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Chambres des représentants de Belgique
Séance du jeudi 1 mars 1855

(Annales parlementaires de Belgique, chambre des représentants, session 1854-1855)

(Présidence de M. Delfosse.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(page 849) M. Ansiau procède à l'appel nominal à deux heures et un quart.

M. Dumon lit le procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Ansiau présente l'analyse des pièces qui ont été adressées à la Chambre.

« Des fabricants de chaînes pour la marine et ouvriers chaînetiers à Gosselies, demandent que le droit d'entrée pour chaînes de marine soit fixé à 6 francs les 100 kil. et que les bouts de chaîne de moins de 150 mètres de longueur ne puissent être admis en exemption de droit. »

M. Vervoort. - J'ai examiné cette pétition. Je la crois fondée. Je pense qu'il serait utile d'en ordonner l'insertion aux Annales parlementaires, pour que chacun pût en prendre connaissance. C'est à quoi je conclus.

M. le président. - On ne peut demander l'insertion d'une pétition aux Annales parlementaires, que lorsque cette pétition a été examinée par la commission.

M. Vervoort. - On ne peut renvoyer cette pétition à la commission. La discussion est ouverte sur la question.

M. le président. - On a reconnu qu'il y avait des inconvénients à insérer des pétitions dont on n'a pas pris connaissance. Le bureau examinera s'il n'y a pas d'inconvénients à cette insertion. Vous reproduirez votre proposition demain.

La pétition restera déposée sur le bureau pendant la discussion du projet de loi sur le tarif des douanes.


« Le sieur Collin, fabricant de laiton, bronzes et autres alliages, soumet à la Chambre une note en réponse aux arguments présentés par le gouvernement contre la réclamation des fabricants de bronzes, et demande qu'on n'admette en franchise de droits que des blocs, lingots, etc. de laiton ou de bronze, ayant au moins 10 centimètres de volume en tous sens. »

- Même décision.


« Les sieurs Coopal et comp. présentent des observations sur la réponse faite à la section centrale par M. le ministre des finances au sujet de l'article « salpêtre », et prient la Chambre de se rallier au moins à la proposition de la première section qui demande un droit de 5 fr. sur le salpêtre raffiné. »

- Même décision.


« Des fabricants de bleu d'azur à Bruxelles présentent des observations contre la pétition d'autres fabricants de bleu d'azur et demandent que le bleu d'outre-mer pur et mélangé soit frappé d'un droit d'entrée de 25 fr. par 100 kil. »

- Même décision.


« Des détenus pour dettes demandent l'abolition ou du moins la révision de la loi sur la contrainte par corps en matière civile et commerciale. »

M. Lelièvre. - La législation actuelle sur la contrainte par corps est évidemment vicieuse et doit être révisée. Depuis plusieurs années la France a introduit une réforme qui est aussi vivement réclamée en Belgique.

La pétition dont il s'agit a un caractère d'urgence, à raison de la position de ceux de qui elle émane. Je demande qu'elle soit renvoyée à la commission des pétitions qui sera invitée à faire un prompt rapport.

- Cette proposition est adoptée.


« Le sieur Duthois, artiste vétérinaire non diplômé, demande qu'on l'autorise à continuer sa profession. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Des habitants de Poelcappelle présentent des observations contre la demande tendant à séparer ce village de la commune de Langemarck, pour l'ériger en commune distincte. »

- Même décision.


« Par dépêche du 21 février, M. le ministre de l'intérieur adresse à la Chambre un exemplaire de la troisième livraison du recueil spécial des brevets d'invention. »

- Dépôt à la bibliothèque.

Projet de loi portant le budget des non-valeurs et remboursements de l’exercice 1856

Rapport de la section centrale

M. T'Kint de Naeyer. - J'ai l'honneur de présenter le rapport de la section centrale qui a examiné le budget des non-valeurs et remboursements pour l'exercice 1856.

Projet de loi modifiant l’article 216 du Code de commerce

Rapport de la section centrale

M. Van Iseghem. - J'ai l'honneur de déposer le rapport de la commission qui a examiné les modifications à apporter à l'article 216 du Code de Commerce.

- La Chambre ordonne l'impression et la distribution de ces rapports et les met àlia suite des objets à l'ordre du jour.

Il est procédé au tirage des sections du mois de mars.

Projet de loi portant le budget des dotations de l'exercice 1856

Dépôt

Projet de loi portant le budget des dépenses pour ordre de l’exercice 1856

Dépôt

M. le ministre des finances (M. Liedts). - D'après les ordres du Roi, j'ai l'honneur de présenter le budget des dotations et le budget des dépenses pour ordre pour l'exercice 1856.

- Il est donné acte à M. le ministre de la présentation de ces projets de loi ; la Chambre en ordonne l'impression et la distribution et les renvoie à l'examen des sections.

Motion d’ordre

Tarifs sur les lignes des chemins de fer concédés

M. Frère-Orban. - Messieurs, dans votre avant-dernière séance, l'honorable M. Dechamps, à l'occasion de la discussion du projet de réforme douanière, a signalé à votre attention certains faits relatifs à l'exécution du contrat de concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes, desquels il résulterait que la compagnie, modifiant les tarifs en accordant des remises à des tiers, ferait affluer vers les stations nouvelles des transports qui, régulièrement, n'auraient pas pu avoir cette destination.

« Il paraît, dit l'honorable membre, que la loi autorise la compagnie à faire des remises considérables pour les expéditions en destination directe d'Alost ou des autres stations de la même catégorie ; et de ces lieux d'entrepôt, le fret sera de 2 et 3 fr. au-dessous du fret par la voie navigable, pour les Flandres, Anvers et la Hollande. »

J'interrompis l'honorable membre pour lui dire que cela était impossible. L'honorable membre, persistant dans son opinion, affirma que cela était possible, puisque cela était, et en donna notamment cette raison :

« La compagnie de Dendre-et-Waes fait comme toutes les autres compagnies ; elle accorde des réductions sur le maximum de ses tarifs pour attirer les transports. »

Encore une fois je répondis : Cela est impossible.

Je pensais que l'honorable ministre des travaux publics se serait empressé de contredire les assertions de l'honorable membre ; mais il a fallu une interpellation de l'honorable M. Vermeire pour amener le chef du département des travaux publics à donner une explication, à faire une déclaration qui, me semble fort ambiguë et qui, en tous cas, ne me paraît en aucune manière satisfaisante.

L’honorable ministre des travaux publics a bien annoncé que s'il y avait quelque fraude, cette fraude serait réprimée : « Il n'est pas douteux, dit-il, que le gouvernement serait armé vis-à-vis de la société concessionnaire, si elle détournait ou fractionnait au préjudice du trésor des transports originaires d'une station de l'Etat, et en destination réelle pour une autre station de l'Etat.

« Ce serait là un transport frauduleux qui exposerait la compagnie à se voir confisquer un mois de recette ; mais pour les transports nouveaux, pour les transports additionnels qui, par des réductions de tarif, sont attirés sur les lignes de l'Etat, la question est plus grave et la compagnie peut être dans son droit en faisant ces remises, le gouvernement n'y perd au moins rien ; c'est ce que je me propose de démontrer un autre jour, quand je reviendrai sur la question. »

Ceci, messieurs, je l'avoue, ne m'a pas paru fort intelligible ; on parle de réductions de tarifs, de remises, de transports additionnels, et je ne sais en vérité à quoi cela peut s'appliquer.

Votre attention aura probablement été plusieurs fois appelée sur cette question du chemin de fer de Dendre-et-Waes, car des brochures signalant des abus graves vous ont été distribuées. J'en tiens à la main ; j'y lis, après une foule de combinaisons desquelles il résulterait que l'on a la prétention de faire passer toutes les recettes du chemin de fer de l'Etat par la station d'Alost, j'y lis ce qui suit :

« Dans les conditions que nous venons d'examiner, on comprendra très facilement qne rien ne peut empêcher la compagnie concessionnaire de prendre des arrangements particuliers avec les négociants ou expéditeurs des localités plus ou moins éloignées d'Alost, de Termonde, etc., et de faire avec eux des traités pour effectuer à forfait le transport de leurs marchandises à des prix considérablement réduits rendues à Alost, Termonde, Anvers, Gand, etc. Un pareil traité sera sans doute très onéreux à l'Etat, mais il sera avantageux aux concessionnaires, aux consommateurs et aux fournisseurs, ceux-ci pouvant avoir à Alost et gratis, ou tout au moins en dessous du prix d'achat ordinaire aux lieux de production, des matériaux de toute espèce. »

J'ai ri, j'en conviens, lorsque j'ai lu cette publication et j'ai cru que l'on pouvait la considérer comme une espèce de réclame en faveur des actions du chemin de fer de Dendre-et-Waes. Je l'ai cru d'autant plus qu'à quelque temps de là, une brochure indiquée comme faite par un actionnaire de Dendre-et-Waes, plaisantait fort agréablement l'auteur de l'écrit précédente qui avait épuisé toutes les ressources de son imagination pour créer un système fantastique qui menaçait grandement le trésor public.

Mais après les assertions de l'honorable M. Dechamps, après l’affirmation de l'honorable M. Vermeire qu'en réalité il existe des contrats, des traités, des arrangements en vertu desquels des réductions de (page 850) tarifs sont consentis en faveur de certains transports vers les lignes concédées, il est impossible que nous continuions à garder le silence. Il est indispensable que les faits soient éclaircis, que les questions soient examinées et reçoivent une solution, la solution n'est pas, au surplus, difficile.

Je sais que la fraude est très ingénieuse ; elle est très habile dans ses expédients ; mais je crois aussi que la seule explication des faits, la seule exposition du contrat, le seul rappel de la discussion suffit pour condamner toute espèce de traité, toute espèce d'arrangement de la nature de ceux qui sont dénoncés.

Les moyens qui sont indiqués comme pouvant être mis en usage par la compagnie consistent à réduire les tarifs, ainsi que le dit l'honorable M. Dechamps, à accorder des remises sur les prix de transports, et pour certains cas, au moins, l'honorable ministre des travaux publics ne paraît pas avoir une pensée bien claire, bien nette, bien arrêtée sur la légitimité de ces moyens.

Examinons donc la convention qui lie la compagnie et l'Etat.

Elle porte, article 5 : « Les chemins de fer à établir seront, tant pour la route même que pour leurs dépendances, exploités et administrés par le gouvernement absolument comme s'ils faisaient partie du réseau construit par l'Etat.

« En conséquence et sauf les réserves mentionnées à l'article 7, la compagnie ne pourra intervenir dans aucune question relative soit aux tarifs appliqués, soit à la marche des convois. »

L'article 7 dispose : « Il est entendu qu'en ce qui concerne, tant les bases générales des tarifs que les modifications ou les exemptions de taxes accordées dans certaines circonstances, le chemin nouveau sera, pendant toute la durée de la concession, traité exactement sur le même pied que les autres lignes du réseau de l'Etat, sauf, toutefois, les cas particuliers où la compagnie consentirait à ce qu'il en fût autrement. »

Ainsi, messieurs, il y a là un principe absolu qui interdit à la compagnie d'intervenir dans aucune question relative aux tarifs. L'Etat exploite, l'Etat est maître des tarifs ; le gouvernement seul les règle ; ils doivent être appliqués tels qu'ils sont faits ; le gouvernement doit les appliquer partout, sur toutes lignes, de la même manière. S'il y a des modifications, ou des exemptions de taxes, comme on en accorde en certaines circonstances, le chemin concédé doit être traité exactement sur le même pied que les autres lignes du réseau de l'Etat. C'est ce que commande l'équité, c'est ce que veut la justice.

Il est interdit à la compagnie d'intervenir dans les questions relatives au tarif ; elle n'y peut faire aucune modification ; l'Etat seul les règle ; mais il doit appliquer à la ligne concédée le même tarif qu'aux autres lignes du chemin de fer. Le chemin nouveau doit être traité exactement sur le même pied que les autres lignes de réseau de l'Etat.

Si le gouvernement accorde des modérations de tarif, il n'en peut consentir au préjudice de la compagnie sans son consentement. Ce sont là les dispositions expresses des articles 5 et 7 du contrat.

M. Dechamps. - On ne conteste pas cela.

M. Frère-Orban. - On ne conteste pas ? Il serait, en effet difficile de le tenter. Eh bien, de ces principes irrécusables, les déductions découlent naturellement. Quelle est la prétention que paraît vouloir élever la compagnie ?

On soutient que la compagnie peut allouer des remises sur les prix de transport, qu'elle peut indirectement, en un mot, réduire les tarifs en accordant des remises à des tiers. Mais, ce que la compagnie ne peut pas faire directement, elle ne peut pas le faire indirectement. Si elle ne peut pas avoir d'autres tarifs que le tarif de l'Etat, c'est une fraude d'allouer des remises qui constituent une réduction de tarif. Abstraction faite des conditions autres que celles que je viens d'indiquer, tous traités, tous arrangements faits par la compagnie avec des tiers et constituant une réduction des tarifs, engendrent une violation du contrat. Autrement il ne serait plus vrai de dire que la compagnie n'intervient pas dans les questions relatives aux tarifs ; il ne serait plus vrai de dire que le tarif appliqué à la concession est le même que celui des autres lignes du réseau de l'Etat.

Mais le contrat ne s'est pas arrêté là ; le contrat a été plus loin ; le contrat a stipulé en prévision des fraudes.

L'article 13 de la convention provisoire, signée par M. le ministre des travaux publics, était ainsi conçu :

« Art. 13. Le gouvernement s'engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour que les principes posés aux articles 8 et 10 reçoivent l'application la plus entière et la plus large au profit de la compagnie.

« D'autre part, des mesures administratives et, au besoin, des dispositions législatives seront prises à l'effet d'empêcher qu'aucune fraction des recettes opérées du chef des transports faits par e chemin de fer, et revenant soit à l’une, soit à l’autre des deux parties contractantes, puisse être détournée de la destination qui lui est attibuée au vœu de la présente convention.

Voilà une disposition qui paraissait bien claire, qui était propre à mettre l'Etat à l'abri de toute espèce de fraude tentée contre lui. Accorder des remises à des tiers, c'eût été détourner une partie des produits de leur destination, parce que la destination des fonds, au vœu de la convention, était la remise, aux actionnaires, du produit del'exploitation dans les proportions déterminées par le contrat.

Cependant, cette clause ne parut pas suffisante, lorsque la convention fût examinée en sections. Un membre de la première section proposa d'amender l'article 7 en ces termes :

« La compagnie s'interdit de faire ou consentir, directement ou indirectement, à des tiers, aucune remise sur la part qui lui est assignée dans le produit des transports, en vue d'accroître leur activité vers les stations concédées et, par suite, d'augmenter la perception, à leur profit, des trois quarts de la recette brute sur les lignes du réseau de l'Etat. »

« M. le ministre des travaux publics (dit le rapport de la section centrale), tout en se référant au paragraphe 2 de l'article 13 de la convention, a reconnu que cette question devait être examinée mûrement dans la section centrale. »

Et dans le sein de la section centrale, la question fut en effet examinée avec attention.

« La section centrale, dit le rapport, est d'avis que, nonobstant les chances favorables des probabilités invoquées par M. le ministre des travaux publics, ces chances seraient infailliblement compromises si la société pouvait, par des traités, des arrangements particuliers ou des manœuvres quelconques, détourner vers l'une ou l'autre des stations concédées, des transports qui, partant d'une station de l'Etat, seraient réellement en destination d'une autre station de l'Etat. Ce danger est grave, et il ne lui a pas paru que l'action constante des agents du gouvernement dans les stations ; que le pouvoir de nommer et de révoquer le directeur et l'agent comptable de la compagnie, ainsi que de déléguer, auprès d'elle, un commissaire spécial ; enfin que les dispositions comminatoires de l'article 13, paragraphe 2, de la convention fussent de nature à prévenir ou suffisants pour réprimer une fraude occulte, habile aux expédients, procédant par intermédiaires, empruntant des formes spécieuses ; fraude aussi contraire à l'esprit de ce système de concession que préjudiciable au revenu public.

« Le gouvernement exploite et administre, il est vrai ; c'est lui qui fait les recettes. Il pèse sur les agents de la perception et du contrôle de toute l'autorité qu'il a sur eux : mais il leur sera souvent difficile, sinon de soupçonner et de découvrir, au moins de constater officiellement la fraude. Le système de concession proposé n'est possible pourtant qu'à la condition de pénalités très sévères et d'un grand pouvoir attribué contractuellement à l'administration et à la législature. L'honorable membre que la section centrale avait chargé de recevoir les délégués des souscripteurs, doit leur rendre la justice qu'ils se sont empressés de reconnaître la nécessité des dispositions les plus rigoureuses contre la fraude, avouant avec franchise qu'ils n'entendaient travailler au succès de leur entreprise qu'au grand jour et au moyen de services complémentaires d'omnibus qui, agissant comme affluents sur les stations concédées, produiraient des résultats avantageux aux localités desservies, à la société concessionnaire et à l'Etat lui-même. Aussi ont-ils adhéré à la nouvelle disposition que l'honorable membre propose de substituer à l'article 13, et qui sera produite dans l'examen des articles. »

Ainsi vous l'entendez, on n'avait pas trouvé la disposition primitive de l'article 13, paragraphe 2, suffisante pour se prémunir contre le danger de fraude ; et l'on signalait dès ce moment comme fraude la possibilité de remises allouées à des tiers ; on l’énonçait expressément ; on interpelle les contractants, ils déclarent qu'ils n'ont aucune espèce d'intention de procéder de la sorte, que ce serait une fraude ; ils consentent à ce que l'on prenne toutes les mesures de quelque nature qu'elles soient pour l'empêcher ; ils acceptent les liens les plus rigoureux. Leur seule volonté est d'organiser des services d'omnibus sur les stations concédées afin d'activer le trafic, moyen très légal et très licite. Ils n'ont pas d'autre intention.

De leur consentement, et comme moyen de prévenir la fraude signalée comme possible, on fait la nouvelle rédaction suivante de l'article 13.

« Le gouvernement s'engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour que les principes posés aux articles 8 et 10 reçoivent une application équitable et entière.

« Il veillera notamment à ce que les transports des stations concédées, vers les points du réseau de l'Etat et réciproquement, ne soient pas entravés ni fractionnés au détriment de la compagnie.

« D'autre part, la compagnie s'interdit formellement tous traités, arrangements ou moyens quelconques ayant pour objet de détourner ou fractionner, au préjudice du trésor public, des transports appartenant par leur destination réelle aux stations du chemin de fer de l'Etat.

« Dans le cas où elle contreviendrait à cette stipulation, le montant intégral de la recette attribuée à la compagnie, pour chacun des mois pendant lesquels des actes de fraude auront été commis, appartiendra au trésor et sera prélevé sur toutes sommes revenant à la société, et ce sans préjudice à toutes les mesures administratives et même à des dispositions législatives que le gouvernement se réserve de prendre ou de provoquer suivant les circonstances. »

Voilà la disposition. Après cet exposé des faits, après la simple lecture de ces documents, après avoir rappelé quel était le genre de fraude qu'on voulait prévenir et réprimer par anticipation, comment est-il possible qu'on élève sérieusement la prétention de faire ce qui est interdit par le contrat ?

Je ne sais si, s'attachant servilement à la lettre de l'article 13, l'isolant des motifs qui l'ont dicté, méconnaissant le but clairement indiqué et que l'on a voulu atteindre, on essayerait subtilement d'en restreindre la portée réelle.

(page 851) Je suis tenté de le croire après avoir entendu les explications si obscures de M. le ministre des travaux publics.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Il n'y a rien d'obscur dans mes explications.

M. Frère-Orban. - Je les ai trouvées obscures ; je désire qu'elles ne le soient pas. Il nous a dit en effet qu'il s'agissait seulement de transports additionnels (j'avoue que je ne comprends pas) et que, dans ce cas, on pouvait douter si des remises ne peuvent pas être accordées par la compagnie.

Je n'entends rien, quant à présent, à ces distinctions. Le sens de la disposition de l'article 13 est parfaitement fixé par la proposition primitive du gouvernement, par la proposition qui avait été faite dans une section, et à laquelle on a fait droit par l'article 13.

Mais de plus il est fixé par la discussion même qui a eu lieu dans cette Chambre. Dans la discussion, la même objection tirée de ces remises possibles à des tiers a été indiquée. L'honorable M. Bruneau répondit : « La compagnie, dira-t-on, pourra faire des remises pour les marchandises ; ce ne serait possible que si la compagnie accordait des primes, et ces primes devraient sortir de la caisse de la compagnie. Les administrateurs ne les donneront pas sans doute de leur poche. Or, le gouvernement nommera le comptable et le directeur. De plus, il y aura des commissaires chargés d'inspecter la comptabilité. « Dès qu'on verrait figurer dans les dépenses des sommes ayant cette destination, on les signalerait au gouvernement, et elles donneraient lieu aux pénalités comminées par le contrat. »

On revint de nouveau sur ce point ; l'honorable M. Malou imagina diverses hypothèses et, à mon tour, je répondis à ses objections :

« ... les fraudes signalées sont bien difficiles à admettre. On ne peut raisonnablement les supposer. Comment procéderait-on ? La compagnie déterminerait des tiers à rompre charge à Alost, par exemple, pour des marchandises expédiées de Bruxelles à Gand ou de Gand à Bruxelles. Mais le tarif y fait obstacle. Si l'on rompait charge à Alost, il faudrait payer les frais fixes, qui augmenteraient le prix plus que si les marchandises avaient été expédiées directement en transit. Cette opération est donc impossible.

« Il faudrait, enoutre, pour que ces fraudes pussent se pratiquer, que la compagnie reçût des fonds dont elle ne rendît pas compte à ses actionnaires ; ou bien il faudrait qu'elle vînt dire à ses actionnaires ; Nous avons fait une fraude, et ainsi nous avons augmenté doleusement la recette. Nous sommes obligés de donner une part du détournement à M. un tel, qui a bien voulu devenir notre complice ! Est-ce admissible ?

« Et puis on oublie que pour ne pas même laisser place à une objection tirée des fraudes possibles, le gouvernement s'est réservé la nomination du comptable et du directeur. Ainsi un agent comptable, nommé par le gouvernement, opère la recette ; tout le produit, déduction faite des frais d'administration, doit être réparti aux actionnaires ; comment réussirait-on à en détourner une partie au profit de tiers complices de la fraude ? »

C'était donc la réponse anticipée, mais la réponse directe à toutes les combinaisons qu'on pourrait imaginer, à l'aide desquelles on prélèverait sur les recettes une somme quelconque pour augmenter d'une manière illégale et frauduleuse les transports sur les lignes concédées. Toutes les contestations sont jugées par ce seul rapprochement : tout ce qui entre dans la caisse de la compagnie, tout ce qui est remis par l'Etat, doit être remis aux actionnaires, déduction faite des frais d'administration ; tout autre prélèvement est frauduleux. Il serait condamné soit par l'article 13, soit par les dispositions si formelles qui interdisent toute action à la compagnie sur les tarifs.

Les actionnaires doivent recevoir intégralement, absolument, sans restriction ni réserve, tout ce qui sort de la caisse de l'Etat. Et ainsi les fraudes sont impossibles. Mais dans le système qu'on paraît avoir imaginé, l'Etat, afin de réduire les bénéfices espérés par la compagnie, pourrait donc, à son tour, distribuer des primes, en d'autres termes réduire les tarifs pour accroître le mouvement sur ses lignes au détriment des lignes concédées ; car ce qui serait licite au profit de la compagnie le serait apparemment au profit de l'Etat. Ainsi la combinaison consisterait à voir les deux contractants se disputer par des primes les transports sur leur ligne.

Ce système serait frauduleux ; il serait condamné par la Chambre ; et comme les contractants sesont soumis aux mesures législatives que l'on pourrait prendre pour prévenir toute fraude, je demande le renvoi de la question à la commission des finances.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je commence par déclarer à la Chambre que le gouvernement, dans la question qui vient d'être reprise par l'honorable préopinant, est dans la plénitude de son droit vis-à-vis de la compagnie, qu'il n'a pris vis-à-vis d'elle aucune espèce d'engagement, et que même dans l'exécution des obligations il s'est montré d'une rigueur inflexible.

L'honorable M. Frère-Orban a déclaré tantôt que les explications que j'ai fournies à la Chambre dans la séance d'avant-hier, étaient obscures. Si l'honorable membre avait bien réfléchi aux deux cas très différents qui peuvent se présenter, il aurait reconnu avec moi que, pour le deuxième de ces cas, la question est au moins fort douteuse. Il y a deux hypothèses : quant à la première, il n'y a pas le moindre doute, et l'honorable M. Frère a raison.

Il est évident que si des transports originaires d'une station de l'Etat ayant pour destination une autre station de l'Etat sont détournés ou fractionnés au préjudice du trésor, la compagnie contrevient à l'obligation qu'elle a contractée ; les pénalités comminées par l'article 13 doivent être appliquées.

Voila un premier cas sur lequel je suis parfaitement d'accord avec l'honorable membre.

Il y a un deuxième cas qui mérite un examen sérieux et dont on ne peut affirmer, aussi positivement que le fait l'honorable préopinant, qu'il constitue une fraude.

Messieurs, si ce n'était que la parole de l'honorable M. Frère, si ce n'était que l'autorité qu'il exerce dans cette Chambre, pour la part si active qu'il a prise à la rédaction du projet de loi, mérite ici une considération très grande, que son opinion doit être prise en sérieuse réflexion par moi-même, je vous déclare franchement que quant à ce second point mes doutes seraient peut-être beaucoup plus en faveur de la compagnie qu'en faveur de l'opinion de l'honorable M. Frère.

Voici, messieurs, l'historique du second point :

L'honorable membre vous a rappelé la proposition qui avait été faite, lors de l'examen du projet de loi, dans la première section, par un honorable membre qui est, je pense, l'honorable M. Loos. Cette proposition interdisait d'une manière formelle toute espèce d'arrangement, toute espèce de remise que la compagnie concessionnaire aurait accordée soit aux expéditeurs, soit aux destinataires. Le texte, l'honorable M. Frère l'a reproduit, il est formel.

La compagnie s'interdit de faire ou de consentir directement ou indirectement à des tiers aucune remise sur la part qui lui est assignée dans le produit des transports en vue d'accroître leur activité vers les stations concédées et par suite d'augmenter la perception à leur profit des trois quarts de la recette.

Si cette disposition ainsi formulée avait été reproduite dans le contrat définitif, il n'y a pas le moindre doute que toute remise quelconque aurait été frappée par le même contrat et que la compagnie serait en contravention avec ce contrat.

Mais à cette rédaction on en substitue une autre et je prie la chambre de vouloir remarquer le texte de cette nouvelle rédaction et en même temps les considérations par lesquelles l'honorable M. Le Hon, qui était rapporteur de cette partie du rapport, l'a justifié.

« La section centrale est d'avis que, nonobstant les chances favorables des probabilités invoquées par M. le ministre des travaux publics, ces chances seraient infailliblement compromises si la société pouvait, par des traités, des arrangements particuliers ou des manoeuvres quelconques, détourner, vers l'une ou l'autre des stations concédées, des transports qui, partant d'une station de l'Etat, seraient, réellement, en destination d'une autre station de l'Etat. »

L'honorable M. Frère, quand il a parlé de fraude, quand il a parlé dans la discussion générale du projet de loi, faisait certainement bien allusion à un cas de cette espèce, puisqu'il supposait que la compagnie faisait rompre charge à un transport partant de la station de Bruxelles et en destination de Gand ; l'honorable M. Frère disait : Si la compagnie faisait rompre charge à ces transports originaires de la station de Bruxelles et en destination réelle pour la station de Gand, si elle les fractionnait ou les détournait de la station destinataire, il y aurait là transport frauduleux, et la compagnie encourrait les pénalités comminées par l'article 13 du cahier des charges.

Eh bien, sous ce rapport, je suis d'acord avec l'honorable membre. C'est ce cas qui a été prévu par la section centrale et qui a été formellement prévu par l'article même. Je crois devoir en donner une nouvelle lecture à la Chambre :

« La compagnie s'interdit, formellement ... »

Aussi, la brochure que l'honorable M. Frère a invoquée suppose un cas qui ne peut se présenter, à moins qu'il n'y ait fraude de la part de la compagnie.

Si la compagnie expédiait du charbon du Couchant en destination réelle pour Gand, et qu'elle arrêtât ce transport à Alost pour expédier par l'Escaut vers Gand, évidemment ce serait un cas de fraude et le gouvernement serait armé vis-à-vis d'elle des pénalités stipulées par l'article 13.

Mais il y a une observation générale qui est perdue de vue et qui justifie jusqu'à un certain point les doutes très légitimes qu'on peut avoir, quant à l'interprétation de la seconde hypothèse que l'honorable M. Frère résout d'une manière affirmative.

Cette observation générale est celle-ci : lorsque dans cette Chambre on a discuté la concession de Dendre-et-Waes, les soumissionnaires ont déclaré dans une pétition qui a été analysée dans cette Chambre, que si le gouvernement concédait le canal de Jemmapes à Alost avec une garantie d'intérêt, ils renonçaient à leur entreprise. Ils déclaraient ainsi virtuellement que leur intention formelle était de faire servir le chemin de fer au transport des charbons, de le substituer à une voie navigable qui avait été concédée en 1842 et qui, il faut bien le dire, si le chemin de fer de Dendre-et-Waes n'avait pas été concédé en 1851, se serait représentée dans cette Chambre avec la certitude pour le trésor de couvrir l'intégralité de la garantie d'intérêt, c'est-à-dire les 400,000 fr. de garantie qu'on demandait pour l'exécution de ce canal, plus la perte qui serait résultée du détournement des transports qui auraient pris cette voie navigable aux dépens du canal de Pommeroeul à Antoing et de l'Escaut.

(page 852) L'intention formelle des concessionnaires était donc de faire servir le chemin de fer au transport des charbons.

Pour le gouvernement la question importante est de savoir si les houilles qui sont acheminées vers la station d'Alost et qui de là sont dirigées par l'Escaut vers Anvers, peuvent constituer l'Etat en perte. A ce point de vue la conviction est acquise pour moi que ces transports qui s'effectuaient par la Dendre et qui ne laissaient au trésor qu'un faible péage, un péage insignifiant, constituent, quand ils s'effectuent par le chemin de fer, le trésor en bénéfice.

J'en ai fait faire le calcul, je puis certifier que pour ces transports il y a un avantage réel au point de vue des intérêts du trésor, à les attirer sur les lignes de l'Etat.

Je sais que la compagnie n'a aucune espèce d'action sur les tarifs, que le gouvernement est maître des tarifs, que le gouvernement doit apporter une surveillance extrême, une surveillance très rigoureuse dans l'interprétation et l'exécution du contrat qui lie la compagnie. Mais je dis que sur le second point, sur la question qui seule fait doute entre l'honorable M. Frère et moi, la question de savoir si la compagnie concessionnaire, à l'égard des transports qui auraient pris le canal de Jemmapes à Alost, ne peut pas accorder des remises, je dis que quant à cette question, le doute est légitime.

Il est légitime, parce que les discussions qui ont eu lieu lors de l'examen du projet de loi attestent qu'à une rédaction explicite qui comprenait tous les cas de remises, on a substitué une autre qui ne comprend qu'un cas déterminé de remises.

Le doute est légitime, parce que, lors de la discussion du projet de concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes, les concessionnaires ont déclaré d'une manière explicite que si le canal de Jemmapes à Alost s'exécutait, ils ne feraient plus le chemin de fer. Or, il est évident que si l'on maintient sur ce chemin de fer les tarifs en vigueur et si l'on applique au transport du charbon la taxe moyenne de 44 centimes par tonne et par lieue, ce transport devient impossible, puisque le fret par les voies navigables serait de 5 francs et que par le chemin de fer il serait de 8 francs. Dans ces conditions il était inutile de stipuler que le chemin de fer servirait au transport des charbons. Il n'y a pas un expéditeur qui fera transporter des charbons à 8 francs quand le fret par voie navigable est de 5 francs.

Quoi qu'il en soit, je reconnais que la question est des plus graves et ce n'est pas moi qui voudrais trancher une semblable question d'une manière absolue ; alors même qu'elle ne ferait pas doute aux yeux de certains membres de cette Chambre, la seule considération qu'un honorable collègue qui faisait partie avec moi de l'administration précédente, de l'administration à laquelle on doit la loi des travaux publies de 1851, peut sur ce point différer d'opinion avec moi, cette seule considération suffirait pour me déterminer à faire examiner ici cette question et même à faire trancher le doute judiciairement s'il le faut.

M. Malou. - La question soulevée par mon honorable ami, M. Dechamps, mérite, je crois, à plusieurs égards, l'attention de la Chambre. Je vais l'examiner quelques instants devant vous.

Permettez-moi de rappeler, messieurs, qu'à l'époque où la grande loi des travaux publics a été présentée, j'ai été l'un des opposants les plus prononcés à l'adoption du contrat relatif à la concession de Dendre-et-Waes. Plus tard les concessionnaires s'adressèrent à un établissement à la direction duquel je participe en dehors de cette enceinte et offrit de me prouver que l'affaire était bonne, qu'elle devait présenter un intérêt rémunéraloire aux capitaux qui s'y engageraient. Je répondis que pour moi cette preuve était inutile et que je me rapportais à l'opinion que j'avais émise à la Chambre.

Depuis lors j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'étudier la question soulevée en ce moment.

Je constate d'abord un fait : les remises accordées par la compagnie de Dendre-et-Waes l'ont été à la connaissance de M. le ministre des travaux publics. M. le ministre a su que les remises se faisaient ; il a connu la quantité, la nature des marchandises et les conditions dans lesquelles ces remises ont été faites.

On a agi publiquement, loyalement, parce qu'on était dans son droit.

J'aurai l'occasion d'examiner si, en effet, le contrat a le sens que l'honorable M. Frère y a attaché ou si les remises constituent un droit résultant du contrat que vous avez voté.

Quel est, messieurs, le principe de la concession ? L'Etat a dit aux concessionnaires : Créez 22 lieues de chemin de fer, et les dépenses que vous aurez faites auront pour rémunération le produit des stations nouvelles, le produit entier des stations nouvelles, mais vous me laisserez intact le produit de toutes les stations existantes. Et, messieurs, il faut bien rappeler cette idée pour connaître le véritable sens de toutes les dispositions de la convention.

La convention a-t-elle eu pour objet autre chose, par exemple, que de dire que les nouvelles stations ne pourraient pas faire concurrence aux voies navigables existantes, qu'on ne pourrait pas faire servir les nouvelles stations à amener un mouvement commercial en améliorant pour les consommateurs les conditions qui existent aujourd'hui pour les produits pondéreux ?

Lorsque vous vous reportez au texte de la concession, n'est-il pas évident que le gouvernement a dit : Créez telle ou telle station nouvelle, le produit de ces stations, quel qu'il soit, est à vous, mais je me réserve intégralement le produit des stations existantes.

Nous qui nous opposions à la loi, nous disions au gouvernement : Un quart de la recette brute provenant des stations nouvelles ne constitue pas pour vous une rémunération suffisante ; vous serez en perte ; et le gouvernement, alors comme aujourd'hui, soutenait que le quart de la recette brute le constituait en bénéfice.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je le soutiens encore.

M. Malou. - Fort bien ; mais s'il en est ainsi, comment prétendre que la compagnie ne peut pas disposer de ses trois quarts sous prétexte qu'en disposant ainsi, elle constitue l'Etat en perte ? L'Etat dit : Plus vous me faites transporter, plus vous me constituez en bénéfice ! Je demande au gouvernement le produit d'un waggon vous constitue-t-il en bénéfice ?

Il répond oui. Mais si je vous en amène deux, mais si je vous en amène dix, serez-vous en perte ? Avez-vous, par exemple, concédé le chemin de fer pour qu'on ne s'en servît pas ?

Si vous l'avez concédé pour qu'on s'en servît, félicitez-vous qu'il ait des produits considérables s'il n'enlève pas aux stations de l'Etat les produits qui leur appartiennent.

Reprenons l'idée primitive de la concession, reprenons-le à un autre point de vue. Qu'est-cc que l'Etat vis-à-vis de la compagnie de Dendre-et-Waes ? L'Etat est, à forfait, entrepreneur général des transports de la compagnie.

Ainsi, pour me faire mieux comprendre, je suppose que la société de Charleroi à Louvain fasse un contrat avec un tiers, auquel elle abandonne un quart de la recette brute, à la condition qu'il fasse tous les transports ; après avoir fait un pareil contrai, l'entrepreneur serait-il recevable à dire à la société : Vous ne mettez pas dans votre poche les trois quarts qui vous restent ; vous les donnez aux pauvres, vous les abandonnez à des tiers. La réponse serait très facile ; la société dirait : J'ai traité avec vous sur cette base que vous auriez 25 p. c, ; que vous importe, si les trois quarts restant sont employés d'une manière ou d'une autre ?

On dit : Les actionnaires ne peuvent pas le permettre. Laissez les actionnaires disposer de leurs intérêts ; ce n'est pas ici, je pense, l’assemblée des actionnaires de Dendre-et-Waes ; les actionnaires examineront s'ils doivent consentir ou ne pas consentir à des remises ; c'est leur affaire.

Messieurs, la discussion qui a eu lieu sur le système de la concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes a résolu d'avance la question et l'a résolue en sens contraire, selon moi, à l'opinion de l'honorable M. Frère. D'abord, messieurs, je reviens un instant sur ce point que lorsqu'une section a proposé en termes formels à la section centrale, d'interdire toute espèce de remises, cette proposition a été rejetée.

M. Frère-Orban. - Du tout.

M. Malou. - Cette proposition a été rejetée, ou cette proposition n'a pas été admise, si, comme tout à l'heure, vous voulez encore jouer sur les mots.

La première section avait formulé l'article que vous avez lu, cet article n'a pas été admis et c'est une autre disposition qui a été adoptée, disposition que je caractériserai tout à l'heure.

Dans la discussion, j'ai soulevé la question, je l'ai soulevée en termes exprès, permettez-moi de lire quelques lignes du Moniteur :

« Je ne suppose pas qu'on fraude, disais-je, mais il y a telles combinaisons, tels contrats parfaitement légitimes et irréprochables entre la compagnie et d'autres compagnies, il y a telles opérations non interdites à la société, qui peuvent diminuer les recettes de l'Etat, en augmentant les profits de la compagnie.

« Je suppose, par exemple, que la Dendre étant améliorée, il se forme une société pour la navigation de la Dendre et du bas Escaut, que cette société vienne transporter des charbons de Mons, et d'autres produits pondéreux à Alost, ou à une station intermédiaire, et que la compagnie s'engage à fournir, à tel ou tel prix, le charbon à une autre société, à Alost ou dans une autre station ; il est évident que, puisque le péage n'est que le quart de ce qu'il est pour d'autres, la compagnie a le profit des trois quarts, et qu'elle fait transporter à perte par l'Etat. Ce n'est qu'une hypothèse ; en usant de son droit, sans frauder, la compagnie constitue l'Etat en perte autant qu'elle voudra. »

Je pense, messieurs, que c'est bien la question telle qu'elle se produit aujourd'hui. J'ai lu et relu plusieurs fois la discussion pour trouver une réponse de la part de MM. les ministres, qui étaient parfaitement d'accord à cette époque pour me dire qu'on ne pouvait pas fractionner les transports qui étaient en destination d'une autre station de l'Etat.

Mais personne à cette époque n'a soutenu qu'il fût interdit à la compagnie, par l'article 13, de faire arriver, au moyen de remises, des charbons à Alost, en destination pour la Hollande, par exemple.

L'honorable M. Frère lui-même le rappelait : il a posé l'hypothèse d'un transport fractionné sur le chemin de fer au préjudice du trésor, au préjudice d'une autre station de l'Etat.

Voyons quel est le texte même de la disposition qu'il s'agit d'interpréter. Et d'abord veuillez remarquer que cette disposition est réciproque. Ainsi le gouvernement expédie, par exemple, un waggon de Liège à Alost ; il arrête ce waggon à la station de Malines, il lui donne une nouvelle lettre de voiture, et il le fait parvenir à Alost ; le gouvernement a fraudé, en ce qu'il a fractionné un transport au préjudice de la compagnie. La compagnie fait arriver un waggon à Alost ; ce même waggon, (page 853) elle l'expédie vers une autre station du chemin de fer de l'Etat ; à son tour, elle a fraudé.

Mais la compagnie, ou un particulier, d'accord avec elle, fait arriver à Alost un waggon de charbon, pour être expédié en Hollande, par exemple, et l'y fait transporter, en accordant remise d'une partie du péage ; quel préjudice la compagnie a-t-elle fait au trésor publie ?

S'il est vrai, comme le dit M. le ministre des travaux publics, que le quart de la recette brute est une rémunération ample, donnant même un bénéfice, quel tort la compagnie a-t-elle causé à l'Etat ? Est-ce là ce que la convention a voulu interdire ? S'il en est ainsi, il ne fallait pas concéder le chemin de fer de Dendre-et-Waes ; car il sera interdit à un particulier de former un entrepôt à Alost pour des marchandises quelconques, dans le but de les réexpédier même par les voies navigables.

Je disais donc que la disposition de l'article 13 était réciproque ; j'ai cité deux exemples pour montrer de quelle manière on pouvait réellement enfreindre le sens légitime de la disposition.

Vous avez créé le chemin de fer sous prétexte de développer un mouvement commercial dans certaines localités, et vous auriez placé ces localités en état d'interdit. Voilà la conséquence inévitable de votre système.

Maintenant voici le texte :

« Les concessionnaires s'interdisent formellement tous traités, arrangements ou moyens quelconques, ayant pour objet de détourner ou fractionner, au préjudice du trésor public, des transports appartenant, par leur destination réelle, aux stations du chemin de fer de l'Etat. »

Ce sont donc simplement des transports qu'on détournerait des stations de l'Etat, mais on n'a pu vouloir interdire d'expédier d'Alost pour des localités où le chemin de fer de l'Etat n'aboutit pas. Encore une fois, vous auriez créé un chemin de fer, non pour développer les relations commerciales, mais au contraire, pour les paralyser, pour les entraver.

On dit, et je ne sais si je dois m'arrêter longtemps à cet argument ; on dit que l'article 5 donne au gouvernement le droit de régler souverainement le tarif et la marche des convois.

Oui, le gouvernement peut régler souverainement le tarif ; mais là n'est pas la question ; la question est de savoir si la compagnie a ledroit, dans l'hypothèse que je viens de définir, de remettre à des tiers une partie des trois quarts qu'elle reçoit. Voilà la véritable question ; l'article 5 qu’on a invoqué ne l’a point en aucune façon, si ce n’est, comme je l’ai dit tout à l’heure, par un jeu de mots.

Je termine par une considération relative à la position de la Chambre. Cette loi n'a pas le caractère d'une loi ordinaire. Lorsqu'une disposition législative est vicieuse, on la réforme ; lorsqu'on est fatigué du jury d'élève universitaire, on le supprime, et tout est dit.

Mais ici vous avez fait une loi qui a un caractère tout particulier ; vous avez voté un contrat qui a conféré des droits à des particuliers ; et c'est sur la foi de votre signature que des engagements ont été pris dans le pays ; vous n'êtes pas les interprètes de ce contrat ; le pouvoir judiciaire et le pouvoir judiciaire seul est l'interprète de ce contrat.

Je dis cela, parce que c'est peut-être une raison, lorsque nous votons de grandes lois de travaux publics, lorsque nous conférons des droits à des particuliers, d'être excessivement prudents, de bien examiner et de faire quelquefois attention aux objections qui se produisent en temps utile pour n'avoir pas à les discuter lorsqu'elles se présentent après coup.

M. Frère-Orban. - Messieurs, je me félicite beaucoup de la discussion qui vient d'avoir lieu.

D'abord, il est un point qui vient d'être mis hors de doute, c'est que la compagnie ne peut pas accorder des remises pour des transports qui appartiennent naturellement au chemin de fer de l'Etat, ou pour faire diriger ces transports sur les lignes concédées.

En d'autres termes, la compagnie ne pourrait pas, dans le système qu'on vient de défendre pour elle, accorder une remise à des transports expédiés de Liège, par exemple, sur une des stations intermédiaires de la ligne concédée. (Interruption.)

Je reprends d'une autre façon le point qui paraît faire difficulté.

Dans la pensée de M. le ministre des travaux publics, le doute existe seulement sur un seul point ; il est d'accord avec moi sur tous les autres ; le doute existe sur le point de savoir si des transports qui n'auraient pas lieu par le chemin de fer, pour le cas où l'on n'accorderait pas de remise, peuvent être attirés sur cette voie à l'aide de primes allouées par la compagnie.

M. le ministre des travaux publics prétend donc que toute la question se réduit entre la compagnie et lui au point de savoir si celle-ci enfreint le contrat, lorsqu'elle procure des transports qui, sans les remises, n'auraient pas lieu. Cela réduit considérablement le débat ; l'interprétation du contrat, dans le sens que j'ai indiqué, reste tout entière pour toutes les questions en dehors de celle que je viens de préciser ; c'est bien là ce qui a été signalé par l'honorable ministre des travaux publics.

C'est aussi, je présume, la pensée de l'honorable M. Malou.

M. Malou. - C'est la seule question.

M. Frère-Orban. - Non ; la question telle qu'elle a été signalée dans des brochures, dans des écrits distribués partout est celle de savoir si la compagnie peut prélever une somme quelconque sur les 3,4 qui lui reviennent pour donner des primes à des tiers afin de faire diriger des transports sur les lignes concédées. Une telle prétention, le ministre, la condamne, d'une manière absolue.

Mais pour l'hypothèse posée, le principe est le même ; il n'y a qu'un seul principe pour se décider ; il n'y en a pas deux. Si une partie de la question ne fait pas doute pour M. le ministre, je ne comprends pas qu'il puisse y avoir des doutes pour l'autre.

Je conçois que M. le ministre vienne dire : Examinons s'il y a intérêt pour l'Etat à ne pas interdire de pareils transports, mais c'est une question différente de celle qui nous occupe ; je suis prêt à l'examiner avec M. le ministre. Il est possible qu'il y ait intérêt pour l'Etat, pour la compagnie, pour le public qui recevra des marchandises à meilleur compte, à ce que des transports nouveaux soient attirés sur la ligne ; mais ce ne sera pas en vertu de la convention existante que cela pourra se faire, ce sera en vertu d'une convention spéciale que vous ferez avec la compagnie.

Déjà, au surplus, et je me hâte de le constater, d'après les opinions exprimées dans cette discussion, il est devenu évident que toutes les craintes qu'on a essayé d'inspirer sur les conséquences de la convention faite avec la compagnie de Dendre-et-Waes sont purement chimériques. Il ne s'agit que de rechercher si, pour un cas spécial, la compagnie peut allouer des primes pour obtenir des transports qui, sans ces primes, n'existeraient pas.

Or, même à ce point de vue restreint, je n'hésite pas à le dire, abstraction faite de l'intérêt que peut avoir l'Etat à régler conventionnellement cet objet, je n'hésite pas à dire que malgré lui, sans son consentement, la compagnie ne pourrait licitement faire un prélèvement sur sa recette, pour accorder des primes et modifier de la sorte les tarifs.

M. Malou prétend que la question a été résolue et par le contrat et par les discussions qui ont eu lieu. Mais lors de la discussion du contrat quelle est l'hypothèse qui a été soulevée relativement à l'article 13 ? C'est celle de savoir si la compagnie pouvait faire des remises pour attirer des transports sur sa ligne, c'est à quoi il a été répondu par la proposition faite par un membre dans une section.

Cette proposition n'a pas été rejetée, comme le dit très erronément l'honorable M. Malou ; le ministre des travaux publics, interpellé sur cette modification proposée, a dit que la question lui paraissait devoir être examinée sérieusement par la section centrale.

Elle a été examinée et résolue par l'article 13. Le sens en est fixé par la proposition qui avait été faite ; votre interprétation judaïque ne peut pas être admise ; on ne pourrait l'admettre sans rejeter tout ce qui a été dit dans la discussion sur ce point.

M. Malou s'est appuyé sur ce qu'il a dit dans la discussion ; il a indiqué qu'on pourrait, selon lui, licitement faire des remises dans certaines circonstances, mais c'est à l'honorable M. Malou que je répondais quand j'ai dit, non pas en supposant le fractionnement à Alost, mais en déclarant d'une manière absolue, comme étant la garantie essentielle du contrat et sans être contredit ni alors, ni depuis, par aucun des intéressés, qu'il était interdit de distribuer quoi que ce soit du produit, si ce n'est aux actionnaires.

Il faudrait, en outre, ai-je dit en répondant toujours à l'honorable M. Malou, pour que ces fraudes pussent se pratiquer, « que la compagnie reçût des fonds dont elle ne rendît pas compte à ses actionnaires, ou bien, il faudrait qu'elle vînt dire à ses actionnaires : Nous avons fait une fraude et ainsi nous avons augmenté doleusement la recette, nous sommes obligés de donner une part du détournement à M. un tel qui a bien voulu devenir notre complice. Est-ce admissible ? Et puis je continuais : « On oublie que pour ne pas faire place à une objection tirée des fraudes possibles, le gouvernement s'est réservé la nomination du comptable et du directeur ; ainsi un agent comptable nommé par le gouvernement opère la recette ; tout le produit, déduction faite des frais d'administration, doit être réparti aux actionnaires, comment réussirait-on à en détourner une partie au profit de tiers complices de la fraude ? »

Or, pas de combinaison possible à l'aide de laquelle on puisse faire la fraude, sons l'empire du contrat dont nous nous occupons, si ce n'est par des prélèvements faits sur les recettes et distribués à des tiers ; c'est ce qui a été condamné dans la discussion, c'est ce qu'on a voulu atteindre par les diverses dispositions du contrat.

Remarquez que l'honorable M. Malou se met à l'aise et que M. le ministre doute facilement quand ils se placent uniquement en face de l'article 13. Tirez de cet article une équivoque si cela seul peut étayer votre système ; mais je vous ramène à ce point positif devant lequel toute difficulté s'efface : l'Etat règle les tarifs, vous ne pouvez pas les changer.

Vous ne changez pas les tarifs, dites-vous, mais vous accordez des réductions de tarif par des remises ; c'est-à dire que vous faites indirectement ce qu'on vous a interdit directement, pour ne pas porter préjudice au trésor, et vous le pourriez en prenant une partie de vos recettes ! C'est absurde ; il n'est pas un juge qui accepterait une pareille interprétation, il n'est pas de chambre qui la sanctionnerait, c'est une fraude, c'est une violation flagrante du contrat qui vous interdit de toucher aux tarifs. Est-ce sans motif qu'on a décidé que l'Etat seul fixe les tarifs ? A quoi bon cette stipulation ? C'est pour empêcher que par un moyen quelconque vous puissiez changer les conditions ordinaires de l'exploitation du chemin de fer de l'Etat.

Du moment que par un moyen quelconque vous parvenez à modifier (page 854) cette exploitation contre, le gré de l'Etat, vous violez le contrat. M. le ministre n'avait pas réfléchi à cette objection ; il s'est trop préoccupé de la lettre de l'article 15.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Pour autant que cela cause préjudice au trésor.

M. Frère-Orban. - C'est une autre question ; mais vous reconnaîtrez que c'est modifier les tarifs que d'accorder des réductions sur le prix des tarifs. Or, la compagnie, une fois le chemin de fer en exploitation, n'a plus qu'à recevoir les trois quarts du produit brut pour les distribuer aux actionnaires ; elle n'existe plus que pour cela, si elle fait autre chose, elle fait chose frauduleuse, condamnable. La compagnie, à raison de la nature spéciale du contrat, s'est soumise conventionnellcment à toute disposition administrative ou législative qui pourrait être prise pour empêcher tout acte de nature à nuire aux intérêts du trésor.

Je persiste à demander le renvoi de la question à la commission des finances.

L'exécution du contrat a été placée sous la surveillance de la législature. C'est à elle à intervenir.

M. le ministre des travaux publies, en m'interrompant tout à l'heure, a dit : « Pour autant que cela ne préjudicie pas au trésor ». Je ne pense pas qu'il soit ici question de savoir si l'Etat ne peut s'arranger avec la compagnie pour faire une chose favorable à celle-ci et qui ne nuirait pas à l'Etat. Il est clair que s'il était démontré qu'on peut faire un arrangement favorable à la compagnie du chemin de fer de Dendre-et-Waes qui ne fût pas préjudiciable au trésor public ou qui lui profitât, je ne vois pas pourquoi on l'interdirait. Mais ce n'est pas la question de principe que nous examinons.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je me félicite avec l'honorable M. Frère de la discussion qui vient d'avoir lieu. Je reconnais que la question est digne d'examen. Je me joins à lui pour demander le renvoi à la commission des finances. Je n'y vois pas le moindre inconvénient. Ce que j'ai dit avant-hier, je le répète, c'est que c'est une question extrêmement grave.

L'honorable M. Malou a dit, au commencement de son discours, que le gouvernement avait connaissance des faits. Il est vrai que le gouvernement a connaissance des faits, et il faut tenir compte de l'importance des transports sur lesquels des remises ont été accordées. Lorsque des faits de cette nature m'ont été signalés, mon premier soin a été de demander des explications à la compagnie. Je ne pouvais les avoir autrement, attendu que je n'ai pas encore auprès d'elle un directeur et un agent comptable. Ils ne doivent être institués que lorsque toutes les sections du chemin de fer de Dendre et Waes seront mises en exploitation. J'étais donc obligé de m'adresser à la compagnie pour savoir ce qui en était de cette affaire.

Il est assez naturel, puisqu'on a parlé de ces remises, que la Chambre en connaisse l’importance. D'après l'état que je tiens à la main et qui a été fourni par la compagnie elle-même, dans l'année 1854 on a dirigé sur Alost 15,689 tonnes de charbon par le chemin de fer de l'Etat.

Il est évident pour tout le monde que cette quantité ne représente pas à beaucoup près l'importance de la consommation locale. De plus, les transports ont été effectués la plupart par des convois de voyageurs, c'est-à-dire dans des conditions (je puis le démontrer) tout à fait favorables aux intérêts du trésor.

Quant à l'importance des transports dirigés vers Termonde, elle a été de 2,150 tonnes, sur lesquelles 1,525 pour la consommation locale, et à partir du 21 décembre 1853 au 2 janvier 1855. Ce qui est insignifiant. Cela constitue-t-il une fraude ? La fraude, si je comprends bien le mot, n'existe que quand il y a préjudice, dol, manœuvre frauduleuse.

Je me trouve en présence de ces faits. Au reste, je n'ai pas pris de décision ; je n'ai adressé à la Compagnie ni adhésion, ni improbation. La question est entière, et je m'en félicite.

M. Malou. - Je ne prolongerai pas beaucoup cette discussion. Je crois qu'il faut faire une large part au repentir.

Le sens de la disposition, je crois l'avoir établi, d'après le principe même de la concession. On a les explications qui ont été données dans la discussion. Je n'y insisterai pas.

L'honorable M. Frère dit : Nous sommes d'accord sur tout, excepté sur un point. C'est très vraî. Mais ce point, c'est toute la question. Evidemment il ne s'agit pas de transports qui seraient revenus dans tous les cas au chemin de fer de l'Etat, mais de remises accordées pour que les transports du chemin de fer de l'Etat se développent, pour faire venir par cette voie des marchandises qui sans cela seraient venues par les voies navigables. Ainsi du centre à Alost le transport du charbon coûtera par les voies navigables 5 fr., et par le chemin de fer 10 fr. Il viendra par les voies navigables. Le chemin de fer de l'Etat n'aura pas ce transport.

Pour qu'il lui arrive, il faudra que la compagnie abandonne à celui qui faisait le transport par les voies navigables une partie des trois quarts qui lui reviennent. Toute la question est de savoir si elle en a le droit et subsidiairement, si l'on veut, on peut se demander s'il y a préjudice pour le trésor. Eh bien, aujourd'hui encore M. le ministre des travaux public a dit que l'Etat, en recevant 25 p. c. de la recette brute des stations nouvelles, faisait un bénéfice. Je demande qu'on réponde à cette question.

On a employé de grands mots pour masquer un petit argument. Le contrat porte : « Le chemin de fer à établir sera, tant pour les recettes que pour les dépenses, exploité par le gouvernement absolument comme s'il faisait partie du réseau de l'Etat, en conséquence, sauf la réserve de l'article 7, les concessionaires ne pourront intervenir dans les questions relatives soit aux tarifs à appliquer, soit à la marche des convois. »

D'après le sens naturel des mots, cela signifie que la compagnie n'a pas le droit de s'adresser au gouvernement pour avoir des tarifs propres à développer ses transports. Mais si la compagnie, pour développer le mouvement, abandonne une partie de ce qui lui revient, cela porte t-il atteinte au droit qu'a le gouvernement de régler le tarif comme bon lui semble ?

Je persiste à croire que cette question de droit privé est exclusivement du ressort des tribunaux. Cependant si l'on veut en faire faire l'examen par la commission des finances, je ne m'y oppose pas.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Je dois un mot de réponse à une observation faite par l'honorable M. Malou. Cet honorable membre vient de dire qu'il fallait faire la part du repentir. Pour mon compte, je ne me repens pas d'avoir défendu la concession. Je suis prêt à soutenir et à démontrer que le tantième perçu par l'Etat, par suite du contrat avec la compagnie du chemin de fer de Dendre-et-Waes, le remboursera amplement des dépenses d'exploitation qu'il aura à supporter.

Mais il ne résulte pas de ce fait que si on laissait à l'Etat le quart pour des transports qui lui assureraient une part proportionnelle plus grande s'ils n'étaient ni détournés, ni fractionnés, l'Etat ne se crût lésé et en droit de revendiquer le prix qui lui revient légitimement.

Or, messieurs, l'intérêt du gouvernement doit être, avant tout, de conserver le tarif tout entier, de conserver intacte la plus grosse part possible de la recette ; mais il est évident que pour toutes les recettes qui sont légitimement acquises à la compagnie, le gouvernement se contentera de son quart et il pourra s'en contenter.

M. Frère-Orban. - L'argument que reproduit incessamment l'honorable M. Malou consiste à dire que puisque l'Etat bénéficie en transportant à raison du quart, il n'y a pas de raison de se plaindre de tous les manèges que pourrait se permettre la compagnie ; mais il est clair que si à l'aide d'une prime vous enlevez à l'Etat une partie de la recette qu'il fait, vous lui causez un préjudice, car s'il ne perd pas en recevant le quart de la recette, il gagnera bien plus s'il perçoit les trois autres quarts.

Lorsque vous vous occupez uniquement d'un transport que l'Etat n'aurait pas fait, qu'il ne pourrait pas avoir sans une réduction directe des tarifs, ou sans une réduction indirecte par la prime, je conçois votre argument. Démontrez qu'il y aura avantage pour l'Etat, que sans cela il ne transporterait pas et n'aurait pas le quart de la recette ; je le veux bien. Mais vous ne pouvez ici invoquer de contrat.

La question est de savoir si vous avez le droit de modifier d'une façon quelconque les tarifs, et je dis que vous n'avez pas ce droit. Or, en prélevant une portion sur vos recettes pour faire des réductions du prix de transport, vous modifiez le tarif, et cela vous est interdit.

Lorsque vous avez posé l'hypothèse dans la discussion de la loi, je vous ai répondu très nettement, très catégoriquement que vous ne pouviez rien prélever de vos recettes, que tout ce qui entrerait dans les caisses de la société, devrait être distribué aux actionnaires. C'est, messieurs, la considération qui a déterminé le conseil des ministres à accepter la proposition qui lui était soumise, et si l'honorable M. Tcscli était ici, il confirmerait mes paroles. Il est de cet avis. Tout ce qui entre dans les caisses de la société doit être distribué aux actionnaires.

M. Dumortier. - Messieurs, voilà donc cette fameuse convention du chemin de fer de Dendre-et-Waes qui commence à porter les fruits que nous avons prévus. Vous devez vous rappeler, messieurs, combien, lors de la discussion, nous nous sommes opposés à l'adoption du système si funeste qu'on introduisait dans cette convention. Vous devez vous souvenir combien d'efforts nous avons faits pour empêcher le trésor public de devenir victime de cette convention que j'appelai alors un véritable piège tendu à la fortune publique.

Cependant, messieurs, la majorité de la Chambre l'a voulu, elle l’a acceptée sur les instances très vives des ministres. Elle a voté la loi, et aujourd'hui il me semble un peu tard de vouloir venir modifier un contrat que l'on n'a pas voulu modifier quand nous le demandions pour sauver le trésor public des pertes qu'il devait fatalement essuyer.

Nous demandions qu'on apportât des modifications très importantes à ce contrat.

Toutes nos demandes ont été repoussées et repoussées avec une espèce de violence.

Pas une seule de nos propositions n'a été admise, et cette convention déplorable est devenue une loi de l'Etat malgré nos pressantes réclamations.

Pour mon compte j'avais demandé des modifications à quatre articles du contrat. Mes demandes ont été impitoyablement éliminées.

Maintenant l'on vient se plaindre de ce que ce contrat est mauvais.

M. Frère-Orban. - Du tout.

M. Dumortier. - Mais contre qui sont dirigées vos plaintes ? Contre vous-mêmes qui avez fait la convention.

(page 855) Si vous aviez fait un bon contrat pour le trésor public, plus il y aurait de transports, plus il y aurait de bénéfices pour le trésor ; et si déjà vous craignez que des transports trop grands n'affluent sur ce chemin de fer, vous démontrez par là combien nous avions raison de venir prédire que ces transports seraient une véritable perte pour le trésor public. Ainsi donc, l'incident soulevé aujourd'hui est la justification pleine et entière de ce que nous avons soutenu dans cette circonstance, mes honorablcs amis MM. Malou, de Man, de Brouwer et moi.

Nous avons fait tous les efforts possibles pour amener la modification de cette mauvaise convention ; nous n'y sommes pas parvenus ; on l'a votée malgré nos protestations. Et aujourd'hui que voudrait-on ? On voudrait, après que le contrat est fait et ratifié, lui donner une portée différente. Mais il fallait lui donner cette portée lorsqu'il s'agissait de le voter, et y apporter les modifications que vous voudriez y voir aujourd'hui.

Eh bien, je dis que quelque mauvais, quelque regrettable, quelque déplorable que soit ce contrat, il n'est pas possible, aujourd'hui qu'il y a engagement envers des tiers, de le modifier. Il fallait le modifier lorsque nous le demandions ; mais aujourd'hui il est trop tard. Vous serez en perte ; mais vous devez subir la perte ; c'est vous qui l'avez voulu, et il ne vous appartient plus aujourd'hui de modifier un contrat passé avec des tiers.

Vous serez en perte, oui, messieurs, et l'honorable M. Frère-Orban a raison, lorsqu'il prévoit dès maintenant tout le préjudice que le trésor public va subir par le fait de cette déplorable entreprise.

M. Frère-Orban. - Je ne prévois rien de semblable.

M. Dumortier. - Alors toutes ces belles paroles que vous avez dites aujourd'hui n'ont aucune espèce de signification. Si vous ne reconnaissez pas que le trésor public sera en perte, vos observations n'ont aucune espèce de fondement, puisque plus il se fera de transports, plus il y aura de bénéfices. Mais quand vous venez vous opposer à l'augmentation de ces transports, lorsque vous venez prétendre que la société n'a pas le droit de faire des remises, de crainte qu'il n'y ait trop de transports, vous déclarez manifestement que vous avez peur de ces transports et de la perte qui doit en résulter.

Messieurs, voyez combien les rôles sont changés ! C'est l'honorable membre qui soutenait ici ce système, qui vient en déclarer aujourd'hui l'inanité dans cette Chambre.

M. Frère-Orban. - Pas du tout, je le soutiens toujours.

M. Dumortier. - Je vous demande pardon. Vous soutenez clairement pour nous tous qui avons des oreilles et qui vous comprenons fort bien, car vous vous expliquez toujours avec tant de lucidité et d'éloquence qu'il est impossible de ne pas vous comprendre ; vous soutenez formellement que plus il y aura de transports, plus il y aura de pertes pour le trésor public. Voilà votre argument, je le mets à nu.

Eh bien, ce soutènement, c'est la condamnation du système que vous défendiez, lorsque vous êts venu nous faire voitr ce projet. Ce que vous dites aujourd'hui, c'est précisément ce que je disais pour faire rejeter la loi, relisez le Moniteur et vous n'en avez tenu aucun compte.

Voyez, je le répète, combien les rôles sont intervestis.

Ce sont les défenseurs du chemin de fer de Dendre-et-Waes, ce sont ceux qui soutenaient que ce chemin de fer devait être avantageux à l'Etat, qui viennent ici proclamer combien le système est vicieux au point de vue du trésor.

Et c'est nous qui serons forcés, uniquement par loyauté envers les tiers, de devoir dire à la Chambre : Vous l'avez voulu ; pourquoi réclamez-vous ?

Mais il y a plus, messieurs, le contrat lui-même porte des stipulations qui engagent le gouvernement dans les termes d'une loyauté accomplie. Une seule modification a été apportée au contrat. Quel était le texte primitif ? Et vous allez voir par là jusqu'à quel point le gouvernement s'était lancé d'une manière aventureuse dans l'entreprise du chemin de fer de Dendre-et-Waes.

L'article 13 de la convention portait : « Le gouvernement s'engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour que les principes posés aux articles 8 et 10 reçoivent l'application la plus entière et la plus large au profit de la compagnie. »

Ainsi, vous le voyez, le gouvernement stipulait contre lui-même. Nous avons réclamé très vivement contre cette disposition et ici, je dois le dire, une légère modification est intervenue. Il a été dit : « Le gouvernement s'engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour que les principes posés aux articles 8 et 10 reçoivent une application équitable et entière. »

Nous demandions, nous, la suppression de cet article ; elle ne fut pas accordée. C'esl donc une application équitable et entière au profit des concessionnaires qui est stipulée, or qu'est-ce que cela veut dire ! C'est évidemment une application dans le sens de l'intérêt de celui avec qui l'on contracte. Et maintenant c'est contrairement à l'intérêt de celui avec qui l'on a contracté qu'on veut créer des difficultés. N'est-ce pas aller directement contre ce qu'on a fait soi-même, contre le vote qu'on a émis dans cette enceinte ? Je dis que cé n'est point ici une interprétation judaïque ; le gouvernement s'est engagé à une application équitable et entière, et je crois que ces mots ont une véritable signification.

Maintenant l'honorable M. Frère nous parle toujours de l'opinion qu'il a émise ; mais l'opinion qu'il a émise n'est pas l'opinion de la Chambre : c'est l'opinion de l'honorable membre, c'est une opinion individuelle qui ne fait pas la loi. Si vous aviez des modifications à apporter au contrat, il fallait les proposer, il fallait améliorer le contrat ; mais quand nous demandions ces améliorations, on nous les refusait et vous voudriez le faire aujourd'hui.

Je dis donc, messieurs, que si une contestation existe ce n'est pas à nous qu'il appartient de la trancher ; c'est ici une question de droit civil et aux termes de la Constitution ces questions sont exclusivement du ressort des tribunaux. Que le gouvernement porte, s'il y a du doute, la question devant les tribunaux ; mais quant à nous, nous n'avons pas à nous en occuper ; ce serait une inconstitutionnalité de notre part que de nous immiscer dans de pareils débats, et d'intervenir dans une question où l'Etat a agi comme personne civile et non comme gouvernement, ce qui fait que ces débats sont exclusivement du ressort des tribunaux, conformément à la Constitution.

M. de Theux. - Messieurs, je ne veux rien préjuger ni sur la compétence de la Chambre pour apprécier le contrat, compétence que l'honorable M. Frère a soutenu exister, ni sur le sens du contrat ; nous attendrons le rapport que la commission des finances sera probablement appelée à nous présenter.

Ou a traité un autre point, le point de savoir si le gouvernement est intéressé à interdire ces arrangements à la compagnie de Dendre-et-Waes, arrangements qui ont pour but de faire affluer les transports à Alost.

Messieurs, cette question ne doit pas être examinée à ce seul point de vue : si le gouvernement, en percevant un quart du péage, est indemne de l'usure du chemin de fer, de ses frais de traction, etc. Mais, il faut encore examiner si le gouvernement n'éprouve pas une perte par la diminution des transports sur les voies navigables où il existe des péages.

J'appelle sur ce point l'attention de la commission des finances.

M. Loos. - Messieurs, j'avais l'honneur de faire partie de la section centrale qui a examiné le projet de loi relatif à la Concession de Dendre-et-Waes, et je suis de ceux qui ont eu quelque crainte de voir se produire les faits signalés aujourd'hui. J'ai fait beaucoup d'objections, j'ai prévu qu'on emploierait toute espèce de moyens pour augmenter les recettes, souvent au détriment de l'Etat, et qu'ainsi, ces recettes ne proviendraient pas naturellement du commerce existant sur la ligne exploitée. Aux objections que j'ai faites en section centrale on a répondu ce que l'honorable M. Frère, alors ministre des finances, a répondu finalement à l'honorable M. Malou ; on m'a répondu : Cela est impossible puisqu'il est interdit aux concessionnaires de faire la moindre restitution aux expéditeurs, en d'autres termes de payer la moindre prime.

J'ai été bien aise pour ma part, dans la discussion de la concession, de voir l'honorable M. Malou élever les objections dont aujourd'hui encore il nous a parlé.

L'honorable M. Malou disait que sans commettre aucun fraude la compagnie parviendrait à faire arriver sur ses lignes des transports qui n'y étaient pas naturellement destinés.

Mais qu'a répondu l'honorable M. Frère, alors ministre des finances, et qui traduisait l’interprétation donnée à cet acte par le gouvernement ?

Il a dit qu'il considérait comme une fraude toute restitution, toute prime, puisque tout ce que la compagnie recevait devait être remis aux actionnaires.

M. Malou. - Il n'a pas dit cela.

M. Frère-Orban. - Je l'ai dit littéralement.

M. Loos. - C'est cette assurauce donnée par le gouvernement qui m'a déterminé à voter la loi ; si l'on avait dit que la companie aurait le droit d'accorder des restitutions, de distraire, dans ce but, une partie des recettes, certes j'aurais voté contre la loi, car pour moi, c'était ouvrir la porte à toute espèce de fraude.

Aujourd'hui on demande quel préjudice la compagnie peut causer à l'Etat en faisant arriver à la station d'Alost du charbon destiné à Anvers, du charbon destiné à la Hollande. Mais si on peut le faire pour ces destinations, on pourra le faire pour Malines, pour Gand, pour toutes les localités où il est possible de transporter d'Alost par eau des charbons, et il en résulterait que toutes les voies navigables qui appartiennent à l'Etat perdraient la plus grande partie de leurs produits.

Eh bien, il est certain que si M. le ministre des finances de cette époque n'avait pas donné l'assurance que de tels faits seraient considérés comme une fraude, la Chambre entière aurait voté contre le projet de loi.

L'honorable ministre des travaux publics nous donne l'assurance (et puisqu'il l’affirme je le crois volontiers) que l'Etat n'éprouve aucune perte du chef de ces transports.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Ils auraient pris la Dendre.

M. Loos. - C'est possible, mais je demanderai à l'honorable ministre des travaux publics ce qu'il ferait si l'Etat était constitué en perte ? Certainement, ce qui existe aujourd'hui peut s'aggraver considérablement.

Ainsi, pour moi, c'est un très mauvais argument de dire que l'Etat ne perd rien.

C'est, du reste, là une question réservée, et que nous examinerons, mais, je le répète, si l'Etat ne perd pas aujourd'hui que les transports se font seulement du Hainaut, il peut se faire que d'autres localités le charbon et toute espèce de matériaux soient transportés à Alost, et qu'Alost devienne le centre d'où l'on expédierait, soit par eau, soit par voiture, (page 856) des matériaux et des combustibles pour un grand nombre de destinations. Il en résulterait un préjudice considérable pour les voies navigables de l'Etat.

Mais, messieurs, quels moyens avons-nous de constater que les opérations dont il s'agit n'enlèvent pas aussi des transports au chemin de fer de l'Etat ? Des agents établis à Alost et qui s'appelleraient marchands de charbons, marchands de matériaux, recevraient à Alost des produits qu'ils expédieraient vers différents points du pays au détriment des lignes du chemin de fer, comme au détriment des voies navigables, s'ils pouvaient ainsi opérer à l'aide d'une prime que payerait la compagnie, ce qui constituerait une réduction de tarifs.

Je suis très convaincu, pour ma part, que de pareils actes seraient contraires au contrat, parce que, comme membre de la section centrale, ayant été interpellé par plusieurs de mes collègues qui me demandaient mon avis, j'ai appuyé mon opinion sur les déclarations formelles du gouvernement, portant que des manœuvres analogues à celles dont nous nous occupons en ce moment, seraient considérées eomme fraude ; et j'ai voté la disposition, convaincu que toute espèce de fraude serait réellement impossible, s'il était interdit à la compagnie de faire aucune restitution pour modifier les tarifs à son profit et au détriment du trésor.

Je l'avoue, j'ai été fort étonné de voir l'honorable M. Malou faire usage des arguments qu'il employait dans le temps pour signaler les manœuvres qu'on pratiquerait au détriment du gouvernement ; dans son premier discours, l'honorable M. Malou a dit : « Personne ne m'a répondu ». Cela n'est pas exact ; l'honorable M. Frère, alors ministre, vous a répondu que le fait signalé par l'honorable M. Malou était impossible, parce qu'il ne pourrait se produire qu'en détournant une partie de la recette de sa destination, ce qui constituerait une fraude et que le gouvernement ne tolérerait aucune restitution, aucune prime.

J'appuie donc le renvoi à la commission des finances.

M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Messieurs, je demande à la Chambre de me permettre de lui présenter encore quelques courtes observations ; j'y suis amené par les discours des honorables membres qui viennent de se rasseoir. D'après l'honorable M. Dumortier. la concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes est une de ces concessions fatales au trésor. Il y a plus de quatre ans et demi que j'ai l'honneur d'être à la tête du département des travaux publics ; j'ai eu pendant le même temps l'honneur de soumettre à la Chambre plusieurs concessions de chemin de fer ; eh bien, je crois pouvoir affirmer, sans crainte d'être démenti par l'événemenl, qu'aucune de ces concessions ne nuira aux intérêts du trésor. Si je fais retour vers le passé, quand j'examine les concessions qui ont été accordées à d'autres époques et qui ont été votées à la presque unanimité dans cette Chambre, je me demande si l'on peut en dire autant de celles-là.

Ainsi, il y a deux jours, l'honorable M. Dechamps parlait d'une combinaison imaginée par le chemin de fer de Charlcroi à Louvain, combinaison qui doit enlever au canal de Charleroi la recette du transport des houilles en destination pour Anvers ; on trouvait cela fort légitime. C'est même l'honorable M. Dechamps qui, en 1851, a fait introduire, par voie d'amendement, dans la loi des travaux publics, le chemin de fer de Charleroi à Louvain ; le trésor y perdra 200,000 francs de recettes sur le canal de Charleroi ; on trouve cela fort légitime.

En 1845, on a concédé, sans opposition dans cette Chambre, le chemin de fer de Charleroi à Erquelinnes et celui de Namur à Liège qui doit détourner le transit si considérable de France en Allemagne et d'Allemagne en France ; on trouve encore cela parfaitement légitime.

On a concédé le chemin de fer de Bruxelles à Namur qui doit enlever à l’Etat la rccelle des stations de Bruxelles sur Namur et de Namur sur Bruxelles, et l'on trouve également cela parfaitement légitime.

On avait concédé en 1845le canal de Jemmapes à Alost qui devait enlever une fraction notable des recettes du canal de Pommerœul à Antoing et de l'Escaut, et on trouve toujours cela parfaitement légitime.

Si le gouvernement n'avait pas soumis aux Chambres une combinaison toute spéciale qui a eu pour résultat d'assurer l'exécution du chemin de fer de Dendre-et-Waes et l'exécution du chemin de fer direct de Bruxelles à Gand par Alost, les Chambres auraient été obligées de concéder directement ce dernier chemin de fer et de constituer l'Etat en perte pour toute la recette des transports de Bruxelles à Gand et de Gand à Bruxelles, ce qui représente une somme de 300,000 francs.

Les Chambres n'auraient pas pu refuser au bassin du couchant une voie de communication que l'honorable M. Dechamps, comme ministre, lui avait promise. Je dis que le gouvernement aurait manqué aux règles de la justice et de l'impartialité si, en 1851, il avait soumis à la législature un projet d'ensemble de travaux publics qui eût assuré de nouveaux débouchés au bassin de Liège, au bassin de Charleroi, au bassin du Centre et qui eût laissé complètement dans l'oubli le bassin du Couchant il aurait dû, s'il n'aurait pas soumis à la Chambre la concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes, provoquer la concession du canal de Jemmapes à Alost, et faire garantir à cette voie de communication qui était promise depuis tant d'années, le bénéfice d'un minimum d'intérêt. Or, savez-vous ce qu'eût été minimum d'intérêt ? C'eût été une dépense moyenne de 400,000 à 500,000 fr. par an.

Ainsi, qu'on cesse de récriminer contre la concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes ; cette concession loyalement exécutée est bonne et restera bonne.

M. Dumortier. - Messieurs, je n'admets pas ce que vient de dire M. le ministre des travaux publics : mais puisqu'il nous vante les bénéfices du chemin de fer de Dendre-et-Waes, je demande qu'il veuille bien nous indiquer quels sont les frais d'exploitation de cette ligne, quel en est le produit propre et à combien s'est élevée la part réservée à l'Etat dans la recette brute.

M. Manilius. - Messieurs, il ne s'agit pas de savoir si la concession du chemin de fer de Dendre-et-Waes estime bonne ou mauvaise affaire ; mais la question est de savoir si l'on emploie les moyens frauduleux, détournés, subtils qui ont été prévus dans l'acte de concession. Eh bien, l'honorable M. Loos l'a rappelé tout à l'heure, cette même question a surgi en 1851 dans les sections, elle a surgi ensuite dans la section centrale et finalement dans la Chambre même ; j'ai suivi de près toutes ces discussions et j'y ai pris part, et si j'ai donné un vote approbatif, c'est qu'on nous a donné l'assurance que le gouvernement était constamment en mesure de réprimer des manœuvres du genre de celles qu'on a signalées ; qu'un agent à lui surveillait l'exécution de la concession, que le gouvernement seul avait la direction des convois.

J'ai entendu M. le ministre des travaux publics dire tout à l'heure qu'on expédie aujourd'hui à Alost des quantités de charbon tout à fait en disproportion avec la consommation ordinaire d'Alost.

Au premier abord je pouvais croire qu'il y a à Alost des personnes qui font le commerce des charbons, qui reçoivent des houilles et qui les réexpédient par le chemin de fer même, vers les lieux voisins ; de ce chef, la compagnie a le droit de jouir des trois quarts ; mais je me suis défrompé bien vite, en allant demander à M. le ministre des travaux publics, d'où venait ce charbon.

J'ai demandé d'où venaient ces charbons ; on m'a dit qu'ils venaient de Jemmapes. Je croyais que c'était de Jemmapes près de Liège ; mais pas du tout, c'était de Jemmapes près de Mons ; la voie ordinaire du charbon de Mons pour Alost est le canal d'Antoing, puis par l'Escaut et la Dendre à sa destination. On préfère lui faire faire une vingtaine de lieues par le chemin de fer ; il passe par Bruxelles, Malines et Termonde, et après avoir fait une longue promenade, il arrivé insensiblement à Alost, pour être de nouveau embarqué sur la Dendre. Là commence le moyen subreptice.

M. le ministre nous dit : S'il n'y a pas perte pour le trésor, c'est indifférent, jusqu'ici il n'y a pas perte. Soit, mais du moment que la perte commencera à se manifester, je dirai moi : Vous avez la direction des convois, c'est patent ; vous pouvez refuser les charbons qui ont une tendance à être transportés subrepticement à Alost, quand ils n'ont pas cette destination. Quand il n'y a pas de moyen subreptice, quand il n'y a pas de fraude à suspecter, on ne peut pas refuser les transports des charbons qui sont en rapport avec le commerce régulier et honnête qu'on en peut faire à Alost.

Il faut admettre que des négociants d'Alost peuvent être marchands de charbons aussi bien que de soieries. Un marchand de soieries fera venir, par exemple, un ballot de soierie de Paris à la frontière de Quiévrain. On le met sur le chemin de fer de l'Etat, il arrive à Alost, là le négociant les vend, en fait de petits ballots qu'il met sur le chemin de fer à destination d'Anvers, de Liège ou du Luxembourg ; à l'arrivée comme au départ, il ne paye ces ballots que le quart du prix de transport à l'Etat et trois quarts à la compagnie concessionnaire. Voilà deux opérations complètes du marchand de soierie ; s'il est marchand de charbon comment empêcher qu'il ne reçoive des charbons et les vende dans le pays ? mais il ne peut les recevoir que par la voie ordinaire et régulière d'après les termes de la convention, il ne faut pas qu'il les fasse venir par des moyens de ruse, par des moyens frauduleux formellement interdits.

M. Dechamps. - Je demande la parole pour un fait personnel. Comme M. le ministre, en se défendant contre les critiques dont le système de travaux publics de 1851 avait été l'objet de la part de mon honorable ami M. Dumorlier, a cru convenable d'attaquer le système des travaux publics de 1845 au point de vue du trésor public, vous me permettrez de lui répondre en deux mois. D'abord je n'ai pas critiqué le système de 1851 que j'ai accepté par mon vote, mais M. le ministre a prétendu que les chemins de fer décrétés en 1845 l'avaient été au détriment du trésor public, parce qu'ils faisaient concurrence pour les transports entre la France et l'Allemagne au chemin de fer de l'Etat. Je suis prêt à renouveler la discussion qui a eu lieu sur ce point. J'ai répondu alors à tous les arguments qui ont été présentés à ce point de vue ; j'ai prétendu que les chemins dont il s'agissait était autant d'affluents utiles au chemin de fer de l'Etat, qu'ils apporteraient comme ils apportent tous les jours plus de recettes qu'ils n'en enlèvent au chemin de l'Etat.

Je rappellerai que ce n'est pas en 1845 qu'a été décrétée la ligne de Bruxelles à Namur qui doit enlever au chemin de l'Etat une partie des transports de l'est, que ce n'est pas en 1845 qu'a été décrété le chemin direct de Bruxelles à Gand qui doit aussi faire un tort considérable au chemin de l'Etat. Je rappellerai en outre qu'en 1845 les chemins décrétés l'ont été sans garantie d'intérêt, tandis que le système de 1851 repose sur la base de la garantie d'intérêt. Quand vous aurez porté au budget 800 mille francs pour garantir l'intérêt du chemin de fer du Luxembourg, je suis curieux de savoir si le gouvernement prétendra encore que le système de 1851 est plus favorable au trésor public que celui de 1845.

(page 857) M. le ministre des travaux publics (M. Van Hoorebeke). - Puisque l'honorable préopinant a parlé des systèmes des travaux publics de 1845 et de 1851, je ferai une remarque, c'est que s'il est vrai qu'il a adopté la loi des travaux publics de 1851, il l'a fait en déclarant que la loi était mauvaise et que les chemins concédés ne seraient pas exécutés. En ce qui concerne la garantie d'intérêt, nous attendrons ; l'avenir prononcera. Quant à la garantie d'intérêt pour le chemin de fer du Luxembourg, beaucoup des amis de M. Dechamps ont déclaré que si la concession n’était pas accordée, le gouvernement serait obligé d’exécuter le chemin lui-même. L’honorable M. Dumortier, qui était opposé à toute garantie d’intérêt, disait qu’il faisait une exception en faveur du chemin de fer du Luxembourg et qu’il aurait même préféré de le voir exécuter par le gouvernement.

M. Veydt. - Messieurs, quelques minutes me suffiront. Je crois que la Chambre veut vider l'incident aujourd'hui et il peut l'être. Que la commission des finances examine la question mûrement, en appelant sur elle toutes les lumières, je n'ai aucun motif de m'y opposer. Si l'on ne parvenait pas à se mettre d'accord, il doit seulement être entendu que rien n'est préjugé, quant à présent, sur le point de savoir quelle sera l'autorité compétente pour statuer en définitive sur le différend et pour le trancher, s'il doit l'être.

Je me félicite à mon tour du débat qui s'est engagé, quoiqu'il ait pris incidemment toute une séance. Comme il arrive souvent, en marchant sur le fantôme, on l'a vu disparaître. Il semblait d'abord que la compagnie concessionnaire s'était ingéniée à trouver des moyens de procurer à son entreprise des bénéfices exorbitants, déloyaux, frauduleux, qu'elle n'oserait avouer. Il n'y a rien de tout cela, et rien de pareil n'arrivera jamais.

Son intention est de ne profiter que de ce qui peut légitimement lui revenir, de tirer de son contrat le meilleur parti possible ; mais jamais en le violant, jamais en fraudant. Toutes les investigations du monde ne la contrarieront pas, et elle en a donné une première preuve en remettant, au mois de juillet dernier, plus de détails et de chiffres qu'on ne s'attendait sans doute à en recevoir.

Ce que la compagnie concessionnaire fait, elle se croit en droit de le faire, c'est-à-dire qu'elle consacre une partie de ses recettes de l'exploitation partielle à attirer des transports de charbons par le chemin de fer de l'Etat vers Alost et Termonde, soit en destination de ces localités, soit pour leur réexpédition par les votes navigables. Il ne s'agit que de ce point, qui est devenu évident à présent.

Vous avez, messieurs, entendu les arguments pour et contre ; vous les apprécierez.

Peut-on agir, comme on l'a fait, en vertu de la convention et sans s'en écarter ? C'est mon opinion. Ou bien faut-il, quoique le résultat financier soit favorable pour tous les intéressés, que l'on s'abstienne ou que l'on fasse un arrangement préalable, comme le veut l'honorable M. Frère ?

J'ai entendu avec plaisir M. le ministre des travaux publics dire avec conviction à la Chambre que les 25 p. c. réservés à l'Etat pour l'exploitation laissent un boni sur l'accroissement des transports que l'ouverture de la section d'Alost procure. En me rendant compte des facilités que le chemin de fer a pour ce trafic accessoire, je me suis attendu maintes fois à ce résultat, et je ne crois pas non plus qu'il y ait lieu de regretter l'engagement que l'Etat a pris. Tout ne se borne pas pour lui au quart des recettes.

On perd souvent de vue le produit exclusivement réservé au gouvernement de l'exploitation de la ligne directe à Gaud, que la société doit construire sans aucune compensation pour elle ; ce produit sera considérable. On perd de vue que la propriété de toutes les lignes nouvelles doit aussi revenir à l'Etat, dans un avenir éloigné sans doute, au point de vue de la vie humaine ; mais ce n'est pas ainsi qu'il faut l'envisager.

Enfin, messieurs, et c'est pour faire cette remarque que j'ai demandé la parole, car avant ce qu'a dit tout à l'heure l'honorable ministre des travaux publics, il n'en avait pas été parlé, dût la concession de Dendre-et-Waes imposer dans son ensemble quelques sacrifices à l'Etat, il faut se rappeler, pour être juste, qu'elle a affranchi le gouvernement de la construction d'une ligne à ses frais, car il eût certainement été obligé de l'inscrire à sa charge dans la loi de 1851 ; qu'elle l'a dispensé d'assumer pour son compte un minimum d'intérêt sur une somme considérable pour le creusement d'un nouveau canal ; qu'elle a satisfait aux vœux de plusieurs localités importantes et que ceux qui avaient leurs intérêts à cœur, ont été amenés ainsi à consentir à des charges plus lourdes, qui seront la conséquence d'autres travaux publics, notamment du chemin de fer du Luxembourg et de la dérivation de la Meuse. Loin de moi de récriminer, j'ai été et je suis encore partisan de ces grands travaux. Je le prouverai pour le chemin de fer du Luxembourg, si nous avons à nous en occuper de nouveau.

Encore un mot. Il ne suffit pas à l'honorable comte de Theux et à mon honorable ami M. Loos que l'Etat ait un excédant à son profit sur les 25 p. c. de la recette, déduction faite de ses frais additionnels. Il faut tenir compte, ont-ils dit, du déficit que l'Etat éprouvera sur le produit de ses voies navigables, par suite d'un déclassement et de l'emploi du chemin de fer pour les transports pondéreux. Je leur réponds et je crois que cette réponse est bonne. Ce ne sont pas seulement des transports anciennement acquis aux canaux, mais des transports nouveaux que l'on procure, que l'on crée. Les voies navigables ne les auraient pas eus dans cette proportion ; on serait resté dans l'ancienne ornière.

C'est un trafic supplémentaire, qui cesserait en très grande partie, si vous ne le provoquiez, pas par des avantages propres à le faire naître.

D'ailleurs, il est dans la destinée de certaines voies navigables, de se voir supplanter ou amoindrir dans leur importance par des concessions de chemin de fer. Ces conséquences sont prévues d'avance et elles n'ont pas empêché le vote des lois de concession.

L'honorable ministre a dit que les indications demandées par l'honorable M. Dumortier seraient fournies. Déjà, au début de l'exploitation de la section d'Alost, l'honorable M. Osy avait demandé des renseignements analogues en section centrale et elle les a obtenus sur-le-champ.

Je crois me rappeler que les chiffres ont été publiés dans une annexe à un rapport sur des crédits supplémentaires.

M. de Theux. - Je n'ai pas dit que le trésor ait eu une perte à subir du chef du chemin de fer de Dendre-et-Waes. J'ai dit que c'esà une question à examiner.

M. le ministre des travaux publics a rappelé que des chemins de fer concédés font concurrence au chemin de fer de l'Etat.

Mais le pouvoir législatif en décrétant des chemins de fer aux frais de l'Etat, n'a évidemment pas entendu mettre le pays en interdit.

Il reste à examiner si les avantages qui en résultent pour le commerce, l'industrie et l'agriculture ne compensent pas la perte qui en résulte pour le trésor.

- La discussion est close.

Le renvoi à la commission des finances est prononcé.

La séance est levée à 5 heures.