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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 3 février 1854

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1853-1854)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 575) M. Dumon procède à l'appel nominal à 1 heure et un quart.

M. Maertens donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est approuvée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dumon présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Le sieur Prosper Mangin, gendarme à cheval à Beeringen, né à Mersch (grand-duché de Luxembourg), demande la naturalisation ordinaire, avec exemption du droit d'enregistrement. »

- Renvoi à M. le ministre de la justice.


« L'administration communale d'Elouges prie la chambre d'accorder aux sieurs Hertogs et Hoyois la concession d'un chemin de fer de Gand à Bavay par Thulin. »

« Même demande du conseil communal et d'habitants d'Erquennes. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les sieurs Parlongue et Gérard, vice-président et secrétaire du bureau de la société des volontaires liégeois, demandent une récompense en faveur de ces volontaires. »

- Même renvoi.


« Les membres de l'administration centrale et des électeurs de Sunie demandent la création d'un tribunal de première instance à Philippeville ».

« Même demande des membres de l'administration communale et d'électeurs à Senzeilles. »

« Même demande du conseil communal d'Olloy. »

« Même demande des membres du conseil communal et d'électeurs de Florenne. »

« Même demande du conseil communal d'Orel. »

« Même demande des membres du conseil communal et d'électeurs de Pétigny. »

« Même demande des membres du conseil communal de Saint-Aubin. »

« Même demande des membres du conseil communal de Gimnée. »

« Même demande des membres du conseil communal de Samart. »

« Même demande du conseil communal et d'électeurs de Romezée. »

M. de Baillet-Latour. - Plusieurs pétitions nous sont déjà parvenues, tendant à l’établissement d'un tribunal à Philippeville. Je demande que la commission des pétitions soit invitée à nous faire un prompt rapport sur ces diverses requêtes.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Bourgeois, ancien sous-officier, demande un emploi ou une pension. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Le bourgmestre de Stambruges prie la Chambre d'examiner s'il n'y aurait pas lieu de voter un crédit destiné à venir en aide aux communes pauvres qui sont obligées de placer dans des hospices des aliénés indigents. »

- Même renvoi.


« L'administration communale de Rixensart demande que les houilles, les fontes et les fers soient soumis à un simple droit fiscal qui n'excède pas 10 p. c. de la valeur. »

« Même demande de l'administration communale de Limal. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi concernant le tarif des douanes.


« Des distillateurs agricoles à Hougaerde prient la Chambre de rejeter le projet de loi sur les distilleries, ou du moins de maintenir la remise de 15 p. c. qui est accordée aux petites distilleries. »

- Renvoi à la section centrale chargée d'examiner le projet de loi.


« Le sieur Hauchamp, président de l'association générale pharmaceutique, prie la Chambre d'insérer dans le projet de loi sur l'enseignement agricole une disposition portant que la pharmacie sera enseignée par un pharmacien diplômé. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.


« Plusieurs habitants de Nukerke demandent que la langue flamande ait sa part dans l'enseignement agricole et dans le projet de loi qui doit être présenté sur l'organisation des cours d'assises. »

« Même demande des sieurs Angillis, Vanderstichele et autres membres de la société littéraire de Rumbeke. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi sur l'enseignement agricole et à la commission des pétitions.


« Les sieurs Vanpachterbeke, Four et autres membres de la société dite Eendracht en Liefdadigheid, à Ninove, déclarent adhérer à la pétition du comité central flamand du 25 décembre 1853. »

« Même déclaration des sieurs Baert, Malisse et autres membres de la société littéraire dite de vereenigde Vrienden à Rumbeke. »

« Même déclaration de plusieurs instituteurs dans la Flandre orientale. »

« Même déclaration de quelques habitants d'Exaerde. »

« Même déclaration des sieurs Stroobant, Palmers et autres membres de la société dite de Wyngaerd à Bruxelles. »

- Même renvoi.


« Le sieur Van Damme présente des observations contre la disposition du projet de loi sur les administrations de bienfaisance, qui limite le mandat des receveurs et des secrétaires. »

- Renvoi à la section centrale qui sera chargée d'examiner le projet de loi.

Projet de loi accordant un crédit extraordinaire au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. Thiéfry. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la section centrale qui a examiné le projet de loi tendant à ouvrir au département de la guerre un crédit extraordinaire de 1,736,000 francs.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ce rapport et le met à la suite des objets à l'ordre du jour.

Proposition de loi ouvrant un crédit supplémentaire au budget du département de l’intérieur, pour délivrance de chaux à prix réduit

Lecture, développements et prise en considération

M. le président. - Les sections ont autorisé la lecture de la proposition qui a été déposée hier sur le bureau.

La parole est à M. d'Hoffschmidt, pour donner lecture de cette proposition.

M. d'Hoffschmidt. - « Article unique. Il est ouvert au département de l'intérieur un crédit de 75,000 francs destinés à délivrer de la chaux à prix réduit.

« (Signé) Léon Pierre, C. d'Hoffschmiut, Thibaut, Orban. »

M. le président. - La parole est à M. d'Hoffschmidt pour présenter les développements de cette proposition.

M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, après les longues discussions qui ont eu lieu dans cette enceinte sur l'utilité de la chaux pour la fertilisation des terres schisteuses de l'Ardenne, peu de mots suffiront pour justifier le projet de loi que nous avons l'honneur de soumettre à la Chambre. Ce n'est point une innovation que nous venons proposer, c'est tout simplement la continuation, pendant très peu d'années encore, d'une mesure que la Chambre elle-même a approuvée et sanctionnée à plusieurs reprises.

Nous ne voulons point non plus poser un principe d'économie politique et nous prononcer, en général, pour un système d'intervention du gouvernement dans les affaires privées.

Nous ne demandons qu'une chose, c'est qu'une mesure, qui a été appliquée depuis 1847 avec un immense succès, ne soit point paralysée dans ses heureux effets par un retrait brusque et inattendu du crédit destiné à la distribution de la chaux à prix réduit. Ce crédit ne devrait être prolongé que jusqu'à l'époque de la mise en exploitation du chemin de fe rdu Luxembourg dont l'exécution marche rapidement et nous fait espérer un prompt achèvement. Nous pensons, messieurs, que l'Ardenne est dans une position tout à (page 576) fait exceptionnelle, au point de vue de l’agriculture. Elle renferme encore plus de 200,000 hectares de terres incultes ; aucune autre province ne se trouve dans cette situation arriérée. Les efforts d’un gouvernement sage et éclairé doivent donc tendre à l’en faire sortir et à arriver, dans un avenir rapproché, à livrer à la culture, par les soins et les travaux de ses habitants, une immense étendue de terre qui peut fournir un large contingent à la consommation alimentaire du pays.

Le Luxembourg et une bonne partie des provinces de Namur et de Liège se trouvent aussi dans une position d'infériorité vis-à-vis des autres provinces du royaume. Elles possèdent des routes, il est vrai, mais jusqu'à présent elles sont entièrement privées des chemins de fer et de canaux, ces deux instruments si puissants de locomotion et d'économie.

Le gouvernement, messieurs, s'est toujours montré favorable à la mesure dont il s'agit ; il n'a point cessé de l'être ; hier encore il en reconnaissait la haute utilité par l'organe de M. le ministre de l'intérieur.

C'est que le gouvernement s'est entourée de lumières, il a étudié les faits, une enquête approfondie a eu lieu l'année dernière et tous ses éléments sont venus démontrer à l'évidence les bienfaits, les progrès remarquables réalisés dans l'agriculture ardennaise par suite des encouragements du gouvernement. Les pièces concernant cette enquête vous ont été remises, messieurs. Nous vous prions de vouloir vous les faire représenter, de les étudier avec soin, et nous ne doutons pas qu'elles ne portent dans vos esprits la conviction qu'il est indispensable de continuer encore la distribution de la chaux à prix réduit.

Permettez-nous, messieurs, de vous faire quelques citations qui abrégeront vos recherches et de signaler à votre attention les passages suivants de l'enquête.

« Le conseil provincial du Luxembourg déclare que, retirer le subside, ce serait arrêter au meilleur moment les progrès de la culture. Il charge la députation de renouveler ses instances près du gouvernement et au besoin près des chambres à l'effet d'obtenir qu'on continue à faire délivrer la chaux à prix réduit.

« Il nous serait impossible, dit la commission d'agriculture, d'énumérer tous les avantages que ce bienfait a produits. Le bruit qui s'est répandu que l'Etat pourrait bien abandonner désormais les cultivateurs à leurs propres ressources sous ce rapport a jeté l'alarme...

« Le voyageur qui autrefois a connu les Ardennes est étonné des progrès qui se font remarquer partout, grâce à la chaux cédée à prix réduit.

« Retrancher la subvention accordée, ce serait arrêter l'élan donné à l'agriculture. »

J'extrais au hasard des rapports des divers présidents des comices agricoles les observations suivantes :

« Cet amendement a fait faire des pas de géant au défrichement des Ardennes ; si le gouvernement cessait de distribuer de la chaux à prix réduit, le résultat serait déplorable pour toutes les Ardennes.» (page 22 de l'enquête.)

« L'effet de la chaux en Ardennes est merveilleux. Ses avantages sont immenses. Il est indispensable que le gouvernement continue le sacrifice de la remise sur la chaux. » (page 24.)

« Il est impossible de rendre compte de tous les résultats heureux et extraordinaires obtenus par l'emploi de la chaux. Cette mesure, qui avait d'abord rencontré d'ignorants contradicteurs, est aujourd'hui considérée comme un bienfait. » (page 25.)

« Retrancher la subvention accordée, ce serait arrêter l'élan de l'agriculture en Ardenne. » (page 25.)

« La mesure a produit d'admirables effets ; aucune n'a été aussi populaire et si favorablement accueillie. » (page 27.)

« Ce serait un mouvement rétrograde, très préjudiciable que l'on aurait à craindre, si le gouvernement retirait l'allocation accordée pour obtenir la chaux à prix réduit, et il y a lieu d'espérer que, loin de faire cette économie, on donnera, au contraire, plus d'extension encore à une amélioration dont on ne connaît pas assez toute la portée et qui est aujourd'hui passée en force de chose jugée. » (page 32.)

« La chaux mise à la portée d'une masse de petits cultivateurs, par la réduction du prix, a placé la petite culture dans la possibilité d'exploiter avec fruit le peu de bien qu'elle détient ; l'on voit là avec bonheur une quantité de pauvres familles qui ne récoltaient pas une gerbe, rentrer aujourd'hui des voitures de seigle et d'avoine, chose inconnue pour elle avant la délivrance de la chaux à prix réduit. » (Commission provinciale d'agriculture. » (page 16.)

« De malheureux prolétaires qui jamais n'avaient pensé à l'emploi de la chaux veulent tous à l'envi profiter du bienfait accordé. » (page 7.)

« Le comice agricole du dixième district de la province de Namur, réuni en séance générale, a l'honneur de vous exposer que la distribution de la chaux à prix réduit, accordée en faveur de l'agriculture de ce district, a produit les meilleurs effets ; grâce à la sollicitude du gouvernement, elle a contribué non seulement à réformer les assolements vicieux, à favoriser le défrichement et la mise en culture d'une forte étendue de terrains incultes, mais elle a provoqué un accroissement de ressources et de production en céréales en en légumineux, qui a soutenu la plupart des cultivateurs, la classe pauvre surtout, justement alarmée, contre les effets du fléau résultant de la maladie des pommes de terre.

« Ce sont les lumières et les connaissances agricoles qui ont fait défaut, c'est l'insuffisance des ressources. Aujourd'hui que ces éléments prennent naissance, que l'émulation se propage nous voyons ce sol produire au-delà de toutes les prévisions et nous émettons le vœu le plus sincère pour que le gouvernement continue, dans ce moment opportun, le plus largement possible, son action aussi sage, aussi généreuse que prospère, afin de ne pas perdre le fruit qu'elle a produit. » (page 41.)

Messieurs, c'est d'après l'invitation de la Chambre que nous lui avons soumis notre proposition. Nous la prions de l'apprécier avec cette impartialité et cet esprit de justice distributive qui la distinguent.

Ce n'est point une faveur locale que nous réclamons ; nous considérons la fertilisation des vastes landes incultes de l'Ardenne comme une œuvre d'intérêt général, de progrès et de civilisation.

- La discussion est ouverte sur la prise en considération.

Personne ne demandant la parole, la prise en considération est mise aux voix et prononcée.

M. le président. - La Chambre veut-elle renvoyer cette proposition à l'examen des sections ou à celui d'une commission ?

M. Rousselle. - Je demande que cette proposition soit renvoyée aux sections ; elle doit être examinée très attentivement. Je crois que, d'après les précédents, M. le ministre de l'intérieur devra déposer le compte de l'emploi des crédits accordés antérieurement. Je crois même que les lois de ces crédits portaient que M. le ministre devrait vous soumettre ce compte.

M. le président. - Quelle que soit la décision de la Chambre, les pièces pourront toujours être produites par M. le ministre.

- Le renvoi aux sections est ordonné.

Ordre des travaux de la chambre

M. Lesoinne (pour une motion d’ordre). - Messieurs, dans la séance du 19 janvier, M. le ministre des finances a présenté un projet de loi ayant pour but l'abaissement des droits d'entrée sur certaines matières premières.

Voilà donc quinze jours que le dépôt a eu lieu, et ce projet ne nous a pas encore été distribué. Je désirerais savoir quels sont les motifs qui en ont retardé la distribution.

M. le président. - Les pièces ont été envoyées à l'imprimeur et les épreuves adressées à M. le ministre des finances, qui ne les a pas encore corrigées. On lui fera part de l'observation de M. Lesoinne, et on accélérera l'impression autant que possible.

Projet de loi portant le budget du ministère de l’intérieur de l’exercice 1854

Discussion du tableau des crédits

Chapitre XI. Agriculture

Article 53

- La discussion continue sur l'article 53.

M. Desmaisières. - Messieurs, je crois vous avoir démontré hier, en m'appuyant sur les opinions de MM. les ingénieurs des mines et des ponts et chaussées chargés au département de l'intérieur de la direction des services dont il est question dans l'article 53, que l'administration des cours d'eau non navigables et non flottables, aussi bien que celle de toutes les branches de service public qui s'y rattachent, appartiennent aux attributions du département des travaux publics et non pas au département de l'intérieur. Je vais maintenant vous prouver avec la même évidence, je l'espère, par le simple exposé des faits, que cette administration peut exister au département des travaux publics de manière à produire les meilleurs effets pour le bien-être public et sans allocation aucune à porter de ce chef au budget de l'Etat.

Messieurs, déjà il existe (ce que semble ignorer l'ingénieur des ponts et chaussées chargé du service du drainage au département de l'intérieur), déjà il existe au département des travaux publics une administration des cours d'eau non navigables et non flottables, qui ne figure pas au budget de l'Etat, parce qu'étant organisée au profit des localités intéressées et à leurs frais elle n'occasionne aucune dépense pour le trésor public, et c'est probablement parce qu'il n'y a de ce chef aucune allocation au budget, que l'ingénieur des ponts et chaussées chargé du service du drainage a cru qu'il n'existait pas en Belgique de pareille administration.

Messieurs, cette question est beaucoup plus importante qu'on ne le croît, non seulement sous le rapport des intérêts généraux du pays que sous le rapport des dépenses portées au budget de l'Etat.

Il est vrai, messieurs, qu'à en juger par le chiffre au moyen duquel on veut faire entrer cette administration au budget, il semblerait qu'il ne dût en résulter aucune charge bien grave ; on ne vous propose, en effet, de ce chef qu'une petite somme de 4,000 francs. Mais je vais avoir l'honneur de vous lire un passage du rapport de M. l'ingénieur des mines chargé de l'inspection des chemins vicinaux auquel on veut aussi donner l'inspection des cours d'eau, et vous verrez qu'il s'agit d'arriver à des dépenses beaucoup plus grandes. Voici, messieurs, ce passage :

« En développant cette proposition, on trouvera, je pense, M. le ministre, la réponse à votre première question. L'extension à donner, sur cet objet, à mes attributions pourrait donc, je pense, être formulée comme suit :

« L'inspecteur de l'agriculture et des chemins vicinaux fera dresser un plan et un nivellement des ruisseaux et rivières non navigables ni flottables ; ce nivellement sera rattaché au nivellement général du Royaume ; il sera étendu au réseau de la voirie vicinale. Pendant son exécution, l'inspecteur fera étudier, s'il y a lieu, les moyens d'améliorer (page 577) le régime de ces cours d'eau et de tirer parti de chacun d'eux au profit des chemins vicinaux et de l'agriculture :

« A. En favorisant l'écoulement des eaux stagnantes des chemins, fanges, terres marécageuses, etc., dans les cours d'eau ;

« B. En employant les eaux aux irrigations des terres que cette opération serait de nature à améliorer ;

« C. En créant des chutes propres à servir de moteurs pour les opérations d'agriculture proprement dites ou de technologie agricole ;

« D. En recherchant les moyens de s'opposer aux inondations ou bien d'en paralyser ou d'en diminuer les effets désastreux.

« Quaud il aura été reconnu, par suite des études qui viennent d'être indiquées, que certaines propriétés sont intéressées à des travaux communs d'assèchement ou d'irrigation, l'inspecteur de l'agriculture et des chemins vicinaux fera procéder, avec l'autorisation du ministre de l'intérieur, à l'accomplissement des formalités préalables à la constitution d'une wateringue, c'est-à-dire qu'il fera dresser, par province et par commune, le tableau desdites propriétés ; il fera préparer, en même temps, le projet détaillé des travaux d'assèchement ou d'irrigation à exécuter, et transmettra le tout au département de l'intérieur.

« L'inspecteur fera de même dresser les projets dont l'exécution serait reconnue utile pour la création des chutes, ou pour s'opposer aux débordements ou à leurs ravages, et il les transmettra de même au département de l'intérieur.

« Tous les travaux dont l'exécution aura été décidée à la suite des études sus-mentionnées, auront lieu sous la direction du service de l'inspection.

« Enfin, la surveillance pour la conservation, l'entretien, et au besoin le perfectionnement desdits travaux, sera exercée par l'inspecteur et les fonctionnaires sous ses ordres.

« Telles sont, Monsieur le Ministre, les additions dont la partie de mon service relative aux cours d'eau pourrait être l'objet. »

Vous le voyez, messieurs, il s'agit là de créer en quelque sorte un nouveau ministère des travaux publics au département de l'intérieur. M. l'ingénieur des mines, chargé de l'inspection des chemins vicinaux, et auquel on veut attribuer aussi le service des cours d'eau, vous signale l'institution des wateringues comme un moyen d'obvier aux inondations et aux effets désastreux que peut produire le régime des cours d'eau mal dirigé. Eh bien, c'est précisément cette institution des wateringues qui existe au département des travaux publics pour une très grande partie du pays. Ce qui est à remarquer dans cette institution, c'est qu'elle ne donne lieu à aucune allocation portée au budget de l'Etat. Les dépenses et l'administration sont locales, et le gouvernement n'exerce qu'un droit de haute surveillance et de direction.

C'est probablement, comme je le disais tout à l'heure, par suite de cette circonstance, que l'ingénieur des ponts et chaussées chargé des irrigations dans la Campine et l'ingénieur des mines chargé du service des cours d'eau, ont cru que ces administrations n'existaient pas.

Messieurs, l'institution des wateringues date d'un temps immémorial dans notre pays ; il faudrait remonter bien haut pour assigner l'époque à laquelle cette institution a commencé ; elle est née des polders ; et pour que je puisse être bien compris par les honorables membres élus dans des provinces qui ne possèdent ni polders ni wateringues, permettez-moi de vous en donner la définition.

Les polders sont des terrains bas conquis sur la mer par l'agriculture. Ce sont les terres les plus fertiles que nous possédions dans notre pays. Mais pour qu'elles puissent rester fertiles, il est nécessaire d'empêcher l'eau de la mer de les envahir. Car, du moment que l'eau de la mer y peut pénétrer, elles sont rendues stériles pour un bien grand nombre d'années.

Il est, d'un autre côté, nécessaire de pouvoir aussi les débarrasser des eaux douces et stagnantes qui arrivent de toutes parts sur ces terrains bas par les cours d'eau non navigables et non flottables. On obtient ces deux conditions au moyen de travaux d'endiguement et de rigoles et d'écluses d'assèchement. Ces écluses sont tenues fermées pendant la marée montante afin d'empêcher avec les digues établies l'eau de mer de pénétrer sur ces terrains. Elles sont ouvertes ensuite à la marée basse afin d'écouler les eaux douces qui arrivent, comme je viens de le dire, sur ces terrains par les voies non navigables et non flottables.

Les wateringues sont des associations de propriétaires de ces polders, de propriétaires intéressés qui se réunissent en administrations communes et exécutent en commun et à frais communs, dans l'intérêt commun, des travaux d'endiguement et d'écoulement des eaux.

Voilà, messieurs, des administrations de cours d'eau non navigables et non flottables qui existent en Belgique, depuis un temps immémorial, et qui ont toujours été, quant à la haute surveillance et à la direction, dans les attributions du département des travaux publics.

Maintenant, nous n'avons pas seulement dans notre pays les wateringues instituées pour les polders, nous avons une loi de 1846 qui a décrété l'institution de waleringues dans les vallées de l'Escaut, de la Lys et de la Dendre.

L'article 4 de la loi du 18 juin 1846, qui a décrété le creusement du canal de Schipdonck, a autorisé en même temps le gouvernement à faire un règlement d'administration publique pour l'institution et l'organisation d'administrations de wateringues dans l'intérêt de l'assèchement et de l'irrigation des vallées de l'Escaut, de la Lys et de la Dendre.

C'est le département des travaux publics qui a présenté ce projet de loi aux Chambres et qui a été nécessairement chargé de l'exécution de la loi par un règlement.

Un arrêté royal du 9 décembre 1847, contresigné par le ministre de travaux publics, a décrété un règlement d'administration publique pour l'institution et l'organisation d'administrations de waleringues, dans l'intérêt de l'assèchement, de l'irrigation et de l'amélioration des rives et des vallées de l'Escaut, de la Lys et de la Dendre.

Voici, messieurs, quelles sont les principales dispositions de ce règlement.

A l'article 3 de ce règlement général d'administration publique, il est dit que lorsque la demande d'institution d'une wateringue est faite, le ministre des travaux publics en arrête la circonscription provisoire.

A l'article 4, que les bourgmestres et les propriétaires de la circonscription provisoire sont convoqués en assemblée générale par le gouverneur de la province et sous sa présidence.

A l'article 5, que l'assemblée générale rédige un règlement d'ordre et d'administration intérieure, et donne son avis sur la circonscription provisoire qui est arrêtée ensuite définitivement par le gouvernement.

L'article 6 indique les dispositions obligatoires à insérer dans le règlement d'ordre.

En voici les principales :

a. Le gouvernement a le droit d'assister aux asssemblées générales.

b. Les bourgmestres de la circonscription font de droit partie de l'assemblée générale avec voix délibérative.

c. Les membres de l'administration sont nommés par le Roi sur une liste de trois candidats présentés par l'assemblée générale et soumise à l'avis de la députation permanente.

d. Les résolutions de l'assemblée générale ne sont exécutoires qu'après approbation de la députation permanente.

e. Le recouvrement des impositions votées s'opère comme en matière de contributions directes.

f. Les comptes et budgets sont soumis chaque année à l'approbation de la députation permanente.

g. Les ouvrages qui ont pour objet l’établissement de nouvelles voies d'écoulement ou d'irrigation, de supprimer ou de changer les voies existantes ainsi que les changements de circonscription, ne peuvent être exécutés sans autorisation royale, la députation permanente entendue.

h. Tous autres ouvrages peuvent être exécutés en vertu d'autorisation de la députation permanente.

i. L'ingénieur en chef des ponts et chaussées est chargé de la haute surveillance des travaux.

Vous le voyez, messieurs, voilà pour les vallées importantes de l'Escaut, de la Lys et de la Dendre tout un service d'administration des cours d'eau non navigables et non flottables qui est organisé en vertu de la loi du 18 juin 1846.

Eh bien, messieurs, quoique le canal de Schipdonck ne soit pas encore achevé, quoique les redressements à faire sur le cours de l'Escaut supérieur ne soient pas encore terminés, déjà un assez grand nombre de wateringues ont été instituées dans les différentes parties de cette vallée, et entre autres, comme j'ai eu déjà l'honneur de le dire à la Chambre dans une autre circonstance, une de ces wateringues, celle de Melden, dont fait partie un honorable membre de cette Chambre, recueille déjà le fruit des travaux peu coûteux que les propriétaires intéressés, qui font partie de cette wateringue, ont exécutés à frais commun, et sans demander aucune allocation an budget de l'Etat. Déjà les terres comprises dans cette wateringue se trouvent à l'abri des inondations.

Vous le voyez donc, messieurs, non seulement l'administration des cours d'eau non navigables et non flottables peut être organisée, dirigée et surveillée par le département des travaux publics, mais encore elle peut l'être sans frais aucun, sans allocation aucune pour le budget de l'Etat ; et ce qui se fait pour les vallées de l'Escaut, de la Lys et de la Dendre, doit pouvoir se faire pour toutes les autres vallées du pays.

Messieurs, je terminerai ici mon discours, et comme conclusion j'engagerai MM. les ministres de l'intérieur et des travaux publics à vouloir examiner ensemble sérieusement cette question importante, et à venir ensuite, au budget de 1855, nous faire des propositions à cet égard. En attendant, j'ose espérer de la bonne foi et du désir de bien administrer que je reconnais exister chez l'honorable ministre de l'intérieur, qu'il voudra bien consentir à ce que les choses restent au budget de 1854 dans le statu quo de 1853.

M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - Messieurs, le crédit demandé à l'article 53 par le gouvernement s'élève à 44,400 fr. Ce crédit est destiné à trois services qui soulèvent des questions qui leur sont propres. Il y a une certaine connexité entre eux, en ce sens qu'ils concernent tous les trois des travaux hydrauliques ; mais ce sont en réalité des services différents, et pour mettre un peu d'ordre dans la discussion, Je désirerais que la Chambre consentît à scinder la discussion : l'on pourrait commencer par discuter les questions que soulève le service du littera a qui concerne l’inspection agricole à laquelle en veut annexer les cours d'eau ; on pourrait ensuite passer au service de la Campine et terminer par le service du drainage.

Je demande donc trois discussions distinctes et trois votes distincts.

M. de Perceval. - Je ne pense pas que la question soit assez importante pour faire l'objet de trois discussions distinctes.

Je demande que la discussion continue sur tout l'article et qu'elle embrasse les trois litteras.

(page 578) - La proposition de M. de Man tendant à avoir une discussion et un vote distinct sur chaque litléra est mise aux voix et adoptée. La discussion est ouverte sur le littera a.

« a. Inspection de l'agriculture, des chemins vicinaux et des cours d’eau : fr. 13,000. »

- La section centrale propose de réduire le chiffre à 9,000 fr.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Messieurs, dans ce service, la seule modification qu'il s'agisse d'introduire d'après les propositions du gouvernement, c'est de voter un crédit nouveau de 4,000 fr. en apparence et de 2,000 fr. en réalité, ainsi que tout à l'heure je le démontrerai, pour organiser d'une manière convenable le service des cours d'eau non navigables et non flottables.

Il m'est impossible de m'associer à la pensée que vient d'exprimer l'honorable M. Desmaisières quand il propose au gouvernement de se borner cette année à maintenir les choses sur le pied où elles étaient lors du budget dernier, et d'attendre le budget de 1855 pour formuler une proposition d'accord avec M. le ministre des travaux publics.

Messieurs, à plusieurs reprises la Chambre et le Sénat particulièrement ont exprimé le désir que le gouvernement fît faire une étude spéciale du régime des cours d'eau non navigables ni flottables, et qu'il s'appliquât à les utiliser, autant que possible, dans l'intérêt de l'agriculture. C'est lors de la discussion du budget de l'exercice dernier, que cette pensée a été formulée par la commission du Sénat dans les termes les plus positifs et les plus pressants.

Déjà, depuis quelque temps, l'attention du gouvernement s'était portée sur la nécessité de tirer parti de ces cours d'eau, et un travail qu'il a demandé sur ce point à M. l’inspecteur général du service de l'agriculture, l'a déterminé à adopter la proposition qui vous est aujourd'hui soumise.

Messieurs, il y a deux choses à faire pour que le service des cours d'eau soit établi d'une manière conforme aux intérêts de l'agriculture. Il faut d'abord prescrire la levée d'un plan général de tous les cours d'eau, et en second lieu indiquer les travaux qui pourront être exécutés dans le but d'approprier l'utilité de ces cours d'eau aux différents besoins de l'agriculture.

Mais avant de m'expliquer sur ce point, j'ai besoin de rencontrer les observations qui ont été présentées par l’honorable M. Desmaisières sur l'inutilité, selon lui, de tenir ce service au département de l'intérieur et sur la nécessité, au contraire, de le réunir au département des travaux publics.

Messieurs, pour bien apprécier l’impossibilité de faire accueil à la proposition de l'honorable M. Desmaisières, il me suffira de vous rendre attentifs à la nature des cours d'eau et au régime légal et administratif sous lequel ils sont placés aujourd hui.

Les cours d'eau, vous le savez, sont de deux espèces : les uns appartiennent au domaine public et sont administrés ou peuvent être administrés par l'Etat. Les autres n'appartenant pas au domaine public, sont placés sous le régime des administrations provinciales, quant à la police, quant à la direction et surtout, ce qui est important à noter, quant à la dépense.

Les cours d'eau non navigables ni flottables sont de cette dernière catégorie. Ils sont placés sous la direction des administrations provinciales ; ce sont les agents voyers qui font la police de ces cours d'eau, qui en ont la surveillance générale, et ces agents voyers sont eux-mêmes des agents émanés de l'autorité provinciale sur lesquels le gouvernement n'exerce d'autre action qu'une surveillance supérieure, et pour lesquels il accorde quelques indemnités, 100 francs par an par commissaire-voyer.

Messieurs, pourquoi voudrait-on renvoyer ce service au département des travaux publics, qui n'a jamais rien eu à démêler avec les cours d'eau non navigables ni flottables ? Est-ce pour centraliser ? Est ce pour imposer à l'Etat une charge nouvelle qui résulterait inévitablement du déplacement d'attributions ? Car il est impossible de supposer que les ingénieurs des ponts et chaussées pourraient se charger en même temps de ce service nouveau et de tous ceux qui leur incombent aujourd'hui. Serait-ce pour ramener plus d'ordre dans la direction et dans l'exécution des travaux ? Mais, messieurs, il n'est pas besoin de recourir pour cela au département des travaux publics. Les fonctionnaires qui sont chargés de la surveillance et que nous proposons d'en charger d'une manière définitive, suffisent à tous ces besoins, et ils suffisent sans devoir recourir à aucune charge nouvelle à imposer à l'Etat.

Voudriez-vous, pour éviter de créer de nouveaux ingénieurs du département des travaux publics chargés de la direction des cours d'eau, utiliser les agents voyers qui sont chargés aujourd'hui de ce service et qui doivent en rester chargés ? Ce serait amener une véritable confusion administrative. Ces agents ressortissent au département de l'intérieur, aux administrations provinciales. A quel titre les attacheriez-vous au département des travaux publics qui ne les paye pas, qui n'a pas d'ordre à leur donner ? Les administrations provinciales seules, qui les payent, ont une action à exercer sur ces agents voyers, et je dois déclarer à la Chambre que dans l'instruction à laquelle cette affaire a été soumise, les administrations provinciales, consultées, ont émis, à l'unanimité, l'avis que le service dont il s'agissait devait rester provincial, et qu'elles ne consentaient en aucune façon à le laisser ressortir au département des travaux publics.

Il y a donc sous ce rapport, à moins qu'on ne change complètement la législation, une véritable impossibilité à ce qu'on amène aujourd'hui cette confusion d'attributions entre les deux départements intéressés, en plaçant les agents de l'un sous la direction de l'autre.

Messieurs, que faut-il donc faire ?Il faut, remontant à la législation qui s'est occupée la première fois des cours d'eau et qui date de 1830, appréciant cette institution tout à fait provinciale, appréciant surtout cette circonstance que l'Etat ne supporte aucune dépense de ce chef, examiner s'il est utile de créer une nouvelle catégorie d'employés et d'imposer de nouvelles charges à l'Etat, ou bien s'il vaut mieux laisser les choses dans la situation où elles se trouvent, comme le propose le gouvernement.

Mais alors, dit-on, pourquoi grever l'Etal d'une nouvelle dépense de 4,000 francs ? Messieurs, la dépense a pu être limitée à 4,000 francs, parce que le département de l'intérieur a pensé qu'il était possible d'utiliser au service des cours d'eau non-navigables ni flottables le personnel dont il dispose déjà pour le service des chemins vicinaux.

Ceci, messieurs, m'amène à cette observation, capitale dans la question, qu'il y a relation intime entre les intérêts qui se rattachent au service des chemins vicinaux et les cours d'eau non navigables ni flottables. Ces deux services ne peuvent être séparés, parce qu'ils ont l'un et l'autre un but essentiellement agricole, et parce que quand on a amélioré les chemins vicinaux, on doit nécessairement tendre à améliorer aussi des cours d'eau qui peuvent exercer une influence si favorable sur l'agriculture.

Comment, messieurs, le gouvernement compte-il atteindre le but que je viens d'indiquer ? Tout simplement en attachant un fonctionnaire nouveau au service de l'inspection, et ce fonctionnaire est un sous-ingénieur.

Voici, messieurs, quelle est aujourd'hui la composition du personnel de l'inspection agricole et des chemins vicinaux.

Il y a un inspecteur général dont le traitement, les indemnités de route, y compris les frais de bureau dépendants de ce service, importent une somme de 9,000 fr. L'inspecteur dispose en outre d'un sous-ingénieur, qui a été emprunté jusqu'à présent du service du défrichement. Cela faisait une somme de 11,000 fr.

Il lui faudrait, dans les limites les plus étroites pour pouvoir accomplir le nouveau mandat qui lui serait imposé en ce qui concerne les cours d'eau, il lui faudrait un second sous-ingénieur, également au traitement de 2,000 fr. Ceci explique comment l'augmentation de crédit proposée, qui est en apparence de 4,000 fr., ne s'élève en réalité qu'à 2,000 fr. En effet, messieurs, indépendamment des 9,000 fr. alloués à l'inspection générale, il dispose, comme je l'ai dit, d'un sous-ingénieur au traitement de 2,000 francs ; or, le crédit des défrichements sur lequel ce sous-ingénieur a été payé jusqu'à présent, est épuisé, et c'est pour cela qu'au lieu de 2,000 francs nous en demandons 4,000.

Messieurs, je ne sais comment on peut nourrir l'espoir d'entraîner la Chambre à sanctionner une confusion d'attributions comme celle qui est proposée par l'honorable M. Desmaisières. Il n'y a pas 15 jours, dans cette enceinte, s'occupant des cours d'eau en général, on soutenait au nom des différents provinces intéressées que l'Etat devait reprendre autant que possible les différents cours d'eau, et la Chambre refusant de s'associer à ce projet se prononça tout simplement pour la reprise par l'Etat de trois cours d'eau.

Voilà ce que la Chambre a décidé tout récemment, et aujourd'hui l'on voudrait, d'une manière indirecte, faire reprendre par l'Etat tous les cours d'eau non navigables ni flottables. Quelle serait, en effet, messieurs, la conséquence de la réunion au département des travaux publics du service des cours d'eau non navigables ni flottables ? Ce serait, nécessairement, à une époque plus ou moins éloignée, de forcer l'Etat à s'emparer de cette administration et de faire tomber, par conséquent, à la charge de l'Etat toutes les dépenses nécessaires pour l'amélioration des cours d eau. Voilà le résultat que la pente naturelle des choses amènerait infailliblement.

Est-ce pour en venir là, messieurs, qu'il faut créer une confusion d'attributions entre deux départements, alors qu'il existe un service parfaitement organisé et qui peut, avec une dépense nouvelle de 2,000 francs, produire des résultats meilleurs que ceux qu'on obtiendrait par le système de l'honorable M. Desmaisières ?

Et où est, messieurs, le grand intérêt qui exige cette réunion au département des travaux publics du service des cours d'eau ?

Existe-t-il en faveur de cette réunion des nécessités d'art ou d'intérêt financier ? Sous le rapport de l'intérêt financier, je vois d'abord une augmentation de personnel et, dans l'avenir, des conséquences très graves, des charges nouvelles très considérables.

Sous le rapport de l'art, que s'agit-il de faire ? Lever les plans de tous les cours d'eau, puis indiquer successivement les travaux qui pourront être exécutés avec le concours des provinces, des communes et des particuliers, pour que les cours d'eau cessent d’être nuisibles et produisent au contraire de bons résultats pour l'agriculture dans un grand nombre de contrées.

Voilà, messieurs, ce que j'avais à dire sur la proposition de l'honorable M. Desmaisières et sur l'utilité du service des cours d'eau lui-même. Je pense avoir démontré qu'on ne peut pas tarder davantage à mettre un peu d'ordre dans une situation où tant d'intérêts se trouvent compromis par la mauvaise direction des cours d'eau. Sous le rapport de la (page 379) dépense, j'ai expliqué comment il ne s'agit que d'une augmentation de 2,000 fr. pour que les cours d'eau soient l'objet d'un travail régulier et d'une direction uniforme ; je pense qu'en présence des résultats que vous voulez obtenir et de ceux que le Sénat a signalés la dépense proposée est extrêmement minime et que la Chambre ne peut pas se dispenser de l'accorder.

M. Rodenbach. - Messieurs, de toutes les dépenses portées au budget, celle que M. le ministre vient de défendre, me paraît la plus utile, d'autant plus que, comme il vient de le dire, il ne s'agit que d'une bagatelle de 2,000 francs. Je dois donc énoncer une opinion tout à fait contraire à celle de l'honorable M. Desmaisières. L'honorable M. Desmaisières a dit que, de temps immémorial, l'administration des ponts et chaussées a été chargée des cours d'eau navigables et flottables ; eh bien, moi, je me rappelle que depuis un demi-siècle, cette administration n'a rien fait de bon pour les cours d'eau de cette catégorie.

Tous les ans, en Flandre et notamment dans le district de Roulers et Thielt, nous avons eu des inondations et débordements qui ont fait un tort immense aux riverains. Je puis citer dans la Flandre occidentale une foule de localités où les inondations ont ruiné complètement de petits fermiers.

Les ingénieurs des ponts et chaussées sont restés inactifs. Lorsqu'on réclamait auprès du gouverneur, le gouverneur répondait que ce n'était pas de sa compétence et qu'il n'avait pas de crédit spécial pour de pareilles dépenses.

Quand on s'adressait aux ponts et chaussées, cette administration à son tour disait que de pareils travaux n'entraient pas dans leurs attributions.

Voilà pourquoi on n'a pour ainsi dire rien fait dans notre Flandre en faveur des cours d'eau non navigables.

Maintenant on veut avec une somme minime de 2,000 francs porter un remède à ces abus. Je ne comprends pas pourquoi on s'opposerait à cette allocation. Serait-ce par des motifs d'économie ? Mais si nous transférions ce service au département des travaux publics, on courrait le risque de dépenser énormément d'argent, car nous savons tous que l'économie n'est pas la vertu de l'administration des ponts et chaussées.

J'appuie donc de toutes mes forces la proposition de M. le ministre de l'intérieur ; le chiffre fût-il plus élevé, je l'appuierais encore ; en le votant, nous ferons une véritable économie. En ma qualité de bourgmestre, je sais à quels graves inconvénients donnent lieu les cours d'eau non navigables ; preuve le Mandel dans mon arrondissement. Pour ces divers motifs, il convient que les cours d'eau non navigables et non flottables soient de la compétence des gouverneurs et des commissaires-voyers. En agissant ainsi on fera acte de bonne administration.

M. de Theux. - Messieurs, il me semble que les difficultés que fait naître la question en discussion proviennent de ce que l'objet n'est pas suffisamment expliqué et défini.

On demande : au littéra a, 13,000 fr. pour l'inspection de l'agriculture, des chemins vicinaux et des cours d'eau ; au littéra b, 22,400 fr. pour le service des défrichements en Campine ; au littéra c, 9,000 fr. pour le service du drainage.

Les cours d'eau relèvent de l'administration des ponts et chaussées ; quand il s'agit des ruisseaux et rivières sur lesquels des usines peuvent être établies ; ce sont les ponts et chaussés qui ont été chargés par les administrations provinciales de lever les plans, etc., parce que cela revêt un caractère d'utilité générale.

Les cours d'eau relèvent encore de la police locale et provinciale. C'est à ce titre que les bourgmestres et les commissaires-voyers sont chargés de ce service.

Il y a trois autres points de vue auxquels on peut rattacher le service des cours d'eau : 1° Faciliter la création de nouvelles usines, en créant des chutes suffisantes pour les faire mouvoir sur les cours d'eau qui n'en sont pas susceptibles ; 2° utiliser ces eaux pour irrigation, créer par conséquent de nouvelles prairies et améliorer certaines terres ; 3° faire évacuer les eaux, pour faciliter le service du drainage.

J'ai lu un ouvrage qui a été couronné par l'Académie des sciences et qui avait pour objet d'examiner l'utilité qu'on pouvait tirer en Belgique des petits cours d'eau qui sillonnent le pays. Dans cet ouvrage, on présente tout un système. Il faut faire d'abord le plan général et le nivellement des cours d’eau, réaliser toutes les améliorations possibles à ces cours d'eau, dans le but, soit de créer des chutes pour faire mouvoir des usines, soit d'utiliser les eaux pour des irrigations. C'est donc là un ensemble.

Mais si c'était le but que le gouvernement a en vue, il lui faudrait, non pas 2,000 fr. mais un gros capital ; il s'agirait d'exécuter un grand travail.

Eu égard à la faible somme que le gouvernement demande, il paraît que tel ne peut pas être son plan ; eh bien, je crains qu'on ne crée un service boiteux, qui ne fera pas éviter les inondations, contrairement à l'espoir qu'a exprimé l'honorable M. Rodenbach ; cette question ne me paraît pas arrivée à maturité d'examen ; nous sommes sans indication précise du but que le gouvernement poursuit.

C'est un employé du service des défrichements en Campine qui a été chargé de faire quelques reconnaissances ; eh bien, si c'est là ce que le gouvernement a principalement en vue, la somme qu'il demande devrait être rattachée au litt. b : s'il s'agit de la police des eaux, elle est toute créée, elle est dans les mains des bourgmestres, des commissaires-voyers et des députations permanentes ; s'il s'agit des usines, ce service est dans les mains des ponts et chaussées ; s'il s'agit d'améliorer les chemins vicinaux, eh bien, les commissaires-voyers examineront aujourd'hui ce qu'il y a à faire des cours d'eau ; cela rentre dans leurs attributions naturelles.

Je ne vois réellement qu'une seule spécialité utile, ce serait de majorer le crédit affecté au service du défrichement et d'examiner successivement s'il y a des cours d'eau dont on peut tirer parti pour les irrigations et quelles seraient les mesures à prendre à cet égard.

Quant au drainage, il est évident encore qu'il n'y a qu'une seule chose à faire, c'est d'observer toutes les règles de police pour l'écoulement des eaux.

Si on formait un crédit spécial du chiffre qu'on a rattaché au littera a, dans le but de faire dresser le nivellement des cours d'eau, de provoquer un rapport sur toutes les améliorations qu'on peut y apporter, et de rechercher le moyen de pourvoir à la dépense, je comprendrais la chose ! Ce serait un très grand service ; il faudrait, pour y faire face, non pas 2,000 ou 4,000 fr., mais une somme très considérable.

J'engage donc M. le ministre de l'intérieur, pour le cas où sa pensée serait d'arriver à ce grand résultat, à s'entendre avec son collègue du département des travaux publics, pour voir dans quelle mesure les ingénieurs des ponts et chaussées peuvent prêter leur concours à ces travaux de nivellement, l'administration des ponts et chaussées avant à son service les seuls agents capables de faire un semblable travail avec fruit.

Quant à l'utilité que l'agriculture pourrait tirer de ces travaux, cela concerne le département de l'intérieur, et c'est à ce point de vue encore qu'il devrait y avoir accord entre les deux départements. .

L'un devrait faire les travaux d'art, l'autre donner les indications au point de vue des améliorations agricoles.

Dans l'état actuel, je ne vois que confusion, car rien n'est défini ; tout ce que je vois c'est qu'on va commencer par organiser un service qui prendra de l'extension sans mesures bien combinées, sans utilité bien réelle. Dans cette situation, je serais d'avis d'ajourner le crédit, à moins que M. le ministre ne trouve utile de majorer le service du défrichement et de se borner à cette spécialité, de voir l'utilité qu'on pourrait tirer des divers cours d'eau au point de vue des irrigations.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je crois que le moment est venu de donner une organisation régulière et définitive à ces divers services dont le but est bien précisé dans les documents qui ont été distribués à la Chambre. Ce but, je vais le rappeler en peu de mots : Le service des défrichements est créé ; il affecte plusieurs provinces ; à côté du service des défrichements, ou a pensé qu'il fallait créer un autre service, celui des cours d'eau qui s'étend à toutes les localités du royaume, on a voulu un plan général de tous les cours d'eau et rechercher les moyens de les utiliser au profit de l'agriculture ; et en second lieu de les empêcher de nuire aux vallées qu'ils parcourent. Pour atteindre ce double but qui n'est pas si compliqué qu'on se l'imagine, on a demandé quels agents on comptait employer ?

L'honorable M. de Theux pense que, pour organiser ce service d'une manière profitable, il faudrait des fonds plus considérables que ce que demande le gouvernement.

Le département de l'intérieur pense le contraire, et il estime qu'avec une dépense très restreinte il obtiendra les résultats utiles qu'il a eu vue.

Son projet est de faire procéder à la levée d'un plan général de tous les cours d'eau du pays et de préparer les mesures propres à les utiliser dans l'intérêt de l'agriculture.

M. de Theux. - Vous ferez tout cela avec 2,000 fr. ? C'est admirable !

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Permettez-moi de vous expliquer comment. J'ai dit que, pour atteindre le but qu'il s'était proposé, le département de l'intérieur avait plusieurs éléments propres à organiser ce service.

Il dispose d'abord de l'inspecteur de l'agriculture et des chemins vicinaux. Cet inspecteur peut réunir à son service, considérable déjà, celui des cours d'eau ; il le peut en utilisant les agents qu'il posséde et en s'adjoignant un sous-ingénieur et un employé.

Eh bien, d'une part ce service coûte 9,000 fr. pour l'inspection, il faudra 2,000 fr. pour le sous-ingénieur à lui attacher et deux autres mille francs pour compléter le personnel que l'inspecteur demande. Il aura à sa disposition un employé appartenant au service de la voirie qui ne sera pas payé sur les 13,000 fr., mais sur le service de la voirie vicinale à laquelle il est spécialement attaché.

Le gouvernement a demandé à ce fonctionnaire supérieur un rapport motivé contenant ses vues et ses propositions sur le mode d'organisation de ce service, et après une étude approfondie de la questiou, M. l'inspecteur des chemins vicinaux a émis l'avis qu'on pouvait, avec le concours des agents auxiliaires dont j'ai parlé, le charger du service nouveau dont il s'agit.

En outre tous les agents voyers du royaume concourront à l'exécution des plans et des travaux et à la surveillance des cours d'eau. Ce n'est donc pas avec deux mille francs seulement, mais avec le personnel dont il dispose, et en utilisant les services des agents des provinces, qu'il accomplira sa tâche.

Mais pour avoir le concours des agents des provinces, il faut que ce service reste dépendant du département de l'intérieur, car si vous (page 580) l’organisez en dehors de ce département tous les auxiliaires vous échappent, notamment les agents voyers. Ne croyez pas non plus qu’il soit nécessaire, comme on l'a dit, de recourir aux ingénieurs de l'Etat pour lever des plans ; les agents voyers sont tous capables de faire ce travail ; ils s'en occupent depuis quelque temps déjà ; ils continueront à le faire sous la surveillance de l'inspecteur de l'agriculture.

C'est un point facile à régler avec les administrations provinciales qui ne consentiront pas à détacher ces agents pour les faire passer dans les attributions d'un département autre que celui de l'intérieur.

En examinant avec quelque attention le but et les moyens, vous voyez qu'ils ne sont pas aussi restreints que l'honorable comte de Theux l'a pensé, et qu'on parvient enfin à organiser une bonne direction de travaux sans une dépense considérable.

La Chambre peut s'en rapporter avec quelque confiance à l'opinion du gouvernement qui a fait étudier la question et qui ne s'est décidé qu'après avoir recueilli l'avis de tous les hommes compétents en cette matière, et notamment des ingénieurs de l'Etat.

Ne serait-il pas étrange, messieurs, que lorsque le gouvernement, qui a la responsabilité d'un service, vient vous déclarer qu'avec un système d'intervention restreinte et peu coûteuse, il peut réaliser un projet que les Chambres ont recommandé à son attention, on lui imposât en quelque sorte une organisation plus complète et beaucoup plus dispendieuse ?

Dans le service des cours d'eau, je le répète, interviennent des agents tels que les agents voyers par exemple, qui sont détachés complétement du service dont il est question en ce moment.

M. Magherman. - Il n'entre pas dans mes intentions d'examiner en ce moment à quel département, soit celui des travaux publics, soi' celui de l'intérieur, peut être attribué le plus utilement la surveillance des cours d'eau. Il est certain que, si ce service ressortissait au département des travaux publics, il n'en résulterait pas la confusion que vient de signaler M. le ministre de l'intérieur ; car déjà plusieurs branches de ce service relèvent de ce département.

L'honorable M. Desmaisières a cité les wateringues qui certainement ont une connexité intime avec les cours d'eau. L'honorable M. de Theux a cité un autre exemple : c'est celui des usines établies sur les cours d'eau ; le service y relatif est également du ressort du département des travaux publics.

Il est vrai que, dans certaines provinces, les agents voyers qui ont la surveillance, l'inspection des chemins vicinaux, et qui, dans l'intention du gouvernement, seraient chargés du service des cours d'eau, relèvent du département de l'intérieur. Mais je pense qu'il est dans l'intention de l'honorable M. Desmaisières, quand il demande que le service des cours d'eau soit attribué au département des travaux publics, de rattacher également à ce département le service de la voirie vicinale. Cette opinion, qui a déjà de l'écho dans cette Chambre, peut se soutenir par des arguments qui ne sont pas sans valeur. Mais je n'entends pas la discuter maintenant.

Je veux en ce moment appeler l'attention du gouvernement sur un point spécial. Il est certain que si l'on ne veut pas que les rivières non navigables ni flottables s'ensablent, que leur lit s'exhausse, et qu'elles deviennent ainsi la cause d'inondations fréquentes, on doit les soumettre à un entretien périodique, annuel.

Il est même établi par le tableau qui nous a été distribué comme annexe du projet de loi relatif à la reprise de certains canaux et cours d'eau, que beaucoup de cours d'eau ont déjà besoin d'être élargis et approfondis. Mais je convie le gouvernement à ne pas procéder à cette opération relativement aux cours d'eau qui se jettent dans l'Escaut, dans la Lys, dans la Dendre et dans d'autres rivières, qui ont besoin de grands travaux pour faciliter l'écoulement de leurs eaux et prévenir l'inondation de leurs rives, avant que ces travaux n'aient été exécutés.

Dans notre province, pour débarrasser l'Escaut et la Lys, il y a à achever le creusement du canal de Schipdonck. Ce n'est que quand ce travail sera exécuté que les vallées que baignent ces rivières seront délivrées de la surabondance de leurs eaux.

Si maintenant on s'avisait d'effectuer des travaux d'approfondissement aux affluents de ces rivières, il en résulterait des inondations bien plus fréquentes pour leurs vallées.

Au moindre orage, il y aurait des débordements autrement calamiteux que ceux que nous voyons déjà trop souvent.

Il en serait de même pour le Dendre, tant que les améliorations qu'on se propose d'apporter à cette rivière ne seront pas complètement exécutées.

La seule marche rationnelle, c'est de commencer par l'aval, de débarrasser d'abord les grandes rivières, puis de donner aux cours d'eau toute la largeur et la profondeur nécessaires pour éviter autant que possible les inondations nuisibles.

Je dis nuisibles : car on ne doit pas aller trop loin en cette matière et arriver jusqu à supprimer totalement les inondations. Grand nombre de nos ruisseaux sont bordés par des prairies : ces prairies forment une grande richesse territoriale. La première condition essentielle à toute prairie, c'est de recevoir des irrigations en temps opportun. Si on allait donc, sous prétexte de soustraire le pays aux inondations, jusqu à enlever les moyens d'irrigation aux prairies, on irait beaucoup trop loin, et, au lieu d'un bienfait dont on veut la doter, on ferait un tort immense a l'agriculture.

Pour atteindre des limites raisonnables eu cette matière, je suis d'avis, comme l'honorable M. Desmaisières, que le gouvernemeul ne saurait rien faire de mieux que de favoriser autant que possible l'institution de wateringues. Ces associations opèrent à peu de frais et restent dans les bornes du nécessaire. C'est ce qui se voit toujours, lorsqu'un particulier, ou des associés, dans leur intérêt privé, se chargent d'une opération quelconque. On ne peut pas dire la même chose de l'Etat ni des autres administrations publiques.

Mais l'institution de wateringues ne saurait avoir lieu partout ; pour les établir il faut qu'une certaine étendue de propriétés contiguës soit sujette à des inondations excessives. Les cours d'eau qui se trouvent dans un état normal, et qui n'ont besoin que d'un entretien ordinaire, doivent être l'objet de règlements publics. C'est aux riverains qu'incombe cet entretien, même lorsqu'ils ne souffrent aucun dommage, ni ne retirent aucun avantage de ces ruisseaux.

J'appellerai encore un instant l'attention de la chambre et du gouvernement sur un objet dont mon honorable ami, M. Vander Donckt, les a déjà entretenus, et qui se rattache spécialement à ce qui fait en ce moment le sujet de nos discussions.

Dans le tableau des cours d'eau annexé au projet de loi sur la reprise par l’Etat de plusieurs canaux et rivières, ne figure aucun des nombreux cours d'eau qui sillonnent le territoire de la Flandre orientale. Ce qui m'a particulièrement frappé, c'est qu'une petite rivière qui, sur une certaine étendue, sépare les deux territoires des deux provinces de la Flandre orientale et du Hainaut, est annotée parmi les cours d'eau de cette dernière province comme causant des inondations, tandis que le tableau de la Flandre orientale ne la mentionne seulement pas. Ne doit-il pas paraître singulier qu'une rivière mitoyenne entre deux provinces cause du dégât dans l'une et ne porte aucun préjudice dans l'autre ?

C'est une lacune qu'il est nécessaire de combler dans l'intérêt de la Flandre orientale. Si l'on se propose d'organiser un service public avant pour objet les cours d'eau du royaume, il importe que la Flandre orientale puisse en profiter comme les autres provinces. Le tableau des cours d'eau de cette province ne saurait donc être dressé trop vite.

M. de Man d’Attenrode, rapporteur. - A entendre l'organe du gouvernement, la proposition qui nous est faite n'aurait aucune importance, il s'agit d'une dépense insignifiante. Je ne puis partager cette opinion, car je suis fondé à croire qu'il s'agit de créer un surcroît de centralisation, et cette centralisation sera féconde surtout en traitements nouveaux et en dépenses considérables. Je me propose donc de la combattre.

C'est ainsi que la Chambre l’a envisagé quant elle a examiné le projet en sections. Toutes les sections, sauf la sixième, ont rejeté la proposition du gouvernement. La section centrale a conclu de la même manière. Elle a conclu au rejet de la proposition du gouvernement.

Voici les termes dans lesquels elle s'est exprimée :

« Le rapport de l’inspecteur de l'agriculture publié pour servir d'exposé des motifs de l'augmentation de -4000 francs, établit évidemment que la légère augmentation réclamée au budget de 1854, si elle est consentie, servira de base à la constitution d'un service considérable d'ingénieurs, que l'on se dispose à créer à côté des trois corps des ingénieurs civils, militaires et des mines.»

Messieurs, je ne sais si vous avez lu avec soin le rapport de l'inspecteur agricole ; mais il mérite d'être étudié. Le gouvernement vient de vous déclarer avec une assurance étonnante, qu'il connaît parfaitement ce qu'il se propose de faire, qu'il connaît les besoins du personnel nécessaire.

Eh bien, messieurs, lisez le rapport et vous verrez, si l'administration sait elle-même où elle veut nous mener, si elle sait elle-même les conséquences, de ce qu'elle se propose d'entreprendre quant aux dépenses qu'occasionneront les besoins du personnel.

Le gouvernement, par dépêche du 21 décembre 1852, informe l'inspecteur agricole qu'il voulait créer un nouveau service, et l'adjoindre au sien.

Voici le programme de ce service nouveau : « Appliquer tes cours d'eau aux usages agricoles ». Le gouvernement demande à ce fonctionnaire de lui indiquer dans un bref délai les mesures nécessaires pour arriver à ce résultat.

L'inspecteur répondit, par lettre du 24 décembre, qu'il n'était pas à même de donner ces renseignements avec précision et avec détails, qu'on ne lui laissait pas un délai suffisant. Le gouvernement était tellement pressé que M. l'inspecteur se trouva dans l'impossibilité de répondre convenablement aux questions qu'on lui posait. Ce fonctionnaire indiqua cependant d'une manière très vague qu'on pourrait faire le nivellement de tout le pays, afin de favoriser l'écoulement des eaux stagnantes, des eaux des chemins, des fanges, etc., c'est-à-dire qu'il s'agit de recueillir la dernière goutte d'eau de la dernière ornière pour l'appliquer à faire mouvoir de nouvelles usines. Il fait ensuite la proposition de s'adresser à tous les propriétaires du pays, afin qu'ils indiquent quels sont les travaux par lesquels on devra commencer.

Ce plan est vaste, vous le voyez, messieurs ; il est d'autant plus grand qu'il est peu déterminé.

Quant au personnel, M. l'inspecteur a aussi répondu qu'il lui était impossible de déterminer quelle devait en être l'importance ; il déclare que cela dépendra des services que pourront lui rendre les agents voyers : et notez que dans son rapport il indique que le personnel à lui adjoindre doit se composer d'ingénieurs civils.

(page 581) Or, je le demande, les commissaires-voyers sont-ils capables de rendre les services que rendent les ingénieurs civils ? Il demande au gouvernement qu'on lui adjoigne surtout les ingénieurs attachés au drainage ; il déclare que ce sont des hommes de cette spécialité qu'il lui faut ; ainsi, voilà le service du drainage menacé d'une fusion inévitable.

Ainsi, il déclare qu'il lui est impossible de déterminer quelle sera la limite du personnel qui lui sera nécessaire, et ensuite, après avoir déclaré qu'il travaille de 14 à 16 heures par jour, il demande un seul employé. Impossible d'être plus modéré.

Mais plus loin je trouve un tableau et le résumé de ce tableau est une dépense de 8,100 fr. Le gouvernement ne lui en accorde que 4,000.

Tout ceci est de nature à faire comprendre que le gouvernement aurait dû étudier encore un peu cette question avant de faire une demande au budget, et ce qu'il y a de remarquable, c'est que déjà l'arrêté qui réunit les cours d'eau à l'inspection agricole, est signé et que, comme vient de l'indiquer M. le ministre, les travaux : sont commencés. Il me semble qu'il eût été plus convenable de soumettre cette question à la législature avant de commencer. C'eût été un procédé que commandaient les égards qui sont dus à la Chambre.

M. le ministre de l'intérieur a déclaré que c'était un service qui était tout à fait de la compétence de son département. Il vous a dit sans hésiter qu'il pourrait suffire à tout au moyen d'un crédit de 4,000 fr. Mais il semble que dans les provinces on n'est pas tout à fait de la même opinion.

J'ai consulté les exposés de situation de la province du Brabant et l'on peut y voir que le conseil provincial du Brabant a voté 20,000 fr. pour faire faire le nivellement des cours d'eau non navigables ni flottables de la province. Cette dépense a été votée en 1848. Il y a loin de là à 4,000 fr., et voici ce qu'on peut voir dans le compte-rendu de la situation de 1850 : « Le service des nivellements a commencé en janvier 1848. An mois de mars 1850, les rivières la Dyle et le Demer ainsi que leurs affluents, sauf une partie de la petite Ghète étaient nivelés et rapportés au niveau de la mer. »

Il résulte de ce rapport que 365 kilomètres ont été nivelés. Voici ce que dit l'exposé de la province pour 1853 : Les travaux graphiques du nivellement des cours d'eau du Brabant sont complétement achevés par les agents des ponts et chaussées. Ainsi, vous le voyez, l'administration provinciale du Brabant n'a pas cru pouvoir utiliser le service des commissaires-voyers.

L'administration provinciale, qui connaît mieux que le gouvernement quels sont les services que peuvent rendre ces agents, s'est adressée aux ingénieurs des ponts et chaussées, et ce sont ces ingénieurs qui sont chargés par le conseil provincial d'opérer le nivellement de la province.

Il serait donc assez singulier de voter ici des crédits en concurrence avec ceux que votent les conseils provinciaux. M. le ministre de l'intérieur vous a dit qu'après tout ce n'était en réalité qu'une augmentation de 2,000 fr. Il faut, messieurs, que je vous explique ce que c'est que l'économie de 2,000 fr. dont on parle.

Pour cela il faut vous reporter un peu en arrière. C'était, je crois, en 1850, lors de la discussion du budget de l'intérieur. L'organe du gouvernement fit valoir que, comme le crédit destiné à encourager la voirie vicinale augmentait il fallait faire inspecter ce service et détacher 9,000 francs du crédit destiné à favoriser la voirie vicinale. La Chambre y consentit ; elle adopta le chiffre de 9,000 francs pour le service d'inspection des chemins vicinaux.

Je ne fis pas alors d'opposition. Mais cette proposition me parut singulière. Je me demandai ce qu'on pouvait faire avec un inspecteur des chemins vicinaux pour examiner l'état des travaux entrepris dans le royaume tout entier. Le fait est que c'était demander trop ou trop peu.

Je fis de plus la remarque suivante : il me semblait étrange de voir fonder au département de l'intérieur le service des inspecteurs généraux.

Ce service, je le conçois au département des finances, je le conçois même dans une certaine mesure au département des travaux publics ; mais établir des inspecteurs généraux au département de l'intérieur, c'est ce que je ne compris pas. Est-ce que par hasard le ministre n'a plus confiance ni dans le gouverneurs, ni dans les députations permanentes, ni dans les commissaires d'arrondissement, ni dans les bourgmestres ? Il lui faut des inspecteurs généraux pour inspecter des services qui sont sous la surveillance des autorités provinciales.

Voilà un exemple de cette tendance à la centralisation signalée dans le rapport de la section centrale. Le gouvernement veut voir par lui-même et directement ; il ne se contente plus des nombreux services répartis dans le pays ; il entend inspecter les services provinciaux. Je dis que c'est là un acte de défiance que je ne sais comment qualifier.

Nous avons donc voté 9,000 francs ; mais remarquez-le, non pas pour un inspecteur, mais pour l'inspection. Les 9,000 fr. devaient suffire au service de l'inspection, mais voici ce qui arriva.

Les 9,000 fr. furent absorbés par l'inspecteur à lui tout seul, par ses frais de tournée, par ses frais de bureau, etc. et comme l'on comprit bientôt qu'il ne pouvait pas faire ce service à lui tout seul, on lui adjoignit d'abord un premier commis, sans qu'on ait jamais consulté la Chambre à cet égard, et on prit le traitement de ce commis sur les fonds destinés à la voirie vicinale, ce qui était fort irrégulier, puisque la dépense du personnel avait été formellement limitée à 9,000 fr.

On ne s'est pas contenté de cela, on lui a adjoint un deuxième employé au traitement de 1,800 fr. pris sur un fonds spécial, sur le fonds des défrichements. Maintenant que ce fonds spécial est absorbé, on porte au budget le traitement de l’employé qu’on a cré sans se donner la peine d’en prévenir même la Chambre. C’est ainsi, messieurs, qu’on a procédé trop souvent ; on crée un personnel à votre insu, on invoque ensuite le fait accompli pour vous amener à payer ses traitements. Voilà, en réalité, l’économie dont parlait M. le ministre de l’intérieur ; il qualifie ainsi une violation de toutes les règles qui doivent présider à la création d’un personnel.

Ce qui est encore singulier, messieurs, c'est que le gouvernement qui veut centraliser en créant un inspecteur général, a permis à ce fonctionnaire d'avoir sa résidence à Liège. Il faut convenir que cette résidence n'a rien de central ! Eh bien, je dis qu'en résumé tout cela ne tend qu'à augmenter les frais de route aux dépens des contribuables.

Je pense avoir démontré, messieurs, que si vous votez l'augmentation de 4,000 fr. le gouvernement n'en restera pas là. Ce qui le prouve, c'est que la seule province de Brabant a déjà voté 20,000 fr. et le gouvernement viendra vous dire que 4,000 fr. suffisent pour faire face aux besoins de ce service. Cela n'est pas sérieux. Votez les 4,000 fr., messieurs, et vous verrez dans peu de temps si le gouvernement ne viendra pas proposer de nommer de nouveaux ingénieurs et d'augmenter les traitements de ceux qui existent ! C'est vraiment une chose inouïe que de prétendre qu'on exécutera le nivellement général du royaume tout entier au moyen d'une augmentation de 4,000 fr. à allouer au service de l'inspection agricole, à un service qui déjà est incapable de suffire à sa besogne.

Cela n'est pas sérieux, je le dis encore. La question n'est pas suffisamment étudiée, c'est évident, je vous l'ai démontré en citant quelques passages du rapport qui sert d'exposé des motifs à la demande du gouvernement. Une dernière remarque : je finis par où j'aurais dû commencer. Le rapport commence par faire mention des vœux émis par la législature, en faveur de l'organisation du nouveau service.

Eh bien, la législature n'a jamais émis de vœux de cette nature ; quand la législature émet un vœu, ce vœu est le résultat d'un vote ; or, la législature n'a émis aucun vote à ce sujet. Le gouvernement se fonde sur le vœu émis par une commission du Sénat.

S'il en est ainsi, les conclusions de la section centrale, dont je suis le rapporteur, ont tout autant de titres à être envisagées comme ayant le caractère d'un vœu de la législature. Ces conclusions y ont d'autant plus de droits, qu'elles ont été préparées par l'examen fait par la Chambre, répartie dans ses sections.

M. Lelièvre. - A l'occasion de la discussion actuelle, je crois devoir signaler à M. le ministre de l'intérieur la nécessité de régler, par une loi, ce qui concerne les cours d'eau. C'est ainsi qu'une loi générale sur la pêche me semble indispensable. D'un autre côté, la matière des cours d'eau présente des questions très graves qu'il est essentiel de trancher par une disposition législative. Je recommande cet objet à l’attention et à la sollicitude de M. le ministre de l'intérieur ; il a réellement une importance qu'il est impossible de méconnaître.

M. Delehaye. - Messieurs, je pense qu'on ne peut rien réclamer de plus utile à l'agriculture, qu'une bonne police de cours d'eau. Chaque fois que nous avons examiné le budget de l'intérieur, on a formulé des réclamations contre la manière dont les cours d'eau sont en général dirigés. Je me suis demandé comment on pourrait concilier la proposition de l'honorable député d'Eecloo avec les intérêts de l'agriculture : faire passer au ministère des travaux publics les rivières non navigables ni flottables, ce serait subordonner tout ce qui concerne l'agriculture aux intérêts de la navigation.

Du reste, les conseils provinciaux des deux Flandres réclament contre les exigences du commerce et de la navigation, qui empêchent les cours d'eau de fonctionner dans l'intérêt de l'agriculture.

Le gouvernement demande 4,000 fr. pour continuer des travaux déjà entrepris ; il s'agit notamment de faire une carte générale de tous les cours d'eau. Je pense que le règlement qui existe aujourd'hui, s'il est bien exécuté, remplira sa destination ; dans tous les cas, si l'on approuve le travail dont il s'agit, on ne peut pas refuser le crédit demandé pour coordonner toutes les parties du service. Je sais bien qu'il y a dans ce travail quelques imperfections, moi-même je pourrais en signaler, mais ceux qui ont été chargés de faire le travail le reverront et rectifieront les erreurs qui s'y sont glissées.

L'inspecteur chargé de la visite des cours d'eau et des chemins vicinaux ne peut certes suffire seul à un semblable travail ; mais remarques bien, messieurs, que les agents qui doivent le seconder sont excessivement nombreux ; ce sont d'abord tous les bourgmestres, puis les commissaires-voyers, qui, indépendamment d'une grande aptitude, ont une indépendance que les fonctionnaires communaux ne possèdent pas toujours au même degré ; il y a en outre les autorités provinciales ; tous ces agents réunis sous la direction du ministère de l'intérieur peuvent suffire à tous les besoins.

Par ces diverses considérations, messieurs, je donnerai mon adhésion au projet du gouvernement, et je dis que dans l'intérêt de l'agriculture, et si l'on n'envisage que cet intérêt, il faut maintenir ce qui existe aujourd'hui en donnant au gouvernement le moyen de le régulariser, mais non pas réunir les cours d'eau au département des travaux publics.

Quant à moi, je ne terminerai pas sans remercier le gouvernement d'avoir fait un plan d'ensemble des cours d'eau, dont on peut tirer un si grand parti pour augmenter la fertilité du sol.

M. Rousselle. - (page 582) J'avais demandé Ja parole, messieurs, pour présenter quelques observations qui ont été développées par l'honorable M. de Theux, beaucoup mieux que je n'aurais pu le faire ; il ne me reste donc plus qu'à demander un renseignement à l'honorable ministre de l'intérieur. Si, j'ai bien compris ce qu'a dit M. le ministre, il entend confier au nouveau service qu’il s'agit de créer par le budget, la concession des pentes et des chutes pour tous les cours d'eau non navigables et non flottables. Je désire savoir si telle est l'intention de M. le ministre de l'intérieur. Car, dans ce cas, je serais obligé de voter contre la demande du gouvernement. Le service des chutes et des pentes est organisé par des lois et par des règlements que nous ne pouvons pas changer par une allocation au budget.

Je reconnais que la législation sur les petits cours d'eau a besoin d'être régularisée et, jusqu'à un certain point, réformée. Mais pour cela, il faut une loi, et jusqu'à ce que cette loi soit faite, et qu'un contrôle hiérarchique soit régulièrement organisé, nous ne pouvons, ce me semble, confier à un agent du département de l'intérieur, qui serait omnipotent, et sur lequel ne s'exrceraient plus la direction et le contrôle du conseil général des ponts et chaussées, nous ne pouvons, dis-je, lui confier le soin de donner les avis aux autorités qui doivent statuer sur les concessions de chutes et de pentes, sur les cours d'eau et le règlement des repères des usines.

M. de Naeyer, rapporteur. - Messieurs, il importe, avant tout, de bien préciser la nature du service qui nous occupe. Nous sommes tous d'accord, que dans l'intérêt de l'agriculture, il y a beaucoup d'améliorations à apporter aux petits cours d'eau.

Cette proposition a un degré d'évidence qui rend tous les développements inutiles.

Mais le gouvernement doit-il intervenir dans ces améliorations, et dans quelles limites ?

D'abord il me paraît évident qu'il ne saurait être question d'une intervention pécuniaire de l'Etat.

La dépense doit rester tout à fait locale ; en général même elle est à la charge des riverains. Cet état de choses ne peut pas être changé.

Ce que le gouvernement pourrait faire ici, ce serait de donner une espèce d'impulsion, de provoquer des améliorations, par des conseils, et qu'il est nécessaire de faire, c'est de mettre le régime de ces cours d'eau en harmonie avec le régime des fleuves et rivières.

Eh bien, sous ce rapport, le nouveau service peut-il être utile ? Ensuite n'est-il pas de nature à entraîner des inconvénients ?

En quoi son utilité pourrait-elle consister ? A lever le nivellement de tous les petits cours d'eau ? C'est impossible avec un service si restreint ; il faut alors lui donner des proportions beaucoup plus grandes, et vous arrivez ainsi à des dépenses assez considérables, et puis ces dépenses aussi ne sauraient être mises raisonnablement à la charge de l'Etat.

Je crois que le nouveau service se restreindra à des inspections et puis à la publication de rapports plus ou moins volumineux. A cet égard nous avons un précédent qui est de nature à nous éclairer.

Ainsi nous avons un service d'inspection des chemins vicinaux qui a abouti à la publication de deux ou trois gros volumes, tels que celui que je tiens ici en mains. Je vous demanderai si cela améliore beaucoup la voirie vicinale et si de cette manière plusieurs milliers de francs n'auront pas été dépensés d'une manière stérile. Ce n'est guère en multipliant les rouages administratifs que vous procurerez aux communes rurales de bonnes voies de communication, mais c'est uniquement en mettant des ressources à leur disposition, et vous auriez sous les yeux un tableau exact de toutes les voies vicinales de la Belgique, que la position de l'agriculture, quant aux facilités de transport qu'elle a droit de réclamer, resterait encore la même.

Il en sera de même des cours d'eau. L'inspecteur fera des tournées, et ensuite on publiera un ou plusieurs volumes ; mais les cours d'eau se trouveront-ils par là dans un état plus favorable pour les intérêts agricoles ? Je ne le pense pas.

Et ici, je ferai remarquer en passant que M. le ministre de l'intérieur a été assez adroit pour mettre à la charge de la Chambre les frais d'impression du rapport sur les chemins vicinaux.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - J'ai déposé le rapport et la Chambre eu a ordonné l'impression.

M. de Naeyer, rapporteur. - Je ne vous en fais pas un reproche ; je dis que c'est très adroit, attendu que de cette manière l'impression a eu lieu sans coûter un centime au département de l'intérieur.

Je demanderai à mes honorables collègues s'ils ont retiré un grand avantage de cet ouvrage qui se compose de nombreux tableaux de chemins vicinaux à la fin de l'ouvrage, il y a cependant des observations qui révèlent un homme de mérite, et sous ce rapport, il est vraiment regrettable que le gouvernement n'ait pas confié à ce fonctionnaire une occupation plus utile.

Rien jusqu'ici ne nous donne l'espoir que la nouvelle dépense qu'on veut créer nous procurera quelques avantages ; or je ne veux inscrire dans le budget aucune allocation dont l'utilité ne me soit pas démontrée à la dernière évidence.

Maintenant, je pose cette autre question : N'en résultera-t-il pas un embarras, une entrave dans la marche du service relatif au régime général des eaux ?

Messieurs, l'honorable M. Desmaisières a fait valoir à cet égard des considérations qui me paraissent de nature à faire impression sur vos esprits : il vous a prouvé que des conflits seraient pour ainsi dire inévitables, et je dois faire observer que cette considération, capitale dans le discours de l'honorable M. Desmaisières, n'a pas même été rencontrée par l'honorable ministre de l'intérieur. En effet, il est incontestable que les petits cours d'eau ont les rapports les plus intimes avec les fleuves et rivières dans lesquels ils se jettent, et dont ils affectent ainsi nécessairement le régime ; il est donc indispensable que ces deux branches de service soient placées sous une même direction, si ou veut les faire marcher régulièrement vers un même but, et les agents qui en sont chargés doivent par conséquent être subordonnés les uns aux autres.

M. l'inspecteur général des chemins vicinaux lui-même a reconnu, dans le passage de son rapport dont l'honorable M. Desmaisières vous a donné lecture, que la question de l'écoulement des eaux des ruisseaux et des rivières non navigables est inséparable de celle de l'écoulement des eaux des grandes rivières et fleuves.

Dès lors, pourquoi séparer dans leur organisation ces deux services concernant le régime général des eaux, et pourquoi ne pas confier, aux ingénieurs de province chargés déjà du service des fleuves et rivières, l'action que le gouvernement pourrait juger utile d'exercer sur les petits cours d'eau ? De cette manière il y aurait une subordination, une hiérarchie, indispensables pour éviter tout conflit, et on éviterait la création d'un nouveau rouage.

Ces observations sont encore confirmées par cette circonstance que déjà aujourd'hui les ingénieurs des ponts et chaussées ont une certaine action sur les petits cours d'eau, en ce sens que lorsqu'il s'agit d'établir des chutes, d’ériger des usines, c'est sur l'avis des ingénieurs des ponts et chaussées que les députations permanentes prennent une décision.

Si donc le gouvernement veut exercer une action plus directe pour provoquer des améliorations aux petits cours d'eau, c'est encore au même corps des ponts et chaussées que ce service devrait être confié.

M. le ministre a insisté sur cette considération, que le service dont il s'agit a un caractère provincial, en ce sens surtout que les commissaires-voyers chargés aujourd'hui de veiller à l'exécution des règlements concernant les cours d'eau non navigables ni flottables, sont nommés par les autorités provinciales ; mais cela ne met, ce me semble, aucunement obstacle à ce que l'intervention du gouvernement soit confiée aux ingénieurs de province, n'entraîne aucunement la nécessité de préposer à ce service des agents spéciaux ressortissant au département de l'intérieur, d'autant plus que le corps des ponts et chaussées est chargé de l'administration des routes provinciales et pourrait, par conséquent, prêter également son concours aux autorités provinciales afin d'amener des améliorations dans le régime des petits cours d'eau.

M. le ministre m'a paru croire que cette intervention du corps des ponts et chaussées aurait pour conséquence la suppression en quelque sorte des commissaires-voyers. Mais cela n'est entré dans les intentions de personne. Il y a encore une ou deux provinces où le service des commissaires-voyers n'est pas établi ; mais partout où ces agents existent, on veut les maintenir en leur conservant leurs attributions actuelles en ce qui concerne les petits cours d'eau. Sous ce rapport il ne s'agit nullement d'introduire des changements dans ce qui existe.

Il est à remarquer en outre que, comme l'intervention du gouvernement doit avoir ici principalement pour objet de donner des conseils et de provoquer des améliorations, il est indispensable qu'elle soit exercée par des hommes ayant une parfaite connaissance des localités et des intérêts engagés dans les travaux projetés ; ce n'est qu'à cette condition que leur intervention peut produire des bons effets et avoir une influence efficace ; or sous ce rapport encore il est infiniment préférable d'employer les ingénieurs de provinces qui, à raison de leur service ordinaire, sont mis pour ainsi dire tous les jours en contact avec les intérêts qui se rattachent à l'amélioration des petits cours d'eau et il n'est guère possible que des agents appartenant à l'administration centrale puissent, aussi bien apprécier toutes les circonstances locales qui doivent être prises en considération pour arriver au but qu'on se propose.

On a dit que les petits cours d'eau doivent être placés ici sur la même ligne que les chemins vicinaux et faire partie d'un même service ; mais il est à remarquer qu'en ce qui concerne l'amélioration de la voirie vicinale, le département de l'intérieur intervient dans la dépense en accordant des subsides ; il est donc assez naturel qu'il fasse surveiller par ses agents l'emploi des fonds, mais cette considération ne s'applique aucunement aux petits cours d'eau, puisqu'il est entendu qu'ici la dépense ne saurait incomber en aucune manière au trésor public.

En résumé donc il n'existe aucun motif pour créer des agents spéciaux et il pourrait, au contraire, en résulter des inconvénients assez graves, au point de vue de l'unité de service, qui est une chose essentielle, surtout pour le régime général des eaux dans chaque province.

M. de T'Serclaes. - Les observations que vous venez d'entendre doivent avoir porté dans votre esprit la conviction que l'inspection des cours d'eau est un simple projet, un essai, une idée dont les conséquences ne sont pas même prévues, moins encore arrêtées dans l'esprit de M. le ministre de l'intérieur ; l'honorable M. Picreot vient de dire qu'il s'agissait de faire lever un plan de nivellement de tous les cours d'eau du pays, et il compte, pour l'exécution de ce vaste projet, sur le concours des commissaires-voyers des diverses provinces. Mais, messieurs, c'est là un travail immense, très important, très difficile : bien certainement, le concours des commissaires-voyers cantonaux y aidera fort peu.

(page 583) Le département de la guerre, depuis plusieurs années, fait travailler au plan topographique général du pays, d'après les données de la science les plus rigoureuses.

Sur les cartes qui sont dressées avec un soin et un talent des plus remarquables, par des officiers du plus grand mérite, les équidistanccs sont inscrites de 5 mètres en 5 mètres. Pourquoi le ministère de l'intérieur ne pense-t-il pas à utiliser les ressources que possède déjà le département de la guerre ?

Quelle nécessité y a-t-il de faire faire de nouveaux plans des cours d'eau non navigables ni flottables, par les commissaires-voyers, plans qui seront fort inférieurs, j'en suis certain d'avance, à ceux que les officiers du génie ont exécutés ? Les derniers indiquent avec la plus complète exactitude le nivellement et tous les renseignements dont l'agriculture peut avoir besoin.

L'honorable M. de Naeyer vient de vous exposer combien de questions délicates se rattachent aux projets du gouvernement, à quel point il faut tenir compte des différences des localités ; l'emploi, la direction des cours d'eau, les conditions diverses d'assèchement ou d'irrigation varient énormément de province à province, les besoins de l'agriculture, ceux de l'industrie, doivent être pesés et connus ; avec le simple concours des commissaires-voyers on pourra difficilement atteindre un but utile.

Il faut, messieurs, que la proposition du gouvernement soit mûrie, étudiée, avant que la Chambre vote le principe d'une dépense qui peut mener fort loin. Avant d'introduire dans le budget un principe nouveau de dépense, il faudrait saisir les conseils provinciaux, surtout ceux des Flandres, des études et autres éléments que le gouvernement a déjà recueillis. Ce n'est que lorsque les conseils provinciaux auront examiné la question, fourni leurs lumières ; lorsque M. le ministre se sera fait rendre compte des plans topographiques levés par le département de la guerre que la Chambre pourra discuter utilement.

Je ne puis considérer la proposition du gouvernement comme un projet arrêté, rien n'est organisé, tout est à faire. Dans cet état des choses, nous ne pouvons admettre un crédit nouveau : l'idée eu elle-même peut être bonne, elle peut avoir été suggérée par l'un ou l'autre orateur de la Chambre ou du Sénat, mais les conséquences doivent être méditées avant que nous puissions prendre une résolution en connaissance de cause.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Il est surprenant qu'après avoir donné des proportions exagérées à un travail que le gouvernement présente comme fort simple, on vienne s'étonner qu'il ait pris l'initiative d'un projet de cette nature, sans avoir consulté la législature. Il faut avoir bien peu de mémoire pour ne pas se rappeler que le vœu de voir le gouvernement s'occuper des cours d'eau non navigables ni flottables a été émis partout, dans les assemblées provinciales et dans les deux Chambres législatives, notamment au Sénat ; lors de la discussion du budget de l'exercice dernier, on a demandé de la manière la plus positive que le gouvernement s'occupât de mettre les cours d'eau sous la direction d'un service spécial.

C'est la commision du Sénat qui a inscrit dans son rapport l'observation que je viens de rappeler et le Sénat, dans la discussion du budget, a exprimé qu'il s'associait au vœu de la commission. (Interruption.)

On reproche souvent au gouvernement de manquer d'initiative, et quand il se présente avec un projet utile à la suite d'une opinion conforme émise au sein de la législature, vous dites que le gouvernement arrive avec des projets à peine étudiés.

Messieurs, ce reproche est immérité, c'est pour répondre à un besoin universellement senti, mieux senti probablement dans les provinces que dans cette Chambre, que le gouvernement a fait appel à votre sollicitude pour compléter un service d'un aussi grand intérêt public.

Messieurs, l'honorable Ch. Rousselle a demandé si, en créant ce service, le gouvernement entendait changer quelque chose à la législation existante, s'il avait l’intention de déférer aux fonctionnaires qui vont être chargés de ce service, l'examen des concessions des chutes d'eau et des pentes, des affaires concernant les usines. L'honorable membre peut se rassurer.

Il ne s'agit nullement de tout cela.

Il ne s'agit que de donner une direction utile aux cours d'eau ; de donner des conseils aux communes, aux provinces, aux particuliers, de préparer les travaux qui doivent s'exécuter, non aux frais de l'Etat, mais aux frais des communes, des provinces et des particuliers. Vous voyez que c'est uniquement par voie de conseils, de direction dans l'exécution de travaux, qu'il s'agit de procéder par le service spécial dont vous vous occupez actuellement.

Il n'est donc pas question le moins du monde de changer la légistation.

L'honorable M. de Naeyer demande pourquoi le gouvernement intervient dans ce service qui, selon lui, incombe seulement aux provinces et aux communes. Mais le gouvernement n'a pas l'intention de prendre à sa charge la dépense de ces travaux, qui continueront à être faits aux frais de ceux à qui ils incombent d'après notre législation.

Mais il faut imprimer aux travaux une pensée unique de manière à les coordonner et à les mettre en rapport avec le but qu'on veut atteindre. C'est pour cela qu'il faut faire un plan général des cours d'eau. Il est nécessaire dans l'intérêt de l'agriculture. Ce travail sera confié aux commissaires-voyers, qui sont pour la plupart des ingénieurs civils parfaitement capables de remplir les obligations qui leur seront imposées sous ce rapport.

L'honorable M. de Naeyer a vu un un danger réel à créer ce service spécial qui amènerait, selon lui, des conflits entre les départements des travaux publics et de l'intérieur.

Il a vu la possibilité de ces conflits à l'occasion de la mise en rapport du régime des cours d'eau avec certaines rivières du pays. Il n'y a à cet égard aucune possibilité de conflit. Les cours d'eau ont un régime tout à fait spécial, et les ingénieurs de l'Etat n'ont rien à y voir. Mais ce qui importe au pays, c'est que les cours d'eau soient utilisés d'une manière convenable. Où serait le conflit ? Il ne pourrait y en avoir que s'il y avait des mesures à prendre au sujet de ces cours d'eau, au moment de leur contact avec la rivière. Dans ce cas, le département de l'intérieur s'entendra avec le département des travaux publics. Il n'y a là rien de bien difficile à concilier, il n'y a rien qui puisse donner lieu au moindre conflit.

Les honorables membres qui ont pris part à cette discussion, notamment l'honorable M. Desmaisières, ont cité l'exemple des wateringues. Pourquoi, disent-ils, n'organiseriez-vous pas un service analogue à celui des wateringues qui ressortit au département des travaux publics ?

C'est un tout autre ordre d'idées. Les waleringues affectent les vallées où coulent de grandes rivières dépendant du domaine public. Ainsi les polders sont des dépendances des rivières placées dans les attributions du département des travaux publics. Mais s'agit-il de rien de semblable ici ? Sous quel rapport les cours d'eau sont-ils liés aux rivières ? Au point de contact seulement. Mais pour tout ce qui intéresse l'agriculture, dans leur parcours général ils n'ont aucun rapport avec les grandes rivières, ni par conséquent avec le département des travaux publics

Pourquoi, dit-on, veut-on créer un inspecteur général et des agents spéciaux pour le service des cours d'eau ? C'est ce que dit l'honorable M. de Man d'Attenrode. A quoi cela sert-il ? dit l'honorable M. de Naeyer ; à quoi servent ces rapports gigantesques sur la voirie vicinale ? Mais, messieurs, la raison de la publication de ces rapports est dans la nécessité d'éclairer le gouvernement, les Chambres et toutes les autorités compétentes. Seriez-vous plus avancés si le gouvernement ne publiait pas de documents administratifs qui font connaître l'état du pays et les moyens nécessaires pour améliorer les services publics ?

Si l'on ne publiait rien, où en serait l'administration du royaume ? Où en serait la voirie vicinale ?

Il y a une manière de discuter qui est fort commode, j'en conviens ; c'est de tout blâmer, de tout critiquer, de ne rien trouver de bon, de jeter de la défaveur sur les services publics et sur les fonctionnaires honorables qui en sont chargés. C'est extrêmement facile. Mais, permettez-moi de le dire, ce n'est pas encourageant pour l'administration publique. Je doute fort que le pays ait à y gagner. Vous blâmez le service de la voirie vicinale et des cours d'eau, les irrigations, les défrichements. Vous blâmez tout.

M. Orban. - On blâme un service qui n'existe pas encore.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Ce service existe ; il s'agit d'y appliquer un nouveau mode d'action et d'y attacher un fonctionnaire de plus.

Assurément, messieurs, il y a de bonnes choses dans l'organisation de nos diverses branches d'administration publique, et ce n'est que dans cette Chambre que je les entends déprécier comme on le fait systématiquement à propos du budget de l'intérieur.

Après avoir critiqué les choses, on s'en prend même aux fonctionnaires.

Quel est le motif de la défaveur que l'on a voulu jeter sur un honorable fonctionnaire, en disant qu'il réside à Liège, quoique le siège de ses affaires soit à Bruxelles ? Il s'agit de l'inspecteur général de l'agriculture. Savez-vous pourquoi il a résidé pendant quelque temps à Liège ? Parce que, pendant 3 ans, cet inspecteur général a été chargé de lever les plans de tous les chemins vicinaux du royaume, et qu'il a dû se transporter partout où sa présence était requise.

Il importait donc fort peu qu'il résidât à Liège, à Gand ou à Bruxelles, puisque, pendant 3 ans, il n'a pas eu de domicile fixe, et n'a pour ainsi dire résidé que sur les grandes routes. Voilà pourquoi il a pu en apparence résider à Liège. Maintenant que ce travail est terminé, il a pris domicile à Bruxelles ainsi que l'exige la nature du service dont il est chargé.

Je le demande, cela vaut-il la peine de porter l'esprit de critique à des limites aussi exagérées ? Je ne le pense pas.

M. Rogier. - Messieurs, à diverses époques et sous diverses administrations, des membres de la législature, à la Chambre des représentants et au Sénat, ont fait entendre des plaintes sur la silualion de nos cours d'eau. On adressait au gouvernement et notamment au ministre de l'intérieur (car c'est toujours dans la discussion du budget de l'intérieur que ces observations se sont produites) des observations sévères sur l'état de ce service entièrement abandonné. A diverses reprises, au Sénat comme à la Chambre des représentants, on a engagé le gouvernement à s'occuper sérieusement de la question des cours d'eau. Personne ne peut nier en effet l'importance d'un pareil service. A bien considérer la valeur agricole de tous les cours d'eau du pays, je crois qu'on peut sans exagération la mettre sur la même ligne que celle de la voirie vicinale. Le pays s'est-il mal trouvé de (page 584) l’intervention de l'Etat dans les travaux de la voirie vicinale ? Je ne le pense pas. C'est un service qui est à peu près à l'abri de toutes les critiques. Le pays se trouvera-t-il mal de l'intervention de l'Etat, ainsi qu'elle est annoncée, dans ce qui concerne le service des cours d'eau ? Je ne le pense pas davantage.

Le gouvernement vient vous demander les moyens de mettre à exécution les vœux si souvent exprimés dans les deux chambres. D'honorables représentants et notamment l'honorable M. Delehaye ont donné d'excellentes raisons à l'appui de la proposition du gouvernement.

La Chambre ne veut-elle pas que le gouvernement s'occupe de cette question si importante qui lui a été tant de fois recommandée ? Libre à elle, que la Chambre refuse le crédit demandé par M. le ministre de l'intérieur. Il y a quelqu'un, messieurs, qui pourra s'en applaudir ; ce sera probablement le fonctionnaire qu'il s'agit de charger de ce grand travail.

Ce fonctionnaire que l'on vient de critiquer avec une grande sévérité a le malheur, à ce qu'il paraît, de travailler beaucoup.

Il livre à la Chambre des rapports volumineux dont on se moque agréablement. Aimerait-on mieux que ce fonctionnaire ne fît pas connaître au gouvernement et au pays le résultat de ses travaux, le résultat de ses inspections ?

Je ferai, en effet, un reproche à ce fonctionnaire : c'est d'être en quelque sorte trop consciencieux en donnant trop de détails ; c'est de trop travailler. (Interruption.)

L'honorable M. de Man peut rire ; mais je tiens ce fonctionnaire pour un fonctionnaire émiment et digne, sous tous les rapports, de la confiance du gouvernement.

M. de Naeyer, rapporteur. - J'ai rendu justice à son mérite.

M. Rogier. - Ce n'est pas à vous que je m'adresse ; c'est à l'honorable M. de Man qui rit.

M. de Man d'Attenrode. - Je n'ai pas contesté le mérite de ce fonctionnaire.

M. Rogier. - L'honorable M. de Naeyer signale à la Chambre la grosseur du volume d'une des inspections. Qu'est-ce que cela prouve ? Que ce fonctionnaire, qui n'a avec lui que deux agents, travaille peut-être à lui seul autant que dix autres.

Maintenant, il n'est pas exact de dire qu'il se borne à faire des observations théoriques. Il ne se borne pas à écrire des rapports ; il visite presque toutes les localités ; il a parcouru à pied un grand nombre de chemins vicinaux et c'est à la suite des inspections qu'il fait lui-même, qu'il soumet des rapports si volumineux et si complets au gouvernement.

Ces rapports, je le veux, sont peut-être trop volumineux ; tout le monde ne les lit pas ; mais il n'en est pas moins vrai que ceux qui voudront les parcourir y trouveront une grande quantité d'observations très justes dont ils pourront tirer parti comme peuvent le faire tous les agents voyers. Au surplus, si on trouve ce travail trop volumineux, je pense que M. le ministre de l'intérieur n'hésitera pas à demander à ce fonctionnaire des rapports plus à la portée de tous les lecteurs.

On a été jusqu'à dire que le ministre avait en quelque sorte surpris à la Chambre la dépense de l'impression de ce rapport. Car nous descendons vraiment à un genre de critique inconnu jusqu'à présent dans nos annales. Il n'en est rien. C'est moi qui ai déposé le premier ce rapport manuscrit, j'ai demandé à la Chambre si elle voulait en ordonner l'impression. La Chambre a ordonné cette impression. Le rapport avait été déposé dans toute son étendue, dans toute son ampleur, et il n'y a eu de surprise pour la Chambre ; elle savait parfaitement ce qu'elle faisait. La Chambre du reste ordonne l'impression d'une foule de documents qui n'ont peut-être pas l'intérêt de celui-ci et on ne se livre pas à des récriminations relativement aux dépenses que ces impressions occasionnent.

Messieurs, la Chambre, je le répète, fera ce qu'elle voudra de la proposition de M. le ministre de l'intérieur. Si, cette année, l'allocation demandée pour se livrer aux études qui ont été recommandées, est refusée, je suis bien convaincu que, l'année prochaine, cette même allocation sera accordée.

Il y aura une année perdue ; une année de repos pour un fonctionnaire qui n'a nullement demandé de se charger de ces nouvelles attributions. M. le ministre de l'intérieur, lui-même, n'est pas l'inventeur de ce système qu'on lui reproche, il n'est que l'exécuteur des désirs, des vœux qui ont été exprimés à plusieurs reprises dans cette enceinte et au Sénat.

Je le répète, la Chambre en fera ce qu'elle voudra. Quant à moi, je voterai pour la proposition du gouvernement.

- La clôture est demandée.

M. Desmaisières. - Je voudrais adresser une simple question à M. le ministre de l'intérieur. Je désire savoir s'il s'est entendu, s'il s'est expliqué avec son collègue M. le ministre des travaux publics sur le projet de service des cours d'eau qu'il se propose d'organiser.

M. le ministre de l'intérieur (M. Piercot). - Je répondrai en un seul mot : Oui, je me suis entendu avec mon collègue M. le ministre des travaux publics, qui n'entend nullement se charger du service des cours d'eau non navigables ni flottables.

- La discussion est close sur le littera a.

Le chiffre de 13,000 fr. proposé par le gouvernement est mis aux voix et adopté.

« Litt. b. Service des défrichements en Campine : fr. 22,400 fr. »

M. de Perceval. - Messieurs, je désire un moment fixer votre attention sur le littera b actuellement en discussion, et surtout sur la nature de la dépense à laquelle il est destiné à pourvoir. Comme vous l'aurez déjà remarqué sans doute, il s'agit de porter pour la première fois au budget, et cela non pas dans la colonne des charges extraordinaires et temporaires, mais bien dans la colonne des charges ordinaires, uu crédit de 22,400 fr., destiné au service du défrichement en Campine. Ce service, que M. le ministre de l'intérieur vous a déclaré tantôt avoir été créé depuis longtemps, n'existait pas, qu'il me permette de le lui dire, et n'existe pas encore d'une manière permanente et définitive ; il était simplement toléré à titre provisoire, car il n'a été payé jusqu'à ce jour que sur des crédits extraordinaires et en dehors des budgets, par les lois du 20 décembre 1846 et du 23 mars 1847, ainsi que par la loi du 6 juin 1851, pour les défrichements et les irrigations.

C'est donc aujourd'hui pour la première fois qu'il s'agit d'inscrire ce service au budget.

Avant de prendre une semblable résolution, je pense, messieurs, que nous devons nous demander si l'action du gouvernement est utile, si elle est nécessaire dans la Campine ?

Eh bien, je n hésite pas à répondre négativement à cette question, et je suis convaincu que l'intervention de l'Etat y est devenue nuisible sous plusieurs rapports. Et je le prouve.

Depuis nombre d'années, il faut le reconnaître, l'industrie privée, c'est à-dire l'industrie agricole a pris, dans la Campine, un développement très remarquable ; elle s'y trouve suffisamment émancipée pour pouvoir se passer de la tutelle de l'administration. C'était, du reste, l'opinion qu'exprimait le gouvernement lui-même, il y a deux ans, par l'organe de l'honorable M. Rogier.

Voici ce que disait, dans la séance du 5 mai, l'honorable M. Rogier, quand nous discutions, en 1851, le crédit de 600,000 fr. qu'il nous demandait pour les travaux de défrichement dans la Campine :

« ... En fait d'irrigations, un temps viendra où le gouvernement pourra se dispenser de faire des travaux d'appropriation. Grâce à son initiative, qui a fini par vaincre l'inertie des particuliers, inertie à laquelle on voudrait tout abandonner ; grâce à l'initiative du gouvernement, des sociétés se forment ; certains propriétaires commencent à se préoccuper plus activement, avec plus d’énergie, de l'agriculture. Eh bien, quand ces forces, restées trop longtemps inertes, auront fait ce que le gouvernement a été obligé de faire à leur défaut, l’action du gouvernement devra se retirer. »

Dans le rapport du 19 avril 1850, je lis également :

« ... La solution de la grande question nationale du défrichement des bruyères de la Campine sera atteinte :

« 2° Par le vote, à titre de remboursement, d'une nouvelle allocation de 97,000 fr. qui, ajoutée à celle de 53,000 fr. déjà votée, formera un capital roulant de 150,000 fr. pour intervenir dans la formation de 25,000 hectares de bruyères en prairies artificielles.

« Là doivent se borner les sacrifices à faire par le pays. »

Et quelques pages plus loin :

« .... L'efficacité de ce système (des irrigations) ne saurait plus être contestée ; l'expérience a parfaitement réussi ... Le succès de l'arrosage de la Campine est aujourd'hui constaté à tous les yeux ...

« ... La plupart des entrepreneurs d'irrigations semblent disposés à exécuter eux-mêmes tous les travaux que nécessite la transformation des bruyères en prairies ... »

Vous le voyez, messieurs, le langage tenu par le gouvernement, il y a deux ans, a été des plus explicites. Jamais il n'était entré dans sa pensée de donner un caractère permanent au service du défrichement. Loin de là ; le personnel de cette administration devait diminuer insensiblement, et finir enfin par disparaître complètement.

Aujourd'hui, il n'en est plus ainsi : M. le ministre de l'intérieur inscrit tout bonnement ce service au budget et le fait même briller dans la colonne des charges permanentes !

Les travaux préparatoires aux irrigations, exécutés par le gouvernement, ont déjà coûté au pays une somme de 114,879 fr. 95 centimes.

Si encore ces travaux avaient toujours été conduits à la satisfaction de la science et des propriétaires, on pourrait ne pas trop se plaindre des sacrifices que l'Etat s'est imposés ; mais, messieurs, si mes renseignements sont exacts, l'action de l'administration a laissé énormément à désirer dans la Campine. C'est ainsi que des propriétaires qui ont acheté les biens de Caulille et d'Arendonck ont été forcés de démolir les ouvrages commencés par l'administration parce que celle-ci n'avait tenu aucun compte de l'écoulement des eaux. C'est ainsi que les travaux préparatoires exécutés par cette même administration à Lommel et qui avaient coûté une somme d'environ 22,000 fr., ont dû également disparaître, et le propriétaire a été entraîné à faire de ce chef une dépense de près de 30,000 francs ; ayant foi dans les connaissances des agents du gouvernement, il avait fumé et ensemencé sa propriété, et quand il voulut procéder à l'irrigation il s'aperçut que les eaux du canal ne pouvaient arriver jusque sur son terrain !

Hamont, Neerpelt, Elen et Achel, nous offrent le même spectacle, et déjà le propriétaire de Hamont a abandonné son entreprise.

Je ne puis passer sous silence les ouvrages du Liereman, près Turnhout. Ce terrain, qui a reçu tous les travaux préparatoires aux irrigations, a été présenté déjà deux fois en vente publique, et impossibilité absolue et complète de trouver un acquéreur. Pourquoi l'administration (page 585) ne peut-elle pas s'en défaire ? Parce que les travaux qu'elle y a exécutés sont détestables.

Messieurs, dans mon opinion, on donne aux travaux d'irrigation une trop grande extension. Ce qu'il faut à la Campine, ce sont des fermes, parce que les fermes y amènent le bétail, avec le bétail on a l'engrais, et avec l'engrais ou aura bientôt des terres arables. Dans la Campine on doit pouvoir y consommer ce que la terre produit. On y récolte des foins admirables et d'une très belle hauteur ; mais le plus difficile est de pouvoir les vendre, et comme on ne peut s'en défaire, on est forcé de les y vendre à un vil prix.

Je demande, dans l'intérêt même de l'avenir de la Campine, dans l'intérêt de la prospérité de cette contrée à laquelle la législature n'a cessé de porter une sincère et vive sollicitude, je demande, dis-je, la suppression de ce personnel. Il constitue un service ruineux pour l'Etat et il est devenu un obstacle réel au développement de l'industrie agricole.

Savez-vous, messieurs, quel est le personnel que nous rétribuons dans la Campine ? Nous avons d'abord un ingénieur en chef qui réside, non pas au centre de cette contrée qu'il est appelé à surveiller, mais à Hasselt.

Il a sous ses ordres un autre ingénieur agricole, lequel, à son tour, se trouve à la tête de huit conducteurs-agricoles ; ceux-ci (exactement comme dans la Bible) ont engendré à leur tour une école d'irrigateurs, qui ont engendré également des surveillants, des gardes-digues, des pontonniers, etc.

Et cette petite cohorte d'employés qui travaillent, nous avons vu tantôt comment, existe aux frais du trésor.

Je demande, avec les propriétaires de la Campine, qu'on la disperse et qu'on la supprime ; l'Etat et les particuliers s'en ressentiront avantageusement.

Les habitants de la Campine savent très bien irriguer ; pas n'est besoin de le leur apprendre, et ils s'en acquittent très bien sans aller à l'école d'irrigateurs à Lommel. Et en ce qui concerne les surveillants, ils sont parfaitements inutiles, parce que chaque propriétaire possède et paye un surveillant préposé à la garde de sa propriété ; il est intéressé, bien plus que l'Etat, à faire surveiller ses travaux d'irrigation. Pourquoi n'établirait-on pas en Campine, comme cela existe en Hollande, une administration exclusivement composée des propriétaires de terrains ?

Pourquoi ne pas y créer une espèce d'association de wateringue qui réunirait tous les intéressés et qui délibérerait sur ses intérêts sous le contrôle d'un agent du gouvernement ? Le jour qu'ils se réunissent, envoyez un ingénieur en chef pour assister à leur discussion. Un semblable comité offrirait d'immenses avantages et ne coûterait rien au trésor ; les propriétaires se contrôleraient mutuellement, et il n'y aurait pas, comme aujourd'hui, ce gaspillage d'eau.

Je passe au rapport de la section centrale et aux réponses que M. le ministre de l'intérieur a faites aux questions qui lui ont été posées en ce qui concerne le service du défrichement.

M. le ministre de l'intérieur était, du reste, il faut le reconnaître, un peu embarrassé pour justifier ce personnel ; aussi, vous allez voir combien dans l'avenir ces fonctions doivent être importantes.

D'abord, nous a dit M. le ministre : « l° leurs attributions consistent à instruire les demandes de prise d'eau, ce qui nécessite la visite des lieux. »

A instruire des demandes de prise d'eau !... Mais depuis longtemps l'administration ne fait plus aucune concession d'eau ; elle s'est arrêtée à une étendue de 2,000 hectares ; et cependant à en croire les rapports des 13 décembre 1844, 1er novembre 1846 et 29 juin 1848, émanés de M. Kummer, à cette époque ingénieur en chef de la Campine, nous devions pouvoir irriguer, à l'aide des eaux du canal, 25,000 hectares.

Il est vrai que ce chiffre était un peu fabuleux, et personne n'y a cru ; mais enfin l'on finit par nous annoncer que les bienfaits de l'irrigation auraient pu atteindre 7,000 hectares de bruyères, et que le canal n'en serait pas moins navigable.

En ce moment, le canal n'est pas navigable, et savez-vous, messieurs, combien d'hectares sont irrigués dans la Campine ? 520 à 530, quoiqu'il y ait des concessions faites pour 2,000 hectares, et les propriétaires qui ont reçu les concessions ne peuvent alimenter leur bruyère, faute d'eau. J'en tire cette conséquence, que le gouvernement ne doit plus instruire de nouvelles concessions, car il se trouve encore bon nombre de propriétaires qui, malgré les concessions qui leur ont été octroyées pour une étendue de 1,400 à 1,500 hectares, ne peuvent irriguer faute d'eau.

M. le ministre de l'intérieur poursuit ensuite : « 2° A surveiller l'exécution des travaux qui sont entrepris après la concession. »

Mais pour surveiller ces irrigations, vous avez d'abord les propriétaires qui sont les plus intéresses à faire respecter eux-mêmes leurs travaux ; en second lieu, pour que cette surveillance soit efficace et réelle, avons-nous besoin, je vous le demande, d'un ingénieur en chef qui réside à Hasselt, d'un ingénieur agricole, de huit conducteurs agricoles, d'une école d'irrigateurs, de gardes-digues, etc., etc. ? Je ne le pense pas. Je crois que deux ou trois conducteurs suffisent.

Enfin M. le ministre de l'intérieur nous a déclaré qu'il confierait à ce personnel l'étude des canaux collateurs, du dessèchement des marais et l'instruction des demandes de reboisement. Ce sont là des arguments à l'aide desquels on peut justifier un personnel quelconque que l'on veut entretenir à charge du pays.

Avant de terminer, je dois adresser une interpellation à M. le ministre de l'intérieur : Une concession d'eau pour 200 hectares, situés en Hollande, a été faite à deux entrepreneurs de travaux publics. Je demande, non la justification, car elle me paraît impossible, mais l'explication de ce privilège. Comment ! des propriétaires belges, nos compatriotes, manquent d'eau pour alimenter leurs terres situées sur le sol belge ; le gouvernement ne remplit pas à leur égard les engagements qu'il a contractés, et il permettra à l'intéressé dont il s'agit de pratiquer une énorme prise d'eau dans le canal pour aller irriguer 200 hectares situés sur un sol étranger !

Je demanderai également à M. le ministre qu'il fasse cesser les indemnités prélevées par ses agents sur les propriétaires dans la Campine. Je désire aussi qu'il retire le plus tôt possible le projet de règlement provisoire pour les irrigations. Je l'ai parcouru et je le trouve incompatible avec les droits de propriété.

Messieurs, je crois avoir prouvé que l'action du gouvernement dans la Campine est inutile, dangereuse et onéreuse pour l'Etat. Renvoyons le service du défrichement au département des travaux publics ; car il ressort par sa nature à ce ministère.

J'appelle surtout l'attention de la Chambre sur cette considération ; c'est que si le crédit est voté tel qu'il est pétitionné au budget dans la colonne des charges permanentes, vous aurez créé uu second corps des ponts et chaussées au département de l'intérieur.

M. le président. - M. de Perccval propose le rejet du crédit.

La section centrale propose de le faire passer de la colonne des charges ordinaires à celle des charges extraordinaires.

Le gouvernement ne se rallie pas à la proposition de la section centrale.

M. Osy. - Messieurs, je serai très court ; tout ce que vient de dire l'honorable M. de Perceval m'a été également affirmé par les personnes de la Campine, qui s'occupent d'irrigation. Je crois que le plus beau cadeau que pourrait leur faire le gouvernement serait de les délivrer de ces fonctionnaires que leur envoie le gouvernement. Je ne dis pas que dans le commencement le gouvernement n'ait pas fait quelque bien dans la Campine ; c'était pour mettre les travaux en train que nous avions voté des crédits en 1851 ; mais maintenant qu'on sait fort bien comment on fait les irrigations, délivrez les propriétaires de ces agents qui font faire des travaux qu'il faut ensuite démolir parce qu'ils sont mal faits. Les propriétaires seront très heureux d'en être délivrés.

La somme que demande le gouvernement n'est pas la seule qu'on a à payer pour cet objet, car vous voyez que les agents peuvent encore se faire payer par les propriétaires, pour les travaux qu'ils dirigent. C’est tout à fait irrégulier ; le gouvernement ne peut pas faire payer ses agents, ses employés par les propriétaires, c'est contraire à la loi de comptabilité ; les fonctionnaires ne peuvent être payés que sur les fonds généraux de l’Etat et non de cette façon ; c'est cependant ce qui se fait dans la Campine.

Je pense que quand on peut se passer de l'intervention du gouvernement, il faut s'en débarrasser le plus tôt possible. Si la Campine avait désiré la continuation de cette intervention, on n'entendrait pas de tous côtés demander à être débarrassé du personnel que le gouvernement entretient.

Si vous croyez que les renseignements sur lesquels nous nous appuyons ne sont pas exacts, que le gouvernement consente à ce que l'allocation soit inscrite parmi les charges extraordinaires, comme le propose la section centrale et qu'il fasse une enquête, il verra que nos renseignements sont conformes à la vérité, qu'il est temps d'en finir avec le système d'intervention du gouvernement et de laisser les propriétaires s'entendre entre eux sur la meilleure manière de soigner leurs intérêts.

M. de Theux. - Je ne prétends pas que tous les travaux préparatoires exécutés par les agents du gouvernement dans la Campine aient été faits de la manière la plus économique et la plus avantageuse. Mais s'il n'y avail pas eu d'intervention de la part du gouvernement, il n'y aurait pas eu de création de prairies dans la Campine. Aujourd’hui, je suis complètement d'avis que le gouvernement ne doit plus faire de travaux préparatoires.

Je ne sache pas qu'il entre dans ses intentions d'en faire encore, je ne sache pas non plus qu'il y en ait en cours d'exécution. Je pense qu’il faut maintenant abandonner tous les travaux aux acquéreurs. En exécutant simultanément des grandes rigoles d'alimentation et d'écoulement avec les travaux de détails on trouve une économie importante, et de plus s’il y a des mécomptes ils ne seront plus imputables aux agents du gouvernement, il n'y aura plus de plaintes possibles de ce chef.

Quant à l'importance du service, ii'y a une question préalable ; c'est celle de savoir si on a l'intention d'arrêter en quelque sorte le défrichement des bruyères en prairies, ou si l'on a l'intention de continuer encore une série de travaux pour étendre les irrigations à des parties de la Campine qui en sont susceptibles.

Dans ce cas, le service doit rester organisé tel qu'il est ; dans le cas contraire, on ne pourrait pas le supprimer, mais seulement réduire le personnel.

M. de Perceval a parlé d'un ingénieur en chef résidant à Hasselt. Cet ingénieur est chargé du service ordinaire des ponts et chaussées dans la province, il est chargé en outre du service des irrigations, non seulement dans le Limbourg, mais aussi dans la province d'Anvers ; il a (page 586) sous ses ordres un ingénieur de troisième classe, spécialement chargé de ce service, et qui réside en Campine. Sa besogne principale consiste à aviser sur les demandes en concession de prise d'eau, à s'assurer qu'il n'y a pas d'abus d'eau par les concessionnaires nantis d'une permission du gouvernement, à donner des indications générales pour la conduite des eaux, la direction des rigoles d'alimentation et des rigoles d'écoulement, de manière que les eaux une fois sorties du canal de la Campine, rendent le plus de service possible. Il doit veiller à ce que le concessionnaire n'use pas de la prise d'eau avec le plus de profit et d'économie pour lui, sans s'inquiéter si les eaux en sortant de ses fonds peuvent servir à d'autres prairies ; il doit veiller, en un mot, à ce qu'elles servent le plus longtemps possible aux irrigations dans leur parcours.

L'ingénieur en chef chargé des irrigations doit donc recevoir sa mission principale du département des travaux publics, et sa mission, quant aux irrigations, lui est donnée par le département de l'intérieur ; il a sous lui, pour ce service, un ingénieur et d'autres employés. L'existence de quelques employés sera toujours nécessaire pour empêcher qu'on ne fasse abus de l'eau du canal, parce que le concessionnaire d'une irrigation doit être surveillé, le gouvernement ne peut abandonner à la seule volonté des irrigateurs l'emploi des prises d'eau ; il faut une police dans l'intérêt du double service du canal.

Mais, messieurs, je suis entièrement de l'avis des honorables préopinants MM. de Perccval et Osy quant à ce qu'on veut faire au sujet des irrigations ; si l'on entend adopter un mode tel que l'administration s'ingère dans les intérêts privés. Cela deviendrait une source de réclamations contre le gouvernement, et de dégoût pour les propriétaires. Quand le gouvernement a livré l'eau, le propriétaire doit être maître d'en disposer à son gré, pourvu qu'à la sortie de son fonds il le rende, d'après les indications du gouvernement, pour qu'elle puisse servir à d'autres usages.

Quant à l'emploi de l'eau, il faut laisser la liberté la plus illimitée au propriétaire, qui, guidé par l'expérience et par l'intérêt, en fera assurément l'emploi le plus utile.

Sous ce rapport, tous les propriétaires ont réclamé à l'unanimité contre un projet de règlement, qui avait été préparé par l'administration, c'est-à-dire que ce règlement, mal exécuté, pouvait amener la confiscation de plusieurs millions qui ont été engagés dans ces entreprises de défrichements. Ce règlement, avant d'être mis à exécution, devra être autorisé par une loi. Mais dans tous les cas, l'intervention de l'administration devra se borner à accorder la concession d'eau et à empêcher l'abus de l'usage de l'eau.

Ce serait une erreur de croire que 500 hectares de bruyères seulement seraient convertis en prairies. Je connais un seul propriétaire qui, en trois ans, a défriché 400 hectares. Il y a un nombre très considérable d'hectares convertis en prairies. Dans quelques années, il y en aura davantage ; les travaux entrepris ne sont pas encore terminés.

Il y a eu des déceptions dans les opérations de défrichement. Mais cela arrive dans tous les temps. Ainsi j'ai eu sous les yeux une concession gratuite faite par Marie-Thérèse dans le bailliage de Furnes, de terrains inondés qui devaient être asséchés. La première compagnie a dépensé 600,000 florins de Hollande et, après plusieurs années, elle fut obligée de restituer les terrains au gouvernement. Une deuxième compagnie se forma, et elle ne fut pas plus heureuse que la première.

En Campine plusieurs déceptions ont eu lieu. Aussi plusieurs personnes ont cru qu'il suffisait de se rendre adjudicataire de terrains communaux et d'y travailler pendant quelque temps pour obtenir un résultat immense. C'est une erreur. Ce n'est qu'en faisant bien ses travaux et en persévérant pendant plusieurs années qu'on obtient des résultats.

Pour le moment, dans la plupart des endroits, il y a surcroît de produits, mais ce qui est en surcroît dans une localité doit être recueilli par les propriétaires et livré au commerce. Ce qui a découragé plusieurs personnes, ce sont les soius assidus, constants qu'exige l'administration d'une semblable propriété.

Ou croit qu'en instituant des wateringues on aurait obvié à tout, et qu'on pourrait supprimer l'administration. C'est une grande erreur. Le but des wateringues est de débarrasser les terres des eaux surabondantes et de déterminer la part contributive de chacun dans les dépenses qui sont nécessaires. Mais, ici, il s'agit de toute autre chose. Il y a les intérêts du public, de l'Etat, qui doivent être surveillés. Pour cela, il est indispensable qu'il y ait un ou plusieurs agents de l'administration publique.

J'ai vu avec plaisir que l'honorable député de Malines n'avait pas reproduit la pensée qu'il avait, il y a quelques années, de faire payer largement les concessions de prise d'eau aux particuliers. En effet, d'après les explications qui ont été données à l'honorable membre, je pense que cette opinion doit être modifiée.

Les concessions de prises d'eau ne se font pas à titre gratuit, elles se font à titre onéreux, on ne les obtient qu'à la condition de convertir sa propriété en prairie, c'est une servitude consistant en ce que le propriétaire n'est pas maître absolu de sa propriété. Il n'a l'eau qu'à la condition de convertir ses terrains en prairies irrigables et de les maintenir dans cet état. Il ne peut jamais en changer la culture.

Pourquoi le gouvernement accorde-t-il ces concessions ? En vue de l'utilité publique, afin de créer un grand nombre de prairies, afin qu'en Campine on puisse élever assez de bétail pour arriver à convertir en terres arables les parties de bruyères qui ne sont pas susceptibles d'être converties en prairies.

C'est une condition sérieuse accompagnée d'une clause extrêmement onéreuse ; car il y a un délai très court, dans lequel la conversion en prairie doit avoir lieu, et à défaut de la conversion en prairie dans ce délai, le propriétaire est dépossédé de son sol, sans indemnité, sans restitution du prix d'achat.

Il y a plus, les communes qui possèdent des bruyères irriguables ne peuvent les aliéner qu'à la condition qu'elles seront converties en prairies.

Vous voyez donc qu'il ne s'agit pas du tout de concession gratuite, que c'est à titre onéreux et dans l'intérêt public que les prises d'eau sont concédées.

Je pense que si le gouvernement se décidait à faire les travaux qui sont indiqués dans une annexe au budget, l'on pourrait arriver à des résultats plus considérables que ceux qu'on a obtenus jusqu'ici. Mais pour le moment l'on ne peut demander que les concessions de prises d'eau soient augmentées, parce qu'il faut que le canal serve à un double usage : à la navigation, et à la fertilisation des prairies pour lesquelles l'eau a déjà été concédée.

Ainsi la Chambre aura à examiner si elle veut arrêter le développement ultérieur de la conversion en prairies. Dans ce cas, on pourrait réduire la dépense du service des irrigations. Si, au contraire, on est dans l'intention de continuer ces défrichements, ces conversions en prairies, et de faire les travaux que le gouvernement a annoncés pour arriver à un résultat complet, il faut maintenir le service.

M. de Man d'Attenrode. - Lessieurs, je viens appuyer les observations, fort justes, que vient d'émettre l'honorable M. de Perceval. Les plaintes dont il s'est fait l'interprète sont appuyées sur des faits qui n'ont pas été contestés.

L'honorable M. Osy s'est associé à ces plaintes. L'honorable M. de Theux ne les a pas contredites.

Voyons quelle est la cause du mécontentement qui existe en Campine ? Quelle est la cause de tous ces actes contraires à l'intérêt public ?

Le rapport de l'ingénieur chargé du service des irrigations, qui se trouve annexé au projet de budget, nous l'apprend en partie.

Voici ce que je lis dans le rapport, page 51 des annexes :

« Bien que le personnel des défrichements doive accueillir comme un bienfait la réalisation de votre projet (celui du ministre de l'intérieur), qui le soustraira à l'incertitude d'une situation provisoire, je ne persiste pas moins à vous déclarer, qu'à mon avis, la stabilité, qui lui est indispensable, par suite des rapports multipliés et délicats qu'il doit avoir avec les intérêts privés, ne lui sera complètement assurée que par une organisation régulière, déterminant les attributions et les devoirs de chacun de ses membres envers l'Etat comme envers le public. »

De sorte que, messieurs, les attributions et les devoirs de chacun des fonctionnaires, qui constituent le service des défrichements, les devoirs de chacun d'eux envers le public ne sont pas encore déterminés après cinq ans d'existence ; c'est le chef de ce service qui le déclare lui-même au gouvernement.

Maintenant, messieurs, voulez-vous savoir pourquoi les attributions, les devoirs de ce service ne sont pas déterminés ?

Ils ne le sont pas, parce que ce service se compose d'ingénieurs détachés du département des travaux publics, qui ont été soustraits à leurs chefs naturels, soustraits à toute inspection, à tout contrôle. Car il est évident que la direction du département de l'intérieur est insuffisante. Cela est incontestable. N'avez-vous pas vu, il y a quelques jours, M. le ministre de l'intérieur ignorer les causes des dégâts considérables occasionnés par les inondations par suite de manœuvres hydrauliques impardonnables ?

Si ce service était convenablement dirigé, on n'aurait pas eu à déplorer la perte du foin sur plus de cent hectares d'anciennes prairies sous la commune d'Achel !

Messieurs, cette dérogation aux règles de l'administration a pu être nécessaire, excusable dans les premiers temps, quand il s'agissait de prouver aux populations par des exemples, par des modèles, qu'il était possible de défricher les bruyères au moyen des irrigations. Mais maintenant que cet exemple a porté ses fuits, qu’il a parfaitement réussi comme le disait le gouvernement en 1851, il est certain que ce personnel pourrair rentrer sous les attributions du département d’où il soirt.

Quel doit être désormais le rôle du gouvernement ? Surveiller la distribution des eaux, empêcher que l'on n'épuise les eaux du canal, empêcher que l'on ne rende la navigation impraticable.

Eh bien ! messieurs, le service ordinaire des ingénieurs des travaux publies en Campine, légèrement augmenté, est capable de faire ce service.

Mais j'ai des motifs à alléguer, plus importants encore que ceux de l'économie, pour établir que le service des irrigations doit faire retour au département des travaux publics.

Messieurs, le canal de la Campine a un double caractère : il a le caractère d'une voie navigable et le caractère d'un cours d'eau destiné à fertiliser les bruyères.

Le personnel préposé à ces deux services appartient à deux départements. Ce personnel n'a pas les mêmes chefs. Or, cette organisation vicieuse fait naître et doit faire naître de (page 587) nombreux conflits auxquels il est important de mettre obstacle, car ils compromettent un grand travail d'utilité publique qui vous a coûté 20 millions. Quel est ce travail ? C'est une voie navigable de Liège vers Anvers ; et voici comment le but de cette grande communication peut être annulé.

Le service des irrigations ne songe qu'à fertiliser les terres, il ne songe à se procurer de l'eau que pour la répandre dans les prairies ; il a peu d'égards pour les services que le canal doit rendre au commerce par la navigation.

C'est ainsi que l'on a accordé des concessions d'eau pour 2,000 hectares, et le service de la navigation se trouve compromis, bien que l'on ne puisse procéder qu'à l'irrigation d'un peu plus de 500 hectares.

Mais, messieurs, qu'on y prenne garde, cette question peut préparer les plus grands embarras au gouvernement.

Ces concessions d'eau ont le caractère de contrats, s'il était prouvé que leur exécution compromet la navigation, et que l'on veuille lui conserver ce caractère, l'Etat pourrait être exposé à payer des indemnités considérables.

Que le gouvernement y réfléchisse, ces opérations ne peuvent être entourées de trop de précautions. Or, je soutiens que pour agir avec discernement il faut que le service du canal soit donné d'une manière complète au département des travaux publics.

Je viens de dire que le canal finira par perdre son caractère de voie navigable, si les deux services ne sont pas centralisés. Que faut-il pour qu'il conserve ce caractère ? C'est que l'administration puisse garantir au commerce un certain tirant d'eau ; 2 mètres je suppose ; eh bien, voilà ce qui est impossible avec l'organisation d'aujourd'hui. Le service des travaux publics ne peut pas donner cette garantie, et la raison en est fort simple. C'est que le niveau de l'eau dépend de MM. les ingénieurs détachés au département de l’intérieur qui ne reconnaissent plus l'autorité de leurs anciens chefs, qui ont été émancipés, pour dire le mot.

Tantôt les eaux sont tellement basses que la navigation n'est plus possible ; tantôt les eaux sont tellement hautes, que les digues sont menacées. C'est ainsi que sont arrivées au milieu du mois de juin, des inondations qui ont détruit des récoltes de foins le long du Dommel.

Je pourrais m'étendre encore beaucoup, mais le temps presse. Je dis donc qu'il est temps que le gouvernement accomplisse les promesses que constate le rapport de la section centrale du 11 avril 1851, qu'il réduise le personnel, et que ce personnel rentre d'où il vient, dans les attributions du département des travaux publics.

Le service des irrigations doit être réduit désormais à surveiller les distributions des eaux et à instruire les nouvelles demandes de concession. Or, le département des travaux publics est seul capable de veiller à ce que ces concessions ne rendent pas la navigation impraticable.

La section centrale vous propose de porter le crédit demandé dans la colonne des charges extraordinaires. Le discours qu'a prononcé l'honorable député de Malines m'engage à sous-amender sa proposition, afin de lui donner plus de chance de réussir. Les termes en sont un peu absolus. Il propose la suppression immédiate et complète du crédit nécessaire pour payer ce service.

Je fais la proposition d'allouer la moitié de la somme pétitionnée, d'accorder des crédits pour six mois. D'ici là le gouvernement aura le temps de faire rentrer ce service d'ingénieurs des ponts et chaussées au département des travaux publics.

- La séance est levée à quatre heures trois quarts.