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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 13 mai 1851

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1850-1851)

(Présidence de M. Verhaegen.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1327) M. A. Vandenpeereboom procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

- La séance est ouverte.

M. T'Kint de Naeyer lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. A. Vandenpeereboom fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les membres du conseil communal et plusieurs propriétaires et cultivateurs de Deurne demandent une loi qui déclare non imposables les vidanges et autres engrais nécessaires à l'agriculture. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du conseil communal de Wenduyne demandent que le gouvernement puisse assurer un minimum d'intérêt de 4 p. c. aux concessionnaires d'un port de pêche et de cabotage à Blankcnberghe et d'un chemin de fer de cette ville à Bruges. »

« Même demande des membres du conseil communal de Stalhille. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Zonnebeke demande que la société concessionnaire du chemin de fer de la Flandre occidentale soit autorisée à construire un chemin de fer de Deynze à Ypres par Thielt et Roulers en remplacement de la ligne de Courtray à Ypres par Menin et Wervicq. »

- Même renvoi.


« Le sieur Henri-Emile Thiebaud, élève à l'académie royale d'Anvers, né en cette ville, demande la naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Plusieurs habitants de Wervicq demandent l'exécution du chemin de fer de Courtray à Ypres et Poperinghe par Menin et Wervicq. »

« Même demande des membres du conseil communal de Locre, Dranoutre, Lauwe, et des habitants de Becelaere, Dranoutre et Voormezeele. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Romain Raikem prie la chambre de ne voter aucun impôt qui soit destiné à de nouveaux travaux publics. »

- Même renvoi.


« Le sieur Edouard Carimantrant, teneur de livres, à Couvin, né à Raveau (France), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


M. le ministre de la justice renvoie, avec les renseignements y relatifs, la demande du sieur Louis Strens, qui sollicite la naturalisation ordinaire.

- Renvoi à la commission des naturalisations.

M. Ansiau demande un congé, pour cause d'indisposition.

- Accordé.

Projet de loi modifiant les limites entre la ville de Bruxelles et les communes d'Ixelles et de Saint-Josse-ten-Noode

Rapport de la commission

M. Thiéfry. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la commission spéciale qui a été chargée d'examiner le projet de loi, ayant pour but la délimitation de la ville de Bruxelles avec les communes d’Ixelles et de Saint-Josse-ten-Noode.

Projet de loi ouvrant des crédits extraordinaires et supplémentaires au budget du ministère des travaux publics

Rapport de la section centrale

M. Dumon. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi ayant pour objet d'ouvrir des crédits extraordinaires et supplémentaires au département des travaux publics.

- Les rapports seront imprimés et distribués. La chambre les met à la suite de l'ordre du jour.

M. Delehaye remplace M. Verhaegen au fauteuil.

Projet de loi sur les successions

Discusison générale

La parole est à M. Veydt.

M. Veydt. - Messieurs, lorsque j'ai vu deux anciens ministres des finances prendre part à la discussion dès le premier jour de son ouverture, j'ai compris que très probablement mon tour viendrait aussi d'y intervenir. L'occasion m'en a été fournie directement par l'honorable M. Malou. Je n'éprouve aucun embarras ni aucun empressement à parler de mon court passage aux affaires ; je puis le faire avec une entière tranquillité d'esprit.

Il y a eu deux époques bien distinctes : l'époque anormale, où il fallait, avant tout, pourvoir aux besoins que de graves événements firent naître. Je n'ai pas à en parler. Le pays a apprécié la conduite du cabinet ; et depuis ç'a été une satisfaction pour lui et pour le ministre des finances de 1848, qui supporta une grande part du fardeau, d'entendre dire dans les deux chambres, même par des orateurs qui avaient combattu les mesures dictées par les circonstances, qu'elles avaient été opportunes et efficaces et qu'elles avaient puissamment contribué à maintenir la tranquillité du pays.

Mais, messieurs, il peut y avoir utilité à rappeler ce que le cabinet du 12 août fit dès son entrée aux affaires, parce qu'il en résulte la preuve qu'il sut mettre, dès le début, ses actes d'accord avec ses paroles, d'accord avec le langage qu'il avait tenu en étant opposition.

Mon honorable prédécesseur et ami, M. Malou, avait présenté les projets de budgets des dépenses et le budget des voies et moyens pou 1848 au commencement du deuxième trimestre 1847. Dans la séance du 12 avril, il présenta ce dernier. En les examinant, le cabinet nouveau se prescrivit pour règle de n'y apporter que le moins de modifications possible. Il se borna à faire ce qui était reconnu indispensable pour approcher d'autant plus de la vérité et mettre à profit les faits qui s'étaient révélés durant les sept derniers mois. Le résultat de cette révision fut communiqué à la chambre dans la séance du 12 novembre, à l'ouverture de la session.

Le projet de budget des voies et moyens du 12 avril 1847 s'élevait au chiffre de 117,013,500 fr. Les dépenses étaient présumées devoir atteindre 115,245,112 fr. A ce compte, il y aurait eu un excédant de 1,768,000. C'était fictif. Le montant du budget des travaux publics de 1847 n'était pas connu. La loi du 9 mai le régla à la somme de 16,301,000 fr. ; on avait calculé sur 15,332,000 fr. Voilà déjà l'excédant présumé amoindri d'un million. Une autre augmentation de dépenses pour le budget de la justice acheva de le faire disparaître. L'expérience avait constaté qu'il fallait, pour éviter des crédits supplémentaires, augmenter les allocations pour frais de justice et pour l'entretien des détenus dans les prisons d'une somme de 681,000 fr.

De nouvelles dépenses nous étaient encore révélées. Les besoins du chemin de fer étaient très considérables Au lieu de pouvoir nous borner à un budget des travaux publics de 16,300,000, comme pour 1847, il y eut nécessité d'élever le chiffre à 17,833,000 ; c'était la vérité, car les chambres approuvèrent le budget pour 1848 à 17,593,400 fr.

Il y eut ainsi des dépenses prévues, je puis dire très voisines de la réalité pour 118,460,000, au lieu de 115,245,000.

Et quant aux ressources probables, après une révision attentive et compensation faite de la diminution de 500,000 fr. sur le produit présumé du chemin de fer, avec les augmentations prévues, le budget fut présenté au chiffre de 117,254.000, c'est-à-dire à un chiffre très approchant de celui qui avait été indiqué à la date du 12 avril précédent.

Dès ce premier pas il existait un découvert de plus de 1,200,000 fr.

Quant au passé, le nouveau minisire des finances avait déjà acquis la conviction qu'il avait à pourvoir à 5,680,000 fr. de crédits supplémentaires, dont 1,302,000 pour les travaux publics ; 1,319,000 pour le ministère de la justice : c'était cette insuffisance que nous devions prévenir, en portant les 681,000 fr. dont j'ai parlé et le chiffre passablement gros de 1,558,000 fr. pour le ministère des finances.

Il existait en outre, comme plusieurs d'entre vous, messieurs, peuvent se le rappeler, une dette flottante de 25,500,000 fr. pour les travaux publics votes en 1845, 1846 et 1847, et uniquement payés avec des bons du trésor.

Tel était l'état des choses à la date du 12 novembre 1847. Le cabinet, sans se préoccuper alors du passé, comprit qu'il y avait des mesures énergiques à prendre pour assurer la situation du présent, pour avoir des budgets en équilibre.

Il s'appliqua à rechercher quelles nouvelles ressources pouvaient être trouvées. Le choix des impôts n'est jamais doux. Le meilleur ne vaut rien et le gouvernement est le premier intéresse à en être sobre. Mais il fallait choisir. Ce furent des modifications notables à la loi de 1817 sur le droit de succession qui nous parurent offrir le moins d'inconvénients.

Le droit extrêmement modique pour la ligne directe, et je n'en veux moi-même qu'à cette condition, a rencontre beaucoup d'adversaires. Ils le combattent avec conviction ; je veux bien l'admettre. Mais ils admettront aussi qu'il y a chez nous la même conviction pour le défendre. Pour le juger il ne faut pas l'isoler, il faut le mettre en regard des autres impôts, que vous lui croyez préférables et qui peuvent fournir des ressources efficaces, en proportion de nos besoins.

Eh bien, pour moi, il n'en existe pas qui soit moins fâcheux, qui atteigne plus sûrement ce qui réellement existe, qui l'atteigne plus modérément, de manière à ménager non seulement le capital, mais même le revenu puisqu'il n'en demande qu'une légère quotité et une seule fois sur un très long espace d'années. L'impôt sur les successions en ligne directe existe en France, dans ce pays où tant de choses sont mobiles, depuis un demi-siècle. Le projet belge en a amélioré l'assiette et le mode de perception, il a en outre eu soin de ménager les tout petits patrimoines ; et quant à ceux qui possèdent, qui jouissent d'une certaine aisance ; ils ne seraient pas fondés à se plaindre si, au moment d'entrer en possession, l'Etat, contraint à s'adresser aux contribuables, vient leur demander 500 fr. pour 50,000, fr., 1,000 fr. pour 100,000 fr.., clairs et nets, déduction faite de toutes les dettes.

Quant au serment, qu'il s'agit de rétablir, la réduction très notable survenue dans les recettes depuis sa suppression en avait constaté l'efficacité. Je persiste à croire que le serment est efficace. Dans une succession où un grand nombre d’héritiers sont appelés, il suffit qu’il y en ait un qui soit oloyal, homme d’honneur, et certes, on n’ira pas jusqu’à dire (page 1328) qu’on ne peut compter sur une pareille exception, pour assurer la perception de la totalité du droit,

A présent, les valeurs mobilières, les valeurs de portefeuille, qu'il est si difficile d'atteindre, ne contibuent pas ou du moins ne contribuent pas pas équitablement. Rien ne justifie ce privilège.

Ici, messieurs j'étais d'accord avec l'honorable baron Osy ; nous avons souvent causé de cetle disposition du projet de loi. Des circonstances particulières nous avaient révélé les réticences, les fraudes, qui avaient été commises, et nous pensions, l'un et l'autre, qu'il était juste d'y mettre un terme.

J'ai eu le regret, ces jours-ci, d'entendre mon honorable ami nous dire que sa conviction d'autrefois était ébranlée. La mienne ne l'est pas, ni pour le rétablissement du serment, en ligne collatérale, ni pour un très léger droit de succession à charge de la ligne directe. Il est bon que vous le sachiez, messieurs, il est bon qu’on le sache ailleurs, car je ne voudrais pas qu'il y eût malentendu, ces deux mesures trouveront en moi un partisan, tant que j'aurai l'honneur d'avoir une place dans la chambre, et je m'applaudis d'être dans une parfaite communauté d'opinion avec des hommes considérables de cette assemblée.

Ceci soit dit pour la loi en discussion. Il me reste à parler d'autrce choses. Quelques mots d'aburd de mon arithmétique, de cette arthmétique ancienne, primitive, d'accord avec les faits. En la qualifiant ainsi, l'honorable M. Malou a voulu l'opposer à l'arithmétique de mon successeur. Mais, messieurs, son arithmétique, comme la mienne, est celle de la trésorerie. L'honorable M. Frère-Orban s'est applique à établir les conséquences qui en dérivent, en respectant les chiffres. en les acceptant comme la trésorerie les lui donne et comme je les ai acceptés. Le document présenté le 12 novembre 1847 rend compte de la situation générale du trésor au 1er septembre de la même année, telle qu'elle résultait alors des livres de la comptabilité générale, telle que les faits connus et définitifs à certains égards, et les faits probables et encore en cours d'exécution permettaient de l'établir. Les transferts, les imputations nouvelles, les crédits supplémentaires, et enfin le règlement des comptes par la loi, modifient ces sortes de situations ; elles n'en étaient pas moins vraies pour l'époque où elles étaient présentées.

L'honorable minisire des finances a les éléments pour établir la concordance entre ma situation et les siennes ; il le fera s'il le juge utile. Quant à moi, je ne m'étonne pas et cela n'a pu étonner mon honorable prédécesseur, d'avoir vu des excédants changés en découverts, l'année suivante. La même chose se présente pour l'exercice 1850. La situation de l'année dernière lui attribuait un excédant probable de 1,253,000 fr., qui est devenu un déficit de 3,627,617 fr. Est-ce le dernier mot de la situation ? Nous ne le saurons que lorsque le règlement définitif de l'exercice nous sera présenté, et, grâce à la régularité des écritures, nous serons unanimes, comme nous l'avons toujours ete en pareille matière, pour sanctionner, par notre vote, les résultats de la comptabilité. La mise en vigueur des dispositions de la loi améliore encore de beaucoup ce qui se pratiquait de mon temps.

On a parlé, dans une des séances précédentes, d'un travail rétrospectif fait par un homme très compétent. C’était, messieurs, dans la vue d'apporter plus de lumières sur notre situation financière que je contribuai a confirmer M. Hubert dans le projet qu'il avait couru et dont il vint me faire part.

La discussion sur la situation financièie, sur les années antérieures et sur les exigences du présent, s'engagea à l'occasion du projet de budget de la dette publique, dans les séances des premiers jours de décembre 1847. Elle fut vive ; tous les membres du cabinet y prirent part. Quant au passé, je m'appuyai sur les paroles qui ont encore été reproduites par l'honorable M. Frère-Orban, jeudi dernier, pour démontrer que MM. Malou et de Man d'Altenrode pensaient, comme nous, que la situation devait être fortifiée, notablement améliorée. Je citai aussi ce que MM.d'Huart, Smits, Mercier avaient dit dans le même sens, pendant qu'ils étaient au pouvoir.

L'honorable M. Malou n'était pas si convaincu qu'il y avait insuffisance de ressources. Tout ce qu'il reconnut, ce fut la nécessite pour un gouvernement comme le nôtre de faire, de temps en temps, de grands travaux d'utilité publique.

L'honorable baron Osy sut gré au ministre des finances de la fin de 1847 de la franchise de ses explications. Il ajouta que c'était une situation dont il fallait absolument sortir ; que sans cela nous étions menacés de périr par nos finances.

La discussion fortifia le ministère dans la voie qu'il s'était tracée. C’était une nécessité impérieuse pour lui d'améliorer la situation des finances de l'Etat. Il avait résolu de faire tous ses efforts dans ce but, lors de la discussion prochaine des modifications à la loi de 1847 sur les successions, disjointe du budget des voies et moyens : ce qui fut cause que celui-ci présenta une insuffisance consideiuble, eu égard à l'ensemble des dépenses.

Mais en même temps il fallait songer à procurer des travaux au pays, après les deux années calamiteuses qui avaient épuisé les ressources de la classe ouvrière.

Après s'être mis d'accord, le cabinet présenta, le 23 février 1848, ce projet de loi que l'honorable M. Malou a qualifié de faute plus grande que celle que ses amis politiques avaient commise en 1845 et pour lequel, a-t-il dit, vous n'aviez pas fait les ressources nécessaires. C'est à ce passage de son discours que j'ai demande la parole. Et en effet, messieurs, il m'importe d'établir que ce projet ne mérite pas les reproches qu'on lui a adressé.

Parlerai-je de sa date ? Qui prévoyait pour le lendemain les terribles événements qui éclatèrent comme la foudre ! A part quelques symptômes, qui ne devinrent alarmants que dans les tout derniers moments, il y avait depuis le commencement de février une reprise des affaires ; le cours des fonds publics s’améliorait chaque semaine. On croyait généralement à ue amélioration sensible, et si l’on demanda à la législature de pouvoir faire un emprunt à concurrence de 25,000,000 de francs, en dette consolidée, ou en titres à terme, de 4 à 5 ans de date, c’est que j’avais des offres positives pour ce dernier placement, au pair net de 5 p. c. Alors je n’eus plus de motif pour ne point partager l’avis de mes collègues, qu’il fallait s’occuper de travaux.

Mais ce qui était plus pressé, plus urgent encore, c'était de diminuer la dette flottante ; ç'a été ma constante préoccupation. Or, messieurs, sur les 25 millions, qui formaient, pour les années 1848 et 1849, la partie effective de l'ensemble des travaux s'élevant à 78,000,000 de fr., il devait être prélevé 8,500,000 fr. pour l’amortissement du tiers environ de la dette flottante. Vous le savez, quand les événements nous pressaient, il a fallu tenir en réserve, sur les emprunts forcés, le double de cette somme.

Après le prélèvement, 16,500,000 fr. seraient restés disponibles pour des travaux publics.

Les dépenses de cette nature, que vous avez autorisées depuis, s'élèvent au moins à cette somme, et c'est une chose curieuse de voir qu'elles ont été consacrées à des travaux mentionnés en première ligne dans le projet du 23 février 1848.

En effet, il était réclamé 800,000 fr. pour le canal de Deynze à Schipdonck ; vous avez voté en 1848, 1849 et 1850 1,250,000 fr. Pour le canal de Zelzaete, le projet demandait 870,000 fr. ; vous avez voté pendant les mêmes années 1,065,000 Les propositions pour la voirie vicinale 1,000,000, pour les améliorations agricoles 1,000,000 ; pour les voies navigables 1,400,000 fr. ; pour l'intruduction de nouvelles industries dans les Flandres 500,000 fr. ; pour aider à la construction et à l'ameublement d'écoles 1,000,000 ; pour l'amélioration des prisons, les travaux d'hvgiène publique, les essais de colonisation des indigents des Flandres 2,000.000 ensemble ; toutes ces propositions ont reçu, de la législature, des crédits qui approchent de ces chiffres et qui, dans certains cas, les dépassent. Ce n'étaient donc pas des hors-d'œuvre, puisque vous les avez approuvés durant la crise politique.

Il y avait un chiffre du 25,000,000 pour l'achèvement des travaux du chemin de fer, les stations, l'augmentation du matériel de transport. Cette forte somme avait été jugée nécessaire par le cabinet précèdent comme par nous. Il ne s'agissait d'ailleurs pas d'y pourvoir dans les deux premières années. Je n'ai pas pu me procurer à temps le relevé de ce qui a été dépensé de ce chef ; mais les ressources des emprunts forcés ont en partie servi à faire ce qui était le plus indispensable. D'ailleurs on pouvait différer sur les travaux nouveaux auxquels il convenait de donner la préférence ; mais nous étions tous d'accord qu'il fallait achever le plus promptement possible ce qui était commencé. C'est ce qui justifie si complètement la somme de 3,660,000 fr. comprise dans le projet pour le complément du canal de la Campine, auquel la législature paraît encore disposée à consacrer les premiers fonds qu'elle aura à sa disposition, tant il est regrettable de voir entièrement stériles les sommes que cette voie navigable a déjà coûtées.

Restent dans le projet quatre travaux : 1,025,000 fr. pour l'élargissement d'une partie du canal de Charleroy, depuis la 9ème écluse à la Sambre, et pour obvier aux débordements de la Sambrc dans le Hainaut. Les inondations du mois d'août 1850 ont fourni la preuve combien il eût été désirable que ces derniers travaux eussent été exécutés en temps utile ; et quant à l'élargissement des écluses, il était vivemerit sollicité et il le sera probablement encore, à la première occasion.

En second lieu ; 3,500,00 fr. pour l'établissement d'une société d'exportation et de comptoirs de commerce. Une partie du crédit proposé a été affectée à cette dernière destination, au su des chambres ; et quant à la société, elle était plus généralement réclamée à cette époque qu'aujourd'hui, et elle ne pouvait manquer d'avoir alors l'appui des honorables membres qui auraient combattu les autres propositions.

Enfin, le chemin de fer direct de Bruxelles à Gand et les travaux pour l'amélioration du régime de la Meuse ; c'étaient les plus gros chiffres après la dette flottante et les 25,000,000 pour le chemin de fer. Ces travaux ne pouvaient non plus manquer de trouver place dans une série de grands travaux publics. Le cabinet tenait à s'en expliquer, comme il le fera sans doute encore à la première occasion qui s'en présentera. Un débat devait s'ouvrir a ce sujet. Les chambres auraient ensuite prononcé, cartlout cela en définitive était soumis a leur appréciation et à leur vote. Quant aux ressources, elles auraient dû être préalablement assurées.

Le cabinet avait annoncé qu'il poursuivrait avec ténacité toutes les économies possibles dans les dépenses ; il devait trouver la des ressources, et, en outre, il lui restait un excédant sur le produit présumé à fournir par la loi modifiée sur les successions. Cela était largement suffisant pour couvrir la première partie des dépenses en travaux publics.

On me pardonnera de ne pas entrer dans d'autres détails. Ce serait trop long et trop loin de la situation actuelle à laquelle j'ai hâte de revenir. M. le ministre a d'ailleurs déjà répondu au reproche de la suppression du timbre des journaux, que le cabinet proposa aux chambres.

Depuis que la discussion actuelle s'est ouverte, après le discours de M. le ministre des finances, nous avons entendu nos honorables collègues MM. Mercier, de Renesse, Landeloos, Osy, de La Coste, Cools, David, admettre que les dépenses dans leur ensemble ont dépassé les moyens disponibles et qu'il y a lieu d'améliorer notre situation financière, en (page 1329) procurant de nouvelles ressources au trésor. Ils ne diffèrent que dans les proportions plus ou moins larges de la création de ces ressources. Deux orateurs seulement ont soutenu qu'il n'y a pas de nouveaux impôts à proposer et qu'on peut se bornera une révision des impôts existants. Ma conviction est qu'une pareille révision, qui ne peut d'ailleurs être faite immédiatement, ne saurait suffire pour les besoins de la situation.

Nous avons un déficit ; il faut le combler. Pour être en même temps à même de faire face aux crédits supplémentaires, il faut le combler de manière à avoir toujours les moyens d'assurer l'équilibre, afin que, bon an mal an, suivant l'expression de l'honorable M. de La Coste, il ne manque désormais rien à la situation du trésor. Quant à de plus amples voies et moyens, ils ne seront nécessaires que pour autant que les propositions de nouveaux travaux d'utilité publique seront accueillies par les chambres et dans la mesure de l'accueil qui leur sera fait. Il est inutile de faire une réserve à ce sujet, car on ne s'engage pas sur l'inconnu.

Nous avons, je le répète, un déficit. Pour moi, la preuve m'en aurait été fournie par M. le ministre des finances, si j'avais encore eu besoin qu'on la fît.

Entre tant de chiffres, il me semble que l'attention de la chambre peut utilement se fixer sur ceux-ci :

Les années antérieures à 1847, années closes et dont les chiffres sont devenus invariables, présentaient un déficit de 28,893,528 fr.

L'année 1847, connue aussi d'une manière suffisante et complète, 14,044,311 fr.

Total : 42,937,839 fr.

Cette somme doit être diminuée de 16,360,000, consacrés à l'amortissement de la dette flottante et prélevés sur les emprunts de 1848.

Il reste ainsi une somme de fr. 26,577,839, qui doit être augmentée du déficit définitif à charge de 1848, 7,527,960 et de celui probable sur l'exercice 1850, 3,627,617.

Total : fr. 37,733,421.

Voici les atténuations qu'on peut y apporter :

1° Boni présumé de 1849, fr. 112,902

2° Emploi de la somme réservée sur les fonds de la dotation des emprunts 5 p.c. de 1840 et 1842, fr. 5,788,156

3° Réalisation de 1,000,000, 2 1/2 p. c, fr. 506,063

4° Réalisation du 4 p. c. et de ce qui restait du 2 1/2 p., inscription nominative, ensemble, fr. 16,240,000

Soit fr. 22,648,121.

Reste donc fr. 15,085,300.

Pour les crédits supplémentaires déjà votés ou connus, il faut environ 5,000,000.

Soit fr. 20,085,300.

Soit, en somme ronde, à la date d'aujourd'hui, un déficit, une insuffisance réelle de 20 millions, après avoir employé toutes les ressources des emprunts de 1848, c'est-à-dire 37,000,000, et les ressources fournies par la vente du 4 p. c. et du 2 1/2, encore 16,750,000 fr.

Une pareille situation n'exige-t-elle pas que nous y apportions un remède efficace ? Les réductions dans les dépenses ne peuvent plus le fournir. Tout a été fait. L'honorable M. Delfosse l'a reconnu ; il n'a réservé que la question du budget de la guerre. Le remaniement des impôts actuels n'offre pas non plus les ressources qu'on en espère. Il faut davantage, et dès lors, il est du devoir de la majorité, qui appuie le cabinet, de le seconder dans la tâche si pénible, si ingrate qu'il a le courage d'entreprendre.

Ce devoir, je suis prêt à le remplir. Nous avons un moment opportun pour le faire ; ne nous exposons pas à être surpris une seconde fois par les événements.

M. Verhaegen. - Messieurs, après les nombreux et brillants discours que vous avez entendus sur notre situation financière, je crois que la discussion sur ce point peut être considérée comme épuisée, et je puis dès lors aborder la discussion générale du projet de loi.

La part que j'ai prise dans la discussion de 1849 ne me permet pas de m'abstenir dans le débat actuel ; je vais donc, mais en peu de mots, compléter la tâche que je me suis imposée.

L'équilibre entre nos recettes et nos dépenses se trouve rompu depuis longtemps ; il y a déficit, personne n'ose plus le contester. Peu importe qu'il date de 1850 ou d'une époque postérieure, qu'il ait été comblé et rouvert tour à tour, qu'il soit de quinze, trente ou quarante millions ; l'utilité, la nécessité de le faire disparaître, à la veille de menaçantes éventualités, n'en est pas moins évidente, et toute controverse sur ce point, de l'aveu même des honorables orateurs qui ont contesté les chiffres de M. le ministre des finances, est impossible. Cette question, je me hâte de le dire, est indépendante de celle de savoir s'il faudra aussi pourvoir, par de nouveaux impôts, aux grandes constructions d'utilité publique annoncées par le gouvernement. Cette dernière question, je la considère comme réservée.

La nécessité de créer de nouvelles ressources pour combler le déficit existant est démontrée, car après toutes les économies opérées sur les différents budgets par le ministère actuel, on ne peut plus songer à une nouvelle réduction de dépenses. Il ne reste donc qu'a s'occuper de la nature des impôts.

Certes, l'impôt le plus équitable et le plus facile à supporter, c'est le droit de succession, même le droit en ligne directe tel qu'il a été primitivement propre par le gouvernement. En effet, circonscrit dans les limites tracées par l'article 2 du projet de loi, il n'atteint que le citoyen qui peut payer ; il l'atteint au moment même où il obtient une augmentation de fortune ; il a pour base un droit certain, d'une valeur facile à déterminer : il est exempt de vexations, de visites domiciliaires et d'autres tracasseries inséparables des contributions indirectes ; à la différence des impôts de consommation, il ne frappe jamais les classes nécessiteuses ; enfin il est conforme à ce grand principe qu'en matière d'impôts il faut réduire à son moindre terme la peine de privations et éviter les non-valeurs.

C'est la thèse qu'en 1849, seul de mon avis, j'en conviens, j'ai exposée au sein de la section centrale avec une profonde conviction, et que j'ai reproduite accompagnée de nombreux développements dans la séance publique du 22 mars 1849 (Annales 1848-1849, page 1066). Mon opinion n'a pas varié, et je regrette vivement que le cabinet ait cru devoir ajourner une partie du projet qu'il n'avait présenté, avant la dissolution, qu'avec l'assurance d'avoir l'appui de ses amis politiques.

Mais si une partie du projet se trouve ajournée, une autre partie non moins importante est en ce moment soumise à nos délibérations : elle a pour objet entre autres une augmentation de droits en ligne collatérale et le moyen d'assurer plus efficacement la rentrée de l'impôt, en obligeant les intéressés à affirmer sous serment la sincérité de leurs déclarations ; ensuite elle frappe d'un droit semblable à celui perçu sur les dispositions testamentaires, les donations entre-vifs au profit d'établissements de mainmorte ; enfin, l'amendement de l'honorable M. Lelièvre, en frappant de 5 p. c. les préciputs, même en ligne directe, vient combler à certains égards la lacune que laisse l'ajournement de la disposition principale.

J'appuierai de mon vote ces diverses dispositions et je nourris l'espoir qu'elles seront sanctionnées dans leur ensemble par la majorité de cette assemblée, qui procurera ainsi au trésor une ressource nouvelle d'au moins un million et demi.

Le serment, je le sais, sera l'objet de nombreuses objections, et, cependant, quoi de plus rationnel, de plus juste, de plus moral même que de faire affirmer sous serment des déclarations qui sont censées dictées par la bonne foi des contribuables ? Gardons-nous bien de confondre cette affirmation avec le serment litisdécisoire que je n'ai proposé que subsidiairement et par forme d'amendement, au sein de la section centrale.

L'affirmation sous serment existait dans la législation de 1817 sur le droit de succession. C'était la seule garantie que possédât le gouvernement contre la fraude, du moins pour les valeurs mobilières. Cette garantie a été, dans un moment d'engouement, supprimée, le 17 octobre 1830, par un arrêté du gouvernement provisoire dont le motif unique basé sur une prétendue immoralité est facile à réfuter.

L'abolition du serment qui n'a été remplacée par aucune autre garantie a occasionné au trésor une perte considérable ; on l'évalue à plus d'un million par an. L'extension que prend d'année en année la fortune mobilière fait présumer que par la suite la perte sera plus grande encore. On a répété souvent que la propriété mobilière n'est pas atteinte en proportion de la propriété immobilière, mais comment atteindre le mobilier avec une loi dépourvue de sanction, avec une loi qui laisse le fisc désarmé contre la fraude ?

Dans la discussion du budget des voies et moyens de 1844 (séance du 8 décembre 1843), l'honorable M. Osy s'exprimait ainsi :

« C'est dans la section dont je faisais partie qu'il a été proposé de rétablir le serment pour les successions ; on me dira que c'est mettre l'homme entre son intérêt et sa conscience, mais aujourd'hui on doit se borner à signer comme véritables les déclarations et on fait plus facilement une fausse déclaration qu'un faux serment. Aujourd'hui, qu'une partie des fortunes est composée de fonds publics au porteur, ceux-ci ne figurent presque jamais dans les inventaires et ne payent pas de droits de succession : il faut cependant trouver un moyen de les atteindre et je n'en connais pas d'autre que de rétablir le serment, qu'on a, d'après moi, aboli beaucoup trop légèrement au commencement de la révolution. »

J'attache d'autant plus de prix à l'opinion exprimée par l'honorable M. Osy, qu'elle s'est produite spontanément, alors qu'il n'était pas question encore de traduire en loi les principes que nous voudrions voir adopter aujourd'hui, car l'honorable membre faisait appel à l'initiative du gouvernement.

La perte que fait l'Etat doit avoir pour résultat d'augmenter le poids des contributions car les fraudes commises par une classe de citoyens qui peuvent facilement payer, puisqu'ils obtiennent un accroissement de fortune, augmentent les sacrifices des autres citoyens. Il est du devoir du législateur de remédier à un tel état de choses, il ne peut pas tolérer l'injustice.

On dit que le serment est immoral en ce qu'il place le citoyen entre son intérêt et sa conscience, et c'est dans un pays catholique, religieux, chez un peuple libre, que l'on tient un pareil langage 1 !

« Ce n'est pas le serment qui est immoral, a dit un honorable sénateur en 1843, mais l'absence du serment, puisqu'il favorise la fraude, la violation de la loi. Elle établit donc une distinction au détriment d'une bonne justice distributive, entre les contribuables de bonne foi qui se croient liés par leur signature et les hommes peu délicats ou peu éclairés qui n'attachent d'importance qu'au serment, et qui jouent pour ainsi dire au plus fin avec le fisc. »

(page 1330) Un autre honorable membre du sénat, à la mime époque, s'exprimait en termes non moins énergiques : « Si vous prétendez, dis it-il, que le serment est immoral parce que l'on peut se parjurer, il faut le proscrire de toute notre législation, Le serment est nécessaire, non pour l'homme honnête et consciencieux, mais pour un grand nombre de personnes pour qui le mensonge n'est rien et qui cependant reculent devant une affirmation avec serment. »

Vous voyez, messieurs, que depuis longtemps le gouvernement était convié non seulement au sein de la chambre, mais encore au sein du sénat, à proposer le rétablissement du serment en matière de succession, et c'est lorsqu'il répond à l'appel qui lui a été fait, qu'il est l'objet de violentes attaques.

Le serment est admis dans notre législation civile ; la religion l'autorise, ceux qui se vouent à l'état ecclésiastique, qui entrent dans un monastère font des promesses, prêtent serment. Le serment place presque toujours l'homme entre ses intérêts ou ses passions et ses devoirs.

Le serment a de tout temps existé en Hollande ; il est établi pour les droits de succession ; il a existé en matière de douane, et l'on n'a jamais entendu dire qu'il ait porté atteinte à la moralité publique.

En Angleterre, la formalité du serment peut être requise pour assurer la rentrée des droits de timbre, de succession, et pour l'impôt sur le revenu ; on applique même, dans certains cas. la peine du parjure aux contribuables qui seraient convaincus d'avoir fait un faux serment pour échapper à l'impôt.

On sait que, dans plusieurs pays d'Allemagne, un impôt sur les revenus ou les capitaux a été institué depuis quelques années. Cela existe notamment dans le grand-duché de Bade, dans la Saxe, en Bavière, dans le grand-duché de Hesse. Eh bien ! dans tous ces pays l'impôt est établi sur la déclaration du contribuable, affirmée sur son honneur et sa conscience. Or, le serment n'est pas autre chose que cette déclaration sur l'honneur ou sur la foi en Dieu, faite avec une certaine solennité.

On se plaint assez généralement de l'égoïsme de l'homme, du peu de loyauté, surtout, qu'il apporte dans ses rapports avec les agents du gouvernement. S'il en est ainsi, c'est une raison de plus pour donner au gouvernement les moyens de faire rentrer les contributions décrétées par le législateur, c'est-à-dire par le peuple lui-même ; et il a été démontré qu'il n'en existe pas d'autre que le serment pour assurer la perception des droits de succession sur la valeur des meubles, sur les deniers comptants, les effets en portefeuille, etc.

Priver l'Etat des ressources dont il a besoin pour pourvoir à tous les services, c'est non seulement poser un acte d'indélicatesse, c'est encore commettre un vol ; car l'Etat se compose de tous les contribuables, et celui qui fraude puise nécessairement dans la caisse de son voisin honnête et de bonne foi, lorsque plus tard celui-ci est tenu, pour sa part, à combler le déficit.

Le rétablissement du serment est d'autant plus nécessaire que, selon certains casuistes, le mensonge n'est pas toujours défendu, qu'il est souvent licite, et que le serment seul rend les promesses obligatoires. Doctrine dangereuse, mais qui n'est que trop accréditée dans le siècle où nous vivons !

On ne cesse de répéter qu'avec le serment les honnêtes gens seuls payeraient l'impôt. Selon nous, les honnêtes gens sont ceux qui respectent les lois de leur pays et s'y soumettent ; qui remplissent leurs devoirs envers la patrie ; qui payent les charges instituées par leurs mandataires et qui sont nécessaires pour faire face aux dépenses publiques, charges qui ne constituent que le juste prix des avantages que l'association procure aux citoyens. Dans l'état des choses actuel, ces honnêtes gens, les hommes pénétrés de leurs devoirs et dignes de participer à l'exercice des droits politiques dans une société comme la nôtre, supportent seuls, aujourd'hui, le droit de succession ; le rétablissement du serment aurait pour conséquence de le faire payer également par ceux de nos compatriotes, et il y en a, qui ne sont pas assez éclairés pour considérer comme un acte d'indélicatesse, un véritable vol, les fraudes envers l'Etat, mais qui cependant sont trop honnêtes, ou, pour mieux dire, ne sont pas assez corrompus pour faire un faux serment. Le sentiment religieux les portera à s'exécuter, à être justes même envers la patrie. Puisse l'influence du clergé, par tous les moyens de persuasion qui sont en son pouvoir, atteinire ce résultat ! Ce serait là la plus belle, la plus noble des missions.

Le gouvernement représentatif exige du désintéressement, des vertus publiques chez les citoyens ; il faut savoir faire le sacrifice de ses intérêts en faveur des intérêts généraux. Le représentant, le fonctionnaire notamment, est placé souvent entre ses devoirs, sa conscience et ses intérêts personnels ou ceux de ses commettants. La loi, la Constitution a-t-elle eu tort de le mettre dans une telle situation ? On serait porté à le croire d'après les raisons alléguées par les adversaires du serment.

Messieurs, je crois avoir établi que le serment pour assurer la sincérité des déclarations en matière de succession, est conforme aux principes du droit civil, qu'il n'a rien de contraire à la morale ni au sentiment religieux, enfin qu'il se concilie parfaitement avec nos principes constitutionnels.

Un mot encore sur le sentiment religieux qui domine nos populations.

D'abord, il faut en convenir, la religion aurait bien peu d'empire, si la sainteté du serment n'était qu'un vain mot.

Ensuite, pourquoi le serment serait-il mauvais en principe ?

Tous les docteurs sont unanimement d'accord que pour qu'un acte soit bon, il suffit du concours, de la réunion de cinq conditions : 1° droiture-d intention de celui qui pose l’acte, 2° légitimité du but, 3° moyens licites, 4° absence de circonstances mauvaises obligatoirement annexées à l'acte, 5° enfin, il faut qu'aucune des circonstances immédiates et nécessaires de l'acte ne soit mauvaise.

Or, 1° il est évident que les intentions du ministère sont droites et jures, et 2° la légitimité du but n'est pas contestable ; car le but est de détruire la fraude et de faire rendre à une loi d'impôt tout ce qu'elle doit produire ;

3° Le moyen est certainement licite ; car, quoi de meilleur que le serment ? Appeler Dieu en témoignage de la vérité de ce qu'on déclare dans une matière grave, est une chose excellente de sa nalure ;

4° Impossible d'alléguer aucune circonstance mauvaise obligatoirement annexée à l'acte ; en vain objecte-t-on que par le serment nous placerons les héritiers entre leur intérêt et leur conscience, qu'ils feront un faux serment ; car, si la loi peut en certaines circonstances être l'occasion du faux serment, elle n'en sera jamais la cause. L'honnête homme est placé tous les jours entre son intérêt et sa conscience ; on n'est honnête homme qu'à la condition de combattre et de vaincre les tentations qui se présentent de tous côtés. La loi exposera bien au faux serment, mais elle n'y excitera pas. Dès lors aucune circonstance essentiellement mauvaise n'accompagne le serment.

Sur ces quatre premières conditions requises pour que l'acte soit considéré comme bon, religieusement parlant, les consciences les plus timorées ne font aucune objection.

Mais reste la cinquième, qui d'après quelques-unes fait défaut.

Il faut 5° qu'aucune des conséquences immédiates et nécessaires de l'acte ne soit mauvaise ; or, dit-on, une des conséquences nécessaires de la loi, elle est fatale, inévitable, indépendante de la volonté du ministre et des chambres : cette conséquence est que les honnêtes gens payeront pour les hommes de mauvaise foi ; que la probité sera chargée et la mauvaise foi déchargée. Cette conséquence nécessaire, ajoute-t-on, est contraire à une bonne organisation sociale : donc le serment est mauvais en principe.

Voilà, en définitive, la seule objection qui reste au point de vue religieux, et si je parviens à la détruire, comme cela ne sera pas bien difficile, la loi pourra être votée par tous nos honorables collègues en toute tranquillité de conscience.

J'ai déjà répondu à l'objection dans le cours de mon discours et je ne répéterai pas ce que j'ai dit à cet égard.

J'ajouterai seulement que l'on ne peut pas contester qu'il n'y ait aujourd'hui, même en l'absence du serment, un certain nombre d'honnêtes gens qui payent loyalement et consciencieusement le droit de succession sur le mobilier. S'il en est ainsi, ces honnêtes gens, en petit nombre, j'en conviens, sont victimes de leur bonne foi et payent pour ceux qui fraudent. La probité, d'après la loi actuelle, est chargée et la mauvaise foi est déchargée. Cette conséquence, certes, est contraire à une bonne organisation sociale. La loi qu'il s'agit de réviser est donc mauvaise.

Voilà bien l'argument rétorqué, avec fruit, contre ceux qui le présentent ; car tout ce qui résultera du serment, c'est qu'il y aura plus de gens réputés honnêtes et que le nombre de gens de mauvaise foi sera restreint, d'où la conséquence que le déficit que laissera la fraude commise par ces derniers sera moins considérable et que le sacrifice à faire par les gens honnêtes sera moins élevé.

Si l'on osait objecter qu'aujourd'hui personne ne paye loyalement l'impôt sur les valeurs mobilières, ce qui serait désespérant pour la probité belge, je répondrais par le dilemme suivant : De deux choses l'une, ou une certaine c'assc d'individus paye loyalement l'impôt sur le mobilier, ou personne ne paye cet impôt. Dans cette dernière hypothèse, la loi existante serait inutile, il faudrait l'abroger ; dans la première, il y aurait toujours des hommes victimes de leur bonne foi, qu'on rejette le serment ou qu'on l'admette.

Je n'entrerai pas dans d'autres détails que je réserve, s'il y a lieu, pour la discussion des articles.

M. de Breyne. - Messieurs, depuis que j'ai l'honneur de siéger dans cette chambre, j'ai entendu de tous les côtés de l'assemblée déplorer la situation anormale de l'état de nos finances, et demander avec les plus vives instances, que le gouvernement abandonnât la voie déplorable dans laquelle nous nous traînons depuis notre régénération politique.

Chaque fois que l'occasion s'en est présentée, je me suis associé aux vœux de mes honorables collègues, et je n'ai cessé d'employer mes faibles moyens à éclairer le gouvernement et à lui faire voir la pente rapide du précipice où il marchait aveuglément, en accumulant déficit sur déficit.

En effet, messieurs, nos dépenses excédant annuellement nos recettes, et je crois que cette assertion ne peut plus être contestée par personne, nous nous trouvons devant un déficit considérable, que de nouveaux besoins viendront augmenter, si nous ne nous empressons d'y mettre un terme en augmentant nos moyens, soit en faisant produire davantage à nos ressources actuelles, soit en créant de nouveaux impôts.

Le ministère actuel, en arrivant au pouvoir, constata l'état de situation de nos finances, et osa, en sondant la plaie, prendre des engagements de combattre le mal. Les remèdes qu'il propose à cet effet sont l'économie et l'impôt. Ces remèdes sont héroïques et doivent nécessairement atteindre le. but ; mais s'ils sont faciles à conseiller, ils sont aussi (page 1331) d'une application difficile, pour ne pas dire presque impossible ; et la preuve s’en trouve dans le peu de tentatives que les différents ministères qui se sont succédé en ont essayé juqu’à ce jour.

Supprimer des places, réduire des traitements et diminuer les chances de vivre aux dépens du budget, tout autant que de créer de nouvelles ressources, en établissant de nouveaux impôts, sont des questions bien difficiles à résoudre, et auxquelles l'homme d'Etat ne se décide que lorsqu'il est convaincu que les devoirs de sa mission ne peuvent l'en affranchir.

Car, messieurs, je vous le demande franchement, que doit attendre l'homme courageux qui ose proposer des mesures énergiques, mais devenues indispensables dans l'intérêt de son pays ? N'est-ce pas de l'indifférence chez les uns, des obstacles chez les autres, et même de l'impopularité pour ses généreux efforts ?

Quant à moi, messieurs, fidèle à mes principes, je veux que nos finances rentrent dans un état normal ; je veux que les recettes ordinaires balancent les dépenses et que nous sortions d'une situation précaire et toujours dangereuse devant certaines éventualités politiques. Aussi, je sais gré au ministre qui, comprenant son devoir et sachant l'accomplir, vient nous indiquer les moyens de rétablir l'ordre dans nos finances. Je me déclare, par conséquent, prêt à examiner les différentes propositions qu'il nous présentera à cet effet.

Outre l'équilibre dans nos budgets, il me semble que nous devons désirer d'obtenir un excédant annuel qui nous procure une réserve de deux à trois millions, pour faire face à des besoins imprévus, qui surgissent régulièrement de l'un exercice à l'autre.

Cette réserve, si nous pouvons l'obtenir, je ne crains pas, comme un honorable collègue, qu'elle soit dévorée par nous ou par le ministère, pourvu qu'elle le soit utilement et non « an participation ». Ce que je crains, moi, c'est que nous ne l'atteignions pas, aussi longtemps que le ministère fera, sur sa responsabilité personnelle, des dépenses en dehors du budget, et viendra nous demander des crédits supplémentaires, que chacun de nous croit devoir voter, mais toujours à contre-cœur et avec la répugnance la plus formelle.

Après avoir introduit dans les différentes branches de l'administration les économies compatibles avec les besoins du service, le premier projet d'impôt que le ministre des finances soumet à nos délibérations, pour arriver au but qu'il se propose, est le projet de loi sur les successions, à l'exception du droit en ligne directe.

L'impôt sur les successions est, selon moi, juste ; parce que j'admets le principe que chacun doit contribuer aux charges publiques en proportion de ses ressources.

La perception s'en fait facilement et d'après une base fixe, au moment qu'il se présente pour le contribuable des ressources qui viennent augmenter sa fortune et son bien-être. J'admettrai donc les différentes bases de l'impôt, sauf à m'éclairer sur les détails pendant la discussion des articles.

Néanmoins, je dois faire une réserve sur la question du serment, à laquelle je ne donnerai mon approbation que pour autant que la discussion vienne m'éclairer et changer mon opinion à l'égard des conséquences fâcheuses qui ms semblent devoir en résulter pour la morale publique.

M. Malou. - Messieurs, le débat relatif à la situation générale des finances de l'Etat a été plusieurs fois provoqué. On a toujours déclaré, en quelque sorte de commun accord, vouloir la rattacher à la discussion du premier projet de loi d'impôt qui serait soumis aux délibérations de la chambre.

C'est ainsi que le 19 novembre 1850, le 22 janvier dernier, pendant la discussion du budget de la guerre, et plus récemment encore dans la séance du 2 mai, M. le ministre des finances a, comme moi-même, accepté cette espèce de rendez-vous.

C'est donc avec un certain étonnement que j'ai entendu l'honorable ministre des finances m'accuser d'avoir cherché à déplacer la question en traitant avec quelque étendue les faits qui se rapportent au passé.

Etrange position qu'on nous fait ! On nous provoque à répondre, et quand nous répondons, nous déplaçons la question ! Encore faut-il bien répondre ou ne pas répondre.

La discussion est-elle inutile ? Ne peut-elle jeter aucun jour sur cette question ? N'est-il pas, au contraire, évident qu'une discussion semblable doit avoir lieu d'une manière approfondie, avant de demander aux contribuables de nouveaux impôts ?

Je l'ai déjà dit, en parlant du passé, j'écarte toute question personnelle. Ainsi, j'ai très peu de chose à répondre au discours de l'honorable M. Delfosse. Ce discours est un anachronisme. L'honorable membre a parlé de moi comme si j'étais encore ministre ou comme si j'aspirais à le redevenir.

Il s'est trompé du tout au tout sur l'un comme sur l'autre point. Il dresse contre moi un acte d'accusation complet ; et quand je m'efforce de démontrer que je ne mérite pas la série de reproches qu'il m'adresse, il dit que je n'ai pas assez de modestie. M'examinant là-dessus, j'ai reconnu que je n'ai pas été jusqu'à présent suffisamment modeste ; mais j'aurai l'honneur de mettre tout à l'heure la modestie de l'honorable membre à une épreuve bien moins rude que celle à laquelle il a soumis la mienne.

L'honorable membre me reproche aussi de faire parfois des épigrammes. Quand la discussion m'amène à entretenir longuement la chambre de questions de chiffres et de faits, il peut arriver quelquefois un mot qui ne soit pas aussi sérieux que l'ensemble du débat le comporte. MM. les ministres ne peuvent s'en plaindre, et en effet ils ne s’en plaignent pas. Un petit coup de pointe n’est pas plus dangereux pour eyx qye ne le serait un lourd pavé. A chacun d’ailleurs sa manière de dire.

Le reproche le plus grave que l'honorable M. Delfosse m'ait fait, c'est celui dont il n'a plus parlé aujourd'hui, c'est de n'avoir pas fait l'emprunt afin que la question à laquelle il attache un très grand intérêt pût être résolue selon ses vœux, c'est de n'avoir pas fait l'emprunt pendant la crise alimentaire, afin que la dérivation de la Meuse fût décrétée avant que la chambre fût renouvelée, en 1847. Alors, comme dans les années antérieures, comme aujourd'hui, comme toujours, on combat certaines dépenses dans les budgets ordinaires, on fait volontiers de petites rognures ; mais quand il s'agit de grands travaux qui doivent coûter des millions, à demander à tous pour les dépenser dans l'intérêt de telle ou telle localité, on oublie parfois les théories émises dans la discussion du budget des voies et moyens, et on applique de tout autres principes au budget des dépenses extraordinaires. Nous l'avons vu en 1847. L'opposition attaquait alors tous les impôts existants, on les déclarait mauvais, impopulaires ; il fallait les réduire ; et quand on est arrivé au budget des dépenses, on a cherché, sans créer des ressources correspondantes, à décréter des travaux dont la dépense, en dehors du budget normal, peut s'élever à 20 millions.

Nous étions d'avis contraire, l'honorable M. Delfosse et moi, au mois d'avril 1847, parce que je demandais qu'avant de décréter le principe de ces dépenses, la législature eût à statuer sur les ressources qui devaient y correspondre. Je demanderai donc ici à l'honorable membre de reconnaître non qu'il s'est trompé, ce serait trop exiger, mais qu'il est possible qu'il y eût quelque danger pour la bonne gestion de nos finances, à vouloir engager le gouvernement et les chambres dans cette voie.

J'aurais dû faire l'emprunt, me dit-on encore. Je me félicite du progrès que la discussion a fait faire. Autrefois on m'adressait deux accusations connexes : de n'avoir pas fait l'emprunt et de n'avoir pas augmenté les impôts pendant la crise alimentaire. Aujourd'hui on ne parle plus que du grief de n'avoir pas fait l'emprunt ; mais toutes les personnes qui voudront examiner les circonstances reconnaîtront, je n'en doute pas, qu'il était absolument impossible de le faire.

J'en ai dit assez de ces questions pour ainsi dire personnelles. J'arrive à la discussion rétrospective. Je m'attacherai à l'abréger autant que le comporte l'importance du sujet.

Si la situation de nos affaires n'est pas complètement éclairée, il y a plusieurs points sur lesquels on est tombé d'accord. Ainsi, je n'entends plus produire ces griefs qui ont été pendant tant d'années à l'ordre du jour ici et dans le pays.

L'ancienne politique, comme on la nomme, avait exercé, disait-on, tant sous le rapport des intérêts matériels que sous le rapport des intérêts politiques et moraux, une sorte de travail continuel d'innovations ; elle éteignait tout sentiment national et compromettait l'avenir de notre jeune nationalité.

On reconnaît aujourd'hui nettement, quoique d'une manière implicite, que ce thème d'opposition n'était pas fondé. Je constate le fait avec bonheur. N'y eut-il que ce fait acquis par le débat actuel, il serait très utile. Je constate un autre aveu non moins important. Le déficit, l'aggravation du découvert depuis 1848 est de 32 millions.

Je lis dans le discours de M. le ministre des finances : « M. Malou nous dit que le découvert depuis l'avénement du cabinet actuel s'est augmenté de 11 millions ; que la situation s'est aggravée de 32 millions depuis 1847. L'honorable M. Malou a parfaitement raison ; ce, découvert s'est accru. »

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Puis vient l'explication.

M. Malou. - Vient l'explication que je vais discuter.

En regard de cette opinion exprimée aujourd'hui, je dois mettre d'abord ce que M. le ministre des finances disait dans la séance du 9 novembre 1850 :

« Le déficit, je n'en excepte pas un quart de centime, ne résulte pas de dépenses nouvelles ; il est la conséquence des faits posés par les administrations précédentes. » (Annales, p. 343.)

Mettre ces deux textes l'un à côté de l'autre, c'est constater un notable progrès, l'utilité de la discussion actuelle.

Comment explique-t-on ce déficit ? D'une part, on dit que la révolution de 1848 a notablement diminué les recettes et qu'elle a exigé des dépenses considérables ; on ajoute qu'il a fallu encore pour acquitter les engagements contractés, voter des crédits de 14 millions, somme qui peut très légitimement figurer au compte de l'administration précédente. Ce sont les 14 millions dont M. le ministre m'a promis le tableau.

L'explication que M. le ministre des finances donne en ce qui concerne les diminutions des recettes et l'augmentation des dépenses par suite de la crise de 1848, est parfaitement exacte. Je ne veux pas méconnaître que ces circonstances ont dû agir sur les recettes et les dépenses et ont dû produire une partie du déficit. Mais ce que je ne puis pas admettre, c'est que l'on impute sur ce déficit les 14 millions d'arriéré qu'on nous reproche : car ils sont déjà portés sur les exercices de 1846 et 1817.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Non du tout, ce sont les crédits supplémentaires qui ont été votés en 1848, 1849 et 1850, pour payer des dépenses arriérées ou des engagements contractés par l'administration précédente. La part de ces crédits est faite dans les décomptes qui sont sous vos yeux.

(page 1332) Il y a d'un côté la part des crédits supplémentaires applicables à l'administration actuelle, de l'autre, la part des crédits supplémentaires applicables à l'ancienne administration et, comme conséquence, la part afférente dans les intérêts qu'il a fallu payer de ce chef. Cela importe plus de 14 millions.

M. Malou. - Je me réserve d'examiner le tableau que M. le ministre a fait faire, et qui me parvient à l'instant. Mais je viens de démontrer à M. le ministre des finances qu'il existait une augmentation de découvert de 32 millions depuis 1848 et quant aux 14 millions de crédit qui auraient été couverts du chef des actes de l'ancienne administration, je n'ai vu nulle part, jusqu'à présent, que ces 14 millions auraient été imputés sur les exercices 1848 et suivants : ils ont été imputés, au contraire, d'après la note que j'ai produite, sur le déficit de 43 millions que l'on nous attribue. Du reste, nous tiendrons cette question en réserve, parce que je n'ai pas pu avoir le tableau avant la séance.

On est d'accord, comme résumé de toute cette discussion, qu'après 17 ans, l'on doit accuser un découvert de 43 millions, pour notre part, un découvert réel de 37 millions, comme vous le disait tout à l'heure mon honorable ami, M. Veydt, et ensuite que l'augmentation de déficit pour 1848, 1819 et 1850 est présumée devoir être de 32 millions en trois ans et demi. Voilà bien la situation.

Mais lorsqu'on explique ce découvert par la crise de 1848 et par les dépenses qu'elle a nécessitées, on semble supposer que depuis 1830 jusqu'en 1848 la Belgique n'a pas eu à traverser plusieurs fois des circonstances exceptionnelles, qu'elle n'a pas eu à traverser plusieurs crises ; si cette excuse est légitime, et elle l'est, je le reconnais, jusqu'à un certain point pour 1848, ne s'applique-t-elle pas à 1831 (pour les dépenses de la guerre), à 1835, 1838, 1839 ? à la crise des subsistances de 1846 et 1847 ?

Si vous voulez être justes, appliquez au passé la même règle d'appréciation que vous appliquez à votre administration, reconnaissez que pendant cette première période de son existence, la Belgique a eu maintes fois à traverser des crises très déplorables, très violentes, dont vous ne pouvez, lorsque vous appréciez la situation de ses finances, vous abstenir de tenir largement compte.

Est-ce à dire que dans cette gestion, qui comprend 17 années, on n'ait commis aucune faute, est-ce à dire que jamais aucune dépense n'ait été mauvaise ? Non, messieurs. Je suis disposé personnellement à donner raison aux honorables MM. Delfosse et Cools qui ont dit qu'on avait fait plusieurs mauvaises dépenses, très considérables. Ainsi, pour n'en citer que deux, auxquelles je me suis opposé de toutes mes forces, les 7 millions d'indemnité de guerre de la révolution, et la dépense de 6 ou 8 millions que l'on a faite pour acheter les collections et les musées de la ville de Bruxelles ; mais je vois au banc ministériel des membres de la chambre qui pourront mieux que moi justifier, ou du moins expliquer ces dépenses, puisqu'ils les ont votées lorsque je m'y suis opposé. Il est assez étrange que l'on porte aujourd'hui ces dépenses comme passif de l'ancienne administration, tandis qu'il est notoire pour tous ceux qui ont examiné les faits, que les dépenses votées pour telles et telles localités, l'ont été le plus souvent avec l'appoint des membres de l'opposition qui appartenaient à ces localités.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - L'opposition a voté avec le ministère.

M. Malou. - Oui, l'honorable M. Rogier a voté les 6 ou 8 millions pour la ville de Bruxelles et les 7 millions d'indemnité de la révolution, dont Anvers a surtout profité.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - C'était une juste réparation nationale.

M. Malou. - C'est votre opinion ; je la respecte ; mais cela fait voir, comme on l'a dit avec beaucoup de raison, que lorsqu'on examine impartialement les faits, les influences des localités les plus importantes ont souvent déterminé certaines dépenses qui grèvent aujourd'hui le plus lourdement nos finances.

Il faut considérer surtout le résumé, l'ensemble de cette gestion.

L'argument principal que l'honorable ministre des finances invoque pour la définir, revêt deux formes différentes que je vais tâcher de préciser.

La première est celle-ci : le budget extraordinaire est venu, à concurrence de deux millions et demi, au secours de votre budget ordinaire et vous avez en outre un découvert de 39 millions.

La seconde forme consiste à dire : après 20 années d'existence, nous avons un découvert de 39 millions ; d'où l'on conclut que nous sommes en présence d'un déficit normal qui varie de 2 à 3 millions.

Evidemment, pour apprécier la valeur de ces arguments présentés par l'honorable ministre des finances pour faire envisager ce prélèvement comme le motif des nouvelles charges qui seraient imposées aux contribuables, il est nécessaire de discuter, tant en recette qu'en dépense, les éléments du budget extraordinaire, afin de s'assurer si, en effet, il est venu au secours du budget ordinaire à concurrence de deux millions et demi.

Si je démontre que dans cette appréciation du budget extraordinaire, on n'a pas compris des valeurs qui devaient y être comprises, on a omis des dépenses qui devaient également y figurer, l'argument tombe ; il est sapé par sa base.

Or, c'est précisément ce que je me suis attaché à faire. J'ai tâché de démontrer qu'il y a des lacunes dans l'appréciation du budget extraordinaire ; d'abord, parce qu'on ne fait pas figurer en recette l'encaisse de 1830 ; ensuite, parce qu'on ne fait pas figurer un grand nombre de dépenses réelles, d'acquisitions faites, de capitalisations, d'amortissements sur la dette, qui, en définitive, donnent une différence de plus de 46 millions.

Qu'a-t-on répondu, en ce qui concerne l'encaisse ? Que ces valeurs n'étaient pas réalisables.

Je ne veux plus entrer très avant dans cette question : je citerai seulement la loi du 21 mai 1845, qui déclare positivement que l'encaisse de 1830 et d'autres valeurs portées dans le traité de 1842 constituent des ressources effectives acquises à l'exercice 1843.

L'honorable ministre reconnaît (et il est impossible de ne pas reconnaître) que ces ressources sont venues se réaliser, au profit de l'exercice 1830, à concurrence de 507,000 francs, et au profit de l'exercice 1831, à concurrence de 14 millions.

Le fait est donc avoué : on a modifié, dans l'exécution, la loi du 31 mai 1845, en portant à un autre exercice une ressource acquise à l'exercice 1843. La transposition de chiffres que j'avais signalée a été réellement faite.

Quant à l'émission des valeurs acquises, je ne puis accepter la réponse que l'honorable ministre m'a faite.

M. le ministre me dit que l'honorable M. Mercier ne pouvait pas faire entrer la forêt de Soignes dans la caisse de l'Etat. Cela est clair. Je ne le lui demandais pas. Mais je demande que dans le tableau des dépenses et des acquisitions faites, des capitaux acquis au pays, dans l'inventaire des richesses qu'il s'est créées avec ses ressources ordinaires et extraordinaires, vous compreniez la forêt de Soignes et d'autres immeubles que l'Etat a acquis, comme vous y avez compris les hôtels de la rue de la Loi.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Il y a eu une sortie de fonds pour cela.

M. Malou. - Qu'il y ait eu une sortie de fonds ou qu'il n'y en ait pas eu, est-il vrai, oui ou non, que vous prétendez que le budget extraordinaire est venu au secours de nos ressources ordinaires à concurrence de 2 millions et demi depuis 1830 ?

Si vous soutenez cela, pouvez-vous faire ce bilan partiel de la nation autrement qu'un particulier ne ferait le sien ? Pouvez-vous dire : Je n'ai pas acquis l'immeuble et je ne le porte pas à mon actif ? Cela est d'autant plus extraordinaire, que lorsque la forêt de Soignes a été acquise, on a prétendu que c'était là une acquisition exagérée, ridicule. On a dit alors (c'était en comité secret, mais je crois que ce secret n'était que temporaire), on a dit : Que la mainmorte au profit de l'Etat était la plus détestable de toutes. On a prétendu que mieux valait pour l'Etat, au point de vue financier, donner la forêt de Soignes que la conserver, parce qu'on recevrait plus en revenus directs et indirects après l'avoir donnée, qu'il ne reçoit aujourd'hui en la conservant, en l'exploitant.

La proposition avait été faite de vendre les deux tiers de la forêt de Soignes, tellement on la considérait comme une ressource acquise à la richesse nationale, et c'est pour faire rejeter cette proposition, que l'honorable M. Rogier a proposé un amendement qui a passé dans la loi, amendement aux termes duquel on doit vendre 10 millions de domaines dans l'espace de dix années.

On acceptait, dans une liquidation, un immeuble que l'on pouvait réaliser comme on aurait pu, en refusant cet immeuble, en avoir le prix en écus. C'est là une propriété acquise à l'Etat, une valeur productive dont il faut tenir compte pour établir la vérité du budget.

Je demande d'ailleurs que l'on m'explique pourquoi certains immeubles figurent à cet inventaire de notre actif extraordinaire, tandis que d'autres n'y figurent pas. Ainsi, indépendamment de la dépense pour l'acquisition de l'hôtel du département de la guerre, que l'on a citée plusieurs fois, il en est plusieurs autres.

J'ui revu ce matin le compte financier que la cour des comptes a arrêté en ce qui concerne la construction et l'exploitation du chemin de fer. Dans la première hypothèse, en tenant compte des intérêts, on calcule que le chemin de fer a coûté 221 millions.

Dans la deuxième hypothèse, sans charger ce compte d'intérêts, on trouve que le chemin de fer a coûté 212,500,000 fr. Pour combien le chemin de fer est-il porte dans le tableau de M. le ministre des finances ? Il y est porté pour l69,492,000 fr., y compris le redressement de la voie après l'écroulement du tunnel de Cumplich et le crédit de 250,000 fr., pour les télégraphes, électriques ; en réalité, pour le chemin de fer, dans la première hypothèse, il y a donc une différence de 61,221,000 fr. et dans la seconde hypothèse, une différence de 42,813,000 fr.

Ainsi, je vous cite encore, indépendamment des 46 millions que j'ai indiqués dans une séance précédente, et à l'égard desquels on n'a pas donné de réponse sérieuse ; je vous cite un seul article qui vient changer la balance à concurrence de 62 millions dans une hypothèse, et en prenant le minimum, dont pour ma pari, je me déclare parfaitement content, à concurrence de 43 millions.

43 millions ! singulière coïncidence ; c'est précisément le déficit des dix-sept années, d'après vos calculs.

D'après ces faits, en prenant connaissance non seulement de tout ce qui est dans le tableau, mais de ce qui devrait y être, est-on fondé à dire que le budget, depuis 1830, a consacré une partie de ses ressources extraordinaires pour couvrir des dépenses ordinaires ? N'est-on pas fondé, au contraire, à déclarer que ce sont les recettes ordinaires qui sont venues au secours des budgets ? Et, s’il en est ainsi, où est votre déficit normal qui seul peut légitimer de nouveaux impôts ?

(page 1333) On me dit, messieurs, que dans ce compte rendu, je fais recette des bons du trésor. Cela est vrai ; et depuis 1830 jusqu’en 1848 on a toujours fait recette des bons du trésor. Mais ce qu'on n'ajoute pas, et ce qu'on faisait aussi à cette époque, c'était de faire dépense des bons du trésor. Et cela doit être ainsi ; on fait recette et dépense des bons du trésor.

Si le bon du trésor était, comme on l'a dit un jour, une espèce d'assignat, on aurait évidemment eu tort. Mais, il faut bien s'arrêter un instant à ces détails, quelle est la différence entre ce bon du trésor et une obligation de notre dette constituée ? L'un et l'autre sont des titres de créance à l'égard de l'Etat, pour une somme versée dans les caisses de l'Eiat. La différence consiste en ce que l'un est à échéance fixe et l'autre à échéance indéterminée. Mais lorsque M. le ministre des finances place un million de francs de bons du trésor, lorsqu'il place mille billets de 1,000 francs, peut-il s'abstenir d'en faire recette ? Il est évident qu'il ne peut pas. C'est ici un emprunt temporaire que l'on fait, et, pour le dire en passant, c'est un emprunt souvent plus économique que d'autres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - On doit le porter aussi en dépense et pas seulement en recette.

M. Malou. - On doit le porter en dépense d'un autre côté, et c'est ce qu'on a toujours fait.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C'est ce que vous n'avez pas fait.

M. Malou. - C'est ce que l'on a toujours fait, sans cela on aurait eu un double emploi pour constater quel est le découvert du trésor.

Je disais, messieurs, que les bons du trésor étaient souvent un emprunt plus économique, un emprunt meilleur que la dette constituée, et j'en trouve encore une preuve dans les accusations qui sont produites.

On me reproche souvent d'avoir laissé ou fait décréter des travaux d'utilité publique, sans que les fonds fussent faits d'avance pour la dépense entière. Le système antérieur à 1848 consistait à échelonner les travaux sur plusieurs années. Ainsi, pour les canaux de la Campine, pour le canal de Zelzaete et pour d'autres travaux, on avait calculé qu'il fallait prendre chaque année sur l'extraordinaire une certaine somme. Aujourd'hui, on nous reproche de ne pas avoir achevé ces travaux ou de ne pas avoir laissé les ressources nécessaires pour les faire.

C'est là, dans une certaine limite, l'utilité de la dette flottante ; c'est-à-dire que le ministre des finances, d'après la situation du trésor, que les chambres, d'après la situation générale reconnue, décrètent des travaux sans voter immédiatement des ressources en dette constituée qui pendant plusieurs années porteraient intérêt contre l'Etat et à son préjudice, parce qu'elles seraient sans emploi.

J'ai dit encore, messieurs, que pour produire certains chiffres à effet, on avait surchargé certains exercices et notamment l'exercice 1846 et l'exercice 1847.

Afin de ne plus entrer dans les détails, je citerai seulement à la chambre et à l'honorable ministre des finances, les pages 34 et 35 de la situation au 1er septembre 1848. On pourra y voir, par exemple, que l'on portait au budget 1,950,000 fr. pour la crise des subsistances, 350,000 fr., pour les fonds spéciaux, défrichements, etc. Eh bien, messieurs, évidemment, d'après leur nature, ces dépenses ne peuvent appartenir qu'au budget extraordinaire. Cela est tellement évident que, par une contradiction que je ne m'explique pas, M. le ministre des finances, qui a porté là les dépenses dont il s'agit, les fait figurer à l'extraordinaire, dans le grand tableau annexé à la dernière situation du trésor, ce qui est beaucoup plus logique.

J'arrive, messieurs, à la seconde forme que revêt l'argument de M. le ministre des finances :

Voyez, nous dit-on, vous avez 39 millions de déficit eh 20 ans. Mais d'abord, je ne m'explique pas comment il est possible de dire aujourd'hui que nous avons 39 millions de déficit du trésor, lorsque l'honorable ministre des finances lui-même, en parlant de l'hypothèse où l'on n'établirait plus de nouveaux impôts, nous dit : « Augmenter la dette, je puis sans doute le faire, rien ne serait plus commode. Je proposerais de consolider ce qui me reste de la dette flottante, 14 ou 15 millions. »

Ainsi, d'une part, on vous parle d'un découvert de 39 millions, d'autre part, on nous parle de la dette flottante qui resterait fixée au chiffre de 14 à 15 millions. Si M. le ministre pouvait faire face à un découvert de 39 millions avec 15 millions, il n'aurait peut-être pas le génie de l'impôt, comme on l'a dit, mais il aurait assurément un génie bien supérieur à celui-là.

En réalité, aujourd'hui il y a seulement une insuffisance, couverte par des bons du trésor, de 15 à 16 millions tout au plus. M. le ministre des finances l'a déclaré lui-même dans le discours que je viens de citer. Que les ressources réalisées appartiennent au passé ou ne doivent pas y appartenir, toujours est-il que la dette flottante se trouve aujburd'hui réduite de fait à une somme de 15 ou 16 millions. C'est là, pour ne plus séparer les gestions, pour prendre le fait actuel dans toute sa simplicité, c'est là que nous en sommes aujourd'hui.

Ce fait demeure acquis à la discussion ; l'on ne soutiendra pas, je pense, que pour assurer tous les services publics le gouvernement ait besoin de plus de 10 millions de bons du trésor.

Quelle est l'origine de ce découvert ? Faut-il le rapporter à chacune des années 1830 à 1850 comme insuffisance des ressources ordinaires ? Il me paraît démontré aujourd'hui d'après l'examen de tout ce qui s'est f ait, qu'en réalité ces 15 ou 16 millions ne sont qu'une anticipation, et que cela ne provient pas, ne peut pas provenir des budgets ordinaircs. Nous avons fait au-delà de nos emprunts, pour beaucoup plus de 10 millions de travaux et d'acquisitions, acquisitions en grande partie productives ; je suis donc fondé a dire qu'en ce moment il n'y a pas de déficit normal sur les budgets ordinaires, qu'il n'y en a pas depuis 1830.

Je dirai un mot, en passant, des recettes qui viennent figurer au budget et qui disparaissent. M. le ministre a parlé, par exemple, des intérêts du prêt fait à la Banque de Bekgique ; lorsqu'on payait les intérêts des bons du trésor émis pour couvrir ce prêt et qu'on portait ces intérêts au budget des dépenses, il était assez naturel de porter au budget des voies et moyens les intérêts que payait la Banque de Belgique. Il en est de même, messieurs, de beaucoup d'autres ressources temporaires, mais M. le ministre des finances ne remarque pas que, dans un mouvement aussi considérable que celui de nos finances, il se produit toujours, d'une manière normale, une certaine quantité de recettes extraordinaires. Ainsi, pendanl la crise alimentaire, on a prêté une somme de deux millions et demi à peu près, successivement vous verrez rentrer par petites quantités une grande partie de cette somme.

Depuis 1848, on a constitué pour diverses dépenses en dehors du budget, un fonds extraordinaire de plusieurs millions ; ce fonds, je l'espère, rentrera en partie au trésor. Vous aurez toujours des recettes accidentelles dans une proportion plus ou moins considérable.

Messieurs, j'ai exprimé à plusieurs reprises l'opinion qu'il serait utile d'avoir dans la balance de nos budgets une situation plus favorable. Il n'y a à cela un avantage, mais à côté de l'avantage, il y a un danger qu'il ne faut pas se dissimuler ; un peu plus d'élasticité dans la situation financièrepermet de mieux faire certaines dépenses, ce qui est assurément un bien ; mais la pression qui s’exerce sur le gouvernement, la tendance qui existe dans les intérêts isolés et surtout dans les intérêts coalisés, cette tendance dans notre pays et d'après nos institutions, est tellement forte qu'on risque très peu de chose en disant qu'un excédant de ressources n'aura jamais qu'une durée bien éphémère, tout au plus bisannuelle et que quand vous aurez augmenté les ressources du budget, il se produira bientôt des dépenses qui viendront de nouveau tout déranger.

D'après les budgets présentés par le gouvernement pour 1852, il y a sur cet exercice un excédant de recettes de 1,874,000 francs On peut présumer, et je ne veux pas exagérer, on peut présumer que la somme non dépensée s'élèvera à 1,500,000 francs. (Interruption.) Voulez-vous supposer seulement un million ? Soit. (Nouvelle interruption) Les comptes qui nous ont été successivement présentés démontrent que chaque année, il est resté au trésor, comme non dépensée, une somme de plus d'un million, j'espère qu'il en sera encore ainsi à l'avenir et qu'on ne se croira pas obligé de dépenser un crédit lorsqu'il y aura moyen de ne pas le faire. Eh bien, messieurs, supposons seulement un excédant de 1,200,000 francs, j'arrive à un boni de 3 millions. C'est-à-dire que, d'après la situation que vous indiquez vous-mêmes, vous avez sur l'exercice de 1852 un excédant de 3 millions.

Répondra-t-on que les prévisions ne se réaliseront pas ? Mais alors il ne fallait pas les faire. Répondra-t-on qu'il y aura de nouvelles dépenses, des dépenses non prévues au budget ? Je dirai : Vous avez 3 millions pour y pourvoir. Est il absolument nécessaire qu'à ces 3 millions d'excédant, vous ajoutiez immédiatement, par l'impôt, 2 millions et 1/2 ou 3 millions, car c'est là, si je me trompe, ce que vous demandez ? Ainsi que je le disais l'autre jour, il semble que l'on fasse de l'impôt à plaisir. Comment ferez-vous comprendre aux contribuables, lorsque vous avec une pareille situation, comment leur ferez-vous comprendre la nécessité, seule base de la légitimité de l'impôt ?

L'on m'a dit, qu'en faisant le compte des suppressions de recettes, j'avais oublié plusieurs choses ; que j'avais oubliés les sucres et les denrées alimentaires. Cela est vrai, le cabinet faisait ces recettes, comme certain personnage de comédie faisait les siennes, c'est-à-dire, malgré lui, je les avais perdues de vue.

Le fait que j'avais cru pouvoir expliquer par des suppressions de recette, devient de nouveau complètement inexplicable. Comment se fait-il qu'après avoir accusé pour les années antérieures un déficit moyen de deux millions et après avoir fait, dites-vous, une économie de 300,000 francs sur les dépenses ordinaires, vous ayez à accuser aujourd'hui un déficit de deux millions et demi à trois millions pour les années qui vont suivre ?

Je vais tenter d'expliquer moi-même ce fait ; et la raison que je crois devoir en donner, c'est que cette économie sur le budget ordinaire n'existe déjà plus ; je vais le démontrer.

Nécessairement je ne parle pas des crédits supplémentaires ; la raison en est bien simple : en 1851, je ne puis pas tenir compte des crédits supplémentaires de 1852 ; je raisonne donc sur les budgets des dépenses présentés ou votés. Voici les chiffres :

Les budgets de 1847 qui ont été augmentés pendant la discussion, comme cela arrive très souvent, parce que les budgets qu'on discute pour les diminuer, sortent maintes fois du palais législatif un peu plus gros qu'ils n'y étaient entrés ; les budgets de 1847, tels qu'ils ont été votés, étaient arrêtés à une somme de 116,452,000 fr. (j'ai relevé ce chiffre dans le n°3 de la session de 1849-1850, compte rendu des recettes et eles dépenses publié par M. le ministre des finances) ; et les budgets présentes pour l'exercice 1852, qui sont susceptibles encore d'augmentation, s'élèvent ensemble à la somme de 115,476,000 fr. ; entre les budgets votés en 1847 et les budgets présentas pour 1852, il y a une différence, non pas de 3,360,000 fr. mais seulement de 976,000 fr.

(page 1334) Voilà en fait le résultat des économies, les résultats des excédants de budget. En très peu d'années, par des augmentations de dépense qui ont chacune leur utilité, vous arrivez à avoir absorbé votre excédant.

D'après ces faits (et je déclare franchement que si j'ai commis quelque erreur dans l'application des chiffres, je le reconnaîtrai très volontiers : cela peut arriver à tout le monde), mais, d'après ces faits, je dis qu'il n'est pas démontré dès à présent que vous avez dans vos finances un déficit normal de 2 à 3 millions sur le budget ordinaire.

Si, après tant d'années, vous avez un découvert, il faut, avant de créer des impôts nouveaux permanents, en rechercher la cause. Il ne s'agit pas ici d'une question politique, il s'agit d'une question de chiffre, il s'agit de faire le bilan de la nation, comme un particulier qui, voulant se rendre compte de sa position, ferait le sien. Il ne faut rien éliminer de l'actif : il ne faut rien retrancher du passif.

Messieurs, ayant cette conviction sur la situation de nos finances, je ne puis pas voter le droit sur les successions qui nous est proposé ; je le puis d'autant moins que, pour donner à notre situation un peu plus de ressort, d'élasticité, il existe, ainsi que je l'ai déjà dit, un moyen beaucoup meilleur pour le gouvernement et pour le pays. Ce moyen consisterait à faire produire plus au chemin de fer ; c'est le premier de tous, et avant qu'il soit épuisé, je ne me sens pas disposé à voter d'autres impôts.

On m'a répondu, en ce qui concerne le chemin de fer, que l'on a eu plus de recette en 1850 qu'en 1847, et que, par conséquent, le tarif nouveau n'a eu aucune influence, que vous ne pouvez obtenir rien de plus du chemin de fer.

On oublie plusieurs faits très importants. D'abord, en 1847, il y a eu des transports gratuits qui n'ont pas eu lieu en 1850. En 1847, le pays se trouvait dans un état de crise et de gène ; l'année 1850, au contraire, est une année normale et même bonne pour le pays. Dans une précédente discussion, M. le ministre des affaires étrangères citait, comme un immense progrès, le mouvement de notre commerce extérieur en 1850. Or, s'il est un fait acquis à l'économie sociale, c'est que le mouvement intérieur se développe dans la même proportion que le mouvement extérieur. Si, en 1850, vous avez cette mesure de votre activité, suffit-il de dire qu'en 1850 le chemin de fer a produit quelque chose de plus qu'en 1847 ; et croyez-vous avoir démontré par là qu'il ne puisse pas produire davantage ?

Le fait est que, avant 1840, il y avait progression constante, reconnue, dans tous les budgets, dans tous les comptes de l'Etat, progression qui était de 1,100,000 à 1,200,000 fr. par an depuis que le chemin de fer est complété. Que cette progression se soit arrêtée, et qu'il y ait eu une diminution notable en 1848, cela se conçoit ; mais aujourd'hui que vous êtes revenus seulement un peu au-dessus du chiffre obtenu en 1847, vous ne pouvez plus nier l'influence du tarif. Je me réfère complètement, à cet égard, à ce qui a été dit, lors de la discussion du budget des travaux publics. Je crois qu'il a été établi alors, notamment par mon honorable ami, M. Decbamps, qu'on pouvait parfaitement, par la révision des tarifs du chemin de fer, en ce qui concerne les marchandises, obtenir une augmentation de 1,500,000 à 2.000,000 de francs, sans détruire l'utilité que le chemin de fer doit conserver...

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Pourquoi ne l'avez vous pas fait ?

M. Malou. - Parce que je voulais vous laisser quelque chose à faire. Pourquoi ne l'avez vous pas fait ? me demandez-vous ; parce que votre tarif n'existait pas ; il nous suffisait de voir cette progression confiante, annuelle de 1,000,000 à 1,100,000 francs ; certainement, si, dans de pareilles circonstances, j'avais modifie les tarifs, on aurait été en droit de dire que je commettais une grande imprudence ; aujourd'hui, c'est le contraire ; voila pourquoi je ne l'ai pas fait.

Si des ressources peuvent être trouvées de cette manière (et c'est là la conviction d'une grande partie des membres de la chambre), il vaut beaucoup mieux pour le gouvernement, pour le bien-être des populations, pour la force de notre nationalité, de demander ces ressources au chemin de fer que de les demander à l'impôt sur les successions, impôt qui serait sans nul doute beaucoup plus mal accueilli dans le pays.

M. Delfosse. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - D'honorables préopinants se sont occupés encore d'objets étrangers à la situation financière ; quelques-uns, malgré mes demandes réitérées, se sont de nouveau livrés à des discussions anticipées sur les questions relatives aux travaux publics. J'ai averti la chambre qu'on s'exposait à tomber dans de graves erreurs, en raisonnant ainsi sur de pures hypothèses. C'est ce qui est arrivé à l'honorahle M. Cools.

Il a supposé que le gouvernement avait l'intention de demander 4 à 5 millions d'impôts nouveaux pour pourvoir aux dépenses relatives aux travaux publics, indépendamment de ce qu'il réclame pour établir l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etat.

Je suis obligé de lui déclarer dès ce moment qu'il s'est complètement trompé.

M. Cools. - J'accepte avec grand plaisir la rectification.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Telle n'est pas l'intention du gouvernement ; les projets qu'il aura à soumettre à la chambre, quand il aura épuisé la question financière et quand il aura réussi, s'il y réussit, à rétablir l'équilibre dans les finances de l'Etat, les projets qu'il a l'intention de soumettre à la chambre ne nécessiteront pas la création d'impôts dons une proportion aussi considérable, loin de là.

Je ne m’occuperai pas de ce qui a été dit par deux orateurs, qu’il était assez facile de rétablir la situation financière en faisant des économies. Chacun a son plan ; c’est un moyen si commode de décider qu’on peut faire face à tous les besoins en supprimant telle ou telle dépense de nos budgets ! Est-ce possible ? Le veut-on, le peut-on même ? On ne s’arrête pas à de pareilles difficultés.

Nous sommes obliges de procéder autrement ; nous ne croyons pas que l'on puisse sérieusement remettre maintenant en discussion des dépenses votées à l'unanimité par les chambres, contre lesquelles personne n'a réclamé et qui n'ont été l'objet d'aucune proposition de réduction lors du vote des budgets. On n'a consacré que des dépenses nécessaires ; c'est là le point de départ qu'il faut admettre pour rechercher ce qui est indispensable afin d'assurer les services publics.

L'honorable président de la chambre, s'occupant de la loi soumise à nos délibérations, nous a dit tout à l'heure que le gouvernement, en présentant le projet de loi qui établissait un impôt sur les successions en ligne directe, l'avait fait après avoir consulté ses amis politiques et obtenu leur assentiment. Cela est parfaitement exact. Les amis politiques du cabinet partageaient ses idées sur la légitimité, toujours évidente à nos yeux, d'un semblable impôt. Mais depuis ont eu lieu des élections qui ont renouvelé en grande partie cette chambre ; ceux d'entre nos amis qui appuyaient notre projet, ne se sont pas tous retrouvés dans cette chambre ; beaucoup d'hommes nouveaux sont venus ; ceux-là n'avaient aucun engagement ; quand ils ont eu à examiner le projet de loi, j'ai un regret bien vif à le constater, ils n'ont pas partagé l'opinion du gouvernement.

Aujourd'hui, c'est après avoir reconnu que les opinions formées à cette époque n'avaient pas changé malgré le temps et les nécessités plus pressantes encore, que le gouvernement a dû se décider à retirer une disposition qui rencontrait une invincible opposition. L'avenir dira qui s'est trompé.

J'ai cru devoir donner cette explication, parce que les paroles de l'honorable président auraient pu être interprétées en ce sens que nonobstant l'assentiment de ses amis politiques, le cabinet n'aurait pas maintenu la disposition relative au droit de succession en ligne directe.

M. Verhaegen. - Non ! non ! telle n'est pas ma pensée.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je le sais ; je précise votre pensée. Il est bien constaté que dans cette affaire, le cabinet n'a pas été suivi par une partie de la majorité.

J'ai maintenant à m'occuper encore une fois de la situation financière. J'ai à répondre au discours que vous venez d'entendre.

L'honorable M. Malou s'est étonne en commençant de ce que, provoqué à examiner la situation financière, on vînt aujourd'hui en quelque sorte refuser le débat, en l'accusant de déplacer la question.

L'honorable membie se trompe étrangement. Plusieurs fois je l'ai en effet provoqué à discuter la question financière, plusieurs fois l'honorable membre a demandé l'ajournement.

Lorsque, en diverses circonstances, ses amis et lui ont essayé vaguement de réhabiliter l'administration de nos finances pendant le long période de temps qui a précédé l'avénement du cabinet actuel, j'ai reproché à l'honorable membre d'avoir laissé passer toutes les occasions qui s'étaient offertes, notamment la discussion du budget des voies et moyens, pour examiner enfin les résultats déplorables que constataient, à chargedles ministères précédents, les exposés de la situation du trésor, que j'ai fournis depuis si longtemps à la chambre et au pays. Au lieu de prendre la parole immédiatement, il a attendu jusqu'à ce jour pour s'expliquer, et il insinue maintenant qu'il nous aurait donné un rendez-vous que nous craindrions d'accepter ! Non, non, vous ne ferez illusion à personne ; vous ne vous décidez à vous défendre que parce que vous êtes acculé dans vos derniers retranchements. Nous vous avons longtemps attendu.

Je vous ai accusé d'avoir déplacer la question ; oui, et vous persistez à la déplacer complètement. De quoi s'agit-il ?

Il s'agit de savoir s'il a existé, s'il existe encore une insuffisance de ressources ; il s'agit de savoir si les ressources ordinaires dont le gouvernement a disposé dans le passé et dont il dispose aujourd'hui, lui ont permis et lui permettent encore de faire face à toutes les dépenses ordinaires de l'Etat. Je démontre d'une manière irrécusable que les dépenses ont notablement excède les recettes. Que nous répondez-vous ?

Vous nous répondez en essayant d'établir un informe bilan des richesses du pays. Vous voulez établir que les dépenses qui ont été faites pendant un espèce de 20 années ont été utiles, productives, qu'il y a eu accroissement de la richesse nationale. Et moi, je vous arrête et je vous dis que tous ces points ne sont pas en discussion.

Bien loin de vouloir accuser à cet égard, je suis le premier à déclarer hautement, comme je l'ai fait en 1847 dans la discussion financière, que les travaux qui ont été exécutés en Belgique ont été utiles, profitables au pays, et qu'ils ont accru la richesse publique. Mais pour toutes ces dépenses extraordinaires, des ressources extraordinaires ont été mises à la disposition du gouvernement, or, ces dépenses, que nous ne songeons pas à critiquer, ne sont pas celles qui ont engendré le déficit. Ce que j’ai dit en 1847, et ce que je répète aujourd'hui, c'est que l'on a successivement augmenté les dépenses ordinaires sans avoir des ressources pour y faire face ; c'est que, ayant une connaissance certaine de l'insuffisance des ressources, convaincu qu'il fallait introduire des améliorations dans la situation financière, vous n'avez pas eu le courage de proposer les (page 1335) remèdes qu'il fallait y appliquer : des économies d'abord, ensuite de nouveaux impôts.

Rapporteur du budget des voies et moyens de 1845, que disiez-vous ? Vous annonciez hautement à la chambre et au pays : « Qu'il fallait, sous peine de compromettre l’avenir, aviser sérieusement aux moyens d’établir et de maintenir l’équilibe qui n’a pas existé jusqu’à présent.

Ministre des finances renversé par les élections, vous inscrivez au Moniteur du 23 juillet 1847 : « que l'équilibre existe en Belgique depuis plusieurs années entre les récettes et les dépenses ordinaires ; que les exercices dont les résultats sont connus présentent un solde actif ; que l'équilibre a été maintenu malgré la crise des subsistances qui a pesé sur les deux dernières années, » contradiction flagrante avec l'aveu désintéressé du rapporteur de la section centrale, contradiction d'autant plus étrange, plus incroyable que de 1845 à 1847, la situation s'était encore notablement aggravée. Et dans quelles circonstances donniez-vous un caractère officiel à une telle affirmation ?

Dans la séance du 8 mars 1847 l'opposition vous avertissait, elle vous disait que vous gériez mal les finances de l'Etat ; que vos dépenses excédaient vos recettes ; elle vous parlait comme parlait autrefois le rapporteur de la section centrale du budget des voies et moyens de 1845.

Qu'étiez-vous obligé d'avouer ? « Qu'il faudrait enfin augmenter les ressources permanentes de l'Etat ». Voilà l'aveu que l'évidence vous attachait ! Est-ce que vous vous en êtes souvenu lorsque vous avez fait votre publication du 23 juillet 1847 ? Et lorsque nous réclamons une certaine augmentation du revenu public, et que vous venez soutenir aujourd'hui, oubliant déjà le premier discours que vous avez prononcé dans cette discussion, que l'équilibre existe, ou, par une sorte de concession, qu'il ne faut rien ou qu'il faut peu de chose pour améliorer la situation financière, qui devons-nous croire ? Est-ce le rapporteur de la section centrale en 1845 ? Est-ce le ministre des finances, exprimant, en 1847, devant la chambre, l'opinion qu'il faudrait augmenter les ressources permanentes de l'Etat ? Est-ce le minisire des finances, qui établit sa défense et sa justification le 23 juillet 1847 ? Est-ce le membre de l'opposition parlant aujourd'hui ?

Une discussion de ce genre n'est pas de nature à être aisément comprise par tout le monde, par le public. L'honorable membre le sait parfaitement : aussi compte-t-il sur le succès de sa manière de grouper certains chiffres ou de lancer certaines affirmations. Mais, au fond, pour ceux qui sont initiés à ces sortes d'affaires, rien n'est plus facile que de démontrer les vices radicaux de l'argumenlalion de l'honorable membre.

Ne l'avons-nous pas entendu, dans son premier discours, renouveler la thèse qu'il avait soutenue en 1847, que le déficit, à cette époque, n'était que de 9 millions ? Ne l'avons-nous pas entendu invoquer comme preuves et la publication qu'il a faite alors dans le Moniteur, et la publication faite immédialement après par M. Hubert ?

Eh bien, cette publication de M. Hubert a été faite pour combattre les affirmations qui se trouvaient insérées dans le Moniteur ; elle a été faite pour démontrer les erreurs nombreuses dans lesquelles était tombé l’honorable M. Malou ; elle a été faite pour établir que, contrairement à ses affirmations, le déficit alors connu était de plus de 36 millions de francs !

Et c'est là l'autorité qu'invoque l'honorable M. Malou, c'est-à-dire qu'il appelle à son aide une publication qui le condamne t !

M. Malou. - Elle arrive à la môme conclusion que moi, à 10 millions même au lieu de 9.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous allons le voir à l'instant même.

Voici vos paroles inscrites au Moniteur du 23 juillet 1847.

« L'équilibre existe en Belgique depuis plusieurs années entre les recettes et les dépenses ordinaires. »

M. Hubert, après avoir établi un déficit général tant sur l'ordinaire que sur l'extraordinaire, de 71,927,861 fr. 85 c, démontre que le déficit sur l'ordinaire compris dans ce chiffre, est de 36,100,105 fr. 50 c. ; et, quand vous énoncez que l'équilibre entre les recettes et les dépenses ordinaires a été maintenu, il vous répond ainsi, page 8 : « Un fait bien remarquable et que nous ne devons pas laisser échapper ici, c'est que le déficit de 36,100,105 fr.50 c. de l'ordinaire représente à fr. 295,361-31près, les crédils supplémentaires accordés pour le même service en dehors des allocations primitives des budgets.

« Si les dépenses étaient restées dans les limites des allocations primitives, le service de l'ordinaire ne présenterait, pour la période de 17 ans, qu'un déficit de 295,361 fr. 31 c.

« Il résulte de ceci que les crédits supplémentaires ont rompu l'équilibre des recettes et des dépenses ordinaires, et que, sans cette circonstance, ce service se serait suffi à lui-même. »

Est-il possible de rencontrer une plus vigoureuse contradiction ? L'honorable M. Malou affirme, imprime que l'équilibre entre les dépenses et les recettes ordinaires a été maintenu : M. Hubert prouve que l'insuffisance des recettes a donné lieu à un déficit de plus de 36 millions de francs ! Et pourtant M. Malou invoque le témoignage du conseiller à la cour des comptes, parce que M. Malou trouve bon de supprimer d'un trait de plume 36 millions de crédits supplémentaires !

M. Malou. - Je demande la parole.

M. Roussel. - Cela ne prouve qu'une seule chose, c'est que les dépenses extraordinaires ont nécessité des crédits supplémentaires.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je viens, au contraire, de vous indiquer que ce sont les dépenses ordinaires qui ont nécessité 36 millions de crédits supplémentaires.

Vous pourrez, du reste, vous expliquer sur la situation financière : je serai très heureux de vous entendre.

M. Hubert élablit donc un déficit général s'élevant à 71,927,861 fr. 83 c. pour la période de 1830 à 1847 ; il prouve que ce déficit provient, d'une part, à concurrence de 35,827,756 fr. 53 c. des dépenses extraordinaires couvertes ultérieurement par des consolidations, et, d'autre part, à concurrence de 36,100,103 fr. 30 sur l'ordinaire résultant de crédits supplémentaires votés en dehors des budgets primitifs.

« Parvenu au terme de ma tâche, dil-il page 21 de sa brochure, je crois avoir démontré que le produit des emprunts a été respecté ; que notre déficit procède, d'une part, des crédits supplémentaires que l'on accorde en dehors des budgets primitifs, sans créer les ressources nécessaires pour les couvrir ; d'autre part, des crédits extraordinaires pour des services spéciaux, que l'on accorde sans créer d'autre moyen pour y faire face que la dette flottante, c'est-à-dire les émissions dès bons du trésor. »

Ainsi, vous l'entendez, un déficit de 36 millions sur l'ordinaire résulte des crédits supplémentaires votés en dehors des budgets primitifs ! Mais l'honorable M. Malou ne s'arrête devant aucune preuve, et il continuera à soutenir, malgré les démonstrations si claires, si évidentes, si désintéressées de M. Hubert, que l'équilibre a été maintenu entre les recettes et les dépenses de l'Etat !

Vous vous êtes appuyé pour la deuxième fois (vous l'aviez déjà fait en 1847) sur la situation publiée à cette époque-là par l'honorable M. Veydt, mon prédécesseur ; elle vous donnait raison, selon vous ; vous y trouviez la preuve, sinon que le déficit n'existait pas, au moins qu'il n'était pas aussi considérable que celui que nous avons indiqué depuis. Vous triomphez ; vous parlez de chiffres mal placés et auxquels on enlève ainsi leur véritable signification. Vous vous écriez : Comment comprendre que l'honorable M.Veydt n'accuse qu'un déficit de 23 millions au 1er janvier 1847, tandis que je constate pour la même époque un déficit de 13 millions ! Le rapprochement de ces deux chiffres doit séduire bien des gens !

Comment croire, en vous entendant, qu'il n'y ait pas exagération dans la somme de 43 millions ? Eh bien, je vais vous donner l'explication que vous demandez.

Los comptes généraux de l'Etat, réglés par la loi pour la périodi de 1830 à 1843 inclus présentent un déficit de 19,296,025 fr. 72 c.

L’exercice 1845 se solde par un déficit de 4,533,397 fr. 92 c, et l'exercice 1846 par un déficit de 8,688,935 francs 92 c., ensemble 13,222,353 fr. 84 c, ce qui porte le déficit total à la somme de 32,318,309 fr. 56 c.

Par contre l'exrrcice 1814 offre un boni à déduire de fr. 3,624,851-44 ; reste donc en déficit pour la période de 1830 à 1846 inclus fr. 28,893,528-12.

L'exercice 1847, qui a atteint son terme de clôture, présente un déficit de 14,044,311 fr. 15 c.

Ainsi la période de 1830 à 1847 inclus offrirait un déficit général, malgré les ressources extraordinaires mises à la disposition du gouvernement pour pourvoir à des services spéciaux de 42,937,839 fr. 27 c.

D'après la situation du trésor au 1er septembre 1847, publiée par M. Veydt, à l'avènement du cabinet actuel, voici les résultats qu'elle offrait :

Les exercices 1830 à 1842 inclus étaient en déficit de 21,788,352 fr. 58 c. ; l'exercice 1846 présanlait un déficit de 2,036,233 fr. 99 c, et celui de 1847 de 172,927 fr. 88 c, ensemble 2,209,161 fr. 87 c, soit un déficit total de 23,997,514 fr. 25 c.

Ce déficit s'augmentait des dépenses extraordinaires pour travaux à couvrir par les bons du trésor et rattachés, savoir, à l'exercice 1845 pour 14,750,000 fr. ; à l'exercice 1846, pour 5,800,960 fr. et à l'exercice 1847, pour 2,950,000 fr. ; ensemble 23,500,960 fr. Ce qui porte le déficit à la somme de 47,498,474 fr. 25 c.

Par contre, les exercices 1843, 1844 et 1845 devaient offrir des excédants de recettes ou boni à déduire du déficit général, savoir : les exercices 1843 et 1844, 23,755,008 fr. 89 c. et l'exercice 1846 908,200 fr. 17 c, soit à déduire 24,621,209 fr. 06 c.

Ainsi le déficit de 1830 à 1847 devait se réduire à fr. 22,857,265-19.

Le déficit général, tel qu'il ressort actuellement de la situation connue, tous les faits de la période de 1830 à 1847 étant actuellement accomplis, s'élève, comme nous l'avons déjà dit, à fr. 42,937,839-27.

La différence entre la situation au 1er septembre 1847, dressée par M. Veydt, à son entrée au ministère, et la situation réelle, telle qu'elle résulte de faits reconnus et constatés en 1850, ou l'accroissement du déficit existant au ler septembre 1847, est donc de 20,080,574 fr. 08 c.

L'honorable M. Malou a feint de croire (il a trop d'intelligence et de connaissance des affaires pour que je puisse dire qu'il a commis une erreur, que c'était par suite d'une arithmétique nouvelle que j'arrive au chiffre de 43 millions.

M. Malou. - On ne peut dire que j'ai feint de croire ; c'est contraire au règlement.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). Vous dites plus ; vous dites (page 1336) que j’ai arrangé les chiffres que je vous ai ainsi attribué un défaut qui n’existe pas.

M. Malou. - Je n'ai pas dit cela : j'ai dit seulement que des chiffres avaient été transposés de manière à ne pas avoir leur vraie signification. (Interruption)

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C’est fort aimable ; votre explication contrebalance mon expression.

Je vais vous dire maintenant ce que vous devez savoir : c'est que la situation, arrêtée en 1847, était établie sur des probabilités, sur les faits que révélait alors la comptabilité ; le déficit était donc présumé dans cette situation devoir s’élever à 22,857,265 fr. 19 c.

Mais les lois de comptes sont intervenues ; ; les comptes ont été arrêtes par les chambres. Le déficit des années 1830 à 1842 inclus, au lieu de s'élever à 21,788,352 fr. 38 c., s'élève suivant ces lois de comptes à 22,729,922 fr. 87 c., ce qui fait un accroissement de déficit de 941,570 fr. 49 c. Article premier.

Les exercices 1843 et 1844 devaient présenter un solde actif ou boni de 23,735,009 fr. 89 c. ; c'était encore ce que vous présumiez en 1846, et ce que \otre honorable successeur a présumé en 1847. Mais les comptes sont venus, et d’après le règlement de comptes, l’actif de 23 millions s’est réduit à 7 ;058 ;748 fr. 59 c., différence en augmentation de déficit, 10,674,200 fr. 30 c. Deuxième article qui est assez rond.

L'exercice 1846, qui ne devait nous offrir, tant à l'ordinaire qu'à l'extraordinaire, qu'un déficit de 7,837,195 fr. 99 c., en présente actuellement un de 8,688,955 fr. 92 c. ; ce qui donne une augmentation de déficit de 831,761 fr. 93 c. Troisième article.

L'exercice de 1847, qui ne devait présenter à l'ordinaire et à l'extraordinaire qu'un déficit de 3,422,927 fr. 88 c., en présente un de 14,044,311 francs 15 c ; augmentation de déficit : 10 921,383 fr. 27 c. Quatrième article qui vaut la peine d'être mentionné !

Ainsi le total des augmentations de déficit par suite des règlements de compte ou des faits constatés, 29,388,975 fr. 99 c.

Par contre, l'exercice 1845 qui devait offrir un déficit de 15,841,799 francs 83 centimes, ne présente à la suite de l'application qui lui a été faite du produit des obligations 4 1/2 p. c. émises en vertu de la loi du 21 mars 1844, autorisant la consolidation de 10 millions de la dette flottante, qu'un déficit de 4,536,397 fr. 92 c., ce qui donne en réduction du déficit, 9,308,401 fr. 91 c. et laisse, en définitive, sur la situation constatée au 1er septembre 1847, un accroissement de deficit de 20,080,574 francs 8 centimes.

Voilà l'explication que vous cherchez ; voilà ce qui pourra vous dispenser désormais de parler de la situation au 1er septembre 1847, comme étant la défense la plus forte que vous puissiez invoquer en faveur des gestions antérieures à 1847.

Reconnaissez qu'il y a une différence notable entre les présomptions et les faits acquis, les faits constates par les comptes.

Voilà la différence. Elle est de vingt millions, et ces vingt millions, ajoutés aux vingt-trois millions que vous reconnaissez, font bien quarante-trois millions, montant du deficit antérieur à 1847.

- Un membre. - Du découvert.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je dirai le découvert, l'arriéré, l'insuffisance de ressources, je me servirai de telle expression que l'on voudra. Cela signifie que nous n'avons pas trouvé de quoi faire face à ces quarante-trois millions. On avait crée le déficit et non le moyen d'y pourvoir.

Nous avons donc eu quarante-trois millions de déficit, voilà ce qui est bien et dûment constaté, dans cet espace de dix-huit années. Est-ce à l'ordinaire, est-ce à l'extraordinaire qu'il faut l'imputes ? Voilà la question.

Selon l'honorable M. Malou, ce serait en certaine mesure à l'extraordinaire. C’était d'abord tout à l'extraordinaire, mais il a fallu renoncer à cette prétention. Il a fallu y renoncer, parce que dans la situation au 1er septembre 1850, j'ai eu soin de faire publier un tableau des ressources extraordinaires mises à la disposition du gouvernement depuis 1830, et j'ai constaté que les ressources extraordinaires ont suffi à payer les dépenses extraordinaires, qu'il est même resté de ce chef un excédant de deux millions qui a été appliqué aux dépenses de l'ordinaire.

Le déficit de 43 millions qu'il faudrait augmenter de ces deux millions appliqués aux dépenses ordinaires, provient évidemment d'une insuffisance des ressources ordinaires pour faire face aux dépenses de même nature.

Mais, dit l'honorable M. Malou, votre tableau n'est pas complet, il nous fait tort de divers chefs ; vous faits erreur à notre préjudice de 46 millions. Vous n'avez pas compris dois ce tableau diverses acquisitions qui ont été faites. Cela n'est pas juste ; il faut tenir compte du ces objets.

C’est ici que l'honorable membre persévère dans ses confusions.

Il ne s'agit pas, messieurs, d'établir le bilan de la Belgique ; ce bilan n'est pas à faire, il s'agit d’établir le compte des recettes et des dépenses de l’Etat ; il s'agit de si voir ce qui est entré dans les caisses de l'Etat et ce qui en est sorti. Voila ce qui est à examiner. C'est la seule question qui puisse être maintenant soumise à la chambre.

Ce n'est pas du bilan de la nation que vous avez à vous occuper. S'il s'agissait du bilan, il devrait comprendre bien autre chose ; ce ne serait pas seulement la forêt de Soignes qui devrait y figurer ; ce seraient toutes les valeurs actives que nous possédons. Or, cela ne peut pas figurer dans un tableau des recettes et des dépenses extraordinaires. Toutefois, examinons les objections et les chiffres de l’honorable M. Malou.

Vous n'avez pas compris dans ce tableau, dit l'honorable M. Malou, 15,242,000 fr, à l'actif. Cette valeur a été comptée en 1843, dit-il, pour 13,360,00 fr., et elle a réellement produit ultérieurement dans les mains du ministre des finances 16 millions de francs.

Messieurs, l'ancienne administration n'avait pas la disposition de ces valeurs. Le 4 p. c. se trouvait déposé à la Société Générale qui n'en a fait la remise qu'après 1848, et la la loi du 21 mai 1845, qui l'avait rattaché au budget, n'avait pas d'autre but que de consacrer l'existence de cette valeur. Mais elle en interdisait la disposition. Ainsi au point de vue de la comptabilité, il était de toute impossibilité de comprendre en recette des valeurs qui n'étaient pas réalisées et dont le gouvernement n'avait pas la disposition.

Il est inexact de dire ensuite, comme le fait l'honorable M. Malou, que les 13,000,000 fr. en 4 p, c. et les autres valeurs ont produit 16 millions.

Il y a ici confusion. Les 4 p. c. ont été vendus pour un peu plus de $10 millions ; les autres valeurs sont du 2 1/2 p. c. qui d'après le cours du jour donneraient environ 1,200,000 fr. et qui est encore à réaliser. Mais les 5 à 6,000,000, et voilà où est votre erreur, que l'administration actuelle a réalisés, proviennent de la vente du 2 1/2 p. c. restant en boni après la liquidation des créances mentionnées à l'article 64 du traité du 5 novembre 1842.

Au surplus, si l'ancienne administration avait eu la disposition des titres dont nous nous occupons, qu'en serait il résulté ? Que l'on aurait éteint une somme égale de passif. Mais cela aurait-il prouve que le passif n'avait pas existé ? Tout ce qui serait arrivé, c'est qu'on aurait change une créance à terme, à un an de date, qui s'appelle bons du trésor, contre une dette consolidée, contre une rente perpétuelle.

Est-ce que le déficit aurait été moindre parce qu'il aurait été consolidé ? N'aurait-il pas également existé ? L'honorable M. Malou peut donc porter à son compte ces 16,000,000 fr. s'il le trouve bon, bien que je vienne de rectifier une erreur de 5 à 6,000,000 fr., cela n'empêchera pas qu'il ait existé un déficit, et c'est ce que nous avons à démontrer.

Vous n'avez pas non plus porté en compte, nous dit-il, la forêt de Soignes. J'ai déjà répondu par cette observation générale que l'on n'a pu faire entrer la forêt de Soignes dans la caisse de l'Etat. On n'a pu faire recette et dépense de cette forêt. On n'a pas non plus porté 7, 414,000 pour le palais de Tervueren, 6,000,000 fr. pour le capital de la rente constituée au profit de la ville de Bruxelles ! Non, parce que tous ces articles n'ont pas constitué une recette, parce qu'ils n'ont pu servir à couvrir des dépenses.

.Mais faisons encore à l'honorable membre la concession qu'on puisse porter de tels articles dans un tableau de recettes et de dépenses. Seulement, si on l'inscrit du côte des recettes, il faudra l'inscrire du côté des dépenses ; si l'on inscrit, d'un côté, que l'on possède la forêt de Soignes d'une valeur de 17 millions, il faudra parler aussi en dépenses les 17 millions payés pour l'acquérir.

Il en sera de même pour le palais de Tervueren, pour la rente de la ville de Bruxelles, et qu'en résultera-t-il ? C'est que la balance ne sera pas changée, à moins que l'honorable M. Malou ne prétende acquérir ces propriétés pour rien et les transformer en valeurs disponibles pour couvrir la delte du passé.

Mais, dit-on, vous avez bien mentionné dans les dépenses extraordinaires l'acquisition de l'hôtel du ministère de la guerre....

M. Malou. - Non, celui-là vous l'avez oublié, mais vous avez compris les autres.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - C’est juste ; je veux parler des hôtels de la rue de la Loi. Ils sont compris dans le tableau des dépenses extraordinaires. C’est tout simple : on a dû le spayer, on a fait une dépense pour les payer.

L'article de 450,000 fr. pour l'hôtel du ministère de la guerre, ne figure pas dans le tableau, comme le fait observer l'honorable M. Malou. C'est parce qu'on a porté annuellement au budget une certaine somme qui a servi à éteindre le prix de cette acquisition. Je reconnais cependant qu'il aurait fallu comprendre ces 450,000 francs dans le tableau des dépenses extrarodinaires, mais, par contre, il y a au budget bien des recettes extraordinaires qu'il aurait fallu aussi déduire, ce qui aurait encore augmenté le déficit de l'ordinaire.

Ainsi aucune des critiques de l'honorable M. Malou ne porte atteinte aux résultats que j'ai fait connaître à la chambre, et il reste démontré qu'il y a eu une insuffisance de ressources de 43 millions sur l'ordinaire, ce qui, pour dix-huit années, représente précisément une insuffisance moyenne d'environ 2.400,000 francs par an.

L'honorable M. Malou nous disait tout a l'heure, messieurs, que nous accusions l'ancienne administration d'avoir laissé un déficit considérable qui nous a donné de grands embarras en 1818, et il ajoutait, par forme de consolation, que nous avions laisse la situation s'aggraver de 32 millions en trois ans.

Nous répondons que si la dette a été augnuntée, ce n'est point à nous qu'il faut l'imputer. Il a fallu faire des dépenses extraordinaires par suite des événements de 1848 ; puis nos recettes ont fléchi ; et enfin nous avons dû payer, pour les administrations précédentes, d'anciennes dettes jusqu'à concurrence de 14 millions ! Soyez justes, continuait l'honorable membre et reconnaissez que, pendant une gestion de 18 ans nous avons eu aussi des circonstances fâcheuses qui ont influé sur les (page 1337) recettes et qui nous ont obligés de faire certaines dépenses. Mais, messieurs, personne ne le conteste ; j'en ai fait compte lorsque dans la dernière séance j'ai expliqué la situation. Personne ne conteste que les recettes ont été atteintes en 1846 et 1847 par la crise des subsistances, il a été tenu compte de ces influences dans l'appréciation de toutes les situations du trésor. Ainsi dans la situation au 1er septembre 1850, je l'énonce encore en termes exprès.

Mais, est-ce à dire qu'il ne faut rien faire dans la prévision des circonstances qui viennent affaiblir les recettes ? Loin de là, assurément.

Est-il d'un homme raisonnable de supposer que dans une période de 18 ou 20 années, vous n'aurez pas des années calamiteuses ?

Ne faut-il compter que sur de beaux jours au mois de mai ? Mais il pleut quelquefois au mois de mai. Il faut compter sur les bonnes et les mauvaises années ; il faut que les ressources des bonnes puissent, dans certaine mesure, compenser le mal que font les mauvaises. Mais vos ressources étaient insuffisantes et elles le sont devenues bien davantage dès que les circonstances étaient défavorables, tandis que si vous aviez eu un excédant convenable dans les bonnes années, vous auriez été bien mieux à même de supporter les pertes que vous avez éprouvées dans les années calamiteuses.

Il faut donc équilibrer les recettes et les dépenses. Or, est-ce que la somme de 2 millions et demi à 3 millions que je demande est exagérée ? Qui oserait le prétendre en présence de l'insuffisance moyenne de 2 millions 400,000 francs par an, qui s'est produite pendant 20 années ? Est-ce, comme le supposait tantôt l'honorable M. Malou, pour avoir un excédant qui serait bientôt absorbé par la pression qui s'exerce en général sur le gouvernement lorsqu'il a des fonds à sa disposition ? Mais en aucune manière : c'est uniquement pour payer les dépenses normales et permanentes de l'Etat.

Et, à ce propos, je m'aperçois que j'ai oublié de répondre à un grief assez étrange de l'honorable M. Malou. On n'a porté, dit-il, en dépense extraordinaire que le capital dépensé pour construire le chemin de fer, c'est-à dire 169 millions ; on n'y a pas ajouté les intérêts, comme l'a fait la cour des comptes, ce qui établirait une différence de 61 millions ! Il faut avouer, messieurs, que de toutes les manières de calculer, celle-là est la plus étrange.

Encore une fois, l'honorable M. Malou veut faire un bilan au lieu d'établir un compte de recettes et de dépenses.

Qu'est-ce qui est sorti de la caisse de l'Etat pour le chemin de fer ? 169 millions. Qu'est-ce que l'on porte dans le tableau des dépenses ? 169 millions.

M. Malou. - On a payé les intérêts.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Les intérêts figurent au budget de la dette publique ; c'est une dépense normale et permanente, et il serait parfaitement absurde de les détacher du budget de la dette publique pour les faire figurer aux dépenses extraordinaires. Quelle qu'en soit la cause, la dette publique est une dépense normale et permanente, c'est la première de toutes nos dépenses, celle qu'il importe le plus de payer, car elle intéresse notre honneur. Il faut donc y pourvoir.

Dans votre système bizarre, il faudrait déduire du budget de la dette publique les intérêts des emprunts contractés pour le chemin de fer, et vous auriez hâte, sans doute, de conclure alors que nos recettes inscrites au budget des voies et moyens excèdent de beaucoup le montant des sommes comprises dans les budgets de dépenses ! De la sorte vous pourriez bientôt vous persuader que l'insuffisance des ressources n'est qu'une pure illusion. Seulement, permettez-moi une seule question : Comment payerez-vous les intérêts de cette dette ?

L'honorable M. Malou, envisageant ce qu'il appelle la seconde forme de mon argument, pour prouver l'insuffisance des recettes, dit que si nous avons eu un déficit de 43 millions, il a été successivement consolidé, qu il ne nous reste plus véritablement à couvrir qu'un découvert de 14 a 15 millions. Ce chiffre est inexact. Mais à part cela, oui, sans doute on a consolidé une partie de la dette flottante ; cela est vrai, mais la dette a changé de nom ; elle s'appelait dette flottante, elle est devenue dette consolidée : quelles sont les causes de l'insuffisance ? Ce sont celles que j'ai signalées.

Que voulez-vous conclure du fait que vous citez ? Qu'il n'y a rien à faire ? qu'il faut continuer à créer une dette flottante, pour la consolider ensuite ? Et, quand ce système ne serait pas déplorable et ruineux, échapperiez-vous à la nécessité de créer des impôts pour servir l'intérêt et l'amortissement de vos dettes accumulées ?

J'avais fait remarquer à l'honorable M. Malou que, loin d'avoir affaibli le chiffre des recettes sur lesquelles le gouvernement peut compter, j'avais admis comme ordinaires des recettes extraordinaires qui pouvaient compenser et au-delà certaines dépenses de même nature qui figurent au budget.

L'honorable membre me répond que l'on continuera à faire des recettes de ce genre. Oui, des recettes extraordinaires se représenteront ; mais l'expérience le prouve, elles vont toujours en diminuant ; elles étaient de 5 millions en 1840 ; elles ne sont que d'un million en 1850 ; et si des recettes extraordinaires continuent à se présenter, des dépenses extraordinaires se présenteront aussi dans le même temps.

L'honorable M. Malou, dans le premier discours qu'il a prononcé, avait reconnu qu'il y avait nécessité d'améliorer la situation financière ; aujourd'hui il va presque jusqu'à contester cette nécessité ; il revient sur la concession que l'évidence de la vérité semblait lui avoir arrachée. Aujourd'hui, selon lui, il ne faut qu'une somme insignifiante : on y pourvoira par le chemin de fer, éternel argument de ceux qui ne veulent pas voter l'impôt,

On y pourvoira par le chemin de fer !... Vous en avez déjà fait l'essai par le tarif des voyageurs ; nous avons déjà reçu quelques à-compte sur les millions que vous nous annonciez ! Nous sommes encore à espérer les 300,000 fr. qu'on nous a promis et qui peut être ne viendront pas !

Et vous voulez que nous fondions de plus grandes espérances sur des modifications à introduire dans le tarif des marchandises, alors que le tarif que vous incriminez, et qui a réglé le prix de transport des grosses marchandises, a donné en mouvement et en recettes une somme plus considérable que le tarif précédent, alors que le tarif du 1er septembre, accroissant le prix de transport des petites marchandises, a donné moins en mouvement et en recette : preuve évidente que vous ne sauriez rien obtenir par l'augmentation du prix du transport des marchandises.

Mais, dit l'honorable M. Malou, les budgets de 1852 laissent un excédant de 1,800,000 fr., et comme on peut présumer une économie d'un million de francs, vous avez un excédant de 2,800,000 francs : c'est bien plus qu'il ne faut pour faire face aux nécessités de la situation.

Voyons l'expérience, voyons celle de l'année qui commence, vous pourrez tous juger immédiatement.

Les budgets de 1851 ont été présentés à 115,456,000 fr. ; le budget des voies et moyens a été arrêté à 117,332,000 fr. ; excédant : 1,896,000 francs, c'est là une situation tout à fait analogue à celle que l'honorable M. Malou trouve charmante pour l'année 1852.

Eh bien, depuis le mois de janvier 1851 jusqu'à ce jour, on a voté et proposé des crédits supplémentaires (et ce ne sont pas les derniers) pour 5,553,952 fr. 36 c. : ce qui fait que cette excellente ressource de 1,890,000 fr. se transforme en déficit de 3 à 4 millions ! C'est là ce que l'honorable M. Malou nomme apparemment l'équilibre entre les recettes et les dépenses de l'Etal.

Je prends l'année 1851, parce que les faits sont là ; ils sont sous vos yeux ! mais chaque année, des résultats analogues se sotn présentés ; les budgets ont été arrêtés avec des excédants de recettes ; ils se sont soldés avec des insuffisances de ressources. Ainsi, il faut être de l'opposition ou doué de la crédulité la plus robuste, en présence d'une pareille situation, pour déclarer qu'il y a très peu de chose à faire afin de l'améliorer.

L'honorable membre a dû reconnaître qu'il nous avait injustement reproché d'avoir diminué les recettes, puisque nous avons pu constater que dans le même espace de temps, où l'on réduisait certains impôts, d'accord avec l'honorable membre... (Interruplion.)

L'honorable membre se rappellera peut-être l'abolilion du timbre des journaux ; c'est un article à inscrire à vos charges comme aux nôtres ; vous avez contribué à affaiblir les recettes de ce chef ; seulement, je ne le regrette pas, et c'est peut-être la différence qu'il y a à cet égard entre vous et moi.

L'honorable membre a donc dû reconnaître qu'il avait omis de tenir compte des augmentations de recette qui contrebalançaient, et bien au-delà, quelques réductions qui ont été opérées dans ces dernières années : seulement il avait oublié de tenir compte de ces augmentations de recette, par un motif tout particulier : c'est que le gouvernement avait fait ces recettes malgré lui ; il avait, malgré lui, accepté un impôt plus élevé sur les denrées alimentaires.

Eh bien, oui, nous avons accepté malgré nous un impôt plus élevé sur les denrées alimentaires, et nous regrettons encore qu'un droit plus modéré n'ait pas été voté ; cela est très vrai ; mais ce n'est pas une raison pour prétendre que le déficit provenait d'un affaiblissement dans les recettes. Cela est complètement inexact. Il y a un accroissement sur le produit de l'impôt qui grève le sucre. Vous ne vous en êtes pas souvenu non plus.

Le gouvernement avait proposé le droit d'accise sur les sucres à 3,200,000 fr ; la chambre l'a porté à 3,500,000 fr. : mais l'initiative de la mesure revient au gouvernement. Il y a plus : nous avons proposé le moyen d'assurer la perception de l'impôt, tandis que sous les administrations précédentes, on n'a jamais pu obtenir la somme qui avait été promise.

M. Coomans. - Vous n'avez pas les 3,500,000 francs.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Nous parlons de ce qui est entré dans nos caisses ; pour l'avenir, nous verrons. En attendant, pour le passe, à l'exception d'un trimestre où il y a eu un déficit, nous avons eu constamment la somme minimum déterminée par la loi.

Et au surplus, il est assez étrange d'entendre l'honorable M. Coomans vous annoncer que vous aurez un déficit de ce chef, que la recette sur laquelle vous comptez vous échappera ; tandis que l'honorable membre déclarera probablement tout à l'heure aussi qu'il n'y a pas lieu de pourvoir aux besoins de l'Etat, qu'il n'y a rien à faire, bien qu'il ait la conviction que certaines ressources sur lesquelles on compte n'entreront pas dans la caisse de l'Etat. Ne résulte-t-il pas de la une nécessité plus grande de voter les ressources que le gouvernement demande, pour assurer les services publics ?

L'honorable M. Malou comparant les budgets votés pour 1847, en passant sous silence les crédits supplémentaires, aux budgets proposés pour 1852, ne trouve entre eux qu'une différence, à l'avantage de ces derniers, de 976,000 fr.

Il s'étonne de ce résultat alors que nous avons opéré des réductions de plusieurs millions sur les dépenses ordinaires. C'est que l'honorable (page 1338) membre n'a pas remarqué que ces budgets comprennent pour plusieurs millions, des dépenses nouvelles qui n’existaient pas en 1847. Ainsi le budget de la dette publique s’est accru des intérêts des emprunts de 1848 ; le service des prisons exige des dépenses beaucoup plus fortes ; le crédit pour la voirie vicinale a été augmenté, la dotation de l’enseignement primaire est plus élevée, la dotation de l’enseignement moyen a pris une plus large place au budget. Toutes ces dépenses et beaucoup d’autres auraient été faires, quand même les économies n’auraient pas été réalisées.

Les économies ont permis de faire des dépenses nécessaires pour une somme équivalente ; et malgré ces dépenses nouvelles, les budgets de 1852 sont encore inférieurs d’environ un million à ceux de 1847.

Je crois pouvoir m'arrèter ici, car j'ai rencontré les diverses objections présentées par l'honorable M. Malou ; je crois l'avoir suivi pas à pas et avoir démontré les erreurs dans lesquelles il est tombé.

Je crois que l'honorable membre s'attache à discuter une question qui n'est pas et ne peut pas être soumise à la chambre, celle du bilan de la Belgique.

Ce bilan, il serait assurément fort difficile de l'établir ; ce serait un travail immense qui n'a pas besoin d'être fait pour qu'on sache que la richesse publique s'est accrue, que des dépenses utiles en grand nombre ont été faites depuis la révolution. Persoime d'ailleurs ne le conteste.

Mais nous prétendons qu'il faut encore doter la Belgique de nouveaux instruments de travail, et persévérer dans la voie d'activité et de progrès qui doit faire, dans l'avenir, la force et la puissance du pays. Sur ce point, nous rencontrons pour adversaires ceux qui glorifient le passé, et qui invoquent, connue un titre d'honneur, les travaux qu'ils ont entrepris et qu'ils ont laissés inachevés. Mais en tenant compte des travaux qui ont été décrétés, nous devons ramener sans cesse l'honorable M. Malou à l'examen de la seule question qui doit nous occuper ici, celle de savoir s'il y a insuffisance dans nos recettes, et jusqu'à quel point il est bien de rester dans cette situation. J'établis par des chiffres irrécusables que nos ressources ne sont pas à la hauteur de nos dépenses et qu'il est d ès lors indispensable de voter de nouveaux impôts.

M. de Theux. - On a longtemps discuté la question de savoir si, depuis 1830, les recettes ordinaires ont couvert les dépenses ordinaires. Les uns ont prétendu que non, les autres ont prétendu qu'une partie des recettes ordinaires avait servi a couvrir des dépenses extraordinaires. Je partage cette dernière opinion. Nous aurions beau discuter sur ce point, nous ne nous mettrions pas d'accord, la chambre resterait en présence d'opinions isolées contraires. Cela tient à ce que la Constitution ne nous ordonne qu'une seule chose, de faire les comptes des recettes et des dépenses sans distinction entre les ordinaires et les extraordinaires.

Cette question restera donc à l'état de controverse. Le peuple belge a fait une révolution radicale, il a non seulement substitué une dynastie à une autre, et changé sa loi fondamentale, mais il a rompu les liens qui l'attachaient à une autre nation ; cette dernière cause a pesé longtemps sur la situation matérielle de la Belgique, ses intérêts industriels et commerciaux ont été longtemps en souffrance et ses finances en ont souffert également ; en 1830, une grande quantité d'impôts ont été abolis d'une manière inconsidérée, à tel point qu'on a dû en rétablir plusieurs, et cependant aujourd'hui on paye 18 millions de moins que sous le gouvernement des Pays-Bas ; de tout cela il résulte que la gestion des intérêts matériels du pays n'a point été malheureuse, qu'elle n'a pas porte atteinte à sa prospérité, qu'elle a donné un démenti à ceux qui, en 1830, prétendaient que la Belgique n'était pas viable comme Etat indépendant.

Et, aujourd'hui, nous sommes en présence d'une discussion qui tend à établir qu'on n'avait pas assez demandé a l'impôt, qu'on n'aurait pas fait assez de dépenses en travaux publics. C'est la une situation heureuse dont nous pouvons aborder la discussion avec calme.

Je regrette que le gouvernement n'ait pas exposé dans un travail d'ensemble tous les impôts qu'il désire obtenir, non seulement pour établir l’équilibre entre les recettes et les dépenses, mais encore pour couvrir les dépenses des travaux publics qu'il se propose de faire.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Je les ai fait connaître.

M. de Theux. - Vous avez annoncé que vous le feriez ; mais j'aurais désiré connaître tous les impôts que vous voulez établir pour faire face au déficit et aux travaux que vous vous proposez de faire, vous n'avez parlé des travaux publics que d'une manière vague. Je crois qu'il aurait été régulier de présenter en même temps et le tableau des travaux publics et celui des nouvelles charges.

Avec la situation complètement exposée, nous aurions pu apprécier en pleine connaissance de cause ce qu'on voulait voir voter. Aujourd'hui, nous en sommes réduits à voter un seul impôt qui est appelé à rétablir l'équilibre, en partie, suivant le ministre des finances, en totalité, suivant moi, si le projet du gouvernement était adopté.

En 1849, ceux qui ont refusé de voter la loi sur les successions telle que la présentait le gouvernement, ont été accusés d'entraver la marche. Non seulement cet impôt, dont la recette était évaluée à 3,000,000, fut présenté comme indispensable à la marche du gouvernement, mais il était accompagné d'autres impôts qui eussent élevé sa recette à 5 ou 6 millions.

Voici la situation qui fut présentée par M. le ministre : Le budget des voies et moyens présentait un excédent présume de 500,000 francs. Comme le gouvernement annonçait l'intention de réduire certains im-pôts d’une somme d’environ 1,000,00 fr., il en résultait, qiand les réductions auraient été acceptées par la chambre, un déficit de 1 million.

Pour couvrir ce déficit et les dépenses prévues et imprévues, le ministre annonçait la nécessité d’avoir 5 ou 6 millions d’impôts nouveaux. Eh bien, ceux qui se sont opposés en 1849 aux propositions du gouvernement doivent se féliciter, car ils ont obtenu la concession de l'ajournement qui équivaut au retrait de l'impôt de succession en ligne directe ; ils ont obtenu que, au lieu de 5 à 6 millions, on se borne a demander 2,500,000 fr. à 3 millions.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Vous êtes dans l'erreur. Aux deux époques nous avons demande la même chose.

M. de Theux. - D'après cette observation, il y aura encore lieu de voter 2 1/2 à 3 millions en sus de ce qui est nécessaire pour rétablir l'équilibre dans les finances.

Voici déjà une explication qui apprend à la chambre en présence de quel chiffre d'impôts nouveaux elle va se trouver.

Je pense que nous pouvons prendre le minimim de M. le minisire des finances ; car il n'est pas coutumier de demander trop peu. Ainsi, lorsqu'il demande 2 millions et demi à 3 milikns pour établir l'équilibre, abstraction faite de nouveaux travaux, nous pouvons accorder 2 millions et demi, sans manquer a ce qu'exigent les besoins du trésor.

Cela étant, je ferai remarquer que M. le ministre des finances ne tient aucun compte de la modification apportée au tarif des voyageurs du chemin de fer. Cependant, d'après des calculs très modérés, on évalue cet excédant de produit au moins à 300,000 fr.

D'autre part, d'après les calculs de l’honorable M. Dechamps, en ce qui concerne le transport des marchandises, d'après ses observations sur les moyens d'augmenter les recettes, soit par la régularisation du service, soit par un nouveau tarif, opinion partagée par l'honorable M. Vermeire, homme aussi très compétent dans ces affaires, qui a fait une étude approfondie, impartiale, du chemin de fer, on pourrait obtenir une augmentation de recette d'un million ; en tout fr. 1,300,000

On désire 2,500,000 fr.

Il ne reste donc plus qu'à pourvoir à 1,200,000 fr.

Tout en ajournant l'impôt sur les successions en ligne directe, M. le ministre des finances maintient les autres dispositions de ce projet, c'est-à dire le serment et les autres modifications. Il a évalué, en 1848, le produit du projet, tel qu'il fut conçu, à 1,500,000 fr., ce qui donnerait, s'il était adopte, un excédant de 300,000 fr. sur les besoins du trésor.

Quant à moi, je pense qu'il ne faut pas tout demander à un seul impôt ; je pense que l'impôt sur les successions, en lui-même, est assez élevé, mais que ce qu'il y aurait à faire, ce serait d'adopter les diverses dispositions du projet, qui tendent à diminuer les fraudes qui se commettent et à obtenir ainsi de cet impôt un produit plus considérable, faisant cependant une reserve au sujet du serment, que je ne crois pas devoir admettre.

J'admets donc tous les amendements de la section centrale.

Ainsi je n'admets pas non plus le droit de succession sur les legs faits à l'époux survivant, lorsqu'il existe des enfants du mariage. En effet, cette disposition avait été écartée par la section centrale à l'unanimité des voix, moins une, de la même manière que l'impôt en ligne directe. Pourquoi ? Parce que le legs à l'époux survivant est le patrimoine commun des enfants. Le droit sur ce legs serait évidemment un droit sur une succession en ligne directe.

lndépendamment de cela, le legs fait à l'époux survivant est souvent un acte de justice : il se peut qu'un des époux ait, pur son travail, fait bénéficier considérablement la communauté, qu'il l'ait beaucoup enrichie. Le legs sera, dans ce cas, une espèce de restitution qui ne pourra avoir lieu sans que le fisc en prenne sa bonne part.

Il arrive encore souvent qu'un des conjoints soit dans une position de fortune très inégale et que si un avantage ne lui était pas fait par l'époux prémourant, il devrait subir un abaissement de position contraire à ces sentiments d'attachement, qui doivent présider au mariage, et des sentiments de respect que doivent avoir les enfants pour leur parent survivant.

Dans ce cas, un legs fait au survivant est dans l'intérêt bien entendu des enfants, et concourt au maintien des liens de famille.

Voilà trois considérations, pour moi majeures, qui m'empêcheront d'accorder un droit de succession sur le legs fait à l'époux survivant, quand il y a des enfants du mariage.

Quant au serment, assurément, comme on l'a dit, le serment en lui-même est un acte religieux, et n'a rien qui puisse offenser la conscience : aussi a-t-il été en grande vogue à une époque où le sentiment religieux était fervent et général. Mais lorsque ce sentiment a décliné, l'usage du serment a diminué de la même manière, et comme on a reconnu de graves abus, il a ete généralement aboli en matière d'intérêts fiscaux.

Il y a plus : en France, où les changements politiques étaient tellement fréquents qu'il était difficile d'observer le serment de fidélité qu'on avait prêté au gouvernement déchu, et qu'on ne savait trop à quoi l'on s'engageait, on a jugé à propos, en 1848, de supprimer le serment politique. J'approuve la décision prise à cet égard dans ce pays. On invoque souvent l'exemple de la France, et l'on a raison ; car c'est l'un des pays les plus avances dans la civilisation et dans la législation.

Dans ce cas, la mesure prise par le gouvernement était justifiée par les faits.

(page 1339) La suppression du serment en matière de payement de droits au gouvernement est également justifiée par la force des choses ; car on ne peut espérer que, dans ce cas, le serment soit généralement prêté avec cet esprit consciencieux, qui en assure la sincérité.

Aussi, il est évident que, quelles que soient les personnes auxquelles on s'adresse, on trouve un sentiment de répulsion contre la mesure proposée par le gouvernement.

Après avoir critiqué cette demande du gouvernement, je dirai, comme je l'ai fait en 1849, que je reconnais dans cette proposition le désir de maintenir l'égalité des charges entre tous ceux qui héritent et le désir de leur faire accomplir à tous également les devoirs envers le trésor public. Mais ce désir, messieurs, serait trompé dans un grand nombre de circonstances. Il entraînerait, à mon avis, trop d'inconvénients moraux pour que je puisse me joindre au gouvernement en faveur de cette disposition du projet.

Une autre disposition du projet que je ne puis admettre, c'est celle qui grève les dunations entre-vifs, faites à des établissements d'utilité publique, d'un droit de 10 p. c. Je sais bien que l'on a allégué que ce droit est perçu sur les legs. Mais il y a entre une donation et un legs une différence dont le législateur a tenu compte et dont il fera bien de tenir compte encore pour l'avenir.

Celui qui donne, se dépouille de son vivant. Il pose un acte d'une grande générosité qu'il faut encourager et non pas contrarier. Quand on donne de son vivant, c’est que l’on se trouve en présence de l’une de ces deux considérations ; ou bien que l’on est vivement ému des souffrances de ses semblables et que l’on veut se dépuiller immédiatement en leur faveur ; c’est là un sentiment très généreux et qu’il faut grandement encourager ; ou bien l’on se trouve en présence de quelque devoir moral à remplir, et au lieu de laisser à ses héritiers le soin de remplir ce devoir, on le remplit soi-même. C’est encore un sentiment qu’il faut encourager.

Et remarquez-le bien, la disposition du projet irait contrairement aux intentions que le gouvernement a si souvent manifestées en faveur des établissements légaux reconnus par la loi.

Lorsque quelqu'un désirera faire du bien pour une somme, supposons de 10,000 fr., s'il la donne à un établissement public, il devra subir un retranchement de 10 p. c. de cette donation, plus les accessoires, cela fait 13 p. c. Si, au contraire, il donne ce capital de la main à la main à une institution qui n'est pas reconnue par la loi, mais qui est admise par la Constitution, il n'aura à subir aucun retranchement de cette donation.

Je pense donc, messieurs, qu'il ne faut pas innover en cette matière, et qu'il ne faut en aucune manière entraver les dispositions qui se font si généreusement entre vifs en faveur des établissements publics.

D'ailleurs, le nombre de ces donations n'est pas tellement considérable que le droit proposé par la loi puisse grandement profiter au trésor. Ce serait encore un motif surabondant pour ne pas innover.

Le projet impose un droit de 5 p. c. sur les successions entre frères et sœurs. Sur ce point, la section centrale s'est trouvée partagée d'avis. Quant à moi, je pense que le gouvernement des Pays-Bas avait tenu un juste compte de la différence qu'il y a d'une succession entre frères à une succession de neveu à oncle. Le lien de parenté est beaucoup plus étroit entre frères et sœurs ; c'est en quelque sorte le retour du patrimoine paternel à la ligne directe.

En outre, ces successions se font entre parents déjà avancés en âge, au moins dans la plupart des cas ; le frère héritier de son frère est beaucoup plus âgé que le neveu qui hérite de son oncle. Ainsi dans les cas de succession de frère et de sœur, il y a lieu souvent à une mutation très prochaine encore et à de nouveaux droits de succession.

Voilà un double motif qui a déterminé le gouvernement des Pays-Bas à ne pas élever le droit de succession entre frère et sœur au-delà de 4 p. c.

En ce qui concerne les dettes passives d'une succession, le projet du gouvernement contient beaucoup de dispositions que j'approuve, parce qu'elles tendent à empêcher les fraudes qui se commettent en déclarant des dettes exagérées ou des dettes simulées.

Cependant le projet est allé trop loin en deux points. D'abord, il suppose d'une manière absolue que le créancier qui n'a pas fait renouveler son inscription a été remboursé de sa créance. C'est là une présomption contre laquelle la loi n'admet pas de preuve contraire.

J'admettrais cette disposition avec cette réserve : que le débiteur serait cependant admis à prouver l'existence de la dette au moment du décès de celui qui a fait la disposition testamentaire.

D'autre part, tout en établissant, et je trouve ici une contradiction flagrante, le serment pour assurer qu’on ne déclarera pas de dettes fausses, que l'on ne cachera rien au trésor, on ne veut pas que les dettes créées soient réduites pour leur montant réel. Ainsi, par exemple, des créances sont dues à des établissements publics. Le débiteur n'a pas la moindre chance de racheter cette créance en dessous du prix de sa constitution. Cependant le projet veut que cette dette soit ramenée au denier 25, alors même qu'elle serait au denier 20, au denier 30 ou à un denier supérieur. Il n'y a pas encore là de justice réelle parce que la dette existante doit être intégralement décomptée.

On me dira,-messieurs : Mais ces dispositions que vous critiquez n'ont trait qu'à des successions en ligne collatérale, et celles là, on peut les attaquer hardiment. A cette assertion j'opposerai une autorité que M. le ministre sera sans doute très disposé à respecter ; car il l'a citée souvent dans cette chambre ; c'est celle d'un célèbre jurisconsulte, de M. Troplong.

Voici ce qu'il dit : « Jim lis le despotisme impérial de Rome et les âprelej, fiscales de la feo lolilé n'avaient osé élever à ce point le fardeau de l'impôt sur les successions. »

Et il parle de successions en ligne collatérale.

Mais, me dira-t-on, peut-être les droits de succession en ligne collatérale sont plus considérables en France qu'en Belgique. Grande erreur, messieurs, car j'ai démontré en 1849, je me dispense de reproduire cette démonstration, que le droit de succession en ligne collatérale tel qu'il est établi par la loi de 1817, aujourd'hui en vigueur, même sans le serment et sans aucune des modifications du gouvernement, rapporte plus, à l'Etat en Belgique, proportion gardée de la population, que les droits de succession en ligne collatérale et les droits de succession en ligne directe réunis ne rapportent à la France.

Il est donc évident que les droits de succession en ligne collatérale sont ici beaucoup plus exagérés qu'ils ne le sont en France, et que si M. Troplong avait eu à écrire sur la loi de 1817, les termes lui eussent manqué pour en qualifier la dureté, puisqu'il prétend que l'empire romain et la féodalité n'avaient rien de comparable à la dureté du fisc en France en ce qui concerne la ligne collatérale.

M. le ministre des finances (M. Frère-Orban). - Messieurs, je ne rentrerai pas dans la discussion, mais je dois faire une seule observation. L'honorable M. de Theux a fait une concession : il a reconnu qu'il y a lieu d'augmenter les ressources de l'Etat ; il le croit nécessaire, mais, dit-il, je pense que l'on peut avoir un million sur les tarifs du chemin de fer, et l'honorable membre s'autorisait de l'affirmation de l'honorable M. Dechamps sur ce point. C’était très modéré, car il aurait pu s'autoriser de l'affirmation de l'honorable M. Malou et porter en compte 1,500,000 fr. ou deux millions. L'honorable membre ajoute : J'accorde encore 1,500,000 francs du chef de la loi des successions ; voila 2,500,000 fr. C'est ce que demande le gouvernement.

Puis l'honorable membre se met à discuter la loi des successions, et il en écarte, du chef des donations entre époux, 200,000 fr. ; il écarta le serment, disons encore 600,000 fr. ; il écarte le droit sur les donations aux établissements publics, 50,000 fr. ; il écarte la disposition relative aux successions entre frères et sœurs, je présuma 300,000 francs. C'est en tout 1,150,000 francs à soustraire de la somme de 1,500,000 francs que l'honorable membre nous avait accordée.

Ainsi, l’honorable membre ne nous laisse rien ou à peu près du chef de la loi des successions, il ne nous laisse que le million promis par M. Dechamps, et il est fort à craindre que ce million n'aille rejoindre ceux qui avaient été promis par M. Dumortier.

M. de Theux. - J'ai dit simplement, messieurs, que si le ministère obtenait la loi des successions telle qu'il la demande, il en résulterait un produit de 1,500,000 fr., nuis j'ai ajouté qu'il ne fallait pas prendre tout sur la loi des successions, qu'il suffisait d'y prendre une partie, et je pense que si l'on obtenait de ce chef 400,000 fr. ce serait déjà une amélioration notable.

En ce qui concerne le tarif du transport des marchandises, M. le ministre des travaux publics a annoncé un projet de loi à la chambre ; beaucoup de membres croient que ce projet de loi sera de nature à augmenter les recettes, les uns disent d'un million, les autres disent de 1,500,000 fr.

Eh bien, que le gouvernement présente immédatement ce projet de loi, qu'il le présente avant qu'on ne vote d'autres impôts, car si l'on reconnaît que le chemin de fer peut produire de plus fortes recettes, ce sera autant de moins à prendre sur les nouveaux impôts, chose infiniment préférable.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.