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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 12 avril 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1045) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart.

- La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la chambre.

« Des électeurs à Diest demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

« Même demande du bourgmestre, d'un échevin et d'autres électeurs de la commune de Noduwez-Linsmeau. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Lierre demandent que les élections aux chambres se fassent par circonscription de 40,000 âmes. »

« Même demande d'autres habitants de Lierre. »

« Troisième demande semblable d'habitants de Lierre. »

- Même renvoi.


« Le bourgmestre et des habitants de Vertryck demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Même renvoi.


« Les bourgmestre et échevins, des conseillers communaux, des membres du bureau de bienfaisance et d'autres habitants d'Eeghem demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune et qu'une partie de la contribution foncière payée par le fermier lui compte pour former le cens électoral. »

- Même renvoi.


« Le bourgmestre, des électeurs et d'autres habitants de Pervyse demandent que les élections aux chambres se fassent dans la commune, que les districts électoraux soient composés de 40 mille âmes, que le cens électoral différentiel soit rétabli et qu'une partie de la contribution foncière payée par le fermier lui compte pour former le cens électoral. »

- Même renvoi.


« Le conseil communal de Tongre-St-Marlin demande qu'il ne soit apporté aucune modification à la loi électorale. »

« Même demande du conseil communal de St-Mard. »

« Même demande d'habitants de Néchin. »

« Même demande des bourgmestre et échevins de St-Léger, d'échevins et conseillers communaux à Evregnies et Estaimbourg, du bourgmestre de Leers-Nord, d'autres habitauts de ces communes et d'habitants de Pecq. »

« Même demande d'habitants de Baudour. »

« Même demande du bourgmestre et d'autres habitants de Linkenbeek. »

« Même demande des bourgmestre et échevins et d'autres habitants de Jette-St-Pierre. »

« Même demande d'habitants d'Anderlecht. »

« Même demande d'un conseiller communal et d'autres habitants de Molenbeek-St-Jean.

« Même demande d'habitants de Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Le sieur Lestrade, ancien soldat, demande une augmentation de pension. »

- Même renvoi.


(page 1046) « Le conseil communal de Proven demande que l'Etat reprenne l'administration de l'Yser et prie la chambre de voter les fonds nécessaires pour l'entretien de cette rivière. »

- Renvoi à la commission des pétitions, avec demande d'un prompt rapport.


« Par message du 11 avril, le sénat informe la chambre qu'il a voté, dans sa séance du même jour, le budget des dotations pour l'exercice 1854. »

- Pris pour notification.


« M. le ministre de l'intérieur adresse à la chambre 112 exemplaires du compte rendu des séances du Congrès d'hygiène. »

-Dépôt à la bibliothèque et distribution aux membres de la chambre.


« Le sieur de Bormans, major au 12ème régiment, fait hommage à la chambre d'un exemplaire de l'ouvrage sur l'histoire universelle qu'il vient de publier. »

- Dépôt à la bibliothèque.


« M. de Perceval, forcé de s'absenter, demande un congé d'un jour. »

- Accordé.

Proposition de loi modifiant la loi sur la garde civique

Discussion générale

M. le président. - La discussion générale continue.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, je viens combattre la proposition de loi de M. Landeloos et de ses collègues de la députation de Louvain, ainsi que le projet de la section centrale qui, à mes yeux, aurait un résultat pire encore.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler quelle mission le Congrès a entendu confier à la garde civique en décrétant son institution ; ni les services immenses qu'elle a rendus au pays avec un infatigable dévouement au moment où nous avons conquis notre indépendance et fondé notre nationalité.

Je n'ai pas besoin de vous rappeler le dévouement enthousiaste que la garde civique offrit spontanément à notre Roi, à une époque dont l'anniversaire vient d'être célébré de nouveau par elle avec le même élan. Cette manifestation, au moment où tous les trônes étaient ébranlés en Europe, au moment où une tentative criminelle venait d'être faite contre la Belgique, cette manifestation raffermit encore nos institutions et démontra que la garde civique est la plus sûre garantie de notre nationalité.

Les services rendus par la garde civique firent comprendre qu'il était indispensable, par une éducation militaire élémentaire, de la mettre à même d'en rendre de plus éminents encore, dans le cas où elle serait appelée à concourir avec notre armée à la défense du pays.

Tel fut le but de la loi de mai 1848. Certes ni le Congrès ni le législateur de 1848 n'ont voulu créer une armée de citoyens à côté de notre armée de soldats. Ce qu'ils ont voulu, c'est utiliser, en en faisant une institution nationale et régulièrement organisée, tout ce qu'il y a de force et en même temps d'éléments d'ordre et de sécurité dans la garde civique.

Les auteurs de la proposition veulent que la garde civique exerce surtout une influence morale. Mais cette influence morale, leur proposition tend précisément à l'anéantir. Elle priverait la garde civique de toutes ses conditions d'influence.

D'abord par la réduction du nombre des gardes elle n'aurait plus aucune importance. Cette réduction serait si considérable que la garde civique ne Bruxelles compterait à peine 800 hommes. Et puis quel singulier moyen de donner à la garde civique une influence morale que de la composer exclusivement de jeunes gens, d'en faire disparaître tous les hommes mûrs, prudents, qui inspirent le plus de confiance, ceux parmi lesquels la garde civique elle-même choisit presque tous ses officiers, les hommes de 35 ans !

Le projet de la section centrale me paraît plus fâcheux encore pour la garde civique que celui de M. Landeloos. En effet, la proposition des députés de Louvain mutilerait la garde civique, la frapperait, l'anéantirait ; le projet de la section centrale atteindrait le même but déconsidérant la garde civique ; il ne la mutilerait pas, mais il l'amènerait à se dissoudre d'elle-même ; il ne la frapperait pas violemment, il la ferait mourir par le ridicule.

Il vaut mieux, eu effet, supprimer de suite des rangs de la garde civique les deux tiers de son effectif, que de maintenir cet effectif au complet en y laissant des hommes qui ne sauront pas même tenir leur arme, puisqu'ils seront dispensés de tout exercice, de toute instruction.

Le rapport de la section centrale allègue un assez singulier motif pour demander des modifications à la loi. « La garde civique, y est-il dit, a perdu de son importance politique et a cessé de jouer un rôle dominant dans la politique intérieure. » Qu'entend-on par un rôle politique ? Est-ce un rôle dans la lutte des partis ? La garde civique ne l'a jamais fait. Entend-on par là maintenir l'ordre ? C'est un rôle assez beau et que la garde civique remplira toujours. Il est assez étrange que l'on nie l'importance politique de la garde civique la veille même de l'anniversaire du jour tù, en 1848, la garde civique, par sa grande et patriotique manifestation, consolida encore le trône de Belgique, lorsque tous les autres trônes de l’Europe étaient ébranlés.

Si la disposition qui dispense les hommes de 35 ans de suivre les exercices était adoptée, elle n'aurait pour résultat, dans les légions, que de ridiculiser la garde, qui serait composée dès lors d'hommes ne sachant pas même marcher au pas. Mais dans les compagnies spéciales n'aurait-elle pas des dangers qui compromettraient la vie des gardes et des citoyens ? Dans l'artillerie, par exemple, le maniement du canon exige une longue expérience, un exercice continuel. Fréquemment des accidents arrivent, même au camp, lorsqu'il s'agit de soldats sans cesse exercés. Jugez de ce qui arriverait si les artilleurs de la garde civique étaient dispensés de suivre les exercices !

Les pétitions sur lesquelles ont s'est fondé pour demander des modifications à la loi sont beaucoup moins nombreuses qu'on ne le dit. Beaucoup ne sont pas sérieuses ; dans tous les cas, les plaintes qui y sont formulées ne sont pas fondées, car nulle part les exercices n'ont été trop fréquents. A Bruxelles, depuis 3 ans, ils ont été de neuf par an, en moyenne, pour la seconde classe, et de 5 seulement pour la première. Et Bruxelles est une des villes où le service est fait avec le plus d'exactitude. Une chose remarquable, c'est que'tandis que des communes où il n'y a pas de garde civique pétitionnaient contre la loi, les communes où les exercices sont le plus nombreux parce qu'ils y sont volontaires n'ont envoyé des pétitions que pour demander le maintien de la loi.

Par ma position dans la garde civique de Bruxelles, je suis à même d'affirmer que l'adoption de la proposition ou du projet de la section centrale aurait la plus fâcheuse influence sur l'esprit des gardes, et y serait très mal vue, et cela se conçoit, car ce serait un acte d'ingratitude envers la garde civique.

Messieurs, la garde civique garantit l'ordre et la liberté ! Ne touchez, pas à cette institution, car vous vous exposeriez à faire croire que vous ne sacrifiez les garanties d'ordre que parce que vous ne voulez pas des garanties de liberté.

Voyez ce qui s'est fait en France et à quel rôle est réduite la garde nationale. Ne faisons pas dire de nous que nous sommes réactionnaires de contrefaçon.

Il y a un moyen de faire droit à toutes les réclamations qui ne sont pas inspirées par une arrière-pensée politique, c'est de publier enfin le règlement du service depuis si longtemps réclamé. Une fois ce règlement obligatoire, la loi sera interprétée et exécutée de la même manière dans tout le pays, la garde civique y gagnera une unité qui augmentera sa force.

J'attendrai le développement des amendements.

M. le président. - M. Van Groolven vient de déposer le sous-amendement suivant à l'amendement proposé par M. de Renesse :

« § 2. Ce temps de service commence à l'heure fixée par le billet de convocation. »

M. de Renesse. - Je demande qu'on entende successivement un orateur contre, pour et sur.

- Cette proposition est adoptée.

M. le président. - Le dernier orateur ayant parlé contre, la parole est à M. Rodenbacb, inscrit pour.

M. Rodenbach. - Messieurs, je donnerai mon assentiment à la proposition de loi qui a été déposée par les honorables députés de Louvain, parce qu'elle va au but et qu'elle consacre une modification réelle qui sera utile au pays.

Depuis deux ou trois ans, de nombreux pétitionnaires ont provoqué cette réforme.

Les six sections ont également admis le principe de cette modification, en ce sens qu'il y aurait deux bans dont l'un serait composé de jeunes gens au-dessous de 35 ans, et les hommes mariés formeraient le second ban.

M. le ministre de l'intérieur a dit que, si l'on adopte cette modification, le ban, composé d'hommes non mariés, ne serait à Bruxelles que d'un millier d'hommes ; tandis qu'aujourd'hui la garde civique de la capitale se compose de 5,000 hommes.

Eh bien, je crois qu'en cas d'événements graves, un millier de soldats citoyens parfaitement exercés et disciplinés pourraient rendre d'immenses services.

A mon avis, la garde civique, telle qu'elle est composée actuellement, comprenant à la fois les hommes mariés et les hommes non mariés, ne peut pas atteindre le but qu'on a en vue. Ce qui le prouve, c'est qu'elle n'est organisée que dans une centaine de grandes communes ; ailleurs, elle ne l'est pas et ne peut pas l'être. Or, une loi ne peut pas porter réellement ce nom, lorsqu'elle n'est pas exécutable dans tout le royaume.

Quant au second ban, composé d'hommes mariés, rien n'empêche qu'en cas de guerre ils ne restent dans leurs foyers pour défendre leurs familles et leurs propriétés.

Maintenant ces parades qu'on fait faire à un homme qui a des soins de famille, à un bourgeois qui n'a que le dimanche pour son repos sont inutiles ; on le fait aller à l'exercice quand souvent sa profession l'oblige à consacrer encore la matinée du dimanche à ses affaires pour assurer son existence. De pareilles corvées civiques ne sont pas dans nos mœurs.

On a dit que la garde citoyenne avait rendu d'éminents services dans tous les pays. Sans doute, en 1848 et à d'autres époques la garde civique a rendu de grands services en Belgique, mais il est des pays où elle a fait infiniment plus de mal que de bien.

A Lyon quand la garde nationale était armée, le général Gémeau, interrogé sur le nombre d'hommes nécessaire pour défendre la place, répondait : Si la garde nationale est armée il me faut 30 mille hommes, si elle n'est pas armée 10 mille me suffisent. C'est un général français qui dit cela.

En Belgique nous sommes plus sages, cette appréciation ne peut pas nous être appliquée.

Partout en Europe, qui a sauvé l’ordre et la liberté ? Ce n'est pas la garde nationale ; c’est l’armée.

(page 1047) M. Manilius. - Dites-le vite ; nous avons vu du reste comment l'armée a sauvé la liberté à Vienne et ailleurs.

M. Rodenbach. - Ne m'interrompez pas.

Messieurs, un fait incontestable, c'est que la garde civique est une lourde charge pour le pays : on fait même payer les vieillards, les femmes et les familles qui ne sont pas représentées dans la garde ; on exige jusqu'à 50 fr.

Cette contribution n'est-elle pas injuste ? puisqu'elle est basée sur la fortune présumée des familles et qu'elle est laissée à la décision arbitraire d'une commission du conseil communal. Cette contribution pour le pays ne s'élève pas à moins de 200 mille francs. Certains officiers de la garde civique sont payés, cela ne devrait pas être. Je le répète, la garde citoyenne est une institution très coùteuse, puisque tous les frais, armement, habillement, etc., s'élèvent bien à 5 millions.

On ne peut assez le redire, le plus grand nombre de bourgeois mariés se soucient peu des parades et de faire l'exercice à des époques périodiques. Des citoyens mariés ne sont pas des soldats réels, et au grand nombre la charge en douze temps, l'école du soldat, l'école du peloton déplaît ; sur 100, il n'y en a pas dix qui possèdent ces connaissances. La loi n'est pas exécutable, et ce qui le prouve, c'est qu'il est impossible d'organiser la garde dans les communes rurales. En organisant en deux bans la garde civique, nous aurions 30 mille hommes qui formeraient de véritables soldats citoyens ; et les 80 mille hommes mariés formant le second ban défendraient, au besoin, leurs propriétés et leurs familles ; mais si le pays était sérieusement menacé, une armée de 110,000 hommes mariés et non mariés, ne pourrait guère rendre de services. Je dois encore ajouter quelques mots sur le conseil de discipline, de la manière dont justice y est rendue. Souvent les meilleures raisons des gardes ne sont point admises, on les écoute avec passion ou indifférence, et on les condamne.

J'attendrai, messieurs, la suite de la discussion pour présenter d'autres arguments que j'ai encore à faire valoir.

M. Lelièvre. - Je crois d'abord devoir justifier les dispositions additionnelles au projet de loi que j'ai déposées avant la discussion et qui ont pour objet d'introduire le recours en cassation contre les décisions de la députation des conseils provinciaux statuant en exécution de l'article 18 de la loi du 8 mai 1848.

Lors de la discussion de la loi du 18 juin 1849 autorisant le pourvoi en cassation en matière de milice, plusieurs de nos honorables collègues avaient proposé d'étendre cette mesure aux décisions des députations des conseils provinciaux en matière de garde civique. Tous nous étions d'accord sur l'utilité de la mesure, mais comme il s'agissait de formuler des dispositions spéciales qui différaient au moins en partie de celles relatives à la milice, on a cru prudent de faire du pourvoi en matière de garde civique l'objet d'un projet spécial.

Aujourd'hui qu'il est question de réviser la loi du 8 mai 1848, l'occasion paraît favorable pour appliquer à la garde civique des dispositions ayant pour but et pour conséquence d'établir en cette matière l'uniformité de la législation, et de faire cesser les inconvénients que fait naître l'ordre de choses en vigueur, d'après lequel il peut exister autant de jurisprudences différentes qu'il y a de provinces.

D'un autre côté, il est incontestable que la loi du 18 juin 1849 a eu des résultats très favorables et a réalisé un véritable progrès.

Tels sont les motifs qui ont dicté mon amendement. Les dispositions qu'il renferme sont empruntées à la loi de 1849, mise toutefois en rapport avec l'objet spécial dont nous nous occupons. On ne pouvait en effet se référer entièrement à la loi sur la milice, parce qu'en cette matière la décision de la députation intéresse non seulement l'Etat et le milicien en cause, mais également d'autres miliciens. En matière de garde civique, au contraire, l'Etat et le garde réclamant sont les seuls intéressés.

En conséquence, la procédure doit nécessairement être différente. Mon amendement adopte toutefois toutes les prescriptions de la loi de 1849 qui sont compatibles avec la matière dont il s'agit. J'espère donc que la chambre adoptera une mesure qui est le complément de la loi de 1849, et qui produira des conséquences non moins favorables à l'intérêt général.

Désormais les questions de droit que cette matière fait naître recevront une solution définitive, et l'on mettra fin aux inconvénients regrettables qui résultent d'une diversité de jarisprudence admise dans des provinces limitrophes.

On oppose à mon amendement que les questions qui sont résolues par les députations en matière de garde civique sont des questions de fait qui doivent être décidées souverainement par les députations. La réponse n'est pas difficile.

Il est vrai que souvent il ne s'agit que d'apprécier des circonstances de fait, mais cependant quelquefois il se présente aussi des questions de droit à trancher, et je me rappelle, qu'en 1849, il en fut ainsi dans une affaire intéressant un garde civique de la commune de Tirlemont et qu'une pétition fut même adressée à cette occasion à la chambre. Il s'agissait de savoir si des gardes, qui, en 1833, avaient été définitivement exemptés du service de la garde civique, avaient par cela seul droit à cette exemption, sous l'empire de la loi du 8 mai 1848, Il s'agissait donc de l'interprétation de l'article 106 de cette loi qu'on soutenait avoir été mal interprété par la députation du Brabant.

D'autres questions analogues peuvent encore fréquemment s'élever en cette matière.

D'un autre côté le conseil de recensement et la députation sont appelés à statuer sur les radiations et inscriptions.

Or, il peut souvent se présenter des questions de droit relativement aux exemptions énoncées à l'article 21 de la loi. Il en est de même relativement aux exclusions dont s'occupe l'article 23. C'est ainsi que l'on peut demander si l'on doit considérer comme peine afflictive ou infamante la déchéance du rang militaire prononcée par les tribunaux militaires ; comment l'on doit envisager sous ce rapport la peine de la brouette.

L'article 23 exclut de la girde civique ceux qui ont été condamnés pour vol.

En est-il de même de ceux qui sont condamnés pour simple maraudage de bois ou de récoltes ? La radiation est-elle applicable aux auteurs de certains délits forestiers, à ceux qui coupent et enlèvent des arbres sur pied, fait réprimé aujourd'hui par l'ordonnance de 1669 ? D'autre part, sont aussi exclus de la garde civique, les individus privés de droits civils ou politiques. Eh bien, la question de savoir quand semblable privation existe peut souvent donner lieu à des questions de droit très ardues.

Il est donc évident que les attributions du conseil de recensement et de la députation sont telles que ces collèges peuvent avoir souvent à se prononcer sur l'interprétation des lois et qu'à ce point de vue, il est rationnel qu'on puisse se pourvoir devant la cour régulatrice.

Du reste, en 1849, les Annales parlementaires en font foi, nous étions tous d'accord que la mesure prise en matière de milice devait être étendue à la garde civique. Seulement la procédure devait être différente, on n'a pu s'en occuper dans le même projet de loi. Il s'agit donc aujourd'hui de réaliser une pensée dont le mérite n'a jamais été contesté.

Quant à la question principale soulevée par la proposition de M. Landeloos, il est évident qu'il ne saurait être question de porter atteinte à l'institution de la garde civique qui est une institution constitutionnelle, intimement liée aux libertés publiques. Mais d'un autre côté il est impossible de ne pas tenir compte des réclamations qu'a fait naître l'exécution de la loi du 8 mai 1848. Il est hors de doute qu'astreindre les gardes, parvenus à certain âge, à des exercices réitérés, c'est dégoûter les citoyens de l'institution. C'est, en grevant ceux-ci d'un service fatigant, discréditer la chose elle-même ; et tel est sans contredit le résultat de l'ordre actuel de choses. Il suffit de voir ce qui se passe dans les villes de second ordre pour être convaincu de cette vérité. Maintenir le statu quo est à mon avis le moyen certain de porter une atteinte sérieuse à ce que nous devons maintenir.

Je pense donc devoir adhérer à l'amendement proposé par la section centrale. Il établit une terme moyen équitable ; il impose aux individus âgés de 35 ans un service qui n'a plus rien d'onéreux et, à mon avis, les véritables amis de la garde civique sont ceux qui ne veulent pas tuer l'institution en en faisant une charge lourde et pesante qu'on ne manquera pas d'éluder par tous les moyens possibles. Au contraire rendre de facile accomplissement les devoirs qu'elle impose, c'est contribuer à la consolider et à l'implanter à jamais sur notre sol.

Il est hors de doute qu'après l'âge de 35 ans on n'est guère apte au maniement des armes. Or forcer des citoyens qui ont atteint cet âge à des exercices qui occupent une grande partie de l'été, qui les astreignent à revenir en ville chaque dimanche alors qu'ils résident momentanément dans une autre commune, c'est réellement les grever d'un service tellement gênant qu'il doit nécessairement produire un dégoût de l'institution. Pour moi, je suis convaincu que l'amendement de la section centrale aura pour conséquence nécessaire d'alléger le service et de produire dans l'esprit des populations des résultats favorables à l'institution elle-même. Ce sont les motifs qui m'engagent à m'y rallier et à l'appuyer de mon vote, d'accord en cela avec toutes les sections de la chambre.

M. Allard. - Les griefs articulés contre la loi sur la garde civique ne me paraissent pas assez graves pour qu'on doive la modifier. Aussi je voterai contre toutes les propositions qui ne seraient pas accueillies par le gouvernement.

Il y a un grief que je dois signaler au gouvernement, qui, selon moi, doit y porter remède : c'est la mauvaise organisation de la garde dans certaines communes, mauvaise organisation qui entraîne les particuliers qui doivent couvrir les dépenses de la garde à payer des sommes considérables.

J'aurai quelques exemples à donner à ce sujet. Il y a :

A Gand, ville de 106,704 habitants, 4 légions.

A Anvers, vilie de 95,501 habitants, une légion.

Il résulte de là qu'à Gand les dépenses qu'occasionnent les trois légions qui ne devraient pas exister, tombent sans utilité à la charge des familles aisées de la ville de Gand.

A Gand, il y a 3,189 gardes pour une population de 106,704 habitants.

(page 1048) A Anvers, avec une population de 95,501 habitants, la garde civique est composée de 3,184 nommes. Il y a donc 5 hommes de plus à Gand qu'à Anvers.

Voyons les budgets.

Le budget de la garde civique de Gand est de 28,113 fr. ; celui de la garde civique d'Anvers de 18,584 fr., chiffre en plus pour Gand, 9,529 fr. et cela, messieurs, pour 5 gardes.

Cette augmentation de dépenses résulte de ce qu'à Gand il y a quatre légions, tandis qu'il n'y en a qu'une à Anvers. En effet, si je fais le relevé des tambours-majors, des tambours maîtres, des tambours, des quartiers-maîtres, des adjudants-majors, des capitaines rapporteurs, des trois légions qui existent en trop à Gand, qui reçoivent tous une indemnité ou un traitement, je trouve que de ce chef la dépense est de 11,124 fr. annuellement. Voilà ce qui explique la différence quant aux budgets.

Puisque je parle des budgets, je dirai que, selon moi, les villes n'exécutent pas bien la loi relativement au budget de la garde civique.

L'article 69 dit que les dépenses résultant de l'organisation de la garde civique sont à la charge des communes.

L'article 68 attribue aux communes toutes les indemnités, rétributions ou amendes ; et cependant nous voyons qu'on fait payer, par les familles aisées, des sommes plus considérables que le montant du budget. Il me paraît qu'il y aurait lieu de déduire d'abord du chiffre nécessaire le produit des rétributions et des amendes, et de reporter ensuite la différence sur les familles aisées. Mais il n'en est pas ainsi, on perçoit dans certaines communes jusqu'à 4,000 et 5,000 fr. de plus qu'il n'est nécessaire pour le service de la garde civique.

Je disais donc que la garde civique est mal organisée dans diverses communes. A Gand, par suite de cette organisation il y a 826 officiers, sous-officiers et caporaux en plus qu'à Anvers, pour le même nombre d'hommes dans la garde civique.

Dans d'autres communes il n'y a pas même assez d'hommes pour former les cadres. Nous voyons qu'à Gheel il existe une légion de gardes civiques, composée de 3 bataillons, il y a une population de 10,757 habitants.

Il en est de même à Renaix, ville de 11,784 habitants, il ne s'y trouve pas assez d'hommes pour former les cadres. Car nous devons compter tout au plus pour la garde civique 2 p. c. de la population, et en effet à Bruges il n'y a pas 2 p. c. de la population qui fait partie de la garde civique, il n'y a que 905 gardes.

Voyez à Andenne une légion composée de deux bataillons pour 5,316 habitants, tandis que Bruges, ville de 50,698 habitants, n'a également qu'une légion de 2 bataillons.

A Ypres où il y a 17,624 habitants, il n'y a qu'un bataillon ; il en est de même à Alost qui compte 16,990 habitants, ainsi qu'à Ostende dont la population est de 14,845.

Vous voyez qu'il faut que le gouvernement dissolve toutes les légions et les ramène à un chiffre uniforme. Je crois que Bruges a parfaitement organisé sa garde et, je le répète, pour plus de 50 mille habitants elle n'a que 2 bataillons. Je ne crois donc pas que pour 10,000, pour 5,000 habitants on puisse avoir 2 ou 3 bataillons ; on peut tout au plus avoir 1 ou 3 compagnies.

J'engage le gouvernement à peser mes observations et à porter remède à cette mauvaise organisation, qui entraîne les habitants aisés à payer des contributions assez élevées pour des dépenses tout à fait inutiles.

M. de La Coste. - Messieurs, quoique je sois l'un des signataires de la proposition, je n'apporterai dans cette discussion aucun amour-propre d'auteur, et je souhaite que tous ceux qui y prendront part sentent également la nécessité de mettre de côté les préoccupations d'amour-propre, pour s'inquiéter uniquement de trouver une solution conforme à l'intérêt public.

La question, messieurs, se présente ainsi à mon esprit : y a-t-il quelque chose à faire ? que faut-il faire et enfin comment faut-il le faire ? Faut-il le faire par une loi ou par des instructions ?

Y a-t-il quelque chose à faire ? C'est à quoi j'ai voulu répondre affirmativement en accédant à la proposition de l'honorable M. Landeloos. C'est à quoi toutes les sections ont répondu affirmativement, la section centrale de même et enfin l'honorable ministre de l'intérieur, et, qu'il me soit permis de le dire, il était assez peu nécessaire, pour arriver à cette conclusion, de traiter si sévèrement les 6,000 signataires des pétitions, de supposer ici je ne sais quelle influence mystérieuse, je ne sais quelles intentions subversives ; il était assez peu nécessaire de traiter également la proposition de l'honorable M. Landeloos avec une sévérité qui n'est ni dans les habitudes, ni dans le caractère de l'homorable ministre de l'intérieur, et qu'à cause de cela, j'aime à croire une sévérité d'emprunt, une sévérité par reflet.

Pour apprécier sainement la question, il faut en écarter les difficultés de détails, il faut en écarter ce qui ne s'est pas présenté jusqu'ici et ce qui, j'espère, ne se présentera pas, les déclamations oiseuses ; il faut, en un mot, simplifier la discussion.

Et, d'abord, messieurs, ne nous préoccupons point de ce qui concerne l'organisation militaire de la garde civique. La loi actuelle n'organise pas la garde civique pour les éventualités dans lesquelles elle pourrait être employée militairement ; il faudrait de très grands changements, il faudrait des dispositions toutes nouvelles pour la rendre un instrument utile au point de vue militaire. Il y a plus, messieurs, de toute la discussion qui a eu lieu dans le sein de la commission, chargée de préparer l'organisation militaire, il résulte qu'on ne considère pas la garde civique comme devant être employée très efficacement à ce point de vue.

Ceci résulte encore plus clairement, messieurs, de la proposition qui nous a été faite par le gouvernement et qui est maintenant soumise à la section centrale. Il est évident que dans cette proposition on demande à la réserve ce que l'on avait attendu jusqu'ici de la garde civique.

Occupons-nous donc de la garde civique comme garde urbaine, comme garde communale, comme garde bourgeoise. Eh bien, messieurs, il est permis d'examiner les institutions, sans leur être hostile, à un point de vue historique.

Nous ne devons pas aux institutions modernes une soumission aveugle, nous pouvons les juger, les apprécier d'après les leçons de l'histoire, et je demande : Quand les gardes civiques, comme gardes communales, paraissent-elles sur la scène ?

Elles paraissent sur la scène aux époques où le principe d'autorité a reçu quelque atteinte, aux époques où l'élément militaire est affaibli. Elles sont alors, messieurs, l'ancre de salut de la société, ancre emportée malheureusement trop souvent à la dérive avec le vaisseau. Trop souvent elles sont le témoin généreusement indigné des maux qu'elles voudraient prévenir ; trop souvent elles en sont les victimes et quelquefois... mais comme on l'a déjà dit, la sagesse de notre nation ne rend pas ces dangers à craindre, - quelquefois elles en sont l'instrument. N'a-t-on pas vu en Italie dans ces seuls mots « la civica ! » toute une révolution ?

Lorsqu'on creuse ces matières, messieurs, on se prend à se demander si la libre Angleterre n'a pas été bien inspirée en gardant le bâton de ses constables et leur écharpe au bras, plutôt que de les échanger contre les baïonnettes et l'uniforme des gardes civiques.

Mais, messieurs, les institutions de chaque peuple dérivent de son passé ; on ne les transporte pas facilement d'un pays à un autre. Nous avons la garde civique, elle est dans la Constitution, il faut la conserver ; là n'est pas la question.

Ce qui est en question, c'est la nécessité, dans les circonstances où nous sommes, de tenir sur pied, d'exercer une armée de 32,000 hommes, qui n'a rien à faire, pas une garde à monter, pas une sentinelle à placer, pas une ronde, pas une patrouille.

De grands événements sont intervenus depuis 1848. Je ne juge pas des faits qui se sont passés ailleurs, je les constate. De quelque manière qu'on apprécie ces faits, à l'heure qu'il est, le principe d'autorité s'est fortifié, l'élément militaire s'est affermi, s'est retrempé, se développe. Ce développement est peut-être plus grand qu'il ne le faudrait pour le bien-être et le repos de l'Europe ; mais quoi qu'il en soit, la situation n'est plus la même.

Est-ce à dire que tout péril soit passé ? Non, messieurs, pour tous les Etats et peut être pour les petits Etats entourés d'Etats puissants plus que pour d'autres, il y a toujours quelques périls, je ne dirai pas à redouter, mais à prévoir.

Seulement je dis que la nature du danger est changée ; ce sont maintenant les forces régulières qui répondent aux besoins de la situation.

La nation ne recule devant aucun sacrifice, pourvu qu'elle en apprécie l'utilité ; et nous, lorsque nous avons à régler les affaires d'une nation si dévouée, si généreuse, nous devons lui épargner des charges inutiles.

Prétendre cumuler un grand développement de l'élément militaire avec le maintien de toutes les charges de la garde civique, c'est faire ua double emploi, c'est négliger pour l'organisation militaire un élément de succès et de popularité, cela ne serait pas sage, cela ne serait point politique.

Quoique un peu tard, il est vrai, M. le ministre de l'intérieur l'a senti, et il vous a annoncé des instructions.

Messieurs, on nous dit, pour justifier cette préférence, qu'il ne faut pas facilement toucher à la législation, que le peuple apprend ainsi à ne plus respecter la loi.

Mais, messieurs, n'est-ce pas toucher à la législation que d'en modifier profondément l'esprit par des instructions, et cette manière de modifier la loi est-elle plus propre à en inspirer le respect au peuple, que quand nous, qui sommes appelés à faire et à changer la loi, nous faisons usage de notre droit ?

D'ailleurs, depuis quand ce scrupule nous est-il venu ? Du 12 août 1847 à 1852, il me semble qu'on a fait un usage assez fréquent du droit de modifier la loi. On a changé en partie l'organisation judiciaire ; on a remanié le système financier ; on a modifié profondément et à différentes reprises les lois électorales et pour les chambres et pour la commune et pour la province ; on a mis en question l'organisation de l'armée. Je ne ferai pas l'énumération de ce qu'on a remanié ou remis en question, car il serait beaucoup plus court de dire ce qu'on n'a pas remis en question et ce qu'on n'a pas remanié.

D'ailleurs, il ne faut pas se faire illusion, chaque forme de gouvernement a un caractère qui lui est propre, et la fixité n'est pas le caractère des gouvernements où l'élément populaire a une grande part.

Les ordonnances de Louis XIV sont restées en vigueur jusqu'à la révolution française ; et on les invoque encore aujourd'hui ; rien, au contraire, n'égale la mobilité de la législation du nord de l'Amérique. Une loi américaine n'est pas encore en vigueur, qu'elle est déjà changée. En Angleterre, les hommes d'Etat se plaignent de ne pas pouvoir (page 1049) atteindre à cette fixité, à cette énergique concision de la législation française.

Eh bien, c'est le résultat des institutions plus libres, c'est le résultat du jeu des partis, et ces oscillations, si elles ont quelquefois des inconvénients, ont aussi l'avantage de réparer les erreurs qui ont été commises,

Messieurs, cette espèce de fin de non-recevoir qu'on veut maintenant opposer à toutes les améliorations, vous en ferez justice. Le moule des lois n'est pas brisé, on ne l'a pas renfermé dans la tombe de la politique nouvelle, et nous ne sommes pas condamnés en quelque sorte à un éternel veuvage.

Messieurs, des instructions, au lieu d'une loi, n'attesteraient, je regrette de le dire, que vos hésitations et la faiblesse du pouvoir. On ne saurait expliquer le refus de faire par la loi ce que seule elle peut faire d'une manière complète et régulière ; on ne saurait l'expliquer que par des ménagements excessifs pour des susceptibilités que l'on craindrait de blesser.

Il faut une loi ; mais quelle en doit être la teneur ?

Il ne faut pas ici (et c'est une chose dont la chambre doit se défier), il ne faut pas ici entrer dans les difficultés de détail ; permettez-moi de le dire, il faut savoir nettement ce que vous voulez, et quand vous l'aurez manifesté, je vais vous dire ce qui se passera.

M. le ministre de l'intérieur, qui est un administrateur habile et expérimenté, s'enfermera, pendant une demi-heure, avec ses honorables collaborateurs ; il leur dira : Assez de chiffres plus ou moins vraisemblables, assez d'objections ; je vous demande des solutions, aidez-moi à les trouver. Je m'en rapporte à votre zèle et à votre expérience. Eh bien, messieurs, les solutions se trouveront.

L'important est de savoir ce que l'on veut ; eh bien, on peut le résumer ainsi :

Dégager les gardes civiques d'obligations onéreuses et superflues ; conserver une force suffisante et disponible pour les éventualités de l'avenir. Voila, je crois, tout ce que nous devons désirer.

Messieurs, je ne serais pas éloigné de croire que pour cela il suffirait de bien moins que ce que proposent et la section centrale et l'honorable M. Landeloos ; il suffirait d'avoir des cadres et des inspections d'armes, si tant est qu'on troure avantageux de laisser ces armes déposées chez des particuliers.

Je dis des cadres dans ce sens que la garde conserverait son organisation, mais sans exercices ni revue, et que le gouvernement serait autorisé, par la loi, à convoquer les gardes quand les circonstances l'exigeraient et dans les lieux où elles l'exigeraient ; les gardes redeviendraient alors soumis à toutes les obligations de la loi. Mais, dira-t-on, ils ne seront pas suffisamment exercés.

On a dit même dans une requête que M. le ministre a recommandée à notre attention ; pour moi, je n'avais pas besoin de cette recommandation ; je la connaissais, je l'ai trouvée rédigée en fort bons termes, je l'ai lue avec intérêt ; on y dit que la garde serait ridicule faute d'instruction : ce mot m'est resté dans la mémoire. Or, je demande si elle était ridicule, faute d'instruction en 1848, et à toutes les époques ou elle a été convoquée et où elle a rendu d'éminents services ?

Elle n'avait point alors reçu d'instruction préalable ; attacher le ridicule à ce que la garde n'ait pas les qualités d'une troupe sérieusement exercée, c'est là une idée radicalement fausse. La garde civique ne doit pas placer son amour-propre à rivaliser avec la troupe de ligne. Composée d'hommes de 21 à 50 ans, qui exercent des professions, qui ont des habitudes peu propres à donner au corps cette tenue exigée chez les militaires, s'exerçant trop pour leur repos et trop peu comparativement à une troupe rompue au métier, elle ne peut prétendre à rivaliser sous ces rapports avec la troupe de ligne.

Ce serait une prétention semblable à celle du grand Frédéric qui tenait à passer pour un habile joueur de flûte, quand il était tout simplement un grand homme d'Etat, un grand homme de guerre.

Pour la garde civique, son mérite est tout différent de celui qu'on paraît ambitionner pour elle ; il faut que sous l'uniforme ou sous la blouse on reconnaisse le voisin, l'ami, le bienfaiteur. Voilà sa puissance. D'ailleurs, à chaque peuple il faut des lois qui répondent au caractère national.

Il y a d'autres peuples qui ont un nom fort glorieux, des qualités éminentes qu'on ne peut leur contester, mais qui ont ce faible ou du moins ce trait distinctif, qu'ils aiment à être en scène, à jouer un rôle. Voyez dans ces pays les cours d'assises, c'est un théâtre assez triste ; eh bien, magistrats, accusés, défenseurs, témoins, tout le monde joue un rôle, tout le monde vise à l'effet dramatique.

Ce n'est pas le caractère des habitants de notre pays ; ce caractère éminemment pratique répugne à ce qui ne se recommande que par un éclat apparent ; quand le besoin le réclame, on accourt, on s'empresse de prendre place dans les rangs de la garde civique ; mais on ne comprend pas la permanence des devoirs qu'elle impose quand ils ne sont plus motivés par une nécessité sociale.

M. Landeloos et la section centrale, bien loin de rester en déça de cette nécessité strictement prise, vont même au-delà ; ils conservent, et c'est encore un acte de prudence, ils conservent un moyen toujours disponible autour duquel le reste de la garde qui est en non-activité, qui est en réserve, peut toujours venir se grouper.

Il y a peut-être seulement ici quelque chose à faire, une lacune à combler, une mesure à concerter pour que le reste de la garde civique soit toujours organisé d'avance, en sorte qu'il n'y ait qu'un appel à faire.

On a dit, messieurs, que dans de semblables dispositions il y avait un privilège. Mais il n'y a pas de privilège quand les exceptions sont motivées.

C'est en cela que la proposition de M. Landeloos l'emporte, selon moi, sur celle de la section centrale ; car l'exception des gens mariés âgés de moins de 35 ans se justifie fort bien, et ce ne serait pas sans de très bons motifs, à mon avis, que quelques femmes auraient signé les pétitions, si les renseignements fournis à M. le ministre de l'intérieur sont exacts.

Je me résume :

Convaincu qu'une modification au régime de la loi est opportune, juste, politique ; convaincu qu'il n'est ni de votre dignité, ni de celle du gouvernement de procéder par des instructions, je propose le renvoi de tous les amendements à la section centrale en la priant d'avoir également égard aux observations que je viens de vous soumettre.

On me fait observer qu'il faudrait décider la question de principe auparavant, je ne m'y oppose pas.

- M. Vilain XHII remplace M. Delfosse au fauteuil.

M. Van Grootven. - Ne pourrait-on pas mettre aux voix la proposition de M. de la Coste ? Je compte présenter un amendement qui devrait être aussi renvoyé à la section centrale.

M. le président. - J'engage M. de La Coste à formuler sa proposition.

M. de La Coste. - Je proposais le renvoi à la section centrale ; on a fait observer qu'il ne serait pas efficace si la chambre ne décidait pas d'abord qu'il faudrait une loi. La discussion pourrait continuer avec la réserve de poser plus tard une question de principe.

M. le président. - Ainsi, vous retirez votre proposition pour le moment ?

M. de La Coste. - Oui, M. le président.

M. Van Grootven. - Avant de développer l'amendement que j'ai eu l'honneur de vous proposer, je veux répondre un mot à M. le ministre de l'intérieur qui, dans son premier discours, a trop sévèrement traité les pétitions et les pétitionnaires.

M. le ministre nous a dit : « Messieurs, toutes les pétitions que vous avez reçues contre l'institution de la garde civique émanent de quelques esprits chagrins, sont l'œuvre de ces hommes qui ne savent s'imposer aucun sacrifice ; d'autres ont été abusés, entraînés par un mauvais exemple ; d'autres peut-être encore ont cherché à saisir cette occasion de jeter une sorte de défaveur sur les institutions du pays ; en un mot, toutes ces réclamations sont une véritable exagération, comme la chambre en sera convaincue, quand je lui ferai connaître ce que la loi exige des gardes et ce que le gouvernement leur demande. »

Eh bien, messieurs, je n'hésite pas un instant à dire que ce langage de l'honorable ministre est peu convenable. Ce n'est pas ainsi que mérite d'être traités des citoyens qui usent d'un droit consacré par la Constitution. Les pétitionnaires peuvent errer, se tromper même sur le but qu'ils veulent atteindre ; on peut ne pas être de leur avis, mais ils ont droit à des égards, et ne méritent pas les insinuations dont ils ont été l'objet.

Je dirai contrairement à l'opinion émise par l'honorable ministre de l'intérieur, que les pétitionnaires ne sont pas des esprits chagrins, des esprits malades ; leur intention n'a pas été de jeter de la défaveur sur les institutions du pays ; tout au contraire ; ce sont d'honorables citoyens, faisant partie de la garde civique, et qui savent s'imposer des sacrifices, mais qui réclament des adoucissements à la loi, tout en voulant le maintien et le principe de cette institution constitutionnelle.

J'ai fait partie de la section centrale, nous avons examiné les réclamations des pétitionnaires avec impartialité et bienveillance ; les propositions principales que contient le projet de la section centrale ont été adoptées à l'unanimité. Notre honorable président, M. Delfosse, qui présidait la section, a voté avec nous toutes les modifications que nous vous proposons et qui, nous l'espérons, satisferont les pétitionnaires.

J'arrive, messieurs, à mon amendement. L'honorable M. de Renesse, dans un amendement qu'il a proposé, demande que la loi fixe la durée de l'exercice à deux heures. Cette proposition mérite d'être favorablement accueillie.

J'ai eu l'honneur de déposer un amendement ainsi conçu :« Le temps de service commence à l'heure fixée par le billet de convocation. » Cette rédaction détermine plus exactement, me semble-t-il, l'idée de l'honorable M. de Renesse ; je pense que l'honorable membre pourra se rallier à ma proposition et que la chambre voudra bien y faire un accueil favorable.

M. Rogier. - Lorsque j'ai annoncé dernièrement que, dans mon opinion, les propositions en discussion ne valaient pas une séance, je ne m'attendais pas aux proportions qu'a prises le débat. Je vois qu'il se prolongera encore pendant un grand nombre de séances. (Interruption.)

M. Rodenbach. - Jusqu'à samedi.

M. Rogier. - Je demande qu'on veuille bien ne pas m'interrompre. Je n'ai rien dit encore : je n'ai donc pu donner lieu à aucune interruption. Je dis que nous aurons encore probablement, contre mon attente, beaucoup de séances à consacrer à cette discussion.

Je viens combattre les deux propositions : celle de l'honorable M. Landeloos et celle de la section centrale, qui a cependant une portée beaucoup moins grande (on ne doit pas le dissimuler) que celle des honorables députés de Louvain ; je le démontrerai. Cependant, le rapport de (page 1050) la section centrale est, il faut le dire, conçu dans un esprit qui semble peu favorable à l'institution de la garde civique. On y avance en remontant à des époques anciennes que jamais cette instutution n'a servi efficacement le pouvoir monarchique. Tout à l'heure on a dit que la garde civique n'était pas dans les mœurs de la Belgique.

M. de La Coste. - Qui a dit cela ?

M. Rodenbach. - Moi, je l'ai dit, et je le maintiens.

M. Rogier. - On a dit que, dans d'autres pays, la garde civique n'avait pas empêché des révolutions, qu'au contraire, elle en était l'origine. Pour moi, je prends la Belgique, telle qu'elle est en 1853, telle quelle était en 1831 et en 1848 ; je prends la garde civique telle qu'elle s'est montrée de 1831 à 1848 ; je consulte l'histoire moderne de la garde civique, en Belgique, histoire que nous connaissons tous, et je me demande à quelle époque la garde civique a pu justifier le blâme qu'on lui inflige, en s'appuyant sur l'histoire à laquelle je n'ai pas besoin de remonter et sur l'histoire d'autres paus que Dieu nous garde d’imiter. Je prends la garde civique belge telle qu’elle nous est connue, et je la vois toujours défendant nos institutions, l’ordre, la monarchie, dans les circonstances les plus difficiles, méritant et recevant les remerciements du congrès en 1831, des chambres en 1848.

Je vois la garde civique toujours associée à des actes de patriotisme et de conservation. Ai-je donc besoin de me livrer à des revues rétrospectives ou étrangères ? Restons chez nous, voyons ce qui s'y passe : où sont les inconvénients résultant de l'organisation de la garde civique ? Respectons cette institution chez nous, puisque de cette institution il n'est sorti aucun mal et qu'il eu sort beaucoup de bien.

Mais, dit-on, la loi sur la garde civique a une origine révolutionnaire, elle a été faite en 1848, à une époque où l'on faisait des concessions à l'esprit révolutionnaire. C'est une prévention qu'il nous importe d'écarter de la loi. On remonte au moyen-âge, et l'on perd de vue l'histoire des dernières années. La garde civique, telle qu'elle est organisée, ne résulte pas d'une proposition faite en 1848.

Le projet de loi qui a été voté en 1848 avait été déposé en 1845, à une époque extrêmement pacifique, par un ministère extrêmement conservateur. Du moins, ou le défendait à ce titre sur les bancs de la droite. La loi de 1848 a été votée à peu près dans les termes, dans les limites que l'on avait proposées en 1845. S'il y a eu des changements, c'a été pour adoucir certaines dispositions.

Ainsi que l'on ne vienne pas dire, comme le fait l'honorable rapporteur de la section centrale, que le législateur de 1848, se préoccupait des dangers du moment, a organisé la garde civique avec les vastes et rigoureuses proportions que lui donne la loi. La garde civique a été organisée dans les proportions que lui a données non le législateur de 1848, mais le ministère de 1848, à une époque parfaitement pacifique, parfaitement tranquille, où l'on ne songeait nullement à donner à la garde civique des proportions exagérées, à lui donner un rôle trop militaire, comme on reproche à la loi de l'avoir fait.

Le point de départ des attaques, des préventions contre la garde civique est donc entièrement faux. La garde civique n'est pas le résultat d'une loi improvisée en 1848 ; c'est le résultat de ce qui a été proposé à la chambre, en 1845. En 1848, s'est-il élevé d'ailleurs une seule voix, dans cette enceinte, pour faire ressortir les dangers qui pouvaient naître de l'organisation de la garde civique. On parlait de dangers alors ; mais on les trouvait dans l'absence de la garde civique. C'était pour faire face à ces dangers qu'on pressait le gouvernement d'organiser la garde civique. A cette époque où toute la chambre, à l'unanimité, votait la loi sur la garde civique, on avait sous les yeux l'exemple de ce qui se passait dans les pays voisins ; on ne l'invoquait pas alors contre la garde civique. Pourquoi l'invoquerait-oa aujourd'hui ?

Je me demande, messieurs, pourquoi ce qui était accepté en 1848, ce qui était réclamé, voté à l'unanimité, est devenu tout à coup une si mauvaise institution, qu'il faille la supprimer. Car s'il fallait penser de la garde civique ce que plusieurs de mes honorables collègues en pensent et en disent, il n'y aurait rien de mieux à faire, suivant moi, que de demander sa suppression. Si c'est une institution dangereuse, si elle ne s'harmonise pas avec toutes les autres ; si ce n'est pas un bon principe déposé dans notre Constitution, il faut faire en sorte d'étouffer ce principe, de l'éteindre autant que possible. Il ne faut pas parer de fleurs la victime avant de la faire mourir. Il faut aller directement au but et proposer un système qui la fasse disparaître.

L'honorable M. Landeloos et ses honorables collègues de Louvain ne sont pas, je crois, partisans de l'institution.Cependant ils la conservent ; mais ils la conservent, suivant moi, avec tous les dangers, toutes les injustices qu'ils reprochent à l'institution elle-même. Je vais le démontrer.

La garde civique est une trop grande charge pour les citoyens. Que fait-on ? On propose d'en décharger un certain nombre pour augmenter la charge de ceux qui resteront compris dans la garde civique.

- Plusieurs membres. - Non ! non !

M. Rogier. - Il est évident que le système de MM. les députés de Louvain consiste en ceci : dégrever du service de la garde civique tous les hommes qui ont atteint 35 ans et les hommes mariés et veufs avec enfants au-dessous de 35 ans. Les autres gardes, ah ! ceux-là formeront un noyau solide, dit-on, qui offrira de la consistance et de la résistance. C'est très bien ; mais pour que ce noyau offre de la consistance et de la résistance, vous devez l'astreindre à un service plus sévère.

M. Landeloos. - Pas du tout.

M. Rogier. - Si vous ne l'astreignez pas à un service plus sévère, tous les défauts que vous reprochez aujourd'hui à l'organisation de la garde civique existeront dans ce soi-disant noyau que cependant vous voulez faire si consistant.

Les individus qui feront partie de cette garde civique d'élite seront donc assujettis à nn régime plus sévère ; et dans le cas où ils devront être appelés à un service extraordinaire, ce service deviendra plus fréquent dans un corps moins nombreux que dans un corps plus nombreux. Cela est clair comme le jour. C'est donc une charge plus forte imposée à un plus petit nombre d'individus.

Mais de quoi sera composé ce soi-disant noyau sauveur de la garde civique ? De jeunes gens, de célibataires. La garde civique, dit-on, est une institution dangereuse ; dans certaines circonstances politiques, elle peut se laisser entraîner à des démonstrations fâcheuses ; elle peut devenir un élément de désordre. Il faut se mettre en garde contre ses entraînements. Je suis d'accord avec vous quant à ce dernier point. Mais si la garde civique présente certains inconvénients, si elle cède dans certains moments à certains entraînements, ne la composez pas exclusivement d'éléments jeunes, plus faciles à entraîner, moins réfléchis.

Maintenez-y les éléments de maturité ; ne composez pas exclusivement votre garde civique de jeunes gens ; car alors elle n'offrira pas ces garanties de sécurité que nous voulons conserver. C'est là son caractère, c'est d'être une garde bourgeoise composée de gens tranquilles, qui n'ont pas à faire de campagnes au-dehors, qui ont un rôle à jouer même en cas de guerre, non pas en allant combattre en rase campagne, mais en faisant le service dans les villes quand l'armée les a quittées.

On sent bien qu'il y a des inconvénients à éliminer de la garde civique tous les hommes mûrs ; aussi qu'en fait-on ? On les réserve pour un second ban. Seulement on n'indique pas ce que sera le second ban, comment il sera organisé, comment, au moment du besoin, il sera possible de former les cadres, de procéder aux élections, choses qui demandent toujours beaucoup de temps.

Non, on gardera pour la réserve de braves citoyens, déclarés impotents, à ce qu'il paraît, pour les circonstances ordinaires, et tous ces braves, qui auront été exemptes, viendront je ne sais comment, viendront au moment du danger, pourvoir aux besoins de l'ordre ! Je crois qu'un tel système n'a pas de chances d'être admis par la chambre.

On n'a pas pris garde à une chose, messieurs ; il y a une disposition de la loi de 1848 qui est, au fond, très conservatrice ; la loi de 1848 n'appelle pas au service de la garde civique toute la population ; on est venu tout à l'heure s'apitoyer sur le sort des artisans que la loi de la garde civique enlève à leur repos du dimanche ; mais la loi sur la garde civique respecte le repos des travailleurs ordinaires ; elle va chercher de préférence les gens oisifs ; aucun ouvrier ne fait partie de la garde civique. En général on n'admet dans la garde civique que ceux qui peuvent s'habiller à leurs frais. (Interruption.)

Je ne connais pas, quant à moi, de commune, et surtout de grande commune, où aucun garde civique soit habillé aux frais de la caisse communale. Je ne pense pas que ni à Bruxelles, ni à Liège, ni à Anvers, ni à Gand, aucun garde civique soit habillé aux frais du budget communal. On a laissé dans la section de réserve tous ceux que la commune ne jugeait pas capables de s'habiller à leurs frais.

Mais dans le système que je combats, il faudrait admettre ces hommes de la réserve dans la garde civique composée d'hommes de moins de 35 ans. Or je demande si ce sont là les nouveaux éléments d'ordre que l'on veut introduire dans notre garde civique.

La garde civique, telle qu'elle est composée aujourd'hui, présente un effectif suffisant ; mais quand vous aurez réduit la garde civique de Bruxelles, par exemple, de 500 hommes à 900, pour quel motif repousserez-vous les hommes qui sont aujourd'hui dans la réserve ? Il faudra leur dire : Nous vous repoussons, non parce que la garde civique est assez nombreuse, mais nous vous repoussons parce que nous nous défions de vous, parce que nous ne voulons pas vous admettre dans nos rangs.

Or, c'est là une exclusion qui ne sera pas acceptée comme très honorable par ceux qui eu seront l'objet. Aujourd'hui que dit-on aux hommes de la réserve ? On leur dit : Nous ne voulons pas user votre temps et vos forces, parce que vous avez déjà assez de fatigues personnelles pour entretenir votre existence et celle de votre famille ; la garde civique est assez nombreuse telle qu'elle est, nous ne vous appelons pas.

Mais si vous allez réduire la garde civique au tiers, au quart, au cinquième de sa force actuelle, il faudra que vous admettiez tous les hommes de moins de 35 ans ou bien que vous disiez à ceux que vous voudrez exclure : Nous ne voulons pas vous admettre dans la garde civique parce que vous n'y apportez pas des garanties d'ordre suffisantes.

Messieurs, la loi de la garde civique est très douce, très modérée. Je ne veux pas parler ici d'esprits chagrins, d'esprits malades qui auraient signé les pétitions ; j'admets très volontiers que tous les signataires des pétitions sont de gais compagnons.

M. Van Grootven. - Il y en a parmi eux.

M. Rogier. - Je le répète, la loi sur la garde civique est très douce en elle-même et elle a été exécutée avec beaucoup de douceur. (Interruption.)

Vous transformez en une règle générale applicable à tout le pays et à toutes les époques, quelques faits qui vous sont peut-être personnels ; mais si nous voyons les, choses comme elles sont, nous devons convenir (page 1051) que la loi sur la garde civique est douce et qu'elle a été exécutée avec douceur ; et les plaintes qui ont surgi dans cette chambre ont encore contribué à introduire plus de relâchement dans le service.

La loi sur la garde civique ne mérite pas les reproches qu'on lui a adressés. Le rapport de la section centrale est exagéré ; on n'a pas donné à la garde civique les proportions énormes dont il parle ; au contraire, on a singulièrement restreint l'organisation. Si on avait exécuté la loi à la lettre, on aurait organisé la garde civique dans toutes les communes ayant 3,000 âmes, c'est-à-dire dans 261 communes ; eh bien, on l'a organisée dans une quarantaine de communes, au plus. Voilà donc, messieurs, déjà cette loi si sévère qui n'est appliquée qu'à 40 communes sur 260.

M. Coomans. - C'est un tort ; il faut exécuter la loi ; elle est faite pour cela.

M. Rogier. - Vous trouvez qu'une loi est très sévère et, sans doute, pour faire moins sentir sa sévérité, vous voulez qu'on l'applique à toutes les communes.

M. de Man d'Attenrode. - Qu'on la modifie.

M. Rogier. - Je demanderai à ceux qui m'interrompent, je demanderai à M. Coomans si, dans le cas où la proposition qu'il a faite au nom de la section centrale serait adoptée, la loi, dans ces conditions, serait désormais appliquée à toutes les communes ? Est-ce ainsi qu'il l'entend ? Evidemment non.

Nous demandons nous au gouvernement d'exécuter la loi dans les limites où elle peut être utile et là où elle peut être utile. Personne ne songe à faire un grief au gouvernement de ne pas avoir introduit la garde civique dans toutes les communes qui ont 3,000 habitants. Eh bien, c'est déjà là un grand adoucissement apporté à la loi.

En outre, messieurs, dans les communes de moins de 3,000 âmes la loi sur la garde civique devrait être aussi exécutée jusqu'à l'élection des cadres inclusivement, et les gardes, sans être assujettis à l’uniforme, devraient être astreints au service des patrouilles. Eh bien, encore dans toutes ces communes, la loi n’est pas exécutée. Je demande à la section centrale su lorsqu’on aura exempté des exercices les hommes qui ont atteint l’âge de 35 ans, la loi sera appliquée à toutes les communes du royaume. (Interruption.)

Vous avez beau faire un signe affirmatif, il est impossible que vous donniez à la loi une application si générale ; vous seriez en contradiction avec vous-mêmes, à moins que vous ne vouliez rendre la loi impopulaire.

La garde civique est inutile pour les petites localités, mais je la considère comme un élément essentiel d'ordre dans les grandes localités. Cest surtout au point de vue des grandes localités que je la défends. C'est surtout là qu'il faut entretenir une discipline quelque peu sévère. Je vous abandonne les petites localités, j'en fais volontiers le sacrifice.

M. Coomans. - Alors, il faut modifier la loi.

M. Rogier. - Eh bien ! c'est une autre question. Laissez au gouvernement l'initiative des lois sur la force publique ; laissez fonctionner une loi qui a été faite il y a peu d'années, et s'il est reconnu qu'elle présente des inconvénients réels, laissez au gouvernement le soin de proposer les réformes, en pareille matière. Une loi qui règle la force publique du pays ne devrait pas être modifiée sur l'initiative des membres de la chambre.

Je tiens, messieurs, à éablir que la loi a été appliquée avec beaucoup de réserve, que l'administration n'y a pas mis cette rigueur qu'on lui a reprochée. On critique les dépenses d'nniforme, eh bien, messieurs qu'est-il arrivé ? Savez-vous combien de communes ont été obligées à prendre l'uniforme de drap ? L'uniforme en drap a été décrété dans 14 communes et ce nombre n'a pas dû varier à moins que depuis l'année dernière, d'autres communes n'aient fait ce qui avait eu lieu précédemment, c'est-à-dire n'aient demandé elles-mêmes à remplacer l'uniforme en toile par l'uniforme en drap.

Dans le principe il n'y avait que les grandes villes qui fussent astreintes à l'uniforme en drap, mais dans diverses localités moins importantes on a demandé, garde civique et administration communale, la substitution de l'uniforme en drap à l'uniforme en toile. Je citerai particulièrement la comme de Schaerbeek à laquelle l'honorable M. Coomans appartient comme garde hors le temps de la session. Je le répète, et je le dis spécialement à l'honorable M. Rodenbach, dans la plupart des communes l'uniforme devait être en toile, et quand on y a introduit l'uniforme en drap, c’est à la demande du conseil communal et de la garde civique.

M. Coomans. - C'est pour cela que Verviers aime tant la garde civique ! (Interruption.)

M. Rogier. - Je n'ai pas bien compris la plaisanterie. (Interruption.) On me dit que c'est une personnalité contre la ville de Verviers...

M. Coomans. - Non ! non !

M. Rogier. - Je dis que la ville de Verviers ne mérite pas cette plaisanterie ; que cette ville a pris ses devoirs patriotiques au sérieux ; c'est une ville industrielle, c'est vrai ; mais c'est une ville essentiellement patriote, très disposée à défendre à la fois l'ordre et la liberté. Voilà le caractère de la ville de Verviers, caractère qui est, d'ailleurs, celui de toutes nos cités industrielles ; et voilà pourquoi aussi, quoi qu'on en dise, un très grand nombre d'habitants de ces villes ont pétitionné pour le maintien d'une charge qui ne plaît pas à tout le monde.

Que signifient toutes les pétitions sur lesquelles nos adversaires s'appuient ?

Demandez au premier venu s'il lui convient d'être milicien ; s'il ne serait pas bon de supprimer le service de la milice ; vous aurez bientôt des centaines de pétitions contre la milice.

Demandez au premier bourgeois, quelque dévoué qu'il soit à l'ordre ; demandez-lui s'il lui convient d'être exempté du service le la garde civique ; nécessairement, à moins qu'il ne soit un modèle de patriotisme et de désintéressement, il vous dira : « J'aime mieux aller me promener le dimanche que de faire des exercices. »

Le jury a été supprimé dans d'autres pays ; ce n'est pas une raison pour le supprimer chez nous, je suppose ; du moins on n'en parle pas. Eh bien, messieurs, demandez à un citoyen s'il préfère être juré à ne pas l'être ; quelque bon patriote qu'il soit, il vous dira : Exemptez-moi de ce service.

Messieurs, il faut vivre en Belgique, dans un pays de patriotisme fervent, pour voir un très grand nombre de citoyens réclamer le maintien d'une charge qui pèse sur eux. Le nombre de ces pétitionnaires m'a fort surpris ; d'après un relevé que j'ai fait notamment pour la ville de Gand, je crois qu'il y a autant de pétitionnaires pour que contre.

Maintenant en quoi consiste, en fait, le service de la garde civique contre lequel on se récrie tant ? Aux termes de la loi, il y a 12 exercices par an, deux revues, deux inspections d'armes. Voilà au maximum ce qui peut arriver, et ce qui n'arrive plus ; il n'y a pas de communes où il y ait encore maintenant 12 exercices par an. (Interruption.)

Les douze exercices n'ont eu lieu qu'en 1848 ; alors j'ai vu plusieurs de nos honorables collègues les plus distingués figurer et être très heureux de figurer dans les rangs de la garde civique comme simples gardes ; ils sentaient bien qu'ils remplissaient un devoir utile pour tous. Je ne veux pas citer des noms propres, mais je regrette de trouver parmi les adversaires de la garde civique des collègues qui en 1848 ont été les premiers à donner l'exemple du zèle, à encourager les bourgeois à payer de leur personne...

M. Malou. - Ils le feraient encore, mais ils n'aiment pas à parader.

M. Rogier. - Ils aimaient donc à parader à cette époque, car c'est dans des parades que je les ais vus.

Mais en quoi consistent les parades dont on se plaint ? Il y a deux parades par an, et à quelle occasion ? Ordinairement c'est à l’occasion de l'anniversaire des journées de septembre ; je ne pense pas qu'aucun membre de cette chambre renie l'œuvre qui a été accomplie pendant ces journées. La seconde revue a lieu ou le jour anniversaire de l'arrivée du Roi ou le jour de l'ouverture des chambres ; lorsque la garde civique de Bruxelles forme la ligne pour le passage du Roi et de son cortège ; puis après la cérémonie, elle défie. Est-ce là une parade ridicule ?...

M. Malou. - Je n'ai pas dit ridicule.

M. Rogier. - Je défie de me citer d'autres parades.

Maintenant, indépendamment des parades, il y a des exercices afin que les gardes s'accoutument un pru au maniement des armes, au contact de leurs collègues et qu'ils n'arrivent pas sans instruction, sans consistance aucune, dans les rassemblements généraux. Eh bien, aux termes de la loi sur la garde civique, on peut réunir 12 fois par an les gardes pour les exercices ; vous parlez de vexations ; eh bien, en fait il n'y a pas eu en moyenne plus de 6 réunions par an. (Interruption.)

Y a-t-il eu dans certaines communes trop d'exercices ? Je l'ignore. A Bruxelles, pas plus qu'à Anvers, le nombre des exercices n'a été exagéré, surtout dans les derniers temps.

M. le ministre de l'intérieur a dit que les instructions qui seraient données, que les règlements qui, au besoin, seraient pris, favoriseraient encore cette diminution des rigueurs du service.

Et en effet, lorsque à l'âge de 21 ans on est entré au service de la garde civique, on peut, après quelques années, être parfaitement en mesure de le remplir convenablement sans être astreint à des exercices nombreux, et c'est ici que je rencontre tout le système de la section centrale, si l'on peut appeler cela un système.

Tout garde civique qui justifie de posséder la faible connaissance de l'école du soldat, a droit à l'exemption.

Il ne s'agit pas d'une mesure à prendre, mais d'une mesure prise : c'est une instruction ministérielle lu 10 juin 1852 qui oblige les chefs des gardes à exempter des exercices tout garde qui justifie de ces connaissances. Eh bien, que veut de plus la section centrale ? Elle veut qu'à partir de 35 ans on ne soit plus tenu de justifier de certaines connaissances. Voila tout son système. Je dis en fait qu'il faudra qu'un individu soit de bien mauvaise volonté ou d'une incurable incapacité pour ne pouvoir pas acquérir de 21 à 35 ans les connaissaices que je viens de rappeler ; la plupart des gardes dès 25 ans ne sont plus astreints aux exercices. Pourquoi voulez-vous des exemptions de plein droit à 35 ans. Est-ce pour encourager la paresse, l'incapacité, le mauvais vouloir ? Sans doute vous n'êtes pas exempts définitivement du service quand vous avez justifié des connaissances déterminées ; chaque année les gardes seront tenus de justifier qu'il savent encore ce qu'ils ont su ; voilà la loi dans sa simplicité : deux revues au maximum et un exercice Voilà toute la loi, et c'est contre cette loi qu'on réclame comme imposant aux citoyens une charge insupportable !

(page 1052) Mais il y a en outre une autre disposition de la section centrale qui est inadmissible et que j'ai été étonné de voir dans son projet, c'est la réduction des deux inspections d'armes à une. Cette disposition sera directement contre l'intérêt du trésor. L'inspection a pour but de s'assurer du bon entretien des armes. S'il était permis aux gardes de s'abstenir de faire inspecter leurs armes, ce serait au préjudice du trésor.

Qu'est-ce que c'est que ces inspections ? Ce n'est rien ; je ne sais pas comment les choses se passent ailleurs : mais à Bruxelles cela consisea dans le transport, dans un local du quartier, du fusil qui est examiné par un ouvrier armurier sous les yeux d'un officier, après quoi il est restitué au garde. Vous voulez qu'on ne fasse plus qu'une fois cette inspection ? J'aimerais mieux qu'on la fît quatre fois pour s'assurer que les armes sont dans un bon état d'entretien et que le trésor ne sera pas lésé.

Il me semble qu'après les explications si complètes qui ont été données par le ministre de l'intérieur, après avoir examiné comment les choses se passent et se passeront en fait, en voyant les tendances générales à adoucir ce qui peut rester de trop dur dans le service, si on ne cherche qu'un but, celui de soulager les citoyens d'une charge un peu trop lourde, le but est atteint par la discussion et les explications qu'elle a amenées. Sans doute si on cherche autre chose, le but ne sera pas atteint, quoique la discussion aura cet effet d'énerver les ressorts de la garde civique, et d'y jeter la désunion et le découragement. Une pareille discussion sous ce rapport est déjà un mal.

Si on veut supprimer la garde civique, si on veut la rayer comme institution, qu'on le dise ; on peut avoir des opinions différentes sur l'utilité de la garde civique ; je sais que pour arriver à sa suppression on rencontrerait un obstacle constitutionnel, c'est quelque chose ; je ne sais pas comment on pourrait le vaincre ; il y a peut-être d'autres moyens légaux de dénaturer davantage, d'affaiblir, de ruiner la garde civique, de lui faire une saignée mortelle, je ne me charge pas de les rechercher ni de les soutenir.

Je maintiens que la garde civique rend des services, qu'elle est une garantie d'ordre et de liberté, que toutes nos institutions s'enchaînent et qu'il n'y a pas plus de raison de frapper celle-là que les autres.

Ce n'est pas une charge trop lourde pour les citoyens ; à ce titre vous devriez supprimer d'autres charges. Il faut bien, quand on veut être un peuple libre, accepter les inconvénients qui sont la compensation d'avantages immenses.

Sans être bien méchant, je souhaiterais à ceux qui se découragent de nos institutions, qui y voient de trop lourdes charges, qui désespèrent, qui jettent les yeux sur d'autres pays où l'on a passé à un autre régime... (interruption.) Je souhaiterais à ces personnes....

M. Dumortier. - Aucun membre de cette chambre n’a exprimé de semblable pensée.

M. le président. - M. Rogier n’a désigné aucun des membres de cette chambre.

M. Rogier. - On ne peut pas se dissimuler qu'il y a des personnes auxquelles nos institutions ne plaisent plus autant qu'autrefois ; il en est surtout à qui la garde civique ne plaît plus, en 1853, autant qu'elle plaisait en 1848. Car en 1848, pas une seule plainte ne s'est élevée contre le service qu'on demandait à la garde civique, aujourd'hui et hier nous en avons entendu formuler beaucoup. Donc on ne voit plus l'institution du même œil.

Eh bien, je souhaiterais à ceux qui n'ont plus la même foi dans nos institutions, pour toute punition, d'être soumis à un autre régime, ne fût-ce que pour un semestre ; voilà ce que je souhaiterais.

Messieurs, nous jouissons d'institutions libres, je n'exige pas qu'on s'y dévoue en Spartiates ou en Romains, mais je demande qu'on ne tombe pas dans une sorte de tiédeur ou de mollesse qui en serait la ruine ; il faut savoir supporter certaines charges, certains inconvénients qui sont le prix et la conséquence de la liberté.

Si vous voulez maintenir dans le pays l'institution de la garde civique, faites en sorte que de cette discussion il ne sorte pas un trop grand affaiblissement de cette utile et patriotique institution ; par là vous aurez rendu un véritable service au pays.

Je ne veux pas prolonger cette discussion, je demande que les auteurs des amendements et la section centrale renoncent à leurs propositions et laissent au moins à la garde civique un temps d'épreuve après lequel on pourra la juger d'une manière définitive.

- La séance est levée à 4 heures et demie.