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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 24 février 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 739) M. Maertens procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

La séance est ouverte.

M. Vermeire donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Maertens présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre :

« L'administration communale de Callenelle présente des observations contre l'établissement d'un chemin de fer de Tournai à Saint-Ghislain. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs bourgmestres, échevins, membres des conseils communaux et propriétaires dans l'arrondissement d'Anvers, prient la chambre de rejeter le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout, et de décréter la construction du canal d'Anvers à Turnhout par Saint-Job in 't Goor, ou du moins l'établissement d'un chemin de fer d'Anvers vers Turnhout. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« La chambre de commerce et des fabriques d'Anvers présente des observations contre la demande du conseil communal de Malines, tendant à faire modifier le tracé du chemin de fer projeté de Lierre sur Turnhout. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession de ce chemin de fer.


« Le conseil communal de Lichtaert prie la chambre d'adopter le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout par Herenthals. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Tarte prie la chambre de lui accorder la concession d'un chemin de fer de Braine-le-Comte à Courtrai par Enghien, Renaix et Avelghem, et en tout cas de sauvegarder ses droits. »

M. de Haerne. - Je demande le renvoi de cette pétition à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de concession du chemin de fer de Tubize aux Acren par Enghien, attendu que ce chemin de fer se relie à l'autre projet. Je sais que dans les sections il a été question du projet de M. Tarte ; moi-même j'en ai parlé dans la quatrième section ; ma motion est consignée au procès-verbal, la section centrale devra donc s'en occuper. Je demande, en conséquence, le renvoi de la pétition à cette section centrale.

- Cette proposition est adoptée


« Le conseil communal de Bouwel prie la chambre d'accorder la concession d'un chemin de fer de Lierre a Turnhout, et demande l'établissement d'une station dans cette commune. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à cette concession.


« Des électeurs d'Aerschot demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.


« Des électeurs à Barvaux-sur-Ourthe demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton. »

« Même demande des électeurs du canton de Gedinne. »

- Même disposition.


« Des habitants de Wonterghem demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

-Même disposition.


« Des électeurs à Waenrode demandent que le cens électoral différentiel soit rétabli, que la contribution foncière compte aux locataires pour former le cens électoral et que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu du canton. »

- Même disposition.


« Les administrations communales d'Aublain, Dailly et Boussu-en-Fagne, demandent que la société du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse soit autorisée à suivre le tracé projeté de Mariembourg. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Plusieurs distillateurs de diverses villes proposent des modifications au projet de loi sur les distilleries. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Van Assche, distillateur à Alost, déclare adhérer à la pétition des distillateurs de diverses villes, relative au projet de loi sur les distilleries. »

- Même renvoi.


« Le sieur Detillieux, distillateur à Namur, propose des modifications au projet de loi sur les distilleries. »

- Même renvoi.


« Des électeurs à Thielrode demandent que les élections aux chambres puissent se faire dans la commune, que les districts électoraux soient composés de 40,000 âmes et qu'ils aient à procéder chacun à la nomination d'un représentant. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.


« Le sieur de Meurs-de Corte, fabricant de papiers à la Hulpe, prie la chambre de maintenir la prohibition, à la sortie, des chiffons de laine. »

- Dépôt sur le bureau pendant la discussion du projet de loi qui porte la suppression de droits et de prohibitions de sortie.


« Des électeurs à Moerseke demandent que les élections aux chambres puissent se faire au chef-lieu de canton et que le cens électoral pour les villes soit augmenté. »

- Renvoi à la commission des pétitions pour le mois de mars.


« Le conseil communal de Poppel demande que l'établissement d'un chemin de fer quelconque ne soit pas un obstacle à l'achèvement du canal de Turnhout à Anvers par Saint-Job in t' Goor, qu'il préfère a la, construction de toute voie ferrée, et réclame l'achèvement de la chaussée de Turnhout vers Tilbourg. »

« Même demande du conseil communal de Weelde. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la concession d'un chemin de fer de Lierre à Turnhout.


M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer sur le bureau de la chambre la seconde partie du rapport général sur l'inspection des chemins vicinaux. Cette partie a pour objet la province d'Anvers.

- Ce rapport partiel sera imprimé et distribué, pour faire suite à la première partie du rapport général.

Projet de loi prolongeant les dispositions transitoires en faveur des élèves universitaires en sciences et en philosophie

Rapport de la section centrale

M. Veydt. - Messieurs, j'ai l'honneur de déposer, au nom de la section centrale, le projet de loi qui tend à proroger, pour les deux sessions de 1853, les dispositions transitoires contenues dans l'article premier de la loi du 4 mars 1851 et la loi du 13 août de la même année, en faveur des élèves en sciences et des élèves en philosophie.

Le projet de loi a été adopté par la section centrale £ l'unanimité et sans observations.

- Ce rapport sera imprimé et distribué.

La chambre en fixe la discussion à la suite de l'ordre du jour.

Nomination du greffier de la cour des comptes

Nombre des votants, 75.

Majorité absolue, 37.

M. Charles-Joseph Dassesse, chef de la division de comptabilité à la cour des comptes, obtient l'unanimité des suffrages.

En conséquence, il est proclamé greffier de la cour des comptes.

Nomination d’un membre de la commission des naturalisations

Nombre des votants, 75.

Majorité absolue, 38.

M. Ad. Roussel obtient 39 suffrages.

M. Ansiau 36 suffrages.

En conséquence, M. Ad. Roussel est proclamé membre de la commission des naturalisations.

Ordre des travaux de la chambre

M. de Perceval. - La chambre a décidé qu'elle s'occuperait mardi de l'examen en sections du projet de loi sur le recrutement de l'armée. Nous sommes aujourd'hui jeudi. Jusqu'à ce jour le projet de loi n'est pas encore distribué.

Or, il est entré dans les intentions de la chambre qu'il y eût un intervalle de huit jours au moins entre la distribution du projet de loi et son examen en sections. J'ai donc l'honneur de proposer à la chambre de fixer l'examen du projet de loi à vendredi 4 mars, si toutefois la distribution des documents concernant cette grave question a lieu ce soir ou demain.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - L'impression du projet de loi touche à sa fin ; et j'ai lieu de croire que la distribution pourra avoir lieu demain. Il me semble donc que la décision précédemment prise par la chambre pourrait être maintenue, sauf à retarder l'examen en sections d'un jour ou deux, si, contre toute attente, la distribution souffrait quelque nouveau retard.

M. le président. - Les renseignements que je viens de recevoir ne concordent pas avec ceux de M. le ministre. M. le greffier me dit tenir de l'imprimeur que ce projet de loi ne pourra être distribué avant lundi.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - L'imprimeur se trompe ; les (page 740) épreuves sont corrigées ; le bon à tirer est donné. A moins que l'imprimeur ne travaille pas aujourd'hui, ce que je ne puis croire, le projet de loi pourra être distribué demain.

M. de Perceval. - Quoi qu'il en soit, je demande qu'il y ait un intervalle de huit jours entre la distribution du projet de loi et l'examen en sections.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je n'ai qu'un vœu à former, c'est que la chambre veuille bien faire le plus tôt possible de ce projet de loi l'objet de ses délibérations.

Le gouvernement a fait tout ce qu'il était humainement possible de faire pour hâter l'élaboration de ce projet de loi. La chambre est convaincue elle-même du grand intérêt qui milite pour que la délibération n'en soit pas retardée.

M. Mercier. - On pourrait ne fixer le jour de l'examen en sections qu'après la distribution du projet de loi. En effet, avant d'en avoir pris connaissance, nous ne pouvons savoir quelle en est l'importance, et nous ignorons s'il nous faut huit jours ü'examen avant que nous puissions nous en occuper en sections.

Je propose donc à la chambre de ne fixer le jour de l'examen en sections qu'après la distribution du projet de loi.

M. le président. - M. Mercier demande que le jour de l'examen en sections ne soit fixé qu'après la distribution du projet de loi. M. de Perceval se rallie-t-il à cette proposition ?

M. de Perceval. - M. le président, je maintiens la mienne.

- La chambre consultée adopte la proposition de M. Mercier, en conséquence le jour de l'examen en section, sera fixé après la distribution du projet de loi.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je prie la chambre de remettre à aujourd'hui en huit la discussion du projet de loi relatif au transfert à Bottelaere du chef-lieu de canton de la justice de paix d'Oosterzeele. J'ai demandé des renseignements qui ne me sont pas encore parvenus. Je désirerais les posséder avant que l'on aborde la discussion.

- La proposition de M. le ministre de la justice est adoptée.

M. Lesoinne. - Messieurs, notre ordre du jour n'est pas très chargé. Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur s'il ne conviendrait pas de replacer à notre ordre du jour le projet de loi sur les brevets d'invention.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - Messieurs, je ne demande pas mieux que de voir discuter le projet de loi sur les brevets d'invention ; mais il m'est physiquement impossible de me préparer en ce moment à soutenir cette discussion, J'ai dû m'occuper de beaucoup d'affaires qui ne comportaient aucun retard. Il y a d'anciens projets préparés par l'administration précédente dont j'ai dû faire une étude personnelle ; il y en a de nouveaux qui ne sont pas moins urgents, et dont je m'occupe également. Tout cela exige un travail considérable, et il m'a été jusqu'aujourd'hui impossible de me livrer à l'examen du projet de loi sur les brevets d'invention qui demande une étude spéciale assez longue.

Je prie la chambre d'être persuadée que je fais tout ce qui dépend de moi pour répondre à ses désirs, et j'espère pouvoir, dans peu de temps, satisfaire au vœu de l'honorable M. Lesoinne.

Rapports sur des pétitions

M. Moxhon. - Messieurs, j'ai l'honneur de présenter à la chambre le prompt rapport que vous avez demandé snr trois pétitions relatives au régime des eaux de l'Escaut. Deux de ces pétitions sont datées de Tournai ; l'une émane de l'administration communale, l'autre de la chambre de commerce de cette ville. Ces deux documents s'élèvent avec force contre le monopole que, dès les temps féodaux, la ville de Gand s'est arrogé, de disposer des eaux du fleuve au détriment de la navigation. Les pétitionnaires signalent principalement le passage du pont en pierre dit des Chaudronniers, comme étant devenu infranchissable aux bateaux à la moindre crue des eaux de l'Escaut.

Ils prétendent aussi que les travaux exécutés par le gouvernement belge au canal d'Antoing et l'élargissement des ports d'entrée des eaux qui nous viennent de la France, ont eu pour conséquence d'amener la fréquence des inondations qui désolent les campagnes, interrompent la navigation et provoquent les fièvres putrides qui déciment les habitants à la suite de chaque débordement du fleuve.

Ces deux pétitions concluent à ce que la chambre ordonne immédiatement l'enfoncement d'un canal de Zwynaerde à Melle, ou tout au moins le déblayement de l'un des bras de l'Escaut dans le passage de la ville de Gand.

La troisième pétition émane de divers propriétaires de Synghem et d'Asper. Ils se plaignent, eux aussi, de la fréquence des inondations qui détruisent leurs récoltes et entravent la navigation.

Mais si les pétitionnaires de Tournai ne trouvent un remède au mal que par l'exécution des travaux que je viens d'indiquer, ceux de Synghem et d'Asper vous demandent, au contraire, la mise à exécution des travaux du canal de Schipdonck à Zelzaete comme devant seuls les délivrer du fléau des inondations.

Dans un tel état de choses, votre commission des pétitions vous propose le renvoi à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, la chambre des notaires de l'arrondissement d'Audenarde, par leur requête en date du 22 janvier 1853, demandent la modification de l'article 5 de la loi de ventôse an XI qui divise les notaires en trois classes, qui permet aux deux premières classes d'instrumenter dans le ressort des cours d'appel et des tribunaux de première instance, tandis que la troisième classe est bornée aux cantons de leur résidence. A l'appui de sa demande, elle fait valoir qu'à diverses reprises le gouvernement avait promis cette modification que les événements politiques et d'autres entraves ont retardé jusqu'ici ; que la loi précitée a été profondément modifiée et qu'en présence des dispositions de la loi du 16 décembre 1851 qui règle les honoraires des notaires à raison d'un pour cent pour les actes en dessous de 500 francs, ce sont les notaires ruraux qui sont presque exclusivement lésés ; que ce système consacre un privilège qui n'est en harmonie ni avec nos lois, ni avec la Constitution, tandis qu'ils sont astreints aux mêmes études et aux mêmes rigueurs quant aux examens.

Elle signale en outre la grande disproportion entre le nombre des notaires urbains et les notaires ruraux eu égard au chiffre de la population, et qui devient extrême si l'on tient compte de la population indigente des campagnes.

Enfin, elle signale l'abus de tolérer la vente publique des immeubles sans l'intervention d'un notaire, et le préjudice qui en résulte pour le trésor.

Votre commission, appréciant l'importance des motifs allégués par les pétitionnaires, a l'honneur de vous proposer le renvoi à M. le ministre de la justice.

M. Lelièvre. - J'appuie le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice, dont j'appelle l'attention sur le tarif concernant les notaires, réglé par arrêté royal en 1851. Cet arrêté contient des dispositions qui doivent être révisées ; il attribue aux notaires des émoluments dérisoires, car il est à peine croyable qu'un notaire doive se déplacer pour ne recevoir que trois francs, y compris le salaire de l'expédition. Cet état de choses est trop injuste pour qu'il puisse subsister plus longtemps.

M. de Muelenaere. - J'appuie également le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice. Je crois qu'il importe de faire quelque chose en faveur des notaires de canton. La position de ces fonctionnaires devient chaque année de plus en plus fâcheuse. Je crois que le moment est venu de réviser la loi en ce qui les concerne et de rechercher les moyens d'améliorer leur position.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je m'occupe précisément en ce moment de revoir tous les rétroactes qui se rattachent au projet de loi sur le notariat qui a été présenté il y a deux ou trois ans à la chambre et qui a été retiré à la suite de longs débats qui ont eu lieu sur les différents systèmes proposés, soit du ressort par province, soit du ressort par arrondissement, son du ressort par canton ; et les questions qui se rattachent à la compétence des notaires rentrent précisément dans la spécialité de la pétition dont il est actuellement question.

Je déclare que je m'occupe de la matière avec soin.

M. Magherman. - Je viens appuyer les conclusions de la commission.

Il n'y a réellement plus aucun motif pour que la loi consacre plus longtemps l'inégalité qui existe entre les notaires des campagnes et ceux des villes. Tout l'avantage aujourd'hui est du côté des notaires qui résident dans les villes. Ceux qui habitent les villes où il y a une cour d'appel sont dans un siège d'affaires tellement important qu'ils y trouvent plus de besogne qu'ils ne peuvent en faire. Ceux qui sont au chef-lieu d'arrondissement où les affaires en général aussi sont importantes, peuvent instrumenter dans tout l'arrondissement.

Les notaires de troisième classe qui doivent posséder les mêmes capacités, le même degré d'instruction que ceux des villes, ne peuvent instrumenter que dans le canton, et l'on sait que dans les cantons ruraux il y a très peu d'affaires ; cependant les notaires de chef-lieu de cour d'appel et les notaires d'arrondissement peuvent encore, malgré cette pénurie d'affaires, y venir faire la concurrence à des fonctionnaires, qui rencontrent à peine une honnête existence dans le peu d'affaires que fournissent les cantons ruraux.

Il n'y a plus de motifs pour que cet état de choses continue. J'engage M. le ministre de la justice à présenter le plus tôt possible une loi qui fasse cesser cette inégalité par trop flagrante.

M. Delehaye. - Je demande aussi le renvoi de la pétition à M. le ministre de la justice. Chacun de nous sent le besoin d'améliorer la position des notaires. Mais, dans mon opinion, l'égalité entre les notaires n'améliorera pas considérablement leur position. Je crois qu'il y a un seul moyen de venir efficacement au secours des notaires et des contribuables, c'est d'en diminuer le nombre.

J'appelle l'attention de M. le ministre de la justice sur ce point. Il en est des notaires comme des huissiers et des avoués. Le nombre en est trop considérable. C'est en diminuant ce nombre que vous améliorez, leur position.

M. Rodenbach. - Je dois également appuyer avec force la pétition des notaires de campagne. Puisque à peu près tous les grands propriétaires qui font le plus d'affaires et font dresser le plus d'actes, résident aux chefs-lieux de province et d'arrondissement ; il en résulte que la profession de notaire, est en quelque sorte exploitée par les notaires des villes au détriment de notaires de campagne. Cela est d'autant plus (page 741) fâcheux, d'autant plus injuste, qu'il faut autant de capacité pour être notaire à la campagne que pour l'être dans une ville.

On pourrait même soutenir qu'il faut plus de capacité aux notaires des campagnes parce qu'ils sont en rapport avec des personnes qui, généralement, connaissent beaucoup moins les affaires que les grands propriétaires et les grands industriels des villes, et que les notaires de canton n'ont pas, comme ceux des villes, la facilité de consulter des avocats et des hommes de loi.

Je ne comprends pas, messieurs, et jusqu'à présent on n'a pas pu prouver pourquoi il doit y avoir ici un véritable privilège en faveur des villes de cours d'appel, de chefs-lieux de province et d'arrondissement, au détriment des notaires de canton.

Je me bornerai à ce peu de mots, me réservant de traiter plus au long la question lorsqu'on discutera le projet de loi.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, je suis d'opinion comme l'honorable M. Delehaye, qu'en général, le nombre des officiers ministériels dépasse les besoins réels, dans un certain nombre d'arrondissements judiciaires et de cantons de justice de paix. J'ai déjà effectué certaines réductions, en ce qui concerne les notaires, dans quelques cantons, et j'appliquerai ce système à d'autres cantons, lorsque la nécessité en sera démontrée.

Pour ce qui concerne les avoués et les huissiers, il est essentiel de remarquer que la réduction du nombre de ces officiers ministériels dépend, d'une part, du système qui sera adopté définitivement pour l'expropriation forcée et, d'autre part, du système qui sera adopté par la commission chargée de réviser et de refondre les lois sur l'organisation judiciaire.

On peut dire dès à présent qu'une réduction devra être opérée, mais il n'est pas possible de rien déterminer en présence des éventualités auxquelles je viens de faire allusion.

Ce que je dis à la chambre fait suffisamment comprendre que je ne perds nullement de vue le sujet important dont il s'agit.

- Les conclusions de la commission sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par requête en date du 20 janvier 1853, le sieur Frankignolle, notaire à Seraing, demande que M. le ministre de la justice veuille vous présenter le projet de révision de la loi sur le notariat.

Il vous rappelle que par arrêté royal, en date du 2 septembre 1848, une commission fut instituée qui a remis, en ce temps, au gouvernement un travail complet sur cette matière, tant sur le nombre des notaires, et sur l'étendue de leur ressort que sur beaucoup d'autres améliorations ; il demande enfin de mettre un terme à l'état d'incertitude où se trouve le notariat depuis 1834, époque à laquelle l'honorable M. Lebeau présenta son projet de loi qui établit les principes d'égalité, de justice et de liberté, appliqués aujourd'hui à beaucoup d'autres branches de l'administration.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de cette pétition à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - « Messieurs, par pétitions en date des 26 et 29 janvier et des 1er, 15 et 16 février 1853, les huissiers près le tribunal de première instance à Audenarde et des cantons de Marie-Hoorebeke, Sotteghem, Renaix, Turnhout et Nederbrakel, demandent l'établissement d'une caisse de pensions en faveur des huissiers, la diminution du nombre des huissiers, la substitution d'une indemnité annuelle et fixe au salaire éventuel qu'ils reçoivent pour les exploits en matière de police et pour le service des audiences et l'autorisation d'instrumenter dans les matières du ressort de la justice de paix. A l'appui de leur demande, les pétitionnaires exposent que la loi récente qui fixe les traitements de l'ordre judiciaire en a sensiblement amélioré la position, que ces mêmes dispositions légales ont considérablement diminué leur besogne, leur ont causé des préjudices notables et leur ont enlevé le droit d'exercer d'autres professions ou fonctions publiques.

Ils se recommandent à la bienveillante sollicitude de la législature et du gouvernement paternel de Sa Majesté.

Votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de leur demande à M. le ministre de la justice.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. Vander Donckt, rapporteur. - Messieurs, par requête en date du 23 janvier 1853, l'administration communale de Poppel demande le prompt achèvement des travaux de la route de Turnhout vers la frontière hollandaise.

Les pétitionnaires font valoir à l'appui de leur demande les considérations suivantes : que la route a été décrétée depuis près de trois ans, et qu'à peine un tiers en est achevé.

Ils allèguent les difficultés de transport de leurs produits aux marchés des villes voisines, et celles du retour des engrais nécessaires à leur culture.

Le troisième motif, c'est l'adjudication prochaine de la partie de cette route sur le territoire hollandais vers nos frontières.

Par ces considérations, votre commission a l'honneur de vous proposer le renvoi de leur requête à M. le ministre des travaux publics.

- Ces conclusions sont adoptées.


M. le président. - Je viens de recevoir des renseignements précis, en ce qui concerne l'impression du projet de loi sur la milice.

M. le ministre de l'intérieur avait raison lorsqu'il disait que le projet de loi et l'exposé des motifs pourraient être distribués demain. Mais M. le greffier avait également raison, en ce sens qu'il y a des annexes, formant au moins cent pages, qui ne pourront être distribuées que lundi ou mardi.

Projet de loi, amendé par le sénat, de révision du code pénal

Discussion générale

M. le président. - D'après les précédents de la chambre, je ne mettrai en délibération que les articles qui ont été amendés, soit par le sénat, soit par la commission de la chambre ; toutefois on peut présenter des amendements aux autres articles.

La parole est à M. Van Overloop dans la discussion générale.

M. Van Overloop. - Messieurs, je n'ai pas assisté à la première discussion du projet de révision des livres I et II du Code pénal. Je n'avais pas, à cette époque, l'honneur d'appartenir à la chambre. Nonobstant cette circonstance, je croirais manquer à mon devoir, si je ne vous présentais immédiatement quelques observations que m'a inspirées l'examen des amendements introduits par le sénat dans le projet de loi.

Mes observations portent sur l'article . 30 de ce projet, article qui dispose que la peine de mon n'est prononcée contre aucun individu âgé de moins de 21 ans au moment du ci Une.

Messieurs, la légitimité de la peine de mort n'est plus cont :stée de nos jours ; elle n'a éié véritablement combattue qu'à une époque assez éloignée de nous, où le matérialisme avait envahi la société. Un seul point est encore en contestation, c'est l'utilité de l'application de la peine de mort.

Est-il utile, dans telle ou telle cironstance, d'appliquer la peine de mort ? C'est là une question toute de fait, une question toute d'appréciation, une question qui dépend des temps, des lieux, des mœurs des peuples dans la législation desquels il s'agit d'introduire ou de supprimer cette pénalité.

La chambre a consacré en principe que la peine de mort ne doit pas être appliquée, lorsque l'auteur du crime n'a pas atteint l'âge de 21 ans. Le sénat a fait un amendement à ce principe absolu, consacré par la chambre.

L'amendement du sénat consiste à permettre l'application de la peine de mort, lorsque l'individu, âgé de moins de 21 ans, se trouve en état de récidive.

La commission de la chambre, après avoir examiné cet amendement, a proposé une modification qui consiste dans l'addition à l'article 89 du projet primitif d'un troisième paragraphe ainsi conçu :

« Toutefois, s'il y a récidive d'un crime emportant la peine de mort, ou si le crime emportant la peine de mort a été précédé, accompagné ou suivi d'un autre crime, cette peine pourra être prononcée. »

Si donc la chambre adoptait l'amendement de la commission, un récidiviste âgé de moins de 21 ans, qui se serait rendu coupable du crime d'assassinat, pourrait être condamné à la peine de mort si l'assassinat a été précédé, accompagné ou suivi d'un autre crime quelconque.

Pour ma part, je dis qu'il faut de deux choses l'une : ou bien admettre complètement le principe absolu adopté par la chambre au premier vote, ou bien augmenter le nombre des exceptions à l'article 89.

Quelles seraient les conséquences de la seule adoption de l'amendement de la commission ?

Le coupable d'un simple assassinat, précédé, accompagné ou suivi d'un autre crime, pourrait, alors même qu'il n'aurait pas atteint l'âge de 21 ans, être condamné à mort, tandis que l'auteur du plus lâche des crimes, de l'empoisonnement, ne pourrait pas être condamné à cette peine !

Quoi ! le coupable d'assassinat, lorsque son crime aurait été précédé, accompagné ou suivi d'un autre crime, serait passible de la peine de mort, et le parricide, âgé de moins de 21 ans, aurait la vie sauve ! Un tel système serait une protestation contre le bon sens, contre la logique qui doit surtout être respecté dans les lois pénales.

Il y a plus encore : le crime du régicide, le crime le plus grave qu'on puisse commettre contre l'ordre social, ce crime qui, grâce à Dieu, je l'espère bien, ne souillera jamais notre Belgique ; ce crime ne pourrait pas être puni de mort, lorsqu'il aurait été perpétré par un individu de moins de 21 ans, tandis qu'encore une fois le simple crime d'assassinat, accompagné, précédé ou suivi d'un autre crime, serait passible de cette peine !

J'ai donc cru devoir soumttre ces observations à la chambre ; je n'en fais pas jusqu'ici l'objet d'un amendement ; mais j'aurais cru manquer à mon devoir de membre du corps législatif si je n'avais pas appelé votre attention sur les conséquences du maintien de l'article 89 et de l'aioption de l'amendement de la commission.

Rcmarquez bien, messieurs, que le coupable de parricide, ordinairement, n'est pas âgé de 21 ans ; et pourquoi ? Parce que le crime de parricide, presque toujours, n'est que le résultat du débordement des passions, passions qu'on ne trouve le moyen de satisfaire qu'en portant une main homicide sur son père, pour recueillir sa succession.

Qui de vous ignore l'âge de ces accusés de parricide dont les procès ont eu lieu récemment, dans un pays voisin ?

Les journaux ne viennent-ils pas de nous apprendre qu'un individu, jeune d'âge mais vieux de mauvais sentiments, a tué père, mère et sœur, uniquement dans un but de convoitise ?

(page 742) Que dirai-je du crime de régicide, ce crime peut-être plus grave encore que celui du parricide dans les circonstances actuelles ? Il y a peu de jours, un souverain a manqué de tomber victime du poignard d'un assassin ; et quel est l'âge de l'auteur de cet infâme attentat ?

Si mes renseignements sont exacts, il n'a pas atteint l'âge de 21 ans.

Ainsi, messieurs, vous ne pourriez pas condamner à la peine de mort le coupable du plus infâme de tous les crimes, et cependant, je ne puis assez le répéter, vous pourriez condamner à moit un individu qui se serait rendu coupable d'un assassinat ordinaire, précédé, accompagné ou suivi d'un autre crime.

Je crois avoir rempli mon devoir en soumettant ces réflexions à la sagesse de la chambre.

J'ai dit.

M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, lorsqu'on est appelé à l'honneur de faire les lois pénales, ou de les appliquer, on doit s'abstenir de faire allusion à des faits exceptionnels qui peuvent influer sur la sévérité du législateur ou du juge et le faire entrer dans une voie qui l'éloigne de la modération inhérente à d'aussi graves devoirs.

L'honorable préopinant vient de dire qu'il n'a pas participé aux délibérations antérieures et relatives au Code pénal. Pour mon compte, je m'en suis aperçu. En effet, si l'honorable mmibse avait fait partie de la chambre à cette époque, il se serait rappelé que la disposition de l'article 89, objet de ses critiques, forme un moyen de transaction entre deux opinions qui se présentaient dans cette chambre avec une force égale dans les convictions et des raisonnements également puissants.

Il s'agissait de la peine de mort. Nous qui voulions conserver cette peine dans le Code, nous ne le pouvions qu'en diminuant les cas d'application d'une matière fort marquée.

Nous ne voulons pas cependant nous refuser à reconnaître qu'il y avait dans les observations des honorables membres qui soutenaient la thèse contraire quelque chose de fondé. La peine de mort est une peine terrible qui fait trembler celui qui doit l'écrire dans la loi et celui qui doit l'appliquer.

En effet, c'est un problème qui restera plein d'effroi pour la conscience humaine que celui de savoir si la mort donnée à un homme légitime la réciprocité des représailles de telle nature contre le meurtrier. C'est un problème difficile à résoudre.

Qu'avait fait la commission chargée de la rédaction du Code pénal ?

Elle avait conservé le principe de la peine de mort, avec une application tellement restreinte que le principe nouveau pouvait être considéré comme un essai de l'abolition de la peine de mort dans un temps que nous ne pouvons pas déterminer, mais qui, nous l'espérons, ne se fera pas longtemps attendre, grâce au développement de la civilisation, grâce aux efforts que font les hommes de bien pour répandre l'instruction, grâce surtout à la propagation et à la sincérité des idées religieuses.

Mais pour restreindre l'application de la peine de mort, il fallait trouver les moyens de restriction. L'attention de la législature a été éveillée tout de suite sur le caractère plus ou moins prononcé des facultés intelligentes des délinquants. Le Code a établi une limite d'âge à laquelle on soumet au jury, en matière de crimes, la question du discernement de l'accusé. Seize ans est une limite pour tous les crimes quelconques, mais cette excuse ne prend pas en considération la gravité et l'irréparabilité de la peine.

On songea dès lors à établir une autre limite qui tînt compte de la faiblesse des facultés morales de l'accusé et de la gravité, de l'irréparabilité de la peine de mort. C'est ce qui a donné naissance à l'article dont il s'agit. Cet article n'a rencontre aucune opposition dans cette chambre. C'est au sénat que l'opposition a surgi. Le principe de l'exception en faveur des coupables âgés de moins de 21 ans, a été conservé ; seulement on y a ajouté une restriction tirée du concours des infractions et de la récidive, cas où la peine de mort devrait être appliquée au coupable âgé de moins de 21 ans.

La restriction au principe nouveau reposait sur ce que nous appelons les circonstances aggravantes générales qui peuvent se présenter dans toute espèce d'infraction.

Ainsi, dans le crime de parricide comme dans le cas de vol qualifié, un individu peut être en état de récidive ou bien en état de concours d'infractions ; mais jamais le sénat n'a songé à introduire une restriction puisée dans la gravité de tel ou tel crime. Nous n'en finirions plus si nous adoptions le système défendu par l'honorable préopinant.

Il n'y aurait pas de raison pour ne pas restreindre à l'infini un principe que je considère comme salutaire. Le régicide est un crime atroce ; Dieu merci ! on ne le connaît pas en Belgique. J'ai la conviction intime que jamais il ne sera commis en Belgique.

M. Van Overloop. - Par des Belges, non, mais par des étrangers !

M. Roussel. - Si un étranger tentait de commettre un pareil crime, son bras serait retenu par les Belges qui feraient prompte justice de celui qui essayerait de commettre un pareil forfait.

La loi a armé le gouvernement d'une foule de moyens préventifs contre les étrangers. Ce n'est pas pour les étrangers, mais pour les indigènes que nous faisons nos lois. Si vous aviez en vue les étrangers, vous devriez prendre d'autres précautions, car l'étranger peut tout faire ; rien ne le retient.

Je continue mon raisonnement et je dis que le régicide est un crime énorme, le parricide un crime énorme, mais tous les crimes qui entraînent la peine de mort sont des crimes énormes.

Est-il moins criminel celui qui tue avec un fusil, après avoir prémédité son crime, que celui qui empoisonne ? Ces crimes sont de même nature, car la loi les frappe tous de la peine de mort. Donc, il faudrait les excepter tous de l'article 89, c'est-à-dire supprimer cet article.

On peut faire allusion à un régicide et à la circonstance exceptionnelle et particulière que ce régicide, ce que je ne sais pas, ne serait pas âgé de 21 ans.

Est-ce une raison pour abandonner le sentier de l'humanité et du progrès dans lequel nous nous avançons comme de véritables chrétiens en faisant des efforts pour arriver un jour à abolir la peine capitale ? Si nous voulons préparer cet heureux moment, pouvons-nous faire mieux que de consacrer le principe déjà écrit dans la loi civile, que celui dont les facultés intellectuelles ne sont pas suffisamment développées, qui n’est pas majeur, ne doit pas être retranché de la société, à moins que ce ne soit un criminel endurci dont on ne peut plus rien espérer ?

Cette perversité est démontrée par la récidive ou par le concours de plusieurs crimes entraînant la peine de mort. Il faut permettre d'appliquer la peine de mort quand il y a urgente nécessité ; mais aller plus loin c'est détruire le principe salutaire ; c'est renverser le jalon que nous voulons poser ; c'est empêcher le Code de marcher et de se diriger vers le but d'humanité vers lequel nous désirons le voir s'avancer.

M. Lelièvre. - Messieurs, les observations de l'honorable M. Van Overloop ne tendent à rien moins qu'à renverser un principe qui a été admis par les trois pouvoirs appelés à concourir à la formation de la loi. Qu'en règle générale, un individu âgé de moins de 21 ans ne puisse être condamné à la peine de mort, c'est ce qui a été adopté par la première commission, par le gouvernement, par la commission de la chambre des représentants, par celle-ci même et ensuite par le sénat. En cet état de choses, est-ce bien le cas de renverser un système qui a été accueilli par toutes les branches du pouvoir législatif ? Mais, messieurs, ce principe est rationnel, et sa consécration a pour objet de mettre nos lois pénales en harmonie avec nos lois civiles.

En effet, un individu âgé de moins de 21 ans est censé, par une présomption juris et de jure, n'avoir pas l'étendue de discernement suffisante pour disposer de ses biens, et l'on voudrait qu'il pût par un délit engager sa vie ! Ainsi on admettrait en matière criminelle une présomption contraire à celle de la loi civile !

Ce n'est pas tout ; il doit y avoir une gradation dans les peines, et cette gradation n'existe que dans le système que je soutiens. Ainsi, un individu âgé de 16 ans moins un jour ne peut, d'après le projet que nous discutons, être condamné qu'à un emprisonnement de vingt ans, eût-il même encouru la peine capitale, tandis que s'il était âgé de 16 ans et un jour, il devrait être condamné à la peine de mort, dans le système des adversaires.

Nous, au contraire, nous ne prononçons en ce cas que la peine des travaux forcés à perpétuité. Il faut avouer qu'il est exorbitant de passer immédiatement de 20 années d'emprisonnement correctionnel à la peine capitale.

Le sénat, il est vrai, a admis quelques exceptions. Certes j'eusse préféré qu'il eût maintenu le principe d'humanité dans toute son étendue, mais au moins ce n'est pas là une raison pour aggraver encore le système du sénat, en supprimant la règle générale, que lui-même a cru devoir admettre.

On parle de certains crimes qui ont une gravité particulière ; mais, outre que ce sont là des cas exceptionnels, la gravité qui s'j rattache est atténuée par la circonstance dominante que l'âge du délinquant fait présumer qu'il n'avait pas le discernement suffisant pour apprécier l'énoruiité du fait. 11 est donc important de ne pas séparer l'acte d'avec ia personne du délinquant et son âge peu avancé.

Mais, messieurs, est-ce bien le cas d'hésiter, lorsqu'il ne s'agit que d'opter entre la peine capitale et celle des travaux forcés à perpétuité ? Dans notre système, le délinquant encourt cette dernière peine, qui, après tout, place le criminel dans l'impossibilité de nuire. La peine n'est pas une vengeance, la société se défend, mais ne se venge pas. Or, pour cette défense, la peine des travaux forcés à perpétuité est certes suffisante lorsqu'il s'agit d'un individu âgé de moins de 21 ans, pour lequel, surtout, la peine des travaux perpétuels est une peine terrible.

Messieurs, on ne fera croire à personne que, dans l'espèce, cette dernière pénalité ne soit pas suffisante. Toute l'économie de la législation civile appuie notre système. Un homme ne peut contracter mariage avant vingt-cinq ans, parce qu'on pense qu'avant cet âge, il est entraîné par les passions de la jeunesse, et ce principe, dont la vérité est démontrée par l'expèrience, on voudrait le méconnaître lorsqu'il s'agit de proportionner les peines aux délits ! Jamais, messieurs, vous ne sanctionnerez une doctrine aussi désastreuse.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, les orateurs que vous venez d'entendre ont expliqué à la chambre l'origine de l'article dont il s'agit en ce moment. Cet article a été adopté par la chambre des représentants ; il a été ensuite mis en discussion au sénat. La commission du sénat avait proposé la suppression pure et simple de l'article, c'est-à dire qu'elle avait demandé que l'individu âgé de moins de 21 ans pût être condamné à la peine de mort et exécuté, comme tout autre criminel âgé de plus de 21 ans. Le sénat a discuté cet article d'une manière assez approfondie, et en a voté le maintien par 17 voix contre 15. Ainsi l'article 89 a été définitivement adopté par les deux branches du pouvoir législatif.

(page 743) Dans la suite de la discussion, au deuxième vote, un amendement a été introduit dans l'article 75 du projet, et ensuite placé sous le chiffre 76 comme article particulier. En vertu de cet article, en cas de récidive ou de concours de plusieurs crimes, l'article 89 n'est pas applicable, c'est-à-dire que, dans ces cas, la peine de mort peut être prononcée par la cour d'assises.

Dans cet état de choses, la commission de la chambre a cru d'abord devoir proposer le rejet de l'article 76 nouveau du sénat. Mais ensuite, après une discussion à laquelle j'ai eu l'honneur de prendre part au sein de la commission, celle-ci, dans des vues de conciliation et de déférence envers le sénat, a adopté l'article actuellement proposé, qui consiste à laisser à la cour d'assises la faculté de prononcer la peine de mort, s'il y a récidive de crimes emportant la peine de mort, ou s'il y a concours de crimes dont l'un emporte la peine de mort.

Lorsqu'il l'est agi de la suppression de l'article 89, c'est-à-dire de la suppression du principe de l'affranchissement de la peine de mort au profit des condamnés âgés de moins de 21 ans, j'ai déclaré que je n'y voyais aucun inconvénient réel ; j'ai fait observer qu'en vertu des articles 91 et 92 du projet de loi, la cour d'assises pourrait entrer dans l'appréciation des circonstances atténuantes au profit des individus âgés de moins de 21 ans, comme au profit de tout autre condamné.

La première disposition de l'article 92 porte : « Que lorsqu'il existe des circonstances atténuantes, la peine de mort est remplacée par les travaux forcés à perpétuité ou par les travaux forcés de 15 à 20 ans. »

Ainsi, la cour pourrait diminuer de deux degrés la peine de mort encourue par le coupable âgé de moins de 21 ans. Indépendamment de ce système de circonstances atténuantes, il y a le droit de grâce qui peut toujours être appliqué, et qui, depuis 1830, a toujours été appliqué aux condamnés âgés de moins de 21 ans, sauf un parricide âgé de 17 ans.

Ces considérations m'avaient déterminé à ne pas combattre la proposition faite par la commission du sénat, de supprimer l'article 89 tel qu'il existe actuellement.

Le sénat en a jugé autrement, et j'ai pensé que le concours des deux volontés de cette chambre et du sénat sur le principe donnait au principe une valeur incommutable.

La question est de savoir si ultérieurement il sera proposé un amendement, ayant pour effet de supprimer le principe de l'article 89 et d'élargir le cercle des exceptions adoptées par votre commission et dont j'ai donné lecture, c'est-à-dire si l'exception au principe de l'article 89 serait appliquée non seulement au cas de la récidive d'un crime emportant la peine de mort, ou de concours de crimes dont l'un emporte la peine de mort, mais encore au régicide, au parricide, à l'empoisonnement.

Si cet amendement était proposé, la chambre aurait à voir si elle a le pouvoir de l'adopter, c'est-à-dire de porter atteinte à un principe adopté par les deux chambres. La chambre consultera les précédents. Pour ma part, je ne connais pas de disposition constitutionnelle ou légale qui empêche la chambre d'user de ce pouvoir ; mais il y a, je le répète, une question de convenance et de précédents, sur laquelle la chambre aura à se prononcer.

Pour ma part, je persiste à déclarer, comme je l'ai fait au sénat, que je n'attache pas au maintien de l'article 89 la même importance qu'y attache l'honorable M. Roussel. Pourquoi ? Parce que je trouve que, dans le système des circonstances atténuantes, tel qu'il est organisé par le chapitre IX du projet, il y a un véritable hommage rendu au principe d'humanité qui porte les adversaires de la peine de mort à en préconiser la suppression. Dans ce système de circonstances atténuantes il y a une part faite à un principe très légitime, dont les progrès constants ne peuvent pas être méconnus. La part sera plus grande encore dans l'élaboration du livre relatif à la punition des crimes, et l'on verra que la peine de mort n'y est nullement prodiguée, comme elle l'est dans le Code pénal actuel.

Voilà les raisons qui me paraissent ne pas rendre aussi important que semble le croire l'honorable M. Roussel, le principe consigné dans l'article 89.

M. Dumortier. - M. le ministre vient de soulever une question de droit constitutionnel. Pouvons-nous amender dans toutes ses dispositions le projet de loi qui nous est renvoyé amendé par le sénat ? Pour tous les membres qui siègent dans cette chambre depuis un certain nombre d'années, cette question n'en est pas une. La chambre saisie d'un projet de loi peut, en vertu de la Constitution, en amender tous les articles, comme elle aurait pu le faire quand elle en a commencé l'examen.

Maintenant le devons-nous ? Je n'hésite pas à déclarer qu'il est nécessaire de modifier cet article.

Messieurs, j'ai longtemps réfléchi sur la question de la peine de mort. Au point de vue de la philanthropie, j'étais partisan de la suppression de cette peine. Mais une réflexion m'a fait reconnaître qu'il est impassible de la suppiimer.

Si vous supprimez la peine de mort, vous abrégerez nécessairement l'échelle des peines. Ainsi dans les cas où la peine de mort est maintenant appliquée, on établira la peine des travaux forcés à perpétuité. Dans ceux où l'on applique celle des travaux forcés à perpétuité, on remplacera cette peine par une détention prolongée de 30 ou 40 ans de travaux forcés. Ainsi du reste. Or qu'elle serait messieurs, la conséquence inévitable de ce système ? La conséquence fatale, c'est que ce serait un encouragement à l'homicide, à l'assassinat.

Un homme ou plusieurs hommes se rendent chez un particulier pour voler. Ils y vont la nuit, ils y vont avec toutes les circonstances aggravantes. Pendant qu'ils sont occupés à dépouiller l'appartement où l'habitant de la maison repose, il se réveille. Ces voleurs ont 35 ans. Ils se disent : Si nous ne tuons pas, nous sommes reconnus, nous sommes condamnés, parce qu'il y a des circonstances aggravantes, à 35 ans de travaux forcés, ce qui, à notre âge, équivaut à la perpétuité. Ainsi nous voilà dans les fers jusqu'à notre mort. Si au contraire nous tuons, il n'y aura pas de témoin, nous échapperons à la peine, nous ne serons pas punis.

Ainsi il est incontestable que la suppression de la peine de mort aurait pour résultat fatal d'encourager l'homicide, d'encourager l'assassinat. Dans un pareil état de choses, il me semble impossible de faire disparaître cette peine.

Maintenant, messieurs, convient-il, oui ou non, de la supprimer pour les criminels qui n'ont pas atteint l'âge de 21 ans ? Pour moi, je ne puis le croire. Car il est incontestable qu'il est des crimes tellement odieux, tellement compromettants pour la société, qu'ils doivent subir la répression la plus sévère. Ainsi le parricide ; ainsi encore le régicide. Je n'en veux pas d'autre exemple que le crime infâme qui vient d'être commis dans la capitale de l'Autriche contre le grand empereur qui gouverne ce pays, par un homme de 21 ans, et cela évidemment sous la pression de gens qui n'osent pas se mettre eux-mêmes à la tête du mouvement qu'ils sollicitent, mais qui excitent d'autres à commettre ces crimes ; qui vont jusqu'à préconiser le meurtre au couteau, l'assassinat par derrière, système qui est une lâcheté pour celui qui l'exécute et une lâcheté plus grande encore pour celui qui le commande et se cache à l'étranger.

Je dis qu'en présence de pareils faits, il nous est impossible de laisser notre royauté sans aucune espèce de garantie contre des actes de cette nature. En présence de pareils faits la loi présente une lacune et il importe de combler cette lacune en la modifiant.

Messieurs, remarquez-le bien, quelle serait la conséquence de la loi ? C'est que lorsqu'on voudrait commettre un crime, on emploierait le bras du plus jeune pour frapper la victime. Eh bien ! voilà ce que je ne veux pas permettre, car ma sympathie n'est pas pour les assassins, mais pour ceux qu'ils menacent du poignard.

Je ne veux pas que la loi, par une forme quelconque, soit un privilège pour l'assassinat, et malgré votre volonté, contre votre volonté, dans les termes où elle se trouve, elle le deviendrait. Je demande donc qu'une modification soit apportée à cet article et que la punition contre des crimes abominables comme le parricide et le régicide, ne soit pas telle, qu'il soit permis de braver ainsi la justice des lois qu'il soit permis surtout de se porter aux crimes les plus honteux aux crimes les plus odieux en ayant pour soi uue véritable impunité.

M. Roussel, rapporteur. - Messieurs, je tiens d'abord à faire une observation en réponse au discours de M. le ministre de la justice.

M. le ministre de la justice n'attache pas une grande importance au principe écrit dans l'article 89, c'est-à-dire à l'exemption de la peine de mort pour les individus âgés de moins de 21 ans, parce que, dit-il, la cour d'assises possède une faculté de réduction de peines suffisantes dans la disposition qui permet de tenir compte des circonstances atténuantes.

Mais M. le ministre de la justice oublie que le juge n'est pas le maître créer les circonstances atténuantes. Le juge est obligé de reconnaître et de constater ces circonstances en sa qualité de juge, lorsqu'elles se présentent, mais il ne peut pas en créer pour faire échapper le condamné à la peine capitale. Il s'ensuit que si de telles circonstances ne se présentent point dans l'espèce, dans le système du Code et l'article 89 exclu, la cour d'assises est tenue de prononcer la peine de mort.

Voilà pourquoi l'article 89 a été fait ; voilà pourquoi les savants jurisconsultes qui composaient la première commission, ont écrit le principe de l'article 89 ; pourquoi votre commission a cru devoir le conserver, pourquoi la chambre l'a maintenu, pourquoi le sénat l'a voté. Evidemment la disposition relative aux circonstances atténuantes était insuffisante pour prévoir l'excuse spéciale qui dérive d'un âge moindre que celui de 21 ans.

Il ne peut donc rester dans l'esprit de nos honorables collègues aucun doute relativement à la portée de l'article 89. Cette disposition prévoit le cas où le juge ne trouverait pas de circonstances atténuantes dans l'espèce et où il se verrait oblige d'appliquer la peine capitale, par exemple, à un accusé de 18, 19 ou 20 ans, à un être qui mérite encore, peut-être, en partie du moins, la qualification d'enfant, à un accusé incapable de gérer ses moindres intérêts civils, se trouvant sous une tutelle, et qui, pour avoir commis un crime énorme, j'en conviens, mais qui s'explique, peut-être, par l'état imparfait de ses facultés intellectuelles et morales, serait exposé à une condamnation capitale.

Messieurs, je ne répondrai pas à ce qui concerne l'emploi du droit de grâce, qn n'est autre chose que la clémence royale s'exerçant sur ua condamné.

Le droit de grâce n'a rien à faire dans l'appréciation rigoureuse des principes que l'on écrit dans un code pénal. C'est une institution éminemment utile, mais indépendante des règles ordinaires du droit.

Mais je ne puis laisser sans aucune réponse ce qui a été dit par mon honorable ami, M. Dumortier.

Cet honorable collègue trouve la démonstration de la nécessité de la peine capitale dans un argument qu'elle retrouve partout et qui, à lui seul, est tout à fait insuffisant pour opérer une telle démonstration.

Mais, en vérité, messieurs, cet argument était fort inutile. Car vous (page 744) avez écrit la peine de mort en toutes lettres ; vous l'avez consacrée par le code. Nous avons eu une discussion à ce sujet et, j'en appelle au souvenir de l'honorable M. Dumortier, je n'ai pas reculé alors devant la nécessité de défendre le principe de cette terrible pénalité.

Cependant, nous avons été obligés de rendre justice aux sentiments et aux raisonnements de nos adversaires, et nous nous sommes dit : Il faut que la Belgique écrive dans son Code pénal, en même temps que la nécessité de conserver le châtiment suprême, qu'elle écrive, dis-je, le désir d'arriver à son abolition lorsque les circonstances le permettront.

Pour manifester cette volonté et commencer un tel essai, rien de mieux que d'étendre la progression du principe qui se trouve déjà consigné dans l'article 66 du Code pénal de 1810, à propos des condamnés âgés de moins de 16 ans. J'estime que nous avons raisonné juste.

Au surplus, je ne puis admettre l'argument de l'honorable M. Dumortier, d'après lequel l'article 89 doit exercer une influence fâcheuse parce que les criminels âgés emploieraient des personnes plus jeunes pour exécuter les grands crimes. Ne peut-on employer la main de l'enfant âgé de moins de 16 ans ?

L'empoisonnement est-il plus difficile par la main d'un enfant âgé de 15 ans et demi, que par celle d'un enfant de 17 ans ?

A-t-on donc prétendu que l'article 66 de notre Code actuel ait produit de si funestes effets ? Cet article, ne le reproduisons nous pas d'ailleurs dans le projet soumis à vos délibérations ?

Peut-on citer dans les annales de la justice quelque accroissement dans le nombre des crimes commis par des enfants âgés de moins de 16 ans, depuis la promulgation du Code pénal de 1810, qui a pourtant consacré le principe de la condamnation à des peines beaucoup plus faibles de l'enfant âgé de moins de 16 ans ? Eh bien ! ce qui est vrai pour cette catégorie de délinquants ou de criminels, l'est aussi pour celui qui a atteint 16, 17 ou 18 ans. Il faut bien s'arrêter à une limite ; cette limite quelle est-elle ? C'est la majorité. Nous disons qu'on ne doit pas infliger le dernier supplice à l'homme qui n'a pas atteint sa majorité, sauf les deux exceptions que le sénat a introduites dans l'article 76.

Mais l'honorable M. Dumortier sait fort bien que l'homme qui emploie le bras d'autrui est un coauteur et puni de la peine même qu'il voudrait éviter.

Celui qui emploiera le bras d'un individu âgé de moins de 21 ans pour commettre un grand crime, celui-là subira la peine de mort, parce qu'il ne pourra pas invoquer l'excuse ; il sera, lui, âgé de plus de 21 ans et il sera puni, comme coauteur, de la même peine que l'auteur principal, au moins dans le cas dont il s'agit.

Messieurs, la loi pénale est moins impuissante que ne le croit l'honorable M. Dumortier : elle n'a pas toujours besoin de peines terribles ; elle peut et doit tenir compte de toutes les circonstances favorables à l'accusé.

L'exemple cité par l'honorable M. Dumortier et qui pourrait frapper les personnes qui ne sont pas habituées aux débats judiciaires, cet exemple n'influencera jamais les jurisconsultes. Vous dites qu'un individu âgé de moins de 21 ans doit être passible du dernier supplice, par la raison qu'il peut être l'instrument d'autres criminels ; mais alors vous lui imputez donc, non pas son fait à lui, mais dans une question aussi grave, vous lui attribuez le fait d'autrui, vous lui imputez l'emploi qu'on peut faire de lui.

M. Lelièvre. - Il n'est qu'un instrument.

M. Roussel. - Sans doute, il n'est qu'un instrument. Dans l'état actuel de la législation il serait impossible de ne pas grâcier un individu âgé de moins de 21 ans qui serait le simple instrument d'un autre individu plus âgé, lequel aurait été l'auteur, le provocateur, le directeur du crime. Certes, l'instrument ne subirait pas la peine de mort. Ce serait l'auteur véritable, l'auteur même, qui la subirait, parce que si la peine était prononcée, le Roi ferait grâce à l'instrument tout en laissant à l'auteur réel du crime la peine qu'il aurait méritée.

Vous le voyez, messieurs, l'argumentation de l'honorable M. Dumortier tourne contre le principe qu'il défend.

Il est temps, messieurs, de revenir à la véritable question.

Nous voulons continuer le progrès de la civilisation. Ce progrès se manifeste dans les lois pénales surtout qui reflètent les sentiments nationaux. Notre Code pénal doit être le reflet des sentiments d'humanité qui animent tous les cœurs en Belgique. Continuerons-nous le progrès, sans danger pour la société, si en raison du caractère terrible de la peine, nous étendons l'excuse aux accusés qui, âgés de plus de 16 ans, ne sont point encore parvenus à l'âge où ils disposent librement de leur personne et de leurs biens, à ceux que la loi civile ne juge point capables d'agir et que vous devez, par conséquent, considérer comme ayant pu ne pas comprendre toute la portée de l'acte criminel entraînant la peine de mort ?

Poserons-nous ce principe, messieurs, avec une double restriction qui en amortit tout le danger et qui consiste à appliquer la peine de mort quand le crime a été précédé, accompagné ou suivi d'un autre crime, ou, quand il y a récidive, d'un crime emportant peine de mort.

Telle est la question. Pourquoi, messieurs, la peine de mort pourra-t-elle être prononcée dans les cas de l'exception ? Parce qu'alors il y a perversité incontestable. Il n'y a plus alors l'entraînement des mauvaises passions ; il n'y a plus l'excuse d'une intelligence non développée, d'une éducation et d'une expérience incomplète ! Il y a, au contraire, un individu voué définitivement aux grands forfaits, lancé à tout jamais dans la funeste carrière du crime.

Messieurs, après les discussions qui ont eu lieu dans le sein des diverses commissions et des deux chambres, le régicide atroce commis tout récemment dans un pays étranger, crime qu'on ne peut assez déplorer parce qu'il prouve à quel oubli de tout sentiment les passions politiques surexcitées conduisent les hommes, ce grand crime, dis-je, ne peut pas servir de date à notre Code pénal 1 Non, messieurs, ce n'est point ainsi qu'on fait de bonnes lois. Les codes ne se promulgent pas pour un seul jour ; ils ne doivent point porter ainsi l'empreinte d'un forfait commis au moment de leur discussion.

Ils doivent porter l'empreinte de tout le travail dont ils ont été précédés. L'excuse de l'article 89 a donné lieu a des profondes réflexions, à de longs débats dans cette chambre. Il serait fâcheux qu'en événement auquel nous sommes étrangers vînt enlever tout le fruit de ces études à notre Code pénal, que nous désirions mettre en harmonie avec les mœurs de notre pays, et dont nous voudrions qu'on pût dire qu'il est un des Codes les plus progressifs de l'Europe.

M. de Mérode. - Moi, je ne considère pas comme le plus avancé ce qui préserve le moins les innocents des entreprises des coquins ; je considère cela comme une très mauvaise reculade. En Italie, sous un pape extrêmement bienveillant et doux, la peine de mort cessa d'être appliquée ; qu'est-il arrivé ? C'est qu'on assassinait pour un oui et pour un non. Eh bien, ce pape n'était point infaillible quand il a fait le Code pénal et il a rendu un très mauvais service aux sujets des Etats Romains.

On reconnaît que la peine de mort est nécessaire pour ceux qui ont 21 ans, mais, en vérité est-ce qu'il n'y a pas des hommes âgés de plus de 21 ans dont les facultés intellectuelles sont extrêmement faibles, qui sont moins intelligents que des individus de 10,18 ou 20 ans ?

D'ailleurs, messieurs, quel inconvénient est-il résulté de la loi, telle qu'elle existe aujourd'hui ? Aucun. On vous a dit que presque tous les individus de moins de 21 ans, condamnés à mort, ont été graciés. Eh bien ! le maintien de la mesure comminatoire qu'on veut supprimer ne présente dès lors pas d'inconvénients, même au point de vue de ceux qui demandent cette suppression ; et il offre cet avantage que l'individu âgé de moins de 21 ans, qui commet un crime, est exposé à subir la peine de mort, comme celui qui est plus âgé.

Maintenant vous voulez lui garantir toute sécurité ; lui qui peut se marier, vous ne le considérez pas comme assez intelligent pour savoir qu'il ne doit pas tuer son semblable ! (Interruption.) Il est reconnu par tout le monde que la peine des travaux forcés à perpétuité est beaucoup moins effrayante que la peine de mort. Un fait que personnes ne niera, c'est que le parricide exécuté à Namur a montré la plus grande insouciance jusqu'au jour où il a su qu'il était exposé à subir la peine de mort. Alors il a senti la nécessité du repentir, et il est mort dans de très bons sentiments, mais ces sentiments n'avaient pas été excités en lui par la crainte des travaux forcés à perpétuité.

Personne, messieurs, n'est plus opposé que moi à la fréquente application de la peine de mort. Ainsi quand il s'est agi du duel, j'ai soutenu de toutes mes forces cette loi excellente qui a empêché une multitude de duels. J'ai soutenu, avec mes amis, cette loi de toutes mes forces. Jamais je n'ai été voir une exécution, jamais je ne serai témoin d'aucune. Mais je suis, comme je l'ai déjà dit, du parti des assassinés plutôt que du parti des assassins. J'ai plus de commisération pour les premiers que pour les autres. C'est dans l'intérêt des premiers que je veux que les autres soient sévèrement menacés par la loi. En défendant le maintien des lois, telles qu'elles existent, je crois faire preuve de plus d'humanité que ceux qui s'imaginent rendre un service, en rendant plus faciles les assassinats.

M. Van Overloop. - Messieurs, la peine de mort est-elle une peine qui effraye ? Je dis qu'oui, et, à cette occasion, je me permettrai de rappeler une circonstance qui se rattache à l'horrible assassinat, commis, il y a quelques années, à Bruxelles, sur la place Saint-Géry.

J'allai voir les deux condamnés à mort la veille ou l'avant-veille de leur exécution. L'un d'eux, interpellé par moi sur les motifs qui l'avaient porté à commettre ce crime atroce, me déclara, en présence du directeur de la prison, que s'il n'avait pas cru que la peine de mort fût abolie de fait en Belgique, il n'aurait pas commis le crime.

Maintenant quel est le but de toute loi pénale ?

Il ne s'agit pas de mettre de l'unité entre la législation criminelle et la législation civile ; on ne confond pas deux matières distinctes. C'est une observation que je me permets de faire à l'honorable rapporteur. Il sait beaucoup mieux que moi que l'on ne confond pas en législation les matières civiles et les matières criminelles.

Quel est le but de toute loi pénale ? Est-ce d'infliger des peines ? Non, mais de prévenir, par la crainte d'une peine, les crimes attentatoires à l'ordre social. C'est pour donner une sanction aux lois que nous faisons, que nous comminons des peines contre ceux qui provoquent un désordre quelconque, en contrevenant à ces lois. Or, le plus grand désordre qu'on puisse commettre, c'est le crime.

Si le but de toute loi pénale est de prévenir le crime par la crainte du châtiment, voyons à quel âge surtout la criminalité se dévïeloppe. J'ai sous les yeux l'annuaire de l'Observatoire royal de Bruxelles dans lequel se trouve la statistique suivante :

(page 745) Influence de l'âge sur le penchant au crime :

Individus âgés de moins de 16 ans, 0.03 en général ; de 16 à 21, 0.76, de 21 à 25 ; 1.00 ; de 25 à 30, 0.97 ; de 30 à 35, 0.81 ; de 35 à 40, 0.59 ; de 40 à 45, 0.55 ; de 45 à 50, 0.46 ; de 50 à 55, 0.33 ; de 55 à 60, 0.24 ; de 60 à 65, 0.24 ; de 65 à 70, 0.16 ; de 70 à 80, 0.12 ; 80 ans et au dessus, 0.03.

Ainsi, par rapport à l'unité des crimes qui se commettent de 21 à 25 ans, en d'autres termes, sur 100 crimes qui se commentent à cet âge, il y en a 2 qui sont commis par des individus de moins de 16 ans ; 78 de 16 à 21 ans, 97 de 25 à 30 ans, 81 de 30 à 35 ans, 59 de 35 à 40 ans.

Et ainsi de suite, en diminuant, en sorte qu'il se commet presque autant de crimes entre 16 et 21 ans, qu'entre 25 et 30 ans, et qu'il se commet plus de crimes entre 16 et 21 ans, qu'entre 35 et 40 ans.

Donc, si le but de la loi pénale est de prévenir les grands crimes par la crainte d'un châtiment grave (et je vous ai fait connaître tout à l'heure un fait qui prouve que la peine de mort est une peine qui effraye) ; si tel est le but de la loi pénale, quels individus doit-elle effrayer ? précisément ceux qui ont l'âge auquel le crime se développe de la manière la plus complète, ceux qui arrivent à l'âge de 21 ans ; sinon votre loi pénale manque de logique et, sous ce rapport, je suis d'accord avec l'honorable ministre de la justice.

Toute l'argumentation de l'honorable rapporteur peut se résumer dans cette phrase célèbre : « Périssent les colonies plutôt qu'un principe ! » Il faut l'unité dans la législation ; la peine de mort appliquée à des individus de moins de 21 ans romprait cette unité ; soit supprimée la peine de mort, quelque nécessaire qu'elle soit, lorsque le coupable a moins de 21 ans, plutôt que de porter atteinte à l'unité de la législation ! Tel est le système de l'honorable rapporteur.

Que l'honorable M. Roussel me permette de le lui dire : au point de vue des sentiments d'humanité, au point de vue de l'horreur du sang, je ne crois rester ni au-dessous de lui, ni au-dessous de personne ; mais d'un autre côté, je n'oublie pas que je suis ici remplissant un mandat législatif et que,comme tel, on peut être obligé parfois à des devoirs rigoureux contre lesquels le cœur proteste.

C'est le sentiment profond du devoir que mon mandat m'impose qui m'a poussé à soumettre à la chambre les réflexions qui me semblent nécessiter trois exceptions de plus au principe trop absolu de l'article 89. Je n'en dirai pas davantage.

M. Lelièvre. - L'honorable M. Van Overloop allègue ce qui lui a été dit par les individus condamnés du chef de l'assassinat de la place Saint Géry qui auraient déclaré qu'ils n'eussent pas commis le fait, s'ils n'avaient cru que la peine capitale était abolie en Belgique. Mais, messieurs, ces propos n'ont aucune consistance, puisque, depuis longtemps avant le funeste événement dont il s'agit, la peine capitale avait fréquemment été appliquée ; depuis 1834, nombre d'exécutions avaient eu lieu, et il était absurde d'alléguer un fait démenti par la réalité.

On allègue constamment le cas du parricide de Couvin. Certes, je suis bien loin de révoquer en doute la pureté des intentions de l'honorable ministre qui a cru devoir faire exécuter l'arrêt et je rends hommage, au contraire, à ses sentiments consciencieux ; mais je n'ai jamais cru devoir approuver la mesure et je n'étais pas le seul dans la ville de Namur. Le criminel dont il s'agit avait fait preuve de cruauté, surtout après l'exécution du crime ; mais c'était un jeune homme âgé seulement de 17 ans, presque idiot et qui a jusqu'au dernier moment montré une indifférence qui m'a paru prouver qu'il n'avait pas entièrement le sentiment même de la peine qui l'avait atteint.

Cet individu avait commis un grand crime, il est vrai, mais c'était en état d'ivresse. Du reste, il avait reçu sous le toit paternel la plus mauvaise éducation, et depuis sa plus tendre enfance il avait été témoin des plus funestes dissensions et de scènes scandaleuses entre les auteurs de ses jours. Il n'avait jamais eu sous les yeux que de mauvais exemples. Pour moi, messieurs, je n'aurais jamais su m'associer à l'exécution qui a été ordonnée.

On dit que la peine capitale est nécessaire pour prévenir les crimes. Mais la peine de mort n'est terrible que lorsqu'elle est imminente.

L'individu qui commet un crime est sous le poids d'une passion qui ne lui permet pas de calculer toutes les conséquences de l'acte qu'il pose. Savez-vous sur quoi il compte. ?.C'est sur l'impunité, et cela est si vrai que l'on voit souvent des malfaiteurs commettre des délits alors qu'ils assistent à des exécutions judiciaires. La peine de mort apparaissant dans le lointain n'a pas une influence décisive.

Mais, messieurs, s'agit-il même de prévenir les crimes, je dis que, pour un individu âgé de moins de 21 ans, la peine des travaux forcés à perpétuité est une peine terrible, capable d'arrêter les plus grands criminels non parvenus à cet âge. Etre plongé à cet âge dans des bagnes pour le reste de ses jours, c'est là une pénalité capable d'exercer une influence salutaire surtout sur des hommes qui, jeunes encore, ont pour perspective désespérante une détention perpétuelle. Je maintiens donc que, dans le cas qui nous occupe, la peine des travaux forcés à perpétuité est même suffisante pour prévenir les crimes.

- La suite de la discussion est remise à demain, à 2 heures.

La séance est levée à 4 heures et demie.