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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 29 avril 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1849-1850)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1306.) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

Pièces adressées à la chambre

M. Dubus donne lecture du procès-verbal de la dernière séance; la rédaction en est adoptée.

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Le sieur Frédéric-Moïse Chombaz, peintre en bâtiments, à Namur, né à Breda (Pays-Bas), demande la naturalisation ordinaire avec exemption des droits d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« La députation permanente du conseil provincial de Hainaut demande une loi qui restitue à la province les intérêts de l'encaise provincial de 1830. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Andries, cultivateur et négociant, prie la chambre d'adopter le projet de loi qui abolit les droits de navigation perçus sur les transports d'engrais et de supprimer les droits d'entrée sur les engrais. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet.


« Plusieurs gardes civiques de Bruxelles réclament l'intervention de la chambre pour faire modifier le règlement du 28 mars dernier, qui a été arrêté par le général commandant la garde civique de cette ville. »

— Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs habitants de Gierle prient la chambre de rejeter le projet de loi sur l'enseignement moyen.

« Même demande de plusieurs habitants de Schilde, Forges et Bouclers. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi.


« Plusieurs habitants de Nil-Saint-Vincent-Saint-Martin, Corbais et Blammont prient la chambre d'accepter le projet de loi sur l'enseignement moyen amendé par la section centrale et avec les modifications qui tendent à faire intervenir l'action communale dans la nomination des professeurs, et demandent la suppression de l'article 8 du projet si cette disposition était combattue sous menace de refus de la part du clergé. »

- Même décision.


M. Boulez demande un congé de quelques jours.

- Accordé.


M. de Brouckere s'excuse de ne pouvoir assister à la séance.

- Pris pour information.


M. Moreau demande un congé.

- Accordé.

Projet de loi sur l’enseignement moyen

Rapport de la section centrale

M. Dequesne, rapporteur (M. Dequesne étant indisposé c'est M. Deliége qui donne lecture de ce rapport.1) : Messieurs, la section centrale, dans la séance de ce jour, a examiné les amendement présentés sur les articles 8, 9,10 et 11.

L'article 8 a donné naissance à deux amendements, développés en séance publique par leurs auteurs : MM. le Bailly de Tilleghem et Jullien.

Ces honorables membres ont été entendus de nouveau dans le sein de la section centrale.

Des explications fournies par M. le Bailly de Tilleghem, il résulte que, selon lui et aux termes de son amendement, l'enseignement religieux dans l'école est une des conditions nécessaires, indispensables de toute instruction moyenne donnée aux frais de l'Etat, et que cet enseignement doit être donné obligatoirement et exclusivement par les ministres des cultes. Il ne veut pas prévoir, a-t-il dit, le cas de non-recours, parce qu'il compte sur l'empressement du clergé à remplir la mission à laquelle on le convie, et qu'il ne doute pas de la réalisation des arrangements à prendre à cet égard.

L'amendement de l'honorable membre, en imposant à l'Etat des obligations strictes qu'il doit remplir, sans lui assurer en même temps les moyens d'y satisfaire, n'a pu être accueilli par la section centrale qui en propose le rejet, à l'unanimité.

La proposition de M. Jullien est conçue en ces termes :

« L'enseignement religieux fait partie du programme des études dans les établissements soumis au régime de la présente loi.

« Les ministres des cultes seront invités à donner ou à surveiller cet enseignement, lequel néanmoins ne sera obligatoire que pour autant que leur concours soit accordé. »

Cet honorable membre, tout en s'en référant à ce qu'il a dit en séance publique, a insisté de nouveau sur le double motif qui l'a guidé dans la présentation et la rédaction de son amendement. Il est d'avis, en premier lieu, que l'article 8 du projet, tel qu'il est rédigé, n'exprime pas d'une manière assez explicite, pour le cas où les ministres des cultes accéderaient à l'invitation qui leur en sera adressée, l'obligation pour le gouvernement de faire donner l'enseignement religieux. Il pense ensuite que, sous les restrictions posées par lui dans son amendement, cet enseignement doit figurer au programme des établissements de l'Etat, et s'il n'a pas inséré ce programme dans les articles 22, 23 et 26 qui règlent les matières de l'enseignement, c'est qu'il veut le soustraire aux modifications dont les autres cours sont susceptibles aux termes des articles 24 et 27.

La section centrale n'a pu partager l'avis de l'honorable membre. Elle pense que le projet de loi, dans son économie et son ensemble, va plus loin que ne croit l'auteur de l'amendement. En combinant les divers articles qui ont trait aux matières enseignées, l'on peut traduire à peu près en ces termes les dispositions du projet qui y sont relatives : « L'instruction moyenne comprend, d'une part, l'enseignement religieux, réglé par l'article 8, et d'autre part, l'enseignement littéraire et scientifique soumis aux dispositions des articles 22, 23, 24, 26 et 27 ».

La loi a cru devoir soumettre ces deux genres d'enseignement à un régime différent. A diverses reprises, on en a donné les motifs, mais elle n'en consacre pas moins l'existence de l'un et de l'autre dans des termes aussi impératifs que ceux adoptés par l'amendement de M. Jullien. L'article 8 impose au gouvernement l'obligation d'inviter le clergé à donner ou surveiller l'enseignement religieux dans les écoles de l'Etat. Si donc le clergé veut user de son droit, cet enseignement devient obligatoire et entre dans le programme de l'établissement. Si le clergé s'abstient, au contraire, reste au gouvernement le soin d'aviser et de suppléer à son absence, par toutes les mesures qu'il jugera convenables. Un des désavantages de l'amendement de M. Jullien sur la rédaction du projet, bien qu'identique au fond, c'est qu'il prévoit et admet formellement dans la loi un cas qui, on doit l'espérer, ne se présentera pas, le refus de concours de la part du clergé. Mue par ces considérations, la section centrale, a cru devoir maintenir, à la majorité de six voix contre une, la rédaction du projet, d'ailleurs plus simple et mieux appropriée aux relations que la Constitution a établies entre l'Etat et les ministres des cultes, et elle a repoussé, à l'unanimité des sept membres présents, l'amendement de M. Jullien.

En ce qui concerne l'article 9, un seul amendement a été présenté, celui de M. de Brouckere. Il propose la suppression du paragraphe 2 et astreint, pour les droits à la retraite, le personnel des athénées et écoles du gouvernement aux mêmes obligations que le personnel relevant de la commune ou de la province.

La section centrale n'a pu admettre ni l'une ni l'autre de ces propositions. Il est certain que le personnel appartenant aux établissements que la chambre a consacrés, en votant les articles 2 et 3, sont des fonctionnaires de l'Etat dignes du plus vif intérêt, à qui l'on ne pourrait enlever le bénéfice de la loi sur les pensions, sans une injuste exception.

Le paragraphe 2 a pour but principal de ménager la transition que la loi va opérer, en appelant au service de l'Etat beaucoup de professeurs communaux, ayant sur les caisses de retraite des communes des droits auxquels ils devront renoncer.

Ce paragraphe a aussi pour but de faciliter à l'avenir le passage des professeurs communaux dans les établissements de l'Etat.

L'article 10 a été l'objet de deux amendements déposés par MM. Hyacinthe de Baillet et Toussaint.

Ces deux amendements présentent un nouveau système de recrutement professoral, qui a fixé tout particulièrement l'attention de la section centrale. Mais comme ce système a besoin d'être coordonné et combinée avec les dispositions du projet relatives à l'établissement d'un enseignement normal, la section, à l'unanimité, propose à la chambre de réunir l'article 10 aux articles 37 et 38 du projet pour en faire l'objet d'une discussion spéciale et se réserve jusqu'alors l'examen des amendements dont il s'agit.

L'article 11 a donné lieu à un amendement développé en séance publique par son auteur, M. Hyacinthe de Baillet. Cet honorable membre restreint le droit de nomination du gouvernement, pour tout ce qui concerne le personnel des établissements dont il a la direction. Il le circonscrit dans le choix de deux candidats présentés en deux listes successives par le conseil communal d'abord, par la députation permanente ensuite, si les premiers candidats désignés ne sont pas trouvés convenables par le gouvernement.

Le système de la présentation des candidats par le conseil communal ou par le bureau administratif a été longuement débattu dans le sein de la section centrale, lors de ses premiers travaux, et rejeté par elle, à la majorité de six voix contre une. Il a été reconnu que ce système aurait pour résultat d'affecter profondément le projet de loi dans sa pensée fondamentale et dans son but essentiel, qui est donner au pouvoir (page 1307) central pour l'instruction moyenne, la position que les lois de 1835 et de 1842 lui ont donnée pour l'enseignement supérieur et pour certaines branches de l'enseignement primaire. Dans le cours de la discussion, il a été démontré à diverses reprises que les études moyennes étaient pour le moins autant d'intérêt général que les études supérieures ou primaires, que ce qu'on avait fait pour les unes on devait le faire pour les autres et ne point placer celles-ci dans une position exceptionnelle.

C'est ce que la chambre a reconnu en votant les articles 2 et 3. Elle a posé en principe que le gouvernement devait avoir sous sa direction et sous sa responsabilité des établissements créés en vue des besoins de tous, en vue aussi du maintien et de la force des études. Or le droit de présentation qui, ainsi que l'expérience le prouve, équivaut à un véritable droit de nomination, irait contre ce principe déjà admis et voté, et le détruirait entièrement. Le droit de présentation, joint aux autres attributions données par le projet de loi aux bureaux administratifs, conférerait en définitive à ceux-ci la direction complète et entière d'établissements que le gouvernement couvrirait néanmoins de son nom et de sa responsabilité.

Il ne lui restait plus que le droit de surveillance et le droit d'allocation ou de retrait de subsides. Sa position vis-à-vis ces établissements serait celle que la loi lui fait vis-à-vis les établissements communaux subventionnés. Au lieu donc de deux genres d'établissements, les uns relevant du pouvoir central, les autres de la commune, ainsi que déjà la chambre l'a décidé, le droit de présentation de candidats réduirait tous les établissements d'instruction moyenne à une seule classe, les établissements communaux sous les trois formes spécifiées par l'article 3, et annihilerait ainsi le principe déposé dans l'article 2.

Cette considération seule suffirait pour faire repousser l'amendement présenté par M. de Baillet. Mais il est une foule d'inconvénients pratiques qui le rendraient inadmissible, en supposant qu'il puisse encore être débattu. La section centrale en signalera quelques-uns. La discussion en montrera sans doute beaucoup d'autres. Cet amendement aurait d'abord pour résultat de laisser isolés et sans lien commun les établissements du gouvernement, de détruire un état de choses qui existe déjà pour deux athénées et trente-huit écoles moyennes, de continuer, pour les professeurs, la position précaire et sans garantie qu'ils ont eue jusqu'ici, et enfin de rendre impossibles les améliorations que le projet de loi promettait et que l'on réclamait depuis si longtemps. L'esprit d'ensemble disparaîtrait pour faire place au seul esprit de localité. Au lieu d'une répartition juste, équitable et bien entendue du corps enseignant dans les divers établissements du gouvernement, l'on verrait chaque bureau agir en vue seule de l'institution dont il aurait la direction et souvent au préjudice d'autres institutions confiées à la garde du pouvoir central. Il pourrait même détruire l'une d'elles par une présentation intempestive à laquelle le gouvernement devrait se soumettre et par le déplacement réclamé et exigé soit d'un préfet des études, soit d'un professeur qui serait la vie et le soutien de l'établissement auquel on l'enlèverait.

Par ces considérations, la section centrale, à la majorité de six voix contre une, a rejeté l'amendement de M. Hyacinthe de Baillet.

Le rapport étant achevé, est arrivée une lettre de M. le Bailly de Tilleghem qui ajoute à son amendement un quatrième paragraphe, prévoyant le cas de non-concours du clergé. Il est ainsi conçu : « Si, pour un motif quelconque, ce concours ne pouvait avoir lieu, les autorités chargées de l'administration de ces établissements font suivre aux élèves desdits établissements les exercices d'instruction religieuse qui ont eu lieu dans les églises ou dans les temples des diverses communions auxquelles les élèves appartiennent. »

Malgré cette adjonction, la section centrale, à l'unanimité, persiste dans sa première décision.

Discussion des articles

Titre I. Dispositions générales - Titre III. Des établissements communaux et provinciaux

Articles 6 et 32

M. Van Renynghe. - Messieurs, les articles en discussion non seulement attaquent les libertés de la commune, mais encore ils font un tort irréparable à ses intérêts. Car, dans les principes du projet, l'établissement et l'entretien d'un collège deviennent pour la plupart impossibles.

Permettez-moi de citer pour exemple la ville de Poperinghe que j'ai l'honneur d'administrer depuis 1830. Elle a un collège auquel sont annexées une école primaire et une école moyenne. Le local, ses dépendances et tout le matériel appartiennent à un ecclésiastique, principal de cette institution, et l'entretien en demeure à sa charge. Cet établissement d'instruction, fréquenté par une centaine d'élèves, peut être classé parmi les plus beaux et les plus utiles que possèdent les villes de second rang.

On y enseigne déjà presque tout ce que contiennent les programmes du projet de loi.

Il n'existe pas de contrat entre le principal de ce collège et la ville qui ne lui donne pour tout subside qu'une somme de 2,500 fr., votés annuellement au budget, à peine suffisante pour seconder les louables efforts de cet ecclésiastique; mais la situation financière de la ville ne permet pas de lui accorder davantage. Moyennant ce léger subside, le conseil communal lui impose des conditions : celles de donner l'instruction gratuite à différents enfants pauvres, d'améliorer le programme des études, etc.

Cette institution, grâce à la haute intelligence et aux soins incessants de son principal, a formé, pour le barreau, la médecins et le clergé, des sujets très distingués, dont nous sommes fiers à juste titre.

Un pareil établissement est digne de la sympathie de mes concitoyens; tous désirent le conserver.

Or, que deviendrait-il sous l'empire de la loi qu'on nous propose de voter? II est de la dernière évidence qu'il faudra nécessairement le fermer faute de moyens de subsistance. Car le principal du collège, ne pouvant subir les conditions qui lui seront imposées par la loi, ne jouira plus du subside que la ville lui accorde annuellement et par conséquent sera obligé, j'en ai la conviction, à défaut de ressources suffisantes, de quitter un établissement qu'il a érigé à grands frais et qui a rendu des services incontestables.

Si donc la loi passe et si le clergé, comme tout le fait prévoir, ne peut nous prêter son concours, comment voulez-vous que nous continuions à maintenir notre enseignement? Il nous faudrait une somme considérable pour frais de construction et de premier établissement, et puis chaque année des dépenses au-dessus de nos forces pour payer les professeurs et subvenir à beaucoup d'autres dépenses.

Sans doute s'il n'y avait que l'un ou l'autre collège qui fût dans ce cas, on pourrait compter, peut-être, sur le bon vouloir du gouvernement, c'est-à-dire de M. le ministre de l'intérieur, je dis avec intention « bon vouloir », car le projet de loi ne nous promet rien de plus. Mais, vu la multitude des collèges atteints par les principes du projet, s'il est voté, ce serait, pour ne rien dire de plus, se faire illusion que d'espérer, d'un ministre quelconque, des subsides qui, ajoutés à nos propres ressources, permissent de maintenir notre collège.

Qui de vous, messieurs, ne sait ce qui s'est passé récemment à Ostende? En vertu d'un arrangement conclu entre l'administration de cette ville et l'évêché, la commune accorde annuellement un subside de 1,000 fr. : le clergé se charge de tout le reste. Encore une fois, que celui-ci se retire (et évidemment si la loi passe il se retirera), c'est encore un établissement de fermé.

Or ce que nous venons de dire au sujet des collèges d'Ostende et de Poperinghe s'applique également à une foule d'autres établissements communaux. Il faudra donc que les habitants qui seront frappés par cette loi, soient privés du bienfait de l'instruction, ou qu'ils s'imposent des sacrifices au-delà de leurs ressources, compromettants, ruineux.

Faut-il s'étonner de la répulsion qui se manifeste contre un projet, aussi attentatoire aux droits, aux franchises de la commune, qu'hostile à ses intérêts?

On nous dit : Les libertés communales n'ont-elles pas été amoindries par la loi sur l'enseignement primaire? Cela est vrai; et c'est ce que je déplore. Mais est-ce un motif plausible pour porter de nouvelles atteintes et plus profondes à ces mêmes libertés, consacrées par la Constitution? Messieurs, ne serait-il pas rationnel et véritablement libéral de ne pas continuer à mutiler l'œuvre du Congrès national que, dans mon opinion, des mains imprudentes n'ont malheureusement déjà que trop entamée?

M. Dechamps. - Messieurs, permettez-moi de revenir en peu de mots sur un argument que je crois fondamental et que j'avais fait valoir à la fin de la séance de samedi dernier.

Toute la discussion relative à l'article 6, c'est-à-dire aux collèges patronnés, a roulé évidemment sur une erreur d'appréciation, sur une véritable confusion d'idées. Voici comment la section centrale, dans son rapport supplémentaire, justifie le maintien des dispositions des articles 6 et 32, relatifs aux collèges patronnés ;

« Quant aux établissements patronnés, relevant indirectement de la commune, et sujets par suite à des conventions qui renferment implicitement un abandon plus ou moins prononcé, et pendant un certain laps d'années, des droits et prérogatives de la commune, persistant dans son premier avis, elle pense que les décisions à intervenir à cet égard doivent être soumises à l'approbation du gouvernement. »

Ainsi, messieurs, si la section centrale a maintenu la rédaction de l'article 6 et de l'article 32, et les entraves opposées au patronage libre des communes, c'est parce que, d'après la section centrale, ces conventions sont un abandon plus ou moins direct des droits et des prérogatives des communes,

Messieurs, c'est là une profonde erreur. D'abord, les articles 5 et 32 du projet de loi admettent le principe de ces conventions, et certes, la loi n'aurait pas admis un principe qui tendrait à amener l'abdication des droits et des prérogatives de la commune. Mais, messieurs, il n'en est rien; la section centrale a confondu le régime de l'instruction primaire avec le régime de l'enseignement moyen : le principe général de toute loi sur l'enseignement primaire, c'est l'obligation pour la commune d'avoir une école primaire.

Pour l'enseignement moyen, y a-t-il un article de la loi qui dise : « Il y aura dans chaque commune un collège communal? » Non. Au contraire, par l'article 6 vous demandez que, pour fonder un collège communal, la commune ait besoin de l'autorisation de la députation permanente ou du gouvernement. Ainsi, bien loin d'ordonner aux communes d'établir un collège, vous dites qu'elles ne peuvent le faire qu'avec l'autorisation de la députation ou du gouvernement.

Messieurs, en quoi consiste la liberté communale relativement à la fondation d'un collège? La liberté consiste ou bien à fonder un collège communal subventionné, ou un collège non subventionné, ou bien, au lieu d'en fonder un, à adopter un collège libre, à accorder à un collège libre des bâtiments ou des subsides, en le patronnant; ou bien à n'ériger aucun collège quelconque. Voilà en quoi consiste la liberté communale. Eh bien lorsque la commune ne fonde pas de collège, elle n'abdique (page 1308) aucun droit, elle ne renonce à aucune prérogative, elle use d'une faculté.

Lorsqu'au lieu de ne pas en fonder, elle donne à un établissement libre un local ou une subvention, à quel droit, je le demande, renonce-t-elle? Elle renonce, non pas à un droit, mais à une simple faculté. Je ne comprends pas ce qu'on veut dire quand, à propos du patronage accordé par la commune à un collège, on parle de l'abdication des droits et des prérogatives des communes.

Lorsqu'on avance que nous demandons pour la commune la liberté, afin qu'elle puisse la vendre, ce sont évidemment des mots qui n'ont aucun sens. (Interruption.)

Nos adversaires veulent accorder à la commune la liberté pour l'empêcher de faire ce qu'elle veut. Voilà, en définitive, ce que vous voulez. (Interruption.)

Je ne discute pas la convention de Tournay. Lorsque j'ai cité le passage du rapport de la section centrale que je combats, vous avez pu vous convaincre qu'il ne s'agissait pas de la convention de Tournay, mais de collèges patronnés.

Messieurs, la loi de l'instruction primaire a obligé chaque commune à posséder une école communale; mais elle a admis une exception à cette règle : la commune peut, dans certains cas, adopter des écoles privées, pour tenir lieu d'écoles communales.

Je comprends que là on aurait pu entourer cette exception, cette dispense, de certaines entraves. Eh bien, quelle règle prescrit la loi de l'instruction primaire, lorsque la commune demande l'autorisation d'adopter une école privée? Il faut l'autorisation de la députation permanente; la commune peut recourir au Roi, lorsque la députation a décidé contrairement à ses vœux. Or, M. le ministre de l'intérieur a cru que l'article 32 donnait la même latitude à la commune. Il se trompe : M. le ministre a dit que dans le cas où une députation provinciale refuserait l'autorisation demandée, la commune pourrait avoir recours à l'impartiale intervention du gouvernement.

Il faudrait pour cela modifier l'article 32; cet article exige l'avis conforme de la députation permanente; lorsque la députation permanente aura décidé qu'elle n'autorise pas, le gouvernement, me paraît-il, n'aura plus aucune espèce de pouvoir d'annihiler cette décision.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Pour l'avenir, oui ; mais je parlais des établissements existants; je disais quelle serait leur position à la suite de l'exécution de la loi.

M. Dechamps. - Je ne l'avais pas ainsi compris; j'avais cru que vous parliez de l'article 32; mais mon observation reste vraie, quant au fond; vous allez plus loin que la loi sur l'instruction primaire ; cette loi a admis le recours au Roi dans le cas où la députation permanente déciderait contrairement à l'avis de commune; ici, au contraire, aucun recours au Roi n'est laissé.

L'honorable ministre de l'intérieur a dit, dans la dernière séance, qu'il était fort étonné de voir ceux qui ont adopté la loi d'instruction primaire de 1842 et qui ont fait si bon marché alors de la prérogative, de la liberté, de l'action communale, se montrer si chatouilleux à propos de la loi sur l'enseignement moyen.

Il y aurait d'abord, à cet égard, une réflexion générale à faire et qui a déjà été faite par l'honorable M. Dedecker. L'enseignement primaire a un caractère social, universel ; il s'applique non seulement aux grandes communes urbaines, mais à la plus petite commune rurale.

Chacun en conviendra, les administrations des communes rurales ont, en général, moins d'aptitude pour diriger les établissements d'enseignement que les administrations de nos villes importantes.

Mais je n'ai pas besoin de cette réflexion générale; je dis que la loi d'enseignement primaire a un caractère bien plus communal que celle que nous discutons.

D'abord, toutes les écoles primaires sont communales. Il n'y a pas d'école primaire du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y en a 26.

M. Dechamps. - Vous n'avez pas voulu les considérer comme des écoles primaires, vous les avez transformées en écoles moyennes. Vous ne pouvez pas m'opposer cet argument. Il y a plus : qui dirige, qui administre, qui surveille l'école primaire, qui nomme les instituteurs? Mais c'est la commune. Où est donc cette absorption de la liberté communale dont a parlé M. le ministre de l'intérieur?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Elle les nomme et ne les révoque pas !

M. Dechamps. - Vous enlevez aussi ce droit de révocation par votre projet actuel.

Quelle est l'action du gouvernement dans l'enseignement primaire? Elle s'exerce par l'inspection et par l'enseignement normal; voilà la double action qu'on a donnée au gouvernement par ia loi d'enseignement primaire; vous la donnez également par la loi d'enseignement moyen : inspection, enseignement normal, révocation. Est-ce que vous donnez à la commune le droit de diriger, d'administrer, de nommer pour l’enseignement moyen d'une manière aussi absolue que nous l'avons fait pour l'instruction primaire? D'après la loi de 1842, la commune nomme l'instituteur parmi les élèves des écoles normales de l'Etat, parmi les élèves des cours normaux attachés aux écoles primaires supérieures, parmi les élevés sortant de toute école normale privée soumise au régime de la loi; en outre le gouvernement peut autoriser la commune à choisir en dehors de ces limites. On ne peut pas le contester, la loi d'enseignement primaire laisse plus de liberté à la commune que la loi que nous discutons. Cela me paraît incontestable.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Les établissements non subsidiés seront librement administrés par les communes, les nominations, même dans les collèges subsidiés, sont laissées aux communes. Il faut discuter la loi telle qu'elle est.

M. Dechamps. - Vous parlez des collèges communaux non subventionnés, mais vous savez que ce n'est là qu'une exception insignifiante, comme l'a reconnu M. le ministre des finances lui-même; il n'y a que deux collèges communaux non subventionnés.

J'ai donc raison de dire que la loi de 1842 accorde aux communes,, pour la direction, l'administration et la surveillance des écoles primaires, plus de liberté que votre projet ne leur en accorde pour la direction, l'administration et la surveillance des collèges communaux.

Pourquoi donc l'intervention du gouvernement serait-elle plus forte, pourquoi y aurait-il des conditions d'autorisation plus sévères, lorsqu'il s'agit d'un collège patronnè, que lorsqu'il s'agit, soit d'un collège communal subventionné, soit d'un collège communal libre, fondé par la commune à ses frais, sans le concours de l'Etat?

L'honorable M. Van Hoorebeke vous l'a fait remarquer dans une séance précédente; lorsqu'une commune fonde un collège, en demandant des subsides au trésor public, je comprends l'intervention du gouvernement. Je comprends que, pour la fondation d'un collège dans ces conditions, le gouvernement exige certaines précautions, certaines garanties. L'intérêt du trésor public est en jeu. Lorsqu'une commune fonde un collège à ses frais, il y a peut-être des raisons, sous quelques rapports, pour justifier certaine intervention, certain contrôle du gouvernement. Cependant, en vous ralliant aux amendements de la section centrale, vous admettez que, pour le collège communal subventionné et pour le collège communal libre, on se contentera de l'autorisation de la députation permanente.

Mais lorsque la commune, usant de la faculté que lui accorde la loi, ne fonde ni un collège subventionné, ni un collège à ses frais, lorsque, dans l'intérêt des finances communales, dans l'intérêt des populations, pour obéir au vœu des familles, la commune préfère adopter un collège privé, en lui accordant un subside ou un local, pourquoi êtes-vous plus sévères? Par quelle raison exigez-vous plus, lorsque, en vérité, vous devriez exiger beaucoup moins?

L'honorable ministre de l'intérieur a été fort embarrassé pour répondre à cette question ; car les deux raisons qu'il a données ne me paraissent pas sérieuses. Quelles sont les raisons qu'il a données samedi ? « Le collège communal, a-t-il dit, s'adresse à tous les intérêts, il est destiné à tous les habitants sans distinction d'opinion, tandis qu'en accordant son patronage à un collège privé, la commune fait acte de préférence, et dans certains cas, acte de parti. »

Mais quand l'autorité communale soumise aux épreuves successives de l'élection, et qui représente évidemment l'intérêt général de la commune, décide que pour satisfaire au vœu des populations, pour entourer le collège de la prospérité que seule la confiance des familles peut lui donner, pour ne pas grever le budget communal de charges inutiles, il vaut mieux adopter un collège libre que d'en fonder un à grands frais, de quel droit prétendez-vous qu'elle n'obéit pas à l'intérêt général, que ce collège n'est pas destiné à toutes les familles et que la commune fait ainsi acte de préférence et de parti ?

Prétendrez-vous que le gouvernement, éloigné du centre de ces intérêts communaux, et soumis aux influences politiques, jugera mieux de ces questions locales que l'administration elle-même?

Mais, messieurs, si une commune, au lieu de patronner un collège et de confier sa direction au clergé, fondait un collège communal, et que, mue par un esprit de parti, elle en exclût l'enseignement religieux, en n'admettant pas même les conditions raisonnables du concours que le clergé lui offrirait, vous seriez complètement désarmés contre ce fait. Cette commune cependant aurait fait un acte de préférence; ce collège pourrait n'être pas destiné à toutes les familles de la localité; la commune aurait fait un acte de parti et vous seriez complètement désarmés. Vous n'avez pas à exercer de contrôle sur de pareilles décisions. Pourquoi donc voulez-vous en exercer un, lorsqu'il s'agit de patronner un collège?

Voyez quel système vous voulez établir : c'est au fond à l'enseignement religieux qu'on en veut; car voyez toutes les précautions que l'on prend pour empêcher son extension. Pour les athénées de l'Etat et pour les collèges communaux, les garanties religieuses sont renfermées dans l'article 8. Nous discuterons encore cet article; nous l'avons déjà fait. Je crois avoir prouvé qu'on ne donne que des garanties équivoques et insuffisantes, relativement à l'enseignement religieux dans l'instruction publique. Vous prenez soigneusement les mesures nécessaires pour que le clergé ne puisse avoir aucune action sur le personnel et la discipline des collèges communaux.

Lorsque, en dehors de l'enseignement public, il s'agit de collèges privés que les communes veulent adopter, vous vous armez de mille précautions. Vous voulez empêcher, autant que vous le pouvez, l'entente entre la commune et le clergé, dans l'établissement de ces collèges libres, en demandant la faculté de supprimer, par ordonnances, les collèges existants, et en mettant à leur fondation des entraves qui ressemblent fort à des tracasseries.

Vous allez trop loin, vous justifiez la crainte de ceux qui donnent à cette loi le caractère d'une guerre faite au clergé et aux communes complices du clergé.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'est convenu; c'est un point décidé.

M. Dechamps. - Messieurs, il faut bien se rendre compte des faits.

(page 1309) J'ai lu avec beaucoup d'attention toutes les conventions dont nous allons discuter le sort, et j'ai acquis la conviction que presque chaque fois, on peut dire chaque fois, que la commune, au lieu de fonder un collège communal, a accorde au clergé un local et des subsides pour diriger un collège qui tient lieu d'un collège communal, chaque fois c'était en présence d'un de ces deux faits : ou bien le collège n'existait pas, ou bien il était tombé en décadence.

Lisez dans le rapport présenté par M. le ministre de l'intérieur tous les considérants, tous les motifs apportés par les communes et les provinces, dans les actes justifiant le patronage accordé à des collèges, vous verrez que presque toujours on créait un collège là où il n'en existait pas, ou bien lorsque le collège communal ne pouvait plus se soutenir; de sorte que si ces conventions n'avaient pas été faites, le résultat eût été que ces communes eussent été complètement privées d'enseignement moyen, et c'est grâce à ces conventions que ce bienfait leur a été conservé.

Messieurs, l'honorable ministre de l'intérieur vous a dit que l'on s'effrayait à tort ; qu'en pratique le gouvernement n'userait qu'avec beaucoup de modération des pouvoirs que la loi lui accorderait et, qu'en définitive, l'intention du gouvernement n'était pas de détruire les collèges existants. Mais alors je demande pourquoi vous demandez ces pouvoirs inutiles. Car enfin, de deux choses l'une, ou bien ces collèges à conventions sont conformes ou ils ne sont pas conformes à la présente loi. Pour ceux qui ne seraient pas conformes à la présente loi, évidemment ces conventions tombent, elles devront être régularisées; ou bien elles sont conformes à la loi et la plupart sont dans ce cas, vous pouvez vous en assurer; pourquoi suspendez-vous sur la tête des communes cette menace gratuite qui alarme des intérêts?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je crois qu'il convient d'être maintenant aussi bref que possible dans la discussion des articles, pour arriver promptement à une solution.

Il est pourtant une observation générale qu'il n'est pas inutile de présenter, afin de bien faire apprécier toute la modération, toute l'impartialité qui ont dirigé le gouvernement et la section centrale et qui dirigeront la majorité de cette chambre dans l'application des principes qui servent de base au projet de loi.

Qu'est-ce que l'enseignement libre? Qu'est-ce que l'instruction donnée aux frais de l'Etat? Lorsque l'on oppose les unes aux autres les idées que réveillent ces deux questions, on est amené à reconnaître que l'enseignement libre est celui qui vit de ses ressources, des sacrifices volontaires que s'imposent ceux qui le donnent ou ceux qui le reçoivent ; que l'instruction donnée aux frais de l'Etat est, au contraire, l'instruction payée avec les deniers des contribuables, c'est-à-dire avec les fonds du trésor public, de la province ou de la commune. Cette instruction est l'objet des dédains des adversaires du projet de loi ; c'est elle que l'honorable M. Dedecker appelle une « entretenue ».

Mais où est, en Belgique, l'enseignement qui ne puise pas un aliment dans les caisses publiques? Quel est celui qui, pour avoir le droit de se déclarer libre, s'affranchit de tout recours aux contribuables? Il n'est qu'une rare et très rare exception. Or, par une confusion étrange, incroyable, des notions les plus simples et les plus évidentes, les adversaires qui essayent de flétrir du nom d'entretenue l'instruction donnée aux frais de l'Etat, placent sous l'invocation magique de la liberté l'enseignement qui s'empare de la maison et de l'argent de la commune, parfois même d'un subside du gouvernement.

Il me semble que ce que vous appelez l'entretenue ressemble, à s'y méprendre, à ce que vous appelez la liberté : toutes deux prennent l'argent des contribuables. Mais voici la différence : pour l'enseignement donné aux frais de l'Etat, on dit : Réglementez-le, soumettez-le à des conditions, examinez, inspectez, surveillez l'emploi des deniers publies, soit; mais quand il s'agit de l'autre, qui est aussi une instruction donnée aux frais des contribuables, qui prend la maison de la commune, les fonds de la commune, on dit : Ne vous en occupez pas, nous nous chargeons d'en user convenablement; laissez faire : c'est la liberté!

Que fait maintenant le projet de loi? Le projet pouvait être complètement rigoureux, il pouvait être complètement logique, et il aurait déclaré en ce cas que les communes, pas plus que l'Etat, ne pouvaient donner des subventions à des établissements libres. C'est là le principe pur. C'est le seul principe qui sauvegarde la liberté. Le seul principe pur, c'est que l'autorilé publique ne doit point s'immiscer dans les établissements privés. Et, en effet, il est manifeste que l'intervention soit de l'Etat, soit de la commune, peut porter atteinte à des établissements privés, nuire aux uns, favoriser les autres, et par conséquent altérer la liberté d'enseignement. Eh bien, messieurs, nous avons fait ici une grande concession dont on aurait dû nous tenir compte ; c'est que, prenant en considération les faits, les nécessités, nous avons admis que les communes pourraient donner des immeubles et des subsides à des établissements libres.

Remarquez, messieurs, que cette association possible, entre l'autorité communale et un établissement libre, est incontestablement de nature à nuire à la liberté d'enseignement dans la commune. Je ne veux point poser d'exemple tiré d'un enseignement libre qui voudrait s'établir dans la commune pour prêcher de mauvaises doctrines; je prends les choses dans le sens où vous pouvez vous-mêmes les admettre ; je suppose, dans une commune, un enseignement dirigé par une association, la corporation des jésuites, si vous voulez; je suppose que le clergé soit en opposition avec les jésuites, hypothèse qui n'a, je pense, rien d'invraisemblable, puisque nous avons vu les jésuites soutenir que l'enseignement de la philosophie donné à l'université de Louvain n'était pas orthodoxe; ce qui, par parenthèse, montre combien il faut être circonspect dans les reproches que l'on fait aux laïques, lorsque l'on voit des gens aussi compétents n'être point d'accord sur un pareil sujet. (Interruption.).

J'en parle parce que c'est public. On sait que l'hostilité a été très grande, et elle peut se présenter encore dans l'avenir.

Eh bien, messieurs, supposons dans une ville le clergé associé à la commune; cette association tuera le collège que la corporation des jésuites aurait établi dans cette commune. Si la commune veut donner des bâtiments et des subsides à l'établissement du clergé, procurer les moyens d'y faire admettre les élèves gratuitement, on ruinera l'établissement concurrent; cela est de toute évidence.

M. de Mérode. - Tant pis pour lui.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Sans doute, tant pis pour lui, mais c'est une atteinte à la liberté et voilà le malheur. Je sais bien que M. de Mérode ne veut comprendre la liberté que quand elle consiste pour la commune à donner des immeubles et des subsides aux personnes qui sont l'objet des préférences de M. de Mérode; mais je comprends, moi, la liberté dans un sens plus large; je la comprends pour tout le monde, même pour les jésuites. Pour l’enseignement supérieur, on voulait précisément la même chose, l'association entre l'Etat et une fraction de la liberté, et si ce système avait été admis on excluait, par exemple, de toute représentation dans le jury, tel collège de Namur où les jésuites ont ouvert un cours de philosophie.

Aussi cette partie, également très religieuse, de la liberté, n'a-t-elle pas cru que nous portions atteinte à la liberté d'enseignement lorsque nous avons fait la loi relative à l’enseignement supérieur. De même cette partie très religieuse de la liberté ne trouvera pas que nous portions atteinte à la liberté des communes par l'article en discussion.

La liberté ne veut point qu'à l'aide des deniers des contribuables on tue les uns au profit des autres.

Ces principes étaient nécessaires pour bien faire apprécier la nécessité des garanties exigées par les articles en discussion.

L'honorable M. Dechamps vient de raisonner comme si l'acte par lequel une commune donne à un tiers des immeubles ou des subsides était un acte identique dans ses conséquences avec l'acte par lequel la commune fonde elle-même un établissement.

Il y a là une erreur, selon moi. Les deux actes sont différents, ils peuvent avoir des conséquences entièrement différentes.

En effet, veuillez remarquer que lorsque la commune fonde l'établissement, elle use du droit commun, celui que vous lui reconnaissez, d'avoir une école ; elle dirige cette école, conformément à la loi communale; elle surveille cette école, conformément à la loi communale; elle surveille l'emploi des deniers, conformément à la loi communale; elle rend compte de l'emploi des deniers, conformément à la loi communale. Mais lorsque la commune donne ses immeubles et ses subsides, elle agit en dehors delà loi communale ; elle ne dirige plus l'école, elle ne surveille plus l'école, il n'y a plus de surveillance de l'emploi des deniers, il n'y a plus de compte rendu de cet emploi. Voilà donc une grande différence entre les deux cas.

Lorsque la commune dispose de l'avoir commun conformément aux prescriptions de la loi, elle l'emploie au profit de l'être moral « commune ». (Interruption.) Vous ne pouvez pas confondre les deux choses : les deniers dont la commune surveille l'emploi et qui profitent à toute la commune, et les deniers qu'elle abandonne une fraction à des habitants de la commune.

M. Coomans et M. Dumortier. - Et les subsides pour le théâtre...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je vais vous montrer la différence... (Nouvelle interruption.)

Lorsque la commune fait emploi de ses deniers, de ses immeubles pour un établissement communal d'instruction qu'elle dirige ou surveille, chaque année l'autorité supérieure a l'examen de cet acte; il en est de même des subsides dont parlaient tout à l'heure les honorables MM. Dumortier et Coomans en m'interrompant. Mais il est évident que l'acte a une toute autre importance, quand il s'agit d'engager pour longtemps les ressources de la commune, par suite de conventions avec un tiers.....(interruption) il est certain que cela ne peut pas être remis en question chaque année. (Interruption.) On objecte qu'il y a des actes qui n'ont qu'une durée d'une année; il est évident que c'est là une exception : Personne ne prétendra qu'un tiers, ayant traité avec la commune pour l’établissement d'un collège, puisse consentir à remettre eu question la convention tous les ans. Cela ne serait pas raisonnable. (Nouvelle interruption.) La plupart des communes sont liées pour un temps indéfini, d'autres le sont pour un temps très long; exceptionnellement on indique quelques communes qui peuvent se délier chaque année.

Si les contrats pouvaient être rompus chaque année, si on pouvait les mettre en question à l'occasion de chaque budget, on comprendrait qu'on pût laisser un pareil acte soumis seulement à l'approbation de la députation.

Mais outre que cela n'arrive pas d'ordinaire, outre que cela est régulièrement impossible, il y a encore d'autres différences extrêmement notables.

Y a-t-il dans la loi communale une seule disposition, non pas qui autorise, mais qui suppose de loin ou de près, un acte aussi exorbitant que celui d'une convention analogue à celle dont s'occupent les dispositions proposées, acte qui a pour objet de céder des immeubles ou des subsides pour l'établissement d'un collège pendant un temps indéterminé?

(page 1310) La loi communale soumet à l'approbation du Roi des actes qui ont bien moins d'importance que celui-là. Ouvrez l'article 76 de la loi communale, et vous y verrez que la vente d'une petite parcelle de terrain, que tout emprunt, tout bail emphytéotique, enfin une foule d'autres actes bien noins importants, exigent l'intervention royale. Avec quels actes voulez-vous que celui dont nous nous occupons ait le plus d'analogie? (Interruption.)

Un bail emphytéotique, messieurs, assure au moins un revenu à la commune, être moral, à la caisse communale; mais l'abandon d'un immeuble ne procure rien directement à la commune. (Interruption.) Y eût-il ici, comme le prétend un honorable interrupteur, un avantage financier indirect pour la commune, cela ne ferait rien à la question que nous avons à résoudre; il faut voir la nature de l'acte; c'est de cela qu'il faut s'occuper; eh bien, si la loi communale avait prévu un acte de cette nature, elle l'aurait évidemment soumis à l'approbation du Roi : c'est ce que fait le projet de loi.

Ne trouvant dans la loi communale aucune disposition relative à ces actes et trouvant des actes moins importants soumis par la loi à l'approbation du Roi, le projet de loi dispose que des subventions en immeubles ou en subsides seront également soumises à l'approbation royale... (Interruption.) Mais, messieurs, la fondation par la commune est un acte moins grave; mon honorable interrupteur est dans une erreur complète, parce que le conseil communal est là dans l'exercice de ses fonctions; il emploie les deniers communaux conformément à la loi communale; il en surveille l'emploi conformément à la loi communale; il rend compte, chaque année, de cet emploi à l'autorité supérieure; chaque année, la députation permanente peut réduire l'allocation de ces dépenses...(Nouvelle interruption.) S'il y a un contrat de plus d'une année, une dépense considérable devient obligatoire. Le corps communal est lié dans ce cas, et il ne l'est pas dans l'autre. Chaque année, le conseil communal ne peut-il pas changer d'avis, quant au collège? Et lorsqu'un conseil aura décidé qu'il donne un immeuble et une subvention pour 20 ans comme on l'a fait, pour 50 ans, pour 99 ans comme cela a été fait, pendant 20, 50 ou 99 ans, l'autorité communale sera enchaînée; et vous direz qu'un acte, qui peut être remis en question chaque année, est le même que celui qui aurait une durée séculaire ! Ces deux actes n'ont aucune espèce d'analogie.

M. Moncheur. - Et si la convention est annuelle?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est évident que si la convention est annuelle, cela présenterait beaucoup moins d'inconvénient; mais encore les conventions pourraient présenter des clauses de telle nature, qu'elles devraient être soumises à l'approbation du Roi.

Qu'est-ce que c'est que de donner l'usage d'un immeuble, un subside? C'est faire une donation, pas autre chose. Les habitants de la commune en retireront un avantage, là n'est pas la question ; je suppose que la commune, au lieu d'utiliser ses immeubles pour un établissement d'instruction, les destine à une boulangerie faisant concurrence aux autres boulangers ; si elle donne un immeuble gratuitement pour établir une boulangerie, je vous le demande, serait-ce là un acte qui rentrerait dans les pouvoirs réguliers de la commune? En présence de l'article 76 de la loi communale, oseriez-vous prétendre que c'est un acte que le conseil peut poser avec la simple approbation de la députation? (Interruption.)

Vous pouvez trouver que c'est un objet d'une nature différente. Chaque fois qu'on cite un exemple pour traduire le principe en fait, vous répondez : C'est une autre affaire! N'est-il pas vrai que, suivant le droit commun, les communes ne peuvent pas faire de transaction, d'échange, de bail emphytéotique, d'emprunt, sans l'autorisation du gouvernement? Or, un acte qui peut avoir les conséquences les plus graves, qui constitue un avantage extraordinaire pour un individu au détriment de tous les autres; cet acte-là ne serait pas soumis à l'approbation royale? Il serait considéré, non comme un des actes que je viens de citer, mais comme beaucoup moins important? Je ne comprends pas qu'on puisse soutenir une pareille thèse.

L'honorable M. Dechamps s'est borné pour toute objection à dire : Vous autorisez la fondation d'un collège par la commune en vertu de l'article. 6, quand il n'est pas subsidié, avec la simple autorisation de la députation. Pourquoi, quand la commune ne fait que donner des immeubles ou des subsides, ne la feriez-vous pas jouir des mêmes avantages? Je crois avoir réfuté complètement cette objection. Il n'y aurait une certaine analogie que si le terme était annuel, s'il n'engageait pas l'avenir, si l'être moral n'était pas lié, si le conseil communal pouvait changer d'avis chaque année.

Ne remarquez-vous pas que, quoi qu'en ait dit M. Deschamps, un acte de cette nature peut contenir l'abdication complète des droits de la commune?

La commune, il est vrai, n'est pas obligée d'avoir un collège, mais elle peut en avoir un ; si elle veut user de ce droit, elle ne peut pas la déléguer à un tiers. C'est bien là le principe.

Supposons que la commune donne un immeuble et un subside qui représente toute la dépense du collège ; que sera, au fond, un pareil acte? Une renonciation complète de ses droits au profit d'un tiers! - Non, dit M. Coomans. Qu'est-ce donc? L'autorité supérieure ne devra-t-elle pas dire : Ceci est fait en vue d'éluder la loi ; quel avantage vous procure une pareille convention? Il est inadmissible que vous renonciez au droit de nommer, de surveiller quand vous fournissez toute la somme nécessaire pour fonder, pour entretenir un établissement d'instruction.

En d'autres termes on dirait à cette commune : Faites une autre stipulation, une stipulation qui vous soit avantageuse; que le fondateur de l'établissement contribue pour un tiers, pour la moitié de la dépense, soit; mais que vous fassiez toute la dépense, c'est absurde. Il faut donc qu'on puisse surveiller de pareils actes.

Comment vouloir soustraire à la surveillance du gouvernement des actes qui peuvent compromettre à ce point l'ordre public, jeter la perturbation dans les lois fondamentales des communes? Vous voyez qu'il est indispensable que l'autorité supérieure intervienne. Nous devons, sous ce rapport, imiter ce qui a été décrété par la loi d'enseignement primaire. Seulement, nous donnons plus de latitude, nous reconnaissons qu'on ne peut remettre annuellement en question des conventions de cette nature. Par la loi d'instruction primaire, les conventions peuvent être changées annuellement, nous demandons que les conventions pour les établissements d'enseignement moyen puissent être faites pour un terme plus éloigné. Nous faisons quelque chose de plus favorable aux conventions que ce qui a été fait dans la loi d'enseignement primaire. Mais, dit M. Dechamps, il n'y a pas d'analogie; le principe de l'enseignement primaire, c'est que chaque commune est obligée d'avoir une école; c'est, au contraire, une simple faculté d'avoir un collège.

On conçoit, dit-il, que le législateur ayant décidé qu'il y aura nécessairement une école dans chaque commune, on ait pris des mesures pour s'assurer que l'école qui en tient lieu remplît les conditions déterminées par la loi. Mais dans le cas où une commune est parfaitement libre d'avoir ou de n'avoir pas un collège, on ne conçoit plus aussi bien que, relativement à l'école adoptée (car ici également il s'agit d'une école adoptée), on introduise le même principe rigoureux. Je répète l'objection. Mais je n'en comprends vraiment pas la valeur.

Elle revient à dire que le législateur, ayant violé la liberté communale en imposant à la commune l'obligation d'avoir une école, aurait eu le droit de violer, une seconde fois, la liberté communale, en imposant des règles particulières pour l'adoption. Mais il était parfaitement libre au législateur de ne pas imposer à la commune l'obligation d'avoir une école; et nous nous serions trouvés exactement dans la même position. Il n'y a pas, permettez-moi de le dire, la moindre liaison entre les deux idées. Renoncez au principe qui oblige la commune à avoir une école. C'est un principe que vous avez décidé; mais vous pouviez décider le principe contraire.....

M. Dumortier. - Est-ce là ce que vous voulez ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il ne s'agit pas de cela. Nous discutons un principe.

Je reconnais, avec l'honorable M. Dechamps, que c'est un principe nécessaire, indispensable de ne pas laisser à la commune la liberté de ne pas avoir une école primaire. Mais de ce que la loi sur l'enseignement moyen n'impose pas à la commune l'obligation d'avoir un établissement d'enseignement moyen, il ne s'ensuit pas que, si elle en adopte un, on ne puisse exiger des garanties.

Ces conditions, maintenant, que sont-elles? Sont-elles si épouvantables? Je ne parle pas de l'inspection et du concours que l'honorable M. Dechamps ne critique pas. L'honorable M. de Haerne a seul présenté des observations à cet égard.

Le principe que consacre l'article en discussion, vous l'avez également admis dans la loi sur l'instruction primaire. Si le trésor public (gouvernemental, provincial ou communal) donne quelque chose à un tiers, l'autorité a le droit et le devoir de surveiller l'emploi qu'on fait de ses deniers.

Quelles sont les autres conditions ? Il n'y en a pas d'autres.

L'honorable membre disait tout à l'heure : C'est en vue d'affaiblir l’enseignement religieux que la disposition est proposée. C'est contre l'enseignement du clergé que la disposition est dirigée !

J'avoue que je trouve ce reproche puéril et complètement indigne de cette assemblée. Vous supposez que, parce que nous sommes au pouvoir, nous allons détruire les établissements qui existent, que tel est notre but. Vos craintes sont, en vérité, trop absurdes.

Si une commune accorde un subside à un établissement dirigé par le clergé, où l'on donne un enseignement qui convienne aux habitants, aux pères de famille; si le conseil communal estime que l'établissement répond aux besoins de la localité; si la députation permanente est de cet avis, l'Etat viendra déclarer que l'école est détestable et qu'il faut la fermer! Ne comprenez-vous pas que de telles suppositions sont inadmissibles?

M. Coomans. - J'ai en mains la preuve du contraire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Quelle preuve avez-vous?

M. Coomans. - Messieurs, je complais, à propos de l'article 6, dire deux mots qui prouveraient, contrairement à l'affirmation de M. le ministre des finances, que le gouvernement se met parfois en opposition avec le vœu des populations, ainsi que des conseils communaux et provinciaux.

Je voulais vous citer un fait, d'où résulte la preuve que lorsque la population d'une ville, d'accord avec le conseil communal, avec le conseil provincial, désire faire, quant au patronage d'un établissement d'instruction moyenne un acte de bonne administration et un excellent marché, le ministère se refuse à le ratifier.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - De quelle affaire s'agit-il?

M. Coomans.- Il s'agit de l'affaire du collège de Turnhout.

Vers le milieu de 1847, le ministre de l'intérieur et la députation permanente de la province d'Anvers avaient approuvé la convention faite entre la ville de Turnhout et une société religieuse, celle des (page 1311) jésuites, pour la consolidation d'un établissement d'enseignement moyen dans cette ville. La ville de Turnhout possède ce collège à bien bon compte; elle lui donne un ancien cloître improductif et 2,000 francs par an. Pour ce prétendu sacrifice, bien léger assurément eu égard aux fruits qu'on en recueille, la ville a un bon collège, très fréquenté, et dans des conditions de moralité et de science très satisfaisantes. Le cloître dont il s'agit était improductif; l'usage en était donné aux jésuites.

Aujourd'hui les jésuites, ou pour mieux dire leur honorable protectrice (fille d'un de nos anciens collègues qui a laissé tant de bons souvenirs dans cette enceinte) souhaitent d'acquérir la propriété de ce local. Remarquez que je dis la nue-propriété, messieurs, puisqu'ils en ont déjà l’usufruit, d'après la convention de 1847, convention que l'honorable ministre de l'intérieur ne croira ni nécessaire, ni équitable, ni utile de supprimer, j'aime à le croire. Pour acquérir ce cloître, pour consolider cette situation, pour assurer à Turnhout les bienfaits d'une instruction solide et durable, ils offrent une somme très forte et des valeurs immobilières immédiatement réalisables.

Ils ne s'expliquent pas sur la question des subsides. Ils s'en passeront volontiers s'ils peuvent s'en passer. Si cet immeuble (le cloître des Sépulchrines) était publiquement vendu, il ne produirait peut-être pas la moitié du prix offert. Ce prix consiste en un bel immeuble habité et une somme assez forte, ressources immédiatement réalisables, dont la ville a besoin et qui lui serviraient à créer un hospice de vieillards ; institution qui lui manque, et que le gouvernement lui a conseillé bien des fois de fonder. Cet hospice, désiré par la population entière dans une ville qui renferme malheureusement beaucoup de pauvres et qui a été longtemps délaissée, serait, vous en conviendrez, messieurs, une excellente institution.

Eh bien, les offres brillantes faites l'an dernier à la ville ont été approuvées à l'unanimité des membres d'un conseil communal à qui l'on ne peut refuser ni zèle ni lumières, à l'unanimité, dis-je, moins un membre qui s'est abstenu pour des scrupules de détails. La population tout entière a adhéré à ces offres qui sont réellement très avantageuses à la ville, même au point de vue financier, à part le point de vue scientifique.

Le conseil communal a fait plusieurs démarches près de l'honorable M. Rogier pour obtenir la ratification officielle.

La députation permanente a donné un avis très favorable. Et, cependant, depuis plusieurs mois, tous les intéressés restent en instance pour obtenir une approbation qui ne vient pas. Ceci répond, ce me semble, à la déclaration faite par l'honorable ministre des finances que le gouvernement ne songera jamais à contrarier le vœu des populations. Toutefois, je le prie de m'excuser de l'avoir interrompu.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous concevez, messieurs, qu'on ne peut transformer une discussion de principe en une discussion de fait. Je m'occupe du principe. Mon honorable collègue de l'intérieur répondra tout à l'heure au fait que vient de citer l'honorable préopinant.

Je réponds à l'objection qui a motivé l'interruption. Pourquoi le gouvernement irait-il jeter le trouble dans la commune pour y faire une chose contraire à ce que désirent les habitants?

M. Coomans. - Je n'en sais rien.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela; il faut bien se borner à répondre : Je n'en sais rien. Mais enfin c'est la pensée que vous nous supposez, et vous êtes certains, vous êtes profondément convaincus que cela arrivera. Car si vous n'en étiez pas certains, votre conduite ne s'expliquerait point; je ne comprendrais pas l'opposition que vous soulevez ; vous vous disiez : Si le gouvernement exécutera la loi d'une manière équitable; il effacera ce qui est illégal ; il maintiendra ce qui est légal ; il fera des actes d'administration comme il convient à un gouvernement sage et raisonnable. Mais vous avez la certitude que nous voulons tout renverser! Messieurs, si nous avions les intentions qu'on nous suppose, nous aurions un moyen bien simple de les mettre à exécution. Nous aurions proposé purement et simplement de déclarer que les communes ne pouvaient plus donner de subsides. Et cela se serait justifié par d'excellentes raisons; nous vous aurions renvoyé à la liberté d'enseignement dont vous parlez; nous vous aurions dit : Soyez libres; élevez des établissements tant qu'il vous plaira ; mais, quant à donner des subsides, c'est contraire à la liberté.

Messieurs, si vous aviez porté la question sur ce terrain devant l'opinion publique, je vous aurais défié d'obtenir une signature honorable pour combattre le principe que nous aurions posé. C'était un principe conforme à ce qui est élémentaire en pareille matière, à savoir que les deniers de la commune doivent servir à la chose commune et ne doivent pas être employés au profit de l'un contre l'autre.

Qu'arriverait-il, si deux établissements se formaient dans une commune? Je parle d'établissements parfaitement purs, parfaitement orthodoxes, si vous le voulez, offrant toutes les conditions désirables au point de vue de la moralité. L'un est subsidié par la commune; l'autre veut s'élever et demande d'être subsidié aussi. Que ferez-vous ? Déclarerez-vous que celui-ci n'a pas le droit de vivre, n'a pas le droit d'user de la liberté; ou, s'il a le droit d'user de la liberté, il ne le pourra pas, parce que vous tiendrez toutes les valeurs de la commune au profit de son concurrent?

Nous aurions donc pu soutenir que pour que la liberté pût être largement, pût être loyalement pratiquée, il ne fallait pas autoriser de pareilles subventions. Nous n'aurions pas de peine à justifier cette opinion.

Mais, je le répète, il faut tenir compte des faits; c'est en vue des faits qu'on rédige les lois; il faut tenir compte des faits, des nécessités, de ce qui existe dans un pays et approprier les lois aux besoins du pays. C'est ce que nous faisons. C'est parce que nous avons reconnu qu'il était utile de permettre aux communes des abandons de ce genre au profit de certains établissements que nous proposons de les consacrer par la loi. Si nous l'avons proposé, c'est dans l'intention sérieuse d'user, conformément à l'esprit de la loi, des pouvoirs qui ont été demandés.

Ces pouvoirs pouvaient-ils être autres? J'ai démontré que non, en m'appuyant sur l'analogie avec d'autres actes de même nature; j'ai démontré qu'il était impossible de se référer à l'approbation de la députation permanente pour de pareils actes.

Quant aux actes qui ont été posés jusqu'à présent, il n'y en a pas un seul qui soit légal, ni ceux qui contiennent, ni ceux qui ne contiennent pas délégation du droit d'autorité. Je vous défie de me montrer la loi communale à la main, qu'un conseil communal ait pu abandonner des subsides pour un nombre d'années indéterminé, ait pu donner purement et simplement des immeubles pour un grand nombre d'années sans l'intervention du gouvernement. Il n'y a pas, à la rigueur, un de ces actes qui soit valable.

Qu'est-ce que nous faisons? Nous vous offrons le sceau de la légalité ; c'est immense. Eh! messieurs, nous n'en sommes pas au dernier revirement politique; il se peut qu'une autre opinion vienne au pouvoir; et si les actes dont nous nous occupons avaient été régularisés, on pourrait, dans l'avenir, les examiner à un autre point de vue. On pouvait les déclarer purement et simplement nuls.

Avec la loi on ne le pourra plus. Aujourd'hui ils seront légalisés. Ces actes des autorités communales feront partie de la législation du pays. Cela sera régulier, et cela ne l'était pas.

C'est là, messieurs, je le répète, une très grande concession qui vous a été faite par l'opinion libérale.

L'opinion libérale n'a pas fait une loi de parti; je vous le prouve ici ; elle a fait la loi comme il aurait voulu la voir faire dans toutes les circonstances, par toutes les opinions. Vous-mêmes, si vous étiez au pouvoir, vous ne seriez pas venus demander d'autres dispositions que celles-là. Vous n'auriez pas demandé moins que ce que nous réclamons. Vous n'auriez pas dit, étant au pouvoir, que l'autorisation de la députation permanente suffirait; vous auriez été obligés de déclarer que le gouvernement devait intervenir pour des actes aussi considérables, pour des actes qui peuvent entraîner de grandes obligations pour les communes.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Mon intention n'est pas de prolonger le débat ; mais j'ai quelques mots à dire sur le fait mentionné par l'honorable député de Turnhout.

Voici en quelques mots ce dont il s'agit :

La ville de Turnhout possède une caserne. La fille d'un de nos anciens collègues offre à la ville de Turnhout une maison en échange de la caserne, qui est destinée à recevoir le collège des jésuites.

Cet acte a été soumis à l'avis de la députation permanente. Il est en ce moment soumis à l'examen de l'administration centrale, non pas, bien entendu, en vertu de la loi que nous discutons en ce moment, mais en vertu de la loi communale, et je ne pense pas que l'honorable député de Turnhout veuille faire ici le procès à la loi communale. Il s'agit d'un échange d'immeubles, qui par son importance, requiert l'intervention de l'autorité centrale.

Est-il dans l'intérêt de la ville de Turnhout d'opérer cet échange? La ville de Turnhout a-t-elle le droit de changer la destination de la caserne? Voilà des questions qui s'examinent administrativement et qui sont étrangères à celles que soulève le projet de loi.

En ce qui concerne le collège, la ville de Turnhout aura à délibérer sur le maintien du collège des jésuites, auquel on pourra destiner, si l'acte que j'examine en ce moment est approuvé, cet immeuble plus des subsides en argent. Cette délibération de la ville de Turnhout sera soumise à la députation permanente et au gouvernement, afin que ce dernier examine si, dans un pareil acte, la ville de Turnhout n'a pas fait abdication de ses droits, si cet acte se trouve dans les limites de la loi et conforme à ses prescriptions.

Si le gouvernement, après avoir fait l'examen de cet acte, trouve qu'il est conforme à la loi, il autorisera à la ville de Turnhout à faire donner l'enseignement par le collège des jésuites, puisque cet enseignement paraît convenir à la majorité des habitants de Turnhout. Voilà comment les choses se passeront.

Quant à l'acte d'échange, il doit être examiné au point de vue des droits de la ville de Turnhout, et abstraction faite de la question d'enseignement. J'ajouterai que si l'on reconnaît qu'au point de vue de l'enseignement cet acte promet des avantages à la ville de Turnhout, ce sera un motif de plus d'approuver l'échange.

M. le président. - M. Dumortier vient de déposer un amendement ainsi conçu : « La disposition qui précède n'aura pas d'effet rétroactif pour les collèges conformes à la présente loi. »

M. Dumortier. - Messieurs, vous voyez que l'amendement que j'ai eu l'honneur de déposer s'applique principalement au projet de la section centrale, dans le cas où les amendements de MM. Van Hoorebeke et de Luesemans ne seraient pas adoptés. Je ne veux point que la loi ait un effet rétroactif, parce que je regarde la rétroactivité comme la mesure la plus vicieuse qui puisse se trouver dans une loi. Je ne veux point de la rétroactivité, parce que le Code civil l'a formellement exclue par la prescription que la chambre doit toujours respecter.

(page 1312) Dans l'article présenté par la section centrale, il y a deux ordres de dispositions: le premier paragraphe stipule pour l'avenir, le deuxième stipule pour le passé.

La première disposition, cela va sans dire, n'offre aucune espèce de rétroactivité; elle n'établit qu'une règle qu'il faudra suivre plus tard, Rien de plus juste. La deuxième disposition, au contraire, stipule pour le passé; il dit que les établissements aujourd'hui existants, qu'ils soient oui ou non munis de l'autorisation légale, seront tous, en quelque sorte, supprimés, le jour où la présente loi deviendra obligatoire. Cela n'est pas dans le texte, mais cela résulte de l'interprétation donnée par M. le ministre de l'intérieur.

Tous ces établissements devront être soumis de nouveau à l'approbation de la députation permanente et de l'autorité royale.

Eh bien, messieurs, cela n'est autre chose qu'une mesure de rétroactivité, car tous ces contrats ont été sanctionnés, soit directement, soit indirectement par l'autorité compétente, tous rentrent dans les conditions de la loi que vous êtes appelés à voter. Pourquoi, dès lors, par une mesure de rétroactivité, venir annuler des actes qui ont reçu la sanction du conseil communal, la sanction de la députation permanente et quelquefois même la sanction de l'autorité royale? Pourquoi venir annuler ces actes s'il n'y a pas là des motifs qu'on ne veut point dire? La vérité, c'est qu'on veut faire du pouvoir fort, et le pouvoir fort, je n'en ai jamais été partisan.

En entendant M. le ministre des finances, qui vient de parler, en l'entendant expliquer la loi communale, la liberté d'instruction et la liberté communale, j'avoue, messieurs, que pour mon compte, je n'y ai rien compris et cependant vous le savez, j'ai été rapporteur de la loi communale.

M. le président. - M. Dumortier, cela est étranger à votre amendement.

M. Dumortier. - Je développe mon amendement.

J'ai, messieurs, combattu pendant deux ans, au sein de ce parlement, pour les libertés communales et je vous le déclare, je n'ai jamais compris la liberté communale comme M. le ministre des finances vient de l'expliquer. Qu'est-ce que la liberté communale? C'est la liberté de faire tout ce que la loi n'interdit point, c'est l'exécution large des principes posé dans la Constitution. Or, voici ce que porte la Constitution, article 31 ; elle dit que les intérêts communaux sont réglés par les conseils communaux.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les intérêts exclusivement communaux.

M. Dumortier. - Voici le texte :

« Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d'après les principes établis par la Constitution. »

Maintenant quels sont les principes établis par la Constitution ? Nous les trouvons à l'article 108, qui porte :

« Ces lois (la loi communale et la loi provinciale) consacreront l'application des principes suivants :

« 1°...

« 2° L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal, sans préjudice de l'approbation de leurs actes, dans les cas et suivant le mode que la loi détermine. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est cela.

M. Dumortier. - Ce n'est point cela du tout, et je vais vous le prouver.

Le système de M. le ministre des finances est tout autre, c'est le système du pouvoir fort, c'est-à-dire que les communes ne peuvent plus rien faire, rien, absolument rien sans l'approbation du pouvoir central. Eh bien, c'est précisément ce que nous avons combattu pendant deux années, c'est en cela précisément que nous avons émancipé les communes. Nous avons voulu conserver pour les actes de haute importance l'approbation royale, mais nous avons dit que tout ce qui n'était point dans la loi entrait dans la liberté d'agir des communes, et si nous n'avons pas mis dans la loi la disposition que l'honorable M. Frère regrette de ne pas y voir , ce n'est pas qu'il n'existait point alors de conventions entre les communes et le clergé; ces conventions existaient déjà , mais nous étions alors dans une largeur d'idées, telle que nous admettions toutes les libertés de la commune lorsqu'elles ne contrariaient pas l'intérêt de l'Etat.

Voilà en quoi nous différons de l'honorable M. Frère. Voilà la liberté, non pas resserrée par le gouvernement, mais la liberté large pour la commune comme pour le père de famille. Voilà les principes de la loi communale, qui ne sont pas autre chose que les principes de la Constitution.

M. le président. - Veuillez en venir à la question de rétroactivité.

M. Dumortier. - J'y suis, M. le président.

Si donc les communes ont pu, aux termes de la Constitution, quoi qu'en dise M. Frère, poser tous les actes que la loi communale ne leur défendait pas, les actes dont il s'agit sont légaux, et dès lors vouloir, aujourd'hui, les soumettre à une autorisation nouvelle, c'est donner à la loi un caractère rétroactif.

Vous voyez, messieurs, que ce détour que j'ai dû prendre avant d'en venir à ma conclusion, était indispensable pour arriver à cette démonstration.

Ainsi, messieurs, pour mon compte, je ne conçois pas comme possible de venir prétendre que le gouvernement doit donner son autorisation pour que telle ou telle commune puisse faire un contrat avec tel ou tel instituteur quel qu'il soit, alors que nous voyons tous les jours des communes poser des actes absolument identiques pour tous leurs intérêts. Que fait une commune lorsqu'il s'agit d'un théâtre, qui est aussi un mode d'instruction? La commune abandonne ce théâtre à un directeur et je ne sais pas si l'honorable M. Frère voudrait que la régence de Bruxelles vînt jouer sur la scène. Et lorsqu'une commune abandonne une caserne au gouvernement, n'agit-elle pas de même?

Et lorsque les villes de Bruxelles et de Louvain ont abandonné des locaux aux universités, ont-elles eu besoin de l'autorisation du gouvernement? Ces communes ont usé de leur droit et elles ont bien fait. Elles ont usé de la liberté communale, non point étriquée comme la voudrait M. Frère, mais large comme la veut la Constitution. Lorsque la ville de Bruxelles a abandonné des locaux à l'université, et lorsqu'elle lui a accordé un subside de 30,000 fr. par an, elle a bien fait et elle n'a pas eu besoin de l'autorisation du gouvernement.

M. Orts. - Son budget est approuvé par le gouvernement.

M. Dumortier. - Les budgets de toutes les communes sont approuvés en vertu de la loi, les uns comme les autres. (Interruption.)

Tout budget est soumis à l'approbation légale; si un budget n'est pas approuvé par le gouvernement, c'est que la loi communale ne l'a pas exigé; quand la députation permanente approuve un budget, la légalité est sauve.

Vous ne pouvez pas poser dans la loi un principe dont demain on pourrait venir argumenter pour détruire l'université de Bruxelles ou celle de Louvain. C'est identiquement la même chose. Il n'y a nulle différence.

La commune de Bruxelles a usé de son droit: je ne crois pas que l'honorable M. Frère veuille prétendre qu'elle n'a pas usé de son droit, lorsqu'elle a créé l'université de Bruxelles; elle a usé de son droit et elle a bien fait. Il ne faut pas deux poids et deux mesures; il ne faut pas une mesure pour les établissements religieux et une autre mesure pour les autres établissements libres. Il faut que tout le monde soit placé au même niveau en Belgique. Il faut que l'action de la loi soit la même pour tous.

M. le président. - Je ferai remarquer à M. Dumortier que, la parole ne lui a été cédée que pour le développement de sa proposition.

M. Dumortier. - Je développe ma proposition. Pour, démontrer que c'est une mesure de rétroactivité qu'on vous propose, il fallait bien que j'établisse que les contrats actuels ont été faits conformément à la loi. (Aux voix !)

Messieurs, je ne veux pas aller plus loin, en présence de l'impatience que l'on manifeste ; j'ai présenté mes arguments essentiels; j'aurais cependant d'autres observations à faire, mais je suis prêt à céder la parole.

Je soutiens, en terminant, que la thèse que j'ai défendue est celle de la liberté communale, et que la mesure qu'on propose est une mesure de rétroactivité, en tant qu'elle s'appliquerait à des établissements qui existent en vertu de conventions très légales. Quant au surplus, j'abandonne la discussion; je regrette seulement de ne pas pouvoir présenter encore quelques observations.

- L'amendement de M. Dumortier est appuyé.

M. le président. - M. de Theux a présenté à l'article 32 un amendement qu'il développera à son tour de parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, contrairement à ce que soutient l'honorable M. Dumortier, il n'y a pas l'ombre de rétroactivité dans la mesure proposée. L'article 87 de la loi communale autorise l'annulation, par le pouvoir législatif, d'actes qui seraient contraires aux prescriptions de la loi...

M. Dumortier. - Actes par actes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne discute pas cette question, mais je dis que si l'opinion que vous avez soutenue était vraie, il serait impossible d'annuler un seul acte, puisqu'on déclarerait toujours que la mesure a un effet rétroactif.

M. Delfosse. - Messieurs, j'avais demandé la parole uniquement pour relever une citation inexacte qui a été faite par l'honorable M. Dechamps dans la séance de samedi; mais je profiterai de l'occasion pour relever également une citation incomplète que l'honorable M. Dumortier vient de faire.

L'honorable M. Dumortier a cité un paragraphe de la Constitution ; il nous a cité le paragraphe 5 de l'article 108; ce paragraphe n'admet « l'intervention du Roi ou du pouvoir législatif que pour empêcher que les conseils provinciaux ou communaux ne sortent de leurs attributions et ne blessent l'intérêt général. » Mais l'honorable M. Dumortier a oublié de nous citer le paragraphe 2 du même article ; ce paragraphe porte :

« L'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal, sans préjudice de l'approbation de leurs actes, dans les cas et suivant le mode que la loi détermine. »

M. Dumortier. - C'est ce qu'a fait la loi communale.

M. Delfosse. - La loi peut, aux termes de la Constitution, soumettre certains actes des conseils communaux à l'approbation, soit de la députation permanente, soit du Roi; la disposition que l'honorable M. Dumortier combat est tout à fait constitutionnelle.

Il s'agit seulement de savoir si les actes prévus par le deuxième paragraphe de l'article 6 et par l'article 32, sont assez importants pour que l'on exige l'approbation du Roi ; ne dites donc pas que nous sortons de la (page 1313) Constitution; ne citez pas seulement le paragraphe 5 de l'article 108, citez aussi le paragraphe 2 qui a la même valeur.

Messieurs, pour démontrer que ces actes n'ont pas assez d'importance pour être soumis à l'approbation du Roi, l'honorable M. Dechamps invoquait samedi, l'exemple de la France. Il nous disait qu'en France, où le pouvoir central a, en général, plus d'attributions, les actes de cette nature ne sont pas soumis à l'approbation du pouvoir exécutif. Selon l'honorable membre, en France, une commune pourrait donner un local ou une subvention à un établissement privé sans l'intervention du gouvernement. L'approbation du conseil académique, et en cas de refus de la part du conseil académique, celle du conseil supérieur serait seule requise.

Il y a là, messieurs, erreur complète. En France, une commune ne peut donner ni subvention ni local à un établissement d'instruction privé qu'avec l'approbation du gouvernement, mais avant de se prononcer, le gouvernement doit prendre l'avis du conseil académique.

Si le conseil académique donne un avis défavorable, on peut se pourvoir auprès du conseil supérieur, mais c'est, dans tous les cas, le gouvernement qui statue.

En France, une commune ne peut, je le répète, subventionner un établissement d'instruction privée où lui donner un local, que sur l'avis du conseil académique ou du conseil supérieur, et il faut, en outre, l'approbation du roi...

- Un membre. - Il n'y a plus de roi en France.

M. Delfosse. - C'est juste; il faut en outre l'approbation du président de la République, comme, d'après le projet, il faudra chez nous celle du Roi.

Il y a plus, c'est qu'en France, le gouvernement ne pourrait pas autoriser, dans tous les cas, une commune à subventionner un établissement d'instruction privée; le gouvernement n'a ce droit qu'autant que la subvention n'excède pas le dixième des dépenses annuelles de l'établissement. Si la commune voulait accorder une subvention excédant le dixième, la mesure ne pourrait être approuvée par le gouvernement.

Chez nous, d'après le projet de loi la commune pourra se charger du quart, du tiers et même d'une part plus forte de la dépense. Est-ce trop, alors qu'on va aussi loin, que d'exiger l'intervention du gouvernement? Cette intervention est nécessaire, je l'ai démontré dans la discussion générale, et les conventions dont il s'agit pourraient contenir indirectement une délégation de pouvoir; la délégation directe des pouvoirs de la commune est formellement interdite par la loi. Il est bon que le gouvernement puisse examiner si on ne viole pas cette défense d'une manière détournée.

C'est pour ce motif que nous ne nous contentons pas dans ce cas de l'approbation de la députation permanente; si l'approbation du gouvernement n'était pas requise, le gouvernement ne serait pas pour cela désarmé, il pourrait annuler les conventions qui lui paraîtraient contraires à la loi ou à l'intérêt général. Mais c'est là une mesure extrême, à laquelle il faut recourir le moins possible; il est plus sage de soumettre ces sortes d'actes à l'approbation du gouvernement, et il va sans dire que le gouvernement approuvera tous ceux qui ne seront pas entachés d'une grave irrégularité.

Messieurs, je dirai maintenant un mot de la disposition additionnelle que la section centrale propose. Cette disposition porte que les conventions contraires au présent article cesseront leurs effets. Je regarde cette disposition comme entièrement inutile. Remarquez que si la loi est adoptée, les conventions faites seront soumises à l'approbation du gouvernement. Il est clair que le gouvernement n'approuvera pas celles qui seraient contraires à la loi. Je propose donc la suppression de la disposition additionnelle proposée par la section centrale.

- Plusieurs voix. - La clôture! la clôture!

M. de Theux. - Je pense que la chambre ne me refusera pas la parole pour développer mon amendement. Je demanderai en même temps la permission de démontrer en peu de mots que M. le ministre des finances s'est trompé sur le texte de la loi communale applicable à la matière.

- Plusieurs membres. - Parlez ! parlez !

M. de Theux. - Messieurs, je prouverai en très peu de mots que l'amendement de M. de Luesemans, qui soumet les conventions de cette nature à l'approbation de la députation, va plus loin que la loi communale, et que l’article 32 du gouvernement va plus loin qu'aucun texte de la loi communale, qu'il y a même contradiction à cet égard.

Comment supposer que les députations qui ont prétendu que les conventions ayant cet objet n'étaient pas soumises à leur approbation, auraient méconnu la loi, que le gouvernement ne leur aurait pas donné des instructions, s'il avait cru qu'elles se fussent trompées.

En effet, il y a un texte formel de la loi communale sur lequel ces conventions sont fondées; ce n'est ni l'article 76 ni l'article 77; elles reposent sur l'article 81 qui porte :

« Le conseil arrête les conditions de location ou de fermage et de tout autre usage des produits et revenus des propriétés et droits de la commune. »

C'est simplement l'application de cet article que les communes font. Ces actes ne sont pas soumis à l'approbation de la députation permanente, à moins qu'ils émanent de communes soumises à la juridiction du commissaire d'arrondissement. Quand la commune ajoute un subside, la convention rentre dans l'article 77, qui charge la députation de l'approbation de toutes les dépenses communales.

Quoi qu'il en soit, pour mon compte, je ne m'oppose pas à ce que ces conventions soient soumises à l'approbation de la députation, qu'a proposée M. de Luesemans, mais sous forme de concession, par dérogation à l'article 81 de la loi communale. Le gouvernement demande que cela soit soumis à l'approbation du Roi. Cela ne serait pas en harmonie avec le vote de la dernière séance, par lequel vous avez permis aux communes de fonder un établissement d'instruction avec l'approbation de la députation. Une convention par laquelle une commune céderait un local à un tiers pour 10 ans ne peut léser les intérêts, n'excède pas les droits de la commune, puisque ce n'est qu'un an de plus que les baux qu'elle est autorisée à passer.

Pour ceci vous exigeriez l'avis conforme de la députation et l'approbation du Roi; et si la commune prenait une autre résolution, celle de supprimer son collège et de vendre les bâtiments, il suffirait du simple avis de la députation et de l'approbation du gouvernement.

Si la commune se mettait dans l'impossibilité pour l'avenir de pourvoir à l'entretien de son collège, il suffirait d'un simple avis de la députation pour le supprimer, et pour un acte par lequel la commune conserve à ses bâtiments l'usage pour lequel ils sont destinés, mais en faisant un arrangement avec un tiers, vous exigez l'avis conforme de la députation et l'autorisation du Roi ! Cela n'est pas soutenable.

Je demande que vous adoptiez la proposition de M. de Luesemans, conformément à ce que vous avez adopté à la dernière séance, et que vous réserviez le recours au gouvernement; il n'y a aucune matière dans la loi communale pour laquelle il faille l'avis conforme de la députation en sus de l'approbation du Roi.

Un mot sur les conventions antérieures. Sur ce point, il y a eu un peu de confusion dans la discussion. En réalité , on n'est pas éloigné des principes en ce qui concerne les conventions antérieures par lesquelles la commune a donné l'usage d'immeubles pour un établissement d'instruction et qui ne contiennent rien de contraire à votre loi ; puisque le gouvernement est disposé à approuver toutes celles qui sont dans ce cas, il n'y a pas de motif pour lui d'insister pour qu'elles soient soumises à une nouvelle approbation ; puisque le gouvernement reconnaît aux communes la faculté de faire des conventions semblables, c'est une question de mots; d'après la déclaration de M. le ministre, le gouvernement n'a pas l'intention d'annuler les conventions qui ne sont pas contraires à la loi ; pourquoi dès lors insister pour avoir la possibilité de donner une espèce de rétroactivité à la loi? Le gouvernement examinera si la convention est ou non conforme à la loi, si elle est conforme, il n'est pas dans son intention de l'annuler.

Nous sommes d'accord pour laisser au gouvernement le droit d'annuler les conventions par lesquelles le droit de nomination des professeurs, ou d'intervention dans la nomination des professeurs a été stipulé. Cependant c'est une dérogation aux principes en matière de rétroactivité; car, dans la loi communale, vous ne trouveriez aucun texte qui interdît à la commune de s'entendre avec un tiers pour le choix des professeurs. Quoiqu'une commune ait accepté un principal à qui, en échange de ses soins, elle a abandonné le choix du personnel, ce n'est pas un motif pour annuler la convention comme illégale; car s'il en était ainsi, toutes les conventions par lesquelles les communes ont fait abandon au gouvernement du droit de nomination des professeurs ne seraient pas moins illégales. Cependant personne ne l'a soutenu.

Si c'est un principe de droit public qu'on veut introduire dans la loi, rien ne s'y oppose. Mais si l'on suppose qu'il a été consacré par la loi communale, on est dans l'erreur, on devrait dire que toutes les conventions faites avec le gouvernement sont également illégales.

Il me semble que la proposition de l'honorable M. de Luesemans est conforme aux exigences de l'opinion qui demande la révision des conventions dont je viens de parler.

Pour le reste, M. de Luesemans ne demande que le maintien des conventions qui n'ont rien de contraire aux principes que vous voulez consacrer, pour lesquelles nous faisons une concession au gouvernement.

Pour l'avenir, l'honorable M. de Luesemans va plus loin que l'article 8 de la loi communale, en vertu duquel la commune a pu faire des conventions.

Je n'en dirai pas davantage. La chambre me paraît parfaitement éclairée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On n'a rien dit de l'amendement proposé par l'honorable M. de Luesemans, au dernier paragraphe de l'article 32 et auquel on paraît se rallier. Mais cet amendement ne vient pas à l'article 32; sa place est à l'article 6, parce que l'article 32 est pour l'avenir et l'article 6 pour le passé. Le dernier paragraphe de l'article 32 a pour objet précisément les conventions. Mais un seul mot vous démontrera que cet amendement ne peut être admis. Il porte: « Sont dispensées de l'approbation ci-dessus (même de la députation) les conventions faites avec des tiers, antérieurement à la présente loi, et qui ne contiennent aucune stipulation qui y soit contraire. » Qui sera juge?

M. de Theux. - Le gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Toute la difficulté renaît. Il n'y a pas de solution. Si c'était une solution, je le comprendrais. Mais permettez-moi de vous le dire. Vous allez accorder au gouvernement indirectement ce qu'il demande directement.

Qui sera juge? Il faut bien qu'on réponde : C'est le gouvernement qui (page 1314) examinera si, en effet, les conventions sont contraires à la loi. Eh bien, il aura le droit de les approuver, ou de les improuver.

M. de Theux. - Oui, mais sous le contrôle des chambres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous ne demandons pas davantage. C'est aussi sous le contrôle des chambres que nous demandons le droit de statuer sur les conventions.

M. Thibaut. - Mais vous devrez vérifier si les conventions sont contraires à la loi. Vous ne pourrez aller au-delà.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non; dans toutes les hypothèses. C'est exactement la même chose. L'amendement de l'honorable M. de Luesemans n'y fait absolument rien.

M. de Liedekerke. - Alors acceptez-le.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faudra toujours que le gouvernement soit juge, en d'autres termes qu'il approuve. Or que demandons-nous? L'approbation par le gouvernement.

M. Thibaut. - Vous pourriez refuser d'approuver les conventions, quand même elles seraient conformes à la loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il en sera de même avec l'amendement puisque le gouvernement sera seul juge.

M. Dumortier. - C'est ce que demandait le roi Guillaume.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On examine ici une question toute de bonne foi. On montre que l'amendement mène au même résultat que l'article du projet. Il est impossible de l'entendre autrement.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Osy. - Je retire mon amendement, et je me rallie à la proposition faite par M. de Brouckere de supprimer le deuxième paragraphe de l'article 6.

M. le président. - Je proposerai à la chambre de voter l'article paragraphe par paragraphe et chacun des amendements qui s'y rattachent.

M. de Theux. - Il faudrait, je crois, commencer par statuer sur l'amendement de M. de Luesemans dont chacun comprend la portée, et qui résout la question de savoir si l'autorisation de la députation pourra suffire, sauf recours au Roi.

M. Delfosse. - Il faut avant tout mettre aux voix le premier paragraphe de l'article 6. L'amendement dont on parle ne concerne que le second paragraphe.

M. de Theux. - C'est juste.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On est d'accord sur le premier paragraphe.

M. Delfosse. - Oui, mais il faut le mettre aux voix.

M. le président. - Voici ce premier paragraphe, article 6 :

« Les résolutions des conseils communaux, portant fondation d'un établissement d'instruction moyenne, sont soumises à l'approbation de la députation permanente du conseil provincial, sauf recours au Roi en cas de refus. »

-Ce paragraphe est adopté.

M. le président. - Nous passons au second paragraphe :

« Les communes auront à décider, dans les six mois, si elles entendent maintenir les établissements d'instruction moyenne, dans lesquels elles interviennent, soit directement, soit indirectement, et dans quelle catégorie elles veulent les faire rentrer. Ces résolutions sont soumises à l'avis de la députation permanente du conseil provincial et à l'approbation du Roi. Toutefois l'approbation de la députation permanente suffit pour les établissements exclusivement communaux, sauf recours au Roi, en cas de refus. »

A ce paragraphe il y a l'amendement de M. Moncheur, ainsi conçu :

« Après les mots : « Ces résolutions sont soumises, » dire : « à l'approbation de la députation permanente, sauf recours au Roi, en cas de refus. »

Nous avons aussi l'amendement de M. Van Hoorebeke, ainsi conçu :

« Les communes auront à décider, endéans les six mois, si elles entendent maintenir leurs établissements d'instruction moyenne érigés à leurs frais.

«L es communes auront aussi à décider, dans le même délai, si elles entendent maintenir les contrats signés antérieurement à la publication de la présente loi et qui ont eu pour but d'allouer, soit un subside, soit la jouissance d'un immeuble à des établissements d'instruction libre. »

M. Dechamps (sur la position de la question). - Je crois qu'il faut commencer par voter sur l'amendement de M. Van Hoorebeke, qui s'éloigne le plus du projet; il ne demande aucune autorisation.

S'il est rejeté, viendra l'amendement de M. Moncheur, qui soumet à l'avis de la députation permanente.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Relativement à l'amendement de M. Van Hoorebeke, je ferai remarquer, au fond, qu'il donne exactement encore les mêmes droits au gouvernement, mais cette fois en vertu de l'article 87 de la loi communale.

M. le président. - C'est le fond. La discussion est close.

- L'amendement de M. Van Hoorebeke est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

M. le président. - Je mets aux voix l'amendement de M. Moncheur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il faut, me paraît-il, voter d'abord sur le dernier paragraphe de l'amendement de M.de Luesemans. C'est bien celui qui s'écarte le plus du projet, puisqu'il ne requiert aucune approbation, tandis que l'amendement de M. Moncheur requiert l'approbation de la députation permanente. (Adhésion.)

M. le président. - Voici ce dernier paragraphe :

« Sont dispensés de l'approbation ci-dessus, les conventions faites avec des tiers, antérieurement à la présente loi, et qui ne contiennent aucune stipulation qui lui soit contraire. »

- Ce paragraphe est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. Moncheur est mis aux voix.

- Plusieurs membres. - L'appel nominal!

Il est procédé au vote par appel nominal.

En voici le résultat :

88 membres ont répondu à l'appel.

34 ont dit oui.

54 ont dit non.

En conséquence, l'amendement n'est pas adopté.

Ont voté l'adoption : MM. de Liedekerke, de Luesemans, de Man d'Attenrode, de Meester, de Mérode, de Renesse, de Theux, de T'Serclaes, Dumortier, Jacques, Julliot, le Bailly de Tilleghem, Mercier, Moncheur, Osy, Pirmez, Rodenbach, Thibaut, Toussaint, Van Cleemputte, Vanden Berghe de Binckum, Vanden Branden de Reeth, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (Ernest), Van Iseghem, Van Renynghe, Vermeire, Vilain XIIII, Clep, Coomans, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, Dedecker et de Haerne.

Ont voté le rejet : MM. Delfosse, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, De Pouhon, Dequesne, de Royer, Desoer, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Fontainas, Frère-Orban, Jouret, Jullien, Lange, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Manilius, Mascart, Moxhon, Orts, Pierre, Prévinaire, Rogier, Rolin, Rousselle, Schumacher, Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Van Grootven, Allard, Anspach, Boedt, Bruneau, Cans, Christiaens, Cools, Cumont, Dautrebande, David, de Baillet (Hyacinthe), de Baillet-Latour, de Breyne, Delehaye, Delescluse et Verhaegen.

M. le président. - Voici maintenant le deuxième paragraphe de l'article 6, proposé par la section centrale :

« Par suite de la présente loi, les communes auront à décider, endéans les trois mois, si elles entendent maintenir les établissements d'instruction moyenne dans lesquels elles interviennent soit directement, soit indirectement, et dans quelle catégorie elles veulent les faire rentrer. Ces résolutions sont soumises à l'avis de la députation permanente du conseil provincial et à l'approbation du Roi. »

-Ce paragraphe est adopté.

Article 7 (nouveau)

M. le président. - Nous avons maintenant le nouvel article 7 proposé par la section centrale, et qui n'est que la reproduction du dernier paragraphe de l'article 6.

Il y a à cet article deux amendements, l'un est de M. Dumortier, l'autre de M. Delfosse.

M. Dequesne, rapporteur. - La section centrale se rallie à l'amendement de M. Delfosse.

M. Dumortier. - Mon amendement s'applique à l'article 6. C'est un paragraphe additionnel que j'ai proposé à cet article, pour le cas où la proposition de la section centrale serait adoptée.

M. le président. - Nous en sommes en réalité à l'article 6 du projet primitif, comme je l'ai expliqué tout à l'heure.

On pourrait commencer par voter sur l'amendement de M. Dumortier. Il est ainsi conçu :

« La disposition qui précède n'aura pas d'effet rétroactif pour les collèges conformes à la présente loi. »

- Plusieurs membres. - L'appel nominal.

- D'autres membres . - C'est rejeté.

M. Le Hon. - Messieurs, il me semble évident que l'amendement proposé par l'honorable M. Dumortier reproduit d'une manière presque identique l'amendement de M. de Luesemans, sur lequel la chambre vient de voter ; il suffit de lire ce dernier pour s'en convaincre ; en voici les termes :

« Sont dispensées de l'approbation ci-dessus les conventions faites avec des tiers, antérieurement à la présente loi et qui ne contiennent aucune stipulation qui lui soit contraire. »

En rejetant cette disposition, vous avez implicitement et nécessairement rejeté l'amendement de M. Dumortier : c'est le cas de la question préalable.

M. Dumortier. - Il y a une différence entre l'amendement de M. de Luesemans et le mien; c'est que M. de Luesemans dispensait les collèges dont il s'agit d'une nouvelle approbation, tandis que moi, je me borne à dire que la loi n'aura pas d'effet rétroactif.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est clair que, au fond l'amendement de l'honorable M. Dumortier et celui de l'honorable M. de Luesemans, qui vient d'être rejeté, ont identiquement le même objet : (page 1315) c’est de sauvegarder les conventions qui ne sont pas contraires à la loi. Nous nous sommes expliqués sur l'amendement de M. de Luesemans, je m'y reviens point; mais, en réalité, c'était exactement la même chose. M. Dumortier demande ce que M. de Luesemans demandait et ce que la chambre a rejeté en rejetant l'amendement de M. de Luesemans. C'est donc le cas ou jamais de voter la question préalable.

M. Lelièvre. - Je viens demander la question préalable sur l'amendement de l'honorable M. Dumortier, parce que la décision prise par la chambre sur l'amendement de l'honorable M. de Luesemans écarte nécessairement la proposition de M. Dumortier ; les deux amendements sont relatifs à la même question et, quoique conçus en termes différents, ils ont le même objet. En conséquence le rejet du premier amendement entraine nécessairement celui du second. Il y a donc chose jugée sur le point litigieux.

- La question préalable sur l'amendement de M. Dumortier est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Je mets aux voix l'article 7 nouveau. La section centrale renonce au second paragraphe.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Le second paragraphe n'avait pour but que d'expliquer l'article 7; il n'ajoutait rien à la loi; nous nous rallions à la suppression proposée.

- L'article 7 nouveau, moins le dernier paragraphe, qui est supprimé, est mis aux voix et adopté.

Article 32

M. le président. - Nous arrivons au vote de l'article 32. Il y a trois amendements ; celui de M. de Luesemans, celui de M. de Theux et celui de M. Delfosse.

L'amendement de M. de Theux a pour objet de supprimer dans l'article le mot « conforme », pour le cas où l'amendement de M. de Luesemans ne serait pas adopté.

M. Delfosse. - Je crois que, dans la pensée de l'honorable rapporteur, le mot « conforme » doit disparaître du premier paragraphe de l'article 32, dans tous les cas; l'honorable M. de Theux n'a proposé de le supprimer qu'en cas de rejet de la proposition de l'honorable M. de Luesemans.

M. de Luesemans. - Je demanderai à l'honorable rapporteur s'il entend faire disparaître le mot « conforme » dans le premier et le second paragraphe.

M. Dequesne, rapporteur. - La section centrale supprime le mot « conforme » dans le premier paragraphe, et le maintient dans le second.

M. de Theux. - Messieurs, il est bien clair que je n'ai entendu demander la suppression du mot « conforme » que dans le premier paragraphe.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Comme on supprime le mot « conforme » dans le premier paragraphe, il faut y remplacer les mots de l'avis par ceux-ci : « sur l'avis ».

M. le président. - On pourrait dire : « la députation permanente du conseil provincial entendue ». (C'est cela !)

Je mets aux voix l'amendement de M. de Luesemans.

- Des membres. - La division.

- Le premier paragraphe de l'amendement est mis aux voix et n'est pas adopté.

M. de Theux. - Ici vient maintenant un amendement tendant à supprimer le mot « conforme » dans le premier paragraphe de l'article 32 du projet de la section centrale.

- Cette suppression, mise aux voix, est adoptée. L'amendement proposé par M. Delfosse au second paragraphe, est mis aux voix et également adopté.

Le premier paragraphe du projet de la section centrale, ainsi amendé, est mis aux voix et adopté.

Le deuxième paragraphe de l'amendement de M. de Luesemans est ensuite mis aux voix et adopté.

Le second paragraphe de l'article de la section centrale est adopté.

Article 7 (ancien)

M. le président. - Nous revenons à l'article 7 ancien, qui est ainsi conçu :

« Art. 7. Les conditions de l'érection ou du maintien d'un établissement communal d'instruction moyenne seront les suivantes :

« 1° Que la commune fournisse un local et un matériel convenables, et qu'elle se charge d'entretenir l'un et l'autre à ses frais.

« 2° Que l'établissement offre les garanties d'une institution utile et durable, et qu'il donne une instruction moyenne complète suivant le degré auquel il appartiendra.

« L'établissement, pour être considéré comme complet, n'aura pas besoin de comprendre les deux genres d'enseignement, les humanités et les cours professionnels : il suffira qu'il soit complet sous l'un des deux rapports seulement. »

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'article 7 renferme des recommandations purement administratives, nous n'avons pas vu d'inconvénient à nous rallier aussi à la demande de la suppression.

- La suppression de l'article 7 ancien est mise aux voix et prononcée.

Article 8

« Art. 8. Les ministres des cultes seront invites à donner ou à surveiller l'enseignement religieux dans les établissements soumis au régime de la présente loi. »

A cet article plusieurs amendements sont présentés :

1° Par M. le Bailly de Tilleghem qui a ajouté un quatrième paragraphe à l'amendement qu'il avait dépose et qui est ainsi conçu :

« L'instruction moyenne comprend l'enseignement religieux.

« Les ministres des cultes seront appelés à donner et à surveiller l'enseignement religieux dans les établissements soumis au régime de la présente loi.

« Le gouvernement et les communes se concerteront dans ce but avec les chefs des cultes pour assurer dans cette matière une instruction religieuse qui puisse donner au père de famille les garanties les plus satisfaisantes.

« Si, pour un motif quelconque, ce concert ne pouvait avoir lieu, les autorités chargées de l'administration de ces établissements font suivre aux élèves desdits établissements les exercices d'instruction religieuse qui ont lieu dans les églises ou dans les temples des diverses communions auxquelles les élèves appartiennent. »

2° Par M. Jullien.

« L'enseignement religieux fait partie du programme des études dans les établissements soumis au régime de la présente loi.

« Les ministres des cultes seront invités à donner ou à surveiller cet enseignement, lequel néanmoins ne sera obligatoire que pour autant que leur concours soit accordé. »

3° Par MM. Liedekerke et Dumortier qui proposent la disposition suivante :

« L'enseignement religieux fait partie du programme des études dans les établissements soumis au régime de la présente loi.

« Les ministres du culte sont appelés à donner, à surveiller et à inspecter cet enseignement. »

M. Jullien. - J'aurai l'honneur de faire remarquer que l'amendement proposé par M. Osy, à l'article 22, se rattache très intimement à l'article 8; je demanderai que la discussion s'ouvre en même temps sur cet amendement.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - La parole est à M. de Liedekerke pour développer son amendement.

M. de Liedekerke. - Messieurs, il est l'heure à laquelle nos séances finissent d'ordinaire; la chambre aura de la peine à prêter maintenant son attention aux débats que soulèvera l'article 8; je n'aurai pas fini les développements de mon amendement en quelques minutes.

Je crois qu'il serait conforme à nos précédents de continuer la discussion à demain. Après un débat aussi long et aussi confus que celui que nous venons de terminer, la chambre sera peu disposée, à une heure aussi avancée, à en entamer un autre sérieusement.

- Plusieurs voix. - Continuons ! continuons!

M. le Bailly de Tilleghem. - Je suis prêt à développer mon nouvel amendement.

M. le président. - Vous avez la parole.

M. le Bailly de Tilleghem. - Messieurs, en présentant, au début de cette discussion solennelle, un amendement ayant pour but de faire inscrire dans la loi la religion comme matière obligatoire et indispensable de l'enseignement, j'ai obéi à une conviction profonde, à une pensée sociale, que la Belgique ne saurait mettre en oubli sans creuser sous ses pieds un abîme effrayant.

Oui, messieurs, l'influence religieuse doit être maintenue dans les collèges, non pas d'une manière illusoire, disputée, admise en petite mesure et par forme de tolérance, mais fortement, efficacement, positivement.

Est-il nécessaire d'insister sur ce point ?

Je ne le crois pas, messieurs; toute la chambre proclamera cette vérité, de même qu'on la proclame hors de cette enceinte. Philosophiquement et comme théorie, tous tant que nous sommes ici, nous protestons que telles sont nos convictions, qu'il faut que l'enseignement religieux s'élève en même temps que l'intelligence des élèves se développe (exposé des motifs du projet); que l'éducation, en un mot, soit le contre-poison du désordre moral et intellectuel qui infecte les esprits!

La politique gouvernementale comme la section centrale reconnaissent comme nous la nécessité de l'instruction morale et religieuse dans l'enseignement moyen.

Comme nous, le ministère et la majorité reconnaissent encore qu'il est impossible d'isoler l’enseignement littéraire et historique de l'instruction morale et religieuse, qu'il est impossible de donner le premier sans toucher à la seconde; que chaque page littéraire, que chaque fait historique touche à une loi morale et aux dogmes qui sanctionnent cette loi.

L'idée religieuse est donc partout! Ainsi vouloir organiser un enseignement littéraire et historique qui serait complètement isolé, séparé, dépouillé de l'idée morale et religieuse, c'est donc impossible!

Alors pourquoi dans la pratique reculerions-nous devant la conséquence logique? Pourquoi n'inscririons-nous pas dans la loi nos convictions intimes, au lieu de décréter cet enseignement à l'article 8 par une expression ombrageuse qui porte l'empreinte des longs conflits qu'a occasionnés depuis longtemps cette question.

Permettez-moi, messieurs, de le dire avec une entière franchise.

On a une crainte vague de l'envahissement clérical.

C'est l’objection que que l'on soulève autour de moi.

C’est sous l'empire de cette crainte que le projet de loi a été élaboré.

C'est l'appréhension qui, au milieu des ménagements oratoires de (page 1316) l'orateur et de l'homme d'Etat, transpire dans les discours de l'honorable ministre de l'intérieur.

C'est le fantôme qu'agite devant nous une partie de la presse et qui a fait dire que la loi que nous discutons est une loi de parti, la peur de l'envahissement clérical, voilà ce qui empêcherait la législature de faire disparaître une lacune capitale!

Ah! messieurs, laissons là enfin ces fantômes et ces prétextes qui ont fait leur temps!

Ils sont nés malheureusement de nos divisions fatales et à tout jamais regrettables!

Personne, je pense, ne peut contester la profonde défectuosité de l'article 8.

On ne peut méconnaître que le projet de loi ne formule pas convenablement les garanties de l'enseignement religieux.

Le gouvernement, tout en posant les prescriptions de l'article 8, semble n'avoir en vue que de se préserver du danger de passer l'élément religieux sous silence.

Et, comme l'a fort bien dit un publiciste distingué, c'eût été éluder, en tranchant le noeud vital « une difficulté qu'il faut savoir résoudre avec intelligence et prudence. »

Le ministère ne l'a pas fait, nous devons tous lui en savoir gré.

Mais, messieurs, ce que le gouvernement a fait par l'article 8 n'est pas suffisant, et, comme l'a fait très judicieusement observer l'honorable M. Jullien :

« L'enseignement de la religion doit être inscrit officiellement dans la loi !

« La loi doit être l'expression sincère de la pensée du législateur.

« Il ne faut pas que les populations puissent avoir contre la loi l'ombre d'un soupçon. »

Messieurs, la religion ne fait pas seulement une matière de l'enseignement civil, c'est un programme tout entier, c'est une puissance tout entière, au-dessus de la puissance humaine, qui enveloppe de sa lumière tout enseignement.

L'enseignement religieux doit donc être installé comme une puissance en face de l'enseignement civil.

Il doit y trouver une place officielle, en présence de l'enseignement de l'Etat.

L'honorable ministre, M. Rolin, avec ce talent et ce dévouement à la bonne cause qu'on se plaît tant à lui reconnaître, lors même qu'on le croit dans l'erreur, proteste qu'il voudrait voir la religion inscrite au frontispice de l'athénée.

Mais qu'il me soit permis de faire remarquer que l'honorable ministre, tout en s'exprimant ainsi, semble en même temps révoquer en doute la possibilité d'assurer au gouvernement le concours du clergé.

Ce que je ne puis croire, car il faudrait supposer que les conditions qui feront la base de ce concours seraient de nature à l'empêcher: et pour lors j'ai pensé pouvoir y suppléer par le cinquième paragraphe de mon amendement.

Par ce moyen, personne n'est contraint, ni le gouvernement qui reste juge des conditions qu'il veut imposer ou subir, ni l'autorité religieuse qui peut toujours donner ou refuser son concours, tandis que le grand principe de l'enseignement religieux est posé dans loi et ne fait plus exception à cette loi universellement reconnue qui rattache le bonheur et les progrès des peuples à Dieu.

Mais pourquoi douterions-nous du concours du clergé?

Serait-ce parce que nous supposerions au clergé des rancunes d'avoir été offensé, et qu'à sa place le ressentiment provoqué par cette offense serait pour nous à lui seul un motif d'abstention?

Ou bien, en douterions-nous parce que nous n'entendons pas assurer sérieusement au clergé les moyens d'accomplir toute la mission à laquelle nous le convions.

Mais je ferais injure au clergé si je le supposais capable d'obéir à un ressentiment dans une question aussi capitale ; car notez que c'est ici le clergé comme corps, et non pas l'un ou l'autre individu qui est en cause.

Mais je n'insiste pas; j'ai la certitude que cet hommage que nous sommes forcés de lui rendre reçoit l'assentiment de l'immense majorité du pays, comme au sein de la législature et dans le gouvernement.

Toute la difficulté se réduit donc à savoir s'il y a ou non moyen de se mettre d'accord avec le clergé, de l'appeler comme un allié indispensable et de lui faire honorablement ses conditions.

Elle est grande, messieurs; car c'est une œuvre d'entente cordiale, et nous nous trouvons en présence d'un projet de loi qui s'annonce pour ainsi dire comme une prise d'armes contre l'allié dont on demande le concours.

L'exposé des motifs part du principe qu'il faut faire concurrence, aux frais de l'Etat, aux établissements libres, parce que le clergé presque seul profile de la liberté. Le projet investit l'Etat du pouvoir de retirer au clergé les établissements que la commune a confiés à sa direction, et réserve au pouvoir central la faculté d'interdire tout patronage, toute faveur faite par une caisse publique quelconque aux collèges tenus par le clergé.

De retirer même le simple usage des bâtiments communaux concédé préalablement.

Enfin il donne à la nouvelle organisation centralisée, une telle extension que le pays s'y trouve enlacé.

Il monopolise la formation des professeurs qui seuls seront admis à donner l'instruction dans ces collèges, et n'offre au clergé aucune garantie de foi et de moralité en ce qui concerne la nomination de ces professeurs ni en ce qui concerne l'école normale où ils seront préparés.

Il ne stipule aucune garantie sur le caractère moral et religieux de l'enseignement qui devra être donné dans les établissements religieux moyens, ni sur celui des livres qui seront mis entre les mains des jeunes gens.

En un mot, permettez-moi, messieurs, l'expression, une pensée d'hostilité transpire dans toute la loi et l'absence de tout apaisement légitime donné à la religion se fait sentir d'un bout à l'autre, à moins d'apporter au projet de loi des modifications profondes. L'invitation que vous adresserez, seulement du bout des lèvres au clergé, sera à bon droit considérée comme dérisoire, parce que sa mission serait entravée et son concours ne saurait être honorable.

Toutefois je n'ignore pas que la prescription formelle de la loi rendant l'instruction religieuse obligatoire, ne remédie pas à ce mal.

Mais, en présentant mon amendement, j'ai eu le ferme espoir que des hommes rompus à la pratique se prêteraient à réformer la loi de manière à en faire une loi de transaction et d'harmonie, comme l'est celle de l'enseignement primaire, au lieu d'une loi de concurrence et d'antagonisme.

Si mes prévisions à cet égard étaient trompées, je me rallierais, à l'issue de nos discussions, soit à la proposition de l'honorable M. Osy, qui préfère le projet de 1834, soit à toute autre proposition qui me donnera la certitude morale que la prescription de l'article 8 pourra être et sera respectée.

La solution du problème dépend donc tout entière de nous : Veut-on déposer de vaines susceptibilités?

Voulez- vous faire disparaître de la loi les griefs qui inquiètent le pays?

Veut-on laisser au clergé, dans les établissements d'instruction publique, l'influence dont il a besoin pour se charger de l'éducation morale et religieuse de la jeunesse, dont vous formez l'esprit? Vous aurez fait une loi qui concilie tous les intérêts. Loin d'avoir à craindre alors que son concours vous fasse défaut, vous verrez le clergé vous donner la main avec empressement.

Je n'en veux d'autre preuve que la loi sur l'enseignement primaire, que j'ai déjà citée tant de fois.

Alors aussi, pendant la discussion, quelques membres manifestaient des défiances à l'égard du clergé.

On a déposé dans la loi les conditions d'une transaction honorable, et l'accord s'est établi avec une loyauté et une bonne foi qui doit servir d'exemple.

En conséquence, messieurs, je pense devoir maintenir mon amendement et je forme des vœux sincères pour qu'il puisse être adopté.

Si, après ce vote, d'autres modifications essentielles ne sont pas apportées à la loi de manière à rendre la prescription de mon amendement efficace, au jugement des hommes pratiques, je me réserve d'adhérer à toute proposition qui serait de nature à assurer mieux l'obtention du but.

Messieurs, il ne me reste plus qu'à vous demander la permission d'exprimer en dernier lieu, toute ma pensée, en disant : que, dans tous les cas, j'éprouverai un véritable et vif regret, si, pour obéir à mes convictions profondes, je me trouvais dans l'impossibilité d'accorder mon vote en faveur du projet de loi, à défaut de pouvoir y introduire toutes les améliorations, toutes les règles constitutionnelles dont il est susceptible.

Je le déclare avec une entière franchise, et l'honorable ministre de l'intérieur peut en être persuadé, ce n'est ni passion, ni esprit de parti qui me guident.

Sans précisément pouvoir être compris au nombre des honorables amis de M. Rogier, et dont quelques-uns se sont prononcés contre le projet de loi, je puis cependant avouer que j'ai su me ranger parmi les hommes qui estiment, qui défendent M. le ministre et sur le dévouement desquels il pourrait compter le plus au jour d'un danger suprême.

Je continuerai cependant à former des vœux pour que l'influence religieuse puisse recevoir dans la loi une part beaucoup plus large.

Et si nos ministres peuvent avec raison se vanter d'avoir préservé la Belgique de la catastrophe dont elle était menacée en i848, la gloire qui en rejaillit sur eux n'en brillera qu'avec un éclat plus pur, s'ils reconnaissent parfaitement tout l'ascendant que la foi de nos pères exerce sur le cœur du peuple; ascendant que l'on doit conserver comme une tradition héréditaire, comme un caractère national indélébile, par l'instruction offerte à la jeunesse.

M. de Mérode. - Messieurs, pour apprécier la valeur de l'article 8, il faut bien nous rappeler un des précédents les plus instructifs de nos débats, en ce qui concerne l'appel du clergé dans les collèges du pouvoir civil.

Il a été reconnu, par l'organe principal de ce pouvoir exclusivement laïque et destiné cependant à exercer sa direction suprême sur l'esprit des jeunes gens, que ses professeurs doivent posséder une certaine indépendance de leur propre esprit et de leurs expressions dans les leçons qu'ils donnent et où la religion se trouve indirectement engagée.

Aux Augustins, dans une séance éminemment solennelle, cette indépendance s'est manifestée, comme il est facile de prévoir qu'elle se manifestera dans beaucoup d'autres occasions moins marquantes. M. le ministre de l'intérieur n'y a pas pris garde alors, et cette insouciance ressort de la nature même de notre pouvoir civil. Car un israélite aurait pu remplir, le 29 septembre 1849, selon notre Constitution, le poste officiel qu'occupait M. le ministre de l'intérieur actuel.

(page 1317) En effet, personne en Belgique n'est exclu des fauteuils ministériels, même de celui d'où émanera la direction de l’enseignement, dit public, donné aux frais de l'Etat. Combinant ainsi l'action du pouvoir laïque du ministre avec l'indépendance professorale, le rôle du prêtre appelé dans l’école dite nationale, et où la religion de la plupart des nationaux n'aura aucune garantie, sera presque sans fruit, et les plus habiles qui l'ont exercé en France, comme l'illustre prédicateur, ancien aumônier au collège Henri IV sous la restauration, en ont dépeint, comme l'a fait ici l'honorable vicomte Vilain XIIII, la déplorable nullité.

Et, à ce point de vue, j'ai reçu les félicitations de mon ancien collègue du gouvernement provisoire, M. de Potter, qui ne se fâche pas le moins du monde de ce que j'ai cité ses opinions publiées par lui-même, et qui m'écrivait, il y a trois jours : « Vous avez posé des principes, c'était la seule chose qu'il fallait faire contre la loi, dont l'adoption sera la démolition de l'édifice de 1830. Ce que vous avez dit, monsieur, est éternellement vrai et juste, c'est pourquoi l'on ne vous a pas compris, ou plutôt on n'a pas voulu vous comprendre. »

M. de Potter qui m'a, lui, bien compris, parce qu'il a voulu me comprendre, n'a pas considéré comme une attaque de ma part ce que j'ai exposé de ses idées sur les cultes. Il n'a pas pris cela comme des récriminations, des accusations; il ne m'a pas écrit : Vous m'avez calomnié! comme on nous dit si souvent, et aux pétitionnaires : Vous calomniez la loi! Il m'a écrit : Vous avez bien raisonné, et je vous en félicite, comme de mon côté, je félicite M. de Potter de ce qu'il ne se dit pas grand ami de la prospérité de la religion et de l'enseignement du clergé, lorsqu'il se propose de répandre une toute autre doctrine, un tout autre enseignement.

C'est pourquoi, messieurs, l'honorable baron Osy, dans la séance du 25 avril, vous a déclaré que sans l'inspection ecclésiastique organisée par les articles 6, 7, 8 et 9 de la loi sur l'instruction primaire, la mission du prêtre dans les collèges du gouvernement n'aurait aucune valeur sérieuse à ses yeux. C'est à cette inspection, a-t-il dit, qu'on doit la bonne instruction religieuse des écoles primaires et le franc concours du clergé. Si nous donnions les mêmes garanties pour l'instruction moyenne, nous obtiendrions, ajoutait-il, le même résultat.

Et j'ajoute, pour mon propre compte, que l'article 17 :« L'instruction donnée aux frais de l'Etat (et non pas exclusivement par le pouvoir civil) est réglée par la loi » se trouverait de la sorte beaucoup mieux interprété.

En effet, messieurs, faut-il le dire encore ? l'instruction donnée aux frais de l'Etat est bien certainement l'instruction donnée aux frais des contribuables de tout le pays. Or, je le demande de nouveau, quand même cela paraîtrait fastidieux (je suis bien forcé de m'ennuyer moi-même en le répétant à satiété), les contribuables en Belgique sont-ils généralement catholiques? Et ne faut-il pas dire oui, quand on considère la multitude d'églises catholiques très fréquentées qui couvrent le pays; quand on lit beaucoup de lettres de part annonçant les décès et qui portent presque toutes, en parlant du défunt : Muni des secours de l'Eglise? Si les contribuables sont en si grand nombre catholiques, l'instruction donnée à leurs frais communs ne peut être légalement, avec bon sens pratique du moins, livrée exclusivement au pouvoir civil qui n'a pas de culte, pas de capacité pour diriger seul les professeurs de l'enseignement public, enseignement lié à l'éducation dont le but ne peut être purement laïque, comme celui que doit atteindre l'administration des affaires diplomatiques, financières ou militaires. A moins que l'âme de l'homme ne soit mortelle comme son corps et que tout pour lui se borne à la vie présente comme pour le pouvoir civil.

Messieurs, je raisonne ici mathématiquement.

Voilà ce que j'ai à dire sur l'article 8. Quels que soient les misérables changements qu'on veuille faire à cet article, la loi ne produira que de mauvais fruits.

M. le président. - La parole est à M. Osy... à M. de T'Serclaes.

- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !

- D'autres voix. - Non ! non ! continuons.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Voilà bientôt un mois que cette discussion est commencée; j'insiste pour que nos séances aient plus de durée, qu'elles commencent plus tôt ou finissent plus tard, à moins qu'une partie de la chambre ne veuille pas de la loi et cherche par tous les moyens à prolonger la discussion. Quant aux autres, je les prie d'user de leur influence pour que nos séances aient plus de durée, afin d'arriver à un résultat ; cela importe à la dignité de la chambre.

M. le président. - Je crois avoir fait tout ce qui était en mon pouvoir pour imprimer à mes travaux l'activité qu'exigent les circonstances et je n'ai, sous ce rapport, d'observation à recevoir de personne. Mais je ne puis pas faire que les honorables membres qui veulent s'en aller ne s'en aillent pas. C'est une manière de substituer le fait à la volonté exprimée par la majorité, il n'y a qu'un instant. Ainsi, pour savoir si la séance peut continuer, il s'agit de voir si nous sommes encore en nombre en ce moment.

M. Dumortier. - Je ne puis pas laisser dire qu'il y a des membres qui veulent prolonger indéfiniment la discussion. Si M. le ministre voulait avoir la loi votée maintenant, il n'avait qu'à la présenter plusieurs mois plus tôt au lieu de la présenter tardivement. D'un autre côté il nous avait promis des modifications, des concessions. Nous ne les voyons pas venir; ce n'est pas notre faute si nous devons faire des efforts pour avoir des modifications que nous espérions obtenir.

Ce n'est pas notre faute : nous discutons. Je conçois qu'il serait très commode au ministère d'avoir la loi sans discussion. Mais c'est ce que nous ne voulons pas. Nous voulons la loi ; mais nous la voulons bonne pour l'avenir, bonne pour tout le monde. Si elle a pris une tournure différente, ce n'est pas notre faute.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce que le gouvernement a promis il le tiendra; il l'a déjà tenu. Toutes les concessions, compatibles avec le principe de la loi, ont été faites par le gouvernement. La séance d'aujourd'hui le prouve encore.

M. Dumortier. - Comment cela?

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si l'honorable M. Dumortier ne suit pas la discussion, qu'y faire?

M. Dumortier. - Je l'ai suivie, et j'ai pris part.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Si vous l'aviez suivie, vous vous en seriez bien aperçu.

M. Dumortier. - Aucunement!

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je sais qu'il y a des hommes excessifs, avec lesquels il n'y aura jamais moyen d'être d'accord. Mais ce que j'affirme, c'est que le gouvernement n'a laissé aucune occasion de faire les concessions qui ne portent pas atteinte au principe de la loi, que nous voulons maintenir intact.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'insiste auprès de ceux qui veulent arriver à un résultat.

M. de Liedekerke. - Nous le voulons tous!

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - J'insiste pour que les séances commencent plus tôt, ou finissent plus tard, de manière que nous puissions terminer. Voilà vingt jours que cette discussion dure. Pour tout le monde il est temps qu'elle finisse.

M. Dumortier. - Je ne puis permettre à M. le ministre de venir, par une insinuation, me présenter comme un homme excessif qui ne veut aucune conciliation.

Lorsque j'ai pris la parole après vous, comme premier membre inscrit contre le projet, je vous ai dit que je désirais apporter dans cette loi un esprit de conciliation. Vous avez ouvert la discussion par un appel à la conciliation. Je me suis joint à vous. Vous m'avez rendu cette justice que j'acceptais la discussion sur le terrain de la conciliation.

Mais vous, qu'avez-vous fait? Après avoir déclaré, en réponse à l'honorable M. Osy, que vous consentiez au transfert des écoles primaires supérieures à une autre loi, vous vous y êtes refusé.

Maintenant nous demandons une loi de conciliation; et on nous la refuse.

Je dis qu'après cela on n'a pas le droit de nous présenter comme des hommes excessifs, qui repoussent la conciliation.

- La séance est levée à 5 heures.