Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Livres numérisés Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 23 avril 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1244) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à une heure un quart.

La séance est ouverte.

M. de Luesemans donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Plusieurs habitants de Jumet, Gilly, Lodelinsart, Charleroy, Monceau-sur-Sambre, Roux, Montigny-sur-Sambre, se prononçant contre le projet de loi sur l'enseignement moyen, prient la chambre d'apporter dans l'examen de ce projet de loi un esprit de conciliation. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Plusieurs habitants de Chimay se prononcent en faveur du projet de loi sur l'enseignement moyen. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Dhuy prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen ou de le modifier profondément. »

« Même demande de plusieurs habitants de Hasselt et de Grand-Leez. »

- Même décision.


« Plusieurs habitants de Saint-Remy prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen.

« Même demande de plusieurs habitants de Maçon, Vilvorde, Virelles, Steene, Bruges, Dranoutre, Montbliart, Gand, Battice, Herve, Chaineux, Thimister. »

-Même décision.


« Le sieur Dabrosky, lieutenant d'infanterie, demande que les années passées dans la position de réserve ou de non-activité par suite de suppression d'emploi ou pour motifs de santé, soient comptées dans la liquidation de la pension des officiers. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Hanquet prie la chambre de statuer sur sa demande tendante à ce qu'il soit facultatif aux brasseurs de faire plusieurs jours à l'avance la déclaration prescrite par l'article 13 de la loi du 2 août 1822, concernant l'accise sur les bières »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Fontaine-l'Evêque prient la chambre d'annuler le règlement de police adopte par le conseil communal le 26 décembre 1849, concernant les marchands ambulants. »

- Même renvoi.


M. le ministre de la guerre adresse à la chambre deux exemplaires de l'Annuaire militaire officiel pour 1850.

- Dépôt à la bibliothèque.


M. Peers demande un congé.

- Accordé.

Rapports sur des demandes en naturalisation

M. Ansiau dépose plusieurs rapports sur des demandes de naturalisations.

- Ces rapports seront imprimés et distribués.

Projet de loi sur l’enseignement moyen

Discussion générale

M. Dechamps. - Messieurs, hier j'ai examiné la loi dans ses principales dispositions. J'ai dit quel était le principe qui la dominait tout entière, quel en était le caractère, le but et les conséquences probables.

Messieurs, vous vous serez étonnés probablement de ce que, après avoir examiné l'ensemble de la loi, je n'aie rien dit encore de l'article 8, dont on a tant parlé. Ce n'est pas que je conteste l'importance de cet l'article. L'article 8 a toute l'importance d'un principe. Mais après avoir écoulé religieusement l'honorable ministre des travaux publics, j’avais cru que la distance qui pouvait nous séparer encore aurait pu être assez facilement franchie. Je ne sais, messieurs, si, après le discours prononce par l'honorable ministre des finances, cette espérance peut encore nous être permise.

Ce que je reproche à l'article 8, c'est son équivoque, c’est d’être une énigme, c'est d'avoir une rédaction qui permet à tous les principes les (page 1245) plus opposés, aux systèmes les plus contradictoires, de venir s'y abriter. Ce que je combats, ce sont aussi les commentaires dont on a accompagné l'article 8.

Messieurs, l'article 8 soulève deux questions : la première est de savoir si l'enseignement religieux sera inscrit en tête du programme, comme matière obligatoire et essentielle d'enseignement; la deuxième question est de savoir par qui cet enseignement sera donné : par les ministres du culte, à défaut des ministres du culte, par les laïques, par la famille, ou bien à l'église?

Ces systèmes opposés ont été tour à tour défendus par ceux qui cependant sont venus donner leur appui commun à la rédaction de l'article 8.

Ainsi, que dit l'exposé des motifs? L'exposé des motifs dit qu'il convient que l'instruction religieuse soit donnée, que la nécessité d'un enseignement religieux spécial dans un collège d'externes est cependant moins absolue. L'honorable rapporteur de la section centrale a écrit d'assez longues pages pour prouver que cet enseignement devait être facultatif, non obligatoire. L'honorable M. Delfosse nous a dit qu'il désirait qu'il y eût un enseignement religieux dans les collèges, et qu'il croyait que le clergé était le plus apte à le donner.

Vous le voyez, messieurs, l'enseignement religieux n'est qu'une chose convenable, utile, désirable, et qu'il ne faut pas mettre à trop haut prix.

D'un autre côté, mon honorable ami M. Dolez a soutenu, lui, toujours en défendant l'article 8, que l'enseignement religieux était indispensable. L'honorable M. Lebeau a été plus loin : il a cru que l'article 8 allait plus loin que le projet de 1846 et celui de 1834; qu'on faisait à l'enseignement religieux l'honneur de lui consacrer une disposition spéciale.

Ainsi, l'article 8 permet toutes les interprétations : enseignement obligatoire, enseignement indispensable, enseignement facultatif et de simple convenance.

L'honorable ministre des travaux publics a reconnu loyalement qu'il existe une lacune, et qu'il fallait la combler. Voici comment il s'est exprimé :

« L'instruction religieuse sera-t-elle inscrite dans le programme ? Je le dis tout d'abord, c'est un désir que j'ai toujours eu et dont je ne puis me défaire. Entièrement d'accord avec mes collègues, sur le principe de l'autorité civile, je pense néanmoins qu'il importe de dire tout haut ce qui est dans la conscience de chacun de nous, de donner une satisfaction morale aux pères de famille, en posant en tête du programme la base de tout enseignement. Le nom de la religion sera notre égide; qu'il soit inscrit au frontispice de nos athénées et de nos collèges. Sur ce point, je pense donc qu'il ne pourra s'élever de difficulté sérieuse. »

Oui, messieurs, j'espère aussi qu'il ne pourra pas s'élever de difficulté sérieuse, si la loi dit ce que M. le ministre des travaux publics a voulu lui faire dire.

Seconde question : Par qui l'enseignement religieux sera-t-il donné?

La section centrale, dans son rapport, laisse au gouvernement toute latitude. Il peut confier cet enseignement aux ministres du culte; c'est une faculté, ou le faire donner par des laïques sous certaines précautions, ou le suspendre.

Ainsi donc, d'après le rapport de la section centrale, d'après l'exposé des motifs, d'après l'opinion émise par beaucoup d'orateurs, l'enseignement religieux doit sans doute être donné de préférence par les ministres du culte ; mais en l'absence du concours du clergé, il peut être donné, au nom de l'Etat, par des laïques, sous certaines précautions qu'on indique.

M. le ministre des finances a érigé cette idée en doctrine : l'Etat, d'après lui, s'il n'a ni religion, ni morale, ni doctrine, ce qu'il conteste, est capable de choisir des professeurs qui ont une âme, une religion, une philosophie, une morale, des principes, une science. Tout cela, le professeur le peut communiquer à ses semblables.

« La commune, a dit l'honorable M. Frère, c'est la représentation des pères de famille. L'Etat, qu'est-ce autre chose que le nom donné à l'ensemble des familles du pays? Et l'on viendrait soutenir devant vous, qui êtes l'Etat, que vous êtes incompétent pour vous occuper des matières de l'enseignement! »

La conclusion de ces paroles est parfaitement claire, c'est que l'Etat, ou le professeur qu'il désigne, et qui a une religion, une philosophie, une science, peut enseigner, non seulement cette philosophie et cette science, mais cette religion.

Eh bien, j'emploierai une expression que M. le ministre des finances affectionne beaucoup : C'est là le plus grossier des sophismes.

L'Etat, c'est la famille, la représentation de la famille. L'Etat peut donc faire ce que la famille elle-même peut faire. Messieurs, la famille, comme l'individu, jouit de la liberté de conscience, choisit son culte et le professe. L'Etat le peut-il? La famille, comme l'individu, exerce une profession agricole, industrielle, commerciale. L'Etat, la commune, le peuvent-ils?

Evidemment non ; il y a cette grande différence entre l'État et la famille, c'est que l'Etat ne peut faire que ce que la loi lui permet, c'est que la famille peut faire tout ce que la loi ne défend pas.

L'erreur dans laquelle vous êtes, c'est de croire que l'enseignement est une chose exclusivement laïque, une chose toute civile, et que quand vous appelez le clergé à donner l'enseignement religieux, vous lui faites une concession.

Du moment que vous admettez, et vous admettez tous, que l'enseignement religieux, non un enseignement général, mais l’enseignement d'une religion dogmatique conforme aux croyances des populations, doit faire partie de l'enseignement public, l'enseignement n'est plus une chose exclusivement laïque. Il tient à l'Etat par certains liens; il tient au culte par certains autres.

Voici ce que disait un homme qui ne vous sera pas suspect, M. Cousin, en défendant le projet de loi de 1833 à la chambre des pairs, et répondant précisément à la même objection à laquelle je réponds; il disait :

« L'autorité religieuse doit être représentée d'office dans l'éducation de la jeunesse, tout comme l'autorité civile. Nous ne voulons pas mêler le moins du monde la religion aux choses de la terre ; mais il est ici question de la chose religieuse elle-même. Nous sommes les premiers à vouloir que le clergé reste dans le sanctuaire ; mais l'école publique est un sanctuaire aussi, et la religion y est au même titre (titre d'autorité) que dans l'église ou dans le temple. »

Eh bien, messieurs, évidemment lorsque l'enseignement religieux fait partie de l'enseignement public et que le clergé le donne, l'Etat ne lui fait pas une concession, le clergé n'entre pas dans le domaine civil, il reste dans le sien, dans le domaine religieux.

Messieurs, quand l'enseignement religieux n'est pas donné directement par le clergé, comme dans l'enseignement primaire, il doit être donné sous sa surveillance, de concert, en communion avec lui, comme le père d'une famille croyante le donne; mais jamais il ne peut être donné malgré le clergé ou indépendamment du clergé. Voilà notre principe.

Comment le gouvernement pourrait-il constitutionnellement faire donner, au nom de l'Etat, par des fonctionnaires publics, un enseignement religieux dans quelques livres que ce soit ? N'est-il pas évident que c'est là une religion civile que vous constituez, une Eglise laïque dont les ministres seraient les pontifes et dont le corps professoral serait le clergé?

Vous violeriez la conscience, non pas des catholiques seulement, mais de toutes les familles religieuses. Par cela même, vous déchireriez la Constitution à toutes ses pages, et la séparation de l'Eglise et de l'Etat, dont vous parlez beaucoup, n'existerait plus.

Du reste, l'honorable ministre des travaux publics partage, je pense, nos doctrines.

« Je n'hésite pas à proclamer (a dit l'honorable M. Rolin) que les ministres du culte ont seuls autorité et mission pour expliquer, pour commenter aux enfants les vérités de la foi, pour communiquer l'instruction du dogme, pour donner un vrai cours de religion. Nul doute que l'explication du dogme ne peut être confiée aux laïques ; elle serait pleine de danger. »

On nous a demandé quels étaient nos principes. Mais on a déjà répondu à cette question ; et je pourrais m'en rapporter pleinement à ce que vous a dit mon honorable ami M. Dedecker. Je vais, en quelques mots, vous dire ma pensée. Nous voulons (comme l'honorable ministre des travaux publics) qu'en tête du programme des études, au frontispice de la loi, comme il l'a dit, l'enseignement religieux soit inscrit comme matière essentielle.

Nous le voulons, pour que notre loi ne soit pas une déshonorante exception parmi toutes les législations du monde. Nous le voulons pour deux autres raisons : d'abord, pour que l'enseignement religieux y soit donné; ensuite parce que ce principe, écrit au frontispice de la loi, veut dire : que rien dans l'enseignement littéraire ne sera en désaccord avec l'enseignement religieux, que jamais dans une autre chaire on n'apprendra aux élèves à douter ou à se moquer de cet enseignement religieux, que jamais le professeur ne détruira l'œuvre du prêtre.

Lorsque le gouvernement enseigne, il n'enseigne pas au nom d'un droit, il ne peut le faire qu'en se conformant au vœu des familles. Eh bien, il ne peut rien enseigner qui puisse blesser le moins du monde les croyances des familles du pays. L'Etat n'a aucun droit en dehors de ce devoir.

Je n'admets pas cet enseignement impartial, dont a parlé l'honorable M. Lebeau, cet enseignement éclectique qui tient un milieu chimérique entre le oui et le non, entre la religion, l'église et les erreurs qu'on leur oppose. Cet enseignement impartial sera ou anti-chrétien, ou niais en cachant la solution des problèmes qui agitent l'esprit humain.

Je n'admets pas cet enseignement impartial, au nom de l'Etat. La liberté peut le produire; l'Etat ne le peut pas; ce serait inconstitutionnel.

Ainsi, l’enseignement religieux, en tête du programme! Par qui sera-t-il donné? Il sera donné par les ministres des cultes. Voilà le principe.

Les ministres du culte professé par les élèves le donneront, et, comme l'a admis M. le ministre des finances, ils surveilleront les établissements sous le rapport religieux.

Mais dans le cas d'absence du concours du clergé, que fera-t-on ? Voilà la question. Mais la réponse est bien simple, elle a déjà été faite. Lorsque, par un motif quelconque, le concours du clergé ne sera pas donné, vous resterez, comme l'a dit l'honorable M. Dedecker, dans le droit commun des familles. Les élèves, comme tous les fidèles, iront puiser l'enseignement religieux à l'église, au temple de la communion professée par eux. Il n'y a pas d'autre solution.

Ce sera un grand malheur sans doute pour l'établissement public, L'enseignement y sera incomplet. Mais enfin, une fois que le clergé (page 1246) croira ne pas pouvoir accorder son concours, il n'y a plus que le droit commun, c'est-à-dire l'enseignement religieux paroissial.

La législature, le gouvernement, le clergé ont chacun des devoirs à remplir.

La législature, quel est son devoir? De proclamer les principes vrais, sans équivoque, franchement, nettement.

Les devoirs du gouvernement, les devoirs du clergé sont, dans l'exécution de la loi, des devoirs de responsabilité, de prudence et de modération.

Mais, messieurs, vous prévoyez que le gouvernement ou que le clergé manquera à ses devoirs; cela ne devrait jamais être supposé; et dans cette prévision, vous voulez manquer aux vôtres. Vous ne voulez pas écrire ce principe d'une manière franche et formelle; par défiance, vous voulez l'ambiguïté.

Messieurs, on se trompe quand on croit que nous venons ici défendre les droits du clergé, que nous venons demander pour lui une concession ou une faveur. Mgr l'évêque de Langres l'a dit à la tribune française et je le répète : C'est, à un certain point de vue, un sacrifice que vous demandez au clergé. Comment ! Vous faites une loi de concurrence avouée contre les établissements dirigés par lui, et vous lui demandez de venir mettre l'enseigne de sa confiance sur les établissements que vous érigez, pour lui faire cette concurrence; vous le lui demandez, pour que cette confiance attire celle des familles. Evidemment, à ce point de vue, c'est un sacrifice que vous lui demandez.

Le clergé n'a pas besoin de vous, a dit l'évêque de Langres ; ce sont vos établissements qui ont besoin de lui ; et lorsqu'il y entre, c'est pour y faire du bien; uniquement pour y faire du bien.

Si nous étions animés, comme a paru le croire mon honorable ami M. Dolez, de peu de sympathie pour l'enseignement public, que ferions-nous ? Non seulement nous ne toucherions pas à l'article 8, nous ne vous demanderions rien ; mais nous ferions des vœux pour sa suppression, afin que la loi apparût clairement avec tous ses caractères de sécularisation ; nous aurions mis dans votre loi le germe de la ruine de vos propres établissements. Mais l'intervention du clergé dans vos établissements, c'est vous plutôt que nous qui devriez la demander; c'est plutôt votre question que la nôtre.

Messieurs, l'Etat concurrent, l'enseignement à titre de souverain, au nom des droits du gouvernement, l'antagonisme entre l'enseignement public et l'enseignement privé ; la lutte contre le clergé et les communes complices du clergé, jusqu'à un certain point de vue, la sécularisation légale de l'enseignement publics; voilà le système de la loi.

On nous a opposé souvent la loi de 1842 sur l'enseignement primaire. Je suis bien aise d'y revenir.

La loi de 1842 est la complète antithèse de la loi que nous discutons. Une situation analogue à celle dont on se plaint à l'égard de l'enseignement secondaire existait avant 1842 pour l'enseignement primaire. Un assez grand nombre de communes s'étaient dispensées de fonder des écoles primaires communales que suppléaient des écoles privées, la plupart dirigées par le clergé. D'autres communes, les communes urbaines, avaient engagé contre le clergé une lutte de concurrence. L'antagonisme donc régnait, comme l'antagonisme règne pour l'enseignement secondaire.

Que fit le législateur de 1842? Est-il venu exciter, agrandir cet antagonisme? Est-il venu l'établir en principe, le systématiser? Non, messieurs, au contraire ; il vint faire cesser cet antagonisme. En 1842, le législateur est venu réconcilier les communes avec le clergé, sous la haute médiation de l'Etat. Il a fait cesser la lutte qui régnait.

Voici quelles furent les conditions de l'alliance de 1842 : Le clergé soumit ses écoles normales, il soumit depuis, les nombreuses écoles primaires qu'il avait fondées, à la surveillance, à l'inspection de l'Etat, au régime de la loi; le gouvernement introduisit officiellement le clergé dans les siennes : voilà le concordat, la convention de 1842.

Quel fut le résultat de cette loi? Le résultat, messieurs, le voici. Ouvrez les rapports des députations provinciales, et vous verrez que, depuis 1842, une grande transformation s'opère : les écoles privées sont successivement transformées en écoles adoptées, en écoles communales. On ne fait plus usage de la liberté d'enseignement que comme d'une arme défensive qu'on se réserve, pour certaines circonstances exceptionnelles. Et pourquoi cette transformation s'opère-t-elle? Parce que le clergé l'encourage, parce qu'il patronne les écoles publiques de sa confiance et qu'il l'inspire aux familles.

Voilà la pensée élevée qui a dicté la loi de 1842, qui restera l'honneur du ministre, de l'homme d'Etat éminent qui l'a signée, voilà pourquoi elle a réussi, pourquoi les adversaires de la loi sont forcés de constater ses heureux effets tout en méconnaissant la cause qui les a produits.

Ainsi, messieurs, la loi de 1842 est une loi de confiance et de transaction, à un double point de vue : transaction entre l'enseignement libre et l’enseignement public, transaction entre les partis, qui, en 1842, aux jours de nos luttes les plus vives, acceptaient cette loi par le vote presque unanime des deux chambres.

Votre loi, au contraire, qu'est-elle? Au lieu d'être une loi d'alliance, c'est une loi d'antagonisme sous un double rapport : antagonisme dans la sphère de l'enseignement, antagonisme dans la sphère politique. J'ai donc eu raison de dire, en commençant, que la loi de 1842 était la parfaite antithèse de la loi que nous discutons aujourd'hui.

Messieurs, il est un fait qui m'a toujours frappé et qui devrait vous frapper comme moi ; nulle part, dans le monde, excepté en France, et cette exception vient de cesser, nulle part on n'a imaginé d'établir un enseignement public, je ne dirai pas en hostilité avec le clergé, je ne dirai pas même en défiance du clergé, mais nulle part on n'a constitué un enseignement public sans avoir les cultes avec soi.

En Angleterre, en Allemagne, aujourd'hui en France, partout la législation de l'enseignement public repose sur la base religieuse, partout c'est un concordat.

On a parlé de l'Angleterre, souvent dans cette discussion, mais savez-vous, messieurs, quel est le régime anglais? En Angleterre, vous le savez, l'Etat n'a ni universités, ni collèges, ni écoles primaires; il accorde des subsides bien modérés, et comment les distribue-t-il? Le gouvernement, en Angleterre, ne peut pas accorder des subsides comme il veut, aux écoles qu'il désigne; il y a en Angleterre trois grandes sociétés d'écoles, librement constituées; l'une est créée par le culte anglican, l'autre par les cultes dissidents, l'autre par le culte catholique ; ces trois sociétés d'écoles ont le gouvernement entier de l'instruction publique en Angleterre et le gouvernement ne peut pas distribuer de subsides aux écoles, sinon par l'intermédiaire des trois grandes sociétés d'enseignement. C'est à-dire que ce sont les cultes qui ont le gouvernement de l'instruction publique et que le gouvernement en est le caissier.

Vous voyez que nos prétentions sont loin de celles de sir Robert Peel et des hommes politiques de l'Angleterre. Nous n'en sommes plus, comme je le disais hier, à puiser là nos exemples.

Eh bien, messieurs, en Belgique jusqu'en 1847, toutes les lois qui ont été présentées étaient des lois à but de transaction. Toujours on a voulu que les deux opinions pussent les accepter. La loi de 1834 fut élaborée par une commission dans laquelle les hommes les plus éminents des deux opinions étaient représentés. En 1840, je l'ai dit déjà, le ministère libéral de 1840 maintenait le système de 1834, avec cette différence qu'il promettait aux catholiques des concessions, et sous le rapport des garanties religieuses, et sous le rapport de l'action du pouvoir civil que l'on consentait à diminuer. En 1842, les chambres ont voté la loi sur l'enseignement primaire, et en 1846, l'honorable M. de Theux a présenté un projet de transaction dans lequel nous faisions de très larges concessions, qui pouvaient la faire accepter et par vous et par nous.

Messieurs, on sort de ce système, on entre dans une autre voie, et savez-vous dans quelle voie on entre? Dans la voie de l’enseignement politique, dans le système français, que la France tente de répudier, et que la Belgique recueille et adopte.

Une erreur des plus fatales, que la France expie aujourd'hui si cruellement, c'est d'avoir fait de l'éducation nationale une chose politique. En France, le gouvernement, c'est à-dire les partis au pouvoir, a voulu frapper l'enseignement public à son effigie; il a voulu jeter l'éducation dans un moule officiel.

Robespierre et la Convention ont voulu la jeter dans le moule de la république rouge; Napoléon a voulu la frapper à son effigie impériale et militaire; la restauration a voulu la façonner à sa double image, dont l'une des faces regardait le passé monarchique, l'autre l'avenir révolutionnaire; le gouvernement de juillet croyait avoir donné à sa vaste organisation universitaire le caractère doctrinaire et éclectique de sa politique, donnant un peu d'action au clergé, un peu à la liberté, un peu à l'ordre, beaucoup au gouvernement, mais sans le savoir, beaucoup à la révolution.

L'éducation du peuple, au lieu de tenir aux racines mêmes de la société, à la famille, à la commune, aux croyances et aux mœurs, n'a plus été qu'un instrument remis entre les mains des partis, qu'une question de pouvoir livrée à toutes les vicissitudes, à toutes les erreurs des majorités et des minorités.

L'Angleterre n'a pas connu ce système; n'est-ce pas une des causes qui l'ont préservée de la contagion révolutionnaire ? Les mœurs y ont encore assez de ressort, les institutions y vivent encore assez de leur propre vie, pour ne pas avoir dû s'en remettre à l'Etat du soin de tout diriger et de tout faire.

L'honorable rapporteur de la section centrale a dit, dans son rapport, que cette doctrine professée en Angleterre est contraire à ce qui se passe chez les autres nations civilisées et qu'elle aboutirait à la dissolution même de la société. L'honorable ministre des finances a dit que l'enseignement public était toujours une nécessité sociale. J'ai admis qu'il pouvait être une nécessité sociale dans certaines circonstances données; mais, messieurs, savez-vous comment un homme éminent, en Angleterre, sir Robert Peel répond et à la section centrale et à M. le ministre des finances :

« Les ministres, a dit sir Robert Peel, dans la conviction que leur maintien au pouvoir est nécessaire au bien public, peuvent employer la puissance qu'on leur laisserait sur l'instruction publique, dans le seul but d'offrir des concessions au parti qui les maintient au pouvoir. L'éducation devient dès lors une chose accessoire et subordonnée aux vues des partis et aux considérations politiques. »

« C'est une idée folle, dangereuse, impossible, disait lord Stanley dans les menus débats, de proposer que l'instruction du peuple dépende des fluctuations politiques et soit mêlée aux contentions des partis. »

Cette idée folle et dangereuse, la France l'a réalisée et elle en porte la peine.

N'avons-nous donc aucune leçon à tirer de cette grande expérience ? (page 1247) croit-on pouvoir semer en Belgique les causes de cette situation dont la France ne sait plus comment sortir ?

Messieurs, ce serait commettre la faute que le gouvernement de juillet a commise. A Dieu ne plaise que je vienne jeter la moindre critique sur ce grand gouvernement tombé. Un orateur illustre, à une autre tribune européenne, l'a appelé la monarchie de la sagesse, et ce nom lui restera.

On a accusé le gouvernement de juillet d'avoir eu à l'extérieur une politique impuissante et humiliée, et à l'intérieur une politique de résistance excessive contre les passions anarchiques. Eh bien, les événements n'ont que trop vengé le gouvernement de juillet de cette double et injuste accusation; les événements ont été pour lui une magnifique oraison funèbre.

Mais le gouvernement de juillet a commis une faute, et les ministres qui ont dirigé ce gouvernement la reconnaissent: cette faute a été d'avoir méconnu la puissance de l'élément catholique en France et les ressources infinies que cette puissance pouvait offrir au jour des dangers publics.

Le clergé français se ralliait de jour en jour au gouvernement, les catholiques séparaient chaque jour davantage leur cause de la cause légitimiste ; mais le système d'enseignement que la majorité a imposé au gouvernement, en 1844 et en 1845, gâta tout; on rejeta le clergé, je ne dirai pas dans l'opposition, mais dans l'indifférence; on fournit à la révolution des armes qu'elle ne manque jamais de tourner contre ceux qui les lui donnent, et le 24 février, le parti de l'ordre, qui devait tout sauver, se trouva faible, divisé, impuissant.

Sans doute, vous ne nous trouverez jamais ni dans l'opposition, ni même dans l'indifférence au jour des dangers publics ; personne n'oserait le dire; nous en avons donné une preuve éclatante, que l'autre jour on a calomniée. Et ici je dois une réponse à M. le ministre des finances.

M. le ministre des finances a dit :« Le 24 février, nous vous avons sauvés; si vous aviez été au pouvoir, vous auriez péri. »

Une chose m'a étonné, c'est que la majorité qui a applaudi à ces paroles n'a pas compris que c'était là une grave accusation que M. le ministre des finances faisait peser sur l'opinion libérale tout entière.

Mais avez-vous sondé votre propre pensée? Qu'avez-vous voulu dire? Vous nous auriez sauvés! Nous aurions péri! Mais comment donc et pourquoi nous avez-vous sauvés? Qui nous aurait renversés? Par quelles mains aurions-nous péri? (Interruption.) Vous avez dit, je le sais, pour couvrir votre pensée « qu'on aurait dù marcher sur vous pour arriver à nous et nous renverser. »

Mais je me servirai de l'expression que vous avez employée contre mes amis : Je saurai vous arracher le masque qui couvre votre pensée, et la livrer toute nue, je ne dirai pas à la risée, mais à l'indignation publique.

Nous aurions péri! Par quelles mains aurions-nous péri? Je vous interroge; vous avez dit souvent et vous avez eu raison de le dire : il n'y a en Belgique que deux grandes opinions, la vôtre et la nôtre ; il n'y a pas en Belgique de parti révolutionnaire, vous le savez bien, ou s'il existe, il est tellement faible que ce n'est pas lui, à coup sûr qui, le 24 février, aurait dû passer sur votre corps pour nous renverser. Qui donc nous aurait renversés?

« Le 24 février, heureusement vous étiez le pouvoir, » avez-vous dit, permettez-moi d'ajouter : plus heureusement encore, nous étions l'opposition. (Interruption.)

Nous étions l'opposition, et à l'heure même du danger, nous avons cessé de l'être ; nous avons fait taire tout esprit de parti; nous avons oublié les longues injustices dont vous nous aviez abreuvés ; toute passion politique a fait place chez nous à un sentiment patriotique, national, que vous, M. le ministre des finances, vous êtes le seul depuis 1830, qui le déniez, comme formant le fond du caractère de l'opinion a laquelle j'ai l'honneur d'appartenir.

« Le 24 février nous sommes descendus de nos bancs, avez-vous dit, la peur sur le visage, pour aller lâchement serrer votre main. »

Mais vous avez tout oublié : il vous en souviendra, à cette époque vous avez entendu deux grandes voix, celle de l'honorable M. Rogier, et celle du président de la chambre, qui se sont écriés à cette tribune :

« Il n'y a plus de parti, il n'y a plus qu'une grande opinion nationale dans le pays. « L'honorable M. Rogier ajoutait : « Le gouvernement est fort de l'appui sympathique que nous recevons de tous les bancs de cette chambre. »

Quand donc nous sommes descendus de nos bancs pour mettre notre main dans la vôtre, c'est que vous nous l'aviez sincèrement tendue, et vous nous avez remerciés. Aujourd'hui vous venez rétracter ces remerciements par la plus ingrate, la plus odieuse de toutes les calomnies. (Interruption.)

Vous nous aviez remerciés alors, et vous dites aujourd'hui : « Chacun voyait que vous aviez peur. » Mais si nous avions peur, si c'était là le sentiment que vous aviez aperçu en nous, comment donc nous avez-vous remerciés de cet appui sympathique et national? Ces paroles, ces remerciements n'étaient donc dans votre bouche qu'une déplorable hypocrisie !

Mais ce que nous avons fait alors, l'opinion libérale ne l'aurait pas fait, si nous avions été au pouvoir.

Ah! vous la calomniez! Je suis convaincu que notre patriotisme, elle l'aurait eu, que notre sentiment national, elle l'aurait éprouvé, qu'elle nous aurait aidés a conjurer le péril, comme nous vous avons aidés à sauver le pays.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous auriez péri sous votre propre impopularité.

M. Dechamps. - Ce n'est pas une réponse. Cette impopularité devait, en définitive, avoir des bras. Encore une fois, je vous interroge : Par quelles mains aurions-nous péri ?... Vous ne répondez pas. (Interruption.)

Messieurs, je suis amené ici à examiner, non plus exclusivement le projet de loi, mais la politique du ministère, car le projet de loi actuel, au point de vue où nous sommes placés, n'est qu'une partie, une pièce de cette politique.

Cette politique du ministère, quelle est-elle? Je n'ai pas besoin de la caractériser, le ministre des finances l'a fait dans une autre occasion en termes clairs, précis et empreints d'une louable franchise. Dans un débat analogue à celui qui nous occupe, M. le ministre des finances nous a dit en voulant montrer ce qui différenciait les deux grandes opinions du pays :

« Mon but, a-t-il dit, est de signaler un système complet d'insurrection contre les principes d'organisation dus à la révolution de 1789. En 1789, on a fait table rase de l'ancienne organisation de la société. Trois choses essentielles qui étaient dans les mains du clergé, ont été confiées à la garde de l'autorité civile; c'est le temporel du culte; c'est l'instruction; c'est la bienfaisance publique. Depuis un demi-siècle, cet état de choses existe: philosophes, historiens, hommes d'Etat, tous y applaudissent, et, tout à coup, voici qu'il se forme un parti qui a la prétention de réédifier le passé. »

En effet, messieurs, à ce point de vue, les principes de la révolution de 1789 ont été la sécularisation de l'enseignement, de la charité et de temporel du culte. J'ajoute que ce programme est bien celui que le ministre a suivi et pratiqué avec persistance. La politique du ministère, au point de vue où je suis placé, est de restreindre l'influence religieuse dans l'ordre de l'enseignement, dans l'ordre de la charité, et dans les moyens matériels d'existence du culte.

Voilà le programme. Voyons comment il a été exécuté.

Pour l'enseignement, j'ai dit quel était son système, je n'ai pas besoin d'y revenir ; il se résume en deux mots : centralisation, sécularisation.

Permettez-moi d'ajouter une réflexion encore sur le système d'enseignement pratiqué par le ministère. Voici en quoi il consiste : on veut constituer un enseignement public qui seul, indépendamment des institutions libres, puisse satisfaire à tous les besoins intellectuels du pays, de telle manière que si les établissements libres venaient à disparaître, l'enseignement public suffirait seul à toutes les nécessités de l'enseignement.

La liberté, dans ce système, est une chose tolérée; on n'y compte pas, on s'en défie, on agit comme si un jour on voulait s'en passer. (Interruption.)

Messieurs, le ministère n'ignorait pas cependant combien chacune de ces questions touche aux fibres les plus délicates du pays, combien elles soulèvent d'honorables et de traditionnelles susceptibilités. La vive résistance qu'on rencontre, le pétitionnement qui se développe et qu'on ne parviendra pas à calomnier, les exagérations même auxquelles on a pu se livrer, tout cela peut-il vous étonner? Comment! Vous remuez à la fois, dans une seule année, presque dans une seule session, les trois questions d'enseignement public, l'enseignement supérieur, l'enseignement secondaire et l'enseignement primaire, dont vous annoncez la réforme, quand une seule de ces questions suffirait pour émouvoir une grande opinion, alarmer de graves intérêts !

Ces trois questions si dangereuses, si difficiles, ne vous ont pas suffit ; il est une autre liberté plus sainte, qui lient plus profondément peut-être au sentiment religieux, c'est la liberté de la charité.

En 1825, quand je rappelle le temps du gouvernement des Pays-Bas, je sais qu'il y a plusieurs grandes différences, une qu'il ne m'est pas permis de signaler, l'autre qui ne permet pas que l'on compare les deux situations qui sont distantes de tout l'espace que laissent entre elles les deux Constitutions. Alors on voulait détruire la liberté, aujourd'hui, vous voulez seulement la restreindre. Ce que je veux dire, c'est qu'en 1825 le gouvernement des Pays-Bas n'avait soulevé qu'un seul grief religieux, celui de l'enseignement, vous en soulevez deux.

Messieurs, je ne viens pas examiner si M. le ministre de la justice a été un interprète plus fidèle, plus intelligent de la loi communale que l'auteur même de l'article qui proteste contre son interprétation.

M. Dumortier. - C'est vrai.

M. Dechamps. - S'il l'a mieux interprété que tous ses prédécesseurs, parmi lesquels je nomme M. Lebeau, Leclerc et Ernst. Si la disposition présentait un doute, il fallait le trancher dans l'esprit de la Constitution, dans un sens généreux et libéral.

La question n'est pas là ; elle est plus haut ; c'est un principe, c'est un système, c'est la sécularisation de la charité, comme on veut la sécularisation de l'enseignement. C'est toujours la liberté, le droit des familles, l'action religieuse qu'on restreint, non au profit des pauvres assurément, mais au profit de ce qu'on appelle les droits de l'Etat. Vous avez dû, pour adopter cette politique, changer aussi l'esprit et la marche du gouvernement.

Pour réaliser le programme tout entier, M. le ministre de la justice a dû exhumer de l'arsenal des temps révolutionnaires, des décrets oubliés., tombés en désuétude, mal interprétés.

(page 1248) On a organisé un système de petites tracasseries contre le clergé : questions de fabrique, de cimetières, de succursales, du nombre des vicaires, de la nomination des trésoriers des séminaires, des sœurs hospitalières, que sais-je? On a tout remué. Dans quel intérêt, pour quel besoin? Vraiment, messieurs, je ne puis le deviner.

Il est possible que ce soit là restaurer les principes de liberté comme les comprenait la France de 1789 ; mais à coup sûr, ce n'est pas fortifier les principes de liberté belge, comme on les a compris depuis 1850.

Des choses grandes et durables sont sorties de la révolution de 1789, dans l'ordre civil et politique ; reste à savoir pourtant si ces grandes choses n'auraient pas pu être réalisées sans elle; mais qui ignore qu'au point de vue chrétien, au point de vue religieux, la révolution de 1789 fut une réaction philosophique et voltairienne contre le passé religieux de la France ?

Quels furent les actes de cette révolution? Pour les cultes, la constitution civile du clergé; pour l'enseignement, les projets de Talleyrand et de Condorcet, lois oppressives des consciences, lois qui excluaient la religion de l'enseignement public, qui substituaient au catéchisme chrétien celui des droits de l'homme.

Pour la charité, ce sont ces décrets qui mettaient des entraves absurdes et coupables à la charité religieuse que la révolution bientôt après chassa des hôpitaux de France.

Voilà le programme de 1789. J'ose à peine vous demander si c'est le vôtre, quoique vous ayez semblé le dire; vous avez, je crois, un peu exagéré. La révolution de 1850 a été une protestation contre ces principes que vous avez voulu réhabiliter.

Ces trois choses, les cultes, l'enseignement, la charité, la révolution de 1789 les avait remises, en effet, dans les mains de l'Etat. Mais la révolution de 1830 les a remises dans les mains de la liberté. Voilà la différence, et vous l'avez oubliée.

Messieurs, quand vous étiez opposition, vous nous avez dit souvent que le dissentiment entre nous n'était pas une question religieuse, que c'était une question politique. La sincérité de cette allégation est aujourd'hui mise à l'épreuve ; elle l'a été une fois déjà, je le reconnais; c'était lors de le discussion de la loi sur l'instruction primaire, en 1842. Je dois le déclarer hautement, vous avez été fidèles alors à cette politique, à ce principe. Mais, aujourd'hui,. prenez-y garde, vous placez le dissentiment sur le terrain religieux; car l'enseignement, au point de vue de l'instruction religieuse, la charité, les cultes, même sous le rapport des moyens matériels de leur existence, n'est-ce pas la sphère religieuse? Si elle n'est pas là, où donc est-elle?

Oui, prenez-y garde, vous placez le dissentiment sur le terrain religieux; vous semez des griefs religieux dans un pays qui, l'histoire nous l'apprend, doit être épargné, à cet égard, plus que tout autre.

Messieurs, regardons plus haut. Il n'y a plus aujourd'hui dans le monde que deux partis et deux politiques ; le parti et la politique de la révolution, le parti et la politique de l'ordre social et du gouvernement. Il n'y en a pas trois : toutes les tendances intermédiaires tendent,, de jour en jour, à se perdre dans ces deux courants opposés.

Eh bien, je vous le demande, regardez bien ce qui est écrit sur les deux drapeaux.

Cette question de l'enseignement qui nous préoccupe a été agitée, presque en même temps, dans les parlements de France, de Francfort et de Berlin. Demain, elle va l'être en Suisse. Regardez attentivement et voyez en tête de quel programme est écrit ce principe : centralisation plus ou moins absolue de l'enseignement public aux mains de l'Etat, et sécularisation de cet enseignement. Voyez en tête de quel programme est écrit cet autre principe : Liberté de l'instruction, libre concurrence, action modérée de l'Etat et intervention efficace, réelle du clergé dans l'enseignement public.

Constituer un enseignement de l'Etat en concurrence avec l'enseignement du clergé, créer un corps enseignant, une université enseignante, une église laïque en concurrence avec l'enseignement de l'Eglise chrétienne, n'avoir que des défiances contre ce clergé et cette Eglise, exclure du parti de l'ordre, dans les circonstances actuelles, et forcer à l'opposition l'élément religieux du pays, est-ce bien défendre la société?

A coup sûr, personne ici ne veut la révolution. Mais, en France, les hommes éminents qui illustrèrent le gouvernement de juillet, étaient certainement des hommes attachés à l'ordre, profondément dévoués à la monarchie. Ils avaient cru aussi pouvoir conserver contre le clergé de leur pays toutes ces défiances, toutes ces jalousies (comme disait M. Thiers). Ils avaient cru qu'il était bon et utile pour l'unité française, comme l'honorable M. Lebeau croit qu'il est bon et utile pour l'unité belge, de confier à l'Etat d'une manière plus ou moins absolue le soin d'élever les jeunes générations.

Ils ne croyaient pas pousser à la révolution, et cependant ils y poussaient.

Aujourd'hui, tous confessent leur erreur. C'est le plus élevé de tous, par le talent et le caractère, c'est M. Guizot qui, du fond de son exil, crie : à la France : Laissez donc la religion se déployer grandement et puissamment; ne lui disputez pas aigrement son influence! C'est M. Thiers, qui proclame que les défiances, les jalousies qu'il avait contre le clergé, à une autre époque, il ne les a plus. Or, le motif de ces défiances et de ces ombrages que nourrissait M. Thiers, vous ne l'avez jamais eu en Belgique. M. Thiers a dit qu'il se défiait du clergé français, parce qu'il le croyait hostile, au fond ; au gouvernement de Louis-Philippe. Ces motifs de défiance n'ont jamais existé chez nous.

Une autre voix s'est jointe à celles-ci; c'est celle du chef du constitutionnalisme allemand. M. de Gagern a dit à l'Allemagne : « Paix, surtout dans les circonstances actuelles, paix pour les questions religieuses! »

Tout le monde, en Europe, reconnaît que le principal remède à la situation morale du monde, c'est de christianiser la société que le rationalisme dissout.

M. le ministre des finances n'est pas de cet avis, ou plutôt il ne l'est qu'à moitié. Il n'attribue pas à l'enseignement religieux cette puissance, je ne dirai pas que nous lui attribuons, mais que l'Europe entière lui attribue. Il demande ce que cet enseignement a empêché.

Il n'a pas empêché, a-t-il dit, Luther de naître; il n'a pas empêché le XVIIIème siècle de grandir; il n'a pas empêché la révolution d'éclater.

Cette objection, l'honorable M. Frère l'a empruntée aux débats français. Elle a été présentée sous la constituante, par M. Jules Simon, au nom de l'université; sous la législature elle a été largement employée par MM. Hugo et Crémieux au nom de la gauche démocratique.

Je pourrais renvoyer M. le ministre des finances aux magnifiques réponses qui ont été faites à cette objection par M. de Falloux, à la constituante, par MM. Poujoulat et de Montalembert à la législative. Je me permets d'y ajouter quelques mots :

C'est là une étrange idée. Mais Luther qui reniait l'Eglise, le XVIIIème siècle qui voulait l'écraser, la révolution qui lui dressait des échafauds, de qui donc étaient-ils les fils, du rationalisme ou de l'Eglise? Judas était l'élève du Christ. Qui oserait dire, sans blasphémer, que c'est le Christ qui l'a formé?

L'enseignement chrétien, messieurs, l'Eglise a sauvé ou plutôt a fait le monde moderne ; personne ne le conteste plus aujourd'hui. L'Eglise a promis de sauver la société à toute époque; mais la société, comme l'individu, est libre assurément d'accepter ou de refuser le salut qu'elle lui offre. Or, la société l'a refusé.

Il y a, messieurs, trois grands enseignements dans le monde : l'enseignement des classes supérieures sur les classes inférieures ; c'est le plus puissant de tous; l'enseignement de la presse, ce gigantesque levier des temps modernes; l'enseignement de l'école et du temple.

Quand Louis XIV, la régence, Louis XV donnaient les exemples contagieux que vous savez ; quand les classes supérieures étaient devenues sceptiques, corrompues et irréligieuses; quand les parlements, qu'on pourrait appeler le libéralisme de cette époque, persécutaient l'enseignement chrétien et quelquefois le proscrivaient ; quand une partie du clergé lui-même se relâchait, et que l'enseignement chrétien participait de ce relâchement ; quand, en présence de cet affaiblissement de l'enseignement chrétien, un autre enseignement grandissait, celui du rationalisme du XVIIIème siècle, que pouvait l'école, que pouvait l'Eglise isolées, combattues?

Ce n'est pas par l'abondance de l'enseignement chrétien, c'est parce qu'il a plutôt manqué, que la société a sombré en 1792 et depuis.

Messieurs, quand ces trois enseignements viennent à faire défaut, à la fois, quand les classes supérieures donnent un mauvais enseignement, quand la presse est mauvaise, et quand à côté de cela, on sécularise l'enseignement public, savez-vous ce qui arrive? II reste un quatrième enseignement, le seul, c'est celui que la Providence donne, c'est l'enseignement des révolutions, c'est la leçon des ruines.

Messieurs, nous assistons à une révolution suprême. Elle était française, il y a soixante ans, elle est aujourd'hui européenne; elle nous enveloppe de tous côtés.

Malheureusement je vois, dans la lutte à outrance qui est engagée entre la démocratie, la société et les gouvernements, je vois la société bien affaiblie, les gouvernements désarmés; et je vois la révolution qui a démesurément grandi; de secrète, de souterraine qu'elle était, elle est devenue une puissance publique et organisée.

La révolution a su renverser, sans de grands efforts, elle a dévoré successivement l'ancienne monarchie du droit, la monarchie de transaction de 1814, la monarchie constitutionnelle de juillet; elle est en train d'user la République qui ne lui suffit plus.

Ces gouvernements étaient des gouvernements forts, entourés d'institutions puissantes, ayant de profondes racines dans le sol; ils reposaient sur des majorités compactes et sur de nombreux intérêts. La démocratie les a renversés; et vous croyez qu'elle s'arrêtera impuissante devant des gouvernements faibles, décapités, qui ne croient pas en eux-mêmes, en qui personne ne croit, qui reposent sur des institutions plus faibles encore que leur faiblesse. Messieurs, je ne sais vraiment sur quels motifs on peut asseoir une espérance !

La démocratie a deux immenses leviers à l'aide desquels elle soulève incessamment les classes inférieures de la société, arme tous les mécontentements, toutes les passions, toutes les ambitions : c'est le suffrage universel et la presse.

Messieurs, on tente aujourd'hui une expérience qui n'a jamais été faite, pour laquelle l'histoire n'a aucun précédent. La démocratie qui, il faut bien le dire, est quelquefois la force des peuples qui commencent, mais qui est plus souvent l'agonie des peuples qui finissent, la démocratie donne aujourd'hui, dans presque toute l'Europe, à chaque citoyen, un vote souverain à émettre, le fusil du soldat ou du garde national à porter. Cela ne s'est jamais vu.

Cette expérience que l'on tente, réussira-t-elle? Je l'ignore, je ne le crois pas. Mais pour qu'elle réussisse, c'est à une condition ; c'est que la société trouvera des moyens aussi prompts, aussi énergiques pour (page 1249) guérir, pour moraliser les masses que les apôtres de la destruction en ont pour les tromper et pour les pervertir.

Chose incroyable et vraie pourtant : on reconnaît, en général, qu'en tête des forces sociales qui marchent contre la révolution, se trouve la religion; et que quand on dit la religion pour l'Europe, c'est l'Eglise chrétienne. Or, on se conduit envers elle, comme si elle était le mal à craindre et le danger à éviter.

Quels sont les moyens d'action de la révolution? Quels sont les moyens d'action de l'Eglise ?

Les moyens d'action de la révolution, je vous l'ai dit, c'est la presse et le suffrage universel.

Les moyens d'action de l'Eglise, c'est l'enseignement, c'est la charité, c'est l'association.

Pour nous, Belges, toutes les libertés sont solidaires; elles se tiennent; nous les voulons toutes; nous les acceptons toutes. Mais qu'a fait, permettez-moi ce mot, qu'a fait depuis soixante ans l'école libérale européenne, si cruellement châtiée le 24 février? Elle a aboli la liberté d'enseignement partout où elle l'a pu; ailleurs elle l'a restreinte; elle a proscrit les associations religieuses, comme Louis XIV exilait les huguenots; elle n'a eu pour le clergé que des défiances; elle a opposé partout l'enseignement de l'Etat à l'enseignement de l'Eglise, l'assistance publique à la charité religieuse. En un mot, partout elle a combattu, entravé, restreint les libertés de l'Eglise, qui pouvaient tout sauver, et elle a sans cesse défendu et élargi les libertés de la révolution, qui pouvaient tout perdre.

Mais aujourd'hui que les pouvoirs sont sans force, les institutions sans fondement, les mœurs sans ressort et l'autorité sans respect, que reste-t-il à la société pour se défendre ?

Un grand orateur l'a dit à une autre tribune, et il faut sans cesse le redire, il ne reste plus que deux choses debout et qui résistent : dans l'ordre moral, la religion, l'Eglise; dans l'ordre politique, l'armée ; l'une qui doit sauver le présent, l'autre qui doit préparer l'avenir. Ce sont les deux seules institutions qui s'inspirent encore aux idées d'autorité, de sacrifice, d'abnégation, de dévouement, d'honneur, d'avenir. Ce sont les deux seules barrières qui nous séparent encore d'une anarchie sans précédent et d'une irrémédiable décadence.

Messieurs, la révolution attaque partout ces deux grandes influences 'l'influence militaire, l'influence religieuse, avec une épouvantable énergie.

Je sais, bien qu'il est encore beaucoup d'hommes qui, avec les meilleures intentions, croient, entraînés par une certaine habitude d'opposition, pouvoir faire une guerre modérée à ces deux grandes influences. Ils croient même sincèrement, consciencieusement prévenir la révolution, en lui donnant à ronger des concessions lâches et inutiles ; ils pensent que les gouvernements seront épargnés et trouveront grâce par ces concessions.

Mais ce que je sais bien aussi, c'est que les révolutions ont beaucoup de complices involontaires; elles se font toujours par ceux qui n'en veulent pas, (Interruption.)

Je le dis avec conviction, messieurs, ceux qui attaquent ces deux grandes influences, non seulement ceux qui les attaquent, mais ceux qui veulent les amoindrir, les diminuer, au lieu de les grandir et de les fortifier, ceux-là, qu'ils le sachent ou qu'ils l'ignorent, n'enlèvent-ils pas à la société les armes qui lui restent pour le jour du danger? Et ceux qui ont une politique double et toute de contradiction, qui veulent, tout à la fois, et maintenir une armée puissante et affaiblir, décourager, diminuer, restreindre l'action religieuse dans l'enseignement et dans la charité, ceux-là ne détruisent-ils pas d'une main ce qu'ils veulent conserver de l'autre?

Messieurs, n'ayons plus qu'une politique, la même pour tous les grands intérêts de la société qui, en définitive, sont solidaires les uns des autres.

Nous avons échappé, on l'a dit bien des fois dans cette discussion, nous avons échappé comme par miracle au bouleversement européen de février; nous y avons échappé non point par la peur, qui ne sauve jamais, mais par notre union et notre patriotisme.

Je vois, en France, à côté de nous, des partis distincts se réunir, former le parti de l'ordre, destiné à conjurer les périls de la situation. Je vois les orléanistes, les légitimistes, les bonapartistes et les républicains modérés, séparés tous par l'abîme de tous leurs principes, d'accord sur rien, questions dynastiques, de Constitution, d'avenir national, d'accord sur rien, et qui se sont serrés les uns contre les autres, qui se sont entendus sur toutes les questions actuelles, qui sont des questions sociales, laissant à l'avenir le soin de résoudre les autres.

Sommes-nous donc, vous et nous, divisés par l'abîme de nos principes? Ne formez-vous pas, avec nous, les deux grandes branches du parti dynastique constitutionnel, national? Pourquoi donc nous diviser? Pourquoi donc n'a-t-on pas fait comme en France, laissé à l'avenir le soin de résoudre les quelques rares questions qui nous divisaient encore? Ces divisions, messieurs, à qui croyez-vous qu'elles puissent profiter? Ce n'est ni à vous ni à nous, moins encore au gouvernement, moins encore au pays.

Laissons le passé au passé dont, après tout, nous pouvons être fiers; laissons là tout ce qui pourrait altérer une situation dont notre union fait la force; sachons maintenir à sa hauteur le magnifique élan national que la révolution de Février a provoqué. Laissons la petite, l'étroite politique de partis pour des jours où nous aurons le temps de nous diviser, et aidons tous à y substituer une politique grande, généreuse et nationale ! (Applaudissements dam les tribunes.)

M. le président. - J'ai plusieurs fois averti le public qu'il ne peut prendre parti nos débats; maintenant je dois dire que les mesures sont prises pour faire sortir celui qui donnera le moindre signe d'approbation ou d'improbation.

M. d'Elhoungne. - Messieurs, je commencerai, sans ironie, par remercier l'honorable préopinant d'avoir si clairement avoué le but de cette discussion. Nous savons maintenant, à ne pas en douter, que pour nos honorables adversaires cette loi n'est qu'un prétexte : elle n'est pas l'objet de leurs discours. Les discours qu'on prodigue ne sont pas à notre adresse; ce sont des manifestes à l'adresse des électeurs. La crise électorale est trop prochaine, vos espérances sont trop transparentes, vos menaces sont trop claires pour que nous puissions nous y tromper. Si le projet de loi était l'objet réel de vos discours, vous ne passeriez point sous silence les réfutations qui se sont produites, les explications qu'on a données; vous ne repousseriez pas d’un air si superbe les concessions qui vous sont faites; vous ne tiendriez pas si peu compte de la modération extrême que l'opinion libérale tout entière a apportée dans ces débats.

Vous voulez agiter en bas, pour intimider en haut. Voilà votre but. Vous êtes coutumiers du fait, d'ailleurs ; nous le savons. Nous savons lire l'histoire. C'est pour cela qu'il faut travestir tout ce qui s'est dit des nombreuses pétitions déposées sur le bureau; c'est pour cela qu'il faut accumuler tous les griefs qui jamais ont pu être imaginés contre l'opinion libérale; c'est pour cela qu'il faut aller fouiller tous les souvenirs néfastes pour tâcher d'y trouver des armes contre nous!

Eh bien, messieurs, pour mon compte, cette tactique ne m'effraye pas. S'il est une chose éclatante d'évidence, c'est précisément la modération et l'impartialité qui animent l'opinion libérale. Elle n'en a pas seulement fait preuve dans la discussion actuelle, elle en a fait preuve dans tous ses actes, depuis son avènement au pouvoir. Il fut une époque où vous disiez que cet avènement verrait inaugurer ce qu'on appelait le système destitutionnel, les destitutions en masse: L'opinion libérale est venue au pouvoir, et les espérances que vous nourrissez pour les prochaines élections, vous les devez peut-être à l'extrême modération dont l'opinion libérale a fait preuve en maintenant en place tous ceux qui, d'ancienne date, ont été vos instruments électoraux; oui, c'est parce que nous avons laissé là vos hommes, que vous espérez.

On disait aussi que l'opinion libérale, en arrivant au pouvoir, viendrait jeter je ne sais quel désordre au milieu des intérêts matériels ; et depuis, elle a montré tant de ménagements pour tous les intérêts, que vous en êtes réduits à l'accuser de n'avoir pas de système, sans doute parce qu'elle ne se montre pas absolue dans les actes qu'elle pose.

C'est ainsi encore que vous ne cessiez d'avoir recours à d'odieuses accusations ; que vous imputiez à l'opinion libérale une sorte de parenté avec l'esprit révolutionnaire; que vous la déclariez incapable de conserver intactes les institutions du pays; que vous lui déniiez en quelque sorte le sentiment national : La crise est venue, la tempête a éclaté et l'opinion libérale a maintenu l'ordre, a consolidé la nationalité, et elle vous a sauvés quoi que l'on vienne dire aujourd'hui. Je le sais, vous êtes remis maintenant de vos alarmes, et vous demandez qui vous aurait renversés? Mais la réponse, M. Dechamps, est dans la fin de votre discours. Vous avez dit que les révolutions se font le plus souvent par ceux qui n'en veulent pas ! C'est, qu'en effet, dans les bas-fonds.de la société il y a des éléments de désordre toujours prêts à remonter à la surface ; et lorsque l'impopularité enveloppe et paralyse un gouvernement, ceux-là mêmes qui ne veulent pas des révolutions, qui sont fermement résolus à les combattre, deviennent incapables de les arrêter. Si vous aviez été au pouvoir le 24 février, le 25 vous seriez tombés en compromettant la sécurité de notre patrie.

C'est, messieurs, parce qu'on s'adresse au corps électoral, qu'on exhume avec tant d'insistance et si peu de fidélité toutes les discussions irritantes de ces dernières années. Nous sommes redevenus, le parti de l'irritation, de la division, que sais-je?

Nous nous attaquons aux fibres les plus délicates de notre organisme social : A la liberté religieuse, à la liberté de la charité, à la liberté de l'enseignement.

Il n'y a pas jusqu'à l'esprit de conservation et de nationalité que nous ne battions en brèche, sans le savoir peut-être !

En vérité, messieurs, si l'on ne savait à quels auditeurs s'adressent ces discours, on ne les comprendrait pas. Nos adversaires ne peuvent croire que, dans cette enceinte, il y ait un seul membre qui puisse se laisser prendre à des artifices aussi grossiers.

Nos adversaires le savent comme nous : il n'y a pas ici de débats religieux. Dans ce débat, où vous avez jeté la passion et l'irritation à pleines mains, il n'y a pas un mot, pas un seul qui soit échappé aux défenseurs du projet de loi, ni contre la religion, ni contre ses ministres ; c'est même un fait hautement honorable pour l'opinion libérale que l'unanimité de ce respect, de cette sympathie pour les idées religieuses et pour les ministres de la religion. Je ne pense pas qu'à aucune époque, alors que la majorité qui se disait catholique, siégeait si nombreuse dans cette enceinte, la religion ait jamais reçu un hommage plus sincère; que jamais les ministres aient été traités avec plus de respect, plus de réserve, plus de véritable sympathie.

C'est, messieurs, que l'opinion libérale pratique au pouvoir ce qu'elle demandait dans l'opposition ; elle ne se croit pas au pouvoir pour l'exploiter. L'opinion libérale, lorsqu'il s'est agi de résoudre la grande et difficile question de l'enseignement supérieur, n'a pas fait une loi de (page 1250) parti; la preuve, c'est que l'opposition contre la loi s'est évanouie le dernier jour. Elle a dû reconnaître, après bien des vacillations et une lutte plus apparente que sérieuse, que cette loi donne à l'enseignement libre des garanties sérieuses. Il y aurait mauvaise foi à le méconnaître aujourd'hui. La même représentation pour les établissements libres et pour ceux de l'Etat; une égalité parfaite établie entre les uns et les autres; les mêmes garanties, les mêmes privilèges pour leurs professeurs : Voilà ce que consacre la loi sur l'enseignement supérieur.

Ce n'est pas là une loi de parti ; et quand nos adversaires lui adressent nn pareil reproche, il a le droit de nous surprendre dans leur bouche, eux qui, pendant tant d'années, ont exploité leur position de majorité parlementaire, pour usurper, sur le terrain de l'enseignement supérieur, une place prépondérante qu'ils n'auraient jamais conquise à l'aide d'une libre et loyale concurrence.

Ce n'était pas assez, messieurs, que nous pussions, dans cette discussion, opposer des faits aux reproches articulés contre l'opinion libérale ; elle aura cela de bon encore qu'elle aura arraché à nos adversaires le secret de leurs prétentions.

En effet, les opposants, sinon les plus considérables, au moins les plus ardents, du projet de loi, ont dû nous découvrir les prétentions croissantes de leur parti : la prépondérance ne lui suffit pas, il lui faut la domination, il lui faut le monopole de l'enseignement.

Nos autres adversaires sont plus réservés et plus habiles sans doute; ils ne professent point comme symbole politique, la théocratie pure; mais au fond leur système est le même, leurs prétentions aboutissent directement au même résultat.

Quand l'honorable M. Dechamps, par exemple, proclame que l'Etat peut avoir son enseignement, mais à condition de n'établir aucune concurrence avec l’enseignement libre; lorsque l'honorable M. Dechamps nous présente comme l'idéal de la liberté, une liberté à l'état de lettre morte, telle que la liberté qui existe pour l'enseignement primaire (car avec la coalition du gouvernement et du clergé il n'y a plus de liberté possible), tout cela ne prouve qu'une seule chose : c'est qu'en réalité nos adversaires, sans distinction, qu'ils le disent ou le dissimulent, qu'ils le sachent ou l'ignorent, ne veulent la liberté qu'à leur profit, et cette liberté-là c'est le monopole.

Voyez plutôt en quoi se résume leur système en matière d'enseignement : L'Etat, on l'écarté sous prétexte qu'il est incapable ; la commune, on l'absorbe sous prétexte qu'elle est libre; les efforts privés, on ne veut les tolérer que parce qu'on les sait impuissants!

Maintenant, messieurs, je le demanderai. Est-ce là ce qu'exige la situation du pays? Est-ce là ce que veut la Constitution?

Quelle est la situation? Les faits répondent : L'enseignement moyen est abaissé; il n'est plus au niveau des besoins de l'époque; il est dans un état de décadence regrettable. Pour le prouver, j'invoquerai l'autorité de la chambre tout entière.

Qu'avez-vous fait à la dernière session? Vous avez unanimement voté fa création du grade d'élève universitaire. Pourquoi cela? Mais, parce que le niveau des études moyennes tendait tellement à s'abaisser que la décadence de l'enseignement supérieur était imminente; c'est pour prévenir cette décadence que vous avez créé le grade d'élève universitaire qui est la sanction de l'enseignement moyen tout entier.

L'enseignement moyen n'est pas seulement dans un état regrettable d'infériorité, il est encore incomplet; il encombre les professions libérales et il n'offre pas des moyens d'instruction suffisants pour faciliter l’accès des autres carrières qui sont plus nombreuses et offrent plus d'avenir aujourd'hui.

Eh bien, messieurs, qui élèvera le niveau de l'enseignement moyen? Qui le complétera?

Sera-ce le clergé? Mais rien, que je sache, ne l'en a empêché pendant 18 ans. Il ne l'a pas fait : je suis en droit de conclure qu'il ne suffirait pas à le faire. Mais le pût-il, cela devrait-il être? Faudrait-il l'y encourager? C'est demander s'il faut accorder au clergé la domination, le monopole ; et si nous voulons, le règne de l'intolérance.

Ne sauriez-vous pas, par hasard, ce qui se passerait le jour où le clergé aurait le monopole de l'enseignement? Ah! il cesserait bientôt d'appeler à lui les élèves par la persuasion; il n'userait plus de la même habileté qu'aujourd'hui; il ferait bientôt des catégories, il établirait des exclusions. Ainsi, il n'admettrait plus, par exemple, les enfants des francs-maçons. (Interruption.)

Ce ne sont pas des hypothèses ; ce sont des faits, messieurs, de votre passé et de votre présent.

Quand vous êtes tout-puissants, vous opprimez. Oui, le lendemain du jour où il aurait le monopole, le clergé n'admettrait pas les enfants des citoyens qui ne pratiquent pas convenablement, à leur avis, les devoirs religieux. (Interruption.) Eh! mon Dieu, serait-ce la première fois que vous auriez été intolérants?

Je répète, messieurs, que le clergé eût-il, en étendant en quelque sorte le monopole de son enseignement sur la société, pût-il subvenir à tous les besoins intellectuels, encore faudrait-il chercher à l'éviter, dans l'intérêt de la religion elle-même; car, il faut le dire, la domination du clergé et son intolérance sont les deux plus grands ennemis de la religion.

Maintenant, si le clergé ne suffît pas, les communes suffiront-elles ? Encore une fois , les faits ont parlé ; les communes n'ont pas suffi; car on les a laissées libres, trop libres ; car elles ont abusé de leur liberté pour la vendre ; eh bien, les communes n'ont pas suffi pour relever l'enseignement moyen, elles n'ont pas suffi non plus pour desservir ce nouveau besoin d'une instruction moins classique et plus pratique, qui se révèle dans l'état actuel de la société.

Quant aux efforts privés dont vous accepteriez si volontiers la concurrence, il faut bien dire qu'on ne peut pas y compter. Y a-t-il une seule localité en Belgique où un établissement privé pourrait se soutenir six mois avec succès, si le clergé ne le voulait pas? Il n'en est pas une ! Parlez de cette concurrence privée que vous voulez maintenir, que vous trouvez nécessaire dans l'intérêt de l'enseignement, c'est vraiment dérisoire.

Reste donc l'Etat; il ne reste que l'Etat pour combler la lacune que présente l'enseignement moyen et le relever de son état de décadence. Eh bien! C'est précisément ce que la Constitution a voulu, qu'elle l'ait supposé ou ordonné : quant à moi, je crois qu'elle ordonne, parce que je la crois une œuvre de sagesse. (Interruption.)

Veuillez remarquer, avant de faire des dignes de dénégation, que si vous ne considérez pas l'enseignement de l'Etat comme le correctif de la liberté, l'Etat est mis en dehors de la direction morale du pays : il n'a plus rien à y faire, plus rien à y voir. En effet, l'enseignement privé, il ne peut pas y faire pénétrer ses regards : la Constitution le lui défend. Si donc l'Etat n'a pas d'établissements d'enseignement, il est sans action aucune sur cet immense intérêt, dans lequel réside tout l'avenir de la société. Or, l'Etat c'est la majorité.

Est-ce là le rôle que vous lui assignez? Dans ce cas l'Etat n'est plus qu'un instrument qui obéit à un pouvoir supérieur; et ce pouvoir c'est le seul pouvoir moral que vous laissez debout : l'Eglise. A ce compte, notre Constitution implique la théocratie.

Messieurs, ne l'oubliez pas, en rendant l'Etat étranger à la direction de l'enseignement, vous le rendez étranger à la direction morale du pays : dès lors il ne reste plus que le clergé pour exercer cette direction et bientôt aussi, les mauvaises doctrines.

Ainsi, que la Constitution ordonne ou suppose, elle a remis entre les mains de l'Etat le droit d'enseigner. Si c'est un droit, c'est un devoir. Dès lors, il ne m'est pas donné de comprendre les difficultés constitutionnelles qu'on oppose à l'exercice de ce droit, à l'accomplissement de ce devoir ; c'est, apparemment, à l'usage des personnes qui ne lisent pas ou ne savent pas lire la Constitution, que de pareilles controverses sont soulevées.

Sans doute, quand l'Etat seul a le droit d'enseigner : c'est de la tyrannie. Mais ôtez l'enseignement de l'Etat, la liberté devient aussi une tyrannie : celle du clergé. Pourquoi? Parce que non seulement le clergé jouit d'une grande influence à raison de son caractère; mais parce qu'il trouve dans nos lois, et dans le gouvernement lui-même, des éléments de prépondérance et de force. Ouvrez le budget de la justice. Voyez si le clergé, qui n'a pas besoin de nous, à ce qu'on dit, reste étranger à la caisse de l'Etat; ainsi les séminaires, qui sont les écoles normales du clergé, enseignent: c'est l'Etat, c'est nous qui en payons les professeurs. Ajoutez à cela, messieurs, que le clergé forme une immense corporation hiérarchiquement, vigoureusement organisée ; et en présence d'une semblable corporation, disposant de tant de ressources, puisant dans les caisses de l'Etat tant d'éléments de force, vous voudriez que de simples particuliers pussent lutter? Cela n'est pas sérieux.

L'honorable M. Dechamps, dans le discours qu'il a prononcé hier, a dit qu'il reconnaissait la capacité de l'Etat pour enseigner, mais à la condition de ne pas faire concurrence à l'enseignement libre. J'ai déjà démontré que c'était nier le droit de l'Etat, que de le condamner à être dérisoire.

Comment est-il possible que l'Etat ait des établissements d'enseignement qui ne fassent pas concurrence à l'enseignement libre? Il ne suffirait pas même qu'il fermât son établissement, dès qu'il surgirait un établissement libre, c'est-à-dire du clergé. Supposez que l'Etat n'intervienne que par voie de subside, il ferait encore une concurrence indirecte à l'enseignement libre. L'établissement auquel il accorde un subside est favorisé vis-à-vis de celui qui n'en reçoit pas.

Direz-vous que l'Etat doit subsidier tous les établissements sans s'enquérir des doctrines qu'on y enseigne? Vous ne le direz pas, car ce serait dire qu'on doit subsidier l'enseignement même des plus mauvaises doctrines. Nier à l'Etat le droit de faire, par ses établissements d'enseignement, concurrence aux établissements privés, c'est donc nier le droit d'intervention de l'Etat dans l'enseignement. Peut-être la dénégation est-elle plus habile ainsi, mais à coup sûr elle est moins franche. L'honorable M. Dechamps a comparé cela à des ateliers nationaux d'enseignement public; c'est, selon lui, l'intervention de l'Etat dans l'industrie privée. Mais, s'il est un fait incontestable, c'est celui qu'a fait ressortir avec tant de force M. le ministre des finances, dans le magnifique discours qu'il a prononcé à la séance de samedi, à savoir : que l'enseignement en Belgique ne peut pas être, en thèse générale, l'objet d'une spéculation ; les établissements communaux, les établissements du clergé, ont fait descendre la rétribution des élèves à un taux trop modique pour que l'industrie privée (puisqu'industrie il y a, d'après l'honorable M. Dechamps) puisse s'y développer, abstraction faite même des autres causes d'impuissance que j'ai signalées.

Le système par lequel on voudrait substituer l’enseignement libre à celui de l'Etat, le système qui attribue aux efforts privés une concurrence que les établissements de l'Etat peuvent seuls rendre sérieuse, ce système n'aboutit donc, en dernière analyse, qu'à ceci : à tuer l'enseignement laïque à petit feu. Je me trompe; on veut bien d'un enseignement (page 1251) laïque, on lui permet d'exister, mais à condition qu'il agonise toujours. (Interruption.)

En présence de la situation de l'enseignement moyen, de son état de décadence et d'insuffisance, le gouvernement a présenté le projet de loi objet de tant de controverses.

Par ce projet, il introduit deux choses : d'abord l'intervention directe de l'Etat, ensuite la surveillance plus forte de l'action communale. L'intervention directe de l'Etat consiste dans la réorganisation des dix athénées que déjà il patronne et subsidie; dans la création des établissements d'enseignement moyen qui manquent encore en dehors des études classiques. Voilà toute l'intervention directe consacrée par le projet de loi.

Il fortifie ensuite la surveillance de l'Etat sur l'action communale en faisant à la commune défense d'abdiquer ses droits sur l'enseignement et en prenant des mesures préventives contre cette abdication, soit directe, soit indirecte, dans l'avenir. (Interruption.)

La faculté de surveiller les communes n'est pas en opposition avec la Constitution, et je m'étonne de l'interruption.

Le gouvernement aura l'inspection et le concours comme moyens secondaires ; puis le projet institue les professeurs diplômés. Voilà ce que fait le projet, au point de vue des communes.

Il suffit d'opposer à ce projet si bien approprié à la situation, si conforme à nos institutions politiques et administratives, les reproche qu'on lui adresse, pour en faire justice. C'en est vraiment la meilleure réfutation.

Ainsi, l'honorable M. Dechamps y voit la centralisation la plus forte qu'on eût jamais rencontrée; la négation de l'enseignement religieux; l'annihilation de l'action de la commune. Le projet rend toute concurrence impossible à l'enseignement libre, c'est-à-dire le clergé. Enfin, il donne à l'Etat un immense pouvoir d'organiser, d'interdire, de détruire, d'opprimer!

Toute cette exagération tombe devant la réalité qu'elle défigure avec tant de témérité. Voyez plutôt : le projet consacre la réorganisation de dix athénées royaux. Mais les honorables MM. de Theux, Malou et Dechamps avaient proposé la même chose en 1846. M. Dechamps s'est défendu avec beaucoup de chaleur d'avoir été libéral; je comprends que, compromis vis-à-vis de ses amis, il ait pu prendre cette précaution; mais vis-à-vis de nous c'était bien inutile.

Si l'honorable M. Dechamps s'est surpris une fois en flagrant délit de libéralisme, le délit n'était guère qu'un simple péché véniel. (Interruption.) Mais enfin l'honorable M. Dechamps, avec les honorables MM. de Theux et Malou, n'en a pas moins présenté à la sanction du parlement un projet qui consacrait l'intervention directe de l'Etat par la création de dix athénées royaux, sans droit de surveillance pour les communes qui devaient fournir le local et participer à la dépense.

On vient nous dire qu'on admettait cette intervention comme une large concession, au même titre qu'on l'avait admise dans la loi sur l'instruction primaire. Mais, à cette époque, on se vantait de son libéralisme.

L'honorable M. Dechamps, loin de s'en défendre, tâchait de prendre les allures le plus libérales; il se proclamait plus libéral que l'honorable M. Rogier, que l'honorable M. Delfosse. Il l'a dit. Je tiens le fragment de son discours.

« Reste, disait l'honorable M. Dechamps, dans la séance du 25 avril 1846, reste la loi sur l'enseignement moyen, l'article principal du programme de l'honorable membre.

« Eh bien, d'après les explications qui lui ont été données à cette tribune par l'honorable M. d'Hoffschmidt, je dois croire que la distance qui sépare l'honorable M. Rogier du ministère actuel n'est pas grande, si toutefois cette distance existe, ce dont je doute.

« Que vous a dit avant-hier l'honorable M. d'Hoffschmidt ? Cet honorable membre, qui a assisté, dans le conseil dont j'ai fait partie avec lui, aux discussions sur cette question grave, vous a déclaré qu'après avoir reçu communication du projet du ministère nouveau, il s'était convaincu que les principes qui lui servaient de base rallieraient la majorité dans les chambres. Pourquoi le disait-il? Parce que lui, qui connaissait nos opinions, qui connaissait sur quels points le dissentiment s'était manifesté entre M. Van de Weyer et nous, savait que ce projet était acceptable par nous, puisqu'il était acceptable par lui, attendu que, à quelques nuances près peut-être, nous avions été d'accord sur cette question importante,

« En 1846, nous avons déclaré que nous voulions maintenir le projet de 1834, en lui donnant une extension au profit du pouvoir central.

« Nous sommes donc, au point de vue de l’enseignement moyen, plus libéraux que ne l'était le ministère de 1840, plus libéraux que vous ne l'étiez en 1842; j'ajoute que nous étions aussi libéraux que le ministère Rogier et Delfosse; d'après les explications de M. d'Hoffschmidt, j'ai lieu de croire que le projet de loi sur lequel ce cabinet s'était mis d'accord était acceptable par vous! Et c'est nous qu'on attaque, et c'est nous qu'on accuse d'être réactionnaires, ce sont nos exigences que l'on accuse!»

M. Dechamps. - Je n'ai pas à rétracter un mot de ce discours. Je i n'ai pas dit autre chose hier.

M. d'Elhoungne. - Ainsi l'honorable M. Dechamps se vantait de son libéralisme en 1846. Son parti ne le forçait pas encore à s'en défendre. Vous voyez que c'est de nos honorables adversaires qu'on peut dire qu'ils n'ont rien appris, mais qu'ils ont tout oublié. (Interruption.)

L'honorable M. Dechamps trouve à cela une réponse facile, c'est que les dix athénées, concédés par lui, étaient alors une concession immense, et que cette concession a été de beaucoup dépassée par les exigences du parti libéral, que formule le projet actuel.

Voyons ces exigences :

L'honorable membre cite d'abord que la création de 50 écoles moyennes. Malheureusement lorsqu'on déduit de ce nombre les écoles primaires supérieures qu'il s'agit de modifier, mais qui existent déjà, il ne reste que 12 écoles nouvelles.

Mais, en France, dit l'honorable M. Dechamps on supprime les écoles primaires supérieures. Eh! précisément, c'est ce qu'on fait par le projet; on les réorganise sous le titre d'écoles moyennes.

Mais, dit-il encore, le programme en est élastique, de sorte que ces écoles moyennes peuvent être, ou des collèges, ou des écoles primaires : eh! non, messieurs, car le projet décide qu'ils ne peuvent être ni des collèges ni des écoles primaires.

L'épouvantail se résume donc en 12 écoles moyennes. Mais c'est ici que l'honorable M. Dechamps a vraiment une arithmétique à lui.

Il prend d'abord les dix athénées royaux.

Il ajoute 50 écoles moyennes.

Puis il y ajoute encore :

Les deux universités de l'Etat;

L'école militaire ;

L’école du génie civil ;

L’école des mines;

L’école vétérinaire;

Les écoles d'agriculture;

Les écoles professionnelles ;

Les écoles des arts et métiers.

Voilà par quel procédé l'honorable M. Dechamps a édifié, dans son imagination, ce vaste monstre du monopole, devant lequel celui qui l'inventa se courbe épouvanté.

Eh bien, si l'honorable M. Dechamps était resté au pouvoir, on aurait eu le même monopole, moins 12 écoles moyennes. (Interruption.)

En effet, les deux universités de l'Etat, vous ne vouliez pas les supprimer, j'imagine. Vous entendiez les faire mourir peut-être; mais les tuer, non.

L'école militaire, l'école du génie civil, l'école des mines, vous ne les auriez pas supprimées davantage. L'école vétérinaire, je crois me rappeler qu'elle était même l'objet d'une certaine prédilection sur les bancs de la droite. (Interruption.) Les écoles d'agriculture, l'initiative en est venue de l'honorable M. de Theux, qu'on ne soupçonnera pas de monopole en matière d'enseignement.

Et les écoles professionnelles, elles existaient sous le ministère de l'honorable M. Dechamps, comme elles existent sous le cabinet libéral de 1847.

On assure même que l'honorable M. Dechamps rêvait la création d'une université commerciale. De sorte que ceci aurait balancé avec avantage les douze écoles moyennes du projet...

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - MM. Dechamps et Malou avaient promis la création de cette université.

M. d'Elhoungne. - Vous voyez ce qui reste de ces exagérations: ce n'est pas à la chambre qu'on les adresse. On veut faire impression ailleurs ; car il faut compter sur la naïveté d'un auditoire extra-parlementaire, pour essayer de persuader à quelqu'un en Belgique que, sous l'empire d'une Constitution qui consacre la liberté la plus large d'enseignement et d'immenses garanties pour le clergé, on puisse songer à fonder rien de semblable à ce qui existe dans les pays voisins.

Après avoir grossi à plaisir ce que le projet met aux mains du gouvernement, l'honorable orateur de la droite s'effraye de la création d'un corps professoral. Pour moi, je ne vois dans la création d'un corps professoral que la création de professeurs diplômés. Je dis que, sous le rapport des garanties d'aptitude et de science, je ne puis que me rallier de tout cœur à la disposition du projet de loi.

Mais pour la collation des diplômes, je voudrais que les aspirants-professeurs comparussent devant le jury ordinaire, afin qu'il n'y ait pas de privilège pour certains élèves. Si vous admettez en effet que les professeurs qui ont séjourné dans une école normale de l'Etat seront seuls admis comme professeurs dans les établissements de l'Etat et des communes, vous créez vraiment un privilège.

Vous ne vous contentez pas de demander à l'aspirant professeur s'il a les connaissances voulues ; vous lui demandez un certificat d'origine de ses études. Il n'y a plus alors de liberté d'enseignement. Il est vrai que vous faites précisément ce qu'on a fait pour l'instruction primaire.

Mais je ne puis adhérer pour cela au système. Là on a aussi autorisé la recherche de l'origine des études. On n'a pas admis des professeurs, n'importe d'où ils vinssent; on n'a admis que les professeurs sortant des écoles normales. Pour les écoles primaires on est donc allé trop loin ; on n'a pas respecté le principe de la liberté d'enseignement. Et ce que je reproche au projet de loi actuel, c'est d'admettre les mêmes errements que la loi sur l'enseignement primaire. Par exemple, je ne comprends pas l'objection de la part des adversaires, ou plutôt je la comprends trop : ils admettent les écoles normales privilégiées de l'enseignement primaire, parce qu'ils partagent le privilège.

En instituant des professeurs diplômés, la loi crée un corps professoral; ce sera un des bienfaits de la loi; là est le moyen le plus sûr, le plus efficace de relever le niveau des études.

Par là on ouvre une carrière aux professeurs, qui n'en ont pas une sous un régime où les communes peuvent trafiquer de leurs établissements d'enseignement.

Il n'y a que trop d'exemples de vieux, de respectables professeurs, d'hommes instruits, qui ont vu leur carrière brisée, parce que, par un accord intervenu entre les conseils communaux et l'épiscopat, les établissements auxquels ils étaient attaches étaient abandonnés aux (page 1252) professeurs ecclésiastique. Or, avec ce régime, il n'y a plus de professeurs. Je me trompe, il n'y a plus de professeurs que ceux qui sortent des séminaires, où ils reçoivent l'instruction aux frais de l'Etat.

Je ne relèverai pas, messieurs, la question de la dépense. L'honorable M. Dechamps s'est profondément attendri sur l'état des finances et sur les frais énormes qu'entraînerait un enseignement sérieux aux frais de l'Etat. Je pense qu'en présence d'un intérêt de cet ordre, il ne faut pas marchander. Lorsqu'on a soutenu toutes les dépenses, y compris celles de la diplomatie, de l'exagération de la diplomatie, je pense qu'on a mauvaise grâce de venir marchander à l'enseignement quelques centaines de mille francs. Il ne faut pas, quand on est si prompt à voter des millions pour les baïonnettes, être aussi parcimonieux lorsqu'il s'agit d'élever, d'éclairer les intelligences.

L'objection, au point de vue des communes, a été traitée par l'honorable M. Dechamps avec le même caractère d'exagération que je remarque dans tout son discours. D'après notre système constitutionnel, d'après notre système politique et administratif, l'Etat surveille, assiste, protège les communes; il les rattache à l'intérêt général. Il les défend aussi bien contre les tentatives d'abdication que contre les tentatives d'usurpation ; et l'arbitre naturel dans la plupart des cas, c'est la députation permanente du conseil provincial, pouvoir électif comme le pouvoir communal. Eh bien ! messieurs, le projet ne fait pas autre chose qu'appliquer ce principe si simple et si usuel dans notre organisation politique.

Il est vrai que le projet primitif exigeait l'autorisation royale. Mais si j’ai bien compris l'intention de MM. les ministres, ils sont prêts à accepter une discussion sur ce point, afin de voir dans quelles limites il faudra admettre le contrôle de l'autorisation royale, dans quelles limites on pourra admettre simplement l'autorisation de la députation permanente. Ce n'est pas là un principe de la loi, c'est un simple détail. Or, je ne crois pas que le ministère ait la prétention d'avoir apporté un projet tellement parfait qu’on n'en puisse rien ôter. Il a, au contraire, déclaré que tous les amendements qui, en respectant les principes du projet, ne tendraient qu'à l'améliorer dans ses détails d'exécution, seraient reçus avec bienveillance et examinés dans un désir de conciliation réciproque. Eh bien, en maintenant le droit d'autorisation pour la députation permanente du conseil provincial, vous avez l'application de tous les principes qui sont admis dans notre législation.

C’est ce que l'honorable M. Dechamps appelle interdire aux communes de maintenir, de fonder, de patronner des établissements d'enseignement moyen ; entraver la commune dans le choix du personnel, inaugurer un système de bon plaisir et d'oppression. Qu'il me soit permis de le dire, je ne vois absolument rien qui mérite toutes les critiques qu'a adressées au projet l'honorable M. Dechamps.

L'autorisation de la députation permanente est en quelque sorte, la règle, chaque fois qu'un intérêt considérable de la commune est en jeu. On ne fait que maintenir ce droit de contrôle. Si vous admettez qu'il faut l'autorisation de l'autorité supérieure pour fonder, maintenir ou patronner des établissements moyens, il faut bien admettre aussi que l'autorisation supérieure puisse suivre les effets de cette autorisation, que, l'autorité puisse voir si l’établissement ne dévie pas de sa destination ; si les deniers publics, qui sont versés dans un pareil établissement, reçoivent la destination voulue. C'est ce que l'inspection des établissements communaux permettra au gouvernement d'apprécier; et, en cas d'abus, l'article 32 permet de retirer le patronage des établissements privés; mais quels abus? La désobéissance à la loi, voilà ce que porte l'article 32 du projet.

C'est, il faut bien le dire; messieurs, dans les points que nos adversaires attaquent le moins, que gisent peut-être les dispositions du projet de loi qui les blessent le plus. Ce que nos adversaires ne veulent pas, c'est la défense que le projet de loi porte aux communes d'abdiquer les pouvoirs qu'elles doivent exercer sur les établissements d'enseignement moyen.

On a bien l'air de vouloir aussi, comme nous, s'opposer à cette abdication ; mais en réalité, on veut que cette abdication soit maintenue, reste possible. J'en trouve la preuve dans le projet de 1846. Dans ce projet il y a l'article 10, si je ne me trompe, qui porte que les communes ne pourront pas déléguer à l'autorité religieuse ou à des tiers le droit de nommer les professeurs et de les révoquer. Mais il y a l'article 11, qui permet aux communes de patronner des établissements privés, sans y mettre aucune espèce de limites; c'est-à-dire que le projet consacre l'abdication, moins la franchise, plus l'hypocrisie. On veut bien que la commune ferme son établissement, qu'elle y installe le clergé, qu'elle le subsidie, cela est parfaitement permis ; c'est un établissement adopte. Mais si la commune, plus franche, garde son établissement, y installe le clergé et le laisse y faire ce qu'il veut, cela n'est plus permis. Or, je défie mes contradicteurs de trouver une différence sérieuse entre ces deux formes.

Ainsi, pour satisfaire les libéraux, on proscrivait la forme franche et vraie; mais on consacrait la forme détournée, hypocrite.

Après cela, on dit que nous ne voulons pas de la liberté des communes; que la liberté des communes est mise en danger par le projet de loi. Eh bien, savez-vous quelle est la liberté communale que veulent nos adversaires? Ils veulent la liberté communale, comme elle est formulée dans la convention faite entre Mgr l'évêque de Bruges et l'administration communale d'Ostende.

Savez-vous comment dans cette convention, qui est un type, on respecte la liberté communale? On la respecte en disant ; « Qu'il y aura interdiction pour la commune de s'immiscer en rien dans le Collège auquel elle donne un local et un subside !»

Voilà comment on veut respecter les communes; voilà le culte que l'on professe pour les libertés de la commune! Et c'est nous qu'on accuse de vouloir porter atteinte aux franchises communales!

L'honorable M. Dechamps, dans les aménités qu'il prodigue au projet, appelle la loi un immense pouvoir de destruction. Il dit : Vous voulez élever l'enseignement de l'Etat sur les ruines de l'enseignement libre. Vous voulez donner à la loi un caractère rétroactif. Messieurs, il faut dire les choses comme elles sont; nous voulons que les communes n'abdiquent pas, et nous serions inconséquents avec tous nos principes, si nous permettions de faire indirectement ce que directement nous devons condamner. Or, du moment que, selon nous, la commune n'a pas pu abdiquer, son abdication ne peut pas être maintenue, quand même elle trouverait son point d'appui dans une convention antérieure au projet actuel. J'insiste sur ce point; car, selon moi, c'est un côté délicat de la discussion.

Pour prouver qu'il n'y a pas là d'effet rétroactif, que ces conventions doivent cesser le jour où la loi sera votée, il n'y a qu'à consulter la nature de ces conventions. La nature de ces conventions est telle, qu'elles doivent cesser leurs effets dès qu'une des parties contractantes se refuse à l'exécution. Il n'y a pas là lieu à des dommages-intérêts, comme le supposait l'honorable M. Van Hoorebeke.

La loi suffit pour annuler à l'instant, comme pour l'avenir, une convention qui, par sa nature, dort admettre la renonciation de l'une comme de l'autre partie.

Et en voulez-vous la preuve? Je la prends dans la position que ces conventions font au clergé. Soutiendrez-vous que si le clergé n'enseignait plus, on pourrait l'y contraindre? Croyez-vous que si l'évêque de Bruges ne voulait plus enseigner à Ostende, on pourrait le contraindre, le faire condamner à des dommages-intérêts? Evidemment on ne le pourrait pas, parce que les choses religieuses sont hors du commerce, parce qu'on ne fait point un trafic de ces choses-là, et le jour où l'évêque ne croirait plus devoir donner l'enseignement dans les collèges à conventions, comme l'honorable M. Dechamps les a appelés, ce jour-là la convention tomberait, il n'y aurait pas d'action contre le clergé. En aurait-on contre la concurrence? Dirait-on qu'il y a aliénation perpétuelle des subsides alloués par la commune? Que les bâtiments ne sont plus la propriété de la commune et qu'ils ont été affectés à perpétuité au service de l'enseignement du clergé ? Evidemment non. Il faut donc que vous interprétiez ces conventions comme l'évêque de Tournay a interprété celle qu'il avait faite avec la ville de ce nom; il faut dire que du moment où l'une des parties ne veut plus s'exécuter, la convention tombe, parce que l'objet dont il s'agit dans cette convention n'est pas dans le domaine des stipulations ordinaires.

M. de Mérode. - C'est la liberté complète!

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'a pas la liberté de se vendre.

M. d'Elhoungne. - Messieurs, je comprends que si je produisais ces considérations sous mon autorité, l'honorable comte de Mérode aurait le droit de se révolter; mais s'il veut bien lire le rapport sur l'instruction moyenne, déposé par l'honorable ministre de l'intérieur, page 273, il verra que l'opinion que j'exprime est celle de l'honorable M. Dechamps, de l'honorable M. Malou, de l'honorable M. d'Anethan. Je suppose, en effet, que ces honorables membres étaient la partie dissidente du cabinet Van de Weyer. Or, voici ce que disait cette partie dissidente :

« En ce qui concerne le deuxième point, la majorité du conseil se préoccupait peu, en présence d'une loi nouvelle à formuler, de la question si les conseils communaux avaient pu légalement, comme plusieurs l'avaient fait sous diverses administrations, s'assurer du concours de l'autorité religieuse au moyen d'arrangements particuliers, variables selon les localités et selon les époques, et en tout cas faciles à résilier, si les besoins dont ces arrangements étaient l'expression venaient à changer. La question de légalité, concernant le passé et l'interprétation de la loi communale, devenait oiseuse lorsqu'il s'agissait d'une loi à faire, en ne consultant que les intérêts du pays et les vœux des populations. »

Ainsi vous voyez, messieurs, que, d'après l'opinion de ces honorables ministres, rien n'était plus facile que de résilier ces conventions. (Interruption.)

Aucun des honorables membres de la droite n'a répondu au discours de l'honorable M. Van Hoorebeke, qui a soumis à la chambre un amendement sur ce point. Je suis très heureux de voir qu'ils interprètent comme moi les conventions intervenues entre les communes et le clergé, car je pensais que ce pouvait devenir peut-être une difficulté. L'honorable M. Dechamps a, en effet, soulevé la question de rétroactivité ; je dois faire observer que si les honorables membres de la droite partagent mon opinion, je ne comprends plus les reproches de l'honorable M. Dechamps, je ne comprends plus l'immense pouvoir de destruction que la loi accorde au gouvernement.

M. Dechamps. - Ce n'est pas le gouvernement qui peut résilier.

M. d'Elhoungne. - Ceci n'est pas, M. Dechamps, une objection de législateur, c'est une distinction plus subtile : car si la loi ne permet plus aux communes de consentir, c'est absolument comme si la commune refusait.

Pour moi, messieurs, qui ne veux apporter dans la discussion que des pensées de conciliation, car si j'ai été entraîné à quelque vivacité, c'est en présence du manifeste de M. Dechamps, je dois dire que la question (page 1253) des conventions doit être une question de temps; il faudra accorder un délai, et je suis persuadé que, dans un délai très court, on pourra aisément ramener ces conventions aux termes de la légalité.

Reste, messieurs, la question du clergé, que l'honorable M. Dechamps a traitée dans cette séance et sur laquelle je ne m'étendrai pas très longuement. L'honorable membre a dit ce que voulaient ceux qui partagent son opinion; ils veulent : 1° que l'enseignement religieux soit obligatoire; 2° qu'il soit donné par les ministres du culte, que les ministres du culte aient la surveillance dans les établissements de l'Etat; et 3° qu'en cas de refus on rentre dans le droit commun, c'est-à-dire l'enseignement religieux à l'église. Je crois que c'est bien là ce que l'honorable membre a dit.

Eh bien, messieurs, nous avons ici d'un seul mot tout le différend qui sépare nos honorables adversaires du projet du gouvernement : ils veulent qu'en cas de refus du clergé, de donner l'enseignement dans les établissements, on aille à l'église au lieu de faire donner l'enseignement par des laïques. Voilà toute la différence qui sépare nos honorables adversaires de nous. C'est à raison de cette différence qu'on a évoqué la révolution de 1789, qu'on vous a dépeint la société partagée entre deux principes, celui des gouvernements et celui des révolutions; qu'on nous a fait assister à une crise qu'on proclame sans pareille dans l'histoire; qu'on nous a montré l'ordre social se précipitant vers l'abîme de la démocratie; qu'on a prédit les catastrophes les plus redoutables; que l'on a évoqué, en un mot, tous les fantômes que les bouleversements de l'Europe ont pu faire éclore dans l'imagination de l'honorable M. Dechamps. Voilà le point, le seul point sur lequel pivote le colosse d'épouvante qu'on a élégamment dressé devant vous.

Ah! si on ne voulait point discuter en dehors du projet de loi, si on voulait sérieusement la conciliation dont on parle pour mémoire, c'était sur ce point-là qu'il fallait, non pas accuser M. le ministre des finances d'avoir jeté une nouvelle animation dans le débat, mais qu'il fallait rendre justice aux paroles sérieusement conciliantes de son discours. M. le ministre des finances, sur l'intervention du clergé, s'est exprimé avec une franchise qui défie tous les commentaires.

Il a dit qu'il appelait avec sympathie et respect les ministres du culte dans les établissements de l'Etat ; que les ministres du culte y donneraient l'enseignement aux applaudissements du gouvernement lui-même; que le clergé, d'accord avec le gouvernement, pourrait organiser l’inspection de l'enseignement religieux qui lui serait exclusivement confié dans les établissements. Tout cela, il l'a dit avec un caractère de loyauté qu'il est impossible de méconnaître. Et c'est précisément pour répondre à ces déclarations si franches qu'on est venu ressasser tout ce que l'on a jamais pu imaginer de reproches contre cette opinion libérale, que l'honorable ministre des finances et ses collègues représentent au pouvoir;

Mais expliquez-vous donc. Faites donc un amendement portant qu'en cas de refus, l'enseignement religieux sera donné dans l'église ! Mais vous ne le voulez pas, car vous ne voulez pas, dites-vous, prévoir le refus du clergé.

Comment voulez-vous donc qu'on mette dans la loi ce qu'on fera, en cas de refus du clergé, si on ne veut pas même prévoir ce refus par la loi? On ne pouvait faire que ce qu'on a fait, c'est-à-dire inviter loyalement, solennellement le clergé à venir donner l'enseignement religieux dans les établissements de l'Etat. Le reste doit être abandonné à l'exécution.

Et qui pourrait méconnaître qu'il s'agit ici de matières délicates, de matières dans lesquelles il est impossible que la loi intervienne d'une manière impérative, sans porter atteinte à l'indépendance du clergé ou à celle de l'Etat? C'est précisément l'admirable position d'indépendance que notre Constitution fait au clergé, qui forme ici l'obstacle, et c'est tous qui voulez retourner contre nous le respect que nous avons pour cette position... (Interruption.)

Vous invoquez l'opinion de M. Cousin. Vous dites que M. Cousin veut que l'atmosphère de l'école soit religieuse; que le clergé soit représenté d'autorité dans l'enseignement.

Oui, M. Cousin tient et peut tenir ce langage en France, où le clergé doit obéir au gouvernement, où le clergé est entouré d'entraves, où il n'a pas l'indépendance dont le clergé jouit en Belgique. Il faut vraiment être bien décidé à s'adresser exclusivement à des populations ignorantes, pour oser établir, entre la position du clergé français et celle du clergé belge, ce parallèle que vous osez nous opposer.

Non, il n'y a rien de commun entre ces deux situations. Chez nous, le clergé est indépendant; tous ses droits sont consacrés par la Constitution qui ne lui impose expressément aucune obligation. Il est libre; il peut exercer sur les âmes tout son empire, sans que jamais la loi ni le pouvoir civil puissent l'arrêter.

En France, l'exercice du ministère sacré est entouré d'entraves de toute sorte, le clergé n'y est pas seulement l'esclave de lois oppressives, il l'est encore du gouvernement.

En France, la liberté de l'enseignement n'existe pas plus que l'indépendance du clergé. La liberté qu'on fait au clergé français, par les lois que vous exaltez, en vertu des autorités que vous citez, en vertu des remords de M. Thiers, des regrets de M. Guizot, des doctrines anciennes ou nouvelles du comte, Beugnot et du duc de Broglie ; cette liberté, vous l'appelleriez ici une effroyable servitude, et alors vous seriez dans le vrai.

Non, messieurs, la loi qu'on veut faire n'est pas faite pour les libéraux, elle n'est pas faite contre les catholiques; elle est faite pour la liberté vraie et sérieuse ; car, permettez-moi de vous le dire, M. Dechamps, à côté de ces deux forces que vous avez dressées sur les ruines de la société, à côté de l'armée et du clergé, il est une autre force dans laquelle moi j'ai confiance, c'est la liberté ! La liberté que nos institutions consacrent et qui a servi à nous sauver, et qui nous sauvera autant que le clergé, autant que les baïonnettes !

Si vous ne visiez à tout autre chose qu'à une solution loyale et pacifique de la question de l'enseignement moyen ; si vous ne visiez à ressaisir peut-être ce pouvoir qu'il vous peine tant aujourd'hui d'avoir dû abandonner, mais que vous vous réjouissiez d'avoir quitté le 23 février, oh ! alors vous reconnaîtriez que la solution de la question si difficile de l'enseignement supérieur a été une solution loyale, une solution qui respecte la liberté, qui ne sacrifie aucun des droits de la liberté; alors vous reconnaîtriez que la loi actuelle, commentée par nos explications, par les déclarations unanimes qui sont parties de nos bancs, vient résoudre aujourd'hui d'une manière impartiale le grand et difficile problème de l'enseignement moyen ; alors aussi vous comprendriez que le problème plus difficile de l'enseignement primaire, de cet enseignement où la loi impérieuse de la nécessité sociale assigne nécessairement une si large part d'intervention à l'influence religieuse ; alors aussi vous comprendriez que cette question aurait reçu d'avance une loyale solution par la solution même que nous aurons donnée à la question de l'enseignement moyen ; alors vous comprendriez avec nous que, quoi qu'il arrive, quels que soient désormais les dissentiments sur les questions politiques qui peuvent surgir encore entre nous; vous comprendriez, dis-je, que l'enseignement, ce grand intérêt de l'avenir, est sauf : vous comprendriez que la moralité de notre patrie, qui repose sur le développement de l'instruction, sur le bon sens national, sur le sentiment religieux, j'ai hâte de le proclamer aussi; que cette moralité n'a rien à craindre des libéraux au pouvoir : or, là est la force de notre nationalité qui, avec nous comme avec vous, ne doit pas périr.

M. de Theux. - M. le ministre des finances a dirigé contre notre opinion, dans la séance de samedi, des attaques aussi peu parlementaires que mal fondées. En lisant ce discours dans le Moniteur, nous avons éprouvé un vif regret, celui de n'avoir pu assister à la séance, parce que nous avions une cause légitime et obligée d'absence, et que, d'ailleurs, nous étions précédés de plusieurs orateurs sur la liste d'inscription.

Comment! messieurs, nos amis politiques auraient été saisis, à la suite des événements de février, d'une terreur puérile, coupables de lâches flatteries envers le cabinet ! Nous le déclarons solennellement dans cette chambre et devant le pays : pour nous, nous n'avons éprouvé aucun de ces deux sentiments, et nous ne l'avons pas entendu exprimer non plus par aucun de nos honorables amis.

Nous dirons à M. le ministre des finances : Ou vous vous êtes laissé aller à la vanité, ou vous avez voulu déplacer le terrain de la discussion.

Messieurs, nous ne suivrons pas l'honorable membre sur le terrain de la politique générale. Une autre occasion se présentera peut-être, et alors nous pourrons affirmer que si le ministère a maintenu chez nous l'ordre qui, d'ailleurs, je dois le dire à l'honneur du pays, n'a pas été sérieusement compromis; nous pourrons affirmer que le cabinet a su tourner à l'avantage de son opinion les graves événements qui ont agité la France, que ces événements ont été exploités contre notre opinion.

Et c'est après de pareils faits qu'on viendrait nous accuser d'ingratitude! Messieurs, la question de l'enseignement est une question trop grave pour que nous nous en écartions pour suivre le cabinet sur un autre terrain. Nos débats ont été solennels, vifs, passionnés même; faut-il s'en étonner, quand les plus graves intérêts moraux du pays sont en cause? Ce n'est pas seulement l'enseignement moyen, mais aussi l'enseignement primaire qui est au fond de nos débats.

Arrivés à peu près au terme de la discussion générale, nous croyons devoir circonscrire le débat.

Nous nous bornerons donc à ces trois points : signaler les griefs capitaux contre le projet de loi ; les différences essentielles entre ce projet et le système que nous avions proposé en 1846, préciser les modifications les plus essentielles que le projet doit subir pour qu'il puisse être accepté par la législature. Mais avant d'aborder la discussion détaillée de ces trois points fondamentaux, nous vous demanderons la permission d'exposer quelques considérations préliminaires.

Le pays s'est ému en 1849, lorsque le gouvernement a saisi la chambre d'un projet de loi qui lui permettait de constituer le jury pour la délivrance des grades académiques complètement suivant son bon plaisir : formation du jury, nomination du personnel, tout lui était abandonné à perpétuité ; et ce pouvoir devait s'étendre également à l'enseignement moyen, puisqu'avec le jury pour les grades d'élève universitaire on pouvait fermer l'accès des études supérieures aux élèves sortant des collèges libres.

La chambre a compris l'énormité de cette proposition ; elle a comprise combien elle était en désaccord avec la Constitution qui garantit la liberté d'enseignement. Aussi y a-t-elle apporté de profondes modifications. Le projet n'a eu qu'une courte durée, une durée de trois ans et ensuite des garanties sérieuses, mais non pas complétement, ont été introduites dans i la loi.

Le cabinet a consenti aux modifications proposées par la section centrale, je le reconnais; mais il n'en est pas moins vrai que le projet a été présenté dans les termes que je viens de rappeler.

Le cabinet a été impartial dans l'exécution, je l'admets, c'est un fait (page 1254) honorable pour lui, je l'en félicite, mais un fait ne justifie pas une loi.

Comment pourrait-on dire sérieusement que la liberté d'enseignement supérieur existe en Belgique, si la loi avait abandonné au cabinet, à perpétuité, la faculté de composer une commission ministérielle pour conférer les grades académiques? Voudriez-vous une pareille commission pour garantie de toute autre liberté constitutionnelle? Assurément, non; vous en voudriez encore moins dans une question où le gouvernement serait à la fois juge et partie, comme il l'est dans l'instruction supérieure, dirigeant les universités de l'Etat.

Qu'il me soit permis de dire en passant que si cette loi a été loyalement exécutée, son exécution a révélé plusieurs vices importants, à ce point que les professeurs qui ont été chargés de l'exécution de la loi ne lui sont nullement favorables.

L'émotion s'est considérablement accrue par la présence du projet de loi sur l'enseignement moyen. En effet, ce projet ne donne-t-il pas lieu aux griefs les plus légitimes et les plus graves? Ce projet n'est pas en harmonie avec l'article 17 de la Constitution. Premièrement parce qu'il n'offre pas pour l'éducation dans les établissements dirigés par l'Etat les garanties que la loi doit renfermer; deuxièmement parce qu'il établit une concurrence extrême à la liberté d'enseignement, c'est-à-dire, comme l'a reconnu M. le ministre de l'intérieur, à l'influence religieuse dans l'éducation ; troisièmement, parce qu'il compromet dans le présent et empêche en quelque sorte dans l'avenir l'existence de conventions librement stipulées par les communes, dans l'intérêt des pères de famille, de l'éducation et de la prospérité des études littéraires et scientifiques ; quatrièmement parce qu'il crée un privilège pour les pédagogies établies aux frais de l'Etat.

Nous disions, en commençant, que la discussion présente portait aussi sur la loi relative à l'instruction primaire. En effet, l'exposé des motifs en fait foi, les principes que vous adopteriez ici deviendront communs à cet enseignement. Ainsi aux garanties religieuses soigneusement stipulées dans la loi de 1842, si bien admises dans la pratique par l'exécution de plusieurs années, on substituera quoi? Une simple invitation, c'est-à-dire l'arbitraire ministériel! Et, messieurs, on s'étonne de l'émotion produite par ce projet de loi, par l'annonce du système qu'on veut appliquer à l'enseignement primaire! Non, messieurs, on ne s'en étonne pas, on nie l'émotion. Les pétitions sont surprises à la simplicité des signataires, les campagnes surtout nous les ont adressées.

Il est un moyen constitutionnel de s'assurer si cette assertion a quelque fondement. La Constitution permet de faire un appel au pays. Eh bien qu'on le fasse large et complet! Et nous verrons si ces pétitionnaires persisteront dans leur aveuglement, s'ils ne reviendront pas de leur faiblesse, à la suite des admonitions que vous leur avez adressées, à la suite de vos discours, à la suite de la pression que paraissent encore exercer certaines associations.

Il ne suffisait pas de taxer de faiblesse et d'ignorance les signataires des pétitions; il fallait encore adresser le reproche de calomnie aux rédacteurs. Il fallait encore mettre en cause le clergé.

En entendant ces discours, nous avons cru entendre de nouveau ce qui se passait sous le royaume des Pays-Bas, aux états généraux, lorsque des pétitions étaient adressées dans des circonstances analogues. Alors, aussi, les pétitionnaires étaient des misérables, des infâmes. Et ceux qui se constituaient les défenseurs des intérêts moraux, c'étaient des Jésuites. (Interruption.)

C'était ce que disaient les députés qui soutenaient la politique ministérielle. Vous ne pouvez le nier.

Ne nous trompons pas sur la portée du pétitionnement. Ce ne sont pas les campagnes seulement, mais ce sont aussi les villes qui ont pétitionné. Ce ne sont pas des gens dépourvus d'intelligence; ce sont des hommes ayant une certaine notabilité; et si mes informations sont exactes, dans beaucoup de localités, ce sont des électeurs.

Ceux à qui vous avez donné le droit de vous envoyer au parlement, n'ont-ils plus le droit de vous adresser des réclamations?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Qui leur conteste ce droit?

M. de Theux. - On le conteste, lorsqu'on dit que ceux qui vous ont adressé des réclamations sont ou des ignorants qui ne savent ce qu'ils font, ou des hommes faibles qui cèdent à des suggestions.

Messieurs, lorsque nous discutions la loi sur les céréales, les pétitionnaires étaient aussi taxés d'ignorance. Mais, croyez-le, cette qualification ne les a pas convaincus. Ils sont persuadés qu'ils comprenaient mieux les intérêts agricoles que vous ne les avez compris vous-mêmes ; et les signataires des pétitions restent convaincus, quelque qualification qu'on leur adresse, qu'ils comprennent mieux les intérêts moraux du pays que vous ne les avez compris.

Nous avons quelque droit à prendre, dans cette enceinte, la défense des pétitionnaires, quoique l'énergie de leur langage ait pu blesser des susceptibilités. Pourquoi? Parce que à l'époque de l'organisation du congrès libéral, nous sommes restés calmes; nous n'avons pas flétri ceux qui, à cette époque, ont cru devoir agiter ou émouvoir le pays.

Le clergé aurait dû calmer les pétitionnaires : il aurait dû les tranquilliser sur les conséquences probables du système qu'on veut introduire. Beau rôle qu'on assigne au clergé!

Commencez par lui donner la conviction que votre loi ne porte pas atteinte à l'intérêt de la religion, à l'intérêt de la morale; et alors il s'empressera sans doute de s'unir à vous pour calmer des craintes si légitimes.

Dire la vérité est un devoir pour tous les bons citoyens, garder le silence, dans un pays de liberté, alors qu'il s'agit d'intérêts aussi graves, ce serait une lâcheté, une trahison des plus grands intérêts sociaux.

Le Belge est vigilant sur ses intérêts moraux. Eh! messieurs, c'est là son honneur; c'est cette vigilance, ce sentiment élevé qui a conservé sa nationalité ou tout au moins son esprit national, malgré la domination étrangère. Ce peuple s'est toujours retrouvé le même, quels que soient les gouvernements sous le joug desquels il a passé. Plaise à Dieu que ces sentiments restent les mêmes ! Ils seront la plus sûre garantie de la nationalité et de l'indépendance du pays.

J'arrive directement à la discussion des propositions que j'ai eu l'honneur d'énoncer.

J'ai dit que le projet était en désaccord avec l'esprit de notre Constitution. Il importe donc, avant tout, de rechercher quelle est la véritable portée de l'article 17 concernant l'enseignement.

Il est un critérium certain pour connaître quel est le sens d'une disposition constitutionnelle, si cette disposition peut présenter quelque doute dans la rédaction. C'est la connaissance des griefs qui ont précédé notre Constitution. La Constitution n'est, en ce qui concerne les droits, les garanties, que la constatation des griefs nés sous le gouvernement des Pays-Bas. Consultons donc les faits historiques de cette époque. On trouvera d'ailleurs quelque analogie (loin de moi de dire une identité complète) entre les événements qui se sont passés alors et ce qui se passe aujourd'hui.

Le gouvernement des Pays-Bas commença par usurper complètement l'enseignement communal. A lui seul la direction de l'instruction ; aux communes seules la dépense. En effet, le gouvernement n'intervenait que pour de légers subsides et dans des cas très rares.

C'était le premier pas vers la centralisation.

D'autre part, de 1815 à 1825, le gouvernement laissa aux particuliers la liberté d'enseignement la plus complète, sauf, je dois le dire, en ce qui concerne les corporations religieuses, dont la loi fondamentale n'admettait pas la liberté.

Sous l'empire de cette centralisation, les pères de famille s'aperçurent bientôt qu'un grand nombre de collèges communaux, dirigés par le gouvernement, n'offraient pas à leurs enfants la garantie d'une bonne éducation. Sous l'influence de cette opinion, il naquit un grand nombre d'établissements libres. Les considérants de l'arrêté de 1825 en font foi.

En 1825, le gouvernement des Pays-Bas, frappé de l'érection d'un si grand nombre de collèges particuliers ou libres, voyant s'échapper ou se perdre plutôt les fruits de la centralisation de l'enseignement communal, avisa à un moyen. Il se mit à l'étude de la loi fondamentale, et il découvrit que le soin de l'éducation publique étant confié à la vigilance du gouvernement, il en résultait pour lui le droit de supprimer les établissements privés ; et il décréta qu'aucun établissement libre ne serait maintenu ou ne pourrait être établi qu'avec l'autorisation du ministre de l'instruction publique.

Dès lors, messieurs, c'en fut fait de la liberté. Plusieurs établissements libres furent fermés.

Une discussion s'engagea aux états généraux. Quatre ou cinq membres seulement, parmi lesquels figuraient les honorables MM. de Gerlache et de Sécus, défenseurs constants des intérêts moraux de la Belgique, réclamèrent. Plusieurs députés louèrent le gouvernement de l'énergie de ses mesures. Les autres se turent.

Tel était l'état de la question de l'enseignement en 1825.

Mais le gouvernement, en train de ravir les libertés, ne s'arrêta pas en si beau chemin. D'autres griefs surgirent; l'opinion libérale aussi s'émut et, dès 1828, bien que le gouvernement eût conclu le concordat de 1827 pour faire droit aux griefs principaux des catholiques relativement à la nomination des évêques et aux séminaires, le gouvernement des Pays-Bas, frappé du mouvement général des pétitions, commença par s'indigner. Sa colère le servit mal. L'opposition grandit à tel point au sein des états généraux, que dès 1829, ce gouvernement, si hautain, si superbe, revenant sur ses pas, présentait une loi d'après laquelle il restituait en grande partie la liberté de l'enseignement aux particuliers, se réservant seulement le monopole de l'enseignement donné aux frais des communes sous sa direction.

Les états généraux, qui s'étaient montrés si froids en 1825, ne furent pas contents du projet de 1829; ils le trouvèrent insuffisant; tels étaient les progrès de l'opinion publique; et le gouvernement, obligé de retirer son projet insuffisant, promit d'en présenter un nouveau. En attendant, il décréta, par arrêté du mois de juin 1830, que, pour les particuliers, il y aurait liberté d'enseignement, moyennant quelques mesures de précaution qui n'étaient pas d'une très haute importance.

Il décrétait, par ce même arrêté, que tous les habitants du royaume des Pays-Bas seraient admissibles aux emplois de quelque manière et en quelque lieu qu'ils eussent fait leurs études.

De ces faits il résulte que sous le royaume des Pays-Bas, il y avait, relativement à l'enseignement, trois griefs. Le premier, c'était l'attentat à la liberté par l'arrêté de 1825, attentat, à la vérité, réparé en partie, mais dont le retour était encore possible. Le second était l'absorption de tous les intérêts communaux au profit de la centralisation. Le troisième, c'était le manque d'éducation dans les établissements publics.

Le Congrès, messieurs, à ces trois opposa trois remèdes. la décréta la liberté illimitée d'enseignement. Il rétablit les communes dans leurs droits; il leur attribua la gestion des intérêts communaux ; il ne (page 1255) permit plus au gouvernement de leur imposer d'une manière arbitraire, des dépenses; et enfin il arrêta les abus possibles de l'enseignement de l'Etat, en décrétant que cet enseignement ne pourrait avoir lieu qu'en conformité d'une loi.

Messieurs, il me serait impossible de terminer aujourd'hui. Je demanderai donc la permission de remettre à demain la suite de mon discours. Si demain la chambre veut ouvrir sa séance plus tôt, je suis à ses ordres.

M. le président. - La discussion dure depuis quinze jours ; il est nécessaire de la faire avancer. On pourrait avoir séance demain à midi.

M. Rodenbach. - Les sections ont aussi à travailler. Lorsqu'on fixe la séance publique à midi, on n'est presque jamais en nombre avant une heure.

M. Rousselle. - Toutes les sections sont convoquées pour demain à 11 heures. Il faut leur laisser le temps de travailler.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) ; - Il n'y a pas de motifs pour suspendre la séance au milieu d'un discours. Il n'est que 4 heures et demie. Nous pouvons encore avoir une heure de séance. Presque à chaque séance un orateur s'interrompt au milieu d'un discours.

M. de Theux. - Je ne sais, messieurs, si ces observations s'adressent à moi, mais elles seraient très déplacées, de la part de M. Rogier, alors que son ami M. Lebeau, à la suite d'une très courte séance, a fait suspendre la délibération, je pense, à 4 heures un quart.

Pour moi, je déclare que j'ai suivi avec beaucoup d'attention le discours de l'honorable M. Dechamps et celui de l'honorable M. d'Elhoungne, et vous comprendrez qu'après une attention soutenue pendant toute une séance, il est très difficile de traiter complètement une question aussi compliquée que celle-là. Dans tous les cas, la chambre eût-elle encore continué la séance pendant un quart d'heure, il m'eût été impossible de finir. Je demande que la séance soit remise à demain à midi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je déclare que mon observation n'a rien de personnel à l'honorable M. de Theux ; elle tend uniquement à ceci que nous devons arriver à la fin de cette discussion.

Projet de loi autorisant l'aliénation et l'échange de biens domaniaux

Dépôt

Projet de loi relatif aux obligations provinciales liées à l'exécution du canal de Maestricht à Bois-le-Duc

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban) présente deux projets de loi ayant pour objet d'autoriser le gouvernement : 1° à aliéner certains biens domaniaux et à faire un échange; 2° à renoncer à toute prétention à la charge des provinces de Liège et de Limbourg du chef de leurs obligations relatives à la construction du canal de Maestricht à Bois-le-Duc.

-La séance est levée à 4 heures et demie.