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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 11 mai 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1351) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

La séance est ouverte.

M. Ansiau donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces adressées à la chambre.

« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux de Forchies-Ia Marche prient la chambre d'accorder à la compagnie Lejeune la concession du chemin de fer industriel de jonction des railways du Hainaut, d'après les plans de l'ingénieur Malecot. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les électeurs de Moustier demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton et que le cens électoral différentiel soit rétabli. »

- Renvoi à la commission des pétitions du mois de mars.


« M. Maertens demande un congé, en raison de l'indisposition d'un de ses enfants. »

- Le congé est accordé.

Projet de loi sur l’organisation de l’armée

Discussion des articles

Articles additionnels

« Art. 1er. En attendant la révision des lois sur la milice, le Roi pourra, en cas de guerre ou si Is territoire est menacé, rappeler à l'activité tel nombre de classes congédiées qu'il jugera nécessaire à la défense du pays. Il en sera immédiatement rendu compte aux chambres.

« Les conséquences du rappel des classes libérées, en ce qui concerne les obligations des remplacés et des remplaçants, seront réglées d'après les principes de la loi du 21 septembre 1831. »

« Art.... Seront dispensés du rappel les hommes qui ont contracté mariage depuis leur libération, ou dans les conditions prévues au deuxième paragraphe de l'article premier de la loi du 8 mai 1847.

« Le bénéfice de la disposition qui précède sera applicable aux hommes dont la première publication de mariage aura été affichée avant l'ordre de rappel, pourvu que le mariage s'ensuive dans les 20 jours.

« Les hommes dont il est fait mention au premier paragraphe du présent article, et qui seraient devenus veufs, jouiront de la même dispense, dans le cas où ils auraient retenu un ou plusieurs enfants de leur mariage. »

« Art.... A l'avenir, le compte des miliciens et remplaçants avec la masse d'habillement de leur corps, ne sera apuré qu'a l'expiration des deux années qui suivront leur libération.

« Ces hommes cesseront d'être soumis aux obligations imposées par les lois sur la milice aux militaires non pourvus de congés définitifs. »

M. le président. - M. E. Vandenpeereboom a déclaré, je pense, renoncer à son amendement.

M. E. Vandenpeereboom. - Les propositions du gouvernement atteignant le but que je m'étais proposé, j'ai renoncé à mon amendement.

M. le président. - Il est proposé à l'art. 2 des dispositions additionnelles un amendement consistant dans un 2°ainsi conçu : « 2° Tous les hommes qui, depuis leur libération, ont droit à une des exemptions prononcées par les lois existantes.

« La députation permanente du conseil provincial prononce sur les cas de dispense du rappel. »

M. E. Vandenpeereboom. - J'aurais voulu dire quelques mots sur le droit nouveau demandé par le gouvernement et sur la position nouvelle faite aux miliciens. D'après l'article 8 de la loi du 8 janvier 1817, les miliciens ayant servi 5 ans devaient obtenir annuellement, en temps de paix, leur congé absolu.

Par la loi de 1841, la durée du service normal, qui jusque-là avait été de 5 ans, a été portée à 8 ans. Aujourd'hui l'on nous demande la faculté de rappeler les anciennes classes ; l'on va même si loin, que l'on ne détermine pas quel sera le nombre de ces classes.

En effet, l'article additionnel proposé par le gouvernement, porte : « En attendant ia révision des lois sur la milice, le Roi pourra, en cas de guerre ou si le territoire est menacé, rappeler à l'activité tel nombre de classes congédiées qu’il jugera nécessaire à la défense du pays. »

C'est évidemment là un droit nouveau que nous accordons au gouvernement, et c'est aussi une position nouvelle et empirée que nous faisons aux miliciens. Et pourquoi cette position nouvelle est-elle devenue moins favorable pour ces derniers ? Parce que vous avez décidez implicitement que la réserve ne serait plus prise dans la garde civique mobilisée, mais dans les anciennes classes de milice.

Vous avez donc déchargé les citoyens aisés, qui composeraient cette partie de la garde civique, de l'éventualité d'tme mobilisation ; et vous en avez fait porter la charge sur les classes moins favorisées de la fortune. Vous avez, en outre, prolongé la durée de la présence sous les armes. Je ne veux pas discuter, en ce moment, la convenance de ces dispositions ; vous avez admis le principe, vous devez admettre ce qui en résulte ; mais ce que je voudrais, ce serait qu'on pût adoucir, dans les détails, ce que ces dispositions ont de trop dur.

Le gouvernement a fait droit à ma proposition, « quant aux hommes mariés et aux veufs avec enfants. » Je ne dirai donc rien de cet objet. Mais je demande s'il n'y a pas quelque chose à faire pour le nombre indéterminé des classes menacées d'un rappel sous les armes. Que si vous me disiez : Pourquoi vous opposer à cette disposition, puisque vous ne croyez pas à la probabilité d'une guerre générale ? Je répondrai : Il y a autre chose que les craintes de guerre. De cette résolution peuvent naître, pour le milicien rappelé, des obstacles à s'établir, à entrer dans un service fixe. Par conséquent, si le gouvernement n'y voit pas d'objection, je crois qu'il fera bien de déterminer, du moins par une déclaration et approximativement le nombre de classes, éventuellement passibles de rappel.

Il est un autre adoucissement qui deviendra nécessaire, indispensable par suite de ces charges nouvelles, imposées aux classes ayant déjà fait huit années de service. Je veux parler du système de compensation. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet. Mais il faut reconnaître que c'est une question dont on se préoccupe à un haut degré dans le public, dans la presse, dans cette chambre même et dont le gouvernement devra nécessairement s'occuper lui-même. Je crois que le gouvernement peut, mieux que personne, en prendre l'initiative. Cependant, puisque j'en ai parlé, je demande la permission d'indiquer à la chambre et au ministère une nouvelle formule. La voici : Une compensation de 200 francs serait demandée à chaque commune, pour chaque milicien incorporé. Ces 200 francs versés au trésor produiraient, au bout du service, par suite de l'action des intérêts, des déchéances et des décès, une somme de 300 ou 400 francs pour chaque milicien libéré.

Ce n'est pas une réforme radicale ; mais enfin, ce serait un adoucissement, si en donnant au soldat son congé, on pouvait lui remettre en mains 300 ou 400 fr. Pour recouvrer ce pécule, vous diriez aux communes : Vous savez combien de miliciens sont disponibles, combien sont incorporés. Vous auriez à répartir ces sommes entre les parents des miliciens libérés par le sort, en proportion de leur fortune. Je ne pense pas que personne ait à se plaindre de cette disposition. Je soumets cette formule au gouvernement, pour qu’il la comprenne dans l’examen auquel je suppose qu’il compte se livrer, d’ici à la prochaine session.

Je reconnais que la question est difficile ; mais il faudra néanmoins l'aborder. De nombreuses pétitions sont déjà déposées sur notre bureau, d'autres arriveront sans doute encore. Je persiste à penser que le gouvernement fera bien d'en prendre l'initiative. Vous avez vu, en effet, ce qui est arrivé pour ia réforme de la loi sur la garde civique. Le gouvernement a eu la main forcée. Et c'est toujours là un fait fâcheux. Mieux vaut assurément qu'il prenne l'initiative. Je sais que cet objet n’est pas en discussion. Je demande cependant la permission d'en dire encore quelques mots.

Il est un grand nombre de combinaisons qui ne peuvent être, me semble-t-il, repoussées, ni par le ministère, ni par l'autorité militaire ; car elles ne leur ôtent pas un homme ; elles ne changent pas la position de ces hommes pendant leur présence sous les armes. Vous auriez les mêmes hommes qu'auparavant ; mais vous les récompenseriez au bout de leur service. Ces hommes seraient moins découragés, parce qu'ils sauraient qu'une compensation les attend.

Je viens d'indiquer une combinaison nouvelle, mais croyez-le bien, je n'ai pas de prédilection pour cette formule, plutôt que pour une autre et je ne tiens pas à faire prévaloir mes idées personnelles. Ce que je demande, c'est qu'une compensation soit donnée, sous une forme ou sous une autre, aux miliciens qui ont servi.

Je ne vois pas pourquoi nos chefs militaires seraient opposés à cette réforme, lorsqu’en France les généraux les plus distingués ont adopté le principe de la compensation et l'ont formulé en projet de loi. Si ce projet n'est pas arrivé à y être consacré en loi, c'est que les événements sont venus en empêcher la discussion.

Cette réforme est si peu incompatible avec l'organisation militaire, que l'on conçoit une caisse de pécule ressortissant au ministère de l'intérieur et laissant, dans l'armée, toutes choses comme elles sont aujourd'hui.

Je termine donc, messieurs, en recommandant cette question à la sollicitude du gouvernement. J'espère bien qu'il n'a pas renoncé tout à fait à faire entrer cette réforme dans nos lois.

Je demanderai si MM. les ministres voient quelque inconvénient à faire connaître à la chambre qutl pourrait être, éventuellement, le nombre des anciennes classes à rappeler.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, l'honorable préopinant vient de traiter une question qui, à coup sûr, est d'un très haut intérêt, mais il a reconnu lui-même qu'il était impossible à la chambre d'approfondir aujourd'hui cette question, qui trouvera (page 1352) sa place lorsque nous nous occuperons de la discussion du projet de loi sur le recrutement.

Mais une observation qui rend une réponse nécessaire, est celle qui se rapporte à la limite que l'on stipulerait dès aujourd'hui au rappel facultatif des classes libérées.

Messieurs, il est plus que probable que, le cas échéant du rappel des classes arriérées, ce rappel ne porterait que sur deux classes. Mais il est impossible ejut le gouvernement prenne aucun engagement à cet égard, et il est même impossible que la chambre limite son action ; parce qu'en effet nous ne pouvons pas calculer dès aujourd'hui quelles seront les pertes que subiront les effectifs à rappeler. Ces pertes dépendent et du nombre de décès et du nombre d'exemptions à prononcer ; par exemple, si l'on se marie beaucoup, il est évident que les effectifs seront moins nombreux.

Je sais très bien, messieurs, que si cette limite était assez étendue, si, par exemple, pour m'en tenir au chiffre de l'honorable préopinant, on disait que l'on ne pourra pas rappeler plus de cinq classes, cela ne présenterait aucun inconvénient pour le gouvernement. Mais cela en présenterait un très grand pour les miliciens, parce que cela ferait naître la crainte que dans un cas quelconque on pourrait rappeler cinq classes. Or, ce cas ne se réalisera pas. Il faut donc beaucoup mieux laisser la disposition telle qu'elle est formulée par le gouvernement, avec cette déclaration que nous faisons, que très probablement, en cas de rappel, ce rappel ne porterait que sur deux classes, et tout au plus sur une troisième.

Uue dernière observation que je présenterai et qui est très essentielle, c'est que les dispositions dont vous vous occupez ne sont que des dispositions toutes transitoires. Notre vœu bien formel est que la chambre puisse s'occuper de la discussion de la loi du recrutement dès le commencement de la session prochaine. Dès lors les dispositions transitoires que nous vous présentons viendront à tomber d'elles-mêmes. Elles resteront en vigueur probablement six ou sept mois. Je ne crois pas qu'elles puissent présenter dans leur application le moindre danger en les laissant formulées telles qu'elles le sont aujourd'hui.

M. David. - Messieurs, je dirai avec l'honorable M. E. Vandenpeereboom que, puisque la loi est votée, nous devons tâcher d'en amoindrir les mauvais effets en ce qui concerne les miliciens et leurs familles. Car il ne peut plus s'agir de la question financière.

Messieurs, à peu près tous nos miliciens appartiennent à la classe la moins fortunée de la société. Déjà les impôts de consommation, les droits de douane qui grèvent les objets de consommation retombent plus lourdement sur les classes nécessiteuses que sur les autres classes. Les obligations de la milice, généralement appelées l'impôt du sang, reposent presque tout entières sur elle et surtout sur les habitants des campagnes, qui fournissent le plus d'hommes bien constitués.

Vous voyez souvent, messieurs, les miliciens pauvres arrachés à leur famille, à leur travail, lorsque le père est vieux ou malade, et les frères trop jeunes pour le remplacer, il laisse une famille peut-être bien nombreuse dans la misère ; il n'est pas rare de voir cette famille obligée de tendre la main après le départ du milicien.

Mais qu'est-ce que reçoit le malheureux milicien en récompense des services qu'il a rendus au pays pendant de longues années ? Rien ! ni pension ni honneur. Je me trompe, lorsqu'il a le malheur de perdre un membre ou de contracter une maladie incurable, on lui accorde une pension de quelques centimes par jour. La dette de la patrie ne peut s'acquitter ainsi, et je dirar avec l'honorable.M. Vandenpeereboom que cette question doit être mûrement examinée. En Angleterre les classes élevées, torys comme whigs, s'occupent avec sollicitude et constamment d'améliorer le sort des prolétaires et des classes pauvres ; aussi ces classes comprennent-elles maintenant qu'on songe à elles et ne se préoccupent-elles guère de la différence de positions qui existent dans la société anglaise, elles y voient le fait d'une société bien organisée, sans haine et sans fiel.

La nouvelle augmentation du budget de la guerre qui sera la suite de la loi dont nous nous occupons aggravera dans une forte mesure la position des classes les moins fortunées. En effet, messieurs, lorsque nous n’avions qu'un budget de la guerre de 27 millions et demi, nous pouvions penser à exécuter de grands travaux publics, des canaux, des chemins de fer, nous pouvions parer aux inondations qui, chaque année, nous enlèvent plusieurs millions sur presque tous les points du pays.

Au moyen de ces grands travaux nous pouvions, jusqu'à un certain point, venir en aide aux ouvriers lorsqu'ils n'avaient pas de travail, tout en augmentant la prospérité publique par l'établissement de travaux publics utiles.

Depuis bien longtemps, messieurs, nous cherchons à obtenir quelques centaines de mille francs de plus pour nos chemins vicinaux ; nous n'avons pu y parvenir, on nous a toujours répondu : Nos finances ne le permettent pas. Mais à l’avenir ce sera bien plus difficile encore avec un budget de la guerre de 32 millions, qui absorbe, y compris les pensions militaires, plus du quart des revenus en pays.

Il s'agit cependaut des quinze seizièmes de nos communes, qui sont séparées au reste du pays, pendant six mois de l'année, par des chemins effondrés, impraticables. Nous ne pourrons penser, d'ici au moment où nous abrogerons la loi d'organisation, à faire les empierrements nécessaires et à donner, par la construction de chemins vicinaux, de l'ouvrage à chacun chez soi.

A peu près la moitié des enfants pauvres, et peut-être plus, ne reçoit aucune espèce d'enseignement primaire, pourquoi ? Parce que les caisses communales, les caisses des bureaux de bienfaisance, les caisses des hospices sont à peu près vides ; il faudrait une somme de 1,800,000 francs, que nous réclamons depuis longtemps, pour donner l'instruction primaire à tous les enfants pauvres du pays.

Encore une fois, il nous faudra bien du temps avant de pouvoir obtenir cette somme, que le gouvernement aurait à allouer aux communes, aux bureaux de bienfaisance et aux hospices afin d'obtenir enfin au moins l'instruction primaire, cette source de toutes les améliorations, pour tous nos concitoyens pauvres.

Un moyen, messieurs, d'alléger quelque peu les sacrifices que nous demandons aux miliciens, ce serait celui-ci : je demande qu'aucun milicien qui aurait droit à l'exemption, d'après les lois existantes et qui appartiendrait à une classe libérée, ne puisse être appelé sous les drapeaux.

Messieurs, je vais vous citer un cas bien clair, pour me rendre compréhensible :

Je suppose que je sois milicien ; au moment de ma libération, j'ai deux frères ; pendant la première année de ma libération, je perds mes deux frères ; je deviens fils unique, soutien de veuve ; arrive un ordre de rappel. Le conseil de milice n'est pas rassemblé ; il ne se réunira que dans huit, neuf ou dix mois ; je dois servir et je suis exposé à être tué, avant que ma réclamation puisse être soumise au conseil de milice.

Je demande que le milicien liberé, qui a droit à une des exemptions formulées par nos lois, ne soit pas tenu de rejoindre les drapeaux et qu'il puisse soumettre sa réclamation et les certificats qui constatent l'état dans lequel il se trouve, à la députation permanente, qui prononcera immédiatement.

Il est encore une quantité d'autres cas d'exemption ; ainsi, par exemple, est exempté le frère unique de celui ou de ceux qui sont atteints de paralysie, de cécité, de démence complète, etc. Vous sentez qu'après que j'aurai été libéré, il peut arriver que le frère ou les deux frères que je possède soient atteints d'une maladie qui, en temps ordinaire, m'exempterait ; donc, en cas de rappel, je dois être exempté également.

Je pourrais citer encore d'autres cas d'exemption, mais je ne veux pas abuser des moments de la chambre.

Je demanderai à M. le ministre de l'intérieur de vouloir bien compléter son amendement ou admettre le mien.

- L'amendement de M. David est appuyé.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, si la chambre voulait suivre l'honorable préopinant dans la voie où il vient d'entrer, vous auriez véritablement, pour me servir d'une expression employée hier, un Code de milice à faire ; ce serait la révision de notre législation sur la milice.

Eh bien, la chambre fera beaucoup plus sagement en s'en rapportant à cette législation et en laissant le gouvernement l'exécuter comme elle doit être exécutée. Il est impossible de prévoir, dans des dispositions transitoires, tous les cas d'exemption ; on irait bientôt jusqu'à compléter les cas qui ne sont pas suffisamment prévus par la loi de 1817 et les autres lois sur la milice. La chambre ne peut pas entrer dans une pareille voie.

L'honorable préopinant parle toujours d'adoucissements à apporter à la loi si dure de la milice ; mais quand l'honorable préopinant fait prononcer l'exemption d'un certain nombre de miliciens, il faut que d'autres miliciens partent à leur place, puisque le gouvernement de toute nécessité doit avoir son contingent.

Je prie encore une fois la chambre de ne pas perdre de vue qu'il ne s'agit ici que d'une disposition transitoire ; le gouvernement s'engage à faire, au besoin, tous ses efforts vis-à-vis de la chambre, pour qu'elle aborde le plus tôt possible l'examen de la loi sur le recrutement.

M. Lelièvre. - Je désire avoir une explication sur l'article 2, proposé par le gouvernement. Cet article dispense les hommes qui seraient devenus veufs, dans le cas où ils auraient retenu un ou plusieurs enfants de leur mariage. Je présume qu'il est là question d'un ou plusieurs enfants vivants au moment du rappel. Je désirerais qu'une explication du gouvernement vînt faire cesser le doute que l'article pourrait faire naître. On sent que des dispositions de la nature de celle dont il s'agit doivent être telles qu'elles ne puissent donner lieu à aucune difficulté. (Interruption.) M. le ministre des affaires étrangères me disant que c'est dans le sens dont j'ai parlé que la loi doit être interprétée, je me déclare satisfait.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est dans ce sens que la disposition doit être entendue.

M. David. - M. le ministre vous a dit tout à l'heure qu'il y aurait tout un code de milice à faire. Mais le code de milice est tout fait ; ce que je demande, c'est de pourvoir à l'application qui ne pourrait pas avoir lieu si une mesure transitoire n'était prise. En effet, si aujourd'hui, par exemple, on appelait les miliciens libérés, l'examen de leurs réclamations par les conseils de milice ne pourrait avoir lieu que dans 7, 8 ou 10 mois ; ces miliciens, exemptés d'après les lois, pourraient donc, en attendant la décision de ces conseils, être tués. Pour éviter des malheurs que personne de nous ne veut voir arriver, je demande que les éeputations puissent remplacer les conseils de milice en cas de rappel des miliciens libérés et examiner les réclamations de ces miliciens. Je ne fais aucun changement à la loi. Mon amendement est aussi (page 1353) nécessaire que l'article introduit en guise d'amendement par M. le ministre de l'intérieur en faveur des hommes mariés et des veufs.

Maintenant M. le ministre me dit que si j'exempte tel milicien, je force un de ses voisins, un de ses amis à marcher pour lui. Ce n'est pas le cas, on appellera une ou plusieurs classes libérées ; si j'exempte tel individu, je n'oblige pas pour cela un de ses voisins, un de ses amis à marcher pour lui ; la classe tout entière se rend sous les drapeaux.

Le gouvernement dans ces cas-là ne prendrait que les miliciens de la classe appelée qui ne tomberaient pas sous l'application des exemptions prononcées par les lois. Si mon amendement n'était pas adopté, je ne pense pas qu'humainement le gouvernement pourrait faire servir les individus dont je viens de parler.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - L'honorable préopinant ne m'a pas compris ; je n'ai pas dit que tout milicien exempté ferait partir un de ses voisins à sa place, je ne me suis en aucune manière servi de cette expression de voisin. J'ai expliqué comment, si on augmentait le nombre des exemptions, le gouvernement, devant avoir son contingent, serait obligé d'appeler une classe de plus. Voilà dans quel sens je me suis exprimé quand j'ai dit que les miliciens exemptés devraient être remplacés par d'autres.

M. Moreau. - Je désire appeler l'attention du gouvernement sur une question qui peut être soulevée.

Aux termes de l'article 2 de la loi du 28 mars 1835, les miliciens qui sont dans la septième et huitième année de service peuvent respectivement substituer ou remplacer.

Or, je demande s'il en sera toujours ainsi après la promulgation du projet de loi ?

La solution de cette question dépend de celle de savoir quelle sera aujourd'hui la plus ancienne classe de milice.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Comme maintenant.

M. Moreau. - On me fait une réponse affirmative ; je croyais que cette question devait être ainsi résolue, mais il était, ce me semble, utile de connaître l'opinion du gouvernement sur ce point.

(page 1363) M. Orban. - Les dispositions que vous discutez en ce moment et qui tendent à donner au gouvernement les facultés qui lui sont nécessaires en temps de guerre lorsque le territoire est menacé, rapprochées de la détermination importante que vous avez prise dans la séance d'hier et de certains discours prononcés dans cette discussion, pourraient faire naître dans le pays des inquiétudes, des appréciations fausses qu'il importe au gouvernement de dissiper. Quant à moi, je ne crois nullement à ces éventualités graves, à ces dangers que l'on vous a fait entrevoir. Je ne dirai pas que, selon moi, notre nationalité ne court nul danger, une pareille déclaration est superflue, mais ce qu'il importe, me semble-t-il, de déclarer, c'est qu'il n'entre ni dans la volonté, ni dans la politique d'aucune puissance d'y porter atteinte.

Une opinion contraire aurait de graves inconvénients, en ce qu'elle tendrait à altérer nos bons rapports avec une nation voisine, dont le gouvernement a donné des témoignages réitérés de son désir de maintenir la paix. Je ne parlerai pas, messieurs, d'un manifeste célèbre, quoique, à mon avis, ce document ait une haute signification en ce sens que le personnage dont il émane a pensé qu'il n'y avait pas de plus sûr moyen de plaire à la France et de mériter ses suffrages que de lui promettre la paix ; mais il y a des faits plus éloquents que toutes les paroles, qui témoignent hautement de la sincérité de ces déclarations pacifiques. Ces faits, messieurs, ce sont les travaux entamés sur tous les points de la France, ces chemins de fer partout en construction, et qui ne peuvent s'accomplir qu'à la condition de maintenir la paix. Ce sont là, messieurs, des actes dont l'éloquence est d'autant plus grande qu'elle est en quelque sorte involontaire.

(page 1364) J'ai dit, messieurs, que nous n'avions aucun danger à craindre pour notre nationalité. Il y en aurait un très grand pour nous, à altérer les bons rapports qui existent entre nos voisins et nous. Le ministère a prouvé en entrant au pouvoir, par l'empressement qu'il a mis à renouer les négociations commerciales avec la France, qu'il appréciait à leur juste valeur, au point de vue de nos intérêts matériels, l'importance de ces relations bienveillantes et amicales, et je crois que l'on ne peut pas apporter trop de soin à ne rien dire, à ne rien faire, à ne laisser propager aucune idée qui pourrait porter atteinte à cette bonne entente.

(page 1353) >M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). -Je commence par déclarer que le gouvernement entretient dans ce moment les relations les plus amicales avec tous les gouvernements sans exception, et j'ajouterai bien volontiers, pour répondre à l'espèce d'interpellation que vient de nous adresser l'honorable préopinant, que, pour notre part, nous n'avons jamais rien dit d'où l'on pût augurer que nous croyons à des intentions hostiles de la part d'aucune puissance. Je déclare donc formellement que je suis loin de soupçonner qui que ce soit de projets menaçants ou de sentiments fâcheux à l'égard de la Belgique. Mais il est une chose que personne ne peut se refuser à reconnaître, c'est que dans les circonstances où se trouve l'Europe, la guerre peut surgir sans que cela soit entré dans les intentions de personne.

M. Manilius. - Je ne crois pas nécessaire non plus de rentrer dans la discussion politique ou dans la discussion générale de la loi. Mais je veux dire quelques mots relativement au système que veut introduire le gouvernement, et au terme de la durée à laquelle cette introduction doit s'appliquer.

On propose cinq ans. Je crois que ce n'est pas applicable, puisque le gouvernement ne peut avoir en vue que de compléter éventuellement les cent mille hommes que la chambre a votés.

Il fallait, d'après l'ancienne loi, aussi un effectif de 100,000 hommes, y compris la garde civique mobile. Vous remplacez la garde civique par les anciens miliciens. Il est à prévoir que si le gouvernement avait à faire un rappel, il ne l’étendrait pas au-delà de 20 mille hommes. Quelles sont les classes que rappellerait le gouvernement ? Le tableau qui se trouve à la page 28 du rapport prouve qu'il ne pourrait aller au-delà de 3 ou 4 classes au maximum, car d'après ce tableau vous voyez que les 9ème et 10ème classes, susceptibles d'être rappelées les premières, produiraient 13 à 14 mille hommes. Il n'y aurait donc aujourd'hui qu'à rappeler une 3ème classe pour parfaire 20 mille hommes.

Si le rappel avait lieu plus tard, peut-être faudrait-il ajouter une 4ème classe.

Le gouvernement vient de dire que, pour la session prochaine, on examinera la loi sur la milice. On en verra l'issue ; car il s'agit d'une révision générale. La demande transitoire du gouvernement pourra disparaître lors du vote de la loi, qui doit embrasser tous les genres de recrutements.

Je crois que ces explications doivent appuyer la disposition que le gouvernement propose sans que nous l'amendions.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je crois pouvoir rassurer la chambre plus encore que ne vient de le faire l'honorable préopinant.

Nous avons, avec les classes actuelles et les volontaires au-delà de 80,000 hommes. L'honorable préopinant vient de dire avec raison que les premières classes à rappeler forment un contingent de 13 à 14 mille hommes. En réunissant les hommes qui font partie des classes sous les armes, les volontaires et les deux premières classes à rappeler, y compris les officiers, cela nous donne un effectif de 98,62' hommes, sans la gendarmerie. Vous voyez donc qu'au moyen du rappel de deux classes seulement nous sommes bien près du complément de l'effectif.

- Les deux premières dispositions additionnelles proprosées par le gouvernement sont successivement mises aux voix et adoptées.

La disposition additionnelle proposée par M. David est mise aux voix ; elle n'est pas adoptée.

M. le président. - Je mets aux voix la troisième disposition additionnelle proposée par le gouvernement.

M. Thiéfry. - Je sais que la discussion est close. Je désirerais cependant prendre la parole pour indiquer un simple changement de rédaction (Parlez ! Parlez !)

Il me semble que le deuxième paragraphe n'est pas clair. On ne voit pas si les hommes cesseront d'être soumis aux obligations imposées par les lois sur la milice à la fin de leur huitième ou de leur dixième année.

Voici l'article :

« A l'avenir, le compte des miliciens et remplaçants avec la masse d'habillement de leur corps ne sera apuré qu'à l'expiration des deux années qui suivront leur libération.

« Ces hommes cesseront d'être soumis aux obligations imposées par les lois sur la milice aux militaires non pourvus de congés définitifs. »

Je crois qu'il faudrait dire au deuxième paragraphe : « Ces hommes, après leur huitième année de service, cesseront etc. »

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Nous déclarons que c'est dans ce sens que l'article doit être interprète.

M. Thiéfry. - Cette déclaration suffit.

- L'article est mis aux voix et adopté.

Article 3

M. le président. - La chambre passe à la discussion de l'article 3.

« Art. 3. L'organisation intérieure des corps est réglée par arrêté royal ; il en est de même de l'effectif du pied de paix. »

M. Thiéfry propose par amendement de rédiger cet article comme suit :

« L'organisation intérieure des corps est réglée par arrêté royal. La moyenne annuelle de l'effectif des unités, en temps de paix, ne pourra pas être en dessous des chiffres suivants :

« Le bataillon dans l'infanterie active, 465 hommes

« L'escadron de cavalerie, 130 hommes et 115 chevaux.

« La batterie à cheval, 137 hommes et 133 chevaux.

« La batterie montée, 98 hommes et 65 chevaux.

« La batterie de siège, 73 hommes.

« Le bataillon du génie, 780 hommes.

M. Thiéfry. - Quoique je ne puisse pas adopter la loi en discussion, parce que la réserve ne m'offre aucune confiance, je veux cependant, messieurs, contribuer autant que possible à maintenir la consistance des bataillons actifs et celle des escadrons. Mon amendement aura un double résultat, celui de faire consacrer par la loi la durée du service sous les drapeaux à 2 ans et demi dans l'infanterie, 4 ans dans la cavalerie, et 3 ans dans l'artillerie, et d'éviter qu'on n'amoindrisse les bataillons et les escadrons au point de les annihiler complétement.

Je me suis déjà assez longuement étendu sur la nécessité de la prolongation du service sous les drapeaux, pour devoir la faire ressortir de nouveau. C'est un principe élémentaire inséparable d’une bonne constitution d'armée. J'aime à croire que toutes les opinions sont bien formées à cet égard.

En votant les cadres, vous avez voulu donner à l'armée une organisation forte, vous n'atteindriez point ce but, même avec la prolongation du service, si vous ne donniez pas à ces cadres les moyens d'acquérir l'instruction nécessaire pour que chaque homme sache exercer le commandement auquel il est appelé par ses fonctions : la condition essentielle est donc de composer les unités d'un nombre de soldats suffisant, afin qu'on ne soit pas obligé, pour les exercices, d'en réunir 2 ou 3 en une seule, et de laisser ainsi beaucoup d'officiers dans l'impossibilité de prendre part aux manœuvres.

D'un autre côté, pour que les soldats puissent avoir une entière confiance dans leurs chefs, il faut qu’ils soient commandés tous les jours par leurs propres officiers.

La troupe est disséminée dans tant de localités, que si l'effectif des unités n'est pas suffisant, elle ne peut être exercée. Sur 16 régiments d'infanterie, 3 seulement ont leurs bataillons réunis : ce sont les grenadiers à Bruxelles, le 6ème à Mons et le 8ème à Namur. Les bataillons des autres régiments occupent diverses garnisons : 18 sont entièrement isolés, 4 détachés dans deux ou trois petites villes. Voilà donc 22 bataillons qui ne peuvent faire l'exercice quand ils n'ont pas assez de soldats.

Donner aux bataillons un effectif trop faible, c'est compromettre la santé du soldat, qui devient un pilier d'hôpital. Il n'a alors que deux ou trois nuits de repos sur une passée au corps de garde ; et toujours l'on a remarqué que les fièvres typhoïdes, dans la troupe, sont en proportion des veilles obligées. J'ai obtenu dans quelques villes des renseignements précis sur le nombre d'hommes entrés dans les hôpitaux en 1850 ; le premier régiment de ligne en garnison à Liège a eu un effectif moyen de 866 caporaux et soldats, 833 sont entrés dans les hôpitaux ; parmi eux 374 avec la fièvre.

Le 11ème régiment, en garnison à Mons, a eu un effectif moyen de 863 caporaux et soldats, 981 sont entrés dans les hôpitaux, 392 avec la fièvre. Il y a donc des hommes qui sont entrés plusieurs fois à l'hôpital dans la même année. Et remarquez bien, messieurs, que ces régiments ne sont pas encore ceux qui ont fourni le plus d'hommes aux hôpitaux.

Ainsi l'instruction des officiers et des soldats, et surtout la santé des (page 1354) hommes sont des motifs suffisants pour que les effectifs ne descendent jamais en dessous des besoins.

Les chiffres de mon amendement sont les mêmes que ceux du budget ; ils n'augmentent pas la dépense d'un centime. Il me suffira de quelques comparaisons pour faire voir qu'ils ne sont pas trop élevés, je demande que la moyenne annuelle du bataillon d'infanterie ne descende pas en dessous de 465 hommes.

Ce minimum est, pendant toute l'année : En Autriche, de 660 ; en Angleterre, de 660 à 700 ; en Espagne, de 600 à 650, en France, de 528 en 1851, 616 ; en Prusse, de 520 à 676.

Je propose de fixer l'effectif de l'escadron à 130 hommes, 115 chevaux.

Il est aujourd'hui : En Autriche, de 178 hommes et 165 chevaux dans la cavalerie légère et de 159 hommes et 145 chevaux dans les cuirassiers ; en France, de 182 hommes et 143 chevaux dans la cavalerie légère, de 172 hommes et 136 chevaux dans la cavalerie de ligne légère et de 166 hommes et 133 chevaux dans la cavalerie de réserve ; en Russie, de 156 hommes et 136 chevaux ; en Prusse, de 159 hommes et 147 chevaux dans la garde et de 145 hommes et 137 chevaux dans la ligne ; en Hollande, de 147 à 171 hommes et 123 chevaux.

Ces données prouvent que les effectifs que je réclame sont en dessous de ce que l'on maintient dans les armées bien organisées.

M. Lelièvre. - Je suis extrêmement étonné de voir un semblable amendement émaner de l'honorable M. Thiéfry. Je conçois qu'on fixe un maximum que le gouvernement ne pourra pas dépasser ; mais fixer un minimum, alors même qu'il ne serait pas nécessaire, c'est rendre permanente une dépense qui pourrait être frustratoire. Je pense qu'il faut laisser au gouvernement le règlement de ce point dont lui seul est juge.

L'amendement de l'honorable M. Thiéfry tend à inscrire à perpétuité dans la loi ce qui doit faire l'objet du budget annuel. Or semblable prescription heurte de front le système d'économie préconisé par l'honorable M. Thiéfry.

Il s'agit ici d'un objet dont il faut laisser au gouvernement toute la responsabilité, et il me paraît impossible de le lier à l'égard d'un minimum qu'il ne jugerait pas indispensable dans certaines circonstances.

M. Manilius, rapporteur. - Messieurs, il faut reconnaître que l'amendement de l'honorable M. Thiéfry a pris naissance dans un but humanitaire. Il vient de vous le dire, il est certain que si le minimum des compagnies est réduit à un chiffre trop restreint, il peut en résulter des maladies dans les corps.

Le service est réellement trop dur, lorsque l'armée est sur le pied de paix et lorsque les économies se font exclusivement sur les soldalt. Il est trop dur surtout pour l'infanterie qui doit faire dans ce cas tout le service. C'est l'infanterie pour ainsi dire seule qui fournit les factionnaires ; c'est cette infanterie qu'on réduit au plus petit nombre dans la plus mauvaise saison ; et c'est ce qui fait naître les fièvres et toutes les maladies.

C'est un point essentiel sur lequel j'appelle l'attention bienveillante du gouvernement.

Mais d'un autre côté je ne puis appuyer l'amendement. Il aurait pour conséquence d'empêcher que le gouvernement, dans un temps de calme, usât des moyens nécessaires pour réduire les dépenses qui pourraient en pareille occasion paraître trop lourdes pour le pays.

Cette obligation entraînerait plus loin ; le gouvernement, lié par un semblable amendement, maintiendrait ce minimum et toutes les économies devraient se faire sur les cadres de l'armée auxquels le gouvernement tient beaucoup.

Le gouvernement a fait entrevoir, dans le budget que vous allez examiner, que sur le premier chapitre qui concerne les troupes et les officiers, il y a espoir d'économie. Il le dit à l'article 12. Mais si vous adoptez l'amendement, cette économie ne pourrait avoir lieu que sur les officiers, et elle devrait être poussée à l'extrême.

Ainsi, malgré les bonnes intentions qui ont dicté cet amendement et que je partage en principe, je ne puis appuyer la proposition de l'honorable M. Thiéfry, parce qu'elle amène des conséquences opposées à la volonté de la section centrale qui veut, et plusieurs orateurs ont partagé cette opinion, que dans un temps calme, on puisse arriver à une situation moins lourde pour notre état financier.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Messieurs, je vais donner à la chambre quelques courtes explications qui la mettront à même de décider la question en parfaite connaissance de cause.

Dans l'exposé des motifs qui précède la loi d'organisation, le gouvernement vous a annoncé que l’effectif des compagnies d'infanterie sur le pied de paix sera calculé de manière à ce que les hommes restent en moyenne deux ans et demi sous les drapeaux, conformément au vœu émis par la commission ; vient ensuite un paragraphe pour l'artillerie et pour la cavalerie.

Le gouvernement se regarde comme lié par la promesse qu'il vous a faite dans son exposé des motifs. Ainsi, les hommes qui serviront dans l'infanterie resteront deux ans et demi sous les drapeaux, anssi longtemps que cet engagement existera de la part, et le budget de 32,190,000 fr. est calculé en raison de cet engagement.

Le but de l'amendement de l'honorable M. Thiéfry, je pense, est que cette promesse soit en quelque sorte consacrée par une disposition de la loi d'organisation.

Le gouvernement, messieurs, n'a pas d'intérêt à faire une opposition formelle à la proposition de l'honorable M. Thiéfry. Il abandonne à la sagesse de la chambre de décider sur ce point ce qu'elle jugera convenable. Seulement, dans le cas où la chambre adopterait ce principe qu'il faut que l'effectif soit réglé par la loi, je devrais proposer quelques changements à la rédaction de l'honorable M. Thiéfry, changements qu'il accepterait lui-même, j'en suis convaincu.

Ainsi, par exemple, dans l'amendement de l'honorable M. Thiéfry, se trouvent ces mots : « le bataillon du génie, 780 hommes ». C'est le régiment du génie qu'il faut dire, et le régiment a deux bataillons.

M. Thiéfry. - C'est vrai.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - C'est un premier point qu'il faudrait donc rectifier.

En second lieu, l'amendement est rédigé de la manière suivante :

« L'organisation intérieure des corps est réglée par arrêté royal. La moyenne annuelle de l'effectif des unités, en temps de paix, ne pourra pas être en dessous des chiffres suivants. »

Il faudrait, messieurs, à cette rédaction si tant est qu'on veuille régler cette matière par une loi (c'est toujours hypothétiquement que je parle), il faudrait, je crois, substituer la rédaction suivante :

« L'organisation intérieure des corps est réglée par arrêté royal. L'effectif des unités, en temps de paix, sera calculé sur les bases suivantes, etc. »

Voici le motif de ce changement.

L'amendement de l'honorable M. Thiéfry rend obligatoire pour le gouvernement la présence de 465 hommes dans le bataillon d'infanterie, de 130 hommes dans l'escadron de cavalerie, de 137 hommes dans la batterie à cheval, de 98hommes dans la batterie montée et ainsi de suite. Or, au moment de l'appel sous les armes, ce chiffre sera présent.

Mais dans le courant de l'année, il y a toujours des déchets. Ainsi, par exemple, pour les chevaux, je suppose une épidémie régnant dans un régiment. Un assez grand nombre de chevaux périt. Il est impossible de les remplacer immédiatement. Il faut attendre le temps voulu, il faut suivre les formalités établies pour remplacer ces chevaux. Eh bien, il arrivera qu'au bout de l'année, le gouvernement se trouvera dans cette position de n'avoir pas pu strictement obéir à la prescription un peu trop formelle de la loi.

Si la disposition était adoptée avec ma rédaction, il en résulterait l'obligation pour le gouvernement de faire tout ce qui est en son pouvoir pour que les effectifs soient au complet, et quand ils n'y auraient pas été entièrement, le gouvernement aurait à se justifier vis à-vis de la législature et, bien entendu, à tenir compte des économies qui seraient le résultat des circonstances que je viens d'expliquer.

M. Coomans. - Messieurs, j'exprimerai, avec l'honorable M. Lelièvre, ma surprise de voir l'honorable M. Thiéfry nous proposer l'amendement en discussion. M. Thiiéfry est de ceux qui pensent qu'un budget de 32 millions dépasse les ressources financières de la Belgique ; il l'a déclaré à diverses reprises, et il repoussera ce chiffre. Comment donc vient-il exiger aujourd'hui que les 32 millions soient complètement et nécessairement dépensés, que le gouvernement ne puisse jamais réaliser la moindre économie sur cette grosse somme ? La contradiction est manifeste. Je sais bien que l'honorable membre fixe un minimum d'effectif assez élevé pour fortifier les régiments, pour favoriser les travaux des officiers et aussi, dit-il, dans l'intérêt de la santé des miliciens. Je ne discuterai pas ces arguments militaires, j'ignore s'ils sont fondés ; mais j'affirmerai que le milicien se porte aussi bien chez lui qu’à la caserne, et que si l'on veut soulager son service de garnison il est aisé de supprimer quelques sentinelles et certaines corvées.

Nous voulons, nous, que le gouvernement soit juge de la nécessité de conserver ou de congédier provisoirement les miliciens que la loi lui accorde ; qu'il lui soit permis de réaliser des économies quand elles lui paraissent possibles, et surtout qu'il puisse rendre à leurs familles tous les hommes dont il n'aura pas impérieusement besoin. Je regrette que le gouvernement se soit abstenu en cette circonstance et qu'il se soit proclamé indifférent à la proposition de M. Thiéfry. Il ne doit pas lui être indifférent de faire des économies sur le budget de la guerre chaque fois qu'il peut les faire sans danger pour la défense nationale et pour la discipline militaire ; il ne doit pas lui être indifférent non plus de pouvoir alléger le sort des miliciens. J'engage le gouvernement à se prononcer et je supplie la chambre de ne pas accepter l'amendement de l'honorable M. Thiéfry.

Je combattrais en détail ce dangereux amendement, si je n'étais persuadé qu'il ne recevra pas un favorable accueil dans cette enceinte. Je me bornerai à cette remarque encore, c'est que, dans l'hypothèse de l'adoption de l'amendement de M. Thiéfry, le service obligatoire de deux années et demie pourrait être porté à 3, 4, 5 années peut être, par suite de maladies ou d'autres causes qui éclairtcraient les rangs. Or.,la corvée de deux années et demie me semblant déjà trop forte, je ne puis consentir à aucune mesure qui tendrait à la prolonger.

M. de La Coste. - Messieurs, le caractère de la loi sur l'organisation (page 1355) de l'armée, est d'être limitative ; l'amendement de M. Thiéfry lui ferait perdre ce caractère pour la rendre impérative.

Le gouvernement ne peut pas dépasser les limites que nous posons, mais il n'est pas forcé d'y atteindre, pas plus qu'il n'est forcé de dépenser entièrement les sommes mises à sa disposition par le budget, pas plus qu'il n'est forcé de tenir entièrement sous les drapeaux le contingent que nous votons annuellement.

Il me semble que nous perdons un peu trop de vue l'article de la Constitution qui prescrit le vote annuel du contingent.

Sans doute il serait puéril, après avoir voté la loi d'organisation, de ne pas accorder le nombre d'hommes nécessaire aux besoins de cette organisation, mais il n'en est pas moins vrai que le contingent doit être voté tous les ans et que la chambre a la faculté de le refuser ou de le restreindre.

Or, messieurs, que deviendrait alors l'amendement de l'honorable M. Thiéfry ?

J'ai entendu dire autour de moi, en réponse à cette objection : Mais on appellerait des classes libérées.

Messieurs, je crois qu'il y a encore ici un point à constater, c'est que les classes qui seraient appelées en vertu des pouvoirs extraordinaires conférés au gouvernement ne pourraient rester sur pied qu'autant que les chambres consacreraient cet appel ; que si les chambres s'y opposaient l'appel ne pourrait être maintenu ; sans cela nous aurions donné au gouvernement un moyen d'agir contrairement à la Constitution. En effet, lorsque le gouvernement donne connaissance aux chambres de ces appels, si ce n'était point pour qu'elles les ratifient, la disposition de la Constitution qui prescrit le vote annuel du contingent deviendrait illusoire.

Evidemment cela ne peut pas entrer dans les intentions du gouvernement. Je n'ai pas même cru devoir demander la parole pour faire cette observation lorsqu'on discutait les articles auxquels elle se rapporte, parce que la chose est tellement évidente qu'elle ne peut être entendue différemment par persoune.

Eh bien, messieurs, je pense que le vote annuel du contingent s'oppose à ce que nous adoptions la proposition de l'honorable M. Thiéfry. Ce serait, d'ailleurs, intervenir dans l'exercice d'une des prérogatives les plus essentielles du gouvernement, sur laquelle il ne peut, selon moi, transiger.

M. Thiéfry. - Les honorables MM. Lelièvre et Coomans sont étonnés de la présentation de mon amendement. Il est bien naturel qu'un membre de la chambre, ayant pu apprécier combien on a autrefois affaibli les bataillons d'infanterie en les laissant sans soldats, cherche à éviter qu'on ne retombe dans les mêmes écarts, et je viens de citer les malheureux résultats de ce système pour la santé du soldat et pour la troupe.

Je me suis prononcé assez souvent contre la hauteur des dépenses pour qu'on ne me prête pas la pensée de vouloir empêcher des économies ; mais il ne faut pas que ces économies puissent être obtenues en désorganisant l'armée, c'est ce qui arriverait si l'on envoyait encore un grand nombre de miliciens en congé.

La réserve est déjà très faible, on doit donc désirer que ce que l'on appelle l'armée active soit fortement organisé. La majorité de la chambre, en votant un effectif de 100 mille hommes, a voulu faire une chose sérieuse, elle a cherché à augmenter la force de l'armée, et il ne peut pas entrer dans sa pensée de détruire demain ce qu'elle a fait hier.

Le gouvernement a dit : qu'il se considérait comme lié, quant à la durée du service ; cependant on pourrait, à l'avenir, tout en tenant cet engagement, réduire les bataillons, comme on l'a fait, à 200 hommes ; il suffirait de n'incorporer dans l'infanterie que 5,000 hommes au lieu de 8,000. Il en résulterait que les 49 bataillons d'infanterie n'auraient aucune consistance.

M. le ministre des affaires étrangères a proposé quelques changeniemts de rédaction ; je ne m'y oppose pas, je tiens seulement au principe, parce que la loi pourrait devenir très mauvaise si vous n'adoptiez pas mon amendement.

L'honorable M. de La Coste prétend que le vote du contingent serait illusoire ; on en dirait autant du budget qui comprend les sommes nécessaires pour la solde de tous les officiers. et cependant en adoptant la loi d'organisation des cadres, vous prenez aussi l'obligation de payer ces officiers.

Je crois, messieurs, avoir donné d'assez bonnes raisons en faveur de l'amendement ; si on ne l'adopte pas, il arrivera un jour que des ministres de la guerre, trop faibles, se laisseront influencer par leurs collègues, et alors on diminuera l'armée, ou détruira la force des corps et l'on aura une armée sans consistance.

- Il est procédéau vote par appel nominal sur l'amendement de M.Thiéfry tel qu'il a été modifié par M. le ministre des affaires étrangères.

En voici le résultat :

91 membres répondent à l'appel.

11 répondent oui.

74 répondent non.

6 s'abstiennent.

En conséquence, l’amendement n'est pas adopté.

Ont répondu oui : M. de Baillet-Latour, de Brouwer de Hogendorp, Félix de Mérode, Dequesne, de Renesse, de Steenhault, de Wouters, Dumon, Le Hon, Osy et Thiéfry.

Ont répondu non : MM. Visart, Ansiau, Brixhe, Clep, Closset, Coomans, Dautrebande, David, de Baillet (H.), de Breyne, de Bronckaert, Dechamps, de Chimay, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, Deliége, de Man d'Attenrode, de Mérode-Westerloo, de Muelenaere, de Naeyer, de Perceval, de Pitteurs, de Portemont, de Royer, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, de Theux, d'Hoffschmidt, Dumortier, Jacques, Janssens, Jouret, Julliot, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lejeune, Lelièvre, Lesoinne, Loos, Maertens, Magherman, Maloti. Manilius, Mascart, Matthieu, Moncheur, Moreau, Orban, Peers, Pirmez, Rodenbach, Rousselle (Ch.), Tesch, Thibaut, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Tremouroux, Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Vander Donckt, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Vermeire, Veydt, Vilain XIIII et Delfosse.

Se sont abstenus : MM. Devaux, Lebeau, Moxhon, Pierre, Rogîer et Roussel (A.).

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités, aux termes du règlement, à faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Devaux. - Messieurs, il s'agit ici d'une prestation d'hommes ; en semblable matière, de même que quand il s'agit d'une prestation d'argent, d'un impôt, je ne puis pas regarder le vote comme sérieux lorsque le gouvernement s'abstient.

M. Lebeau. - Je me suis abstenu par des motifs analogues.

M. Moxhon. - Dans un but d'humanité, j'aurais voulu adoucir le service du soldat sous les armes.

D'un autre côté, l'amendement de M. Thiéfry aurait pour conséquence de permettre au gouvernement de dépasser les prévisions du budget, ce que je ne veux pas.

M. Pierre. - Messieurs, n'approuvant pas la loi, dans son ensemble, par les motifs que j'ai eu l'honneur de présenter hier à la chambre, je n'ai voulu concourir au vote d'aucune de ses dispositions. Je n'ai point voté contre la proposition de l'honorable M. Thiéfry parce que, si elle eût été adoptée, elle eût constitué une certaine garantie de force organique et rendu l'armée quelque peu moins fictive.

M. Rogier. - Messieurs, j'ai voté le principe de la loi tel que l'a proposé et défendu le gouvernement et sous sa responsabilité ; je n'aurais pas voulu me séparer de lui dans une question aussi importante : or, la question spéciale soulevée par l'amendement de M. Thiéfry n'ayant pas été résolue d'une manière nette et précise par M. le ministre des affaires étrangères, qui s'est abstenu de se prononcer formellement pour ou contre, j'ai cru de nouveau devoir rester d'accord avec l'organe du gouvernement et je me suis abstenu.

M. Roussel. - Messieurs, les motifs d'humanité invoqués par l'honorable M. Thiéfry m'ont empêché de voter contre son amendement ; d'un autre côté, je n'étais pas fort désireux de lier le gouvernement. Enfin, je prie la chambre de me pardonner mon abstention, à raison de mon incompétence bien connue.

- L'article 3 du projet du gouvernement est mis aux voix et adopté.

Second vote des articles et vote sur l’ensemble du projet

La chambre décide qu'elle votera séance tenante sur l'ensemble du projet de loi.

La disposition additionnelle qui a été proposée par le gouvernement et adoptée par la chambre, est de nouveau mise aux voix et définitivement adoptée.

Il est procédé au vote par appel nominal. En voici le résultat :

94 membres ont répondu à l'appel ;

71 membres ont répondu oui ;

21 membres ont répondu non ;

2 (MM. Coomans et de Ruddere) se sont abstenus.

En conséquence la chambre adopte. Le projet de loi sera transmis au sénat.

Ont répondu non : MM. Clep, Closset, David, de Bronckaert, Deliége, de Perceval, de Portemont, Jacques, Jouret, Lejeune, Lesoinne, Manilius, Moreau, Moxhon, Pierre, Thiéfry, Tremouroux, Vandenpeereboom (Alphonse), Vandenpeereboom (ërnest), Vander Donckt et Delfosse.

Ont répondu oui : MM. Visart, Ansiau, Anspach, Brixhe, Dautrebande, de Baillet (H.), de Baillet-Latour, de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, Dechamps, de Chimay, de Decker, de Haerne, de La Coste, Delehaye, de Liedekerke, de Man d'Attenrode, de Mérode (Félix), de Mérode-Wcslerioo, de Muele-naere, de Naeyer, de Pilleurs, Dequesne, de Renesse, de Royer, de Sécus, de Steenhault, de Theux, de T'Serclaes, Devaux, de Wouters, d'Hoffschmidt, Dumon, Dumortier, Janssens, Juillet, Landeloos, Lange, Laubry, le Bailly de Tilleghem, Lebeau, Le Hon, Lelièvre, Loos, Maertens, Magherman, Malou, Mascart, Matthieu, Moncheur, Orban, Orts, Osy, Peers, Pirmez, Rodenbach, Rogier, Roussel (Adolphe), Rousselle (Charles), Tesch, Thibaut, Thienpont, T'Kint de Naeyer, Van Grootven, Van Hoorebeke, Van Overloop, Van Remoortere, Van Renynghe, Vermeire, Veydt et Vilain XIIII.

Les membres qui se sont abstenus sont invités à faire connaître les motifs de leur abstention.

(page 1356) M. Coomans. - Je me suis abstenu par les motifs que j'ai expliqués hier.

M. de Ruddere. - Je me suis abstenu parce que j'ai voté contre le principe.

Projet de loi, amendé par le sénat, prorogeant la loi sur les concessions de péages

Discussion générale

M. Rousselle. - Messieurs, la discussion ouverte en ce moment me paraît de la plus grande importance : il s'agit en effet, pour la chambre, de se déjuger ou de maintenir une opinion que n'a point partagée l'autre branche élective de la législature, et que combat aujourd'hui le gouvernement quoiqu'il y ait d'abord adhéré.

Je tiens à déclarer, messieurs, qu'après y avoir mûrement réfléchi, je persisterai dans le vote que j'ai émis la première fois en faveur de l'amendement que la section centrale nous propose de nouveau.

Que veut cet amendement ? L'exécution sincère, entière de la loi du 19 juillet 1832 qui a prescrit une enquête sur l'utilité des travaux publics, la hauteur du péage et sa durée, exécution négligée depuis 1845 pour les chemins de fer de plus de 10 kilomètres de longueur, parce que la concession en est faite par la loi.

Messieurs, pourquoi la prescription d'une enquête publique ? Evidemment c'est pour que tous les intérêts qui sollicitent ou que froisserait la nouvelle voie de communication, pour que les intérêts qui peuvent être affectés par la hauteur et la durée du péage, pour que tous les intérêts enfin puissent se manifester librement et en temps utile, et pour que le pouvoir administratif ou législatif appelé à prononcer, soit à l'abri de toute surprise de l'intérêt local et privé, toujours si actif, et qu'il ne décide qu'en pleine connaissance de cause, sous l'impulsion et en vue de l'intérêt général.

Je ne comprends pas que l'on veuille bien de l'enquête quand il s'agit d'une concession à accorder par le gouvernement, et qu'on la repousse quand la concession doit se faire par la loi. Le gouvernement a cependant autour de lui, abstraction faite de l'enquête publique, des moyens que nous ne possédons pas, de s'éclairer et de se garantir contre les influences intéressées et partiales.

Trouverait-on raisonnable, par hasard, de mettre sa responsabilité à l'abri d'une enquête, quand le gouvernement doit prononcer lui-même, et de laisser la chambre exposée, sans cette garantie, à engager trop légèrement la sienne, quand c'est à la loi à statuer ? Mon honorable ami, M. Veydt, premier auteur de l'amendement adopté par la chambre, vous l'a dit avec une conviction que je partage : « L'enquête devant la législature est radicalement impossible. Se borner à cette marche, c'est vouloir se passer d'enquête. Les députés qui ne connaissent pas les localités dont il s'agit sont obligés de s'en rapporter à leurs collègues, mieux instruits qu'eux, mais il faut le dire, peut-être moins impartiaux, engagés déjà par des idées préconçues et invités à se placer à un seul point de vue, qui sera celui des concessionnaires en instance. »

Messieurs, j'ai entendu, au commencement de cette nouvelle discussion, produire deux objections auxquelles je crois devoir répondre.

La première, c'est que depuis 1845 le système des concessions par la loi sans enquête sur l'utilité publique des travaux, la hauteur et la durée des péages, fonctionne et ne présente aucun inconvénient.

La deuxième, c'est que l'on ne peut actuellement demander une dérogation à ce mode qui constitue une espèce de droit acquis pour les concessions maintenant en instruction.

A la première objection je réponds que l'arrêté royal du 28 mai 1846 qui a soumis à l'enquête, même les concessions à proposer à la législature, a été porté dans un moment où l'on était encore sous l'impression des inconvénients attachés à l'octroi des entreprises improvisées. L'on ne saurait nier ces inconvénients, ils sont palpables.

Rappelez-voue, messieurs, que la plupart des concessions de 1845 faites sans enquête n'avaient reçu qu'un commencement d'exécution et que sans la garantie d'un minimum d'intérêt auquel les chambres ont dû souscrire en 1851, nous aurions eu le triste spectacle de tronçons de chemins, de ruines accumulées, et d'un territoire morcelé au grand détriment de la propriété et sans utilité pour le transport de nos produits et la locomotion de nos populations.

Et pourquoi, messieurs ? Parce que les lignes avaient été généralement concédées sans études préparatoires, sans avoir entendu les populations et les localités qu'elles devaient traverser ou mettre en relation ; parce que l'on n'avait pas assez médité sur le résultat que l'on voulait atteindre et sur la dépense à faire pour l'obtenir, comparée au profit espéré.

Lorsque l'on veut entreprendre une ligne de chemin de fer dans une contrée quelconque, sa direction ne saurait jamais être trop étudiée. Pourque l'entreprise soit utile, soit le plus généralement utile, il faut mettre en relation les populations les plus denses, les centres industriels les plus actifs ; et je soutiens que ni les informations administratives, ni les discussions parlementaires souvent trop précipitées, quand elles ne sont pas déjà influencées par nos collègues, des localités préférées par les demandeurs de concessions, ne sauraient fournir sur ces matières les lumières que donnent les enquêtes publiques.

Quant à la deuxième objection, il est évident pour moi que les projets que le gouvernement a pu soumettre à la chambre dans cette session, doivent être affranchis de l'enquête, à moins que la chambre ne se trouve pas suffisamment éclairée ; mais, je le demande, à quel droit acquis porterait-on grief, quel inconvénient y aurait-il en soumettant à l'enquête les demandes dont le gouvernement est encore saisi et dont la présentation à la législature est forcément ajournée à la session prochaine ?

Pour moi, je ne vois dans une enquête ni inconvénient, ni atteinte à des droits acquis ; j'y vois, au contraire, de grands avantages, et l'intervalle enlre les sessions me paraît plus que suffisant pour mener à fin une enquête publique, si on ne laisse pas dormir les dossiers dans les bureaux. Je ne suppose pas d'ailleurs que les demandeurs de concessions et les localités intéressées aux travaux qui n'ont pas encore été soumis à la chambre, craindraient que les lumières produites par l'enquête sur leurs projets ne leur nuisissent en découvrant les vices qu'ils recèleraient ou les lacunes qu'ils présenteraient.

On a dit encore que, d'époque en époque, les capitaux abondent ou se retirent, et que si à l'époque où ils abondent, le gouvernement et les chambres ne sont pas à même de statuer sur une demande, les projets avorteront en cas de crise financière.

Messieurs, je n'ai pas de crainte que les capitaux manquent jamais dans le temps opportun aux entreprises réellement utiles, bien étudiées, bien combinées et susceptibles de produire de bons résultats ; ce que je crains, au contraire, c'est que par engouement, par l'appât trompeur que des convoitises locales savent si bien faire agir, par des influences ardentes et peu soucieuses du bon emploi des capitaux, par des spéculations où l'agiotage joue le principal rôle, on n'entraîne les possesseurs de capitaux laborieusement acquis à les livrer trop facilement pour des entreprises sans profil, dans des conditions qui les rendraient improductives, quand même elles ne viendraient pas affecter les recettes des lignes ouvertes avec l'argent de tout le pays, ou compromettre par une concurrence outrée l'existence des entreprises faites antérieurement sous la foi publique, au moyen de capitaux privés. Quant à moi, messieurs, je pense que l'Etat ne peut être indifférent à l'emploi des capitaux.

Il doit désirer qu'ils puissent se reformer et s'accroître dans d'équitables proportions. Je dis même que l'association future des capitaux pour les entreprises des travaux d'utilité publique dépend du succès des associations précédentes, et qu'à ce succès lui-même est lié l'avenir des voies économiques de transport, nécessaires au développement de la richesse nationale. Eh bien, j'estime qu'à ce seul point de vue et pour éclairer les possesseurs de capitaux, les enquêtes doivent être grandement utiles si elles ne sont pas absolument nécessaires, et ce motif seul m'eût déjà porté à donner une nouvelle adhésion à la proposition de la section centrale.

M. Vermeire. - Messieurs, le projet de loi qui est en ce moment l'objet de vos délibérations, a été amendé par le sénat. L'amendement comporte la suppression de l'article que nous avions ajouté au projet primitif du gouvernement et qui n'est que la reproduction de l'article 4 de la loi du 19 juillet 1832.

Le sénat, en proposant la suppression de cet article, s'est basé principalement sur les considérations suivantes :

1° Le système actuel établi et suivi depuis 1845 sans inconvénient constitue une espèce de droit acquis pour les concessions actuellement pendantes et en instruction ;

2° Il n'y a aucune nécessité, ni il ne peut résulter aucun avantage pour l'Etat du rétablissement de l'enquête prescrite par la loi de 1832 et abandonnée en pratique depuis 1845 ;

3° L'enquête publique est remplacée par l'enquête administrative, dans laquelle on prend les avis des ingénieurs, des principales localités et du comité consultatif des ponts et chaussées ;

4° Une instruction qui se prolonge outre mesure éloigne les capitaux d'entreprises vers lesquelles l'Etat a un intérêt direct de les voir affluer au point de vue du développement des intérêts matériels que des voies de communications nouvelles rendent plus prospères.

Je me propose d'examiner brièvement ces divers motifs et d'en apprécier, à mon point de vue, la valeur respective.

Il n'y a, d'après moi, aucun droit acquis pour les concessions pendantes ou en instruction, parce que le gouvernement et la législature ont, en tout temps, le droit d'ordonner un supplément d'instruction.

Ne perdons pas de vue, messieurs, que les concessions de chemirs de fer consacrent, sinon un monopole, du moins un privilège et qu'en fait de travaux publics ces concessions portent atteinte à la pleine et libre jouissance de la propriété.

Il est vrai que l'expropriation ne peut être décrétée que pour cause d'utilité publique ; mais il me semble dès lors que, pour être logique, il faut, pour établir cette utilité, procéder par voie d'enquête publique, puisque c'est le public qui, dans l'espèce, y a un intérêt direct et doit donc être appelé à juger de l'utilité de la concession à intervenir.

On dit que les concessions accordées depuis 1845 n'ont offert aucun inconvénient. Cette assertion est sujette à contestation. D'abord, il y a danger à prescrire simultanément de nombreux travaux publics. Ce danger a été souvent signalé par les économistes et par les autorités compétentes en ces matières, parce qu'il doit, par l'immobilisation des valeurs destinées à la circulation, amener, immanquablement, des crises financières, toujours désastreuses pour le commerce et l'industrie. Les années 1846 et 1847 en ont fourni des exemples frappants.

Il y a un autre danger bien plus imminent, et que la chambre connaît parfaitement ; c'est que, par la coalition de divers intérêts, on obtient le vote de projets qui ne présentent presque aucun caractère d'intérêt public.

(page 1357) C'est ainsi qu'en 1851 nous avons voté beaucoup de chemins de fer improvisés, sans qu'aucune instruction préalable en ait établi l'utilité. Si, par exemple, on avait ordonné une enquête sur la hauteur des péages de la concession de Dendre-et-Waes, la chambre aurait pu émettre un avis en connaissance de cause. Je crois que dans le cas actuel nous sommes restés dans le vague, parce que, quelque étude qu'on ait faite de l'exploitation ces chemins de fer, on ne peut, en présence d'une complication aussi grande, en calculer d'avance les résultats.

J'ai dit tout à l'heure que la chambre avait toujours le droit d'ordonner une enquête ou un supplément d'instruction. Mais je dois ajouter que lorsqu'il s'agit de chemins de fer, ces projets sont censés avoir fait l'objet d'un mûr examen et d'une instruction suffisante ; et que dès lors l'enquête ordonnée par la chambre serait, ou un blâme infligé au gouvernement, ou un discrédit jeté sur la demande en concession. Que l'enquête publique est autrement importante que l'enquête administrative découle des considérations précédentes. Certes, l'enquête administrative est utile et nécessaire, mais elle est insuffisante, en ce que, bien souvent, elle n'envisage pas d’une manière exacte la question sous le point de vue économique, mais seulement sous celui de l'exécution. Je ne révoque nullement en doute l'impartialité, les hautes capacités de nos ingénieurs et du comité consultatif des ponts et chaussées ; mais le nom seul de ces fonctionnaires ne prête-t-il pas avec quelque raison à dire avec l'honorable M. Ernest Vandenpeereboom, dans un autre ordre d'idées : Demandez des travaux publics aux ingénieurs, ils vous en donneront beaucoup plus que vous ne désirez en obtenir. Quand on envisage froidement et impartialement la question, l'on doit convenir que l'instruction actuellement suivie est insuffisante.

Je rencontre la dernière objection :

«Une instruction qui ss prolonge outre mesure éloigne les capitaux, etc., etc. »

Messieurs, rien n'est moins exact que de dire que l'enquête prolonge l'instruction préalable outre mesure, qu'elle entraîne à des lenteurs et à des conflits dont le résultat est d'empêcher les affaires de marcher lestement.

Ainsi que le constate le rapport de la section centrale, on s'exagère considérablement le temps qu'il faut pour procéder à une enquête. Après qu'on a observé les délais peur l'annonce au public et pour le dépôt des pièces, l'opération de l'enquête se fait en une ou deux séances. La lenteur étant écartée, l'enquête ne doit pas plus effrayer les demandeurs en concession que l'incetcitude dans laquelle ils sont, actuellement, sur le point de savoir si une loi de concession interviendra ou n'interviendra pas en leur faveur.

Une enquête qui établit, à toute évidence, l'utilité de la concession demandée, loin d'éloigner les capitaux de l'entreprise, doit, au contraire, avoir, pour résultat, de les y faire affluer en plus grande abondance. Il est vrai que les travaux non sérieux qui n'ont souvent d'autre but que de servir d'appât à l'agiotage, seront moins bien accueillis. Mais, je le demande, messieurs, où est le mal ? Il importe donc, d'après moi, que ce ne sont que les travaux sérieux vraiment utiles que nous devons encourager et ceux-là trouvent toute garantie dans l'enquête publique préalable. On invoque si souvent l'exemple de l'Angleterre : Eh bien, le rapport de la section centrale constate que, dans ce pays si libre, où tant de travaux publics sont exécutés, on n'accorde les concessions de chemins de fer qu'après une enquête longue et rigoureuse. En Prusse l'enquête est prescrite par arrêté royal. Je persiste donc à croire que nous poserions un acte de haute prudence en prescrivant comme règle générale l'enquête préalable.

Je voterai pour la proposition de la section centrale.

M. Osy. - Je viens appuyer la proposition de la section centrale. Je regrette que, pour cette affaire, il y ait un conflit entre les deux chambres, et j'aurais beaucoup désiré trouver un moyen de les mettre d’accord. Mais je crois que la proposition de la sectiou centrale est tellement sage que nous ne pouvons pas l'abandonner. Effectivement, si tous les chemins de fer que nous avons concédés depuis dix ans avaient été soumis à une enquête, on aurait évité bien des charges au trésor. Quel en a été le résultat ? Il a été que tous les chemins de fer que nous avons concédés, en 1845, ont été obliges de demander des subsides au gouvernement. Vous savez, messieurs, où cela nous a menés. En 1851, pour faire passer d'autres travaux, on vous a demandé des garanties d'intérêt pour des chemins de fer concédés, pour lesquels on disait, lors de la concession, que cette garantie n'était pas nécessaire. Eh bien, je crains que si le gouvernement n'est pas obligé d'une manière positive par la loi à faire une enquête, pour voir si effectivement il y a du sérieux dans ce qu'on propose, et en présence du jeu effréné qui se fait maintenant partout de nouveau et qui se renouvelle périodiquement après les crises, vous ne rentriez dans la voie qui a été adoptée en 1845.

J'ai fait partie d'une commission d'enquête pour un chemin ; c'est le chemin de fer du pays de Waes, le chemin de fer d'Anvers à Gand. Eh bien, c'est le seul chemin de fer pour lequel on a fait une enquête et c'est aussi le seul qui ne vous demande rien, qui n'ait rien demandé au gouvernement, qui ait été une affaire sérieuse rendant les plus grands services au pays.

Messieurs, par l'adoption de la disposition qu'on vous propose, toutes les demandes de concession qui seront faites au gouvernement, on les soumettra à une enquête ; on verra si effectivement le travail qu'il s'agit de faire est utile aux localités, est utile au pays, s'il ne peut nuire au chemin de fer du gouvernement. Si au contraire on arrive ici avec des projets de chemins de fer qui n'ont pas été soumis à l'enquête, vous savez ce qui arrive.

Les localités intéressées usent de tous leurs efforts et la chambre, peu éclairée, vote la loi, taudis que si la demande était soumise à une commission d'enquête, si l'on prenait l'avis des chambres de commerce, des députations permanentes et des ingénieurs, la chambre pourrait connaître si le travail proposé présente assez d'avantages pour être voté et si les sociétés sont sérieuses et pas seulement des jeux de bourse.

Messieurs, il est temps, il est plus que temps que nous abandonnions le système qui a été suivi depuis dix ans. Pour ma part je voterai la première proposition de la section centrale, et j'espère qu'elle sera maintenue et que le sénat, voyant les conséquences de la marche suivie par le passé, reviendra sur son premier vote.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, en combattant l'amendement de la section centrale, j'étais surtout mù par une pensée de justice. J'étais mû par cette considération que plusieurs demandes en instruction en ce moment à mon département auraient pu se trouver compromises par l'adoption d'un amendement qui en aurait ajourné pour longtemps la réalisation.

Je suis, me semble-t-il, déjà d'accord avec les honorables préopinants, que ces demandes ne seraient pas compromises,puisqu'on semble admettre que pour celles-là au moins l'enquête préalable ne serait pas obligatoire.

Quant au fond du débat, je puis m'en rapporter aux déclarations que j'ai faites. Je renouvellerai donc ces déclarations devant la chambre ; c'est que si l'on n'a pas ordonné jusqu'à présent l'enquête à l'égard des divers chemins de fer qui ont été concédés depuis 1845, il n'en est pas résulté, que je sache, le moindre dommage, le moindre danger.

Je ne puis, sous ce rapport, partager l'opinion de l'honorable M. Osy. Je ne pense pas que si le gouvernement a été obligé en 1851 d'intervenir en faveur des compagnies concessionnaires, c'a été parce qu'il n'y a pas eu d'enquête.

Si ces concessions avaient été précédées d'enquêtes, l'honorable membre voudra bien reconnaître que la crise de 1848 n'en aurait pas moins pesé sur ces compagnies et que le gouvernement n'aurait pas moins été obligé d'intervenir en leur faveur pour les mettre à même de conduire à fruit leurs entreprises.

Si l'amendement de la section centrale n'était pas adopté par la chambre, la situation dans laquelle se trouverait le gouvernement vis-à-vis des demandeurs en concession serait celle dans laquelle il s'est trouvé depuis 1845 ; c'est-à-dire que si le gouvernement reconnaissait qu'il est utile de faire une enquête, que des intérêts divers se trouvent en présence, que la direction que l'on propose pour la ligne à concéder peut contrarier des intérêts légitimes, des intérêts rivaux, le gouvernement aurait recours à l'enquête ; et s'il n'y avait pas recours lui-même, la chambre serait là pour l'obliger à envoyer les divers projets présentés à l'instruction.

Où serait là le grand mal ? Je n'en vois pas et il y en aurait peut-être à adopter l'amendement. Ce serait créer une situation fâcheuse, un conflit entre les deux chambres pour une affaire qui, en définitive, est insignifiante.

Sur quoi doit porter l'enquête d'après les termes de l'amendement ? Sur trois choses : sur l'utilité du travail, sur la hauteur des péages et sur la durée de la concession. Eh bien, il y a là deux éléments qui forment en quelque sorte une clause de style dans toutes les concessions ; la hauteur des péages et la durée des concessions.

La hauteur des péages, on n'a qu'à lire les concessions qui ont été octroyées. Les compagnies acceptent toujours les tarifs du gouvernement qui ne sont pas trop élevés que je sache.

Quant à la durée de la concession, elle est réglée par le terme de 90 ans.

Pour l'utilité du travail, elle ressort du travail lui-même. On propose l'exécution d'une ligne de tel point à tel point. La chambre examine si ce travail est utile ; s'il soulève des questions de conflit, s'il soulève un intérêt d'opposition, le gouvernement aura recours à l'enquête. Si au contraire il ne s'élève pas d'opposition, pourquoi voulez-vous que ce travail puisse être ajourné par une enquête qui peut durer au minimum deux ou trois mois ?

Je crois donc devoir persister dans les observations que j'ai présentées dans une autre séance.

M. Orban. - Messieurs, je serai très court, je n'ai que quelques mots à ajouter aux considérations qui ont été émises pour maintenir l'amendement de la section centrale.

M. le ministre des travaux publics vient de vous dire : L'enquête est inutile. Car deux des points sur lesquels porte l'enquête, la hauteur des péages et la durée de la concession ne sont en quelque sorte sorte que des conditions de style, et les concessionnaires sont d'accord d'avance avec le gouvernement sur ces deux points.

Messieurs, je dois vous le dire franchement ce que je vois d'avantageux dans l'enquête, c'est surtout le délai qui est imposé, c'est sirtout le temps. C'est le temps qui doit s'écouler entre la demande en concession et le moment où elle doit recevoir une solution définitive.

Ce délai, messieurs, me semble absolument indispensable pour que les intérêts des actionnaires, les intérêts du gouvernement et les intérêts de tout le monde scient sauvegardes.

Ce n'est que lorsqu'une demande en concession est connue du public, (page 1358) lorsque son attention a été appelée pendant un délai moral, que les réclamations utiles peuvent se produire, que les actionnaires peuvent savoir si l'entreprise qu'on leur présente est sérieuse, et qu'enfin le gouvernement peut savoir lui-même si les intérêts du trésor, si les intérêts du chemin de fer de l'Etat ne peuvent être lésés.

Si je voulais, messieurs, une preuve de la nécessité de cette enquête, je la trouverais dans une considération qui a été émise tantôt par M. le ministre des travaux publics lui-même.

Que vous a dit M. le ministre des travaux publics ?

Il vous a dit qu'il existait en ce moment nombre de demandes de concessions soumises au gouvernement et que si vous décrétez la nécessité de l'enquête, les concessions de ces chemins de fer ne pourront être adoptées par la chambre que dans la session prochaine.

Que résulte-t-il de ces paroles ? C'est que si vous n'adoptez pas l'enquête, ces demandes de concession, dont vous n'avez encore aucune connaissance, vous seront soumises, seront examinées, discutées et adoptées d'ici à huit, dix ou quinze jours. Car telle est la durée probable de la session.

Voilà, en d'autres termes, le but de l'insistance que met M. le ministre des travaux publics à repousser l'enquête. Car si cette objection n'est pas fondée, je ne vois aucun motif qui puisse être opposé à la proposition de la section centrale.

En effet, du moment où vous reportez à l'année prochaine l'examen des projets, dans l'intervalle des deux sessions, on a tout le temps pour faire une enquête nécessaire.

Mais, dit M. le ministre des travaux publics, il existe une loi de 1832 qui prescrit l'enquête et nous ne l'avons pas observée ; cependant il n'en est résulté aucun inconvénient.

Je ne conçois réellement pas, messieurs, comment M. le ministre des travaux publics a osé produire une objection semblable. Car cette objection est, à mon avis, la condamnation la plus manifeste de la conduite qu'a tenue le gouvernement.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Et la chambre ?

M. Orban. - Et la chambre sollicitée par le gouvernement, csr c'est au gouvernement à ne soumettre aux chambre les projets sur lesquelles elies sont appelées à délibérer, qu'après avoir observé les formalités qu'exige la loi.

Je dis donc que la responsabilité de ces infractions retombe sur le gouvernement qui a convié les chambres à voter des projets sur lesquels il n'avait pas fait les informations qui lui étaient imposées par une loi.

Eh bien, je dis que les inconvénients de cette manière d'agir sont des plus palpables, des plus manifestes. Que sont devenues toutes les concessions qui ont été votées depuis l'époque indiquée par M. le ministre des travaux publics ? Elles sont devenues une source de déceptions pour les actionnaires, et plus encore pour le gouvernement. Je n'examinerai pas quelle est la position de ces chemins de fer ; je ne vous montrerai pas que toutes ces concessions, sauf une, sont devenues pour les actionnaires une cause de ruine et de déceptions. Mais j'examinerai quelle est la position qui a été faite au gouvernement par suite de ces concessions.

Ces concessions, messieurs, avaient été accordées par le gouvernement à des conditions qui sauvegardaient complètement les intérêts du trésor, qui imposaient aux concessionnaires l'obligation de verser un cautionnement, à quelques-unes l'obligation de prendre à leur charges d'autres travaux.

Je citerai, entre autres, la compagnie du Luxembourg qui était obligée de reprendre l'entreprise du canal de Meuse et Moselle, indépendamment du cautionnement qu'elle devait verser. Eh bien, messieurs toutes ces concessions qui devaient laisser le gouvernement parfaitement indemne, ont été abandonnees et elles n'ont repris vie que lorsque le gouvernement a, en quelque sorte, assumé toutes les obligations des concessionnaires en leur promettant un minimum d'intérêt.

Telle est, messieurs, l’histoire du chemin de fer du Luxembourg, du chemin de fer de l'Entre-Sambre-et-Meuse, du chemin de fer central des Flandres et de la plupart des chemins de fer concédés depuis 1845. Je suis vraiment étonné que M. le ministre des travaux publics ne voie aucun inconvénient à un système qui a amené le gouvernement à assurer toutes les charges des concessionnaires.

Mais, messieurs, il est un fait plus grave, que je vais vous citer :

En 1851 vous avez examiné avec beaucoup de soin une concession qui vous était proposée par le gouvernement, c'était celle du chemin de fer de Dendre-et-Waes. Assurément, messieurs, que si l'instruction parlementaire peut être suffisante pour éclaircir des questions de concessions de chemins de fer, jamais cette condition n'a été mieux remplie que pour le chemin de fer de Dendre-et-Waes. La question a été exposée avec une lucidité parfaite, grâce au discours de l'honorable membre qui siège derrière moi. On prétendait que cette concession ne devait exposer l'Etat à aucun danger.

Eh bien, messieurs, il y a quelques jours un fonctionnaire supérieur, le plus compétent peut-être eu ces matières, se trouvait dans une commission instituée par le gouvernement pour examiner les questions qui se rattachent à l'administration des chemins de fer ; on lui a posé la question de savoir quelle serait la conséquence de la concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes et il a exprimé l'opinion qu'il en résulterait pour le gouvernement une perte annuelle d'un million sur les recettes et l'obligation de dépenser un million de plus pour l'exploitation.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je le nie.

M. Orban. - Niez-vous le fait de l'assertion de ce fonctionnaire ? (Interruption. ) Si vous niez l'exactitude de l'assertion, je me permettrai de vous dire que l'opinion et l'expérience de ce fonctionnaire peut parfaitement contrebalancer la vôtre. (Interruption.)

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - C'est une dénonciation contre ce fonctionnaire et j'en userai.

M. Orban. - Je trouve que ce fonctionnaire a parfaitement rempli son devoir ; nommé membre d'une commission chargée d'élucider les questions qui se rattachent aux recettes et aux dépenses des chemins de fer, il avait le droit de dire franchement son opinion et il l'a fait, il est de ce chef à l'abri de toute censure ; mieux eût valu sans doute, consulter ce fonctionnaire avant d'accorder une concession qui sera ruineuse pour le trésor et tenir compte de son avis.

Voilà, messieurs, quelle est la valeur de ces enquêtes parlementaires qu'on déclare aujourd'hui suffisantes et qu'on voudrait substituer aux formalités ordonnées par la loi de 1832.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je suis extrêmement surpris des paroles que vient de prononcer l'honorable M. Orban. L'honorable M. Orban oppose ici l'opinion d'un fonctionnaire qui est sous mes ordres à l'opinion du ministre ou plutôt à l'opinion de la chambre, car la chambre en adoptant la concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes s'est associée à l'opinion défendue par le gouvernement.

Eh bien, si l'honorable M. Orban veut engager ici un débat contradictoire sur les conditions de cette concession, je me fais fort de lui démontrer que l'intérêt du trésor est parfaitement sauf.

Je le répète, messieurs, je m'étonne de voir l'honorable M. Orban m'opposer l'opinion d'un fonctionnaire placé sous mes ordres et à qui je ne reconnais pas le droit de venir contredire l'opinion du gouvernement. Il n'y a plus de subordination, de discipline, de hiérarchie possible avec un pareil système.

L'honorable M. Orban, au lieu de parler sur l'amendement en discussion, se place complètement à côté.

Je savais déjà depuis longtemps que l'honorable membre n'était pas favorable à l'intervention du gouvernement en matière de travaux publics, quoique je sois profondément convaincu que si la Belgique est honorée et considérée au-dehors, elle le doit en partie au développement intelligent qu'elle a donné aux travaux publics, développement qui a exercé une influence des plus fécondes sur toutes les branches du travail national et sur toutes les sources de la richesse publique. C'est se montrer ingrat envers son pays que de vouloir dénoncer ici comme un mal l'extension que le gouvernement a donnée aux travaux publics.

Mais l'honorable membre va beaucoup plus loin : il s'élève au nom des actionnaires, parmi lesquels il ne compte probablement pas, contre les concessions accordées en 1845. Je demande à l'honorable membre ce que cela a de commun avec la question qui nous occupe aujourd’hui ? Pense-t-il que si l'on avait soumis à une enquête le tracé du Luxembourg, le tracé de i'Entre-Sambre-et-Meuse, le tracé de la Flandre occidentale, le gouvernement n'aurait pas été obligé de venir au secours des compagnies concessionnaires ? Est-ce parce qu'il n'y a pas eu d'enquête que nous avons dû intervenir ? Parlez donc de la question qui est en discussion.

Cette question, messieurs, est celle de savoir s'il convient que les demandes de concession dont le gouvernement est aujourd'hui saisi, seront soumises à une enquête.

Eh bien, si la chambre pense qu'il est bin qu'une demande de concession fasse l'objet d'une enquête, n'est-elle pas toujours maîtresse d'ordonner cette enquête lorsque le gouvernement vient lui soumettre un projet ? Est-ce que la chambre n'est pas souveraine ?

Ainsi, messieurs, pour le chemin de fer de Hasselt à Maestricht, le gouvernement est disposé à soumettre aux chambres une convention extrêmement favorable ; eh bien, si la chambre pense qu'elle ne doit pas concéder ce chemin de fer cette année, qu'il doit faire l'objet d'une enquête, la chambre le déclarera et le gouvernement se fera nécessairement un devoir de déférer à la volonté de la chambre.

Mais je déclare que si l'enquête n'a pas lieu je n'y verrai pas grand inconvénient ni danger. Où peut être, en effet, l'inconvénient ou le danger ? Il ne pourrait y en avoir que si le gouvernement prenait quelque engagement financier envers la compagnie. Mais si le gouvernement est non seulement indemne, si non seulement, il ne doit pas intervenir financièrement, mais que par la concession il obtienne même la cessation d'un différend très fâcheux et le remboursement d'avances considérables, alors la chambre examinera s'il ne vaut pas mieux accorder cette concession immédiatement que de lui opposer les lenteurs d'une enquête.

Aussi je prie l'honorable M. Orban de ne pas préjuger l'accueil que ferait la chambre à cette concession.

L'honorable membre n'est déterminé dans son opposition que par cette considération qu'il ne faut plus voter de chemins de fer, surtout cette année, et il regrette sans doute l'intervention du gouvernement en faveur de la compagnie du Luxembourg.

Eh bien, je défie l'honorable M. Orban d'obtenir le chemin de fer du Luxembourg, auquel il s'intéresse, sans une garantie d'intérêt ou. sans que le gouvernement exécute le chemin de fer à ses frais. Or l'exécution par l’Etat n'excite guère les svympathies de l'honorable membre (page 1359) et elle entraînerait une dépense de 20 à 25 millions.

Je laisse la chambre juge du point de savoir si la non-intervention de l'Etat n'aurait pas eu pour résultat inévitable de rendre à tout jamais impossible la construction d'un chemin de fer dans le Luxembourg.

M. le président. - Voici un amendement présenté par MM. Tesch et Deliége :

« La disposition qui précède ne sera pas applicable aux chemins de fer à l'égard desquels un contrat serait intervenu entre le gouvernement et les demandeurs en concession, au moment de la publication de la présente loi. »

M. Loos. - Messieurs, je m'étonne de l'opposition de l'honorable ministre des travaux publics à l'amendement qui a été introduit dans la loi sur les concessions de péages. En effet, messieurs, j'ai entendu faire un grief à un ancien ministre de ce que, par tolérance, il n'avait pas exécuté complètement une loi ; il ne l’avait exécutée qu'en partie ; cette tolérance, il l'avait réclamée en faveur des contribuables.

Aujourd'hui, M. le ministre des travaux publics déclare qu'il n'a pas exécuté la loi, qu'il continuera à ne pas exécuter la loi, à moins que la chambre ne l'ordonne. C'est là une situation tout à fait exceptionnelle ; il existe une loi qui ordonne l'enquête : M. le ministre n'exécute la loi dans aucune de ses parties.

M. le ministre des travaux publics dit : « S'il y a de l'opposition dans la chambre contre un chemin de fer, la chambre pourra prescrire l'enquête. »

Il faut donc, messieurs, que la chambre fasse d'abord la loi, et qu'elle décrète ensuite que le ministre l'exécutera. Cela est tout à fait anormal : il existe une loi ; tant qu'elle existe, elle doit être exécutée.

Quant à moi, j'insiste sur l'exécution de la loi, dans l'intérêt de la moralité publique. Nous sommes peut-être à la veille de voir renaître cette fièvre de chemins de fer et de travaux publics qui a existé à une autre époque.

Je dois le dire, à une autre époque il a circulé des bruits très fâcheux auxquels, pour ma part, je n'ai ajouté aucune foi. Il y avait alors à la tête du gouvernement des hommes que je respectais beaucoup, quoiqu'ils ne fussent pas de mon opinion, des hommes sur l'intégrité et la probité desquels il ne pouvait, d'après moi, y avoir le moindre doute ; eh bien, malgré le caractère extrêmement honorable de ces personnes, je le répète, j'ai entendu circuler les bruits les plus fâcheux. Nous devons éviter de nous mettre de nouveau dans cette position ; il faut que la dignité, la probité du gouvernement soient à l'abri de toute espèce de soupçon.

Si vous ne faites pas d'enquête, comme ordinairement les travaux publics compromettent les intérêts de certaines parties de province, la partie lésée supposera toujours que le choix du ministre a été déterminé par des considérations autres que l'intérêt public.

Eh bien, il faut mettre le gouvernement à l'abri de cette sorte de suspicion ; il faut que l'intérêt général domine, soit le seul guide des actions du gouvernement ; et pour cela, il faut que toutes les parties puissent être entendues, et que si une fraction de province doit succomber dans l'enquête ouverte, elle sache du moins que des intérêts plus grands ont prévalu.

Je pourrais citer d'autres inconvénients qui ont déjà été signalés par les honorables orateurs qui m'ont précédé. On vous a parlé des actionnaires ; en effet, messieurs, le gouvernement ne doit-il pas sauvegarder les intérêts du plus grand nombre ? Faut-il laisser se créer des établissements qui pourraient être suspectés de spéculations contraires à la moralité publique. On sait que quand cette sorte de fièvre de travaux publics règne, les actionnaires ne raisonnent pas ; ce n'est que quand le désenchantement arrive que quelques-uns se trouvent nantis d'une foule d'actions et trouvent leur ruine.

Il est de l'intérêt du gouvernement de prévenir les population trop faciles à se laisser aller à ces sortes de spéculations. Il faut qu'une enquête vienne constater le degré d'utilité et en même temps les ressources que peuvent produire les travaux qu'on a en vue ; il ne faut pas que ces travaux soient l'objet d'une opération de bourse, de l'agiotage, mais qu'ils soient justifiés par des besoins, par des nécessités reconnues dans les localités où il s'agit de les entreprendre.

Je crois donc que, dans l'intérêt du pays, il importe que la loi de 1832 soit exécutée pour tous les travaux publics spécifiés dans cette loi.

(page 1363) M. de Theux. - Messieurs, plusieurs orateurs versent ici dans une erreur évidente : ils supposent que la loi de 1832 a prescrit une enquête même pour les concessions à décréter directement par la loi. Or, c'est là une erreur manifeste : la loi de 1832 ne dit pas un seul mot de ces sortes de concessions.

On a dit que les chambres, d'accord avec le gouvernement, avaient passé sur la loi de 1832 ; messieurs, il n'en est rien ; je dis que l'amendement, adopté au premier vote, est une innovation, qu'il n'est pas conforme à la loi de 1832 ; sans cela, il aurait été inutile de l’insérer dans le projet de loi : la chambre n’aurait qu’à refuser son vote à tout projet présenté par le gouvernement, en s’en rapportant à la loi de 1832 : mais, je le répète, il n’en est rien.

Veuillez remarquer que la loi de 1832 avait adopté à l'égard des chemins de fer un système tout différent qui a été modifié par des lois postérieures.

En vertu de la loi de 1832, tous les chemins de fer, quels qu'ils fussent, pouvaient être concédés par le gouvernement ; mais alors la loi avait imposé au gouvernement quelques prescriptions à suivre. Ainsi il fallait une enquête, une adjudication publique.

Eh bien, messieurs, lorsque, par des lois postérieures, on a retiré au gouvernement la faculté de concéder des chemins de fer, sauf ceux d'une étendue très peu importante, on s'est trouvé dans une position nouvelle ; il ne s'agissait plus alors de la loi de 1832, il s'agissait d'une concession à faire par le gouvernement en exécution d'une loi spéciale ; alors aussi il ne s'agissait plus d'adjudication publique.

En effet, comment les choses se passaient-elles ? Le gouvernement présentait aux chambres une convention qu'il avait faite, et portant concession directe à une compagnie, convention qui déterminait la durée de la concession, la hauteur des péages, etc., et à laquelle le gouvernement joignait un cahier des charges ; les chambres votaient sur la proposition du gouvernement et accordaient ainsi à la compagnie demanderesse une concession directe qui n'était plus sujette à adjudication publique ni à concurrence. Voilà comment se justifie parfaitement la marche qui a été suivie.

Pourquoi a-t-on aboli l'adjudication publique, lorsqu'une convention est faite avec une compagnie et que cette convention est soumise aux chambres ? C'est que la compagnie qui a fait des frais préliminaires pour le projet ne veut pas s'exposer à une concurrence. D'ailleurs, cette concurrence est réellement nulle dans la pratique.

Messieurs, on a dit que l'enquête devait porter sur la durée de la concession et la hauteur des péages. Mais cela devient inutile. Vous fixez la hauteur des péages et la durée de la concession ; la question principale est celle des subventions à accorder par l'Etat, l'exécution aux frais exclusifs des compagnies.

Désormais le gouvernement et les chambres paraissent déterminés à ne plus accorder de garantie de minimum d'intérêt ou de subsides, dès lors, pourquoi repousser les travaux qui devraient s'exécuter gratuitement ? N'est-ce pas un moyen de fertilisation pour le pays, une aide considérable pour l'industrie minière, un avantage pour l'industrie agricole, en un mot pour tout ce qui se rattache aux intérêts généraux du pays.

Mais, dit-on, l'enquête n'est qu'un léger retard. Sans doute s'il s'agissait d'un projet présenté à l'ouverture d'une session et que l’enquête pût être terminée assez tôt pour que le projet fût soumis aux chambres avant leur séparation ; mais quand cela se présente à la fin d'une session, vous renvoyez le projet à une année. Est-on certain que les capitaux resteront à la disposition de la compagnie ? Car en attendant si une décision favorable interviendra, les capitaux devraient rester incertains quant à leur application, les possesseurs pourraient perdre d'autres occasions de les employer utilement.

Au point de vue pratique de l'intérêt des capitalistes, vous ne pouvez pas penser que des capitaux de plusieurs millions resteront en suspens une année, en attendant une décision de la législature. Vous ne pouvez pas raisonnablement penser qu'il en sera ainsi. Je suis persuadé que si la loi exige impérieusement une enquête pour toute concession, vous perdrez l'occasion d'en accorder bon nombre, parce que le gouvernement ne veut plus en concéder avec garantie d'intérêt ; alors vous mettrez hors du droit commun les localités pour lesquelles jusqu'ici on n'a pas concédé de chemin de fer, soit avec ce subside, soit avec garantie d'intérêt ; c'est là une inégalité de position très grande qui constitue une injustice.

Les localités qui sont dotées peuvent s'engager dans un système nouveau, elles n'y perdront pas beaucoup ; cependant elles perdront, car les provinces minières, qui produissent le fer et le charbon nécessaires à la construction et à l'exploitation des chemins de fer, sont intéressées à ce que les chemins de fer se multiplient ; c'est donc là encore une question d'intérêt général.

Maintenant on dit que certaines concessions, dont les conditions ont été formulées avec peu de maturité, oui été accordées il y a quelques années, et que le seul moyen de prévenir le retour de semblables faits, c'est l'enquête.

Il y a quelque chose de mieux à faire. Que le gouvernement réunisse tous les renseignements qu'il a sa disposition pour voir les conventions défectueuses qui ont été la source de procès ou l'occasion de dommages pour l'Etat ; que les demandes soient mûrement examinées, que les conventions soient mieux préparées, que les cahiers des charges soient mieux rédigés, il évitera les inconvénients auxquels les concessions antérieures ont donné lieu.

On s'est arrêté à cette circonstance que des travaux ont été aban-donnés. Mais il est un fait, c'est qu'une crise profonde, imprévue n'a pas laissé que d'influer sur l'inexécution de certains travaux. S'il est nécessaire d'augmenter le cautionnement, les garanties d'exécution, que le gouvernement, que les chambres l'exigent, que toutes les précautions soient prises pour que toutes les concessions accordées soient exécutées.

Je m'étais montré contraire à la remise d'une partie des cautionnements aux compagnies, j'avais prévu que, cette remise faite, les compagnies n'exécuteraient pas leurs engagements. Mais les chambres ont consenti à les délier des contrats primitifs ; de là est résulté l'abandon de plusieurs entreprises et la nécessité d'accorder ultérieurement des garanties d'intérêt.

C'est là le fait d'une loi postérieure à la concession qui a délié les campagnes, loi à laquelle j'étais opposé. Aujourd'hui le gouvernement est à même de faire des conventions telles qu'elles ne présentent aucun inconvénient, et il réunit plus d'éléments d'une bonne gestion que vous ne pourriez en obtenir dans une enquête quelconque.

Car les entreprises de chemin de fer sont en dehors de l'appréciation des personnes qui n'ont pas l'habitude de ces sortes d'affaires ; les agents du gouvernement d'ailleurs s'éclairant près des autorités locales sont plus à même de mettre le gouvernement en état d'apprécier une demande de concession qu'une commission d'enquête.

Je dirai en passant que le chemin de fer projeté de Hasselt à Maestricnt n'est pas la cause déterminante de mon opinion ; ce prolongement était prévu par la loi de 1845 dans la concession du chemin de Landen à Hasselt, le prolongement vers la frontière hollandaise était prévu, c'était un point décidé par la loi. Mais cette convention doit être avantageuse au gouvernement, elle doit tarir la source de procès avec la compagnie Mackenzie, faire rentrer le gouvernement dans certaines dépenses et ouvrir une voie nouvelle à la province de Limbourg.

Ce n'est pas un motif pour repousser la convention ; cette province comme les autres est digne de tout l'intérêt de la chambre. La prospérité de cette province importe à la prospérité générale du pays. Je ne redoute aucun résultat défavorable de l'enquête relativement à cette concession.

Mais je n'ai pas la certitude que les fonds faits aujourd'hui seront encore là dans un an, que la compagnie se considérera comme encore liée. Cette convention n'est pas la seule ; si mes renseignements sont exacts, ii en est d'autres d'une grande utilité qui intéressent le Brabant, le Hainaut, la province de Liège, et qui peuvent être arrêtées s'il faut entrer dans un système nouveau.

Il est une raison capitale sur laquelle j'appelle l'attention du gouvernement ; si pendant un an l'application de plusieurs millions reste suspendue, ces millions ne voudront pas rester dans l'incertitude, car quelle sera dans un an la situation financière de l'Europe et quelles seront les décisions des chambres.

Je dois dire que j'ai l'intime conviction que l'addition de cette mesure nouvelle (car il s'agit ici, non pas d'une dérogation, mais d'une addition à la loi de 1832) arrêtera bon nombre de concessions qui ne coûteraient rien à l'Etat.

(page 1359) Plusieurs membres. - La clôture !

M. Dumortier (contre la clôture). - Il s'agit, de la part de la chambre, de revenir sur un vote qu'elle a émis ; il me semble donc qu'il est de la dignité de la chambre d'entendre encore un orateur qui maintient l'opinion que la chambre avait émise au premier vote.

M. Deliége (contre la clôture). - Je demande à dire quelques mots en faveur de l'amendement et de l'opinion que j'ai émise en section centrale.

M. le président. - Dans tous les cas, il doit être entendu que l'un des auteurs de l'amendement sera admis à le développer.

- La clôture est mise aux voix et rejetée.

M. Dumortier. - Je viens appuyer l'amendement adopté par la chambre au premier vote. J'espère que la chambre voudra bien le maintenir.

Mon argument est très simple, et je crois qu'il détruit, en bien peu de mots, tout ce qui a été dit contre le système adopté par la chambre, au premier vote. Comment ! Quand il s'agit de construire une demi-lieue de pavé, de tracer un sentier, vous ordonnez une enquête ; et quand il s'agit d'un chemin de fer, qui est une affaire de plusieurs millions, vous n'en ordonneriez pas un« ! J'avoue queje ne comprendrais pas cette logique.

Je sais bien que l'amendement proposé par M. Veydt et accueilli par la section centrale a été adopté par la chambre, contrairement à l'opinion de M. le ministre des travaux publics. Je sais bien que M. le ministre a cherché à le faire rejeter par le sénat.

Mais est-ce un motif pour que nous acceptions ce rejet ? Je ne le pense pas.

Les considérations qui vous ont déterminés sont basées surtout sur la moralité publique qui doit présider aux grands travaux de chemins de fer.

Je le dirai sincèrement, que s'est-il passé dans un pays voisin, à propos des concessions de grands travaux publics ? Il y a eu ce qu'on appelle vulgairement des tripotages, et cela parce qu'il n'y a pas eu d'enquête. Voulez-vous éviter ces abus ? Ordonnez l'enquête. Voulez-vous au contraire perpétuer les abus. Supprimez l'enquête.

Mais, dit-on, l'enquête est préjudiciable ; elle arrêtera les entreprises sérieuses de chemins de fer. Je dirai aux honorables membres qui tiennent ce langage : Voyez ce qui se passe en Angleterre. Dans ce pays aucun chemin de fer n'est concédé sans que préalablement il y ait enquête. Si l'opération est bonne et sérieuse l'enquête y est favorable. S'il est prouvé au contraire que l'opération est faite dans un intérêt d'agiotage, évidemment l'enquête aura ce résultat qu'on la rejettera ; et il n'y aura pas lieu de le regretter ; car quel intérêt a-t-on à donner suite à une pareille opération ?

L'honorable M. de Theux qui vient de parler vous fait craindre qu'en cas d'enquête les capitaux qui se dirigent aujourd'hui vers les entreprises de chemins de fer ne prennent plus cette direction, et qu'il ne soit plus construit de chemins de fer par l'industrie privée. Mais que voyons-nous ? Un grand nombre de chemins de fer, concédés sans enquête, qui ne sont pas exécutés, et que finalement le gouvernement a dû exproprier.

Il est donc évident que ce n'étaient pas des entreprises sérieuses. L'enquête sera favorable aux entreprises sérieuses ; les entreprises d'agiolage ne résisteront pas à cette épreuve. C'est pour cela que je la demande ; c'est pour éviter à mon pays toutes ces opérations d'agiotage que l'on voit ailleurs.

Un point extrêmement important à constater, c'est qu'au moyen d'une enquête vous arriverez à contenter les intérêts locaux ; car on arrive souvent à la chambre avec des projets dont personne n'est informé, et les intérêts locaux ne sont pas même informés de la direction du tracé. Avec une enquête, on saura si le tracé du chemin de fer, tel qu'il est projeté, sera le plus utile aux intérêts locaux.

Eh bien, l'enquête démontrera quels sont les véritables intérêts que l'entreprise doit desservir. Il est évident que, sans ce système, comme le disait avec tant de raison, dans une séance précédente l'honorable M. Veydt, nous votons les trois quarts du temps les yeux bandés et sans savoir ce que nous avons à voter. Nous devons nous en rapporter à quelques collègues, nous ne pouvons avoir la certitude que le vote que nous émettons est éclairé. Les observations qu'a présentées à cet égard notre honorable vice-président sont irréfutables.

Messieurs, si une enquête avait été faite pour le chemin de fer de Dendre-et-Waes, dont on a parlé, je doute fort que nous serions arrivés au résultat qui a été signalé. L'honorable membre qui vous a parlé de ce chemin de fer vous a cité une opinion émise dans une réunion de commission. Je ne connais ni la personne qui a pu émettre cette opinion, ni la réunion dont il est question.

Mais ce qui est un fait certain, c'est que si cette opinion a été émise, celui qui l'a émise était en droit de le faire. Je n'admets pas que les employés de l'Etat soient asservis à ne suivre en toutes choses que la volonté du ministre, que les employés de l'Etat soient les esclaves du ministre. Car ils sont payés par le trésor public et le trésor public, n'est pas le trésor particulier de MM. les ministres.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je ne discute pas les opinions des employés ; je ne discute qu'avec les membres de la chambre.

M. Dumortier. - Mais un membre de la chambre a le droit de s'appuyer de l'opinion d'un homme éclairé, quand il croit que son devoir l'y oblige ; et vous ne pouvez lui contester ce droit. Car qu'arriverait-il ? C'est que nous serions aussi obligés de voter toujours selon votre volonté, comme vous voudriez que vos employés fussent esclaves de votre volonté.

Le système qu'on préconise, c'est, comme le dit l'honorable M. de Mérode, d'empêcher la chambre de rien savoir ; voilà le système.

Eh bien, ce systène je ne puis l'adopter en aucune manière. Ce n'est pas ainsi, messieurs, que, dans les premières années de notre émancipation politique, on entendait îe gouvernement parlementaire. Nous devons voir clair dans toutes les affaires ; le gouvernement doit être percé à jour, et certes, quand il fait bien, il ne doit pas craindre qu'on sache le bien qu'il fait. Mais si des fautes sont commises, il n'y a pas de mal que les conséquences de ces fautes soient signalées. Or il est évident que pour l'entreprise dont on a parlé, et dans laquelle le gouvernement ne (page 1400) recevra qu'un quart de la recette, tandis que les actionnaires en recevront les trois quarts, le trésor éprouvera une perte très considérable. Cela n'aurait pas eu lieu, si cette concession avait fait l'objet d'une enquête.

J'appuie donc très vivement l'enquête. J'appuie l'enquête, parce qu'elle se fait en Angleterre avant toute concession. J'appuie l'enquête parce que si elle porte sur une opération solide ; il en résultera des lumières qui prouveront que l'opération est sérieuse et solide. J'appuie l'enquête au nom de la moralité publique, pour faire cesser les abus dont on s'est plaint si souvent, pour empêcher que des localités soient sacrifiées à des intérêts privés.

M. Orban. - J'ai demandé la parole en quelque sorte pour un fait personnel, lorsque j'ai entendu M. le ministre exprimer avec beaucoup de vivacité son étonnement de ce que j'avais cité l'opinion d'un fonctionnaire sur les conséquences d'une mesure émanant de la chambre.

Je crois que ce fonctionnaire, dans la position où il était placé, c'est-à-dire, comme membre d'une commission dont il faisait partie, désigné parle gouvernement, commission qui était chargée précisément d'examiner les questions de cette nature ; je crois, dis-je, que ce fonctionnaire était parfaitement dans son droit, lorsqu'il a exprimé une opinion semblable. Ce fonctionnaire fait partie de la commission chargée d'examiner les questions qui se rattachent au chemin de fer et à ses recettes. Ou lui a demandé quelle était son opinion sur les dépenses que le gouvernement devait assumer de ce chef. C'est du moins ce qui m'a été rapporté par un membre de la commission ; car je n'en fais point partie.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Ce n'est plus qu'un commérage.

M. Orban. - Ce n'est pas un commérage, à moins que vous ne considériez les commissions que vous nommez comme ne devant produire que des commérages.

Ainsi j'ai lieu de trouver fort étrange cette explosion d'indignation factice qu'à manifestée M. le ministre lorsque j'ai fait connaître ce fait. Je crois que nous sommes parfaitement en droit de nous servir des renseignements que nous possédons pour faire appprécier les conséquences des actes que le gouvernement a posés et pour mettre en garde contre la légèreté avec laquelle il veut poser de nouveaux actes de cette espèce.

Messieurs, j'ai trouvé d'autant plus étrange cette espèce de leçon de M. le ministre des travaux publics, qu'il me reprochait en même temps d'avoir exprimé une opinion dont je n'ai pas dit un mot. Ainsi M. le ministre a dit : « M. Orban ne veut plus de chemin de fer. » Mais je dé fie, M. le ministre de citer une seule de mes paroles qui prouve que je ne veux plus de chemin de fer.

Je suis au contraire d'avis qu'il n'est pas de progrès auquel nous devions plus applaudir en Belgique que celui qui consiste dans le développement de l'esprit d'entreprise qui s'est manifesté depuis quelques années et qui a pour conséquence l'exécution des chemins de fer par des compagnies. Moins je suis partisan de l'exécution des chemins de fer par l'Etat, plus je vois d'abus et d'inconvénients dans l'intervention du gouvernement en ces sortes de choses, et plus j'applaudis au développement de l'esprit d'entreprise en Belgique.

Mais si nous ne voulons pas étouffer un pareil esprit dans son germe, si nous voulons en assurer le développement, si nous ne voulons pas qu'il produise en Belgique des fruits fâcheux, il faut que nous réglions cet esprit d'entreprise, que nous pourvoyions à ce que l'agiotage ne remplace pas un sage esprit d'entreprise ; et c'est dans ce but précisément que nous défendons la mesure qui fait l'objet du rapport de la section centrale.

Voilà l'unique but, l'unique portée de cette proposition ; et j'ose dire que la Belgique, que vous vantiez tout à l'heure à juste titre pour l'exécution de son railway, n'aura pas moins de raison d'être fière si elle réussit à éviter les écueils que d'autres pays ont rencontrées, dans les entreprises privées qui ont pour but l'exécution de ces mêmes travaux.

M. F. de Mérode. - Messieurs, je suis étonné, comme l'honorable préopinant et comme l'honorable M. Dumortier, de ce que M. le ministre des travaux publics trouve mauvais que nous accueillions les renseignements qui peuvent nous être donnés sur des questions de travaux publics et sur les concessions.qui ont été accordées ; car si nous ne pouvons pas recueillir de semblables renseignements, il nous est impossible de nous expliquer sur les affaires dont il s'agit. Il est d'autant plus singulier qu'un ministre trouve mauvais que l'on se serve de rapports qui peuvent être faits par des fonctionnaires de son administration, que chacun sait très bien qu'en général les ministres sont des hommes politiques qui sont mis à la tête de tel ou tel département, sans avoir des précédents et des connaissances spéciales sur l'administration qu'ils sont chargés de diriger.

L’honorable M. Van Hoorebeke est aujourd'hui ministre des travaux publics ; mais qu'un revirement de politique intérieure ait lieu, un nouveau ministre le remplacera, et évidemment ce ministre ne pourra pas être parfaitement instruit des questions qu'il aura à traiter. Il sera donc obligé de s'en rapporter aux fonctionnaires qui sont permanents dans l’administration.

Quant à l’affaire du chemin de fer de Dendre-et-Waes, ce n'est pas seulement le fonctionnaire qu'on a désigné qui s’est exprimé de manière à faire croire que l'arrangement qui a etc conclu ait été contraire aux intérêts du trésor. Ce sont les actionnaires eux-mêmes, ce sont les propriétaires de cette concession qui ont reconnu qu’il faisaient des profits immenses.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Le chemin de fer n'est pas exploité.

M. de Mérode. - C'est vrai, mais ils ont reconnu qu'ils recueilleraient de cette opération des intérêts très considérables et que l'Etat était lésé par les conditions qu'ils avaient obtenues. Ils s'en félicitaient pour leur compte, mais moi, je ne m'en félicite pas pour le mien : je ne suis pas concessionnaire, je suis ici le défenseur habituel du trésor public.

Messieurs, il y a encore un autre motif pour ne pas accepter à la légère les tracés que l'on propose pour certains chemins de fer.

Car enfin ces tracés, comme on l'a fort bien dit, peuvent être conçus sans un examen suffisant, et comme on traverse beaucoup de propriétés lorsqu'on exécute un pareil travail, beaucoup de personnes se trouvent lésées par les emprises qui sont faites, et je saisis cette occasion de dire que les petits propriétaires sont exposés à subir d'une manière absolue les exigences de ceux qui obtiennent de semblables concessions. Un grand propriétaire peut se défendre, il peut prendre un avocat ; les emprises qu'on fait sur ses terres sont assez considérables pour qu'il s'impose les sacrifices nécessaires pour se faire payer suffisamment. Mais le petit propriétaire, j'en ai l'expérience, je l'ai vu de mes propres yeux, est bousculé et mené tambour battant par les concessionnaires ; et il est dépouillé d'une partie de sa petite propriété d'une manière très déplorable.

C'est encore une raison pour qu'on examine avec la plus grande attention tous les tracés qui sont proposés.

Nous venons, messieurs, de voter une somme très importante pour la défense du pays ; il est donc très important que nous sachions ménager nos ressources, que nous fassions attention aux autres dépenses et que nous prenions toutes les précautions nécessaires pour que l'Etat ne soit pas surchargé de nouvelles garanties de minimum d'intérêt.

M. Deliége. - Messieurs, je crois que c'est à tort que l'honorable M. de Mérode vient de dire que M. le ministre des travaux publics prétend que nous ne devons pas admettre l'amendement rejeté par le sénat. Si nous nous en rapportons aux paroles prononcées par M. le ministre dans cette chambre lors de la première discussion, si nous nous en rapportons aux paroles qu'il a prononcées au sénat, nous devons reconnaître qu'il ne s'est pas fortement opposé à l'adoption de cet amendement ; au contraire, il a toujours prétendu que l'amendement est inutile par la raison que la loi de 1832 existe encore ; il a dit que cette loi qui exige l'enquête, est encore en vigueur. C'est donc avec un véritable étonnemeni que j'ai entendu l'honorable M. de Theux prétendre que la loi de 1832 n'avait pas trait aux concessions à accorder par la législature. Je crois que la loi de 1832 a trait à toutes les concessions, qu'elle est générale. Pour s'en convaincre il suffit de lire deux articles de cette loi. En effet, l'article premier porte :

« Le gouvernement est autorisé à concéder des péages pour un terme qui n'excédera pas 90 ans, en se conformant aux lois existantes.

« Sont exceptées de la présente disposition les concessions pour travaux de canalisation des fleuves et des rivières. »

Il y a ensuite deux dispositions qui sont certainement générales. Voici comment s'exprime l'article 4 :

« Aucune concession ne peut avoir lieu que par voie d'adjudication publique et qu'après enquête sur l'utilité des travaux, la hauteur du péage et sa durée. »

Ainsi, messieurs, d'après l'article 4, aucune concession ne peut être accordée sans enquête.

- Plusieurs membres. - Par le gouvernement.

M. Deliége. - Pas du tout : la loi est générale ; elle a trait non seulement aux concessions accordées par le gouvernement, mais aussi aux concessions de canaux et d'autres entreprises qui doivent être accordées par la législature.

D'ailleurs, messieurs, le gouvernement lui-même a reconnu par son arrêté de 1846, il a reconnu de la manière la plus formelle que la loi de 1832 est applicable à toutes les concessions quelconques ; cet arrêté ne laisse pas l’ombre d’un doute à cet égard.

Et pourquoi n'en serait-il pas ainsi ? Chacun de nous a vu dans une occasion récente, et nous verrons toujours que nous avons besoin d'enquêtes pour nous éclairer en pareille matière.

Si le projet dont nous nous sommes occupés il n'y a pas longtemps avait été soumis à une enquête, il est possible que nous eussions tous pu l'adopter, tandis qu'il en est qui ont dû le repousser et d'autres qui ont dû s'abstenir.

Qu'arrive-t-il, messieurs, lorsqu'il n'y a pas d'enquête ? On demande des renseignements au gouvernement, mais le gouvernement ne peut pas donner des renseignements défavorables à son œuvre.

Si vous demandez des renseignements à vos collègues, souvent leurs arrondissements sont intéressés à la concession, et alors ils ne peuvent pas donner des renseignements qui seraient de nature à la compromettre.

Messieurs, l'enquête ne peut avoir que de bons résultats, et je crois que nous devons la prescrire en toute occasion. Dans la province que j'habite, j'ai vu une personne considérée demander une concession, l'obtenir et ne pas pouvoir trouver un seul actionnaire, ne pas même pouvoir payer les plans.

Evidemment s'il y avait eu une enquête, elle aurait constaté,qne. le travail ne pouvait pas s’exécuter, que le projet avait peut-être été connu en vue de l'agiotage.

(page 1361) Je n'accuse pas le demandeur en concession, mais il est probable que d'autres personnes le poussaient, en vue de faire de l'agiotage.

Un autre point, messieurs, m'a frappé. Dans l'a même province on a fait une route qui a coûté énormément d'argent ; on la promenée dans les montagnes et on lui a fait faire 9/4 de lieues, tandis qu'à côté, sur un terrain qui n'est nullement accidenté, l'on pouvait faire une route qui a été, effectivement faite plus tard et qui n'avait qu'une longueur de 5/4 de lieue ou d'une lieue et demie. Eh bien, s'il y avait eu une enquête, la première route n'eût pas été faite à grands frais par le gouvernement.

Je crois, messieurs, d'après ces faits, que vous déciderez que tout projet de concession doit faire l'objet d'une enquête.

Je reconnais cependant, messieurs, qu'il y a des exceptions à faire : il y a aujourd'hui des demandes instruites ; il paraît même qu'il y a un contrat ou deux passés ; s'il y a des contrats passés, ces contrats doivent être exceptés de la règle que nous allons décréter.

Je crois qu'il est juste, pour ces contrats à l'égard desquels le gouvernement a sans doute pris tous les renseignements possibles, je crois qu'il est juste de les examiner dans la session actuelle si nous le pouvons. Je pense donc ne pas devoir insister pour appuyer mon amendement ; il me semble qu'il s'appuie de lui-même.

C'est, messieurs, la conséquence de l'abandon, auquel nous avons tous contribué, des prescriptions de la loi de 1832.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, le gouvernement a déclaré lors de la première discussion, qu'il était mû surtout par la pensée de doter ces parties du pays de chemins de fer au profit desquelles il se présentait des compagnies sérieuses. Je dois reconnaître que l'amendement développé par l'honorable M. Deliége satisfait complètement, sous ce rapport, aux vues du gouvernement. En effet, l'amendement dispense formellement de l'enquête les demandes de concession à l'égard desquelles il existerait un contrat au moment de la publication de la loi. Je puis donc me rallier à l'amendement.

- La clôture est demandée.

M. Orban (sur la clôture). - Je crois qu'en présence du nouvel amendement dont on vient de donner connaissance et dont la portée n'est pas encore parfaitement comprise, il serait bon de remettre le vote à demain.

- Plusieurs membres. - Il y aura un second vote.

M. de Naeyer, rapporteur. - J'avais demandé la parole pour opposer aussi la dénégation la plus complète, ainsi que l'a fait d'ailleurs l'honorable ministre des travaux publics, aux allégations qui ont été présentées en ce qui concerne le chemin de fer de Dendre-et-Waes, et qui étaient ici dépourvues de toute opportunité. Si la chambre veut bien y consentir, il me sera facile de prouver que le préjudice immense qu'on prétend devoir résulter de l'exécution de ce projet est une grande chimère.

M. Osy. - Messieurs, rappelez-vous ce qui est arrivé pour l'amendement de M. Veydt sur lequel on a voulu également voter au moment où il venait d'être présenté. Il n'est pas possible de se prononcer en connaissance de cause sur des propositions ainsi improvisées.

Je demande que l'amendement de l'honorable M. Deliége soit imprimé et que la chambre remette le vote à demain. Je prie en même temps M. le ministre de nous dire quelles sont les concessions à l'égard desquelles il existe des contrats.

- La clôture est mise aux voix et prononcée.

Discussion de l’article unique

La proposition de M. Osy, tendant à remettre le vote à demain, est mise aux voix et n'est pas adoptée.

L'amendement de MM. Deliége et Tesch, auquel M. le ministre des travaux publics s'est rallié, est mis aux voix et adopté.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l'article qui a été supprimé par le sénat.

Si cet article était maintenu, l'amendement qui vient d'être adopté en serait le second paragraphe.

M. Rogier (sur la position de la question). - Il s'agit bien de l'amendement que la chambre a adopté lors du premier vote et aux termes duquel les concessions mêmes qui doivent être l'objet d'une loi, doivent être soumises à une enquête...

M. le président. - C'est ce que je mets aux voix.

- Plus de 5 membres demandent l'appel nominal sur l'article qui a été supprimé par le sénat.

66 membres répondent à l'appel.

30 répondent oui.

36 répondent non.

En conséquence, la chambre n'adopte pas.

Ont répondu oui : MM. Anspach, Closset, David, de Baillet (H.), de Breyne, de Brouwer de Hogendorp, de La Coste, Delfosse, Deliége, de Mérode (F.), de Muelenaere, de Naeyer, Dequesne, de Renesse, Devaux, Dumortier, Julliot, Lejeune, Loos, Orban, Osy, Peers, Rodenbach, Rogier, Rousselle (Ch.), Vandenpeereboom (A.), Vandenpeereboom (E.), Van Hoorebeke, Verhaegen et Veydt.

Ont répondu non : MM. Visart, Ansiau, Brixhe, Clep, de Chimay, de Pitteurs, de Portemont, de Ruddere de Te Lokeren, de Sécus, de Theux, de T'Serclaes, de Wouters, d'Hoffschmidt, Dumon, Jacques, Lelièvre, Lesoinne, Magherman, Malou, Mascart, Matthieu, Mercier, Moncheur, Moreau, Moxhon, Orts, Pierre, Pirmez, Roussel (A.), Tesch, Thibaut, Thienpont, Tremouroux, Vander Donckt, Van Iseghem et Vilain XIIII.

M. le président. - Par suite de ce vote, l'amendement de MM. Deliége et Tesch vient à tomber.

- Il est procédé à l'appel nominal sur l'article unique du projet de loi, adopté par le sénat.

M. le président. - La chambre n'est plus en nombre.

M. Mercier. - J'étais sorti de la salle pour quelques instants lorsque est intervenu le vote sur le projet relatif à l'organisation de l'armée : je déclare que mon intention était de voter pour la loi.

M. Van Iseghem. - Je fais la même déclaration.

M. Verhaegen. - Et moi aussi.

- La séance est levée à 5 heures.