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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 17 décembre 1850

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 313) M. Ansiau procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1851

Rapport de la section centrale

M. de Chimay, au nom de la section centrale qui a examiné le budget de la guerre, fait rapport sur ce budget.

La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport, et en fixe la discussion après celle du budget des travaux publics.

Vérification des pouvoirs

Arrondissement de Dixmude

M. Dedecker, au nom de la commission qui a été chargée de la vérification des pouvoirs de M. de Breyne, élu représentant pour l'arrondissement de Dixmude, fait rapport sur cet objet.

La commission conclut à l'admission de M. de Breyne, comme membre de la chambre des représentants.

- Ces conclusions sont adoptées.

Rapports sur des pétitions

M. de Perceval. - Messieurs, vous avez demandé un prompt rapport sur plusieurs requêtes dont je vais avoir l'honneur de vous présenter l'analyse et les conclusions de la commission des pétitions :

« Par requête, en date du 26 novembre, les administrations communales de Philippeville, Cerfontaine, Jamagne, Merlemont, Sautour, Senzeille et Neuville demandent que la compagnie concessionnaire du chemin de fer d'Entre-Sambre-et-Meuse soit mise en demeure, sous peine de déchéance, de terminer ses travaux au 31 décembre 1851. »

« Par requêtes, en date des 16 et 19 novembre, les administrations communales, les propriétaires, industriels et négociants de Florennes, Yve-Gomezée, Jamiolle, Vodecée, Franchimont, Surice, Romedenne, Omezée, Rosée, Saint-Aubin, Hemptinne, Jamagne, Neuville, Samart, Sautour, Villers-en-Fagne, Roly, Couvin, Mariembourg, Frasnes, Bruly, Petite-Chapelle, Cul-des-Sarts, Dailly, Aublain, Pesches, Boussut-en Fagne, Gonrieux, Petigny, Nismes, Oblay, Vierves, Mesnil, Oignies, Bombes, Fagnolle, Matagne-la-Grande, Matagne-la-Petite, Treigne, Mazée, Vaucelle, Doissche, Gimnée, Romerée, Niverlée, des conseillers provinciaux du canton de Couvin, des membres du comice agricole de ce canton, demandent également que des mesures soient prises pour obliger la compagnie concessionnaire d'Entre-Sambre-et-Meuse à reprendre les travaux d'achèvement de ce chemin de fer et à les poursuivre avec la plus grande activité. »

« Par requête en date du 10 décembre, plusieurs habitants et industriels à Soignies réclament l'intervention de la législature pour que le département des travaux publics accorde une halte à la station de cette ville, sinon de tous les convois français, au moins de celui de Paris, passant à Soignies vers les 4 heures et quart du soir, ainsi que des convois de marchandises. »

La commission des pétitions vous propose le dépôt de toutes ces requêtes sur le bureau pendant la discussion du budget des travaux publics, et leur envoi, après le vote du budget, à l'honorable chef de ce département.

Nomination d’un membre de la cour des comptes

Il est procédé au scrutin pour la nomination de ce conseiller.

89 membres prennent part au vote.

La majorité absolue est de 45 voix.

M. Pépin a obtenu 13 suffrages.

M. Perlau, 25 suffrages

M. Jacques, 22 suffrages.

M De Baré, 21 suffrages.

M. Grénon, 7 suffrages.

M. Flanneau, 1 suffrages.

Un billet blanc a été trouvé dans l'urne.

Aucun des candidats n'ayant réuni la majorité des suffrages, il est procédé à un second scrutin.


M. le président. - Voici le résultat du deuxième scrutin :

Nombre des votants, 91.

Un bulletin nul.

Majorité, 46.

M. Perlau a obtenu 30 suffrages.

M. Jacques, 26 suffrages.

M. Baré, 23 suffrages

M. Pépin, 5 suffrages.


Aucun candidat n'ayant réuni la majorité des suffrages, il va être procédé à un scrutin de ballottage entre les deux candidats qui ont réuni le plus de voix. Ce sont MM. Perlau et Jacques.

M. le président. - La parole est à M. de Perceval.

M. de Perceval. - Messieurs, j'ai demandé la parole...

- Plusieurs membres. - On ne peut prendre la parole entre deux scrutins.

M. le président. - M. de Perceval, sur quoi demandez-vous la parole ?

M. de Perceval. - Sur les opérations du ballottage et sur les titres d'un des candidats.

M. le président. - Je ne puis vous donner la parole sur cette question.

M. de Perceval. - Messieurs, j'ai un scrupule, que me donne le texte de l'article 2 de la loi sur les incompatibilités parlementaires. Je suis au regret de soulever cette question.

L'article 2 de la loi sur les incompatibilités est formel. Il suffit de le lire pour en être convaincu. Il porte :

« Les membres des chambres ne pourront être nommés à des fonctions salariées par l'Etat, qu'une année au moins après la cessation de leur mandat. »

Est-ce clair, messieurs, et le doute est-il permis ?

M. le président. - Il est évident qu'après deux scrutins, lorsqu'il n'y a pas au deuxième scrutin de majorité absolue, il faut procéder à un scrutin de ballottage. Entre qui doit avoir lieu ce scrutin ? Entre MM. Jacques et Perlau, ou entre ce dernier et un autre ? Si j'ai bien compris l'honorable M. de Perceval, il soutient qu'il n'y a pas lieu de procéder à un scrutin de ballottage, par le motif que la loi sur les incompatibilités parlementaires s'oppose à ce que M. Jacques soit nommé conseiller à la cour des comptes.

- Plusieurs membres. - On statuera après le scrutin de ballottage.

M. Dumortier. - Je crois que la question n'aurait pas dû être soulevée avant le vote. Mais puisqu'elle l'a été, je crois qu'il faut répondre avant le vote, et je le ferai en deux mots. La loi sur les incompatibilité parlementaires n'est pas ici applicable ; car il s'agit, non d'une nomination, mais d'une élection ; non d'un emploi, mais d'une délégation de la chambre.

M. de Brouckere. - Il me semble que, puisqu'il y a du doute sur la portée de la loi sur les incompatibilités, il faut vider le doute avant le scrutin définitif. En effet, si la majorité de la chambre (ce que je ne pense pas) trouvait qu'il y a incompatibilité entre le mandat de conseiller à la cour des comptes et la qualité de député, vous risqueriez de faire une nomination qui, une fois faite, serait annulée par la majorité. S'il faut une décision, elle doit être prise immédiatement. Dans le cas où la chambre déclarerait qu'il n'y a pas incompatibilité, le scrutin de ballottage aura lieu entre MM. Jacques et Perlau ; dans le cas contraire, entre ce dernier et M. de Baré.

M. Rousselle. - Il me paraît que la chambre est, avant tout, vis-à-vis de son règlement. Lorsqu'on a procédé à deux scrutins pour une nomination quelconque, et que la majorité absolue n'est pas acquise au deuxième scrutin, il faut passer à un scrutin de ballottage. Quand la nomination sera faite, si l'on soulève la question d'incompatibilité, la chambre jugera.

Mais je pense qu'elle ne doit pas arrêter l'élection, parce que les choses ne sont plus entières. Si l'on avait des doutes, on aurait dû soulever cette question avant de commencer, car tous les candidats étaient connus.

Eh bien, si un membre de la chambre croyait qu'il y avait dans la liste des candidats quelqu'un qui n'avait pas qualité pour être compris dans le scrutin, il aurait dû le dire, au moins avant le deuxième scrutin. Or, cela n'a pas eu lieu. Nous devons donc épuiser le scrutin de ballottage, sauf à examiner ensuite la question d'incompatibilité.

M. Coomans. - Il me semble clair que la chambre a le droit de nommer M. Jacques, d'abord, parce qu'elle doit jouir de toute latitude et de la plus grande liberté dans la formation du corps à qui elle confie le contrôle des dépenses publiques ; ensuite, parce que les membres de la cour des comptes ne sont pas, à proprement parler, salariés par l'Etat ; ils le sont par la chambre, qui les choisit et les révoque, et qui pourrait porter leur traitement à son budget particulier. Les deux autres grands pouvoirs de l'Etat n'interviennent pas dans la nomination et la rétribution des membres de la cour des comptes.

Si ceux-ci pouvaient être considérés comme salariés par l'Etat, à plus forte raison devrait-on considérer comme tels MM. les bourgmestres qui sont rétribués par les communes, lesquelles font partie intégrante de l'Etat, selon le système qui a prévalu dans nos lois d'enseignement. Si MM. les bourgmestres sont admis dans cette chambre (et avec raison, d'après moi), quoique salariés par la commune-Etat, il ne faut pas considérer les membres de la cour des comptes comme recevant un traitement de l'Etat. Je demande donc que la chambre passe outre sans s'arrêter davantage à la motion de l'honorable M. de Perceval.

(page 314) M. le président. - La question, est de savoir si la chambre veut laisser la question indécise et passer au scrutin de ballottage, ou si elle veut d'abord vider la question. J'engage les orateurs à ne parler que sur ce point.

M. de Perceval. - Je pense que la chambre doit d'abord vider l'incident et se prononcer avant que le scrutin de ballottage n'ait lieu. Voici pourquoi. Si vous déclarez après la proclamation du résultat du scrutin, que M. Jacques est inhabile en vertu de son mandat de députe qu'il exerce encore, à faire partie de la cour des comptes, vous enlevez, au scrutin de ballottage qui va s'ouvrir, les chances que peut avoir un autre candidat. Il faut donc savoir, oui ou non, avant que le scrutin ait lieu, si M. Jacques est apte à être compris dans le ballottage.

Car vous n'avez pas le droit d'exclure de votre liste un second membre qui aurait, lui, aussi, des chances formelles pour être nomme à la place de conseiller à la cour des comptes.

Je demande donc que la chambre se prononce immédiatement, qu'elle commente et qu'elle analyse l'article 2 de la loi sur les incompatibilités parlementaires, et puis ensuite elle peut ouvrir le scrutin.

M. le ministre de la justice (M. Tesch). - Messieurs, toute la question à décider pour le moment, c'est de savoir si, entre deux scrutins, vous pouvez vous livrer à la discussion soulevée par l'honorable M. de Perceval. Eh bien, il est très facile de démontrer que cela n'est pas possible.

Je laisse de côté le règlement ; je me borne à prendre le fait et les conséquences qu'il entraînerait.

M. Jacques a obtenu un grand nombre de suffrages. Il en a reçu assez pour qu'il y ait nécessité de procéder à un scrutin de ballottage.

Cette question, il fallait la soulever avant tout vote, parce que si elle avait été décidée dans le sens de l'incompatibilité, ceux qui ont voté pour M. Jacques auraient pu voter pour l'un des autres candidats, qui peut-être serait nommé, tandis que maintenant il n'arrive pas même au ballottage. La question devait donc être soulevée avant le vote ou elle doit l'être après le vote. Il faut donc procéder au ballottage, et M. de Perceval pourra ensuite reproduire sa motion ; si alors la chambre pense que M. Jacques ne peut pas être élu, on annulera tous les scrutins et l'on commencera les opérations à nouveau.

M. le président. - La chambre entend-elle procéder au scrutin de ballottage en laissant indécise la question d'incompatibilité qui a été soulevée ?

- Cette question est résolue affirmativement.


Il est procédé au scrutin de ballottage entre MM. Perlau et Jacques.

En voici le résultat :

M. Jacques a obtenu 46 suffrages.

M. Perlau, 41 suffrages.

En conséquence, la majorité est acquise à M. Jacques.

M. de Perceval. - Messieurs, j'entends examiner le débat à fond dans la séance de demain, car aujourd'hui personne de nous, je pense, n'y est préparé. Je proposerai donc à la chambre... (Interruption.) Les honorables membres qui m'interrompent voteront sur ma motion. Ceux qui n'en veulent point la rejetteront, mais permettez-moi d'achever.

Je proposerai donc à la chambre de remettre à demain le débat sur la question de savoir si l'honorable M. Jacques est éligible, oui ou non, pour les fonctions de membre de la cour des comptes.

M. de Haerne. - La chambre a décidé que oui, en nommant M. Jacques à ces fonctions.

M. le président. - Messieurs, il faut rester dans le vrai. La question qui a été posée était celle-ci : procédera-t-on immédiatement au scrutin de ballottage entre MM. Jacques et Perlau, en laissant indécise la question qui avait été agitée par l'honorable M. de Perceval ? Après avoir énoncé le nombre des suffrages, le président a déclaré que la majorité était acquise à M. Jacques ; mais à raison de la question qui avait été réservée, il n'a pas pu proclamer et il n'a pas proclamé jusqu'ores M. Jacques membre de la cour des comptes.

M. Dumortier. - Messieurs, à mon avis, on ne peut élever aucune objection contre l'élection de l'honorable M. Jacques. Qu'a voulu la loi sur les incompatibilités ? Elle a eu pour but d'empêcher que le ministère ne puisse, par son action, par son influence, amener la corruption parlementaire ; on n'a pas voulu que le ministère puisse dire à un député : « Votez pour moi dans telle ou telle loi, et je vous donnerai tel ou tel emploi. »

C'est en ce sens que la loi a stipulé que toute nomination qui serait faite d'un député à un emploi déterminé ne pourrait avoir lieu qu'un an après l'expiration de son mandat.

S'agit-il maintenant d'une nomination semblable ? La chambre a-t-elle entendu abdiquer par là sa prérogative pour les nominations que la Constitution lui réserve ? Cela est impossible.

Il ne s'agit pas ici d'une nomination à faire par le ministère, il s'agit d'une élection qui est faite par le parlement ; or, je vous le demande, messieurs, y a-t-il là, oui ou non, quelque chose qui ressemble au but que s'est proposé la loi ? Il n'y a rien de semblable : la chambre aurait donc porté atteinte à sa propre prérogative ! Cela n'est pas possible. La chambre ne peut avoir eu l'intention de porter atteinte à sa prérogative ; la loi a eu pour but d'empêcher la corruption parlementaire ; mais, entre empêcher la corruption parlementaire et empêcher l'action du vote du parlement, il y a une bien grande différence ; un député ne peut, dans aucune hypothèse, corrompre ses collègues.

D'un autre côté, de quoi s'agit-il ? S'agit-il d'une nomination ministérielle ? En autre manière ; il s'agit d'une élection temporaire, d'une délégation de la chambre. Car qu'est-ce que la cour des comptes dans l'esprit de la Constitution ? C'est une délégation de la chambre des représentants : le pouvoir constituant n'a pas voulu que le ministère nommât les membres de la cour des comptes, afin qu'il ne pût pas la peupler de ses créatures, afin que la cour des comptes pût toujours exercer ses fonctions librement, et examiner toutes les questions de comptabilité qui lui seraient présentées par le ministère lui-même ; on a voulu placer la cour des comptes au-dessus de l’action ministérielle, au-dessus de l’influence ministérielle ; voilà pourquoi on a décidé que la cour des comptes serait nommée par la chambre des représentants.

Lorsque le Congrès a procédé à la première nomination de la cour des comptes, qu'a-t-il fait ? Il a nommé membres de la cour des comptes plusieurs membres qui siégeaient dans le Congrès lui-même, afin de donner à cette cour toute l'importance nécessaire pour contrôler les finances de l'Etat, pour empêcher le ministère de peupler la cour des comptes de ses créatures.

M. de Perceval. - La loi sur les incompatibilités n'était pas faite. (Interruption.)

M. le président. - Il paraît qu'on veut continuer la discussion à demain ; si vous croyez que cela n'est pas nécessaire, vous avez le droit de le démontrer et la parole vous est continuée.

M. Dumortier. - Vous ne pouvez remettre la discussion à demain ; cela n'est pas du tout nécessaire et cela n'est pas possible. Vous ne pouvez pas interrompre un scrutin par une remise au lendemain.

M. le président. - L'orateur est dans son droit, quand il prétend qu'il n'y a pas lieu à remettre la discussion à demain.

M. Dumortier. - La loi sur les incompatibilités se borne à fixer une incompatibilité pour la nomination et non pas pour une délégation de la chambre.

La cour des comptes n'est qu'une délégation de la chambre, une délégation temporelle pour six ans que vous pourrez toujours retirer, et pour cela y aurait-il incompatibilité ? Mais cela ne ressemblerait à rien. La cour des comptes est notre commission ; elle est notre enfant ; on l'a toujours envisagée ainsi dans cette enceinte.

La cour des comptes n'entre donc en aucune manière dans le cas prévu, parce qu'il est question d'une nomination qui appartient au gouvernement et nullement d'une délégation de la chambre faite par un scrutin et par le vote de la chambre. D'ailleurs, la chambre, par son vote, a tranché elle-même la question et a compris que l'observation de l'honorable M. de Perceval est sans fondement.

M. Delfosse. - Une question d'incompatibilité est soulevée par l'honorable M. de Perceval. Les questions de ce genre présentent un caractère de gravité que chacun de vous comprend.

Je demande que les membres de la chambre aient le temps de réfléchir et que la discussion de la proposition de M. de Perceval n'ait lieu que demain.

Je pourrais répondre à quelques-unes des observations que l'honorable M. Dumortier vient de soumettre à la chambre ; mais j'attendrai, avant d'aborder la discussion du fond, que la majorité se soit prononcée sur la remise de la discussion à demain.

M. Orts. - Messieurs, il est évident pour la chambre que la discussion sur la question de principe que l'on soulève résulte des opérations du scrutin auquel nous venons de procéder. Il me semble qu'il serait contraire à la loyauté de la chambre de permettre que cette question fût décidée par d'autres membres que ceux qui ont pris part au scrutin ; je crois donc qu'il convient que la chambre, désireuse, sans doute, d'user de la bonne foi et de la loyauté dont elle a toujours fait preuve jusqu'ici continue immédiatement la discussion.

M. de Mérode. - Il me semble que ce qu'on a fait valoir à l'égard du vote de la chambre, ne démontre pas la possibilité pour un membre de la chambre des représentants d'être élu membre de la cour des comptes.

On peut avoir voté pour M. Jacques, en réservant la question comme elle l'a été ; mais il me semble aussi que l'observation de M. de Perceval est parfaitement juste et que ce sont les membres qui sont ici présents qui doivent décider la question et qu'elle doit être résolue aujourd'hui même.

M. Delfosse. - Je suis surpris qu'on vienne parler ici de loyauté. Ce n'est pas une question de scrutin qui est soulevée ; c'est une question de légalité, c'est une question de principe. Il ne s'agit pas d'interpréter un acte posé par la chambre ; il s'agit d'une loi dont le sens me paraît clair.

Je ne reconnais pas à la chambre seule le droit de modifier par un scrutin secret une loi qui est l'œuvre des trois branches du pouvoir législatif.

La question est plus grave qu'on ne pourrait le penser ; c'est, je le répète, une question de légalité ; et il serait désirable que la chambre tout entière fût présente pour la résoudre.

L'honorable M. Orts ne veut pas que les membres qui n'ont pas pris part au scrutin votent sur la question soulevée par l'honorable M. de Perceval. Voyez où nous conduirait le système de l'honorable membre.

(page 315) Nous arriverions à cette conséquence qu’il faudrait voter, séance tenante, qu'il faudrait nécessairement clore la discussion aujourd'hui ; ce système conduirait encore à cette autre conséquence monstrueuse que si un membre de la chambre arrivait maintenant, il faudrait l'empêcher de voter. On ne permettrait pas à un membre de la chambre de remplir le mandat dont il a été investi par les électeurs. A coup sûr cela serait absurde et ce ne serait pas non plus très loyal. Il est impossible que la chambre se prononce séance tenante sur une question de cette importance ; ce n'est pas trop d'ici à demain pour y réfléchir, je persiste à demander le renvoi à demain.

M. Roussel. - La question qui s'agite en ce moment mérite-t-elle la réflexion de toute une nuit ? Est-il vrai qu'en entrant dans cette enceinte nous ayons été dépouillés du droit que nous donne la Constitution d'élire qui nous voulons membre de la cour des comptes, que nous nous soyons dessaisis nous-mêmes du droit d'éligibilité. Cela est-il vrai ? Cela était-il possible ? Est-il vrai que la loi qui a été votée par nos prédécesseurs nous a dessaisis d'un droit inscrit dans la Constitution, d'un droit que le peuple nous a délégué en nous nommant ?

Pensez-vous qu'il faille une nuit pour résoudre une semblable question. Je dis avec mon honorable ami M. Orts que nous pouvons la décider immédiatement, non seulement parce que c'est une question de légalité, mais une question de prérogative parlementaire, et que des questions de ce genre ne doivent pas rester indécises : il faut qu'on sache si le mandat dont le peuple nous a investis a été restreint ou si ce mandat est resté intact.

- La discussion est close.

M. de Mérode. - Je demande la parole sur la position de la question.

Les observations que vient de présenter l'honorable M. Delfosse m'ont frappé ; bien que j'aie voté pour que la discussion continue, il n'est pas, selon moi, indispensable qu'elle soit fermée aujourd'hui, car si elle se prolongeait, il faudrait bien la continuer à demain ; on ne peut pas, en ouvrant une discussion, nous obliger à la clore dans la séance ; c'est contraire au règlement.

M. le président. - Je mets aux voix la proposition de remettre la discussion à demain.

- Plusieurs voix. - L'appel nominal !

Il est procédé au vote par appel nominal.

En voici le résultat :

90 membres répondent à l'appel.

41 membres répondent oui.

47 membres répondent non.

En conséquence la remise à demain n'est pas adoptée.

La chambre passe immédiatement à la discussion.

Ont répondu non : MM. Van Renynghe, Vilain XIIII, Clep, Cools, Coomans, David, de Baillet (H.), de Bocarmé, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Debroux, Dechamps, de Chimay, Dedecker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, Delescluse, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (F.), de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, De Pouhon, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, Dumon (Aug.), Dumortier, Faignart, Julliot, Landeloos, Lelièvre, Malou, Mercier, Moncheur, Moxhon, Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Roussel (A,), Thibaut, Trémouroux, et Vanden Branden de Reeth.

Ont répondu oui : MM. Vandenpeereboom (Ernest), Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Iseghem, Ansiau, Anspach, Bruneau, Cans, Cumont, Dautrebande, de Baillet-Latour, Delfosse, Deliége, de Perceval, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, Destriveaux, Devaux, d'Hoffschmidt, d'Hont, Dumont (Guillaume), Frère-Orban, Jouret, Lange, Lebeau, Le Hon, Lesoinne, Liefmans, Loos, Moreau, Reyntjens, Rogier, Rousselle (Charles), Sinave, Tesch, Thiéfry, T'Kint de Naeyer, Van Cleemputte, Vandenpeereboom (Alphonse) et Verhaegen.

M. Delfosse. - Je regrette que la chambre n'ait pas adopté la motion d'ajournement de l'honorable M. de Perceval. Je vais néanmoins tâcher de faire valoir les motifs qui me portent à croire qu'il y a incompatibilité entre la position de membre de la chambre et les fonctions de membre de la cour des comptes, ou plutôt qu'un membre de la chambre ne peut être élu à ces fonctions, qui sont salariées par l'Etat, qu'un an après l'expiration de son mandat.

D'abord le texte de la loi est clair. Quand un texte est clair, il faut l'appliquer tel qu'il est ; c'est une règle de droit bien connue de MM. Orts et Roussel. Voici comment l'article 2 de la loi sur les incompatibilités est conçu :

« Les membres des chambres ne pourront être nommés à des fonctions salariées par l'Etat, qu'une année au moins après la cessation de leur mandat. »

« Sont exceptées, les fonctions de ministres, d'agent diplomatique et de gouverneur. »

Les fonctions de membre de la cour des comptes sont-elles salariées par l'Etat ? Chacun de vous devra répondre oui. Les traitements de la cour des comptes figurent au budget des dotations ; les membres de cette cour sont payés par l'Etat absolument comme les autres fonctionnaires. C'est évident. Cela ne peut faire l'objet d'un doute.

Voilà une des conditions de l'article 2 : « Fonctions salariées par l’Etat. »

Y a-t-il maintenant nomination ? Remarquez que l'art. 2 ne dit pas que la nomination doit être faite par le gouvernement.

Le choix de la chambre est-il une nomination ? Toute la question est là. L'honorable M. Dumortier dit : Ce n'est pas une nomination ; c'est une délégation. Je répondrai à cet honorable membre par la loi même.

L'article premier de la loi sur l'organisation de la cour des comptes porte :

« La cour des comptes est composée d'un président, de six conseillers et d'un greffier.

« Ils sont nommés tous les six ans par la chambre des représentants qui a toujours le droit de les révoquer. »

Vous le voyez, messieurs, la loi dit formellement qu'ils sont nommés. Le choix que l'on vient de faire est bien une nomination dans le sens de la loi. L'article premier de la loi sur les incompatibilités parlementaires porte, en outre, que les fonctionnaires et employés salariés par l’Etat, nommés membres de l'une ou de l'autre chambre, sont tenus avant de prêter serment, d'opter entre le mandat parlementaire et leurs fonctions ou emplois.

C'est donc à tort qu'on prétendrait que l'élection par un corps constitué n'est pas une nomination. C'est une nomination, d'après l'article premier de la loi sur l'organisation de la cour des comptes, comme le choix par le collège électoral d'un membre de la chambre est une nomination d'après l'article premier de la loi sur les incompatibilités.

A l'appui du sens que je donne au mot « nommé », je puis invoquer la Constitution même. L'article 37 de la Constitution porte :

« A chaque session, chacune des chambres nomme son président, ses vice-présidents et compose son bureau. »

D'après la Constitution même, le choix que fait la chambre s'appelle donc une nomination.

Non seulement, le mandat de M. Jacques n'est pas expiré depuis un an ; mais notre honorable collègue est encore dans le plein exercice de ce mandat. Les fonctions qu'il sollicitait de la chambre sont salariées par l’Etat ; et il vient d'y être nommé au scrutin secret ; jamais je n'ai vu de texte plus clair, et je ne conçois pas que l'on puisse soulever un doute.

Ce n'est que quand la loi est obscure, qu'il faut rechercher son esprit ; la loi est claire ; il faut l'appliquer telle qu'elle est ; il n'y a pas lieu dans ce cas de rechercher quelle a pu être la pensée du législateur.

Si je me livrais, du reste, à cette recherche, je pourrais soutenir, avec raison qu'il a été dans l'intention du pouvoir législatif d'exclure les membres de la chambre, pendant l'exercice de leur mandat et dans l'année qui suit, non seulement des fonctions conférées par le gouvernement, mais encore des fonctions de conseiller à la cour des comptes conférées par la chambre.

En effet, pourquoi a-t-on fait la loi sur les incompatibilités ? (Il ne s'agit pas ici d'une question de personnes, l'honorable M. Jacques peut en être convaincu ; je parle en règle générale.) On a fait cette loi pour empêcher qu'un membre de cette chambre ne puisse être guidé dans son vote par l'espoir d'une place. On n'a pas voulu qu'il pût même en être soupçonné. Il ne faut pas que ce soupçon puisse planer sur lui.

Croyez-vous, messieurs, que l'espoir d'obtenir de la majorité les fonctions de membre de la cour des comptes ne puisse agir sur un membre de la chambre, tout comme l'espoir d'obtenir des fonctions du gouvernement ? Chacun doit en outre reconnaître que le ministère, émanation de la majorité, n'est pas sans exercer une certaine influence au moins sur une partie de la majorité. Qui vous dit qu'un représentant désireux d'obtenir les fonctions de conseiller à la cour des comptes, fonctions qui valent bien celles de commissaire d'arrondissement, de chef de division dans un ministère, ou de juge dans un tribunal de première instance, qui vous dit qu'il ne sera pas influencé dans ses votes par l'espoir que le ministère usera de son influence pour le pousser aux fonctions qu'il ambitionne ?

Il y a là un danger qui n'échappera à aucun de vous et qui a dû frapper les auteurs de la loi sur les incompatibilités.

Je n'en dirai pas davantage : je n'étais pas préparé à cette discussion. Nous ne pouvons connaître d'une manière certaine les motifs qui ont guidé le législateur : la loi sur les incompatibilités a été votée dans un temps de crise, un peu à la course. Mais elle est claire ; elle ne donne pas lieu au moindre doute ; il n'y a donc pas lieu de rechercher quelle a pu être l'intention du législateur. Et, dans tous les cas, je soutiens qu'il y a autant de raison pour empêcher un membre de la chambre d'être nommé conseiller à la cour des comptes que pour l'empêcher d'être nommé à des fonctions conférées par le gouvernement.

M. Malou. - Je serai très bref.

Ce serait un fait fort grave d'annuler un scrutin qu'une personne élue peut considérer pour elle comme un droit acquis. Pour qu'une telle annulation put avoir lieu, il faudrait que la question fût claire comme le jour, qu'elle fût de la dernière évidence. Il doit en être ainsi, non seulement au point de vue individuel, mais encore pour la dignité de la chambre. En effet, il se serait formé une majorité pour une élection, et, cinq minutes après, il serait décidé qu'elle ne sait ce qu'elle a fait !

Il faudrait donc que l'incompatibilité résultât d'un article parfaitement clair ; sinon l'élection est valable.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Mais vous avez concouru à la rédaction de cette loi.

M. Malou. - Oui, je suis en partie l'auteur de la loi.

L'on aura beau jouer sur les mots, dire qu'une élection qui se fait par la chambre est une nomination. Il n'en est pas moins vrai qu'une nomination et une élection sont deux choses essentiellement différentes. Il ne s'agit dans la loi que des nominations faites par le gouvernement.

(page 316) En matière d'incompatibilités, l’interprétation doit être stricte, rigoureuse. On ne faut pas étendre les incompatibilités. Cela serait contraire à tous les principes ; on ne peut pas étendre le texte d'une loi.

Messieurs, quel a été le but, quelle est la portée de la loi sur les incompatibilités ? On a voulu empêcher que le gouvernement pût déposer des places publiques pour exercer une influence sur les chambres.

Mais a-t-on pu prévoir qu'il y aurait un danger pour nos institutions à ce qu'un membre de la chambre pourrait corrompre la majorité du corps législatif ? C'est là, messieurs, ce qu'il faudrait admettre pour soutenir la thèse que l'honorable M. Delfosse a défendue.

Voyez, messieurs, où l'on irait au moyen de ce système. Je ne cite que quelques exemples. Si vous dites que toute élection est une nomination, en voici les conséquences : -

Personne d'entre nous ne pourrait être élu, dans l’année qui suit l’expiration de notre mandat, membre d'une députation permanente. En effet, ces fonctions sont rétribuées sur les fonds de l'Etat, mais elles procèdent de l'élection comme celles des membres de la cour des comptes.

Je suppose qu'il y ait lieu à l'élection d’un régent, vous diriez donc que par la loi sur les incompatibilités, il vous est interdit de choisir le régent dans le sein de la législature ! (Interruption.)

Messieurs, c'est la conséquence logique de la thèse que l'on vient de soutenir.

La question est déjà jugée par les précédents de la chambre. Il est arrivé maintes fois que la chambre a élu de ses membres pour faire partie de jurys d'examen. Ces membres recevaient une rétribution sur les fonds du trésor.

Je me rappelle, messieurs, que j'ai été personnellement l'objet de beaucoup d'accusations pour avoir contribué à donner une assez grande extension à la loi des incompatibilités. Mais il semble aujourd'hui que la section centrale d'alors, qui était si vivement attaquée, n'aurait pas fait assez. Il aurait fallu créer une nouvelle classe d'incompatibilités, et malgré les reproches qu'on nous adressait si vivement, la loi devrait recevoir un post-scriptum plus long que la loi elle-même.

On parle des motifs de la loi. Que disait M. le ministre de l'intérieur au sujet de cet article ? « Mon intention n'est pas de combattre cet article. Après le résultat que nous avons obtenu dans la première séance de ce jour, il serait inutile de faire perdre du temps à la chambre en cherchant à modifier la loi par des raisons même que je croirais bonnes. »

En effet, M. le ministre avait été distancé chaque fois par la section centrale ; il avait succombé sur tous les points. M. le ministre ajoutait :

« Je considère cet article comme pouvant produire de fâcheux résultats au point de vue politique et au point de vue administratif. L'avenir en décidera. Il demeure seulement bien entendu qu'un ministère, quel qu'il soit, se verra privé, sauf pour les fonctions d'agents diplomatiques et de gouverneurs, de s'entourer d'hommes de sa confiance, d'hommes éminents, d'hommes capables, par cela seul qu'il les choisirait dans le sein de l'une ou de l'autre chambre. »

Ainsi, messieurs, d'après l'explication que M. le ministre de l'intérieur donnait lui-même, il ne s'agissait que d'empêcher les nominations à faire par le gouvernement.

Tel est l'esprit de la loi. Il est impossible même de lui assigner une autre portée, si on veut prendre le texte tel qu'il est, l'esprit de la loi tel qu'il est, Si vous alliez plus loin, vous auriez fait de la défiance et de l'exclusion contre vous-mêmes ; vous auriez fait de l'exclusion pour le plaisir d'en faire. Cela n'est pas. Ce n'est pas ainsi que la loi peut être entendue.

M. Roussel. - Messieurs, je demande à poser la question sur un terrain qui me paraît encore plus élevé. Je me demande si la loi des incompatibilités a pu faire ce que vous voulez lui faire dire, si elle a pu décréter que la chambre des représentants, qui viendrait après elle, ne pourrait nommer comme membre de la cour des comptes un des membres de la législature. La Constitution confère à la chambre d'une manière absolue le droit de nomination. C'est un droit que nous tenons de la Constitution, droit auquel chacun de nous participe dans la mesure des pouvoirs qu'il tient du peuple. Et vous voudriez que la chambre qui n'est plus, que le sénat qui siégeait lorsque la loi des incompatibilité a été promulguée, eussent pu lier l'avenir au point que moi, nouvel élu, qui ai reçu le baptême, et reçu le baptême en vertu de la Constitution, qui me confère le droit absolu de nommer les membres de la cour des comptes, vous voudriez que j'eusse été privé de ce droit !

Je proteste d'avance contre le pouvoir que la chambre se croirait de restreindre les droits que je tiens de l'élection et de la Constitution. Nous sommes ici collègues, nous sommes égaux. Vous n'avez pas le droit de me priver du choix que je puis porter sur l'un de vous. La Constitution vous le défend. Car elle me donne, à moi, faisant partie de la chambre des représentants, le droit de nommer qui je veux comme membre de la cour des comptes.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, il est vraiment très regrettable que la chambre n'ait pas remis cette discussion à demain.

M. Malou. - C'est décidé.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est décidé, sans doute, mais j'exprime mes regrets après le vote ; ce n'est pas un très grand mal. Peut-être même qu'après la discussion à laquelle on se livre, qu'après les observations qui auront été présentées, l'ajournement ira tout seul, c'est-à-dire que nous pourrons discuter après avoir eu le temps d'examiner une question grave, délicate, qui intéresse la dignité du parlement.

Personne, dans cette chambre, n'est suffisamment préparé à discuter cette question...

- Plusieurs membres. - Si ! si !

M. Malou. - Voilà quinze jours qu'elle est posée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Eh bien, je retire l'expression. Il paraît que ces messieurs qui réclament, ont profondément réfléchi ; je l'admets, ils ont profondément réfléchi ; ce qui n'empêche pas cependant que les objections qui sont faites me paraissent, à moi qui ai des doutes sérieux, avoir fort peu de fondement. Cela prouverait une chose : c'est que la cause qu'ils défendent est bien mauvaise.

C'est ainsi que l'honorable M. Roussel soutient que la loi des incompatibilités n'aurait pas pu déterminer l'incompatibilité ou l'inéligibilité, pour parler plus exactement, d'un membre de la chambre, si ce n'est après l'expiration de son mandat depuis une année, parce que, dit-il, la Constitution lui donne, à lui représentant, le droit plein, entier, absolu, sans réserve, de choisir les membres de la cour des comptes.

Mais alors la loi n'a pas pu déterminer des conditions pour l'éligibilité à la cour des comptes.

La loi ne pourrait pas proclamer d'incompatibilité entre les divers membres de la cour des comptes ! La loi n'aurait pas pu dire que deux beaux-frères ne pourraient siéger ensemble à la cour des comptes ! Je n'ai pas eu le temps d'examiner les divers points sur lesquels la loi statue, mais il est évident que la loi peut prescrire les conditions d'éligibilité, que si elle ne l'a pas fait, elle aurait pu le faire, et elle aurait tort de ne pas l'avoir fait.

- Un membre. - Elle l'a fait.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il est donc évident que si la législature a pu établir de pareilles conditions, si la législature a pu déterminer les conditions d'âge, car le système de l'honorable M. Roussel qui proclame l'indépendance absolue des membres de la chambre, irait jusqu'à valider l'élection d'un mineur, il est évident que la loi aurait pu, au même titre, décider qu'un membre de la chambre ne pouvait être appelé à ces fonctions qu'une année après l'expiration de son mandat.

Cette objection ne vaut donc, selon moi, absolument rien.

Il en est une seconde ; elle est de l'honorable M. Malou.

L'honorable M. Malou nous dit : Mais si votre système est vrai, il va jusqu'à cette conséquence, qu'en vertu de la loi sur les incompatibilités un membre de la chambre ou des chambres réunies ne pourrait pas être élu régent. Je ne crois pas, messieurs, que cette objection puisse nous toucher.

M. Dumortier. - C'est évident.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a tant de choses qui sont évidentes pour l'honorable M. Dumortier et qui ne sont pas claires du tout.

La Constitution porte :

« Art. 82. Si le Roi se trouve dans l'impossibilité de régner, les ministres, après avoir fait constater cette impossibilité, convoquent immédiatement les chambres. Il est pourvu à la tutelle et à la régence par les chambres réunies.

« Art. 83. La régence ne peut être conférée qu'à une seule personne. »

« Le régent n'entre en fonctions qu'après avoir prêté le serment prescrit par l'article 80. »

Eh bien, messieurs, les chambres réunies tiennent de la Constitution un pouvoir tout à fait extraordinaire, un pouvoir exceptionnel, tout à fait en dehors du droit commun, un pouvoir politique et qui domine évidemment les principes qui seraient applicables en matière ordinaire. La considération capitale qui a fait introduire la loi d'incompatibilité, c'est que l'on n'a pas voulu que les membres des chambres pussent aspirer, pendant la durée de leur mandat, à des fonctions salariées.

- Des membres. - Données par le gouvernement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Attendez donc un instant !

C'est une considération capitale, dominante dans la loi, personne ne peut le contester, personne ne peut le méconnaître. Eh bien, les considérations d'argent, que peuvent-elles être lorsqu'il s'agit de l'élection d'un régent par les chambres réunies ?

Il est évident que personne ne viendrait soutenir qu'il faudrait appliquer à ce cas loi des incompatibilités. Mais il en est tout autrement, d'après l'esprit général de la loi sur les incompatibilités, lorsqu'il s'agit d'appeler un membre de la chambre à des fonctions salariées. Il est clair qu'un membre de la chambre peut, en vue de l'influence que le gouvernement exercerait sur la majorité, se déterminer d'une manière contraire à sa conscience. C'est ce que la loi n'a pas voulu. (Interruption.) Vous soutenez que la loi a été faite contre le gouvernement, pour soustraire les membres des chambres à son action. Vous parlez de corruption ! La corruption d'un membre de la chambre est tout aussi bien possible dans ces conditions-là que dans celles où vous voulez seulement l'admettre, c'est-à-dire lorsque la nomination est faite par le gouvernement lui-même. Dites, si vous le voulez, que lorsqu'il s'agit d'une nomination faite par le gouvernement lui-même, l'action du pouvoir est alors plus forte, qu'il y a alors plus de danger, mais ne contestez pas que, même lorsqu'il s'agit d'une nomination par la chambre, un membre peut agir en vue de l'influence que le gouvernement exercerait en sa faveur.

Il est une autre considération, messieurs. Le texte de la loi des incompatibilités est général ; il ne fait aucune distinction. Vous voulez en faire : où vous arrêterez-vous ? Croyez-vous qu'il n'y ait pas d'autres cas qui présenteraient une certaine analogie avec celui-ci et où vous vous (page 317) croiriez encore autorisés à violer la loi sous prétexte de son esprit ? N'est-ce pas là un très grand danger ? Ne faut-il pas, comme le disait tout à l'heure l'honorable M. Delfosse, ne faut-il pas lorsque la loi est claire, lorsqu'elle ne peut présenter aucun doute, prêter aucune équivoque, ne faut-il pas alors appliquer la loi ?

Les termes de la loi des incompatibilités sont bien différents de ceux dont se sert la Constitution pour un cas analogue. « Les membres de la chambre, dit l'article 2 de la loi sur les incompatibilités, ne pourront être nommés à des fonctions salariées par l'Etat qu'une année au moins après la cessation de leur mandat. » On dirait, messieurs, que le législateur a choisi à dessein les termes les plus généraux pour empêcher toute espèce de discussion et condamner à l'avance toute subtilité. Voyez comment s'exprime la Constitution :

« Art. 36. Le membre de l'une ou de l'autre des deux chambres nommé par le gouvernement à un emploi salarié, qu'il accepte, cesse immédiatement de siéger, et ne reprend ses fonctions qu'en vertu d'une nouvelle élection. »

Ainsi lorsque l'on a rédigé l'article 36 de la Constitution, on a eu soin de dire : « Nommé par le gouvernement », et dans la loi sur les incompatibilités on a dit, au contraire, d'une manière générale, sans distinction aucune : « Les membres de la chambre ne pourront être nommés à des fonctions salariées par l'Etat qu'une année au moins après la cessation de leur mandat. »

Je pense, messieurs, que le rapprochement des deux textes suffirait à lui seul pour faire résoudre la question qui nous est actuellement soumise.

- La clôture est demandée.

M. de Perceval (contre la clôture). - Je viens, messieurs, combattre la clôture. Il me semble que la question est assez grave pour qu'on puisse encore lui donner au moins un quart d'heure de discussion. Auteur de la motion, j'espère que la chambre me permettra d'émettre quelques considérations pour l'appuyer.

M. de Mérode. - Je demande la parole pour appuyer les observations de l'honorable M. de Perceval contre la clôture. Je dis que si un quart d'heure ne suffit pas, il faut prendre une demi-heure, une heure, deux heures. Quant à moi, je ne voterai pas sans connaissance de cause.

M. Delehaye. - Messieurs, je suis de ceux qui, avant d'entrer en séance, avaient examiné la question de l'incompatibilité. Je l'ai examinée avec quelques-uns de mes collègues qui ne partagent pas mon opinion. J'ai toujours pensé que la loi des incompatibilités a été faite contre le gouvernement ; je suis encore de cet avis, mais je vous avoue, messieurs, que des raisons très fortes ont été données à l'appui du système contraire, et je serais heureux d'entendre combattre ces raisons. Dans une question aussi importante, il faut que toutes les opinions puissent être développées.

Je n'ajouterai plus qu'un mot, messieurs, pour démontrer que la discussion doit être continuée...

- Plusieurs membres. - Nous sommes d'accord.

M. Delehaye. - Si l'on est d'accord pour que la discussion continue, il est inutile que je combatte davantage la clôture.

M. le président. - Renonce-t-on à la demande de clôture ?

- De toutes parts. - Oui ! oui !

M. Destriveaux. - Je pense, messieurs, que nous devons mûrement examiner et méditer ce sujet extrêmement important. Il s'agit ici d'une des plus hautes questions que nous puissions discuter dans la chambre ; il s'agit de savoir, comme on l'a dit tout à l'heure, si la Constitution... (Interruption.) Il me paraît que l'inattention de la chambre rend mes développements inutiles.

- Plusieurs membres. - Non ! non ! Parlez ! parlez !

M. Destriveaux. - J'ai ma responsabilité aussi, messieurs, pour les paroles que je dirai, comme pour celles que je ne dirais pas. Cette responsabilité, je ne veux pas l'encourir légèrement. Il me paraît qu'on a suspendu des discussions beaucoup moins importantes que celles-ci ; on déférait alors au désir de ceux qui semblaient être la minorité du moment et qui étaient déterminés non par une volonté de traîner la chose en longueur, mais qui demandaient la remise de la discussion afin de pouvoir examiner de près la question, et afin d'adopter une opinion raisonnée, fondée sur le texte et de la Constitution et de la loi d'organisation de la cour des comptes et de la loi sur les incompatibilités.

Ce n'est pas en faisant un tournoi qu'on peut se former une opinion sur de semblables questions. S'il y en a qui sont de cette force, je m'en déclare, moi, incapable. Je demande la remise à demain.

M. le président. - La remise à demain n'a pas été adoptée par la chambre.

M. Destriveaux. - La chambre peut revenir sur cette décision.

M. de Perceval. - Messieurs, ce qui m'étonne dans cette discussion, c'est qu'en présence de la loi sur les incompatibilités parlementaires on puisse reconnaître à un membre de la chambre la capacité d'accepter un emploi salarié, une fonction rétribuée.

Que dit l'article 2 ?

« Les membres des chambres ne pourront tire nommés à des fonctions salariées par l'Etat qu'une année au moins après la cessation de leur mandat. »

Le mandat de conseiller à la cour des comptes ne constitue-t-il pas une fonction salariée ? Il me semble que cela est clair pour tout le monde et que le doute n'est pas possible.

Je dis donc et je maintiens que le député, dans l'exercice de ses fonctions législatives, est inhabile à accepter une fonction quelconque rétribuée par l'Etat, et dans la catégorie de ces fonctions, je place le mandat de conseiller à la cour des comptes.

On m'objecte que la loi sur les incompatibilités a été faite dans une pensée hostile, une vue de défiance contre le gouvernement pour annuler l'influence corruptrice dont il pourrait faire usage au sein du parlement et vis-à-vis des membres de la législature.

Mais, messieurs, remarquez que si vous avez voulu vous préserver de l'action corruptrice du gouvernement, vous devez vous prémunir aussi contre la corruption que pourrait exercer la majorité de l'assemblée ; car elle peut s'entendre dans un but peu louable, elle peut dire à un membre de la chambre : Si, pendant un laps de temps donné, dans telles ou telles questions, vous professez tels ou tels principes, vous émettez tel ou tel vote, vous recevrez, en récompense de votre conduite, tel poste salarié, auquel nous vous appellerons le jour que nous devrons le confier à un titulaire.

Ce serait bien là, évidemment, la corruption mise en pratique au sein du parlement.

Or, c'est ce que le législateur de 1848 n'a pas voulu. De là, la loi sur les incompatibilités ; et je pense qu'elle a été faite pour prévenir toute corruption quelconque, soit qu'elle puisse émaner de la majorité de la chambre ou du gouvernement.

L'honorable M. Malou a dit, en commençant son discours, que le résultat de l'élection étant connu, il y avait un droit acquis. Je me contenterai de répondre à l'honorable membre qu'il n'y a pas de droit contre le droit.

Je crois, messieurs, que la question qui nous occupe est, avant tout, une question de dignité et de moralité pour la chambre. En présence du texte clair et précis de l'article 2 de la loi sur les incompatibilités parlementaires, le député, lorsqu'il se trouve dans l'exercice de son mandat législatif, ne peut pas être nommé à une fonction salariée par l'Etat ; parmi celles-ci, je n'hésite à classer le mandat de conseiller à la cour des comptes.

Messieurs, je regrette d'être pris au dépourvu dans ce débat, des plus graves, à mes yeux. Je n'y suis nullement préparé. La question qui s'agite devant vous demande cependant à être étudiée et discutée sous toutes ses faces, car elle renferme tout ce qui se rapporte de près ou de loin à la probité politique, à la morale publique.

Du reste, j'aime à croire que les considérations que je vous ai présentées, quelque incomplètes, quelque courtes qu'elles aient pu être, vous engageront néanmoins à maintenir intacts l'esprit et le texte de la loi sur les incompatibilités parlementaires.

J'ajoute encore, en terminant, que je regrette que la chambre n'ait pas voulu remettre à demain la grave et épineuse discussion qui nous occupe en ce moment.

M. Delehaye. - Je regrette vivement que la proposition n'ait point été faite avant les votes, quoique, pour moi, elle était inutile ; je l'ai examinée avant d'entrer dans cette enceinte, je l'ai examinée avec quelques-uns de mes collègues, et pour moi, messieurs, je le dirai avec sincérité, je crois que la loi sur les incompatibilités n'est pas applicable aux représentants élus membres de la cour des comptes. Cette loi, j'en appelle au souvenir de ceux d'entre vous qui faisaient partie de la législature qui a voté la loi, contre qui a-t-elle été faite ? N'est-ce pas contre le pouvoir à l'influence duquel, soit bonne soit mauvaise, on voulait soustraire la représentation nationale ?

Peut-on supposer que la chambre ait voulu se lier, qu'elle ait cru devoir prendre contre elle-même des précautions pour l'avenir ? Non,, messieurs, cela n'est pas possible. On a parlé de la question de dignité. Messieurs, y aurait-il dignité si nous allions à présent annuler le vote de la majorité ? Je regrette que l'un de nous se soit mis sur les rangs.

Quoique je n'aie pas voté pour M. Jacques, je pense qu'il est élu. Sans doute, un membre ferait mieux de ne pas se soumettre aux suffrages de ses collègues, c'est une opinion que j'ai soutenue ailleurs qu'ici. Mais, en présence de votre vote, et tenant compte de la loi, je crois l'élu habile à siéger à la cour des comptes.

- Des membres. - Aux voix ! aux voix !

M. Delfosse. - Je ne comprends pas la précipitation avec laquelle on veut procéder...

M. Malou. - Il y a décision de la chambre.

M. Delfosse. - La chambre n'a pas prononcé la clôture.

M. Malou. - Elle a décidé qu'elle finirait aujourd'hui.

M. Delfosse. - Nullement.

M. de Mérode. - Messieurs, je viens combattre l'argument de l'honorable M. Delehaye, argument qui consiste à dire que la chambre manquerait à sa dignité si, dans la question d'éligibilité, elle ne ratifiait pas définitivement ce qu'elle a décidé, en donnant un vote favorable à l'un de ses membres. (Interruption.)

Vous avez dit que puisque 46 membres de la chambre avaient voté pour M. Jacques, la majorité avait préjugé que la loi sur les incompatibilités ne lui était pas applicable.

Je dis que ce n'est pas là un préjugé. La chambre se livre à une discussion ; cette discussion doit nous éclairer tous ; j’ai pris part au scrutin : je ne dis pas pour qui j’ai voté ; mais quelle que soit la personne à (page 318) qui j'ai donné ma voix, je dis que la discussion actuelle n'a pas lieu, pour que je me tienne absolument à ce que je puis avoir déjà fait.

La discussion me prouve qu'on a parfaitement le droit de revenir d'une opinion qu'on avait précédemment ; c'est pour cela que nous discutons ; si nous discutons, c'est pour connaître la vérité. On nous dit que le scrutin a déjà en quelque sorte décidé la question ; mais je soutiens que le scrutin n'a rien décidé du tout.

Je désire donc qu'on laisse parler les orateurs qui ont encore à s'expliquer sur une aussi grande difficulté que celle-là.

M. Delfosse. - Je ne comprends pas que l'honorable M. Delehaye vienne nous opposer le vote au scrutin secret de quarante-six de ses collègues comme constituant une espèce de droit acquis.

La chambre n'a-t-elle pas décidé, avant de procéder au scrutin de ballottage, que la question soulevée par l'honorable M. de Perceval était réservée ?

Il est évident que le vote au scrutin secret de quarante-six membres de la chambre ne peut pas lier la chambre sur une question de légalité ; la chambre, éclairée par la discussion, peut, comme vient très bien de le dire l'honorable M. de Mérode, avec lequel je suis heureux de me rencontrer ; la chambre peut incontestablement décider la question de légalité contre l'opinion présumée de quarante-six membres qui ont voté au scrutin secret pour l'honorable Jacques.

M. le ministre des finances a déjà fait justice d'une singulière argumentation de l'honorable M. Roussel. L'honorable M. Roussel a dit : La Constitution confère à la chambre des représentants le droit de nommer les membres de la cour des comptes : il n'appartient pas même à la loi de limiter ce droit de la chambre. Mais alors l'honorable M. Roussel doit prétendre qu'on ne peut pas empêcher la chambre d'élire membres de la cour des comptes deux frères ou deux alliés au degré prohibé par la loi.

Chacun de nous doit respecter cette loi. Elle n'a rien de contraire à la Constitution ; la Constitution ne dit pas que le législateur ne pourra pas subordonner le droit de la chambre à certaines conditions d'éligibilité.

L'honorable M. Malou a cité un précédent qui n'en est pas un. Il nous a dit que déjà la chambre a tranché la question en nommant les membres du jury d'examen.

L'honorable M. Malou oublie qu'on a reconnu que les membres du jury d'examen ne sont pas salariés par l'Etat ; c'est une simple indemnité qu'on leur donne pour frais de séjour et de déplacement. La question a été soulevée et décidée en ce sens ; le précédent invoqué par l'honorable M. Malou s'évanouit donc, comme l'argument de l'honorable M. Roussel. Je ne saurais, messieurs, trop répéter que la loi est claire, que nous tombons directement sous son application ; mais je ne recule pas devant l'examen des motifs qui ont pu guider les chambres lorsqu'elles ont fait la loi sur les incompatibilités.

- Un membre. - Les motifs sont clairs.

M. Delfosse. - Les motifs sont clairs pour moi. Il est bien clair pour moi qu'en 1848, les chambres, s'inclinant devant l'opinion publique, n'ont pas voulu qu'un membre de la représentation nationale pût se servir de l'influence que son mandat lui donne pour arriver à des fonctions salariées par l'Etat.

M. Dedecker. - C'est contre le gouvernement seul que cela était dirigé : voilà l'esprit de la loi.

M. Delfosse. - Je vais vous donner la preuve que cela n'était pas dirigé contre le gouvernement seul, et je tirerai cette preuve de la loi sur les incompalibilités.

On dit qu'on a seulement voulu prendre des garanties contre les séductions du gouvernement. Que fait donc l’article 3 ? L'article 3 ne défend-il pas aux juges d'arriver au conseil provincial et aux conseillers provinciaux d'être présentés comme candidats pour les places de l'ordre judiciaire par le conseil dont ils sont membres ? S'agit-il là de l'influence du gouvernement ? Non, il y a le motif que j'indiquais tantôt. Le législateur n'a pas voulu qu'un conseiller provincial puisse se servir de l'influence que son mandat lui donne, pour arriver, à l'aide de ses collègues, à des fonctions salariées par l'Etat.

Les mêmes raisons ne s'opposent-elles pas à ce qu'un membre de la chambre soit élu par ses collègues à la cour des comptes ? N'est-ce pas là ce que le législateur a voulu empêcher ?

Il faut que le représentant reste pur. Il ne faut pas qu'il soit influencé dans son vote par l'espoir d'une place, il ne faut pas même qu'il en soit soupçonné ; c'est là ce que le législateur de 1818 a dû vouloir, du moins c'est mon avis.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - J'avais demandé la parole pour soumettre à la chambre quelques-unes des considérations qui viennent d'être présentées par l'honorable M. Delfosse.

En donnant lecture de la dernière disposition de l'article 3, vous aurez la preuve que la loi a été faite pour empêcher tout autre chose que l’influence du gouvernement de s'exercer dans le sein des assemblées délibérantes.

La loi, selon vous, a été fait exclusivement contre l'influence que pourrait exercer le gouvernement. Ecoutez donc l’article 3.

Il porte : « Les conseillers communaux ne peuvent, pendant la durée de leur mandat, être présentés comme candidats pour les place de l’ordre judiciaire par le conseil dont ils sont membres. »

- Plusieurs voix. - Au gouvernement ! au gouvernement !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Qu'est-ce donc que la loi a voulu empêcher/' Elle a voulu empêcher qu'on aspirât aux fonctions de conseiller provincial, pour se faire un marchepied de ces fonctions afin d'arriver à des fonctions salariées. Voilà ce qu'a voulu la disposition de l'article 3.

Et de la même manière on a eu raison de dire que la loi des incompatibilités, par la généralité de ses termes aussi bien que par l'esprit dans lequel elle a été conçue, s'oppose à ce qu'un membre du parlement soit nommé à des fonctions salariées pendant la durée de son mandat. Selon vous, c'est contre l'influence du gouvernement que la loi est dirigée. Mais si la majorité est douteuse dans la chambre, le gouvernement ne pourra-t-il exercer son influence sur un membre de l'assemblée afin de fortifier sa majorité, l'exercer même tour à tour sur un certain nombre de membres, car ce ne serait plus qu'une question de majorité que celle de savoir si un membre de la chambre peut être nommé membre de la cour des comptes.

Pensez-vous qu'en interprétant, ainsi que vous le faites, la loi des incompatibilités, si, comme vous le prétendez, elle a été faite contre le gouvernement pour l'empêcher d'exercer une action sur les membres du parlement, pensez-vous que vous l'interprétez sainement ? Croyez-vous que l'action illicite ne serait plus possible sur les membres du parlement ?

M. Roussel. - C'est une hypothèse.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Evidemment. Ainsi, cette hypothèse...

M. Roussel. - Cette hypothèse est injurieuse.

M. le président. - M. Roussel, vous n'avez pas la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Cette hypothèse me paraît extrêmement simple, extrêmement naturelle. (Interruption.)

M. Roussel. -Je demande la parole pour un rappel à l'ordre.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Vous argumentez de la corruption du gouvernement, M. le ministre des finances peut bien vous répondre par l'hypothèse qu'il vient de mettre en avant.

M. Vilain XIIII. - Vous ne pouvez pas contrôler la chambre (Interruption.)

M. le président. - La majorité a décidé qu'elle voulait en finir aujourd'hui ; il faut apporter du calme dans la discussion.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne conçois pas la susceptibilité que vient de montrer M. A. Roussel. Il s'est levé, si je ne me trompe, pour demander mon rappel à l'ordre, parce que j'ai dit que le gouvernement pouvait, dans le système que je combats, exercer son influence sur un ou plusieurs membres du parlement.

Je conçois d'autant moins cette susceptibilité que je rencontrais les observations présentées par mes adversaires qui avaient émis cette opinion que la loi avait été faite contre le gouvernement, et afin qu'il ne pût exercer son influence sur les membres de la chambre, afin, pour dire le mot, qu'il ne pût parvenir à les corrompre.

- Plusieurs voix. - Pas la majorité ! pas la majorité !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Maintenant on me dit : Ce n'est pas le gouvernement qui nomme, c'est la chambre, dans le cas particulier qui nous occupe. Je réponds, qu'un gouvernement, un ministère exerce toujours une certaine influence dans le parlement. Il est évident qu'il peut, dans l'hypothèse que j'ai créée, quelque peu exercer son influence pour amener la nomination de tel ou tel membre à la cour des comptes, et qu'à l'aide de la promesse de le faire arriver à la cour, il peut détourner un membre de la voie dans laquelle le législateur a voulu qu'il fût maintenu.

Il est donc incontestable que quelle que soit l'hypothèse que vous adoptiez, que vous consultiez la lettre ou l'esprit de la loi des incompatibilités, vous arriverez à cette conclusion qu'un membre de la chambre ne peut pas être nommé à la cour des comptes, pas plus qu'à d'autres fonctions salariées.

C'est ce qu'indique la loi, c'est ce qu'indique la raison, et il y aurait grand danger à violer la loi par des considérations personnelles ; vous pourriez avoir quelque jour lieu de regretter ce que vous auriez fait.

M. Rousselle. - Je viens demander que la chambre continue la discussion à demain. Certaine vivacité s'empare des esprits ; nous n'aurons plus le calme nécessaire pour continuer la discussion qui est loin d'être épuisée. Je demande le renvoi à demain.

- Plusieurs voix. - C'est décidé ! c'est décidé !

M. Delfosse. - La chambre a décidé qu'elle commencerait la discussion, mais non qu'elle la clôturerait aujourd'hui.

- La continuation de la discussion à demain est mise aux voix et prononcée.

La séance est levée à 5 heures et un quart.