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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 24 janvier 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 509) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. T’Kint de Naeyer donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Brunfaut, capitaine de la section de réserve, prie la chambre de le faire réintégrer au cadre d'activité de l'armée. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par dépêche du 23 janvier, M. le ministre de la justice transmet à la chambre le dossier d'instruction concernant la demande de naturalisation du sieur Sornas. »

— Renvoi à la commission des naturalisations.


Par dépêche du 23 janvier, M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 110 exemplaires d'un portrait de S. M. la Reine, faisant partie de la collection du Musée populaire de Belgique.

- Distribution aux membres de la chambre et dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget du ministère de la guerre de l’exercice 1851

Discussion générale

M. de Renesse. - Messieurs, désirant motiver mon vote sur le budget de la guerre, je crois devoir présenter quelques considérations, sur le maintien de mon opinion, émises l'année dernière, en ce qui a rapport à la loi organique de l'armée.

Déjà, à la séance d'hier, l'honorable M. Lebeau a rappelé à la chambre que, lors de la discussion du budget de la guerre de 1850, le ministère, et la majorité de la chambre avaient formellement repoussé une proposition qui avait pour but de faire reviser la loi de l'organisation de l'armée, votée en 1845.

Un assez grand nombre de membres de la chambre, appartenant à l'opinion libérale, avaient alors déclaré, avec le ministère, qu'il n'y avait pas lieu de changer cette loi, à peine existante depuis quelques années; il doit donc paraître extraordinaire à des membres de cette majorité, qui, dans toutes les questions de principe, ont voté constamment avec le ministère, de le voir d'une autre opinion cette année-ci, quant au maintien intact de cette loi organique, qui, encore l'année dernière, paraissait bonne, laissait peu à désirer, et peut être actuellement de nouveau mise en question ; car, où s'arrêtera la réforme?

Pour ceux de nos honorables collègues, pacifiques outre mesure, qui veulent une armée moins fortement organisée, basée sur des cadres moins nombreux et qui ont plutôt foi dans les traités politiques que dans une force armée réelle, il se peut que l'organisation actuelle soit défectueuse sous le rapport économique ; mais, je le demande sincèrement, peut-on prévoir l'avenir, surtout depuis les graves événements survenus en 1848 ? Est-ce que nous nous trouvons encore dans la même position? Ne faudrait-il pas plutôt chercher à fortifier l'armée que de pousser constamment à sa réduction? Pouvons-nous, depuis 1848, avoir la même foi dans les traités qui ont constitué notre nationalité, lorsque naguère l'on cherchait à révolutionner notre pays, à renverser notre Constitution, à nous effacer du rang des nations, pour nous incorporer peut-être?

N'est-ce pas un devoir impérieux pour nous, de nous sauvegarder nous-mêmes contre toutes les éventualités, en maintenant une forte organisation de l'armée? Pour parvenir à ce résultat, il faut que le pays, qui désire conserver son indépendance, sa nationalité, sache aussi consentir aux dépenses indispensables d'une telle force militaire.

Il ne faut donc pas constamment vouloir modifier la loi d'organisation; elle paraît bonne, d'après les hommes les plus compétents dans cette matière, et laisserait peu à désirer, si l'on maintenait plus longtemps sous les armes, surtout les soldats de l'infanterie.

Si depuis l'année dernière le ministère a fait un demi-tour plus à gauche vers la minorité de la chambre, qui a, depuis plusieurs années, voté contre le budget de la guerre ; s'il avait acquis la conviction qu'une autre organisation de l'armée pouvait introduire des économies essentielles au budget militaire, il était de son devoir de faire étudier cette grave question, et de présenter aux chambres un projet de modification avant la discussion du budget actuel. Dans une affaire aussi grave pour tous nos intérêts de nationalité, il ne faut pas d'ajournement; il ne faut pas, par le temps qui court, laisser l'armée sous une pénible attente ; si cette situation se prolongeait, elle ne pourrait que porter une fâcheuse atteinte à la force morale.

Je le dis franchement, si un tel projet nous eût été présenté, si nous pouvions nous convaincre qu'il réaliserait des économies tout en maintenant une force armée bien organisée et suffisante pour la Belgique, nous serions tous d'accord pour donner notre assentiment à un tel projet ; car nous ne désirons pas plus que tout autre de voter des surcharges aux budgets de l'Etat ; il nous serait, au contraire, beaucoup plus agréable de pouvoir concourir à diminuer les dépenses du pays, à imposer de moindres charges aux contribuables.

Dans l'état de la question, n'ayant pu me convaincre, par la discussion actuelle, qu'il y avait réellement, urgence, nécessité absolue, de modifier la loi organique de l'armée, je crois devoir faire toutes mes réserves, si je donne mon vote approbatif au budget de 1831,car il ne faut pas que plus tard l'on puisse venir m'objecter d'avoir donné d'avance mon assentiment à la révision de la loi organique.

Dans une question aussi grave que celle qui a rapport au maintien d'une bonne et forte organisation de l'armée, il n'y a pas, pour moi, une question de parti ; je ne vois, avant tout, que l'intérêt de notre indépendance, de notre nationalité ; je ne me guide que d'après ma conviction la plus intime, sans autre arrière-pensée que celle de l'honneur de mon pays.

- M. Delehayc remplace M. Verhaegen au fauteuil.

M. Verhaegen. - Messieurs, sous tous les ministères, quelle que fût leur couleur, catholiques, libéraux ou mixtes, j'ai appuyé chaleureusement le budget de la guerre et de ma parole et de mon vote.

Dans les discussions successives auxquelles j'ai pris part, j'ai été guidé par des convictions profondes, et dans ces convictions, je ne me suis jamais laissé ébranler par des dissidences d'opinions qui s'étaient manifestées sur les bancs mêmes où j'ai l'honneur de siéger. Ces opinions, tout en les respectant parce qu'elles étaient sincères et consciencieuses, je les ai combattues avec toute l'énergie dont j'étais capable.

J'ai toujours défendu l'armée, et j'entends la défendre encore, mais je veux rester juge des moyens; il ne me convient pas de me poser comme une machine de défense, obéissant je ne sais à quelle impulsion; je veux rester un défenseur zélé, mais intelligent, rester aussi d'accord avec mes discours et mes actes d'autrefois. En agissant ainsi, je serai beaucoup plus utile à l'armée que ceux qui placent la question sur le terrain de l'exagéralion.

En défendant l'armée, je défends non des intérêts individuels, mais un intérêt de haute politique, l'intérêt le plus gouvernemental qui fût jamais, l'intérêt de la défense du pays.

Les intérêts individuels ne peuvent jamais être en jeu, car, dans toutes les hypothèses possibles, le gouvernement, par l'organe de M. le ministre des finances, a déclaré que toutes les positions acquises, tous les droits acquis seraient religieusement respectés.

Il faut à la Belgique, j'en ai toujours eu la conviction, une armée respectable, fortement organisée, destinée à maintenir l'ordre à l'intérieur et à faire respecter notre nationalité à l'extérieur.

Pour signifier quelque chose, la neutralité de la Belgique, en temps de guerre, ne peut être qu'une neutralité fortement armée.

A moins de contester ce qui n'est douteux pour personne, qu'être neutre c'est être chargé de se défendre soi-même, à moins d'abaisser le pays à un rôle indigne du sentiment national, il faut bien accepter l'organisation militaire comme un des devoirs gouvernementaux les plus impérieux, les plus puissants.

C'est ce que je disais dans la séance du 28 décembre 1847, c'est ce que je dis encore aujourd'hui avec d'autant plus de raison que les événements de février 1848 nous fournissent d'utiles enseignements.

La question du budget n'est pas, n'a jamais été pour moi une question de parti, ce n'est pas non plus une question de finance. « Il est, disait un de nos honorables collègues dans une circonstance solennelle, des questions qui dominent les questions de parti, devant lesquelles j'oublie les divisions qui nous séparent, devant lesquelles je ne me souviens que d'une chose, c'est que je suis Belge; car si, sous notre forme de gouvernement, il faut accepter franchement les luttes des opinions, fruit inévitable de la liberté, les bons citoyens, quelque divisés qu'ils soient, n'en sont pas moins unis par un lien puissant;. tous sont enfants de la même patrie, tous se tiennent entre eux par le lien du patriotisme et de la nationalité. »

Aussi en 1843, sous le ministère de M. le général de Liem qui était un ministère mixte, quelles que fussent mes antipathies pour un semblable ministère, je n'hésitai pas à appuyer de mes discours et de mon vote le chiffre de 29 millions et demi, 29,470,000 fr. demandé par le ministère de la guerre.

Chose vraiment singulière ! en 1845 c'étaient exclusivement des membres de l'ancienne opposition qui appuyèrent le gouvernement dans la discussion du budget de la guerre, et la majorité mixte sur laquelle le ministère se disait si solidement assis, lui fit complètement défaut dans un débat où il s'agissait de l'intérêt de la défense du pays.

On a trop parlé de cet incident de 1843, pour que je n'en mette pas les détails sous les yeux de la chambre.

Le budget du général de Liem, comme je viens de le dire, se résumait en un chiffre de 29 1/2 millions, qu'il considérait comme indispensable pour assurer la sûreté intérieure et extérieure du pays.

J'ai cru aux assertions de l'honorable général de Liem. J'ai eu foi dans ses lumières et dans sa loyauté, et quoique beaucoup de mes amis politiques fussent loin d'être d'accord sur le chiffre qu'il avait fixé, je l'appuyai chaleureusement.

(page 510) Vint sur le budget le rapport de la section centrale.

La section centrale désapprouva le chiffre du général de Liem, et quelle fut sa conclusion? Elle proposa un chiffre global de 27 millions. C’était une réduction de 2 millions et demi.

J'étais bien résolu à ne pas me laisser entraîner par le rapport de la section centrale. J'avais beaucoup de confiance dans un homme du métier, dans un homme dont les connaissances militaires ne pouvaient être révoquées en doute par personne ; et je ne pouvais pas en dire autant de mes honorables collègues de la section centrale, dont le plus grand nombre ne présentent aucune garantie au point de vue de la compétence.

Arriva la discusssion. Le budget du général de Liem fut attaqué, le chifffre en parut exorbitant. Plusieurs propositions se croisèrent. L'honorable M. Dumortier lui-même, pour lequel il ne peut rien y avoir de désobligeant dans mes paroles, car je crois ses opinions consciencieuses, l’honorable M. Dumortier trouvait que le chiffre était trop eleve; il pensait qu'un chiffre global de 28 millions pouvait suffire, et il proposa ce chiffre.

Après la discussion générale, vint la discussion des articles, et l'opposition se manifesta tout de suite sur l'article premier, Infanterie.

L'honorable général de Liem portait à cet article 10,334,000 francs; la section centrale proposait un chiffre de 8,857,288 francs ; ainsi de ce seul chef, une réduction d'environ 1 1/2 million.

Nous avons soutenu, messieurs, avec cette conviction profonde qui nous a toujours guidé, et je m'en félicite encore aujourd'hui, nous avons soutenu le chiffre du gouvernement.

Je dois à la vérité de déclarer que l'honorable M. Lebeau l'a soutenu avec moi, il en a été de même des honorables MM. Rogier et de Renesse. (Interruption.)

Je l'ai déjà dit, ceux qui le soutenaient appartenaient exclusivement à l'opposition d'alors.

C'était une question de haute politique, une question qui regardait la défense du pays et toujours dans ces circonstances nous avons fait abstraction de l'esprit de parti.

Messieurs, ce que nous soutenions n'a pas prévalu. Beaucoup d'honorables membres de la droite, qui se montrent aujourd'hui si chauds partisans de l'armée, ont combattu le chiffre comme trop élevé, et ont appuyé de leur parole et de leur vote la réduction de 2 1/2 millions proposée par la section centrale.

Eh bien, après une longue et vive discussion, quoique le général de Liem eût déclaré qu'il ne pouvait pas admettre la moindre réduction sans compromettre la sûreté du pays et par suite sans exposer sa responsabilité, la réduction énorme proposée par la section centrale fut admise.

Dans ce vote important, on voit figurer, à côté de MM. Delfosse et Delehaye, MM. de La Coste, de Theux, Dumorlier, Malou et Rodenbach, eux qui aujourd'hui ne voient de salut pour la Belgique que dans une armée dont l'organisatiou serait pour toujours à l'abri de toute discussion.

M. Malou. - Il s'agissait d'autre chose que d'un chiffre ; il y avait une question de principe.

M. Verhaegen. - Le vote a eu lieu sur un chiffre, et il n'y a pas eu d'autre proposition.

M. d'Elhoungne. - Et aujourd'hui il ne s'agit que d'un chiffre.

M. Verhaegen. - Au reste des dénégations ne font rien à la chose; le Moniteur est là pour appuyer mes assertions.

Et quand je votais le chiffre de 29 1/2 millions, que le général de Liem considérait comme indispensable, j'offrais en même temps au gouvernement les moyens de faire face à ces dépenses ; je développais mon système pour créer de nouvelles ressources, et en même temps pour changer l'assiette de l'impôt en général, de manière à dégrever les classes nécessiteuses et à reporter le fardeau sur ceux qui possèdent et qui ont intérêt de conserver.

Ce système date de loin, je l'ai répété tous les ans et il termine encore mon discours du 28 décembre 1847, car il a toujours été un corrollaire de mes opinions sur le budget de la guerre.

Un honorable collègue qui, dans la séance d'hier, a reproché avec si peu d'à-propos à mon honorable ami M. Frère, de ne pas avoir le génie de l'impôt, me reprocherait, j'en suis convaincu, si j'étais au pouvoir, d'en avoir trop ; comme à certaine époque on me reprochait, en m'isolant sur mon banc, des opinions libérales qui ont fini par triompher et par amener notre opinion au pouvoir.

Je puis bien prendre l'engagement de ne me mettre jamais à la remorque d'aucune opinion; mais je veux rester moi, et je ne consentirai jamais à renier aucune de mes convictions.

Restant d'accord avec moi-même, j'ai aussi appuyé tous les ministres de la guerre qui se sont succédé depuis M. le général de Liem.

M. le général Dupont venant en 1843, après le général de Liem, a demandé pour 1843 un budget de 28,700,000, pour 1844 de 28,130,000 et pour 1845 de 28,022,000.

C'est M. Dupont qui a présenté la loi qu'on appelle loi d'organisation, et qu'avec l'honorable M. de Brouckere j'appelle, moi, la loi fixant les cadres au maximum. Pour ce maximum, le général Dupont disait avoir besoin, terme moyen, de 28,000,000.

Par suite de la maladie de M. Dupont, le général Prisse le remplaça.

Le budget de M. Prisse, pour 1846, fut de 28,200,000 fr. et pour 1847 de 29,405,000 (augmentation due à la cherté des vivres).

Après le ministère du 12 août 1847, M. Chazal présenta pour 1848 un bugdte de 28,600,000 fr. et pour 1849 de 27,085,000 fr.

Et dans ce dernier budget, il a touché au maximum de la loi des cadres; il a réduit le chiffre des officiers de 20.

M. Lebeau disait hier : « Il y a déjà assez longtemps que j'ai des soupçons sur l'inexécution de la loi d'organisation. Aujourd'hui, d'après la «conduite du gouvernement, elle n'existe plus. »

Ce n'étaient pas de simples soupçons que pouvait avoir M. Lebeau. Il y avait, il devait y avoir pour lui, comme pour tous les autres membres de cette assemblée, certitude que le général Chazal touchait à la loi de 1845, si tant est que la loi de 1845 fût une loi d'organisation.

Le budget de M. le général Chazal, de 1849, était précédé d'une note préliminaire, et dans cette note il annonçait qu'il touchait à la loi de 1845. Cette note a dû fixer l'attention de l'honorable M. Lebeau, comme elle a fixé mon attention, comme elle a fixé l'attention de tous les membres de cette assemblée.

M. Lebeau. - Elle m'a échappé.

M. Verhaegen. - Il est très commode, mon honorable collègue, de venir nous dire : Elle m'a échappé. Elle ne pouvait pas vous échapper; car dans une question aussi grave on ne peut pas supposer que vous n'ayez pas lu les pièces, surtout la pièce la plus importanle, le rapport de la section centrale.

Je répète : la note qui précède le budget de 1849 a fait connaître que M. le général Chazal a touché à la loi de 1845 qu'on appelait encore, il n'y a pas bien longtemps, la loi d'organisation et que l'honorable M. Lebeau reconnaît maintenant avec nous n'être qu'une simple loi des cadres.

Eh bien, voici la note préliminaire du budget de 1849 :

« Le budget de 1849 comporte une différence en moins sur le budget de 1848 de 63 officiers, 914 sous-officiers et soldats, 424 chevaux d'officiers.

« Cette réduction, opérée uniquement dans le but d'introduire une notable économie dans le budget des dépenses, porte sur les points suivants :

(Ce déatil n’est pas repris dans la présente version numérisée.)

Il n'y a dans ces réductions, je le reconnais, qu'un seul point qui touche à la loi d'organisation, ou plutôt à la loi des cadres, c'est le chiffre des officiers.

La loi n'a pas dit : Il y aura tant de sous-officiers et de soldats. La loi n'a pas dit : Les officiers auront chacun tant de chevaux. Mais elle a dit : Il y aura tant d'officiers, afin de pouvoir passer du pied de paix au pied de guerre. Il y a donc réduction réelle sur le cadre d'organisation de 2 lieutenants généraux, 4 commandants de province, 6 officiers de l'état-major des places, 1 médecin de garnison, 6 officiers de la compagnie sédentaire d'artificiers et 2 au-dessus du complet. 20 en tout.

Mais rassurons-nous, le général Chazal n'a pas commis l'énormité de violer une loi, la loi dite d'organisation.

Comme l'a démontré à l'évidence l'honorable M. de Brouckere, en 1845, on a discuté quel serait le nombre d'officiers de l'armée, et voilà tout. On n'a pas organisé les bataillons, les compagnies, on n'a rien dit du mode de recrutement. D'après la loi, le ministre de la guerre, avec le nombre d'officiers qui lui est accordé, organise son armée comme il l'entend. Il peut en prendre moins, mais il ne peut aller au-delà du chiffre maximum. La loi de 1845 qu'on appelle une loi d'organisation n'est (page 511) qu'une loi de limitation. Et, chose remarquable, M. Lebeau est lui-même, aujourd'hui d'accord sur ce point.

Ainsi pour le budget de 1849, le général Chazal a diminué le nombre maximum d'officiers de 20, et je ne pense pas qu'il ait en aucune manière violé la loi.

J'ai appuyé son budget et par suite la réduction qu'il a proposée, parce que j'avais confiance dans sa loyauté comme dans ses lumières. Tous les partisans d'une solide organisation et, entre autres, l'honorable M. Lebeau, ont fait comme moi.

En 1843, quand le général de Liem m'a donné l'assurance qu'il avait besoin du nombre d'officiers fixé alors par arrêté royal, j'ai eu foi aussi dans ses lumières et dans sa loyauté, je me suis abrité sous sa responsabilité. Pourquoi d'autres collègues, qui prennent si chaudement aujourd'hui la défense de l'armée, n'en ont-ils pas fait autant? Sous quelle responsabilité s'abritaient-ils pour suivre une voie contraire ?

Il y avait du vague alors, me dira-t-on, à défaut de loi d'organisation ; mais il y en a une aujourd'hui. Je réponds, qu'un ministre de la guerre sous l'empire de la loi de 1845 peut aussi diminuer le chiffre des officiers, quoiqu'il ne puisse jamais l'augmenter; et c'est toujours du vague.

Nous convient-il, messieurs, de laisser subsister ce vague, je dirais presque cet arbitraire? Nous pouvons avoir confiance dans tel homme, ne pas en avoir dans tel autre ; notre compétence en pareille matière n'est pas telle que nous puissions juger par nous-mêmes. Ne convient-il pas dès lors de nous éclarer une fois pour toutes des lumières d'une commission composée d'hommes compétents et impartiaux sur une question à laquelle se rattache notre nationalité ?

L'armée, de son côté, a intérêt réel à se soustraire à cet arbitraire ; la confiance qu'elle a toujours eue dans la chambre n'a jamais été déçue.

Je reviendrai tantôt sur cette commission.

Nous voilà arrivé maintenant à 1850. Le budget de M. le général Chacal pour 1850 était de 26,792,000 fr.

Toujours même opposition, môme discussion, même défense, mêmes défenseurs et défenseurs toujours chaleureux.

Le budget fut voté tel qu'il avait été présenté, mais un incident avait surgi avant le vote, et voici comment il a été vidé :

La section centrale avait déclaré qu'il y avait lieu à réviser la loi d'organisation de l'armée.

M. Lelièvre, dans la discussion, proposa, par amendement, de faire nommer par la chambre une commission qui serait chargée d'examiner s'il y avait lieu à reviser la loi concernant l'osganisation de l'armée, et qui entendrait sur ce point les hommes spéciaux et ferait ensuite son rapport.

M. Clep, par sous-amendement, demanda d'ajouter « que la nouvelle organisation fût formulée sur des bases telles que le chiffre de la dépense ne pourrait pas dépasser 20,000,000.»

M. de Bocarmé, de son côté, sous-amenda cette dernière proposition, en substituant le chiffre de 25,000,000 à celui de 20,000,000.

Enfin, M. Lelièvre a demandé qu'on procédât par question de principe et que l'on votât d'abord sur la question suivante :

« Y a-t-il lieu à reviser la loi d'organisation de l'armée, pour arriver à une économie sur le budget de la guerre? »

100 membres répondirent à l'appel nominal.

61 dirent non.

31 oui.

8 s'abstinrent.

M. F. de Mérode s'est abstenu.

J'ai fait partie des 61, et je m'en fais honneur. Si la question était posée aujourd'hui dans les mêmes termes, abstraction de toute demande d'examen, de toute instruction préalable, je voterais comme j'ai voté l'année dernière; mais la position est bien différente : Le gouvernement, avant de prendre une décision sur la loi de 1845, veut examiner à fond toutes les questions qui peuvent surgir au sujet de notre force militaire et s'entourer dans cet examen des lumières d'une commission qu'il nommera lui-même. Je ne puis donc, pour le moment, qu'accéder à ce vœu en me réservant tous mes droits et toutes mes opinions pour l'avenir.

En 1851 paraît le général Brialmont, qui présente un budget de 26,389,000 fr.

La retraite du général Chazal avait été occasionnée, non pas par une réduction de son budget, mais à la suite d'un autre incident tout à fait regrettable, puisqu'il a privé le pays d'un homme de cœur et de talent.

Eh bien, le général Brialmont de son propre mouvement a réduit le budget de son prédécesseur de 400,000 fr.

Vous tous, messieurs, avez proclamé une confiance illimitée dans le général Brialmont et dès lors vous appuierez sans doute la réduction qu'il a spontanément proposée ; et moi-même pourquoi ne l'appuierai-je pas?

Mes précédents m'y obligent. Tout en défendant les budgets avec les chiffres les plus élevés demandés par les divers ministres, j'ai toujours dit que si des économies étaient possibles je m'empresserais de les accueillir. Voici ce que je disais dans la séance du 30 mars 1843 :

« Et puisqu'on a parlé d'économies, ce n'est pas en particulier qu'il faut les envisager, mais dans leur ensemble; où sont donc celles introduites dans les autres branches de l'administration en proportion avec celles introduites pour l'armée? (…)

« Le projet de la section centrale me paraît dangereux, et je ne puis assumer sur moi la responsabilité d’un pareil acte.

« Si des économies étaient possibles sans disloquer l'armée, sans toutcher à des droits acquis, j'y donnerais volontiers les mains. J'attendrai la discussion des articles pour énoncer une opinion sur les détails. »

Dans la séance du 28 décembre 1847 je m'exprimais ainsi :

« Des économies ! mais tout le monde en veut dans cette enceinte et nous aurions nos caisses remplies d'or qu'encore personne ne serait disposé à faire des dépenses inutiles.

« Des économies ! le mot est dans toutes les bouches, il est aussi dans la mienne ; mais ce que je veux, ce que tout le monde doit vouloir avec moi, ce sont des économies sages qui ne soient pas de nature à compromettre la sûreté intérieure ou extérieure de l'Etat et dont la responsabilité pourrait être acceptée par ceux qui tiennent les rênes et qui sont bien compétent pour bien apprécier la question. »

M. Lebeau lui-même si je ne me trompe votera avec nous la réduction proposée par le général Brialmont et je doute fort si sur ce point il n'y aura pas une touchante unanimité dans cette assemblée.

C'est cependant au fond toute la question du budget de la guerre pour 1851.

Maintenant, le général Brialmont a ajouté qu'il continuerait à rechercher toutes les autres économies possibles et qu'il entrerait dans les vues du cabinet pour réduire le budget, dans un terme de trois ans, à un chiffre de 25,000,000 fr.

Je marche encore d'accord sur ce point avec le général Brialmont, et je ne veux pas être plus orthodoxe que lui. au point de vue des besoins de l'armée. Je suis toujours resté, je resterai toujours d'accord avec moi-même.

Quand je parle de l'opinion du général Brialmont, c'est de l'opinion qu'il a émise, de concert avec tous ses collègues, dans une note qui a été paraphée et qu'il a développée au sein de la section centrale.

Voici la fin du discours du général Brialmont du 14 janvier qui n'est que le résumé de cette note :

« Ce serait donc rendre un véritable service à l'armée que de pouvoir parvenir à placer le chiffre du budget de la guerre en dehors de toute contestation.

« C'est pour atteindre ce but que, m'associant aux vues du cabinet,. j'ai cherché à introduire certaines réductions dans les dépenses et que je continuerai à introduire toutes celles que je jugerai possibles.

« On me demandera peut-être si, tout en recherchant à ramener le budget à 25 millions dans un temps donné, j'ai la conviction d'arriver à ce chiffre sans porter atteinte à l'organisation de l'armée. Les études que j'ai fait faire n'étant pas terminées, je ne puis en ce moment répondre d'une manière catégorique à cette question dont la solution présente des difficultés.

« J'examinerai avec soin toutes les questions qui concernent l'ensemble de notre établissement militaire. Je m'entourerai au besoin des lumières d'une commission composée d'hommes éclairés et impartiaux, et quand mon opinion sera définitivement formée, je ferai connaître loyalement ma manière de voir et ma détermination. »

Maintenant quelle est la signification du mot « vues » qu'on rencontre dans la note à laquelle je viens de faire allusion et dans le discours du général Brialmont ?

L'honorable M. Lebeau qui, d'ordinaire, voit les questions de beaucoup plus haut, est allé chercher la signification du mot « vues » dans le Dictionnaire de l'Académie, et il a trouvé que c'est un engagement qu'on prend, un but qu'on veut atteindre. J'aime mieux, moi, dans l'occurrence, le dictionnaire parlementaire de mon honorable ami, M. d'Elhoungne, et je rends hommage au sentiment de conciliation si bien exprimé par l'honorable membre.

D'après M. d'Elhoungnc, par « vues » il faut entendre la promesse de rechercher toutes les économies ultérieures et d'arriver ainsi, s'il est possible, à un chiffre de 25 millions.

S'il était démontré, a ajouté M. d'Elhoungnc, par le travail de la commission, que tous nous resterons libres de peser, d'examiner mûrement que le salut de la Belgique, la sécurité du pays exigent le chiffre actuel, sans aucun doute les anciens adversaires du budget finiraient par s'y rallier.

Le premier pas dans la voie de la conciliation ne se fait pas sur le chiffre.

Il ne se fait pas non plus sur l'obligation que prendrait le gouvernement de réviser la loi de 1845, il se fait sur une enquête à organiser par le gouvernement lui-même, et qui doit lever un doute dont le pays s'inquiète.

Une politique prudente exige de ne pas mépriser les avertissements de l'opinion publique.

N'oublions pas, messieurs, qu'on a fait vibrer depuis longues années à l'oreille de nos populations une corde bien sensible, celle des économies, et qu'il faut prouver aux populations qu'on tient compte de leurs inquiétudes, quant à l'état du trésor public.

Il faut aussi donner satisfaction à ceux qui soutiennent que l'armée, telle qu'elle est organisée, n'est pas suffisante dans son organisation pour parer à toutes les éventualités.

Les uns sont pour, les autres sont contre, soit pour dire que c'est trop, soit pour dire que ce n'est pas assez.

(page 512) Il ne s agit pas de donner raison aux uns et de donner tort aux autres il s’agit d'éclairer tout le monde sur une question vitale.

Ce qui est évident pour quiconque ne se jette pas dans des abstractions, c'est qu'on ne veut réviser jusqu'à présent aucune loi, qu'un veut simplement examiner.

Aussi l'opposition de l'honorable M. Lebeau à la révision de la loi de 1845 arrive beaucoup trop tôt. Il aurait dû attendre le travail du gouvernement et de la commission dont le gouvernement veut s'entourer.

Remarquons bien, messieurs, que ce n'est pas ici une commission comme celle qui a été instituée par le ministère par arrêté du 24 juillet 1846, ayant pour mission de présenter un avant-projet de loi quant à la révision de la législatinn sur les fondations en faveur de l'instruction.

Là le ministre, dans son rapport au Roi, déclare que cette législation doit être revisée incontestablement.

Il n'en est pas de même dans l'occurrence.

Ici le gouvernement n'énonce aucune intention de réviser. Il croit la loi de 1845 bonne, comme je la crois bonne, et il pense pouvoir arriver aux économies annoncées sans toucher à cette loi. Ne voulant pas toutefois tenir la lumière sous le boisseau, il consent à examiner de nouveau, avant la présentation du budget de 1852, toutes les questions qui se rattachent à notre organisation militaire et à s'entourer des lumières d'une commission; il examinera comme nous examinerons. Voilà tout. Quel est donc ce sujet d'alarme que je rencontre dans le discours de l'honorable M. Lebeau ?

Et il est si vrai, messieurs, que personne ne sera lié, que même pour des commissions en général, telles que celle instituée à l'occasion des fondations dont je viens de parler, leur travail ne constitue jamais qu'un simple avis, qu'une simple opinion.

Vous regarderiez-vous comme liés, vous messieurs de la droite, vous regarderiez-vous comme liés si ce travail ne répondait pas à votre attente?

Tous nous serons libres, tous nous serons libres même de proposer des augmentations si la sûreté de l'Etat l'exige.

Quant à moi, je suis convaincu, avant tout, qu'il faut de bons cadres et qu'il faut s'arrêter au maximum du chiffre fixé par la loi de 1843 ; et c'est précisément parce que je suis convaincu, que je ne recule pas devant un examen. Si je reculais, je croirais affaiblir mes convictions aux yeux du pays.

Il y a plus : l'intérêt même de l'armée, au point de vue des intérêts individuels, quoique très secondaires d'ailleurs, exige cet examen. L'armée, qui est composée d'hommes intelligents et sages, doit comprendre qu'il ne peut pas lui convenir de vivre au jour le jour, mais qu'il lui importe d'assurer son lendemain.

Tous les ans, nous avons entendu des discussions qui auraient pu décourager l'armée, si elle n'avait pas eu foi dans les sympathies de la législature pour ma première institution du pays. Désormais il n'y aura plus qu'une voix pour proclamer la nécessité d'une bonne et forte organisation.

Maintenant, quant à la composition de la commission, j'ai foi dans la loyauté et dans l'impartialité de mes amis qui sont au pouvoir ; ils sauront qu'une contradiction doit être établie, et que c'est du choc des opinions que naît la vérité. Il y aura d'ailleurs sur ce point important le contrôle de la chambre et de l'opinion publique, et c'est là une forte garantie.

Un dernier mot et je termine :

Messieurs, il ne s'est jamais agi pour moi de donner raison à une minorité quelconque, appartînt-elle à mon opinion ; le dernier mot d'un des hommes importants de cette minorité a été « conciliation ». Pourquoi ne pousserions-nous la main amie qui vient nous l'offrir, alors surtout que nous ne faisons le sacrifice d'aucun droit et que chacun conserve sa dignité?

Le gouvernement ne s'oppose pas, et il a raison, à ce que la droite se joigne à la gauche et qu'ainsi la majorité et la minorité se fondent en une unanimité touchante quant au budget de la guerre.

J'eusse désiré que la droite, alors majorité, se joignit aussi à nous, en 1843, pour adopter le budget du général de Liem ; elle eût évité peut-être qu'une brèche ne fût faite plus tard dans la place, alors déjà fortement menacée.

M. Pierre. - Jusqu'alors, j'avais fait au budget de la guerre la plus vive opposition. En présence de la déclaration franche, claire, précise, formulée en la séance de vendredi dernier par M. le ministre des finances et renouvelée hier par M. le ministre de l'intérieur, mon rôle d'opposant vient à cesser.

Que voulions-nous précédemment? La réorganisation d'un système militaire vicieux et sa mise en rapport avec les besoins et les ressources du pays, rien de plus. Sans doute, nous n'entendions pas que cette réorganisation fût improvisée du jour au lendemain. Nous désirions au contraire que toutes les questions qui s'y rattachent fussent examinées attentivement, scrupuleusement, par les hommes compétents les plus capables.

Que nous déclare le ministère? II nous donne la garantie que cet examen consciencieux et approfondi, objet de tous nos désirs, de tous nos efforts, aura enfin lieu. Une commission, chargée de cette haute mission, sera prochainement nommée par lui.

Pour ma part, je suis heureux de pouvoir me déclarer satisfait. J'ai foi en la parole du ministère. L'honorable M. Malou, faisant avant-hier l’état de la situation, la proclamait inqualifiable et sans exemple dans notre histoire parlementaire. Un ministre, disait il, est mort sur la brèche en défendant l'armée, et le budget sera discuté sans qu'un autre ministre de la guerre siège au banc ministériel pour le défendre. Je commencerai par reconnaître avec M. Malou que cette situation est aussi neuve que regrettable; mais de ce que cet état de choses existe, s'ensuit-il qu'il doive être imputé à la faute du pouvoir? Serait-il juste, serait-il même logique d’en accuser le cabinet plutôt que ceux qui l'ont précédé aux affaires ? Non, messieurs, évidemment non.

Une chose doit être hors de doute pour tout le monde. Aucun officier supérieur de l'armée ne consentirait à assumer la responsabilité de la révision de la loi de 1845.

Quelle est la cause de cette espèce de refus de concours ? Tout porte à croire qu'il provient d'une sorte de répugnance de contribuer à des mesures organiques dont l'application amènerait peut-être certains froissements d'intérêts personnels de camarades d'armes. Ce motif a pour base un sentiment de délicatesse auquel je rends volontiers hommage.

Toujours est-il que, pour ce qui nous concerne, de telles considérations ne peuvent nous arrêter. Ne devons-nous pas placer l'intérêt de la nation, l'intérêt de l'armée elle-même, prise dans son ensemble, au-dessus de toutes les questions de personnes, en ayant soin cependant de sauvegarder tous les droits acquis ? D'ailleurs, qui songe à les méconnaître, ces droits? Qui oserait dire que la situation nouvelle est le résultat de la résistance du ministère aux légitimes exigences de l'imposante minorité des deux dernières années ? N'est-il pas incontestable qu'elle devait nécessairement se produire, qu'elle devait résulter de la force seule des choses?

L'unique différence qui aurait pu exister était une affaire de temps, c'est-à-dire que la situation actuelle pouvait arriver deux ans plus tôt. Elle se fût produite en 1849 comme elle se produit aujourd'hui, si à cette époque le ministère était entré dans la voie où nous nous félicitons de le rencontrer. On le voit, la seule différence eût été un changement de date. Alors, comme aujourd'hui, il eût été impossible au ministère de se soustraire à cette inévitable situation ; alors, comme aujourd'hui, aucun officier supérieur de l'armée n'eût voulu assumer la responsabilité de la révision de la loi de 1845. Quand je dis qu'il était impossible au ministère de conjurer cette difficulté, j'entends bien que cela eût été au moins aussi impossible à un ministère quelconque, fût-il mixte, fût-il même catholique, mot que je prononce à regret en l'appliquant à un parti.

Cessez donc d'accuser le pouvoir d'avoir créé une situation qu'il regrette plus que vous. Que dis-je? C'est demander une véritable impossibilité. Il faudrait pour cela que vous fissiez taire un instant les ressentiments politiques qui vous agitent. Eh bien, quels que soient vos dépits, le patriotisme éprouvé, dont est animé le ministère, lui fait accepter, sans hésiter, la position difficile que la nature seule des choses s'est chargée de créer, comme je viens déjà de le dire. Je conçois qu'il vous serait agréable de voir le cabinet échouer à ce périlleux écueil. Un tel naufrage vous causerait, je n'en doute pas, un vif plaisir ; il marquerait un des beaux jours de votre vie parlementaire. Vain espoir! il sera déçu et vous en serez quittes pour vos frais d'illusion.

Le ministère comprend trop bien sa tâche pour y faillir. Il sait ce que les intérêts généraux du pays et ceux non moins sacrés du libéralisme attendent de lui. Plus sa tâche est ingrate, ardue, hérissée de difficultés, plus il aura de mérite de s'en être honorablement acquitté, ainsi qu'il le fera, j'en ai la ferme persuasion.

Qu'est-ce encore? Vous reprochez au gouvernement de n'être point, dans l'exécution de son programme, d'une fixité immuable.

C'est là, messieurs, une grave erreur. Le programme n'excluait pas le système militaire du creuset économique où nous avons successivement fait passer les diverses autres branches des services publics. Et, si cependant depuis 1848, malgré nos instances nombreuses et réitérées, le ministère n'a pas consenti à la révision qu'il accepte maintenant, ne devez-vous pas admettre que l'imposante minorité qui s'est manifestée contre les deux derniers budgets et les puissantes raisons mises en avant par cette minorité aient pu suffire pour ébranler la conviction sur laquelle se basait le refus de révision? Et quand cela n'eût fait naître qu'un doute dans l'esprit du gouvernement, la conscience de son devoir ne l'oblige-t-elle pas à l'éclaircir et à le faire disparaître, surtout lorsque l'immense majorité de la nation partage ce doute, surtout aussi lorsque l'un des plus grands intérêts du pays est en cause ?

L'honorable M. d'Elhoungne vous l'a dit hier, messieurs, ce n'est pas l'immutabilité qui, de nos jours, constitue la force des gouvernements» Pour être forts, ils doivent progresser comme leur époque, ils doivent marcher avec elle dans la voie sage des améliorations. L'expérience n'est-elle rien pour vous? Avez-vous oublié qu'en 1848 une seule concession juste et légitime, faite à propos, eût pu, pour longtemps peut-être, empêcher la France de devenir l'arène sanglante des partis ?

Et vous osez faire au pouvoir belge un crime de comprendre son époque? Prenez-y garde! Vous lui adressez un reproche qui contient tout un éloge, un reproche dont il a le droit de s'enorgueillir et que je considère comme son plus beau titre à nos sympathies. Une autre accusation, qui me paraît également étrange, c'est celle-ci : Vous voulez, a dit l'honorable M. Dechamps, substituer une majorité politique à une majorité nationale. N'est-ce point là, messieurs, un jeu de mots? Prétendriez-vous, par hasard, que la majorité compacte de libéraux serait moins nationale que quand vous et vos amis faisiez partie de cette majorité? Je ne sais trop ce qui pourrait vous autoriser à revendiquer, à notre détriment et à votre profit exclusif, la qualification patriotique de national.

(page 513) Je dis donc, moi, que la majorité sera tout aussi nationale qu'elle le fut en 1849 et en 1850. J'ajoute qu'a ce mérite elle en joindra un autre : celui de ne plus se composer d'éléments hétérogènes étonnés de se rencontrer côte à côte sur ce terrain, le seul, absolument le seul, sur lequel il leur était permis de figurer ensemble dans nos débats politiques.

Une position parlementaire bâtarde, anormale, aura cessé d'exister.

N'était-il pas pénible aux amis du ministère de voter chaque année contre lui dans une circonstance aussi majeure que celle du budget de la guerre?

Il fallait chez eux une conviction bien profonde pour les forcer à se résigner à ce fâcheux sacrifice, impérieusement commandé par leur conscience.

Etait-il moins regrettable pour le ministère de n'obtenir la majorité qu'avec l'appoint d'un parti qui ne souhaite rien tant que sa chute?

D'ailleurs, la manière d'agir de ce parti, depuis deux ans, ne présageait-elle pas que ces regrets étaient destinés à devenir encore plus amers pour l'avenir? Croit-on qu'il soit possible d'oublier aussitôt les discussions irritantes, passionnées, de la loi sur l'enseignement moyen? Nos adversaires ne disaient-ils pas hautement qu'ils étaient trompés, qu'ils s'attendaient, en compensation de leurs votes favorables au budget de la guerre, à des concessions autres que celles qu'ils ont obtenues? Et cependant ces concessions n'ont-elles pas été poussées jusqu'à leurs dernières limites? Ils savaient alors faire sentir au gouvernement qu'il était en quelque sorte à leur merci dans la grave question du budget de la guerre. Le parti n'entendait-il pas transformer en espèce de rançon les votes qu'il lui avait accordés à cette occasion? Une telle position ne pouvait convenir ultérieurement au ministère. Sa dignité et sa liberté d'action étaient compromises.

Ce que j'avance est tellement vrai que c'est là l'explication toute naturelle des efforts extraordinaires tentés en ce moment parce parti contre le cabinet. Il considère la question du budget de la guerre cette année comme une espèce de va-tout pour lui. Il comprend que si cette occasion lui échappe, son espoir de ressaisir le pouvoir s'évanouit pour longtemps. Dieu veuille que ce soit pour toujours! C'est le vœu le plus sincère que je forme pour le bonheur de mon pays.

Pour ce qui est du reproche que l'on nous a adressé de vouloir désorganiser l'armée et d'être peu soucieux de ses intérêts, je le repousse de toutes mes forces. J'ai toujours pensé et je pense encore que les intérêts de l'armée elle-même, sa force, son homogénéité, sa considération, sa dignité commandaient de la tirer au plus tôt de sa situation précaire. N'était-il pas triste et décourageant pour elle d'être périodiquement chaque année soumise à des discussions incessantes et aux fluctuations budgétaires? Son sort sera désormais fixé d'une manière stable et permanente.

L'honorable M. Dechamps disait: Qui vous garantit qu'il en sera ainsi? Si vous allez porter la main sur la loi de 1845, pourquoi ne la porteriez-vous pas, dans un avenir rapproché, sur la loi que vous allez lui substituer? A cela je vais répondre. En 1845 les hommes les plus compétents savaient très bien que la loi présentée à la chambre et votée par elle était mauvaise. Elle n'était rien autre chose que la consécration de ce qui existait. En la faisant autre, on eût touché à des positions acquises; c'est la difficulté qui a donné naissance à cette loi vraiment regrettable. Loin d'améliorer l'armée, elle n'a fait que l'empirer, en permettant de nommer à une foule d'emplois inutiles, auxquels on n'avait pas jusque-là osé pourvoir.

Pour justifier mon assertion, il me suffira de faire le résumé historique de ce qu'on se plait à nommer l'organisation actuelle. Au fait, quelle est-elle? Rien autre chose que celle établie en 1831 par M. de Brouckere, sauf quelques modifications, telles, entre autres, que la création de nouveaux régiments. Les forces militaires dont nous disposions alors avaient, pour raison d'être, des circconstances exceptionnelles, momentanées. Il nous fallait attendre l'arme au bras l'instant où il plairait à la Hollande d'abandonner vis-à-vis de nous son attitude agressive et menaçante. La nationalité nous imposait des sacrifices; force était de nous y résigner et nous n'avons pas fait défaut à la tâche. Le budget de la guerre, à partir de cette époque, a varié de 35 à 70 millions, suivant les exigences des circonstances sous l'empire desquelles nous nous trouvions.

Avec de semblables sommes il était possible de maintenir l'harmonie entre nos diverses armes. Nous pouvions également conserver sous les drapeaux un effectif en rapport avec les cadres.

En 1839, cet état de choses arriva à son terme. La paix conclue avec la Hollande greva notre dette publique de deux cents millions de francs. Il fallut songer à réduire nos dépenses; il était d'autant plus naturel de jeter les yeux sur celles qu'absorbait notre système de défense, que la pacification était, par elle seule, de nature à nous commander d'y apporter d'importantes modifications.

Le général Buzen fut chargé d'aviser à une nouvelle organisation. Il s'en occupait quand, par sa mort, le ministère de la guerre devint vacant et fut ensuite confié à l'honorable général de Liem, qui poursuivit cette tâche. Celui-ci voulut que toutes les graves questions qui touchaient à l'organisation fussent examinées et approfondies par les hommes les plus compétents. Il nomma à cette fin une commission composée d'officiers supérieurs les plus distingués du pays.

Le travail de la commission fut tel, qu'il n'était point possible le présenter à la chambre sans porter un coup mortel au déplorable système consistant à maintenir des cadres en disproportion flagrante avec l'effectif et avec des ressources pécuniaires restreintes.

Aussi l'on se borna à régler la composition des diverses armes et leur rapport entre elles par des arrêtés ministériels. D’un autre côté, on présenta à la législature une liste des emplois d’officiers, qu’elle vota. Cette liste n’était rien autre chose qu’un tableau limitatif, comme vous l’a parfaitement démontré hier l'honorable C. de Brouckere. Voilà ce à quoi l'on donne le nom d'organisation. N'est-ce pas là, messieurs, une véritable mystification? Il est avéré que l'on n'a rien organisé.

La loi s’est réduite à un simulacre d’organisation. Le tableau des officiers et les arrêtés ministériels dont je viens de parler ont été la conséquence pure et simple de ce qui existait. Si je vous disais combien était pitoyable et mauvais ce que l’on se contenta de maintenir alors, comme précédemment je l'ai fait plusieurs fois, vous pourriez douter de l'exactitude de mes allégations. L'honorable M. Lebeau, dont la compétence me semble tout aussi contestable que la mienne, a déjà, d'ailleurs, émis ce doute hier. Je préférerai conséquemment laisser ce soin à un homme dont la haute compétence ne pourra être révoquée en doute par personne, pas même par l'honorable M. Lebeau ; car, chose étrange, et probablement elle vous étonnera, c'est précisément à la même source que celle où M. Lebeau a puisé, que je puiserai moi-même pour réfuter, pour anéantir toutes les belles choses que vous a étalées cet homme d'Etat éminent, à l'endroit de l'excellence de notre semblant d'organisation militaire.

M. Lebeau ne s'est pas aperçu qu'en se faisant une arme du document qu'il a appelé hier à son aide, il faisait usage d'une épée à deux tranchants. Il ne suffit pas de jeter un coup d'oeil sur le frontispice d'un édifice pour s'extasier sur la perfection de toutes ses formes. C'est l'erreur dans laquelle a versé hier M. Lebeau : il vous a lu la préface du rapport adressé au Roi en 1843, par l’honorable général de Liem, alors ministre de la guerre. Moi, au contraire, j'irai plus loin que la préface: je me permettrai de vous lire deux passages du rapport lui-même, les voici :

« Rapport au Roi, sur la composition organique de l'arme de l'infanterie.

« Sire, l'arrêté royal du 4 septembre 1841 a déterminé la formation organique des régiments d'infanterie sur le pied de guerre, sans fixer l'effectif en solde à conserver sur le pied de paix. Les cadres, maintenus, jusqu'à ce jour, dans leur intégrité, se trouvent hors de proportion avec le nombre de soldats qu'il a été possible de tenir sous les armes, eu égard aux allocations du budget. Les compagnies, loin d'offrir la consistance qu'il serait désirable de leur voir, dans l'intérêt de l'instruction et du service, n'ont pas même le personnel nécessaire paur assurer aux soldats les nuits de repos que leur accordent les règlements. Un tel état de choses compromettant à la fois la santé du soldat et l'avenir de l'armée, il est urgent d'y remédier. »

« Rapport au Roi, sur la composition organique de l'arme de la cavalerie.

« Sire, la commission d'olficiers généraux et supérieurs, consultée sur l'organisation normale à donner à l'armée, a unanimement émis cet avis, que ce qui est le plus à désirer pour le maintien de la bonne composition de la cavalerie, sous le rapport du service, de l'instruction et de la conservation des chevaux, c'est que les régiments ne soient plus obligés de renvoyer leurs cavaliers, au moment où les recrues arrivent au corps, attendu que ces recrues sont placées d'abord au dépôt, pour leur instruction, et n'entrent que quelques mois après dans les escadrons pour y faire le service. Il en résulte que ceux-ci se trouvent incomplets et que les hommes présents, sont obligés de panser trois et même quatre chevaux, ce qui devient une des causes les plus déterminantes de dégoût pour le service. »

A ces deux passages, messieurs, je n'ajouter ai pas un mot: un commentaire quelconque en amoindrait la portée et l'énergie. Voilà ce que pensait et ce que déclarait, d'accord avec la commission, l'honorable général de Liem. Je demanderai actuellement à ceux de nos honorables collègues qui doutaient des vices organiques contre lesquels nous nous élevions de toutes nos forces, s'il leur est encore bien permis d'en douter. Et il n'est pas inutile de faire remarquer que la situation signalée en 1843 par l'honorable ministre de la guerre, comme étant excessivement fâcheuse, l'est devenue infiniment plus encore par suite des réductions successives effectuées annuellement sur l'effectif. Pour ne citer qu'un seul exemple, ne sait-on pas que la compagnie d'infanterie a perdu, depuis, un quart de son effectif. Combien ne devraient-elles dès lors pas être beaucoup plus sévères, les paroles de ce général distingué, s'il avait à se prononcer sur l'état de choses actuel ! Vous voyez que notre opinion n'était pas isolée, et que tous les hommes de guerre les plus capables, non seulement partagenent avec nous cette opinion, mais qu'ils n’hésitaient pas même à la proclamer en face de Sa Majesté.

Il me reste à réfuter une dernière argumentation. Les partisans du statu quo prétendent qu'en allouant 30 millions de francs, l'équilibre entre les cadres et l'effectif serait rétabli.

C'est là une profonde erreur. Le budget de 1843, à un demi-milliott près, s'élevait à cette somme. Vous ne pourriez, par conséquent, avoir, avec un semblable budget, que le même état militaire que vous aviez en 1843, et vous avez vu, à l'instant, comment l'honorable ministre de la guerre le qualifiait.

A ce propos, l'honorable M. de Mérode disait avant-hier. S'il ne s'agit que d'équilibrer les cadres avec l'effectif, pourquoi ne l'a-t-on pas fait plus tôt? Je lui retournerai la question, en lui disant que ce dont il parle comme d'une affaire facile, est précisément ce qui fait la difficulté, ce qui fait le point culminant de la question. Cette difficulté, pourquoi les amis de M. de Mérode ne l’ont-ils pas résolue depuis la conclusion de la paix avec la Hollande. Le temps ne leur a certainement point manqué. Il leur a paru plus commode de reculer devant la difficulté et de la léguer, (page 514) comme beaucoup d'autres également graves, à leurs successeurs. La main sur la conscience, vous est-il bien permis de continuer à accuser le cabinet de mettre résolument la main à une grande œuvre nationale. La constitution d'une armée forte, homogène, conformément aux grands principes organiques admis chez toutes les nations qui nous avoisinent et dont les traditions militaires forment une autorité devant laquelle il faut bien s'incliner, sera l'objet de sa sollicitude éclairée et courageuse. Ce sera à mes yeux l'un des plus beaux titres du gouvernement à la reconnaisance du pays.

(page 515) M. Devaux. - Messieurs, je ne me suis pas pressé de prendre part à ce débat; j'y entre avec répugnance et tristesse, car je suis réduit à combattre ceux que je voudrais appuyer, et à rejouir peut-être par ce dissentiment ceux qui, hier, étaient mes adversaires et qui le seront encore demain. Mais un intérêt grave, une conviction profonde ne me permettent pas de garder le silence.

Tout à l'heure l'honorable président de cette chambre citait des paroles prononcées en 1843.

Ces paroles sont les miennes. A cette époque, le ministère était soutenu par une opinion autre que la mienne, je lui faisais une vive opposition. Cependant avec mes deux amis, MM. Lebeau et Rogier, avec l'honorable M. Verhaegen, je venais soutenir le budget de la guerre; je m'étonnais de trouver si peu de membres de la majorité ministérielle à côté de moi ; au reste, ajoutais-je, j'accepte ce rôle. Car il est des questions qui s'élèvent au-dessus des divisions ordinaires d'opinion, des questions devant lesquelles je ne me souviens que d'une seule chose, c'est que je suis Belge et que nous sommes tous les enfants d'une même patrie.

La cause que je défendais alors avec un ministère dont j'étais l'adversaire habituel, est encore celle que je viens soutenir aujourd'hui contre un cabinet qui a mes sympathies politiques.

Ai-je besoin de vous dire qu'en désapprouvant la position prise par le cabinet dans cette question, je suis bien loin d'incriminer les intentions. (page 516) Je reconnais bien volontiers que, si je crois obéir à un devoir en cette question, ceux qui partagent une autre opinion croient accomplir un devoir comme moi ; ce devoir, seulement, nous le comprenons d’une façon différente.

Dans une lettre que M. le ministre des finances a lue dans une séance précédente, lettre adressée au général Brialmont, il est question de membres de cette chambre qui ont été consultés, avant la recomposition du cabinet actuel, sur le parti à prendre a l'égard du budget de la guerre.

Je suis du nombre des membres qui ont été consultés et ont assisté à cet effet à une conférence. A cette époque, j'ai combattu avec la plus vive énergie le parti qu'on se proposait de prendre. Je dois à la justice de dire que si mon honorable ami M. Lebeau et moi nous avons combattu ce projet, trois autres membres de la chambre l'ont conseillé ou accepté et parmi eux se trouvaient deux membres de la majorité qui, l'année dernière, avaient accepté le budget de la guerre. Leur opinion, je ne le dissimule pas, a dû avoir naturellement de l'influence sur la décision du cabinet.

Avant toutes choses, je désire qu'il n'y ait pas de malentendu sur ce que je ne puis approuver.

Dans la séance d'hier et dans celle d'avant-hier, mon honorable ami M. le ministre de l'intérieur a dit à la chambre que la position que prenait le cabinet était celle qu'avait prise le général Chazal. Il y a là un malentendu, une erreur évidente de la part de l'honorable ministre. S'il en était ainsi, j'en serais bien heureux; je n'aurais qu'à me rasseoir, à appuyer le cabinet.

Il est vrai qu'à l'instant même il verrait se détacher de lui la partie de la chambre qui l'appuie cette année, précisément en raison de la différence qu'il y a entre la position que prend le cabinet cette année et celle qu'il a prise l'année dernière. Il y a, je le répète, une méprise évidente.

Qnelle est la différence entre les deux positions ? Je vais la préciser de la manière la plus exacte : le général Chazal avait dit, avec la majorité de la chambre : On ne révisera pas la loi d'organisation.

Il avait dit : Je consens à présenter à la chambre, à la prochaine session, un travail à l'appui de l'organisation actuelle, un travail destiné à faire passer mes convictions dans l'esprit des membres de la minorité, un travail qui ne mettra rien en question, mais qui confirmera ce qui existe et prouvera que l'organisation actuelle est bonne.

Aujourd'hui, quelle est la position que prend le ministère? Il nommera une commission, non pour conserver ce qui existe, mais pour tout remettre en question, tout sans exception.

- Un membre. - Cela doit être.

M. Devaux. - Nous verrons cela plus tard, Pour le moment, il ne s'agit que de préciser la question.

Je dis que voilà la différence. Dans la position que prend le ministère, tout est remis en question, absolument comme s'il y avait table rase. La commission que vous allez nommer n'est limitée par rien.

C'est une différence immense. De plus, cette fois la commission est nommée avec un but financier, avec mission de faire effort pour ramener toute l'organisation à un budget de 25 millions. Rien de semblable n'avait dominé le travail du général Chazal qui ne s'était engagé qu'à considérer les besoins militaires en eux-mêmes.

Voilà, je crois, la différence des deux positions bien éclaircie.

Je crois qu'il est bien établi pour tout le monde que l'une s'éloigne de beaucoup de l'autre et qu'en approuvant celle-ci, on peut trouver celle-là très dangereuse.

Les raisons qui ont déterminé le ministère à prendre cette attitude nouvelle, ne sont pas des raisons frivoles; ce sont, je le reconnais bien volontiers,des motifs graves. Il y en a, je pense, trois qui ont dominé sa résolution.

Le ministère a voulu, et très sincèrement, je suis loin de le nier, donner plus de fixité à notre institution militaire, il a espéré arriver à un chiffre de budget qui eût quelque stabilité.

En second lieu, depuis les dissidences sur le budget de la guerre, il a existé quelques craintes que le vote des impôts ne rencontrât des difficultés qu'on pourrait lever au moyen de concessions sur le chiffre du budget de la guerre.

Enfin, messieurs, il y a le désir de la part du ministère, désir très légitime, d'amener plus d'union, un lien plus étroit entre les diverses parties de la majorité qui le soutient d'ordinaire.

Permettez-moi de dire ce que je pense de chacune de ces raisons qui paraissent avoir déterminé le gouvernement.

Le désir d'arriver à une situation stable, à un chiffre du budget fixe et définitif est très louable ; mais je crois, avec beaucoup d'autres membres de cette assemblée, que le ministère se fait une complète illusion s’'il croit qu'en concédant le chiffre de 25 millions, en le concédant avec ou sans commission , il peut arriver à une situation stable pour l'armée.

Non, messieurs, le chiffre de 25 millions n'a pas en lui cette puissance magique. Si votre budget d'aujourd'hui n'était que de 25 millions, vous auriez les mêmes difficultés; seulement au lieu de vous demander de descendre à 25 millions, on voudrait vous faire descendre à 20 millions, car tout le mérite de ce chiffre de 25 millions, c'est d'être le chiffre rond le plus voisin du budget actuel.

Dans quelques années, si vous descendez aujourd'hui au taux où on veut vous réduire, le chiffre de 20 millions aura exactement la même mérite. Car, messieurs, on ne tardera pas à le reconnaître, il n'y a que deux systèmes en cette matière : accorder tout ce qui est nécessaire aux besoins de la défense extérieure du pays, sans parti pris à l'avance sur le chiffre de cette dépense, ou réduire l'armée au rôle d'une grande gendarmerie, destinée à maintenir l'ordre dans l'intérieur.

La lutte sera éternellement entre ces deux systèmes; vous aurez beau prendre le milieu entre les deux, vous ne vous y maintiendrez pas.

Vous serez obligés de descendre et de descendre encore; quand vous serez au chiffre de 25 millions, on vous démontrera que votre armée n'atteint pas son but, que c'est une dépense inutile, et il vous faudra descendre encore.

Messieurs, il s'était produit depuis quelque temps une idée étrange : c'est que, pour organiser notre armée, nous devions en quelque sorte, après avoir couvert toutes les autres dépenses de l'Etat, consacrer le restant au budget de la guerre, qu'il fallait traiter à forfait, pour ainsi dire, avec notre établissement militaire, que nous avions une somme de 25 millions à lui consacrer, et que, quels que fussent les besoins, la dépense devait s'arrêter là.

Cetle idée, messieurs, avait été vivement combattue. On avait démontré que ce qu'il fallait avant tout, c'était faire face aux besoins de la défense extérieure du pays, sans parti préconçu sur le chiffre au moyen duquel on y arriverait.

Que fait aujourd'hui le gouvernement? Il encourage cette inconcevable idée, que le ministère de la guerre doit vivre en quelque sorte des restes des autres départements; que la défense extérieure du pays est un objet accessoire et d'une importance secondaire à côté de tous les autres besoins administratifs du pays.

Vous voulez une base fixe, il n'y en a qu'une seule : ce sont les bssoins de la défense du pays: Prendre pour base des considérations financières, c'est s'appuyer sur ce qu'il y a de plus mobile; c'est faire dépendre l'armée de tous les déficits qui surviendront. Chaque fois qu'il y aura un déficit nouveau , la position de notre armée devra s'amoindrir.

Pourquoi une discussion pareille a-t-elle surgi en 1843 ou 1844? Parce qu'il y avait un déficit. Pourquoi la discussion surgit-elle aujourd'hui? Mais parce qu'il y a un déficit. Et lorsque dans quelques années il y aura un nouveau déficit, on s'étayera du précédent de cette année pour nommer des commissions qui de 25 millions feront descendre le budget de la guerre à 20 millions, si ce n'est à 15 millions.

La considération financière que vous donnez pour base à votre armée, sera donc une base essentiellement mobile; selon que nos impôts rapporteront un million de plus ou de moins, selon que notre chemin de fer rapportera un million de plus ou de moins, on sera en droit de vous demander un changement dans la situation de votre armée.

Le seul moyen, messieurs, d'arriver à quelque chose de permanent, quel était-il? C’était de résister à ceux qui voulait un changement, c'était de faire ce qu'on avait fait l'année dernière. C'était le seul moyen, et il aurait fallu très peu de temps pour réussir. Encore une campagne comme celle de l'année dernière, et l'opposition eût été singulièrement affaiblie. La question du budget de la guerre avait fait d'immenses progrès dans le pays.

J'entendais dire hier que le gouvernement est quelquefois tenu de céder à des opinions qu'il ne partage pas.

Oui, messieurs, quand ces opinions ont, à défaut de raisons, de grandes chances de succès , lorsque leur force est en progrès et que l'on peut prévoir qu'il sera impossible de leur résister. Mais quand ce sont des opinions qui déclinent, quand ce sont des opinions qui perdent chaque jour du terrain dans le pays, pourquoi leur céder, si, d'ailleurs, il n'est pas démontré que la raison est de leur côté?

Rappelons-nous, messieurs, ce qui s'est passé depuis quelques années.

En 1847, le budget de la guerre était de 29,400,000 fr. Eh bien , à cette époque, ce budget de 29,400,000 fr. ne rencontrait plus dans cette chambre que trois adversaires; il fut adopté à l'unanimité moins trois voix. Ces trois voix étaient celles de MM. Delfosse, Osy et d'un troisième membre qui ne fait plus partie de cette chambre.

L'honorable M. d'Elhoungne, comme ses deux collègues de Gand, votèrent pour le budget de 29,400,000 fr. Les élections de 1847 eurent lieu, un certain nombre de membres nouveaux entrèrent dans la chambre.

Au mois de décembre, le budget fut discuté. Qu'arriva-t-il? Le budget, qui était de 28 millions et quelques centaines de mille francs, fut voté avec une opposition de 10 voix, composée en grande partie de membres nouveaux.

A ce sujet, messieurs, permettez-moi de faire une observation. Depuis que je siège dans cetle assemblée, j'ai souvent remarqué que lorsqu'il entre dans cette chambre des membres nouveaux, ils arrivent presque tous avec cette idée qu'il y a dans les budgets beaucoup de dépenses non motivées ou qu'on peut réduire. Le premier budget qui se présente à eux, ils croient qu'ils vont faire de très grandes réformes et ils sont tout étonnés, après la discussion du budget, de voir que les dépenses sont beaucoup mieux motivées et les abus beaucoup moins importants qu'ils l'avaient cru.

Quant au budget de la guerre, comme l'examen en est plus difficile, comme il exige des connaissances spéciales que la plupart d'entre nous ne possèdent pas, les idées dont je viens de parler persistent plus longtemps, on continue un peu plus longtemps à croire à l'énormité des abus; mais, après quelque temps, on s'informe, on prend des renseignements, on entend les discussions, et on finit par se convaincre que là aussi il n'y a pas ces montagnes d'abus qu'on avait cru apercevoir du dehors.

(page 517) Messieurs, en 1848, à la suite d'une nouvelle loi électorale, à la suite de la loi des incompatibilités, un grand nombre de membres nouveaux entrèrent dans cette chambre. Ils avaient été élus au milieu de cette émotion qui se propagea par toute l'Europe à la suite des événements de France, émotion qui, d'ailleurs, aboutit à des bouleversements et qui, en Belgique, se borna à mettre le mot « économies » en plus grande faveur que jamais.

N'était-il pas naturel que parmi ces membres nouveaux, un certain nombre se montrât très difficile à l'égard du budget de la guerre ? C'est ce qui arriva en effet : ce budget, après avoir été vivement attaqué, rencontra une opposition de 32 membres, dont 23 faisaient partie de la chambre depuis un an ou depuis quelques mois.

Eh bien, messieurs, c'était là un fait très simple et très explicable. Que fallait-il faire? Il fallait tâcher de convaincre les membres nouveaux ; les éclairer, leur faire voir qu'on ne voulait que ce qui était raisonnable et que les abus n'étaient pas, après tout, aussi grands qu'ils se l'imaginaient, compter sur l'effet du temps et des discussions. C'est ce qu'on fit et au bout d'un an, on avait déjà beaucoup obtenu. L'année dernière, en effet, l'opposition était déjà singulièrement affaiblie.

M. Delfosse. - C'est le contraire.

M. Devaux. - Je sais bien que l'année dernière il y a eu contre le budget de la guerre le même nombre de voix qu'en 1848, mais l'opposition n'avait plus, à beaucoup près, la même énergie; elle se tenait en quelque sorte sur la défensive ; il fallait exciter son courage ; il fallait exciter jusqu'à ses chefs pour leur faire prendre la parole.

M. Delfosse. - Dites plutôt qu'il a fallu poser une question de cabinet.

M. Destriveaux. - Il n'y a jamais eu de chefs dans la chambre. Nos votes sont spontanés et libres. N'ous n'avons pas des partis organisés.

M. Devaux. - Dans tous les partis il y a des hommes qui ont plus d'influence que les autres, sans que ceux-ci doivent en être humiliés.

Voilà, messieurs,ce qui est arrivé et si le gouvernement avait persisté dans la marche qu'il avait suivie, il n'y a pas de doute que cette opposition se serait amoindrie encore, que beaucoup de membres qui avaient débuté par s'opposer au budget de la guerre n'eussent fini par revenir de cette opposition. Il n'y a, dans ce que je dis, rien de désobligeant pour personne. En entrant dans la vie politique, on ne connaît pas les faits administratifs aussi bien que quand on les a vus de près pendant quelques années dans cette chambre.

Dans la carrière politique, il y a toujours, quelque vieux qu'on soit, quelque chose à apprendre et pour moi je me croirais arrivé au terme de ma vie parlementaire si je m'apercevais qu'elle ne m'apprend plus rien.

Aujourd'hui, messieurs, la situation est bien changée : l'opposition, ou l'a encouragée; les espérances sont ravivées. Il en sera dans le pays comme dans la chambre, les hostilités contre le budget de la guerre reprendront faveur; l'opinion qui avait reculée, regagnera le terrain perdu. De nouvelles exigences peut-être naîtront sous cette influence.

Le gouvernement, qui aura donné l'impulsion, sera-t-il maître d'arrêter ces mouvements nouveaux? Il le croit, il l'espère; puisse-t-il ne pas y rencontrer de nouvelles et sérieuses difficultés.

Le vote des impôts, dit-on, présentait des difficultés; car, d'une part, le budget de la guerre ne passait qu'à l'aide des voix de l'opposition ordinaire. Cette opposition se refuserait probablement à voter des impôls nouveaux. D'autre part, quelques-uns des membres qui avaient voté contre le budget de la guerre menaçaient, tant qu'on ne faisait pas justice à leur grief, de voter contre les impôts nouveaux. Cette position était difficile aux yeux du gouvernement.

Messieurs, je ne veux rien amoindrir; je crois qu'il y avait là certaines difficultés. On a nié, de la part de l'opposition, l'intention de refuser les impôts; eh bien, la faute de l'opposition a été de faire croire que, dans une intention de parti, elle pourrait les refuser : l'opposition, je le reconnais, donne aujourd'hui un bel exemple, un exemple que du reste lui avait donné l'opposition libérale qui l'a précédée; c'est de mettre la question du budget de la guerre au-dessus des discussions de partis.

Mais, messieurs, pour que le fait fût efficace il faudrait mettre aussi les questions d'impôts au-dessus des questions de partis, aussi longtemps du moins que la question du budget de la guerre peut en dépendre. Or, on craignait que l'opinion catholique n'en eût pas agi ainsi, et l'on avait quelques raisons de le craindre, car cela avait été annoncé par quelques-uns des membres qui y appartiennent, non pas seulement au-dehors de cette enceinte, mais même au sein de cette assemblée. Des membres de l'opposition catholique ont dit, l'année dernière, dans la discussion même du budget, qu'ils ne voteraient pas d'impôts nouveaux.

D'autre part, car les torts ne sont pas tous d'un côté, quelques-uns des membres qui avaient refusé leur vote au budget de la guerre avaient annoncé qu'ils ne voteraient plus d'impôts aussi longtemps qu'ils n'obtiendraient pas justice de ce grief. C'était de leur part aussi un grand tort de ne pas laisser une pareille question sur le terrain supérieur qui lui convient; là aussi il y avait un grand tort. On devait comprendre l'énorme différence qu'il y a entre une question de 1,400,000 fr. et une question de nationalité. On devait comprendre combien il y avait peu de raison à dire : Si vous ne voulez pas capituler sur une question qui pour vous est une question de nationalité, nous ne capitulerons pas sur une misérable question d'argent. Mais fallait-il prendre au mot les menaces faites de part et d'autre ? Qu'est-ce que le gouvernement devait faire en cette circonstance? Il devait compter sur les bons sentiments qui. après tout, existent des deux côtés. Je ne dis pas qu'il serait parvenu à faire voter toute l’opposition catholique en faveur des impôts, mais il aurait pu en détacher un certain nombre de voix ; et quant à la partie de l'opinion libérale qui avait voté contre le budget de la guerre, là quelques-uns peut-être lui auraient tenu rigueur, mais un plus grand nombre, dont les convictions étaient fort ébranlées, n'auraient pas voulu fractionner l'opinion libérale et compromettre sérieusement l'existence du ministère pour une question de 1,400,000 francs ; je crois que le gouvernement se trompe s'il pense que, même avec les concessions qu'il vient de faire à une partie de l'assemblée, il ne trouvera dans ces mêmes rangs aucune opposition aux impôts nouveaux.

Il ne faut pas se faire illusion : il ne faut pas, chez nous, compter sur l'unanimité pour le vote des impôts, ni même sur une grande majorité : en Belgique, les impôts passeront toujours difficilement, presque toujours à une faible majorité.

Il ne faut pas qu'un cabinet ou un ministre y attache légèrement son existence. Un ministre des finances qui a plusieurs impôts à proposer subira presque nécessairement au moins un échec.

Messieurs, la troisième raison qui porte le gouvernement à prendre l'attitude qu'il a aujourd'hui est encore une raison des plus respectables ; c'est qu'il veut rendre plus étroit le lien qui unit la majorité. Cependant, messieurs, reconnaissons-le, la prétention de tenir unie à jamais une même majorité sur toutes les questions, aurait de la peine à se réaliser d'une manière complète.

Dans tous les pays parlementaires, vous voyez, entre autres sur des questions analogues à celle-ci, vous voyez la majorité et la minorité disparaître et se confondre.

Ainsi, messieurs, lorsque, en France, on a discuté la question des fortifications de Paris, qu'avez-vous vu? Vous avez vu la minorité et la majorité se fractionner ; vous avez vu M. Thiers servir de rapporteur à la loi qu'avait présentée M. Guizot. Lorsque, en Angleterre, on propose des réductions sur la marine, les torys sont les alliés, je dirai presque naturels des whigs, contre une partie de l'opinion qui soutient le ministère. Sur une pareille question cela n'a rien d'anormal: cela est, au contraire, très naturel. Vouloir obtenir la fusion, une unité complète de la majorité sur toutes les questions, savez-vous ce que ce serait? C'est se mettre absolument sous la loi des plus exigeants; c'est condamner tout parti qui soutient un ministère à subir un tel joug.

Messieurs, on parle de conciliation; on parle de concessions faites de part et d'autre; mais jusqu'à présent, je vois une concession faite par le gouvernement; mais j'avoue que je ne vois pas de bien grande concession faite par ceux qui, l'année dernière, étaient dans la minorité.

Car enfin, le gouvernement propose de nommer une commission chargée de rechercher jusqu'à vingt-cinq millions les économies à faire et de revoir toute l'organisation militaire.

Mais, messieurs, la nomination de cette commission amène-t-elle la conciliation? Point du tout.

D'un côté, on ne s'engage pas; on acceptera seulement la conciliation lorsque le chiffre de vingt-cinq millions sera établi. Ainsi, ce n'est pas par une commission d'examen qu'il y a conciliation, mais c'est lorsque le gouvernement sera venu proposer ce que l'on exige, les vingt-cinq millions.

M. Delfosse. - Si on ne descend pas au chiffre de 25 millions, c'es que votre opinion aura prévalu; alors pourquoi vous plaindre?

M. Devaux. - Vous confirmez mon assertion. Il n'y a pas d'engagement d'un côté de descendre à 25 millions. Ainsi, jusqu'à présent, il n'y a rien de concilié; seulement on votera le budget de cette année.

M. Delfosse. - Permettez-vous que je vous donne une explication?

- Plusieurs voix. - Non ! non !

M. Delfosse. - Je n'insiste pas.

M. Devaux. - Messieurs, on a beaucoup d'égard pour une partie de l'opinion libérale, pour celle qui a voté l'année dernière contre le budget. Mais il ne faut pas oublier cependant que l'opinion libérale se compose de plusieurs nuances; il ne faudrait pas perdre d'un côté ce qu'on gagne de l'autre ; il ne faut point oublier qu'il y a dans l'opinion libérale du pays une nuance modérée, gouvernementale, qui fait très peu de bruit, qui menace très peu, qui se décide très lentement, mais qui, une fois qu'elle se décide, revient rarement sur ses opinions et est toujours d'un grand poids dans la balance des partis. Et remarquez-le bien, messieurs, rien de ce qui s'est fait de durable dans le pays, ne s'est fait contre elle, ni sans son concours.

C'est avec son concours que la Constitution s'est faite, c'est avec son concours que la royauté s'est faite, c'est avec son concours que s'est faite la paix et c'est avec son concours que s'est faite l'opposition. L'opposilion, messieurs, quand cette fraction de l'opinion libérale est venue s'y ranger, l'opposition avait ses rangs déserts, elle était impuissante; cette fraction de l'opinion libérale est venue lui apporter des principes, elle est venue lui apporter des principes gouvernementaux, un plan de conduite, des chances d'un succès qu'on croyait alors bien éloigné.

Messieurs, dans tout parti il y a des idées plus ou moins anti-gouvernementales. Ces idées peuvent être très consciencieuses ; je dis plus, dans un parti, dans une chambre, elles peuvent avoir un rôle utile, elles peuvent faire le contrepoids des exagérations opposées. Mais de pareilles idées ne doivent jamais approcher du gouvernement.

(page 518) De ce nombre, par exemple, est l'idée qui ne donne à notre armée que la destination d'une gendarmerie. En appelant une pareille idée anti-gouvernementale, je ne fais pas injure à ceux qui la professent ici. Je suis persuadé qu'eux-mêmes sont de mon avis, en ce sens que si l'un d’eux entrait dans un cabinet, son premier soin serait de laisser un pareil principe à la porte du ministère.

Le danger de céder à de tels principes serait grand pour un gouvernement, car s'il ne faut pas pécher par l'excès contraire, si le gouvernement ne doit pas exagérer le principe gouvernemental, il serait bien plus funeste encore de l'abandonner pour des principes contraires. La première de ces fautes, s'il en revient à temps, ne l'abaissez pas ; mais la seconde lui ferait perdre une dignité qu'il retrouve difficilement une fois qu'il l'a perdue.

L'union des partis est désirable sans doute, mais il ne faut pas l’acheter à tout prix, il ne faut pas que l'union des partis coûte trop cher à l'une ou à l'autre des fractions qui les composent; mieux vaut deux bannières qu'une seule dont toutes les couleurs ne seraient pas franches et pures.

Quant aux transactions, certes, j'ai montre ici depuis vingt ans que je savais faire des concessions raisonnables à mon parti, et il ne m'a guère rencontré comme obstacle. Mais il ne faut pas abaisser ou perdre une opinion pour la tenir unie. Mieux vaut se séparer que s'égarer ensemble.

Il y a quelques années, nos adversaires, qui pèchent précisément par un excès d'unité et parce que chez eux les plus modérés craignent trop de se détacher des autres, se réjouissaient de ce que l'opinion libérale se divisait. Parmi les premiers qui entreprirent ce fractionnement, on peut citer, je pense, MM. Frère et Delfosse. En cela ils ont rendu un grand service au pays, car, d'un côté, cette séparation des deux nuances de l'opinion libérale a fortifié la force morale de l'opinion modérée, et, d'autre part, on peut dire qu'elle a exercé l'influence la plus heureuse sur les destinées du pays à l'époque décisive de 1848. Si, à cette époque, les deux fractions avaient été confondues, si l'une avait encore pu entraîner l'autre, l'aspect du pays aurait peut-être été tout différent.

Cela prouve qu'il ne faut pas acheter l'union d'un parti à tout prix, que la division affermit quelquefois plus que l'union. (Interruption.)

Vous avez raison. Il faut estimer la force morale des partis plus haut que leur force numérique; ce qui fait leur puissance, c'est leur force morale.

Messieurs, le gouvernement, dans la question qui nous occupe, croit qu'il pourra résister aux exigences trop grandes de l'opinion à laquelle il cède, et il espère pouvoir les modérer. Je crains bien que ce ne soit là une complète illusion et que le gouvernement ne soit entraîné même à des concessions plus grandes, sans s'en apercevoir. Pour cela, je n'ai qu'à voir le chemin que déjà, sans s'en apercevoir, le gouvernement a fait depuis l'année dernière. Ne l'avons-nous pas entendu dire lui-même qu'il se croyait sur le même terrain que lors du vote du dernier budget ?

Et cependant quelle distance il a déjà franchie ! A l'époque même de la formation du cabinet, la position n'était pas encore ce qu'elle est devenue aujourd'hui.

On voulait des économies dans le budget de la guerre, mais à condition qu'un chef militaire considéré dans l'armée en prît la responsabilité. Aujourd'hui, quelle est la position? Elle est toute contraire. On désespère de trouver ce chef militaire considéré dans l'armée, qui prenne la responsabilité des économies, et on n'en persiste pas moins à les vouloir.

Dans la lettre écrite au général Brialmont, on disait qu'on voulait respecter la force organique de l'armée. Or, dans le langage franc, qui appartient à des affaires aussi importantes, force organique de l'armée voulait bien dire organisation.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pas du tout; il n'y a pas eu d'équivoque; on a substitué les mots : « la force organique, » à celui-ci : « l'organisation », afin de conserver toute liberté d'examen quant à la loi d'organisation. C'est après discussion et résolution en conseil que l'expression a été adoptée. On s'en est expliqué formellement avec le général Brialmont.

M. Malou. - Avant son acceptation?

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Après sa lettre. J'en ai fourni la preuve dans cette discussion.

M. Devaux. - J'accepte ce que vient de dire M. le ministre des finances; mais dans tous les cas « force organique » voulait dire quelque chose, et puisqu'on avait promis de ne pas toucher à la force organique, il y avait donc quelque chose de réservé. Aujourd'hui on ne réserve rien. Tout est livré à la révision de la commission. Si force organique ne voulait pas dire organisation, cela voulait dire au moins la force effective de notre armée sur le pied de guerre. Eh bien, cet effectif lui-même, on ne l'a pas réservé. Que de concessions donc on a déjà faites depuis la formation du cabinet !

Vienne maintenant la composition de la commission.

C'est là que sera le premier écueil. C'est là que le ministère va voir se dresser devant lui les exigences de ses alliés.

Il faut, dira-t-on, des hommes impartiaux. Eh bien, des généraux sont-ils des hommes impartiaux ?

Oh! non; ils sont intéressés; ils prennent part au budget ; ils ne sont donc pas dans une position impartiale. Si on les admet, ce sera par une espèce de tolérance.

Je crains même qu'il ne soit pas libre au gouvernement d'appeler à faire partie de la commission le général qui a défendu ici avec tant d'éclat et de mérite le budget et l'organisation de l'armée. Je crains fort que, d'après les exigences des amis du gouvernement, ce militaire eminent ne soit exclu de la commission ou certes sa place est bien marquée.

M. d'Elhoungne. - Ce n'est pas le moment de parler de lui !

M. Devaux. - Ce n'est pas le moment de parler de lui 1 dit déjà l'honorable M. d'Elhoungne. Je ne concevrais pas que parce qu'un militaire se serait montré trop susceptible sur son honneur, il fût indigne d'être membre d'une commission dont sa capacité si bien prouvée l'appelle à faire partie. Voici déjà un exemple de la pression qui s'exercera sur le gouvernement, s'il ne lui est pas permis de faire un pareil choix.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pourquoi pas ?

M. Devaux. - Nous verrons.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Il y a huit jours, son nom était en tête de la liste. Je l'affirme sur l'honneur.

M. Devaux. - Si l'on veut me laisser aller jusqu'à la fin, on verra qu'il n'y a rien dans ce que je dis dont on puisse s'irriter. Il n'y a rien de personnel pour les ministres. J'indique seulement les conséquences de la position qu'on prend. Je dis que telles seront les exigences des amis du ministère sur cette question, que la commission ne leur paraîtra composée d'une manière impartiale que si elle est composée en grande partie d'hommes qui, dans cette enceinte ou au-dehors, se soient déjà prononcés dans le sens de l'opposition de l'année dernière.

On dira : Un membre du cabinet siégera dans la commission. Eh bien, tant pis! Individuellement, j'ai toute confiance dans les membres du cabinet. Mais dans la position fausse où ils se trouvent, je dis que si un membre du cabinet faisait partie de la commission, il verrait les choses du point de vue ministériel, qui est d'arriver au chiffre de 25 millions et de rester unis à ceux qui exigent ces économies. Il est évident que la politique du ministère, son amour-propre est engagé à se mettre d'accord avec ses alliés. Dans quelle situation serait-il si, dans un mois, il venait dire : Je ne suis plus d'accord avec ceux qui m'ont amené à nommer une commission. J'ai eu tort. Vous avez raison. Nous n'avons pu nous mettre d'accord ni sur la commission, ni sur les résultats de la commission. Que ferait le ministère dans ce cas? II se trouverait dans une très fausse position.

Je craindrais fort que, pour y mettre fin, il ne donnât sa démission; ce qui ne serait pas un moyen de terminer l'affaire même; car il léguerait sur ce point de très grandes difficultés à ses successeurs.

Mais, dit l'honorable M. d'Elhoungne, la chambre examinera, elle reste libre. Quand une commission sera venue porter le poids de son influence du côté de ceux qui voudraient une armée trop faible, ne sera-ce pas une grande difficulté que le gouvernement et le reste de la chambre auront à surmonter? Hier, l'honorable député de Gand et ceux qui siégeaient autour de lui s'écriaient: Nous voulons tous une armée forte. C'est nous outrager que de croire que nous accueillerons les résultats de la commission s'ils affaiblissaient l'armée.

Tous ces honorables membres s'écriaient : Oui, oui. Je leur en demande pardon, mais cette supposition ne serait point un outrage. Il en est parmi eux, et ce ne sont pas les moindres, qui ne veulent qu'une armée capable d'assurer la tranquillité intérieure; M. Delfosse et M. d'Elhoungne lui-même n'acceptent le chiffre de 25 raillions que comme transactionnel. Je ne puis donc croire que si la commission s'arrêtait à un chiffre inférieur, elle serait si mal reçue par eux.

Ce qui m'effraye surtout dans cette commission, ce n'est pas qu'elle examine les questions auxquelles a fait allusion l'honorable M. Delfosse, qu'elle s'occupe de la forme des épaulettes et des habits, ni même de certains détails secondaires de l'organisation ; mais c'est qu'elle va tout réviser, tout revoir sans limite aucune, c'est-à-dire tout ce qui intéresse notre établissement militaire, et par conséquent ce qui peut décider des destinées futures du pays. (Interruption.)

On peut rire. Sans doute pour ceux qui croient que l'armée est sans influence sur les destinées du pays, c'est risible. Mais permettez-moi d'avoir une autre idée de sa mission.

Ainsi, les questions les plus importantes pour le pays seront livrées à une commission que le gouvernement n'est pas maître de composer comme il veut, et dont même il lui sera difficile de prévoir tous les résultats.

Il aurait fallu au moins qu'une seule limile fût mise à cette commission; il aurait fallu que la force, que l'effectif de guerre restât en dehors des délibérations comme un principe sacré. Depuis nombre d'années, cet effectif de guerre est fixé à 80,000 hommes. Eh bien, je dirai que c'est là le droit acquis de la nationalité belge; c'est là son rang en Europe, c'est là sa force. S'il vous faut plus d'argent pour organiser ces 80,000 hommes en temps de guerre, c'est là une question toute secondaire. Mais dans ce chiffre est le rang de la Belgique. Quelques-uns veulent aujourd'hui réduire cet effectif ; les uns disent à 60,000 hommes, les autres à 50,000. D'autres parlent d'une armée en campagne de 32,000 hommes.

Messieurs, tout cela est facile à faire, c'est un moyen assuré de faire des économies. C'est pour cela qu'il est si fort à craindre qu'on y ait recours. Mais c'est là tout simplement faire déchoir la Belgique de son rang.

La Belgique est aujourd'hui une puissance estimée en Europe. C'est une puissance qui y a son rang, son rang d'Etat de second ordre. Eh bien, le chiffre de son effectif de guerre a une immense gravité (page 519) au-dehors. C'est là ce qui fixe notre importance; c'est là ce qui décidera, dans des moments de crise, la question de savoir si on prendra notre neutralité et notre nationalité au sérieux. C'est là ce qui décidera la question de savoir si vous trouverez des alliés pour vous défendre contre une agression ; car si vous avez besoïn d'une armée de 50,000 hommes pour vous soutenir, comme peu de puissances ont de pareilles forces disponibles, vous aurez peine à la trouver. Que si, au contraire, votre propre armée vous met à même de vous contenter d'un plus faible secours, il vous sera facile peut être d'engager quelque autre puissance dans vos intérêts.

De l'effectif de guerre dépend aussi la question de savoir si, dans le cas d'une pareille alliance, vous resterez maîtres chez vous, ou si l'étranger qui viendra à votre secours sera votre maître et disposera de vous comme le faisaient autrefois vos dominateurs étrangers.

Avant tout donc, c'était l'effeclif du pied de guerre qu'il aurait fallu maintenir à l'abri de toute incertitude que fera naître la nomination de la commission. Il fallait surtout ne pas avoir la malheureuse idée de subordonner un tel intérêt à de bien minces considérations financières.

Messieurs, il y a deux manières de comprendre l'importance de l'armée. Il y en a une qui consiste à dire : La Belgique est une petite nation; elle est entourée de puissants voisins; il lui faudrait trop d'efforts pour se défendre; c'est une utopie; nous n'avons pas cette énergie; ce n'est pas à nous à lutter contre les puissances qui nous avoisinent, que l'une d'elles se charge de ce soin. Ou bien : La guerre ne viendra pas. La guerre, c'est un préjugé. Il est bien vrai que, depuis un an, nous avons vu la guerre en Danemark, on Hongrie, en Italie. N'importe, la guerre est un préjugé, il n'y faut pas croire.

J'appelle cela l'opinion de l'imprévoyance ou du scepticisme politique.

Il y en a une autre qui consiste à dire au pays : Vous êtes de l'étoffe des nations vertueuses et courageuses. Rien ne vous manque pour faire comme elles.

Voyez ce que fait le Danemark ; voyez ce qu'a fait la Hongrie, ce que d'autres ont fait. Vous pouvez le faire et vous le ferez.

Cette opinion je l'appelle l'opinion patriotique.

Aujourd'hui, messieurs, si je ne m'associais à ce qu'on nous propose, si j'y associais ma responsabilité, je croirais, je l'avoue, tourner le dos à l'opinion patriotique, et tendre la main à l'opinion imprévoyante ou à l'opinion sceptique.

Je désire, et bien sincèrement, que dans l'exécution, à force d'habileté, à force de courage, à force de patriotisme, le gouvernement parvienne à surmonter les obstacles que je viens de lui signaler. S'il y parvient, personne ne sera plus heureux que moi de pouvoir accueillir dans cette enceinte les résultats auxquels il sera parvenu. Mais s'il y échouait, l'organisation qu'il viendrait nous présenter, je la combattrais avec énergie.

(page 514) M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, j'ai écouté avec l'attention la plus soutenue, la plus sympathique, les paroles si graves, si patriotiques qui viennent d'être prononcées par un de mes honorables amis.

Je l'ai trouvé toujours le même, dévoué avant tout aux intérêts do son pays, appréhendant tout ce qui pourrait porter atteinte à la force de nos institutions, tout ce qui pourrait menacer notre nationalité.

Je le remercie de son langage, je le remercie de ses appréhensions, je le remercie de ses conseils.

Lorsque des conseils, messieurs, sont donnés au banc ministériel par un homme convaincu, par un homme désintéressé, par un homme qui a rendu de grands services au pajs et à la cause que nous représentons ; de pareils conseils doivent être pris en mûre considération ; mais j'espère qu'à son tour mon honorable ami voudra bien aussi avoir quelque confiance dans mes paroles ; qu'il voudra bien se rappeler que moi aussi peut-être j'ai concouru à la fondation, à la consolidation de notre nationalité.

Autant que lui, je suis et je resterai le défenseur, le défenseur inflexible de toutes nos institutions; et particulièrement l'institution de l'armée n'aura rien à redouter tant que je siégerai sur ce banc.

L'honorable préopinant regrette la position nouvelle prise par le cabinet depuis la dernière session. Suivant lui, nous aurions fait des pas regrettables, des pas qui l'effrayent. Rien ne motivait un changement d'altitude. Au contraire, la minorité qui combattait le budget de la guerre par des raisons auxquelles lui-même il rend hommage, cette minorité allait, suivant lui, chaque année s'affaiblissant.

C'est là une erreur matérielle que constatent des faits inutiles à rappeler.

L'honorable préopinant a rappelé lui-même qu'avant de prendre l'attitude, l'altitude nouvelle si l'on veut, avec laquelle le cabinet se présente devant la chambre, mes honorables collègues et moi, nous avons cru devoir consulter plusieurs des hommes les plus considérables de notre opinion, sur la situation que faisaient au cabinet les votes antérieurs de la chambre, en ce qui concerne le budget de la guerre.

L'honorable M. Lebeau et l'honorable M. Devaux nous firent, en partie, les mêmes observations qu'ils ont répétées dans cette enceinte; mais ils ajoutaient qu'il fallait faire tous les sacrifices, tous les efforts pour tâcher de conserver intacte la position politique, l'union dans le gouvernement et dans la majorité. Voilà les conseils que, dans votre patriotisme, vous nous avez donnés, en faisant, je le reconnais, vos réserves en ce qui concerne le budget de la guerre.

Il y avait d'autres hommes considérables dans cette réunion, des hommes considérables de l'opinion libérale qui ont aussi rendu des services au pays, qui continuent à en rendre, et dans le patriotisme desquels nous devons aussi avoir confiance.

Il y avait des hommes qui avaient voté avec le cabinet l'année dernière, qui avaient soutenu le système du gouvernement l'année dernière, et ces mêmes hommes, je les nommerai, furent d'avis qu'il y avait lieu de prendre une attitude nouvelle dans cette question.

L'honorable M. Dolez, dont vous ne suspecterez pas le libéralisme modéré, l'honorable M. Verhaegen, qui a parlé tout à l'heure, furent d'un avis opposé à celui des honorables MM. Lebeau et Devaux.

Tant que nous irons vers de pareils hommes, vers de pareilles opinions, je pense qu'on ne pourra pas nous accuser avec justice d'aller vers des opinions exagérées, vers des opinions qui seraient contraires à nos institutions, à la nationalité du pays.

En quoi consiste, en définitive, cette attitude nouvelle que nous aurions prise ? J'ai déclaré au commencement de cette discussion que nous ne faisons que continuer en très grande partie le rôle que nous avons pris dans les sessions antérieures; et, en effet, dans les sessions antérieures, les membres du cabinet n'ont jamais repoussé systématiquement toute économie, et ils étaient d'accord sur l'opportunité de nommer une commission pour examiner les questions relatives au budget de la guerre.

Notre honorable et regrettable collègue, le général Chazal, résista aux autres ministres : il crut qu'il n'était pas opportun de nommer une commission; mais par concession, il déclara qu'il choisirait un certain nombre d'hommes spéciaux et capables auxquels il soumettrait l'examen de toutes les questions qui concernent notre établissement militaire. Nous voulions des hommes spéciaux réunis en commission; l'honorable général Chazal nous fit la concession de promettre à la chambre de soumettre toutes les questions à des hommes spéciaux ; nous dûmes, par esprit de conciliation , pour maintenir l'union dans le gouvernement, accepter cette concession; mais nous réservâmes notre opinion personnelle qu'il y avait opportunité de soumettre ces questions à une commission. Le départ du général Chazal nous rendit à tous notre liberté, et c'est alors que nous reprimes l'idée de faire examiner par une commission les questions qui concernent notre établissement militaire.

Nous y joignîmes la pensée de tâcher d'arriver en même temps à des réductions, et nous ne dissimulons pas que cette pensée nom était particulièremen dictée par le désir de ramener à nous, sur cette question si importante, une grande partie de notre opinion qui ne nous y suivait pas.

$(mauvaise césure de ligne) était parti de la part de qui ? De la part de ceux que nous avons combattus plusieurs

Trois motifs ont guidé notre conduite, et l'on veut bien reconnaître que ces motifs avaient un côté honorable, sérieux. Nous avons voulu établir sur une base fixe une institution qui, chaque année, était soumise aux fluctuations parlementaires, à l'instabilité des votes, aux caprices des partis.

Pour cela, nous dit-on, vous cherchiez la base fixe dans le chiffre rond de 25 millions.

Non, messieurs, la base fixe sur laquelle nous voulons établir l'armée n'est pas un chiffre rond de 25 millions : la base fixe sur laquelle nous avons le dessein, sur laquelle nous avons l'espoir d'établir l'armée, c'est un vote parlementaire assuré, c'est l'accord passé dans la chambre de ne plus contester à l'avenir le budget de la guerre. Voilà la base fixe qui nous manque entièrement aujourd'hui et que nous voulons rechercher.

C'est là le vote fixe que nous avons en vue et que nous espérons rencontrer lorsque les idées de conciliation qui se sont si heureusement manifestées dans cette discussion, et qui ne feront que s'accroître par la réflexion, le désir de s'entendre et la nécessité de rester unis, lorsque ces idées, dis-je, auront produit tout leur effet, alors, messieurs, notre but se trouvera complètement et heureusement atteint. Je crois que mon honorable ami aurait dû, sous ce rapport, rendre hommage à l'esprit de conciliation qui s'était si heureusement manifesté dans cette discussion depuis quelques jours; il aurait dû encourager cet esprit et ne pas montrer une pareille défiance à son égard.

Nous recherchons, dit-on, un autre but, et ici encore on rend hommage à notre intention; nous voulons faciliter dans cette chambre le vote des impôts, l'amélioration de notre situation financière.

Oui, messieurs, c'est encore un deuxième but que nous recherchons, c'est un but que, plus que jamais, nous avons l'espoir d'atteindre, c'est un but qui nous a échappé dans les sessions antérieures et que nous avons aujourd'hui, je le répète, sinon la conviction, au moins la confiance d'atteindre. Nos honorables amis sentiront la nécessité, dans les circonstances où nous nous trouvons placés, de prêter un nouvel appui au gouvernement pour l'aider à rétablir l'ordre, l'équilibre dans les finances.

C'esL une mission encore que l'opinion libérale doit remplir, c'est un nouveau service que l'opinion libérale doit rendre au pays; c'est une faute des anciennes administrations que l'opinion libérale, d'accord avec le gouvernement, doit réparer. Par là, messieurs, l'opinion libérale aura rendu un service sérieux à l'armée; car quelles sont les causes de nos dissentiments, de nos discussions à l'égard du budget de la guerre ? C'est que, relativement à nos ressources, ce budget paraît trop élevé. Augmentez les ressources, asseyez la situation financière sur une bonne base, et dès lors vous aurez fait plus pour le sort de l'armée, pour la destinée de l'armée dont je ne me détacherai jamais, vous aurez fait beaucoup plus pour l'armée que ne peuvent faire tous les discours les plus éloquents, les plus patriotiques que nous avons entendus dans cette enceinte, et particulièrement les discours de ceux qui nous ont combattus plusieurs années de suite sur le terrain où ils se placent aujourd'hui; de la part de ceux qui, si cela dépendait d'eux, auraient réduit l'armée à cette situation précaire qu'on dépeignait tout à l'heure.

M. Malou. - Nommez-les!

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - De la part de ceux qui, venant aujourd'hui jeter des fleurs sur le général de Liem, tombé glorieusement sur le champ de bataille parlementaire, ont concouru à lui donner la mort.

M. Malou. - J’ai ramassé ces fleurs dans votre jardin.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Ce n'est pas à vous de faire de pareilles allusions. Nous ne renions rien de notre passé. Le général de Liem, nous l'avons soutenu contre vous; le général Dupont, l'auteur de cette loi d'organisation devant laquelle il paraît qu'il faut aujourd'hui s'incliner, sous peine de passer pour mauvais citoyen, le général Dupont eût été également sacrifié sans nous; vous le renversiez également sur le champ de bataille ; c'est notre vote qui a sauvé, contre vous, l'auteur de la loi d'organisation.

J'aurais pour nous son propre témoignage qu'au moment où vous le combattiez j'ai fait, je puis le dire, changer la décision de la majorité. Au sortir de la séance, j'invoque ici son témoignage, M. le général Dupont vint à moi; il me donna la main et me dit : «Vous avez sauvé la question ; vous avez sauvé le ministère. »

M. Dumortier. - Vous m'avez dit la même chose l'an dernier, à la fin d'une séance. (Interruption.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Je ne me rappelle pas ce que j'ai pu dire l'an dernier à l'honorable membre qui m'interrompt, mais cela ne change pas un mot à ce que m'a dit M. le général Dupont. Voilà comment, dans ce temps-là, l'opposition d'aujourd'hui défendait les budgets de la guerre et les ministres de la guerre, et lorsque, après avoir joué ce rôle, on veut ici occuper le premier rang parmi les défenseurs de l'armée et jeter la pierre à des hommes qui, comme nous, font toujours défendue, je dis qu'on ne peut espérer d'exercer un grand crédit dans une pareille discussion.

(page 515) A la même époque, en défendant le budget de la guerre, quel rôle prenions-nous? Nous ne cessions de vous répéter :« Nous sommes favorables à l'armée; maïs si vous voulez une bonne armée, une organisation solide, il faut, avant tout, une bonne situation financière. Renforcez donc votre situation financière, ne craignez pas de venir demander des impôts. » Mais vous êtes constamment restés sourds à cet appel. Nous vous promettions, nous, de voter les crédits nécessaires à l'armée, et nous vous promettions en même temps le vote des impôts si vous les aviez proposés. Mais jamais nous n'avons pu obtenir de vous la moindre proposition d'impôt, bien que la situation du trésor se trouvât bien pire encore qu'elle ne l'est aujourd'hui. (Interruption.)

Je prie M. le comte de Mérode de ne pas m'interrompre. Il est l'auteur d'une proposition de réduction à 25 millions; il me semble dès lors qu'il devrait plus que tout autre s'abstenir de m'interrompre. L'honorable M.de Mérode a trouvé que l'armée coûtait trop cher; dans d'autres temps, il a combattu ce qu'on appelle la quantité pour préconiser ce qu'on appelle la qualité ; ces expressions sont de lui. N'interrompez donc pas, M. de Mérode, tâchez plutôt de faire oublier cet antécédent.

Nous avons, dit-on, un troisième motif, et ce motif, on veut bien reconnaître qu'il est également respectable. Nous sommes heureux de constater que notre ami veut bien trouver au moins trois motifs honorables à notre détermination. Nous voulons, dit-il, unir la majorité, nous voulons l'unir à jamais sur toutes les questions. Oui, messieurs, nous voulons tenir unie la majorité. L'unir à jamais, nous ne prenons pas un pareil engagement. Mais nous cherchons à la tenir unie plus fortement et le plus longtemps possible.

Oh! oui, c'est notre vœu, c'est notre but; c'est notre ambition ; c'est la réalisation de ce que mes honorables amis et moi avons cherché pendant six années que nous avons siégé sur les bancs de l'opposition.

Nous avons, étant dans l'opposition, fait des transactions ; nous avons plus d'une fois (et en cela je ne regrette rien de ce que j'ai fait) tendu la main à une nuance de l'opinion libérale qui n'était pas la nôtre. Ce passé, je ne le renie pas; ce passé, je m'en applaudis; ce passé, nous l'avons continué dans le gouvernement, et nous continuerons à le maintenir.

L'ancienne opinion libérale modérée a rendu de très grands services au pays; mais l'opinion libérale tout entière, l'opinion libérale nouvelle, celle-là aura aussi un passé glorieux à revendiquer.

L'opinion libérale ancienne a rendu de grands services en 1830 et pendant les années qui ont suivi.

L'opinion libérale formée de tous les éléments, de toutes les nuances constitutionnelles du libéralisme, celle-là aussi a rendu des services ; elle a eu 1848 et les années qui l'ont suivi. Elle a eu l'honneur insigne de donner au pays la paix, la tranquillité, la prospérité et l'extension de toutes ses libertés, en lui permettant de les pratiquer librement, et comme elles ne le sont dans aucun autre pays du monde. Voilà les titres de gloire qu'a conquis l'opinion libérale telle qu'elle est aujourd'hui constituée et à laquelle je m'associe entièrement.

On exprime des appréhensions non pas sur la conduite générale du cabinet avec lequel, si je ne me trompe, on a annoncé qu'on marcherait, mais l'on se livre à des appréhensions sur la composition de la commission et sur ses travaux.

Cette commission sera mal composée, vous allez lui livrer les destinées du pays, quelle imprévoyance ! quelle imprudence !

Et où a-t-on vu que cette commission serait composée d'éléments dangereux, d'éléments imprévoyants, d'éléments dissolvants ? On voudra bien nous supposer, je crois, sinon la faculté de diriger les travaux de cette commission, au moins celle de savoir choisir les hommes qui se recommandent par leur patriotisme, par leurs lumières, par leur expérience !

Mon honorable ami a cité un nom, il aurait pu en citer un second ; lui-même, s'il consentait à appliquer aux travaux de cette commission les idées et les sentiments qui le dirigent, il le sait, il est le second auquel j'ai fait des ouvertures pour entrer dans cette commission.

Cela prouve, messieurs, dans quel esprit nous entendons composer cette commission; nous voulons que toutes les opinions y trouvent leur satisfaction; nous voulons que l'armée y trouve, avant tout, des garanties. Est-ce donc avec quelque ombre de raison qu'on s'effraye à la seule apparence d'un examen fait par une commission composée d'hommes dont on n'a pas le droit de se défier, et qu'on paraît croire que les travaux de cette commission ne pourront amener que des résultats fâcheux!

Nous allons, dit-on, remettre tout en question, nous allons tout réviser. Mais qu'annonçons-nous, messieurs? Nous allons examiner toutes les questions, nous allons revoir, par les yeux d'une commission, les différentes lois qui régissent nos institutions militaires, revoir les différentes conclusions déjà produites par des commissions en ce qui concerne notre système défensif.

Voilà, messieurs, quels seront les travaux de la commission. Elle reverra ce qui a été fait, elle reverra les différentes lois, elle soumettra ses conclusions au gouvernement tout entier, aux ministres et au Roi. Lorsque ces conclusions auront été examinées par le gouvernement, s'il les trouve de nature à satisfaire aux besoins de l'armée, s'il les trouve conformes aux vrais intérêts du pays, le gouvernement viendra les proposer à la chambre, après les avoir formulées en loi. Si elles ne vous conviennent pas, si, en effet, vous y trouvez en réalité ce qui aujourd'hui n'existe que dans votre imagination, alors vous serez appelés à venir faire à ce projet de loi l'opposition anticipée, prématurée, inopportune que vous faites aujourd'hui contre de simples rêves.

Je m'étonne, quant à moi, que l'honorable M. Devaux, ce respectable et honorable ami, recule devant l'examen d'une commission et se montre complètement rassuré sur notre établissement militaire, lui qui, lorsque notre organisation militaire fut discutée, déclara ne pas avoir la moindre confiance dans ce qui se faisait, soutenant que tout, en cette matière, dépendait de la question des forteresses, qu'aussi longtemps que cette question ne serait pas résolue, rien de stable, rien de durable, rien de sérieux ne pouvait se faire en organisation militaire. Eh bien, quand cette commission examinerait sérieusement, d'une manière approfondie, cette question importante sans la solution de laquelle je pense aussi que le système de la défense militaire ne repose sur aucune base sérieuse, quand la commission examinerait cette question et la résoudrait, où serait le mal? Ne serait-ce pas rendre un immense service au pays que de débarrasser sa constitution militaire de cette grande difficulté ?

Tous les hommes, tous les orateurs qui ont pris la parole dans cette enceinte, sur tous les bancs, se sont accordés pour dire que la loi d'organisation, devant laquelle vous vous inclinez aujourd'hui sans oser pour ainsi dire la regarder, serait incomplète, insuffisante, insignifiante, aussi longtemps que la question des forteresses ne serait pas résolue. C'était l'opinion de nos amis, c'était aussi celle de M. Dumortier, de M. de Theux. et d'autres hommes considérables de cette chambre.

Je n'aime pas à recourir à ce genre d'argument qui consiste à reproduire par extrait des discours qui ont pu être prononcés à diverses époques par divers orateurs ; j'ai là une multitude d'extraits de discours, ce que je viens de dire en est le complet résumé; j'en épargnerai la fastidieuse lecture à la chambre.

Messieurs, après d'aussi longs débats, après les divers incidents qui ont signalé cette discussion, après les reproches qui nous ont été adressés, qui nous touchent peu de la part de nos adversaires, mais qui nous touchent beaucoup de la part de quelques-uns de nos amis politiques, nous sommes en droit, je pense, de demander à la majorité de cette chambre une explication nette et précise sur ce qu'elle pense de la conduite et de l'attitude du gouvernement ; nous sommes en droit surtout de demander à l'opposition, dans ses éléments actuels, de formuler un vote qui avertisse, qui arrête, s'il se trompe, le gouvernement. De cette façon, le gouvernement sera éclairé dans sa marche; il ne lui convient pas de suivre une ligne de conduite qui aurait la désapprobation implicite de la chambre ; il faut qu'il sache qu'il est fortement appuyé par une grande majorité de cette chambre.

Fortement appuyé, il ne pourra que poursuivre son œuvre avec plus de persévérance, avec plus de confiance en lui-même. La question est aujourd'hui très simple : Approuve-t-on le gouvernement de faire examiner par une commission qu'il nommera (ce que nous avons combattue l'année dernière, c'est une commission nommée, imposée par la chambre), les diverses questions qui concernent notre établissement militaire?

Voilà, messieurs, je pense, une question qui pourrait être posée à la chambre; si elle est résolue dans un sens favorable, la chambre déclarera que le gouvernement fait bien de suivre la ligne de conduite qu'il a adoptée; si elle est résolue dans un sens contraire, le gouvernement pourra reconnaître qu'il s'est trompé; mais personne ne sera en droit de mettre en doute les intentions patriotiques et loyales qui le dirigent.

M. Delehaye. - M. Jullien a déposé plusieurs amendements-au projet de loi sur le régime hypothécaire. Ces amendements seront renvoyés à la commission.

- La séance est levée à cinq heures et un quart.