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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 17 janvier 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l'exercice 1851

Formation du comité secret

(page 477) La chambre se forme en comité secret à 1 heure et quart. A trois heures trois quarts la séance est rendue publique.

Lecture du procès-verbal

M. de Perceval donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces adressées à la chambre :

« Le sieur Huybreghts, cordonnier à Gand, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une pension en faveur de son fils Pierre-Léopold, artilleur congédié pour infirmité contractée au service. »

- Renvoi à la commision des pétitions.


« Le sieur Musch demande que les évaluations du cadastre, pour les propriétés bâties, soient réduites au taux des revenus actuels. »

- Même renvoi.


« Le sieur Fourmentier, ancien surveillant et bibliothécaire de l'école vétérinaire de l'Etat, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir sa mise en disponibilité. »

- Même renvoi.


« La comtesse de Hompesch, née baronne d'Overschie-Wisbecq, prie la chambre d'autoriser le gouvernement à prendre des mesures immédiates pour empêcher la vente judiciaire de ses biens patrimoniaux sur lesquels elle a consenti à garantir les sommes nécessaires au maintien de la colonie belge de Santo-Tomas, et pour l'indemnité des pertes qu'elle a éprouvées à raison de cet établissement. »

M. de Perceval. - Cette pétition présente un caractère d'équité et d'urgence que la chambre ne saurait méconnaître. Je demande qu'elle fasse l'objet d'un prompt rapport.

M. de Renesse. - Appuyé ! Cette pétition est très urgente. Je demande que la commission des pétitions soit invitée à faire son rapport à la séance de demain.

- Cette proposition est adoptée.


M. Sinave, retenu chez lui par la perte de son épouse, demande un congé.

- Ce congé est accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1851

Discussion générale

M. le président. - L'incident qui a motivé le comité secret ayant été terminé d'une manière qui sauvegarde les prérogatives parlementaires, la chambre reprend son ordre du jour.

La discussion sur le budget de la guerre continue.

La parole est à M. le ministre de la guerre.

M. le ministre de la guerre (M. Brialmont). - Messieurs, il importe, avant de continuer la discussion qui nous occupe, de donner à la chambre des explications, sinon plus catégoriques, du moins plus explicites que celles que j'ai présentées à la fin de la séance du 15 courant et qui ne paraissent pas avoir été trop bien comprises.

J'ai eu l'honneur de vous dire, messieurs, que mon acceptation du portefeuille de la guerre a été toute conditionnelle. J'ai fait une réserve en faveur du maintien de l'organisation actuelle de l'armée, et je pouvais la faire, attendu qu'un passage de la lettre qui m'a été adressée au camp de Beverloo par le ministère est ainsi conçu :

« Est-il possible d'opérer en trois ans une réduction de 1,300,000 fr., a sans affecter la force organique de l'armée ? »

La même réserve se trouve encore dans la note adressée à la section centrale.

On voit donc que l'intention du cabinet n'était pas de porter atteinte à la loi de 1845, et qu'il entendait que la recherche des économies fût faite dans cet esprit. Je partageais de tous points son opinion à cet égard ; aussi me suis-je bien gardé de faire la moindre promesse d'où l'on pourrait conclure que j'ai changé d'avis. Loin de là ; j'ai constamment déclaré que je persistais dans ma première résolution.

La déclaration du cabinet communiquée à la chambre, dans la séance du 14 courant, ne détruit en rien les réserves très claires que j'ai faites à la section centrale.

J'ai dit que « j'examinerai avec soin toutes les questions quiconcernenl l'ensemble de notre établissement militaire. Je m'entourerai au besoin des lumières d'une commission composée d'hommes éclairés et impartiaux, et quand mon opinion sera définitivement formée, je ferai connaître loyalement ma manière de voir et ma détermination. »

Cette déclaration me permet de dire que je n'entends pas porter atteinte à la loi du 19 mai 1845.

Je ne consentirai à y apporter un changement quelconque, que pour autant que la chambre ait exprimé par un vote solennel la résolution de réviser cette loi.

Je pourrais d'autant moins prendre l'initiative d'une pareille mesure, que la chambre, il y a juste un an, a repoussé par 61 voix contre 31, la proposition de réviser la loi organique ; mes honorables collègues se sont associés à ce vote.

C'est donc par respect pour une décision récente du pouvoir législatif, autant que pour maintenir l'armée dans la jouissance d'une loi qui fonctionne bien et qui lui assure une stabilité dont elle a le plus grand besoin, que je combattrai toute proposition tendante à modifier les bases de l'organisation actuelle.

Je puis tenir cette ligne de conduite en vertu même des réserves que j'ai faites dans ma lettre d'acceptation du portefeuille de la guerre, dans les différents conseils de cabinet où il a été question de l'armée, dans ma note à la section centrale et dans le premier discours que j'ai prononcé à la chambre.

Je veux bien, messieurs, m'entourer des lumières d'une commission, pour examiner différentes branches du service, telles que la question des forteresses, le recrutement, l'armement, les remontes, l'instruction, l'administration et surtout les lois de 1836 sur la position des officiers. Car si je suis d'avis que la loi de 1845 doit continuer à fonctionner, je pense que celle de 1836, qui a été faite pour une époque exceptionnelle, a besoin d'être, sinon revisée, du moins appliquée de façon à donner plus des garanties à nos officiers, dont la conduite mérite toute la sollicitude dus gouvernement.

J'ai dit, messieurs, que je ne pourrais consentir à réorganiser l'armées dans les circonstances actuelles. Et, en effet, qu'est-ce qui justifierait une pareille mesure ?

N'avons-nous pas dans l'infanterie des cadres dont l'instruction est tellement avancée qu'au bout de 50 jours le milicien qui arrive au corps est mis au courant de tout ce qu'il doit savoir pour manœuvrer en ligne ?

Notre cavalerie et notre artillerie ne possèdent-elles pas un degré d'instruction tel qu'elles peuvent soutenir la comparaison avec l'artillerie et la cavalerie des puissances militaires les plus avancées ?

Ne voyons-nous pas chaque année, au camp de Beverloo, les troupes des trois armes manœuvrer ensemble avec une précision remarquable, aux allures les plus vives et sans que l'on ait aucun accident à déplorer ?'

Enfin, la conduite et la discipline del'armée ne sont-elles pas au-dessus de toute contestation ?

Dès lors, pourquoi vouloir changer notre organisation militaire ?

On dit que l'armée coûte trop cher, qu'elle est trop bien habillée ; je crains bien qu'un jour on ne lui reproche d'avoir des armes de trop bonne qualité.

Je vous l'ai dit, messieurs, et je le répète, je suis comme vous partisan des économies ; mais quant à marchander le prix du sang, je n'en ai pas le courage. J'ai versé différentes fois le mien au service de mon pays ; et je sais trop combien est grande la valeur d'un pareil sacrifice, pour que je ne traite pas avec le plus grand respect ceux qui chaque jour sont prêts à le faire.

N'oublions pas d'ailleurs, messieurs, que rien n'est plus délicat, plus dangereux même que d'introduire des réformes importantes dans une organisation militaire qui fonctionne bien et depuis de longues années.

N'oublions pas non plus que l'article 68 de la Constitution investit le Roi du commandement en chef de l'armée, et qu'à ce titre il est de la plus haute convenance qu'il soit consulté sur tous les changements à introduire dans l'organisation de cette force, à l'aide de laquelle il a juré de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire. C'est unes règle suivie dans tous les Etats constitutionnels, et que justifie pleinement l'intérêt même de la défense du territoire.

Messieurs, si je me ralliais à la proposition de nommer une commission d'enquête ayant pour objet de réviser la loi organique, je déclarerais à la face du pays et de l'Europe, que je n'ai aucune confiance dans la force morale et matérielle de l'armée ; que je regarde la loi d'organisation votée en 1845 comme insuffisante ou défectueuse ; enfin que je ne partage pas l'opinion de mes honorables prédécesseurs, qui tous ont pris la défense de cette loi.

Or, je ne puis, messieurs, consentir en aucune façon à faire une pareille déclaration.

Ma conscience, mes devoirs, l'intérêt du pays et de l'armée, tout s'y oppose.

Ce serait une grande faute ou un acte de coupable faiblesse que, pour ma part, je ne suis pas disposé à commettre.

Vous devez reconnaître, messieurs, que l'armée continue de se montrer digne de votre confiance et de votre sollicitude par son esprit d'ordre et de discipline, par son instruction militaire, par son attachement inaltérable au pays et au Roi.

Oui, messieurs, malgré les attaques hasardées dont elle est l'objet, malgré la cruelle incertitude qui pèse sur elle, malgré l'impression fâcheuse que produisent des débats qui remettent chaque année son sort en question, malgré toutes ces causes de démoralisation, l'armée est encore à l'abri de tout reproche.

Pour la maintenir dans cette bonne situation, il faut éviter avec le plus grand soin toute mesure qui pourrait faire croire que l'armée a perdu la confiance du pays et de la législature.

Une commission d'enquête aurait évidemment ce caractère, parce qu'elle aurait sa source dans l'idée que l'organisation exisyante est défectueuse, et aussi parce que cette mesure a été proposée pour la première fois par les ennemis du budget de la guerre.

Voici en quels termes l'honorable M. Devaux, dont le patriotisme ne s'est jamais démenti, a combattu dans la dernière session le projet que je viens de combattre à mon tour.

« On a proposé, dit-il, une commission d'enquête, j'en veux encore moins que du rejet du budget ; une commission d'enquête c'est trois humiliations à la fois : l'humiliation de l'armée, l'humiliation du gouvernement, l'humiliation de la chambre.

(page 478) « C'est l'humiliation de la chambre, parce qu'une commission d'enquête en cette matière ne fera que constater l'impuissance et l'inaptitude de la chambre.

« C'est l'humiliation de l'armée, parce qu'en prenant une mesure d'un tel éclat, c'est déclarer à la face de l'Europe, que nous considérons notre armée, telle qu'elle est organisée, comme incapable de défendre le pays.

« C'est plus que cela, cette mesure a une certaine odeur de Convention nationale.

« Vous ne pouvez vous enquérir du système actuel et des services qu'en sachant ce qui se passe dans l'armée.

« Il faudra donc envoyer des commissaires parlementaires dans l'armée ; c’est ce que faisait la Convention.

« Je vous demande ce que deviendra l'autorité du gouvernement.

« Votre enquête provoquerait tous les mécontents de l'armée à venir vous éclairer de leurs lumières : ce serait un coup fatal porté à l'esprit de discipline...

« Si vous n'avez pas confiance dans le ministre de la guerre, il ne faut pas l'humilier, il faut le renverser ; on peut renverser le chef de l'armée, on ne doit jamais l'humilier. » (Séance du 17 janvier 1850.)

Je partage de tous points cette manière de voir, et je ne doute pas que la chambre ne repousse cette année, comme elle l'a fait l'année dernière, une mesure qui dans les temps ordinaires serait fâcheuse, et qui dans les circonstances actuelles produirait les effets les plus déplorables.

Il serait d'ailleurs peu logique, alors qu'aucun motif raisonnable ne s'est produit depuis l'année dernière, de soutenir en ce moment une proposition qui a été repoussée en janvier 1850 à la majorité imposante de 61 voix contre 31.

Cette proposition était ainsi conçue :

« Y a-t-il lieu à réviser la loi d'organisation de l'armée pour arriver à une économie sur le budget de la guerre ? »

Le rejet de cette proposition entraine nécessairement celui de la commission d'enquête, à moins qu'on ne prétende restreindre à ce point le programme de cette commission, qu'elle n'ait plus à rechercher que les économies compatibles avec le maintien de l'organisation actuelle.

Or, ce n'est pas ce qu'on paraît vouloir.

Au résumé, la commission d'enquête c'est l'affaiblissement de notre force militaire au-dedans et de sa déconsidération au -dehors. Les meilleures intentions de la part des membres dont elle se composerait ne suffiraient pas pour détruire cette fâcheuse impression.

C'est une demi-mesure qui ne résoudra aucune difficulté et qui en fera naître une foule.

C'est la continuation du provisoire et l'aggravation de l'incertitude qui pèse déjà si cruellement sur l'armée.

Les militaires y verront un indice fâcheux, une preuve que bientôt ils auront de nouveaux sacrifices, de nouvelles humiliations à subir.

L'étranger y trouvera l'aveu de notre impuissance, ou, tout au moins, l'expression d'une crainte sérieuse au sujet de notre force militaire.

Les hommes dévoués au pays, à ses institutions, et qui savent que le sort des Etats dépend et dépendra toujours de la bonne ou de la mauvaise organisation de l'armée, croiront, en voyant mettre en doute les qualités et l'aptitude de la nôtre, que l'honneur national et la sécurité du pays ne sont pas suffisamment garantis.

Pour toutes ces raisons, messieurs, il m'est impossible d'accepter une proposition ayant pour objet de réviser la loi organique de l'armée.

Dans la situation actuelle de l'Europe, en présence des graves complications qui peuvent surgir d'un moment à l'autre, mon devoir est de repousser tout ce qui peut directement ou indirectement affaiblir ou déconsidérer notre belle et patriotique armée.

L'état militaire, messieurs, ne ressemble à aucun autre état, et les armées ont une manière d'être toute différente de celle des autres corps constitués.

Leur existence tient à des sentiments, à des préjugés même qu'il est facile de froisser et qu'on ne froisse jamais sans en ressentir les mauvais effets.

Je me rappellerai toujours un fait dont je fus témoin à la fin de 1814 : Un des meilleurs régiments de l'armée française, un régiment dont les officiers et les soldats partageaient au plus haut degré les sentiments d'honneur et de patriotisme, fut complètement bouleversé par suite de quelques paroles imprudentes, adressées à ce régiment par un prince de la famille des Bourbons. Il en résulta que, peu de temps après, en mars 1815, ce régiment prit fait et cause contre la dynastie régnante, malgré son éloignement du théâtre des événements.

Je ne cite point ce fait, messieurs, pour en faire l'éloge ; je ne le produis que pour vous engager à vous mettre en garde contre toute proposition de nature à froisser l'honorable susceptibilité de nos militaires, tous enfants du pays.

Les armées ne sont respectables que pour autant qu'on les respecte et qu'on leur accorde une entière confiance.

A ce point de vue encore, je vous exhorte, messieurs, à bien y réfléchir, avant de donner suite au projet de nommer une commission d'enquête.

Vous aurez beau dire que cette proposition n'implique pas une idée de défiance, vous n'empêcherez pas qu'à l'étranger, comme dans le pays, elle ne produise une fâcheuse impression. Si vous croyez que l'armée est à la hauteur de sa mission, déclarez-le franchement et ne remettez pas chaque année son sort en question.

Ne portez pas la main sur la loi d'organisation votée en 1845 : que tous vos efforts tendent plutôt à la rendre fructueuse.

C'est le moyen d'inspirer de la confiance à l'armée et au pays.

Si en ce moment vous réorganisiez notre système militaire, ne vous mettriez-vous pas dans le cas, messieurs, d'accepter une responsabilité qui pourrait devenir bien lourde pour vous ?

Ce n'est pas le moment d'innover ; conservons ce que nous avons, et tâchons d'en tirer le meilleur parti possible. Loin de nous diviser, réunissons-nous autour du Trône, autour de l'étendard glorieux que nous avons conquis en 1830, et que l'armée tiendra toujours d'une main ferme au-dessus des passions qui agitent la société civile et le monde politique.

Tâchons surtout de conserver à l'armée l'esprit qui la distingue, en la laissant en dehors de tous les partis politiques.

Il faut, quand l'ennemi se présente à la frontière, qu'elle marche bravement à sa rencontre, sans s'enquérir du drapeau qu'il porte ni des opinions qu'il professe.

Il faut que, lorsqu'il se manifeste quelques désordres dans l'intérieur, elle les réprime énergiquement, sans demander si ses auteurs sont monarchiques, républicains, libéraux, catholiques, schismatiques ou communistes.

Il faut que chaque citoyen, quel que soit son culte, ses opinions, trouve une égale protection lorsqu'il est dans la nécessité d'avoir recours à la force d'armée.

Mais il faut aussi, messieurs, et au nom de ma vieille expérience militaire je vous en conjure, il faut que les armes que vous mettez dans les mains des troupes qui ont mission de veiller à votre repos, à votre sécurité, soient portées par des hommes dont le moral soit haut placé ; sans cette condition, vous ne devez vous attendre qu'à de fâcheux résultats.

Il est pénible de l'avouer, messieurs, mais permettez-moi de vous le dire, il est bien difficile de conserver à l'armée toutes les illusions qui lui donnent le goût de sa noble profession, tout le prestige qui lui fait accomplir des actes de valeur, si son existence est agitée d'une manière trop méticuleuse, chaque fois qu'on discute le budget de la guerre.

En France, en Angleterre, en Hollande, où l'armée est soumise au système constitutionnel comme en Belgique, la discussion du budget de la guerre est loin de présenter des tiraillements de la nature de ceux qui se manifestent chez nous.

Je sais, messieurs, que c'est un droit que personne ne peut songer à vous contester et que, pour mon compte, je respecte profondément.

Mais, si l'opinion et l'expérience d'un homme de guerre, qui sert son pays depuis 45 ans et qui a passé, non sans de grandes vicissitudes, par tous les rangs de la hiérarchie militaire, peuvent avoir quelque influence sur vos décisions, je vous dirai, messieurs, avec une bien profonde conviction, que vous rendriez un immense service à l'armée et par conséquent au pays, en donnant aux lois qui la régissent une apparence de durée que l'on ne paraît pas vouloir leur accorder aujourd'hui.

Ces convictions sont si intimes chez moi, messieurs, que je croirais manquer à mes engagements et faire un acte blâmable en accédant à une proposition de réorganiser notre armée dans un moment aussi mal choisi et alors qu'on ne peut lui faire aucun reproche.

Mais, en ne me ralliant pas à une proposition contraire à ma pensée, contraire aux intérêts nationaux, je ne veux apporter aucune perturbation dans les affaires du pays ; je ne veux pas soulever à ce sujet une question de cabinet ; je me contenterai de vous déclarer tout simplement, messieurs, que ma résolution, dans le cas où les que je professe ne seraient pas adoptées par la chambre, se réduira au simple abandon d'un portefeuille ; je suis arrivé seul, je partirai seul, mais en laissant l'armée entière et en y conservant, je l'espère, l'estime de mes camarades que je préfère à lous les honneurs du monde.

- Ces paroles sont accueillies par des applaudissements sur plusieurs bancs de la chambre.

M. le président. - Je dois informer les tribunes que le règlement interdit tout signe d'approbation....

- Plusieurs membres. - Les applaudissements ne viennent pas des tribunes ; ils viennent de la chambre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Le nouvel incident qui se produit exige de notre part des explications nettes et catégoriques.

Lorsque, par suite de la retraite du précédent ministre de la guerre, le cabinet s'est trouvé dans la nécessité de se compléter, il avait à examiner une question grave, qui n'était pas définitivement résolue, qui n'était qu'ajournée.

L'attitude de la chambre, lors des précédentes discussions du budget de la guerre, l'imposante minorité qui s'était manifestée sur le chiffre du budget de la guerre, sur le chiffre seulement, car nul n'a l'intention de désorganiser l'armée ; toute imputation contraire est calomnieuse, je la repousse. (Applaudissements.)

Voilà ce que j'avais à dire à tous ceux qui peuvent m’adresser cette imputation.

M. Manilius. - C'est exact !

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'attitude de la chambre donc, la minorité toujours croissante, appelaient la sérieuse attention du gouvernement. En se reconstituant, le cabinet conservait invariablement la ferme conviction qu'il faut au pays une armée respectable, que le pays en a besoin et pour sa tranquillité intérieure, et pour sa défense éventuelle contre des dangers extérieurs ; mais il crut aussi qu'il était devenu (page 479) indispensable de se livrer à un examen sincère, loyal de toutes les questions relatives à notre établissement militaire,

Messieurs, le cabinet ne s'est pas posé, je dois le dire, une misérable question d'argent. Non, il avait à résoudre une difficulté beaucoup plus grave que celle-là.

Quelque importance que puissent avoir les considérations financières, je les mets au-dessous des questions qui intéressent la dignité, l'honneur, l'indépendance du pays.

Nous avions à examiner, messieurs, si le gouvernement serait ou non possible. Il s'agissait de savoir si l'on devait persister à accepter un appui équivoque, dangereux de la part d'une partie de cette chambre et diviser une grande opinion.

- Une voix. - C'est une question de parti.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Ce n'est pas là, messieurs, une question de parti. (Interruption.)

Ce n'est pas une question de parti. C'est la question de savoir à quels hasards on allait livrer le pouvoir en Belgique. Je soutiens d'ailleurs, qu'il importe à l'armée et qu'il importe au pays que l'opinion libérale ne soit pas divisée. (Interruption.)

Je dis que cela importe au plus haut point à la tranquillité du pays.

Nous nous sommes demandé ce qu'il conviendrait de faire en pareilles circonstances. Nous avions devant nous un budget de la guerre ramené déjà par des hommes en qui vous aviez assurément confiance, à 26,689,000 francs.

Ce budget ramené à 26,689,000 fr. comprenait trois ou quatre cent mille francs au moins de dépenses extraordinaires, de dépenses qui ne doivent pas se perpétuer.

L'examen se réduisait donc à rechercher si sur l'ensemble des crédits du budget de la guerre, on pouvait lentement, graduellement, prudemment, en prenant un temps assez long, trouver une économie de treize ou quatorze cent mille francs, afin de réduire le budget à ce chiffre de 25 millions qui pouvait être pour tout le monde, qui pouvait être pour tous nos amis une conciliation honorable, et qui ne devait en aucun cas compromettre la solidité de l'armée.

Pourquoi ce chiffre de 25 millions, nous a-t-on dit dans la discussion de ce budget ? Ce chiffre de 25 millions est purement arbitraire, c'est quelque chose que le hasard vous fournit ; pourquoi pas tel autre chiffre plutôt que celui-là ?

Pourquoi ce chiffre, messieurs ? Parce qu'il a été indiqué par plusieurs ministres de la guerre qui voulaient une armée fortement constituée. (Interruption.)

Il a été annoncé ici, dans cette chambre, par plusieurs ministres de la guerre.

- Plusieurs membres. - Par qui ?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Par l'honorable M. de Brouckere, par l'honorable général Evain.

- Plusieurs membres. - Non, non.

M. de Denterghem. - C'était dans d'autres circonstances.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Oui, vous étiez en temps de guerre.

Il a été annoncé dans cette chambre, il a été indiqué comme possible par un de vos honorables amis, en qui vous aviez aussi, je pense, une entière confiance, et qui s'était livré de la manière la plus attentive, la plus scrupuleuse, à des études approfondies que peu d'entre vous ont faites sur les questions relatives à l'armée.

L'honorable M. Brabant avait également indiqué ce chiffre. (Interruption.)

M. Thiéfry. - Le budget est à la bibliothèque.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Voilà donc, messieurs, pourquoi le chiffre de 25 millions a été accepté. Le cabinet s'est mis d'accord sur ce point : il est désirable que dans un temps donné le budget soit ramené à 25 millions ; cela est désirable parce qu'il y aura désormais sur cette question une majorité compacte, unie, sincère et durable. D'accord sur cette pensée et voulant rechercher loyalement, sincèrement les moyens de la réaliser, nous nous sommes adressés à M. le ministre de la guerre actuel par lettre du 9 août 1850, qui est ainsi conçue :

« Bruxelles, le 9 août 1850.

« Mon cher général,

« Nous avons besoin pour le ministère de la guerre d'un homme éprouvé et qui inspire une confiance entière au pays et à l'armée.

« Les membres du cabinet pensent qu'il faut à la Belgique une armée fortement organisée et suffisante pour faire face à toutes les éventualités. Rien de plus important à leurs yeux que de voir cette institution assise sur des bases stables et définitives. Ce serait rendre un grand service que de résoudre, pour n'y plus revenir, les difiicultés que soulève chaque année la discussion du budget de la guerre.

« Les hommes les plus considérables de la chambre que nous avons consultés, ont été d'avis qu'au moyen d'une réduction relativement minime et successive, on obtiendrait sur cette question une majorité très unie et pour longtemps immuable. Il ne s'agirait pour cela que d'arriver au chiffre de 25 millions, en réduisant de 450,000 fr. pur année le chiffre actuel du budget, soit 1,300,000 en trois ans.

« Il est bien entendu qu'en cas d'événements graves, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, le cabinet n'hésiterait pas à faire toutes les dépenses extraordinaires que nécessiteraient les circonstances. Nous raisonnons dans l'hypothèse d'une siltuation normale, et pour une telle situation nous vous posons, mon cher général, les deux questions suivantes :

« Est-il possible d’oprer, en trois ans, une réduction de 1,300,000 fr., sans affecter la force organique de l’armée ? Seriez-vous disposé à prendre l’engagement d’opérer une telle réduction, réserve faite des événements dont j’ai parlé plus haut ?

« Je n'ai pas besoin de vous dire, mon cher général, combien il nous serait agréable, à nos collègues et à moi, de vous voir entrer dans des vues dont la réalisation serait, à nos yeux, le plus sûr, le seul moyen peut-être, de sauvegarder dans l'avenir l'institution de l'armée.

« Nous avons eu à ce sujet, avec quelques officiers généraux, des conversations purement officieuses et sans conclusion. Quoi qu'en aient dit certains journaux, il n'y a pas eu de refus de concours de leur part, par la simple raison qu'il n'y a pas eu d'offre directe et officielle de la nôtre.

« Recevez, mon cher général, la nouvelle assurance de mes sentiments affectueux.

« Ch. Rogier. »

M. le ministre de la guerre, qui était alors au camp de Beverloo, nous répondit, le 10 août, en ces termes :

« Camp de Beverloo, le 10 août 1850.

« M. le ministre,

« J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser le 9 de ce mois et par laquelle vous voulez bien, au nom du cabinet, m'exprimer le désir de me voir accepter les fonctions de ministre de la guerre.

« Vous m'écrivez, M. le ministre, que les membres du cabinet pensent qu'il faut à la Belgique une armée fortement organisée et suffisante pour faire face à toutes les éventualités. »

« D'un autre côté, vous me faites connaître que, dans l'opinion dut cabinet, certaines réductions sur le chiffre du budget de la guerre sont indispensables pour que le sort de l'armée ne soit pas remis en question chaque année et vous m'indiquez quel devrait être, d'après vos honorables collègues, le montant de ces réductions au bout de trois années.

« Vous comprendrez, M. le ministre, que, pris comme je suis, à l'improviste, il ne m'est pas possible de répondre d'une manière catégorique aux deux questions que vous avez bien voulu me poser à cet égard, mais par dévouement pour le Roi et pour le pays, je suis disposé à prendre part aux travaux du cabinet, et à entrer dans les vues que vous m'avez exposées, pour autant qu'un examen plus complet de la situation ne vienne pas me démontrer l'impossibilité, pour moi, de concourir à leur réalisation.

« Veuillez agréer, M. le ministre, la nouvelle assurance de ma haute considération.

« Le lieutenant général commandant les troupes campées,

« Brialmont. »

M. le ministre de la guerre a donc accepté, dans les termes que je viens de lire, la position qui lui était offerte ; il a déclaré qu'il entrait dans les vues du cabinet, c'est-à-dire que ce chiffre de 25 millions ne l'a pas fait reculer. (Interruption.)

Je conçois que cela vous dérange un peu, mais laissez-moi continuer.

M. le président. - J'invite les membres à ne pas interrompre ; chaque orateur aura son tour de parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable général a donc déclaré qu'il était disposé à entrer dans les vues du cabinet, en présence de cette intention, manifestée par nous, de ramener le chiffre du budget de la guerre à 25 millions de francs. Si c'est un crime de parler d'un budget de la guerre ramené à 25 millions, M. le ministre de la guerre est notre complice.

M. le général Brialmont a ajouté qu'il voulait concourir à la réalisation de nos vues, pour autant qu'un examen plus complet ne vînt pas lui démontrer que leur réalisation était impossible.

M. le ministre de la guerre s'est mis à l'œuvre, qu'a-t-il fait ? Il a réalisé la première partie de notre programme ; il a proposé un budget, portant le premier tiers des réductions que nous avions demandées ; il a donc reconnu avec nous que le premier tiers des réductions est possible.

M. Rodenbach. - Il y a une erreur de 400,000 francs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il n'y a pas d'erreur de 400,000 francs ; le prix de l'adjudication des fourrages était connu lorsque les propositions ont été communiquées à la chambre, et il a été décidé par le cabinet, d'accord avec M. le ministre de la guerre, que les 400,000 francs d'augmentation que nécessitait le haut prix des fourrages seraient imputés sur l'ensemble des crédits...

M. de Chimay. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - M. le ministre de la guerre a fait connaitre à la section centrale qui l'a interpellé sur ce point qu'en prévision de l'augmentation du prix des fourrages, il avait réalisé une économie d'environ 200,000 francs sur le budget de 1850 ; qu'on appliquerait cette économie à couvrir la différence de 400,000 fr. ; de telle sorte qu'il ne restait plus à trouver sur l'ensemble du budget qu'une économie de 200,000 fr., pour que ce budget, malgré le haut prix des fourrages, fût dans les conditions annoncées par le cabinet. C'est au surplus ce que M. le ministre de la guerre a répété à la chambre.

(page 480) Messieurs, il n'y a nulle impossibilité à ce que cela soit. Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer quels ont été les excédants chaque année sur les budgets tels qu'ils ont été votés. Sans entrer dans un détail de chiffres, je crois pouvoir me borner à énoncer qu'il y a eu presque toujours des excédants tels que rien ne paraît plus certain que de pouvoir couvrir cette différence de deux cent mille francs par des économies sur l'ensemble des crédits.

Messieurs, le cabinet, comme vous l'avez vu, a annoncé dans sa lettre au général, et le général a annoncé lui-même dans la lettre qu'il a écrite à la section centrale, qu'il n'entrait nullement dans la pensée du gouvernement de toucher à la force organique de l'armée, c'est-à-dire qu'il n'entrait pas dans la pensée du gouvernement de toucher à rien de ce qui est essentiel pour constituer une bonne et forte armée. Voilà ce que le cabinet a entendu par ces mots, la force organique. Je le déclare, par ces mots la force organique, on a voulu se réserver toute liberté d'examen sur les points relatifs à l'organisation. (Interruption.)

Ma déclaration ne vous paraît-elle pas suffisamment explicite ? (Nouvelle interruption.) D'honorables interrupteurs me disent : C'est une équivoque. Eh bien ! Qu'y a-t-il de plus explicite que ce que je viens de vous dire ? Il y a eu intention formelle de réserver toutes les questions relatives à l'organisation de l'armée.

Lorsque M. le général Brialmont a écrit sa lettre à la section centrale, le projet de cette lettre contenait ces mots : « sans porter atteinte à l’organisation ». Ils ont été effacés et remplacés par ces mots qui se trouvent dans la lettre qui a été signée par le général : « sans porter atteinte à la force organique de l'armée ».

L'honorable ministre de l'intérieur interpellé formellement sur le point de savoir si la commission... (Interruption.) Oh ! messieurs, il faut des explications bien claires et bien précises.

- Plusieurs membres. - Oui ! oui !

M. Manilius. - Nous en sommes reconnaissants.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - L'honorable ministre de l'intérieur, formellement interpellé, a répondu conformément à ce qui avait été arrêté entre nous, car nous sommes complètement d'accord sur ce qu'il y a à faire en cette circonstance, M. le ministre de l'intérieur a déclaré que la commission que l'on pourrait nommer examinerait toutes les questions ; aucune question n'a été exclue. M. le ministre de la guerre a entendu cette interpellation et cette réponse et il n'a pas réclamé.

Quelle est donc cette prétention dans un pays constitutionnel, en face d'une chambre, de vouloir que l'on s'incline devant une loi comms devant un palladium, quelque chose de sacré, d'inviolable auquel il serait interdit de toucher ? Dans notre pays, il faut exclure de telles prétendions.

M. Delfosse. - Parce que c'est l'enfant de M. le prince de Chimay.

M. de Chimay. - Je m'en glorifie.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pourquoi cette loi que vous n'avez pas eu le courage d'exécuter ... (Interruption.)

Vous avez voté cette loi qui nécessite une dépense de 29 à 33 millions pour être exécutée...

M. de Liedekerke. - C'est une erreur.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Tous les hommes de guerre vous diront qu'ils faut cette somme pour appliquer cette loi. (Interruption.)

M. de Liedekerke. - Vos anciens collègues mêmes ne l'ont pas voteé.

M. le président. - Je ne puis pas permettre de colloques, et j'inciterai M. le ministre à parler à la chambre.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je parle à l'assemblée. Je suis incessamment interrompu par une partie de l'assemblée.

M. le président. - Je dois empêcher toutes les interruptions, parce qu'elles nuisent à la discussion ; dût l'orateur y consentir, je les empêcherai.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Jamais cette loi n'a été exécutée, jamais elle ne l'a été ; chaque année, quand vous aviez le pouvoir, vous avez successivement fait des réductions sur le budget de la guerre ; et il a fallu, pour faire ces réductions, toucher à l'organisation de l'armée.

Qu'est-ce que la loi d'organisatioa de l'armée ? Est-ce une loi qu'il dépend du ministère d'exécuter ou de ne pas exécuter ? Est-ce une loi faite ou non dans l'intérêt du pays ? Cette loi était faite apparemment afin d'avoir une armée suffisante pour parer aux dangers intérieurs et extérieurs. Eh bien, est-ce que le nombre d'officiers, indiqué dans cette loi, celui qui avait été jugé nécessaire, existe ? Non, il n'existe pas.

La loi n'est donc pas exécutée ; elle est violée ! Et il vous plaît de déclarer qu'il faut, sans examen, maintenir cette loi dans toutes ses parties, quand vous la violez, quand vous ne l'exécutez pas.

Quand vous aviez le pouvoir, si votre conviction était que cette loi était parfaite, était la meilleure qui pût être faite pour l’armée, vous deviez la maintenir fermement ; vous ne l'avez pas fait, et pour justifier votre abandon, vous faites des dithyranbes aujourd’hui en son honneur ! Il fallait faire autre chose, il fallait ne pas accroître successivement vos budgets des dépenses, tandis que vous réduisiez le budget de la guerre.

Il fallait, s'il vous convenait d'augmenter successivement vos dépenses, créer des ressources pour les couvrir ; vous saviez que vos ressources étaient insuffisantes ; vous l'avez toujours su ; cela vous a été dit dans cette chambre vingt fois. Vous l'avez su et vous avez reculé devant la nécessité de créer des ressources nouvelles.

Si quelqu'un a sacrifié l'armée, c'est vous ! (Interruption.)

Oui, si quelqu'un a sacrifié l'armée, c'est vous ! Jamais, si vous n'aviez commis les fautes qui vous sont reprochées, jamais ce cri d'économie, sous lequel vous avez courbé la tête, jamais ce cri ne se serait fait entendre ; car le pays n'est pas hostile à l'armée, il lui est, au contraire, très sympathique ; mais il a le droit de savoir si les ressources qu'il accorde sont utilement employées ;il a le droit de nous demander : Qu'avez-vous fait des ressources mises à votre disposition ? Et quand on est obligé de demander des sacrifices au pays, c'est bien le moins que l'on scrute avant tout toutes les dépenses de l'Etat.

Déjà nous l'avons fait pour les différents départements ministériels ; nous l'avons fait pour réparer la situation que vous nous aviez léguée ; nous avons accepté cette tâche ingrate de réduire les dépenses de l'Etat.

Après avoir accepté cette situation vis-à-vis de toutes les administrations civiles, nous n'hésiterons pas à la prendre vis-à-vis de l'armée, mais nous ferons pour cette grande institution ce qui est juste, tout ce que commandent ses intérêts essentiels, tout ce qui est équitable ; aucune position surtout ne sera ébranlée, aucun homme ne pourra craindre les résultats des économies qui seront opérées ; mais nous ne reculerons pas devant le devoir qui nous est imposé ; nous n'abandonnerons pas notre droit, ou comme ministres, ou comme députés, d'examiner librement toutes les questions qui se rattachent à l'organisation de l'armée.

M. Dechamps. - Nous assistons à un spectacle étrange. M. le ministre des finances a compris que le silence n'élait plus possible, après le discours de l'honorable et loyal général Brialmont. Il s'est levé pour lui répondre, il l'a fait avec véhémence ; il nous avait promis des explications nettes et franches ; nous verrons tout à l'heure jusqu'à quel point elles le sont ; mais il a oublie de conclure.

Il a oublié de nous dire si les deux discours que nous venons d'entendre (le discours du général Brialmont et celui qu'il vient de prononcer) avaient pour but d'établir l'accord dont on se vantait hier, ou de faire éclater enfin le dissentiment que nous savions tous exister dans le cabinet, mais qu'on tâchait chaque jour de cacher par des déclarations nouvelles et toujours plus embarrassés.

On avait entouré le général Brialmont d'équivoques ; elles ont pesé à sa loyauté ; il vient de les dissiper. (Interruption.)

M. Malou. - C'est le cri de la conscience du pays.

M. de Liedekerke. - C'est vrai !

M. Dechamps. - L'équivoque existait ; elle existait dans la déclaration primitive du cabinet. On vous l'a dit, vous le savez tous, cette déclaration du ministère était double ; une phrase appartenait aux ministres civils ; l'autre formait la réserve, nous pouvons dire aujourd'hui la protestation de M. le ministre de la guerre.

Que disait le cabinet civil ? Qu'il entrait dans ses vues, que c'était son intention, son programme (et M. le ministre des finances vous a dit qu'il réalisait toujours ses programmes), de réduire le budget de la guerre à 25 millions, en 3 ans.

Le général Brialmont, l'honorable ministre de la guerre, répondait : Je m'associe aux vues du cabinet, avec cette réserve que je ne promets de réaliser que les économies conciliables avec la force organique de l'armée, avec l'organisation actuelle de l'armée que M. le ministre de la guerre déclare vouloir maintenir, comme ses honorables prédécesseurs.

Vouloir aujourd'hui établir de subtiles distinctions entre les mots : « force organique de l'armée » et « organisation actuelle de l'armée », c'est, comme je me suis permis de le dire tout à l'heure en interrompant M. Frère, c'est une nouvelleéquivoque qui a dù échapper au sens droit du général Brialmont, et nous en avons pour preuve sa déclaration d'aujourd'hui.

La déclaration, le programme du ministère était une équivoque. En effet, prétendre réduire le budget à 25 millions et maintenir l'organisation, maintenir les cadres n'est possible, comme l'a fait remarquer M. Thiéfiy, qu’en réduisant plus encore qu'il ne l'est l'effectif des hommes sous les armes, qu'en entrant plus avant dans la voie que M. Thiéfry appelle désastreuse pour l'armée. Il suffit d'avoir les moindres notions de la question si souvent agitée dans cette chambre, qu'il est impossible de réduire le budget à 25 millions, en conservant l'organisation actuelle des cadres, la force organique de l'armée.

Aussi, c'est parce que ministre des finances l'a compris, qu'il veut soumettre aujourd’hui l'organisation à une commission de révision, qu'il veut poser dès aujourd’hui le principe de cette imprudente réforme. C’est aussi parce que le général Brialmont l’a compris à son tour, qu’il s’est levé tout à l’heure pour protester.

Mais M. Frère sait-il que cette réduction qu'il veut est compatible avec une organisation militaire sérieuse ? L'année dernière, M. le ministre des finances, en réponse à son ami, M. Delfosse, lui disait : «Vous voulez un budget de 25 millions, mais cette économie est-elle possible ? (page 481) Où sont vos preuves ? Il en faut de claires et de palpables. Je ne los vois pas. »

Je redis ces paroles sensées à M. Frère ; a-t-il aujourd'hui ces preuves claires et palpables que l'honorable général déclarait impossibles ? Sur quelles bases a-t-il assis ses prévisions et ses calculs ? Il l'ignore ; s'il le savait il nous le dirait ; Il ne le sait pas, et c'est dans cette ignorance des faits qu'il jette à la chambre et au pays une promesse irréalisable, à moins de compromettre l'organisation militaire.

Je comprends maintenant pourquoi le général Brialmont, malgré le dissentiment qui existait et qui éclate aujourd'hui, est resté assis au banc ministériel ; il y est resté pour y défendre l'armée, pour sauver l'armée. (Interruption.)

Oui, c'est pour remplir ce devoir qu'il y est resté autant qu'il a pu le faire.

Il a compris que sa retraite prématurée compromettrait définitivement le sort de l'armée. Il savait en quelles mains il laisserait le sort de l'armée.

M. de Mérode. - C'est vrai !

M. Dechamps. - Il a accepté, pour éviter ce qu'il devait considérer comme un malheur, une position bien pénible, il s'est imposé un dur sacrifice ; l'armée et le pays lui en tiendront compte. Mais quand il a vu que l'organisation qu'il voulait maintenir était sacrifiée par l'institution d'une commission de révision, il a dù parler, parce qu'il ne pouvait plus que servir à couvrir de son nom et de son autorité une situation qu'il ne pouvait accepter.

Notre position, messieurs, est vraiment étrange : nous discutons le budget de la guerre en présence d'un ministère divisé. Le ministère civil (car il faut bien séparer par un terme les deux fractions du ministère) vous avait déclaré et nous déclare encore aujourd'hui qu'il veut non seulement la réduction du budget à 25 millions, mais l'institution d'une enquête gouvernementale à laquelle seront soumises toutes les questions relatives à notre établissement militaire, et, en premier lieu, la loi organique de 1845. La nomination d'une telle commission, d'après le général Brialmont, serait trois humiliations à la fois : pour l'armée mise en suspicion, pour la chambre et pour lui-même.

Le général Brialmont consentait, comme le général Chazal, à s'entourer, au besoin, des lumières d'hommes spéciaux, non pour mettre en doute l'organisation qu'il veut conserver, mais pour lui soumettre les questions relatives aux forteresses, au recrutement, à l'avancement des officiers. La déclaration de ses collègues, dans le débat, allait beaucoup plus loin ; son silence n'était plus possible.

M. le ministre de l'intérieur vous avait dit, dans une séance précédente, que le cabinet n'avait fait que continuer le système défendu pendant trois années que nous venons de passer. Il a fallu que cet honorable ministre ait complètement oublié tout ce qui s'est passé, pour oser produire une telle affirmation.

L'ultimatum de la minorité en 1850 était : 1° réduction du budget de la guerre à 25 millions réalisable successivement ; 2° nomination d'une commission de révision à laquelle on aurait soumis toutes les questions relatives à notre organisation militaire. C'est l'honorable M. d'Elhoungne qui est venu l'an dernier proposer au cabinet cette transaction ; c'est ainsi qu'il l'a nommée.

J'aperçois un signe de dénégation au banc ministériel ; mais la chambre s'en souvient et le Moniteur est là.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Citez, puisque nos souvenirs ne sont pas précis.

M. Dechamps. - Je vais le faire. J'ai relu cette discussion tout entière. M. d'Elhoungne, dans un discours que l'honorable ministre de l'intérieur a refait, dans une des dernières séances, presque entièrement, argument par argument, et auquel il avait fait alors une réponse péremptoire, l'honorable M. d'Elhoungne avait conseillé au ministère d'accepter la transaction qu'il présentait et que je viens de définir.

Le général Chazal, d'accord avec ses collègues, a refusé constamment d'adhérer à cette transaction. Le général Chazal disait : « Je ne me refuse pas à réunir des lumières nouvelles pour faire passer mes convictions (et il les déclarait inébranlables) dans la conviction de la minorité. » Cette déclaration, l'honorable général Brialmont vient de la reproduire avec l'accent de ses loyales convictions.

M. le ministre des finances, M. Frère, ajoutait : « Le gouvernement ne veut pas que l'on puisse supposer qu'en faisant une enquête gouvernementale, il y ait du doute dans sa pensée. Il n'y a aucun doute dans la pensée du gouvernement ; l'honorable ministre de la guerre a une conviction profonde, sincère, loyale ; il la soutient, il la soutiendra ; il s'agit d'éclairer la minorité. »

Aujourd'hui, il s'agit d'une commission à laquelle on désigne d'avance un chiffre de 25 millions, dont la mission ne sera pas d'éclairer la minorité, mais de lui céder.

L'honorable M. Devaux insistait, par des paroles plus vives encore. Il faisait remarquer qu'une commission, dont l'objet serait de jeter le doute, la suspicion sur la bonté de notre organisation militaire, serait dangereuse ; qu'elle conviendrait parfaitement à la minorité, mais qu'elle ne pouvait pas convenir au gouvernement.

C'est après ces déclarations du cabinet, que l'honorable M. d'Elhoungne se leva, et il déclara qu'en effet ces explications lui paraissaient parfaitement claires, mais qu'aussi il voterait contre le budget.

Immédiatement après, le vote eut lieu, et de ce vote le ministère fit une question de cabinet, tellement il tenait à ce que son opinion et sa persistance ne fussent pas méconnues. Voici la question qui fut posée ; « Y a-t-il lieu de réviser l'oranisation de l'armée pour arriver à une économie sur le budget de la guerre ? » 61 voix répondirent : Non, nous ne voulons pas qu'on révise l'organisation l'armée ; 8 abstentions témoignèrent d'une certaine hésitation ; et 31 voix seulement protestèrent contre l’organisation militaire actuelle.

Voilà donc la position prise par le cabinet l’an dernier. Comment, prétendre que c’est celle qu’aujourd’hui il maintient !t M. d'Elhoungne, au nom de ses amis, avait offert une transaction qui consistait, comme je l'ai dit, dans le chiffre de 25 millions auquel on aurait ramené le budget en quelques années, et dans la nomination d'une commission nommée par le cabinet et à laquelle auraient été soumises toutes les questions relatives à l'armée, en y comprenant la loi organique de 1845.

Voici comment l'honorable M. Rogier accueillait cette proposition de transaction faite par M. d'Elhoungne : « L'honorable M. d'Elhoungne, disait M. Rogier, convie le gouvernement à ce qu'il a appelé une transaction sur le budget de la guerre. Il est des questions qui, par leur solution, peuvent entraîner des conséquences tellement graves, qu'elles ne peuvent souffrir de transaction. Telle est, à nos yeux, la question de l'armée. »

Cette double transaction que vous refusiez alors si énergiquement. n'est-ce pas celle que vous acceptez ? Mais c'est textuellement la même. Vous acceptez comme programme un budget de 25 millions en trois ans ; vous acceptez la nomination d'une commission de révision que vous repoussiez à côté de l'honorable général Chazal, et que repousse aujourd'hui votre collègue le général Brialmont.

Ce n'est donc pas le gouvernement qui continue sa politique de trois années. Il l'abandonne manifestement ; il accepte la politique de la minorité qu'il a combattue et dont il a triomphé pendant trois ans à l'aide d'une majorité considérable, que l'énergique persistance et le talent du général Chazal avaient conquise dans cette chambre, et d'une majorité plus considérable encore dans le sénat.

Voilà la vérité des faits.

Vous parlez de sécurité pour l'armée ! C'est, nous a dit to t à l'heure M. le ministre des finances, reproduisant un argument de son collègue de l'intérieur, c'est au nom de la sécurité de l'armée que nous parlons. Nous voulons donner à l'armée le soutien permanent de notre majorité politique, de la majorité ministérielle, de la majorité libérale. Nous voulons lui restituer ainsi une position incontestée ; nous ramenons au budget de la guerre les dissidents de notre majorité, la minorité de ces trois années. L'honorable M. Dolez nous a demandé si ce n'était pas là un heureux et grand résultat obtenu.

En effet, messieurs, ce serait un beau résultat si réellement le ministère ramenait à lui l'opposition, si le ministère était parvenu à convertir la minorité à ses convictions ; mais n'est-il pas évident que c'est la minorité qui convertit le ministère aux siennes, que c'est la minorité qui ramène le ministère à elle ? La minorité obtient tout ; le ministère cède tout. Voilà le résultat dont vous vous glorifiez !

Messieurs, à toutes les époques le budget de la guerre a été voté à l'aide d'une majorité que j'appellerai nationale. Et qu'on ne se méprenne pas sur le sens de mes paroles. Je sais bien que les intentions de nos adversaires, dans cette question, sont aussi nationales que les nôtres. Mais on comprend ma pensée.

Je veux dire que le budget de la guerre, à toutes les époques, a été accepté dans les chambres, par une majorité prise sur tous les bancs, inspirée par la seule pensée nationale, en dehors de toute préoccupation, de tout intérêt de parti.

Eh bien ! permettez-moi de le dire à M. le ministre des finances, je crois que cette majorité est plus sûre, est plus durable que les majorités de parti.

A cette majorité nationale, vous voulez substituer quoi ? Une majorité politique. C'est-à-dire vous voulez livrer pour la première fois depuis vingt ans le sort de l'armée à la merci de la politique, aux passions, aux calculs, aux intérêts, si variables des partis, aux fluctuations des ministères et des majorités. Voilà la sécurité que vous prétendez donner à l'armée, c'est-à-dire que vous mettez à sa base l'instabilité elle-même.

Vous nous parlez de sécurité pour l'armée, et vous commencez par suspendre sur elle ece que l'honorable M. Rogier appelait, en 1843, la menace d'une désorganisation. Vous remettez en question deux choses : le chiffre du budget, que l'honorable président de cette chambre, M. Verhaegen, avait nommé la liste civile de l'armée ; vous remettez en question son organisation même, ce qu'on a appelé la charte de l'armée. Et vous parlez de sécurité ! Vous promettez la sécurité, mais vous donnez l'incertitude.

En 1845, messieurs, que s'est-il passé ? Avant 1845, une question grave était agitée dans le parlement : on se demandait si le gouvernement pouvait présenter aux chambres une loi d'organisation militaire sans abandonner une des prérogatives constitutionnelles et précieuses du pouvoir exécutif.

En 1845, le gouvernement vous a présenté une loi d'organisation : il a fait alors un sacrifice au point de vue dont je parle, et il a fait ce sacrifice, pourquoi ? Précisément pour donner à l'armée une stabilité qui semble lui manqyer. Voici comment s'exprimait M. Nothomb, ministre de l'intérieur :

« Une loi d’organisation militaire est une garantie pour l'armée elle-même. L’existence de l’armée sera ainsi placée en dehors des fluctuations (page 482) parlementaires et ministérielles. Vous assurez, par cette loi, la sécurité qui lui a manqué jusqu'à présent. »

C'est ce que le ministère vient encore aujourd'hui nous dire. C'est parce qu'une opposition s'est élevée dans la chambre qu'il faut céder à cette opposition, faire un sacrifice nouveau, afin de donner à l'armée une sécurité nouvelle. Mais, messieurs, je demande au cabinet lorsqu il aura fait connaître l'avis de la commission qu'il veut instituer, croit-il que l'avis de cette commission aura plus d'influence sur la chambre, sur une minorité qui pourra s'élever, que l'avis de la commission de généraux de 1842, que l'avis de tous les ministres de la guerre depuis 1845 ?

Lorsqu'une loi organique nouvelle sera présentée, pourquoi s’imagine-t-on que cette loi aura un caractère de stabilité plus grande que la loi qu'on veut détruire ?

Mais si une minorité surgit dans la chambre, dans le sein de la majorité et déjà nous savons que bien des membres acceptent la pensée du cabinet comme une première concession, mais non comme la dernière ; si cette minorité exige des économies plus radicales, de nouvelles concessions, résisterez-vous ?

M. le ministre de l'intérieur y est décide ; il le croit ; il déclare qu'il n'ira pas plus loin.

Mais cette résistance est impossible, d après le but que M. Frère vient d'assigner à sa politique. Vous ne pouvez plus résister, et je vais vous en donner la raison :

Quel est le but que M. le ministre des finances a en vue ? Ce but n'est pas un but militaire, ce n'est pas un but financier ; ce n'est pas, a-t-il dit, une misérable question d'argent ; j'ajouterai, moi : Ce n'est pas un but national ; c'est un but politique ; c'est la cohésion de la majorité ministérielle qu'avant tout l'on veut rétablir et maintenir.

Eh bien ! lorsqu'une nouvelle dissidence se produira, lorsque des prétentions plus avancées réuniront quelques dissidents de la majorité, que ferez-vous ? Résister ? Mais non, puisque votre but auquel vous sacrifiez tout, que vous voulez atteindre à tout prix, votre but, c'est l'unité de votre parti, et vous le manqueriez en résistant. Vous ne résisterez donc pas ; vous céderez comme aujourd'hui vous cédez.

Vous voyez donc, messieurs, qu'il ne s'agit pas ici de la sécurité de l'armée ; il s'agit de la sécurité ministérielle.

C'est à un calcul politique, c'est à un intérêt de majorité politique que l'on sacrifie, permettez-moi de le dire, c'est là notre conviction à nous, que l'on sacrifie le premier de tous les intérêts nationaux, l'intérêt de la défense et de l'honneur du pays.

Et dans quel moment, messieurs, voulez-vous faire une telle tentative ? Il n'est pas besoin de phrases pour dépeindre la situation actuelle ; les événements parlent assez haut d'eux-mêmes. Comment ! nous sommes au lendemain de 1848 ; une révolution qui, il y a 60 ans, était française et qui, aujourd'hui, est européenne, a ébranlé tous les gouvernements ou presque tous les gouvernements qu'elle n'a pas détruits.

Cette révolution a déjà laissé éclater des guerres, malgré tous les efforts des puissances, malgré tous les efforts des partis de l'ordre ; la guerre a déjà ensanglanté les plaines de l'Italie, de la Hongrie et du Danemark.

Il y a quelques mois à peine, chacun le sait bien, tous les hommes politiques ne craignaient-ils pas de voir la guerre surgir de la lutte de prépondérance en Allemagne entre la Prusse et l'Autriche ? Les deux armées étaient en présence sur les champs de la Hesse-Electorale, le moindre accident, une amorce brûlée, le hasard pouvait allumer une guerre dont les suites pouvaient être redoutables. (Interruption.) Je suis étonné de cette interruption ; permettez-moi de le dire, elle ne fait pas honneur à votre perspicacité politique. J'affirme, messieurs, qu'il n'est pas un homme politique qui n'ait craint, il y a quelques mois, de voir la guerre sortir de la lutte engagée en Allemagne.

Dans le moment où nous parlons, n'est-il pas vrai qu'un conflit dangereux existe entre les grands pouvoirs politiques en France, conflit inévitable dont les germes sont dans la Constitution de ce pays ? On croyait que ce conflit n'éclaterait qu'en 1852 ; il éclate avant le terme. C'est l'union entre les pouvoirs publics, entre les éléments du parti de l'ordre qui a sauvé la France depuis 1848, et vous ne voulez pas que l'on craigne lorsqu'on voit le désaccord diviser profondément ces pouvoirs ! Comment, messieurs, c'est en présence des éventualités menaçantes que nous aurons à traverser jusqu'en 1852, que vous voulez vous donner le passe-temps de détruire une organisation de l'armée, éprouvée, ayant produit tous les heureux résultats que les ministres de la guerre ont signalés, que vous voulez substituer à cette organisation une organisation nouvelle qui, en la supposant en théorie meilleure que l'ancienne, ce que presque tous les militaires contestent, serait dangereuse par cela seul qu'elle serait nouvelle !

Messieurs, l'honorable ministre des finances vient de reproduire une objection déjà faite. Il prétend qu'il n'y aura pas désorganisation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je n'ai pas dit cela.

M. Dechamps. - Vous avez dit : Par quoi sommes-nous séparés ? En définitive, le dissentiment qui existe, traduit en chiffres, c'est un dissentiment de 1,300,000 fr. D'abord, messieurs, permettez-moi de dire que c'est là une erreur ; quand nous serons arrivés à la discussion des articles du budget, on le démontrera ; des amis du ministère démontreront que les 400,000 fr. d'augmentation n'ont pas un caractère éphémère, mais qu'ils ont plutôt un caractère permanent. Ainsi donc le dissentiment porte sur près de deux millions.

Mais, en définitive, messieurs, voyans la valeur de cet argument que l'on présente. Après 1848, lorsque la crise financière, la crise politique, la crise industrielle pesaient sur toutes les fortunes, lorsque des sacrifices étaient demandés à tous les services publics, le général Chazal consentait à de granis, à de pénibles sacrifices pour l'armée.

Il a consenti, malgré les inconvénients qu'il reconnaissait à cette mesure, à réduire le budget de 1,500,000 francs. C'était, selon l'honorable général Chazal, la dernière limite des ressources possibles, limite au-delà de laquelle il ne pouvait plus y avoir que la désorganisation de l'armée.

Que fait on aujourd'hui ? On argumente des concessions faites, pour en exiger d'autres ; on s'impose des sacrifices obtenus, pour en obtenir de nouveaux.

Mais, messieurs, à l'aide de ce système, je ne vois pas pourquoi on ne réduirait pas le budget de la guerre à des proportions infimes.

Lorsqu'une minorité surgira dans la chambre, après la réduction du budget à 25 millions, cette minorité demandera successivement 24, 23, 20 et 15 millions. Ne pourra-t-elle pas dire alors au ministère : Par quoi sommes-nous divisés ? Nous ne sommes séparés que par un chiffre insignifiant de 1 ou 2 millions. L'armée que vous déclarez sauvée avec 25 millions, sera-t-elle perdue avec 24 ou 23 millions ?

Vous le voyez, messieurs, à l'aide de cette argumentation, on amènera le ministère jusqu'à réduire le chiffre du budget de la guerre à un taux tellement insuffisant que mieux vaudra cent fois supprimer le budget tout entier.

Pour moi, je soutiens que c'est parce qu'on a fait de grands sacrifices qu'il ne faut plus en exiger ; que c'est parce qu'on a beaucoup réduit, qu'il faut s'arrêter.

L'honorable ministre des finances vient de vous dire : « La position que vous prenez est étrange ; vous voulez maintenir des dépenses incompatibles avec l'équilibre de nos budgets, et lorsque nous vous demandons les ressources nécessaires, vous vous refusez à accorder au ministère les nouveaux impôts dont il a besoin. »

M. le ministre des finances a déjà répondu lui-même à cette argumentation ; il vient de reconnaître que la question de l'armée n'était pas une question financière, que ce n'était pas une misérable question d'argent ; l'année dernière, il proclamait aussi que c'était une question qu'il fallait examiner d'une manière absolue en elle-même, au seul point de vue des besoins de la défense du pays et de l'intérêt national.

M. le ministre des finances nous reproche de ne pas vouloir d'impôts nouveaux ; il s'est tourné du côté de la chambre où nous siégeons, pour nous adresser ce reproche.

Je me permettrai de dire à l'honorable ministre des finances qu'il aurait bien fait de se tourner du côté des bancs de la majorité.

Je crois me souvenir, en effet, que la loi des successions a trouvé des adversaires aussi énergiques, aussi nombreux, sur les bancs de la majorité que sur ceux de l'opposition ; si M. le ministre des finances veut accuser quelqu'un, c'est donc la chambre tout entière.

« Vous refusez, dites-vous, de nous accorder les ressources dont nous avons besoin.3

Je répondrai à M. le ministre des finances : Qu'en savez-vous ? Qui vous l'a dit ? Vous ne présentez rien ; nous ne connaissons pas encore un mot de votre système financier. (Interruption.) Vous nous avez lancé quelque tronçon de projet de finances, mais votre système, nous ne le connaissons pas. Vous aviez voulu nous faire une position étrange, inqualifiable, sans précédents pour les gouvernements parlementaires : vous avez invité la chambre à bien vouloir vous indiquer les mesures financières qui vous manquent. Ne nous adressez donc pas de reproche immérité, et ne venez pas couvrir votre impuissance en nous accusant de mauvais vouloir.

Pour moi, je le déclare, je suis tout prêt à accorder des ressources nouvelles, si le ministère en a besoin. Le ministère dont j'ai fait partie en 1847 a déjà déclaré qu'on aurait besoin de certaines ressources nouvelles. Ainsi, je ne me refuse pas à les accorder. Mais faut-il en conclure que nous renoncions au droit des membres de la chambre, d'examiner le système financier du ministère ?

S'il plaisait au ministère de nous présenter un impôt sur le revenu, un impôt progressif, peut-il prétendre que nous dussions accepter en silence des principes qui ne peuvent pas être les nôtres ? Je ne pense pas que le ministère puisse avoir cette prétention ; mais je déclare que si on nous présente des ressources nouvelles qui ne violent pas les principes essentiels que nous professons, pour moi, je les accorderais si elles doivent surtout servir au maintien de notre système militaire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je ne suis pas prophète, mais je vous prédis que vous les refuserez.

M. Dechamps. - Messieurs, on parle toujours de situation financière à propos du budget de la guerre ; permettez-moi encore un mot, et je finis.

Savez-vous, messieurs, d'où vient en grande partie le poids, moins lourd qu'ailleurs du reste, de la dette belge ? Il nous vient d'un moment d'imprévoyance, d'aveuglement, d'abandon de nous-mêmes, des désastres de 1831.

Pendant huit années, depuis 1831 jusqu'en 1839, nous avons été forcés de maintenir une armée de 110,000 hommes sur le pied de guerre, précisément à cause de cette faute commise, dont l'excuse peut être dans notre inexpérience de jeune nation, excuse que nous ne pouvons plus invoquer aujourd'hui ; naus avons dû voter des budgets de la guerre de 50, 60, 70 et 74 millions de francs : nous les avons votés, comme l'a dit l'honorable M. Dumorticr, avec l'élan du patriotisme.

Mais enfin, en défalquant cette dépense extraordinaire de guerre d'un (page 483) budget normal de paix de 27 millions, savez-vous, messieurs, de quel poids pèse sur notre situation financière cette faute commise en 1831 ? De 200 millions de francs. Voilà l'économie, voilà, messieurs, la mesure intelligente et financière qu'on vous propose.

Cette faute de 1831 nous a valu la perte de deux provinces. Les puissances européennes ont douté alors de notre force nationale et militaire ; elles nous ont enlevé la ligne de la Moselle et de la Meuse, Maestricht dt Luxembourg, pour confier cette ligne qui couvre le Rhin, à la Hollande qui leur inspirait alors une plus grande confiance militaire que la Belgique ; voilà les suites de la faute que l'absence d'idée politique et l'inexpérience nous ont fait commettre et que, je le crains bien, on va renouveler.

Messieurs, j'ai besoin de vous le dire ! si cette faute qui n'aurait plus pour excuse notre inexpérience de jeune nation, se renouvelle, ce ne seraient plus deux provinces que nous perdrions ; nous perdrions la belle œuvre de vingt années de nationalité, l'indépendance et l'avenir. Pour moi, à aucun prix, je ne puis accepter la responsabilité de pareils regrets.

- La discussion est remise à demain.

La séance est levée à 5 heures et demie.