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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 novembre 1853

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 97) M. Dumon procède à l'appel nominal à 2 heures et un quart ; il donne lecture du procès-verbal de la précédente séance, dont la rédaction est approuvée ; il fait connaître l'analyse des pièces suivantes adressées à la chambre.

Pièces adressées à la chambre

« Les membres de l'administration communale et des propriétaires de Saint-Léonard prient la chambre d'adopter une loi qui interdise aux administrations communales d'établir un impôt sur les vidanges et autres engrais et demandent que les villes et communes populeuses soient obligées d'avoir, en dehors de l'enceinte des habitations, un emplacement réservé au dépôt des engrais. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les bourgmestre et conseillers communaux, des propriétaires et des cultivateurs de Westmalle demandent qu'il soit interdit d'imposer les vidanges. »

- Même diposilion.


« Le sieur Pauwels, ancien soldat, réclame l'intervention de la chambre pour obtenir une pension. »

- Même disposition.


« Le sieur Cafmayer, ancien militaire, demande une indemnité ou une gratification. »

- Même disposition.

Projet de loi sur les denrées alimentaires

Discusion générale

(page 103) M. Verhaegen. -Messieurs, quand il s'agit de pourvoir à l'alimentation du pays, toutes les questions de parti s'effacent ; et dussé-je me mettre en opposition avec la plupart de mes amis politiques, je considère comme un devoir d'énoncer franchement mon opinion. C'est le langage que je tenais en 1845, en 1846 et en 1847 ; c'est le langage que je tiens encore aujourd'hui.

Vous le savez, messieurs, je n'appartiens pas à cette école du libre échange, tel qu'il est professé sur le banc même où je siège. Depuis longtemps j'ai fait cette déclaration, et je veux la répéter dans l'occurrence.

Je suis libre échangiste, si on le veut, mais seulement libre échangiste dans la véritable signification des mots. Je veux bien échanger avec mes voisins une liberté de commerce, absolue ou limitée, c'est-à-dire assurer une liberté semblable à celle qu'on m'accorde et qui se résume en un système de réciprocité ; voilà mon libre échange à moi ; tout autre, je ne l'appelle pas libre échange ; je l'appelle duperie. (Interruption.)

Il n'y a rien d'acerbe dans mes paroles ; je respecte toutes les opinions ; tous, nous cherchons la vérité ; et nos intentions sont pures, car il n'y a de divergence que sur les moyens. Mais en respectant les opinions des autres, je demande un peu de tolérance pour les miennes.

D'ailleurs, le libre échange n'est en rien ou du moins n'est que très secondairement intéressé dans la question qui s'agite.

Comme l'a fort bien dit M. le ministre de l'intérieur, quand une population court risque de voir compromettre son alimentation, il n'y a pas de principe, quelque sacré qu'il soit, auquel il ne faille pas déroger momentanément.

Messieurs, nous avons un déficit considérable en céréales. C'est un fait acquis au débat. Il s'agit de savoir de quelle manière on comblera ce déficit, surtout dans la crise que nous avons à traverser.

J'ai longtemps hésité sur le parti que j'avais à prendre. J'ai envisagé, dès le principe, la question comme une des plus importantes qui pussent s'agiter devant le parlement ; j'ai prêté la plus grande attention à cette discussion, et je me hâte de le dire : l'excellent discours de l'honorable ministre des finances m'a engagé à repousser, du moins pour le moment et dans sa généralité, le principe qui fait la base de l'amendement de l'honorable M. Dumortier ; mais tout en arrivant à cette conclusion, je me suis demandé s'il n'y avait absolument rien à faire, s'il fallait rester dans l'inaction la plus complète, en un mot, s'il fallait laisser faire et laisser passer sans réserve aucune ; et c'est ce même discours de l'honorable ministre des finances qui m'a donné la conviction qu'au contraire il y avait quelque chose à faire, qu'il y avait certaines mesures à prendre.

Comme nous l'a fort bien établi l'honorable M. Liedts, (j'ai confiance entière dans ses assertions, et j'admets tous ses chiffres, car il est à même de nous donner des chiffres exacts), comme il l'a fort bien établi, nous avons en céréales un déficit qui est d'autant plus considérable que nous ne faisons que participer à une crise qui sévit sur l'Europe occidentale tout entière. De 1830 à 1839 ce déficit, d'après lui, a été, par année, de 41,228,000 kil., soit 600,000 hectolitres ; de 1840 à 1852 il a été de 102 millions de kilogrammes, soit de 1,400,000 hectolitres.

Voilà le chiffre tel que je l'ai extrait du Moniteur, et l'honorable ministre des finances a donné des raisons irréfragables de ce mouvement ascensionnel, en ajoutant que dans les mêmes conditions, nous aurons, avant dix ans, un déficit de deux millions d'hectolitres.

Je prends pour point de départ le déficit tel qu'il est établi, année commune, de 1840 à 1852, soit 102 millions de kilogrammes, et je me demande comment on comblera ce déficit ? C'est là la seule question que nous ayons à examiner.

Pour résoudre cette question, il faut recourir aux faits, avoir égard aux chiffres et non se contenter de vaines théories.

Comment comblera-t-on le déficit ? Sera-ce en ne prenant absolument aucune mesure, en restant dans l'inaction la plus complète ? Certes non.

D'après l'honorable ministre des finances, depuis que la crise existe, on importe à l'étranger deux à trois millions de kilogrammes par semaine, soit deux millions et demi ; et l'on exporte, par semaine, 500,000 à 600,000 kilogrammes, soit un demi-million. Il y a donc, par semaine, un excédant des importations sur les exportations de 2 millions de kilogrammes ; or, d'après ce que j'avais l'honneur de vous faire remarquer tantôt, nous avons à pourvoir à un déficit de 102 millions de kilogrammes, et je reste dans des termes très modérés ; car je n'ai pas même égard à la progression probable dont vous a parlé l'honorable ministre des finances, je m'arrête à 1850. Eh bien, si nous restons dans les conditions où nous nous trouvons aujourd'hui, s'il ne se présente pas de circonstances fâcheuses, de circonstances de force majeure qui viennent à rencontre, combien faudra-t-il de lemps pour combler, à l'aide de 2 millions de kilogrammes par semaine, un déficit de 102 millions ? Il faudra au-delà de cinquante semaines, près d'une année. (Interruption.)

On a beau rire, ce sont des chiffres que je prends dans le discours de M. le ministre des finances.

D'où, messieurs, nous arrivent les céréales qui doivent combler ce déficit ? (J'extrais encore du Moniteur ; car je ne dirai pas un mot qui ne se trouve pas dans le discours de M. le ministre des finances). D'après l'honorable M. Liedts, ces céréales doivent nous arriver de la mer Noire, de la Prusse, du Mecklemhourg, de la Baltique, de la Turquie, de la Russie, de l'Angleterre et des Pays-Bas. Il aurait pu ajouter de l'Amérique. Disons en termes plus généraux, sans nous occuper des marchés intermédiaires, que les céréales doivent nous arriver de la Baltique, de la mer Noire et de l'Amérique. Il ne nous arrive, il ne peut rien nous arriver de la France ; la frontière française est aujourd'hui complètement fermée à la sortie des céréales. C'esl cependant de ce côté que, pendant la crise de 1847, nous avons pu nous approvisionner.

Pour que les blés nous arrivent de la mer Noire, de la Baltique et de l'Amérique, que faut-il ? Quels sont les moyens de transport, toujours, remarquez-le bien, sans avoir égard aux circonstances de force majeure qui peuvent surgir ? Ces moyens sont dans la navigation de long cours ; car les céréales qui doivent pourvoir au déficit ne sont pas à nos portes comme en 1847 ; il ne s'agit plus d'aller les chercher en France ; il faut aller les prendre dans les contrées indiquées par M. le ministre des finances, au moyen de la navigation au long cours.

Or, d'après l'honorable ministre des finances, le domaine de la navigation s'est depuis plusieurs années considérablement étendu. Il n'y a pas, dit l'honorable ministre, un homme qui s'occupe de cette spécialité, qui ne sache que, terme moyen, les navires qui autrefois faisaient trois courses par année, n'en font plus qu'une seule aujourd'hui, tant la navigation est devenue lointaine ; et il donne de nombreuses et de solides raisons à l'appui de son assertion.

L'honorable ministre des finances ajoute, et ceci est important, que pour l'utilité que peut en tirer le commerce des céréales, le nombre des navires est diminué des deux tiers. Puis il nous dit, qu'on peut bien augmenter le nombre des coques, mais qu'en construisant des coques, on ne fait pas des navires ; qu'il faut des marins et que des marins on ne les improvise pas ; qu'il faut du temps pour créer une marine, beaucoup de temps. D'où il conclut que l'élévation du fret ne s'arrêtera pas de sitôt, qu'elle augmentera pendant plusieurs années encore.

Et l'honorable ministre des finances, répondant à une objection qu'il prévoyait et faisant allusion à l'accroissement successif du déficit des céréales, s'exprime ainsi : « Il va de soi que quand le pays devra importer 300 à 400 navires de grains, le fret augmentera encore et l'agriculture trouvera, dans cette augmentation du fret payée pour le complément de la récolte, une protection plus forte que celle qui résulte de l'échelle mobile. »

Or, messieurs, notons-le, c'est encore l'honorable ministre des finances qui nous en fait l'observation, au mois de novembre dernier, à moins qu'il n'y ait une faute d'impression dans le Moniteur, le fret d'Odessa à Anvers était, par hectolitre de froment, de 10 fr.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Ce n'est pas une faute.

M. Verhaegen. - Vous voyez, messieurs, où nous sommes déjà arrivés : le nombre des navires pouvant être utiles au commerce des céréales est diminué des deux tiers, le fret est considérablement augmenté et tend à augmenter de jour en jour, au point qu'il est arrivé déjà à ce chiffre exorbitant que je viens d'indiquer.

Vous le voyez, messieurs, je suis d'accord avec, l'honorable M. Liedts sur toutes ses prémisses, mais je ne suis plus d'accord avec lui sur les conséquences qu'il en tire ; car je crois que ces conséquences sont illogiques.

De ses prémisses, l'honorable ministre des finances tire la conséquence qu'il faut favoriser le commerce des céréales d'une manière illimitée, qu'il faut lui donner des garanties de stabilité, lui enlever tout motif d'inquiétude quelconque ; et il a cité l'exemple de l'Angleterre.

Oh ! si nous avions les ressources de l'Angleterre, ses millions et sa marine, nous pourrions nous entendre sur ce point. Mais il ne s'agit pas de cela. D'ailleurs si, en tenant compte de nos ressources, nous voulions entrer insensiblement dans cette voie, le moment est-il bien choisi pour jeter les bases d'un système nouveau, pour faire une expérimentation ?

Je conviens avec l'honorable M. Liedts qu'il serait à désirer qu'un jour nous pussions, dans la proportion de nos ressources, tâcher de suivre l'exemple qui nous est indiqué ; mais dans la crise que nous avons à traverser, quaud il s'agit de pourvoir aux besoins du moment, il ne peut pas être question d'entrer dans une voie nouvelle, de tenter des efforts qui exigent beaucoup de temps ; il faut, avant tout, tâcher de se procurer le grain nécessaire pour nourrir le pays. Il ne s'agit pas encore tant du prix des céréales que de la question de savoir comment on assurera au pays les quantités de céréales nécessaires à son alimentation.

Ainsi, messieurs, en admettant les prémisses de l'honorable ministre des finances, j'arrive à des conséquences tout à fait autres que celles qu'il en a tirées.

Nous recevons par semaine deux ou trois millions de kilogrammes de céréales, et nous les recevons des pays lointains qui ont été indiqués, c'est-à-dire, sans nous occuper des marchés intermédiairzs, nous les recevons de la Baltique, de la mer Noire et de l’Amérique. D'un autre côté, nous en exportons par semaine 500,000 à 600,000 kilog. ; et où les exportons-nous ? Nous les exportons en France ; il ne me faut encore que le discours de l'honorable ministre des finances pour vous en fournir la preuve. « C'est surtout, dit M. le ministre des finances, vers la France que se font ces exportations. » Moi j'irai plus loin, et je dirai que (page 104) c'est exclusivement vers la France qu'elles se dirigent. Et, messieurs, abstraction faite de l'aveu de M. le ministre des finances, le fait est encore évident ; quand on nous importe des céréales d'un côté, on ne va certes pas en exporter de ce même côté. On exporte en France, et pourquoi ? Parce que le marché de la frontière française est plus à la portée des cultivateurs de nos frontières du midi, parce qu'il leur présente plus d'avantages et plus de facilités. Ainsi la Flandre occidentale a ses marchés à Dunkerque, Renaix, Turcoing ; le Hainaut à Valenciennes, Lille, etc., de même que la province de Namur et le Luxembourg ont des marchés tout aussi avantageux en France, ayant à approvisionner des populations très éloignées des lieux d'arrivages.

C'est donc vers la France, comme l'a dit M. le ministre des finances, que se dirigent nos exportations ; et ces exportations pourraient un jour devenir beaucoup plus importantes encore par des circonstances que je ne veux pas, que je ne peux pas prévoir.

Pourquoi donc ne pas soumettre nos voisins qui ont actuellement chez eux la prohibition à la sortie, au même régime vis-à-vis de nous que celui qui nous régit régit vis-à-vis d'eux ? Et quoiqu'il ne soit pas question de libre échange, j'en reviens cependant à une de ces idées que j'ai eu l'honneur d'énoncer quelquefois dans cette enceinte ; peut-on trouver mauvais, je ne dirai pas que j'use de représailles, je ne veux pas me servir de ce terme, mais que je sois tout aussi prudent que l'est un voisin qui a, comme moi, un intérêt grave à sauvegarder ? Y aurait-il quelque chose de si extraordinaire à se dire : En France il y a une loi qui établit l'échelle mobile, laquelle a aujourd'hui pour conséquence d'empêcher la libre sortie des grains de France ; pourquoi ne prendrions-nous pas la même mesure de prudence ? Pourquoi resterions-nous à la merci de tous les événements ?

Il ne s'agit donc pas de représailles, pas même de réciprocité ; il s'agit uniquement de prendre les mêmes mesures de précaution que celles qui ont été prises ailleurs. Je n'en demande pas davantage pour le moment.

M. le ministre des finances avait prévu l'objection, et il nous dit :

« La France ne se laissera pas affamer. Si nous ne la rencontrons pas sur notre marché, nous allons la rencontrer sur le marché de Londres, ce grand grenier de l'Europe, et là nous trouverons en elle un concurrent d'autant plus redoutable qu'elle ne pourra pas prendre sur nos marchés les petites quantités qu'elle y prend aujourd'hui.

« Je ne veux pas exagérer, dit-il ; je ne veux pas dire qu'il en résultera une hausse considérable, mais il en résultera évidemment une hausse d'une certaine importance. »

Je réponds à M. le ministre des finances : Que la France soit notre concurrente sur nos marchés ou sur les marchés étrangers, il y aura, dans l'un on dans l'autre cas, une augmentation inévitable,

Du reste, encore une fois, je ne m'inquiète pas tant d'une certaine augmentation que de la question capitale de savoir si nous aurons de quoi alimenter nos populations ; la question de la hausse, à côté de celle-ci, n'est que secondaire.

Messieurs, nous sommes aujourd'hui dans une position bien plus fâcheuse qu'en 1846 et en 1847. C'est M. le ministre des finances qui va vous le dire :

« En comparant, dit-il, la crise actuelle à celle de 1846, je continue à signaler les différences qui existent entre cette année et l'année actuelle.

« En 1846 les prix étaient plus bas qu'ils ne le sont aujourd'hui, et il ne faut pas s'en étonner puisque les grains, au lieu de venir de très loin, étaient à nos portes ; mais il y a eu d'autres causes encore :

« En 1846, vous n'aviez pas, comme aujourd'hui, la guerre d'Orient.

« En 1846 vous n'aviez pas, comme aujourd'hui, cette élévation excessive du fret et de l'assurance ; vous n'aviez pas en 1846 ce manquant général sur les récoltes de l'Europe occidentale. »

Ainsi, de votre propre aveu, la position actuelle est beaucoup plus fâcheuse qu'elle ne l'était en 1846 et en 1847 ; vous avez parfaitement expliqué cette différence ; les raisons sautent à tous les yeux ; les prix en 1846 et en 1847 n'étaient pas aussi élevés ; le fret était à un taux beaucoup moins considérable ; en 1846 et en 1847, il n'y avait pas cette crise générale qui sévit aujourd'hui sur l'Europe occidentale tout entière ; en 1846 et en 1847 nous n'avions pas la guerre d'Orient ; et cependant en 1846 et eu 1847, nous avons défendu la sortie des grains. Nous n'étions pas à cette époque divisés d'opinion comme nous le sommes aujourd'hui.

En 1846 et en 1847 j'avais la même conviction qui me guide dans l'occurrence et, je l'avouerai franchement, j'étais un des promoteurs de la prohibition à la sortie ; j'ajoute que cette prohibition a été votée en 1846 à l'unanimité, qu'elle n'a rencontré d'opposant sur aucun banc ; et cependant les circonstances n'étaient pas aussi fâcheuses qu'elles le sont aujourd’hui.

C'est le gouvernement lui-même qui nous le déclare ; pourquoi dès lors ne serions-nous pas aussi prudents qu'en 1846 et en 1847 quant aux mesures à prendre ?

Je me rappelle fort bien qu'en 1846, lorsqu'il s'agissait de proclamer la libre entrée des céréales et de défendre la sortie jusqu'au 1er octobre de l'année suivante, un amendement fut proposé par l'honorable M. Delehaye, n\anl pour objet de proroger le terme jusqu'au 1er décembre au lieu du 1er octobre ; il est vrai que cet amendement ne fut pas accueilli ; mais le principe de la libre entrée, et comme corollaire, le principe de la prohibition à la sortie, furent proclamés à l'unanimité de cette chambre.

En 1847, il s’agissait de proroger des mesures qui n'étaient que temporaires. Que fit-on ? La libre entrée fut prorogée jusqu'au 1er octobre 1848, et on laissa au gouvernement la faculté, pendant cet intervalle, de prohiber la sortie, faculté que, dans une des séances précédentes, le gouvernement trouva si dangereuse qu'il ne voulut point l'accepter alors qu'elle lui fut offerte. Nous accordâmes cependant cette faculté au ministère en 1847 ; aucune voix ne s'éleva pour la combattre. Un amendement fut même proposé par l'honorable M. Rogier ; cet amendement n'était alors que la reproduction de celui présenté en 1846 par M. Delehaye ayant pour objet de fixer la libre entrée jusqu'au 1er décembre. Cet amendement ne fut pas accueilli, mais le double principe que nous venons de rappeler fut proclamé sans opposition.

Je me demande maintenant pourquoi nous sommes l'objet de violentes attaques, nous qui restons d'accord avec nous-mêmes, en venant demander quelques mesures de précaution dans un moment où la position est encore beaucoup plus fâcheuse qu'elle n'était en 1846 et en 1847.

Et quels ont été les résultats de ces lois de 1846 et de 1847 ? Ont-ils été si mauvais ? Sous l'empire de ces lois il n'y a pas eu de sortie de céréales, et cependant les prix n'ont pas subi d'augmentation immédiate, il n'y a eu de hausse sensible qu'an mois de mai de l'année suivante. Il en a été tout autrement pendant la crise de 1817, avec la liberté illimitée du commerce comme elle existait sous le gouvernement des Pays-Bas, car en 1817 il y a eu un excédant d'exportations sur les importations de soixante-quatre mille lasts, soit environ deux millions d'hectolitres. En voulez-vous la preuve ? Elle se trouve dans un rapport adressé en 1823 au roi Guillaume, par le président du conseil d'Etat, M. Mollerus.

A la suite de la crise qui avait continué à sévir en 1818 et en 1819, les populations s'étaient vivement émues ; on demandait partout la prohibition à la sortie. Le gouvernement, voulant s'éclairer, avait demandé des rapports à toutes les autorités, et entre autres au conseil d'Etat.

Pour ne parler que de ce dernier corps, M. Mollerus fit, en son nom, un rapport dans lequel on trouve énoncé que pour 1817 seulement les exportations avaient excédé les importations de 64 mille lasts, soit environ deux millions d'hectolitres. Ce furent ces exportations dues à la liberté illimitée du commerce qui amenèrent une augmentation excessive des prix, au point qu'un hectolitre de froment se vendait alors de 75 à 80 fr.

Voilà, messieurs, la comparaison entre les deux systèmes. Voulez-vous maintenant comparer les époques, et vous arriverez à vous convaincre que s'il y avait des précautions à prendre en 1846 et en 1847, à bien plus forte raison nous devons en prendre aujourd'hui.

Chose vraiment extraordinaire, le gouvernement pense, avec plusieurs de nos amis politiques, qu'il ne faut rien faire quand il s'agit de céréales, alors cependant qu'il a pensé devoir faire quelque chose pour les pommes de terre ! On a déjà fait remarquer la contradiction qui règne dans ce système.

Je ne m'étendrai pas sur ce point.

Quelques libre-échangistes quand même ayant ouvertement condamné la mesure de prohibition, quant à la sortie des pommes de terre, l'honorable ministre de l'intérieur leur a répondu que leurs théories étaient certes bien belles, mais qu'il fallait, avant tout, assurer l'alimentation du peuple par une quantité suffisante de ces tubercules. Nous disons, nous, que si cela est vrai pour les pommes de terre, cela est vrai aussi pour les céréales, car il existe un déficit de céréales bien constaté et ce déficit tend à prendre tous les jours une plus grande extension ; et qu'arriverait-il si des circonstances de force majeure, résultant de la guerre d'Orient et de l'intempérie des saisons, venaient encore entraver les arrivages des pays lointains ?

Voici comment s'exprime M. le ministre de l'intérieur : « Il fallait s'assurer avant tout de l'alimentation du peuple et par suite s'assurer des quantités nécessaires à cette alimentation. »

Puis il ajoute : « Si le commerce étranger avait des pommes de terre à nous envoyer, il les enverrait nonobstant notre prohibition à la sortie, la hauteur des prix serait pour lui un appât suffisant. »

Si l'honorable M. Piercot n'a aucune inquiétude quant aux pommes de terre prohibées à la sortie, pourquoi donc en conçoit-il quant aux céréales ? C'est, dit-il, parce que la libre sortie des céréales est basée sur un système de réciprocité (ce sont exactement ses paroles).

Mais l'honorable M. Piercot a perdu de vue que les frontières par lesquelles se font nos exportations sont précisément celles par lesquelles il ne peut se faire aucune importation chez nous, puisqu'il y a défense à la sortie, de telle manière que le principe de réciprocité invoqué par l'honorable ministre de l'intérieur lui fait défaut et est rétorqué contre lui.

Dira-t-on, et c'est la dernière objection que j'ai à rencontrer, que si on ne laissait pas la libre sortie sur toutes les frontières, que si on l'entravait du côté du midi, tout en admettant qu'il y aurait des raisons suffisantes pour le faire, le commerce serait gêné dans ses allures et finirait par diriger ses cargaisons sur d'autres pays ? Mais M. le ministre a répondu à cette objection en traitant la question des pommes de terre.

« Si le commerce étranger, a-t-il dit, avait des pommes de terre à nous envoyer, il les enverrait nonobstant notre prohibition à la sortie. La hauteur des prix serait un appât suffisant pour la spéculation. »

Et moi je tiens le même langage quant aux céréales.

Quelle gêne apportera au commerce la défense de sortie de nos céréales (page 105) du côté de la France ? Les prix qu'il pourra obtenir chez nous seront, comme pour les pommes de terre, un appât suffisant. Et puis s'il veut importer des grains exotiques en France par la Belgique, les entrepôts fictifs et le transit auxquels nous ne voulons toucher en aucune manière, ne lui en laissent-ils pas la faculté ?

Il y a donc, quoi qu'on dise, certaines mesures à prendre du côté de la frontière française ; car pour cette frontière on ne peut pas invoquer le principe de réciprocité qu'invoquait M. le ministre de l'intérieur, puisque nous ne pouvons rien recevoir de la France.

J'aurais voulu que l'amendement de l'honorable M. de Mérode fût un peu plus étendu, qu'il fût complété dans le sens que je viens d'indiquer.

Et je me réserve de présenter un sous-amendement à cet effet.

J'ignore quelle sera l'opinion du gouvernement sur une mesure qui, je le déclare, n'a aucun caractère politique, qui ne peut être considérée après tout que comme un acte de prudence dont la France elle-même nous donne l'exemple et qui d'ailleurs sera de nature à rassurer un peu nos populations inquiètes.

(page 97) M. Tesch. - L'honorable M. Verhaegen est venu joindre sa voix à ce concert de reproches et de récriminations, que depuis quelques jours on adresse à l'économie politique, à la liberté commerciale et à tous ceux qui demandent parfois à cette liberté des solutions que le système prohibitif n'a pas toujours données.

A entendre nos adversaires, on dirait réellement que quand nous demandons l'application d'un principe de liberté commerciale, c'est par esprit de système, par esprit d'école, et par amour platonique des théories.

Il n'en est rien.

Nous sommes, qu'on nous permette de le dire, assez intelligents, assez amis de notre pays, pour ne pas nous laisser entraîner par de semblables mobiles.

Quand nous demandons l'application d'un principe d'économie politique, c'est parce que nous croyons que l'application de ce principe est beaucoup plus favorable au pays que les vieilles théories du système prohibitf.

Ce qui, du reste, prouve que nous ne sommes pas dans une si mauvaise voie, ce qui prouve qu'en général l'opinion que nous avons défendue a pour elle l'avenir, et est déjà en voie d'application, c'est ce qui se passe dans tous les pays. Ainsi, autour de nous que voyons-nous ? Le Zollverein qui, en définitive, est une application de la liberté du commerce, s'unir au Sleuerverein. Nous voyons ces deux associations conclure un traité de commerce avec l'Autriche, traité qui aboutira un jour à une union douanière entre tous ces pays, et dans un avenir peu éloigné, nous verrons peut-être 60 à 70 millions d'habitants régis par le système de la liberté commerciale la plus absolue. C'est-à-dire qu'une grande partie de l'Europe aura cette liberté de commerce qu'on traite ici avec un sans-façon sans égal.

A côté de l'Allemagne, nous voyons ce que fait la France. Les derniers décrets que nous avons vus ne sont certes pas pris dans des idées protectionnistes. Je sais que les dispositions relatives aux denrées alimentaires ont eu pour cause la crise qui pèse sur l'Europe occidentale. Mais il n'en est pas moins vrai qu'en 1846 et 1847, époque où la crise n'était pas moins intense, ou n'avait pas osé prendre de semblables mesures ; et de ces décrets, quoi qu'on en dise, il en restera beaucoup.

Quant à l'Angleterre et à la Hollande, je n'en parlerai pas. Je suppose que nos adversaires en ont fait leur deuil.

M. Manilius. - Oui. Mais ne parlez pas de la France.

M. Tesch. - L'honorable M. Manilius qui est, paraît-il, hostile aux idées que je défends, voudra bien nous dire dans quel ordre d'idées et de système les derniers décrets de France sont portés. Je dis que la réduction des droits sur les houilles, les fers, les fontes, n'est pas un pas fait dans la voie du système prohibitif, mais un pas fait dans la voie de la liberté commerciale.

Après cela, nous n'avons jamais cru que l'économie politique, que la liberté de commerce avait des solutions pour tous les cas qui peuvent se présenter. Nous n'avons pas cru non plus que l'économie politique, que les sciences économiques pussent jamais empêcher la disette, les crises. Jamais nous ne nous sommes imagine cela.

Mais nous croyons que si l'on avait toujours suivi cette voie, et débarrassé le commerce, de toute entrave, les crises seraient beaucoup plus rares. Il est certain, par exemple, que s'il n'y avait jamais eu aucun droit à l'entrée da la viande, on ferait aujourd'hui une consommation très grande de viande salée d'Amérique, comme en Angleterre, où les importations ont été en 1851 de 45 millions de kilogrammes. Supposez que vous ayez cette ressource, que ce commerce soit établi, il est évident que vous auriez là un moyen de conjurer, au moins de diminuer la crise alimentaire, vous remplaceriez en partie par la viande ce qui nous manque en céréales.

L'on a dans cette discussion posée certains cas, l'on a imaginé quelques hypothèses et l'on nous a dit : Que feriez-vous, vous économistes, si tel ou tel cas se présentait ? Si vous supposez votre pays entouré d'ennemis, ou cerné par la famine, demandez une solution aux lois de la guerre, ou aux principes de légitime défense contre la faim. Mais laissez de côté l'économie politique qui n'a absolument rien à y voir. A des situations tout à fait exceptionnelles ce sont des remèdes exceptionnels qu'il faut.

Je dirai très peu de chose de la question générale, de la question de savoir s'il faut prohiber d'une manière absolue la sortie des grains. Je m'occuperai principalement de la question soulevée par l'honorable M. Verhaegen de savoir s'il faut la prohiber sur certaines frontières. Quant à la question générale, selon moi, elle se résume en ceci ; vous avez un déficit que vous devez combler. Où irez-vous le combler ? Evidemment vous devrez le combler par le commerce. Eh bien, le commerce ne vous amènera des grains qu'à la condition que vous les payiez au prix où ils sont ailleurs ; car le commerce cherche les hauts prix.

Les détenteurs de l'intérieur connaissent votre déficit, et ne vendront eux-mêmes qu'au prix de l'extérieur. Les mesures prohibitives n'auront donc, sur eux aucune influence.

L'honorable M. Verhaegen s'est placé à un point de vue tout à fait singulier.

Il nous dit : Vous ne pouvez établir de liberté de commerce avec un pays qui ne vous accorde pas la réciprocité. Il nous manque du grain en Belgique. Il nous entre une quantité de ; une partie de ces importations va en France ; or, la France ne nous accordant pas la sortie, c'est un métier de dupes (le mot a été prononcé) de laisser aller en France ce qu'elle ne nous donne pas.

Messieurs, dans la thèse de l'honorable M. Verhaegen, il est un point qui démontre que son raisonnement manque de base. Si notre grain va en France, quelle peut en être la raison ? Mais c'esl évidemment parce qu'en France il est plus cher qu'ici, et s'il est plus cher qu'ici, en France, dans un pays où la sortie en est défendue, qu'est-ce que cela prouve ? C'est que le système de prohiber les grains à la sortie n'est pas excellent.

L'honorable M. Verhaegen nous dit : La France nous donne un exemple ; suivez cet exemple. Mais non, messieurs, ne suivons pas l'exemple, parce qu'il est mauvais. L'honorable M. Verhaegen confesse que les grains sont plus chers en France, où la sortie est prohibée, qu'en Belgique où la sortie est libre.

M. Dumortier. - Pourquoi est-il mauvais ?

M. Tesch. - Parce que le grain est plus cher en France avec la prohibition qu'en Belgique avec la liberté.

M. de Mérode. - J'expliquerai tout de suite pourquoi, si vous me le permettez.

M. Tesch. - Je prends les faits tels qu'ils sont ; ces faits sont incontestables.

Or, si vous voulez me permettre de continuer, je vous dirai : De deux choses l'une : ou les grains continueront à être plus chers en France, ou ils seront à meilleur marché.

S'ils sont à meilleur marche, s'ils continuent à être à meilleur marché, vous pouvez vous rassurer, vos mesures seront complètement inutiles, il n'y arrivera pas un hectolitre de grain. Si, au contraire, vous soutenez que pendant toute l'année les grains vont être plus chers en France qu'en Belgique, quelle est la valeur de votre système ? Il n'est plus soutenable, puisque malgré la prohibition qui existe en France, quoique de ce pays ne sorte plus un atome de grain, nous devons aller alimenter ce pays.

Il me paraît donc que si l'on ne prohibait que sur la frontière de France, on fait trop ou l'on fait trop peu.

Comme je viens de le dire, ou le grain sera à meilleur marché en France ou il sera plus cher qu'en Belgique. Si le grain est à meilleur marché, la mesure sera sans effet.

S'il est plus cher et que vous ne le laissiez pas pénétrer dans ce pays, vous arrêtez le commerce, parce que le commerce va chercher les hauts prix et il ne viendra plus en Belgique s'il ne peut faire infiltrer son grain d'ici en France ; il ira directement en France où il trouvera les prix les plus élevés ; et vous perdrez le bénéfice que vous retirez du transit, que vous retirez du commerce, du négoce des grains. On ne soutiendra pas que le commerce amènera le grain en Belgique, alors qu'il aura Dunkerque, Lille, etc., où il pourra le porter dans des conditions plus favorables qu'ici.

Il me paraît donc évident que la mesure proposée fait trop ou trop peu. Si votre système est bon, il faut l'appliquer en général ; il faut prohiber de tous côtés. Mais s'il est mauvais, laissez-nous la liberté, comme nous la demandons.

L'honorable M. Verhaegen vous a beaucoup parlé des chiffres qu'il a pris dans le discours de l'honorable ministre des finances. Messieurs, je ne sais si les chiffres donnés par M. le ministre des finances sont (page 98) d'une très rigoureuse exactitude. Je crois qu'il les a donnés comme approximatifs ; je trouve, dans le tableau des importations et des exportations qui ont en lieu en Belgique depuis le 1er janvier jusqu'au 20 novembre une différence entre les exportations et les importations, beaucoup plus grande que celle qui a été signalée. Je prends les tableaux qui ont figuré au Moniteur.

M. Dumortier. - Qu'est-ce que le mois de janvier nous fait ? Il est consommé depuis longtemps.

M. Tesch. - Je prendrai, si vous voulez, le tableau relatif aux cinq derniers jours de novembre.

Je trouve pour l'année, depuis le 1er janvier jusqu'au 20 novembre, que nos importations ont été de 94,384,195 kil., et que les exportations ont été de 8,194,000 kil. ; c'est-à-dire que les importations ont dépassé d'à peu près onze fois les exportations. Maintenant si je prends les cinq derniers jours de novembre seulement, je trouve que l'importation a été de 3,560,000 kil. et que l'exportation a été de 222,000 kil. ; c'est-à-dire que l'importation a été de seize fois l'exportation.

C'est un chiffre sur lequel j'appelle toute l'attention de la chambre : c'est que depuis le 16 novembre jusqu'au 20, les importations ont été aux exportations comme 16 est à 1 ; c'est-à-dire que quand il entre 16 hectolitres de grain en Belgique, il n'en sort qu'un ; si je prends la statistique de l'année, quand il est entré onze hectolitres il en est sorti un.

M. Verhaegen. - J'ai pris les chiffres indiqués par M. le ministre des finances.

M. Tesch. - Il ne s'agit pas du discours de M. le ministre des finances. Lorsque M. le ministre des finances a prononcé son discours, il a pris des quantités approximatives.

Il vous a dit : S'il entre par semaine 3 millions de kil., il peut en sortir 5 à 6 millions. Mais M. le ministre ne nous a pas donné des chiffres officiels comme ceux que je trouve dans le Moniteur. Or, je dis que l'exportation du 16 au 20 novembre est à l'importation comme 1 est à 16 ; je dis que c'est là une chose très rassurante pour le pays, et que ce n'est pas très facilement qu'il faut toucher à cet état de choses qui vous donne 10 hectolitres d'introduction contre un hectolitre d'exportation ; et je crois qu'au lieu de crier toujours que l'on exporte le pain du pays au détriment des enfants du pays, il serait plus utile de dire aux populations : que si nous laissons sortir un hectolitre de grain c'est pour en recevoir 16 ; que c'est là le résultat que nous obtenons en ce moment.

M. Dumortier. - La prohibition de l'exportation n'empêcherait pas les 16 hectolitres d'arriver.

M. Tesch. - Nous somme sûrs d'un résultat ; c'est que quand il sort un hectolitre de blé il en entre 16. Voilà un fait constaté. Eh bien, je dis qu'il serait téméraire de toucher à un pareil état de choses, et je le répète, ce qu'il faut dire, ce qu'il faut crier bien haut aux populations, ce n'est pas que nous enlevons aux enfants du pays le grain du pays, mais c'est que si nous laissons sortir le grain étranger, c'est parce que l'importation est à l'exportation dans la proportion que j'ai indiquée tantôt. Nous subissons l'exportation comme on subit un inconvénient, en raison de l'avantage qu'il procure.

Messieurs, l’honorable M. Verhaegen, et c'est le dernier argument auquel je réponds, l'honorable M. Verhaegen vous disait : Il ne s'agit pas tant de savoir quel sera le prix des grains que de savoir si nous aurons les quantités nécessaires. Messieurs, je crois que c'est là une seule et même chose. Quand vous avez une année d'abondance, vous pouvez parfaitement fermer vos frontières et dire : J'ai les quantités de grains nécessaires, je ferme mes frontières, je ne m'occupe pas du prix.

Mais lorsque vous avez un déficit, déficit qu'on évalue à un million ou à 1,100,000 hectolitres, mais déficit qu'en réalité personne ne connaît exactement, lorsque vous avez un déficit, le prix et la quantité de grains c'est la même chose, c'est-à-dire que quand vous payerez bien vous aurez du grain aussi longtemps qu'il y en aura dans le monde, et plus il y aura de facilité pour l'introduction des grains, plus il y aura de sécurité pour le commerce, plus il nous arrivera de céréales, car les deux choses que le commerce recherche toujours, c'est la liberté, la sécurité de ses mouvements et les bons prix.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - L'orateur qui vient de se rasseoir a' répondu, ce me semble, d'une manière complète, mieux que je ne pourrais le faire, à l'honorable M. Verhaegen. Il est pourtant deux points de son discours sur lesquels je demande la permission de revenir ; je le ferai de la manière la plus brève.

D'abord il est un fait, messieurs, que je tiens à expliquer. Vous vous rappelez que c'est dans la séance de vendredi que j'ai répondu à l'honorable M. Malou, dont le discours avait terminé la séance de la veille. Vendredi matin j'ai fait venir chez moi le chef de service qui a, dans ses attributions, les douanes, et je lui ai demandé de me fournir les chiffres exacts de l'exportation et de l'importation depuis le commencement de l'année. Je ne puis pas, m'a-t-il dit, vous donner immédiatement les chiffres positifs, mais vous pouvez toujours assurer que l'entrée par semaine est, en moyenne, de 2 à 3 millions de kilogrammes et que la sortie ne dépasse pas 500,000 kil. ; ce sont ces chiffres que j'ai indiqués dans mon discours, étant bien convaincu que je restais au-dessous de la vérité, quant à l'importance de l'importation.

Pendant que je prononçais mon discours les détails complets me sont arrivés et ces chiffres sont en tout conformes à ce que vient de dire l'honorable M. Tesch. Il n'y a donc pas d'inexactitude dans mon discours ; j'ai fait une approximation, bien certain, je le répète, que j'étais au-dessous de la vérité.

Maintenant l'honorable M. Verhaegen dépeint les populations comme en proie aux plus vives inquiétudes ; il aurait dû, ce me semble, joindre ses efforts aux nôtres pour calmer ces craintes. Au lieu de cela, je regrette de le dire, son discours, pris dans son ensemble, est plutôt fait pour inquiéter que pour tranquilliser le pays. C'est pour cela que j'ai pris la parole.

Comment, dit l'honorable membre, le commerce pourra-t-il combler le déficit, alors qu'il n'introduit que 2 millions et 1/2 de kilogrammes par semaine ? Il lui faudra une année pour y parvenir. Eh bien, messieurs, il me semble que, le fait fût-il vrai, le résultat serait complètement satisfaisant ; car le déficit ne se produit pas d'un seul coup ; il se produit par parcelles de jour en jour jusqu'à la fin de l'année, de telle sorte que si, à la fin de l'année, le déficit est comblé, c'est tout ce qu'on peut désirer.

Mais, messieurs, il y a plus : j'ai pour moi l'expérience du passé quand j'affirme que jamais le déficit réel n'équivaut à celui que signale le gouvernement, et je m'explique. Après une récolte qui n'est pas aussi satisfaisante qu'on pourrait le désirer, le gouvernement, et c'est son devoir, fait une enquête aussi minutieuse que possible afin de constater ce qui manque à la récolte en la comparant à une récolte ordinaire ; lorsque l'enquête constate l'insuffisance de la récolte, cela veut-il dire qu'il y aurait famine en Belgique si ce déficit n'était pas comblé entièrement ? Ce serait une grave erreur de le croire.

Il y a une grande différence dans la consommation entre l'époque où le grain est à un prix normal et l'époque où il est à un prix exagéré ; dans les années normales on use du pain avec profusion ; on en donne aux animaux, à la volaille ; on emploie le grain dans les amidonneries, dans les féculeries, dans les brasseries, dans les distilleries, etc. ; on l'emploie de mille manières différentes. Mais lorsque les prix sont élevés, chaque famille, et il y a un million de familles en Belgique, chaque famille économise un peu ; cette économie pour un ménage isolé ce n'est rien, mais pour un million de familles c'est énorme ; on ne donne plus de grain à la volaille ni aux animaux ; on ne fait que peu de bière, on fait moins d'alcool, et les brasseries et les distilleries ne consomment en temps ordinaire ni plus ni moins de 4 millions d'hectolitres par année ; en un mot la consommation du grain se restreint de mille manières différentes.

Ce n'est donc pas sans motifs, messieurs, que les économistes, qu'on raille si souvent dans cette assemblée, ont dit que les établissements dont je viens de parler sont de véritables greniers d'abondance qui viennent en aide aux populations dans les années de disette ; en effet, ces établissements qui font des approvisionnements dans les années d'abondance, diminuent leur consommation aux époques de cherté et que ce sont autant de grains qui viennent en aide aux populations.

Lors donc, messieurs, que le gouvernement constate une insuffisance de 1,400,000 hectolitres, comparativement à une année ordinaire, ce n'est pas à dire qu'il faille introduire, sous peine de famine, 1,400,000 hectolitres : les économies de chaque ménage et la diminution du travail dans un grand nombre d'industries qui consomment du grain concourent pour une part importante à combler le déficit.

Permettez-moi, messieurs, de citer un fait à l'appui de cette opinion.

En 1838 quelle était la récolte constatée ? En voici le résumé en trois lignes :

« La mauvaise récolte de 1838 a fourni, disait le rapport du gouvernement en 1840, 15 hectolitres de froment par hectare (comme aujourd'hui) dans certaines provinces, et une demi-récolte dans d'autres. »

On pourrait croire d'après cela que pour compléter l'approvisionnement du pays il a fallu introduire des quantités extraordinaires ; détrompez-vous.

L'importation s'est élevée à 91 millions de kilogrammes, et quoique cette quantité ne dépasse guère celle d'une année normale, je ne sache pas que quelqu'un soit mort de faim.

Dans la séance de jeudi un ancien ministre a fait remarquer de même qu'en 1846-1847 l'importation du quart du déficit constaté a suffi à l'approvisionnement du pays. Il est donc constant que les importations ne doivent pas nécessairement s'élever au chiffre du manquant constaté.

Il est un autre fait, messieurs, de nature à rassurer les esprits. On dit et on répète que l'exportation de grains s'élève à un demi-million de kilogrammes par semaine et on perd de vue que cette exportation s'est en réalité substituée au transit ; le nom seul est changé ; l'opération du commerce est restée la même. Ce qui est digne de remarque, c'est qu'au mois d'août, lorsque le gouvernement a déclaré les grains libres à l'entrée, le transit s'est arrêté instantanément, et pourquoi ?

Parce qu'on n'avait plus, à dater de ce moment, intérêt à déclarer les grains en transit et à remplir les formalités relatives à cette opération. Eh bien, messieurs, quelle était l'importance du transit ? Il s'élevait, en 1852, à 58 millions de kilogr., et certes en 1853, eu égard aux besoins de la France, ce transit aurait été fort augmenté. Au lieu de cela il a cessé de se faire dès la fin du mois d'août. En 1847 et en 1848 vous n'avez plus eu d'exportation, parce que l'exportation était défendue, mais vous aviez le transit, qui s'élevait à 55 millions de kilogr. chacune de ces années.Vous voyez donc, messieurs, que si vous prohibez la sortie, (page 99) vous ne changerez qu'un nom ; le grain au lieu de partir pour la France de Gand, de Bruges, de Liège, partira d'Anvers, mais la même quantité à peu près sortira du pays.

J'avoue qu'il peut se faire qu'avec la libre sortie il s'opère par-ci par là quelques substitutions de blé indigène au blé étranger, qui peut seul s'exporter en transit, mais le grand mal si la qualité de notre grain permet de se procurer un hectolitre et demi de blé étranger pour un hectolitre de blé indigène livré à l'exportation ! La population aura une qualité un peu inférieure, c'est vrai. Mais elle aura en échange plus de quantités, et je ne vois pas que la population ait à s'en plaindre.

On parle toujours de l'Angleterre et de la Hollande, et l'on a soin de glisser sur cette question, en se bornant à dire : « Ces pays sont dans une position toute différente : ils ont une flotte marchande très nombreuse ;!! » C'est encore le langage que l'honorable M. Verhaegen a tenu après l'honorable M. Malou. Eh bien, je conteste à ces honorables membres que l'Angleterre et la Hollande aient à leur disposition pour le commerce des grains un seul navire de plus que la Belgique.

Qu'on révoque en doute que, pour les questions industrielles, la Belgique se trouve dans une position identique à celle de l'Angleterre ; qu'on prétende que l'Angleterre peut déclarer le libre échange pour toutes choses, alors que la Belgique ne le peut pas, il y a là matière à discussion ; mais lorsqu'il s'agit de navires pour le transport des céréales de la mer Noire, des Etats-Unis, je dis que l'Angleterre et la Hollande n'ont pas un navire de plus que nous. Il n'en peut être autrement. Quand les navires arrivent chargés de grains, ils s'inquiètent fort peu si c'est un Anglais, un Français ou un Belge qui les paye.

Je crois qu'en ajoutant ces motifs à ceux qu'a si bien développés l'honorable M. Tesch, nous pouvons en toute assurance attendre le résultat du vote.

- La clôture est demandée.

M. de Haerne (sur la clôture). - Je crois qu'il y a encore plusieurs orateurs inscrits ; l'heure de la séance n'est pas avancée ; rien ne me paraît s'opposer à ce que les orateurs inscrits soient entendus.

M. Janssens (sur la clôture). - Je désire motiver mon vote ; je serai très court ; je prierai donc la chambre de vouloir bien me permettre de dire quelques mots.

- La clôture de la discussion générale est mise aux voix et adoptée. On passe aux articles.

Discussion des articles

Article premier

« Art. 1er. Les dispositions de l'arrêté royal du 28 août 1853 sont approuvées.

« Seront libres à l’entrée jusqu'au 31 juillet 1854, le froment, l'épeautre mondé et non mondé, le méteil, le seigle, le mais, l'orge et la drêche, le sarrasin, l'avoine, les pois, les lentilles, les haricots, les féveroles et les vesces, le gruau, l'orge perlé, les farines et montures de toute espèce, le son, les fécules et les autres substances amylacées, le pain, le biscuit, le macaroni, la semoule, le vermicelle, le pain d'épice, le riz, les jambons fumés, le lard et les viandes de toute espèce, les taureaux, les bœufs, les vaches, les bouvillons, les taurillons, les génisses, les veaux, les moutons, les agneaux et les cochons. »

Voici l'amendement qui a été, à l'article premier, présenté par M. Osy :

« Retrancher du paragraphe 2 de l'article premier, les mots :

« Le lard et les viandes de toute espèce, » et ajouter à cet article un paragraphe 3 ainsi conçu :

« Sont également libres à l'entrée, jusqu'au 31 décembre 1854, le lard et les viandes de toute espèce non dénommées au tarif. »

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, nous ne pouvons pas nous dissimuler que le pays ne soit très attentif à ce débat. Et en effet, la question que nous agitons est palpitante d'intérêt. Jusqu'ici, l'amendement de l'honorable M. Dumortier a seul absorbé toute la discussion. On serait tenté de croire, surtout au-dehors, que le projet que nous discutons a uniquement pour but de décider la question de savoir si les grains seront oui ou non prohibés à la sortie.

Eh bien, ce serait là une erreur qu'il importe de prévenir ; ce serait en quelque sorte restreindre l'importance de nos travaux. Le but que nous voulons tous atteindre, quel est-il ? Il a été nettement défini par l'honorable M. Lesoinne. Ce que nous voulons tous, c'est de faire en sorte que les denrées alimentaires qui manquent à la Belgique, les consommateurs puissent se les procurer aux meilleures conditions possible.

Voilà notre but à tous, et c'est le seul but raisonnable car après tout, il vaut mieux ne rien faire que de poursuivre l'impossible.

Eh bien, constatons-le, sur ce but nous sommes tous d'accord ; il n'y a entre nous aucun dissentiment quelconque ; ce but, nous le poursuivons tous avec le même zèle, avec la même ardeur, avec le même dévouement ; j'ose même dire que personne ici n'a la prétention de croire qu'il soit plus empressé, plus ardent qu'aucun de ses collègues, pour venir au secours des souffrances du pays. En présence de cette situation, nous pouvons même dire qu'il n'y a qu'un seul parti dans le parlement belge.

Non seulement, nous sommes parfaitement d'accord sur le but du projet de loi ; nous le sommes encore sur les dispositions les plus importantes et les plus essentielles, sur celles qui sont spécialement destinées à soulager la situation du pays.

Ainsi abolition des droits d'entrée des céréales, pas d'opposition, j'en suis certain ; abolition des droits d'entrée sur le riz, pas d'opposition j'en suis encore certain ; abolition des droits d'entrée sur le bétail et les viandes, il n'y aura pas d'opposition. Donc liberté pleine et entière pour toutes les denrées alimentaires qui nous manquent. La Chambre est unanime sur lous ces points. Or ce sont là des mesures dont il convient de ne pas amoindrir l'importance.

Dans une séance précédente, un honorable membre a prétendu que les résultats de ces mesures seraient en quelque sorte insignifiants, et les a traduits en quelque sorte en un cadeau de 9 à dix centimes pour chaque habitant de la Belgique. Je commence par faire remarquer que cet honorable orateur a déclaré formellement que lui aussi adopte les dispositions que je viens d'énumérer.

Les observations qu'il a faites lui étaient en quelque sorte arrachées par la douleur de ne pas pouvoir faire l'impossible ; eh bien, cette douleur, nous la partageons tous ; mais, arrêtés devant l'impossible, nous croirons cependant faire une œuvre très utile à l'alimentation du pays en abolissant les droits que je viens d'indiquer.

En effet, quelle est la position de la Belgique ? Notre position est celle-ci : c'est que nous sommes en concurrence avec les pays qui nous entourent pour l'achat des substances alimentaires.

Nous faisons tomber notre ligne de douane, nous disons aux producteurs étrangers qui peuvent amener ce qui manque à notre approvisionnement ou au commerce qui est leur intermédiaire : Le territoire de notre pays vous est ouvert, circulez ici librement comme dans votre propre pays, aucune formalité, aucune entrave ne gênera vos opérations, le fisc n'a pas une obole à vous demander et nous mettons à votre disposition l'un des plus beaux ports du monde.

Cela sera-t-il sans influence pour faire affluer dans la Belgique les denrées qui lui manquent, cela sera-t-il sans effet sur notre approvisionnement ? Je le demande à l'orateur auquel je réponds. Son raisonnement serait juste s'il s'agissait uniquement de faire passer dans la poche du consommateur l'argent perçu par le fisc. Mais ce serait là amoindrir la portée du projet.

Ce que nous voulons, c'est donner des facilités au commerce ou au producteur étranger, pour amener leurs produits ; ce que nous voulons, c'est l'approvisionnement du pays. Nous désirons faire tomber toutes les entraves, tous les droits, toutes les pénalités de douane, en un mot, tout ce qui peut gêner les mouvements du commerce.

Par conséquent, au point de vue des approvisionnements, ces dispositions sont d'une utilité incontestable. Or, c'est là le point le plus important et le plus essentiel.

C'est un malheur, sans doute, de devoir acheter les denrées alimentaires à un prix très élevé ; mais le plus terrible des malheurs serait de ne pouvoir en acheter à aucun prix. La charité elle-même, habituée à prodiguer les prodiges, surtout dans les moments difficiles, s'arrêterait impuissante devant une pareille calamité.

L'essentiel est donc de faire arriver dans le pays les subsistances qui nous manquent pour traverser la crise actuelle. Dès ce moment et indépendamment de toute considération de prix, nous nous trouvons dans une position relativement avantageuse, parce que ces subsistances peuvent être alors livrées à la consommation belge sans nouveaux frais, tandis que l'étranger ne peut plus nous les enlever sans supporter des frais de transport considérables.

Or, au point de vue des approvisionnements il est impossible de contester sérieusement que les dispositions formant l'objet de l'article premier seront d'une grande efficacité, puisque des producteurs étrangers ou le commerce leur intermédiaire ne pourront rencontrer nulle part des conditions plus avantageuses que celles que nous leur faisons. Voilà le vrai caractère d'utilité de la loi que nous allons voter et qu'il importe de faire ressortir afin que le pays sache que nous ne nous bornons pas à discuter des théories ou des systèmes.

Il y a des personnes qui croient que l'abolition du droit sur la viande sera sans résultat sur la position de la classe ouvrière qui malheureusement fait peu usage de cet aliment ; c'est encore là une erreur, suivant moi. Quand il s'agit de la grave question de l'alimentation du pays, on distingue assez habituellement les consommateurs en deux classes : les riches et les pauvres.

Cette distinction est très naturelle, parce qu'enfin ce sont les classes malheureuses qui ont droit avant tout à notre sollicitude. Mais il importe cependant de remarquer que cette classification est incomplète, elle laisse de côté la classe la plus nombreuse qui n'est ni riche ni pauvre et qui, pour pourvoir à ses besoins, doit calculer très rigoureusement ses ressources.

Or, cette classe intermédiaire a recours pour son alimentation et aux objets qui font la base de la nourriture du riche et à ceux qui entrent dans la consommation des classes ouvrières ou pauvres. Et comment sa préférence est-elle déterminée ? La seule considération de l’abondance et du prix. Ainsi si la viande est rare et chère, la classe dont je parle restreindra sa consommation en viande pour consommer une plus grande quantité d'autres denrées alimentaires et elle fera ainsi une concurrence plus rude aux malheureux qui ne peuvent pas faire usage de la viande.

L'inverse aura lieu si la viande est abondante ; la classe intermédiaire emploiera alors plus de viande et laissera une plus grande quantité de céréales, de farines, de riz et de pommes de terre à la disposition des ouvriers et des malheureux.

(page 100) Ces mesures que nous prenons sur la viande doivent donc profiter à la classe malheureuse, si pas directement au moins indirectement, mais toujours d'une manière très réelle, et sous ce rapport il est vrai de dire qu'il existe une véritable solidarité entre toutes les denrées alimentaires.

Je ferai une autre observation : c'est que dans les années calamiteuses que nous avons eu à traverser, la viande a souvent été employée directement et d'une manière économique à l'alimentation des classes pauvres ; je pourrais citer de nombreuses localités où l'on a fait avec de la viande des soupes économiques qui ont permis de nourrir, avec une dépense relativement faible, un grand nombre de malheureux.

J'ai cru utile de présenter ces observations pour démontrer qu'à la vérité les dispositions de l'art.icle premier que nous allons voter ne sont pas destinées à opérer le prodige qui consisterait à faire naître immédiatement l'abondance en Belgique, mais que néanmoins elles ont une valeur réelle qu'il importe de ne pas amoindrir, et qu'elles atténueront dans la mesure du possible la crise qui pèse sur le pays.

M. le président. - M. David vient de déposer un amendement ; il propose de substituer la date du 31 décembre 1854 à celle du 31 juillet.

M. David. - Messieurs, notre but commun est de satisfaire aussi largement, aussi complétement que possible à l'approvisionnement du pays. Je crois que si nous ne décrétons la libre entrée que jusqu'au 31 juillet 1854 nous n'atteindrons pas le but que nous nous proposons. On a cité les pays qui presque toujours viennent en aide à l'Europe occidentale quand il y existe un déficit dans la production des grains ; c'est de la Baltique et de la mer Noire principalement que nous viennent les principaux approvisionnements en céréales.

Dès aujourd'hui les ports de la Baltique sont menacés d'être fermés par la gelée, et jusqu'au mois d'avril il sera fort difficile d'en faire sortir des cargaisons de grains ; les ports de la mer Noire sont à peu près dans la même position ; à l'arrière-saison les routes sont tellement effondrées qu'il est impossible d'amener la plus mince quantité de blé dans les ports de mer d'où partent les chargements.

Cette année par exception, la sécheresse qui a régné dans ces contrées a permis d'approvisionner ces ports, mais ce n'est qu'en grains de la récolte de 1852, ceux de la récolte de 1853 n'y sont pas encore arrivés, ils n'y parviendront que quand le traînage pourra avoir lieu, c'est-à-dire après que les routes auront été tracées et bien frayées sur la neige. Les ports de mer en question ne se rouvriront qu'au mois d'avril et on aura quelques mois seulement pour effectuer l'approvisionnement de nos marchés.

Du mois d'avril au mois de juillet, il y a quatre mois seulement, c'est trop peu de temps pour combler le déficit que nous pouvons avoir éprouvé dans nos récoltes.

L'honorable M. Osy a déjà proposé un amendement semblable au mien en ce qui concerne les viandes. Les raisons qu'il a fait valoir pour cet objet s'appliquent à plus forle raison aux céréales ; il nous a dit qu'il fallait accorder le temps nécessaire pour donner des ordres à Buenos-Ayres, à Montevideo et sur les rives de la Plala et en recevoir l'exécution.

Eh bien, messieurs, je demande qu'on donne le temps aux navires qui ne pourront recommencer à fréquenter les ports de la mer Noire et de la Baltique qu'au mois d'avril ou de mai 1854, de nous amener des céréales avant l'expiration de la loi.

Si vous ne permettez la libre entrée que jusqu'au 31 juillet, notre disposition restera une lettre morte, le temps manquera pour en user. Il en sera de même pour les grains que pour les viandes, il est de toute nécessité d'étendre le délai d'expiration de la loi jusqu'au 31 décembre 1854.

J'ai donc déposé un amendement qui modifie le projet de loi.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Dans l'intérêt du trésor public, il m'est impossible de me rallier à cet amendement.

Ce n'est pas sans quelque peine que je me suis décidé à consentir à l'abolition de tout droit sur ces denrées. J'ai fait, à part moi, des calculs qui, sans arriver au même résultat auquel l'honorable M. Coomans est arrivé, me démontrent que si en pareille matière il est difficile de résister à l'entraînement de la chambre, ce n'en est pas moins un grand et douloureux sacrifice pour le trésor public.

Il s'agit de deux millions de recettes. L'honorable membre veut prolonger cette perte de recette pendant une demi-année encore. Dans l'ignorance où nous sommes de ce que sera la récolte de l'an prochain, il m'est impossible de consentir à cet amendement.

Si l'on veut faire quelque chose qui satisfasse tout le monde, on pourrait permettre au gouvernement de comprendre dans l'affranchissement les navires affrétés pour la Belgique avant le 31 juillet, et qui prouveraient par leur connaissement qu'ils sont destinés pour la Belgique. De cette façon le commerce devrait être tranquille. S'il se trouve dans le port d'Odessa un navire en charge pour la Belgique, il pourra, en justifiant que son chargement est pour le port d'Anvers, être affranchi du droit.

Je crois qu'une disposition de ce genre a été introduite dans une loi précédente.

M. Prévinaire. - L'amendement présenté par l'honorable M. David me paraît tout aussi rationnel que celui qu'a présenté l'honorable M. Osy, et qui paraît avoir reçu d'avance votre approbation.

Evidemment en limitant les effets de la loi, vous allez vous priver des ressources que doivent vous offrir les arrivages de la Baltique, qui seront forcément retardés jusqu'au rétablissement de la navigation avec ces contrées.

J'avais demandé la parole avant que l'honorable ministre des finances eût énoncé une pensée transactionnelle à laquelle je me rallie.

M. le ministre des finances s'est appuyé également sur certaines considérations puisées dans l'intérêt du trésor. Certes elles ont une certaine valeur. Mais comme j'ai toujours soutenu la thèse que le revenu public puisé à cette source est très peu légitime, parce qu'il est prélevé sur le salaire de l'ouvrier, elles me touchent très peu, en ce qui concerne les denrées alimentaires.

J'espère que les honorables membres, qui dans cette discussion ont pris si chaleureusement à cœur cet intérêt, et qui se sont posés en défenseurs de ces classes intéressantes appuieront l'amendement de l'honorable M. David.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Je prie la chambre de remarquer que, quoi qu'en ait dit l'honorable préopinant, il n'y a aucune analogie entre l'amendement présenté par l’honorable M. Osy et celui présenté par l'honorable M. David. Remarquez que l'introduction des viandes salées ou autres est tellement minime jusqu'à présent que le droit perçu sur ces denrées est presque nul ; de manière que le trésor ne fera aucune perte par la prolongation de délai que demande M. Osy, et à laquelle nous avons consenti.

En présence du prix auquel se vend la viande en Belgique, non seulement dans les époques de crise, mais dans les temps ordinaires, le gouvernement aura à examiner s'il n'y a pas lieu de rendre la proposition de M. Osy définitive. Nous ne prenons aucun engagement. Mais il est bien certain que l'on peut, sans aucun préjudice pour le trésor, introduire dans la loi des douanes l'amendement de M. Osy.

A coup sûr, on ne peut en dire autant de l'amendement de M. David. Nous le repoussons donc. D'où l'on n'est pas admis à conclure que nous devons repousser l'amendement de M. Osy.

M. Malou. - J'avais fait dans ma section l'observation que l'on devait comprendre dans la libre entrée les navires affrétés pour la Belgique avant le 31 juillet 1854. Je crois qu'il ne suffit pas que le gouvernement ait la faculté d'affranchir du payement des droits. Il faut que ce soit réglé par la loi.

C'est le droit du commerce, pour qu'il sache dans quelle position il se trouve.

L'honorable ministre disait que c'est une disposition à rédiger. Voici la rédaction que j'ai l'honneur de proposer. Je l'emprunte, en changeant la date, à l'article 2 de la loi du 6 mai 1846. C'est une disposition qui fut admise, si je ne me trompe, sur la proposition de l'honorable M. Osy ;:

« Les dispositions du présent article sont applicables à tout navire belge ou étranger dont les papiers d'expédition constateront que le chargement en grains ou autres denrées comprises dans le paragraphe précédent aura été complété et le départ effectué d'un port étranger avant le 31 juillet 1854. »

M. Osy. - (erratum, page 113) Je dois combattre l'amendement de l'honorable M. David. Je veux maintenir intacte la loi de 1850 ; je veux une petite protection pour l'agriculture, et je ne veux pas, par un amendement, détruire la loi de 1850, car, au 31 juillet nous connaîtrons très bien la récolte de l'an prochain. La loi de 1850 donne d'ailleurs au gouvernement la faculté da prolonger la libre entrée s'il le juge convenable. Il usera de cette faculté si la récolte est mauvaise.

Je crois que le plus simple est de maintenir la proposition primitive du gouvernement, avec la date du 31 juillet. Comme l'a dit M. le ministre des finances, il faut donner des sûretés au commerce. Comme l'a dit l'honorable M. Malou, il faut que les navires chargés (erratum, page 100) de grains aient le temps d'arriver. Sous ce rapport, nous ferons bien de reprendra la disposition que nous avons votée en 1846.

M. Coomans. - L'honorable M. David a prononcé un mot dangereux, que je crois de mon devoir de relever. Il a dit que l'impôt perçu sur les denrées énoncées à l'article premier était un impôt illégitime, attendu qu'il enlève une portion du salaire de l'ouvrier. Je prie l’honorable membre d'y réfléchir. Ce mot tend à supprimer tous les droits d'accise, c'est-à-dirc le revenu le plus clair du gouvernement, sans lequel aucun gouvernement ne pourrait subsister.

Quel est le droit d'accise qui n'est pas prélevé sur le salaire de l'ouvrier ? Avec quoi l'ouvrier achète-t-il tout ce qu'il consomme ? Ce n'est pas avec son revenu, c'est avec son salaire. Prenez-y garde ! S'il est illégitime d'imposer le riz, est-ce que le sel et la bière ne sont pas aussi des objets de consommation pour l'ouvrier ?

Je ne pense pas, messieurs, que l'amendement de l'honorable M. David ait beaucoup de chances d'être adopté ; il serait avantageux pour le trésor, surtout en ce qui concerne le riz.

J'ai eu l'honneur de faire observer hier, qu'en affranchissant des droits de douane, l'importation des riz jusqu'au 31 juillet de l'année prochaine, la législature l'affranchissait en réalité pour deux ans et peut-être pour trois ans, attendu qu'il est d'expérience que le riz, denrée que l'on peut si facilement conserver, est jeté en masse sur le marché, quelque temps avant le rétablissement des droits.

J'ai appelé hier l'attention de l'honorable ministre des finances sue ce fait, et j'ai cru pouvoir évaluer à un million de francs, au lieu de 300,000 fr., le déficit réel que le trésor subira du fait de l'article premier au sujet du riz seulement. Aussi, franc jusqu'au bout, je dirai que je n'approuve pas du tout la suppression du droit sur le riz, parce que ce n'est (page 101) pas au consommateur que nous donnerons le montant de ce droit, ce sera à la spéculation, quelque légitime qu'elle soit. Si je suis bien informé, les riz ont monté, depuis quelques jours, dans la mesure exacte du droit que nous allons supprimer, et je suis persuadé que la consommation ne profitera pas d'un centime de la libéralité que nous allons faire.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Messieurs, je crois que l'honorable membre s'alarme trop sur la question des riz. Il est vrai que la population profitera peu de l'abolition du droit sur le riz pour tout ce qui est aujourd'hui en entrepôt. Du moment que la loi a été proposée, et que l'on a connu à Anvers les dispositions de la chambre, on a fait à la hausse les riz qui étaient en entrepôt, de telle sorte qu'on escomptait jusqu'à 50 et 60 p. c. les droits à abolir.

Il est donc vrai de dire que pour toutes les quantités qui se trouvent en entrepôt, la nation en profitera peu, mais il faut remarquer qu'après l'abolition de tout droit, des riz arriveront immédiatement en concurrence de Hambourg et de Londres.

Quant à la crainte que l'on ne déverse dans le pays des quantités suffisantes pour alimenter la consommation pour deux ou trois ans, je vous ferai remarquer qu'elle serait justifiée, si en ce moment les riz étaient au taux normal, de telle sorte que le spéculateur pût espérer qu'en faisant un approvisionnement de deux et trois ans, il pourra faire un bénéfice pendant ces deux ou trois années. Mais c'est le cas inverse qui se présente. Le riz est aujourd'hui à un prix plus que double d'une année normale. Ce n'est pas dans une situation pareille que l'on commettra sa fortune et que l'on fera des spéculations sur deux et trois années.

On ne fera que l'approvisionnement de l'année courante, eu égard à l'élévation des prix.

Certes, si les craintes de l'honorable M. Coomans pouvaient être fondées, il faudrait introduire dans la loi un article qui permît, pour le riz du moins, de faire cesser l'affranchissement de tous droits, si, par des motifs que le gouvernement apprécierait et dont il rendrait compte aux chambres, il s'apercevait que des approvisionnements trop considérables se font dans les entrepôts. Mais, je le répète, eu égard à l'exagération des prix actuels, je n'ai pas de crainte.

M. David. - Vous vous serez tous aperçus que l'honorable M. Coomans s'est trompé sur l’auteur des paroles qu'il m'a attribuées ; c'est l'honorable M. Prévinaire qui a dit que l'impôt prélevé à l'entrée des grains était une diminution du salaire de l'ouvrier.

L'honorable M. Osy, tout en combattant mon amendement, vient de se servir d'expressions de nature à prouver son utilité. Il vous a dit qu'il fallait donner aux navires le temps d'arriver ; c'est une preuve irréfutable que le délai pour la libre entrée jusqu'au 31 juillet n'est pas suffisant.

Pour moi, messieurs, je regarde l'intérêt de l'alimentation du peuple comme infiniment supérieur à l'intérêt du trésor, et je ferai très volontiers le sacrifice des 800,000 ou 900,000 fr. que perdra le trésor pour être certain d'avoir des approvisionnements complets et très larges à partir du printemps prochain.

Je crois que l'honorable M. Malou veut fixer la date du 1er juillet. Si cette date pouvait être admise, l'amendement que propose l'honorable membre serait complètement illusoire. La loi consacre déjà la libre entrée jusqu'au 31 juillet, et vous savez qu'un navire partant de Riga, de Dantzick, de Königsberg ou de tout autre port de la Baltique, ne met pas même un mois pour arriver à Anvers.

Je demande donc, me ralliant à ce qu'a dit M. le ministre des finances, que l'on fixe la date du 31 juillet pour l'époque du départ des navires chargés de céréales et se rendant d'un port de la Baltique ou de la mer Noire en Belgique, ou d'autres pays de production de céréales de toute espèce.

- Plusieurs membres. - La clôture !

M. Prévinaire. - Messieurs, si l'honorable M. Coomans n'avait pas relevé et interprété mes paroles, je pourrais me dispenser de lui répondre.

Je vous ai rappelé que j'avais toujours soutenu que l'impôt prélevé sur les denrées alimentaires était un impôt injuste et illégitime, parce qu'il constitue une réduction du salaire de l'ouvrier. Voilà ce que j'ai dit.

M. Coomans. - Eh bien, c'est très mal dit.

M. Prévinaire. - ermettez ; je n'accepte pas de conseils sur cette matière ; je maintiens mon opinion. Mais vous avez dénaturé ma pensée en la développant. Vous avez étendu mon observation à toutes les denrées sur lesquelles se perçoivent les droits d'accise.

C'est une grave erreur. Autre chose est de prélever l'impôt sur le pain de l'ouvrier ou de le prélever sur le vin, par exemple.

Je comprends qu'on prélève l'impôt sur le superflu ; je ne comprends pas qu'on le prélève sur les denrées de première nécessité pour la classe ouvrière, et l'impôt me paraît monstrueux quand il s'applique à la consommation d'une denrée indispensable à l'existence ; dans ce cas le fisc s'attaque au principe même de la vie.

M. le président. - Voici l'amendement de M. Malou :

« Les dispositions du présent article sont applicables à tout navire belge ou étranger dont les papiers d'expédition constateront que le chargement en grains ou autres denrées comprises dans le paragraphe précédent aura été complété et le départ effectué d'un port étranger avant le 31 juillet 1854. »

Je crois qu'il est bon de laisser la date en blanc ; car si la chambre adoptait l'amendement de M. David il faudrait à la date du 31 juillet substituer celle du 31 décembre.

M. Coomans. - Je ne puis laisser dire que j'ai dénaturé la pensée de l'honorable M. Prévinaire.

M. Prévinaire. - Vous l'avez mal comprise au moins.

M. Coomans. - Vous avez dit que je l'avais dénaturée, et c'est pourquoi je prends la parole.

La pensée que vous avez exprimée n'avait pas besoin d'être dénaturée pour être désapprouvée par la chambre. Vous avez dit que touti mpôt sur les denrées alimentaires était puisé à une source illégitime. Je vous ai répondu qu'alors vous déclariez illégitimes plusieurs lois de l'Etat.

Du reste, je n'ajouterai pas un mot de plus. J'attendrai l'honorable membre au vote prochain sur l'annexion des faubourgs à la capitale. Nous verrons si l'honorable membre persistera à dire que tout impôt sur les denrées alimentaires est puisé à une source illégitime.

M. Prévinaire (pour un fait personnel). - L'honorable membre a fait une question personnelle d'une question tout à fait générale.

M. Coomans. - J'en ai fait si peu une question personnelle que j'avais cité le nom de M. David.

M. Prévinaire. - J'accepte toujours la paternité de mes paroles et j'aurais, dans tous les cas, demandé la rectification de l'erreur commise par l'honorable M. Coomans ; je n'aurais pas voulu qu'il attribuât à mon collègue des expressions employées par moi, quelle qu'en eût dû être la portée.

Je dis, messieurs, qu'il est étonnant qu'au lieu de se borner au fait en lui-même, l'honorable M. Coomans vienne m'interpeller sur une question qui doit se présenter dans l'avenir ; si, de notre côté, nous voulions mettre l'honorable M. Coomans en contradiction flagrante avec ce qu'il vient de dire, rien ne nous serait plus facile, et je vais le prouver.

L'honorable membre en combattant la prorogation jusqu'au 31 décembre 1854 du régime de liberté complète que nous allons inaugurer, a dit à l'instant même que la réduction de l'impôt sur les denrées alimentaires ne devait pas amener de résultat pour les populations, que les prix ne baisseraient pas, et cependant il est l'adversaire le plus ardent des octrois municipaux et se pose comme l'adversaire-né de l'extension de l'octroi de Bruxelles aux faubourgs parce que, dans sa pensée, l'octroi doit fortement léser les habitants des faubourgs. N'est-ce pas là une contradiction flagrante ? J'en rends la chambre juge.

M. le président. - S'il n'y a pas d'opposition je mettrai d'abord aux voix l'amendement de M. Malou en réservant la date.

M. le ministre des affaires étrangères (M. H. de Brouckere). - Le gouvernement accepte l'amendement de M. Malou avec la date qui est dans notre projet.

M. le ministre des finances (M. Liedts). - Il me paraît que du moment où l'on n'est pas d'accord sur la date, il faut d'abord décider ce point. Si, par exemple, on substituait le 1er janvier 1855 au 31 juillet 1854 le gouvernement ne pourrait plus se rallier à l'amendement de M. Malou. Je pense que le mieux serait de voter d'abord sur l'amendement de M. David.

- L'amendement de M. David est mis aux voix ; il n'est pas adopté.

L'amendement de M. Osy est mis aux voix et adopté.

L'amendement de M. Malou est ensuite mis aux voix et adopté avec la date du 31 juillet 1854.

L'article premier, tel qu'il vient d'être amendé, est adopté dans son ensemble.

Article 2

« Art. 2. Sont approuvées les dispositions de l'arrêté royal du 13 octobre 1853.

« Sont prohibés à la sortie jusqu'au 31 juillet 1854, les pommes de terre, la fécule, les lentilles, les pois et les fèves (haricots). »

Amendement présenté par M. Dumortier :

« Je propose à la chambre de décider la prohibition de sortie des céréales en consommation et de leurs farines, en introduisant à l'article 2 du projet de la section centrale ces mots :

« Les céréales et leurs farines. »

Sous-amendement présenté par M. F. de Mérode :

« Je propose d'appliquer l'interdiction de sortie formulée par l'amendement de M. Dumortier aux bureaux limitrophes de la frontière de France, depuis Macon (canton de Chimay) jusqu'au point de jonction des frontières de la Belgique, de la France et du grand-duché de Luxembourg. »

M. Verhaegen a proposé de mettre :

« depuis Adinkerke jusqu'à Aubange » au lieu de : « depuis Maçon, etc. »

Amendement proposé par M. Boulez :

« 1° Le froment sera prohibé à la sortie, lorsque d'après la mercuriale régulatrice il aura atteint le prix de trente francs par hectolitre.

« 2° Le seigle sera également prohibé à la sortie, lorsque le prix aura atteint vingt francs par hectolitre.

« La loi existante du 22 février 1850 restera en vigueur lorsque le froment se vendra en dessous de 20 francs et le seigle en dessous de 15 francs par hectolitre.

« Cette mesure sera fixe et permanente. »

M. Rogier. - Messieurs, je désire présenter quelques observations sur la prohibition à la sortie des pommes de terre. Je ne (page 102) reviendrai pas sur la proposition de MM. Dumortier et consorts qui n'a plus, besoin, je pense, d'être combattue ; je veux seulement parler de la prohibition à la sortie des pommes de terre, qu'on a encore aggravée dans la section centrale, en y ajoutant les fèves et d'autres légumes. Si donc il y avait des orateurs inscrits pour traiter encore la question de la sortie des céréales, je leur céderais volontiers la parole.

M. Boulez. - Messieurs, comme il est parfaitement constaté que nous avons une insuffisance de récolle qui s'élèvera, d'après l'aveu de M. le ministre de l'intérieur à environ seize cent mille hectolitres, et, qui, comme je le crois, pourrait aller au-delà si toutes les populations avaient les ressources nécessaires pour se nourrir de pain, dont malheureusement une grande partie des classes laborieuses et des pauvres des Flandres sont souvent privés, n'ayant d'autres aliments que des navets et de carottes qu'ils enlèvent des champs au préjudice des cultivateurs,.

Dans cette situation si malheureuse et avec la certitude qu'il nous manquera des grains, on veut continuer à permettre la libre sortie sous prétexte de favoriser le commerce ou de ne pas l'entraver, ce qui, à mon avis, n'est pas à craindre pour le moment actuel, d'autant plus que lorsque les transactions offrent de l'avantage sur le prix de l'étranger, le commerce connaît trop bien ses intérêts pour ne pas en profiter.

Maintenant que les prix, les frets et les assurances sont très élevés dans tous les pays et qu'il manque des navires, si l'on continue à permettre la libre sortie des grains, c'est pour ainsi dire provoquer les exportations et nous exposer à une disette.

L'amendement que je propose tendrait à concilier tous les intérêts, à rassurer le commerce dans ses opérations lointaines, et établirait une loi définitive et invariable qui ne mettrait aucune entrave à l'importation ; en toute hypothèse, le commerce conserverait toujours le droit de déposer ses marchandises en entrepôt et de les transiter.

Ou pourrait même temporairement étendre les faveurs pour le commerce en accordant l'entreposage libre sans payer aucun droit ni frais.

Je propose donc une loi stable et permanente. Lorsque le froment aura atteint le prix de 30 fr. par hectolitre d'après la mercuriale régulatrice, l'exportation serait interdite, et pour le seigle lorsque le prix moyen s'élèverait à 20 fr. par hectolitre, il serait également prohibé à la sortie. Dans l'intérêt de l'agriculture, je propose en même temps lorsque le froment se vendrait en dessous de fr. 20 par hectolitre et le seigle en dessous de fr. 15 par hectolitre, que la loi du 22 février 1850 soit mise en vigueur. Par cette disposition le commerce aurait la certitude d'action pour les transactions lointaines et ne serait pas exposé à des mécomptes connaissant toujours son prix de revient ;; ainsi ces deux branches d'industrie, le commerce et l'agriculture, auraient chacune sa part davantage et de bien-être.

Je vous prie de remarquer, messieurs, que la France qui a des besoins immenses fait acheter les grains dans les campagnes, dans mes localités, à des prix plus élevés que le cours régulier du marché ; et au fur et à mesure que les grains sont battus ils sont enlevés.

Vous savez tous, messieurs, que le commerce des grains étant très odieux, dans les moments de crise, les marchands n'osent pas acheter aux marchés de crainte de s'exposer à des désagréments. Quant aux boulangers et aux consommateurs, lorsqu'ils sont obligés de s'adresser aux négociants pour acheter leurs provisions, ils doivent souvent mettre des prix plus élevés et payer des frais de transport pour des marchandises d'une qualité inférieure, tandis que chez le fermier ils ont presque toujours un bénéfice à la mesuré et alors leur marchandise est livrée dans leurs magasins.

D'après ces considérations, il me semble que le gouvernement et les chambres ont une responsabilité considérable à sauvegarder, c'est de prévenir la famine.

Messieurs, si par des circonstances imprévues la Fiance nous renvoyait les 50 ou 60 mille Belges qui sont dans le département du Nord, dans un moment où nous ne pourrions pas les nourrir, il en résulterait une grande calamité.

On m'objectera peut-être que ce serait nuire à l'agriculture que de prohiber les grains à la sortie. J'ai toujours été le défenseur de l'industrie agricole qui, sans aucun doute, est la plus utile du pays. Que veut l'agriculture ? Une juste rémunération de ses peines et de son travail. Il est évident que lorsque les denrées alimentaires sont chères, le fermier en profite dans le prix de vente, mais d'un autre côté, sa récolte est moindre, il est obligé d'entretenir une masse de pauvres et les propriétaires saisissent cette circonstance pour augmenter les fermages. D'ailleurs, messieurs, il n'est pas à supposer qu'il existe des cultivateurs assez barbares pour exposer leurs semblables à mourir de faim dans le but de s'enrichir. Le contraire existe chez nous, je pourrais en citer qui distribuent aux pauvres toute la partie de leurs récoltes en grains et pommes de terre dont ils n'ont pas besoin pour leur propre consommation.

J'ai lieu de croire que mon amendement aura de l'écho dans la chambre et que par cette mesure on pourra contenter tous les intérêts et prévenir les malheurs dont nous sommes menacés.

- La séance est levée à 4 heures et demie.