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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 26 mai 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1852-1853)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 1485) M. Ansiau procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

- La séanve est ouverte.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance d'hier ; la rédaction en est approuvée,

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

« Le sieurs Jean-Baptiste Eggers, sergent-major au 1er régiment de ligne, prie la chambre de statuer sur la demande de naturalisation. »

- Renvoi à la commission des naturalisations.


« Le sieur Blondeel, ancien préposé des douanes, demande la révision de sa pension. »

- Même renvoi.


« Les bourgmestre, échevins et conseillers communaux et d'autres électeurs de Jamoigne demandent que les élections aux chambres se fassent au chef-lieu du canton. »

- Renvoi à la commission les pétitions du mois du mars.

Projet de loi interprétatif de la loi du 27 février 1849 sur les pensions des ministres

Rapports de la section centrale

M. Coomans dépose les rapports de la section centrale qui a examiné le projet de loi sur les pensions des ministres.

- La chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et met le projet à l'ordre du jour, à la suite des objets qui s'y trouvent déjà portés.

Motion d’ordre

Etat des travaux de la concession ferroviaire de la Flandre occidentale

M. de Muelenaere. - Messieurs, le 1er juillet 1851 il est intervenu entre le gouvernement et la compagnie concessionnaire de la Flandre occidentale une convention ; d'après l'article 4 de cette convention, les travaux de la section du chemin de fer de Deynze par Thielt devaient être entrepris au printemps de 1852, et, d'après le paragraphe 2, la moitié des travaux doivent être achevés le 1er mars 1854, c'est-à-dire à la fin de la campagne actuelle ; car, dans notre pays, et surtout dans les Flandres, les travaux de cette nature ne peuvent guère commencer régulièrement avant le 1er mars de chaque année. Je demanderai à M. le ministre des travaux publics si, à l'époque actuelle, les travaux sont sérieusement commencés sur la ligne de Deynze par Thielt. Je prierai en même temps M. le ministre de vouloir bien nous faire connaître si des mesures ont été prises pour contraindre à l'exécution des obligations qui leur font imposées par les contrats respectifs, les sociétés concessionnaires, qui sont en retard de satisfaire à leurs engagements.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, l'article 4 de la convention intervenue entre le gouvernement et la compagnie de la Flandre occidentale, est ainsi conçu :

« Les travaux devront être commences au printemps prochain au plus tard.

« La ligne de Courtrai à Poperinghe devra être livrée à la circulation avant le 1er janvier 1854, et la moitié des travaux de cette ligne exécutée à l'époque du 1er mai 1853. »

En ce qui concerne l’embranchement de Thielt, le paragraphe final porte :

« L'embranchement de Thielt devra être livré à la circulation avant le 1er janvier l855, et la moitié des travaux de cet embranchement terminée avant le 1er mars 1854. »

Ainsi, messieurs, si au 1er mars 1854 la compagnie n'a pas terminé la moitié des travaux de la section de Deynze a Thielt, elle sera en défaut de remplir ses obligations. J'ai écrit pour demander communication des plans, profils et emprises à faire pour cette section.

Les plans du tracé, les profils, les plans des emprises de la partie de cet embranchement s'étendant de Deynze a Thielt, ont été présentés par la compagnie concessionnaire le 28 avril dernier et soumis par le (page 1486) département le 3 mai courant à l'examen de M. l'ingénieur en chef de la Flandre orientale.

J'adresserai une lettre de rappel à ce fonctionnaire à l'effet de presser l'examen des plans et profils que la compagnie a soumis au département.

Je pense donc, messieurs, que rien ne s'opposera à ce que le 1er mars 1854 la moitié des travaux de cette section, qui ne sont pas très considérables, du reste, puisse être achevée conformément aux obligations qui résultent de l'article 4 de la convention.

M. de Muelenaere. - Je remercie M. le ministre des travaux publics des renseignements qu'il vient de nous donner. Je me permettrai cependant de lui faire observer que d'après la première partie de l'article 4 de la convention du 1er juillet 1851, les travaux dans la direction de Deynze par Thielt devaient être commencés au printemps de 1852, c'est-à dire il y a plus d'un an.

Or, jusqu'à présent je ne sache pas que la compagnie ait rien fait en exécution de cette clause du contrat. La moitié des travaux doivent être achevés pour le 1er mars 1854 ; c'est-à-dire, comme j'ai eu l'honneur de le dire tout à l'heure, à la fin de la campagne actuelle, parce qu'il est évident que dans les Flandres il est impossible de commencer régulièrement les travaux avant le 1er mars de chaque année.

Il ne reste donc plus que cinq mois. Or, il est évident dès à présent, me scmblé-t-il, que la compagnie se trouve hors d'état d'achever la moitié des travaux de cet embranchement, dans le cours de cinq à six mois qui pourront encore être utilement employés.

Dès lors j'invite de nouveau M. le ministre des travaux publics à vouloir bien insister très vivement pour qu'on mette immédiatement la main à l'œuvre. Il est plus que temps, puisque la compagnie est déjà en retard de toute une année.

M. Dumortier. - Messieurs, je trouve que le gouvernement doit forcer la société à exécuter ses engagements et surtout qu'il ne doit pas se hâter de payer de garantie de minimum d'intérêt avant que la société elle-même n'ait accompli ses obligations. Car tout contrat semblable est un contrat synallagmatique qui lie tous les contractants ou qui n'en lie aucun, et il n'est pas possible qu'en exécution de pareils contrats, l'Etat seul soit lié sans que les contractants le soient de leur côté. C'est donc une chose sur laquelle j'appelle l'attention du gouvernement.

D'un autre côté, je ne sais si ce bruit est fondé, mais j'ai entendu dire que la société qui avait obtenu la concession dont il est question en ce moment, avait l'intention de céder à une autre société les parties de la concession qni seraient le moins avantageuses. Si pareille pensée est mise en avant, le gouvernement doit comprendre que le contrat qui a été voté par la chambre est un et indivisible.

Lorsque la chambre a accordé une garantie de minimum d'intérêt, c'est en compensant toutes les lignes, en telle sorte qu'il ne pourrait se faire qu'une société, ayant construit les bonnes parties d'une ligne, pourrait céder à une autre société les mauvaises parties qui peut-être ne se feraient jamais.

C'est ainsi que pour la ligne du Luxembourg, si, après que la section de Bruxelles à Namur sera terminée, il plaisait à la compagnie de céder le reste de la concession à une autre société qui peut-être n'exécuterait pas, et si le gouvernement donnait son adhésion à un pareil arrangement, il pourrait arriver qu'on ne vît jamais la fin des travaux et que l'Etat restât soumis à une charge considérable.

J'engage donc le gouvernement à se mettre en garde contre de pareilles propositions ; et quant à ce qui est du retard dans l'exécution des travaux, il est incontestable, puisque les travaux devaient être commencés au printemps de 1852 ou tout au plus tard au printemps de 1853. Je pense que si la société faisait des difficultés sur ce point, le gouvernement a un moyen très simple, c'est de ne pas payer la garantie d'intérêt sur les sections ouvertes jusqu'à ce que la société ait exécuté de son côté les obligations que lui impose le cahier des charges et que la loi a sanctionnées.

M. Rodenbach. - J'ajouterai à ce que viennent de dire les deux honorables prtopinanls que cette même société anglaise devait, en vertu d'un premier contrat, exécuter pour plusieurs millions de travaux dans les Flandres.

A cette époque elle n'a pas su remplir ses engagements ; elle est venue solliciter le gouvernement et les membres des chambres pour être déchargée d'une partie de ses obligations.

Le gouvernement lui a accordé alors un avantage immense ; car s'il ne lui a dit pas accordé cette décharge, la société aurait croulé ; elle ne pouvait plus continuer, c'était dans les années calamiteuses, il n'y avait plus d'argent en caisse et elle avait pour plusieurs millions de travaux à exécuter. Elle doit donc beaucoup de reconnaissance au gouvernement ; ce sont les Flandres qui ont été victimes de l'inexécution de ces travaux.

Maintenant que le gouvernement a un nouveau contrat et une garantie entre les mains, je pense que cette fois, après les services qu'il a rendus à la compagnie, il ne payera pas le minimum de 4 p. c. d'intérêt sur la section de Courtrai à Wervicq, si on n'exécute pas strictement les conditions du cahier des charges. Outre la section de Thielt à Deynze, on doit pousser les travaux jusqu'à Roulers, car nous ne pouvons pas attendre plus longtemps, nous avons patienté des années entières. Puisque nous avons en main les 4 p. c. de minimum d'intérêt garanti, j'espère que le gouvernement tiendra bon.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je veux présenter une simple observation, c'est que rien ne démontre que la compagnie ne sera pas en mesure de livrer les travaux qu'elle doit faire au 1er mars prochain ; il ne s'agit que d'une lieue ; d'ailleurs, dans la convention intervenue entre le gouvernement et la compagnie, les cas où la résolution du contrat s'opérera de plein droit sont prévus ; ces cas sont énoncés dans les articles 13, 14 et 15. De sorte que toutes les garanties existent dans la loi du contrat.

Projet de loi augmentant le personnel du tribunal de première instance et de la cour d’appel de Bruxelles

Discussion générale

M. le président. - Le gouvernement se rallie-t-il au projet de la section centrale ?

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Oui, M. le président.

M. le président. - La discussion s'ouvre sur le projet de la section centrale.

M. Ad. Roussel a déposé un amendement ; il propose de substituer le nombre de 28 conseillers à celui de 25.

M. Lelièvre. - Le gouvernement estime que, dans l'intérêt de la justice et pour le bien-être du service, il esl nécessaire d'augmenter le personnel de la cour d'appel de Bruxelles.

Je regrette, messieurs, qu'on se borne à proposer à la législature une mesure spéciale relative à ce corps judiciaire. L'on aurait du étendre les dispositions du projet et les appliquer à la cour de Liège qui, par insuffisance du personnel, ne peut plus expédier les affaires au point que l'arriéré s'accumule considérablement.

A Liège, l'on ne peut plus former que deux chambres. Or, il est impossible que celles-ci expédient convenablement les affaires civiles et correctionnelles de quatre provinces, d'autant plus que les cours d'appel connaissent du mérite des jugements rendus par les tribunaux correctionnels du ressort.

Or, le nombre des affaires correctionnelles est notablement augmenté depuis que l'on a permis aux chambres du conseil et d'accusation de correctionnaliser certains faits considérés comme crimes par la législation actuelle, mesure à laquelle j'applaudis, en ce qui me concerne, et qui a eu les meilleurs résultats.

Ajoutez à cela que tous les trimestres un conseiller doit aller présider les assises dans les provinces ressortissant à la cour.

Le personnel de la cour de Liège est insuffisant, cela est de notoriété publique.

M. le ministre le sait par les rapports du premier président et du procureur général qui certainement lui auront signalé les inconvénients de l'état de choses actuel.

Il est à ma connaissance que de simples incidents sur la compétence du tribunal de commerce sont portés devant la cour depuis plus de deux ans sans qu'on puisse obtenir arrêt.

Lorsqu'un arriéré effrayant se sera produit, il sera trop tard d'apporter un remède à un état de choses préjudiciable aux intérêts des justificiables et aux exigences d'une bonne justice. Je demande donc que M. le ministre de la justice consente à énoncer dans le projet que le personnel de la cour de Liège est augmenté d'un président de chambre et de quatre conseillers.

Vous allez être convaincus combien l'organisation actuelle est vicieuse.

La cour d'appel de Liège n'a en réalité que deux chambres, et cependant le parquet de la cour est composé de cinq magistrats. Or un parquet dont le personnel est si nombreux suppose nécessairement une cour composée d'au moins vingt membres.

Je ferai aussi remarquer à M. le ministre qu'il est essentiel de revenir sur la loi qui, nonobstant ma vive opposition, a réduit le personnel du tribunal de Namur à six juges. Sept juges sont rigoureusement nécessaires pour expédier les affaires et composer deux chambres, non compris le juge d'instruction. Celui-ci ne peut, en aucune manière, siéger à l'audience ; il a besoin de tout son temps pour expédier les affaires lui confiées. C'est donc une désorganisation complète du tribunal de Nimur que de le réduire à six juges. Huit magistrats sont même nécessaires, si l'on veut ne pas forcer les juges suppléants à siéger fréquemment. Il n'est pas régulier, en effet, que les juges suppléants lassent le service ordinaire du tribunal. Je ne saurais assez recommander cet objet à l'attention de M. le ministre de la justice, et si je ne dépose pas un amendement, c'est qu'actuellement le personnel suffit strictement aux besoins du service, la loi de 1849 n'ayant pas encore été exécutée à Namur. Du reste, je n'ignore pas combien il est difficile d'oblenir d'une chambre législative l'augmentation du personnel des cours et tribunaux, si le gouvernement ne donne son assentiment à cette mesure, dont l'initiative lui appartient assez naturellement. Mais mes observations sont dictées par une saine intelligence des intérêts de la justice que la législation actuelle compromet bien certainement, et j'espère qu'on y fera droit.

Du reste, quant à la cour de Liège, si le gouvernement ne croit pas convenable d'adhérer immédiatement à une augmentation du personnel, il encourt, à mon avis, une grave responsabilité, car il n'y a nul doute que bientôt l'arriéré ne soit tel à Liège que les inconvénients déjà existants se multiplieront d'une manière effrayante ; ce qui nécessitera des dispositions spéciales au moyen desquelles on ne pourra pas même réparer le mal qui se sera produit.

(page 1487) J'espère que le gouvernement comprendra la nécessité de faire cesser un état de choses incompatible avec les exigences du service.

M. Delehaye. - Messieurs, je faisais partie de la minorité de la section centrale. J'étais persuadé, comme je le sois encore, que le projet qui vous est soumis ne remédierait en aucune façon aux inconvénients tju'on veut faire cesser, et que l'arriéré qui existe aujourd'hui à la cour de Bruxelles continuerait à exister. La section centrale démontre que même dans trois ou quatre années, malgré la création d'une chambre nouvelle, il ne serait pas moindre qu'aujourd'hui. Je sais que la proposition que j'ai soumise à la section centrale est de nature à soulever des préjugés qui me sont défavorables.

Il suffit de soulever quelque question que l'on croit à tort intéresser quelques localités pour que l'on croie l'auteur de la proposition mû par un intérêt local. Pour moi, il ne s'agit ni des intérêts de Gand, ni de ceux de Bruxelles, ni de ceux d'Anvers. La question n'intéresse réellement que les justiciables. Or, qu'arrive-t-il aujourd'hui ? C'est que les justiciables qui sont dans le ressort de la cour d'appel de Bruxelles sont, comme le disait l'honorable M. Roussel et d'autres membres, victimes d'un véritable déni de justice. Il en sera ainsi tant qu'on n'aura pas distrait de la cour d'appel de Bruxelles une partie des affaires dont elle est appelée à connaître. Qu'il y ait une chambre de plus, cela n'empêchera pas que les avocats en qui l'on a confiance ne plaident devant une autre chambre- ou devant la cour de cassation ; il en résultera nécessairement un retard.

Js ne fais pas de proposition. La section centrale a ordonné le renvoi de ma proposition à la commission d’organisation judiciaire. Je m’en contente. Mais je fais mes réserves. Je pense que la cour d’appel de Bruxelles, même après qu’on l’aura augmentée d’une chambre, ne pourra pas vider son arriéré.

La cour d'appel de Gand au contraire est la seule des trois cours qui diminue son arriéré. Cette assertion semble étrange ; rien cependant n'est plus simple. La cour d'appel de Gand qui n'existe que depuis 21 ans a commencé ses travaux par celles des affaires qui, venant des Flandres, étaient pendantes devant la cour de Bruxelles.

C'est cet arriéré qui explique ce que je disais tout à l'heure. Ainsi, l'année dernière, il a été introduit 90 affaires, et il n'en restait à juger que 3.

Je dois expliquer une assertion insérée dans le rapport, et qui n'est pas exacte. Dans le rapport, il est dit que, si la cour d'appel de Gand était appelée à connaître des affaires de la province d'Anvers, elle devrait être augmentée d'une chambre. Mais ce qu'on ne dit pas, c'est que la nomination d'un seul conseiller suffirait pour que le personnel de cette nouvelle chambre fût complet ; car la cour de Gand a 4 conseillers de plus qu'il ne faut. Ce qui prouve que cette cour n'est pas suffisamment occupée et que les affaires absorbent la minime partie de son temps.

Ma proposition avait pour but de donner à cette cour de quoi s'occuper. D'un autre côté, vous auriez réuni dans le ressort d'une même cour toutes les affaires ressortissant aux tribunaux de commerce et présentant une grande analogie.

Je ne renouvelle pas ma proposition. Je me borne à faire une réserve. Je reste convaincu que la cour de Bruxelles restera avec un arriéré d'affaires qu'elle ne parviendra pas à vider au moyen de la création d'une nouvelle chambre.

Il ne pourra l'être qu'en distrayant une partie des affaires soumises à la cour de Bruxelles et en les envoyant à une autre cour. Or cette cour ne ne peut être que celle de Gand.

Je n'en dirai pas davantage pour justifier la proposition que j'ai faite et qui n'a pas été comprise. On a cru qu'elle était dictee par un intérêt de localité ; or, comme je le disais, une localité est fort peu intéressée à ce que des affaires soient envoyées à la cour qui y réside. Je ne sache pas que les affaires en cour d'appel exigent le déplacement de beaucoup de justiciables. Ces affaires se traitent par correspondance et il ne peut y avoir là un intérêt de localité.

Ma proposition ayant été expliquée dans le rapport, je n'ajouterai pas d'autres considérations, me bornant aujourd'hui à vous prédire que l'augmentation du personnel de la cour de Bruxelles ne pourrait remédier à l'abus signalé et que tôt ou tard vous devrez en venir à la mesure

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je prie la chambre de ne pas perdre de vue qu'il s'agit d'un projet de loi spécial à la cour d'appel de Bruxelles, et qu'il est fondé sur des nécessités urgentes et reconnues. La cour d'appel, le tribunal de première instance de la capitale se trouvent surchargés d'un nombre d'affaire important qui excède les forces de ce personnel, et il est d'une nécessité reconnue que ce personnel doit être augmenté.

La question sur laquelle vient de parler l'honorable M. Delehaye n'est plus à l'ordre du jour de la chambre. Je pense qu'il est inutile de s'en occuper, puisque la proposition est en quelque sorte retirée par son honorable auteur et que la section centrale a renvoyé son examen à la commission d'organisation judiciaire et au conseil provincial de la province d'Anvers. La chambre a pu voir, par l'analyse qui en a été donnée par l'honorable rapporteur, que j'avais, en section centrale, combattu la proposition par plusieurs raisons qui me paraissaient peremptoires.

Ces raisons, j'étais disposé à les développer dans cette enceinte, si la proposition avait été reproduite. Il est donc inutile d'entrer dans les appréciations que vient de soumettre l'honorable M. Delehaye. Je n'en dirai pas davantage sur ce point.

En ce qui concerne les observations qui ont été faites dans l'intérêt de la cour d'appel de Liège et du tribunal de Namur ; je supplie la chambre de ne pas établir de lutte dans cette enceinte entre les cours et les tribunaux, attendu que le vote du projet de loi que j'ai eu l'honneur de soumettre à la chambre, n'implique en aucune façon le rejet d'autres réclamations fondées qui seront examinées avec le plus grand soin.

La chambre a pu voir par les pièces que j'ai déposées sur son bureau, qu'à la date du 15 avril 1853, j'ai adressé aux chefs du service judiciaire une circulaire dans laquelle je demande des avis motivés sur les nécessités du personnel des différentes cours judiciaires du royaume. La cour d'appel de Liège a réclamé une augmentation de personnel. Cette augmentation évidemment est moins urgente que celle qui est demandée par la cour d'appel de Bruxelles. Le tribunal de Namur se trouve aussi dans une situation qui n’offre aucune espèce d'urgence, puisque, de l'aveu même de l'honorable M. Lelièvre, le personnel du tribunal de Namur est encore au point où il désire le voir maintenu, c'est-à-dire que la réduction décrétée pour ce tribunal n'a pas été opérée par le décès ou la retraite des magistrats qui siègent en cette ville.

Ce que la chambre ne doit pas perdre de vue non plus, c'est qu'en définitive le gouvernement désire maintenir le service des trois chambres civiles de la cour d'appel de Bruxelles, indépendamment de la chambre des appels correctionnels qui est surchargée et qui ne peut plus désormais, c'est un fait certain, s'occuper d'affaires civiles. Depuis 1849, j'en ai l'expérience personnelle, la chambre des appels correctionnels de Bruxelles ne s'occupe plus d'affaires civiles, tandis que précédemment, lorsque les tribunaux des chefs-lieux, les tribunaux d'Anvers et de Mons étaient chargés des appels correctionnels de leur province, les affaires civiles sommaires étaient renvoyées en nombre assez considérable devant la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel, ce qui ne peut plus avoir lieu.

Il résulte de là, messieurs, que les trois chambres civiles ont un surcroît de travail et que c'est pour le maintien de ces trois chambres civiles que le projet a été présenté.

Messieurs, dans les calculs auxquels on s'est livré, dans les appréciations faites par la presse, notamment de la proposition de M. Delehaye, on est parti de cette idée qu'il s'agissait de créer 5 chambres à la cour d'appel de Bruxelles, c'est-à-dire 4 chambres civiles ; il n'en est rien ; il s'agit de maintenir trois chambres avec une augmentation de personnel, sur laquelle nous nous mettrons d'accord, j'espère, l'honorable M. Roussel et moi, lorsque nous en serons à discuter ce point.

Je prie la chambre d'être convaincue qu'aucun des intérêts qui seront mis en avant et justifiés au sein de la commission d'organisation, ne sera négligé et que, pour ce qui me concerne, j'apporterai le plus grand soin aux questions de personnel.

On aurait tort de croire, messieurs, que le renvoi d'une question à la commission d'organisation juliciaire, ce soit, comme on dit vulgairement, un renvoi aux calendes grecques. La commission a déjà envoyé son travail, une sous-commission a été chargée d'examiner le texte de projet et ce texte est déjà en état d'être soumis aux délibérations de la commission dans une de ses plus prochaines séances. Je crois donc que l'affaire sera promptement décidée et que nous arriverons à un résultat satisfaisant.

M. Osy. - L'honorable M. Delehaye ne reproduisant plus la proposition qu'il avait faite à la section centrale, je n'en parlerai pas ; mais comme M. le ministre de la justice consultera sans doute l'ordre judiciaire sur cette proposition, qui lui a été renvoyée par la section centrale, j'espère bien qu'il consultera également, comme le demande la section centrale, les autorités provinciales et notamment le conseil provincial d'Anvers, qui, dans cette question, pourra certainement donner des renseignements utiles au gouvernement. Il renferme des représentants des trois arrondissements, et qui le met à même de signaler les inconvénients de la proposition de l'honorable M. Delehaye.

Sans entrer dans des détails je vous prierai, messieurs, de remarquer que Malines qui n'est qu'à une demi-heure de Bruxelles, ne pourrait pas consentir à devoir aller à Gand.

Turnhout, qui aura un chemin de fer sur Contich, se trouvera dans le même cas. Aussi si l'honorable M. Delehaye avait maintenu sa proposition, je l'aurais combattue.

Messieurs, j'appuierai la proposition de la minorité de la section centrale, pour l'augmentation du personnel de la cour d'appel de Bruxelles. Vous connaissez, messieurs, le fort arriéré de cette cour et vous comprenez qu'il est plus que temps de remédier à cet état de choses.

Ceux qui ont des procès à Bruxelles souffrent considérablement du retard qu'éprouvent les affaires, surtout les affaires d expropriation. D'après la loi sur les expropriations, la cour doit s'occuper de ces questions toute autre affaire cessant ; eh bien, messieurs, je connais des affaires qui ont été introduites l'année dernière à l'époque où il y a eu de si nombreuses expropriations et qui, après 11 mois, sont toujours en souffrance.

La Constitution dit formellement qu'en cas d'expropriation, l'indemnité doit être payée préalablement ; en cas de contestation le payement préalable se fait à la Caisse des consignations et il faut attendre le jugement de la cour d'appel, pour être payé définitivement.

Je voterai, messieurs, pour la proposition la plus large, c'est-à-dire pour celle de la minorité de la section centrale.

(page 1488) M. Roussel. - Messieurs, après le discours que l'honorable ministre de la justice vient de prononcer, je n'ai plus à prendre une grande part à la discussion générale, d'autant que la question de distraction soulevée par l'honorable M. Delehaye ne doit pas être résolue en ce moment ; cependant je rne permettrai de présenter une observation à cet égard.

L'honorable député de Gand est parti de cette idée que l'augmentalion du personnel de la cour d'appel de Bruxelles n'aura point pour résultat de faire disparaître l'arriéré. Je répondrai à notre honorable collègue en lui demandant : si dans l'état actuel des choses, c'est-à-dire avec des chambres qui doivent successivement chômer, l'on peut espérer ne pas voir cet arriéré s'accroître démesurément.

Pour ma part, je félicite M. le ministre de la justice d'avoir présenté le projet de loi qui doit introduire un temps d'arrêt dans cette accumulation de l'arriére.

Veuillez remarquer, messieurs, qu'il ne s'agit point d'un objet d'intérêt local. Une telle pensée ne pourrait venir à personne dans cette enceinte ; nous discutons une question de bonne justice et d'intérêt public. Il ne faut point que le débiteur de mauvaise foi sache qu'au moyen d'un appel le procès qu'il soutient à tort va durer 4 ou 5 ans et que son créancier aura le temps de mourir ou d'être ruiné avant la fin de l'affaire.

Et le projet de loi n'intéresse pas seulement les habitants des trois provinces comprises dans le ressort de la cour d'appel de Bruxelles ; il peut être utile à tous les habitants du pays et même aux étrangers, car il concerne tous ceux qui ont ou qui auront un procès à soutenir devant cette cour. Il s'agit donc de l’intérêt de la justice qui est le premier besoin des peuples et des gouvernements.

Je ne veux pas anticiper sur un autre point que nous aurons à examiner, mais je dirai que l'argumentation de l'honorable M. Delehaye tend à prouver le caractère urgent et indispensable de l'augmentation que je propose et pour laquelle j'espère obtenir l'adhésion de M. le ministre de la justice.

En effet, messieurs, si vous voulez que l'arriéré puisse disparaître, quelle que soit l'organisation ultérieure de la cour, il faudra qu'il soit tenu quelques audiences extraordinaires, c'est-à-dire que les quatre chambres existantes devront avoir un certain nombre de séances en dehors et au-dessus de leurs réunions habituelles, afin de « vider le sac », comme on dit vulgairement au palais.

Eh bien, si vous vous bornez à l'adjonction de 25 conseillers, l'insuffisance actuelle, cause d'un chômage si fréquent, n'en sera pas diminué et vous n'obtiendrez aucun résultat.

Aujoud'hui la cour d'appel de la capitale se compose de 23 conseillers : avec ce chiffre elle ne peut assurer le service permanent des quatre chambres qui lui sont indispensables.

Vous porterez le nombre 23 à 25 et vous vous imaginez que l'on parviendrait à vider l'arriéré ! Evidemment, je le répète, une telle augmentation de personnel ne permettra point d'audieuces extraordinaires, qui sont cependant indispensables.

Je crois avoir établi, messieurs, que les raisonnements de l'honorable M. Delehaye tendent précisément à prouver l'indispensable nécessité du projet de loi et de l'amendement que j'ai présenté à l'article premier. Je me réserve d'entrer dans des détails ultérieurs, s'il est nécessaire, pour démontrer le fondement de ma proposition.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Le personnel de la cour d'appel de Bruxelles est porté à vingt-cinq membres, savoir : un premier président, trois présidents de chambre et vingt et un conseillers. »

M. Ad. Roussel a propesé de porter le chiffre de 21 à 28.

M. Rousselle. - M. le président, je n'ai demandé la parole que pour soumettre une question à M. le ministre de la justice.

La loi de 1832, organique de l'ordre judiciaire, avait fixé à 21 le nombre de conseillers à nommer pour la cour d'appel de Bruxelles, y compris le premier président et les présidents de chambre. Cette loi partageait les 21 conseillers ainsi qu'il suit :

6 pour la province d'Anveis ;

7 pour la province de Brabant ;

et 8 pour la province de Haiinaut.

Maintenant, messieurs, si l'on adopte le chiffre de 25 ou le chiffre de 28, il doit être bien entendu que la répartition du nombre de conseillers, qui aura été admis, entre les trois provinces, se fera dans les proportions fixées par la loi de 1832.

Je désire que M. le ministre de la justice veuille bien donner une explication à cet égard.

M. Roussel. - Messieurs, permettez-moi de justifier avec brièveté mon amendement à l'article premier. Il porte à 28 le nombre des conseillers à la cour d'appel de Bruxelles qui s'éièvent actuellement à 23 et que le projet originaire du gouvernement élevait à 25.

Le commencement de l'exposé des motifs précédant le projet de loi déposé par M. le ministre de la justice, démontre clairement qu'avant 18419, alors qu'on avait pris pour point de départ l'existence de quatre chambres à la cour d'appel, existence de quatre chambres aujourd'hui reconnue indispensable, l’on avait fixé le nombre des membres de la cour à vingt-sept.

Pourquoi, messieurs, en 1849, a-t-on substitué le chiffre 21 à celui de 27 ? Parce que la prétendue reforme de 1849 réduisait la cour d'appel de Bruxelles à 3 chambres seulement.

Eh bien, messieurs, puisqu'on reconnaît aujourd'hui que 4 chambres sont indispensables, le retour au chiffre de 27 conseillers est indispensable aussi.

Mais pourquoi en demandai-je 28 ? Parce qu'il y a, de plus, en vertu de la même législation de 1849, un conseiller délégué en permanence à la cour militaire et que, par conséquent, ce conseiller ne peut plus prendre part aux travaux de la cour d'appel.

Notre calcul est donc établi sur l'expérience, quelque chose de plus fort et de plus puissant que le raisonnement. Cette expérience prouve que lorsque la loi avait établi 4 chambres elle avait fixé le nombre des conseillers à 27, c'est-à-dire, à 7 conseillers par chambre.

Et pourquoi faut-il de toute nécelsité que chacune des chambres soit composée de 7 conseillers ? C'est parce qu'il y a des causes qui obligent MM. les conseillers à s'abstenir de prendre part aux travaux de Jeurs chambres respectives pendant des temps qui peuvent être assez longs.

Ces causes mettent obstacle à la présence de ces magistrats pendant les plaidoiries de certaines affaires ou la délibération sur d'autres. Ainsi des conseillers sont parfois délégués pour les « accordandum » ; d'autres sont appelés à des enquêtes ; d'autres sont désignés pour des descentes sur les lieux ; d'autres sont forcés de se récuser ; d'autres enfin sont indisposés. Dans une cour de justice composée de 28 personnes, il est impossible que vous ne rencontriez pas toujours un certain nombre d'empêchements, surtout quand les magistrats dont il s'agit sont arrivés à un certain âge et que l'inamovibilité les conserve dans des fonctions qui, quoi qu'on en dise, ne sont pas exemptes de toute fatigue. Le public ne comprend pas en général la nature et la gravité du travail auquel se livre un magistrat, un conseiller. Il y a quelque labeur à assister à de longues plaidoiries, à écouter avec attention le développement de moyens juridiques parfois très graves et très compliqués, à examiner dans le silence du cabinet des questions souvent très épineuses et très ardues, et à délibérer d'une manière approfondie.

Ce n'est pas l'affaire de tout le monde, qu'un si important et si noble métier et la preuve, c'est que toutes les cours de justice ne s'en acquittent pas de la même manière et avec un aussi grand éclat. Heureusement nous pouvons citer les cours de Belgique et notamment celle de Bruxelles, comme des prétoires fort renommés en Europe, à raison du cachet de justice et de science imprimé à leurs arrêts.

Depuis les premiers temps de la réunion de la Belgique à la France, la cour de Bruxelles est connue sous ce rapport.

Eh bien, je le demande, en l'absence de conseillers suppléants ou auditeurs, est-il possible d'espérer une marche régulière avec le nombre strictement nécessaire de conseillers pour siéger à chaque chambre ? Jamais vous ne parviendrez à éviter que certaines chambres ne chôment, car il existe un service de cours d'assises pour trois provinces, et ce service exige même le déplacement de deux conseillers à des époques périodiques, mais que le président de chaque chambre ne peut déterminer d'avance.

Ce n'est pas tout, messieurs. La nature des causes qui se plaident devant la cour de Bruxelles ne permet pas toujours de faire siéger un conseiller rapporteur, quand il a assisté aux plaidoiries d'une affaire longue et difficile, parce que ce rapporteur doil immédiatement se retirer avec son énorme dossier, et se mettre à travailler l'affaire sur laquelle il doit faire son rapport et éclairer la délibération.

Il se présente des affaires de mines, qui nous viennent du Hainaut et qui occupent quelquefois jusqu'à 20 audiences pleines d'explications et de plaidoiries. On doit apporter sur le bureau de la cour un modèle de mine en relief et examiner point par point, en quelque sorte, sur les lieux, chacune des contestations et chacun des accidents techniques qui se rattachent à ces énormes et difficiles procès.

Ce magistrat ainsi chargé de faire rapport sur une affaire importante et toute spéciale, ne peut se mettre à exécuter immédiatememt des affaires d'une nature différente ; il faut bien lui permettre de se recueillir et de se livrer à l'étude.

Voulez-vous, messieurs, un exemple saillant de l'impossibilité d'avoir toujours réuni le personnel appartenant à une assemblée ? Je le trouverai dans notre enceinte elle-même. Combien sommes-nous ordinairement en séance ? 90 au plus, 80, 75, quelquefois 60. Combien d'honorables membres de cette chambre, par indisposition ou pour d'autres causes, ne sont-ils pas empêchés de siéger, tandis qu'ils regrettent une absence souvent forcée !

Combien à plus forte raison doit-il en être de même dans une assemblée composée d'hommes plus âgés que nous, qui vaquent à des opérations spéciales, qui ont à préparer et à discuter des travaux d'application de lois nombreuses. Ajouter au nombre des 23 membres aujourd'hui existants de la cour d'appel de Bruxelles, deux conseillers, ce serait donc une véritable dérision, une résolution stérile, une loi frappée d'inutilté.

Je ne comprends pas en vérité qu'en présence d'un intérêt aussi sérieux, la chambre puisse hésiter à donner à la cour de Bruxelles le personnel qui lui est nécessaire, dans tous les cas. Quel que soit le résultat de nos délibérations et de celles de la commission organique, de quelque façon qu'on organise le pouvoir judiciaire, soit qu'on rende la cour d'assises aux cours d'appel, soit qu'on conserve le système bâtard de 1849, toujours faudra t-il porter le nombre des conseillers à 28. Si plus tard, on trouve que ce nombre est supérieur aux besoins et que l'arriéré est vidé, on pourra décider qu'il n'y a pas lieu de pourvoir aux vacances nouvelles jusqu'à ce que le personnel soit tombé au minimum fixe.

(page 1489) En attendant, les justiciables sont là qui demandent justice. Ne la leur refusons pas.

M. Dumortier. - Je suis heureux que le gouvernement ait présenté une loi pour rétablir la quatrième chambre qui existait autrefois à la cour d'appel de Bruxelles. À plusieurs reprises, j'ai élevé la voix en faveur du rétablissement de cette chambre ; car il y avait, non par le fait des conseillers, mais par le fait de la loi que nous avons votée, un véritable déni de justice en Belgique. J'ai entendu dire par plusieurs des honorables conseillers de la cour de Bruxelles, que la plupart des procès étaient 5, 6 et 7 ans pendants avant d'arriver à solution. L'insuffisance du personnel de la cour est démontrée.

La loi d'organisation de 1849 est considérée par les magistrats comme une loi de désorganisation plutôt que d'organisation. Je suis donc heureux que le gouvernement soit venu présenter un projet de loi pour remettre les choses sur l'ancien pied. On dira : C'est de la réaction ! comme on le dit chaque fois qu'on veut extirper les abus qui se sont introduits furtivement à d'autres époques. Je suis partisan de la réaction, en tant qu'elle a pour objet de rétablir les choses comme elles avaient été instituées par le Congrès. Je ne pense pas que nous devions un respect absolu à tout ce qui a été fait dans ces derniers temps.

M. Rogier. - Vous avez voté pour la loi.

M. Dumortier. - Si j'ai voté pour la loi, je me suis trompé, je ne regarde pas mes actes et mes votes comme empreints d'infaillibilité. Puisque nous faisons de la réaction, il faut la faire bonne, la faire entière.

Autrefois le personnel de la cour d'appel était composé de 27 membres. Je propose de rétablir le nombre de 27 membres ; je ne vois pas de motif pour le porter à 28. Si la cour a parfaitement marché pendant un assez grand nombre d'années avec 27 membres, quand les assises de la capitale devaient être desservies par tous conseillers, à plus forte raison peut-elle marcher maintenant. Mais je dis avec l'honorable M. Roussel que le nombre de 25 doit être insuffisant pour la bonne marche des affaires publiques.

Remarquez que la cour est surchargée de travaux ; les provinces dont elle est appelée à juger les différends sont celles qui fournissent le plus de causes ; sa position dans la capitale amène un surcroît d'affaires à cette cour. Il est une chose certaine, c'est que quand on a un procès à la cour de Bruxelles, on ne sait pas quand en arrivera la fin. Je connais une institution qui a un procès pendant depuis sept ans ; je n'en fais pas un reproche aux conseillers ; ils font ce qu'ils peuvent, la faute en est à nous-mêmes, par suite de la situation où nous avons réduit la cour.

Puisque nous sommes occupés à faire une loi réparatrice, faisons-la complètement, rétablissons le nombre des conseillers tel qu'il avait été fixé par la loi d'organisation de 1832. Je demanderai donc que le nombre des conseillers de la cour de Bruxelles soit porté à 27, qu'on maintienne ce chiffre sanctionné par l'expérience. De cette manière la cour pourra évacuer les affaires aussi rapidement qu'autrefois, et nous ne retomberons pas dans les résultats fâcheux que l'honorable M. Roussel vieut de signaler.

M. Lelièvre. - Je désire que M. le ministre veuille bien me dire à quelle époque il espère pouvoir présenter le projet de loi relativement à la révision de l'organisation judiciaire. Je suis charmé de voir au banc des ministres l'honorable M. Piercot, il est à même d'attester la réalité des inconvénients qui résultent du personnel actuel de la cour d'appel de Liège. Je suis convaincu qu'il connaît mieux que moi les abus que produit l'état actuel des choses. Et, je le répète, le gouvernement engage gravement sa responsabilité en ne les faisant pas disparaître immédiatement.

M. Osy. - Je viens appuyer la proposition de M. A. Roussel ; je crois qu'il faut porter le nombre des conseillers à 28, augmenter d'un conseiller le nombre fixé par la loi de 1832 parce qu'un conseiller est délégué pendant toute l'année à la cour militaire. Si j'ai voté en 1849 la réduction du personnel de la cour de Bruxelles, c'est sur les documents qui ont été présentés par le gouvernement.

Aujourd'hui, on nous présente des documents autres qui nous ont entièrement éclairés. Sous ce rapport je me rallie à la proposition du gouvernement, et comme je trouve qu'il ne va pas assez loin, je me rallie à la proposition de l'honorable M. Roussel, pour rétablir exactement l'ancien chiffre.

M. Moreau, rapporteur. - La section centrale n'a pas méconnu qu'en portant à 28 au lieu de 25 le nombre des membres de la cour, on hâterait davantage l'expédition des affaires, on ne rendrait plus régulière l'administration de la justice.

Car, sans nul doute 28 magistrats feront plus de besogne que 25 et également 30 ou 35 conseillers plus que 28, mais telle n'est pas la question.

Qu'a voulu, messieurs, la section centrale ?

Elle n'a voulu en aucune manière préjuger les décisions que devra prendre sur une foule de questions la commission récemment nommée pour réviser la loi d'organisation judiciaire.

Elle n'a pas voulu se prononcer en quelque sorte anticipativement sur le point de savoir si les cours d'assises des chefs-lieux des cours seront, comme auparavant, composées de conseillers et en quel nombre. Ce qui évidemment, le cas échéant, exigerait une augmentation plus on moins grande du personnel.

Pour le moment, le but de la section centrale, messieurs, a été d’apporter quelques améliorations à l'état actuel des choses, de faire en sorte que quatre chambres de la cour puissent siéger avec certaine régularité.

Aujourd'hui, depuis le décès d'un magistrat, le service d'une section de la cour était compromis, trois seulement tenaient des audiences. La nomination de deux conseillers de plus remédiera à ce mal. En effet, messieurs, comme vous le savez, cinq conseillers siègent dans chaque section.

Ainsi, quatre chambres supposent 20 conseillers ; il en restera donc trois pour présider les assises, un pour la haute cour militaire et un, si je le puis dire, surnuméraire.

Et veuillez, messieurs, remarquer que les trois conseillers occupés aux asssises ont certains loisirs pendant l'intervalle des sessions ; dernièrement même il n'y a pas eu d'affaires à juger aux assises du Brabant.

La section centrale, d'accord avec M. le ministre de la justice, a donc pensé qu'il convenait de pourvoir seulement aujourd'hui aux besoins les plus urgents.

Telles sont, messieurs, les considérations qui l'ont déterminée à adopter l'article premier.

M. Verhaegen. - Je désirerais connaître sur la question en discussion l'opinion de M. ministre de la justice. Lui qui naguère faisait partie de la cour d'appel de Bruxelles, peut apprécier mieux que qui que ce soit si le chiffre nécessaire est 25, 27 ou 28. J'espère que M. le ministre démontrera la nécessité du chiffre de 28.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je n'avais pas besoin du conseil paternel que vient de me donner l'honorable M. Verhaegen pour m'expliquer sur l'amendement de l'honorable M. Roussel. Il entre dans les convenances comme dans les devoirs du gouvernement de s'expliquer sur tous les amendements qui sont soumis à la chambre. Ainsi, dans la section centrale, lorsque j'ai eu l'honneur de m'expliquer devant ses membres j'ai dit que je comptais appuyer l'amendement de l'honorable M. Rousssel par des raisons que j'expliquerai tout à l'heure.

J'ai été, depuis que le projet est présenté, vivement touché des réclamations des chefs de la cour, et particulièrement de son honorable premier président. Je me suis donc décidé à soumettre à la chambre les raisons qui justifient le chiffre de 28, que réclame cet honorable magistrat, et que propose par voie d'amendement l'honorable M. Roussel.

La chambre voudra bien remarquer que si, depuis 1849, la cour d'appel a siégé au nombre de 4 chambres (3 chambres civiles et une chambre des appels correctionnels) c'est un effet de sa bonne volonté, de son zèle auquel je rendrais un éclatant hommage, si, en lui rendant cet hommage, je n'en prenais pas une petite part pour moi qui en faisais alors partie. Je dois donc signaler simplement le fait sans l'apprécier. Seulement, il y a eu dans la cour d'appel de Bruxelles beaucoup de tiraillements intérieurs, pour faire le service de trois chambres civiles, d'une chambre des appels correctionnels, plus de la présidence de la cour militaire.

En effet, la loi de 1849 avait réduit le nombre des chambres à 3, et avait fixé le nombre de conseillers à 21, c'est-à-dire 7 par chambre, 2 chambres civiles et une chambre des appels correctionnels ; 3 avocats généraux ; deux substituts pour le service des assiees.

Comme on se trouvait au nombre de 25, on a travaillé avec zèle, et l'on est parvenu à siéger à 4 chambres. Je vous laisse à juger quel serait l'étal des affaires, si, depuis 1849, la cour s'en était tenue strictement à la loi de 1849. Si l'on avait siégé à 2 chambres civiles et une chambre des appels correctionnels, l'arriéré serait aujourd'hui de 800 ou 900 causes sans aucun doute.

Je crois que ce point éclairci (et il fait honneur à la cour de Bruxelles) je puis expliquer sommairement les raisons qui justifient le nombre de 28.

J'ai vérifié que déjà, dans la discussion de la loi du 17 août 1834, qui a augmenté le personnel de la cour d'appel de Bruxelles d'un président de chambre et de 2 conseillers, on proclamait la nécessité de 3 chambres civiles et d'une chambre des appels correctionnels. Et lorsque, en 1836, par la loi du 3 février de cette année, on a augmenté de 3 conseillers le personnel de la cour on a voulu arriver au nombre de 27, qu'on considérait comme normal pour le service de 4 chambres.

Aujourd'hui, indépendamment de ce service, la cour est chargée de la présidence de la cour militaire. Cela justifie le nombre de 28 que proposé l'honorable M. Roussel.

Cette circonstance, avec les faits révélés par l'honorable premier président de la cour justifie l'amendement, auquel le gouvernement croit devoir se rallier.

Il est à observer que trois chambres civiles seront toujours nécessaires à la cour de Bruxelles ; car le nombre des affaires civiles y est considérable.

Le nombre des causes introduites chaque année est de trois à quatre cents, et la séparation de la province d'Anvers n'aurait pas pour effet de diminuer les charges de la cour d'appel du service d'une chambre, car c'est à peine si ce qui provient de la province d'Anvers, pourrait occuper pendant la moitié d'une année judiciaire une des chambres de la cour d'appel.

Dans ces termes, il n'est pas à craindre que d'ici à peu de temps on soit obligé de diminuer le personnel de la cour d'appel de Bruxelles. Toujours est-il qu'il suffirait que, pendant an temps moral, le service (page 1490) eût à souffrir d'un nombre très peu considérable de conseillers, pour que la chambre accordât le nombre qu'on réclame comme indispensable.

Ainsi que je l'ai fait observer, on a, dans toutes les lois, considéré comme normal pour le service d'une chambre, le chiffre 7. C'est à ce chiffre que désire revenir l'honorable premier président, disant qu'il ne peut pas répondre de la régularité du service avec un nombre moindre. Cette déclaration se trouve encore consignée dans une lettre très courte mais très concluante que l'honorable premier président m'a écrite hier, dans laquelle, en m'annonçant la maladie grave d'un président de chambre et d'un conseiller, ce magistrat m'informe que la seconde chambre chômera à partir d'aujourd'hui ; il saisit cette occasion pour appeler mon attention sur la nécessité de fixer le nombre des conseillers à 28. « Je ne puis, ajoute-t-il, assurer en aucune manière le service de trois chambres civiles avec un nombre moindre. »

En présence d'une déclaration aussi formelle, émanée d'un homme aussi honorable et aussi éclairé, je ne puis pas prendre sur moi la responsabilité de persister dans un chiffre moindre que celui qui est signalé comme nécessaire à la régularité du service et à l'adminislralion de la justice.

Je crois que ces explications sont de nature à satisfaire pleinement la chambre, et à l'engager à s'arrêter au chiffre de 28.

M. Delehaye. - Messieurs, le gouvernement, avant de saisir la chambre de son projet de loi, avait nécessairement consulté la cour ; or, je comprends difficilement comment le gouvernement vient se rallier maintenant à la proposition de l'honorable M. Roussel.

Remarquez, messieurs, que le gouvernement a nommé une commission spéciale, chargée d'examiner toutes les questions qui se rattachent à l'organisation judiciaire. Les travaux de cette commission sont déjà fort avancés ; sous peu, nous pourrons être saisis du résultat de ces travaux, et nous examinerons alors tout ce qui a trait au personnel. Y a-t-il nécessité de pourvoir immédiatement à l'augmentation demandée par l'honorable M. Roussel ? Non, messieurs. D'un côté, je le répète, les travaux de la commission spéciale sont fort avancés ; d'autre part, nous sommes à la veille des vacances judiciaires. Il n'y a donc pas d'urgence ; nous pouvons ajourner cela jusqu'après les vacances.

Remarquez encore que vous avez modifie l'organisation des tribunaux par suite des changements apportés dans les attributions ; il est possible que la commission spéciale revienne à un autre système, et si l'on revient à un autre système, vous aurez créé des droits acquis que vous aurez à respecter.

Je crois réellement que dans l'intérêt du trésor il serait bon de s'en rapporter à la proposition du gouvernement qui savait fort bien à quoi s'en tenir, lorsqu'il en a saisi la chambre.

M. Verhaegen. - Messieurs, si le gouvernement s'est trompé en présentant son projet de loi, il nous appartient à nous de réparer son erreur.

La grande majorité reconnaît aujourd'hui que le chiffre 28 est indispensable ; et j'ai lieu de croire que si le gouvernement, dès le principe, avait proposé ce chiffre, ce chiffre n'aurait pas rencontré d'objection dans le sein de la section centrale.

Messieurs, il me semble évident que s'il faut augmenter le personnel de la cour d'appel de Bruxelles, il faut s'arrêter au chiffre 28, car si, avec le chiffre 25, nous n'obtenons pas de résultat, c'est une très mauvaise économie.

Il est des économies qui constituent de véritables pertes. Il faut savoir faire les choses convenablement, grandement ou ne rien faire du tout.

Il y a à la cour d'appel de Bruxelles un arriéré considérable. La faute n'en est pas aux magistrats qui composent cette cour, car la cour travaille et a toujours travaillé beaucoup, mais elle n'est pas parvenue, avec le personnel qu'elle a, à terminer les affaires qui lui ont été dévolues.

L'honorable premier président de la cour déclare qu'il ne pourrait pas prendre sous sa responsabilité d'arriver au résultat désire par tout le monde, avec le chiffe restreint de 25, et il affirme que le chiffre 28 est un chiffre indispensable.

Et bien, ce serait de la part de la chambre une économie très mal entendue que d'adopter la proposition restrictive du gouvernement à laquelle la section centrale a cru devoir se rallier.

Si la question d'économie peut entrer en ligne de compte quand il s'agit de l'administration de la justice, ce que je suis loin d'admettre, le trésor public ne peut évidemment qu'y gagner, car les arrêts terminant les affaires devenant plus nombreux, les droits de greffe et d'enregistrement augmenteront en proportion.

Je le répète, messieurs, sachons faire les choses grandement ; ne lésinons pas sur le chiffre des conseillers ; donnons à la cour d'appel de Bruxelles ce qui est indispensable à l'administration de la justice.

M. Delehaye. - Messieurs, on dit que le gouvernement s'est trompé, en faisant sa proposition première ; mais remarquez, messieurs, que cette proposition est venue postérieurement à celle des députés de Bruxelles. C'est seulement après le dépôt de cette dernière proposition que le gouvernement a proposé une réduction de personnel.

Le calcul au moyen auquel on défend le chiffre de 28 conseillers, repose sur la supposition qu'il faut 7 membres dans chaque chambre. Mais, messieurs, vous avez modifié les attributions des différentes autorités judiciaires et par suite de ces modifications les cours d'appel ont moins à faire qu'auparavant.

Ainsi, on a vu dernièrement que la cour d'assises de Bruxelles n'avait pas une seule affaire à juger ; c'est là un exemple frappant de la diminution du nombre des affaires, car on comprend parfaitement que s'il n'y a pas d'affaires à la cour d'assises il ne faudra pas distraire un conseiller de la cour d'appel.

Je suis convaincu, messieurs, que l'augmentation de dépense qui résulterait de la nomination de 28 conseillers, ne serait pas considérable, mais ce sont des droits acquis que l'on crée. D'ailleurs, messieurs, on signale aujourd'hui, pour la première fois la nécessité du chiffre de 28 conseillers et on veut faire adopter ce chiffre dans un moment où une commission a été nommée pour réviser l'organisation judiciaire. Mais, messieurs, laissez agir cette commission et bornez-vous, en attendant ses propositions, à adopter le chiffre proposé par le gouvernement.

L'honorable M. Verhaegen a dit que plus il y aurait d'affaires, plus il y aurait de revenus pour le trésor ; cela est vrai, messieurs, mais nous croyons, nous, qu'une chambre peut fonctionner avec 6 conseillers. On dit qu'un magistrat peut être malade ; sans doute, mais une chambre ne siège qu'à cinq conseillers. Cet argument n'est donc pas admissible.

M. Roussel. - Je ne puis comprendre l'insistance que l'honorable M. Delehaye apporte dans la guerre qu'il fait à mon amendement. On a démontré à l'honorable représentant que la question relative à la distraction de la province d'Anvers, question chère à son cœur, demeure complètement sauve ; il devrait donc bien nous permettre, à nous, représentant de Bruxelles et des autres provinces comprises dans le ressort de la cour d'appel de Bruxelles, d'apprécier le meilleur moyen de vider l'arriéré et d'organiser la cour de manière à satisfaire aux besoins de la justice.

On dirait notre honorable collègue réellement plus expérimenté que nous sur les besoins de la cour d'appel de Bruxelles. Il nous apporte, entre autres, un argument fort extraordinaire : parce qu'il y a eu, ces jours derniers, ce qu'on appelle une session blanche à la cour d'assises du Brabant, événement qui se produit une fois tous les trente ans, l'honorable M. Delehaye en déduit cette conséquence judicieuse, qu'il faut diminuer immédiatement le personnel de la cour d'appel ou tout au moins qu'il ne faut pas l'augmenter.

Mais c'est une règle admise par le bon sens qu'on ne peut organiser des corps judiciaires sur de petits accidents, qui ne se présentent presque jamais.

L'honorable M. Delehaye s'oppose à la proposition parce que les magistrats nommés acquerront des droits. La faute en est à la Constitution qui a déclaré l'inamovibilité des magistrats.

Est-ce une raison, parce que la Constitution est en faute, de continuer un déni de justice flagrant à l'égard des justiciables de la cour d'appel de Bruxelles ?

Sérieusement, est-il possible de confondre un intérêt aussi considérable que celui de la bonne administration de la justice, avec de simples questions locales ?

Si M. Delehaye veut distraire du ressort de la cour d'appel de Bruxelles cette belle province d'Anvers, dans laquelle je suis né, est-ce un motif pour que les justiciables attendent que M. Delehaye ait atteint le but de ses désirs ?

L'honorable député gantois prétend que le chiffre de 28 conseillers n'a jamais été signalé ; mais je viens de prouver et M. le ministre de la justice l'a prouve également, que le chiffre de 27 conseillers constituait le chiffre normal tandis que celui de 28 est devenu nécessaire à raison de la délégation permanente d'un conseiller à la cour militaire.

Quant à l'argument tiré de la difference entre l'organisation actuelle des cours d'assises et celle qui existait avant 1849, il tombe en présence de cette observation que d'abord il est fort possible que les cours d'assises soient rétablies dans l'état où elles étaient avant 1849, et en second lieu que la difference dont il s'agit trouve une ample compensation dans l'énorme arriére qui existe à la cour d'appel de Bruxelles.

Sur quoi repose l'observation qu'on pourra juger autant de causes avec 25 conseillers qu'avec 28 ? Ne tombe-t-il pas sous le sens que plus le personnel est nombreux, plus on peut se livrer à des travaux extraordinaires puisque si le personnel est plus nombreux les empêchements à la tenue des audiences se présenteront plus rarement.

Et puis, après tout, messieurs, est-ce que l'honorable M. Delehaye, ancien magistrat lui-même, est bien recevable à venir ici contredire les assertions de l'honorable président de la cour d'appel de Bruxelles, qui vous prouve par des chiffres irrécusables que cette cour est dans l'impossibilité de satisfaire aux exigences de la justice ?

En réponse aux critiques économiques de M. Delehaye, l'honorable M. Verhaegen a fait une observation saillante. IL vous a dit : Plus votre personnel est nombreux, plus vous pourrez juger ; plus vous jugez de causes, plus il rentre de fonds au trésor du chef des droits de greffe et d'enregistrement.

Eh bien, messieurs, l'état actuel des choses force aux transactions. Les transactions ne sont pas un mal quand elles sont volontaires ; les transactions volontaires sont même d'excellentes choses, car je partage l'avis de ceux qui disent ; « Mieux vaut une mauvaise transaction qu'un excellent procès » ; mais une transaction doit être libre et volontaire ; aujourd'hui elle est forcée.

Eh bien, messieurs, qu'en résulte-t-il ? C'est que l'Etat fait des recettes beaucoup moindres. Dans l'impossibilité d'obtenir justice les parties transigent forcément, des créanciers renoncent à leurs prétentions plutôt que de subir le martyre de l’attente ; il en résulte que l'Etat perd (page 1491) les droits d'enregistrement qu'il aurait perçus dans les affaires qui se terminent de cette façon.

Certes, messieurs, le surcroît de droits d'enregistrement résultant de l'augumentation des travaux de la cour d'appel de Bruxelles dépassera de beaucoup le chiffre des appointements dus aux magistrats dont vous décréterez la nomination.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Je commencerai par donner quelques explications a l'honorable M. Ch. Rousselle sur le tour de rôle des présentations tel qu'il a fonctionné d'une manière définitive, au moins d'une manière normale, par la loi du 10 février 1836.

La loi du 10 février 1836 qui porte augmentation du personnel de la cour d'appel de Bruxelles, a modifié la répartition des représentations entre les trois provinces qui forment le ressort de la cour d'appel de Bruxelles.

La loi organique de 1832 avait déterminé l'ordre des présentations : la loi du 10 février 1836 a modifié le nombre des conseillers à présenter par les trois provinces. Elle est ainsi conçue :

« Le conseil provincial d'Anvers présente à huit places, celui du Brabant à neuf places, celui du Hainaut à dix places. »

Nous en sommes actuellement arrivés à la quinzième place ; de sorte qu'il doit encore se faire douze présentations avant d'épuiser le nombre.

Or, la commission d'organisation judiciaire, après avoir déterminé d'une manière définitive le nombre des magistrats des différentes cours judiciaires, aura à s'occuper également de la répartition des présentations ; de sorte que le droit que la province de Hainaut pourrait réclamer sera réglé d'une manière définitive par cette commission.

Maintenant, messieurs, permettez-moi quelques courtes observations sur la fixation du nombre.

Le gouvernement vous a proposé de fixer à 25 le nombre des membres de la cour d'appel de Bruxelles. Je vous avoue d'abord que je ne consentirai jamais à faire une question de chiffres d'une question de fixation du personnel de la magistrature.

La question, dans les affaires de ce genre, ne peut jamais être de savoir si les droits de greffe et d'enregistrement rapporteront ce que coûtera le traitement de quelques magistrats.

Je me tiens en dehors de pareilles appréciations. Elles ne sont pas, suivant moi, dignes de la chambre. Car ce n'est pas là la question. La question, c'est celle de la bonne justice à rendre aux administrés. C'est ainsi que la véritable question n'est pas de savoir si précédemment le gouvernement a commis une erreur en vous proposant le chiffre de 25 et s'il est de sa dignité de reconnaître ou de ne pas reconnaître son erreur.

Ce que je constate, messieurs, c'est que dans sa probité et dans son autorité, le chef de la cour d'appel de Bruxelles déclare au gouvernement, dans un rapport officiel, qu'il ne peut pas répondre, avec 25 conseillers, du service des quatre chambres.

En présence de cette déclaration, le gouvernement, par mon organe, déclare se rallier aux appréciations de l'honorable premier président.

Le premier président, depuis que j'ai eu l'honneur de soumettre ce projet à la chambre, m'a fait connaître que plusieurs magistrats de la cour sont dans un état de santé fâcheux et qu'il n'a rencontré que des obstacles à la bonne administration de la justice, qu'à trois reprises différentes des chômages ont eu lieu, et il m'informe encore, sous la date d'hier, qu'un nouveau chômage commence par suite d'une maladie grave dont est atteint un président de chambre.

Eh bien, toute la question pour moi est là : c'est qu'il y a, dans un moment où vous êtes appelés à donner à la cour d'appel de Bruxelles uu personnel suffisant, des nécessités qui se révèlent, qui sont constatées d'une manière certaine, que je vous signale sous la garantie du chef de la cour. Je ne veux pas, je me refuse à prendre sous ma responsabilité un autre chiffre que celui proposé par l'honorable chef de la cour et qu'a formulé l'honorable M. Roussel dans son amendement.

Je vous avoue que j'aurais même pris l'initiative d'une modification au projet, si elle n'avait pas été prise par l'honorable membre. En cela, je crois faire acte de bonne appréciation et rendre hommage à des nécessités réelles et constatées.

Il n'est pas ici question de voir si un ou deux membres de la cour devront être retranchés du personnel, lorsque l'arriéré sera diminué. Vous êtes en présence d'un arriéré de 528 causes civiles et de 103 causes correctionnelles. Cet arriéré s'augmente encore, puisque des chambres sont obligées de chômer. Eh bien, donnez à cette cour qui a une aussi forte besogne et à laquelle sont confiés de si grands intérêts, donnez-lui de quoi marcher suivant les nécessités qui se révèlent de jour en jour et qui deviennent de plus en plus pressantes.

Je crois que, d'après ces considérations, il ne pourra rester aucun doute dans l'esprit de la chambre.

M. de Muelenaere. - Il est probable que je ne suis pas mieux renseigné que l'honorable M. Delehaye sur les besoins de la cour de Bruxelles. Mais je crois que ce n'est ni sa faute ni la mienne.

En effet, il y a trois ans, le gouvernement est venu nous proposer une réduction considérable sur le personnel de la cour d'appel de Bruxelles. Le nombre de 21 conseillers, à cette époque, devait suffire à la marche régulière de la justice.

Il y a quelques semaines les honorables députés de Bruxelles ont déposé une proposition, d'après laquelle ils demandaient un personnel de 27 conseillers.

M. Roussel. - De 28.

M. de Muelenaere. - Je croyais que c'était 27. Après le dépôt de cette proposition, M. le ministre de la justice qui, probablement, possédait tous les renseignents nécessaires, est venu proposer une augmentation de deux conseillers, c'est-à-dire de porter le nombre des conseillers actuels de 23 à 25.

Aujourd'hui on vous demande 28 conseillers pour la cour d'appel.

Voilà donc quatre propositions différentes en quelques années.

Que faut-il faire, messieurs ? Je vous prie de ne pas perdre de vue que M. le ministre de la justice a récemment institué auprès de son département nne commission qui est chargée de réviser complètement l'organisation judiciiare. Il paraît que le travail de cette commission est déjà très avancée et que probablement, dans la session prochaine, vous pourrez être saisis des résultats de ce travail. Vous aurez donc à procéder alors à un remaniement plus ou moins général des tribunaux.

Eh bien, messieurs, en présence de cette commission, à la veille de devoir vous occuper de ce travail, il me semble que ce qu'il y a de plus simple à faire pour nous quant à présent, c'est d'adopter purement et simplement la proposition qui nous a été faite par le département de la justice, proposition qui a été examinée, discutée et adoptée par la commission centrale, d'accord avec le chef de ce département ; et si le nombre de 25 conseillers esl reconnu plus tard insuffisant, s'il est démontré que le personnel de la cour d'appel doit recevoir un renfort plus considérable, eh bien, on augmentera le personnel de la cour de Bruxelles, lorsqu'on s'occupera des autres cours et des autres tribunaux du royaume.

Rappelez-vous, messieurs, que l'honorable M. Lelièvre vous a fait observer tout à l'heure que le personnel de la cour de Liège est également insuffisant, qu'il y a un grand nombre de contestations arriérées et que beaucoup d'affaires sont en souffrance. Ce sera un motif de plus, me semble-t-il, pour qu'on s'occupe, dans un bref délai, de ce que peut exiger la cour de Liège.

En conséquence, je pense que le parti le plus sage et le plus convenable à prendre, c'est d'adopter l'augmentation de personnel qui vous a été proposée par le département de la justice, d'accord avec la section centrale.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - L'honorable comle de Muelenaere ne semble pas tenir compte des dernières observations que je viens de soumettre à la chambre et qui me paraissent péremptoires. Au sein de la section centrale, lorsque la proposition de l'honorable M. Roussel s'est fait jour, j'ai déclaré m'y rallier. Je le faisais sur les instances du chef de la cour d'appel de Bruxel'es.

Je dois même dire que des membres de la commission d'organisation judiciaire m'ont parlé dans le même sens, et m'ont fait entendre, suivant les principes et le système en discussion dans son sein, que le personnel, en tout état de cause, devait être de 28 membres, pour avoir trois chambres civiles et une chambre des appels de police correctionnelle. Voilà ce qui me détermine ici à me rallier au système du premier président de la cour.

Pour ce qui concerne la cour d'appel de Liège, l'état des affaires sera apprécié par la commission ; sans doute il y a quelque chose à faire, mais il y a une énorme difference entre l'arriéré de la cour de Bruxelles et celui de la cour de Liège, il y a une énorme différence entre l'urgence de la réparation demandée pour la cour de Bruxelles et la régularisation réclamée pour la cour de Liège.

Il y a pour la cour de Bruxelles urgence réelle, pressante, constatée pour tout le monde ; les affaires ne peuvent pas rester plus longtemps en souffrance, et si on devait attendre la présentation d'un projet de loi, plusieurs mois s'écouleraient avant que les choses fussent réglées sur ce point ; or retarder de plusieurs mois la réparation dont il s'agit, c'est rendre un mauvais service à un grand nombre de plaideurs qui attendent leur tour.

M. Verhaegen. - Je concevrais la proposition de M. de Muelenaere, si elle ne devait pas donner lieu actuellement aux plus graves inconvénients ; il est constaté qu'un arriéré considérable existe à la cour de Bruxelles ; et on nous propose d'attendre le rapport de la commission instituée au département de la justice et la proposition de lui qui en sera la conséquence !

Où cela va-t-il nous conduire ?

Au moins à la fin de la session prochainee, si tant est que le projet puisse être discuté dans cette session : en attendant l'arriéré augmentera, et celui qui demande justice ne pourra pas l'obtenir.

J'entends dire à mes côtés qu'un procès en matière d'expropriation est pendant à la cour de Bruxelles depuis 11 mois, que des mineurs y sont intéressés, et qu'il est impossible d'obtenir un arrêt faute d'un personnel suffisant ; et l'honorable M. de Muelenaere pense que cela peut continuer en attendant le rapport de la commission et le projet de loi. Mais ce serait perpétuer ce déni de justice dont on vous a parlé ; il deviendrait proverbial que devant la cour de Bruxelles les plaideurs ne peuvent pas obtenir justice. Il est de la dignité de la législature de faire cesser cet état de choses.

Si j'ai dit quelques mots du produit des droits de greffe et d'enregistrement, ce n'a été que pour répondre à une objection qui m'était faite par l'honorable M. Delehaye. Je me serais bien gardé de prendre l'initiative de considérations de cette nature, je suis de l'avis de M. le ministre de la justice, ce ne sont pas les considérations d'économie qui (page 1492) doivent nous diriger quand il s'agit de l'administration de la justice, il faut savoir faire les choses convenablement ou ne rien faire du tout.

- La substitution du nombre 28 au nombre 25 proposée par M. Ad. Roussel est mise aux voix et adoptée.

L'article premier ainsi modifié est également adopté.

Article 2

« Art. 2. Le personnel du parquet de cette cour est augmenté d'un avocat général. »

- Adopté.

Article 3

« Art. 3. La première nomination aux places de conseiller, auxquelles il y aura lieu de pourvoir en vertu de la présente loi, sera faite par le Roi. »

Le gouvernement s'est rallié à celle rédaction.

M. Orban. - Messieurs, les questions de constitutionnalité ont toujours une haute importance. Cette importance augmente quand il s'agit de déroger à la Constitution, à propos d'une loi d'organisation judiciaire, d'une loi relative à la composition des corps chargés de faire exécuter la Constitution et les lois. Je ne concevrais pas que la question constitutionnelle que soulève l'article soumis à la chambre ne fût pas discutée. Je le concevrais d'autant moins, que, selon moi, aucune raison solide ne peut être opposée au reproche d'inconstitutionnaiité flagrante qui peut être adressé à cette disposition qui est la négation formelle de l'aricle. 99 de la Constitution en vertu duquel le Roi ne nomme des conseillers de cours d'appel que sur la proposition de ces mêmes cours et des conseils provinciaux.

Messieurs, cette disposition est formelle, elle est absolue, elle ne comporte, elle n'admet aucune exception, aucune dérogation.

Comment donc, en vertu de quel principe, en vertu de quelle autre disposition constitutionnelle a t-on pu proposer de déférer directement ces nominations au Roi ?

Messieurs, il n'existe aucune disposition de cette espèce, mais seulement une mesure législative spéciale, temporaire et sans application possible, sans rapport avec le cas qui se présente.

Lors de la première organisation judiciaire, on a porté une loi spéciale qui permettait, par exception, que les premières nominations fassent faites directement par le Roi ; mais ces premières nominations une fois faites, il est évident que la Constitution reprenait son empire et que des dispositions exceptionnelles cessaient avec tes considérations qui les avaient rendues nécessaires.

Il est évident que par les premières nominations on entendait les nominations à faire lors de l'organisation de l'institution des cours d'appel, non des premiers choix à faire lors des nominations isolées qui pourraient avoir lieu à l'occasion de l'augmentation du personnel de ces cours, de la création de nouvelles places.

El la preuve en est bien manifeste.

La Constitution renferme si peu le principe d'une dérogation permanente à l'article 99, toutes les fois qu'il s'agira de pourvoir à des places nouvelles de conseiller de cour d'appel, qu'elle ne pose pas même ce principe, en ce qui concerne les premières nominations à faire dans l'organisation de ces corps. En effet, la disposition transitoire qui figure dans la Constitution, et qui s'occupe de cette dérogation, n'est applicable qu'à la cour de cassation, elle permet seulement de déroger à l'article 92 de la Constitution,en ce qui concerne la première nomination des membres de la cour de cassation, et pourquoi, messieurs, cette dérogation ? Parce qu'évidemment, pour la première nomination de ce corps judiciaire, il u'y avait pas possibilité de faire ces présentations, puisque à cette époque il ne devait pas exister de cour de cassation.

Si par une loi particulière, celle de 1832, on a permis au gouvernement d'en user de même à l'égard des cours d'appel, de faire ce que la Constitution ne permettait pas, c'est par suite d'une nécessité qui s'est produite, et qui n'avait pas été prévue à l'époque de la Constitution, c'est parce qu'à l'époque où la Constitution a été faite, on ne prévoyait pas que lors de l'organisation judiciaire, un des éléments de présentation, les conseils provinciaux, n'existerait pas encore.

Mais, messieurs, si l'on a pu, par suite de la nécessité, qui est la première des lois, si l'on a pu étendre aux cours d’appel le principe de dérogation qui a été admis pour la cour de cassation, l'on ne pouvait, vous ne pouvez donner à la disposition transitoire relative à la cour de cassation plus de portée en ce qui concerne les cours d'appel qu'elle n'en a eu en ce qui concerne la cour de cassation. Or, la disposition à laquelle je fais allusion avait si peu en vue de faire un droit permanent de cette nomination sans présentation, qu'elle n'avait pas même songé, comme je viens de le démontrer, à accorder ce droit au gouvernement, pour la première nomination des conseillers des cours d'appel.

Messieurs, si j'avais besoin d'ajouter une considération nouvelle aux arguments que je viens d'invoquer, je la trouverais dans la position qu'occupe dans la Constitution la disposition sur laquelle on se fonde. Cet article figure au chapitre des dispositions transitoires. Cela seul ne suffit-il pas pour en indiquer la portée, et n'est-il pas tout à fait irrationnel de vouloir faire dériver un droit permanent d'une disposition à laquelle la Constitution a assigné un caractère tout à fait transitoire et spécial ?

Maintenant, messieurs, faisons un instant abstraction de la Constitution. Supposons qu'il n'y ait pas de disposition de la Constitution qui vous défende de faire ce qu'on vous propose aujourd'hui. Supposons que la Constitution ne soit pas obstative à ce que le gouvernement nomme directement et sans présentation les membres des cours d'appel, je vous demanderai encore s'il y aurait convenance d'en agir ainsi.

Si la Constitution a jugé qne vous ne deviez pas avoir le droit direct de nomination, que cette nomination ne devait avoir lieu que sur la présentation des conseils provinciaux et des cours d'appel, si ces présentations ont été jugées plus convenables dans l'intérêt de la magistrature et des justiciables, pourquoi, lorsqu'un cas exceptionnel se présente, n'en serait-il pas de même ? Si cette garantie est bonne pour les cas ordinaires, elle est bonne aussi pour les cas exceptionnels. Pourquoi ne pas faire pour ces nominations, comme pour les nominations habituelles ?

Je dirai plus : c'est qu'il y a aujourd'hui un motif de plus pour respecter les présentations des conseils provinciaux. Il y avait autrefois un vice réel dans ce droit de présentation : c'est que les conseils provinciaux étaient composés en grande partie de magistrats, de juges, qui, il faut bien le dire, y arrivaient quelquefois, si pas toujours avec le désir d'être présentés comme candidats aux places vacantes dans la magistrature supérieure. Il en résultait une espèce de privilège, de droit de préférence en faveur des magistrats faisant partie de ces collèges, qui faisait suspecter l'impartialité des présentations faites par les conseils provinciaux.

A l'occasion de la réforme parlementaire, l'attention de la législature a été éveillée sur ces inconvénients, et l'on a déclaré le mandat de conseiller provincial incompatible avec les fonctions de membre des tribunaux de première instance, précisément pour donner toute garantie de l'impartialité des conseils provinciaux dans la présentation des candidats aux places de conseillers de cours d'appel.

Airisi, messieurs, vous le voyez, sous le rapport des convenances pas plus que sous le rapport de la constitutionnalité, la disposition qui vous est soumise ne peut se justifier.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Si la chambre avait le moindre doute sur la constitutionnalité de l'article en discussion, je serais le premier à l'engager à se prononcer contre cet article et à sauvegarder la disposition constitutionnelle. Dans le doute, évidemment, c'est la Constitution qui doit triompher, et comme à l'occasion de certains écrits que j'ai publiés dans le temps, on a cherché à me faire passer pour ne pas tenir à la conservation de notre pacte fondamental, je ne suis pas fâché de dire que les appréciations sur ce point ont été erronées ou malveillantes.

Je déclare, d'autre part, que la responsabilité da gouvernement ne peut être qu'allégée par la suppression de la disposition que j'ai proposée.

Mais je crois qu'il était convenable, que c'était même une nécessité de vous proposer une disposition qui figure dans toutes les lois de même nature, qui ont crée un personnel dont la nomination appartient pour les cas ordinaires au Roi, sur la présentation des conseils provinciaux et des cours d'appel, mais a été pleinement dévolu au gouvernement dans les cas de première présentation.

Je vais me permettre, pour constater ce qui existe en fait, de rappeler les précédents qui se rattachent à cette question très intéressante en elle-même et qui a beaucoup d'importance au peint de vue de l'interprétation de la Constitution.

Lors de la loi organique de 1832, la question a été examinée, et vous pourrez lire dans la belle conférence que mon honorable collègue M. Liedts a faite alors de tous les avis qui ont été donnés par les corps judiciaires et par les barreaux du royaume sur le projet de loi d’organisation judiciaire de l’honorable M. Raikem, que des scrupules ont été énoncés sur la constitutionnalité de la première nomination de tout l'ordre judiciaire sans exception, y compris les premiers présidents et les présidents des cours. Ces scrupules, messieurs, qui avaient été énoncés et analysés par l'honorable rapporteur de la section centrale, n'ont pas arrêté la chambre qui était alors composée presque exclusivement des auteurs de la Constitution. On a décidé que les corps judiciaires, la cour de cassation et les cours d'appel, devaient être créés en totalité par l'initiative du gouvernement, attendu que les conseils provinciaux n'existaient pas et que les cours elles-mêmes devaient être en quelque sorte réformées pour exister.

Mais à cette époque la nomination des présidents de chambre et des premiers présidents des cours pouvait être faite par les cours mêmes. On a cru, suivant le rapport de l'honorable M. Destouvelles dans la séance du 22 janvier 183, devoir donner au chef de l'Etat un témoignage de confiance en lui déférant les nominations, sans exception, de tous les magistrats, y compris les premiers présidents, les présidents des chambres et les présidents des tribunaux de première instance.

Ce précédent, messieurs, s'est renouvelé lors de la loi du 17 août 1834 qui créait un président et ceux conseillers à la cour d appel de Bruxelles. L'article 5 a été adopté sans discussion et la loi a été votée à la chambre par 48 membres contre 5 et au sénat par 23 membres contre 5.

La commission de la chambre des représentants avait attiré l'attention de la chambre sur la question de constitutionnalité ; la commission avait fait plus que votre section centrale aujourd'hui ; elle s’était prononcée centre la première nomination à laisser au gouvernement pour le président de chambre. Malgré cela, messieurs, la chambre a passé outre et elle a conféré au Roi la première nomination du président et des conseillers.

Par la loi du 11 février 1836, le même fait s'est reproduit, et la même (page 1493) disposition a été admise à la chambre par 51 voix contre une et au sénat à l'unanimité. La commission, par l'organe de l'honorable M. Dumonceau, avait trouvé la disposition inconstitutionnelle, et cependant la chambre l'a adoptée.

Pendant la discussion, un seul orateur a pris la parole sur la question. C'est l'honorable M. Milcamps, dont vous connaissez tous la sagesse et le bon jugement ; il était renommé dans cette enceinte pour ces qualités. Il fit remarquer qu'il s'agissait d'une première nomination, qu'à ce titre cette première nomination devait être conférés au Roi comme elle l'avait été en 1834, comme elle l'avait été en 1832 ; c'est, disait il, le résultat d'une création et non d'une vacance de place ; par conséquent il y a lieu de faire application du principe.

Messieurs, les précédents de 1832, de 1834 et de février 1836 que je viens de rappeler, sont antérieurs à la loi provinciale du mois d'avril 1836. On aurait pu dire, et l'on a dit, en effet, que les conseils provinciaux n'étant pas constitutionnellement organisés, il était impossible de déférer aux conseils provinciaux, qui n'existaient pas, la présentation aux places cédées ; et l'on argumentait pour dire qu'il y avait là une raison suffisante pour confier directement au Roi les nominations. Mais, messieurs, cet argument qui aurait pu triompher en ce qui concerne la nomination des conseillers, n'existait pas en ce qui concernait les présidents de chambre, puisque, d'après l'article 99 de la Constitution, les présidents de chambre sont nommés par les corps qu'ils sont appelés à présider.

Vous voyez donc que l'argument tiré de ces précédents est concluant par rapport aux présidents de cours d'appel et qu'il peut être étendu par identité de raison aux conseillers.

Mais, messieurs, il y a un précédent postérieur à l'organisation des conseils provinciaux, c'est celui qui est écrit dans l'article 5 de la loi du 25 mai 1838. Cette loi, messieurs, a été votée, après le rapport de l'honorable premier président de la cour d'appel de Liège, M. de Behr, qui était en même temps vice-président de cette assemblée, et elle a été adoptée sans observation ni dans le rapport de la commission, ni dans le sein de la chambre.

Et, messieurs, on ne peut pas dire que ce soit par erreur ou par distraction, puisque en 1836, en 1834, en 1832, la question avait été constamment agitée ; et vous ne pouvez pas supposer que l'assemblée qui était encore composée alors d'un grand nombre de membres du Congrès et d'un grand nombre de membres qui n'ont jamais cessé de siéger dans cette enceinte, aurait laissé échapper une pareille question par distraction, par inattention. Eh bien, cette loi de 1838 a été votée à l'unanimité de 66 voix dans cette chambre et à l'unanimité dans le sein du sénat.

S'il est permis, messieurs, pour interpréter une simple disposition législative, d'invoquer un certain nombre d'arrêts d'une cour, il doit être permis, me semble-t-il, pour interpréter une disposition constitutionnelle, d'invoquer les précédents législatifs formulés dans des lois et votés par les deux chambres du pouvoir législatif presque constamment à l'unanimité et par les premiers jurisconsultes du pays qui siégeaient alors dans cette enceinte.

Messieurs, veuillez remarquer en outre que si vous ouvrez la loi organique de l'ordre judiciaire de 1832, vous trouverez dans les articles 7 et 38 des dispositions qui confirment l'appréciation que l'honorable M. Milcamps faisait lors de la discussion de la loi du 11 février 1836.

L'article 7 de la loi d'organisation judiciaire porte : « Lorsqu'une place de conseiller à la cour de cassation devient vacante, le premier président, etc. » L'article. 38 porte : « Lorsqu'une place de président ou de conseiller devient vacante, il est procédé, etc. » Les articles 7 et 38 ont organisé le principe constitutionnel de l'article 99, et ces deux articles parlent privativement de la vacance des places, c'est-à-dire du résultat du décès, de la démission ou de la mise à la pension des magistrats, mais non pas de premières créations, de places créées par une loi nouvelle.

Cette interprétation qui a été donnée a la loi de 1832 par le pouvoir législatif chargé d'organiser le principe de l'article 99, elle a été renouvelee et acceptée en 1836, puisque l'honorable M. Milcamps faisait observer qu'il s'agissait non pas d'une vacance par décès ou démission, mais d'une première nomination.

Cette première nomination, messieurs, de quoi résulte-t elle ? Elle résulte d'une création de place, et c'est à ce point de vue que le parlement s'est toujours placé pour donner son approbation à la disposition telle que je l'ai formulée.

Messieurs, j'ai eu un tel respect pour ces précédeuts législatifs, que je n'aurais pas osé prendre sur moi de ne pas proposer cette disposition, de ne pas proposer de conserver au Roi une prérogative dont il a toujours joui et dont il n'y a aucun motif pour ne pas continuer à le faire jouir. Car, enfin, messieurs, les scrupules constitutionnels qui se font jour en ce moment, se sont fait jour au sein des chambres a d'autres époques, et la question a toujours été résolue dans le sens que j'ai eu l'honneur de vous indiquer.

Il me paraît, messieurs, que si vous tenez compte de ces précédents, si vous faites attention à la manière dont la loi de 1832 a réglé l'exécution de l'article 99 de la Constitution, en ne l'appliquant qu'aux vacances de place, vous devrez convenir que le cas de première création ou de première nomination a été laissé dans le domaine du pouvoir législatif, et que c'est au pouvoir législatif de régler ce point librement comme il l'a fait jusqu'ici.

M. Orban. - Messieurs, je serais disposé à dire a M. le ministre de la justice que les précédents ne sont pas des raisons, que ce ne sont pas surtout des raisons suffisantes quand il s'agit de justifier une dérogation à la Constitution. Mais je ne me plaindrai pas des précédents qu'il a invoqués car, à mon avis, ces précédents ou tout au moins l’ensemble de ces précédents justifie de la manière la plus complète l’opinion que j'ai émise sur l'inconstitutionnalité de la disposition proposée.

Lorsque la loi sur l'organisation judiciaire a été présentée à la chambre en 1832, elle a été soumise à une commission composée des hommes les plus compétents, qui avaient concouru eux-mêmes à l'élaboration de la Constitution, qui en connaissaient le mieux l'esprit et la portée.

Eh bien, messieurs, l'on a trouvé que la disposition qui conférait au gouvernement ou au roi le droit de nommer directement pour une prémière fois les conseillers des cours d'appel, ne pouvait se justifier que par l'absence des conseils provinciaux ; c'est cette considération seule qui a déterminé la commission à souscrire à une semblable dérogation,

Malgré ce fait essentiel, malgré cette nécessité en qulque sorte matérielle, malgré l'impossibilité de se soumettre à la loi des présentations par les conseils provinciaux alors que ces corps n'existaient pas, M. le ministre de la justice nous l'apprend lui-même, la commission a eu des doutes sur la constitutionnalité de cette disposition tant la prescription de la Constitution lui paraissait formelle.

Ainsi, messieurs, vous le voyez, un seul motif aux yeux de la commission pouvait justifier une dérogation au principe de la Constitution, qui veut que les conseils provinciaux présentent des candidats aux places de conseillers de cour d'appel, c'est qu'il n'y avait pas de conseils provinciaux.

Cette même jurisprudence de la chambre a été maintenue, messieurs, aussi longtemps que la question s'est présentée dans les mêmes termes, c'est-à-dire, avant l'organisation des conseils provinciaux ; l'identité des motifs devait en effet entraîner l'identité de la décision et l'on devait forcément se dispenser des présentations par les conseils provinciaux aussi longtemps que ces conseils provinciaux n'existaient pas.

Une seule décision de la chambre, messieurs, est postérieure à l'organisation des conseils provinciaux. Celle-là seule a été prise dans des conditions analogues à celles où nous nous trouvons aujourd'hui et pourrait être par conséquent invoquée. Mais pour juger du mérite de cette décision, de la valeur de cet antécédent, il faudrait connaître quels sont les motifs qui ont entraîné la détermination de la chambre, qui lui ont fait résoudre affirmativement la question de constitutionnalité.

Or, messieurs, c'est encore M. le ministre qui nous l'apprend, la loi a été votée sans discussion. Voilà la valeur du seul antécédent que puisse invoquer M. le ministre pour justifier une disposition manifestement contraire à la Constitution.

Quant à moi, messieurs, quelque respectables que soient les antécédents, je crois qu'il faut respecter la Constitution d'abord ; les lois ne viennent qu'après et elles ne méritent nos égards que pour autant qu'elles sont conformes à la Constitution. Ici, il faut respecter la Constitutîon qui est claire, et ne respecter pas les lois qui ne le sont pas.

J'attendais de M. le ministre de la justice autre chose que des antécédents qui en définitive ne sont que l'opinion d'autrui et pas la sienne. J’ai cherché des arguments dans ce qu'il a dit ; je n'en ai trouvé aucun. Je me trompe : il a trouvé dans la loi sur l'organisation judiciaire un argument qui, à ce qu'il paraît, a une grande valeur à ses yeux ; c'est une disposition qui porte qu'en cas de vacature il est procédé aux nominations sur présentation et conformément à l'article 99 de la Constitution.

La loi dit qu’il y aura présentation, quand il y aura vacature, dit M. le ministre ; donc il n'y a pas lieu à présentation, quand il s'agit d'une première nomination. C'est une manière de raisonner fort étrange. De ce que la loi a prescrit la présentation pour la nomination aux places vacantes par démission ou décès, on conclut que le droit de présentation est exclu, pour les places nouvellement créées. C'est vraiment se montrer de trop bonne composition en si grave matière, et quand on se trouve en présence d'un texte formel de la Constitution. Je crois qu'il y a une manière plus simple de comprendre cet article. Je pense que lors la loi a parlé de présentations pour les places vacantes, elle a voulu parler des places auxquelles il s'agissait de pourvoir, soit par suite de décès, soit par tout autre cause, car dans le doute on ne doit pas supposer que le législateur a voulu autre chose que ce qu'a voulu la Constitution elle-même.

J'ajouterai que l'argument de M. le ministre de la justice, au lieu d'ébranler les scrupules que j'ai exprimés à la chambre, n'a fait que les confirmer complètement, et en prouvent la faiblesse extrême, si pas l'absence complète de toute raison propre à justifier la constitutionnalité de la disposition que je combats.

M. Dumortier. - Je suis heureux de rendre hommage a la manière dont s'est exprimé M. le ministre de la justice, au sujet du scrupule constitutionnel que plusieurs préopinants éprouvent à l'occasion de l'article en discussion. La manière dont il a parlé me semble irréprochable ; car, comme l'a dit M. le ministre de la justice, si l'on a un scrupule constitutionnel, il faut commencer par respecter la Constitution.

Ce scrupule constitutionnel je le partage. La simple lecture du texte de la Constitution qui ne peut être discutée le fortifie dune manière irréfutable.

Que porte l'article 99 de la Constitution ? « Art. 99… Les conseillers (page 1494) des cours d'appel et les présidents et vice présidents des tribunaux de première instance de leur ressort sont nommés par le Roi, sur deux listes doubles présentées l'une par ces cours, l’autre par les conseils provinciaux. Les conseillers de la cour de cassation sont nommés par le Roi, sur deux listes doubles présentées l'une par le sénat, l'autre par la cour de cassation... »

Voilà ce que porte d'abord la Constitution comme principe permanent de notre existence sociale au point de vue judiciaire. Mais il est vrai que dans les dispositions transitoires, il se trouve non pas un seul article, comme l'a dit l'honorable prcopinant, mais deux articles relatifs à la présentation.

L'article 136 porte :

« Une loi portée dans la même session (la première session de la législature) déterminera le mode de première nomination des membres de la cour de cassation. »

Mais il y a un article précédent qui porte :

« Art. 135. Le personnel des cours et des tribunaux est maintenu tel qu'il existe actuellement jusqu'à ce qu'il y ait été pourvu par une loi. Cette loi devra être portée dans la première session législative. »

C'est en exécution de cette disposition que, dans la session qui suivit le congrès, nous fîmes la loi d'organisation judiciaire.

Maintenant remarquez que l'article 135 soulevait une première et grande difficulté, celle de savoir jusqu'à quel point l'organisation précédente était ou non maintenue, car l'organisation n'était maintenue que jusqu'à ce qu'il y eût été pourvu par la loi, loi qui devait se faire dans le cours de la première législature. Il en résulte que l'organisation était maintenue temporairement et qu'elle était subordonnée à la loi qui allait être faite. Dès lors il n'y avait lien de définitif ; c'est pourquoi ou pouvait et on devait même accorder la première nomination au Roi.

En effet, dans tous les cas, il fallait bien accorder cette nomination à quelqu'un ; les conseils provinciaux n'étaient pas organisés à cette époque ; il y avait donc incessibilité absolue d'accorder la présentation aux conseils provinciaux ; et comme les cours elles-mêmes n'avaient pas encore reçu l'organisation exigée par l'article 135, elles ne pouvaient pas non plus faire de présentation ; on était donc dans l'impossibilité d'obtenir une présentation, en l'article 135 de la constitution ne faisait pas obstacle à la demande qui faisait le gouvernement.

Eu est-il de même aujourd'hui ? Evidemment non ; aujourd'hui tout est organisé ; la première législature qui a suivi le Congres a voté la loi d'organisation judiciaire ; cette loi existe ; il ne s'agit donc pas ici, comme l'a dit M. le ministre de la justice, d'une première nomination.

En effet, messieurs, nous ne faisons que rétablir ce qui existait dans la loi d'organisation judiciaire ; ce n'est pas une première nomination, c'est le rétablissement de l'état précédent.

Si la loi de 1849 n'avait pas été votée, toutes les nominations se feraient sur la présentation des cours d'appel et ces conseils provinciaux ; s'il y avait eu des vacatures, il y aurait été pourvu de cette manière, et personne n'aurait songé à attribuer au pouvoir exécutif seul ce que la Constitution veut qu'on fasse par le concours du pouvoir exécutif, des conseils provinciaux et des cours.

Il y a plus : c'est qu'en votant l'article tel qu'il est présenté, nous touchons aux attributions constitutionnelles des cours d'appel ; ces cours ont le droit de présentation, et c'est une de leurs plus belles prérogatives constitutionnelles. Les conseils provinciaux ont aussi des attributions et des prérogatives constitutionnelles, au nombre desquelles figure en première ligne le droit de présentation.

Or, convient-il, à part la question constitutionnelle, d'enlever à ces cours le droit de présentation qu'ils auraient exercé, si la loi de 1849 n'était pas intervenue ? Je ne puis le croire ; js pense que nous resterons beaucoup mieux dans la Constitution, que nous remplirons mieux aussi les devoirs qui nous sont imposés à l’égard de ces corps si respectables, en maintenant les choses comme elles se trouvaient avant la loi de 1849.

Je pense donc que la question constitutionnelle, d'accord ici avec les convenances, nous oblige de revenir au texte si clair, si positif de la Constitution, et de ne pas étendre à un rétablissement ce qu'on a pu faire pour une organisation première, à une époque surtout où les conseils provinciaux n'étaient pas organisés et où les choses n'étaient pas entières. Aujourd'hui, les choses sont entières.

Ne touchons donc pas aux attributions constitutionnelles de la magistrature et des conseils provinciaux ; laissons ces corps faire leur présentation. Les conseils provinciaux se réuniront bientôt ; il n'y a donc pas à craindre de retard de ce côté ; quant à la cour d'appel, elle siège.

Je pense donc que le plus sage est de ménager les scrupules constitutionnels de plusieurs membres et de maintenir le principe en faveur de la Coustituiion.

M. Verhaegen. - Messieurs, je partage l'avis de l'honorable préo-pinant. Plus que jamais, nous devons nous montrer les scrupuleux observateurs de la Constitution, et s'il y a doute, nous devons nous prononcer en faveur de la Constitution.

Les précédents qu'on a invoqués ne doivent pas nous arrêter, lorsque nous sommes en présence d'un texte aussi clair que le jour.

Les précédents ne sont d'ailleurs pas à invoquer. M. le ministre de la justice est d'accord avec nous que les deux premiers sur lesquels il s'est appuyé sont antérieurs à l'organisation ces conseils provinciaux.

Quant au précédent de la loi de 1838, il n'y pas eu de discussion ; mais ce que je me rappelle fort bien, c'est qu'un jour, et il est plus que probable que cela se rattache à cette loi, j'ai fait dans la chambre une protestation contre une semblable nomination.

Quoi qu'il en soit, lorsqu'il s'agit d'une question constitutionnelle,, les précédents sont en définitive fort peu de chose ; on peut s'être trompé plusieurs fois ; et des erreurs renouvelées ne peuvent pas nons dispenser d'accomplir notre tâche.

Discutons donc d'après le texte et l'esprit de la Constitution. Je supplie l'honorable ministre de la justice de lever les scrupules qui surgissent de toutes parts, de vouloir bien, la Constitution à la main, démontrer que la disposition qu'il présente est constitutionnelle.

L'honorable M. Dumortier vient de dire avec raison que l'article 99 du pacte fondamental ne laisse pas l'ombre d'un doute ; en effet son texte est clair et son esprit vient à l'appui du texte.

Le texte est clair ; je ne sais par quel moyen on pourrait torturer le texte, pour arriver à la disposition proposée par le gouvernement. Ce sont des prérogatives que ce texte donne à la magistrature et à un corps électif, au conseil provincial ; aucune disposition ne permet une exception ; je me trompe, il y en a une, mais pour certains cas spéciaux et pour la nomination des conseillers de la cour de cassation.

Or cette seule exception confirme la règle.

Ensuite le texte se fortifie par l'esprit dans lequel la constitution a été rédigée.

L'honorable M. Orban l'a fort bien dit, une première nomination a été laissée au pouvoir exécutif, dans le moment où tout était à faire, où tout était à créer, mais elle n'a pas voulu que quand tout était créé, organisé, il y eût encore des conseillers royaux ; car il pourrait arriver, dans des temps difficiles, avec des majorités parlementaires passionnées, disons-le franchement, dans un sens ou dans un autre, avec un ministère suivant cette majorité, que voulant se débarrasser de la prépondérance du pouvoir judiciaire, on fît une fournée de conseillers royaux ; cela présenterait de graves inconvénients ; c'est ce que la Constitution n'a pas pu, n'a pas voulu admettre.

Au total, messieurs, le texte est clair, l'esprit dans lequel la Constitution a été rédigée vient en aide à ce texte clair et précis, et il sera difficile au ministre, s'il veut faire autre chose qu'invoquer des précédents qui, pour moi, n'ont aucune autorité, de fournir un argument qui démontre la constitutionnalité de la disposition nouvelle.

Mais il est encore d'autres considérations qui la combattent ; on en a déjà dit un mot, c'est l'article 37 de la loi d'organisation judiciaire cité par M. le ministre de la justice, qui me les fournit.

La cour d'appel de Bruxelles était composée naguère, avant la loi de 1849, de 27 conseillers. D'après la loi que nous allons faire, elle va seo composer de 28 membres.

Im n'y a donc réellement qu'un conseiller de plus qu'en 1848. Si le système de M. le ministre était juste quant à la constitutionnalité, il n'y aurait lieu dans tous les cas à faire nommer directement par le Roi qu'un conseiller, car les autres ont déjà eu cette première nomination dans le sens qu'on veut l'attribuer au pouvoir exécutif ; avant la loi de 1849, il y avait 27 conseillers à la cour de Bruxelles ; ces 27 conseillers ont été nommés de la manière dont le veut le ministre de la justice ; le droit est donc épuisé pour les 27.

Si on n'avait pas voté la loi de 1849, il y aurait eu des mises en disponibilité, des décès, et on aurait dû nécessairement pourvoir au remplacement, conformément à la loi, par voie de présentation par les cours d'appel et par les conseils provinciaux.

En effet, des conseillers sont morts, d'autres ont été mis en disponibilité, le nombre s'en est réduit à 23 ; si la loi de 1849 n'avait pas existé, on aurait suppléé jusqu'à 27 par voie de présentation. Maintenant la loi de 1849, qui a réduit le nombre à 21, nous allons la défaire pour revenir à 28 conseillers ; le gouvernement demande la nomination par le pouvoir exécutif ; si on admettait cette demande, il aurait eu la nomination deux fois pour tous les conseillers moins un.

La différence de 27 à 28 n'est que d'un, car d'après le système même du gouvernement il ne devrait avoir que la nomination d'un conseiller. Ne vaut-il pas mieux rentrer dans la règle et suivre la Constitution ? N'y eût-il que du doute, il doit s'interpréter en faveur de la Constitution.

Il n'y a pas de motif pour ne pas laisser aux cours d'appel ce que la Constitution leur accorde, il n'y a pas de motif pour ne pas laisser aux conseils provinciaux, corps électif, digne de toute votre confiance, les attributions que leur confère la Constitution.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Les dernières paroles que vient de prononcer l'honorable préopinant me ount croire qu'il n'a pas entendu la déclaration que j'ai faite en commençant mon dernier discours. J'ai dit que si le moindre doute pouvait exister sur la constitutionnalité de la disposition, il fallait la rejeter ; j'ai dit que, dans le doute, il fallait se prononcer en faveur de la Constitution ; c'est ma conviction, c'est mon désir ; j'ai même ajouté : « Le rejet de l'article, c'est-à-dire, le vote de l'interprétation qui vient d'être défendue par l'honorable M. Verhaegen n'aurait d'autre effet que d'alléger singulièrement la responsabilité du gouvernement en la partageant avec les conseils provinciaux et la cour d'appel. »

L'intention du gouvernement en présentant la disposition n'a pas été d'exprimer un doute défavorable pour les censeils provinciaux et les cours d'appel, de manifester de la défiance envers ces corps que nous sommes les premiers à respecter ; mais, en présence des différentes lois (page 1495) qui paraissaient constituer une interprétation souveraine de la Constitution, il a cru qu’il ne lui appartenait pas d’infirmer l’interprétation consignée dans ces lois ; il a cru que c’était au poucoir législatif à déclarer lui-même s'il persiste à la trouver conforme à l'esprit de la Constitution ou s'il juge convenable de consacrer une interprétation différente.

C'est pour cela que j'ai dit, en terminant, que je ne n'aurais pas voulu prendre sur moi de ne pas faire la proposition, en présence des dispositions législatives sur lesquelles l'article s'appuie et dont les termes y ont été copiés.

On dit que je n'ai pas fourni un argument et que les considérations que j'ai fait valoir n'ont aucune portée en présence du texte clair et précis de la Constitution. Les arguments que j'ai fait valoir sont ceux qui ont convaincu vos honorables prédécesseurs dans cette enceinte, qui ont convaincu la chambre à plusieurs reprises différentes ; car, lorsque en 1836, la commission, par l'organe de M. Dumonceau, a mis eu avant ce scrupule constitutionnel, lorsque l'honorable M. Milcamps a fait valoir les arguments que j'ai rappelés et dont je puis m'armer pour appuyer la disposition du projet en discussion, je crois que le respect de la Constitution n'était pas moindre dans la chambre en 1836 que dans la chambre actuelle. Voilà ce qui m'a déterminé à entrer dans quelques détails sur les précédents législatifs et sur les raisons qui ont déterminé à les créer. Il me semble que je ne pouvais produire des arguments plus forts que ceux qui ont convaincu les corps législatifs dans leur interprétation de la Constitution.

L'argument que j'ai tiré des articles 7 et 38 n'est pas une subtilité, puisque c'est un argument qui a déjà été présenté et accueilli dans cette enceinte. C'est-à-dire que lorsqu'on a soutenu que le droit de nomination serait exercé par le Roi, sur présentation, en cas de vacature, on prévoyait le cas le plus ordinaire. Dans tous les autres cas, la présentation n'a pas été exigée, et le Roi a pu nommer sans présentation, puisque en définitive c'est lui qui nomme et qui donne l'investiture.

Je n'ai pas très bien compris l'argument que l'honorable M. Verhaegen fonde sur l'article 37. Il fait remarquer que la cour se composera de magistrats nommés les uns directement, les autres sur présentation. Cela n'est pas douteux, la cour se compose de conseillers nommés directement en vertu de la loi du 4 octobre 1832, et en vertu des lois de 1834 et 1836 qui ont augmenté son personnel.

Il y a eu en outre quatorze conseillers nommés sur présentation, depuis la loi de 1832 jusqu'à la dernière nomination du plus jeune des conseillers de la cour. Le droit de présentation n'a donc été exercé que pour la moitié de la cour.

Le nombre des conseillers a été réduit par des démissions ou des décès ; il est aujourd'hui de 23.

Un seul mot encore : on a dit qu'il ne s'agissait en définitive que de rétablir l'état de choses antérieur à 1849. Je ne conçois pas cette manière de raisonner. La loi de 1849 a établi un état de choses que nous modifions actuellement. Il est évident que, pour apprécier la nature des nominations à faire, il faut partir de l'état de choses de 1849, comparé à celui que vous entendez créer aujourd'hui. Il va sans dire que vous devez considérer ces premières nominations comme celles qui ont eu lieu en vertu des lois de 1834, de 1836, et de 1838. Le cas est identique.

Je le répète, les lois que j'ai citées ont été votées, malgré le scrupule que l'on mettait en avant, comme aujourd'hui, soit à une si énorme majorité, soit avec une unanimité si complète que je n'ai pas hésité un seul instant à présenter l'article sur lequel je prie la chambre de se prononcer d'après la doctrine constitutionnelle qu'elle croira la plus conforme à l'esprit et au texte de notre pacte fondamental.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. E. Vandenpeereboom. - Je ne veux pas répéter les arguments qui ont été présentés pour prouver que l'article est inconstitutionnel. J'ai à faire valoir un argument qui n'a pas été produit. Je n'occuperai pas la chambre plus de cinq minutes.

M. Coomans. - Je crois que, quand il s'agit d'une question de constitutionnalité, on ne doit jamais prononcer la clôture que quand la liste des orateurs est épuisée. Je n'ai rien à dire, mais je désire entendre l'honorable M. E. Vandenpeereboom.

M. Lelièvre. - Comme je suis d'avis que la disposition proposée par le gouvernement est parfaitement constitutionnelle, je prie la chambre de me permettre de motiver mon vote en quelques mots.

- La clôture est mise aux voix et n'est pas prononcée.

M. E. Vandenpeereboom. - Je crois qu'en présence des précédents cités par M. le ministre de la justice, le gouvernement pouvait nous présenter l'article de la loi qui nous est soumis.

Il y a eu doute sur la question constitutionnelle et, je dois l'avouer, ce doute je l'ai partagé quelque temps. Mais si nous sommes persuadés que les précédents ont été posés en opposition formelle avec la Constitution, ou, tout au moins, à une époque à laquelle l'article 99 de notre pacte fondamental ne pouvait recevoir son entière application, tout ce que nous pouvons en déduire, c'est que la question ne se présente pas, en ce moment, dans les mêmes termes.

Ces précédents, ainsi considérés, ne sont pas, à mes yeux, un obstacle à ce que nous agissions autrement aujourd'hui. Les corps sujets à être renouvelés par l'éleclion ne me paraissent, d'ailleurs, pas tenus à être fidèles à leur jurisprudence, comme les corps constitués avec un personnel permanent.

De tous les précédents qu'on a cités, un seul peut être invoqué, c'es celui qui est postérieur à la mise en vigueur de la loi provinciale ; car ce n'est qu'à partir de ce moment que le système entier prescrit par la Constitution a pu être appliqué.

Ce n'est qu'alors que l'esprit, qui a dicté l'article 99, a pu être pleinement suivi.

L'article 99 de la Constitution est formel, il dit de quelle manière seront faites les présentations. A présent nous devons chercher dans les lois subséquentes quelles sont les règles d'application de cet article.

M. le ministre de la justice a puisé plusieurs arguments dans la loi sur l'organisation judiciaire ; il a argumente des mots : « vacatures », « places vacantes » et autres termes semblables. Mais qu'il me soit permis de faire remarquer que cette loi est du 4 août 1832. Une loi postérieure, la loi provinciale, indique de quelle manière l'article 99 de la Constitution doit être appliqué par les conseils provinciaux.

C'est dans l'article 64 de cette loi que je trouve la disposition suivante :

« Art. 64. Le conseil présente les candidats pour la nomination des conseillers des cours d'appel, des présidents et vice-présidents des tribunaux de première instance, en se conformant à l'article 99 de la Constitution et à la loi d'organisation judiciaire. »

Cette loi provinciale est du 30 avril 1836. Vous voyez que là, les attributions données aux conseils provinciaux ne sont pas limitées. On ne parle plus de première ni de deuxième nomination. Je vous prie de remarquer la date du 30 avril 1836. Cet article 64 de la loi provinciale n'invoque plus les dispositions transitoires de la Constitution, mais uniquement l'article 99 de cette Constitution, dont la prescription est absolue, sans limites et sans exception.

Il me semble que c'est surtout cet article de la loi provinciale qui doit nous guider, puisque c'est un des derniers qui ont été portés en exécution de l'article 99 de la Constitution.

J'ajouterai seulement que je suis de l'avis de mes honorables collègues qui pensent que, même dans le doute, c'est du côté de la Constitution que nous devons nous ranger.

M. Lelièvre. - Je ne puis partager, sur l'inconstitutionnalité de l'article proposé par le gouvernement, l'avis des honorables préopinants. Selon moi, la question qu'il s'agit de résoudre dépend du point de savoir à quel pouvoir appartient la première nomination, en vertu de l'article. 99 de la Constitution. Or, il suffit de lire cette dernière disposition pour se convaincre qu'elle suppose les cours constituées ; or, elles n'ont pu l'être originairement que par le seul pouvoir royal. Donc, évidemment, dans le sens de l'article 99 dont il s'agit, la première nomination ne pouvait appartenir qu'au Roi, et, dès lors, viennent à tomber tous les arguments des honorables MM. Orban et Verhaegen.

Or, s'il en est ainsi quant à la première nomination, on conçoit que lorsqu'un corps composé légalement d'un certain nombre de membres reçoit une augmentation de personnel, il s'agisse alors d'une nouvelle création soumise aux mêmes principes que ceux qui ont régi la première.

D'après la loi de 1832 (article 34), la cour de Bruxelles n'était composée que d'un premier président, de deux présidents de chambre et de dix-huit conseillers. Le nombre augmenté successivement a ensuite été réduit en 1849.

Aujourd'hui qu'il s'agit de l'augmenter, il est évident que quant à l'augmentation qui a lieu en vertu de la loi, il s'agit d'une nouvelle création, et qu'il ne s'agit nullement par conséquent du droit déféré aux cours par l'article 99 de la Constitution. Ce droit ne concerne pas les modifications du personnel réglées par une loi qui introduit un nouvel ordre de choses. C'est ainsi que la Constitution et les principes que je défends ont été compris de 1830 à 1838, lorque les jurisconsultes les plus éminents du pays siégeaient dans cette enceinte.

Pour moi, messieurs, de pareils précédenis sont respectables, et il faudrait des motifs bien sérieux pour m'écarter de ces autorités imposantes. Inutile, comme le fait M. Verhaegen, de voir ce qui se passait avant la loi de 1849. Cette disposition législative a réduit le personnel de la cour d'appel de Bruxelles. C'est de cet état de choses qu'il faut partir, puisque toutes les dispositions antérieures ont été abrogées.

Aujourd'hui qu'une loi nouvelle admet une augmentation, c'est la loi seule qui doit régler le mode de nominiation comme première nomination et l'article 99 de la Constitution n'a rien de commun avec un état de choses réglé par une loi postérieure, relativement à une mesure qui constitue une création nouvelle essentiellement soumise à l'action de la loi et régie par les mêmes principes que la première nomination qui nécessairement est conférée au Roi, d'après le texte et l'esprit de l'article 99 de la charte.

M. Verhaegen. - Messieurs, l'argument que vient de vous présenter l'honorable M. Lelièvre n'est pas sérieux. Il prétend, alors que nous invoquons l'article 99 de la Constitution pour attribuer aux corps judiciaires et provinciaux les attributions que nous voulons leur accorder, que c'est précisément cet article qui les leur refuse, et voici comment il raisonne.

Il dit : Il ne s'agit que de présentations de candidats par la cour. Or, « par la cour », cela signifie par la cour régulièrement constituée ; et allant encore un peu plus loin, l'honorable membre ajoute : Lorsqu'il s'agit d'ajouter au nombre, la cour ne sera régulièrement constitués que lorsque le nombre sera augmenté.

Cela veut dire que, dans le système, de l'honorable M. Lelièvre, il n’y (page 1496) aura jamais de présentations à faire, à moins qu'il n'y ait un décès.

Messieurs, les cours ont été organisées conformément à la Constitution, qu'elles se composassent de 21, de 23 ou de 24 membres. Les cours existent donc régulièrement constituées d'après la Constitution,. Ce sont ces corps qui ont les prérogatives que nous voulons leur conserver et que leur accorde l’article 99.

Il était tout simple qu'alors que les cours n'avaient pas été régulièrement organisées, conformément à la Constitution, les premières nominations appartinssent au Roi ; et voilà où je vais rétorquer l'argument contre vous. Du moment où il n'y avait pas de cours organisées conformément à la Constitution, il ne s'agissait pas de faire des présentations, et la nomination pouvait appartenir an Roi.

Mais du moment où les cours ont été organisées conformément à la Constitution, n'importe le nombre de leurs membres, l'article 99 de la Constitution devait être exécuté.

M. le ministre de la justice n'a pas compris une dernière observation que j'ai faite et qui s'applique aussi maintenant à l'argumentation de l'honorable M. Lelièvre.

J'ai dit que s'il était même vrai qu'aux termes de la Constitution il pût y avoir dans l'occurrence nomination par le Roi, cette nomination ne pourrait s'appliquer qu'à un membre, et non à cinq membres.

En effet, il reste 23 conseillers des 27 d'autrefois, et on veut en porter le nombre à 28 ; il resterait donc un seul conseiller à nommer par le Roi, car vous avez épuisé la nomination royale avant la loi de 1849, jusqu'à concurrence de 27.

La loi de 1849 avait réduit le nombre des conseillers à 21, mais ce qui avait été fait précédemment était un fait accompli, et les vacatures n'avaient pas réduit le nombre jusqu'à 21.

Il en restait 23, vous portez ce nombre à 28, mais n'ai-je pas le droit de vous dire que si votre système pouvait être considéré comme constitutionnel, quant à une nomination nouvelle, c'est-à-dire quant à un membre en sus de ceux qui existaient précédemment, vous ne pourriez aller au-delà, car pour les 27 autres conseillers, il s'agit d'un fait accompli.

M. Dumortier. - Je n'ai que peu de mots à répondre à l'honorable M. Lelièvre. L'honorable M. Verhaegen vous a déjà fait remarquer avec beaucoup de raison que l'argument qu'il a tiré de l'article 99 ne se rapporte qu'à la première création, et j'ajouterai que pour ce qui est de cette première création, l'article 135 de la Constitution était positif.

J'ai assisté, messieurs, à la discussion de la loi d'organisation judiciaire en 1832, et les motifs pour lesquels on a accordé au Roi les premières nominations étaient principalement puisés dans l'article 135 de la Constitution.

Pourquoi en 1836 ces nominations ont-elles été accordées au Roi ? Par le motif excessivement simple qu'alors les conseils provinciaux n'étaient pas organisés. Or, remarquez-le bien, messieurs, et c'est ce que l'honorable M. Lelièvre perd de vue, l'article 99 consacre trois prérogatives, une prérogative en faveur de l'ordre judiciaire, une seconde en faveur des conseils provinciaux, une troisième en faveur du pouvoir exécutif.

Il est certain que si, par la Constitution, le pouvoir royal se trouve vinculé entre six candidats dont trois présentés par le pouvoir judiciaire et trois par le conseil provincial, on ne pouvait pas admettre que le pouvoir royal se trouvât vinculé entre trois candidats seulement, puisqu'il n'existait pas de conseils provinciaux. Force donc était alors d'admettre que l'augmentation du personnel de la cour était un complément de l'organisation judiciaire.

Aujourd'hui il n'en est plus de même : les pouvoirs sont complètement organisés, et nous ne pourrions admettre le principe qui donne la nomination au pouvoir royal sans violer l'article 99 de la Constitution.

Maintenons, messieurs, les prérogatives de l'ordre judiciaire et des conseils provinciaux, si nous voulons que l'on maintienne toujours aussi les prérogatives de la chambre.

- L'article 3 est mis aux voix et n’est pas adopté.

Article 4

« Art. 4. Le personnel du tribunal de première instance de Bruxelles est augmenté de deux juges, u'un substitut du procureur du roi et d'un juge suppléant. »

M. Magherman. - Messieurs, s'il est vrai que lorsqu'il s'agit de l'administration de la justice, ce qu'exige l'intérêt du service ne doit pas être subordonné à une question d'argent, il n'en est pas moins vrai que lorsque plusieurs moyens se présentent pour atteindre le but qu'on se propose, il convient d'examiner en même temps lequel de ces moyens est à la fois le plus efficace et le moins dispendieux. (Interruption.)

M. le président, si la chambre n'est pas disposée à écouter, je demande le renvoi de la discussion à demain.

M. le président. - La parole est à M. Magherman. J'invite la chambre à faire silence.

M. Magherman. - Le tribunal de première instance de Bruxelles se plaint de l'insuffisance de son personnel pour expédier régulièrement les causes nombreuses qui encombrent ses rôles. Pour obvier à cet état de choses, deux moyens se présentent : augmenter le personnel de ce tribunal, ou diminuer le nombre des causes dont il aura à connaître. Le premier moyen est spécial, c'est celui auquel s'arrête le gouvernement ; le deuxième est général et par cela même me paraît préférable ; car il fera droit en même temps aux plaintes qui nous viennent déjà de Namur, et que bientôt Tournai et bien d'autres villes encore feront retentir à leur tour.

Outre cet avantage, il a celui de ne pas imposer de nouvelles charges au trésor, et la prudence nous commande de les éviter autant que possible.

Messieurs, j'entends parler du projet de loi sur la compétence des juges de paix en matière civile et commerciale, présenté le 2 décembre 1848 par M. de Haussy, alors ministre de la justice. Je ne sache pas que ce projet soit retiré, puisqu'il a été distribué peu avant la présente session aux membres de cette chambre nouvellement élus.

Je ne vous déveopperai pas, messieurs, tous les avantages que ce projet offre aux justiciables, l'exposé des motifs qui accompagne ce projet de loi les fait suffisamment connaître ; et puisque la chambre paraît vouloir terminer cette séance qui est déjà longue, je me permettrai seulement de lui donner lecture du paragraphe de cet exposé, qui a spécialement trait à ce qui nous occupe en ce moment.

« Indépendamment, dit M. de Haussy, de ce qu'une diminution de frais résultera, pour les justiciables, de la mesure proposée, il ne sera plus nécessaire de pourvoir à l'augmentation du personel, réclamée dans certains sièges, et d'autre part, il pourra être procédé, comme la proposition en sera faite, à une diminution du personnel existant dans quelques autres sièges. »

Ainsi, messieurs, en donnant suite à ce projet, nous obtiendrons à la fois une justice plus prompte, plus régulière et une diminution de frais. Ce double résultat vaut bien la peine qu'on s'en occupe.

Et qu'on n'oppose pas que si l'on étendait la compétence des juges de paix tant en matière civile que commerciale au chiffre de 300 francs, ces magistrats ne pourraient pas suffire à la besogne ; il n'en est rien. Au vœu du Code de procédure, les juges de paix indiquent au moins deux audiences par semaine pour l'expédition des affaires civiles.

Eh bien, malgré les augmentations d'attributions que depuis quelque temps ces magistrats ont reçues, généralement une séance par semaine leur suffit pour juger à la fois les affaires de police et les affaires civiles. Même dans beaucoup de cantons exclusivement ruraux, une séance par quinzaine répond à tous les besoins.

Messieurs, l'opinion que la compétence des juges de paix peut être étendue sans inconvénient, n'est pas nouvelle. Déjà sous le royaume des Pays-Bas, elle s'était fait jour : une loi du 18 avril 1827, qui n'a pas reçu d'exécution, à cause des événements politiques de 1830, conférait aux juges de canton la connaissance tant des affaires civiles que commerciales sans appel jusqu'à la valeur de 50 florins, et à charge d'appel jusqu'à la valeur de 200 florins.

Par la loi du 23 mars 1841, nous avons fait un premier pas dans la voie indiquée par la législateur néerlandais : au dire de M. de Haussy, on en a reconnu les effets salutaires : « On peut donc persévérer dans la voie qui est tracée et sans se borner à élever le chiffre du premier et du dernier ressort, au taux déterminé par le projet nouveau, déférer encore aux juges de paix la connaissance des contestations ca matière commerciale... » (Voir l'exposé des motifs.)

Puisque un moyen simple et profitable au trésor public donne les avantages réclamés par le tribunal de Bruxelles et qu'il prévient en même temps d'autres réclamations qui nous arriveront infailliblement, je demande que M. le ministre de la justice et la chambre donnent la préférence au projet de loi de M. de Haussy. Quant à moi, en présence des considérations que je viens de présenter, je ne puis voter l'augmentation de personnel réclamée par le tribunal de Bruxelles.

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, le projet de loi dont l'honorable membre a parle a été présenté en 1848 et la chambre n'y a donne aucun suite, ce qui prouve évidemment qu'il lui inspirait peu de svmpathie et surtout qu'elle ne le considérait pas comme urgent. Personnellement je ne suis point d'avis qu'il convient d'attribuer aux juges de paix les affaires commerciales qui entraînent souvent la contrainte par corps. C'est précisément, si je suis bien informé, pour éviter ces inconvénients que la question présente sous ce rapport, qu'on n'a pas abordé jusqu'à présent ce projet de loi. Je dois dire que la commission d'organisation judiciaire qui doit s'occuper de la compétence, aura également à examiner cette question et vous ne pourrez la résoudre en connaissance de cause que lorsqu'elle aura terminé son travail. Je doute cependant qu'elle en viendra à se prononcer dans le sens du projet de 1848.

Je pense donc, messieurs, que l'expédient de l'honorable M. Magherman n'est pas de nature à retarder la régularisation du tribunal de première instance de Bruxelles qui est extrêmement urgente.

- L'article 4 est adopté.

Article 5

« Art. 5 (nouveau, proposé par la section centrale et auquel le gouvernement s'est rallié). Le gouvernement est autorisé à maintenir dans la position de disponibilité les conseillers qui en feront la demande. »

M. Dumortier. - Messieurs, je n'avais pas pensé que le gouvernement se serait rallié à cet article. Si l'on a admis dans le temps la position de disponibilité, c'était pour faciliter la diminution du nombre de conseillers jusqu’à ce qu'il fût descendu au chiffre qu'on avait fixé. Mais une fois qu’on rétablira le chiffre primitif, je ne vois plus de motif pour maintenir cette disposition. Si un conseiller ne peut plus siéger, qu’il fasse valoir ses droits à la pension ; si un conseiller devient incapable, la cour a des pouvoirs pour remédier à cet inconvénient.

M. Coomans. - Messieurs, l'observation que vient de faire l'honorable M. Dumortier, la circonstance que la chambre est à peine en(page 1497) nombre, et la gravité des décisions que nous avons prises, m'engagent à proposer la remise de la discussion à demain. (Interruption.) On m'objecte que l'honorable ministre de la justice doit être demain au sénat, mais puisque la loi offre un certain caractère d'urgence, ne pourrions-nous pas nous réunir demain une heure ou deux avant la séance du sénat ?

M. le ministre de la justice (M. Faider). - Messieurs, le sénat doit s'occuper demain du Code forestier et de la loi sur les expropriations forcées ; je lui ai demandé de vouloir continuer la discussion du Code forestier à demain, c'est-à-dire à l'interrompre afin que je fusse libre aujourd'hui, pensant que le projet qui nous occupe aurait été voté en une séance. Il me sera donc excessivement difficile de me rendre ici demain, à moins que la chambre ne veuille se réunir, comme le propose l'honorable M. Coomans, une heure ou deux avant la séance du sénat.

- La chambre, consultée, charge le bureau de la convoquer demain une heure avant l'ouverture de la séance du sénat.

- La séance est levée à 4 heures et trois quarts.