepartie; les destructions de bâtiments, l’établissement de routes, de chemins de fer et de canaux diminuant la matière imposable dans les provinces où ils ont lieu, auraient pour effet naturel d'accroître la cote de chacun, toutes les fois qu'ils ne seraient pas compensés par des constructions; les provinces riches sont donc soumises, dans les faits intérieurs de la répartition entre les communes, sous le régime de la loi de 1848, à des causes qui peuvent agir sur la cote des contribuables dans le sens de la surcharge aussi bien que du dégrèvement.

Je pense donc que les considérations de privilège présentées par M. le ministre des finances, sont sans force contre les arguments déjà produits à l'appui de la loi actuelle.

Je n'ai pu comprendre que le système de cette loi emportât une prime au profit de quelques provinces et au préjudice des autres.

La loi a établi un principe de fixité : elle veut qu'il ne soit pas touché au contingent de la contribution jusqu'à la révision générale du cadastre, ou si l'on veut, quant aux propriétés bâties, jusqu'à la période décennale.

Messieurs, quand je distingue les propriétés bâties des propriétés (page 790) rurales, dans leurs rapports avec les revenus qu'elles donnent à l'Etat, je ne suis pas seul de cet avis.

Permettez-moi de vous citer quelques lignes d'un homme dont l'autorité est grande en ces matières. C'est celle de M. d'Audiffret, dans son système financier de la France ; il disait alors qu'il entrevoyait le terme prochain de l'achèvement du cadastre:

« Ainsi nous serons parvenus à devancer l'époque tardive et incertaine à laquelle s'attachaient depuis longtemps les vœux de tous les propriétaires, et qui leur assurera pour toujours l'inappréciable avantage de l’égalité proportionnelle et de la fixité de l'impôt.

« Cette fixité est recommandée par la matière imposable elle-même qui est permanente de sa nature, à l'exception des propriétés bâties qui sont soumises à des variations fréquentes; mais l'intérêt public exige impérieusement que les biens ruraux soient mis à l'abri de ces augmentations et diminutions de taxes qui affectent leur valeur réelle, découragent souvent les efforts du cultivateur, retardent l'amélioration de l'agriculture , etc.

« C'est alors que le système de répartition de la contribution foncière aura atteint son dernier degré de perfectionnement et que l'on sera conduit à examiner si les maisons qui se multiplient sur le territoire et dont la valeur s'augmente ou décroît en raison de la population et de la richesse publique, ne devraient pas être soumises à un impôt de quotité comme tous les objets qui éprouvent aussi immédiatement les vicissitudes de l'état mobile de la société. »

Voilà, messieurs, l'opinion d'un des hommes éminents de la France en administration financière: pour lui, la péréquation cadastrale avait pour but définitif l'égalité proportionnelle et la fixité de l'impôt.

Il y a loin des principes de M. d'Audiffret avec les idées de l'honorable M. Frère sur les modifications annuelles du contingent.

Je comprends l'objection que va me faire M. le ministre des finances. Il me dira : Mais l'augmentation dont il s'agit aujourd'hui ne peut pas affecter la valeur de la propriété.

Ce n'est pas la somme que vous demandez que je combats, c'est le principe que vous posez, et ce principe, c'est celui de la mobilité de l'impôt appliqué aux intérêts qui demandent le plus de stabilité.

Je pense donc que le projet de loi est en opposition avec les vrais principes de la matière, avec nos précédents législatifs et les règles d'une administration juste et prudente.

Je voterai contre la loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable M. de Theux a bien voulu reconnaître l'exactitude de mes assertions, lorsque, répondant à l'honorable M. de Man, j'avais dit que le projet de loi sur les successions avait notamment pour but, dans la pensée du gouvernement, d'atteindre un grand nombre de valeurs mobilières qui aujourd'hui échappent à l'impôt. J'avais eu soin de déclarer aussi que l'honorable M. de Theux contestait l’efficacité des moyens employés par le gouvernement. Mais au moins résulte-t-il de cette reconnaissance que, dans la pensée du gouvernement, il fallait atteindre les valeurs mobilières et qu'ainsi le reproche qui nous est adressé de nous préoccuper exclusivement d'impôts directs et principalement d'impôt foncier, est un reproche qui peut avoir un certain caractère de malveillance, mais qui n'a aucune espèce de fondement.

Voilà pour la pensée, nous n'examinons pas les moyens.

Toutefois, quant aux moyens que je voulais employer, déclarés inefficaces par l'honorable membre, attaqués à une autre époque sous d'autres rapports par d'autres honorables membres, je n'admets pas qu'ils ne fussent pas efficaces et j'ai pour preuve de leur efficacité un autre aveu de l'honorable M. de Theux. Avant de quitter son dernier ministère, le ministre des finances a publié un exposé de la situation financière; à la suite de cet exposé on trouve énumérés les dégrèvements successifs d'impôts qui ont eu lieu en Belgique depuis 1830, et au nombre de ces dégrèvement figurent les successions pour un million par suite de l'abolition du serment. Donc le serment vaut un million, donc la mesure est efficace. Et ce serment, à quoi peut-il s'appliquer? Aux valeurs mobilières. Donc la mesure aurait eu ce résultat efficace de prélever un impôt d'un million sur les valeurs mobilières.

M. de Liedekerke. - Et la moralité publique?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous ne discutons pas maintenant cette question; mais je suis prêt à soutenir la complète moralité du serment. Je suis prêt à démontrer qu'un peuple considéré comme très moral, que le peuple anglais a multiplié le serment; qu'il l'applique, à toutes espèces d'impôt; qu'en Angleterre, même pour la simple restitution d'un drawback, on est obligé de prêter serment que c'est bien la somme d'impôt qui a été payée. Le peuple anglais, de l'aveu de tous les publicistes, de tous les historiens, est l'un des plus moraux de la terre. On a foi dans la parole d'un Anglais, dit très bien L. Faucher; on ne s'en rapporte pas précisément aussi facilement à la parole d'un autre individu. Ln Anglais ne ment pas; c'est ainsi que s'exprime L. Faucher. Le serment ne l'a donc pas démoralisé.

Du reste, je ne tenais qu'à constater une chose dans cette discussion, c'est que les reproches qui ont été adressés au gouvernement d'avoir une tendance à aggraver l'impôt foncier, à vouloir reporter les charges sur l'impôt direct, était un reproche tout à fait immérité, un reproche sans fondement.

L'honorable M. de Theux a bien voulu reconnaître aussi que j'avais présenté une objection fort sérieuse en faveur du projet de loi qui est soumis à vos délibérations : c'est celle qui a consisté à vous faire remarquer que, dans l'état actuel des choses, les diminutions successives de l'impôt profitent aux provinces les plus favorisées au détriment des autres provinces. L'honorable membre l'a reconnu. Mais il nous dit : Il y a moyen de parer à cet inconvénient; répartissez cet accroissement en diminution sur l'ensemble du contingent.

Mais alors je demande ce que devient la charte de 1848, en faveur de l'impôt foncier? L'honorable M. de Theux ne demande pas autre chose que la violation de ce fameux article 2 qui a fait pour un moment la base du débat. L'article 2, que l'on m'oppose, déclare précisément que le contingent provincial ne sera pas affecté, que la diminution profitera aux communes. C'est ce que déclare cet article 2. Il faudrait donc, pour faire disparaître mon objection reconnue si grave, réformer l'article 2. Il faudrait faire ce qu'on ne veut pas faire pour arriver à un résultat favorable au trésor. A quoi bon suivre le système de l'honorable M. de Theux? Le mien me paraît valoir beaucoup mieux.

L'honorable comte Vilain XIIII a, de son côté, fait valoir quelques objections.

Ce qui a surtout frappé l'honorable membre, c'est que la loi qui vous est proposée aurait le caractère d'une loi rétroactive. J'ai suffisamment montré, dans la dernière discussion, quels étaient mes scrupules sur un pareil point. Sans me préoccuper même d'une manière absolue de la rétroactivité, par cela seul que la mesure que l'on nous proposait ne me semblait pas juste, j'ai cru devoir la combattre. Mais si j'ai bien retenu, l'honorable membre n'a pas été arrêté par ce scrupule, lorsqu'il s'est agi de la loi sur les distilleries. J'objectais que le système de crédit avait été garanti pour neuf mois, que les distillateurs pouvaient, pendant ces neuf mois, apurer leurs comptes sous certaines conditions. Eh bien, l'honorable membre n'a pas vu de difficulté à restreindre à trois mois l'apurement aux conditions anciennes. Et ici la rétroactivité apparaît à l'honorable membre, parce que les contribuables ont profité, pendant quelques années, de la déduction résultant des valeurs nouvelles, et que par le projet on veut reprendre cet accroissement d'impôt dont ils ont profité.

L'honorable membre ne paraît pas avoir réfléchi que s'il y avait là un principe de rétroactivité, il y en aurait, un pour tous les centimes additionnels.

Il n'y a pas plus de raison pour ne pas reprendre aux contribuables cette déduction dont ils ont profité, qu'il n'y en aurait d'imposer des centimes additionnels.

Dans les deux hypothèses, l'honorable membre pourrait dire : Mais vous allez reprendre au contribuable des sommes dont il a joui jusqu'à présent.

Au surplus, quand appliquerez-vous la disposition? Vous consentez à, l'appliquer lorsqu'il y aura une révision du cadastre ; mais alors la mesure sera-t-elle moins rétroactive?

M. Vilain XIIII. - Elle est prévue dans la charte.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Est-ce que vous aurez moins alors à reprendre ce dont les contribuables auront joui? L'objection tirée de ce que la révision est prévue, ne signifie rien. Car alors ne récupérerez-vous pas ce qui avait été déduit antérieurement?

Il est donc clair que ce prétendu principe de rétroactivité, qui a été présenté fort agréablement par l'honorable comte Vilain XIIII, n'a rien de sérieux.

L'honorable membre a fait une autre objection. Il vous a dit que nous portions atteinte au principe qui avait régi la matière jusqu'à présent, et qu'il n'y avait pas d'argument à tirer de ce qui s'était passé en 1845.

Vous vous souvenez, messieurs, qu'en 1845, ainsi que j'ai eu l'honneur de vous le dire, on a fait précisément ce que nous proposons, et on l'a fait en présence du même principe, qui est consacré par la loi de 1848 car ce principe est écrit dans les articles 16 et 17 du recueil méthodique, qui a caractère de loi.

Selon l'honorable membre, la situation était différente en 1845 de ce qu'elle est aujourd'hui ; pourquoi? Parce qu'en 1845 on n'a fait profiter le trésor que des accroissements de valeur qui se trouvaient dans les deux provinces récemment cadastrées. Mais, messieurs, c'est là une erreur : on applique en 1845 la mesure à tous les accroissements de valeur, précisément et identiquement de la même manière que nous le proposons aujourd'hui.

En 1855, on avait déterminé le revenu imposable à une certaine somme; en 1845, le revenu imposable des neuf provinces, y compris les accroissements de valeur, dont nous nous occupons, a été déterminé à une somme plus élevée. On a, à cette époque, ajouté au contingent de l'impôt ce qui résultait de toutes les valeurs nouvelles, et cela représentait le double de ce que nous demandons aujourd'hui, cela représentait une somme de 519,000 fr. Et la chambre n'a pas hésité à admettre la proposition, elle n'a pas été arrêtée par le principe que l'on invoque aujourd'hui. La chambre n'a nullement pris en considération l'objection tiret du principe de la loi de 1848 qui existait, je le répète, dans le recueil méthodique, principe que l'on représente comme fondamental et qui est purement réglementaire, qui serait appliqué alors même qu'il ne serait écrit nulle part, puisqu'on ne saurait pas opérer autrement.

L'honorable comte Le Hon a pensé, lui, que nous avons traité la (page 791) question à un point de vue trop étroit, que nous n'avons mis en lumière que le petit côté des choses dans cette affaire. Je ferai observer que l'honorable orateur ne vous en a pas fait voir le grand côté ; l'honorable membre ne s'est pas occupé d'autre chose que des points discutés par les précédents orateurs, il a traité identiquement la même question que nous , de telle sorte que nous devons croire que le grand côté qu'il avait entrevu est précisément celui qui a fait l'objet de l'attention de tous les autres membres de la chambre. Seulement l'honorable membre s'est complètement trompé; l'honorable membre a confondu des choses essentiellement distinctes, il a confondu l'article 2 de la loi de 1848 et l'article 3 de cette même loi. Dans l'article 2, dernier paragraphe, on s'occupe d'une seule chose, des accroissements et des diminutions, de valeur qui peuvent survenir indépendamment de toute révision cadastrale, et dans l'article 3, on s'occupe des accroissements de valeur qui peuvent résulter de l'ensemble des opérations de révision du cadastre, appliquées tant aux propriétés bâties qu'aux propriétés non bâties. (Interruption.)

Il y a deux choses à distinguer : les propriétés non bâties don l’allivrement une fois déterminé ne change plus, à moins de révision du cadastre, et les propriétés bâties qui se modifient; il y a là de la mobilité, elle est indispensable : sans quoi il y aurait les plus criantes injustices. C'est ce qui est très bien exprimé dans le recueil méthodique.

L'honorable M. Le Hon me demande ce que cela fait à la chose; cela fait que l'honorable membre a confondu deux choses parfaitement distinctes.

Dans le dernier paragraphe de l'article 2 de la loi, il s'agit uniquement des augmentations et des diminutions de valeur : ce qui ne peut s'appliquer qu'aux propriétés bâties et aux propriétés non bâties emprises pour les routes, etc., dans l'article 3, on a posé un principe général, relativement à la révision de toutes les parcelles cadastrales, tant pour les propriétés bâties que pour les propriétés non bâties.....

M. Le Hon. - Je prie M. le ministre des finances de m'indiquer, dans l'article 2, quelque chose qui autorise à y supposer une distinction entre les biens ruraux et les propriétés bâties ou l'application exclusive de l'article à ces dernières.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comme je viens de le dire, l'article 2, s'occupant des augmentations et des diminutions de valeur, ne peut s'appliquer qu'aux propriétés bâties et aux seules portions de terrains non bâtis qui cessent d'être soumis à l'impôt.

M. Le Hon. - Et les terrains que l'on prend pour les routes, les chemins de fer et les canaux !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. Le Hon ne voit pas que cela se trouve dans la même disposition « augmentations et diminutions. »

Que l'honorable membre comprenne ceci : des portions soumises à l'impôt, sont soustraites à l'impôt; voilà une diminution de valeur; d'après ce fait, le contingent restant le même, il y a lieu à accroissement de la part des contribuables ; d'autres portions entrent dans l'impôt; des parcelles de terrains deviennent des propriétés bâties; cela accroit d'autant le revenu imposable, il y a lieu de ce chef à une augmentation d'impôt; cette augmentation a lieu effectivement, non pas au profit du trésor, mais en déduction de la cote des contribuables. L'honorable membre a supposé qu'on ne faisait pas la balance entre les diminutions et les déductions...

M. Le Hon. - M. le ministre des finances me permet-il de m'expliquer?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Volontiers.

M. Le Hon. - Messieurs, j'ai dit que M. le ministre des finances n'avait envisagé dans son objection qu'un seul côté des faits. Ne considérant que l'hypothèse de constructions nouvelles qui venaient augmenter le revenu imposable, quand le contingent provincial restait le même, Il avait signalé, comme un privilège, le dégrèvement qui résulterait pour chacun, dans la répartition intérieure, entre communes, de l'accroissement du nombre des propriétés soumises à l'impôt. J'ai fait remarquer que dans le système de la loi de 1848 qu'il attaquait, M. le ministre des finances avait omis de signaler cette autre circonstance corrélative, que, dans les cas de démolition d'édifices, et dans ceux d'établissement de routes, de canaux, de chemins de fer, le nombre des propriétés imposables diminuant quand le contingent ne variait pas, il se produisait un effet contraire, à savoir, l'augmentation de la cote des contribuables.

J'ai voulu prouver que l'honorable ministre n'avait montré qu'un des côtés de la médaille, et comme il avait adressé aux provinces les moins favorisées l'argument de privilège dont il se prévalait contre les provinces riches, j'ai cru qu'il était juste et nécessaire de présenter les faits et leurs conséquences dans leur exacte vérité.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre vient de répéter l'objection que j'avais rencontrée , que je continue à combattre et qui repose sur une véritable erreur.

De deux choses l'une, ou votre objection ne signifie rien, ou elle signifie ceci : que je ne fais pas état des diminutions qui arrivent dans la matière imposable ; que, de ce chef, je laisse la charge aux contribuables, et que, quand il y a accroissement, je le prends au profil du trésor.

Si telle n'est pas l'objection, elle ne signifie rien.

Je fais état des diminutions; lorsque des portions sont soustraites à, l'impôt, cessent de faire partie du revenu imposable, j'en tiens compte; lorsque d'autres portions entrent dans l'impôt, j'en tiens compte également ; que viens-je demander? La balance ; de sorte que l'impôt reste invariable pour le contribuable.

- Un membre. - Et si le résultat est une diminution?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'ai répondu à cette objection tantôt. En fait, cela ne s'est pas présenté; nous avons toujours eu accroissement; l'accroissement périodique est de 40 à 50 mille francs par an; par conséquent, en fait, l'objection ne signifie rien. J'ai répondu que pour le cas où il y aurait diminution, il faudrait y parer par un moyen ou par un autre, soit en baissant le contingent fixe et en augmentant l'impôt de chaque contribuable, soit en mettant des centimes additionnels.

Ainsi l'objection n'a pas de fondement. Il ne faut pas perdre de vue, cela est très important, c'est pour cela que je m'attache à bien répondre à l'objection, il ne faut pas perdre de vue que ce n'est que la somme qui excède qui est demandée au profit du trésor; c'est ce que j'ai qualifié de prime d'amortissement au profit de l'impôt foncier. Ce n'est qu'à ce titre qu'il peut être ainsi qualifié.

Si je ne tenais compte de diminution, le contribuable serait grevé davantage ; mais l'impôt étant le même, ne changeant pas si l'accroissement profite au contribuable , il en résulte que c'est un amortissement de la cote; il est clair que si en 1845 on ne lui eût pas fait payer 500 mille fr. et si on repousse les 275 mille francs que nous demandons, il y aurait eu jusqu'à présent un amortissement de 775 mille francs résultant uniquement de l'accroissement des valeurs imposables ; vous auriez une diminution de cote, une inégalité d'impôt de province à province. Vous avez ce résultat aujourd'hui. N'est-il pas évident que dans les provinces les plus prospères, où l'on a fait le plus de constructions, on paye moins de contributions? Les cotes ne sont-elles pas plus chargées dans les provinces moins prospères où les constructions se sont moins développées? Les contingents sont les mêmes, toutes les provinces ne profitent pas également du développement de prospérité, ce sont seulement les plus favorisées ; pour les autres, la position reste la même. Est-ce là de l'égalité? Est-ce là le principe que vous voulez faire prévaloir dans vos lois? II n'y a là aucune équité. La somme des accroissements doit profiter au trésor; c'est le moyen d'en faire profiter tous. J'insiste donc pour que l'accroissement profite au trésor et ne vienne pas en déduction de la cote des contribuables.

- Plusieurs voix. - La clôture! la clôture !

M. Le Hon. - J'aurais désiré convaincre M. le ministre qu'il est dans l'erreur et dans l'appréciation de mes objections et dans la réponse qu'il y a faite; mais je ne veux pas, pour une satisfaction d'amour-propre, contrarier le désir que manifeste la chambre de clore la discussion.

- La chambre, consultée, ferme la discussion.

M. Van Grootven, rapporteur. - Je crois qu'il est d'usage de réserver la parole au rapporteur.

- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !

- D'autres voix. Non ! non ! la clôture est prononcée!

- La chambre, consultée, décide que la clôture est absolue.

Vote sur l’article unique

M. le président. - Le projet de loi se compose d'un article unique ; il va être procédé au vote par appel nominal.

L'article est ainsi conçu :

« A partir de 1850, il sera tenu compte, au profit du trésor, de l'accroissement survenu dans la matière imposable à la contribution foncière depuis l'achèvement du cadastre

« En conséquence, le contingent de chaque province, tel qu'il a été fixé par la loi du 30 décembre 1845, sera augmenté pour l'exercice 1850, dans la proportion de 0,09 871332/ 1000000 par franc du montant de l'accroissement du revenu net imposable, constaté au 31 décembre 1848, par le cadastre, savoir :

(page 792) Note du webmaster : ce tableau n’est pas repris dans la version numérisée. Voir plus loin).

- L'appel nominal constate que la chambre n'est plus en nombre. Le vote est renvoyé à la prochaine séance.

La séance est levée à 4 heures.