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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 26 novembre 1852

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 149) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens fait connaître l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« La veuve du sieur Dever, ancien receveur des contributions, demande une augmentation de pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le sieur Nicolay demande une loi qui dispense les ouvriers nécessiteux de payer le droit de succession en ligne collatérale. »

- Même renvoi.


« Plusieurs électeurs de la commune d'Everbecq demandent l'établissement d'un bureau électoral dans chaque chef-lieu de canton. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants des faubourgs d'Anvers demandent la révision de la loi sur le notariat. » .

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Grez-Doiceau réclame l'intervention de la chambre pour que le chemin de fer de Louvain à Manage suive la rive droite de la Dyle au hameau de Gastuche. »

- Même renvoi.


« Plusieurs habitants de Gand prient la chambre d'adopter la proposition de loi qui modifie l'article 24 de la loi sur la garde civique. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner la proposition de loi.


« Plusieurs habitants de Gand demandent la révision de la loi sur la garde civique. »

- Même renvoi.


« Les exploitants des houillères du bassin de Mons demandent que l'exécution d'un chemin de fer de Manage à Erquelinnes et celle du chemin de fer de Mons à Maubeuge fassent l'objet de deux concessions distinctes. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer du Centre à la Sambre vers Erquelinnes.

« Le baron James de Rothschild et la Société Générale pour favoriser l'industrie nationale soumettent à la chambre des propositions nouvelles pour la construction du chemin de fer de Mons à Maubeuge et réclament, au besoin, la mise en adjudication publique. »

- Même renvoi.


« Par dépêche du 25 novembre, M. le ministre de la justice fait connaître que le sieur Jean-Baptiste Geers a déclaré se trouver dans l'impossibilité de payer le droit d'enregistrement exigé par la loi du 15 février 1844. »

- Pris pour information.

Projet de loi accordant un crédit supplémentaire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Thiéfry. - Messieurs, la section centrale, chargée d'examiner le projet de loi allouant au département de la guerre un crédit de 8,450,000 fr. a, par des raisons qui sont'motivées, divisé ce rapport en deux parties : la première, comprenant tout ce qui est relatif à la solde, est celle que j'ai l'honneur de déposer sur le bureau.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

M. le président. - Il y a urgence ; il s'agit d'un crédit pour la solde de l'armée pendant le mois de décembre. Je propose de mettre ce projet de loi en tête de l'ordre du jour de demain.

- Cette proposition est adoptée.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1853

Discussion du tableau des crédits

Chapitre V. Frais de l’administration dans les arrondissements

Article 37

M. le président. - La discussion continue sur l'article 37, « Traitement des commissaires d'arrondissement, 166,800 fr. »

M. de Theux. - Messieurs, le cabinet de 1847, issu en quelque sorte du congrès libéral, ayant adopté son programme, pratiqua néanmoins une politique que je qualifierai de domination. C'est pour mieux réussir dans ce système, que le gouvernement employa un ensemble de mesures tendant à s'assurer une majorité omnipotente dans le parlement. Vis-à-vis des fonctionnaires publics, il posa le premier précédent de la destitution d'un certain nombre d'entre eux qu'il supposait ne pas partager ses opinions, mais qui cependant n'avaient encore posé aucun fait qui pût blesser l'administration nouvelle. Il changea de résidence un certain nombre de fonctionnaires, mais d'une manière tellement pénible pour eux, que ce changement équivalait presque à une destitution.

C'était là, messieurs, une première mesure d'intimidation qui devait nécessairement exercer plus tard de l'influence sur les élections.

Les événements de 1848 survenus en France aidèrent singulièrement le cabinet à poursuivre son système. C'est alors qu'il proposa aux chambres la réforme électorale, réforme qui était présentée dans des circonstances telles et sous une telle forme qu'il était impossible aux chambres de la repousser, à moins de se laisser accuser de vouloir entraver le gouvernement dans l'œuvre de tranquilité publique qu'il annonçait poursuivre.

Cette réforme cependant, messieurs, avait pour but patent d'agrandir la majorité parlementaire. En effet, il s'agissait, par l'abaissement du cens au taux uniforme de 20 florins, de donner une grande prépondérance aux électeurs des grands centres de population. La statistique électorale le prouve à l'évidence. Les électeurs ont augmenté dans une proportion énorme, dans les grands centres comparativement à l'augmentation dans les communes de moindre importance.

En même temps on avait soin de stipuler expressément dans la loi que les élections continueraient à se faire au chef-lieu d'arrondissement, bien que, par l'augmentation du nombre des électeurs, les charges qui pesaient sur les campagnes et les villes éloignées du centre, du chef des déplacements forcés pour accomplir un devoir public, vinssent s'accroître d'une manière très grande et rendissent la concurrence, pour les candidats qui n'appartenaient point à l'opinion du chef-lieu, extraordinairement difficile.

Voila, messieurs, quel fut le résultat le plus clair de la réforme électorale de 1848. Mais cette réforme entraîna trois autres mesures qui portèrent immédiatement leurs fruits : elle amena la dissolution des deux chambres, la dissolution de tous les conseils provinciaux et de tous les conseils communaux.

En un seul moment toutes les positions furent compromises : des milliers d'emplois de bourgmestre et d'échevin furent mis à la disposition du gouvernement, au moment d'une élection générale. La nomination à ces fonctions devait se faire un certain temps après l'élection des chambres. Il y avait là de quoi intimider ceux qui désiraient conserver des positions honorables, et de quoi stimuler le zèle de ceux qui désiraient les obtenir. C'était donc un moyen d'influence très puissant. Aussi ne s'est-on pas fait faute de promettre, (je ne dis pas le ministère, ce n'est pas à ma connaissance, mais soit les agents inférieurs, soit les candidats eux-mêmes), ne s'est on pas fait faute de promettre des emplois de bourgmestre et d'échevin à ceux qui faisaient preuve de zèle dans les élections.

La dissolution des chambres fut donc prononcée.

Mais, messieurs, les journaux du gouvernement exercèrent vis-à-vis du corps électoral un autre mode d'influence ; on annonça que l'existence du gouvernement libéral était une condition de sécurité pour le pays.

D'autre part, on fit croire que les administrations précédentes avaient fait des dépenses énormissimes, en disproportion avec les ressources du pays ; on annonça un système économique.

Tous ces moyens réunis, messieurs, produisirent le résultat voulu. Quant aux économies, à peine les nouvelles chambres étaient-elles réunies qu'un sentiment général très vif se prononça, notamment, pour une réduction considérable à opérer sur le budget de l'armée. Mais c'était là, messieurs, une illusion comme bien d'autres : au lieu d'une économie de plusieurs millions, il y aura selon toute vraisemblance, à la suite des enquêtes qui ont été établies, un accroissement de plusieurs millions dans les dépenses. Mais enfin le résultat était obtenu : la politique était affermie.

Les agents du gouvernement, messieurs, sont intervenus dans les élections d'un grand nombre de districts d'une manière très active. Ce fait n'est point contestable, il est de notoriété publique. Mais, dit l'honorable M. Rogier, antérieurement à notre admininistration les agents du gouvernement sont aussi intervenus dans les élections. Messieurs, cela est vrai jusqu'à un certain point, et je rappellerai ici un précédent. Lorsque j'avais l'honneur d'être ministre de l'intérieur, je me suis exprimé plusieurs fois sur le système que le gouvernement suivait alors.

Tous les fonctionnaires publics, quel que fût leur rang, même les gouverneurs, c'est-à-dire les agents les plus directs du gouvernement, avaient la faculté de voter pour les candidats de leur choix, avaient la faculté de s'abstenir complètement de toute participation aux élections. Il ne leur a pas même été demandé de recommander tels on tels candidats de préférence ; mais si les fonctionnaires publics, obéissant à leurs sympathies et à leur conviction personnelle, trouvaient convenable d'appuyer les candidats qui soutenaient habituellement le ministère, je ne leur ai pas interdit cette intervention, je le reconnais.

Cependant, quoique cette conduite ne me parût pas blâmable chez les fonctionnaires publics, pourvu qu'elle ne compromît pas, soit la dignité de leurs fonctions, soit l'autorité du gouvernement ; cependant, aujourd'hui que nous avons une expérience plus longue de nos luttes électorales, je pense, avec M. le ministre de l'intérieur, qu'il est préférable d'interdire aux agents du gouvernement d'user d'aucune espèce d'influence morale pour ou contre les candidats quels qu'ils soient.

A cette occasion, je dirai que je n'ai pas trouve dans le Moniteur la déclaration faite hier par M. le ministre de l'intérieur, à la suite du discours de l'honorable F. de Mérode ; je présume que c'est le résultat d'un oubli et que cette partie du discours se trouvera dans le Moniteur de demain.

Messieurs, je disais tout à l'heure que, dans aucun cas, un agent du gouvernement ne doit se prononcer dans les élections, de manière à compromettre soit la dignité de son emploi, soit l'autorité du gouvernement. Et ici je suis fâché de devoir rappeler, en passant, un fait extrêmement fâcheux ; c'est le discours d'un gouverneur de province, prononcé à la suite d'une élection, et en présence d'un public nombreux.

Ce haut fonctionnaire disait que le succès des candidats du gouvernement avait été le triomphe de l'ordre sur le désordre, de l'autorité sur l'anarchie.

Ce sont là des expressions qui ne conviennent pas dans la bouche d'un fonctionnaire élevé, en qui toutes les personnes, quelle que soit leur opinion, doivent s'attendre à trouver un appui tutélaire et un juge impartial pour tous.

Un semblable langage n'est surtout pas de mise dans un district où une lutte a été engagée entre des personnes honorables de part et d'autre, et appartenant, par leur éducation, par leur position, par leur conduite privée, aux classes les plus respectables de la société.

Mais, il y a plus, messieurs ; ce discours a été inséré au Moniteur ! N'a-t-on pas dû croire, après cela, que toutes les excentricités étaient permises, et que rien ne pouvait déplaire au gouvernement en cette matière ?

Aussi, dans les élections qui ont suivi, l'intervention du gouvernement a-t-elle été plus active qu'elle ne l'avait été auparavant.

L'honorable M. Rogier disait en 1847 que, d'après le nouveau programme du cabinet, il serait défendu aux agents du gouvernement d'intervenir dans les élections.

Mais, quand ces agents se sont mêlés des élections, il a justifié leur conduite en disant que c'était parce que des membres du clergé y étaient intervenus. Certes, ce n'était point là une justification. Les membres du clergé sont citoyens tout aussi bien que les membres d'une loge. Si les uns forment une corporation, les autres forment une association.

M. Pierre. - Salariée par l'Etat.

M. de Theux. - Salariée par la Constitution, car veuillez bien remarquer que si vous tiriez une conséquence de ce mot « salariée », vous admettriez tout de suite que les ministres des cultes seraient des fonctionnaires relevant du ministère. C'est ce que le congrès et la Constitution n'ont voulu en aucune espèce de manière.

L'honorable M. Rogier a cru que le clergé le combattait dans les élections. Ici il y a une observation à présenter : dans certaines circonstances les agents du gouvernement appuyaient des candidats que le clergé considérait comme hostiies, et celui-ci en appuyait d'autres qu'il croyait lui être favorables ; en cela il ne faisait qu'user de son droit. Il n'y avait point là une intention contre le gouvernement.

Mais j'admets qu'il y a eu même quelque esprit d'hostilité parmi un certain nombre de membres du clergé : cela ne provenait que d'une chose, c'est que le cabinet combattait l'influence sociale du clergé, influence qui s'est pratiquée dans l'enseignement, dans la charité, constamment depuis l'établissement du christianisme jusqu'à nos jours, sauf quelques rares exceptions de perturbations politiques.

Soyez persuadés, messieurs, que le clergé n'a aucun intérêt à se mettre en opposition avec un ministère quelconque. Il n'a rien à y gagner. Il n'a non plus rien à gagner au point de vue personnel en prenant part aux élections. Il n'a point à obtenir de positions politiques, il n'a point d'emplois à rechercher. Pour quels motifs intervient-il plus ou moins activement ? Lorsque des intérêts religieux ou des intérêts moraux sont à l'ordre du jour, sont en discussion dans le sein du parlement. A cet égard la conduite du cierge est uniforme dans tous les pays où il y a une représentation nationale, où il y a des élections ; il doit avoir le droit d'intervenir d'une certaine manière dans les élections pour faire prévaloir également quelques candidats qui soutiendront les intérêts religieux, moraux, qui ont aussi dans toute société civilisée une grande importance et qui méritent d'être représentés.

Mais, dit-on, lorsque le clergé prend part aux élections, il compromet les intérêts de la religion, il trouble en quelque sorte la paix publique.

La manière d'intervenir est une question de prudence, de bonne morale. Certainement s'il s'agissait d'une intervention nuisible, je ne pense pas qu'elle se pratique par le clergé. Et, en effet, si nous voulons observer ce qui se passe dans notre propre pays, nous verrons que dans les élections communales le clergé a reconnu dès la première année qu'il y avait de graves inconvénients à y intervenir en aucune manière.

On ne pourrait presque pas citer un cas où le clergé fût intervenu dans les élections communales.

Eu effet dans les localités les luttes s'établissent entre les paroissiens ; il y a pour le chef de la paroisse de graves inconvénients à se poser en adversaire de l'un ou l'autre des partis qui peuvent diviser la commune. Mais ce danger d'excitation des passions est loin d'exister au même degré dans les élections générales.

A moins de condamner les membres du clergé à l'ilotisme, de leur enlever leurs droits de citoyen, on ne peut pas leur demander de rester dans l'inaction quand il s'agit des grands intérêts moraux du la société.

Si leur conduite n'était pas dictée par la raison, elle serait désapprouvée par le saint-siége qui est le chel spirituel du clergé ; et il n'est pas à notre connaissance que le saint-père ait fait une admonition, une réprimande quelconque au clergé.

C'est là assurément un juge dépourvu de passions politiques ; il est loin du théâtre des luttes et compétent pour apprécier ce que comportent les besoins de l'Eglise et la bonne et sainte morale mise en pratique surtout par le clergé.

Rassurons-nous donc à cet égard ; quand il y aura des désordres de la nature de ceux qu'on redoute, le clergé trouvera un censeur dans son propre sein.

Ce n'est pas parce que nous sommes appuyés par certains électeurs et combattus par d'autres, qu'il faut discuter de quelle manière les électeurs doivent prendre part aux élections ; les électeurs constituent le pouvoir souverain, nous sommes leurs mandataires ; il ne nous appartient pas de critiquer la manière dont ils entendent exercer leurs droits politiques.

En 1830, le gouvernement provisoire donna le droit électoral à tous les ministres des cultes quelconques, sans exiger le payement d'aucun cens.

En est-il résulté des inconvénients ? Je ne le pense pas. Plus tard lors du premier ministère de M. Rogier, nous avons vu intervenir le clergé dans les élections et nous n'avons pas vu qu'il ait été blâmé par lui ou par ses amis ; nous pouvons affirmer que dans l'intérêt du cabinet cette intervention a été plus d'une fois réclamée.

Depuis lors le clergé n'a pas changé de sentiments ni de principes. Il est aujourd'hui ce qu'il était en 1830, 1831, 1833 et 1834. Ses sentiments sont les mêmes ; il est aussi dévoué à l'indépendance nationale et à nos institutions constitutionnelles que lors de la fondation de notre belle et heureuse patrie.

M. Dumortier. - Vous comprenez qu'il me serait difficile de laisser sans réponse l'accusation qu'a lancée contre moi, hier, l'ancien ministre de l'intérieur. Je m'étais plaint de l'action et surtout de l'action désordonnée du gouvernement dans les élections. Que m'a répondu l'honorable député d'Anvers ? Il m'a dit que je déniais aujourd'hui ce que j'avais appelé autrefois, qu'aujourd'hui je déniais toute action au gouvernement dans les élections, et qu'autrefois j'avais désiré cette action.

Messieurs, vraiment l'honorable M. Rogier serait bien heureux, s'il pouvait, dans une carrière parlementaire de 22 ans, trouver une phrase qui justifiât ses propres principes. Oh ! comme son bonheur serait grand, comme il serait heureux si dans la longue carrière d'un vétéran politique il trouvait une phrase qui lui permît de le mettre en contradiction avec ses principes ! Mais l'honorable M. Rogier n'aura pas cette satisfaction. Vous pouvez feuilleter tant que vous voudrez le Moniteur.

Je ne prétends pas avoir droit à l'infaillibilité. S'il m'était arrivé dans ma longue carrière de m'égarer quelquefois, je ne prétendrais pas justifier ces erreurs, je les avouerais nettement. Ce n'est pas par une phrase isolée, c'est par l'ensemble de sa carrière qu'on juge un homme politique. Si j'avais à chercher dans votre carrière des atteintes portées à la liberté, il ne me faudrait pas parcourir 22 ans pour en trouver.

Mais vos reproches ont-ils quelque fondement ? Est-il vrai que dans la séance à laquelle a fait allusion l'ancien ministre de l'intérieur, j'aurais justifié le principe de l'intervention du gouvernement dans les élections ? Est-il vrai que j'aurais approuvé cette maxime que les fonctionnaires publics devaient être les agents serviles du gouvernement, qu'ils lui devaient leur influence ?

Je crois que cette thèse a été souvent soutenue, sinon dans ces termes, au moins en fait par le précédent ministère.

M. Rogier. - Jamais ! Prouvez cela par un mot !

M. Dumortier. - Est-il vrai que cette thèse je l'ai soutenue ? Dans la séance à laquelle M. Rogier a fait allusion, j'ai parlé de la non-réélection d'un de mes amis. Mais, à propos de ce fait, j'ai fait toutes réserves relatives au principe. J'ai déclaré, dans les termes les plus exprès, que je n'entendais pas approuver le principe, que j'aurais à m'expliquer quant au principe.

Ainsi, ce que j'ai dit est la confirmation de mon opinion, loin de m'avoir mis en contradiction avec mon opinion.

Lorsque je reprochais au ministre de l'intérieur d'avoir travaillé sourdement contre les orateurs d'une partie de cette chambre, je faisais mes réserves quant au principe, ce qui signifiait bien que je n'entendais pas approuver l'intervention du gouvernement dans les élections. Mais si je n'entendais pas approuver cette intervention en faveur de mes amis, j'entendais bien moins encore l'approuver en défaveur de mes amis.

Voilà comment les faits se sont passés !

Jamais, vous me rendrez cette justice, je n'ai dévié de ce principe que les élections devaient sortir libres de l'urne électorale, que le gouvernement ne devait pas intervenir en ces matières, qu'il fallait laisser le peuple libre dans son action.

Quand l’honorable M. Rogier est venu apporter à la chambre, en 1834, une loi pour ravir au peuple l'élection des bourgmestres et des échevins, dont il avait joui depuis notre révolution, quel a été le motif de mon opposition ? C'est que je ne voulais pas, comme je l'ai dit, que le ministre de l'intérieur fût le grand électeur de la Belgique. C'est là qu'on est arrivé par l'immense abus qu'on a fait de l'influence des fonctionnaires publics.

Quelle a été la cause, dans un pays voisin, de la chute d'un gouvernement bien établi ? C'est cette même pression sur les élections ; ce sont les efforts qu'on a faits en faveur de tel ou tel ministère pour le maintenir au pouvoir. L'opinion publique ne pouvant plus se faire jour, on en est arrivé a une affreuse catastrophe. En Angleterre, au contraire, dans ce pays modèle pour les institutions constitutionnelles, la loi frappe de (page 151) peines sévères tout fonctionnaire qui intervient dans les élections pour fausser le vote du peuple.

Pour mon compte, j'appelle de tous mes vœux le jour où, en exécution de l'article final de la Constitution, une loi sera faite pour la répression des agents du pouvoir, pour empêcher les abus des agents du pouvoir surtout en matière électorale. Car il n'est pas possible qu'une telle pression puisse s'exercer.

Mais, vous dit l'honorable M. Rogier ; si le clergé a la sagesse de ne plus se mêler de nos luttes politiques, nous nous retirerons ; nous laisserons faire. Mais s'il donne le signal de combattre les candidats du gouvernement, nous combattrons également à outrance.

Les candidats du gouvernement ! Le gouvernement a-t-il le droit d'avoir des candidats ? Comment ! Mais nous députés, nous sommes ici pour juger les ministres, pour approuver ou pour improuver leurds actions. Le peuple n’envoie pas ici des candifats du gouvernement ; il envoie des députés qui le représentent, qui viennent pour vous juger, et vous n’avez pas le droit, vous ministres, d’avoir des candidats du gouvernement.

M. Rogier. - Des candidats qui soutiennent le gouvernement.

M. Dumortier. - Vous n'avez pas le droit d'avoir des candidats du gouvernement, ni des députes du gouvernement.

On s'est plaint, messieurs, de l'action du clergé dans les élections. Après les observations de mon honorable ami M. de Theux, il me restera bien peu de chose à dire, Mais en réalité, voyez la comparaison. Le gouvernement se considère comme étant une partie, une des forces vives de la nation, et il veut empêcher qu'une autre force vive de la nation s'occupe des élections.

Comment ! les intérêts religieux ne sont-ils donc plus des intérêts importants dans un pays ? Est-ce que les membres du clergé cessent d'être des citoyens le jour où ils acceptent leur mandat ? Mais évidemment, non seulement le clergé a le droit, mais il a le devoir d'intervenir dans les élections, comme toutes les influences légitimes ont droit d'intervenir. Mais vos associations libérales n'interviennent-elles pas ? Vos loges maçonniques n'interviennent-elles pas ? Vous voulez donc que le clergé seul ne puisse pas se mêler des élections, lorsque vous cherchez à remuer le pays au moyen de sociétés particulières ? Comment ! est-ce que l'intérêt religieux ne pourrait pas agir, agir avec loyauté, comme a le droit d'agir toute espèce d'influence ? Mais remarquez-le donc, quand vous faites la guerre à l'intervention du clergé dans les élections, à qui faites-vous la guerre ? Vous combattez quoi ? Une influence. Or, qu'est-ce que le gouvernement représentatif ? Mais c'est l'action légitime, le jeu naturel de toutes les influences.

C'est donc au principe du gouvernement représentatif que vous faites la guerre. Ainsi, il sera permis de porter des lois contraires à la légitime influence du clergé, et vous ne permettrez pas au clergé de chercher à faire élire des députés qui aient pour lui la considération à laquelle il a droit pour les services immenses qu'il a rendus à la civilisation.

Messieurs, je me bornerai à ce peu de mots ; mais je ne pouvais laisser sans réponse une accusation aussi injuste sur mon passé que celle que s'est permise l'honorable député d'Anvers.

M. Vanden Branden de Reeth. - Messieurs, la chambre comprendra que ce n’est pas sans éprouver une certaine répugnance que je viens rappeler un fait qui, par suite de la position que j’occupais à l’époque où il a été posé, a vis-à-vis de moi un certain caractère de fait personnel.

Mais quelques paroles prononcées par M. Rogier dans la séance d'hier ne me permettent pas de garder le silence.

M. Rogier a dit que la mesure qu'il avait prise à l'époque de son entrée au ministère, à l'égard d'un certain nombre de commissaires d'arrondissement, avait été nécessitée par la conduite compromettante de ces fonctionnaires dans les élections, par le zèle outré qu'ils avaient déployé dans cette circonstance.

Messieurs, mes collègues de 1847 qui ont partagé le même sort que moi, ne sont pas tous ici pour répondre à M. Rogier ; mais je crois devoir, tant en leur nom qu'au mien, protester contre une pareille accusation.

Pour ce qui me concerne personnellement, je dois déclarer de la manière la plus formelle et la plus positive qu'aussi longtemps que j'ai eu l'honneur d'exercer les fonctions de commissaire d'arrondissement sous le ministère de M. le comte de Theux, jamais, d'une manière directe ni indirecte, je n'ai reçu aucune instruction pour agir dans les élections, ni pour exercer une influence quelconque qui eût pu compromettre la dignité du fonctionnaire ou porter atteinte à l'indépendance de l'électeur.

Je me suis toujours considéré comme un fonctionnaire de l'ordre administratif, et je persiste à dire que c'est le seul et le vrai caractère des commissaires d'arrondissement.

Messieurs, en tous temps j'ai combattu et blâmé le détestable système qui consiste à faire des magistrats communaux de nos villes et de nos campagnes, des agents électoraux. Maintenant que pendant quatre à cinq ans, j'ai pu voir les détestables résultats de ce système, je veux conserver le droit de le combattre, et ce droit, je le perdrais, si je laissais planer sur moi le soupçon d'avoir posé moi-même des actes de la nature de ceux que je viens blâmer aujourd'hui.

Messieurs, je le répète, cette influence politique de fonctionnaires qui ne devraient s'occuper que d'administration, produit les résultats les plus mauvais.

Je connais plusieurs communes, dans différents arrondissements, qui autrefois étaient paisibles, où régnaient l'union, la concorde, où l'administration marchait régulièrement ; et actuellement ces communes sont divisées, sont désunies ; l'administration y est devenue à peu près impossible par le fait des agents du gouvernement.

C'est surtout, messieurs, lors du renouvellement partiel des conseils communaux que la désorganisation s'est particulièrement introduite dans ces corps administratifs.

Des bourgmestres, des échevins qui, pendant longues années, avaient été à la tête de leurs communes, qui venaient même d'être réélus à la presque unanimité, se sont vus écartés des fonctions de bourgmestre et d'échevin sans aucun motif et remplacés par des individus qui ne pouvaient rendre d'autres services que des services électoraux.

Messieurs, ces faits sont assurément très regrettables. Mais comme l'a très bien fait observer hier l'honorable M. de Naeyer, les mauvais moyens ne parviennent jamais à populariser un gouvernement ; et je puis dire que cette vérité est en Belgique doublement vraie, si je puis m'exprimer ainsi. Car ce pays est habité par un peuple franc, loyal, qui a beaucoup de bon sens et qui repousse avec mépris tout ce qui peut porter atteinte à l'indépendance de son caractère.

Messieurs, je ferai observer, en terminant, que l'honorable M. Rogier n'a jamais été fort heureux dans les motifs qu'il a fait valoir, toutes les fois qu'il a cherché a diminuer l'odieux de la mesure arbitraire qu'il avait prise en 1847. Dans la séance du 17 novembre 1847, interpellé à cette occasion assez vivement par un honorable membre de la chambre, il répondit : qu'il n'avait fait qu'exécuter un jugement prononcé par les électeurs, que les fonctionnaires qu'il venait de démissionner avaient perdu la confiance de leurs administrés, et qu'ils ne pouvaient plus avec dignité exercer leurs fonctions. Eh bien, messieurs, le corps électoral s'est chargé de la réponse : plusieurs d'entre ces hommes que M. Rogier représentait comme repoussés par l'opinion publique, ont reçu la plus grande marque de confiance qu'un homme puisse recevoir : ils ont été envoyés dans cette enceinte et au sénat, et ils ont l'honneur aujourd'hui de siéger parmi nous.

M. Rogier. - Messieurs, je regrette d'avoir encore à prendre la parole. La chambre voudra bien remarquer qu'il s'agit de défendre la dernière administration et que je suis à peu près seul, sur ces bancs, des membres de l'ancien cabinet.

Je demande la bienveillante attention de la chambre, et je regrette, je le répète, d'avoir à parler si souvent.

Je répondrai aussi brièvement que possible aux trois derniers orateurs. Celui qui vient de se rasseoir a cru devoir se livrer à des récriminations à l'occasion de la mesure qui l'a atteint en 1847. A son sens, j'ai commis une injustice en me séparant de cet honorable fonctionnaire, attendu qu'il n'a pas montré un zèle outré dans les élections. Messieurs, j'ai dit que la mesure qui a atteint les fonctionnaires qui en 1847 avaient montré beaucoup d'ardeur pour l'ancien cabinet, j'ai dit que cette mesure s'expliquait tout naturellement ; j'ai dit qu'il était naturel que le gouvernement cherchât à s'entourer de fonctionnaires politiques disposés à propager et à défendre les principes nouveaux qu'il apportait au pouvoir.

L'honorable membre qui vient de parler appartenait-il à cette catégorie de fonctionnaires ? Son intention était-elle de soutenir les principes du cabinet libéral de 1847 ? Je serais charmé d'apprendre qu'il en fût ainsi ; mais si je dois juger de son opinion de 1847 par celle qu'il a apportée bientôt après dans cette chambre, je suis forcé da dire que nul agent n'était moins disposé que lui a soutenir le cabinet de 1847. C'est une prétention singulière de se poser ici comme adversaire constant d'une politique et de se plaindre que cette politique nous ait abandonné au moment où elle se présentait au pouvoir.

Il faut, ce me semble, avoir plus de philosophie dans la vie politique et parlementaire. Je devais vous croire un homme consciencieux, disposé à combattre ce que vous aviez combattu et ce que vous venez, encore d'appeler un système odieux ; je devais donc me séparer de vous, et vous deviez supporter sans murmure cette disgrâce, jusqu'à ce que vos amis et vos principes, que vous ne deviez pas désavouer en 1847, revenant au pouvoir, vous y reveniez avec eux.

Quant à moi, je ne blâmerai pas l'honorable M. de Theux de vous remettre en fonctions, afin que vous puissiez continuer à défendre avec lui ses principes et sa politique.

M. de Mérode. - Je demande la parole.

M. Rogier. - On a dit, messieurs, que nous avons transformé les fonctionnaires municipaux en agents politiques et électoraux, que nous avons jeté par là la désorganisation dans les administrations communales.

Messieurs, il a été un temps où l'on voulait transformer les fonctionnaires municipaux en agents politiques : une réforme à la loi communale a été introduite dans ce but ; cette réforme, nous l'avons combattue : elle consistait dans la faculté attribuée au gouvernement de choisir les bourgmestres en dehors des conseils communaux ; cette faculté a été accordée par l'ancienne majorité.

La loi votée, on en a fait une application assez sévère ; rien que dans la seule province de Liège, ou plutôt rien que dans le seul arrondissement de Liège, je pense, on a choisi une douzaine de bourgmestres en dehors du conseil.

Un des honorables collègues qui siègent près de moi a été victime de cette Saint-Barthélémy municipale.

(page 152) Voilà l'usage que l'on a fait de cette loi qui avait pour but de transformer les agents municipaux en agents politiques. Eh bien, qu'a fait la politique nouvelle ? Permettez-moi de me servir de cette expression. Elle est revenue aux bons principes. D'une loi politique, elle a fait une loi administrative ; elle a rétabli le principe de la nomination des bourgmestres au sein du conseil avec faculté pour le gouvernement de choisir le bourgmestre en dehors du conseil, pour des motifs administratifs seulement et afin qu'on ne s'y trompât point, la loi a exigé l'avis conforme de la députation.

Et combien de fois, messieurs, a-t-il été fait usage de ce droit, pendant cinq ans ? Nous qui voulions transformer les agents municipaux en agents politiques, en agents électoraux, combien de fois avons-nous proposé au Roi de choisir des bourgmestres en dehors du conseil ? Deux fois. Je crois peuvoir affirmer qu'il n'a été nommé que deux bourgmestres en dehors du eonseil, et cela sur l'initiative de la députation.

Nous avons modifié profondément, dit-on, le personnel des administrations communales. J'ai ici sous la main le relevé des mutations opérées à la suite du dernier renouvellement des conseils communaux.

M. Malou. - On parle de 1848.

M. Rogier. - Eh bien, en 1848 il y a eu, par le fait du gouvernement, moins de changements peut-être qu'en 1852. Rappelez-vous, messieurs, dans quelle disposition se trouvaient les esprits en 1848 : à cette époque, il y avait comme une réconciliation générale, en présence des dangers que courait le pays.

En beaucoup de communes, les élections municipales n'ont pas en de caractère politique, et il fut recommandé aux gouverneurs, et le ministère a reçu à cet égard de vifs reproches de plusieurs de ses amis, il fut recommandé aux gouverneurs de faire en sorte de ne pas apporter, sans nécessité, de modifications dans la composition des autorités communales.

Je n'ai pas le tableau sous les yeux ; si je m'étais attendu à ce que, en 1852, on vînt nous reprocher ce qui s'est fait en 1848, je me serais muni de documents ; mais il est connu qu'en 1848 le renouvellement des collèges échevinaux s'est fait avec un exlrême esprilde modération, (interruption.) Avec trop de modération, dit-on derrière moi.

Enfin, en 1852, sur 2,536 échevins, 506 n'ont pas été maintenus, 411 avaient été éliminés des conseils communaux ; ceux-là, il n'était pas possible de les renommer. (Interruption.) C'étaient les électeurs qui les avaient déplacés. Sur 2,536 échevins, 93 ont été remplacés, bien qu'ils eussent été réélus. La plupart d'entre eux ont été écartés, soit à cause de leur grand âge, soit parce qu'ils avaient été reconnus incapables de continuer leurs fonctions.

Voilà, messieurs, le résultat des énormités que nous aurions commises dans la reconstitution des collèges échevinaux. Le gouvernement aurait professé ici une maxime qu'on lui attribue gratuitement et que l'on combat facilement en se donnant tous les avantages de la victoire en se réservant tous les honneurs de la discussion ; le gouvernement auiait professé la maxime qu'il y a lieu pour lui d'intervenir activement et violemment dans les élections. J'ai dit, au contraire, que je n'étais nullement partisan de cette intervention ; j'ai toujours professé, comme ministre, la maxime qui laisse à chaque fonctionnaire la liberté de son vote, qui ne lui impose pas d'intervenir lorsque sa conscience le lui défend, et qui, dans tous les cas, lui interdit d'intervenir par aucun moyen que n'avoueraient pas la délicatesse et l'honneur. Voilà la maxime que j'ai toujours professée et que je professe encore.

En 1848, une circulaire, que je ne désavoue pas, recommandait la plus complète neutralité dans les élections ; en 1852, dans quelques districts, les commissaires d'arrondissement ont été, je le reconnais, entraînés à faire plus que dans d'autres arrondissements ou que dans les élections antérieures. Est-ce à dire qu'ils aient employé des moyens que la délicatesse et l'honneur désavouent ? Je le nie de la manière la plus absolue : qu'on cite des faits.

Ils ont été autorisés, il est vrai, à faire connaître et à recommander les candidats du gouvernement, c'est-à-dire les candidats qui soutenaient à la chambre la politique du gouvernement, et il n'y a pas de honte à cela. L'honorable M. Dumortier a soutenu pendant longtemps la politique du cabinet de M. Nothomb, et il ne s'est pas cru déshonoré pour cela ; je me trompe ; il arriva un moment où il vint faire en pleine chambre son mea culpa d'avoir soutenu ce cabinet ; je viendrai tout à l'heure à cet incident.

Si l'action administrative a été sollicitée dans quelques localités, je répète que c'est à cause de l'intervention ouverte et active du clergé. Je ne confonds pas un prêtre avec un bourgmestre ; mais je soutiens qu'un prêtre est revêtu d'une fonction, d'une autorité publique, et que dès lors son intervention a beaucoup plus de portée, a un tout autre caractère que l'intervention d'un simple électeur.

J'ai regretté à toutes les époques l'intervention active et passionnée du clergé dans les élections. Je n'ai jamais dénié aux prêtres le droit de venir déposer son vote, le droit même de donner certains conseils. Mais ce que je blâme, ce sont les moyens peu avouables, violents, dont il a été fait usage pour exercer une pression illicite sur certains électeurs, pour exercer une sorte de terreur sur beaucoup d'autres.

Je crois que tout homme raisonnable blâmera cette sorte d'intervention de la part du clergé ; et, si ce qui se passe aujourd'hui, si cette espèce de pacification qui semble se manifester dans les esprits pouvait, en se prolongeant, amener ce résultat, que le clergé s'abstînt de paraître aux élections, armé et violent comme il s'y présente aujourd'hui, je pense que ce serait là un résultat dont tout le monde devrait s'applaudir.

En ce qui concerne l'intervention de l'administration dans les élections, je me suis permis hier de trouver l'honorable M. Dumortier en contradiction avec lui-même ; l'honorable membre vient de nouveau de me sommer de le prouver ; eh bien, je n'ai qu'à lire une partie d'un de ses discours de 1845.

L'honorable M. Dumortier qui blâme fortement l'ancien ministre de l'intérieur d'être intervenu dans les élections pour soutenir les candidats qui soutiennent le gouvernement ; l'honorable M. Dumortier a reproché à l'honorable M. Nothomb de ne pas avoir soutenu dans les élections les représentants qui l'avaient soutenu à la chambre.

M. Dumortier. - Lisez le passage.

M. Rogier. - Le voici :

« Nous avons, messieurs, dans ces deux années, usé infiniment de popularité en faveur de M. le ministre de l'intérieur. La majorité a voté pour lui, et en sa faveur, des lois qui nous répugnaient. »

C'était à l'époque où les majorités n'étaient pas serviles ; les majorités serviles sont venues après, ainsi que l'honorable M. Dumortier l'a dit dans un manifeste fameux aux électeurs de Tournay...

« ... La majorité a voté pour lui, et en sa faveur, des lois qui nous répugnaient, que jamais elle n'eût votées, et que, pour mon compte, je n'aurais jamais votées si ce n'avait été pour le maintenir au pouvoir.

« Nous avons voté la loi relative à la British-Queen ; nous avons voté la loi sur les indemnités, la loi sur les pillages, la loi sur l'entrepôt d'Anvers, et encore beaucoup d'autres dont personne ici ne voulait, mais nous avons sacrifié nos répugnances pour sauver le ministre. En cela, encore une fois, nous avons usé beaucoup de popularité au service de M. Nothomb.

« Nous avions le droit d'attendre, nous, la majorité, que le lendemain nous trouverions en lui une légitime réciprocité. Le jour des élections approche. Que fait M. le ministre de l'intérieur ?

« Nous avions un ministère pour lequel nous avions fait de grands sacrifices, un ministère que, pendant deux ans, nous avions vivement, chaudement défendu. Ce ministère devait nécessairement nous rendre, au jour des élections, les services que nous lui avions rendus. »

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. Rogier. - Je sais bien que le ministère a fait le contraire de ce que vous demandiez, mais vous demandiez qu'il vous rendît quelques petits services pour ceux que vous lui aviez rendus, à titre de réciprocité. Eh bien, au lieu de vous rendre ces services, qu'a fait le ministre ? Il a travaillé sourdement contre tous les orateurs du parti catholique...

M. Dumortier. - Continuez.

M. Rogier. - Cela est clair comme le jour. Je reprends.

« Ce ministère devait nécessairement au jour des élections nous rendre les services que nous lui avions rendus… » Quelle fut dans ces circonstances la conduite du cabinet ? Il travailla sourdement contre tous les orateurs du parti catholique, comme deux années auparavant il avait travaillé contre îes orateurs du parti libéral.

Mais deux années auparavant, l'honorable M. Dumortier n'avait pas trouvé mauvais que le ministère eût travaillé contre les orateurs du parti libéral.

Voici un autre passage. « Il est admis qu'une influence raisonnable du gouvernement peut avoir lieu dans les élections... »

M. Dumortier. - Vous tronquez le passage.

M. Rogier. - Attendez. Voulez-vous que je lise tout le discours ? Il est très curieux et mérite d'être étudié. Mais dire que je tronque, c'est trop fort. Veuillez m'indiquer ce que je retranche, je le lirai. J'omets des passages qui sont aussi forts que ce que je viens de lire. (Interrruption de M. Dumortier.)

M. le président. - M. Dumortier, vous pourrez répondre. La parole est à M. Rogier.

M. Rogier. - Que M. Dumortier veuille bien lire lui-même.

M. Dumortier. - Je vais le lire, si vous le permettez. Vous allez voir combien sont fondées les observations qui ont été présentées.

M. le président. - M. Dumortier, M. Rogier ne vous cède la parole que pour la lecture du passage. Vous répondrez plus lard.

M. Dumortier. - Je lirai quand je répondrai.

M. le président. - La parole est continuée à M. Rogier.

M. Rogier. - Lorsqu'un orateur qui me contredit en termes peu convenables, puisqu'il m'accuse de tronquer son discours, est invité à le lire lui-même, et qu'il se rassied en silence, c'est qu'il reconnaît que son accusation n'a pas le moindre fondement.

M. Dumortier. - Je demande la permission...

M. le président. - M. Dumortier, vous n'avez pas la parole ; vous l'aurez après M. Rogier.

M. Dumortier. - Je demande la permission de lire le passage.

M. le président. - Lisez-le, puisque M. Rogier y consent ; mais rien de plus.

M. le président. - Voici le passage: « Je ne parle pas ici, disais-je, des violences, des moyens pervers, mais puisque enfin il est admis (dans cette chambre)... »

M. Rogier. - Il n'est pas dit dans cette chambre (interruption), n'ajoutez pas !

M. Dumortier. - S'il est admis, c'est bien dans cette chambre.

(page 153) « Je ne parle pas des violences, des moyens pervers, » c'est le commencement de ia phrase, « mais puisqu'enfin il est admis qu'une influence raisonnable du gouvernement peut avoir lieu dans les élections. » Et ici remarquez bien… (Interruption.)

M. le président. - Bornez-vous à la citation.

M. Dumortier. - « Je ne prétends pas, entre parenthèse, justifier les principes, je parle des faits, etc. »

Voilà ce que j'avais à dire ; après une telle déclaration de ne pas vouloir justifier le principe de l'intervention du gouvernement dans les élections, il y a bien mauvaise grâce de m'accuser aujourd'hui de l'avoir soutenu.

M. Rogier. - Il y a vraiment un côté risible dans tout ceci. Je suis obligé de constater que l'honorable M. Dumortier tronque lui-même son propre discours, car il n'achève pas. J'achèverai pour lui :

« Je dis que la majorité, qui avait tout sacrifié pour soutenir M. Nothomb et son ministère, était endroit d'attendre de lui un appui au jour des élections. »

Je voudrais bien savoir comment l'honorable M. Nolhomb s'y serait pris pour appuyer sa majorité s'il n'avait pas eu recours aux fonctionnaires politiques ressortissant à son département.

Je crois en avoir dit assez sur ce point. Je le répète, je ne suis pas plus partisan que personne dans cette enceinte de l'intervention des fonctionnaires politiques dans les élections, mais je répète aussi que si cette intervention peut et doit se justifier c'est par l'intervention, non moins regrettable à mes yeux, du clergé dans les luttes électorales.

Chaque fois que le clergé interviendra activement dans ces luttes pour combattre le gouvernement, il est presque inévitable que les représentants du gouvernement interviendront à leur tour.

L'honorable M. de Theux s'est livré à une revue rétrospective des actes de l'ancienne administration à partir de 1847.

- Quelques membres. - La clôture !

M. Rogier. - Je ne sais si l'on ne veut pas que je défende l'ancienne administration.

M. Lebeau. - C'est de droit.

M. Rogier. - L'on dit que l'ancienne administration est issue du congrès libéral. C'est là une assertion que l'honorable M. de, Theux aurait dû abandonner à la presse. L'honorable M. de Theux sait personnellement d'où est issu l'ancien cabinet. Il est issu d'une élection qui a renversé d'un coup formidable l'honorable M. de Theux et ses collègues.

Voilà l'origine de l'ancien cabinet du 12 août. Il n'en a pas d'autre. Le congrès libéral dont on parle souvent et dont je n'ai pas eu l'honneur de faire partie, avait contribué à donner à l'opinion libérale plus d'élan, cela est possible. L'on en veut beaucoup au congrès libéral, à certaines associations politiques ; mais il y a des associations politiques de tous les genres.

Il y a des congrégations, des associations de toute espèce, les associations politiques de l'opinion libérale agissent en plein jour, tandis que d'autres travaillent sourdement dans l'obscurité. Voilà la différence ; l'opinion libérale a ses associations, vous avez les vôtres, et dans les dernières élections, ces dernières ne se se sont pas fait faute de jouer un rôle très actif et très important.

L'honorable M. de Theux nous reproche d'avoir proposé en 1848 la réforme électorale ; mais pourquoi ne l'avez-vous pas combattue alors, si elle présentait de si grands dangers que vous le dites aujourd'hui ?

Cette réforme, tout le monde l'a appuyée ; c'était à qui se montrerait libéral, démocrate même à cette époque ; on se rappelle encore les discours de M. Malou ; si je les relisais, on en serait effrayé.

L'honorable M. de Theux oublie, dans sa revue, la loi des incompatibilités.

En voilà une que je défendrai faiblement. Mais qui l'a faite cette loi telle qu'elle est ? Les prétendus conservateurs.

Nous avions proposé une loi modérée qui conservait dans cette chambre les gouverneurs de province, les conseillers de cour d'appel et les généraux de division ; mais on n'a fait grâce à personne, et sur la proposition de M. Malou, avec l'appui de tout le parti prétendu conservateur, on a trouvé bon de ne conserver aucune espèce de fonctionnaires au sein de cette chambre.

L'honorable M. de Theux se pose ici comme le ministre le plus inoffensif, le plus innocent du monde.

Il a fait beaucoup de bien, il n'a jamais fait le moindre mal à qui que ce soit ; moi j'aurais destitué brutalement des fonctionnaires, M.de Theux n'en aurait destitué aucun ; il n'aurait pas révoqué, par exemple, le gouverneur du Brabant, des commissaires d'arrondissement et d'autres fonctionnaires ; il n'aurait pas mis à une retraite forcée le gouverneur du Limbourg.

Je ne pense pas que ce soit à lui à nous reprocher d'avoir été bien dur envers les fonctionnaires. En 1847 et postérieurement, ceux qui étaient hostiles à la politique qui se présentait comme en désaccord avec celle de M. de Theux, n'auraient pu, en conscience, se plaindre de n'avoir pas été maintenus dans leurs fonctions ; le cabinet, dans les circonstances où il se trouvait, a fait preuve de grande modération ; il a réduit les déplacements au strict nécessaire, il a laissé en fonctions un assez grand nombre d'agents qui lui sont restés hostiles.

M. Allard. - Vous avez eu tort !

M. Rogier. - Je sais qu'on a trouvé que nous avions eu tort, mais je me défends du reproche d'avoir été trop loin dans les révocations.

Messieurs, du temps de l'ancienne politique, on n'intervenait pas dans les élections ! On ne déplaçait pas d'agents politiques, en vue des élections ! Mais ce n'est pas pour des motifs purement électoraux que le ministre actuel des affaires étrangères a été déplacé de la province d'Anvers.

Quand M. Malou a été envoyé à Anvers en remplacement de M. de Brouckere, il savait fort bien pourquoi on lui donnait ce poste, il a rempli sa mission avec beaucoup d'énergie ; je rends justice au zèle qu'il a déployé, il a fait tout ce qu'il a pu pour empêcher mon retour à la chambre, il ne le niera pas.

Quand on a dans son bagage, dans ses antécédents, des faits de cette gravité et beaucoup d'autres, on devrait tâcher de se montrer plus circonspect, plus tolérant.

L'honorable M. de Theux vient d'attaquer ici un fonctionnaire public qui a toutes mes sympathies et qui mérite toutes les sympathies du cabinet nouveau, un fonctionnaire, d'ailleurs, investi d'une autorité telle qu'il y a peu de jours encore, si je suis bien informé, le choix de la couronne s'était arrêté sur lui pour le cas où la combinaison qui est aujourd'hui au pouvoir n'aurait pas abouti.

Ce fonctionnaire, investi de toute la confiance du gouvernement, vient d'être attaqué pour le discours qu'il aurait tenu à la suite d'une élection. Il aurait dit, dans un discours improvisé, que l'élection qui venait d'avoir lieu était le triomphe de l'ordre sur le désordre, de l'ordre sur l'anarchie. Comment ! il conviendra à nos adversaires de présenter, tous les jours, à l'intérieur comme à l'extérieur, l'opinion libérale comme l'opinion du désordre, comme le produit de l'anarchie, comme sortant des clubs, comme venue au pouvoir par les clubs, comme une opinion révolutionnaire, antisociale, etc., etc. ; ils vous répéteront ce thème à toute heure et sur tous les tons, ils applaudiront à la presse étrangère qui insulte l'opinion libérale représentée au gouvernement ; et il ne nous sera pas permis à nous de répondre : Nous sommes des hommes d'ordre et non des anarchistes ; c'est l'opinion contraire qui provoque et entretient le désordre par les insignes calomnies, les attaques indignes dont elle ne cesse de poursuivre l'opinion libérale.

Certes, quand on avait été témoin des excès auxquels nos adversaires s'étaient laissé aller dans les élections auxquelles on a fait allusion, on avait bien le droit de dire que l'opinion qui prévalait était le triomphe de l'ordre sur le désordre, de l'ordre sur l'anarchie ; à moins qu'on ose soutenir que des hommes de la valeur de mon honorable ami, M. Devaux, sont des hommes de désordre et d'anarchie ; eh bien, c'est au moment où la candidature de ce respectable citoyen venait de triompher, que le gouverneur de la Flandre occidentale a tenu le langage qu'on lui a reproché, et dont je lui sais gré pour mon compte.

Tâchons, messieurs, de nous épargner ces reproches réciproques, tâchons de nous montrer réciproquement tolérants. Je n'entends pas excuser tout ce qui se dit, tout ce qui s'écrit au nom de l'opinion libérale ; mais reconnaissez que les excès, depuis un certain temps, ont passé toutes les bornes de votre part ; reconnaissez que c'est à tort que vous avez applaudi, dans la presse qui défend vos principes, aux outrages qui ont été prodigués à toute une opinion, dans la presse étrangère, laquelle invoquait votre propre presse pour justifier ses calomnies.

Nous sommes à une époque qui exige de chacun de nous des sacrifices, de la modération. Nous sommes, nous, disposés à soutenir le gouvernement. Nous croyons que ce qu'il y a de mieux à faire aujourd'hui, c'est de maintenir énergiquement nos institutions, de prêter les mains à tout cabinet qui inscrira sur son drapeau « défense énergique de toutes nos institutions ». Nous ne demandons pas davantage pour le moment.

M. de Decker. - Tout le monde est de cet avis-là.

M. Rogier. - Si tout le monde est de cet avis, si vous reconnaissez que les circonstances exigent dans la conduite des partis une certaine modération, épargnez-nous des récriminations qui nous forcent à vous en adresser d'autres. Je ne crains pas vos attaques ; vos récriminations ne m'effrayent pas ; mais il est regrettable que nous consacrions notre temps à de pareilles luttes. Je n'en ai pas pris l'initiative ; j'ai gardé un rôle purement défensif, c'est le rôle que je conserverai.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Malou (contre la clôture). - Je demande à la chambre de me permettre une courte réplique au discours qu'elle vient d'entendre. Je n'ai pris aucune part à ce débat. Mon nom ayant été plusieurs fois cité, je crois qu'il est juste qu'on me permette de rétablir les faits et les principes comme je les entends. Du reste, je m'efforcerai, de ne pas prolonger ce débat, de ne pas l'aigrir.

Je ne ferai pas l'histoire politique de ces vingt-deux dernières années. Je n'ai pas devant moi le moindre volume du Moniteur. Je prie la chambre de me permettre d'ajouter quelques mots.

M. de Mérode (contre la clôture). - J'ai une observation à faire qui n'est pas du tout dans un sens irritant, mais dans un sens très calmant au contraire.

- La clôture est mise aux voix et rejetée.

M. Lebeau. - Je demande la parole.

M. le président. - Avec l'assentiment de la chambre, j'accorde la parole à M. Félix de Mérode qui a déjà parlé deux fois dans cette discussion.

M. de Mérode. - On a parlé hier de politique nouvelle ; je crois qu'elle est plutôt réchauffée d'une politique passée ; mais ce n'est pas la question.

(page 154) A l'occasion d'un débat sur les commissaires d'arrondissement, débat parfaitement opportun puisque leur traitement est en discussion, j'ai insisté pour que le système destitutionnel fût supprimé, pour que des fonctionnaires tels que l'honorable M. Vanden Branden de Reeth puissent continuer à exercer leurs fonctions sans devoir se mêler de politique, et se contenter d'être des administrateurs selon le but légal de leurs fonctions.

Or, on ne lui a pas répondu sur ce sujet, on est allé chercher toute espèce d'autres affaires. On s'est lancé dans une espèce de Champ-de-Mars, où le débat se développe à volonté en faisant perdre de vue la question principale.

Je reviens à la question principale de ce débat, car il faut faire en sorte qu'il en reste quelque chose à l'avenir, à savoir la non-intervention des fonctionnaires administratifs, des fonctionnaires publics en général dans les élections pour les mettre à l'abri des destitutions.

L’honorable M. Rogier a dit que l'honorable M. de Theux pourrait en faire à son tour quand il reviendrait au ministère. L'honorable M. Rogier aime ce système de bascule avec lequel c'est tantôt lui tantôt M. de Theux qui est ministre. Je n'ai aucune espèce de goût pour ces revirements ; je vois avec beaucoup de peine destituer mes amis et je ne suis pas consolé par la destitution de ceux qui ont pris leur place. Ce n'est pas pour moi une satisfaction suffisante. J'ai beaucoup de peine, en effet, à voir éloigner ceux qui ont consacré leur temps à la carrière administrative et je ne me réjouis point lorsque ceux qui les ont remplacés subissent le même sort.

On a engagé l'honorable M. de Theux, s'il revenait aux affaires, à destituer, de même que l'ont fait ses devanciers. Il serait préférable de supprimer toutes les mesures violentes : elles sont, à mon sens, les conclusions que l'on doit tirer de ce débat.

M. Malou. - Messieurs, ce débat replacé sur ses véritables bases peut offrir une grande utilité pour le pays. Toutes nos institutions reposent sur le régime électif, et le débat actuel, lorsque je lui restitue son véritable caractère, lorsque je lui assigne un but national (ce que nous ne devons jamais perdre de vue lorsque nous agitons les grands intérêts du pays), n'est autre chose que de savoir jusqu'à quel point telle ou telle influence est bonne ou légitime dans les élections ; la question placée sur ce terrain mérite toute l'attention de la chambre.

Et d'abord, reconnaissons-le tous, les opinions absolues, les principes absolus, les récriminations, à quoi peuvent-elles conduire le pays ?

On évoque tel ou tel antécédent ; on dit : Vous êtes vous-mêmes intervenus dans les élections.

Eh bien, messieurs, je n'hésite pas à le déclarer : oui, plus d'une fois, comme gouverneur et comme ministre, je suis intervenu dans les élections. Comme particulier, je n'ai pas à m'en expliquer ; comme citoyen, c'est, dans des circonstances données, un devoir pour chacun de nous.

Je dis donc que, comme fonctionnaire, comme ministre, je suis intervenu plusieurs fois dans les élections. Mais comment ? Où est la limite ? Et cette limite, dans ces derniers temps, a-t-elle été franchie ? Voilà la question que je vais agiter quelques instants devant vous.

El d'abord, dans tous les actes d'intervention qui appartiennent aux administrations antérieures à 1847, un principe incontesté, incontestable, selon moi, c'est la liberté des votes individuels des fonctionnaires.

Un deuxième principe, c'est que les fonctionnaires non politiques ne pouvaient être contraints de mettre leur influence personnelle à la disposition du gouvernement.

Mais un autre principe qui a été posé nettement par mon honorable ami M. de Theux, c'est qu'à un fonctionnaire politique, à un gouverneur de province, par exemple, il n'était pas permis de tourner contre les intentions du gouvernement une influence qu'il tenait de lui, et telle est la raison d'une destitution dont l'honorable M. Rogier a parlé. Citer ce fait, le mettre en parallèle avec les destitutions préventives, nombreuses, qui ont été prononcées à l'avènement du cabinet actuel, c'est montrer quelle a été la différence de système, la différence de politique.

Messieurs, une autre différence plus essentielle peut-être, c'est que l'influence de l'administration dout je reconnais la légitimité dans certaines limites, ne s'est exercée que par voie de conseil, par voie d'influence morale, sans qu'il y ait eu ni promesse, ni menace, ni rien qui exerçât une pression sur l'opinion des électeurs.

S'est-on tenu dans cette limite depuis ? On nous dit : Citez des faits. Mais, messieurs, si je citais quelques faits, et il en est un grand nombre à ma connaissance, on me dirait : Produisez les preuves écrites d'une influence exercée dans les élections par des fonctionnaires publics. On sait très bien que la question posée sur ce terrain, la preuve légale est impossible. Mais, si cette preuve n'est pas possible, nous avons une preuve qui est faite, une preuve qui est acquise par la conscience de tous, par la notoriété publique, qu'il a été fait abus, dans les dernières élections, des influences administratives. Et je vais citer une catégorie d'abus.

Si, par exemple, des fonctionnaires, dont je ne discute pas le caractère en ce moment, font comprendre à des communes, qu'à défaut de suivre l'impulsion qui leur est donnée, des demandes de subsides ne seront pas même examinées, des actes de juridiction administrative ne seront pas posés.

Ces faits constituent un révoltant abus de l'influence du gouvernement, et j'ajoute qu'à ma connaissance cet abus a été maintes et maintes fois commis.

M. Rogier. - Citez une commune.

M. Malou. - J'ai répondu d'avance à l'interruption. Je puis citer des communes. Mais je dis ce que je veux, vous répondrez ce que vous voulez ; et vous ne m'attirerez pas sur ce terrain. (Interruption.)

J'entends dire : Je connais des faits analogues antérieurs à 1847 ; je prie l'honorable auteur de cette interruption de remarquer que je n'entends pas justifier un à un tous les actes qui ont été posés depuis 1830 jusqu'en 1847. Mais je déclare que personnellement, comme agent du gouvernement et comme ministre, je n'ai jamais dépassé les limites que je viens d'indiquer tout à l'heure. Si des abus avaient été commis antérieurement, mais il me semble, lorsque vous usiez, lorsque vous abusiez des moyens d'opposition, lorsque vous épuisiez toutes les récriminations possibles, il me semble après tout que, dans vos promesses d'autrefois il y avait l'engagement de faire au pouvoir autre chose et mieux que vos prédécesseurs. Le pays sait maintenant si vous l'avez tenu. Mais nous reviendrons sur ce point.

L'influence du gouvernement circonscrite dans les limites que je viens d'indiquer tout à l'heure, ne peut pas être un danger pour nos institutions ; et pour moi, quelle que soit la position dans laquelle je me trouve, je déclare que je combattrai ceux qui franchiraient ces limites.

Et en effet, messieurs, le gouvernement qu'est-il ? Le gouvernement, c'est la représentation du pays tout entier. Le gouvernement ne se personnifie pas en telles personnes qui viennent dire successivement : Je suis le pouvoir, je suis la nation ; tout ce qui se fait, toutes les forces du pays, je puis les employer à mon profit pour me maintenir. Le gouvernement doit être l'instrument intelligent, le représentant réel de tous les devoirs, de tous les intérêts, et il manque à sa mission, lorsqu'il est un parti, lorsqu'il gouverne pour un parti.

Il y manque mille fois plus encore, lorsque dans les élections qui sont la base du gouvernement représentatif, il se préoccupe de lui-même et du soin de rester au banc ministériel.

M. Rogier. - Nous connaissons les gens préoccupés de ce soin.

M. Manilius. - Quelle audace ! Vous vous êtes efforcé de rester deux ans au pouvoir pour obtenir une pension !

M. Malou. - Cette accusation a été vingt fois réfutée. Il y a, du reste, trop d'interruptions pour que je puisse les comprendre et répondre à toutes à la fois.

L'honorable M. Rogier critique très vivement, et c'est pour la vingtième fois, l'influence du clergé dans les élections.

Mais qu'il me permette de lui répondre ce qu'on lui a déjà répondu tant de fois : Cette influence du clergé, vous la combattez lorsqu'elle est contre vous ; vous la demandez lorsque vous croyez qu'elle est pour vous. Ainsi, à la dissolution de 1833, on sait fort bien que l'honorable M. Rogier ne professait pas, ne pratiquait pas, veux-je dire, les principes qu'il invoque aujourd'hui contre l'influence du clergé ; on sait fort bien qu'à cette époque, lorsque l'honorable M. Rogier était expulsé, si je ne me trompe, du collège électoral de Liège, par ses amis, membres de l'opinion à laquelle il appartient, c'est le clergé de la Campine...

M. Rogier. - Non ! non !

- Plusieurs membres. - Oui ! Oui !

M. Malou. - Et il en existe des monuments, qui, à la demande de l'honorable M. Rogier lui-même, est intervenu pour lui éviter la perte de son siège parlementaire, pour lui éviter une interruption dans sa carrière politique.

M. Rogier. - Je demande la parole.

M. Malou. - Voilà ce qu'entre autres, dans un débat analogue à celui-ci, un de nos anciens collègues, l'honorable M. Peeters, témoin personnel du fait, répondait aux accusations que l'honorable M. Rogier vient de reproduire encore ici.

Il ne faut donc pas dire qu'à toutes les époques, vous avez regretté l'intervention du clergé.

L'intervention du clergé ! Mais, messieurs, voyez quelle étrange qualification on vient donner après coup au système politique dont l'honorable membre est, ou plutôt dont il fut le représentant, car je crois devoir parler de ce système au passé. Voyez, dis-je, quelle étrange qualification il lui donne.

D'une part le gouvernement, d'autre part le clergé, deux influences qui luttent, qui doivent se détruire. Et c'est en Belgique, c'est dans la catholique Belgique ; c'est lorsque le clergé, avant 1830 et depuis, a toujours été animé d'un esprit national, lorsqu'il a une si large, une si belle part à revendiquer dans tout ce qui s'est fait dans cette grande œuvre de la génération actuelle que l'on vient vous faire ce parallèle : le gouvernement d'une part et d'autre part son adversaire ou son ennemi le clergé, oui, cette lutte a existé, mais elle est contraire aux moeurs, aux idées, à toutes les traditions du pays, c'est parce que vous n'avez pas compris, pas mieux que d'autres pouvoirs plus grands que vous et qui ont péri à la peine, que cette lutte est en contradiction avec les idées, avec les mœurs, avec les traditions du pays, c'est parce que vous ne l’avez pas compris que vous avez aussi péri malgré toutes les influences qui vous ont soutenu.

C'est parce que vous avez pris pour votre programme l'antagonisme systématique, la lutte permanente contre toute influence sociale et politique du clergé.

Vous venez l'accuser aujourd'hui d'intervenir, lui qui n'est pas fonctionnaire quoi que vous en ayez dit hier, lui qui n'est pas une autorité, vous le niez chaque jour, vous venez l'accuser d'intervenir dans les (page 155) élections. Comme citoyen, il en a le droit, c'est son devoir. Mais vous êtes le dernier à qui un pareil reproche soit permis, parce que vous poursuivez un système plus général, plus mauvais, plus antipathique à la nation belge que Joseph II et Guillaume Ier. (Interruption.)

Oui, vous avez combattu l'influence sociale du clergé sur un terrain que Guillaume Ier avait respecté, vous avez inventé ce détestable système hostile à la bienfaisance privée et c'était un terrain que le gouvernement protestant antérieur à 1830 n'avait pas abordé, parce qu'il mettait les considérations d'humanité au-dessus des considérations politiques. Je dis que lorsque vous venez établir l'antagonisme systématique entre le gouvernement et le clergé, vous êtes non-recevable à attaquer l'influence du clergé dans les élections. Et où est l'abus de cette influence ? dirai-je a mon tour. (Interruption.}

Si l'on répond comme moi nous serons quittes, le pays sera juge et son jugement je ne le crains pas.

Maintenant, messieurs, le parallèle est complètement faux sous d'autres rapports. Quels sont les moyens d'action dont le clergé dispose, et quels sont, d'après les faits qui se sont agrandis pendant ces dernières années, les moyens dont le gouvernement dispose ? Je sais bien que le clergé peut s'adresser aux consciences, je sais bien que, par un abus, il pourrait mêler les choses de la politique aux espérances, aux vœux relatifs à un autre monde ; mais je sais aussi que le gouvernement, depuis surtout que la manie de faire beaucoup de choses, d'avoir beaucoup de subsides pour beaucoup de choses, s'est considérablement agrandie dans ces derniers temps, le gouvernement parle d'une manière plus directe, plus immédiate, use d'une influence qui pour certaines communes, je ne dis pas pour certaines consciences, a une bien autre force que des promesses, qui n'ont point de sanction en ce monde.

Messieurs, je regrette vivement que l’honorable M. Rogier ait voulu justifier un des abus les plus flagrants qui aient été commis par un fonctionnaire public, en ce qui concerne la liberté électorale. Il y avait à Bruges une lutte entre deux opinions ; ces deux opinions avaient également droit aux égards des agents du pouvoir.

Si le discours dont on a parlé et que l'honorable membre a voulu justifier, avait été prononcé par un simple citoyen, il était responsable de son opinion, on pouvait lui répondre ; mais l'abus consiste en ce qu'un fonctionnaire public n'a pas craint de qualifier toute une opinion de partisans du désordre et de l'anarchie ; et lorsque l'honorable membre, aujourd'hui, vient nous donner des conseils, et nous adresse tant de reproches qui ont traîné ailleurs, je n'ai qu'un mot à répondre : Voyez nos bancs ; le pays nous aassez vengés.

Et, messieurs, je dis : le pays nous a assez vengés ; mais voyez quels ont été les résultats utiles de l'influence exagérée du gouvernement dans les élections. Je crois que l'on pourrait, des faits accomplis depuis quelques années, déduire cette règle que le gouvernement a été d'autant plus battu, qu'il intervient davantage. C'est là, en réalité, le théorème politique qu'on peut déduire des élections de 1850 et de 1852.

Voilà en fait l'utilité que cette exagération des influences gouvernementales a produite, non pour le gouvernement qui en a usé, mais pour nous contre qui elle était dirigée.

Messieurs, un mot encore, au sujet de la réforme parlementaire et de l'esprit de conservation. Nous discutions hier la question de savoir si, administrativement, d'après l'état actuel de l'éducation politique dans les communes, d'après l'expérience acquise il pourrait y avoir lieu de supprimer les fonctions de commissaires d'arrondissement, et l'honorable M. Rogier nous dit : Vous vous déclarez conservateurs, et vous ébranlez toutes nos institutions.

Voici donc un honorable ancien membre d'un cabinet qui n'a pas laissé à une seule de nos institutions la stabilité qu'il réclame aujourd'hui, voici donc cet honorable membre qui vient élever les commissaires d'arrondissement à la dignité d'une grande institution ! Ceux qui ont mis en doute, pendant des années, la constitution de l'armée viennent dire qu'on n'est pas conservateur, parce qu'on met en doute s'il faut conserver les commissaires d'arrondissement !

Ceux qui ont menacé constamment la loi la plus populaire, la loi qui a été acceptée avec le plus d'unanimité, la loi sur l'enseignement primaire, viennent vous faire le même reproche.

Ceux qui ont modifié à leur profit, dans un intérêt de parti, la loi électorale, ceux-là viennent nous dire : Mais vous n'êtes donc pas conservateurs puisque vous voulez toucher aux commissaires d'arrondissement !

Nous avons émis des idées démocratiques ! Ainsi l'honorable M. Rogier revient sans cesse sur la loi relative à la réforme parlementaire. Eh bien, il me semble qu'en 1848, lorsque cette loi a été votée, nous ne formions pas, mes amis et moi, la majorité de la chambre ; je prie donc ceux des honorables membres de la majorité d'alors, qui ont voté avec moi, de vouloir bien s'associer à la réponse que je vais faire.

Messieurs, dans ma conviction, le ministère ne devait pas, même au point de vue où l'on se trouvait alors, proposer la réforme parlementaire ; mais lorsqu'elle était proposée, il était impossible que la réforme parlementaire ne fût pas générale et absolue.

Il y avait, pour la généralité, un premier motif, c'est que, jusqu'en 1847, le vote, la liberté parlementaire des fonctionnaires publics avait été conservée, et qu'une large atteinte avait été portée à ce principe par les destitutions préventives par lesquelles le cabinet avait inauguré son avènement.

Un deuxième motif, c'est que la loi était faite de manière à épargner certaines catégories. Ce n'était pas une loi de principe, c'était une loi d'expédients ; et quand nous avons vu que c'était une loi d'expédients, nous avons dit que c'était un filet dans lequel vous deviez tomber tous, et vous y êtes tombés ; car si vous vous récriez tant contre la loi sur la réforme parlementaire, c'est parce que la majorité qui vous soutenait a été affaiblie.

L'honorable M. Rogier nous a prodigué les conseils ; l'honorable M. Rogier a parlé de ceux qui veulent maintenir nos institutions ; il a même fait par là une allusion à cet acte fameux porté contre ceux qui conspirent dans les autres ténébreux où ils aiguisent leurs armes, contre ceux qui sont hostiles à nosinstitutions.

Eh bien, nous qui connaissons la vérité des choses, nous qui connaissons l'histoire des partis, nous devrions nous respecter assez pour croire à la valeur du serment que nous avons prêté, et ne pas nous permettre de pareilles insinuations.

Et c'est au moment où l'on fait un appel à la modération, c'est au moment où l'on fait ressortir la nécessité pour le pays de conserver l'unité de toutes ses forces ; c'est à ce moment que l'on vient dire : « Nous, nous voulons maintenir nos institutions, et vous, vous voulez les détruire. » Eh bien, toute notre histoire, tous nos actes protestent contre cette accusation ; nous voulons comme vous maintenir intacte la Belgique telle qu'elle est, maintenir la Constitution telle qu'elle est et toutes nos libertés telles qu'elles sont, et comme je l'ai dit plus d'une fois, nous les défendrons avec vous ou contre vous.

M. Dumortier. - Messieurs, au point où en est la discussion, je me bornerai à quelques mots qui me sont réellement personnels.

Messieurs, l'honorable M. Rogier a toujours un talent particulier, c'est de chercher à déplacer les questions. La question n'est pas de savoir comment a parlé tel ou tel, mais la question est de savoir ce qui est vrai ou ce qui n'est pas vrai.

La question soulevée par mon honorable ami M. de Mérode, était celle de l'intervention des agents du gouvernement dans les élections ; l'honorable M. Rogier croit avoir gagné la bataille, lorsqu'il pense avoir trouvé dans les discours des orateurs qui combattent son système quelque chose qui le justifie.

J'ai déjà eu l'honneur de le dire, et je suis forcé de le répéter : le discours que l'honorable M. Rogier a lu en partie reposait sur une seule et unique considération, sur l'élimination de quelques-uns de nos amis, non pas que le gouvernement eût travaillé pour eux, mais je lui reprochais à tort ou à raison d'avoir travaillé contre eux. Telle était la base de mon discours, et veuillez remarquer que dans ce discours je faisais mes réserves quant aux principes ; je déclarais formellement que je n'entendais nullement justifier le principe de l'intervention du gouvernement dans les élections. Or, comment peut-on prétendre qu'un député est le justificateur du principe, alors que lui-même, dans le discours où il signale des faits, vient protester énergiquement contre l'application du principe ?

Il faut, en vérité, infiniment d'audace pour me faire dire que j'aurais été le justificateur du principe, lorsque au contraire j'avais déclaré formellement que je n'entendais en aucune façon justifier le principe. Je me bornais à parler d'un fait.

Maintenant quel était le point de départ de la discussion actuelle ? Ce point de départ, c'était l'intervention violente des agents du gouvernement, les mesures violentes qui ont eu lieu dans les élections du mois de juin dernier.

Eh bien, cette intervention, ces mesures sont-elles contestées ? Non ; l'honorable M. Rogier lui-même les confesse... (interruption) ; M. Rogier, vous avez reconnu tout à l'heure vous-même, que plusieurs commissaires d'arrondissement se sont laissé entraîner dans les dernières élections.

Eh bien, voilà précisément le reproche que nous avons adressé au gouvernement : nous ne voulons pas que les commissaires d'arrondissement puissent se laisser entraîner dans les élections ; nous ne voulons pas qu'un commissaire d'arrondissement puisse venir dire à des bourgmestres ou à des échevins : « Votre mandat expire dans trois mois ; eh bien, si vous ne votez pas pour telle ou telle personne, vous ne serez pas renommés. » Nous ne voulons pas qu'une pression existe de la part du gouvernement dans les élections au moyen des fonctionnaires ; nous ne voulons pas, en un mot, que le gouvernemeni se crée parti et qu'il use de toutes les forces vives du budget en faveur d'une opinion pour laquelle il se trouve assis au banc ministériel.

Le gouvernement doit donc observer une neutralité parfaite dans les élections ; si l'opinion qu'il représente succombe, il doit s'y résigner. Mais avec la pression, exercée dans les élections et qu'on prétend, paraît-il, justifier, il est évident que le gouvernement peut se considérer comme disposant du cinquième des votes dans le pays. (Interruption.) Oui, il est incontestable pour quiconque a suivi et étudié les élections, qu'avec une pression semblable le gouvernement a une puissance qui équivaut, à mes yeux, au cinquième des votes.

Eh bien, quand une pareille pression s'exerce dans un gouvernement représentatif, on tombe dans un régime fatal ; le gouvernement représentatif cesse d'être une vérité, et dès lors ies institutions sont en danger

On dit souvent que nos institutions sont en danger. Eh bien, savez-vous, messieurs, ce qui amène inévitablement ce danger ? C'est l'intervention corruptrice des agents du gouvernement dans les élections ; (page 156) alors l'opinion publique ne peut plus loyalement s'y faire jour, alors nos institutions cessent d'être une vérité ; et moi, partisan très sincère et très dévoué de ces institutions, je désire vivement qu'on finisse par adopter en Belgique le système qui existe en Angleterre, qui laisse à toutes les forces vives de la société leur liberté d'action et qui ne permet pas l'intervention du gouvernement dans les élections.

Je désire qu'à propos d'élections, nous finissions tous par tenir ce langage-ci :

« Si mon opinion obtient la majorité, que mes adversaires se résignent : c'est le pays qui le veut ; si mon opinion n'obtient pas la majorité, tant mieux, puisque la patrie a de meilleurs citoyens. »

Je dirai en terminant qu'il n'est pas possible que le gouvernement vienne se comparer à une des forces vives du pays ; qu'il a le plus grand tort de prétendre qu'aussi longtemps que le clergé se mêlera aux élections il faudra que lui, gouvernement, s'y mêle aussi. L'honorable M. Malou vient de citer des faits ; peut-être y a-t-il quelques erreurs de date dans les faits qu'il a cités. Ces faits, je les rétablirai. C'est en 1831 que l'honorable M. Rogier a réclamé l'appui des catholiques et du clergé de Turnhout, pour être élu membre de la chambre, lorsque le district qui l'avait élu au congrès ne le conserva plus parmi ses représentants, et c'est en 1833 que le ministère faisait un appel à tous les évéques pour intervenir dans les élections.

Et ce fait a été notoirement reconnu dans la chambre, et alors le gouvernement trouvait très légitime que le clergé intervînt dans les élections. Pourquoi ce qui est trouvé légitime en 1833 et en 1834, est-il trouvé illégitime aujourd'hui ? Alors on trouvait non seulement l'intervention du clergé légitime, mais on le sollicitait d'intervenir parce qu'alors on marchait d'accord avec cette opinion ; mais aujourd'hui, il n'en est plus de même et l'on trouve très mauvaise cette intervention.

Aussi longtemps qu'il y aura dans le pays une opinion quelconque qui inscrira sur sa bannière une persécution plus ou moins grande, plus ou moins directe contre le clergé, il sera évident que le clergé non seulement sera dans son droit, mais que ce sera pour lui un devoir d'intervenir dans les élections par tous les moyens loyaux qui sont en sa possession ; et le clergé n'aura point alors à dire aux électeurs qui ont confiance à lui : Je viens d'obtenir telle route, tel chemin de fer ; si vous votez pour moi je vous défendrai ; si vous ne votez pas pour moi, je tous combattrai.

M. Veydt. - Je serai court, messieurs ; il est cependant nécessaire que je dise aussi quelques mots dans cette discussion avant qu'elle soit close.

L'honorable M. Rogier, en commençant son discours, disait qu'il était en quelque sorte seul, en ce moment, pour défendre l'ancien ministère. Déjà cette réflexion m'avait frappé. Lui et moi, nous sommes, en effet, les seuls membres, ici présents, du cabinet dont l'origine remonte au 12 août 1847. Ma participation, quia été courte, date de cette première époque, et il est juste que je prenne ma part de responsabilité des actes qui viennent de nouveau d'être l'objet de la critique et du blâme des honorables MM. Malou et de Mérode.

Je désire prendre une position d'autant plus nette que j'ai reçu, en commençant nos travaux, une marque de distinction à laquelle j'étais loin de m'attendre, mais qui m'honore et dont j'apprécie tout le prix. Ce qu'elle a de valeur s'évanouirait à l'instant et serait remplacé par un regret, par un état de contrainte et de malaise intolérable, s'il pouvait exister quelques doutes sur mes opinions politiques.

Elles sont en 1852 ce qu'elles étaient en 1847, lorsque l'honorable M. Rogier conçut l'idée de m'appeler à faire partie du cabinet qu'il avait mission de former. J'eus, il est vrai, de la peine à me rendre à son appel, mais mon parti une fois pris, je m'associai sans restriction aux premiers actes de la politique nouvelle, et je ne puis ni ne veux récuser ma part de responsabilité au sujet de ces destitutions préventives par lesquelles le nouveau cabinet a inauguré son entrée aux affaires. Je me sers à dessein des expressions qu'employait tout à l'heure l'honorable M. Malou.

Cinq années se sont écoulées et plusieurs discussions politiques ont eu lieu depuis que ces actes ont été posés. On les a critiqués et défendus, et tout semblait dit. S'il faut encore y recourir, que l'on se reporte, pour être juste, aux circonstances où ces mesures ont été prises. L'opinion publique, qui venait de triompher après une lutte opiniâtre de plusieurs années, réclamait de grands changements dans le personnel des fonctionnaires du gouvernement ; elle se montrait exigeante ; beaucoup de griefs s'étaient amassés, et pour lui donner satisfaction il eût fallu aller beaucoup plus loin. Le ministère ne voulut pas la suivre sur ce terrain, et il en fut blâmé.

Il posa les actes de destitution à regret, comme une nécessité inhérente à sa position politique. Jamais, ne nous faisons pas illusion, messieurs, ne faisons pas de la théorie pure, un changement si profond que celui de 1847, ne s'opérera dans la marche des affaires d'un pays, sans que de pareils froissements en soient la suite. Je m'associe de tout cœur aux vœux qui ont été émis de ne plus voir se renouveler ces mesures toujours pénibles ; mais ce sont des espérances dont la réalisation dépendra plus des circonstances que de nous-mêmes.

L'abaissement du cens électoral a été également l'objet d'une critique bien tardive, et un orateur a dit que le ministère y avait eu recours dans un intérêt en quelque sorte personnel, en vue d'assurer la prééminence électorale des grands centres de population. Mais ici non plus, n'oublions pas les événements qui ont amené cette grande réforme.

Le cabinet a été heureux de trouver un moyen constitutionnel de donner satisfaction à ce qu'on réclamait si vivement et en même temps une barrière dans la Constitution qui l'empêchait d'aller trop loin. Aucune préoccupation personnelle n'a trouvé place dans tout cela, et il était impossible de calculer quelle serait l'influence de cet appel d'un plus grand nombre d'électeurs. De plus graves intérêts étaient en cause au mois de mars 1848. L'opportunité de la loi électorale a été accueillie par les chambres et le pays comme parfaitement indiquée par la situation.

Je me borne là, messieurs, car je ne désire pas la prolongation de ces débats.

M. Rogier. - L'honorable M. Malou a fait allusion aux élections de Turnhout ; il prétend qu'en 1833 mes amis de Liège m'ayant abandonné j'ai en recours aux électeurs de Turnhout. Voici les faits qui se sont passés.

J'eus l'honneur, en 1830, d'être nommé membre du congrès à Liège, par l'opinion patriote, par le parti de l'union. En 1831, étant gouverneur de la province d'Anvers, je fus nommé par le district de Turnhout par les mêmes éléments, et je dois ajouter que mon élection y fût très contestée ; je ne fus nommé qu'au second tour de scrutin et par une soixantaine de voix seulement, d'où je puis conclure, sans faire preuve d'ingratitude pour personne, que si l'influence du clergé, qui est très grande dans ce district, a agi pour moi, elle n'a pas fait de très grands efforts, mon concurrent qui était le bourgmestre de Gheel était plus agréable au clergé que moi.

Je n'ai pris d'ailleurs aucun engagement, je n'ai fait aucune démarche, aucune promesse de défendre telle ou telle mesure, telle ou telle loi. En 1833, on interrogea les candidats sur l'opinion qu'ils défendraient, notamment dans les lois d'instruction publique, j'eus soin de réserver toute ma liberté. Je défie qui que ce soit d'établir que j'ai jamais abandonné mon opinion dans les mains d'un parti quelconque pour obtenir une nomination.

Si le clergé a concouru à mon élection en 1831, il l'a fait sans recourir à des moyens blâmables, sans y avoir été sollicité par moi et sans avoir reçu aucun engagement. Je ne sais pas moins gré à ceux des membres du clergé qui alors voulaient ne pas me considérer comme un ennemi de la chose publique, qui voulaient bien reconnaître les services que j'avais pu rendre. Depuis lors des changements se sont opérés, mais je puis encore compter, je le crois, dans une partie du clergé des hommes impartiaux qui m'ont conservé leur estime et leur confiance.

- La discussion est close.

L'article 37 est mis aux voix et adopté.

Article 38

« Art. 38. Emoluments pour frais de bureau : fr. 81,200. »

- Adopté.

La séance est levée à quatre heures et demie.