Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 5 mars 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 858) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à deux heures et quart.

La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pétitions adressées à la chambre.

«Plusieurs habitants d'Esschen demandent que l'enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les établissements d'instruction publique à Bruxelles et dans les provinces flamandes; qu'on y soit tenu de s'en servir pour enseigner les langues anglaise et allemande ; que les administrations provinciales et communales et, autant que possible, les tribunaux fassent exclusivement usage de cette langue ; qu'il y ait une Académie flamande annexée à l'Académie de Bruxelles, et que la langue, flamande jouisse, à l'université de Gand, des mêmes prérogatives que la langue française. »

« Même demande de plusieurs habitants de Westwezel, Genck, Turnhout, Bruxelles, Baelen, Stabroek, Anvers, Merchtem ; des membres du conseil communal de Meeuwen, Ellicom, Wyshagen, Mariakerke, Denterghem, Aerseele, Lichtervelde, Lille, Breedene.»

M. de Breyne. - Je demande le renvoi de ces pétitions à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur l'enseignement moyen.

- Adopté.


« Plusieurs habitants de Zomerghem demandent que l’enseignement de la langue flamande soit obligatoire dans les athénées et collèges des provinces flamandes, et qu'on y soit tenu de se servir de cette langue pour enseigner l'allemand et l'anglais.

« Même demande de plusieurs habitants de Destelbergen, Leerne, Desteldonck, Assenede, Deerlyk, Gand, des membres d'une société de rhétorique d'Anvers et de plusieurs habitants de Dixmude, Heusden, Middelburg et Tronchiennes. »

- Même renvoi.


« Plusieurs vétérinaires diplômés dans la province d'Anvers demandent que les vétérinaires diplômés soient assimilés aux vétérinaires du gouvernement.»

« Même demande de vétérinaires diplômés dans les provinces de Brabant, Hainaut, Namur et dans les Flandres. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur l'exercice de la médecine vétérinaire.


« Le bourgmestre et plusieurs habitants de Laethem réclament contre l'application exclusive du crédit de deux millions à la fabrication des russias qu'on préfère, dans cette commune, tisser pour compte particulier. »

M. Rodenbach. - Messieurs, la requête dont on vient de faire l'analyse nous a été adressée par le bourgmestre et quelques habitants de Laethem; il nous en a été également adressé une, dans le même but, par des industriels de Hooglede, district de Roulers; les pétitionnaires s'étonnent de la persistance du gouvernement dans la demande d'un crédit de deux millions pour fabriquer des russias, maintenant que les fabricants du pays en font tisser, et qu'on leur a même abandonné les ateliers où l'on en faisait tisser pour le compte du gouvernement. Je demande que ces deux pétitions et toutes celles qui auraient le même objet soient renvoyées à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi, et qui pourra les comprendre dans son rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Quelques fabricants de toiles à Courtray présentent des observations contre la demande du crédit de deux millions pour continuer la fabrication des russias, déclarant s'engager collectivement à prendre les ateliers d'apprentissage sous leurs auspices, à leur donner de l'ouvrage et à payer les frais de façon sur le même pied que la prison de Saint-Bernard. »

M. de Haerne. - Je demande la parole pour faire remarquer que l'analyse de la pétition n'est pas exacte; ce ne sont pas des fabricants de Courtray seulement qui l'ont signée. Parmi les signataires, un seul appartient à Courtray ; d'autres appartiennent à Bruxelles, à Malines, à Roulers; ils déclarent prendre sous leurs auspices les ateliers où l'on fabrique les russias pour le compte du gouvernement et prennent l'engagement de payer les tisserands aux mêmes conditions que l'administration de la prison de Saint-Bernard. Je demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi de crédits supplémentaires au département de la justice.

M. Loos. - J'appuie le renvoi à la section centrale; je prends la parole parce qu'on s'est appuyé sur cette pétition pour faire ressortir les offres faites par certains fabricants aux ouvriers occupés à la fabrication des russias. Je crois qu'il était inutile de s'adresser à la chambre pour cet objet. Les ouvriers seront, disposés il accueillir les offres des fabricants si elles sont équivalentes aux conditions que leur fait la commission de Saint-Bernard, si on les paye de la même manière, c'est-à dire en argent. Je crois qu'il était inutile d'occuper la chambre de cet objet.

M. le président. - La pétition ne porte que quatre signatures toutes placées sous la rubrique de Courtray.

M. de Haerne. - Je connais les signatures.

M. le président. - Le greffier devait penser que tous étaient de Courtray.

M. de Haerne. - On est entré dans des explications que je n'avais nullement l'intention de provoquer, je n'avais pris la parole que pour rectifier un fait qui n'était pas exact; je pense même que toute discussion, à cet égard, me paraît inopportune dans le moment actuel.

Je dirai cependant que la déclaration des pétitionnaires tond à faire voir que le crédit est au moins inutile.

- Le renvoi est ordonné.


« Plusieurs industriels et tisserands à Hooglede présentent des observations contre le projet de loi des crédits supplémentaires au département de la justice. »

M. Rodenbach. - C'est la pétition dont j'ai parlé tout à l'heure, je demande le renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.

- Adopté.


M. David demande un congé de quelques semaines pour cause de santé.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi, amendé par le sénat, instituant une caisse de retraite

Rapport de la section centrale

M. T'Kint de Naeyer, au nom de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur l'institution d'une caisse de retraite, amendé par le sénat, dépose le rapport sur ce projet de loi.

La section centrale conclut à l'adoption de l'amendement relatif à la publication des tables de mortalité, et au rejet de l'amendement qui fixe à 600 francs le maximum de la retraite; elle propose l'adoption du chiffre de 720 francs comme transaction entre les chiffres de 900 et de 600 fr., adoptés, le premier par le sénat, le deuxième par la chambre, et comme représentant à peu près 2 francs par jour. Quant au minimum des versements insuffisants pour être convertis en rentes, fixé par la chambre à 5 francs, par le sénat à 2 francs, la section centrale propose d'en abandonner la fixation au gouvernement, sans toutefois que ce chiffre puisse excéder 5 francs.

La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et met ce projet de loi à la suite de l'ordre du jour.

Projet de loi de délimitation entre les communes de Mohiville et de Scy

Rapport de la commission

M. Lelièvre, au nom de la commission qui a examiné le projet de loi relatif à la délimitation des communes de Scy et.de Mohiville (arrondissement de Dinant), dépose le rapport sur ce projet de loi.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport.

Rapports sur des pétitions

M. Allard. - Dans la séance du 2 de ce mois, vous avez renvoyé à la commission des pétitions une pétition des élèves du doctorat en droit à l'université de Liège, avec demande d'un très prompt rapport; la commission s'est réunie ce matin et m'a chargé, messieurs, de vous faire connaître ses conclusions.

Par pétition datée de Liège, le 28 février dernier, des élèves du doctorat en droit à l'université de Liège, inscrits au mois d'octobre 1848, demandent une loi qui les admette, pendant les deux sessions de 1850, à subir l'examen de docteur conformément à la loi du 27 septembre 1835, et qui accorde la même faculté aux candidats de cette catégorie, ajournés à la première session, s'ils se représentent à la session suivante.

Les pétitionnaires exposent à la chambre que, s'étant fait inscrire au mois d'octobre 1848, au cours du doctorat en droit, ils devaient croire qu'ils ne subiraient leur examen qu'a la seconde session de 1850, comme l'exigeait la loi de 1835 alors en vigueur, puisque, sous l'empire de cette loi, les cours du doctorat en droit étaient de deux années.

Votre commission des pétitions pense, messieurs, que la demande des pétitionnaires est de nature à appeler la sérieuse attention de M. le ministre de l'intérieur, et vous propose en conséquence de lui renvoyer cette pétition.

Elle saisit cette occasion pour signaler à M. le ministre de l'intérieur, qu'il y aurait justice, à son avis, à ajourner la session de Pâques du jury d'examen, attendu que les cours n'ont commencé que le 27 octobre, un mois plus tard que les autres années, et que Pâques arrive cette année beaucoup plus tôt.

M. Delfosse. - J'appuie les conclusions de la commission. Je propose d'y ajouter « avec demande d'explications. »

- Les conclusions de la commission, ainsi modifiées, sont adoptées.

M. Van Grootven. - Je demanderai à l'honorable rapporteur si la commission a déjà pu s'occuper de la pétition que plusieurs distillateurs de Gand ont adressée à la chambre et que, vu son importance, vous lui avez renvoyée avec demande d'un prompt rapport.


M. Allard. - La commission s'est occupée de la pétition des distillateurs de Gand; je suis prêt à faire le rapport, si la chambre le désire.

Quelques distillateurs, à Gand, demandent que les distillateurs, payant par anticipation, reçoivent la bonification, d'intérêt de 2 p. c. sur les sommes dont ils mettent le gouvernement en possession.

(page 859) Les pétitionnaires exposent à la chambre que les distillateurs, favorisés de la fortune, jouissent seuls du bénéfice de l'article 19 de la loi sur les distilleries du 27 juin 1842; que les petits distillateurs, qui ne peuvent pas donner une caution suffisante en immeubles ou en numéraire, en sont exclus, et qu'il serait juste que l'Etat, qui reçoit d'eux par anticipation, leur bonifie un intérêt de 2 p. c.

Votre commission des pétitions, messieurs, estime qu'il y a lieu de signaler à la bienveillance de M. le ministre des finances la position exceptionnelle des exposants, et vous propose en conséquence de lui renvoyer cette pétition.

- Ces conclusions sont adoptées.

Projet de loi instituant une banque nationale

Discussion des articles

Article 26

La discussion continue sur l'article 26.

Deux nouveaux amendements ont été déposés sur le bureau. L'un, de M. de Man d'Attenrode, est ainsi conçu: «Lorsque les billets auront cours de monnaie légale, l'intérêt courra au profit de l'Etat. »

La parole est à M. de Man pour développer son amendement.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, je viens de déposer un amendement favorable au trésor public. Mais avant de le développer, je demanderai à motiver en deux mots mon vote.

Messieurs, les deux établissements de banque qui ont leur siège à Bruxelles ont donné, malgré eux, le jour à un être financier que le gouvernement se propose de doter de nombreux privilèges. Nous devons cette naissance au zèle et aux efforts redoublés de M. le ministre des finances. Je ne veux pas troubler l'accueil bienveillant qui entoure le nouveau-né par des critiques qui ne pourraient avoir aucun résultat. Je désire qu'il vive longtemps dans l'intérêt du pays. Mais je ne puis m'empêcher de déclarer que je n'attends pas de grands résultats de cette combinaison qui tend à créer un nouveau monopole et à porter une atteinte à la liberté du commerce, dans une circonstance où cela ne me paraît pas indispensable. Je n'aime pas les monopoles, je tiens à ce que le gouvernement intervienne le moins possible dans les affaires commerciales et privées; j'hésite donc à donner un vote favorable au projet.

Je reviens à mon amendement.

D'après les conventions, la banque nouvelle est appelée à céder 20 millions de papier sur son émission à la Société Générale. Celle-ci payera 3 p. c. à la Banque Nationale, c'est-à-dire 600,000 francs.

Cette condition me semble très légitime; c'est une partie de l'émission de la Banque Nationale qui se trouve cédée à la Société Générale. La Banque Nationale est obligée de tenir les fonds nécessaires pour la convertibilité de cette partie de son émission; il est tout simple qu'un intérêt lui soit assuré.

J'avais fait, au sein de la section centrale, un amendement qui tendait à réserver en tout cas ces 3 p. c. à l'Etat. Cet amendement n'a pas été accueilli et ne devait pas l'être, j'en conviens.

J'ai modifié cet amendement dans le sens que vient de vous faire connaître M. le président. Mais pour vous l'expliquer, il faut que j'entre dans quelques détails.

D'après le projet de loi, la convertibilité du papier en numéraire est rétablie. Cependant cette convertibilité pourrait cesser. Je suppose, par exemple, une crise; je suppose que la confiance cesse, fasse défaut et qu'on vienne demander à la banque l'échange du papier contre du numéraire, de manière à rendre la conversion difficile; je suppose encore que la nouvelle banque ait fait une émission de 40 millions, du moment où le public aura obtenu la conversion du papier en numéraire pour les 20 premiers millions.

Dès lors le gouvernement pourra établir le cours forcé pour les 20 millions restants. N'est-il pas incontestable que, du moment où le gouvernement vient en aide à la Banque Nationale en l'affranchissant de remplir ses obligations, c'est à l'Etat, qui garantit la circulation pour les 20 millions, que doivent revenir les intérêts qui résultent de cette circulation ?

Si l'Etat court les risques, il doit recouvrer une compensation. Ceci est de toute équité.

En 1848, nous avons autorisé la circulation forcée du papier en deux circonstances : au mois de mars d'abord, pour la première émission. Je conviens qu'alors la chambre ne stipula pas qu'un intérêt serait payé en faveur de l'Etat. Pourquoi cela ? Rappelez-vous les circonstances. Le temps pressait :le gouvernement vint nous présenter un projet; la commission chargée de l'examiner se retira à l'instant même dans le bureau de M. le président et vint bientôt nous faire un rapport verbal. On passa au vote et l'on ne pensa pas à stipuler des conditions favorables au trésor.

Vint ensuite la seconde émission qui fit l'objet du projet de loi discuté au mois de mai suivant, et alors le législateur stipula qu'un intérêt serait payé au trésor public.

Je demande donc tout simplement aujourd'hui que la chambre continue de faire ce qu'elle a fait au mois de mai 1848.

Encore une observation. La Banque Nationale fait une avance de 20 millions à la Société Générale; les intérêts, s'élevant à 600,000 fr., sont payés à la Banque Nationale. Mais quels sont les actionnaires de la Banque Nationale? Ce sont les actionnaires de la Société Générale, pour les deux cinquièmes. De sorte que la Société Générale bénéficiera de 6 ou 7 p. c, comme les banquiers savent le faire et qu'ensuite l'intérêt des 20 millions reviendra à la Société Générale pour 2/5, puisqu'elle est appelée à concourir pour 2/5 à la formation du capital de la Banque Nationale. Ce sont de ces combinaisons qui améliorent la position des actionnaires, mais il me semble qu’il faut aussi veiller un peu à l'intérêt des contribuables, et c'est dans ce but que j'ai déposé mon amendement.

M. le président. - Voici un amendement de M. Jacques.

« Remplacer le paragraphe 2 comme suit :

« Jusqu'au payement intégral de la créance à résulter de ce retrait, le ministre des finances pourra émettre, sous le contrôle de la cour des comptes, et dans la forme à déterminer par le Roi, des billets de trésor de 100, de 200 et de 500 fr., qui auront cours légal et obligatoire sur le même pied que la monnaie d'or et d'argent. Ces billets ne seront émis que sur la demande de l'administration de la Banque Nationale, qui devra en bonifier l'intérêt au trésor, à raison de 3 p. c. par an. »

La parole est à M. Jacques pour développer cet amendement.

M. Jacques. - Messieurs, l'un des avantages que le gouvernement veut procurer au pays, par la loi en discussion, c'est de faire cesser le cours forcé des billets de banque. On prévoit cependant, par le deuxième paragraphe de l'article 26, que la Banque Nationale puisse se trouver dans le cas d'avoir encore besoin du cours forcé pour une certaine quantité de billets afin de pouvoir retirer de la circulation tous ceux qui s'y trouvent maintenant. Cette mesure, telle qu'elle est proposée dans le projet, a fait naître l'appréhension de quelques inconvénients. Ainsi hier, l'honorable M. De Pouhon trouvait qu'il serait dangereux de pourvoir à ce besoin en donnant caractère de monnaie légale aux billets de la Banque nouvelle; ce serait, dit-il, discréditer, dès l'origine, la nouvelle banque.

Suivant M. le ministre des finances, il pourrait, dans certaines circonstances, être impossible de pourvoir à ce besoin en remettant en circulation les anciens billets de la Société Générale. Pour faire disparaître ces deux inconvénients, pour qu'il n'y ait aucune confusion des billets ayant cours forcé avec ceux qui n'auraient plus cours forcé, il me semble qu'il vaudrait mieux créer une nouvelle catégorie de billets, créer des billets à émettre par le ministre des finances. Alors, comme vient de le faire remarquer l'honorable M. de Man, si la Banque Nationale ne trouve pas dans ses propres ressources les moyens de suffire seule au retrait des billets à cours forcé qui sont maintenant en circulation, il est juste qu'elle ne profite pas de l'intérêt de 3 p. c. payé par la Société Générale, et puisque ce serait l'Etat qui fournirait ces moyens, il conviendrait que ce fût aussi le trésor public qui perçût l'intérêt.

Je pense, messieurs, que mon amendement n'a pas besoin d'autres développements. Je pense qu'il fait cesser toute espèce d'inconvénient et qu'il a cet avantage de ne pas attribuer aux actionnaires de la nouvelle banque un intérêt résultant des garanties fournies par l'Etat, dans le cas où la nouvelle banque en aurait besoin.

Il va de soi que les billets dont je propose l'émission ne pourraient être émis que si la nouvelle banque en faisait la demande, demande qu'elle ne fera évidemment que dans l'hypothèse où elle ne trouverait pas dans ses propres ressources les moyens de faire face à tous ses besoins.

Je crois qu'il est inutile d'en dire davantage pour faire comprendre l'économie de ce paragraphe qui, du reste, se lie très bien avec les autres paragraphes de l'article.

Le troisième paragraphe porte :

« Le total de ces émissions ne pourra, dans aucun cas, excéder le montant des billets retirés et non remboursés. »

De manière qu'elle ne pourrait non plus s'élever à plus de 20 millions.

M. Cools. - Messieurs, j'ai annoncé hier que je demandais la parole principalement pour obtenir quelques explications sur les conventions qui ont été conclues avec les deux banques. Ces éclaircissements sont à peu près inutiles pour la chambre. Les conventions sont parfaitement expliquées dans le rapport de la section centrale. Mais si les conventions sont suffisamment claires pour nous, peut-être ne le sont-elles pas assez pour une partie du public. Quelques personnes, en dehors de cette enceinte, donnent à ces conventions une portée qui me paraît tout à fait inadmissible. Dès lors de courtes explications ne seront pas inutiles.

L'article 8 porte :

« La banque, etc. La banque de Belgique remboursera les siens (ses billets). »

L'article 9 est ainsi conçu :

« La Société Générale remboursera ou retirera de la circulation, lors de l'installation de la Banque, ses billets excédant vingt millions. »

Je m'arrête là.

Je crois qu'il est entendu que ce remboursement s'effectuera au moyen des ressources que les banques possèdent actuellement, c'est-à-dire qu'à l'époque de l'installation de la nouvelle banque, les billets actuels des deux banques seront retirés de la circulation et annulés en présence des commissaires du gouvernement; et que les banques auront opéré ce retrait au moyen des ressources qu'elles possèdent déjà.

Mais quelques personnes n'entendent pas la convention dans ce sens; elles admettent bien que les billets seront amortis, puisque la convention le porte formellement, mais elles supposent que, pour quelques billets, l'amortissement s'opérera au moyen des ressources que la loi nouvelle va créer.

Prenons, par exemple, la Société Générale. La circulation des billets s'élève aujourd'hui à un peu plus de 28 millions, y compris la caisse d'épargne, et 575,000 fr. pour les établissements de crédit. Je suppose que cette circulation descende graduellement jusqu'à 5millions. Nous voilà arrivés à l'époque de l'installation de la nouvelle banque; il y aura, sur (page 860) ces 25 millions, 5 millions à amortir; eh bien, on suppose que la nouvelle banque ouvrirait un compte courant à la Société Générale, moyennant un intérêt de 3 p. c., c'est-à dire qu'elle remettra de nouveaux billets, au moyen desquels la Société Générale amortirait ses billets supplémentaires à 20 millions; en d'autres ternies, la dernière partie de l'article 9 de la convention s'appliquerait ainsi à une partie des papiers, excédant les 20 millions.

Je n'ai pas besoin de répéter que je ne puis pas admettre cette interprétation ; elle me paraît contraire au texte et à l'esprit de la loi; il en résulterait que l'époque où nous pouvons espérer de voir les 20 millions définitivement amortis serait reculée de beaucoup; les bénéfices que la Société Générale ferait à l'avenir ne pourraient plus être appliqués exclusivement à l'amortissement de ces 20 millions. Ils devraient aussi servir, pour une partie, à amortir cette avance de 5 millions hors ligne qu’elle aurait obtenue delà banque nouvelle.

Je pense que quelques mots de M. le ministre des finances suffiront pour faire tomber ces préventions.

Je passe à un autre objet. La question que je veux adresser à M. le ministre concerne la deuxième partie de l'article 9. « La banque nouvelle ouvrira à la Société. Générale un compte spécial portant intérêt à 3 p. c. du chef des billets dont le montant ne serait pas remboursé à mesure de leur retrait. »

Cette disposition est fâcheuse; cependant il me semble que, dans la discussion, on en a quelquefois exagéré la portée. On a dit :« La banque fait une avance de 20 millions à la Société Générale. Elle va mettre 20 millions à sa disposition. » Cette observation se rencontre même quelque part dans le rapport de la section centrale. Je crois que c'est aller au-delà de la vérité. Cependant il se peut que je me trompe, car je reconnais que cette partie de la convention est entourée d'une certaine obscurité.

Voici comment je pense que les choses vont se passer. Chaque quinzaine ou chaque mois, la banque nouvelle montrera le compte des billets anciens rentrés, la Société Générale ne remboursera pas, mais on lui ouvrira un compte courant à 3 p. c. Je suppose qu'à la fin de l'année la somme des billets rentrés soit de 5 millions; cela fera 150 mille francs d'intérêt; si, l'année suivante, il en rentre encore 10 millions, la somme des intérêts sera de 450 mille francs.

Reste à savoir quels billets remplaceront ceux de la Société Générale, il y aura des billets convertibles en remplacement de ces billets; par qui se fera l'émission? Remettra-t-on des billets à la Société Générale qui les mettra en circulation pour son propre service?

Je ne le crois pas. J'ai toujours cru et je crois encore que la banque nouvelle ne fera aucune remise de billets convertibles à la Société Générale, et que, si des billets convertibles doivent être lancés dans la circulation, en remplacement des 20 millions de billets anciens, cette émission se fera par la banque nouvelle et à son profit. Il est donc inexact de dire que la Banque Nationale se découvre de 20 millions au profit de la Société Générale. Elle se découvre de quelque chose, mais ce n'est pas de la totalité de ces 20 millions, c'est des valeurs qu'elle doit garder en caisse pour garantir le remboursement des billets qui remplaceront ces 20 millions dans la circulation. En attendant, elle pourra faire des affaires pour le chiffre de ces billets.

Examinons quelle devra être l'importance de l'encaisse, aussi longtemps que la totalité des billets faisant partie de ces derniers 20 millions de la Société Générale n'aura pas été amortie; et je touche ici à la question soulevée dans la séance d'hier par M. De Pouhon. De quelle importance devra être l'encaisse jusque-là?

On a dit : Un tiers. Le tiers, c'est peut-être trop dans certaines circonstances, mais ce sera beaucoup trop peu dans certaines autres.

Il peut être suffisant quand la circulation sera faible, mais il ne suffira pas quand elle sera très forte. L'encaisse devra bien s'élever à près de la moitié quand la circulation sera forte, si, bien entendu, on veut ne pas devoir recourir aux billets de la Société Générale avant que la circulation ne soit descendue au-dessous de 20 millions.

Le deuxième paragraphe de l'article 26 porte que, jusqu'au payement intégral de la créance à résulter de ce retrait, le gouvernement pourra autoriser la banque à faire usage de ces mêmes billets (de la Société Générale).

Je m'arrête là, car c'est sur cette partie que porte l'amendement de M. De Pouhon.

Maintenant, M. le ministre des finances a encore répété, dans la séance d'hier : On ne fera usage de ces billets que pour autant que la circulation tombe au-dessous de 20 millions.

Je prends les chiffres de la section centrale. Elle suppose 20 millions lancés dans la circulation en remplacement de ceux qui seront retirés, plus 25 millions pour le service exclusif de la Banque Nationale, total 45 millions. Quel doit être l'encaisse pour avoir la certitude de pas devoir recourir aux anciens billets? Evidemment de 25 millions et non de 45. Vous avez une circulation totale que vous portez à 45 millions; je suppose qu'elle tombe de 10 millions, qu'elle soit réduite à 29 millions, Avec quoi aurez-vous pu effectuer le remboursement des 16 millions qu'on sera venu réclamer, si vous n'avez qu'un encaisse de 15 millions? Vous avez un million de plus que l'encaisse à payer; déjà vous auriez alors dû faire sortir un million de billets anciens. Le gouvernement doit donc promettre, s'il veut nous rassurer complètement, qu'aussi longtemps que tous les billets anciens ne seront pas amortis, il ne permettra pas de porter l'émission totale à plus de 20 millions au-delà de l'encaisse métallique.

M. Tesch. - Vous oubliez le portefeuille.

M. Cools. - On me dit que j'oublie le portefeuille? Ah ! c'est du nouveau ! Je demande si l'on a l'intention de s'écarter des règles admises jusqu'à présent eu matière de banque. Toujours on a réglé la circulation uniquement sur l'encaisse métallique. On a seulement varié sur le chiffre dont l'encaisse devra se composer. Si l'on veut faire autre chose, y comprendre le portefeuille, soit; mais qu'on le dise. Il y aurait aussi bien des observations à faire sur les garanties qu'offrent les différentes espèces d'encaisses métalliques, car tous les encaisses, même métalliques, n'ont pas la même valeur.

Il est évident que l'encaisse provenant des dépôts offrira moins de garanties que tout autre encaisse; car il ne reste que jusqu'à ce qu'on vienne le réclamer.

Au reste, ce dernier point est secondaire. Je me borne à appeler sur ce point l'attention du gouvernement, pour le moment où on rédigera les statuts.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable M. de Man veut bien ne pas troubler l'accueil favorable que reçoit le projet de loi. Il n'élève contre le projet aucune réclamation. Il croit devoir cependant faire des réserves sur les nombreux privilèges dont la banque est dotée. Il n'admet pas les résultats qu'on en espère : il n'y voit qu'un monopole et une atteinte portée à la liberté du commerce. C'est, je pense, ce que vient de dire l'honorable membre. Je suis toujours à la recherche des privilèges concédés à la banque.

J'avais dit, dans le projet de loi, que la banque aurait le privilège d'émettre des billets. Je persiste à penser que cela constitue un privilège. Mais à part celui d'émettre des billets, privilège que beaucoup d'honorables membres considèrent comme le privilège de tout le monde, je voudrais bien que l'honorable M. de Man indiquât quels sont les privilèges dont la banque est dotée.

M. de Man d'Attenrode. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - La banque est une association de capitaux, offrant certaines garanties relativement à l'émission des billets. On impose des obligations restrictives aux opérations de la banque. Voilà tout!

De monopole, je n'en vois pas.

La législature aura à apprécier ultérieurement (si elle croit nécessaire) s'il faut autoriser de nouvelles banques, dans d'autres conditions. Des raisons d'utilité publique la détermineront à cet égard.

Quant à des atteintes portées à la liberté du commerce, je ne sais où l'honorable membre a pu les découvrir. L'honorable membre dépose un amendement : il croit qu'il est injuste de laisser gratuitement une circulation à la Société Générale, dans le cas où le gouvernement serait placé dans la nécessité de faire usage de la disposition inscrite dans l'article 26, qui lui permet d'autoriser la banque, soit à faire usage des billets ayant cours forcé, soit à remplacer ces billets par ses propres billets avec le caractère de monnaie légale.

C'est également l'opinion de l'honorable M. Jacques : il s'associe à la pensée de l'honorable M. de Man. Mais pour éviter certains inconvénients tels, par exemple, que la présence dans la circulation d'un certain nombre de billets de différentes catégories, il propose, dans cette éventualité, d'autoriser le gouvernement à émettre des billets du trésor de 100, 200 et 500 fr. qui porteraient intérêt au profit de l'Etat.

Je combats ces deux amendements : ils sont injustes. Comme je vais le démontrer, rien ne les justifie.

Je ne tirerai pas devant vous avantage de ce que la disposition qu'on propose serait contraire aux conventions qui ont été faites avec la Société Générale et avec la Banque de Belgique. Je le déclare, si les mesures qui ont été présentées pour amener à la solution des difficultés qui sont en face de nous, pouvaient être justement critiquées il ne faudrait pas s'arrêter devant cette considération qu'il y a eu convention; il faudrait passer outre. Je constate toutefois que les propositions qui sont faites sont contraires aux engagements qui ont été contractés.

M. Jacques. - Ce sont donc des engagements secrets!

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je puis certifier à l'honorable membre qu'il se trompe. Il y a les engagements patents, qui sont sous les yeux de la chambre. Il n'y en a pas d'autres.

Je vais vous démontrer que cette clause est contraire à l'esprit et au texte de la convention, qu'elle est parfaitement injuste.

Elle est contraire au texte de la convention. Les dispositions sont formelles. Il est stipulé que la banque nouvelle, devra ouvrir un compte à la Société Générale, du chef des billets qu'elle retirera de la circulation et qui ne seront pas remboursés. Il est également stipulé que ce compte spécial portera intérêt à 3 p. c. au profit de la banque. Il est stipulé que, dans l'éventualité où la circulation descendrait au-dessous de 20 millions, les billets de la banque nouvelle pourraient avoir cours forcé.

M. Jacques. - Ce n'est pas dans la convention.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas souvenir des termes exprès de la disposition. Mais je puis déclarer à l'honorable membre que la disposition qui se trouve dans l'article 26 de la loi est précisément celle sur la foi de laquelle on a traité.

Je ne m'arrêterai pas davantage à cette considération, parce que je veux démontrer que la disposition n'est pas juste, qu'en l'absence de toute stipulation vous ne pourriez adopter les amendements qui vous sont présentes.

Voici l'ensemble des conventions, pour la question qui nous occupe : une banque nouvelle est formée; on lui impose l'obligation d'opérer le (page 861) retrait des billets à cours forcé qui se trouvent dans la circulation. Une partie de ces billets, à concurrence de 20 millions, ne peut pas être remboursée. Elle prend rengagement d'ouvrir, de ce chef, un compte spécial, et en outre d'avoir un encaisse métallique en proportion de la totalité de la circulation.

Ainsi, dans les temps ordinaires, elle sera tenue d'avoir un encaisse qui, suivant les règles de prudence admises en cette matière, serait de nature à faire face à la totalité de la circulation. Si elle avait dès à présent le cours forcé à concurrence de 20 millions, elle pourrait avoir un encaisse métallique moindre; c'est-à-dire en rapport seulement avec sa propre circulation, sans tenir compte de la circulation qui existera au profit de la Société Générale.

C'est donc, une condition onéreuse pour la banque nouvelle de retirer les billets à cours forcé avec les avantages et les indemnités qui y sont attachés.

Je suis obligé, par ces considérations, de repousser les amendements des honorables MM. Jacques et de Man d'Attenrode.

L'honorable M. Cools a adressé quelques questions au gouvernement sur l'interprétation des conventions.

J'avoue, messieurs, que je n'ai pas très bien compris la portée des observations qui ont été faites par l'honorable membre,

Il parle en premier lieu du retrait des billets qui doit être opéré. Il se demande si la banque de Belgique payera ses billets effectivement ou si elle les amortira définitivement, ou si elle ne profitera pas des conventions nouvelles pour avoir un compte probablement, je ne sais trop , à l'aide duquel elle couvrirait ses billets.

M. Cools. - J'ai cité un exemple. J'ai plutôt entendu parler de la Société Générale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Bien. Ainsi la convention est formelle. La banque de Belgique doit rembourser ses billets.

Vient la Société Générale. L'honorable membre a supposé que, d'après la convention, la banque nouvelle aurait un compte courant à la Société Générale, c'est-à-dire un compte qui peut augmenter ou diminuer suivant la position de la Société Générale; que celle-ci, en un mot, après avoir opéré le retrait de ses billets, pourrait éventuellement reprendre une certaine somme de billets de la banque nouvelle.

Eh bien, cette erreur est complète. J'ai eu soin de ne pas écrire dans la convention qu'il y aurait un compte courant. J'ai écrit qu'il y avait un compte spécial. C'est une affaire toute particulière; c'est un compte spécial du chef des billets qui auront été retirés de la circulation par la banque nouvelle et qui ne se trouveraient pas remboursés.

Qu'est-ce que la Société Générale doit amortir? La convention l'énonce également. Elle doit éteindre la circulation actuelle jusqu'à concurrence de 20 millions,

M. Cools. - Me permettez-vous de donner une explication?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Volontiers.

M. Cools. - Voici l'interprétation que l’on donne à la convention. Je n'ai pas besoin de dire que je n'admets pas cette interprétation.

C'est que le compte courant à 3 p. c, dont il est question à l'article 9, ne serait pas nécessairement restreint aux 20 millions qui peuvent rester éventuellement dans la circulation; mais qu'une partie de ce compte courant pourrait s'étendre aux billets que la Société Générale doit amortir dès l'installation de la banque nouvelle.

Je suppose que la circulation soit de 22 millions, deux jours avant l'installation de la Banque Nationale, que la Société Générale ait amorti tout ce qui excède 22 millions.

Il reste encore 2 millions à amortir, pour lesquels je suppose bien gratuitement qu'il n'y ait plus de l'argent disponible dans les caisses de la Société Générale.

Eh bien, l'interprétation était que la banque nouvelle remettrait 2 millions de billets convertibles à la Société Générale et qu'à ces billets s'appliquerait comme aux autres le compte de 3 p. c. dont il est question dans l'article 9; c'est-à-dire que la Banque Nationale fournirait à la Société Générale des ressources pour amortir une partie des billets excédant les 20 millions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Dans cette hypothèse, le compte ne serait plus de 20 millions; il serait de 22 millions. Or, la convention stipule qu'il sera de 20 millions et dès lors il ne peut pas être de 22 millions.

M. Cools. - J'ai demandé une simple explication.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Maintenant, pour tout ce qui excéderait 20 millions, la Société Générale sera placée vis-à-vis de la Banque Nationale comme tout autre particulier. Si elle offre à la banque nouvelle des effets dans les conditions déterminées par les statuts, on les prendra à la Société Générale comme à tout autre. Si elle fait un dépôt de fonds publics, elle pourra recevoir des avances comme tout autre particulier. Mais quant aux billets anciens, aux billets à cours forcé retirés de la circulation, son compte doit être de 20 millions.

Il est bien clair qu'il se peut que du jour au lendemain on n'arrive pas rigoureusement au chiffre de 20 millions. Il y aura une période de transition dans laquelle il y aura peut-être un peu plus de 20 millions, parce qu'on ne peut pas faire rentrer les billets comme on le voudrait. Si l'honorable membre se rendait à la Société Générale, il pourrait se convaincre qu'elle ne retire pas ses billets comme elle l'entend.

Du reste, je vais complètement rassurer l'honorable membre.

La circulation est déjà très réduite par la Société Générale en vue de l'exécution de la convention. Aujourd'hui la circulation pour la Société Générale ne s'élève plus qu'à 1.500,000 francs au-dessus du chiffre de 20 millions. Ainsi il ne reste que 4,500,000 francs à amortir avant l'installation de la banque nouvelle.

On avait craint que, par suite de l'état de choses nouveau qui était imposé à la Société Générale, quelque atteinte ne fût portée à son crédit, qu'il ne lui eût été difficile d'amortir, dans le terme déterminé, la somme de billets excédant 20 millions. Aujourd'hui, les faits prouvent que la Société Générale, à moins d'événements tout à fait, extraordinaires, sera parfaitement en mesure, au moment de l'installation de la banque nouvelle, d'amortir entièrement sa circulation. conformément aux conventions.

L'honorable membre s'est demandé ensuite quel devrait être l'encaisse métallique. Il nous a dit que c'était toujours d'après l'encaisse métallique que se réglait la circulation à la Banque de Londres comme à la Banque de France.

Ce n'est pas tout à fait exact; mais enfin pour la banque nouvelle, quel sera cet encaisse?

Messieurs, la loi l'a dit, cela sera réglé par les statuts. Nous avons admis, conformément à la théorie qui est universellement reçue, que cet encaisse métallique devait être du tiers de la circulation. De quelle circulation? De la circulation totale; c'est ce qui résulte de tout ce qui a été expliqué; la circulation totale, y compris celle au profit de la Société Générale. L'encaisse sera donc de 15 millions pour répondre à 45 millions.

L'honorable membre dit : Je ne comprends pas comment les choses pourront se passer ainsi. Vous avez 20 millions au profit de la Société Générale. Il vous restera 25 millions que vous emploierez. Vous les aurez employés et il vous reste 15 millions. Comment pouvez-vous payer les 25 millions avec ces 15 millions?

C'est là la question. La réponse est bien simple, La banque payera avec son portefeuille. Elle ne doit point payer avec le capital qu'elle aura réalisé. Elle ne fait pas le commerce de donner ses billets gratis ; ce commerce lui serait extrêmement peu avantageux. Quand elle donnera un billet signé par elle, payable à vue, ce sera contre un autre billet de commerce garanti payable à 90 jours au plus; de telle sorte qu'à l'aide de l'encaissement de ces effets, elle fera face complètement à toute sa circulation.

Je pense que l'honorable membre n'a pas fait d'autre question relativement aux conventions et qu'ainsi ces réponses lui paraîtront entièrement satisfaisantes.

M. de Man d'Attenrode. - Messieurs, pour combattre ma proposition, M. le ministre des finances a allégué en premier lieu qu'elle est contraire à la justice; et puis qu'elle porte atteinte aux conventions conclues avec les banques. Pour établir qu’elle n'est pas équitable, il a fait valoir que la Banque Nationale sera obligée à conserver un encaisse métallique suffisant pour faire face à la totalité de la circulation. Cette objection n’est d'aucune valeur pour écarter ma proposition. En effet, je suis d'accord avec M. le ministre des finances que, aussi longtemps que la banque aura un encaisse suffisant pour faire face à la conversion des billets en numéraire, il est très juste que l'intérêt payé par la Société Générale soit versé à son profit ; rien n'est plus équitable.

Mais lorsque l'encaisse fera défaut pour satisfaire à ses obligations, lorsque la Banque Nationale sera sur le point de suspendre ses payements; et que, par suite, elle invoquera le garantie de l'Etat, pour échapper aux demandes de remboursement, je vous le demande, messieurs, n'est-il pas de toute équité que l'intérêt profite à l'Etat, qui, en donnant une valeur légale à ce papier, par sa garantie, le maintient dans la circulation? Cette courte réponse est suffisante pour écarter l'objection de M. le ministre, qui n'a rien de sérieux.

La seconde objection de l'honorable M. Frère, c'est que ma proposition est contraire aux conventions passées avec les établissements. Je le comprends, voilà la cause réelle de l'opposition du gouvernement. Il a passé des conventions; ces conventions doivent être respectées. Tout doit fléchir devant des conventions, qui offrent le résumé des privilèges et des avantages, qui ont été assurés à quelques actionnaires.

Le gouvernement procède aujourd'hui, comme lorsqu'il s'agit d'un traité contracté avec une puissance étrangère. La loi, qui les concerne, ne se discute pas, elle se vote, on ne peut y changer un iota, c'est à prendre ou à laisser. S'il faut procéder de la sorte quand il s'agit d'un traité international, je trouve qu'il est contraire à notre dignité d'en agir de même, quand il s'agit de traiter avec les puissances de la finance. Nos décisions doivent prévaloir sur des arrangements qui ont été pris au département des finances, quand il paraît évident que les intérêts du pays n'ont pas été suffisamment ménagés.

Passons à un autre ordre d'idées.

Au début de cette discussion, j'ai prononcé le mot de privilège. M. le ministre des finances s'est cru aussitôt obligé de me défier de lui citer un privilège parmi les avantages concédés à la Banque Nationale. Je suis à la recherche d'un privilège, a-t-il dit, et je n'en trouve pas.

Il ne me sera pas difficile de répondre au défi que m'a porté le gouvernement.

La Banque Nationale, d'après la loi, sera le seul établissement qui, en qualité de société anonyme, pourra émettre du papier payable au porteur et à vue. C'est là un vrai privilège. Qui pourrait le contester? M. le ministre des finances prétend que ce n'est pas un privilège, et pourquoi? (page 862) Parce que la loi n'enchaîne pas la libre action des législations futures, qui pourront décréter par des lois le même avantage pour d'autres établissements. Ceci n'est pas sérieux, il faut en convenir.

Je n'ai, moi, à apprécier que le régime de la loi que vous allez faire, et le régime décrète un privilège, c'est incontestable. Cette loi proclame le principe de l'unité de l’émission. Une autre loi pourra renverser ce principe. C'est vrai, mais le principe que vous êtes appelés à sanctionner est un régime privilégié, tant qu'il subsistera.

Le deuxième privilège qui est assuré à la Banque Nationale, c'est que cet établissement aura l'avantage de faire le service de caissier de l'Etat, et ce privilège n'est pas une bagatelle.

M. de Brouckere. - C'est une charge.

M. de Man d'Attenrode. - C'est une charge que recherchent avec avidité tous les établissements de cette nature, et voici pourquoi : c'est que la banque qui fait le caissier de l'Etat a à sa disposition la balance des valeurs du trésor public, et qu'il a la certitude que ses billets au porteur seront toujours admis dans ses caisses; cet avantage est immense.

Et savez-vous, messieurs, quelle est la conséquence de ces avantages? C'est un autre privilège encore plus considérable, dont on ne se rend peut-être pas assez compte, c'est qu'il s'établit entre les intérêts du trésor et ceux de la banque caissière une liaison telle, que l'établissement qui fait ce service n'a plus à redouter les effets d'aucune crise pour ses intérêts.

Je suppose, en effet, que la confiance fasse défaut, qu'un événement porte atteinte au crédit, que la banque soit menacée d'une suspension de payement, eh bien, messieurs, je dis, qu'immédiatement le gouvernement écartera le danger en déclarant la circulation obligatoire, en donnant au papier le caractère de monnaie légale; ceci est inévitable.

N'avez-vous pas entendu, il y a quelques jours à peine, M. le ministre des finances, pour motiver les mesures prises en 1848 en faveur de la Société Générale, nous dire : «Cet établissement n'était-il pas chargé du service de caissier de l'Etat? » Nécessairement un établissement qui s'associe à la destinée du gouvernement d'une manière aussi intime sera toujours soutenu à tout prix par le gouvernement, et il n'en peut être autrement.

Les agents qui seront chargés des recettes de l'Etat seront les agents de la banque; ils admettront nécessairement le papier de l'établissement auquel ils appartiennent. On m'a fait une objection, dans la section centrale, à laquelle je tiens à répondre ici. On m'a dit : Le gouvernement peut disposer de ses percepteurs, et il pourra leur interdire de prendre le papier de la banque.

Mais, messieurs, peut-on sérieusement invoquer un pareil argument ? Si le gouvernement faisait cela, il porterait un coup terrible à son enfant gâté, a un établissement qu'il cherche à entourer de toute espèce d'avantages. C'est ainsi qu'à un jour donné, et ce sera le jour de la crise, vous aurez un encaisse bourré de billets de banque, et si les créanciers de l'Etat refusent de prendre ce papier, qu'en ferez-vous? Vous serez bien forcés de lui donner cours légal. Or, c'est là un privilège exorbitant, parce qu'il tend à faire du cours forcé du papier, l'état normal en temps de crise. Parlerai-je des autres avantages? Ainsi 200,000 francs pour faire le service de caissier de l'Etat, c'est une belle somme. L'honorable M. de Brouckere a déjà fait remarquer qu'elle était trop considérable. Ils sont destinés, dit-on, à payer les agents répandus dans le pays, pour centraliser les recettes publiques ; mais ces agents ne feront-ils pas en même temps le service de la banque ?

Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai dit du grand avantage d'avoir à sa disposition le fonds roulant des caisses publiques, qui s'élève à plusieurs millions. Cet avantage considérable devrait tenir lieu de toute indemnité. Au reste, je ne connais pas une seule banque, si ce n'est la Banque d'Angleterre, à laquelle des privilèges semblables soient accordés, et encore la Banque d'Angleterre ne fait pas le service d'une manière aussi générale, elle ne le fait que pour quelques impôts.

J'ai parcouru dernièrement le rapport d'une commission qui a émis devant le parlement anglais l'opinion que l'Etat ne devait rien payer du chef de ce service à la Banque d'Angleterre, attendu que les avantages qui en résultaient constituaient une large compensation pour les sacrifices qu'il lui impose.

Il est inutile d'insister sur les avantages concédés par le gouvernement aux actionnaires des deux banques, et qui consistent à leur assurer les intérêts d'un prêt en papier de 20 millions garanti à la Société Générale, même quand ce papier n'aura de valeur que par la garantie du gouvernement. Je n'insisterai pas non plus sur cet arrangement bizarre, d'où il résulte que les intérêts des actionnaires sont calculés non d'après leur mise, mais d'après un versement à faire. Passons aussi sur cet article des conventions, qui assure aux actionnaires des deux sociétés toutes les actions de banque la nouvelle, avec une prime de quelques millions.

Tout cela ce sont des bagatelles, qui ont déterminé les actionnaires des deux banques à laisser mutiler leurs établissements pour en fonder un nouveau.

Puisque j'ai la parole, j'ajouterai que j'avais l'intention de proposer un autre amendement. Mais ma santé ne m'a pas permis de siéger hier, et cela ne me semble plus opportun aujourd'hui. J'aurais voulu vous proposer de décider que les statuts de la banque nouvelle seraient soumis à la sanction de la législature. Cette proposition est entièrement contraire à mes opinions, car mes opinions sont favorables à la liberté du commerce de l'argent, à la liberté des banques; mais je la croyais indispensable à cause du service de caissier de l’Etat destiné à cet établissement, service qui est, je le déclare, incompatible avec la liberté des banques. Une fois qu’une banque accepte ce privilège, elle doit en subir les conséquences, elle doit accepter le collier de l'Etat.

Remarquez, messieurs, que les dispositions les plus importantes sont renvoyées aux statuts. Que fera-t-on du capital social? Il y a des membres qui trouvent tout simple qu'on l'immobilise en achat de rentes sur l'Etat. Ce n'est pas là mon opinion, et voyez, messieurs, ce qui s'est passé sous ce rapport à la Banque de France : la Banque de France avait immobilisé la plus grande partie de son capital, et elle s'est trouvée dans le plus grand embarras ; son encaisse ne se composait plus que de dépôts en comptes courants, et elle fut sur le point de ne plus pouvoir faire face à ses engagements.

Ensuite quelle sera la proportion entre l'émission et le capital social? Renvoi aux statuts. Question de l'intérêt des comptes courants; renvoi aux statuts. Question de savoir si la banque pourra avancer sur dépôts publics; renvoi encore aux statuts.

Si j'avais quelque chance d'être appuyé, je présenterais encore un amendement qui disposerait que les statuts de cette banque recevront la sanction de la législature.

Quand nous avons discuté la loi de comptabilité, j'avais émis une opinion dans ce sens; l'honorable M. Lebeau fit un amendement, et le gouvernement s'y opposa, par le motif que cette question devait être décidée lors de la discussion du projet de loi qui nous occupe en ce moment; M. le ministre des finances lui-même déclara qu'il était favorable à la proposition de l'honorable membre, mais qu'il en demandait l'ajournement; la proposition, mise aux voix, ne fut pas adoptée, à cause de la promesse de M. le ministre des finances de cette époque.

On me dira, comme on l'a déjà dit, que les statuts de la banque sont déposés dans la loi que vous allez voter. Je viens de vous prouver le contraire. En adoptant une disposition semblable, nous ne ferions d'ailleurs que procéder comme on l'a fait en France et en Angleterre.

Messieurs, je viens de détailler, parce que M. le ministre des finances m'y a provoqué, les privilèges et avantages assurés aux actionnaires de nos deux établissements siégeant à Bruxelles.

Voyons si au moins la mesure proposée assure un avantage certain pour le pays.

Le motif le plus sérieux de la proposition du gouvernement est le rétablissement de la convertibilité des billets. Nous subissons le cours forcé, a dit quelque part l'honorable M. Frère. C'est un mal pour le pays dont il faut le débarrasser.

La loi proposée rétablit, j'en conviens, la convertibilité des billets; mais le principe du cours forcé reste subsister; il est écrit en toutes lettres dans la loi.

La convertibilité subsistera tant que la confiance existera, mais le cours forcé reviendra immanquablement avec la crise. Or, je dis qu'il n'est pas difficile de proclamer la convertibilité, quand personne ne demande l'échange du papier contre du numéraire; mais la difficulté qui reste à résoudre, et le gouvernement ne l’a pas résolue, c'est d'éviter le cours forcé en cas de crise.

Je disais que le cours forcé est écrit dans la loi ; je dis plus, je dis que le cours forcé éventuel pour 20 millions tend à provoquer le retour de ce qui existe.

Je dis que c'est là une mesure très dangereuse; c'est une espèce de pierre d'attente pour que le cours forcé se rétablisse en Belgique; c'est un excitant destiné à pousser le public à demander l'échange du papier contre du numéraire; si la crise recommence, ce sera une véritable steeple-chase à qui courra le plus vite pour avoir du numéraire.

Une dernière observation, je vous prie, messieurs, pour établir l'inopportunité de la mesure proposée.

Il m'a toujours semble que notre Belgique avait une communauté d'intérêts avec un grand pays voisin; que nous étions en quelque sorte obligés de suivre plus ou moins ses destinées, quant aux mesures qui concernent le numéraire, les moyens d'échange.

Ma conviction est donc qu'il y a un certain danger à rétablir la convertibilité à Bruxelles, quand on ne la rétablit pas à Paris.

Nous allons faire cesser le cours forcé dans notre pays. Cette mesure ne sera pas imitée en France. Qu'un événement surgisse, et tous les jours l'on se demande avec anxiété. Quelle nouvelle? Que cette crise qui paraît inévitable se réalise, que verrons-nous? La confiance disparaîtra, la foule profitera de la convertibilité pour demander du numéraire. Et que deviendra ce numéraire? Il s'écoulera à Paris, parce que le change indiquera aux spéculateurs, qu'il y a avantage à l'envoyer à Paris pour profiter d'un agio, et nous nous trouverons ici dépourvus et de numéraire et de billets. Je dis que c'est là une chance désastreuse que courra le gouvernement et qui pourrait compromettre gravement sa responsabilité et les intérêts du pays. Je n'ai qu'à faire des vœux pour qu'elle ne se réalise pas.

Me voilà bien loin de mon amendement; je finis en le recommandant, messieurs, à votre bienveillant accueil.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, l'honorable préopinant vient de parler de beaucoup de choses, excepté de l'amendement qu'il a déposé.

M. de Man d'Attenrode. - J'ai commencé par là.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas entendu un seul mot relativement à l'amendement; j'ai entendu présenter beaucoup de considérations sur les privilèges concédés à la banque, dont l'honorable (page 863) préopinant avait d'abord parlé et qui sont très considérables, à ce qu'il paraît,

J'avais fait la concession que c'était un privilège d'émettre des billets, privilège dont, au reste, je faisais assez bon marché, en faisant remarquer que, dans l'opinion d'un grand nombre de membres de cette chambre, ce privilège appartient à tout le monde; mais enfin, dans mon opinion, c'est un privilège d'émettre du papier; or, il n'y en a pas d'autres ; l'honorable préopinant a été impuissant à en indiquer d'autres qui seraient caractérisés par la loi.

Les billets de la banque nouvelle pourront être reçus en payement dans les caisses publiques.

Mais, messieurs, les billets de la Société Générale et ceux de la Banque le Belgique ont été reçus jusqu'à présent dans les caisses publiques.

Si l'Etat institue une banque, c'est qu'il reconnaît que le pays doit en retirer des avantages ; dès lors il doit naturellement favoriser la circulation des billets de cette banque, il doit les admettre dans ses caisses.

L'honorable préopinant a soutenu que de là devait résulter que l'encaisse de l'Etat pouvait être composé de billets. L'honorable membre doit biffer ce privilège de son énumération, car il n'existe pas.

M. de Man d'Attenrode. - J'en prends acte.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le caissier de l'Etat doit avoir un encaisse métallique; puisqu'il a reçu des écus pour moi, il ne peut pas faire ma caisse avec ses billets. Il n'aurait qu'à me présenter son billet pour être quitte envers moi.

Il est un dernier privilège, selon l'honorable membre, celui de faire le service de caissier de l'Etat, moyennant 200,000 fr.

Il y a certes un avantage à faire à la fois le service de l'Etat et celui de la banque : on diminue ainsi les frais; on a un avantage par la disposition des deniers.

Mais c'est aussi dans l'intérêt public que nous faisons cela, ce n'est pas pour enrichir la banque que nous la chargerons de faire le service de caissier de l'Etat, c'est parce que nous reconnaissons qu'il est beaucoup plus avantageux pour le pays de permettre la disposition de cet encaisse, de continuer à faire circuler ce numéraire, que de le maintenir stérile et improductif dans les caisses d'agents directs de l'Etat.

Nous donnons 200,000 fr. de ce chef, il est vrai; mais l'honorable préopinant se trompe en supposant que pour la banque il résulte un bénéfice de cette allocation de 200,000 fr. Le service de caissier de l'Etat, s'il n'était pas combiné avec le propre service de la banque, lui serait onéreux. Il est impossible de faire le service du caissier de l'Etat pour 200,000 francs. Je me suis fait délivrer par la Société Générale le compte de ses dépenses du chef du service du caissier de l'Etat : pour, l'année 1849, il s'élève à 265,890 fr. Ainsi, il y aura perte pour la banque, en faisant le service du caissier de l'Etat moyennant 200,000fr. ; mais elle est compensée par certains autres avantages.

L'honorable membre a dit qu'il désirerait voir les statuts de la banque soumis à la chambre, discutés et votés par les chambres.

Messieurs, je ne sais pas si l'honorable préopinant réalisera l'intention qu'il a manifestée de déposer un amendement sur ce point.

Tout ce qui est fondamental, essentiel, est dans la loi votée ; la charte de la banque comprend tous les points importants qui doivent servir à la diriger ; les statuts sont le développement des dispositions qui sont dans la loi et des prescriptions réglementaires; il serait inutile, contraire à toutes les règles que la chambre fût saisie d'un projet de statuts ; tout ce qui est essentiel, je le répète, se trouve dans la loi. C'est déjà une dérogation aux précédents que de vous avoir présenté un projet de loi sur cette matière; la constitution d'une banque sous forme de société anonyme aurait pu, comme précédemment, être faite par le pouvoir exécutif.

M. Jacques. - Je reconnais que l'institution proposée présente assez d'avantages pour le pays pour que je retire mon amendement s'il m'est démontré qu'il est contraire aux conventions passées avec les deux banques, mais avant de le déposer j'ai relu d'un bout à l'autre les deux conventions et je n'y ai rien trouvé dont on puisse conclure que dans le cas de cours forcé l'intérêt de 3 p. c. ne puisse pas être réservé au trésor.

Dans la convention avec la Société Générale telle qu'elle est annexée au rapport de la section centrale, je lis au n°7 du préambule :

« L'établissement aura le privilège d'émettre des billets au porteur dits : billets de banque. Ces billets sont payables à présentation au siège de l'établissement à Bruxelles. »

Dans les articles de la convention je ne trouve rien non plus qui dise qu'on pourra maintenir en circulation 20 millions de billets ayant cours forcé.

D'après l'article 9, la banque nouvelle doit retirer tous les billets ayant cours forcé qui se trouveront en circulation au moment de son installation.

On ajoute : Le comptoir d'escompte, institué par la loi du 20 mars 1848, sera dissous lors de l'installation de la banque.

A la même époque la Banque de Belgique remboursera ses billets, et les billets émis pour faciliter le service du trésor seront remboursés par le gouvernement.

L'article 10 porte ce qui suit :

« Art. 10. Un compte spécial portant intérêt à trois pour cent sera ouvert à la Société Générale du chef de ses billets qui auront été retirés de la circulation par la Banque Nationale et dont le montant ne serait pas remboursé, à la banque au fur et à mesure de leur retrait.

« Ce compte ne pourra s'élever au-delà de vingt millions En conséquence, la Société Générale remboursera ou retirera de la circulation, lors de l'installation de la banque nouvelle, les billets qui excéderaient cette somme de vingt millions de francs.

« Les garanties, privilèges et hypothèques, résultant des lois du 20 mars et du 22 mai 1848, continueront à subsister jusqu'à l'entier apurement de ce compte.

« Il sera réduit successivement à mesure que les circonstances le permettront.

« Le gage sera toujours composé de telle sorte qu'il offre une garantie complète quant au capital, et qu'il produise, indépendamment des valeurs industrielles, l'intérêt à 3 p. c. de la somme due à la banque nouvelle. »

Vous voyez donc que par ces conventions la banque nouvelle n'est obligée à retirer que les 20 millions que la Société Générale peut ne pas rembourser, car les billets de la Banque de Belgique doivent être remboursés par elle-même, et les 12 millions de billets émis pour le service du trésor doivent être remboursés par le gouvernement.

Si la Banque Nationale, avec ses propres ressources, parvient à payer ces 20 millions, elle doit jouir des 3 p. c. d'intérêt qui seront payés par la Société Générale ; mais si les ressources de la Banque Nationale ne lui permettent pas de se passer d'une circulation à cours forcé de 20 millions ou d'une somme moindre, l'Etat, qui lui fournit ces moyens de payement, doit récupérer les 3 p. c. perçus.

Si M. le ministre trouve que les conventions font obstacle à ce qu'il en soit ainsi, je répète ce que j'ai dit en commençant, j'attache assez d'importance à l'exécution de ces conventions pour retirer mon amendement s'il leur est contraire, mais je n'y vois rien qui s'oppose à ce que l'intérêt de 3 p. c. soit bonifié au trésor pour la circulation des billets à cours forcé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable membre est dans l'erreur ; l'ensemble des stipulations a pour effet d'obliger la Banque Nationale à affecter une partie de la circulation possible à couvrir la circulation ancienne à concurrence de 20 millions. L'encaisse métallique sera réglé sur l'émission totale. Si la banque n'avait pas affecté au profit de la Société Générale une partie de sa circulation, elle l'emploierait de telle sorte qu'avec cet encaisse métallique et ses propres ressources elle pourrait opérer le payement intégral de tous ses billets.

Si la circulation tombe au-dessous de 20 millions, elle est exposée à ne pas pouvoir acquitter la différence; c'est par compensation notamment qu'elle va percevoir un intérêt sur ces 20 millions.

Stipulez qu'elle ne sera tenue d'avoir un encaisse métallique que pour sa circulation, déduction faite des 20 millions et alors on vous comprendra. Il s'agit de ce qui se passera pendant tout le temps de la convertibilité; alors elle doit avoir un encaisse métallique qui corresponde à une circulation de 45 millions. La banque accepte la charge onéreuse de répondre du payement des 45 millions, elle doit avoir une compensation ; c'est l'éventualité prévue par l'article 26 ; c'est dans cette hypothèse qu'il deviendrait nécessaire de donner cours forcé aux billets. C'est le cas défavorable; elle continuera à percevoir les intérêts sur la somme qui fait partie de sa circulation légitime.

M. De Pouhon. - Je signalerai à l'honorable M. Jacques la conséquence immédiate qui résulterait de l'application de son amendement.

La Banque Nationale ne sera réduite à l'impuissance de continuer l'échange de ses billets que dans une crise probablement politique. Alors les billets du trésor, véritables assignats, iraient de suite à la Banque Nationale pour tout versement que l'on aurait à lui faire, et on éviterait de lui remettre du papier à l'escompte, dans la crainte de recevoir de ces billets du trésor en payement.

Le remède serait donc pire que le mal.

Je reviens à l'amendement que j'ai proposé à l'article 26.

Je ne suis point étonné, messieurs, que vous ne compreniez pas autant que moi l'importance du paragraphe que nous discutons. Ce n'est que par le frottement, par un contact continuel avec le rentier et le capitaliste que l'on peut se pénétrer de la force des idées reçues parmi eux, de la puissance des préjugés et de l'action que peut y exercer une disposition qui les intéresse. Pour beaucoup d'entre eux une éventualité posée, c'est une probabilité, quand ce n'est pas une réalité future et certaine. J'en appelle au témoignage de l'honorable baron Osy, dont l'autorité est imposante en matière de crédit. Mieux que tout autre, il s'est trouvé, dans sa longue carrière, en position d'observer et de connaître les influences qui agissent sur l'opinion des capitalistes. Le crédit, messieurs, c'est la jeune vierge que le soupçon seul flétrit.

Chaque jour fournit à ceux qui sont dans les affaires des témoignages de ce que j'avance. Je vais vous en citer un très récent et très saillant. J'avais une somme à payer à un habitant d'une ville de l'intérieur ; je la lui compte en billets de la Banque de Belgique. A l'instant il m'offre un agio pour que je lui donne des billets de la Société Générale.

Vous savez cependant, messieurs, qu'il n'y a pas de raison pour préférer les uns aux autres, ils ne sont pas plus échangeables. Ce client le savait bien aussi, car c'est un ancien membre du congrès national, mais il avait besoin d'une monnaie courante, et il ne pouvait faire usage dans sa localité des billets que je lui présentais.

Je ne citerais pas ce fait si les billets de la Banque de Belgique n'étaient destinés à sortir bientôt de la circulation.

Je suppose, messieurs, que quelques-uns d'entre vous s'associent pour former une maison de commerce ; vous apporterez dans l'association des moyens largement proportionnés aux besoins de vos affaires. (page 864) Préverrez-vous dans votre acte de société, dont l'extrait devrait être affiché au tribunal de commerce, le cas où vous suspendriez vos payements ?

Dans la question qui nous occupe, nous sommes obligés d'admettre l'éventualité d'une insuffisance de moyens pour une circonstance donnée à cause de l'immobilisation de 20 millions; mais efforcez-vous au moins à concentrer la défaveur de la mesure sur l'ancien établissement; attachez-vous à séparer les deux intérêts dans l'esprit du public. C'est le contraire que nous allons probablement faire; mais en votant la disposition du projet de loi, vous céderez à la magie de la parole de l'honorable ministre des finances plutôt qu'à la valeur de ses arguments.

La principale raison qui ait été donnée pour consacrer en principe le cours forcé de 20 millions de billets de la Banque Nationale, c'est qu'il pourrait arriver telles circonstances qui ne permettraient pas de remettre les anciens billets en circulation.

Je n'admets pas l'éventualité, la possibilité même de la situation dont l'honorable rapporteur parla hier et je vous en ai dit le motif. Je ne reviendrai pas là-dessus. Il ne convient pas de s'arrêter trop longtemps sur de pareilles hypothèses. Il n'y a pas de situation possible qui put rendre inconvenante la réémission des anciens billets avec cours forcé. Après les lois de mars et de mai 1848, était-ce principalement la confiance que l'on avait dans l'établissement d'émission qui maintenait la valeur des billets? Non, c'était le gage spécial affecté à leur garantie, c'était la caution de l'Etat.

Les choses reviendraient au même point si les progrès favorables de la situation de l'établissement étaient de nouveau arrêtés.

L'unité dans la circulation serait rompue, dit M. le ministre des finances. Mais ne le serait-elle pas de même s'il fallait frapper d'une marque distinctive, et malheureusement indélébile, les 20 millions de billets à cours forcé de la Banque Nationale? A cela on objecte que le cours forcé serait appliqué seulement à certaines coupures de billets. S'il en devait être ainsi, je conseillerais de ne pas émettre plus de vingt millions de cette catégorie pour que le public ne put soupçonner que le manteau des 20 millions couvrirait 25 ou 30 millions.

Cherchons à pénétrer dans la pratique du cours forcé que l'on prévoit. Voici comment je l'entends.

La Banque Nationale ne recourra naturellement au cours forcé que lorsqu'elle désespérera de satisfaire à toutes les demandes d'échange. Quand la nécessité lui apparaîtra, elle opérera ses payements, soit pour l'escompte, soit pour le caissier de l'Etat, en billets de la Société Générale, afin de prévenir la constatation du refus de l'échangé de ses propres billets. Elle pourra arriver ainsi à éviter toute souillure à ses propres billets. Elle continuera à les échanger, tandis qu'elle fera ses payements en billets d'une autre origine que la sienne.

On est autorisé à croire que l'embarras de la Banque Nationale ne serait que momentané. Sous l'impression d'une grande calamité, tout le monde accourt au bureau d'échange des billets. Mais que le public ait un jour ou deux de réflexion, que dans ce temps la publication mensuelle ou une publication anticipée vienne le rassurer sur la situation de l'établissement; alors il sera aussi empressé de reporter son argent à la banque qu'il l'a été à le retirer.

A Bruxelles, l'usage des billets de banque est entré trop avant dans les habitudes pour qu'on y renonce sans motifs graves. Eh bien, messieurs, la circulation de billets ne peut prévaloir dans Bruxelles seulement sans relever la Banque Nationale de la nécessité de recourir à des mesures exceptionnelles, car cette circulation comporte 15 à 20 millions, et il est presque impossible qu'avec cette circulation la banque ait besoin du cours forcé.

J'admets cependant qu'il put être reconnu utile aux intérêts généraux du pays de maintenir le cours forcé de 20 millions; on le pourrait, sans trop grand dommage, après la remise en circulation des anciens billets; on ne le pourrait sans stériliser la Banque Nationale en déclarant la non-convertibilité d'une partie de ses billets.

J'ai dit que très probablement l'embarras de la banque ne serait que momentané. En effet, messieurs, lorsque la gêne se déclarera, l'établissement aura sous la main, pour en sortir, autre chose que des actions industrielles; il aura un portefeuille qui lui fournira des rentrées quotidiennes par l'encaissement des effets à échéance et qui le mettra à même de parer à ses besoins importants par le réescompte soit dans le pays, soit à l'étranger.

M. Osy. - J'ai eu l'honneur de vous dire, au début de cette discussion, que le mauvais côté de la convention c'était l'avance de 20 millions. Mais c'est la force des choses qui a engagé M. le ministre des finances à passer par cette loi. Il était impossible de l'éviter. Il faut que la banque nouvelle soit dans une position telle que, les événements devenant graves, elle puisse rembourser les billets de banque avec ceux de la Société Générale qu'elle aura en caisse, sans que le gouvernement doive donner cours forcé à ses propres billets.

Je partage l'opinion de l'honorable M. De Pouhon, qu'il serait à désirer que cette disposition ne fût pas dans la loi, que l’établissement fut tellement bien géré que jamais on n'eût besoin de recourir à des moyens pareils. Mais nous vivons dans un temps très incertain. Sous ce rapport, je prends acte de ce qu'a dit M. le ministre des finances qu'en temps ordinaire la banque fera usage, avant tout, des billets delà Société Générale pour les mettre en circulation, si cela est nécessaire.

Mais il peut survenir des événements tellement extraordinaires qu'il ne serait pas convenable de mettre les aucuns billets en circulation. Alors si la stipulation ne s'y trouvait pas, le gouvernement serait obligé de demander aux chambres l'autorisation de mettre en circulation ces billets à cours forcé.

Sous ce rapport, je ne suis pas d'accord avec l'honorable M. De Pouhon; je crois qu'il est très sage d'adopter la proposition du gouvernement! Mais je prends acte de la déclaration de M. le ministre dos finances, que, sauf les circonstances extraordinaires, ce ne seront que les billets de la Société Générale dont on fera usage.

A cet égard je suis d'accord avec l'honorable ministre des finances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Parfaitement!

Je répète que, dans ma pensée (et c'est ce que fera nécessairement tout ministre des finances), c'est ainsi que sera appliquée la disposition de l'article 26. On fera usage des anciens billets à cours forcé, avant de faire usage des billets de la banque nouvelle.

Mais l'insertion même de l'article 26 est une cause de sécurité pour la banque et un moyen d'empêcher qu'on ne se précipite vers sa caisse pour obtenir la conversion des billets.

Quelle est en effet la position faite ainsi aux porteurs de billets? De deux choses l'une: ou les billets seront payés, ou ils ne le seront pas. S'ils sont payés, le porteur est satisfait. S'ils ne sont pas payés, ils auront cours forcé et le porteur pourra les employer à acquitter ses obligations. La sécurité est donc parfaite pour le porteur : il a l'assurance de la convertibilité ou du cours forcé, si, par un événement quelconque, la banque était dans l'impossibilité de remplir ses engagements. Mais c'est un événement improbable, vraisemblable, qui ne se présentera pas.

C'est par un excès de précaution que l'article est proposé. L'honorable M. De Pouhon vient de le dire, les besoins de la circulation exigent une somme supérieure à 20 millions. Il est probable que la circulation ne descendra pas au-dessous de ce chiffre, et qu'on ne fera pas usage de la disposition. Mais si l'on en fail usage, il faut qu'elle soit efficace; il faut dès lors que le gouvernement puisse autoriser la banque, soit à faire usage des billets de la Société Générale, soit à les remplacer par ses propres billets, avec le caractère de monnaie légale.

- La discussion est close.

Les amendements proposés par MM. Jacques, De Pouhon et de Man d'Attenrode sont mis aux voix ; ils ne sont pas adoptés.

L'article 26 est adopté.

Article 27

« Art. 27. L'article 9 de cette loi est rapporté.

« Le comptoir d'escompte sera dissous lors de l'installation de la Banque Nationale.

« Le gouvernement est autorisé à rembourser, à la même époque, les billets émis pour faciliter les services du trésor en vertu de l'article 7 de la loi du 22 mai 1848.»

M. Jacques. - D'après l'article 16 de la convention avec la Société Générale, « le projet de loi doit contenir l'abrogation des articles 5, 6 et 7 de la loi du 22 mars 1848. » Je vois que l'article en discussion satisfait à cette clause, en ce qui concerne ce dernier article, mais qu'il n'est fait aucune mention des articles 5, 6 et 7 de la loi du 20 mars. Je voudrais que M. le ministre des finances fît connaître le motif de cette lacune.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'article 27 est complet; il mentionne l'article 9 de la loi du 22 mai ; la suppression du comptoir d'escompte. Il autorise le gouvernement à rembourser les billets émis pour faciliter les services du trésor. Cette émission a eu lieu en vertu de l'article 7, qui est mentionné dans cet article.

- L'article 27 est adopté.

Article 28

« Art. 28. L'installation de la Banque Nationale aura lieu dans les six mois de la publication de la présente loi.»

- Adopté.

Le vote définitif du projet est fixé à jeudi.

La séance est levée.