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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 10 mai 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1340) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Le sieur Constant Hubert-Joseph Abels, sergent au régiment des grenadiers, né à Wcerl (Pays-Las), demande la naturalisation avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« Des électeurs à Buissenal demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu de canton. »

« Même demande d'électeurs à Vezin. »

- Renvoi à la commission des pétitions du mois de mars.


« Le conseil communal de Waelhem demande que le hameau de Roosendael, section Sluykenstraet, qui fait partie de la commune de Wavre-Sainte Catherine, soit réuni à celle de Waelhem. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Par dépêche du 7 mai, M. le ministre de la justice transmet à la chambre, avec les pièces de l'instruction, une demande de naturalisation ordinaire. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.

Rapport sur des demandes en naturalisation

M. Van Overloop et M. A. Vandenpeereboom, au nom de la commission des naturalisations, déposent des rapports sur diverses demandes en naturalisation.

La chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Projet de loi sur l’organisation de l’armée

Discussion générale

La discussion générale continue.

M. Manilius, rapporteur. - Messieurs, je ne crois pas que j'aie besoin de protester ici de nos sentiments de nationalité, de dévouement au pays. Je crois que tous les discours qui ont commencé par de semblables protestations étaient, au moins à ce point de vue, superflus dans une enceinte où il n'est pas un seul homme qui ne partage ces sentiments, où tous vous êtes au premier rang, comme représentants de la nation de ceux qui savent apprécier quelle est la valeur de la nationalité et de la conservation de l’indépendance du pays.

Je ne suivrai donc pas les honorables préopinants sur ce terrain, je crois qu'il vaut mieux, au lieu de se laisser aller à ces protestations, examiner froidement la question, discuter ce qui peut être utile, ce qui peut être convenable, au point de vue des grands intérêts du pays, et pour l'armée, et pour les contribuables, et pour notre état financier, et pour le gouvernement lui-même, qui doit nécessairement supporter toute la responsabilité des événements auxquels on a déjà tant fait allusion.

L'honorable orateur qui a pris la parole hier pour attaquer plus directement que les autres honorables préopinants les conclusions de la section centrale est l'honorable député de Bruxelles. Vous le comprenez, messieurs, il m'est difficile de lutter contre un semblable adversaire, lui qui depuis tant d'années, par la magie de son talent oratoire, a su, dans des moments solennels comme ceux-ci, entraîner la chambre, et je dirai même le pays.

J'ai entendu cet honorable membre, dans de nombreuses occasions depuis de longues années que j'ai l'honneur d'être son collègue. Je l'ai entendu avant 1838, avant un fâcheux événement, défendre le budget de la guerre, avec cette même ardeur, avec ces mêmes grands moyens d'appel à la nationalité et à la dignité du pays, et toujours j'ai partagé, avec le public, avec le pays, les sentiments auxquels il faisait appel. Il est parvenu aussi, à cette époque, à m'attendrir, tant son appel en faveur de notre nationalité était grave et sympathique.

Messieurs, je l'ai entendu encore dans un moment beaucoup plus grave ; c'était en 1859, alors qu'il s'agissait de se séparer de nos frères ; je l'ai entendu défendre, non pas un budget, mais l'obligation pénible de remettre l'épée dans le fourreau ; il employait le même langage, le même talent oratoire, la même magie pour faire pleurer sur le sort de nos frères.

Hier, messieurs, c'est par un tel langage qu'il est entré en matière, et après cela qu'a-t-il fait ? Après avoir appelé la sympathie de tous les cœurs, après avoir voulu soustraire la chambre à l'irritation que pourraient produire des discours irréfléchis, il n'a pas négligé cependant d'attaquer le rapport de la section centrale et les opinions de ceux qui le soutiennent.

Messieurs, je m’empresse d'entrer en matière sur cette partie.

L'honorable M. Devaux vous dit : Comment est-il possible de discuter si longtemps, d'appeler l'attention de l'Europe sur nous, alors qu'il s'agit d'une simple différence de 800,000 fr. ? Un homme aussi grave, un homme qui doit avoir lu tous les documents et qui, j'aime à le croire, aura lu aussi le rapport, comment peut-il tirer une semblable conclusion ? Quelle est, messieurs, la différence qui nous sépare ? Il faut bien le dire tout de suite, cette différence ne consiste ni dans une somme, ni dans un certain nombre d'hommes, cette différence porte sur un principe, et quel est ce principe ?

C'est de ne pas établir de grandes dépenses permanentes dans un moment exceptionnel, dans un moment où les paroles sympathiques de l'honorable membre ont tant d'effet, c'est de ne pas laisser poser un acte permanent dans un moment exceptionnel. Et, messieurs, j'ai lieu d'être d'autant plus étonné qu'un autre honorable préopinant qui ne partage pas mes opinions et qui n'est pas mon ami politique ni mon coreligionnaire politique, l'honorable M. de Theux, a parfaitement compris le rapport.

L'honorable M. de Theux qui a également, à ce qu'il paraît, lu et très bien lu notre rapport, l'a compris, l'a saisi ; et que nous a-t-il dit ?

L'honorable M. de Theux a dit : Nous ne différons que sur un point ; il s'agit d'une question d'actualité et d'une question d'avenir ; c'est la question anormale et la question normale ; c'est en un mot la permanence de la dépense à laquelle la section centrale s'oppose. Voilà ce qu'a dit l'honorable M. de Theux, qui, dans sa manière de voir, explique de quelle façon se sont produites les conclusions de la section centrale. En effet, messieurs, le section centrale est en divergence avec le gouvernement sur un seul point ; c'est que la section centrale ne veut pas se laisser entraîner à des dépenses permanentes dans l'avenir.

Pourquoi s'opposait-on à cette dépense permanente ? Parce que nous étions en présence de la loi de 1845 ; cette loi, qui voulait que l'on organisât les cadres pour 80 mille himmes, voulait en cas de crise qu'on y adjoignît des cadres et des troupes nouvelles. Ces cadres nouveaux, ces troupes nouvelles devaient être, non des troupes permanentes, mais des auxiliaires temporaires.

Le gouvernement qui jusque-là avait défendu l'intervention de ces troupes auxiliaires temporaires a reconnu depuis l'examen fait par la commission que ces troupes auxiliaires auraient dû être organisées avec plus de précaution et d'activité dans les moments où l'on en avait un besoin moins pressant, et que, telles qu'elles l'étaient, elles ne pouvaient pas rendre le service qu'en s'en promettait ; en un mot le gouvernement aurait voulu que la garde civique du premier ban fût organisée d'une manière permanente, afin qu'un simple appel suffît pour la mettre en mouvement. Comme cela n'a pas été fait, nous avons reconnu qu'il serait difficile de faire usage de semblables auxiliaires.

On a donc songé alors, comme aujourd'hui, à remplacer cette réserve, ces auxiliaires par le rappel des miliciens qui ont été congédiés. Messieurs, le rappel des miliciens congédiés entraîne nécessairement l'augmentation des cadres, car avec le rappel des miliciens congédiés, vous n'avez pas de cadres ; il faut donc les nommer, mais les nommer d'une manière permanente ; car le gouvernement n'a pas l'autorisation de faire des nominations d'officiers temporaires qu'on peut renvoyer quand on n'a plus besoin de leurs services. Une fois les officiers nommés, il faut que le gouvernement les conserve. De là grand embarras. Cet embarras ne se présentait pas dans l'emploi de la garde civique, le gouvernement n'intervenant pas dans la formation des cadres, les gardes devant nommer leurs officiers ; du moment que leurs services n'étaient plus nécessaires ces cadres ne restaient pas une charge pour l'Etat, tandis que ceux que le gouvernement veut nommer resteront une charge permanente.

Voilà la raison qui a dicté nos résolutions, c'est parce que la question financière nous préoccupait avant tout. Si donc nous maintenons l'ancienne réserve, nous ne chargerons pas l'Etat dans l'avenir.

Messieurs, certainement dans la situation où nous nous trouvons maintenant, il est très difiicile de résister aux exigences du gouvernement parce qu'il s'appuie sur des arguments qui sont de nature à ne pas être discutés dans cette enceinte.

L'honorable M. Devaux est allé plus loin que le gouvernement ; il a cherché à nous effrayer d'une manière plus directe ; ce qu'il a dit serait très grave s'il faisait partie du cabinet. Il n'a pas hésité à dire que la guerre était à nos portes, que vous pouviez l'avoir tous les jours et au moins dans quinze jours.

Eh bien, messieurs, toutes ces pressions-là ont détruit en quelque sorte la marche régulière, propre à amener une organisation sur pied de paix. Il s'agit d'une organisation obligée, nécessaire, immédiate, pour se défendre ; il ne s'agit pas d'une organisation calme, froide, économique et qui doit servir alors qu'on reviendra à une situation normale.

Dans cet état de choses, il y a autre chose à faire que ce que nous propose le gouvernement. Le gouvernement ou du moins, M. le ministre (page 1341) des affaires étrangères qui a sans doute parlé au nom du Roi, demande l'autorisation de rappeler à l'activité les miliciens congédiés pour arriver, en cas de besoin, aux 100,000 hommes que le gouvernement réclame.

Mais, messieurs, quand on réalisera cela, il faudra de nouveaux officiers.

L'honorable ministre de la guerre a déclaré formellement que les cadres d'aujourd'hui ne sont suffisants que pour 63,000 hommes. Ce qu'il demande pour la réserve ne doit compléter les cadres que pour les 80 miile hommes.

Car indépendamment de ceux qui existent il demande 17 officiers supérieurs et 187 officiers subalternes, toujours pour la même destination ; mais il n'y aura donc rien pour les classes congédiées qui seraient éventuellement rappelées. Il faudra alors nommer d'autres offfaiers pour ces classes-là.

Je pense que si la chambre, comme je n'en doute pas, adopte la proposition du gouvernement, il faudra en même temps l'autoriser à nommer les officiers.

Car, de deux choses l'une : ou tout ce que l'on nous dit est sérieux, et alors le gouvernement a le plus grand besoin d'officiers ; ou bien, tout ce que l'on nous dit n'est pas sérieux, et alors le gouvernement ne nommera pas les officiers.

Voiri ce que porte l'amendement proposé par M. le ministre des affaires étrangères :

« En attendant la révision des lois sur la milice, le Roi pourra, en cas de guerre ou si le territoire est menacé, rappeler a l'activité tel nombre de classes congédiées qu'il jugera nécessaire à la défense du pays. Il en sera immédiatement rendu compte aux chambres. »

Cet amendement doit être sous-amendé en ce sens, qu'après les mots « à la défense du pays », on ajouterait ceux-ci : « et organiser leur encadrement en nommant les officiers. » J'en fais la proposition.

Je réponds par là complètement à l'objection qu'a faite M. le ministre de la guerre, à savoir qu'il n'entendait pas les conclusions de la section centrale en ce sens qu'il y serait pourvu par le moyen du budget. Eh bien, ce que la section centrale a voulu dire, c'est qu'il serait pourvu au moyen du budget aux dépenses de la réserve formée des classes que l'on rappellera et à nommer les officiers pour encadrer les miliciens ou à une réserve de la formation d'un premier nan de la garde civique ; car, comme nous l'avons dit au commencement de la discussion, quand vous aurez obtenu la loi d'organisation, vous n'aurez absolument rien, il faudra nécessairement que vous veniez le lendemain demander des crédits où vous devrez faire figurer la solde des soldats rappelés et la solde pour les officiers.

Mais avec votre amendement sous-amendé, vous auriez une loi qui ne renverserait pas la loi actuelle d'organisation ; vous conserveriez la loi de 1845, qui est reconnue mauvaise par tout le monde, mais ainsi modifiée, vous satisferiez à toutes les exigences, à tous les moyens que vous reconnaissez nécessaires pour parer à toutes les éventualités. En même temps si les avis (j'allais dire les menaces) que nous avons entendus, les dangers qu'on a voulu nous faire craindre ne se réalisent pas, vous aurez la faculté de ne pas user de la latitude que nous vous aurons accordée et vous n'aurez pas obéré le trésor dans l'avenir par des nominations devenues inutiles.

Vous comprenez, dans la restriction où je me trouve, en présence du danger de dire quoi que ce soit qui pût être désagréable ou désobligeant pour nos voisins, combien je dois éprouver d'embarras. Je dois cependant dire que la question que nous traitons n'est pas seulement une question stratégique, que c'est aussi une question politique très scabreuse et une question financière, et c'est ainsi que l'a traitée l’honorable lu. de Theux, qui nous a dit que la question politique, la question stratégique et la question financière devaient être le fondement de nos observations.

Pour traiter la question à ce triple point de vue, il faut non seulement recourir à l'expérience, mais aussi prendre l'avis des personnes les plus compétentes pour s'occuper de ces matières.

Pour la question politique, j'ai pensé que, pour la traiter, il ne fallait pas avoir été ambassadeur, mais qu'il suffisait de donner satisfaction à sa pensée, en formulant un jugement. Je me le suis donc formulé.

Pour traiter la question stratégique, je ne sache pas qu'il faille avoir servi dans quelques cadres de l'armée. Une foule d'auteurs l'ont traitée, et quand vous les avez tous commentés, étudiés, vous avez l'embarras du choix. Autant d'auteurs, autant d'idées. Chacun se plaçant à son point de vue, l'un aime à contredire l'autre. Il n'y a donc ni unité, ni conformité dans les opinions. Nous pouvons donc écarter complètement le point de vue stratégique et être compétents pour résoudre cette question comme la première.

Reste la troisième question, la question financière. Dans mes pérégrinations j'ai compulsé à peu prés 300 volumes, y compris les brochures et les opuscules au sujet de la question de l'armée, et j'ai trouvé que, d'après l'un de ces auteurs, dont le nom m'échappe, il faut pour faire la guerre, trois choses ; la première, de l'argent ; la deuxième, de l'argent, la troisième, encore de l'argent.

- Un membre. - Il faut aussi du courage.

M. Manilius. - Oui, mais il est inutile d'en parler, parce que nous savons tous que les Belges n'en manquent pas.

Je dis donc que la question financière est la question capitale. Sur ce point nous avons consulté des hommes spéciaux et notamment M. le ministre des finances. Nous sommes donc compétents pour traiter cette question. Cette question financière se présente d'une manière favorable pour un budget de 32 millions. Mais, je vous le demande, avec un budget de 32 millions pouvons-nous faire face aux dangers d'une situation que l'on a présentée, hier, sous un aspect aussi chanceux, aussi terrible ? Je ne le pense pas. Je crois que c'est impossible.

Si toutes les menaces sont sérieuses, si tous les dangers sont réellement aussi grands, il faut réellement bien plus de nerf pour se défendre. Si les dangers qu'a exposés l'honorable M. Devaux sont réels, je ne comprends pas comment il insiste pour faire ajouter au budget une somme de 800,000 fr. seulement.

Dans notre position nous devons craindre d'aller trop loin. Il n'y a pas lieu à faire de démonstration de patriotisme et de sympathie. Je crois que le pays comme la chambre n'a pas le moindre doute en ce qui nous concerne.

Je crois la section centrale à l'abri des reproches que l'on a faits aux conclusions du rapport qui n'est pas mon travail capricieux, mais qui est le fruit consciencieux du travail des sections et de la section centrale.

Une autre considération me faisait un devoir impérieux de me renfermer dans un cercle retreint. Je crois m’être acquitté de la mission qui m'a été confiée de manière à ne m'attirer aucun reproche d'aucun parti comme d'aucune personne de mon pays.

M. le président. - M. Manilius propose de sous-amender de la manière suivante l'article additionnel proposé par M. le ministre des affaires étrangères :

« En attendant la révision des lois sur la milice et la réorganisation des cadres, le Roi pourra, en cas de guerre ou si le territoire est menacé, rappeler à l'activité tel nombre de classes congédiées qu'il jugera nécessaire à la défense du pays et organiser leur encadrement en nommant les officiers. »

Le reste comme à l’article.

M. Manilius présente cet amendement pour le cas où les propositions de la section centrale seraient adoptées et la loi de 1845 maintenue. Il veut donner au gouvernement les moyens d'avoir un accroissement d'officiers au moment du danger.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - M. le président vient d'expliquer le sens de l'amendement proposé par M. Manilius. C'est ainsi que je l'ai interprété moi-même ; il en résulte évidemment qu'il ne sera mis aux voix que pour le cas où la question du chiffre de 100,000 hommes serait résolue négativement. Je m'abstiendrai donc pour le moment de combattre cet amendement.

Quant au discours de l'honorable M. Manilius, à la modération duquel je me plais à rendre une parfaite justice, ce discours me semble basé sur cette erreur, que l'organisation de l'armée et le budget qui vous sont présentés sont une organisation et un budget pour le pied de guerre.

Or il n'en est rien, l'organisation et le budget sur lesquels vous êtes appelés à voter sont établis pour le pied de paix, mais pour un pied de paix tel qu'il soit facile de passer en très peu de temps au pied de guerre.

- Un grand nombre de voix. - La clôture ! La clôture !

M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture.

Messieurs, j'étais inscrit hier pour prendre la parole ; malheureusement au moment où mon tour est venu, je me trouvais absent pour le service de la chambre, j'étais retenu à la commission des chemins de fer.

Je désire exprimer mon opinion dans une question aussi importante. Comme ce n'est pas ma faute si je ne me suis pas trouvé à la séance quand mon nom a été appelé, j'espère que la chambre ne voudra pas mi faire perdre le bénéfice de mon inscription.

M. Delehaye. - Je dois à la vérité de dire que c'est par fait un indépendant de sa volonté que M. Dumortier n'a pas pu user de son tour de parole.

Pour lui donner l'occasion de se faire entendre, je suis maintenant le premier inscrit, je pense, je cède la parole à M. Dumortier.

M. le président. - Vous êtes le troisième inscrit.

M. David. - Dans le cas où la clôture ne serait pas prononcée, je réclamerais la parole ; vous avez entendu peu d'orateurs contre le projet.

Je désire motiver mon vote, je me bornerai à présenter, selon mon habitude, des considérations très courtes.

M. Vander Donckt (contre la clôture). - Messieurs, vous avez jusqu'ici entendu fort peu d'orateurs contre le projet de loi. Dés à présent j'ai la conviction personnelle que ce projet sera voté dans le sens du gouvernement. Mais, messieurs, quand on combat dans un pays civilisé on a des égards pour les vaincus. Permettez-nous au moins, à nous qui allons succomber, de succomber avec honneur, permettez-nous de mourir sur la brèche en nous défendant.

Je demande que la discussion continue.

M. Pierre (contre la clôture). - Messieurs, pendant les cinq dernières années, j'ai pris part aux discussions qui ont eu lieu sur le budget de la guerre et sur l'organisation de l'armée. Je n'ai pas encore pu me faire entendre. Mes observations seront très courtes. Je prie la chambre de me permettre de les développer.

M. de Baillet-Latour (contre la clôture). - M. le président, il me semble qu'il serait plus convenable d'entendre dans cette séance tous les orateurs qui restent inscrits ; la discussion est assez importante pour entendre tout le monde ; j'ai moi-même des observations à joindre à (page 1342) celles do mes collègues qui peuvent éclairer le gouvernement. Je m'oppose donc à la clôture.

M. Lesoinne. - C'est par un sentiment de justice que je demande la parole. Si l'on entend un orateur, il faut les entendre tous. Chacun a les mêmes droits à être entendu.

- La clôture est mise aux voix ; elle n'est pas prononcée.

La discussion continue.

M. Rodenbach. - Messieurs, la chambre paraît impatiente. Il est vrai que voilà déjà plusieurs jours que l'on discute sur cette grave question. Aussi, je serai très court, je me bornerai à motiver mon vote.

Je dirai d'abord à l'honorable rapporteur qui a pris la parole avant moi, que parce que je voterai aujourd'hui une armée de 100,000 hommes et un budget de 32 millions, je ne me suis nullement lié par un vote permanent. Selon moi, dans un gouvernement constitutionnel il n'y a jamais de vote permanent.

La prudente Angleterre a pris des mesures de précaution ; toute l'Europe est en armes ; je crois que, dans des circonstances semblables, nous, si attachés à notre nationalité, nous pouvons voter une armée de 100 mille hommes au lieu d'une armée de 80 mille hommes que demande la section centrale.

Messieurs, y a-t-il donc une différence si grande entre les propositions du gouvernement et celles de la section centrale ?

Malgré tout ce que l'honorable rapporteur nous a dit, il ne s'agit que d'une différence de 800,000 fr. Plusieurs ministres ont pris la parole. M. le ministre des affaires étrangères, dans un discours très remarquable, nous a formellement déclaré que l'augmentation de dépenses qu'entraînerait le projet du gouvernement ne serait que de 800,000 francs. Vous avez aussi entendu M. le ministre des finances en qui nous avons une confiance entière, et il nous a déclaré que notre situation financière nous permettait de voter un budget de 32 millions.

Nous pouvons nous fier aux déclarations d'un homme dont les talents financiers et la grande prudence vous sont connus.

Messieurs, s'il s'agissait d'un accroissement de dépenses de 5, de 6 ou de 7 millions, je concevrais qu'on hésitât beaucoup, parce qu'alors nous serions en présence d'une augmentation de contributions à laquelle je ne pourrais consentir et que ce n'est pas le moment d'imposer de nouvelles charges aux contribuables. Mais il s'agit d'une dépense nouvelle relativement peu considérable.

Messieurs, on propose de nommer 200 officiers qui formeront les cadres de la réserve destinée à remplacer la garde civique. Dans les prévisions de la section centrale, on continue à faire entrer en ligne de compte le service de la garde civique, et vous savez qu'avec la loi que nous avons votée dernièrement, il ne peut plus être question d'envoyer nos soldats citoyens à la frontière. C'est à la solde de ces 200 officiers que doit servir l'augmentation de 800,000 fr., et il est impossible que le gouvernement réalise d'autre part une économie ; car il pourra faire entrer dans les cadres de la réserve plusieurs ofiîciers qui sont aujourd'hui à la demi-solde ou en disponibilité.

Messieurs, par prudence, par patriotisme, je voterai le projet du gouvernement. Je crois que, dans cette enceinte, peu de personnes voudraient assumer une responsabilité aussi grave pour une somme de 800,000 fr. Très souvent, dans cette enceinte, on a voté de pareilles sommes après une demi-heure ou une heure de discussion. J'ai vu voter des millions sans débats. Nous ne pouvons, lorsqu'il s'agit de notre nationalité, refuser au gouvernement quelques centaines de mille francs.

Mais, je le répète, il ne peut être ici question d'un vote permanent ; car je suis aussi l'ami de l'économie que qui que ce soit, que ceux mêmes qui voteront contre le projet du gouvernement.

Messieurs, puisque la chambre désire en finir je bornerai là mes observations.

M. de Baillet-Latour. - Messieurs, j'espère que la paix ne sera point troublée. Je ne crois cependant pas à l'utopie delà paix éternelle, universelle, quoique la paix semble un des pivots de la société actuelle.

Je sais que la science politique ne doit pas s'égarer dans les nuages ; qu'elle doit vivre eu milieu des faits positifs, des besoins actuels, des ii lérêts, des sentiments nationaux, et tenir compte de l'expérience des siècles. L'homme politique sérieux et calme aime la paix, veille à son maintien, s'efforce de régler sans les détruire tous les intérêts nationaux. Toutefois, il n'imagine pas que cette paix qu'il aime puisse durer toujours ; il doit se tenir prêt sans cesse à faire face aux éventualités qu'en traiterait sa rupture. Dans un pays comme le nôtre, il se garde surtout d'accréditer à l'étranger cette opinion fâcheuse qu'il compte sur d'autres pour défendre la neutralité et l'indépendance de la patrie.

Rien ne me paraît plus téméraire que de s'endormir sur l'espoir d'une paix éternelle ou même prolongée, au sein des complications qui agitent l'Europe. C'est vous dire assez que je ne recule devant aucun sacrifice quand il s'agit de la défense nationale.

Est-ce à dire pour cela que j'approuve entièrement le projet qui nous est soumis ? Non, messieurs, je le voterai peut-être, et cependant j'éprouve quelques scrupules que je vous demande la permission de vous exposer.

Evidemment, en temps de paix, l'organisation de 1845 est suffisante, suffisante non seulement pour le temps de paix, mais encore parce qu'elle permettait, en un moment de crise, de mettre notre armée sur un pied de défense respectable. Je m'en rapporte sur ce point à l'opinion exprimée, en 1849, par les généraux de Liem et Chazal ; or, nous étions alors dans un moment de crise.

On a beaucoup parlé de la confiance qu'il est nécessaire de donner à l'armée. Cette confiance, la stabilité seule de son organisation pourra la lui donner. Or, lui assure-t-on cette stabilité en prenant pour normale une organisation que l'on exagère en vue d'un moment d'incertitude et qui deviendra trop forte le jour où toutes les inquiétudes auront cessé ? La chambre votera certainement un budget de 32 millions cette année, elle voterait de même un budget plus élevé ; mais croyez-vous que si les craintes de guerre s'évanouissent, ce budget ne soulèvera pas une opposition considérable ?

J'ai entendu faire de fort belles citations pour démontrer la nécessité d'avoir une armée considérable. Messieurs, les citations ne prouvent pas grand-chose. On cite souvent des paroles que celui qui les a dites n'eût pas prononcées dans les circonstances où nous sommes. On nous a démontré par l'opinion de quelques écrivains militaires qu'une armée de 60,000 hommes est nécessaire. Je pourrais aussi répondre par d'autres citations. Je pourrais répondre par des faits : je n'en citerai qu'un. La plus brillante de toutes les campagnes du général Bonaparte, la première campagne d'Italie, dans laquelle il battit des armées triples en forces numériques, commandées par les plus habiles généraux de leur temps, cette campagne réellement héroïque fut accomplie avec une armée de 40,000 hommes.

Croyez-vous donc qu'il soit sans danger aussi de faire trop bon marché des finances de l'Etat ? Montesquieu, après avoir blâmé la fureur d'augmenter le nombre de troupes ajoute :

« La suite d'une telle situation est l'augmentation perpétuelle des tributs, et ce qui prévient tous les remèdes à venir, on ne compte plus sur les revenus, mais on fait la guerre avec son capital, il n'est pas inouï de voir des Etats hypothéquer leurs fonds pendant la paix même, et employer, pour se ruiner, des moyens qu'ils appellent extraordinaires et qui le sont si fort que le fils de famille le plus dérangé les imagine à peine. »

Permettez-moi une autre citation pleine d'à-propos.

L'auteur de l'Histoire philosophique des deux Indes, Raynal, dans ses mémoires historiques de l'Europe, dit :

« La manie d'avoir des troupes, cette fureur qui, sous prétexte de prévenir les guerres, les allume ; qui, en amenant le despotisme des gouvernements, prépare de loin la révolte des peuples... cette manie perdra tôt ou tard l'Europe.

« Hormis les empires naissants et les moments de crise, plus il y a de soldats dans un Etat plus la nation s'affaiblit, et plus la nation s'affaiblit, plus on multiplie les soldats. »

Puisque nous sommes dans un moment de crise, je suis prêt à faire tous les sacrifices que les hommes compétents regarderont comme nécessaires à la défense de notre territoire. Mais, messieurs, je le répète, je regrette que l'on veuille perpétuer ces sacrifices au-delà de la durée de la crise.

En attendant, permettez-moi de vous indiquer un moyen qui me paraît de nature à diminuer un peu les charges du budget sans affaiblir la force de notre armée ; un moyen qui aurait de plus l'avantage énorme de diminuer les sacrifices personnels de nos soldats.

N'oublions pas, messieurs, que le soldat se dévoue à la patrie, non pas parce qu'il est prêt à affronter mille dangers pour la défendre, non pas parce qu'il lui sacrifie sa liberté, mais parce qu'il ne gagne plus sa vie lorsqu'il abandonne la pioche pour le fusil.

La loi appelle tous les citoyens à la défense de la patrie. C'est là un principe moral et juste. Mais la loi, en faveur des études préparatoires de professions diverses a admis le remplacement. Le même jour deux jeunes gens sont désignés par le sort pour être soldats ; l'un est financier, l'autre cultivateur. Ce dernier a devant sa maison un quartier de terre, qui périra s'il s'éloigne ; son vieux père et sa vieille mère sont infirmes, il faut qu' avec ses bras ce jeune homme gagne sa vie et celle de tous les siens. Le jeune homme riche vend un objet de luxe et achète un remplaçant ; le paysan prend à pied, le sac sur le dos, le chemin du régiment. Ses petits frères, ses petites sœurs, sa mère iront mendier jusqu'au retour de celui qui gagnait la vie de tous.

Le remplacement est nécessaire peut-être, mais au moins tâchons d'abréger la curée du sacrifice du pauvre qui ne peut se faire remplacer ; en le faisant, nous diminuerons encore les charges des contribuables.

Tous les hommes compétents sont d'accord que c'est au camp seulement que les soldats se forment. En effet, on comprend que le soldat s'instruit bien plus en un mois de camp que pendant un an de garnison.

Comme M. Devaux vous le disait hier, ce qui augmente sur tout le budget, c'est l'obligation de garder les jeunes soldats deux ans et demi sous les armes, au lieu de dix-huit mois.

Il me semble qu'il serait facile de diminuer ce temps sans que leur instruction en souffrît. On ne veut garder les soldats sous les armes pendant deux ans et demi que pour leur donner trois fois la grande instruction du camp. Eh bien ! il me semble que, par une combinaison très simple, on peut envoyer les soldats trois fois au camp, tout en ne les gardant que deux ans sous les drapeaux. Voici cette combinaison :

On commencerait par retenir les miliciens sous les drapeaux pendant dix-huit mois, dans cet espace de temps, ils auraient eu deux fois les (page 1343) manœuvres du camp. Au bout de dix-huit mois, on les renverrait dans leurs foyers pour six mois. Au bout de ces six mois, on les rappellerait sous les drapeaux pour six autres mois, pendant lesquels ils auraient de nouveau les manœuvres du camp pour compléter leur instruction militaires.

De la sorte les miliciens auraient fait trois années de camp et seraient aussi instruits que s'ils avaient passé deux ans et demi sous les drapeaux ; on n'aurait exigé d'eux que deux ans de sacrifice personnel, et enfin on aurait diminué le budget d'un million, puisque d'après les calculs faits on l'a augmenté de 2 millions en portant à deux ans et demi au lieu de dix-huit mois, la durée du temps passé sous les drapeaux.

Cette idée, messieurs, me semble mériter qu'on y fasse quelque attention.

Je me résume. Probablement je voterai le projet du gouvernement, parce que je n'hésite pas à consentir à tous les sacrifices demandés pour la défense nationale dans un moment où la paix semble moins assurée ; mais je regrette vivement que le gouvernement se soit décidé à prendre pour base de notre état militaire les forces nécessitées par un moment de crise politique. Je prévois que cette organisation ne sera pas définitive, et, dans l'intérêt même de notre armée, je le déplore.

Dans cette discussion, il ne doit entrer aucune considération de partis. Nous sommes tous Belges ici, et ceux qui désapprouvent le projet du gouvernement n'ont pas moins de patriotisme que les autres, ni moins de dévouement à notre nationalité. Je crois donner, pour ma part, une grande preuve de ce dévouement puisque je désapprouve ce projet et que cependant je suis disposé à l'accepter.

M. Pierre. - De toutes les questions que nous puissions avoir à traiter, l'organisation de l'armée est certes l'une des plus importantes. Elle intéresse à la fois notre nationalité, notre indépendance, la sécurité publique et l'honneur national. Depuis plusieurs années cette grande question fait l'objet d'une controverse et préoccupe vivement l'attention du pays.

Le moment de mettre un terme aux incertitudes qui pesaient sur notre organisation militaire et de remédier à un état de choses reconnu vicieux paraissait venu. Malheureusement, il n'en sera pas ainsi.

Je commencerai, messieurs, par constater que dans cette grande discussion il est un point de la plus haute importance, sur lequel nous sommes tous d'accord, sur lequel il y a parmi nous unanimité. Le dissentiment ne commence entre nous qu'au moment où il s'agit des principes et du mode d'organisation. Ce point, qui n'est contesté par personne, c'est la nécessité de créer une armée forte, capable en un mot de répondre aux besoins de sa mission.

Comment est-il possible que depuis bientôt treize ans l'on méconnaisse ici des principes reconnus partout ailleurs comme fondamentaux ? En dehors de leur application, aucune organisation ne peut cependant être bonne. Celle de 1845 n'a rencontré une opposition aussi constante que parce qu'elle reposait sur une base fausse, parce qu'elle était diamétralement contraire aux vrais principes organiques, la grande commission elle-même a reconnu ces principes et en cela elle a donné raison à notre opposition parlementaire. Je m'en félicite et je me hâte de déclarer que, sous ce rapport au moins, elle a bien mérité du pays.

Il nous reste à examiner si l'organisation qui nous est présentée est en parfaite concordance avec les principes admis par la commission. Nous avons à rechercher si l'armée, que nous donnera cette organisation, pourra faire face aux exigences de sa destination patriotique et nationale. Pour ma part, je ne le pense pas. J'ai donc le droit d'exprimer mes doutes à cet égard ; il y a plus, messieurs, c'est un devoir que la conscience m'impose et je n'y faillirai pas. Rappelons-nous l'époque qui procéda les jours néfastes du mois d'août 1831. Alors comme aujourd'hui, on débattait dans cette enceinte la question militaire. Sur le papier nous possédions une armée de 60,000 hommes. Au moment de l'épreuve, on ne put compter que sur 28,000 hommes, dépourvus de tout et en pleine désorganisation avant de s'être trouvés en contact avec l'ennemi.

Je ne cite à regret cet exemple de fatale mémoire que parce qu'il devrait nous servir d'utile leçon. Il devrait nous ouvrir les yeux pour nous faire éviter un semblable écueil.

Quel était le vice essentiel, radical de notre organisation actuelle ? Nous avons constamment prétendu qu'il consistait dans l'insuffisance de la durée du séjour sous les drapeaux et de l'effectif des corps. Nous disions qu'un tel état de choses était préjudiciable à l'apprentissage du soldat, à l'esprit militaire, première force des armées, et enfin incompatible avec une bonne organisation.

Lacommission a partagé complètement cet avis. Elle a en conséquence proposé comme minimum de la durée du service deux ans et demi. Dans le budget, qui sera le corollaire de l'organisation en discussion, le gouvernement a-t-il tenu compte de l'avis de la commission ? Je n'hésite pas à répondre négativement, et je vais vous prouver combien est fondée mon opinion. Deux années et demie de service emportent avec elles deux contingents et demi, soit 25,000 hommes. A ce.chiftre il faut ajouter les volontaires, ainsi que les cadres des sous-officiers et caporaux ; ils s'élèvent ensemble au-delà de 16,000 hommes. Ces deux chiffres réunis représentent 41,000 hommes.

Voilà quel devrait être l'effectif des sous-officiers, caporaux et soldats, afin que l'armée répondît aux vrais principes constitutifs, proclamés par nous depuis longtemps et confirmés en définitive par la grande commission.

Il est hors de doute qu'un budget de 32 millions sera insuffisant pour couvrir l'entretien de ces 41,000 hommes, plus celui des officiers de corps, de l'état-major et des établissements militaires.

C'est un budget de quarante et un millions qu'il vous faudra. Qu'arrivera-t-il ?

M. le ministre de la guerre se trouvera à l'instant dans l'alternative de nous demander une augmentation de budget ou bien de porter forcément atteinte aux principes de la commission comme étant absolument indispensable.

Il devra inévitablement abréger la durée du séjour sous les drapeaux et diminuer l'effectif des corps. Nous rentrons aussitôt dans les errements de l'organisation de 1845, que notre section centrale a également constatés dans son rapport ; nous annihilons l'armée ; nous rendons improductifs les sacrifices que le pays s'impose pour ses moyens de défense ; nous exposons l'honneur national et militaire de la Belgique aux plus graves périls dans un avenir, qui, je le crains bien, n'est peut-être pas très éloigné. Mon assertion est de tous points incontestable. Elle détruit de fond en comble tout ce qu'on a pu dire de spécieux en faveur de la nouvelle organisation. Celle-ci n'a d'ailleurs rien de rationnel.

Pourquoi une organisation des cadres au lieu d'une organisation des corps, avec l'effectif de paix en regard de l'effectif de la guerre, comme cela se pratique dans tous les autres pays, même dans ceux qui ne jouissent pas d'institutions libres ? Une organisation, telle qu'on nous la propose, ne peut vraiment pas être considérée comme sérieuse. En principe, j'approuve la formation d'une réserve ; mais, pour qu'elle soit réelle, efficace, il faut, à l'exemple de la Prusse, la rappeler périodiquement sous les armes. C'est une autre dépense, dont on ne rencontre aucune trace dans le projet de budget.

Je laisse à l'écart toutes les questions de détail ; elles ont, selon moi, une importance trop secondaire, en présence des considérations générales que je viens de vous soumettre et qui me paraissent dominer toute la question.

Je ne m'attache qu'aux grands principes reconnus comme règle organique de rigueur par l'unanimité des célébrités militaires de toutes les nations qui nous entourent. J'aborde une autre question non moins importante, elle mérite aussi notre attention. Quel motif a pu déterminer le gouvernement et la commission à nous proposer de porter à 100,000 hommes le chiffre de l'armée : 60,000 hommes pour tenir la campagne, et 40,000 hommes pour la garde des places ? J'ai à cœur autant que qui que ce soit la nationalité, l'indépendance, la sécurité de mon pays. Je place son honneur national au-dessus des questions d'argent, j'accéderai à toutes dépenses dont l'utilité me sera démontrée. Cela ne m'empêche pas de penser avec mon honorable collègue M. Thiéfry, que jamais la Belgique, livrée à elle seule, ne pourra arrêter une invasion française.

Des 1842 des publicistes français distingués ont traité la question de notre neutralité et de la nécessité pour la France d'occuper sur-le-champ notre pays à la première conflagration. Ils étaient unanimes pour une occupation par surprise.

L'absence de frontières naturelles et l'organisation de notre armée justifient ce projet.

Dans la zone qui avoisine notre frontière du midi et sur une profondeur de vingt lieues, la France entretient une force de 30,000 à 50,000 hommes.

Ses bataillons et ses escadrons ont sur le pied de paix un effectif qui leur permet d'entrer en campagne dans les 24 heures, alors qu'il s'agit d'une attaque par surprise. Ces 50,000 hommes peuvent endéans 48 heures franchir notre frontière et se jeter au milieu des débris de nos corps. Nos permissionnaires ne parviendraient pas à rejoindre ceux-ci au milieu du désordre épouvantable qu'une pareille attaque, fondant à l'improviste, produirait dans le pays. Admettons même hypothétiquement que nos permissionnaires aient le temps de rejoindre et que l'armée puisse se concentrer, où trouverons-nous les 6,000 à 7,000 chevaux nécessaires pour compléter nos escadrons et nos batteries, pour organiser les ambulances, les trains d'équipages, le parc d'artillerie, etc., etc. ? Envisagée à ce point de vue, notre organisation militaire est jugée depuis longtemps à l'étranger, comme chez nous, par tous les hommes qui ont voulu approfondir le sujet.

Une pareille organisation est compatible avec des territoires couverts par des frontières naturelles, flanqués par de grandes puissances ; tels sont ceux de la Bavière et de la Saxe, tel est encore celui du Piémont, couvert du côté de la France par les Alpes ; mais elle est incompatible avec un territoire comme le nôtre, dépourvu de frontières naturelles et n'ayant qu'une profondeur de deux à trois marches. En cas d'agression du côté de la France, la Prusse, notre alliée la plus rapprochée, se verra, par prudence obligée d'abandonner la rive gauche du Rhin, elle se concentrera sur la rive droite, en attendant ses alliés d'Autriche et de Russie, à moins de s'aventurer seule contre la France et de s'exposer à une seconde bataille de Iéna.

Il résulte de ce qui précède qu'en cas de surprise par la France, la Belgique se trouvera momentanément isolée. Les vices organiques de notre armée ne lui permettront de se présenter à l'ennemi, dès le début, qu'en état de véritable désorganisation. Les chevaux nécessaires pour compléter l'effectif de l'artillerie et de la cavalerie nous feront défaut, comme je l'ai dit tout à l'heure ; en outre, les permissionnaires qui pour la plupart auront passé 4, 5, 6 et 7 1/2 ans dans leurs foyers rejoindront leurs corps avec le dégoût que leur inspireront naturellement un service et une discipline dont ils auront perdu l’habitude.

(page 1344) Conséquemment, plus l'effeciif en campagne sera nombreux, plus aussi les éléments de désorganisation seront nombreux. Il ne faut pas être militaire pour comprendre qu'il serait contraire aux plus simples notions de l'art de la guerre de s'engager dans une action décisive avec un ennemi supérieur soit par le nombre, soit par la qualité de ses troupes. Partant de là, il est évident que le parti le plus sage pour nous, c'est de restreindre notre effectif de guerre, de renforcer celui du pied de paix, de manière à nous mettre en mesure deparer à toutes les éventualités.

A propos d'éventualités, on semble les comprendre fort peu.

Chaque fois qu'il s'agit des services à rendre par l'armée, on se place dans des situations plus ou moins avantageuse. Cependant pour organiser une armée, comme elle doit l'être, il faut, au contraire, la tenir prête contre les chances les plus défavorables. Les temps où les hérauts d'armes allaient solennellement dénoncer la guerre, sont loin de nous, l'histoire moderne nous apprend que les guerres par surprises sont devenues les plus fréquentes. C'est donc à ce genre d'attaque plutôt qu'à tout autre que nous devons nous attendre. Les campagnes de 1805 et de 1809 en Autriche, celle de 1806 en Prusse, celle de 1808 en Espagne, celle de 1812 en Russie et la campagne de 1831 en Belgique, n'ont été précédées d'aucune déclaration de guerre.

Les vices de l'organisation de 1845 et de celle proposée aujourd'hui, que j'ai signalés tout à l'heure ont-ils échappé à l'attention du gouvernement ? Non, messieurs, cela n'est pas possible. Quel est dès lors le but ? Je le dirai franchement et sans détour, il n'est, il ne peut être que de faire servir l'armée, telle qu'on la projette, à une démonstration politique, à imposer au dehors. La Belgique possède une armée de 100,000 hommes ! C'est là sans doute une grande et imposante assertion ; mais à notre époque de publicité, elle ne fera illusion qu'à nous-mêmes : nous en serons les seules dupes.

Je ne puis me dispenser de dire un mot d'une question qui se lie intimement à celle dont nous nous occupons. Je veux parler du plus lourd de tous les impôts, c'est celui du sang. Le pays avait l'espoir de voir alléger cette charge, excessivement onéreuse pour les familles, et c'est précisément le contraire que l'on vous demande de faire. On veut que nous augmentions de deux ans le terme de huit ans déjà trop long.

La nouvelle disposition, présentée par le gouvernement et modifiant le projet primitif, n'est qu'un palliatif. On majore le terme de service de deux ans ; pour moi cela est clair et positif. A titre de concession, l'ou consent de donner à la chose un autre nom. Le gouvernement, au lieu de dire : « Je reltens les miliciens deux ans de plus sous les drapeaux, » dira : « Je retarde de deux ans la liquidation de la masse des miliciens, bien entendu qu'ils recevront seulement alors leur congé et que je pourrai même les rappeler quand bon me semblera. » Je déclare repousser ce système avec toute l'énergie dont je suis capable.

Je terminerai, messieurs, en vous exprimant un regret. Le pays et l'armée attendaient avec impatience la solution de la grande question que nous agitons actuellement. Si le projet de loi en discussion est adopté, loin d'établir notre organisation militaire d'une manière durable et définitive, vous rejetterez l'armée dans la perspective prochaine d'un nouveau remaniement. Cela arrivera aussitôt que les chances de guerre, dont l'Europe est menacée, auront disparu. Toute notre situation militaire sera remise en question parce qu'elle sera anormale. La loi de 1845 aura duré 8 ans. Je doute fort que ceile-ci dure aussi longtemps.

M. Renard, commissaire du Roi. - Messieurs, je ne rentrerai pas dans la discussion générale. Je tiens seulement à rectifier les chiffres que vous a donnés l'honorable préopinaut.

Il vous a dit : Le budget de 32,190,000 fr. n'est pas l'expression de l'organisation. Après avoir rappelé que la durée de service est portée à deux ans et demi, il fait le calcul suivant : Il faudra deux classes à 10,000 hommes et une demi-classe à 5,000 hommes, cela fait 25,000 hommes. Il ajoute à cette somme 16,000 hommes pour les cadres ; cela fait 41,000 hommes.

Mais, messieurs, ce n'est pas ainsi que les choses se passent : on lève un contingent de 10,000 hommes, c'est vrai, mais on ne les incorpore pas tous et de plus il y a des non-valeurs, des pertes annuelles, il y a un déchet de 400 à 500 hommes, dont il faut tenir compte. En outre les cadres inférieurs, tels qu'ils existent, ne montent pas à 16,000 hommes, mais à 13,221.

De sorte que les 41,000 hommes de l'honorable M. Pierre se réduisent à 37,491.

Voici, du reste, le jeu de ces classes :

Au lieu de 10,000 hommes la première classe fournit 9,814 hommes, la deuxième est réduite à 9,422 hommes ; la demi-classe donne 4,388 hommes. Si vous ajoutez à cela les volontaires et les cadres inférieurs, à savoir : 13,521, de plus 646 hommes de la quatrième classe incorporés dans les régiments de cavalerie, ou arrive au chiffre de 37,491 hommes sans les officiers. C'est ce qui est indiqué dans le budget.

Vous voyez donc, messieurs, que le budget présenté est bien la conséquence de l'organisation proposée.

M. Dumortier. - Messieurs, en entendant le discours de l'honorable député de Virton, qui vient de se rasseoir, je croyais qu'il allait conclure d'une manière diamétralement opposée à celle dont il a conclu.

Je pensais qu'en présence de l'insuffisauce qu'il a signalée dans nos moyens de défense, il allait demander au gouvernement de faire plus encore pour la défense de la patrie. J'ai été trompé dans mon attente, et je dois dire que j'ai trouvé la conclusion de l'honorable membre parfaitement illogique, en présence des désastres qu'il a signalés dans le passé et dont il craint le retour dans l'avenir.

En effet, messieurs, l'honorable membre a parlé de la malheureuse époque du mois d'août 1831. Eh bien, je n'examinerai point quelles ont été toutes les causes du désastre qui pèse encore si fort sur mon cœur, mais je dois dire à la chambre que parmi les causes qui y ont été assignées, il en est une que, dans ce moment solennel, nous ne devons point oublier et que plusieurs historiens ont fait ressortir, peut-être non sans raison, c'est que cette illustre assemblée du Congrès national, si grande, si patriotique en toutes choses, avait mis un peu trop d'économie dans la question de l'armée.

Eh bien, messieurs, ne suivons pas cet exemple aujourd'hui, alors surtout qu'on rappelle à vos souvenirs une page que nous voudrions tous voir disparaître de l'histoire de notre pays.

Messieurs, il y a trois positions pour une armée et non pas deux, comme on l'a dit : il y a l'état de paix, l'état de guerre : mais aussi il existe une position intermédiaire, c'est l'état d'expectative. Maintenant cet état d'expectative n'est-il pas justifié par la situation actuelle de l'Europe ?

Evidemment, messieurs, si vous jetez les yeux sur ce qui s'est passé depuis cinq années, si vous jetez les yeux sur la situation actuelle du continent, vous verrez que l'état d'expeclalive est celui que la nécessité et la prudence la plus vulgaire prescrivent, celui qui est commandé par les plus chers intérêts du pays.

Je conçois que de 1840 à 4848, à la suite de l'état de guerre avec la Hollande, dans lequel nous nous étions trouvés pendant 10 ans, et en présence de la paix profonde dont jouissait l’Europe et que rien ne paraissait menacer ; je conçois qu'alors on pût demander, sans crainte de compromettre l'existence nationale, des réductions sur le budget de la guerre ; mais ce que je ne conçois pas, c'est que depuis 1848, depuis l'époque où le pays a été menacé par le fait des grands mouvements survenus en Europe, ce que je ne conçois pas, c'est qu'on ait pu depuis cette époque, où l'on devait entrer, précisément, dans la période d'expectative, qu'on ait pu vouloir diminuer le budget de la guerre et qu'aujourd'hui encore on persiste dans ce système.

Eu effet, messieurs, avant 1848, l’Europe entière était en paix. La paix européenne, sur quoi reposait-elle principalement ? Sur l'alliance intime entre la France et l'Angleterre, alliance dont la famille royale de Belgique était le nœud. Cette alliance nous rassurait complètement sur le maintien de la paix.

Etes-vous encore dans cette situation ? Avez-vous encore le beau-père de votre reine chérie sur le trône de France ? Non, messieurs, cet état de choses n'existe plus. Au royaume de France a succédé uac république menaçante, et la république, par le vœu des Français, est devenue un empire, et vous savez, messieurs, la distance qu'il y a entre un empire et un royaume, surtout dans le pays auquel je fais allusion.

Je pense donc que la prudence la plus vulgaire doit nous faire comprendre que nous ne sommes plus aujourd'hui dans la position de 1845 ou de 1846 et que le besoin de la nationalité exige de nous des sacrifices que nous devons faire immédiatement et sans hésiter un seul instant

Eh ! messieurs, serions-nous donc moins patriotes que les législatures qui se sont succédé dans les premières années de notre émancipation politique ?

Mais que demandait-on alors pour le budget de la guerre ? Interrogez le Bulletin des Lois, examinez les crédits votés à cette époque pour la défense nationale, et vous verrez combien, aujourd'hui, nous sommes loin encore de ces sacrifices qu'on votait alors sans discussion, par acclamation, avec enthousiasme.

En 1831, le budget de la guerre, qui n'était d'abord que de 51 millions de francs, fut porté, par des crédits successifs, à 75 millions, et ces crédits furent votés à l'unanimité.

En 1832, les crédits supplémentaires portèrent les dépenses de l'armée à 75 millions de francs.

En 1833, la chambre voulut reprendre les hostilités contre la Hollande et, contrairement à la volonté du gouvernement, elle vota par la loi du 19 avril un budget de 66 millions de francs.

Alors est venue la convention provisoire avec la Hollande ; la Belgique a-t-elle désarmé ?.Non, messieurs, et en 1834 le budget de la guerre était de 38 millions ; il était en 1835 de 39 millions, en 1836 de 37 millions, en 1837 de 41 millions, en 1838 de 42 millions et en 1839 de 43 millions, non compris 5 millions de crédit supplémentaire.

Voilà, messieurs, la position que prenait alors la Belgique, la position que prenait alors le patriotisme de la chambre. Il ne s'agissait pas de se battre immédiatement, mais il s'agissait de maintenir une armée forte, une armée puissante, en présence de la possibilité d'une invasion étrangère ; mas aussi, à cette époque, le patriotisme dominait sans partage et la lutte des partis n'était point encore venue affaiblir le sentiment public.

Eh bien, je vous le demande, auriez-vous moins de patriotisme que nos devanciers ? Non, messieurs, vous voterez la dépense qui nous est demandée par le gouvernement, parce que ce chiffre est le minimum des sacrifices qui soient imposés à la patrie dans les circonstances où se trouve l'Europe.

La mise sous les armes de 100,000 hommes est-elle donc exagérée ? J'examine encore les précédents de la chambre à l'époque de patriotisme dont je viens de parler. Que s'est-il passé dans les premières années de notre émancipation politique, lorsqu'il s'agissait d'entrer en lutte avec la Hollande ? Etait-il question alors de discuter sur une armée de 80,000 ou de 100,000 hommes ? Nous avions sous les armes 110,000 hommes, et cette levée était votée avec la même unanimité.

Eh bien, je le répète, lorsque la chambre a montré, à cette époque, un aussi ardent patriotisme, votre devoir, et vous n'y manquerez pas, est de suivre l'exemple de vos devanciers et de préparer le pays à toutes les éventualités qui pourraient compromettre son existence nationale.

Il ne faut pas que, dans une question pareille, le culte des intérêts, quelque respectable qu'il soit, puisse primer le culte du patriotisme.

Oh ! quand il s'agit de travaux publics, des intérêts matériels, on a de l'argent, et l'on n'en aurait pas pour défendre son pays, alors que pour cet intérêt sacré il faudrait sacrifier son dernier sou ! Ah ! ne marchandons pas notre indépendance, car nous nous montrerions indignes de conserver une nationalité qui nous a coûte tant de sacrifices.

Messieurs, je viens de vous citer les précédents de la chambre, et cette page glorieuse de son histoire ; je ne doute pas que ces précédents ne produisent quelque impression sur vos esprits. Oui, messieurs, à cette grande époque, toute de patriotisme, alors que la Belgique n'était pas encore divisée en partis ; à cette époque on votait sans opposition et avec enthousiasme tous les crédits que le gouvernement demandait pour mettre la patrie en mesure de résister contre l'étranger.

Maintenant, ceux des membres de cette chambre qui, il y a deux ans, ont réclamé l'enquête, sont en quelque sorte engagés par un vote à accepter les conclusions de la grande commisson militaire ; mais nous qui nous sommes opposés à l'enquête, de crainte qu'elle ne bouleversât notre établissement militaire, nous devons admettre le chiffre qui nous est demandé. Indépendamment des considérations toutes patriotiques qu je viens de faire valoir, il y a un motif bien grave qui doit nous engager à prendre cette attitude : c'est qu'on avait alors mis en suspicion notre patriotisme et qu'on nous avait mis en défiance vis-à-vis du pays, en proclamant équivoque et dangereux l'appui que nous prêtions au pouvoir pour ce grand intérêt national. Nous devons donc aujourd'hui, par un vote unanime, protester contre un soupçon des plus injustes et d'autant plus inique qu'il s'attachait à notre patriotisme.

Ainsi, notre loyauté à nous qui nous sommes opposés à l'enquête, nous impose le devoir de voter la loi que nous présente le gouvernement, et qui, en définitive, n'est qu'une amélioration apportée aux moyens de défense du pays, à laquelle le parti conservateur a toujours prêté l'appui franc, désintéressé, inébranlable de ses votes.

Messieurs, j'ai entendu avec surprise l'honorable préopinant venir contester en quelque sorte la possibilité pour notre pays de se défendre contre l'étranger ; ces paroles, je dois le dire, je les ai entendues avec une profonde douleur...

M. Pierre. - Je n'ai pas dit cela.

M. Dumortier. - Voici ce que vous avez dit, j'en ai pris note : ' « Jamais la Belgique, abandonnée à ehe seule, ne pourra arrêter une invasion française. »

M. Pierre. - Je maintiens mon assertion.

M. Dumortier. - Je dis que ces paroles sont au moins excessivement imprudentes, et je ne les ai entendues qu'avec une profonde douleur ; si la chambre pouvait s'associer à une pareille doctrine, si vous professez cette mauvaise pensée, savez-vous ce qu'il vous resterait à faire ? Allez à la frontière et inscrivez-y en face de l'étranger : Pays à vendre, pays à louer.

Messieurs, je dis d'abord que la Belgique ne serait pas seule dans une lutte européenne, que la neutralité qui nous a été imposée a fait contracter à toutes les puissances l'obligation de la maintenir.

Mais la Belgique fût-elle même seule, nous pourrions encore nous défendre avec courage.

Eh quoi ! avez-vous oublié les précédents de notre histoire ? Avez-vous oublié qu'en 1815, à la bataille des Quatre-Bras 8,000 Belges arrêtèrent le corps d'armée de 40,000 Français commandé par le maréchal Ney ? Ne perdez pas de vue ces précédents, et ne venez pas sonner le tocsin d'alarme dans l'assemblée des représentants de la nation.

Ah, si le patriotisme a pu s'affaiblir dans les luttes politiques, jusqu'à faire marchander notre indépendance, il est encore vivace dans le cœur des braves et au besoin vous retrouveriez dans chacun de nos officiers et de nos soldats le même dévouement, le même courage qu'à la bataille de Waterloo.

Quant à moi, j'ai une tout autre confiance dans le patriotisme de nos soldats et de tous nos citoyens. Je demeure convaincu que, si nos frontières étaient menacées, par un seul d'entre eux ne manquerait à la défense du pays et serait prêt à verser son sang pour le Roi et la patrie.

Rappelez-vous, messieurs, ce qui s'est passé en 1839, lorsqu'il fut question de reprendre les hostilités contre la Hollande. Oh ! alors nous avions sous les armes une levée, non pas de dix, mais de treize années, puisque celle de 1826 y était encore comprise.

Et qu'avons-nous vu alors ? Quand on rappela les miliciens, pas un 6eul ne manqua de se rendre immédiatement sous les drapeaux, et jamais troupes plus belles et plus animées ne furent mises sur pied pour résister à l'ennemi.

Je crois donc que nous ne devons pas ici décourager nos soldats par des paroles inconsidérées ; nous ne devons pas les mettre en présence d'une impossibilité qui ne peut exister qu'en théorie et qui n'existe pas en réalité.

J'ai montré les funestes conséquences de ce système qui prétend amener des économies en cette matière, marchander les hommes et l'argent pour la défense nationale. Eh bien, savez-vous ce que vous auriez gagné à ce système ? Ce que vous y auriez gagné, le voici : Ces soldats que vous auriez refusés à l'armée nationale, cet argent que vous auriez marchandé à la défense du pays, vous les donneriez à l'occupation étrangère pour payer notre ruine et notre honte.

Messieurs, dans la situation actuelle du pays, il est heureux de voir que, dans cette chambre, une grande majorité se préparc en faveur du projet de loi. Pour moi, qui, craignant la rapidité des événements et la désorganisation possible de notre armée, me suis fortement opposé à la nomination de la commission d'enquête, je me félicite hautement du résultat qu'elle a amené, parce que de là est sorti un examen beaucoup plus approfondi de notre établissement militaire, et que la chambre se trouve à même d'émettre un vote éclairé sur la question qui lui est soumise.

Comme l'a dit hier l'honorable député de Bruges, après notre vote, il restera encore beaucoup à faire ; il restera à faire par l'armée ; mais il restera aussi quelque chose à faire à l'intérieur.

Je dis qu'il restera quelque chose à faire à l'intérieur ; et ce quelque chose, c'est surtout d'amener l'affaiblissement des luttes de parti, luttes qu'un honorable député a malheureusement cherché à glorifier hier. Le pays peut périr, non pas seulement par une défense militaire insuffisante et mal organisée, mais encore par l'exagération des luttes de parti et l'affaiblissement de l'esprit public qu'ils engendrent. Si la Belgique est menacée de dangers d'un côté, elle l'est également de l'autre.

Car il faut à un peuple une constitution politique bien robuste pour résister à ces luttes ardentes et passionnées, alors surtout qu'elles s'attachent aux principes les plus sacrés.

Messieurs, pour mon compte, je regarde les luttes de parti, telles qu'elles ont été menées dans ces derniers temps, comme compromettant au plus haut degré notre existence nationale, surtout quand ces luttes s'engagent sur un terrain aussi vivace, aussi antinational, aussi respectable et sacré que celui où elles ne se sont que trop souvent placées.

Et j'adjure l'honorable membre qui a parlé hier des partis à vouloir bien faire entendre sa voix puissante chez les siens, afin de faire disparaître de ces luttes des partis, les questions religieuses sur lesquelles tout le monde devrait se trouver d'accord, questions qui sont nationales par excellence, aussi nationales que celle de l'armée elle-même.

Messieurs, c'est un fait incontestable que dans tout pays il y aura toujours des opinions différentes, mais les luttes des partis sont la plus grande calamité qui puisse frapper un pays menacé d'une invasion étrangère et qui, suivant l'honorable membre, peut la prévoir à quinze jours de distance.

Comment le royaume des Pays-Bas est-il tombé ? Par la lutte des partis, parce que le pouvoir s'est constitué partie contre les convictions religieuses des Belges. Comment la Pologne a-t-elle été envahie ? Parce que la lutte des partis l'avait affaiblie. Comment la Hollande, qui avait acquis une si grande puissance qu'elle dictait à Utrecht et à Munster des traités à l'Europe, est-elle tombée ? Devant les luttes des partis ; quelques régiments français ont suffi pour l'envahir. La révolution brabançonne qui avait commencé sous de si glorieux auspices, qui l'a fait tomber ? La lutte des partis, et aujourd'hui encore qui est-ce qui menace le Piémont et la Suisse ? Ce sont ces luttes de partis que l'ou vient aujourd'hui glorifier.

J'adjure la chambre de bien comprendre qu'il est urgent d'arriver à un résultat diamétralement opposé, d'arriver à l'union, la seule chose qu'on doive avoir en vue dans des circonstances comme celles où nous nous trouvons. C'est par l'union que s'est constitué notre nationalité, nous ne l'avons menée à bien qu'en restant fidèles au principe qui l'a produite ; ne nous abandonnons pas à la lutte des partis ; ce serait aller contre l'esprit qui a présidé à la constitution de notre pays, et rappelez-vous toujours que les jeunes nationalités ne se conservent et ne se consolident que par les principes qui les ont créées.

Nous ne pouvons pas être trop unis en présence de la situation où l'Europe se trouve.

Ce n'est pas trop de faire le sacrifice de nos dissentiments sur l'autel de la patrie quand elle est dans la nécessité d'augmenter ses établissements militaires.

C'est assez de prévoir les dangers qui nous menacent, sans les augmenter par des luttes intestines qui sont le premier degré de la guerre civile et où la population se fractionne en vainqueurs et en vaincus, en privilégiés et en parias.

Remarquez encore que notre pays par sa configuration et sa position géographique est toujours exposé aux agressions de l'étranger ; mais ce n'est pas une raison pour désespérer de la grande cause nationale, de notre existence politique ; il est dans les décrets de la Providence une loi qui a empêché la Belgique de perdre son existence nationale, elle est là comme le sable des dunes pour dire à l'immense Océan : Tu n'iras pas plus loin ! Nous avons pu n'avoir pas d'indépendance politique, mais notre nationalité depuis Philippe-Auguste jusqu'à Louis XIV et depuis Louis XIV jusqu'à Guillaume, notre nationalité nous l'avons gardée ; nous devons la maintenir à tout prix.

Le plus grand malheur qui puisse frapper une nation, c'est l'invasion (page 1346) étrangère. Permettez-moi de vous rappeler ici ce que je disais, il y a bien des années : Jamais je ne croirai que la Belgique disparaîtra de la carte des nations. Les grandes puissances ont intérêt à la maintenir et aussi longtemps que le drapeau brabançon flottera sur un clocher de la Belgique, aussi longtemps que je le verrai flotter sur le bastion d'une de nos forteresses, je ne désespérerai pas de l'avenir de la patrie !

- Un grand nombre de voix. - La clôture ! la clôture !

M. David (contre la clôture). - Il me semble qu'il avait été contenu qu'on entendrait tous les orateurs inscrits.

J'aurai l'honneur de répéter que peu d'orateurs adversaires du projet ont été entendus.

M. Pierre (contre la clôture). - J'avais mis des chiffres en avant ; M. le commissaire du gouvernement en a combattu une partie, il me semble naturel qu'on me permette de lui répondre ; je ne demande que quelques minutes.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - Ne conviendrait-il pas, pour simplifier le vote des articles, de poser une question de principe : celle de savoir si la loi sera faite en vue d'un effectif de 100,000 hommes.

M. de Perceval. - Sur pied de paix et comme charge permanente.

M. Manilius. - Au commencement de la discussion, M. le ministre des affaires étrangères a posé des questions pour l'ordre de la discussion ; je pense qu'elles peuvent servir pour le vote. La première question serait conçue dans ce sens : l'effectif sera-t-il de 100,000 hommes, non compris la garde civique ? (C'est entendu !)

- Plusieurs voix. - L'appel nominal.

Il est procédé au vole par appel nominal sur la question de savoir si la loi sera faite en vue d'un effectif de 100,000 hommes.

En voici le résultat :

95 membres répondent à l'appel.

72 répondent oui.

21 répondent non.

2 membres, MM. de Mérode (F.) et Coomans, s'abstiennent.

En conséquence la chambre décide que la loi sera faite en vue d'un effectif de 100,000 hommes.

Ont répondu non : MM. Clep, Closset, David, de Bronckaert, Deliége, de Perceval, de Portemont, de Ruddere, Jacques, Jouret, Lejeune, Lesoinne, Manilius, Moreau, Moxhon, Pierre, Thiéfry, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Vander Donckt et Delfosse.

Ont répondu oui : MM. Van Iseghem, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Verhaegen, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII, Visart, Ansiau, Anspach, Brixhe, Dautrebande, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouckere, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Chimay, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Muelenaere, de Naeyer, de Pitteurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Sécus, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, d'Hoffschmidt, Dumon, Dumortier, Faignart, Janssens, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Orban, Orts, Osy, Pirmez, Prévinaire, Rodenbach, Rogier, Roussel (A.), Rousselle (Ch.), Tesch, Thienpont, Vanden Branden de Reeth, Van Grootven et Van Hoorebeke.

- M. le président invite les membres qui se sont abstenus à motiver leur rétention.

M. Coomans. - Les inconvénients du mode actuel de recrutement m'ont empêché de voter pour le chiffre de cent mille hommes.

M. de Mérode. - Je me suis abstenu parce que le gouvernement a insisté d'une manière très spéciale pour le chiffre de 100,000 hommes. Pour mon compte, je ne suis pas partisan de ce chiffre. Mais ne préférant pas absolument mon opinion à celle du gouvernement, je me suis abstenu.

Discussion des articles

Article additionnel

M. le président. - La discussion est ouverte sur la disposition additionnelle suivante présentée par le gouvernement :

« Art.... En attendant la révision des lois sur la milice, le Roi pourra, en cas de guerre ou si le territoire est menacé, rappeler à l'activité tel nombre de classes congédiées qu'il jugera nécessaire à la défense du pays. Il en sera immédiatement rendu compte aux chambres.

« A l'avenir, le compte des miliciens et remplaçants avec la masse d'habillement de leur corps, ne sera apuré qu'à l'expiration des deux années qui suivront leur libération. »

M. Manilius avait proposé à cet article un amendement qui vient à tomber par suite de la décision de la chambre.

M. E. Vandenpeereboom. - Puisque le chiffre de 100,000 hommes vient d'être admis, il ne s'agit plus que d'en rendre l'application le moins dure possible. J'ai dans ce but préparé l'amendement suivant, tant dans l'intérêt des personnes, que dans celui des communes :

« Néanmoins ne seront pas soumis à cette disposition les hommes appartenant à ces classes et qui seraient mariés, ou veufs avec enfants, an moment de la promulgation de la présente loi. »

Cet amendement prendrait place entre le premier et le deuxième alinéas.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est tout à fait dans les intentions du gouvernement. M. le ministre de l'intérieur avait préparé une disposition qu'il comptait soumettre à la chambre, immédiatement après le vote de l'article.

M. E. Vandenpeereboom. - Je suis très henreux de me trouver, au moins cette fois, d'accord avec le gouvernement. Si sa rédaction est meilleure que la mienne, je m'y rallierai volontiers.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Si le gouvernement ne s'est pas, jusqu'à présent, expliqué sur l'observation qui vient d'être faite par l'honorable M. E. Vandenpeereboom, c'est qu'il attendait la décision de principe auquel l'amendement qu'on vient de présenter se rattache évidemment.

Je pense que le moment est venu de donner des explications à la chambre pour lui faire apprécier les conséquences du principe et la nature des exceptions qu'il peut comporer.

Le principe proclamé par le gouvernement est celui-ci : en cas de guerre, ou si le territoire était menacé, le gouvernement pourrait rappeler à l'activité tel nombre de classes congédiées qu'il jugerait convenable.

Je crois que ce principe ne peut être de la part de personne l'objet d'une contradiction sérieuse. S'il devait être démontré, il trouverait sa justification dans toutes les phases de notre histoire et de notre existence indépendante. Dans tous les temps, le rappel des classes libérées a été considérée comme une nécessité intéressant au premier chef la défense nationale ; et de plus, le principe que tous les hommes aptes à porter les armes pour la défense du pays, doivent les prendre dans les circonstances graves a été admis dans toutes tes législations.

Il l'a été notamment dans la législation du royaume des Pays-Bas qui décrétait la levée en masse.

Messieurs, je considère donc ce principe comme un fait hors de contestation. Puisque la chambre est de cet avis, j'indiquerai les exceptions dont ce principe nous paraît susceptible.

Le gouvernement a prévu que, tout en approuvant le principe dans toute son étendue, il y avait des situations dont il faut tenir compte, notamment celle des hommes mariés et des veufs avec enfants.

A toutes les époques ou l'on a fait appel aux classes libérées, on a introduit une exception en faveur des hommes mariés. Ainsi notamment en 1831, quand la loi du 22 septembre a rappelé la classe de 1826 qui avait été congédiée par le régent, un article formel de cette loi a décidé que les hommes mariés ne feraient pas partie du rappel.

C'est en nous fondant sur la nature des choses, et sur des nécessités que tout le monde comprend que le gouvernement propose un article additionnel ainsi conçu :

« Seront dispensés du rappel les hommes qui ont contracté mariage depuis leur libération, ou dans les conditions prévues au deuxième paragraphe de l'article premier de la loi du 8 mai 1847.

« Le bénéfice de la disposition qui précède sera applicable aux hommes dont la première publication de mariage aura été affichée avant l'ordre de rappel, pourvu que le mariage s'ensuive dans les 20 jours. »

C'est encore une disposition empruntée à la législation de 1851.

« Les hommes dont il est fait mention au premier paragraphe du présent article, et qui seraient devenus veufs, jouiront de la même dispense, dans le cas où ils auraient retenu un ou plusieurs enfants de leur mariage. »

Ce sont, messieurs, des positions que la loi doit protéger contre les rigueurs d'un rappel.

Il est une autre disposition que le gouvernement a dû également introduire, toujours dans la vue de ménager des positions respectables. C'est un corollaire de la disposition première que vous a présentée le gouvernement.

Le gouvernement vous a soumis la disposition suivante :

« En attendant la révision des lois sur la milice, le Roi pourra, en cas de guerre ou si le territoire est menacé, rappeler à l'activité tel nmnbre de classes congédiées qu'il jugera nécessaire à la défense du pays. Il en sera immédiatement rendu compte aux chambres. »

Nous ajoutons :

« Les conséquences du rappel des classes libérées en ce qui concerne les obligations des remplacés et des remplaçants, seront réglées d'après les principes de la loi du 28 septembre 1831. »

Cette dernière loi, comme conséquence de celle du 22 septembre qui avait rappelé la classe libérée de 1826, a fixé les obligations des remplaçants et des remplacés d'une manière équitable. Nous proposons d'en appliquer les principes à la loi actuelle. En deux mots, nous étendons au rappel qui vous est proposé les exemptions de la loi de 1831.

- Un membre. - C'est tout un code de milice.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - On ne comprend pas bien la portée de ces dispositions. Elles sont fort simples. Oa dit : C'est tout un code de milice. Il n'en est rien. C'est pour éviter à la chambre d'entrer dans l'examen des dispositions de la loi sur la milice qu'on ne peut discuter en ce moment, qu'on vous propose de rendre applicables au cas qui se présente les exemptions de la loi de 1831.

(page 1347) M. E. Vandenpeereboom. - Messieurs, je ne crois pas que j'ai eu tort de présenter mon amendement, puisque le gouvernement ne nous avait fait connaître ses intentions qu'après le dépôt de ma disposition additionnelle.

Du reste, comme la proposition du gouvernement est plus compliquée que celle que je présente, je crois qu'il conviendrait de décider l'impression de l'une et de l'autre et d'en remettre la discussion à demain.

M. Rogier. - Messieurs, il est impossible de voter sans examen les dispositions qui viennent d'être présentées. Je crois que tout le monde est d'accord sur la nécessité d'apporter le plus d'adoucissements possible, sans nuire à la force organique de l'armée, dans le service de la milice. Nous sommes saisis d'un projet de loi sur le recrutement.

Les dispositions qu'on propose trouveraient mieux leur place dans ce projet que dans une loi relative à l'organisation des cadres de l'armée. Il n'y a pas de péril en la demeure. Le moment n'est pas venu pour les dernières classes d'être retenues au-delà de leurs huit années. Ainsi sous ce rapport il n'est pas nécessaire de faire entrer dans la loi d'organisation ces diverses dispositions.

Il peut arriver qu'il se présente encore d'autres adoucissements à introduire dans la loi.

Je crois que la chambre sera unanime pour introduire dans la loi toutes les modifications qui, sans nuire au service, pourraient cependant dégrever les citoyens qui sont appelés aujourd'hui à un surcroît de service.

Je demande donc que ces dispositions soient discutées séparément du projet de loi et fassent même l'objet d'une loi spéciale, si l'on ne veut pas renvoyer leur examen à la discussion du projet de loi sur le recrutement.

Je crois que leur place serait mieux là, et, je le répète, il n'y a aucune nécessité de voter immédiatement ces dispositions ; elles ne sont en aucun point applicables aujourd'hui.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, il n'y a aucune difficulté à ce que la section centrale examine les dispositions additionnelles que nous proposons ; ais il y en aurait beaucoup à les ajourner jusqu’à la discussion du projet de loi sur le recrutement, qui ne peut faire en ce moment l’objet de vos délibérations. Il y a certainement beaucoup d’autres points encore à régler.

Mais le gouvernement se borne pour le moment à vous proposer les mesures qui peuvent concerner les hommes auxquels il devrait être fait appel, si l'armée était portée à l'effectif de 100 mille hommes.

Or, ce cas arrivant, il serait possible que le gouverneront se trouvât en présence d'une loi dont il ne pourrait assurer l'exécution à défaut d'une mesure qui concerne une catégorie d'hommes à rappeler sous les armes.

Je crois, messieurs, que les dispositions que nous vous proposons et qui concernent les points principaux dont le gouvernement avait à se préoccuper, sont tellement simples, qu'elles pourraient faire l'objet d'un vote très prompt, si la section centrale était priée de s'en occuper d'ici à demain.

M. Rousselle. - Messieurs, j'ai peu de chose à ajouter à ce que vient de dire l'honorable ministre, pour faire comprendre à la chambre que la proposition doit d'abord être imprimée, soumise à la section centrale et faire l'objet d'un examen de la chambre dans la séance de demain.

Messieurs, les dispositions présentées ne peuvent être renvoyées ni à une loi spéciale ni à la loi sur la milice ; elles sont le corollaire indispensable de l'autorisation que nous donnons au gouvernement de rappeler les classes libérées. Il faut que le droit de faire ce rappel soit accompagné d'adoucissements pour les miliciens mariés et pour ceux qui sont dans les autres positions indiquées par M. le ministre.

Je demande donc que la proposition soit imprimée et que la section centrale nous fasse un rapport dans la séance de demain.

M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je ne m'opposerai pas au renvoi à la section centrale.

Cependant je crois qu'il n'amènera pas grand résultat. Il n'est pas question en ce moment-ci du mode de recrutement ; la loi sur le recrutement est une loi dont la discussion peut nous mener fort loin, et personne ne peut dire que cette loi sera discutée et approuvée dans la session actuelle.

Je ne partage pas l'opinion d'un honorable préopinant qui a dit que nous n'avons peut-être pas quinze jours de paix devant nous ; je ne suis pas du tout un alarmiste ; je trouve que la position actuelle ne diffère guère de celle que nous occupons depuis cinq ans et je pense que nous la conserverons encore pendant quelques années ; mais je me rappelle toujours le proverbe « si vis pacem para bellum. » Eh bien, puisque nous faisons une loi pour nous préparer à la guerre, il faut la faire complète, mais indépendamment de tout système de recrutement.

Ce que l'on propose est une chose fort simple : c'est absolument ce qui a été fait en 1831. On propose de donner dès aujourd'hui au gouvernement la faculté de rappeler les miliciens congédiés aux mêmes conditions qui ont été établies dans la loi de 1831.

Si vous admettez l'amendement de M. le ministre des affaires étrangères, il faut vouloir la conséquence de cet amendement : c'est que les hommes mariés depuis leur libération, c'est que les hommes veufs ayant des enfants depuis leur libération ne seront pas rappelés avec ceux qui ne se trouvent pas l'un de ces cas, c'est que ceux dont la première publication de mariage a été faite avant le rappel et qui se marieront dans les quinze jours seront également exempts.

Voilà tout ce qu'on demande. C'est absolument ce qui a été adopté en 1831.

M. Lebeau. - Je ferai remarquer, messieurs, que le vote qu'on émettrait sur les propositions dont il s'agit serait nécessairement sujet à révision, puisque ce sont des amendements. D'ici au second vote les membres de la chambre auront le temps d'examiner les dispositions qui auront été adoptées, et de préparer les modifications qu'ils croiraient devoir proposer.

L'honorable M. de Brouckere, qui a une parfaite connaissance du précédent qu'il a rappelé, puisque c'est sous son administration que ce précédent a été posé, l'honorable M. de Brouckere a prouvé que ce que M. le ministre propose est la reproduction pure et simple de ce qui a existé dans des circonstances analogues.

Je ne vois pas dès lors, messieurs, la nécessité de renvoyer à la section centrale, et je demande que la chambre vote immédiatement.

- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

M. le président. - Je suppose que M. E. Vandenpeereboom retire son amendement puisqu'il y est fait droit par la proposition du gouvernement ?

M. E. Vandenpeereboom. - Les propositions du gouvernement remplissent mon but : je retire mon amendement.

M. Malou. - Autant que j'ai pu en juger par une simple lecture, il y a une différence entre les deux propositions ; l'amendement de M. Vandenpeereboom suppose que le milicien marié ou veuf avec enfants est exempt, qu'il ait ou non apuré sa dette à la masse, tandis que, d'après l’amendement de M. le ministre de l'intérieur, si je l'ai bien compris, il en serait autrement. (Interruption.)

Je demande que M. le ministre veuille bien préciser le sens de son amendement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - La réponse à la question posée par l'honorable M. Malou se trouve dans la dernière disposition des propositions du gouvernement ; il en résulte que les miliciens congédiés peuvent se marier sans avoir apuré leur compte à la masse.

M. E. Vandenpeereboom. - Puisqu'il y a quelque incertitude sur le mode d'application du principe, dont j'ai proposé l'adoption, je crois que le plus sage serait d'ordonner l'impression des amendements et de renvoyer la discussion à demain.

M. Tesch. - J'appuie la proposition de l'honorable M. Vandenpeereboom. Il est indispensable, pour apprécier de semblables dispositions, d'avoir le texte sous les yeux.

Je demande que les amendements soient imprimés et distribués, et la discussion renvoyée à demain.

- La chambre, consultée, ordonne l'impression des amendements et renvoie la discussion à demain.

M. le président. - Voici un amendement de M. Thiéfry à l'article 3 :

« Art. 3. L'organisation intérieure des corps est réglée par arrêté royal. La moyenne annuelle de l'effectif des unités, en temps de paix, ne pourra pas être en dessous des chiffres suivants :

« Le bataillon dans l'infanterie active, 465 hommes

« L'escadron de cavalerie, 130 hommes et 115 chevaux.

« La batterie à cheval, 137 hommes et 133 chevaux.

« La batterie montée, 98 hommes et 65 chevaux.

« La batterie de siège, 73 hommes.

« Le bataillon du génie, 780 hommes. »

M. Thiéfry aura la parole pour développer cet amendement lorsque nous en serons à l'arti le 3.

Article premier

Nous avons maintenant l'article premier du projet de loi. Il est ainsi conçu :

« Art. 1er. L'état-major général de l'armée et les états-majors particuliers, aussi bien que les cadres d'officiers des troupes de diverses armes, seront, à l'avenir, divisés en deux sections, savoir : la section d'activité et la section de réserve. »

- Cet article est mis aux voix et adopté.

Article 2

M. le président. - Voici l'article 2 :

« Art. 2. Ces sections se composeront, sur le pied de paix, du nombre d'officiers déterminé ci-après, savoir :

« Section d’activité

« Etat-major général :

« Lieutenants généraux, 9

« Généraux-majors, 18.

« Etat-major :

« Colonels, 3

« Lieutenants-colonels, 3

« Majors, 6

« Officiers subalternes, 40.

« Etat-major des provinces :

« Commandants de province, 5.

« Etat-major des places :

« Commandants de première classe : 3

« Commandants de deuxième classe : 12

« Commandants de troisième classe : 6

« Adjudants de place (dont 3 ayant le grade de major) : 35.

(page 1348) « Personnel du service de l'intendance : 1.

« Intendant en chef, 1

« Intendant en chef de première classe, 1.

« Intendant en chef de deuxième classe, 4

« Sous-intendants de première classe, 8

« Sous-intendant de deuxième classe, capitaines quartiers-maîtres et officiers payeurs, capitaines et lieutenants administrateurs d'habillements, 127.

« Personne du service de santé.

« Inspecteur général, 1

« Médecin en chef et médecins principaux, 4

« Médecins de garnison, 7

« Médecins de régiment, de bataillon et adjoints, 115

« Pharmacien principal, 1

« Pharmaciens de première, deuxième et troisième classes, 30

« Inspecteur vétérinaire, 1

« Vétérinaires de première, deuxième et troisième classes, 27.

« Infanterie :

« Colonels, 16

« Lieutenants-colonels, 16

« Majors, 82

« Officiers subalternes, 1,298.

« Cavalerie :

« Colonels, 7

« Lieutenants-colonels, 7

« Majors, 19

« Officiers subalternes, 277.

« Artillerie et train.

« Etat-major :

« Colonels, 4

« Lieutenants-colonels, 5

« Majors, 5

« Officiers subalternes, 14

« Gardes d'artillerie, 24

« Commandants d'artillerie en résidence, 9.

« Troupes :

« Colonels, 4

« Lieutenants-colonels, 4

« Majors, 12

« Officiers subalternes, 217.

« Génie.

« Etat-major :

« Colonels, 3

« Lieutenants-colonels, 5

« Majors, 5,

« Officiers subalterns, 47.

« Troupes :

« Colonel, 1

« Lieutenant-colonel, 1

« Majors, 2

« Officiers subalternes, 43.

« Section de réserve

« Lieutenants-généraux, 2

« Généraux majors, 4. »

M. le président. - Par suite du vote de la chambre sur la question de principe, la proposition de la section centrale est venue à tomber ; reste donc l'article proposé par le gouvernement.

- Cet article est mis aux voix et adopté.

Article 3

« Art. 3. L'organisation intérieure des corps est réglée par arrêté royal ; il en est de même de l'effectif du pied de paix. »

M. le président. - M. Thiéfry a proposé à cet article l'amendement suivant :

« L'organisation intérieure des corps est réglée par arrêté royal. La moyenne annuelle de l'effectif des unités, en temps de paix, ne pourra pas être en dessous des chiffres suivants :

« Le bataillon dans l'infanterie active, 465 hommes

« L'escadron de cavalerie, 130 hommes et 115 chevaux.

« La batterie à cheval, 137 hommes et 133 chevaux.

« La batterie montée, 98 hommes et 65 chevaux.

« La batterie de siège, 73 hommes.

« Le bataillon du génie, 780 hommes. »

M. Thiéfry. - Messieurs, je pense qu'il conviendrait que cet amendement fût imprimé, pour qu'on put l'examiner à loisir. (Oui ! oui !)

- L'amendement sera imprimé et distribué. La discussion de l'article 3 et de l'amendement est remise à demain.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere) (pour une motion d’ordre). - Messieurs, maintenant que le principe de l'effectif de 100,000 hommes sur pied de guerre, et de la loi des cadres a été adopté par la chambre, au moins article par article, et en attendant le vote définitif, je demanderai à la chambre de vouloir bien décider que les sections s'occuperont dès demain du budget de la guerre qui est la loi d'application du principe que vous venez de voter.

- La proposition de M. le ministre des affaires étrangères est mise aux voix etadoplée.

La séance est levée à 4 heures moins un quart.